Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

216
Décisions Marketing Sommaire / n°72 Octobre-Décembre 2013 Numéro spécial « Marketing : enjeux et perspectives » Les 20 ans de Décisions Marketing Editorial Marketing, présent et avenir : une question de tempo et de synchronisation Pras B. 5 Marketing de demain Eclairages sur le marketing de demain : prises de décisions, efficacité et légitimité Salerno F., Benavent C., Volle P., Manceau D., Trinquecoste J.-F., Vernette E. et Tissier-Desbordes E. 17 Recherche Structuration de la recherche en marketing en France et point de vue des chercheurs sur les thématiques d’avenir Béji-Bécheur A., Besson M. et Bonnemaizon A. 43 Managers et recherche en marketing : de nouvelles attentes dans un contexte de bouleversements technologiques et temporels Cadenat S., de Lassus C. et Hussant-Zebian R. 65 Performance Apport de la démarche neuroscientifique à la mesure des émotions : importation d’une nouvelle méthode de mesure de l’activité électrodermale Droulers O., Lajante M. et Lacoste-Badie S. 87 Le VRM : un nouveau paradigme pour la relation client ? Fondements, principe, opportunités et limites Willart S. 103 Impact du décideur marketing sur l’accountability financière du marketing : propositions pour améliorer la prise de décision managériale Casenave E. 121 Sociétal Expériences de consommation des individus pauvres en France : apports du Bas de la Pyramide et de la Transformative Consumer Research Gorge H. et Özçaglar-Toulouse N. 139 Les ressorts de l’engagement dans une forme particulière d’échange collaboratif entre producteur et consommateurs : les AMAP Dufeu I. et Ferrandi J.-M. 157 L’acculturation : l’influence des sous-cultures d’origine et de la distance culturelle Benabdallah M. et Jolibert A. 179

Transcript of Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Page 1: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions MarketingSommaire / n°72 Octobre-Décembre 2013

Numéro spécial « Marketing : enjeux et perspectives »Les 20 ans de Décisions Marketing

EditorialMarketing, présent et avenir : une question de tempo et de synchronisation

Pras B. 5

Marketing de demainEclairages sur le marketing de demain : prises de décisions, efficacité et légitimité

Salerno F., Benavent C., Volle P., Manceau D., Trinquecoste J.-F., Vernette E. et Tissier-Desbordes E. 17

RechercheStructuration de la recherche en marketing en France et point de vue des chercheurs sur les thématiques d’avenir

Béji-Bécheur A., Besson M. et Bonnemaizon A. 43

Managers et recherche en marketing : de nouvelles attentes dans un contexte de bouleversements technologiques et temporels

Cadenat S., de Lassus C. et Hussant-Zebian R. 65

PerformanceApport de la démarche neuroscientifique à la mesure des émotions : importation d’une nouvelle méthode de mesure de l’activité électrodermale

Droulers O., Lajante M. et Lacoste-Badie S. 87

Le VRM : un nouveau paradigme pour la relation client ? Fondements, principe, opportunités et limites

Willart S. 103

Impact du décideur marketing sur l’accountability financière du marketing : propositions pour améliorer la prise de décision managériale

Casenave E. 121

SociétalExpériences de consommation des individus pauvres en France : apports du Bas de la Pyramide et de la Transformative Consumer Research

Gorge H. et Özçaglar-Toulouse N. 139

Les ressorts de l’engagement dans une forme particulière d’échange collaboratif entre producteur et consommateurs : les AMAP

Dufeu I. et Ferrandi J.-M. 157

L’acculturation : l’influence des sous-cultures d’origine et de la distance culturelle

Benabdallah M. et Jolibert A. 179

Page 2: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions MarketingREVUE OFFICIELLE DE L’afm ASSOCIATION FRANÇAISE DU MARKETING

Comité de rédaCtion

élisabeth tissier-desbordesESCP EuropeCo-rédactrice en chef

ChristoPhe benaVentUniv. Paris-OuestResponsable track « Digital »

laUrent maUbissonIAE Univ. Toulouse I CapitoleAssistant rédaction (Track général)

Jean-lUC GiannelloniIAE de Grenoble, Univ. Pierre Mendès-FranceCo-rédacteur en chef

François CoUrVoisierHEG Neuchâtel (Suisse)Responsable track « Stratégies »

Cyrielle VelleraIAE de Grenoble, Univ. Pierre Mendès-FranceAssistante rédaction (Tracks spécialisés & statistiques éditoriales)

Jean-marC déCaUdinIAE Univ. Toulouse I Capitole et ESC ToulouseResponsable track « Communications »

Comité éditorial

Membres ex officio

emmanUelle le naGard ESSEC Business SchoolPrésidente de l’afm

sandrine maCéESCP EuropeVice Présidente des Publications de l’afm

bernard PrasUniv. Paris Dauphine & Essec Business SchoolDirecteur Publication DM

Managers Entreprise

ChristoPhe de la FoUChardière Président de Merck Médication Familiale

Gérard hermetMembre du directoire GfK SE

billy salhaDirecteur Général BIC

Personnalités scientifiques

Christian derbaix FUCAM Louvain School of Management (Belgique)

hans mühlbaCherUniv. d’Innsbrück (Autriche)

PasCale QUesterUniv. d’Adelaïde (Australie)

Comité de leCtUre

Philippe aUrierUniv. de Montpellier 2

isabelle barthEcole de Management, Univ. de Strasbourg

amina béJi beCheUrUniv. de Marne La Vallée

Christophe benaVentUniv. Paris-Ouest

michelle berGadaaUniv. de Genève

laurent bertrandiasIAE, Univ. Toulouse 1 – Capitole

dominique boUrGeon-renaUltUniv. de Bourgogne

Joël breeUniv. de Caen

daniel CaUmontICN-Business School Nancy

Jean-louis ChandonIAE Aix-en-Provence Aix Marseille Univ.

sophie ChanGeUrUniv. de Picardie

Gérard CliQUetIGR-IAE, Univ. de Rennes 1

François CoUrVoisierHEG Neuchâtel

Patricia CoUtelle-brilletIAE de Tours, Univ. François Rabelais

bernard CoVaEuromed Management Marseille et Università Bocconi Milan

Véronique CoVaUniv. Aix-Marseille 3

dominique CrieIAE, Univ. de Lille 1

Jean-marc deCaUdinIAE, Univ. de Toulouse 1 Capitole

Christian derbaixFUCAM Louvain School of Management

Pierre desmetUniv. Paris-Dauphine & ESSEC Business School

delphine dionIAE de Paris

Pierre-louis dUboisIUT Univ. de Montpellier 2

Christian dUssartHEC Montréal

michel Felix Univ. de Lille 3

hervé FenneteaUISEM, Univ. Montpellier 1

marc FilserIAE de Dijon, Univ. de Bourgogne

Christophe de la FoUChardiereMerck Médication Familiale

marie-hélène Fosse-GomeZUniv. de Lille 2

Christophe FoUrnierISEM, Univ. Montpellier 1

Véronique des GaretsIAE de Tours, Univ. François Rabelais

Jean-Philippe GalanUniv. de Valenciennes

Page 3: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

marie-laure GaVard-PerretIAE de Grenoble, Univ. Pierre Mendès France

Jean-luc GiannelloniIAE de Grenoble, Univ. Pierre Mendès France

Patricia GUrVieZAgroParisTech

benoit heilbrUnnESCP Europe

Gérard hermetGfK

Frédéric JallatESCP Europe

michaël KorChiaBordeaux Management School

blandine labbe-PinlonAudencia Nantes Ecole de Management

richard ladWeinIAE, Univ. de Lille 1

emmanuelle le naGardESSEC Business School

sylvie llosaIAE d’Aix-en-Provence, Univ. Aix Marseille

sandrine maCéESCP Europe

delphine manCeaUESCP Europe

Ulrike mayrhoFerIAE Univ. Lyon 3 et Rouen Business School

dwight merUnKaIAE d’Aix-Marseille et Euromed Management

Géraldine miChelIAE de ParisJean-louis moUlinsUniv. d’Aix-Marseillehans mUhlbaCherUniv. d’InnsbruckGilles n’GoalaUniv. de Montpelliernil oZCaGlar-toUloUseUniv. de Lille 2Gilles PaCheUniv. d’Aix-Marseille 2suzanne PontierUniv. Paris-Est Créteilbernard PrasUniv. Paris-Dauphine et Essec Business SchoolPascale QUesterUniv. d’Adelaïdeeric remyIAE, Univ. de Rouensophie rieUnierIAE de ParisPhilippe robert-demontrond IGR-IAE, Univ. Rennes 1Gilles roehriCh IAE de Grenoble, Univ. Pierre Mendès-Francedominique roUxUniv. Paris Sud 11elyette roUxIAE d’Aix-en-Provence, Univ. Aix MarseilleWilliam sabadieUniv. de Saint-Etienne

Francis salernoIAE, Univ. Lille 1

billy salhaBIC

lucie sirieixMontpellier Supagro

isabelle sUeUrUniv. de La Rochelle

Philippe tassi Médiamétrie

elisabeth tissier-desbordes ESCP Europe

Jean-François trinQUeCosteIAE, Univ. de Bordeaux 4

bertrand UrienIAE, Univ. de Bretagne Occidentale

eric VernetteIAE, Univ. Toulouse 1 - Capitole

Catherine ViotIAE, Univ. de Bordeaux 4

Pierre VolleUniv. Paris-Dauphine

Valérie VUillemotSEB

björn WalliserIAE, Univ. Nancy 2

helen ZeitoUnGfK

monique ZollinGerIAE de Tours, Univ. François Rabelais

Ventes et abonnements

ÉDITIONS EMS

17 rue des Métiers – 14123 Cormelles-le-royal

Tél. (33) 02 31 35 76 95 – Fax : (33) 02 31 35 76 99

tariFs 2014

ABONNEMENTS (4 NUMéROS PAR AN)FRANCE : 92 € / éTRANGER : 106 e

déCisions marKetinG

c/o CHRISTELLE DUBAILLEESSEC BUSINESS SCHOOLTél : +33(0)1-34 43 33 60 / Fax : +33(0)1-34 43 32 11

a f m A S S O C I A T I O N F R A N Ç A I S E DU MA R K E T I N GC/O ESCP Europe, 79 AV. DE LA RéPUBLIQUE 75543 PARIS TéL +33(0)1-49 23 22 47

Page 4: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

SECRéTARIAT DE LA REVUE : Raphaël CUFFOLO, IAE de Caen – 3, rue Claude Bloch – BP 5160, 14075 Caen Cedex – Tél : 02 31 56 65 00 – E-mail : [email protected]

ADMINISTRATION – ABONNEMENT : auprès de SAGE par mail [email protected] ou par téléphone +44 (0) 20 7324 8701

ABONNEMENTS : 4 numéros/an – Individuel £58 – Institution française : £182 – Autres institu-tions : £320

ABONNEMENTS RéTROACTIFS : consulter SAGE.

Renseignements sur le site de la revue http://ram.sagepub.com

Page 5: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 5

marketing, présent et avenir : une question de tempo et de synchronisation

Bernard Pras Université Paris Dauphine et ESSEC Business School

« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. »

Albert Camus

Lorsque la revue Décisions Marketing a été lancée par l’AFM (Associaton Française du Marketing) en 1993, l’objectif était d’ancrer les recherches dans l’environnement dans lequel les entreprises et les consommateurs évoluent. Il s’agissait de s’assurer de la pertinence de ces recherches par rapport à la prise de décision et aux enjeux auxquels les organisations doivent faire face ; les implications doivent permettre d’apporter un éclairage neuf et lucide sur le futur. Cet objectif a été poursuivi de façon constante par les rédacteurs en chef successifs, ainsi que par les rédacteurs en chef invités.

Vingt ans après, ce numéro spécial se propose de faire un point sur les enjeux et perspectives du marketing. Cette date anniversaire est en parfaite résonance avec de nombreux questionnements de la profession et des chercheurs sur le rôle du marketing et de son évolution dans la société. Ces questionnements ne sont pas nouveaux mais leur ampleur est nouvelle.

Le marketing s’est de tout temps interrogé sur son rapport à la société. Dès l’origine, bien avant les préoccupations sociétales de Kotler et Levy (1969), White (1921, p. 98) a initié l’idée que le concept marketing était de nature éthique : « Le principe guide et englobant du marketing scientifique est de nature éthique. La pratique marketing qui est la plus éthique (c’est-à-dire la meilleure pour tous ceux concernés) est celle qui rapporte le succès, dans le sens le plus large et le plus durable, pour tous les acteurs concernés ». Recherche d’efficacité et recherche d’un bien-être collectif ont été régulièrement mis en avant. Force est de constater que les pratiques des entreprises ont principalement privilégié la recherche d’efficacité. Comme le management, le marketing s’est interrogé sur son rôle et sa responsabilité dans l’évolution de la société avec le courant des Critical Marketing Studies (par exemple, Murray et Ozanne, 1991 ; Tadajewski et Mclaran, 2009 ; Tadajewski, 2010). Il a cherché à réconcilier ces deux objectifs depuis le milieu

DOI : 10.7193/DM.072.05.15 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.05.15Pras B. (2013), Marketing présent et avenir : une question de tempo et de synchronisation, Décisions Marketing, 72, 05-15.

Page 6: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

6 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

des années 2000 avec la proposition d’une nouvelle perspective, qui conjuguerait l’efficacité des organisations et la recherche de bien-être collectif pour l’ensemble des acteurs du système, dans une perspective passant d’une logique dominée par les biens (goods-dominant logics) à une logique dominée par les services (service-dominant logic ou S-D logic), et une approche co-créa-tive (Vargo et Lusch, 2004). Le marketing semble ainsi, en théorie ou sur le papier, se rapprocher de l’ambition d’origine de White, avec la volonté d’associer toutes les parties prenantes, d’intégrer des objectifs court termistes et de plus long terme, y compris éthiques (Abela et Murphy, 2008 ; Ferrell et Ferrell, 2008). On peut parler d’une réelle résilience du marketing qui retrouve ses valeurs d’origine, par-delà les crises (Pras, 2012). Mais cela repose sur des principes affichés, voire sur une prise de conscience, et pas nécessairement sur les pratiques effectives . Celles-ci sont vite rattrapées par les contraintes du court terme auxquelles les organisations sont soumises.

L’enjeu principal semble être aujourd’hui l’organisation et la gestion de tensions contradictoires dans la société, sous la pression du temps, avec des mouvements antagonistes, mais non irrécon-ciliables. Tout est une question de gestion du temps, de bon tempo et de synchronisation entre les diverses priorités et actions de la part des divers acteurs.

Certains enjeux déjà mis en évidence

Dès 2005, à l’initiative du rédacteur en chef du Journal of Marketing, les académiques s’interro-geaient sur la renaissance du marketing, les opportunités et impératifs pour améliorer la pensée marketing, sa pratique et son infrastructure (Bolton , 2005). Ainsi, Stephen Brown (2005) insis-tait sur la nécessité pour les académiques de prêter attention aux priorités des managers en pre-nant en compte les autres fonctions, les exigences financières et les objectifs globaux de l’entre-prise. De la même façon, Webster (2005) parlait de l’influence décroissante du rôle de la fonction marketing au sein des entreprises. Pour Webster, en cherchant à affirmer le statut scientifique de leur discipline et en mettant l’accent sur la méthodologie, les chercheurs en ont oublié d’analyser l’influence (possible) du marketing à des niveaux stratégiques. Il faut enraciner le marketing et la recherche en marketing dans la compréhension des organisations et de leurs enjeux et pas seule-ment dans celle des marchés. C’est le même constat auquel arrive McAlister (2005) qui suggère de réconcilier les deux tendances opposées et déséquilibrées des recherches en marketing, l’une étant privilégiée par les académiques au détriment de l’autre : l’accent mis sur les « standards de qualité » des recherches dans les meilleures revues ne doit pas faire oublier l’importance des enjeux. Il faut se préoccuper en marketing de l’intégration entre tactiques, stratégie et culture organisationnelle. Dans le même esprit, Wilkie (2005) considère que le processus académique des meilleures revues aveugle la communauté académique, l’académisme étant privilégié par rapport à la réflexion sur les problèmes de fond. Il est temps de surmonter la nouvelle myopie du marketing (Sheth et Sisodia, 2005) en dépassant le court termisme, en pensant à d’autres consommateurs que ceux directement rentables, et en intégrant les objectifs globaux de l’entre-prise et de la société, y compris la lutte contre la pauvreté ou le maintien de la santé. Ce n’est qu’à cette condition que les CMO (Chief Marketing Officers) peuvent retrouver un rôle effectif au sein des organisations et influencer réellement les stratégies des entreprises (Kerin, 2005).

Face à ce constat quasiment unanime quant à la nécessaire renaissance des dimensions straté-gique, organisationnelle et sociétale, une analyse des enjeux et perspectives du marketing en 2013 peut-elle apporter des éléments nouveaux ? Il semblerait que ces dernières années, les tensions se soient exacerbées, en particulier sous la pression temporelle : avancement technologique (en par-ticulier Internet, smartphones, vitesse de diffusion et du recueil d’information, en finance et en marketing, avec la désintermédiation qui s’ensuit), changements de comportements et objectifs

Page 7: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 7

associés au court terme (instantanéité et immédiateté, présentisme et pressions du court terme) et réactions de même ampleur pour prendre en compte des valeurs universelles et des objectifs à plus long terme (RSE, résistance du consommateur, slow movement et slow marketing). Arriver à synchroniser, à harmoniser ces tempos rapide et plus lent représente un des principaux défis auquel le marketing doit faire face.

tempo rapide : accélération, désynchronisation et présentisme

Par rapport au début des années 2000, les cris d’alarme se font plus pressants. Pour Harmunt Rosa (2010), nous subissons une « accélération sociale » du temps qui intègre les dimensions de l’innovation technique (information, transport, etc.), sociales et culturelles. Le sentiment d’ur-gence prédomine dans nombre d’activités et on privilégie l’immédiateté.

Désynchronisation des activités et sortie créative

Cette accélération va de pair avec la « désynchronisation » qui rend difficile la gestion harmo-nieuse des diverses activités, dont celles de l’entreprise. Cette accélération et la simultanéité des informations reçues peuvent conduire à des stratégies individuelles ou collectives de réactions à très court terme, ou d’ajournement de décisions. La vitesse de circulation des informations et des transactions financières, de l’ordre de nanosecondes, accompagnée de l’obligation pour les entre-prises de rendre des comptes financiers à court terme, peut paralyser des décisions stratégiques de plus long terme. Cette nécessité de performances immédiates, mesurables et visibles, dans un contexte de crise économique, est particulièrement d’actualité en marketing. Cela peut amener, par rapport à la prise en compte d’enjeux de long terme, à une « immobilité fulgurante » au sens de Paul Virilio (2010) ou à la « frénésie paralysante » de Pollmann (2009). On privilégiera les satisfactions de court terme mais garanties à d’autres de plus long terme, même si elles sont plus valorisantes, voire nécessaires1.

Les normes temporelles exercent une pression très forte, et leur transgression, au sein de la société moderne, entraîne de lourdes sanctions. Le non respect des délais, des deadlines, des impératifs de vitesse peuvent conduire à l’exclusion sociale, en autres au sein de l’entreprise. Le marketeur sera, plus que jamais, accountable de ses résultats. La prise en compte de la stratégie et de l’organisation, préconisée par les chercheurs américains en 2005 s’avère dans ce contexte difficile. Rosa, dont les conclusions sont plutôt pessimistes, ouvre néanmoins une fenêtre plus optimiste à la fin de son ouvrage en citant Pierre Bourdieu : « Il fallait connaître la loi de la gravitation pour construire des avions qui puissent justement la combattre efficacement ». Une prise en compte éclairée de l’accélération et de la pression du temps, au sein des entreprises, devrait nous amener à maîtriser celle-ci. Et Rosa nous invite à une sortie « créative » des pro-blèmes liés à l’accélération du temps en réinventant le temps de l’éthique. Encore faut-il en avoir les moyens et la volonté ?

Immédiateté, présentisme et stratégies marketing

Les moyens ne sont pas toujours là du fait des pressions auxquelles les entreprises sont soumises ; et la volonté est en partie annihilée du fait du présentisme. Ces problématiques d’accélération, de désynchronisation font écho aux réflexions de Hartog sur le présentisme (Hartog, 2003). Pour

1/ Note de lecture d’Elodie Wahl de l’ouvrage d’Hartmut Rosa (2010) sur l’accélération du temps, http://lectures.revues.org/990

Page 8: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

8 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Hartog, le XXe siècle a allié futurisme et présentisme, le futurisme étant à entendre ici comme la domination du point de vue du futur avec le progrès comme horizon temporel. Mais la prévalence du présent l’a finalement emporté, valorisant l’immédiateté. C’est le cas des institutions marke-ting, du consommateur et souvent des entreprises.

La gestion du présentisme constitue un enjeu majeur pour beaucoup d’entreprises : comment traiter les masses de données issues des big data ? Comment gérer en temps réel les co-créations ou les réactions des consommateurs sur Internet ? Comment gérer le multi-canal et le cross-canal qui posent les questions de l’organisation même de l’entreprise et de la cohérence de ses offres face à un consommateur global et très réactif ? Comment analyser ou améliorer la performance à moindre coût ? Nombre d’entreprises sont en plein questionnement et s’interrogent sur les solu-tions à mettre en œuvre, seules ou avec leurs partenaires et les consommateurs.

Pour améliorer la performance de court terme, les évolutions technologiques et l’innovation ap-portent des solutions, dont certaines touchent à la vie privée ou peuvent poser des questions éthiques.

A titre d’exemple, on citera les Fatlabs qui permettent de raccourcir les processus d’innovation en réalisant très rapidement le prototypage de nouveaux produits et en associant au processus toutes les fonctions de l’entreprise. L’innovation, avec les nouvelles technologies numériques, porte sur de nouveaux outils d’analyse, de nouveaux services mais aussi la démocratisation d’outils de pro-duction performant avec des impressions 3D, des logiciels et du matériel open source (Anderson, 2012). Les innovations marketing s’accélèrent comme dans le domaine du VRM (Vendor Relationship Management) ou du neuromarketing. Ainsi, de grands groupes comme Coca-Cola, Nike ou Procter & Gamble ont recours à ce dernier pour améliorer l’attractivité de leur site Web, leur efficacité publicitaire ou l’atmosphère de leurs points de vente. Sony a augmenté de 52 % le taux de clics sur son site en Allemagne en 2012 grâce à l’utilisation du neuromarketing. Cela ne va pas sans soulever des critiques ou sans être freiné par la législation comme celle sur la bioé-thique en France2. Enfin, un des défis à relever pour l’organisation est de concevoir le numérique comme une partie intégrante de l’organisation de l’entreprise et non comme un univers à part qui serait le marketing digital. Certains parlent de marketing synchronisé (Tinelli, 2012).

tempo lent : décélération et slow movement

En réaction à cette accélération du temps, au présentisme et à la recherche de performance à court terme, parfois au détriment de l’éthique, on observe une montée en puissance de la quête de valeurs universelles basées sur une vision à plus long terme, qui s’inscrit dans le courant de la RSE (responsabilité sociale des entreprises), de l’analyse critique du marketing. Ce courant est à la confluence de plusieurs phénomènes : la résistance à certaines pratiques marketing (Roux, 2012, numéro spécial sur la résistance du consommateur), la montée de modes de consommation alternatifs, le souci de mettre le marketing au service du bien-être collectif, sans exclusion. Cette volonté de prendre du recul par rapport à l’accélération se concrétise, plus récemment, avec le courant slow life et slow movement.

Décélération et tempo lent

Face au constat de l’accélération du temps et de l’essor exponentiel des nouvelles technologies, de nombreux acteurs recommandent de prendre du recul, allant des réflexions sur le tempo (Levine,

2/ En France, la loi de 2011 sur la bioéthique interdit par exemple l’utilisation de l’IRM à des fins non médi-cales.

Page 9: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 9

1997) au Déconnectez-vous de Rémy Oudghiri (2013). En réaction au présentiste, les principes de précaution et de responsabilité vis-à-vis des générations futures (Jonas, 1999) ont émergé.

En marketing, on voit coexister désormais les tenants de tempos rapides, nécessaires pour ré-pondre aux exigences de performance à court terme, et ceux de tempos plus lents, privilégiant une recherche de bien-être individuel et collectif dans une perspective de plus long terme. Le tempo structure le rapport à soi et aux autres et s’inscrit dans un ensemble de valeurs et une culture donnés ou choisis. C’est dans cet esprit que sont apparus ce que l’on dénomme le slow movement et le slow marketing.

Slow movement et temps juste : le tempo giusto

Le slow movement et le slow marketing sont basés sur des valeurs universelles et sur l’éthique. Le Slow movement a démarré avec le Slow food initié par Carlo Petrini, en réaction à l’installation d’un restaurant McDonald sur la Piazza di Spagna à Rome3. C’est un retour à une consommation plus durable, qualitative, authentique, avec un certain ralentissement du rythme de vie pour se recentrer sur les valeurs essentielles. Carl Honoré (2005), dans son ouvrage Eloge de la lenteur, synthétise les principes du Slow Movement, qui touche désormais des pans entiers de la vie sociale, culturelle et économique : l’habitat (Slow cities avec Cittaslow), les loisirs (Slow living), l’art (Slow art), le design (Slow design), la médecine (Slow medicine), l’éducation (Slow paren-ting), la finance (Slow money) et qui met en avant la notion de bonne vitesse. Le Slow movement prône la recherche de l’équilibre, ce que les musiciens appellant le tempo giusto. Il ne s’agit pas en fait de prôner la lenteur mais d’être à la recherche du temps juste, de donner l’impulsion nécessaire au bon moment. C’est en musique le temps de référence dont procèdent les autres tempos. Le large écho que rencontre le Slow movement en Europe et dans le monde dépasse le simple phénomène de mode et caractérise une philosophie de vie. En cela, il est en résonance avec d’autres mouvements qui demandent de replacer l’éthique et les valeurs universelles à leur juste place dans la société. Dans ce contexte, le Slow marketing a aussi fait son entrée, avec entre autres la Slow brand qui préconise des marques avec une promesse basée sur de réelles qualités du produit et du service, qui seront tenues, et qui respectent les consommateurs. On est dans le registre de l’éthique, du bien-être et de la qualité de vie. Cela met aussi en avant le Slow made, c’est-à-dire, fabriquer en prenant le temps nécessaire, en étant soucieux de l’environnement, de la qualité et du savoir-faire, avec les mérites de l’artisanat. L’industrie du luxe s’intéresse à ce concept.

la synchronisation des tempos

Comment caler, synchroniser le tempo rapide avec des tempos plus lents pour arriver au tempo juste. Pour Daniel Kahneman (2011), la coexistence de la vitesse et de la lenteur sont le propre de la pensée humaine4. De son côté, l’historien Lewis Mumford considère qu’il n’y a pas un bon ou un mauvais rythme, il s’agit de moduler le rythme selon nos besoins et objectifs : « Alors

3/ Carlo Petrini a été nommé « Champion de la Terre » en 2013 par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) pour sa contribution exceptionnelle dans le domaine de l’environnement et du déve-loppement durable, au titre de l’ « Inspiration et de l’Action ». Slow Food compte plus de 100 000 membres, dans le monde, ainsi que le réseau de Terra Madre. Ses projets et ses activités engagent des millions de personnes dans 150 pays.4/ Daniel Kahneman (2011), prix Nobel d’économie, considère que la pensée humaine combine parfaitement vitesse et lenteur, la pensée rapide, intuitive et immédiate (système 1 de la pensée) prenant souvent le pas sur la pensée intentionnelle, réfléchie (système 2), qui se met en œuvre lorsque l’individu fait face à des situations compliquées ou difficiles.

Page 10: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

10 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

que notre première réaction à la pression externe du temps prend nécessairement la forme d’un ralentissement, la libération de cette pression repose finalement sur le fait de trouver le bon tempo pour chaque activité humaine; en résumé, il faut considérer le temps dans la vie (…) en trouvant les tempos appropriés en fonction des passages, et en modulant le rythme selon les besoins et objectifs humains » (cité par Keyes, 1991, p. 192). Il faut prendre le meilleur des deux mondes en évitant les ghettos temporels (Rifkin, 1987).

Synchronisation artificielle et « vraie » synchronisation

Des stratégies adaptées à la recherche d’efficacité à court terme d’une part ou à la réalisation d’objectifs sociétaux, éthiques et de bien-être collectif d’autre part ont leur logique propre et sont chacune cohérente. L’intégration ou la synchronisation des deux s’avère parfois difficile.

La tentation est forte pour les entreprises d’intégrer les valeurs d’un temps plus lent pour aug-menter leur efficacité sans les partager fondamentalement. On entre alors, par exemple, dans le greenwashing qui peut d’ailleurs entraîner le greenbashing de consommateurs excédés par l’utilisation abusive de thématiques qui leur tiennent à cœur à des fins purement commerciales (Monnot et Reniou, 2013). Mais les CMO (Chief Marketing Officers) sont convaincus de la nécessité d’allier ces deux tempos et d’arriver à retrouver le temps de la « stratégie ». Une étude internationale auprès de 137 entreprises et de 1 500 CMO (Russell Reynolds Associates, 2013) révèle que 87% d’entre eux estiment que développer de réelles visions stratégiques est une priorité (mais seulement 20% considèrent que cela est réalisé actuellement), 80% pensent qu’établir des relations cross-fonctionnelles au niveau éxécutif est indispensable (mais seulement 36% consi-dèrent que cela est réalisé efficacement actuellement) ; 64% jugent que développer un marketing digital intégré dans l’organisation est une priorité (mais seulement 23% considèrent que cela est réalisé efficacement actuellement). Par contre, les activités classiques du marketing, comme le lancement de nouveaux produits, apparaissent comme bien maîtrisées et les activités opération-nelles classiques moins prioritaires. Sur les 1 500 CMO, seulement 10% pensent que leurs supé-rieurs hiérarchiques, c’est-à-dire les dirigeants de l’entreprise, sont à même de prendre en compte efficacement ces priorités et la moitié des CMO compte changer d’entreprise d’ici moins de deux ans, ce qui est symptômatique d’une certaine insatisfaction, d’un certain malaise au sein de leur organisation. Cette nécessité de ne pas être assujetti au court terme exclusivement est fortement ressentie. Cela ne signifie pas s’arrêter ou ralentir.

Il est urgent de ne pas ralentir, de retrouver le temps juste. Il faudrait en fait accélérer sur les enjeux sociétaux et éthique. Ainsi s’exprime Guillaume Poitrinal (2012a ; 2012b), ancien pré-sident du directoire d’Unibal Rodambco5 (société du CAC40), leader européen des centres com-merciaux, pour qui la vitesse « s’imposerait quand elle doit s’imposer, par exemple pour la réso-lution de nos urgences sociales et environnementales et la restauration de notre compétitivité. Mais avec une place égale pour le temps lent : celui de la réflexion, de la création, de la culture, de la famille (…). Le temps juste c’est de pouvoir construire un bel équipement collectif, modèle d’architecture et de développement durable, en quatre ans au lieu de quinze (…) » (2012a, p. 54). Les préoccupations du tempo giusto sont de plus en plus partagées par les individus-citoyens- managers, pour allier préoccupations du court terme et enjeux de long terme, en mettant les outils du temps accéléré au service des enjeux du temps long et en calant la gestion du temps court sur le stratégique et l’organisation appropriée.

5/ Guillaume Poitrinal a quitté volontairement la présidence d’Unibail en avril 2013 pour se lancer dans la distribution de la construction en bois et faire bouger les lignes dans ce domaine, en accélérant le développement de ce secteur porteur d’avenir.

Page 11: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 11

C’est dans cet esprit que s’inscrivent les articles de ce numéro spécial. Les trois premiers nous font partager les éclairages des rédacteurs en chef sur les enjeux à venir, ainsi que les enjeux et perspectives tels que perçus par les académiques puis par les managers. Les trois suivants traitent de la performance sous la pression de court terme (neuromarketing, VRM – Vendor Relationship Marketing –, accountability des managers). Les trois derniers analysent des enjeux à caractère sociétal (consommateurs pauvres, pratiques alternatives de consommation, immigration et sous-cultures d’origine).

Marketing de demain et recherches

Ce numéro spécial nous livre tout d’abord les sentiments et analyses de sept rédacteurs en chef de Décisions Marketing sur le marketing de demain.

Francis Salerno, Christophe Benavent, Pierre Volle, Delphine Manceau, Jean-François Trinquecoste, Eric Vernette, et Elisabeth Tissier-Desbordes, qui se sont succédés à la direction de la revue, prennent la plume pour nous faire partager leurs éclairages. La question des tempos (le temps long de l’organisation et de l’éthique et le temps court de l’efficacité), de la difficulté de les harmoniser et synchroniser, trouve une résonance particulière dans leurs réflexions sur les prises de décisions, sur l’efficacité, sur la recherche de légitimité interne qui s’ensuit face à celle de légitimité externe.

Cette perspective temporelle pour l’ensemble des acteurs est aussi au coeur des deux articles suivants, qui font état des résultats d’études que les auteurs ont menées, en particulier auprès des académiques et des managers, pour dresser un panaorama des perspectives d’avenir.

Tout d’abord, Amina Béji-Becheur, Madeleine Besson et Audrey Bonnemaizon nous invitent à examiner comment la recherche en marketing en France s’est construite socialement, en parti-culier à partir des années 70. Elles font émerger des axes prioritaires de recherche en confron-tant les tendances mises en avant par les divers acteurs institutionnels avec la vision qu’ont les chercheurs des enjeux majeurs pour les organisations et la société civile. On y retrouve des pré-occupations sociétales et des enjeux liés aux évolutions technologiques et temporelles. Cela fait aussi ressortir la question même de la fragmentation de la conception de la recherche, entre quête d’opérationnalité et postures plus réflexives.

Ensuite, Sandrine Cadenat, Christel de Lassus et Rola Hussant-Zebian analysent les attentes des managers face à la recherche en marketing, et la façon dont ils perçoivent les travaux acadé-miques. Il en ressort clairement qu’à côté d’attentes d’outils et de travaux permettant de mieux gérer le court terme et de répondre aux préoccupations urgentes d’efficacité, les managers sou-haitent un soutien des académiques dans leur recherche de prise de recul. Les auteurs de l’article font des propositions concrètes de coopération efficace afin d’allier les défis résultant de l’effet conjugué des nouvelles technologies et des pressions temporelles.

Performance et tempos courts

Performance à court terme et enjeux sociétaux restent les deux grandes questions sur lesquelles il convient d’ajuster les tempos. Les tempos courts ne peuvent aboutir à des solutions harmonieuses sans disposer d’une part d’instruments efficaces, et d’autre part sans avoir en ligne de mire l’har-monisation organisationelle et/ou éthique des actions entreprises. Trois articles illustrent ces problématiques. Ils portent sur l’efficacité du neuromarketing pour mesurer les émotions, sur la façon dont le VRM (Vendor Relationship Marketing), qui s’appuie sur les nouvelles technologies

Page 12: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

12 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

intègre les questions éthiques, et sur la question de l’accountability à laquelle les marketeurs sont soumis pour justifier et renforcer leur rôle au sein de l’organisation.

L’article sur le neuromarketing d’Olivier Droulers, Mathieu Lajante et Sophie lacoste-Badie pré-sente une nouvelle méthode de mesure de l’activité électrodermale et montre comment cette méthode de traitement du signal s’applique à la mesure de l’activité émotionnelle, dans le cadre de publicités télévisées. Nous sommes dans la logique de recherche d’efficacité, avec le déve-loppement d’outils permettant d’optimiser la performance à court terme, comme le font nombre d’entreprises du type Sony. Ces évolutions, rappelons-le, s’inscrivent dans le cadre des débats sur l’éthique et la bioéthique relatives au neuromarketing.

Sylvain Willart, de son côté, montre comment le VRM (Vendor Relationship Management) cherche à pallier les critiques adressées au CRM, portant sur le tracking et l’utilisation potentiel-lement intrusive des big data, sans accord explicite des consommateurs voire des entreprises. Le VRM traite d’aspects techniques et informatiques, juridiques, de questions de vie privée, mana-gement des identités numériques, efficacité et intérêt de la publicité ciblée, usages des données personnelles, cloud-computing… L’objectif de l’article est d’analyser dans quelle mesure le VRM peut rénover à moyen et long terme la pratique de la relation client, en intégrant des préoccupa-tions éthiques à celle d’une recherche d’efficacité de plus court terme.

L’accountability du marketing est au coeur des préoccupations des entreprises et des respon-sables marketing actuellement. Rendre des comptes à la société d’une part, prouver son efficacité d’autre part. Ce second point correspond à la problématique de la légitimité interne, soulevée par les rédacteurs en chef de Décisions Marketing. Eric Casenave se penche sur cette question de l’efficacité interne, et de la capacité du marketing à contribuer à la performance financière et aux objectifs de l’organisation. En distinguant l’accountability sur les résultats de celle sur les processus, il propose une démarche visant à favoriser la rationalité des décisions sans nuire à la créativité du marketeur.

Sociétal, tempos longs et harmonisation des tempos

Les enjeux sociétaux portent souvent sur des tempos longs. Il convient de les harmoniser avec l’accélération du temps. Les articles sur ce thème traitent des consommateurs pauvres, des pra-tiques d’échange collaboratif et des amapiens, des sous-cultures des consommateurs issus de l’immigration. Ils amènent à jeter un regard neuf sur ces consommateurs et sur les enjeux qui y sont associés, y compris en terme de performance pour les entreprises.

Les consommateurs pauvres constituent à la fois un enjeu économique, avec des perspectives de rentablité à court moyen terme, et un enjeu éthique. Pour simplifier, on dira que l’enjeu écono-mique est incarné par le courant du « Bas de la Pyramide », et la préoccupation centrée sur leur bien-être par la TCR (Transformative Consumer Research). A travers l’étude des consomma-teurs pauvres en France, Hélène Gorge et Nil Özçaglar-Toulouse montrent comment ces deux enjeux peuvent converger sur certains points et elles proposent un agenda de recherche. Elles appellent à porter un regard neuf sur cette population, à prendre en compte non seulement leurs besoins mais aussi leurs compétences, alliant ainsi performance et éthique.

Les nouvelles pratiques collaboratives, en plein développement, reposent très largement sur les nouvelles technologies et le numérique. Ivan Dufeu et Jean-Marc Ferrandi se penchent sur une des pratiques pionnières d’échange collaboratif, celle des AMAP. Leur recherche montre com-ment les nouvelles technologies peuvent aider les AMAP à pérenniser leur système, qu’il s’agisse

Page 13: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 13

de l’acquisition de nouveaux amapiens ou de la rétention des anciens. Ils s’interrogent sur la per-tinence de ces nouveaux outils du marketing au service des modes de consommation alternatifs, en préservant néanmoins leur essence.

Levine (2006), dans sa géographie du temps, montre que les individus adoptent un tempo plus rapide dans les pays industrialisés, les grandes villes et les cultures individualistes que dans les pays moins développés, les campagnes et les cultures collectivistes. L’acculturation des popula-tions immigrées dépend, entre autres, de ces différents rapports au temps et aux valeurs. Mounia Benabdallah et Alain Jolibert, en étudiant les sous-cultures kabyles et oranaises des immigrés algériens en France, montrent que l’acculturation n’est pas seulement une affaire de cultures mais aussi de sous-cultures, et qu’il est nécessaire de les prendre en compte aussi bien en recherche que dans le cadre des stratégies d’entreprises.

Temps juste : rôle des académiques, des managers et des autres acteurs

Dans l’idée de synchronisation et de temps juste, il y a celle de la capacité à combiner des rythmes différents, à donner des impulsions au bon moment face à la diversité des enjeux actuels. Cette nécessité n’est pas propre au marketing. Tous les acteurs du marketing mais aussi toutes les disciplines de la gestion doivent y faire face. Cependant, le marketing est particulièrement bien placé pour répondre à ces questions, de l’avis même d’experts d’autres disciplines. Ainsi, Clegg et Starbuck (2009) incitent les spécialistes de management et de théorie des organisations à prendre exemple sur le marketing pour répondre aux enjeux de société. Ils citent le MSI (Marketing Science Institute) qui réussit à fixer tous les deux ans des axes de recherche importants pour les entreprises et qui stimule des travaux qui donnent lieu à des publications dans les meilleures revues. Leur analyse de la pertinence des recherches en marketing est encourageante même si, comme nous l’avons évoqué (Bolton, 2005), elle est probablement trop optimiste et les marke-teurs eux-mêmes portent un regard plus critique sur leur propre discipline.

Il n’en reste pas moins vrai que les réflexions développées dans ce numéro font clairement appa-raître une prise conscience partagée des académiques, des professionnels et des autres acteurs quant à la situation présente, quant aux enjeux et aux défis à relever, quant à la nécessité de mieux synchroniser les divers tempos, en essayant de ne pas rester enfermé dans des ghettos temporels, entre autres court termistes. En prospective, on considère que les faits présents portent les germes du futur, mais que le temps présent est aussi le temps de l’action, la prospective étant destinée à influencer concrètement l’action (de Bourbon Musset et Massé, 2007). Les faits présents en marketing, face au dilemme des tempos accélérés et plus lents, montrent la nécessité pour tous les acteurs, chacun dans son rôle mais aussi collectivement, d’agir pour une meilleure synchroni-sation de ces divers tempos, pour les maîtriser au mieux, pour utiliser le tempo approprié à bon escient, dans le sens d’un temps globalement juste pour l’entreprise et la société.

références

Abela A.V. et Murphy P.E. (2008), Marketing with integrity: Ethics and the service-dominant logic for marketing , Journal of the Academy of Marketing Science, 36, 39-53.

Anderson C. (2012), Makers, the new industrial revolution, London, Crown Business.

Clegg S.R. et Starbuck W.H. (2009), Can we still fix M@n@gement? The narrow path towards a brighter future in organizing practices, M@n@gement, 12, 5, 332-359.

Bolton R.N. (2005), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 14-16.

Page 14: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

14 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Brown S.W. (2005), When executives speak, we should listen and act differently, in Bolton R.N. (col-lective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 1-4.

de Bourbon Musset J. et Massé P. (2007), De la prospective: textes fondamentaux de la prospective française, 1955-1966, Paris, L’Harmattan.

Ferrell O.C. et Ferrell L. (2008), A macromarketing ethics framework: Stakeholder orientation and distributive justice, Journal of Macromarketing, 28, 1, 24-32.

Hartog F. (2003), Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil.

Honoré C. (2005), Eloge de la lenteur, Paris, Marabout.

Jonas H. (1999), Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flam-marion.

Kahneman D. (2011), Thinking, fast and slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, LLC.

Kerin R.A. (2005), Strategic marketing and the CMO, in Bolton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infras-tructure, Journal of Marketing, 69, 4, 12-14.

Keyes, R. (1991), Timelock, New York, Ballantine.

Kotler P. et Levy S.J. (1969), Broadening the concept of marketing, Journal of Marketing, 33, 1, 10-15.

Levine R. (2006), A geography of time : The temporal misadventures of a social psychologist or how every culture keeps time just a bit differently, Oxford, A Oneworld Book, 2e édition.

MacInnis D.J. (2005), Them versus us : Woes on the bifurcation of the academic discipline, in Bol-ton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 14-16.

McAlister L. (2005), Unleashing potential, in Bolton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 15-16.

Monnot E. Z. et Reniou F. (2013), « Ras le bol d’entendre parler d’écologie ! » : comprendre la contestation des discours écologiques par les consommateurs, Décisions Marketing, 71, 3, 93-110.

Murray J.B. et Ozanne J.L. (1991), The critical imagination: Emancipatory interests in consumer research, Journal of Consumer Research, 18, 2, 129-144.

Poitrinal G. (2012a), Ne pas freiner en pleine course, in Plus vite! S’adapter ou résister, M3, 3, au-tomne, 49-71.

Poitrinal G. (2012b), Plus vite ! La France malade de son temps, Paris, Grasset.

Pollmann C. (2011), De l’accélération à la frénésie paralysante ?, Temporalités, 13, 11 juillet. URL : http://temporalites.revues.org/1564

Pras B. (2012), La résilience du marketing, Revue française de gestion, 38, 228-229, 59-85.

Rifkin, J. (1987), Time wars, New York, Henry Holt.

Rosa H. (2010), Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte.

Roux D. (2012), Pourquoi parler de résistance ? Décisions Marketing, numéro spécial « résistance du consommateur », 68, 4, 5-10.

Russell Reynolds Associates (2013), Confronting the CMO succession gap: Five key findings for im-proving the readiness and retention of future marketing leaders, Global Leadership, http://www.russellreynolds.com/content/confronting-cmo-succession-gap-five-key-findings-improving-rea-diness-and-retention-future-ma

Sheth, J. N. et Sisodia, R. S. (2005). Does marketing need reform? in Bolton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 10-12.

Tadajewski M., (2010), Towards a history of critical marketing studies, Journal of Marketing Mana-gement, 26, 9-10, 773-824.

Page 15: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Éditorial – 15

Tadajewski M. et Maclaran P. (eds.), (2009), Critical marketing studies, three-volume set, London, Sage Publications Ltd., Series : Sage Library of Marketing.

Tinelli M. (2012), Marketing synchronisé, Paris, Eyrolles.

Vargo S.L. et Lusch R.F. (2004), Evolving to a new dominant logic for marketing, Journal of Marke-ting, 68, 1, 1-17.

Virilio P. (2010), Le grand accélérateur, Paris, Galilée.

Webster F.W. (2005), Back to the future : Integrating marketing as tactics, strategy, and organizational culture, in Bolton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 4-6.

White P. (1921), Market analysis, its principles and methods, New York, Mc-Graw-Hill.

Wilkie W.L. (2005), Needed : A larger sense of marketing and scholarship, in Bolton R.N. (collective article), Marketing renaissance: Opportunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 8-10.

Page 16: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

16 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

remerciements

Les rédacteurs en chef de Décisions Marketing, les auteurs et relecteurs des articles soumis doivent être sincèrement remerciés pour avoir contribué à co-construire ce numéro spécial. Les premiers marquent cet anniversaire de la revue par leur contribution et leurs éclairages sur le marketing de demain. Les auteurs et les évaluateurs ont participé, dans un processus très réactif et soutenu, à l’émergence et amélioration des articles acceptés in fine, après deux à quatre révi-sions. Les auteurs de la trentaine de soumissions initiales sont ici salués pour leurs propositions d’articles, même si elles étaient parfois trop éloignées de la thématique « Marketing : Enjeux et perspectives » pour entrer dans le processus.

Outre les membres du comité de lecture sollicités dont nous saluons ici la grande implication et que nous remercions chaleureusement, il convient de remercier tout aussi vivement les relec-teurs occasionnels qui ont évalué les articles de ce numéro spécial, à savoir : Olivier Badot (ESCP Europe), Jérôme Bon (ESCP Europe), Franck Cochoy (Certop, Université de Toulouse 2-Le Mirail), René Darmon (ESSEC Business School), Stéphane Debenedetti (Université Paris Dauphine), Yves Evrard (HEC Paris), Denis Guiot (Université Paris Dauphine), Isabelle Huault (Université Paris Dauphine), Fabrice Larceneux (Université Paris Dauphine), Lars Meyer-Warden (Université de Toulouse 1 Capitole), Caroline Miltgen (Université d’Angers), Valentin Ngobo (Vallorem/Université d’Orléans), Ingrid Poncin (FUCAM, Université de Mons, et SKEMA Business School), Nathalie Prime (ESCP Europe), Bernard Roullet (IREA, Université de Bretagne Sud), Marc Vanhuele (HEC Paris) et Sondès Zouaghi (Thema, Université de Cergy-Pontoise).

Page 17: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 17

eclairages sur le marketing de demain : prises de décisions, efficacité et légitimité

Francis Salerno, Christophe Benavent, Pierre Volle, Delphine Manceau, Jean-François Trinquecoste, Eric Vernette, Elisabeth Tissier-Desbordes

Rédacteurs en chef de Décisions Marketing (de 1993 à nos jours)*

Résumé

A l’occasion des 20 ans de la revue Décisions Marketing, sept rédacteurs en chef successifs, de l’origine de la revue à nos jours, apportent leur éclairage sur l’évolution de la prise de décision en marketing et ses enjeux, et sur la difficile conciliation des objectifs d’efficacité et d’éthique, de la légitimité interne et externe, dans une société désormais liquide.

Abstract

Marketing for tomorrow: decision-making, efficiency and legitimacy

For the twentieth anniversary of Décisions Marketing, seven editors-in-chief of the journal, from the origin to nowadays, are sharing their vision of the future of marketing decision-making. Their analysis highlights the difficulty of conciliating efficiency and ethics objectives, internal and external legitimacy, in a liquid society.

*Auteurs-rédacteurs en chefLes auteurs sont présentés dans l’ordre historique de l’exercice de leur mandat de rédacteur en chef de Décisions Marketing : F. Salerno (IAE, Université de Lille 1, rédacteur en chef de 1993-1999), C. Benavent (Université Paris Ouest, 1997-2001), P. Volle (Université Paris Dauphine, 2001-2005), D. Manceau (ESCP Europe, 2003-2007), J.-F. Trinquecoste (IAE, Université de Bordeaux, 2005-2009), E. Vernette (IAE, Université de Toulouse 1 Capitole, 2009-2013), E. Tissier Desbordes (2011-2015).

Pour contacter les auteurs : [email protected], [email protected], [email protected], [email protected], jean-franç[email protected], [email protected], [email protected]

DOI : 10.7193/DM.072.17.42 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.17.42Salerno F., Benavent C., Volle P., Manceau D., Trinquecoste J.-F., Vernette E. , Tissier-Desbordes E. (2013), Eclairages sur le marketing de demain : prises de décisions, efficacité et légitimité, Décisions Marketing, 72, 17-42.

Page 18: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

18 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. »Antoine de Saint-Exupéry

La revue Décisions Marketing a été créée en 1993 afin de diffuser les recherches orientées vers la prise de décision. En tant que rédacteurs en chef successifs de la revue, nous avons pu obser-ver l’évolution des thématiques, la complexité croissante à laquelle les décideurs sont confron-tés, l’émergence de l’orientation marché, de l’empowerment, des Big data, des réseaux sociaux, d’approches alternatives comme les circuits courts, des nouveaux champs d’application du mar-keting (consommateurs âgés, culturel, produits de luxe, …). Ces dernières années, chercheurs (par exemple, Wind, 2009 ; Desmond, 2013) et praticiens (par exemple, IBM, 2011 ; ADETEM, 2013) s’interrogent sur les enjeux et défis à relever pour le marketing, proposent des agendas, des manifestes et identifient les principaux défis à relever .

Notre propos n’est pas ici de faire une analyse exhaustive des enjeux auxquels le marketing doit faire face, mais après avoir resitué celui-ci dans le contexte sociologique d’aujourdhui, de pro-poser quelques réflexions sur la prise de décision en marketing et ce qui nous semble être un des principaux défis à relever, celui de la (ré)conciliation de la recherche d’efficacité pour l’entreprise et celui de l’amélioration du bien-être pour la société, ce qui pose la question de la légitimité interne du marketing (au sein de l’entreprise) et externe (vis-à-vis de la société).

Lorsque Zygmunt Bauman (2009) se demande si l’éthique a une chance dans un monde de consommateurs, il reprend sa thématique de la société liquide où l’homme moderne-liquide se trouve dans des situations qui se modifient avant même que leurs façons d’agir ne réussissent à se consolider en procédures et habitudes (Bauman, 2006). Et il en est de même de la prise de décision en marketing, qui fait face à une société « changeante et kaléidoscopique ». Les inces-sants changements de rôles, de fonctions et d’objectifs, ainsi que la fluidité de la société font que la prise de décision est rarement « finale » et amène à être renégociée au coup par coup. Cette société liquide entraîne avec elle deux conséquences : elle donne aux individus (et aux divers acteurs de la société) la liberté mais aussi la responsabilité de résoudre les problèmes, pour ceux qui le peuvent, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas les exclus ; elle conduit à l’exigence d’une éthique sociale, basée sur le respect de l’autre et une logique de « responsabilité planétaire », au-delà du « principe de plaisir » sur lequel la consommation est aussi basée.

Ce contexte sociologique traduit bien les enjeux majeurs du marketing de demain par rapport à la prise de décision : changements de rôles et du locus de décision, légitimité des décisions et multiplicité des acteurs et il pose la question du devenir de méthodes et processus formalisés de décisions.

Il soulève aussi la question de la complexité, voire de l’antagonisme des objectifs auxquels le mar-keting doit faire face. Comment concilier la recherche d’efficacité, souvent condition de survie pour les entreprises (au risque de mettre à mal l’éthique) à celle de l’éthique sociale, condition de la légitimité externe du marketing ? Faut-il une réponse unique ou accepter des réponses contin-gentes, privilégiant selon les organisations tel ou tel objectif, ou encore en mettant le marketing au service d’organisations parfois antagonistes (entreprises privées, services publics, ONG) ? Est-il possible ou est-ce un vœu pieu de réconcilier légitimité interne (efficacité) et légitimité externe (améliorer le bien-être dans la société) et de sortir par le haut de ce dilemme ?

A l’instar de Bauman, nous pensons que les réponses viennent de la confrontation des points de vue dans une logique du respect de l’autre, qui rendent cette conciliation possible. C’est dans cet esprit que chacun d’entre nous apporte ses réflexions, son éclairage à ces questions de prise de

Page 19: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 19

décision, efficacité et légitimité, l’objectif de cet article étant de susciter le débat. Nous proposons donc sept éclairages sur ces questions, chacun s’exprimant selon sa propre sensibilité. Les trois premiers éclairages portent plus particulièrement sur la prise de décision et les processus. Les quatre suivants portent sur la question de l’efficacité et de l’éthique, les deux premiers soulevant les questions éthiques induites par une recherche effrénée d’efficacité, les deux suivants soule-vant celles de la conciliation (ou non) d’une recherche de légitimité interne et externe.

Les sept éclairages proposés se présentent comme suit :

La décision marketing

1- Nécessaire redéfinition du rôle du marketing face à la désintermédiation (Delphine Manceau)

2- La décision marketing : une affaire de légitimité et d’imagination (Christophe Benavent)

3- Réussir le passage du marketing engineering au « marketing distingué » (Francis Salerno)

Concilier efficacité et éthique

4- Communication liquide et enjeux éthiques (Elisabeth Tissier-Desbordes)

5- Satisfaction, empowerment ou manipulation du consommateur ? (Eric Vernette)

6- Marketing, éthique et efficacité : être au service (Jean-François Trinquecoste)

7- Sortir des dilemmes du marketing par le haut (Pierre Volle)

nécessaire redéfinition du rôle du marketing face à la désintermédiation

Delphine Manceau, ESCP Europe

La place du marketing dans l’entreprise est en cours de redéfinition. En la matière, le discours des spécialistes, à la fois académiques et praticiens, est ambigu de longue date : s’ils soulignent l’importance que toute l’organisation soit orientée vers le client (Kohli et Jaworski, 1990 ; Narver et Slater, 1990), le contact avec le marché est dans la plupart des entreprises l’apanage du mar-keting, en charge de sa compréhension et de sa prise en compte dans les décisions (Kotler et al., 2012). En réalité, le marketing est habituellement au cœur de l’interface entre l’entreprise et ses clients, et constitue un acteur incontournable pour faire en sorte que l’entreprise comprenne ses clients actuels et potentiels et soit orientée vers le marché. Et c’est naturellement vers cette fonction que les autres départements se tournent pour prendre des décisions en phase avec les évolutions du marché.

Cette situation a désormais changé. Toute personne dans l’entreprise a désormais un accès direct aux clients, notamment via le web où blogs, réseaux sociaux et moteurs de recherche permettent de connaître l’évolution des perceptions relatives à une marque ou un produit. On peut suivre en temps réel le nombre de clients qui « like » un produit ou un site web, ou commentent les pro-pos d’un dirigeant de l’entreprise. Le marketing n’est plus le pivot nécessaire de la relation entre l’entreprise et son marché.

Emergence de nouveaux acteurs-clés et nouvelles approches de compréhension du marché

Plus encore, à l’heure des big data, les entreprises disposent d’une masse de données de formes diverses comme des mails, des photos, des vidéos, des fichiers, des commentaires, des signaux

Page 20: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

20 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

GPS, des transactions bancaires, émanant du CRM, des smartphones, du web, et de nombreux autres sources. 90 % des données dans le monde auraient été créées ces deux dernières an-nées d’après une étude McKinsey (Manyika et al., 2011). Potentiellement, les entreprises et les marques disposent donc d’une quasi-infinité de données pour connaitre les opinions, les achats et les comportements des clients actuels et potentiels (McAfee et Brynjolfsson, 2012). L’enjeu n’est plus tant de collecter des informations que de les trier et d’en déduire des analyses et des tendances qui fassent sens. Selon l’index Big Data EMC/IDC, les domaines privilégiés des ini-tiatives big data sont, juste après l’analyse financière (58%), la connaissance client (53%) et l’identification et la prévision de tendances à long terme (47%). Après des décennies au cours desquelles on s’interrogeait sur le décalage entre les données déclaratives et comportementales, on a désormais une connaissance fine des comportements. Et, dans ce contexte, ce ne sont plus les services études des Directions marketing mais les Directions des systèmes d’information, en charge de l’analyse et de la collecte de ces données, qui deviennent progressivement les acteurs-clés de la compréhension du marché et de ses comportements.

Même lorsqu’il reste utile de conduire une étude de marché « classique », les techniques d’études sont transformées. La consultation du marché ne passe pas forcément par des échantillons défi-nis a priori, elle est bien souvent réalisée en temps réel sur le web en faisant appel aux bonnes volontés qui souhaitent s’exprimer. Plutôt que de réaliser un post-test publicitaire, on regarde les commentaires relatifs à la campagne sur Facebook et Twitter. Plutôt que de réaliser un pré-test afin d’arbitrer entre plusieurs packagings envisagés, on en met des photos sur le site de la marque en demandant aux internautes d’exprimer leurs préférences. Ces techniques sont sans aucun doute moins fiables que les techniques de test classiques fondées sur des échantillons soigneusement constitués, des échelles de mesure robustes et des calculs de marge d’erreur. En effet, les consommateurs qui se manifestent sur le web et les réseaux sociaux sont souvent loin d’être représentatifs de la cible. Ils sont atypiques parce que passionnés par la marque ou la catégorie de produit, ou gros consommateurs du web et des réseaux sociaux. Pour autant, la rapidité est souvent jugée plus importante que la robustesse des analyses et nombre d’entreprises se contentent de ces points de vue, considérant de surcroît que ces internautes sont des leaders d’opinion et créeront le buzz nécessaire à un entraînement du marché. La communication et la réactivité priment sur la compréhension fine du marché. Et, face aux biais connus de longue date des enquêtes déclaratives réalisées auprès d’échantillons d’individus rémunérés pour répondre à l’enquête et pas toujours sincères face à un chargé d’études et à d’autres consommateurs (pour les réunions de groupe), d’aucuns considèrent que la sincérité et l’anonymat du web constituent des atouts et que les biais des nouvelles méthodes sont différents mais pas forcément plus importants que ceux des méthodes plus classiques. Le marketing voit donc ses missions changer, devenant acteur de méthodes d’études en mutation.

Des processus et une prise de décision facilités en matière d’ innovation

Les processus de décision de l’entreprise sont eux aussi transformés par cette désintermédiation. Parce que chaque département a désormais accès aux clients, il peut les consulter ou les intégrer à ses choix de manière continue. En matière d’innovation par exemple, la place des clients poten-tiels dans le processus de développement de nouveaux produits et services est en train de changer (Le Nagard et Manceau, 2011). Il y a encore quelques années, chaque étape de la conception était jalonnée de test et d’études planifiés à l’avance et réalisés auprès d’échantillons soigneuse-ment sélectionnés de consommateurs de la cible. Une fois finalisé le test de l’idée, on passait au concept que l’on testait par des méthodologies qualitatives puis quantitatives, avant de confier aux services R&D un prototypage ensuite lui-même testé et progressivement amélioré. Ce pro-

Page 21: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 21

cessus a changé. La moindre idée peut être testée en quelques heures sur les réseaux sociaux ou les plate-formes d’open innovation. Plus encore, les idées émanent des clients eux-mêmes à travers le site web de l’entreprise et le lancement de dispositifs de crowdsourcing du type eYeka (Vernette et Hamdi, 2013). La user innovation chère à Eric von Hippel (2005) consiste à repérer les innovations développées par les clients eux-mêmes, avant de les retravailler et de les commer-cialiser – ce qui pose d’ailleurs des questions majeures de propriété intellectuelle. Les services R&D et les bureaux d’études, eux-mêmes transformés dans leurs pratiques par le développement de l’open innovation (Chesbrough 2003a, 2003b), peuvent consulter les clients sans passer par le département marketing.

La consultation des clients peut intervenir plus tard dans le processus de développement, notam-ment en phase de prototypage elle aussi bouleversée par les imprimantes 3D et les FabLabs (Gershenfeld, 2005). On peut désormais fabriquer des prototypes de manière très rapide et à moindre coût, sans nécessité de valider l’idée en amont auprès du marché. Aux Etats-Unis, cer-tains investisseurs dans les start-ups considèrent même les études de marché préalables et l’ana-lyse stratégique comme relativement secondaires, l’important selon eux étant le développement rapide d’un pitch et d’une vidéo qui explique le concept : l’objectif est de créer du buzz sur les réseaux sociaux afin de construire la notoriété du projet, de développer le marché et de favoriser la levée de fonds dès les premiers prototypes réalisés et les brevets déposés. L’offre permet de tester l’idée et de créer la demande via les réseaux sociaux, sans que l’on ait véritablement analysé le marché en amont.

Une redéfinition nécessaire des missions et du rôle du marketing

Dans ce contexte, le marketing – et avec lui la recherche en marketing – doit complètement redé-finir son rôle, sa mission et la nature de son expertise. Le propos n’est pas nouveau et on lit régu-lièrement, décennie après décennie, la nécessité qu’a le marketing de se réinventer. Cependant, l’émergence combinée du web, des réseaux sociaux, des big data et des FabLabs remet en cause les missions traditionnellement attribuées aux services marketing : la compréhension du client, l’analyse des ventes, le développement de nouveaux produits, la communication (elle aussi ré-volutionnée par You Tube et le crowdsourcing comme outil créatif)… Si le contact avec les clients et leur compréhension sont désintermédiés, si les techniques d’études ne reposent plus sur l’échantillonnage, si la communication et la marque sont désormais l’affaire de tous, le rôle du marketing devient profondément différent. Ajoutés à l’empowerment des clients qui lui aussi génère une transformation radicale, on comprend que la fonction marketing, sa mission, son rôle dans l’entreprise soient bouleversés.

Plus de 20 ans après les travaux de Narver et Slater (1990) et de Kohli et Jaworski (1990), cette désintermédiation est peut-être la concrétisation d’une véritable orientation marché pour les organisations. Si les services R&D prennent l’habitude de consulter les opinions des clients sur le web, si les services SI se saisissent de la compréhension du marché via les big data, si les bureaux d’études interagissent avec les clients à partir de prototypes, alors la voix du client est présente dans les différents services de l’entreprise et le marketing a accompli sa mission. Mais cela suppose une transformation de l’identité de la fonction marketing en interne, qui perd son rôle de pivot central de la relation entre l’entreprise et ses clients. Le marketing n’est pas la seule fonction à subir une mutation profonde : les services production et conception sont transformés par les FabLabs, les services R&D par l’open innovation, les services financiers par l’émergence rapide des nouveaux business models, les services SI par les nouveaux outils...

Page 22: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

22 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Cette transformation profonde des différentes fonctions de l’entreprise, accompagnée d’une prise de décision pouvant être plus rapide, constitue une belle opportunité pour les praticiens et les chercheurs en marketing de réfléchir sur sa mission et son rôle, et de jouer un rôle actif dans le processus de transformation.

la décision marketing : une affaire de légitimité et d’imagination

Christophe Benavent, Université Paris Ouest Nanterre

Il n’est pas possible de regarder aujourd’hui la décision marketing comme un ensemble homo-gène, comme celle d’un capitaine de vaisseau qui, investi de l’autorité de sa fonction, prendrait la « bonne » décision soit après une analyse systématique de toutes les informations et enjeux, soit suite à une intuition de génie, ou encore qui déciderait rapidement et et de façon avisée sous la pression ambiante de la crise ou de la concurrence.

Dans une société liquide, la majorité des décisions constitue plus des actions entreprises en sur-fant de façon intelligente, et souvent automatisée, sur le flux considérable de données qui permet des analyses rapides et un one-to-one adapté, que le résultat d’une analyse stratégique fondée. Ces actions, ou ne devrait-on pas plutôt dire ces actions microscopiques, constituent le lot quoti-dien des décisions marketing. Elles masquent souvent l’absence de concertation sur les décisions marketing et stratégiques qui engagent l’entreprise sur le plus long terme. Et cela touche aussi bien l’interne qui engage les axes choisis par l’entreprise et qui garantissent son efficacité, voire sa pérennité, que l’externe avec les retombées des décisions prises sur la société de façon plus globale.

Données et décisions : automatisation et sauts décisionnels

Que la décision marketing soit caractérisée par la prise en compte d’une quantité de données iné-galée est indéniable. Des études d’opinion du XXe siècle au big data de notre décennie (McAfee et Brynjolfsson, 2013), il y a un saut quantitatif dans les ordres de grandeur mais aussi un saut qualitatif.

Plus de données n’amène pas de meilleures décisions, contrairement au rêve du Marketing Science, mais simplement plus de décisions et des décisions plus microscopiques. On est d’ail-leurs passé de la décision, avec un grand D, à des décisions microscopiques qui relèvent plus de l’action, dans le cadre d’un objectif global de rentabilité. On en vient ainsi au yield-management, à la mutiplication des offres et propositions adaptées au consommateur, dans une logique de one-to-one, à partir de l’identification de leurs parcours et intérêts à partir de clicks. Le volume, la variété et la vélocité du big data ne font pas de meilleures décisions mais engendrent des actions rapides et segmentées en accroissent la granularité, le nombre, la fréquence. La masse de données permet de répondre de façon précise et spécifique aux attentes présupposées des consommateurs et clients. On pourra ainsi fournir des informations précises à un vendeur de glace d’une région donnée quant aux conditions climatiques du lendemain et à la décision de réapprovisionnement qu’il doit prendre, aux delà de lois générales que l’on peut connaître sur les liens entre consommation et conditions climatiques. La granularité et la masse de données peuvent être utiles pour celui qui doit prendre en compte moins la connaissance générale que le renseignement particulier.

La masse de données disponible, alliée à une granularité fine, permet de fournir des réponses précises à des attentes spécifiques et d’engendrer les actions appropriées du fait de la finesse des

Page 23: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 23

données, de la vitesse et du volume du recueil d’informations. Ces réponses peuvent être automa-tisées et résultent de modèles stimulus-réponses qui analysent le comment (tel stimulus provoque tel effet) sans se soucier du pourquoi, ce qui permet de réduire l’incertitude quant à l’efficacité des actions entreprises (encadré 1). Les marketeurs laissent la place aux statisticiens.

Quant à la connaissance, quelques milliers de données suffisent (et non des millions) pour faire émerger des relations et générer de grands principes décisionnels. Encore faut-il pouvoir gérer au plan organisationnel ces divers niveaux décisionnels : micro-décisions ou plutôt actions, prin-cipes et choix décisionnels à la base des actions en marketing, décisions stratégiques auxquelles le marketing est associé. Jusqu’où faut-il encourager l’automatisation ? Quelles décisions laisser aux opérationnels ? Jusquoù le marketing est-il associé aux décisions stratégiques ? Ces ques-tionnements ne sont pas encore suffisamment pris à bras le corps, embrassés, par les responsables marketing et les CEO dans les organisations, et soulève de façon directe la question de l’organi-sation et des procédures décisionnelles selon les niveaux de responsabilité. On est souvent dans une science de l’action plus que de la décision.

« Bonnes » décisions, multiplicité des acteurs et processus

Un second aspect de la décision en marketing réside dans la multiplication de ses acteurs. Quand les firmes font appel aux consommateurs pour concevoir des produits nouveaux (Baldwin et von Hippel, 2011), quand le succès ou l’échec des campagnes publicitaires s’appuient sur l’engage-ment des consommateurs dans les réseaux sociaux, quand les prix ne sont plus fixés mais laissés au gré du marché – pay what you want (Kim et al., 2009) – on doit s’interroger sur la nature même de la décision qui n’est plus simplement l’apanage d’un cerveau central mais un processus de délibération qui engage une multitude d’acteurs individuels et institutionnels. La rationalité compte alors moins que la légitimité de la décision, que ce soit pour la marque, les consomma-teurs, les autres parties prenantes.

Le seul critère de performance de la décision laisse souvent dans l’ombre l’importance véri-table de ses causes : la volonté, les processus d’acceptation ou la chance. Faut-il encourager la recherche du compromis ou le point de vue visionnaire de quelques-uns ? Le consensus ou la rupture ? La réponse est en grande partie contingente. Muji (Nishikawa et al., 2013) pourra trou-ver plus de profit dans son innovation en organisant le crowdsourcing des idées qu’en exploitant le talent de tel ou tel designer, mais les ruptures viennent bien souvent de personnalités.

Encadré 1 : Décisions automatisées et capacité des données à réduire l’incertitude

Nombre de techniques automatisées permettent de réduire l’incertitude dans laquelle on se trouve et de décider mieux pour un résultat efficace. Un beau terrain d’expérimentation se trouve dans les algo-rithmes qui permettent aux régies d’attribuer un message à un support numérique. Les recherches avan-cées utilisent dans ce domaine les techniques des bandits manchots à de multiples bras (Schwartz et al., 2012). On ne cherche pas alors à connaitre ce qui fait que tel internaute réponde à tel message et à tel canal. On se contente, compte tenu des réponses et des actions engagées, à définir la meilleure stratégie en trouvant le bon degré d’exploration (tests au hasard) et d’exploitation en renouvelant des messages là où l’on sait qu’ils entrainent une réponse gagnante. Le pourquoi laisse place au comment. Et la masse des données permet sans aucun doute d’améliorer la performance. En termes plus techniques cela signifie que les modèles compréhensifs (par exemple les équations structurelles) laissent place à des méthodes différentes, celles du machine learning (Cui et al., 2006) par exemple.

Page 24: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

24 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Mais même lorsque la décision provient de personnalités, elle doit être acceptée par les diverses parties concernées car son acceptation vient avant sa réalisation. La décision doit être légitime aux yeux de ceux qui doivent mettre en œuvre son application. Cette légitimité dérivera de la légitimité associée à l’autorité (légitimité économique, sociale, sur les valeurs incarnées) ou de celle associée au processus d’émergence, c’est-à-dire à une légitimité sociale et « démocratique ». Mais les foules ne sont pas toujours sages, et la délibération peut conduire à l’absence de prise de décision, à l’évitement ou à la procrastination. Il faut in fine trancher.

L’adhésion au processus d’émergence des idées, la clarté dans les responsabilités de chacun compte. La « bonne » décision ainsi se jouera moins dans l’acte final que dans le processus très en amont qui élargit les choix, tout en évitant la paralysie de possibilités de choix excessives soulignée dans les travaux de Dan Ariely (Norton et al., 2007). Elle se joue dans le processus de sélection de ses options, dans le fait que chacun contribuera à la mise en œuvre de ces décisions d’autant plus spontanément et fortement qu’il se sentira impliqué. La question importante sera finalement celle du locus de décision et du processus de décision1.

Niveaux décisionnels et légitimité de la décision

Les organisations marketing plus que jamais ont à organiser le flux et les contextes de la prise de décision. Plus que jamais la science du marketing (si elle est une science) est une science des organisations et de leurs rapports, qui vise à agencer le rapport des organisations entre elles, aux sujets qui les animent, sans compter les rapports à son environnement économique, social et environnemental. sa toile de fond. Préparer les décisions, les prendre, savoir les faire évoluer, et mettre en place les mécanismes pour s’ajuster rapidement et continument, sont des caractéris-tiques fondamentales de « bons » processus de décisions dans une société fluide.

Mais de quelles décisions s’agit-il ? Ce raisonnement s’applique à tous les niveaux décisionnels. Les micro-décisions automatisées sont les moins concernées car il s’agit de mise en œuvre de décisions, donc d’actions, plus que des choix eux-mêmes. Encore faut-il que l’automatisation des processus de décision ne soit pas bloquant et ne freine pas la prise de décision du personnel en ligne ou au téléphone qui peut être amené dans le cas du multicanal à résoudre des problèmes rencontrés par les clients on line .

Les décisions les plus concernées sont celles qui engagent l’efficacité de l’entreprise sur ses mar-chés, sa pérennité et sa réputation vis-à-vis des diverses parties prenantes, internes et externes à l’entreprise. Ces décisions et les processus qui y conduisent doivent être légitimes.

Nous prendrons l’exemple des choix marketing et stratégiques de La Redoute ou de Darty au cours de ces dernières années face à la concurrence des pure players et à la crise (encadré 2).

Dans le cas de La Redoute, alors que l’entreprise était pionnière et à la pointe des technologies en VPC, l’entreprise semble ne pas avoir réussi son virage vers le digital alors que Darty, aux techniques de vente à distance moins élaborées, ajuste plus rapidement sa stratégie marketing et s’engage résolument dans le click and collect, avec l’adhésion du personnel, des clients, et la volonté de la direction qui accepte le risque même si la situation financière et en bourse s’était

1/ Moins que décider, il s’agit de savoir où prendre les idées en compétition pour la décision. De fait, si nous savons depuis Simon (1955) que les décisions sont limitées rationnellement : on envisage qu’un petit nombre d’opportunités et l’on se satisfait de la première qui convient à nos critères, sans revenir à ce qu’on puisse envi-sager toute les solutions et d’y choisir la meilleure, il reste à considérer où trouver les alternatives et comment établir les critères.

Page 25: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 25

dégradée. Alors que les décisions stratégiques de Darty sont comprises de tous, celles de La Redoute apparaissent à certains acteurs comme moins légitimes, car moins préparées, ne résul-tant pas d’un processus de décision transparent et compris par tous.. La logique de l’actionnaire se heurte à celle d’autres acteurs. Et les responsables marketing sont rarement associés aux déci-sions stratégiques majeures.

Prise de décision, ajustement constant et imagination

Les professionnels du marketing savent que les marchés répondent de façon de moins en moins systématique à leurs actions, que leurs pronostics sont souvent déjoués. Leurs (bonnes) décisions sont éloignées du modèle rationnel qui découle d’une étude attentive des marchés, les bonnes décisions reposent sur un dialogue constant avec le marché. C’est dans une architecture nouvelle de la décision que le marketing management doit se glisser, une architecture qui laisse aux foules le soin d’améliorer ce qui est offert et aux leaders le soin d’assumer les changements, voire les ruptures. A la distinction décision tactique/stratégique se substitue ainsi une distinction entre décision marginale et décision disruptive, calquée sur les modes de l’innovation.

Le sens des décisions des organisations marketing réside dans cette fonction essentielle d’arbi-trage entre le désir des consommateurs et les conséquences de leur consommation, entre l’envie des producteurs et celle des acheteurs, entre l’intérêt particulier et le bien commun, entre le pouvoir des états et la liberté des sujets. Plus que les formulations des offres nouvelles ce qui compte est la capacité des organisations à s’ajuster rapidement et de façon continue, en imaginant et inventant les processus qui donnent aux parties prenantes (consommateurs et autres acteurs) les moyens de se réaliser et de réaliser leurs désirs et objectifs, quitte à remettre en cause les rapports de domination.

Inutile de dire que la décision marketing est une double affaire de légitimité et d’imagination. Et plus que jamais une science de l’action. On est dans la logique de la strategy-as-practice, chère aux stratèges (Whittington, 2006).

Encadré 2 : Prises de décision à La Redoute et chez Darty

La Redoute : La Redoute licencie 700 personnes à l’automne 2013. La Redoute, pionnière de la VPC puis du e-commerce depuis 1837, est un acteur historique de notre contemporanéité. L’entreprise et les dirigeants ont été à la pointe des techniques de marketing dans les années 90. L’entreprise satisfait 7 millions de clients, dispose d’un fichier de 20 millions d’individus, a fait du big data avant l’heure, et connait les désirs et les comportements de ses clients, Comment dans ce contexte peut-on rater le virage digital ? Cela pose la question du décalage entre les micro-décisions, les décisions opérationnelles, les décisions stratégiques et les décisions liées aux objectifs globaux de l’entreprise ; et celle des processus à l’œuvre.

Darty : Suite à des pertes importantes en 2012, face à la concurrence d’Amazon et des pure players, l’enseigne ouvre son premier magasin multi-connecté en 2013 et, simultanément, abandonne son image liée au contrat de confiance et à la camionnette R4 des années 70. Darty devient une véritable enseigne cross-canal, avec une valorisation de l’expertise « humaine » et une proximité servicielle avec le client. Le vendeur peut « prendre en main » le client partout en magasin avec des dalles numériques et le consommateur a désormais le « libre toucher » des produits. Le processus d’innovation est marqué par une bonne acceptation en interne et par les clients de l’innovation.

Page 26: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

26 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

réussir le passage du marketing engineering au « marketing distingué »

Francis Salerno, IAE, Université de Lille I

Le marketing engineering – une approche pour résoudre les problèmes de décision marketing – a été popularisé par l’ouvrage de Lilien et Rangaswamy publié en 1998. Pour ces auteurs, si le marketing traditionnel est considéré par beaucoup comme un art et par quelques-uns comme une science, le nouveau marketing ressemble de plus en plus à l’engineering. L’ouvrage avait pour objectif de former des ingénieurs marketing capables de traduire les concepts en décisions opéra-tionnelles et en actions, à l’aide des techniques analytiques, de la modélisation quantitative et de l’ordinateur. Le marketing engineering est naturellement associé au développement des systèmes d’aide aux décisions marketing. La même année, Bucklin, Lehman et Little (1998) publiaient un article intitulé « De l’aide à la décision à l’automatisation de la décision : une vision 2020 ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Où en sont le marketing engineering, les systèmes d’aide à la décisions, l’auto-matisation marketing ? Quelles sont les tendances et besoins de recherche dans ces domaines ? Dans la logique de valeur pour l’actionnaire ? Dans la logique de bien-être sociétal ?

Alors que les outils d’aide à la décision en marketing existent depuis plusieurs décennies, leur potentiel n’est pas toujours perçu ou compris par les managers, ce qui peut les conduire à une mauvaise ou sous-utilisation de ces modèles, à la non utilisation de leur potentiel stratégique.

Par ailleurs, on soulignera la faible intégration par les chercheurs dans leurs modèles de capi-tal client et de portefeuille clients, des comportements sociaux ou sociétaux et du capital social ou sociétal. Mais la bonne utilisation des outils d’aide à la décision en marketing, et la bonne prise de décision posent de façon plus large la question de l’organisation marketing. Cela s’inscrit dans la problématique du « marketing distingué » que pose Leeflang (2011). Ces manques ou insuffisants développements dans les systèmes d’aide à la décision constituent autant de pistes de réflexions et des opportunités de progrès qui devraient conduire managers et chercheurs vers un vision commune des actions dans lesquelles s’engager pour améliorer la prise de décision.

Ecarts entre utilité perçue des systèmes par les managers et performance effective

Lilien et Rangaswamy (1998) définissent le marketing engineering (la traduction systématique de données et de connaissance (incluant le jugement) dans un outil utilisé pour l’aide à la décision est ce que nous appelons marketing engineering), identifient les tendances favorables à sa crois-sance et à son adoption, énoncent ses avantages et ses coûts et donnent l’exemple de quelques applications de ce concept dans des entreprises leaders. Cette question et celle de l’adoption et de l’utilisation des systèmes d’aide aux décisions marketing suscitent des débats depuis des années. En effet, les liens entre les évaluations par les utilisateurs des systèmes d’aide à la décision et leur performance effective peuvent être faibles, voire déconnectés ou même négatifs. Si les éva-luations par les utilisateurs ne reflètent pas la performance des systèmes, cela peut conduire à négliger les modèles d’aide à la décision qui permettent le plus d’améliorer la performance, et d’entraîner une « négligence dangereuse de l’aide à la décision » (Althuizen, Reichel et Wierenga, 2012). Cela demande à être pris sérieusement en compte, discuté et corrigé. Les systèmes sont destinés à renforcer l’efficacité et l’efficience de la prise de décision pour des problèmes mal ou faiblement structurés, et le marketing automatisé, qui bénéficie du développement des capacités technologiques de structuration et de traitement des problèmes, le permet.

Page 27: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 27

Sous-utilisation par les managers du potentiel stratégique des systèmes d’aide à la décision

Pour les décisions marketing, Bucklin, Lehman et Little (1998) prévoyaient la prise en charge par les technologies de nombreuses tâches assurées par les responsables, le passage des systèmes d’aide à la décision marketing aux systèmes automatisés de décision marketing se faisant sous l’impulsion de trois facteurs : (1) le renforcement de la productivité de la fonction marketing, (2) de meilleures décisions et, par conséquent, des niveaux plus élevés de retour sur investissements marketing et (3) le développement du micromarketing ou sur-mesure de masse des activités mar-keting. Il était déjà possible à l’époque de donner de nombreux exemples d’automatisation par-tielle de marketing individualisé : ciblage des mailings, récompenses dans les programmes de marketing relationnel, coupons personnalisés en sortie de caisse. Les développements du Web allaient aussi dans le sens du développement de la personnalisation en temps réel des messages et des offres à partir des demandes des clientèles ou de leurs des réponses et réactions antérieures et actuelles. Depuis, les choses ont bien entendu évolué dans ce sens en Webmarketing mais les prévisions étaient à l’époque plus globales et concernaient l’automatisation de décisions marke-ting en général avec prise en compte des réactions des concurrents. L’orientation restait en fait très « Marketing Produit » tandis que l’automatisation du marketing s’est surtout développée dans une approche interactive de « Marketing Client ».

Les résultats d’une étude récente sur les pratiques de marketing automatisé révèlent toutefois que les professionnels se concentrent sur les avantages de productivité de l’automatisation, alors que les opportunités restent à saisir pour utiliser l’automatisation dans une approche stratégique des clients (Forrester, 2012). Ils y voient un mode efficace d’amélioration des relations clients par une approche de type « test et apprentissage » mais la plupart des utilisateurs du marketing auto-matisé restent focalisés sur son pouvoir d’amélioration de l’efficience des processus et ne consi-dèrent pas suffisamment le potentiel stratégique de l’automatisation. La CLV (Customer Lifetime Value) devrait être davantage prise en compte dans les décisions, de même que la construction du dialogue et les collaborations avec les clients. L’orientation « campagne » reste par conséquent dominante et se situe loin devant un marketing centré client tenant compte d’une valeur écono-mique des clients estimée dans la durée.

Mieux intégrer capital clients et dynamique du portefeuille de clients aux systèmes

La compréhension et l’estimation des effets des activités marketing sur la CLV est cependant fon-damentale. Les spécificités de mesure de la CLV selon les contextes sont à intégrer aux sytèmes d’aide à la décision et à certains aspects du marketing automatisé. La construction de systèmes intégrant la CLV s’est principalement développée en interne dans les grandes entreprises mais les prestataires et vendeurs de solutions ont aussi apporté leurs contributions. Les recherches académiques intègrent de plus en plus la CLV mais, à quelques exceptions près, ne travaillent pas suffisamment au développement des systèmes intégrant cette valeur pour aider aux décisions opérationnelles ou stratégiques.

Le Capital Clients (Customer Equity, ou Actif Clients, ou valeur de la base de clientèle ou valeur du portefeuille de clients de la marque ou de l’entreprise) est souvent présenté comme la somme des CLV des segments ou des clients, mais ce n’est qu’une simplification didactique et des pro-grès sont à réaliser pour mieux évaluer cet actif. Cela étant, à un premier niveau stratégique se posent les questions de la valeur du portefeuille de clients, de la modélisation de sa dynamique sous les effets d’hypothèses d’actions marketing et de la construction de systèmes d’aide à la décision adaptés ou adaptables aux grands contextes marketing et aux attentes des professionnels

Page 28: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

28 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

(flexibilité, praticité). La recherche menée par Homburg, Steiner et Totzek (2009) est un exemple d’avancée vers la construction de systèmes de cette nature, bien que limitée aux clients actifs et n’intégrant pas, par conséquent, la question de l’allocation des ressources/efforts marketing entre conquête et fidélisation. L’approche est fondée sur l’identification préalable des déterminants de la CLV dans une bonne diversité de secteurs sélectionnés (VAD, Banque, BtoB, Télécoms) et sur les segmentations stratégiques de clientèles qui en découlent. La contribution se concentre ensuite sur les effets d’une stratégie offensive (faire passer les clients à des segments de valeur supérieure) ou défensive (éviter la dégradation des clients) envisagée sur les segments extrêmes du portefeuille (les meilleurs, les plus faibles) ou sur les segments intermédiaires.

A un niveau stratégique supérieur se pose la question de la relation entre le Capital Clients et la valeur pour les actionnaires. Elle est séduisante mais complexe car, comme montré par Berger et al. (2006), il faut aussi prendre en compte les réactions de la concurrence dans les évaluations de la CLV et du Capital Clients ; et il est nécessaire de considérer la valeur d’option, qui n’inclut pas seulement la valeur de l’entreprise dans son modèle d’activité actuel mais aussi la valeur poten-tielle tirée de ses expansions futures : entrée dans de nouveaux marchés, nouveaux produits ou marques, nouveaux types de clients.

Plus intégrer capital donateurs et bien-être sociétal aux systèmes

Toutes les activités marketing ne s’inscrivent pas dans la logique économique du capital client et de la valeur pour l’actionnaire. La recherche de ressources pour améliorer les comportements dans un but social ou sociétal ainsi que les décisions et les actions destinées à modifier ces comportements peuvent tout autant bénéficier du marketing engineering, des systèmes d’aide à la décision et des progrès de l’automatisation. En collecte de fonds, le développement de sys-tèmes intégrant la valeur d’une base de donateurs et permettant d’apprécier sa dynamique sous l’impulsion des actions de marketing peut se faire de manière très similaire à ce qui se fait dans le secteur marchand. La question devient plus délicate pour les comportements sociaux ou socié-taux générés par les campagnes et les programmes marketing. Prenons le cas des actions de lutte contre un comportement « négatif » et considérons les paramètres essentiels de « production » de la base des personnes « converties » à ne plus se comporter « négativement ». Quel est le taux de transformation sur la période (personnes dont il faut changer de comportement/ personnes ayant changé) ? Combien de personnes converties aux périodes précédentes ont-elles maintenu le comportement souhaité ? Quel est le taux de rechute ? Les personnes converties par certaines actions ou campagnes de marketing social/sociétal ont-elles moins tendance à rechuter ? Quelle est la valeur sociale/sociétale d’un segment ou d’un personne qui modifie son comportement définitivement ? Plus ou moins durablement ? Les publications académiques de modélisation et de développement d’aides aux décisions marketing restent rares dans ce domaine. Les indi-cateurs quantitatifs mis à la disposition des décideurs n’apportent pas de réponse satisfaisantes à ces questions, soit parce qu’ils agrègent trop les données, soit parce qu’ils ne permettent pas connaître les états des personnes et les transitions d’un état à un autre au cours du temps. Les matrices de transition et Markov peuvent sans doute aussi contribuer au bien-être sociétal.

Aller jusqu’aux questions d’organisation et vers le « marketing distingué »

Le point de départ des modèles est le « marketing analytics ». Mais il s’agit de le dépasser pour répondre pleinement aux enjeux en matière de prise de décision.

La traduction de l’expression « marketing analytics » par « analyse marketing » est trop faible et nous la conservons donc telle quelle. Lilien l’a récemment définie comme « une approche ren-

Page 29: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 29

due possible par la technologie et appuyée sur le modèle pour exploiter les données clients et de marché afin d’améliorer la prise de décision de marketing » (Lilien 2011, p.5) et distingue deux types d’applications : celles qui impliquent les utilisateurs dans un cadre d’aide à la décision et celles qui ne le font pas (automated marketing analytics). Il constate que les changements tech-nologiques accélèrent la transformation des métiers du marketing et multiplient les opportunités de déploiement de ces applications pour de meilleures performances mais qu’il continue à y avoir de nombreux sceptiques à l’égard de la « démarche rationnelle d’analyse » en marketing. Mais n’est-ce qu’une question de « point de départ » ?

Pendant longtemps, le marketing direct, la VPC ont été « le mouton noir » de la famille mar-keting mais ces activités ont amené le « Marketing Base de Données » et les spécialistes de la personnalisation des messages et des offres (Berger et al., 2006). Ce marketing se fonde sur des systèmes de mesures précises des réponses, des CLV et de la dynamique du Capital Client. Et Berger et al. d’ajouter : « En combinant la “révolution marketing direct/base de données” et les canaux interactifs tels qu’Internet et des centres d’appels centralisés hautement automati-sés, de nombreuses opportunités sont disponibles. Elles comprennent le marketing multicanal, les questions de gestion de la relation client (CRM) et le spectre complet du centrage sur le client ». D’accord pour ce point de départ... « Pourquoi votre entreprise, l’un des leaders de la VPC textiles-habillement, n’a-t-elle pas lancé de nouvelles marques de e-commerce dans des marchés spécialisés où son aujourd’hui bien présents Sarenza.fr, Zalando.fr et d’autres ? ». J’ai posé cette question il y a quelques mois à l’un des anciens responsables marketing de l’entreprise. Sa réponse : « Nous n’aurions pas du faire cela en interne, il ne fallait pas garder les équipes de projets chez nous mais leur laisser une totale autonomie dans cette nouvelle culture Internet. Ils ont trop fait comme à l’habitude ». Est-ce une vérification de plus de l’un des sens d’influence possibles dans la relation entre le stratégie et la structure ? « Strategy follows structure ! » (Hall et Saias, 1980) ? Pour d’autres points de départ, pour d’autres habitudes marketing, le risque d’une orientation « marketing analytics » insuffisante est probablement tout aussi important que celui généré par certaines myopies de technologues marketing. Cela vaut aussi pour les évolu-tions de la discipline et pour de développement des recherches. Dans cette perspective, la voie du « marketing distingué », ouverte par Leeflang (2011) est prometteuse. Il définit cette nouvelle expression « par l’orientation, l’organisation du marketing dans les entreprises et la qualité de la prise de décision (c’est-à-dire, l’opérationnalisation) ». Peter Leeflang considère comment et dans quelle mesure les méthodologies de recherche modernes peuvent être appliquées pour établir les connexions formelles entre les efforts marketing et les mesures de performance. Il y réaffirme la nécessité pour les marketeurs d’être plus accountable et innovateurs, de concevoir leurs modèles pour répondre aux objectifs de l’organisation plutôt qu’aux seuls objectifs marke-ting, condition nécessaire pour gagner de l’influence au sein de l’entreprise et lors des prises de décisions stratégiques (Verhoef et Leeflang, 2009). La lecture de cette contribution, “Paving the way for distinguished marketing”, est vivement recommandée car elle devrait contribuer, comme l’écrit son auteur, aux phases suivantes du cycle de vie de la discipline.

Communication liquide et enjeux éthiques

Elisabeth Tissier-Desbordes, ESCP Europe

Les nouveaux modes de communication (encadré 3) perturbent les schémas classiques des théo-ries de communication et soulèvent de nombreuses questions éthiques. La communication évolue vers ce que nous appellerons une communication liquide, ce qui ne va pas sans entraîner un certain nombre de questions éthiques.

Page 30: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

30 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Vers une communication liquide

Bauman (2000) a introduit le concept de modernité liquide pour décrire la société contempo-raine avec des individus pris dans un flux ininterrompu qui les conduit à changer de métiers, de conjoints, de villes, de projets. Cette liquidité conduit à une fragilité des relations humaines exacerbée par la société de consommation (Bauman, 2004). « Comme les pouvoirs colossaux du marché de la consommation sèment l’action-par-souhait en profondeur dans la conduite quo-tidienne, suivre un désir semble rejoindre, avec gêne et désagrément, maladroitement les rangs de l’amour » (Bauman, 2004, p.23). Cet auteur utilise le terme « souhait », à la place de désir, considérant que la maturation du désir prend du temps dans une culture « qui exècre les ater-moiements et promeut en lieu et place la “satisfaction instantanée” » (Bauman, 2004, p. 22). Le vocabulaire suit également cette tendance à la liquidité, les marques sont aimées au même titre que les humains ou les pages Facebook. Tout communique et tout est utilisé pour communiquer. Bouilloud (2012) utilise la notion de liquidité en l’appliquant aux organisations. Il parle d‘ « orga-nisation liquide » pour décrire la vie précaire des cadres dans les entreprises, l’impermanence des situations acquises, leur incapacité à prévoir et l’incertitude des lendemains. La communication actuelle, omniprésente, multiforme, changeante, parfois imperceptible, nous semble également relever de la liquidité.

De la communication intégrée à la conversation co-construite

L’explosion des médias a ouvert la possibilité pour les marques d’utiliser d’autres canaux de com-munication que les medias de masse traditionnels. De nombreux auteurs ont souligné l’importance de coordonner ces actions de communication autour de la communication intégrée (Decaudin, 2011). Mais, en partie grâce à internet, le consommateur peut aussi interagir avec la marque. Il y a près de vingt ans, Tixier et Pras (1995) soulignaient l’avènement du marketing inversé, largement développé par la suite sous de nombreux termes, le consommateur participant à un processus de co-construction de la marque à travers une conversation continue (Keller et Fay, 2012).

Une communication quasi instantanée

Plus besoin d’attendre des plages spécifiques de spots télévisuels ou la parution mensuelle d’un magazine, les nouveaux outils de communication permettent une diffusion quasi instantanée,

Encadré 3 : Vers une communication liquide dans un Far Ouest mondial

Le 20 mars 2013, sur sa page Facebook, Carambar donnait rendez-vous à ses fans pour une « annonce capitale dans l’histoire de la marque ». Le 21 mars, la page annonce « le changement, c’est bientôt », paraphrasant ainsi un slogan électoral. Et le 22 mars, la marque révèle la disparition pour le 15 avril des blagues Carambar remplacées par des exercices « ludo-éducatifs ». A ce stade, l’opération marketing relève d’un « teasing » classique, vite relayé sur les réseaux sociaux. Mais l’opération prend toute son ampleur avec la reprise de l’information par les journalistes de la plupart des grands médias : TF1, France 2, Canal Plus mais aussi radio et presse (Le Monde, Libération…), reflétant une campagne de relations presse soigneusement préparée par l’envoi de kits aux journalistes. Ces derniers ont commen-té non seulement l’arrêt des blagues, mais aussi l’indignation qui s’est emparée des réseaux sociaux pour sauver ces fameuses blagues, avec la création d’une page Facebook « Touche pas à mon caram-bar ». Enfin, le 25 mars, la marque révèle la supercherie – « c’était une blague » – et diffuse une vidéo sur YouTube expliquant le dispositif de communication créée par l’agence Fred et Farid (http://www.youtube.com/watch?v=4qEGCN5j3qE&feature=player_embedded). L’information est reprise par ces mêmes grands médias, avec des commentaires un peu désabusés des journalistes, marris de s’être fait piégés. Cette opération de communication nous semble emblématique de l’évolution de la communica-tion des marques dans ce début de XXIe siècle.

Page 31: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 31

comme le montre l’exemple cite (encadré 3). Cette rapidité de communication peut être expliquée en partie par la connexion permanente des consommateurs à un certain nombre de médias tel Twitter via le téléphone mobile. Pour Rosa (2012), ce besoin de rapidité est le propre de notre modernité tardive. Il considère trois dimensions de l’accélération sociale qui s’enchaînent : l’accé-lération technique, l’accélération du changement social et celle du rythme de vie, soulignant la fluidité, la difficulté d’appropriation du temps et l’aliénation qui en découlent.

Des problèmes éthiques

Le consommateur est ainsi soumis à une multiplicité de messages, émanant des médias tradi-tionnels, mais aussi des nouveaux médias et des consommateurs eux-mêmes (encadré 4). La communication commerciale cache son nom et les vieux guides de régulation ne fonctionnent plus.

Une communication commerciale qui cache son nom

Derrière tous ces messages se pose la question de l’identification de la source « véritable » du message. Quand un consommateur vous recommande chaudement un hôtel sur Tripadvisor, a-t-il véritablement séjourné dans cet hôtel, ou est-il plus simplement un ami du patron, voire son agence de communication ? Quand un ami vous recommande de choisir telle marque de télé-phone, est-il sincère ou a-t-il été payé par Bzz Agent, agence bostonienne qui propose de rémuné-rer des consommateurs pour parler des produits ? Ou encore la bloggeuse qui conseille d’utiliser la farine Francine, est-elle une stagiaire récemment engagée par l’entreprise ?

Dans la publicité traditionnelle, les choses sont claires : à la télévision, un écran avertit le consom-mateur qu’il va voir de la publicité, c’est-à-dire que les messages sont destinés à influencer ces achats. Le caractère commercial est clairement indiqué. Des années de mise en place de régle-mentation ont cherché à protéger le consommateur, certains pays comme la Suède, interdisant même la publicité pour les enfants. Mais comment faire dans un monde liquide, où tout est com-munication, et souvent communication commerciale non identifiée ?

Encadré 4 : Le consommateur au centre de la communication

Dans la société de consommation qui est la nôtre, le consommateur parle des marques : un quart du bouche-à-oreille relève de la communication des marques ; ce pourcentage monte à 31% pour le secteur des media et du divertissement (Keller et Fay, 2011). Ces mêmes auteurs signalent que 10 à 54 % de l’impact marketing provient du bouche-à-oreille. Par ailleurs, la multiplicité des émetteurs conduit à rechercher des émetteurs crédibles. Les amis ou, dans une moindre mesure, les journalistes font partie de ceux-là. Clow, James et Stanley (2008) ont étudié l’importance et la crédibilité des diverses sources d’information pour l’achat de cartes de crédits par des étudiants. Cinq dimensions ont été testées pour mesurer la crédibilité : l’expertise, l’attractivité, la confiance, la similarité et l’amitié. Aucune relation significative n’a été trouvée sur les dimensions « similarité » et « confiance » mais le facteur le plus important est l’amitié, c’est-à-dire de trouver la source du message agréable, amicale et approchable. L’ami est ainsi une source crédible, mais des auteurs ont montré que la multiplicité des sources a égale-ment un effet persuasif (Do-Hyung et Se-Bum, 2008 ; Chevalier et Mayzlin, 2006). En effet, nombreux sont aujourd’hui les sites qui sollicitent l’avis des consommateurs, sur des hôtels, des compagnies d’aviation, des films, des livres… exerçant ainsi une pression à la conformité ou entraînant un proces-sus d’élaboration plus complexe permettant de réduire le risque perçu.

Page 32: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

32 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Ethique et communication : un défi à relever

Les problèmes éthiques liés à la publicité sont nombreux et ont été maintes fois étudiés. Dès 1986, Pollay s’intéresse aux conséquences sociales de la publicité, suivi par de nombreux auteurs, qui vont souligner les risques de manipulation sur des publics particulièrement influençables comme les enfants ou les adolescents, les biais de représentations des femmes ou des minorités, la publicité mensongère (Hyman et al., 1994) ou plus récemment les enjeux liés à l’utilisation des données récoltées sur internet.

Mais la communication liquide pose de nouveaux problèmes. Où sont les frontières ? Qui com-munique ? Et pourquoi ? C’est aussi le point de vue de Drumwright and Murphy (2004, 2009) qui considèrent que l’environnement créé par les nouveaux médias technologiques ressemble au Far West, partageant avec lui, la brutalité, la dureté et l’absence de frontières, de barrières. Dans ce monde, les vieux guides de bonne conduite et les régulations existantes ne fonctionnent plus. En menant des interviews auprès de professionnels, ces chercheurs ont conclu que les publicitaires souffrent d’une myopie morale, d’un silence moral. Ils ne veulent pas voir les problèmes, ils en parlent rarement et idéalisent un consommateur intelligent qui ne serait pas dupe des tentatives de manipulation. Toutefois, certains publicitaires s’interrogent et cherchent à développer des méthodes alternatives plus morales, faisant alors preuve d’imagination morale. Mais ces auteurs montrent que, pour les publicitaires américains, il n’y a pas de consensus sur ce qui est éthique ou non. Nombreux sont ceux qui considèrent que ce n’est pas leur problème, mais celui du gouverne-ment et de la loi. Comment alors fixer des normes dans un monde liquide, dans un environnement en mutation perpétuelle avec des frontières ouvertes, de plus en plus de concurrents, des outils toujours plus nombreux et une pression sur les résultats immédiats ?

Ces mutations de la communication ouvrent de larges espaces de recherche au monde acadé-mique, en espérant qu’elles ne soient pas trop rapides pour mener des recherches approfondies. On se souvient de Second life, de l’emballement des médias et de quelques chercheurs sur un phénomène dont on ne parle plus. Le propre d’une société fluide est que les évènements vont et viennent, les enthousiasmes ou les déceptions, le scandale d’aujourd’hui sera oublié demain. Mais pour quelques temps, la marque Carambar se sera hissée aux premières places de la mé-moire du consommateur, redonnant un grand coup de neuf à la marque.

Le rôle des chercheurs, des associations de consommateurs, des pouvoirs publics, des divers acteurs dans le marketing et la communication de demain est d’encourager l’imagination morale lorsqu’elle est présente, et de dénoncer la myopie morale (ou d’en réguler les excès lorsque c’est possible), en s’appuyant sur les mêmes outils de la communication liquide que ceux qui peuvent en abuser. Il est aussi de participer à l’apprentissage et de stimuler la vigilance, l’intelligence des consommateurs pour que la recherche d’immédiateté et la « logique de plaisir » s’accompagnent de plus en plus fréquemment du sens de « responsabilité planétaire » au sens de Bauman.

satisfaction, empowerment ou manipulation du consommateur ?

Eric Vernette, CRM (UMR 5303), IAE de l’Université de Toulouse I Capitole

La vision kotlérienne du marketing reste en 2013, à tort ou à raison, et en dépit des « révolu-tions », « métamorphoses » ou « morts » du marketing régulièrement annoncées, un repère fort pour les praticiens et les chercheurs. Pourtant elle porte en elle, une ambiguïté latente sur le statut du consommateur : qu’est-ce que le marketing doit faire des besoins et attentes des consomma-teurs et/ou des clients ? Les satisfaire dans leur totalité, ou seulement ceux qui sont solvables, ou

Page 33: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 33

encore les manipuler pour maximiser la profitabilité des actionnaires de l’entreprise ? Dans les années 90, l’orientation marché proposait d’aller plus loin encore, en développant une nouvelle culture d’entreprise, en prise directe avec les besoins présents et futurs des clients, et soutenue par une organisation interne « intelligente » (Kohli et Jaworski, 1990 ; Narver et Slater, 1990). La perception par le client de la valeur offerte par les produits et services constitue le cœur de la réflexion. Néanmoins, l’ambiguïté demeure. Ainsi Day (1999) prend soin de préciser qu’il ne s’agit pas de se soumettre au client en faisant tout ce qu’il demande, ce qui conduirait à multiplier à l’infini les références de produits ou les promotions couteuses. Le bon vieux rapport qualité-prix fait son come-back : après comparaison des différentes offres concurrentes disponibles, le consommateur est censé choisir celle qui lui en donne « le plus pour son argent ». Au fond, les recommandations de la segmentation par les bénéfices recherchés qui séparent les clients en fonction des avantages prioritaires recherchés (Haley, 1968) sont toujours d’actualité : il convient de viser les consommateurs qui valorisent fortement tel ou tel avantage, parce qu’ils sont prêts à payer cher, voire très cher, un produit ou un service qui leur offre l’avantage recherché, rémuné-ration logique de la valeur créée par l’entreprise.

De la satisfaction du client au partage de la valeur

Reconnaissons que dans les pratiques marketing, cette priorité donnée au client pour le partage de la valeur créée n’est pas si fréquente, même si elle est régulièrement présente dans les rapports annuels. Cependant, la pression de la concurrence peut faire redécouvrir les vertus cardinales de la satisfaction des attentes du consommateur et celles d’un partage plus équitable de la valeur. Prenons l’exemple du marché de la téléphonie mobile en France. Sur ce marché, quel est le « juste prix » d’un abonnement mensuel ? Le transfert de valeur, des opérateurs vers leurs clients, consé-cutif à l’arrivée de Free en 2011, est impressionnant. L’Arcep révèle que, pour un chiffre d’affaires stable, l’EBITDA des opérateurs du secteur a baissé de 1,6 milliard d’euros en 2012, et pourrait diminuer de 3 milliards en 2013. Et aujourd’hui encore, qui peut soutenir que les plateformes téléphoniques des opérateurs rendent un « service client » conforme aux attentes des consom-mateurs ? La diminution annoncée du nombre de boutiques des opérateurs historiques ne va pas améliorer les perceptions des clients. De son côté, Free annonce une démarche inverse, passant du « tout on-line », à un service client multi-canal. Exploitant des défaillances analogues de rela-tion-client, la communication de l’assureur Mutuelle de Poitiers tourne en dérision la qualité de service des plateformes téléphoniques de ses concurrents : « Et vous, vous faites quoi quand vous tombez sur une plateforme téléphonique ? ». L’assureur propose à ses futurs clients de s’appuyer sur la proximité de son réseau d’agents : « Bienvenue dans un monde sans plate-forme télépho-nique ». Retour à la case départ ?

L’empowerment, mythe ou réalité ?

L’empowerment du consommateur pourrait être la réponse aux difficultés du marketing pour satisfaire les attentes des clients, à la recherche du « juste-produit au juste-prix ». Cela revient à leur donner plus de pouvoirs, en fournissant plus de moyens d’information et une meilleure compréhension des produits et services (Hunter et al., 2006). Dans une autre version, c’est le consommateur qui prend plus de pouvoirs, par un contrôle accru de ses choix (Wathieu et al., 2002). En 2012, le Joint Research Centre (JRC) de la Commission Européenne a mesuré l’em-powerment des consommateurs dans les différents pays de l’Union2. L’expertise, la connaissance des lois sur les droits des consommateurs, l’engagement constituent les dimensions de l’index. La

2/ http://ec.europa.eu/consumers/consumer_empowerment/docs/JRC_report_consumer_empowerment_en.pdf

Page 34: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

34 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Norvège arrive en tête avec un indice de 120, la France obtenant un score de 103, tout juste dans la moyenne des 27 pays de l’Union.

Internet pourrait être le levier majeur de l’empowerment des consommateurs. Transparence, comparaison des prix et des produits, échanges d’avis et de recommandations sur les marques, dialogue avec les marques au travers des réseaux sociaux, appel au boycott des marques par le bouche-à-oreille on line ou via des sites spécialisés (eg. www.jeboycottedirectassurance.com), sont autant d’atouts potentiels pour une conquête du pouvoir par le consommateur. De son côté, l’entreprise peut prendre les devants en proposant des outils collaboratifs aux consommateurs pour leur permettre de co-créer le produit ou le service dont ils rêvent (Fuller et al 2009). Mais le marketing est-il prêt à jouer le jeu ? Que dire des pratiques des sociétés de e-reputation qui proposent d’améliorer la réputation de leurs clients en inondant les sites avec des faux avis de clients ? L’affaire devient suffisamment importante pour que l’AFNOR réfléchisse à une norme spécifique pour augmenter la confiance des internautes envers les avis en ligne, et, dans un bel esprit d’empowerment, propose en janvier 2013 aux consommateurs de participer à l’élaboration de cette norme en donnant leur avis sur son propre projet3. L’engagement des consommateurs dans la co-création des nouveaux produits ou services ou des publicités, posera, tôt ou tard, la question de la rémunération de la valeur créée, au travers de la délicate cession des droits de pro-priétés. Et que dire encore des entreprises qui mettent au travail leurs clients sous couvert d’une pseudo co-création ? Par exemple, le self scanning de Carrefour est proposé comme un avantage aux consommateurs : meilleur contrôle de leur budget, gain de temps aux caisses, etc. C’est sûre-ment le cas pour un segment de clients.

Manipulation de la valeur créée ?

Mais il est également facile de manipuler la valeur créée. Il suffit de fermer un certain nombre de caisses classiques, pour rendre plus attractif les caisses automatiques, en jouant sur le temps d’attente moyen. Quelque temps après, tout peut passer en mode automatique, sans que les éco-nomies de coût de personnel soient partagées avec le consommateur. Cette tentation de l’absence de partage de la valeur, résultante d’une participation forcée du consommateur est récurrente pour le marketing. Il suffit de penser aux stations services dans les années 70, et plus récemment, à la SNCF, Air France et aux banques, avec la généralisation des automates de service. Peut-on s’étonner d’apprendre qu’en 2013, selon l’enquête du cabinet Deloitte, près de 40% des Français ne recommanderaient pas leur banque à leurs proches4 ?

Combien de consommateurs sont prêts à entrer en résistance face à certaines déviances du mar-keting ? Nous ne le savons pas vraiment. Mais si l’on en juge par le nombre de chercheurs qui s’intéresse à ce phénomène, cela devient préoccupant. Pourrions-nous assister dans les années prochaines à des négociations entre des « syndicats » de consommateurs pour le partage de la valeur offerte, voire de sa rémunération ? Nous en sommes loin, et ce n’est pas souhaitable. Mais, plus raisonnablement, on peut se demander si le marketing a fait des progrès tangibles dans la qualité des relations avec ses clients, depuis les années 70, alors même Kotler faisait de la satis-faction des attentes du consommateur sa mission prioritaire ? Qu’en sera-t-il du marketing de demain ?

3/ http://www.afnor.org/groupe/espace-presse/les-communiques-de-presse/2013/janvier-2013/avis-de-consommateurs-sur-internet-commentez-le-projet-de-norme-avant-le-30-janvier4/ http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20130320trib 000755018/pres-de-40-des-francais-ne-recommanderaient-pas-leur-banque-a-leurs-proches.html

Page 35: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 35

marketing, éthique et efficacité : être au service

Jean-François Trinquecoste, IAE, Université Montesquieu Bordeaux IV

Le marketing connaît – aujourd’hui comme hier – bien des évolutions. S’il fallait en faire une liste scrupuleuse il conviendrait toutefois de distinguer les changements affectant la discipline elle-même – sa logique, ses méthodes, ses techniques – des changements connus plutôt par les marchés et qui conduisent un marketing « classique » appliqué, dans un environnement nouveau, à présenter un visage différent. Au carrefour actuel des évolutions et des permanences, deux phénomènes, en particulier, me semblent mériter d’être mentionnés et rapidement commentés. Le premier concerne la constance des rapports décidément difficiles que continue d’entretenir le marketing avec la question de l’éthique ; le phénomène est ancien mais il semble amplifié par les nouvelles technologies et l’intrusion qu’elles permettent dans la vie privée. Le second concerne les bouleversements que connaît la fonction marketing au sein de l’organisation ; ces boulever-sements – qui incluent la prise de décision – posent avec acuité la question des liens entre orga-nisation et performance.

Un marketing (éthique) au service d’organisations antagonistes

Pour beaucoup, le marketing est supposé incarner la quintessence de la préoccupation marchande et de l’esprit mercantile. Pour des raisons qui tiennent à sa nature supposée, à ses outils et à ses méthodes, une partie du « public » a pu le considèrer et le considère aujourd’hui encore comme la forme contemporaine de la rhétorique et de la sophistique (Laufer et Paradeise, 1986), le grand prêtre de la persuasion clandestine (Vance Packard, 1958 ; 1984), et une source d’asservissement des faibles au service de la machine économique (Klein, 2002). L’époque actuelle renforce proba-blement les traditionnelles critiques qu’on lui adresse et les traditionnels dangers qu’il représente ; l’époque actuelle qui plonge ses contemporains dans la société du risque (Beck, 2001) et sécrète consécutivement un regain d’éthique de responsabilité. Ce simple constat suffirait à ne pas effa-cer d’un revers de main l’importance d’une telle réputation généralement négative et persistante. Le territoire de marque du marketing – dont il est si soucieux pour les produits ou les services dont il s’occupe – ce territoire de marque est un territoire « miné ». Un territoire tellement peu favorable que les entreprises qui valorisent le mieux leurs marques parviennent à faire oublier qu’elles « font du marketing » et parlent plutôt de « valeur » et d’intention désintéressée. Quand bien même le lecteur considèrerait qu’il s’agit là de vielles lunes et d’antiques antiennes qui n’ont finalement jamais empêché le marketing d’être reconnu pour son efficacité par ses commandi-taires et ses utilisateurs, quand bien même ces représentations négatives seraient-elles purement fantasmatiques, on aurait tort d’oublier que comme l’enseigne Jean-Noël Janneney (2000) « une idée-fausse est un fait vrai ». D’autant qu’il y a lieu d’établir un autre constat : les formes mo-dernes du marketing, ses nouveaux bourgeons et ses avatars contemporains, prêtent de manière « actualisée » le flanc à la critique et viennent renforcer les préjugés : le géomarketing ou encore le data mining alimentent les craintes relatives à la protection et à la confidentialité des informa-tions personnelles. Le souci de la relation est presque incantatoire mais conduit à la multiplica-tion des machines et des procédures automatisées ou anonymes et à toujours moins de personnel en contact. Les lettres d’éviction polies des clients non rentables sont aux programmes de fidélité ce que l’antimatière est à la matière. Je voudrais sur ce point citer une expérience personnelle ; celle d’un appel téléphonique provenant d’une employée d’une agence bancaire dans laquelle « le client » possède – pour des raisons affectives – un compte très inerte que la dite employée lui a gentiment proposé de fermer ou de transférer dans une banque concurrente ainsi que les coûts associés à la gestion de cet avoir maigrichon et stérile. Les accusations d’obsolescence planifiée

Page 36: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

36 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

auxquelles le marketing est associé sont également préjudiciables dans un monde marqué par les difficultés économiques, le chômage, l’érosion du pouvoir d’achat de certaines catégories de la population ainsi que par les peurs en l’avenir liées à l’épuisement des ressources naturelles – matières premières et sources d’énergie – et au réchauffement climatique partiellement attribué – à tort ou à raison – à l’activité industrielle et à la croissance de la consommation. Ajoutons à ces critiques l’émergence de pratiques commerciales punitives – pour l’instant, semble-t-il, limitées à des cas australiens – paradoxalement consécutives à des pratiques commerciales efficaces mais qui cherchent finalement à limiter le phénomène du « showrooming » : faire payer 4 euros à la sortie du magasin si l’on sort sans avoir acheté un article dans le magasin (« 4 euros : c’est le prix à payer si vous sortez du magasin sans rien acheter », www.latribune.fr, 26/03/2013). Peut-on espérer une amélioration de l’image du marketing sous l’effet d’un marketing qui serait durable et équitable ? Doit-on suggérer que le défi de concilier l’éthique et l’efficacité pourrait être relevé en développant un marketing performant mais responsable ? Peut-être. Mais ce n’est pas sûr. Puisque la question est finalement managériale et politique, qu’elle concerne le citoyen au-delà du praticien ou de l’expert, on voudra bien accepter que l’auteur de ces lignes, bordelais d’adoption, cite Montesquieu écrivant dans le chapitre IV du livre XI de L’esprit des lois, que « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». On peut, en conséquence, avancer qu’une plus grande conciliation de l’éthique et de l’efficacité commerciale pourrait – au-delà du nécessaire garde-fou constitué par le droit – être favorisée par une mise à disposition accrue du marketing au service d’organisations résistantes à certaines pratiques commerciales voire à certains types de consommation. Comme le suggère la lecture du travail récent de Marie-Emmanuelle Chessel (2012) dédié aux Consommateurs engagés à la Belle Epoque c’est probablement davantage en se mettant au service d’idées critiques ou d’orga-nisations antagonistes que le marketing luttera plus efficacement contre ses propres abus qu’en comptant exclusivement sur ses propres régulations ou sur ses modérations endogènes.

L’étude nécessaire des questions organisationnelles en marketing

Une autre source de réflexion et d’interrogation porte sur les questions organisationnelles en marketing et le peu d’intérêt porté à ces questions par les chercheurs, malgré leur importance incontestable dans l’efficacité des décisions marketing et dans la vie des professionnels, et cela tout au long de leur parcours.

Les jeunes diplômés trouveront dans l’entreprise qui les recrutera non seulement des technologies et des pratiques nouvelles et en évolution permanente mais aussi des situations « traditionnelles » marquées par davantage de permanence que de changements. Ils intègreront une fonction incar-née par un service, dirigée par un responsable ; leur travail sera quotidiennement marqué par des relations avec leurs collègues et avec leurs « supérieurs » hiérarchiques ou leurs managers ; ces rapports seront partiellement dépendants des rapports que leurs supérieurs ou leurs managers entretiendront eux-mêmes avec leurs propres collègues et avec la direction ainsi que de l’impor-tance et de la considération attribuée à la fonction du fait – notamment – du talent personnel de celui qui l’incarne.

Ces questions organisationnelles intéressent – quantitativement du moins – peu les chercheurs en marketing. Cela est particulièrement remarquable en France semble-t-il. La recherche française privilégie – de beaucoup – les études en comportement du consommateur. Un nombre limité de recherches traite de la manière dont le marketing influence ou non les décisions générales de l’organisation ou parvient à améliorer sa performance. Les créations des fonctions et des métiers nouveaux de pricing manager, de responsables de marques, de directeur du marketing straté-

Page 37: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 37

gique ou l’instillation de l’orientation marché au sein de l’organisation témoignent pourtant des enjeux de ces questions organisationnelles dans le cadre de l’évaluation de la performance de la fonction marketing dans l’entreprise.

Ces questions de l’efficience ou de l’efficacité du marketing au sein de l’organisation, de sa contri-bution à l’efficience ou à l’efficacité organisationnelle sont, pour l’essentiel, laissées aux théori-ciens de l’organisation. Trois communications sur 85 retenues auront permis de consacrer une session – et une seule – aux questions de décisions marketing durant le congrès de l’AFM 2013. Les bouleversements actuels qui remettent en cause les modes d’organisation classiques posent particulièrement la question de la contribution du marketing à la performance de l’entreprise ; ils nécessitent consécutivement une attention accrue de la part des chercheurs aux questions organisationnelles.

sortir des dilemmes par le haut

Pierre Volle, Université Paris Dauphine, DRM (UMR CNRS 7088)

Les dilemmes auxquels le marketing fait face, en particulier celui qui consiste à allier efficacité et éthique, pose le problème de la conciliation de la légitimité interne et externe du marketing. Un retour vers l’histoire du marketing, une réhabilitation du long terme et un engagement de tous les acteurs, peuvent permettre de sortir par le haut de ce dilemme.

La difficulté d’allier légitimité interne et légitimité externe

Le terme de marketing qui est utilisé pour résumer un ensemble de pratiques managériales d’ana-lyse, d’actions et d’interactions avec le marché et ses acteurs, depuis son origine il y a plus d’un siècle, fait face à de multiples critiques. Aujourd’hui, le marketing est accusé de nombreux maux (Volle, 2013) qui vont de l’uniformisation et l’invasion culturelle (américanisation des goûts, omniprésence de la publicité…), à la marchandisation croissante de toutes les sphères de la vie privée et publique (solidarité entre générations, activités éducatives et sportives…). On lui re-proche d’encourager le matérialisme dans la société, de créer des besoins artificiels, de faire des promesses grossières voire mensongères, de concevoir et vendre des produits peu respectueux de l’environnement ou trop complexes, d’encourager une valorisation excessive des produits ou des services (montées en gamme ou « premiumisation »…). On l’accuse de traitements abusifs des données personnelles, de dégradation du service aux clients, ou de services rendus de façon inéquitable selon la valeur économique que représente le client pour l’entreprise, etc.

Ces critiques s’inscrivent dans un contexte où l’objectif de croissance est perçu par certains comme une fin en soi (en France, elle repose aux deux-tiers sur la consommation) alors que sa finalité « politique » ultime est d’être au service d’une vie meilleure pour le plus grand nombre, respectueuse des autres et de l’environnement. Les critiques adressées au marketing posent la question de sa légitimité et de sa responsabilité. Il convient donc de comprendre quelle est la responsabilité du marketing par rapport aux maux dont il est accusé et ce sur quoi il doit rendre des comptes. Cette « obligation de rendre des comptes » au sens anglo-saxon d’accountability (Dumez, 2008) est double. Les responsables marketing doivent d’une part contribuer à la per-formance globale de leur entreprise, et d’autre part rendre compte (et rendre des comptes) à la société en général (Hult et al., 2011), quant à la légitimité de leurs actions.

La pression exercée sur les praticiens du marketing pour démontrer l’impact effectif de leurs actions sur la performance de l’entreprise est de plus en plus forte du fait du contexte de crise

Page 38: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

38 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

économique dans lequel sont plongées les économies développées. Les dépenses marketing sont souvent les premières sacrifiées. La contribution des actions marketing à la performance globale de l’entreprise n’est pas toujours reconnue en interne et fait l’objet de débats (Sheth et Sisodia, 2005). Les objectifs de l’entreprise sont bien souvent fixés par les directions générales, appuyés par des experts de la finance et de la stratégie. L’obligation de rendre des comptes à laquelle les praticiens du marketing sont soumis amène à reconnaître que le marketing est une fonction de l’entreprise parmi d’autres, qui s’ajuste à des contraintes extérieures, et contribue au mieux à la performance, sans nécessairement avoir un impact décisif. Les praticiens du marketing siègent aux comités exécutifs, mais les stratégies sont bien souvent le fait des conseils d’administration ou des comités de direction, là où ces praticiens ne sont pas toujours présents. De sa capacité à rendre des comptes et à convaincre de son efficacité dépend le rôle du marketing et son poids dans les décisions stratégiques. Le marketing doit donc faire face à un dilemme : contribuer le mieux pos-sible à la performance économique de l’entreprise (s’il veut peser sur les grandes décisions) mais également faire face aux critiques souvent fondées qui résultent d’une recherche de profitabilité à court terme exigée par le système économique, vers laquelle toutes les fonctions de l’entreprise tendent, particulièrement dans les entreprises cotées. Quelles sont les voies par lesquelles le mar-keting peut sortir de ce dilemme par le haut ? Telle est la question qui se pose. Comment concilier la recherche de légitimité interne du marketing dans l’organisation et celle de sa légitimité externe.

Dépasser les critiques du marketing en assumant son histoire

Le marketing doit pleinement assumer son rôle d’innovateur et d’acteur du changement dans la société. Mais cette reconnaissance de ses responsabilités d’une part et de son rôle d’innovateur d’autre part sera accélérée si toutes les parties prenantes partagent et stimulent cette prise de conscience, contribuant ainsi à concilier légitimité interne et externe.

Gagner en légitimité par la reconnaissance des apports du marketing

Selon les conceptions largement répandues dans le milieu professionnel, le marketing aurait pour vocation principale de répondre aux attentes des consommateurs. Mais le marketing pèse largement sur ces attentes et peut même les forger, dans le bon sens du terme. Cela doit être pleinement intégré et assumé par les praticiens du marketing qui, bien souvent, sont mal à l’aise avec cette idée. Le marketing a été historiquement un facteur de développement économique, participant pleinement à la croissance des marchés et à l’évolution des comportements de consommation. Les spécialistes du brand content montrent ainsi que Michelin a transformé la vie des gens en éditant ses guides, dès 1901, et en déployant des efforts considérables pour les inciter à découvrir les joies du tourisme. Les pratiques des loisirs des français s’en sont vues transformées (Méot, 2012). Michelin a construit le marché, conjointement avec d’autres acteurs, ingénieurs ou hommes politiques. Le marketing peut aussi se « contenter » de répondre aux attentes des clients. La relation one-to-one a toujours fait historiquement partie des approches marketing efficaces fondées sur des relations directes entre producteurs et clients (Ville, 2009). Les technologies numériques permettent une amplification des stratégies relationnelles, en analysant le comportement de millions de clients et en établissant une relation proche et personnelle avec eux. Améliorer la vie des gens et faire du profit ne sont pas des buts antagonistes lorsque l’on se penche sur l’histoire du marketing. Le dilemme actuel porte plutôt sur le poids excessif donné au court terme par rapport au long terme.

Réhabiliter le long terme et prendre en compte l’impact sur la société

Si l’histoire du marketing s’inscrit dans la durée, ses actions doivent aussi s’inscrire dans la durée et leur évaluation doit prendre en compte l’ensemble de ses impacts sur la société, à court

Page 39: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 39

et plus long terme. Cela constitue, de notre point de vue, la condition nécessaire pour tenter de regagner une légitimité externe. Il devient de plus en plus important que les praticiens du mar-keting développent et utilisent les instruments adéquats pour tirer un véritable bilan de leurs actions, avec le soutien des directions générales. Il conviendrait de prendre en compte, au-delà des mesures de chiffre d’affaires ou de part de marché, l’impact (des actions engagées) auprès des consommateurs-clients et de la société en général. Cela passe par un élargissement des mesures d’impact s’appuyant sur des indicateurs centrés sur les clients (satisfaction, fidélité, recommanda-tion, engagement…), mais aussi avec des indicateurs plus qualitatifs, orientés vers le long terme et intégrant le point de vue de diverses parties prenantes (consommateurs vulnérables ou exclus du marché, associations de consommateurs, pouvoirs publics…). La responsabilisation du mar-keting, avec l’« obligation de rendre des comptes » à ces diverses parties prenantes, ouvre la voie d’une légitimité externe (re)trouvée. La plus grande difficulté est néanmoins celle du changement d’horizon temporel. La pression des rapports trimestriels ou semestriels rend difficile une réelle prise en compte des impacts des actions engagées pour les générations futures (au sens de Hans Jonas, 1999). Cette priorité absolue d’intégration du long terme, à notre sens, ne concerne pas que le marketing mais toutes les fonctions de l’entreprise et l’ensemble de ses objectifs.

Un engagement de tous les acteurs

Ce changement d’horizon temporel ne peut se faire sans l’engagement de tous les acteurs. Les entreprises ont une propension à s’infiltrer dans les interstices sociétaux, moraux et légaux dès lors qu’une opportunité de marché est identifiée et que la performance peut être améliorée. Les praticiens du marketing concourent largement à les y aider. Mais si ces responsables doivent naturellement respecter la loi, leur légitimité externe dépendra plutôt de leur capacité à prendre conscience de leurs actes, à en répondre publiquement, et à montrer leur bonne volonté pour en investiguer toutes les conséquences, y compris à long terme. Tout engagement des acteurs pour encourager cette prise de conscience ne peut être que bénéfique pour le marketing. C’est à tra-vers la discussion, les questionnements, les réflexions et la nécessaire participation de tous que la démocratie créative, au sens de Dewey, se construit (Chanial, 2006). De même, les décisions ne seront légitimes que si les processus qui conduisent à ces décisions le sont aussi. La légitimité résulte du débat public, dans l’espace public ainsi qu’Habermas nous l’indique avec sa notion de démocratie délibérative (2003). Le principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un « pouvoir d’assiègement permanent ». C’est là que les technologies numé-riques peuvent entrer en jeu, avec les forums de discussion, les blogs, les réseaux sociaux, etc. Chaque acteur a son rôle à jouer et en particulier les consommateurs-citoyens pour interpeler les entreprises. Les académiques ont aussi leur part de responsabilité, à travers les formations qu’ils dispensent, les thématiques de recherches qu’ils privilégient, les prises de parole qu’ils délivrent. Donnons-nous collectivement, praticiens, académiques, consommateurs-citoyens, l’objectif de réconcilier légitimité interne et externe du marketing, pour le mieux vivre collectif.

références

ADETEM (2013), Manifeste pour le marketing de demain, livre blanc, avril 2013, http://be-angels.fr/wp-content/uploads/2013/04/2013-Manifeste-Adetem.pdf

Althuizen N., Reichel A. et Wierenga B. (2012), Help that is not recognized: Harmful neglect of deci-sion support systems, Decision Support Systems, 12, 1, 719-728.

Baldwin C.Y. et von Hippel E. (2011) Modeling a paradigm shift: From producer innovation to user and open collaborative innovation, Organization Science, 22, 6, 1399-1417.

Page 40: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

40 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Bauman Z. (2004), L’amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes, Rodez, Le Rouergue/Chambon.

Bauman Z. (2006), La vie liquide, Rodez, Le Rouergue/Chambon.

Bauman Z. (2009), L’éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs?, Paris, éditions Climats.

Beck U. (2001), La société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Paris, Editions Aubier ; pre-mière publication en allemand en 1986.

Berger P.D., Eechambadi N., George M., Lehmann D.R., Rizley R. et Venkatesan R. (2006), From customer lifetime value to shareholder value : Theory, empirical evidence, and issues for future research, Journal of Service Research, 9, 2, 156-167.

Bouilloud J. P. (2012), Entre l’enclume et le marteau, les cadres pris au piège, Paris, Seuil.

Brynjolfsson, E. et McAfee, A. (2012) Big data: The management revolution, Harvard Business Re-view , 90, 10, 60-68.

Bucklin R.E, Lehman D.R et Little J.D.C. (1998), From decision support to marketing automation, Marketing Letters, 9, 3, 235-246.

Chanial P. (2006), Une foi commune : démocratie, don et education chez John Dewey, Revue du MAUSS, 28, 2, 251-256.

Chesbrough H. W. (2003a), Open innovation : The new imperative for creating and profiting from technology, Boston, Harvard Business School Press.

Chesbrough H. W. (2003b), The era of open innovation, Sloan Management Review, 44, 3, 35-41.

Chessel M-E. (2012), Consommateurs engagés à la Belle Epoque,. La ligue sociale d’acheteurs, Paris, Les Presses de SciencesPo.

Chevalier J. A., et Mayzlin D. (2006), The Effect of word of mouth on sales: Online book reviews. Journal of Marketing Research, 43, 3, 345-354.

Clow K., James K. E. et Stanley S. M. (2008), Does source credibility affect how credit cards are marketed towards college students?, Marketing Management Journal, 18, 2, 168-178.

Cui G., Wong M.L. et Lui H-K. (2006), Machine learning for direct marketing response models : Bayesian networks with evolutionary programming, Management Science, 52, 4, 597-612.

Day G. S. (1999), The market driven organization - Understanding, attracting, and keeping valuable customers, The Free Press.

Decaudin J. M. et Bouguerra A. (2011), La communication marketing intégrée, Paris, Economica.

Desmond J. (2013), A modest proposal: A response to the marketing challenges presented by the crisis confronting humanity in respect to the requirement to feed nine billion by 2050, Journal of Marketing Management, 29, 13-14, 1631-1643.

Do-Hyung P. et Se-Bum P. (2008), The multiple source effect of online consumer reviews on brand evaluations: Test of the risk diversification hypothesis, Advances in Consumer Research, 35, 744-745.

Drumwright M. E. et Murphy P. E. (2004), How advertising practitioners view ethics, Journal of Advertising, 33, 2, 7-24.

Drumwright M. E. et Murphy P. E. (2009), The current state of advertising ethics, Journal of Adver-tising, 38, 1, 83-107.

Dumez H. (2008), De l’obligation de rendre des comptes ou « accountability », Gérer et Comprendre, 91, 4-8.

Forrester (2012), Automation: Redefining marketing’s game plan, Forrester Research, Inc.

Füller J., Mühlbacher H., Matzler K. et Jawecki G. (2009), Consumer empowerment through internet-based co-creation, Journal of Management Information System, 26, 3, 71-102.

Gershenfeld N.A. (2005), Fab: the coming revolution on your desktop – from personal computers to personal fabrication, New York, Basic Books.

Habermas J. (2003), Au-delà du libéralisme et du républicanisme, la démocratie délibérative, Raison publique, 1, 40-57. Article traduit par Solange Chavel.

Page 41: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Marketing de demain – 41

Haley R.I. (1968), Benefit segmentation: A decision-oriented research tool, Journal of Marketing, 32, 3, 30-35.

Hall D.J. et Saias M.A. (1980), Strategy follows structure! , Strategic Management Journal, 1, 2, 149–163.

Homburg C., Steiner V.V. et Totzek D. (2009), Managing dynamics in a customer portfolio, Journal of Marketing, 73, 5, 70-89.

Hult G.T.M., Mena J.A., Ferrell O.C. et Ferrell L. (2011), Stakeholder marketing : a definition and conceptual framework, AMS Review, 1, 44-65.

Hunter, G.L., Harrison, T., Waite, K. (2006), The dimensions of consumer empowerment. In Enhan-cing knowledge development in marketing, AMA Educators’ Proceedings, 17, 2007-2008.

Hyman M. R., Tansey R. et Clark J. W. (1994), Research on advertising ethics: Past, present, and future, Journal of Advertising, 23, 3, 5-15.

IBM (2013), From stretched to strengthened : Insights from the IBM global CMO study, IBM Institute for Business Value, http://www.ibm.com/cmostudy #IBMCMOSTUDY

Jeanneney J.-N. (dir.) (2000), Une idée fausse est un fait vrai : les stéréotypes nationaux en Europe, Paris, Editions Odile Jacob.

Jonas H. (1999), Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flam-marion.

Keller E., et Fay, B. (2012). Word-of-mouth advocacy: A new key to advertising effectiveness. Jour-nal of Advertising Research, 52, 4, 459-464.

Kim J-Y., Natter M. et Spann M. (2009), Pay what you want: A new participative pricing mechanism , Journal of Marketing, 73, 1, 44–58.

Klein N. (2002), No logo : la tyrannie des marques, Paris, éditions Actes Sud.

Kohli A.K. et Jaworski B.J. (1990), Market orientation: The construct, research propositions, and managerial implications, Journal of Marketing, 54, 2,1-18.

Kotler Ph., Keller K. et Manceau D. (2012), Marketing management, 14e edition, Paris, PearsonEdu-cation.

Laufer R. et Paradeise C. (1986), Le prince bureaucrate, Paris, Flammarion.

Le Nagard-Assayag E. et Manceau D. (2011), Marketing des nouveaux produits, Paris, Dunod.

Leeflang P., (2011), Paving the way for “distinguished marketing”, International Journal of Research in Marketing, 28, 2, 76-88.

Lilien G.L. et Rangaswamy A. (1998), Marketing engineering: computer-assisted marketing analysis and planning reading. Reading, MA, Addison-Wesley

Lilien G.L. (2011), Bridging the academic–practitioner divide in marketing decision models, Journal of Marketing, 75, 4, 196-210.

Manyika J., Chui M., Bughin J., Dobbs R., Roxburgh C. et Byers A.H. (2011), Big data: The next frontier for innovation, competition, and productivity, McKinsey Global Institute, Report, May. http://www.mckinsey.com/~/media/McKinsey/dotcom/Insights%20and%20pubs/MGI/Research/Technology%20and%20Innovation/Big%20Data/MGI_big_data_full_report.ashx

McAfee, A., Brynjolfsson, E., (2013), Big data: The management revolution, Harvard Business Re-view, 90, 10, 60-68.

Méot V. (2012), Pierre Volle : la véritable histoire du marketing, Marketing Magazine, 163, 28 nov. http://www.e-marketing.fr/Marketing-Magazine/Article/Pierre-Volle-la-veritable-histoire-du-marketing-44864-1.htm

Narver J.C. et Slater S.F. (1990), The effect of a market orientation on business profitability, Journal of Marketing, 54, 4, 20-34.

Nishikawa H., Schreier M. et Ogawa S. (2013), User-generated versus designer-generated products: A performance assessment at Muji, International Journal of Research in Marketing, 30, 2, 160-167.

Norton M.I. , Frost J.H. et Ariely D. (2007), Less is more: The lure of ambiguity, or why familiarity breeds contempt”. Journal of Personality and Social Psychology. 92, 1, 97-105.

Page 42: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

42 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Packard V. (1958 ; 1984), La persuasion clandestine, Paris, Calmann-Lévy.

Pollay R. W. (1986), The distorted mirror: Reflections on the unintended consequences of advertising, Journal of Marketing, 50, 2, 18-36.

Rosa H. (2012), Aliénation et accélération, vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris, La Découverte.

Schwartz E.M., Bradlow E.T. et Fader P.S. (2012), Bandit’s paradise: Customer acquisition through online display advertising, Working paper, New York University, oct. 12. http://www.stern.nyu.edu/cons/groups/content/documents/webasset/con_038292.pdf

Sheth J.N. et Sisodia (2005), Does marketing need reform ?, Journal of Marketing, 69, 4, 10-12.

Simon H.A. (1955), A behavioural model of rational choice, Quarterly Journal of Economics, 69, 1, 99-118.

Tixier D. et Pras B. (1995), Le marketing inversé : interactivité, structure et pouvoir, Décisions Mar-keting, 5, mai-août, 7-19.

Verhoef P.C. et Leeflang P.S.H. (2009), Understanding the marketing department’s influence within the firm, Journal of Marketing, 73, 2, 14-37.

Vernette E. et Hamdi L. (2013), Co-creation with consumers : Who has the competence and wants to cooperate, International Journal of Market Research, 55, 4, 539-561.

Ville S. (2009), Making Connections : insights into relationship marketing from australasian stock and station agent industry, Enterprise & Society, 10,3, 423-448.

Volle P. (2013), Le marketing peut-il être responsable ?, Après-Demain, 25, 1er trimestre, 10-12.

von Hippel E. (2005), Democratizing innovation, Boston, MIT Press.

Wathieu, L., Brenner L., Carmon Z., Chattopadhyay A., Wertenbroch K., Drolet A., Gourville J., Muthukrishnan A.V., Novemsky N.R., Ratner R. K, et Wag G. (2002), Consumer control and empowerment : A primer”, Marketing Letters, 13, 297-305.

Whittington R. (2006), Completing the practice turn in strategy research, Organization Studies, 27, 5, 613-634.

Wind J.Y. (2009), Rethinking marketing: Peter Drucker’s challenge, Journal of the Academy of Mar-keting Science, 37, 28-34.

Page 43: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 43-64

Pour contacter les auteurs : [email protected] ; [email protected] ; [email protected] Les trois auteurs ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article.

DOI : 10.7193/DM.072.43.64 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.43.64Béji-Bécheur A., Besson M. et Bonnemaizon A. (2013), Structuration de la recherche en marketing en France et point de vue des chercheurs sur les thématiques d’avenir ?, Décisions Marketing, 72, 43-64.

Résumé

L’objectif de cette réflexion est d’appréhender la construction de la recherche en marketing en France ainsi que les thèmes et visions des chercheurs qui dessinent son avenir. Sur la base de documents et d’entretiens, une histoire de la structuration de la recherche marketing souligne l’encastrement de la recherche dans un réseau d’acteurs. Une étude menée auprès des institutions de la recherche et de chercheurs, aboutit à : (1) une carto-graphie de 8 thèmes d’intérêt majeur et de leur traduction en marketing et, (2) l’examen des questionnements de chercheurs sur leur positionnement vis-à-vis de ces thèmes et plus largement sur leur rôle vis-à-vis de leurs différents publics (futurs docteurs, entreprises et société civile). Mots-clés : recherche en marketing, histoire, sociologie des sciences, chercheurs, société.

Abstract

The structuring of research in marketing In France with insights from researchers on future research themes

This article analyses the process by which research in marketing has been constructed in France in the past and highlights the current visions and themes of interest for the researchers that will create its future. Documentary research and interviews were conducted to outline the structuring of research in marketing and to examine the extent to which it is embedded in the network of actors involved. A further study of research institutions and researchers allows for the mapping of eight themes in interest and relevant to the field of marketing. The resear-chers’ thoughts on their positioning in relation to these themes are subsequently examined, along with their views on their role in relation to different groups, such as PhD students, businesses and broader groups in society. Key words: marketing research, history, sciences studies, researcher, society.

Structuration de la recherche en marketing en France et point de vue des chercheurs

sur les thématiques d’avenir

Amina Béji-Bécheur*, Madeleine Besson** et Audrey Bonnemaizon*

*Université Paris Est, Institut de Recherche en Gestion

**Télécom Ecole de management, Institut de Recherche en Gestion

Page 44: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

44 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

« Que l’on se rende bien compte à quel point les sciences sont devenues méconnais-

sables en trente ans, non seulement dans leur contenu, mais dans leur façon de se

mêler à toute la vie publique. » (Latour, 2003, 79)

L’objectif de cet article est de comprendre la structuration de la recherche en marketing en France et d’identifier les thèmes majeurs et visions de la recherche qui esquissent l’avenir.

A l’instar des principaux auteurs de la socio-logie des sciences (Akrich, Callon et Latour, 2006), nous pensons que la recherche en mar-keting se produit au travers des débats et des controverses entre les chercheurs et différents groupes d’acteurs de la société. Dans cette pers-pective, les travaux sont de fait encastrés dans un réseau de questionnements des diverses parties prenantes. C’est ainsi que l’on peut relier la création de la revue Décisions Marke-ting au début des années 1990 aux questionne-ments qui ont eu lieu au sein de l’AFM sur la nécessité de diffuser des recherches orientées vers la prise de décision en marketing. Dès lors notre question de recherche est la suivante : quels sont les thèmes majeurs pour les parties prenantes qui participent à la construction de la recherche future en marketing ?

Pour répondre à cette question, nous propo-sons dans une première partie de dresser une histoire de la structuration de la recherche marketing en France, en mettant notam-ment l’accent sur les groupes/institutions qui jouent un rôle important dans la recherche aujourd’hui. Les travaux de Cochoy (1999), Chessel (2002), Martin (1992), Meleau (1988), Dubois et al. (1992) ou Volle (2011) fournissent des éléments de compréhension de la construction du champ de la recherche en marketing. L’un des paradoxes de l’essence du marketing est de contenir dans sa finalité la nécessité de répondre aux attentes des par-ties prenantes ce qui signifie de se renouve-ler au gré des transformations de la société (Pras, 1999). Aussi, faisons nous le choix de ne pas poser de définition du marketing

puisqu’il s’agit de repérer dans l’historique les recherches s’y référant (qualifiées comme travaux en marketing) ou étant reconnues comme appartenant au champ (publiées dans les revues de référence). Ainsi, il sera pos-sible de saisir l’évolution du contenu associé à la discipline ainsi que celle de son périmètre de significations au gré des acteurs qui se l’approprient. En partant de ce cadre d’ana-lyse, nous précisons comment la recherche s’est structurée en France entre les années 1970 et aujourd’hui, soit vingt années avant le lancement de Décisions Marketing en 1993, et vingt années après. Dans un deuxième temps, nous appréhendons comment se pour-suit l’histoire de la recherche en marketing, quelles sont aujourd’hui les orientations que prend sa construction suite aux actions des di-verses parties prenantes. Une étude est menée auprès des institutions de la recherche et de chercheurs, aboutissant à deux contributions. D’une part une cartographie des thématiques de recherche montre l’articulation possible entre les thèmes d’intérêt majeur pour les institutions et la société et les problématiques marketing. D’autre part, nous mettons en évidence des défis et des questionnements de chercheurs concernant les enjeux de la recherche en marketing.

Le marketing, résultat d’une construction sociale

Afin de comprendre la structuration des mou-vements d’idées en marketing, il s’agit d’étu-dier les modes de construction sous-jacents. Dans cette perspective, les travaux anthro-pologiques, historiques et sociologiques des sciences initiés notamment par Bruno Latour en France et regroupés sous le vocable Science Studies offrent un cadre pertinent. Les re-cherches menées par Latour avec plusieurs collègues (dont Akrich et Callon) ont défini la construction des champs de recherche au travers des controverses qui alimentent les réflexions des différents groupes d’acteurs concernés participant au domaine (encadré 1).

Page 45: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 45

Des débats aux Etats-Unis…

Cochoy (1991) a étudié les controverses ayant structuré le champ de la discipline du mar-keting en partant des figures tutélaires aux Etats-Unis.

Trois principales controverses ont été identi-fiées :

• Années 1960 : le champ du marketing doit-il s’élargir à la société ? Peut-on parler de marketing social ou de marketing socié-tal ? Peut-on poursuivre d’autres objectifs que la performance des entreprises ? Le marketing est-il une technologie ou un pro-cessus social ?

• Années 1970 : le marketing est-il une science ? A quelles conditions ? La science est-elle du marketing ?

• Années 1980 : l’étude du consommateur et de la consommation peut-elle constituer

une entreprise scientifique en soi ? N’est-elle pas une sous-discipline du marketing ?

Cochoy (1999) rappelle que les principaux protagonistes de la recherche en marketing aux Etats-Unis sont les chercheurs s’appuyant sur les revues les plus renommées telles que Journal of Marketing et sur les associations de recherche dont la plus importante est l’AMA (American Marketing Association), mais aussi les entreprises dominantes du sys-tème économique telles Ford. Enfin, l’Etat devient un partenaire à la fin des années soixante avec l’introduction auprès du mi-nistre du commerce d’un comité de conseil en marketing (Cochoy, 1999, 216).

… au déploiement du marketing en France

Les travaux plus récents de Marie-Emma-nuelle Chessel (2002) ancrés dans une ap-proche historique complètent cette descrip-

Encadré 1 : Les Sciences Studies

Bruno Latour fut un des premiers auteurs à s’intéresser à l’étude anthropologique des sciences en France (Latour, 1991, 1999 ; Pestre, 1995). Vue sous cet angle, la science est le propre d’une communauté possédant ses normes et ses institutions. Mais elle est aussi le fruit d’un travail organisé selon des règles plus ou moins explicites, avec des tâches hiérarchisées, des instruments, des formes d’interaction spécifiques (laboratoires) et des rapports de dépendance (réseaux). Elle se construit dans des rapports de force, des enjeux de pouvoir et mobilise des individus qui sont motivés par des projets individuels inscrits dans des normes mais pas unique-ment : « l’histoire des sciences est maintenant mêlée de mille façons à l’histoire politique, à l’histoire administrative, à l’histoire religieuse, à l’histoire économique… » (Latour, 2003, 67).Les recherches menées dans cette perspective ont eu pour objectif de comprendre les conditions d’exis-tence des sciences et ont engagé un débat sur ce que l’on entend par scientifique : « ce projet ne menait pas non plus à “la science”, mais à tout un ensemble de conditions matérielles, culturelles, sociales, psychologiques, nécessaires à la genèse et au développement de ce fameux “esprit scientifique” (en référence à l’ouvrage La formation de l’esprit scientifique de Bachelard, 1967). Ces travaux ont enrichi notre compréhension de l’histoire des sciences en s’écartant d’une explication sociale et externaliste » (Latour, 2003, 73). En s’intéressant à la vie des laboratoires et aux objets produits par les scientifiques, il s’agissait de comprendre la construction des sciences. La position des chercheurs en Science Studies, défendant une approche constructiviste, s’oppose à une vision normative de « la Science ». Bruno Latour (2003, 73) résume en ces termes ses apports aux Sciences Studies : « Je crois que l’on com-mence à comprendre assez bien ce que veut dire le terme de constructivisme pour décrire une position qui insiste sur le travail d’élaboration, les risques pris, et sur l’histoire et ses rapides transformations ». Pour saisir les sujets scientifiques, Latour (2003, 76) propose une démarche constructiviste et empi-rique « qui consisterait à [..] capter, dans la pratique scientifique, la diversité des jugements proposés par les chercheurs pour distinguer [..] les sujets intéressants ou pas.[..] Une façon de la concrétiser {la démarche} c’est de nous brancher sur les controverses entre scientifiques. »

Page 46: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

46 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

à la mise en place d’associations telles que l’ADETEM en 1954 et l’AFM en 1984.

Dans les années soixante, c’est l’enseignement de la gestion qui évolue sous l’influence d’une nouvelle administration, consciente que l’éco-nomie française manque de cadres pour abor-der la période de la reconstruction. La forma-tion américaine à l’administration des affaires est prise comme modèle et, en 1955, Gaston Berger, Directeur de l’enseignement supérieur au ministère de l’Education nationale, crée les Instituts d’administration des entreprises (IAE). Il s’agit à la fois de développer un savoir universitaire de gestion qui complète le savoir-faire professionnel et de rapprocher l’univer-sité du monde de l’entreprise. Les études de cas sont introduites dans la formation ini-tiale, tant dans les IAE que dans les écoles de commerce ; de jeunes diplômés partent aux Etats-Unis pour se former. En parallèle, les agences américaines installées à Paris impri-ment le paysage français de leurs méthodes, et les concepts et techniques marketing sont importés par le biais d’ouvrages de référence comme celui d’Ernst Dichter, La stratégie du Désir, ou encore de conférences d’experts tels les séminaires de Bernardo Trujillo qui ont inspiré les « inventeurs français du commerce moderne », fondateurs des grands groupes de distribution actuels (Thil, 1966).

Comment se structure la recherche en France à partir des années 1970 ?

Nous détaillons, ci-dessous, la structuration de la recherche en France entre les années 1970 et aujourd’hui, soit 20 années avant le lancement de Décisions Marketing, et 20 années après.

Les années 1970 et 1980 : création d’un corps d’enseignants permanents de gestion et autonomisation d’une recherche disciplinaire

Années (1970) : création d’un corps professo-ral permanent pour les formations en gestion

Le dispositif de modernisation de la forma-tion à la gestion en France, initié par les pou-

tion en précisant les acteurs ayant contribué à dessiner le paysage de la recherche en France.

Chessel (2002) souligne le rôle structurant des écoles, des entrepreneurs, de l’Etat et des instituts de sondages et d’études dans le déve-loppement de la discipline et de la recherche sur le marketing. Au XIXe siècle, la première école de commerce de France, l’Ecole spé-ciale de commerce et d’industrie, est fondée à Paris par un groupe d’hommes d’affaires et d’économistes (1819). A la fin du XIXe siècle, l’expansion industrielle et commerciale conduit à un développement et à une première structuration de l’enseignement commercial. La Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris acquiert l’Ecole spéciale de commerce (1869), fonde l’école des Hautes Etudes Com-merciales (1881), et obtient la reconnaissance officielle du diplôme de ces deux écoles par le Ministère de l’éducation nationale (1890). Les chambres de commerce se substituent alors dans l’enseignement commercial aux initia-tives privées qui avaient prévalu au XIXe.

En France, les préjugés restent pour autant profondément ancrés, sous la forme d’un cer-tain mépris pour les formations d’« épicier ». Le prestige des grandes écoles d’ingénieurs, dont beaucoup ont été créées par l’Etat à la fin du XVIIIe siècle reste sans partage. Ces dernières forment encore une grande part des cadres des entreprises françaises.

A partir des années 1950, la croissance éco-nomique va requérir de nouvelles techniques de gestion et des analyses poussées des mar-chés. Se mettent alors en place des orga-nismes interprofessionnels réunissant des annonceurs, des publicitaires et des médias (comme par exemple l’OJD en 1946, le CESP en 1956 et l’IREP en 1958).

Ces acteurs ont fortement contribué à l’intro-duction du marketing dans les entreprises aboutissant ainsi, d’une part, à la création de véritables directions marketing au même titre que les directions financières et, d’autre part,

Page 47: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 47

gestion en France et en Europe. A la fin des années 1960, la Fondation Ford soutient ainsi la création du corps professoral de l’IN-SEAD, ainsi que la création de l’EIASM à Bruxelles. La recherche en gestion est éga-lement portée par des écoles d’ingénieur, l’école des Mines créant le Centre de Gestion Scientifique (CGS) en 1967, l’école Polytech-nique lui répondant en 1972 avec la création du Centre de Recherche en Gestion (CRG).

Au milieu des années 1970, la formation par la recherche semble avoir obtenu gain de cause. En 1975, les universitaires parviennent à faire reconnaître la spécificité de l’enseigne-ment de gestion, et un arrêté crée l’agrégation des sciences de gestion. La même année, la FNEGE crée la Revue Française de Gestion. L’institutionnalisation des sciences de gestion sera finalement consacrée avec sa reconnais-sance en tant que section du Conseil National des Universités (la section « 06 ») ».

En France, la recherche marketing aura été construite par quelques « pionniers », formés soit à l’université française (le plus souvent en économie), soit aux Etats-Unis. Hors du milieu académique, quelques organisa-tions créées dans les années 1950 publient des études de marketing dans leur domaine (Dubois et al., 1992). C’est le cas de l’orga-nisme public du CREDOC, qui bénéficie de ses propres experts en économie ou statis-tiques, ou de l’organisme professionnel IREP, qui bénéficie des conseils de quelques « uni-versitaires ». Néanmoins, dans les sociétés d’études, « la recherche scientifique en mar-keting (…) est loin d’être un cas général » (ibid, p.23).

Les années (1980) : structuration de la re-cherche disciplinaire en France

Dès la fin des années 1970, les disciplines sont éclatées selon une typologie inspirée des grandes fonctions de l’entreprise, lesquelles constituent alors les gisements d’emploi et donc de formation : fonction commerciale, comptable, financière, etc. (Pérez, 2007).

voirs publics à la fin des années 1950 avec la naissance des IAE et de l’INSEAD1, est com-plété, en 1968, par la création de la FNEGE. Visant à favoriser le développement de la for-mation au management en France (formation initiale et continue), la Fondation associe des représentants des différents acteurs concer-nés : ministères, responsables patronaux et enseignants. Entre 1969 et 1972, la FNEGE met en place un programme sans précédent visant à former plusieurs centaines de per-sonnes dans les universités nord-américaines. Les 340 boursiers sont perçus comme les « agents du changement » dans l’enseigne-ment de la gestion (Chessel et Pavis, 2001). Le programme de formation mis en place par la FNEGE prolonge et amplifie des efforts menés par quelques IAE ou écoles de gestion qui avaient envoyé certains de leurs ensei-gnants se former aux Etats-Unis dès le milieu des années 1960. De retour en France, ces diplômés des universités nord-américaines constituent le relais de la modernisation de l’enseignement de gestion en France dans une dizaine de « pôles ». Dans les universités, la reconnaissance d’un diplôme de type PhD pose problème ; en 1977, la création d’un concours de l’agrégation propre aux sciences de gestion permettra aux diplômés « améri-cains » d’intégrer l’université.

Pour ce qui est du marketing, trois univer-sités (Aix-Marseille, Grenoble et Dauphine) et quelques grandes écoles (aux premiers rangs desquelles HEC, ESSEC et l’INSEAD) concentreront les recrutements d’enseignants formés au marketing aux Etats-Unis. A HEC, où le Corps Professoral Permanent avait été créé en 1967, on dénombrait, dans les années 1970, 40% d’enseignants ayant suivi une for-mation aux Etats-Unis.

Dans le même temps, d’autres initiatives visent à « moderniser » l’enseignement de

1/ L’INSEAD est créé en 1959 avec l’objectif d’en faire « un institut pour la formation des managers européens, semblable à la Business School d’Har-vard » (Gemilli, 1997, cité in Djelic, 2004).

Page 48: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

48 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

recherche (Dubois, Darmon et Derbaix, 1992 ; Soulez et Guillot-Soulez, 2006).

Les années 1990 et 2000 : poids accentué de la recherche et évolution des thématiques

Le tournant du XXe siècle est marqué, en France, par la mise sous tension progressive du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les années (1990) : standardisation des éta-blissements de la sphère « privée » et enga-gement de la recherche dans des thématiques orientées vers la prise de décision

Sur le plan institutionnel, les évolutions les plus notables semblent être portées par les établis-sements de la sphère « privée ». Les écoles de management étant confrontées à un marché de plus en plus concurrentiel, tant au plan natio-nal qu’au plan international, elles vont mettre en place de nouveaux dispositifs renforçant la qualité de leurs processus et leur attractivité.

La professionnalisation du corps professoral, déjà entamée avec une évaluation des ensei-gnements va se poursuivre avec une évalua-tion de la recherche. En 1993, l’ESSEC met en place le premier « classement » interne des revues de recherche permettant d’allouer les ressources de recherche en fonction de la qua-lité et de la quantité de production des profes-seurs et (d’évaluer) la recherche des profes-seurs »3. L’initiative de l’ESSEC sera suivie par d’autres institutions et un classement « national » sera proposé par la section 37 du CNRS en 2004. Un classement des revues a été établi par l’ensemble des associations scientifiques réunies par la FNEGE en 2011 et s’est imposé, à côté du classement du CNRS, auprès du CNU, des instances d’évaluation de la recherche et de nombreuses revues ou journaux. Répondant au souci d’évaluation des écoles de management, les accréditations vont devenir le gage de qualité permettant

3/ Source : interview de René Darmon, Professeur émérite à l’ESSEC, directeur de la recherche de l’ESSEC de 1993 à 1997 (interview du 03/09/2012).

Cette dynamique amènera Hatchuel à sug-gérer que « l’histoire des sciences de gestion peut être décrite comme le passage progres-sif d’un projet éducatif et critique à un projet scientifique original » (Hatchuel, 2000, p. 7). En 1979 est créée l’Association Française de Finance (AFFI), qui se veut un « groupe-ment de professionnels de la recherche, de l’enseignement et de la pratique d’activités financières »2 ; la même année se crée l’AFC (L’Association Française de Comptabilité).

Après des débats sur la possibilité et l’oppor-tunité pour les chercheurs en marketing de trouver une place dans l’ADETEM, et une première tentative avortée de lancer une as-sociation scientifique, l’AFM est finalement créée en 1984. Le premier congrès de l’AFM se tient cette même année au Touquet : il pro-longe et remplace le séminaire « Méthodolo-gie de la Recherche » qui s’est tenu de 1980 à 1983 à l’université de Lille. Bernard Pras est le premier président de l’AFM. Il confie cha-cune des différentes missions de l’association à un binôme composé d’un universitaire et d’un professeur d’école de management ; le mot d’ordre est l’harmonie entre les diffé-rentes composantes de l’enseignement et de la recherche en marketing.

Très rapidement, les différentes associations savantes perçoivent la nécessité de promou-voir la recherche dans leur discipline au travers d’une revue francophone. Dans le champ du marketing, la revue scientifique qui deviendra Recherche et Applications Marketing est lancée dès 1986. Le premier rédacteur en chef en est Pierre-Louis Dubois (université de Montpellier), qui avait travaillé en binôme avec Gilles Laurent (HEC) à la réflexion sur les « publications » au sein du bureau de l’AFM.

La période est à la structuration de la recherche autour de thèmes liés aux différentes politiques du marketing et aux questions de méthodes de

2/ www.affi.com.fr/133-presentation.htm, accès le 28/08/2012.

Page 49: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 49

pour répondre à une demande forte de ses membres de disposer d’une publication de recherche orientée vers la prise de décision en marketing. Il s’agit de répondre plus explicite-ment aux attentes des entreprises françaises, ce qui jusqu’aux années 90 était peu le cas (Royer et Gollety, 1999). Le premier rédac-teur en chef est Francis Salerno, avec le sup-port de Christophe Benavent, Bernard Pras et Richard Ladwein (encadré 2). Par ailleurs, les « journées thématiques » de l’AFM, desti-nées à des communautés dont l’objet est plus ciblé, se mettent en place à partir de 2001. En 2001 est ainsi organisée la 1re « journée de la vente », suivie par la 1re journée du e-marke-ting en 2002, puis la 1re journée du marketing agro-alimentaire en 2005.

Les années (2000) : mondialisation et concurrence entre établissements

Deux phénomènes semblent caractériser la recherche en gestion dans la dernière décen-nie :

d’attirer les meilleurs candidats et de nouer des alliances avec des établissements étran-gers prestigieux. En 1996, l’ESSEC obtient son accréditation par l’association améri-caine AACSB, la première en France. En France, l’association européenne – EFMD – collabore avec les chambres de commerce de Paris et de Lyon pour construire son propre modèle d’accréditation EQUIS ; HEC re-çoit le premier label européen en 1997. Les publications scientifiques faisant partie des critères des accréditations, le diplôme de docteur va progressivement devenir la norme pour le recrutement d’enseignants dans l’en-semble des écoles de management françaises. Les pouvoirs publics attendront 2003 pour répondre au besoin d’évaluation externe des formations à la gestion avec la création de la « Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion » – CEFDG – .

Dans le champ du marketing, la revue Déci-sions Marketing est créée par l’AFM en 1993,

Encadré 2 : Le rôle structurant de Décisions Marketing dans l’orientation de la recherche vers la prise de décision (1993-2012)

La revue Décisions Marketing lancée en 1993 a marqué un tournant et souligne l’intention de l’AFM de renforcer le lien de la recherche avec les entreprises et les enjeux de société avec pour principale mission « de proposer des articles tournés vers la prise de décision en marketing » (éditorial de Francis Salerno 1er rédacteur en chef de Décisions Marketing, 1993, p.7).Ainsi, « le premier numéro [numéro 0 qui doit] donne[r] une image aux lecteurs et futurs auteurs de la politique rédactionnelle suivie » (ibid) fait la part belle aux pratiques d’entreprises, analysées dans quatre des neuf articles de ce numéro (e.g. Pras, Assens, 1993 ; Des Garets et al., 1993). A partir de 2000, la revue Décisions Marketing développe une politique de numéros spéciaux sur des sujets préfigurant des thématiques structurantes pour une recherche en prise avec les questions de société qui, comme nous le verrons en partie 2, sont en phase avec les sujets d’intérêt majeurs pour les institutions. Ainsi sont successivement abordées :

– des questions liées aux évolutions socio culturelles : « Marketing et Genre » en 2000, « Extension du domaine de l’expérience » en 2002 ou « Marketing tribal » en 2008 ;

– les transformations du macro environnement en prise avec les questions de mondialisation : « Stra-tégie et temps » en 2001 évoquant la pression du temps et, en 2006, « International, principaux enjeux et omniprésence de la culture » ;

– une approche réflexive sur des concepts et des dispositifs classiques ; « Segmentation » en 2003 ou « Performance Marketing » en 2005 ;

– les questions d’innovation introduisant l’approche participative du client en 2007 ; – les problématiques de « pouvoir d’achat » en 2009 ; – et en 2010, l’étude du lien avec la culture et les arts.

En 2012, les rédacteurs en chef de Décisions Marketing confirment le positionnement d’une « revue scientifique orientée vers la prise de décision en marketing » (Vernette et Tissier Desbordes, 2012, p. 9).

Page 50: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

50 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

publications dans cinq langues européennes. La revue PCC (Perspectives Culturelles de la Consommation), lancée la même année, se veut « la revue de référence en langue française sur la consommation » et propose d’aborder les problèmes de la consomma-tion « sous l’angle des paradigmes construc-tivistes, interprétatifs, critiques ou post-posi-tivistes » (Cova et Filser, 2011).

Aujourd’hui, dans un contexte de concur-rence mondiale des universités, le paysage de la recherche se transforme. Les stratégies de recherche se cristallisent autour de thèmes portés par les institutions : entreprises, mais aussi laboratoires de recherche, collectivités, Etat, …

En conclusion de cet historique, nous pou-vons constater combien les thèmes des pu-blications sont encastrés dans les jeux des acteurs influents de la recherche à un instant donné. Dubois, Darmon et Derbaix (1986) ainsi que Royer et Gollety (1999) mettent en exergue le phénomène d’isomorphisme institutionnel dans la recherche. Dans cette même perspective, Soulez et Guillot-Soulez proposent en 2006 un état des lieux de la re-

• le premier phénomène réside dans le constat fait par les chercheurs que la re-cherche a pris une place déterminante dans leur destinée individuelle. Cette préémi-nence perçue de la recherche vis-à-vis de l’enseignement pousse à une production accrue et à une « fragmentation (…) en sous-champs de recherche étanches » ; par ailleurs l’objectif de publication prime sur l’approfondissement des idées (Courpasson et Guedri, 2007) ;

• malgré cette reconnaissance de l’impor-tance de la recherche par les chercheurs en gestion, le problème de reconnaissance de la recherche en gestion, dans l’univers aca-démique, comme dans la société persiste (Laufer, 2007). Des efforts importants sont faits par les associations disciplinaires et la FNEGE pour valoriser la recherche en gestion, entre autres dans le classement national des revues (classements CNRS et FNEGE).

Dans le champ du marketing, deux nouvelles revues scientifiques voient le jour en 2011. Le Journal of Marketing Trends est lancé pour encourager une recherche « cross dis-ciplinaire et multi culturelle » et permet des

Tableau 1 : Evolution des thématiques au fil des périodes de structuration de la recherche en marketing*

Périodes Thèmes importants Thèmes émergents

1986-1991Autonomisation de la discipline organisation de la recherche

Comportement du consommateurétudes ; approche explicative

Marque ; engagement ; relation-nel

1992-1998Développement des relations avec les entreprises, recherche orientée vers la prise de décision, souci de répondre aux attentes des entreprises

Marketing opérationnel ; mar-keting stratégique ; innovation ; promotion

Durable ; réseau ; vendeur ; confiance ; expériences

1999-2005Exacerbation de la compétition internationale en recherche, mon-tée en puissance d’une recherche en prise avec les questions de société

Marketing de la valeur ; marke-ting des services ; comportement du consommateur ; marketing relationnel

Neurosciences et marketing ; marketing multi-canal ; capital de marque

*Tableau adapté de l’étude de Soulez et Guillot-Soulez (2006)

Page 51: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 51

Dans la suite de cet article, nous proposons

d’étudier ce que les institutions actuelles de

la recherche produisent et stimulent comme

thématiques d’avenir pour le marketing avec

une double approche méthodologique (enca-

dré 3).

cherche en marketing ; sur la base de l’étude des articles publiés dans RAM entre 1986 et 2006, ils dressent un panorama de l’évolution des thématiques de recherche soulignant trois périodes structurantes que nous pouvons re-lier à celles qui ont été évoquées ci-dessus (tableau 1).

Encadré 3 : Une double approche méthodologique : étude documentaire et entretiens

Afin d’identifier les sujets structurants de la recherche en marketing pour les 5 années à venir, deux phases de collecte et d’analyse de données ont été conduites. Une étude documentaire a été menée et enrichie de façon concomitante par la réalisation d’une série d’entretiens auprès d’acteurs de la recherche en marketing reconnus par la communauté scientifique française.

Phase 1 : Etude documentaireDans un premier temps, l’ensemble des sujets prescrits par les institutions qui soutiennent la recherche et qui en définissent la politique au niveau national a été recensé sur la période 2010-2012. Dans un second temps, ce recensement a été complété par le recueil des sujets mis en avant dans les numéros spéciaux ou dans les éditoriaux des principales revues en marketing, et dans les colloques de recherche en marketing à un niveau national, européen, ainsi qu’aux Etats-Unis. Les études sur les priorités de recherche des entreprises ont également été prises en compte. L’identification complète des documents analysés est fournie dans la figure, ci-dessous.Dans un troisième temps, une analyse de contenu thématique de ce matériau a été réalisée afin de faire émerger des thèmes encastrant enjeux de société et recherche en marketing. Les thèmes d’intérêts majeurs prescrits par les institutions (Etat, collectivités, entreprises) se traduisent dans la recherche en marketing sous forme de thèmes, soit traditionnels, soit plutôt émergents. L’analyse des données a été réalisée de manière individuelle, les cas de divergences étant discutés et résolus collectivement.

Phase 2 : Etude qualitative L’étude documentaire a été complétée par une étude qualitative interprétative afin d’identifier, auprès de chercheurs en marketing les sujets sensibles à horizon de cinq ans, et pouvant porter à controverse au sein de la communauté française en marketing. Plus précisément, le groupe d’informateurs se compose de chercheurs reconnus par leurs pairs. Diffé-rentes générations sont représentées, tout comme le sont des origines différentes en termes de natio-nalité, de cursus de formation à la recherche (français, européen ou américain). L’annexe 1 détaille le profil des chercheurs interviewés. L’annexe 2 met en évidence le type de responsabilités (actuelles ou passées) exercées par nos informateurs. Au total, 16 informateurs se sont prêtés à des entretiens d’une durée de 30 min à 1h15 entre février et mai 2012.

Page 52: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

52 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

(au travers des appels à projets), entreprises (études MSI ou IBM) et associations scien-tifiques (numéros spéciaux des revues, jour-nées thématiques de l’AFM, etc.).

Les résultats de cette analyse suggèrent que les thèmes émergents en marketing s’in-tègrent à huit enjeux majeurs pour les ins-titutions et la société civile : la santé et le bien-être, la gestion de l’environnement, le vieillissement de la population, mais aussi l’ouverture internationale et l’appréhension des mutations sociétales qu’engendrent les innovations technologiques, la gestion des « big data » et l’impact des nouvelles mé-thodes telles les neurosciences, ou encore la

Perspectives de la recherche en marketing

Thèmes d’intérêt majeur pour les acteurs institutionnels et thématiques émergentes en marketing

Différentes sources permettent de propo-ser une vision des perspectives ouvertes à la recherche en marketing : étude auprès d’entreprises influentes, analyse des numé-ros spéciaux de revues scientifiques, analyse des appels à projets soutenus par des finance-ments publics, etc. Les visions dont nous ren-dons compte, ci-dessous, regroupent celles des différents acteurs : pouvoirs publics

Ces entretiens ont fait l’objet soit de retranscriptions intégrales, soit de compte-rendu exhaustifs validés par les interviewés. De plus, afin de compléter ce matériau, les trois auteurs ont procédé eux-mêmes à leur introspection (Holbrook, 1995). Les entretiens ont été guidés par une structure générale plus que par une liste définie et exhaustive de sujets a priori (Thompson, Locander et Pollio, 1989). La tâche de l’interviewer a donc consisté à proposer des relances permettant de construire un dialogue ressemblant parfaitement à une conversation naturaliste sur la base, dans notre cas, des axes de recherche émergents de l’étude documentaire. Trois questions principales ont structuré les entretiens : 1/ Selon vous, quels sont les thèmes sociétaux, économiques importants qui vont impacter la recherche en marketing dans les cinq années à venir ? 2/ Et plus particulièrement, dans votre domaine, quels sont les sujets qui feront la recherche en marke-ting dans les cinq années à venir ?3/ Quel(s) est (sont) le(s) rôle(s) de la recherche et du chercheur en marketing ?Les deux premières questions avaient pour objectif de comprendre les thématiques de recherche en marketing qui font sens pour la communauté. Concernant la troisième question, il est apparu pertinent, de mettre en perspective ces représentations à la lumière des rôle(s) attribués aux chercheurs en marke-ting et plus largement de la question des conceptions de la recherche en marketing. Notons que ce guide d’entretien a été soumis à l’ensemble des membres de la communauté via afmNET en avril 2012 dans l’objectif de diversifier les discours. Le très faible nombre de retours n’a pas permis d’exploiter ce matériau. Nous avons donc opté pour une méthodologie qualitative, avec 16 entretiens auprès de chercheurs reconnus dans la communauté, et de profils divers. Ils sont destinés à éclairer et compléter, par le regard de chercheurs, les champs de recherche émergents dans les sujets de réflexion portés par les institutions et la société civile. Les résultats de l’analyse de contenu ne prétendent pas donc à l’exhaustivité des points de vue des chercheurs. Ils ne sont par ailleurs pas généralisables au sens statistique du terme. Ils doivent être appréciés comme des tendances fortes de la recherche en marketing.Lors de l’analyse et de l’interprétation des entretiens, les principes interprétatifs (Thompson, Locander et Pollio, 1989) ont été mis en œuvre, et en particulier : analyse subjective des données, mise entre parenthèse des théories (« bracketing »), recherche inductive de thèmes globaux. La lecture flottante d’une partie du corpus (Allard-Poesi, 2003) a ainsi permis de constituer une liste de thèmes discutée lors d’une séance de travail commune. Celle-ci a donné lieu au renseignement d’une grille de codage (« macro » transformations, thèmes d’intérêt majeur en marketing, finalités de la recherche en marke-ting) qui permet d’apprécier les perceptions des principaux enjeux de la recherche en marketing pour les prochaines années. Afin de préserver le plus possible l’anonymat des chercheurs, un numéro a été attribué à chaque répondant de façon aléatoire ; cette référence est utilisée pour identifier la source des verbatim cités dans les résultats.

Page 53: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 53

affirmation plus forte de la robustesse de ses fondements théoriques.

Une recherche orientée par un ensemble de « macro » transformations

Les chercheurs en marketing interrogés iden-tifient un certain nombre de bouleversements technologiques, économiques, sociétaux, à l’origine de questions de recherche qui pour-raient, selon eux, animer demain la commu-nauté.

Le caractère incontournable des technologies de l’information et de la communication (TIC’s)

Ce phénomène, à l’œuvre depuis un cer-tain nombre d’années, va ainsi s’intensifier entraînant avec lui, la nécessité d’approfon-dir la compréhension de nouveaux modes de consommation ainsi que de nouveaux modes d’interaction entre les consommateurs et les marques d’une part, entre les consommateurs eux-mêmes d’autre part : « les TIC ont des impacts sur les processus de décision des acheteurs, sur la nature de la collecte d’in-formation dans le processus ; cela concerne le phénomène de viralité des groupes […]on ne peut plus penser les 4P de manière traditionnelle » [13]. Une meilleure com-préhension des processus de décision d’achat des consommateurs qui naviguent désormais d’un canal à l’autre pour dialoguer avec les entreprises est également requise dans ce contexte.

Une deuxième conséquence importante de ce phénomène est le déferlement des données. De nouvelles façons de les collecter, de les traiter, de les exploiter doivent être pensées. Ce déferlement pose également la question de la modification des rapports de pouvoir entre les départements S.I. et les directions marketing : il faut « Analyser les raisons qui conduisent aujourd’hui des entreprises à transférer des responsabilités relatives à l’analyse de données aux systèmes d’infor-mation » [17].

crise et la réflexion sur les modèles de gou-vernance.

Au sein de chacun de ces sujets de réflexion pour la société, le marketing a déjà développé un certain nombre de thèmes de recherche, alors que de nouveaux thèmes émergent de-puis quelques années. Le tableau 2 récapitule, pour chacune des thématiques sociétales, les principaux champs de recherche déjà déve-loppés en marketing, ainsi que les thèmes qui ont émergé plus récemment.

Au-delà des sujets de réflexion sociétaux bien établis, de nouveaux thèmes émergent de notre analyse documentaire. Il s’agit de :

• thématiques proches des préoccupations des entreprises : « production de services », « gestion durable des éco-systèmes » ;

• réflexions sur des thèmes sociétaux comme « ville et santé », « crise et inégalités », « rôle de la société civile et open gouverne-ment » ou encore « problématiques clima-tiques et gestion des risques », ou « infor-mations consuméristes ».

L’étude documentaire a permis d’identifier les huit thèmes d’intérêt majeurs portés par les institutions, et huit thèmes en émergence. Que disent les chercheurs en marketing in-terrogés par rapport à ces axes d’investiga-tion? Comment pensent-ils que la recherche en marketing peut s’en emparer ? Et si oui, de quelle façon ? Leurs questionnements vis-à-vis de la recherche sont tout d’abord liés à un certain nombre de bouleversements tech-nologiques, économiques, sociétaux qui les interpellent. De plus, le discours de ces cher-cheurs indique que la recherche en marketing n’est pas déconnectée des préoccupations des institutions et de la société civile. Selon les chercheurs, la recherche en marketing doit cependant faire face à un certain nombre de défis pour être reconnue sur un plan in-ternational et être en mesure de peser dans les débats publics : en particulier, procéder au renouvellement de ses méthodes et à une

Page 54: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

54 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Tableau 2 : Encastrement des champs de recherche en marketing dans les sujets de réflexion portés par les institutions et la société civile

Thèmes d’intérêt majeur Traduction dans la recherche en marketing

Thèmes de recherche traditionnels Thèmes émergents

Santé et bien-être Marketing de la santéBien-être du consommateurGestion des risques alimentaires et sanitaires

Comportements à risque des usagersIndicateurs de bien-êtreConsommateurs vulnérablesTransformative Consumer research

Gestion de l’environnement (Développement Durable)

Information et communications sur le développement durableValeur des produits / marques

Transformer les comportementsInnovation et éco-conceptionTransformer la chaîne de valeur sous contrainteRepenser le marketing / marketing durable

Vieillissement de la Population

Comportement des seniorsAge et générationPolitique marketing pour les seniors

DépendancePolitiques publiquesRapport des seniors aux TICOffres et innovations pour les seniors

Ouverture internationale Cross cultureMarchés émergents

Transferts d’innovationCommerce équitableApproche contextualisée de la consommation

TIC et mutations sociétales E-marketing, e-commercecommunautésnouveaux comportements

Nouvelles approches et nouveaux supports de communicationInnovations socio-techniquesInteractions dans les réseauxCulture numériqueNouveaux modèles d’affaires

Gestion des « big data » Exploiter les nouvelles sources de donnéesApproches culturelles de la consommationEthique des études et de la recherche

NetnographieAnalyse des réseaux, interactions socialesApproches historiques, archéolo-gie de la consommationProtection des données indivi-duelles sur Internet

Neurosciences Neuro-marketingFormation des attitudes / compor-tementsExpériences de consommation

Transformation des modèles de CCNouveaux services / expériencesImageries mentalesPhysiochimie et décisions – rôles des émotions

Crise et modèle de gouvernance Consommateur, résistance, res-ponsabilité du consommateurResponsabilité du marketingNouvelles offres/ valeurRôle des réseaux sociaux/ pouvoir des consommateurs

Déviance dans la relation client, Approches critiques, le client au travailCo-construction des marchésCircuits courtsGouvernance du consommateur

Page 55: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 55

plicité volontaire qui, au-delà de la quête d’un marketing efficace, appelle à en revisiter les fondements et la raison d’être : « La dimen-sion écologique n’est pas suffisamment prise en compte et c’est trop peu pensé en marke-ting alors que c’est un gros problème.» [15].

Des modes de consommation ébranlés par la concurrence des pays émergents et le post-modernisme

Les effets de la mondialisation et le réveil des pays émergents menacent la compétitivité des pays européens et questionnent la notion d’innovation : « dans un monde plus en plus complexe, l’analyse des types d’innovations pour les pays émergents, de la concurrence des pays émergents dans le domaine de l’in-novation, devient nécessaire » [6].

D’autres chercheurs insistent sur les évolu-tions des sociétés occidentales. La fin du ma-térialisme (« l’arrivée à maturité voire satu-ration de la société de consommation et les questions posées sur la notion de bonheur en lien avec le matérialisme, que veut dire le bonheur », [13]), ainsi que le triomphe d’une société postmoderniste («le postmodernisme a démontré que les catégories marketing sont absolument dépassées, il y a une explo-sion des frontières[…] la consommation a changé plus vite que le marketer qui cherche à remettre dans des cases les groupes, le marketing est en décalage avec la société » [10]) invitent à repenser le rôle de la consom-mation dans la construction de l’identité d’individus aux multiples facettes, qui ne se réduisent pas aux catégories marketing dans lesquelles on veut les enfermer, tandis qu’une méfiance généralisée à l’égard de la pratique du marketing devrait « retenir l’attention de la communauté marketing afin d’éviter une marginalisation de cette discipline » [17].

Cartographie des thématiques d’intérêt majeur : points de vue des chercheurs

Ces « macro » transformations et les phéno-mènes associés posent les bases du contexte

L’intensification du déploiement des TICs va enfin de pair, dans l’esprit de certains cher-cheurs, avec l’idée d’un rééquilibrage des pouvoirs d’une part, dans la relation entre un consommateur toujours plus informé et d’autre part, par la prise en compte des en-jeux sociétaux, dans la mesure où les tech-nologies peuvent exclure du champ de la consommation ceux qui ne les maîtrisent pas : « Pour le colloque TCR, je vais rajouter une session « Technology and social market place », parce que je pense que la technolo-gie est aussi devenue quelque chose de très discriminant dans la société ». [8].

Un contexte de restriction des ressources de plus en plus prégnant

Un autre élément de contexte qui retient l’at-tention des chercheurs est le phénomène de restriction des ressources et des moyens finan-ciers, manifestation de la crise internationale, qui affecte tant les entreprises (« la période que nous vivons est celle d’une transforma-tion profonde des sociétés industrielles, les moyens deviennent limités, les ressources ont un horizon limité et les technologies boule-versent les modèles », [11]) que les consom-mateurs (« il y a la crise, comme en Grèce, cela crée de l’incertitude, il y eu très peu de travaux sur les comportements en situation de crise comme les chômeurs […] sur les consommateurs qui vont changer brutale-ment de niveau de vie, que va-t-ils se passer avec la baisse du pouvoir d’achat ? » [13]). Cette restriction des ressources conduit à la prise de conscience croissante de l’existence de consommateurs vulnérables. En phase de précarité, ils inventent chaque jour de nou-velles stratégies de survie dans un monde où il est difficile de s’extraire complètement de l’idéologie de la consommation et invitent ain-si les entreprises à innover dans les services.

La restriction des ressources se mesure éga-lement en termes écologiques. Un ensemble de chercheurs évoque ainsi la nécessité de s’intéresser aux comportements de consom-mation s’inscrivant dans une logique de sim-

Page 56: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

56 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

troisième axe fort sur lequel les chercheurs en marketing ont toute légitimité pour produire des connaissances. Sur ce sujet, cependant, nombreux sont les chercheurs qui encou-ragent la communauté à choisir des angles d’observation et d’analyse critiques visant à dénaturaliser les discours sur la co-création : « Je ne suis pas à l’aise avec les visions de co-créations qui sont habillées » [16]; « le phénomène de co-conception co-création est central même s’il faut faire attention à la tarte à la crème de cette mode du « co » [13]. La co-création est-elle vraiment possible ? Est-ce une énième mode managériale ou bien un nouveau mode de relation client plus équi-librée à visée émancipatrice pour le client ? Le consommateur a-t-il véritablement pris le pouvoir ou bien a-t-il été mis au travail ? « Cette idée de travail est encore floue, on a besoin de le caractériser pour ce qui est du consommateur, les raisons qui le poussent à participer aux activités de services » [9]. Est-ce consenti ou subi ? La véritable co-création ne se manifeste-t-elle pas plutôt dans les phénomènes de consommation collaborative qui font parfois ombrage à la suprématie des entreprises (et du marketing) en matière de création de valeur ?

Evolution de la fonction marketing et de son rôle dans les organisations

L’étude de l’organisation des départements marketing, des nouveaux métiers et pratiques du marketing dans un contexte de restriction des ressources mais aussi de diffusion des TIC est perçue comme une quatrième thé-matique de recherche particulièrement por-teuse. Il s’agit de rendre compte de ce qu’est le marketing au-delà de la fonction marketing et de faire évoluer aussi les concepts et théo-ries fondatrices. Comment se positionne au-jourd’hui le marketing dans l’entreprise face à la stratégie (« On a laissé filer les questions propres au marketing à la stratégie. On a perdu les thèmes liés à la stratégie, la poli-tique produit, l’innovation, les services. Or, il y a une révision stratégique de la profes-

dans lequel se déploient les questionnements de recherche actuels et émergents qui sont regroupés, ci-dessous autour de six théma-tiques majeures.

Les comportements de consommation à l’ère numérique

Si la compréhension des usages numériques des consommateurs mérite d’être approfon-die, c’est surtout la façon dont l’ensemble des dispositifs technologiques modifie le rap-port des consommateurs à certains objets de consommation et la structure de l’offre voire la technologie elle-même qui devient la ques-tion centrale : « un sujet fondamental pour moi concerne les artefacts, les dispositifs matériels ou technologiques de la consom-mation et la façon dont ils transforment les consommateurs et la consommation » [9].

Nouvelles méthodes de traitement des données collectées via les réseaux sociaux

Du côté des réseaux sociaux, la direction à prendre serait d’intensifier les travaux sur les usages des réseaux sociaux et plus particuliè-rement de se pencher sur les transferts d’infor-mations entre consommateurs. L’innovation dans les méthodes de traitement et d’analyse des données collectées via les réseaux sociaux (en référence au constat partagé des « Big Data ») est ainsi considérée au regard de nos entretiens comme l’apanage des chercheurs en marketing et permettrait d’apporter une véri-table valeur ajoutée aux entreprises : « le vo-lume de données marketing disponibles est en croissance très rapide : il y a un vrai défi pour les sociétés d’études confrontées au recueil et au traitement des nouvelles données, et donc la nécessité d’un renouveau des méthodes pour analyser les données » [6].

Approche critique des stratégies de co-création de valeur

Dans la lignée de l’empowerment du consom-mateur permis par les TIC’s, la mise en œuvre des stratégies de co-création, de co-concep-tion et leurs enjeux est perçue comme un

Page 57: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 57

ce thème aux juristes. [..]. Il est nécessaire de développer des recherches sur les pra-tiques d’informations liées à la protection du consommateur » [16]. Enfin, le thème du comportement d’achat des minorités mérite-rait d’être développé.

Neuromarketing

L’apport et l’importation des neurosciences dans le domaine de la gestion en général et celui du marketing en particulier est enfin souligné par un certain nombre de cher-cheurs : « les études et analyses neuromédi-cales et neuronales, le neuroshopping consti-tuent pour moi des sujets particulièrement importants dans l’avenir » [3]. Jugé par cer-tains comme un sujet d’avenir impactant la recherche en marketing (« le développement de la science cognitive, entraîne notamment de nombreuses remises en question des ré-sultats de recherche sur les effets de la publi-cité subliminale, sur les méthodes d’étude comme les IRM » [13]), le neuromarketing suscite aussi craintes et interrogations : « par contre ce qui est clair, c’est qu’avec le neuro-marketing, le marketing va prendre un coup pour son image » [8].

Des thèmes en phase avec les institutions et la société civile

Le discours des chercheurs en marketing confirme donc les résultats de l’étude docu-mentaire : loin d’être déconnectée des problé-matiques qui animent institutions et société civile, la recherche en marketing investit des territoires en lien avec leurs préoccupations (tableau 3).

Nos informateurs traitent, s’apprêtent ou en-couragent la communauté à explorer des su-jets en lien avec cinq des huit thèmes d’intérêt majeur : « santé », « environnement », « crise et modèle de gouvernance », « Big Data », « TICs et mutations sociétales ». Beaucoup insistent cependant sur les défis qui devront être relevés dans les années à venir afin que la communauté marketing soit reconnue comme pleinement légitime sur ces questions.

sion » [5]), ou encore face aux directions des systèmes d’information ?

Consommateurs « en marge »

Trois sous-thématiques liées à l’idée de consommateurs « en marge » se distinguent ensuite dans les discours. Tout d’abord, le comportement d’achat des consommateurs « en marge » du fait d’un faible pouvoir d’achat est considéré comme un sujet d’inté-rêt majeur. Cette catégorie de consommateurs « vulnérables », ou en passe de le devenir dans un contexte de crise, est jugée délaissée par la recherche en marketing. Deux façons de s’emparer de ce sujet sont suggérées. La première consisterait à comprendre les com-portements d’achat des consommateurs vul-nérables en vue de développer de nouveaux services et de renouveler des approches mar-keting : « par exemple, ce que l’on est capable de faire en Inde on pourrait le transférer en France. Cela permettrait d’innover sur la compréhension des comportements d’achat à bas prix, sur les modèles logistiques à déve-lopper, les nouveaux services » [11].

La seconde vision consiste à mieux com-prendre le comportement d’achat de ces indi-vidus afin de les aider à mieux contrôler leur consommation ou aider les pouvoirs publics à réglementer ou agir en ce sens : « il y a des stratégies de survie que les consommateurs mettent en place et les services que les entre-prises peuvent développer à destination de ces populations, et puis en France ou l’ou-blie, il y a tout ce qui est marketing à desti-nation des politiques publiques, tout ce que peuvent mettre en place les services sociaux, l’Etat » [8].

A cette thématique, plus minoritaire, on peut y associer celle de la protection des consom-mateurs qui est selon certains chercheurs un sujet monopolisé à l’heure actuelle par les juristes : « la protection du consommateur (étiquetage, dépôts de garantie, par ex.) est un sujet qui n’est pas du tout abordé par les chercheurs en marketing qui laissent

Page 58: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

58 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ploité parfois que de façon superficielle : « Il y a un enjeu fort pour le marketing, c’est de repenser d’anciennes théories dans un nou-vel environnement en repartant des textes fondateurs qui ont ensuite donné lieu à des présentations « réduites » dans le camp de la gestion, par exemple, la théorie des leaders d’opinion à revoir au regard des travaux de Katz et Lazarfeld » [1].

La recherche en marketing devrait s’intéres-ser non pas tant à l’acheteur qu’aux différents rôles endossés par l’individu, tour à tour ci-toyen ou consommateur, décideur dans une sphère privée ou professionnelle ; ces diffé-rents rôles ont en effet des conséquences sur son rapport à la consommation.

Formation des enseignants-chercheurs

L’impact de la recherche en marketing sur les sujets évoqués mais plus généralement au sein de la communauté scientifique et dans les débats publics passe également par une évo-lution de la formation doctorale et de la struc-

Défis pour la recherche

Renouvellement des théories et des méthodes

Le premier enjeu identifié est la revalorisa-tion de la théorie voire le renouvellement des cadres théoriques (« l’apprentissage c’est bien mais la théorie doit être revalorisée comme moyen de questionner la pratique et de créer un dialogue avec les techniques » [10]) et des méthodes d’investigation du com-portement du consommateur. Le marketing est un « carrefour disciplinaire » [12], elle est une discipline de la « transformation des connaissances en action » [2]. La recherche en marketing devrait ainsi s’attacher à inté-grer les apports d’autres disciplines (socio-logie, psychologie, linguistique, sémiotique, philosophie, mais aussi statistique/écono-métrie, mathématiques ou neurosciences…) pour comprendre ce qu’est la consommation au-delà de l’acte d’achat et revenir aux textes fondateurs des théories et disciplines sur les-quelles elle s’est construite et qu’elle n’a ex-

Tableau 3 : Regards de chercheurs sur les enjeux majeurs pour les institutions et la société civile

Thèmes d’intérêt majeurThèmes de recherche importants et émergents pour les chercheurs

en marketing

Santé et bien-être Le comportement d’achat des consommateurs « en marge » (comportement de consommation des minorités et des consommateurs vulnérables)Informations consuméristes

Gestion de l’environnement Sujet insuffisamment traité

Vieillissement de la popu-lation

Sujet insuffisamment traité

Ouverture internationale L’innovation à l’heure de la croissance des pays émergents – évoqué à la marge

TIC et mutations sociétales Les comportements de consommation à l’ère numérique

Gestion des « big data » Nouvelles méthodes de traitement des données collectées via les réseaux sociaux

Neurosciences Thème de la contribution respective des processus conscients et inconscients dans la prise de décisionNeuroshoppingApproches critiques du neuromarketing

Crise et modèle de gouver-nance

Approche critique des stratégies de co-création de valeurL’évolution de la fonction marketing et de son rôle au sein de l’organisation

Page 59: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 59

et de la formation doctorale (363 thèses en gestion en 2011) » [2].

Enfin, ces résultats appellent à une remarque. Les thématiques qui arrivent en tête dans les discours recueillis (« Big Data » et « TICs et mutations sociétales ») suggèrent que les chercheurs en marketing ont le projet de pro-duire des connaissances contribuant essen-tiellement aux problématiques importantes pour les entreprises, délaissant par là-même les autres parties prenantes. Pourtant, les thé-matiques plus sociétales (approches critiques de la co-création de valeur, comportement des consommateurs « en marge ») ou encore organisationnelles (place et raison d’être de la fonction marketing dans les organisations) sont vues comme autant de possibilités de produire des résultats destinés à des parties prenantes variées (consommateurs, associa-tions professionnelles ou pouvoirs publics).

En conclusion, on peut se demander si cette cartographie n’est pas le reflet d’un question-nement sur le rôle du chercheur en marke-ting, un sujet récurrent dans les sciences de gestion et au sein du marketing (e.g. Royer et Gollety, 1999).

Conclusion : fragmentation des conceptions et des postures des chercheurs en marketing, vers des apports complémentaires

Malgré les limites inhérentes à la constitution de notre groupe d’informateurs (cf. encadré méthodologique), les discours recueillis nous amènent à faire l’hypothèse d’une certaine hétérogénéité des conceptions et postures des chercheurs en marketing dans un contexte de mondialisation de la recherche. Pour cer-tains, le chercheur a vocation à produire des contributions empiriques sur des aspects opérationnels du marketing. Pour d’autres, le chercheur en marketing se doit avant tout de cultiver une posture réflexive, voire critique sur la place du marketing, sur ses fondements théoriques, éthiques : « la communauté de

turation de la recherche en gestion en France. En particulier, de nombreux chercheurs re-lèvent ses faiblesses : un temps de formation à la recherche trop court, une formation trop mono-disciplinaire, insuffisamment financée et visible sur un plan international. Pour pal-lier ces manques, un ensemble de solutions est ainsi envisagé :

• rallonger la durée de formation et favoriser la pluridisciplinarité grâce à une mutua-lisation inter-institutions : « on pourrait envisager des cours à temps plein pendant deux ans avec une formation méthodolo-gique solide, inciter les étudiants à aller suivre des cours dans d’autres disciplines, profiter de la pluridisciplinarité sur les campus universitaires avec les PRES de sorte à faire sortir la gestion de son isole-ment » [5] ;

• modifier le modèle économique de l’en-seignement supérieur pour trouver de nouveaux financements : « faire payer à un prix plus juste les études supérieures et ceux qui en particulier en ont les moyens avec de vraies bourses pour les plus dému-nis » et « financer la recherche avec les profits de la formation continue » [12] ;

• afficher des objectifs de publication ambi-tieux permettant de soutenir la comparai-son internationale : « intégrer les jeunes docteurs dans les réseaux de recherche de haut niveau » et « accentuer l’effort en identifiant des cibles de publication plus ambitieuses que celles qui sont mises en avant actuellement par les institutions françaises » [6] ;

• agir de façon générale pour « la reconnais-sance de la recherche en gestion qui de-vrait être à la mesure de l’apport de cette discipline dans la formation des jeunes diplômés (18%4 des étudiants en France)

4/ Source : enquête FNEGE : http://www.fnege.net /Publications_Evaluation/ENQUETES_et_PUBLICATIONS/ETUDES_RAPPORTS_ET_ENQUETES/128-FR-Etude_2011_Accreditations_certifications_classements

Page 60: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

60 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

intéresser également les pouvoirs publics et le consommateur lui-même et, de ce fait, s’inscrire dans une démarche de recherche en marketing plus durable. Parce que le chercheur en marketing a une connaissance approfondie des technologies du marketing, il est à même de contribuer à une meilleure compréhension de leurs effets sur la transfor-mation des marchés et sur la société : « ce qui me semble essentiel c’est l’étude des mé-thodes marketing des entreprises au regard des transformations sociales qu’elles en-traînent ou non », [18]. Cette posture lui per-met ainsi d’assurer un rôle de « vigie ancrée dans la pratique» [4] auprès des entreprises, des consommateurs et des pouvoirs publics. La recherche en marketing doit également aider le consommateur dans son processus de décision d’achat : « satisfaire le consom-mateur ne consiste pas à lui fournir 3kg de docs pour lui dire ce qu’il faut faire » [12], lui donner les moyens d’enrichir sa méta-cognition du marché, et de faire ses choix en toute connaissance de cause. Ce faisant, la recherche en marketing doit se donner comme objectif non pas tant le perfectionne-ment des modèles de persuasion mais la com-préhension des attentes du client, l’identifica-tion des façons les plus innovantes de créer de la valeur pour le consommateur et d’être en relation avec lui.

En écho à l’état des controverses philoso-phiques et méthodologiques en marketing réalisé par Bergadàa et Nyeck (1992), cer-tains chercheurs interrogés observent ainsi un tournant « neurosciences » qui menacerait les approches plus culturelles de la consom-mation, du fait notamment d’un intérêt très marqué du côté des entreprises : « on est au bout du tournant postmoderne cepen-dant, un certain nombre de recherches com-mencent à avoir le vent en poupe et fascinent les entreprises, même si cette nouvelle étape ne me plaît pas forcément » [9]. D’autres considèrent « qu’il vaut mieux privilégier la pensée, sortir du quanti, avoir des visions transversales, s’intéresser aux gens », [7] ;

recherche en marketing devrait être plus audible sur des questions comme les abus du marketing téléphonique, du faux marke-ting relationnel, sur la fausse interactivité », [12]. Il ne s’agit « pas de suivre ce que font les firmes, … pas de mesurer, de regarder ce qui est bien ou mal. Le chercheur doit avoir un rôle plus politique d’engagement, doit porter une vision de l’action marketing dont on comprend les effets sur la société », [16].

Une majorité envisage le chercheur en marke-ting comme un « passeur » qui doit réfléchir aux façons les plus adaptées de diffuser et de communiquer ses résultats : « le chercheur doit répondre aux attentes des institutions, publier et diffuser. Il a une responsabilité dans la transmission que ce soit aux entre-prises pour l’opérationnel et dans la société pour dessiner des perspectives d’évolution » [11]. L’enseignement est d’ailleurs pour cer-tains un canal privilégié de transmission des connaissances produites permettant d’assu-rer la transformation de ces connaissances en action : « le rôle du chercheur est aussi de proposer des connaissances diffusables pour irriguer les formations », [18] ; « c’est à nous de former les cadres de demain.» [8]. D’autres, au contraire, considèrent que ce n’est pas le rôle du chercheur de faire des recommandations aux parties prenantes concernées (entreprises, pouvoirs publics ou société civile). Si traduction il y a, elle doit être initiée par des intermédiaires compé-tents : « il manque un intermédiaire entre le chercheur et l’entreprise car nous devons contribuer par les publications. Mais il faut des intermédiaires de haut niveau qui par-viennent à transformer la recherche en re-cherche appliquée, mais ce n’est pas notre rôle » [15].

Pour une majorité, du fait de l’histoire de la discipline, le chercheur en marketing doit s’adresser aux entreprises avec pour fina-lité l’amélioration de sa performance. Parmi cette majorité, des voix s’élèvent cependant pour mentionner que leurs travaux peuvent

Page 61: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 61

Références

Akrich M., Callon M. et Latour B. (coord.) (2006), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines ParisTech, les Presses, « Sciences sociales ». Textes rassemblés par le Centre de sociologie de l’innovation, laboratoire de socio-logie de Mines ParisTech.

Allard-Poesi F. (2003), Coder les données, in Y. Giordano (coord.), Conduire un projet de re-cherche. Une perspective qualitative, EMS (Édi-tions Management & Société), 245-290.

Bergadaà M. et Nyeck S. (1992), Recherche en mar-keting : un état des controverses, Recherche et Applications en Marketing, 7, 3, 23-43.

Chessel M.-E. (1998), La publicité, Naissance d’une profession 1900-1940, CNRS Histoire.

Chessel A-E. et Pavis F. (2001), Le technocrate, le patron et le professeur, Paris, Belin, Histoire de l’Education.

Cochoy F. (1999), Une histoire du marketing : disci-pliner l’économie de marché, Édition La Décou-verte, Paris.

Courpasson D. et Guedri Z. (2007), Les professeurs-chercheurs en management, Revue Française de Gestion, 33, 178-179, N° spécial « L’éducation au management face aux défis du XXIe siècle », 173-194.

Cova B. et Filser M. (2011), Editorial, Perspectives culturelles de la consommation, 1, 1, 11-14.

David A., Hatchuel A. et Laufer R. (coord.) (2000), Les nouvelles fondations des sciences de gestion, Paris, Vuibert.

Denis J.-E. et Czellar S. (1997), Les nouvelles direc-tions de recherche en marketing : une étude com-parative France/ Etats-Unis – 1989-1994, Revue Française de Marketing, 162, 7-29.

Des Garets V., Dubois, P.-L. et A. Pacou (1993), Théories de la distribution et pratique de l’EDI chez Auchan, Décisions Marketing, 0, 87-92.

Djelic M.-L. (2004), L’arrivée du management en France : un retour historique sur les liens entre managérialisme et Etat, Politiques et manage-ment public, 22, 2, 1-17.

Dubois P.-L., Darmon, R. et Derbaix, (1992), La recherche en marketing dans les communau-tés francophones, Recherche et Applications en Marketing, 7, 1, 19-42.

Duyck J-Y. et Filser M. (2003), Cinq ans de colloque Etienne Thil : un indicateur de l’évolution des recherches françaises en distribution, La Revue des Sciences de Gestion, 6, 111-125.

« il faudrait analyser le marketing qui se fait au quotidien, sa pratique, ce serait bien de l’étudier non pas en virtuel par des variables interagissant mais en direct » [18]. D’autres parient au contraire sur une coexistence des paradigmes et des méthodologies : « après des années où la recherche en marketing s’est caractérisée par une dominante liée à la recherche de formalisation, pour légi-timer cette discipline, la recherche s’ouvre depuis quelques années à d’autres visions de la recherche », [2].

En conclusion, cet article met en évidence la structuration de la recherche en marketing depuis les années 1970. Au regard des tra-vaux publiés et des visions développées par les chercheurs, notre travail souligne l’encas-trement des champs de recherche en marke-ting dans les sujets de réflexion portés par les institutions et la société civile.

Si l’on note l’inscription persistante des tra-vaux de recherche en marketing dans les problématiques de l’entreprise, force est de constater en parallèle une évolution vers des thématiques intéressant les acteurs de la so-ciété civile que sont les consommateurs ou les pouvoirs publics ; la question de savoir si la tendance relevée auprès de nos informa-teurs constitue une tendance lourde reste en suspens.

Loin d’être antinomiques, les deux types de travaux peuvent se compléter pour évaluer l’impact des nouveaux phénomènes à la fois sur les entreprises et sur la société civile. Ainsi, alors que les praticiens du marketing sont confrontés au déferlement de données issues d’innombrables plateformes électro-niques, qui nécessite « un changement de pa-radigme dans la vision du consommateur et un accompagnement des évolutions de l’or-ganisation du marketing dans l’entreprise » [6], on pourrait imaginer que des équipes de recherche investiguent ce type de phéno-mène, en traitant à la fois le point de vue des organisations marchandes, et des possibilités nouvelles d’empowerment du consommateur.

Page 62: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

62 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Salerno F. (1993), Les choix éditoriaux de Décisions Marketing, Décisions Marketing, 0, 7-8.

Soulez S. et Guillot-Soulez C. (2006), Vingt ans de Recherche et Applications en Marketing, Recherche et Applications en Marketing, 21, 4, 5-24.

Thil, E. (1966, 2000), Les inventeurs du Commerce moderne, Jouwen Ed.

Thompson C.J., Locander W.B. et Pollio H. R. (1989), Putting consumer experience back into consumer research: the philosophy and method of existential phenomenology, Journal of Consu-mer Research, 16, 133-146.

Tissier-Desbordes E. et Vernette, E. (2012), Un posi-tionnement réaffirmé et des nouveautés pour 2013 !, Décisions Marketing, 67, Juillet-Sep-tembre, 9.

Volle P. (2011), Marketing : comprendre l’origine historique, in Collectif Editions d’Organisation (coord.), MBA Marketing, Editions d’ Organisa-tion, Eyrolles, 23-45.

Glossaire

AACSB : the Association to Advanced Collegiate Schools of Business

ACR : Association of Consumer Research

ADETEM : Association nationale des professionnels du marketing

AERES : Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur

AFM : Association Française du Marketing

AGRH : Association Francophone de la Gestion en Ressources Humaines

AIMS : Association International de Management Stratégique

AMR : Association of Marketing Research

ANR : Agence Nationale de la Recherche

ANRT : Agence Nationale de la Recherche et de la technologie

CESP : Centre d’Etude des Supports de la Publicité

CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique

DIM : Domaine d’Intérêt Majeur

EFMD: European Foundation for Management De-velopment

EIASM : European Institute for Advanced Studies in Management

EQUIS: European Quality Improvement System

ESOMAR : European Society for Opinion and Mar-keting Research

Garçon F. (2011), Enquête sur la formation des élites, Paris, Perrin.

Gemelli G. (1997), Les écoles de gestion en France et les fondations américaines (1930-1975). Un modèle d’appropriation créative et ses tournants historiques, Entreprises et histoire, cité in Djelic (2004).

Hatchuel A. (2000), Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action col-lective, in David A., Hatchuel A. et Laufer R. (coord.), Les nouvelles fondations des sciences de gestion, Vuibert, FNEGE, 7-43.

Holbrook M.B. (1995), Consumer research: intros-pective essays on the study of Consumption, Thousand Oaks (CA): Sage Publications.

Latour B. (1989), La science en action. Introduction à la sociologie des sciences, Paris, La Décou-verte.

Latour B. (2003), Il ne faut plus qu’une science soit ouverte ou fermée, Rue Descartes, 3, 41, 66-81.

Latour B. (1991), Nous n’avons jamais été modernes – essai d’anthropologie symétrique, La Décou-verte, Paris.

Laufer R. (2007), Chercheurs français en manage-ment et débat public, Revue Française de Ges-tion, 33, 178-179, N° spécial « L’éducation au management face aux défis du XXIe siècle », 211-218.

Martin M. (1992), Trois siècles de publicité en France, Editions Odile Jacob.

Meuleau M. (1988), L’introduction du marketing en France (1880 – 1973), Revue Française de Ges-tion, septembre-octobre, 58-71.

Pérez R. (2007), La gouvernance des disciplines de gestion en France, Revue Française de Gestion, 33, 178-179, N° spécial, L’éducation au mana-gement face aux défis du XXIe siècle, 265-274.

Pestre D. (1995), Pour une histoire sociale et cultu-relle des sciences. Nouvelles définitions, nou-veaux objets, nouvelles pratiques, Annales His-toire, Sciences sociales, 3, mai-juin, 487-522.

Pras B. et Assens, C. (1993), Les exportations paral-lèles en Europe : un entretien avec Louis-Claude Salomon, Procter & Gamble France, Décisions Marketing, 0, 47-50.

Pras B. (1999), Les paradoxes du marketing, Revue Française de Gestion, septembre-octobre, 99-111.

Royer I. et Gollety M. (1999), La recherche en mar-keting en France et les attentes des entreprises, in B. Pras (coord.), Faire de la recherche en marke-ting ?, Paris, Vuibert, 283-312.

Page 63: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 63

OJD : Office de Justification de la Diffusion

PICOM : Pôle de compétitivité des Industries du Commerce

PICRI : Partenariats Institutions Citoyens

PRES : Pôle de Recherche et d’Enseignement Supé-rieur

S.I. : Systèmes d’Information (département des)

FNEGE : Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises

IREP : Institut de Recherches et d’Etudes Publici-taires

MESR : Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

MSI : Marketing Science Institute

Annexe 1 : Profil des chercheurs-informateurs

Infor-mateurs

GénérationFormation

US vs FR vs EUR

Gestion ou champ connexe

Ecole/Université

OrientationMéthodolo-

giquePrincipale

Degré de proximité

avec l’envi-ronnement

économique*

[1] trentenaire FR Sociologie Université Quali Faible

[2] sexagénaire FR Gestion Université Quanti / Quali Fort

[3] émérite EUR Gestion Ecole Quali Faible

[4] quinquagénaire FR Economie Ecole Quanti Fort

[5] émérite US Gestion Ecole Quanti Fort

[6] quinquagénaire US Gestion Ecole Quanti Fort

[7] émérite FR Philosophie Université Quali Faible

[8] trentenaire FR Gestion Ecole/Université Quali Fort

[9] quinquagénaire FR Gestion Ecole Quali Fort

[10] quadragénaire EUR Gestion Ecole/Université Quali Fort

[11] sexagénaire US / FR Gestion Ecole/Université Quanti / Quali Faible

[12] émérite US Gestion Ecole/Université Quanti Fort

[13] quinquagénaire FR Gestion Ecole Quali Faible

[14] sexagénaire EUR Gestion Université Quanti Fort

[15] quadragénaire FR Gestion Université Quali Faible

[16] quinquagénaire FR Gestion Université Quali Faible

[17] quinquagénaire FR Gestion Ecole Quali Fort

[18] quadragénaire FR Gestion Université Quali/Quanti Fort

[19] trentenaire FR Gestion Université Quali Faible

Auteurs de l’article

* Le degré d’implication dans l’environnement économique est mesuré de façon imparfaite par l’activité de recherche partenariale et l’existence d’une chaire dont l’enseignant est titulaire (« Forte » implication) ou non (« faible » implication).

Page 64: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

64 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Annexe 2 : Types de responsabilités exercées dans la recherche en marketing

ResponsabilitésNombre d’informateurs

concernés

Associate Editor : revues majeures en marketing (France + Europe+ US) 3

Rédacteur en chef : revues majeures en marketing (France+Europe) 6

Doyen recherche Ecole 2

Titulaire de chaire 3

Co-fondateur de l’AFM 4

Direction d’Equipe, de Centre de Recherche 6

Page 65: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 65-85

Pour contacter les auteurs : [email protected] ; [email protected] ; [email protected] Les auteurs ont contribué de manière équivalente à cet article.

DOI : 10.7193/DM.072.65.85 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.65.85Cadenat S., de Lassus C. et Hussant-Zebian R. (2013), Managers et recherche en marketing : de nouvelles attentes dans un contexte de bouleversements technologiques et temporels, Décisions Marketing, 72, 65-85.

Résumé

Bien que le marketing fasse l’objet de nombreux débats, aucun travail récent n’a analysé le regard que portent les managers en France vis-à-vis de ce champ mais aussi vis-à-vis des chercheurs. Une recherche conduite auprès de 18 responsables marketing permet de mettre en lumière l’impact majeur de la technologie du numérique sur l’évolution des marchés et sur leur métier. Dans ce contexte, leurs attentes vont dans le sens d’une nécessaire redéfinition des modèles de consommation, de la relation client, des méthodes d’analyse et de réflexions de fond sur les sujets d’avenir. Ils appellent également à une collaboration renforcée avec le monde académique, sous la contrainte du temps et de la pertinence managériale. Mots-clés : recherche en marketing, managers, théorie et pratique, chercheurs, digital, temps, collaboration.

Abstract

Managers and research in marketing: new expectations in a context of technological changes and time pressure

Although marketing is subject to much debate, no study on how managers view this field and academic mar-keting research has been conducted recently. A research study of 18 marketing directors was carried out. The results highlight the major impact of digital technology on the evolution of markets and managers’ jobs. In this context, they emphasize the need to redefine consumption patterns, customer relationships, methods of analysis and research priorities in the future. They also look for closer cooperation with the academic world, subject to the constraints of time pressure and managerial relevance. Key words: marketing research, managers, theory and practice, researchers, digital, time, collaboration.

Remerciements

Les auteurs remercient vivement le rédacteur en chef, Bernard Pras, pour ses précieux conseils ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs qui ont contribué à améliorer très significativement la teneur de cet article. Ils remercient également chaleureusement les managers qui ont accepté de participer à l’étude, ainsi qu’Amina Bécheur, Madeleine Besson et Audrey Bonnemaizon, membres de l’IRG, qui les ont aidées à conduire ces entretiens.

Managers et recherche en marketing : de nouvelles attentes dans un contexte

de bouleversements technologiques et temporels

Sandrine Cadenat, Christel de Lassus, Rola Hussant-ZebianUniversité Paris Est, Institut de Recherche en Gestion

Page 66: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

66 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Depuis sa parution en 1993, Décisions Mar-keting a toujours cherché à répondre à son intention fondatrice : proposer, à partir de travaux de recherche, des réflexions, des informations et des méthodes utiles aux managers afin de les aider dans leurs proces-sus de prise de décisions (Benavent, Hetzel et Salerno, 1999). Si cette philosophie de la recherche est partagée par un grand nombre de chercheurs en gestion, il est étonnant de constater que très peu d’études ont question-né les managers sur leurs perceptions de la recherche en marketing en France et sur la façon dont ils s’emparent des résultats.

Il est toutefois acquis que, pour que les déci-deurs marketing puissent connaître et intégrer les réflexions académiques, il est essentiel de « s’attacher à l’analyse des problèmes émer-gents » (Bénavent, Hetzel et Salerno, 1999). Les bouleversements du marché (structurels, technologiques, relationnels) s’accélèrent et touchent de plein fouet l’organisation des ser-vices marketing et les missions qui leur sont désormais dévolues. Cet article montre dans

une première partie le rôle primordial, dans la perception des managers sur l’évolution de leur métier, de la digitalisation et de la pres-sion du temps. Il met également en évidence la nécessité de répondre aux nouvelles relations d’échange et la remise en cause de la légiti-mité du marketing. Cette quête de nouveaux modèles face aux Big Data et aux nouvelles contingences qui influencent la démarche marketing, et l’urgence de repenser outils et questions de recherche sont partagées par les communautés académiques dans leur iden-tification de sujets prioritaires en recherche. Dans une deuxième partie, l’article examine les attentes des managers par rapport aux chercheurs en marketing. Ceux-ci recon-naissent l’existence d’un décalage temporel et de propositions trop complexes à transpo-ser et sont en attente d’une réflexion de fond sur les sujets d’actualité et sur de nouveaux modèles et méthodes d’analyse. La troisième partie montre, au-delà de la recherche en mar-keting, comment les chercheurs répondent ou peuvent répondre à ces types d’attente, et de

Encadré 1 : Méthodologie de l’enquête

Notre étude exploratoire a porté sur 18 dirigeants, ayant des responsabilités managériales en marketing ou exerçant une activité de conseils dans ce domaine. Les personnes interrogées sont majoritairement des hommes âgés de 35 à 65 ans. Il s’agit bien sûr d’un échantillon de convenance, en fonction des contacts que les chercheurs ont pu obtenir, mais en essayant d’équilibrer les critères de taille, activité et secteur des entreprises (Actencia, Areas Assurances, Auchan, Bearing Point, Blay Foldex/Berlitz, Cré-dit Agricole, GfK ISL, INC, La Sofia, New Balance, Orange, Safran Morpho, Sanofi, Teletech Interna-tional, The Official Board, Yves Saint Laurent Beauté). C’est une démarche interprétative qui a été développée. Les chercheurs ont recueilli le discours, puis procédé à l’analyse sans avoir posé d’hypothèses préalables. Par souci de confidentialité et à la de-mande de certains d’entre eux, nous avons pris le parti de ne pas citer nommément nos informants. Ainsi, leurs verbatim apparaissent de façon anonyme. L’objet de notre analyse est un corpus de 63 pages constitué de la retranscription de 18 entretiens de plus de 1h30, réalisés à Paris. Les entretiens qualitatifs approfondis ont été conduits en face à face, le plus souvent, et dans quelques cas par télé-phone. Le codage des données a commencé dès les premières retranscriptions d’entretiens (Bardin, 2007) et s’est poursuivi tout au long de la collecte des données empiriques.Trois thèmes principaux ont structuré les entretiens : 1/ les facteurs majeurs qui ont touché les entre-prises et les bouleversements engendrés sur l’action marketing 2/ Les préoccupations des responsables marketing pour les cinq années à venir 3/ La vision du rôle du chercheur en marketing et sa contribution à l’action managériale.Les chercheurs ont opéré une première lecture flottante puis ont procédé à une analyse par catégori-sation. Il s’agit de la démarche première de l’analyse de contenu. En ce qui concerne la quantification (Giannelloni et Vernette, 1995), nous avons pris en compte la fréquence des occurrences de chaque thème pour accentuer le caractère descriptif de l’analyse.

Page 67: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 67

façon plus large à la continuité des besoins de collaboration, qui vont de l’identification des idées de recherche, jusqu’à la prise de décisions, en passant par l’échange d’infor-mations et la formation. Cela amène à mettre en évidence les axes de développement col-laboratifs possibles, voire souhaitables, entre les managers et les chercheurs en marketing. Là encore, le rapport au temps et à la tech-nologie sont au cœur de ces préoccupations.

L’analyse s’appuie sur 18 entretiens en pro-fondeur menés auprès de managers et de res-ponsables marketing, mais également sur des travaux conduits à l’étranger qui mettent en évidence les écarts en matière de recherche et de besoins perçus par les managers d’une part et les chercheurs d’autre part, et sur des expériences de collaboration managers-cher-cheurs menées en marketing, en sciences sociales et en sciences dures (encadré 1).

De nouvelles contingences qui influencent la démarche marketing

La révolution numérique transforme le mar-ché, la gestion des données, la vitesse de ré-action des acteurs, les relations aux consom-mateurs, et amplifie la crise de légitimité du marketing ressentie par beaucoup. Le rôle de la fonction marketing est ainsi fortement influencé par cette évolution (Laugier, 2012 ; Dedieu et Removille, 2012). Ces tendances lourdes sont clairement évoquées dans les entretiens.

Le rôle majeur du digital

Les managers interrogés s’accordent à dire que l’avènement de l’ère numérique, la digi-talisation, constitue le phénomène le plus influent de ces dernières années : « Les pro-blématiques aujourd’hui sont surtout liées à la mutation du numérique ». Mais ce qui surprend, c’est l’ampleur et la vitesse avec laquelle le digital s’est imposé. « Il impacte tout : les relations des entreprises avec leurs

salariés, leurs clients, leurs fournisseurs, la création de nouveaux produits et services. En moins de 15 ans, ça a tout bouleversé. C’est le plus gros impact de ces 15 dernières années et je pense que ce n’est pas fini ».

Les conséquences majeures de cette évolu-tion étaient déjà annoncées, dès leur appa-rition, par certains chercheurs (Bénavent et Hetzel, 2000) dans Décisions Marketing, qui montraient l’ampleur des mutations s’opérant dans les pratiques marketing avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La création d’une rubrique spécialisée, Digital, en 2011 au sein de la revue témoigne de l’intérêt constant porté par les chercheurs à ce phénomène et à la nécessaire prise en compte de son impact sur les stratégies marketing.

De l’avis général, la technologie du numé-rique est le catalyseur de l’émergence d’une nouvelle donne. Elle génère une profusion d’informations avec des situations complexes à analyser (données, offres, acteurs …), bous-cule les repères temps du passé, transforme l’être, le savoir et le vouloir du consomma-teur, initie de nouvelles relations d’échange entre les acteurs et génère une posture ré-flexive qui défie les managers en marketing.

La profusion et la gestion des données

L’explosion de la quantité de données dispo-nibles sur les marchés et sur les consomma-teurs (profil, avis, comportements, attentes…) et la croissance continue des capacités de trai-tement informatique sont deux phénomènes combinés dont on peut attendre qu’ils aident les entreprises à optimiser l’action. Toutefois, cette profusion est très, voire trop, complexe à gérer : « C’est le problème des Big Data qui a été évoqué aux USA. Je n’aime pas ce mot, mais il veut bien dire les choses : des don-nées pléthoriques qui peuvent ensevelir ceux qui les récoltent. Le problème ce n’est pas uniquement la masse de données mais la diversité et la non-maîtrise de cette masse. Et comme on pense que la maîtrise de ces

Page 68: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

68 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

s’en servent pour des études et recherches !». Avec l’arrivée des médias sociaux, les entre-prises font face à une profusion de données qu’elles ne sont pas aujourd’hui en mesure de gérer correctement : « L’information est devenue de plus en plus importante…néan-moins il y a une richesse qu’on n’arrive pas à traiter et à bien partager et sur laquelle on n’arrive pas à capitaliser ».

On relève dans les discours un sentiment d’urgence quant à la nécessité de mettre en place des démarches nouvelles qui prennent en compte les bouleversements induits par la révolution du digital : «le numérique ce n’est pas une mode… le marketing doit s’adapter…il y a des virages à prendre tout de suite et dans les années qui viennent ». «L’observa-tion, l’ethnographie, incluant, l’analyse des messages sur le web (i.e. la netnographie), et les méthodes combinées sont promises à un bel avenir».

Un nouveau rapport au temps

L’évolution du rapport au temps affecte au-tant les entreprises que les consommateurs.

Un terme prégnant dans le discours des ma-nagers est la pression temporelle : « je pense que ce qui impacte aujourd’hui déjà et dans les années à venir le marketing, c’est le temps de réalisation. Je crois qu’on n’a plus le temps de respecter les phases classiques de recherche en marketing ». Cela rejoint l’ana-lyse des chercheurs. L’expérience majeure de la modernité est celle de l’accélération (Rosa, 2010). Entre Internet, qui permet et exige de faire toujours plus vite, la consommation frénétique et la course à la productivité dans les entreprises, l’urgence dirige les vies (Fin-chelstein, 2011) et en conséquence celles des entreprises. Le temps se raccourcit et la crise donne une vision encore à plus court terme. « Il y a quelques années, les entreprises avaient, selon leur secteur, une vision entre trois et dix-huit mois. Depuis, elle a été divi-sée par trois! Les équipes doivent toujours être au top, le dirigeant doit savoir gérer son

données relève des ingénieurs, on oublie de penser la méthode, l’organisation, la straté-gie et cela désorganise les entreprises, crée du stress et un affaiblissement de la produc-tivité ».

Outre un problème de maîtrise, la question de la fiabilité est également posée : « La même personne qui va sur Internet va parfois don-ner des infos très personnelles (déclaration d’impôts) et en même temps aller sur Second life et se créer un personnage. Il est donc difficile mais important de savoir pour les entreprises qui ont une activité en ligne qui elles ont en face (i.e. la vraie personne ou l’avatar). Autrement dit, quelle est la validité des infos que le consommateur vous donne ».

Cette profusion d’informations déstabilise et génère parfois un sentiment de détresse chez les managers : « il y a une mise en danger de l’organisation due au déferlement des données qui peut dévaloriser la donnée col-lectée de manière classique. Ce déferlement vient de toutes parts, n’est pas contrôlé ou difficilement par les organisations, il peut avoir pour origine des sources variées et des directions différentes et le marketing est face à une désorganisation de l’information dans l’entreprise ce qui l’amène à exprimer un très grand stress et une forte exigence vis-à-vis des sociétés d’études et de conseil ».

Elle nécessite, en conséquence, de réfléchir à la mise en place de nouvelles méthodes d’écoute et d’analyse et aux moyens d’optimi-ser les possibilités offertes par les nouvelles technologies : «Ce qui nous intéresse au-jourd’hui concerne tout ce qui peut dans la technologie aider à construire les dispositifs de la relation client ». L’analyse du comporte-ment en ligne devient également un sujet brû-lant. Elle constitue un moyen privilégié pour comprendre et « exploiter les différents per-sonnages que sont les internautes». Il semble qu’il y ait là des opportunités insuffisamment exploitées : «On peut savoir tout d’un client, ses différentes adresses IP…, mais peu de gens savent modéliser cela…peu de gens

Page 69: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 69

même de propriété ne correspond pas à un monde qui change tout le temps. Elle ne cor-respond pas à la notion de plaisir versatile. On est dans un consumérisme effréné mais dans une consommation immédiate. Or, la propriété est une projection de soi liée à une certaine pérennité des utilisations, des comportements, des croyances… on n’a plus besoin d’être propriétaire, on va consommer en étant plus locataire que propriétaire (Ex. Vélib et Autolib) ».

Ainsi, le numérique et l’immédiateté des ré-actions affectent les relations d’échange entre l’entreprise et le consommateur.

De nouvelles relations d’échange

La conjugaison de l’avènement du numérique et du rapport au temps conduit à de nouvelles relations d’échange.

Le pouvoir de la marque a longtemps été un pouvoir de « contrôle » et de diffusion d’un message marketing de masse vers des consommateurs « passifs ». Aujourd’hui, la notion de pouvoir évolue vers un pouvoir de diffusion virale, d’influence et d’engagement avec des consommateurs partenaires, acteurs et de plus en plus coproducteurs. Certaines entreprises ayant perçu les enjeux d’une telle transformation impliquent leurs consomma-teurs dans la définition ou dans la diffusion de l’offre s’inscrivant ainsi dans le champ du marketing participatif (Cova, 2008).

Pour les managers interviewés, le développe-ment des NTIC participe fortement de cette nouvelle relation. Grâce aux opportunités qu’elles offrent, certains consommateurs ont un rôle actif dans les changements qui s’opèrent dans l’entreprise. A l’entreprise de faire cas de cette nouvelle donne : «… il va falloir mettre le client un peu plus au cœur même de notre définition produit. Donc dans la Road Map… c’est-à-dire que ça va être plus tourné vers les services, vers le client, plus qu’on n’a pu l’être jusqu’à présent où on a pu être trop tournés à nous faire plai-

stress : le temps est un facteur anxiogène qui influence les décisions ». Si les entreprises ont intégré l’accélération du temps dans les process de création et de diffusion des marques, d’aucuns regrettent que l’organisa-tion de la fonction marketing n’ait pas fait sa mutation selon le même rythme : « le marke-ting fonctionne toujours sur les modèles An-cien Régime. Le marketing est la seule struc-ture interne aux entreprises à ne pas avoir évolué. La compta est devenue finances, l’administration des ventes est devenue la logistique hyper pointue, le commercial est devenu super pointu, la paye est devenue la RH. L’organisation du département mar-keting, c’est toujours un peu la même, il y a un directeur, il y a des chefs de groupe, des chefs de produits et des assistants chefs de produits ».

Les entreprises doivent aussi répondre à l’évolution des consommateurs, qu’il s’agisse des comportements liés aux nouvelles tech-nologies ou à d’autres évolutions profondes du consommateur par rapport au temps. Internet et le téléphone portable sont des technologies qui accompagnent cette pos-ture court-termiste : comparateurs de prix permettant de réaliser des achats de der-nière minute au meilleur prix, sollicitations pour des ventes flash incitant le consomma-teur à se décider sur l’instant… La majorité des répondants souligne que l’immédiateté, la simultanéité, l’instantanéité, et en consé-quence, l’instabilité dirigent aujourd’hui les actions marketing. Mais le « court-ter-misme », selon Jean-Louis Servan-Schreiber (2012), affecte aussi le lien de l’homme à son environnement, entraînant dans son sillage une remise en cause de la notion de propriété, au profit de la notion d’usage. Les managers interrogés rejoignent cette réflexion sur la relation des individus à l’objet. Ils évoquent dans leurs discours le fonctionnement et les transformations du marché et pointent « les nouvelles tendances d’utilisation plutôt que de possession ». « Nous avons un boule-versement de la consommation ; la notion

Page 70: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

70 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

yeux du consommateur post-moderne : « Les marques passent du statut de fournisseur de merveilleux à simple garant ». Avec cette nouvelle donne, le rôle de l’entreprise a chan-gé : cette dernière «endosse un nouveau rôle moins gratifiant, surtout sur les marchés ma-tures ». Le consommateur actif, plus informé et plus méfiant à l’égard des marques, inter-pelle et inquiète les dirigeants.

Le marketing doit représenter aujourd’hui plus que jamais une fonction de lien. Le consommateur n’est plus à la recherche d’une transaction qui répond simplement à ses besoins matériels. Dans sa relation à l’entre-prise ou à la marque, l’individu – consom-mateur recherche de l’utilité, de la sécurité, mais également une expérience, un partage, un sens (Gilmore et Pine, 1998) auquel le marketing doit répondre : « Aujourd’hui on s’exhibe sur le net, sur Twitter, on parle de soi, de ce qu’on est, de ce qu’on ressent et on réagit à tout propos. Il y a donc une modifi-cation du comportement social, une modifi-cation des attentes et on construit des objets sociaux ensemble et des consommations dans une forme d’interactivité… Au fond on est dans des formes de marketing liées à des attributions de valeurs qui peuvent être des valeurs éthiques, des valeurs de la mode, des valeurs d’identification… ».

La légitimité du marketing remise en cause ?

Ces nouvelles relations d’échange s’accom-pagnent de critiques du marketing et d’un certain nombre de résistances au marketing (Roux, 2012).

Les managers interrogés soulignent la pos-ture plus réflexive qu’autrefois du consomma-teur : celui-ci remet en cause les innovations, calcule davantage les risques induits, inter-roge les marques sur les bénéfices vantés et sur les pratiques marketing des entreprises : « Aujourd’hui les jeunes générations édu-quées ne sont pas dupes. Elles ont un chemin

sir avec des choses qui étaient trop poussées techniquement… ».

Si les managers en perçoivent l’intérêt pour la création de valeur de leur offre, ces nouveaux rapports ne sont pas sans risques, notamment en raison de l’absence de contrôle du contenu des échanges : « …les dérives induites sont également connues (« faux avis », « bour-rage »…). Dans tous les cas, la prise de contrôle du consommateur sur les marques a également contribué à augmenter sa mé-fiance à l’égard des pratiques marketing : « Le consommateur se rebelle, se pose des questions, fait confiance aux autres consom-mateurs, se méfie des entreprises ». Il semble loin le temps des critiques qui identifiaient l’individu à un consommateur passif. C’est bien l’inverse qui se produit. Le consomma-teur se construit une consommation et sait aujourd’hui parfaitement détourner les mes-sages des entreprises pour mieux s’en affran-chir (Maillet, 2010).

Par ailleurs, l’analyse souligne que les réfé-rents et prescripteurs traditionnels voient leur rôle s’effriter : « Il faut réfléchir aux instances de référence, aux associations de consom-mateurs ; on assiste au déclin des référents traditionnels du consommateur : la presse spécialisée, mais peut-être aussi la fonction de vendeur. Le vendeur ne sait plus rien mais on fait confiance à son semblable qui s’ex-prime sur le sujet ». D’après nos interviewés, il existe certaines situations qui amplifient ce phénomène : « La crise économique im-pacte directement l’activité et développe de nouveaux comportements de consommation qu’il faut appréhender : recherche de nou-velles sources d’approvisionnement et recen-trage sur les vrais besoins mais également de nouvelles sources d’informations ».

Il apparaît, dans les résultats de la recherche que le nouveau consommateur, acteur actif au pouvoir grandissant, met l’entreprise devant l’obligation de repenser son système de pro-duction, de distribution, de communication… les entreprises voient leur statut changer aux

Page 71: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 71

la fonction dans les entreprises. L’analyse montre également que le concept et la fonc-tion marketing pâtissent d’une mauvaise image dans la société : « Le marketing a encore une image de flambeur qui cherche à prendre de l’argent plutôt que d’en rendre ! ». Enfin, le marketing rencontre « un problème générationnel » avec certaines réticences de responsables plus âgés qui n’ont pas été for-més à la révolution numérique : « Le digital devient la référence et si ce n’est pas pensé par le haut, s’il n’y a pas une vision straté-gique du système d’information et du rôle du marketing et des études dans ce système alors la fonction marketing est en danger » ; « Le marketing est en danger. On a besoin de nouveaux modèles… ».

Globalement, les entretiens auprès des mana-gers font émerger quatre défis principaux, avec la nécessité, face aux bouleversements technologiques et temporels, de (1) mettre en place de nouvelles méthodes d’écoute et d’analyse, (2) de comprendre le « nouveau consommateur » et de disposer de nouveaux modèles explicatifs, (3) de développer de nouvelles approches de la relation client, (4) de repenser le marketing par rapport à sa lé-gitimité, aux acteurs multiples, et aux évolu-tions sociétales (figure 1). Tout cela s’inscrit globalement dans le sentiment d’une nouvelle réflexion nécessaire sur le rôle et l’organisa-tion de la fonction marketing. Est-ce cohérent avec les préoccupations des chercheurs et ces derniers répondent-ils aux attentes des mana-gers ?

La cohérence avec les préoccupations des chercheurs

Les préoccupations des managers en France sont en cohérence avec celles exprimées conjointement par des entreprises et des chercheurs aux Etats-Unis dans le cadre des axes prioritaires de recherche définis par le MSI (Marketing Science Institute) pour 2012-2014 : les plates-formes mobiles et leur impact sur la vie des individus et sur les

de citoyens ou des valeurs et une réflexion sur ce qui compte ».

Cela conduit un certain nombre de managers en marketing à appeler à repenser la fonc-tion marketing. « Des démarches classiques, appliquées mécaniquement par des gens qui n’ont pas forcément le recul nécessaire, ça donne des produits similaires, ça donne des bagnoles faites en soufflerie, ça donne des voitures qui ont les mêmes codes… Au-jourd’hui, on nous sert plutôt de la démarche d’habillage que du vrai marketing. Donc je pense qu’il faut repenser la fonction marke-ting avec une certaine humilité mais aussi avec de l’audace en disant comment je vais pratiquer ça ? ». Les managers interrogés reconnaissent aujourd’hui être trop éloignés du terrain, insuffisamment en prise avec les réalités et opérer dans des organisations devenues parfois trop bureaucratiques : « Le marketing a failli globalement à sa mission. D’abord les hommes de marketing se croient au-dessus, je n’ai jamais vu un homme de marketing passer du temps dans un call cen-ter alors que pourtant c’est l’endroit où l’on écoute le consommateur. Ça prouve qu’ils n’ont rien compris ». « Le marketing est de-venu un service central donc moins contri-buteur, plus fonctionnel, pas générateur d’idées ou d’innovations ».

Certains managers vont même jusqu’à s’inter-roger sur un retour possible à leur savoir-faire originel, la production : « il va y avoir des marques qui vont justement s’appauvrir du marketing et être uniquement des capacités de production, un peu sur-mesure en laissant le soin aux consommateurs de faire le mar-keting, l’auto-marketing de leur marque ». Et pour l’un d’entre eux de conclure : « Il faut un nouveau rôle dans les entreprises du XXIe siècle, surtout une nouvelle image du mar-keting »…

Tous ces changements agissent sur le pou-voir évolutif des différentes parties prenantes mettant ainsi en cause l’approche marketing traditionnelle, voire même la légitimité de

Page 72: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

72 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

au concept d’origine du marketing, revisité à l’aulne de la situation actuelle (Pras, 2012).

On peut penser que cette forte cohérence des préoccupations entre celles exprimées par les managers, et celles qui ressortent d’axes prio-ritaires définis par des instances auxquelles sont associés les chercheurs, devrait conduire à une réponse adéquate par les chercheurs aux attentes des entreprises. Il convient d’analyser si c’est effectivement le cas à par-tir de nos entretiens et d’identifier les voies d’amélioration.

Ces préoccupations constituent la toile de fond dans laquelle s’inscrivent les attentes des managers vis-à-vis des chercheurs. Dans quelle mesure la recherche en marketing répond-elle, de leur point de vue, à ces at-tentes ?

Regard des managers sur la recherche en marketing

Les opportunités offertes par les nouvelles technologies, la nécessité de réactions à court terme pour répondre aux pressions de l’environnement, mais aussi de recul pour

marchés, la confiance entre individus et ins-titutions et dans les réseaux sociaux, le Big Data, les individus et leurs rôles en tant que consommateurs, l’achat comme processus itératif, le design de l’expérience de consom-mation, et enfin l’organisation et les capacités du marketing (encadré 2).

Ces axes sont cohérents également avec les thèmes prioritaires identifiés par l’AFM en 2012 (encadré 2) : la gestion des « big data », les TIC et les mutations sociétales, les neu-rosciences, la crise et les modèles de gouver-nance, l’ouverture internationale avec l’ap-proche contextualisée de la consommation, les mutations sociétales dans le domaine de la santé et du bien-être, de la gestion de l’en-vironnement et du vieillissement de la popu-lation.

Enfin, les perceptions sur les évolutions du concept et de la fonction, et le retour à la mis-sion originelle du marketing, sont largement partagées par les chercheurs qui prônent à l’instar des travaux sur la « service-dominant logic » (Vargo et Lusch, 2004) ou l’orien-tation « partie-prenantes » ou « stakehol-ders » (Ferrell et Ferrell, 2008), un retour

Figure 1 : Nouvelle donne et intérêts majeurs des managers en France

Page 73: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 73

qu’aucune recherche récente ne se soit inté-ressée au sujet en France.

La question de la nécessité de réagir rapide-ment pour les managers, tout en prenant du recul par rapport aux enjeux majeurs aux-quels ils font face, pose celles du décalage temporel entre la diffusion des travaux de re-cherche et la réponse aux préoccupations des managers, de l’utilité perçue de ces travaux sur un plan opérationnel dans leur pratique et du contenu des travaux pour alimenter les réflexions d’avenir.

Décalage temporel, méconnaissance et pertinence des recherches

Les managers cherchent globalement des réponses immédiates aux questions qu’ils se posent, souvent pour résoudre des problèmes concrets ou analyser une situation. Mais ils regrettent le décalage temporel entre le

comprendre les enjeux à venir, constituent la toile de fond dans laquelle s’inscrivent les at-tentes des managers vis-à-vis des chercheurs. Quel regard les managers portent-ils sur la recherche en marketing et les chercheurs ? Dans quelle mesure la recherche en marke-ting répond-elle, de leur point de vue, à ces attentes ? C’est par rapport à la réponse à ces questions, à l’aulne de l’ère numérique et du rapport au temps, qu’il conviendra de s’inter-roger sur les perspectives d’améliorations et de collaborations à venir.

Connaître le regard des managers sur la re-cherche permet une remise en perspective, voire une remise en question des sujets de préoccupations des chercheurs, des postures et des méthodes. Bien que le sujet ait été traité à quelques reprises dans la littérature anglo-saxonne (Cornelissen et Lock, 2005 ; Hugues et al., 2011 ; Baron et al., 2011 ; Achrol et Kotler, 2012), il est étonnant de constater

Encadré 2 : Les sujets de recherche prioritaires en Marketing selon le MSI et selon l’AFM

Les sujets prioritaires du MSI : Depuis sa création en 1961, le Marketing Science Institute (MSI) se veut être un lien entre l’université et l’entreprise. Tous les deux ans, le MSI interroge les managers de sociétés membres sur les sujets qui leur semblent prioritaires en marketing. « Nos entreprises membres sont à la recherche de nouvelles approches et d’une nouvelle façon de penser. Les évolutions technolo-giques et sociales bousculent les processus et les paradigmes marketing traditionnels. Nous appelons la recherche universitaire à développer des méthodes, des outils et des approches pour aider les mar-keteurs à naviguer dans ce territoire complexe » (Deighton, 2012*). Vers le milieu des années 2000, de nouvelles pistes pour le marketing se sont dessinées, en relation étroite avec les évolutions et les nouvelles tendances des marchés. Ainsi pour 2012-2014, sept sujets sont présentés comme prioritaires par le MSI : les individus et leurs rôles en tant que consommateurs, l’achat comme processus itératif, le design de l’expérience de consommation, les plates-formes mo-biles et leur impact sur la vie des individus et sur les marchés, la confiance entre individus et institutions et dans les réseaux sociaux, le Big Data et enfin l’organisation et les capacités du marketing.Les sujets prioritaires de l’AFM : en s’appuyant sur des entretiens avec des chercheurs, ainsi que sur des données secondaires en provenance des instances de recherche, de l’Etat et de la société civile, l’Association Française du Marketing (AFM) a identifié comme champs particulièrement important : la gestion des « big data », les TIC et les mutations sociétales, les neurosciences, la crise et les modèles de gouvernance, l’ouverture internationale avec l’approche contextualisée de la consommation, les mutations sociétales dans le domaine de la santé et du bien-être, de la gestion de l’environnement et du vieillissement de la population. On retrouve donc des évolutions de recherche liées à la technologie et à l’ère numérique, des modifications sociétales avec une remise en cause des modèles existants (voir site de l’AFM, association française du marketing). L’analyse des comportements à l’ère du numérique, la nécessité d’innover en matière de modèles, mais aussi d’avoir un regard critique et de plus long terme sur les grandes évolutions sociétales ressort des thématiques abordées.

* John Deighton, Directeur Exécutif du MSI, “What Are Marketers’ Top Concerns?”, MSI Research Priorities 2012-14.

Page 74: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

74 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

(Baines et al., 2009) fait apparaître des pré-occupations identiques. Parmi les managers, 74% considèrent qu’ils trouvent les informa-tions professionnelles pertinentes sur le web, 66% que les résultats de la recherche en mar-keting devraient être publiés rapidement, et 92% qu’ils devraient être accessibles. Il est intéressant de constater que les chercheurs pensent aussi que leurs recherches devraient être publiées rapidement (68%) et les résul-tats accessibles (90%). Néanmoins, alors que 100% des managers souhaitent que les recherches soient utiles aux managers, seuls 70% des chercheurs partagent cet avis.

Ces préoccupations largement communes montrent que les attentes des deux mondes ne sont pas fortement différentes, qu’il s’agisse de la vitesse de diffusion ou du contenu.

En fait, il s’agit souvent d’appréhension, par-fois de méconnaissance des travaux publiés, ou encore de démarches perçues comme trop complexes.

Méconnaissance des travaux et pertinence

Au-delà, et peut-être liée à la diffusion des recherches, une méconnaissance des tra-vaux académiques semble assez manifeste : « Pour être tout à fait franc, on ne travaille pas beaucoup avec des chercheurs. Peut être parce que l’on ne les connaît pas beau-coup ». A nouveau, ceci n’est pas spécifique à la France. En Grande-Bretagne, alors que certains praticiens connaissent l’existence du International Journal of Research in Marke-ting, ils ne connaissent pas d’autres revues, et 55% d’entre eux considèrent que les revues de recherche en marketing ne sont pas des ressources d’information professionnelle utiles (Baines et al., 2009). Cette mécon-naissance est liée à la demande de diffusion immédiate et à l’accessibilité souhaitée des travaux. Elle est aussi souvent associée à un manque de relations entre entreprises et cher-cheurs, plus qu’à une non pertinence des thé-matiques abordées. Les publications dans la communauté française portent sur des sujets

rythme de la recherche et de sa diffusion et celui des préoccupations de l’entreprise. Ce décalage ressenti est particulièrement fort du fait de la révolution numérique et de la masse d’informations immédiatement disponibles. Cela interroge à la fois sur la connaissance et la pertinence de la recherche marketing par les managers en France.

Décalage temporel

Les managers interrogés ressentent un déca-lage évident de perspective temporelle entre la recherche et l’entreprise : «nous travaillons assez peu avec les chercheurs en marketing car il y a un décalage trop fort de tempora-lité ». Ainsi, le chercheur prend des libertés de temps de recherche qui, aux yeux des managers, rendent parfois les résultats obso-lètes : « Je crois qu’on n’a plus le temps de respecter les phases classiques de recherche en marketing et je pense qu’il n’y a rien de pire que de faire œuvre historique, c’est-à-dire, d’arriver pour dire voilà comment était le marché en 2005, quand on est en 2012... ».

Cette perspective d’un monde à deux vi-tesses (toujours lent pour la recherche, très rapide pour l’entreprise) entraîne avec elle l’idée que les chercheurs sont déconnectés des contraintes et des réalités entrepreneu-riales. « Il leur faut être plus ancrés dans la réalité du monde qui bouge. Si pour inven-ter l’iPhone Steve Jobs avait fait une thèse sur chaque idée, il aurait fini son iPhone à la fin du XXIe siècle ! ». Le jugement est sévère, alors que le sentiment d’urgence dans la réflexion pèse également sur les chercheurs français pour répondre aux contraintes de publications auxquelles ils sont soumis (re-joignant ainsi les exigences anglo-saxonnes où l’adage « publish or perish » prévaut lar-gement).

Les managers interrogés pensent que cette problématique est largement française. Ce n’est pas le cas. Une étude réalisée en Grande-Bretagne, auprès de 510 managers marketing et 128 chercheurs en marketing

Page 75: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 75

L’analyse du discours témoigne d’un désir de collaboration avec les équipes de recherche en marketing : « Il y a actuellement une fe-nêtre de tir, une opportunité pour ce parte-nariat entreprise – recherche ». Elle permet d’identifier plusieurs attentes majeures :

Repenser la collecte, l’analyse des données et les modèles

Les managers interrogés appellent à une nou-velle réflexion sur les méthodes d’analyse : « Le datamining est à l’âge de pierre. On est inondé d’informations. Nous, les directeurs marketing, on a besoin de modèles pour pré-parer la décision et le jugement, c’est une attente forte ». En ce qui concerne le data-mining et le retargeting, les managers sont en attente de modèles permettant de mieux gérer les flux de données. Les approches quantitatives ne sont donc pas exclues mais doivent être combinées avec des démarches interprétatives, adossées à la psychologie, l’ethnographie ou l’anthropologie pour mieux comprendre et anticiper les arbitrages et les décisions de consommation. : « Il faut enga-ger des méthodes analytiques en profon-deur sur la consommation et non pas sur le consommateur vu classiquement, mais sur l’individu dans sa relation à la consomma-tion, aux marques, se pencher sur une ap-proche « customer centric » ; « il faut nous aider à travailler sur l’intelligence émo-tionnelle. Les logiciels qui sont capables de cerner la personnalité du consommateur et qui peuvent aider les entreprises à faire du « market to one ». Etre capable de cerner sur le web la psychologie du consommateur. Celui qui réussira à maîtriser ça aura gagné sur les autres ».

Pour les managers, la crédibilité des données collectées est nécessaire pour renforcer la confiance accordée aux préconisations ma-nagériales : « Il est essentiel que la recherche travaille avec les entreprises qui ont accès aux données. Les thèses ou les travaux avec

d’intérêt mentionnés par les managers1. Par ailleurs, les interviewés n’évoquent jamais l’idée que les chercheurs travailleraient sur des sujets déconnectés des préoccupations des entreprises. Ils abordent toutefois le cloi-sonnement entre les mondes académique et économique en France, contrairement, pensent-ils, à ce qui existe dans le monde anglo-saxon et aux Etats-Unis : « Je trouve qu’en France on n’est pas bon dans la colla-boration entre entreprises et universités. Aux USA, les enseignants chercheurs ont souvent des expériences en entreprises alors qu’en France, c’est très cloisonné ».

Bien que le modèle anglo-saxon soit souvent cité en exemple concernant la collaboration entre l’entreprise et la recherche, Achrol et Kotler (2012) lèvent le voile sur cette rela-tion supposée exemplaire : « Les chercheurs laissent entrevoir une boîte à outils débor-dant de théories, de domaines d’applica-tions, de méthodologies complexes devenant bien trop exigeantes en terme de détails et de rigueur… ». Ce qui se passe aux Etats-Unis ressemble finalement à ce qu’expriment les managers français que nous avons interro-gés ; ils redoutent de la part des chercheurs, la proposition de démarches trop complexes à mettre en œuvre, empêchant ainsi la conver-gence des approches avec le monde écono-mique. Toutefois, ressentant l’évolution et la fragilisation des modèles traditionnellement utilisés, ils appellent de leurs vœux une colla-boration avec le monde académique à condi-tion de l’inscrire dans un cadre qui intègre les nouvelles contraintes auxquelles ils sont confrontés.

1/ C’est par exemple ce qu’ attestent les théma-tiques des numéros spéciaux de Décisions Mar-keting sur le marketing interactif (vol. 5, 1995), la nouvelle économie (vol. 19, 2000), l’extension du domaine de l’expérience (vol. 28, 2002), les études qualitatives et décisions (vol. 36, 2005), le marke-ting et la performance (vol. 40, 2006), le marketing tribal (vol. 52, 2008), le pouvoir du consommateur (vol. 61, 2011), ou encore les agents virtuels intelli-gents (vol. 65, 2012).

Page 76: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

76 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

L’enjeu est de s’intéresser à la façon dont le marketing peut fournir des solutions aux pro-blèmes de société comme le décrivent Kotler et al. (2012) en étant davantage centré sur l’humain et non plus sur le produit (évolution vers le marketing 3.0) : « Il faut penser la consommation comme un ensemble fluide d’expériences et non pas comme un modèle mécaniste et cloisonné ».

Dans la perspective de travailler sur les modèles de consommation, sur les parcours clients et sur les méthodes d’analyse à déve-lopper, les managers appellent à une collabo-ration renforcée avec le monde académique mais mettent également au premier plan l’im-portance de la formation et de la préparation aux métiers de demain.

Une collaboration entre chercheurs et managers à construire

Chacun s’accorde à dire aujourd’hui qu’une collaboration entre chercheurs et managers est profitable à tous. Le désir de collaborer exprimé par les managers et souhaité par les académiques n’est cependant pas un fait nouveau. Les entretiens mettent en lumière le besoin d’approches marketing renouvelées pour permettre aux managers de faire face aux nouveaux défis qui les attendent. Les chercheurs et les praticiens s’accordent sur la nécessité de multiplier les points de ren-contre entre le monde académique et celui de l’entreprise (Jaworski, 2011 ; Lilien, 2011), ce qui passe par l’intégration plus systéma-tique des programmes de recherche dans les entreprises mais aussi par la multiplica-tion de conférences qui mixent les publics. L’échange de savoirs et d’expériences est une source de stimulation indéniable. Mais au-delà des initiatives existantes, l’observation systématique des pratiques de collaboration dans les sciences sociales et les sciences dures, entre managers et chercheurs, montre que celles-ci peuvent dépasser le niveau de l’information et de l’échange pour aller vers

des échantillons de convenance n’auront plus de sens... ».

L’attente d’une réflexion de fond sur les sujets d’avenir

Bien que ce regard critique vis-à-vis du temps long de la recherche académique soit récur-rent parmi les managers interrogés, certains d’entre eux, y trouvent un intérêt et le justi-fient : « j’ai trouvé qu’il y avait de la mise en perspective, le temps long que le chercheur passe sur certains sujets, c’est important ».

Pour eux, un des rôles du chercheur est de redéfinir en profondeur les relations entre société, entreprises et consommateurs : « Le rôle du chercheur est de se poser les questions en relation avec la société. Par exemple, les attentes sociales et culturelles de la jeunesse, ce qui va rénover le monde, comment va faire la société bientôt ? Quels types de relations existeront entre nous ? Entre les jeunes et les moins jeunes dans l’espace social, dans les entreprises ? Com-ment agirons nous ensemble et dans quel sens ? Selon quelle forme de contrat ? ». Cette réflexion doit se faire à l’aulne du nou-veau contexte technologique et temporel qui régit aujourd’hui les actions : « Le chercheur doit analyser les mutations économiques et sociales découlant de la « numérisation » des activités humaines, la technologie ayant aujourd’hui un rôle central, conduisant à des ruptures très rapides ».

Aux yeux des managers, il apparaît néces-saire que les chercheurs adoptent une posture prospective et se tournent vers l’avenir plutôt que de se contenter d’expliquer ce qui s’est passé ou se passe aujourd’hui : « J’aimerais bien qu’ils m’apportent plus car pour le mo-ment je dois dire je suis assez frustré. Au-jourd’hui, dans nos échanges, j’ai plutôt eu des analyses de contenu, une synthèse, mais pour la mise en perspective je ne sais pas trop » ; « Nous avons un besoin de prospec-tive alors que les chercheurs se contentent souvent d’analyser les faits et le passé… ».

Page 77: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 77

cette demande. Cette constatation selon la-quelle (1) la recherche académique en mar-keting doit aussi servir la pratique, et (2) les étudiants en marketing devraient acquérir, au cours de leur formation, les connaissances et les compétences nécessaires sur le terrain est largement partagée internationalement (Ba-ron et al., 2011).

Il est néanmoins intéressant de voir que l’exercice des ces missions doit se faire sous conditions.

Une prise en compte effective de la pertinence managériale

Le souci de la pertinence managériale, expri-mé dans les attentes, est largement partagé par les chercheurs. Jaworski (2011) définit la pertinence managériale comme « le degré de perception de l’aide apportée par la connais-sance académique à un manager dans ses réflexions et dans la mise en œuvre des ac-tions nécessaires à l’atteinte des objectifs de l’organisation ». Il précise que la pertinence managériale est « une estimation subjective du manager en fonction de son rôle dans une situation précise ; le jugement de la perti-nence d’une recherche par le manager dé-pend du lien plus ou moins étroit entre la pro-blématique de la recherche et les besoins liés à la prise de décision du manager dans son travail et ses missions ». C’est exactement ce qu’expriment les personnes interrogées : « les chercheurs doivent être plus préoccupés par l’opérationnalité de la recherche plutôt que de consacrer 90% de leur énergie à résumer les thèses d’autres chercheurs » ; « le rôle du chercheur doit être celui d’une vigie ancrée dans la pratique pour (1) re-contextualiser les nouveaux phénomènes, (2) en fournir des clés de compréhension et (3) repérer des phénomènes émergents ».

Ce souci de la pertinence managériale s’ex-prime dans des contextes multiples, qu’il s’agisse des thèses de doctorants, de la confrontation des recherches aux réactions des entreprises, et même du financement

la création et la diffusion des connaissances jusqu’à l’aide à la prise de décision. Plus glo-balement en sciences de gestion, les volontés institutionnelles comme celle de l’AACSB et les expériences existantes révèlent des initia-tives multiples, même si les mises en œuvre sont souvent « en construction ».

En marketing, comme dans les autres sciences sociales, il est important de porter un nouveau regard sur ces collaborations en prenant la mesure des enjeux, et en particu-lier de ceux liés au temps et à la technologie, éléments clefs des transformations actuelles.

Des préoccupations fortes

Des initiatives existent déjà partiellement en France. Ce sont autant de points de contact et d’échange qui ont fait la preuve de leur effi-cacité. Mais les entretiens font ressortir de façon spécifique deux préoccupations aux-quelles les initiatives mentionnées doivent répondre : d’une part des préoccupations reliées à la formation et d’autre part à la per-tinence managériale.

Mieux former les managers de demain

Il est étonnant (et finalement rassurant !) de voir que les managers interrogés associent étroitement à la mission de recherche celle de la formation : « Pour ceux qui sont dans l’éducation, il y a un marketing des filières de formation à faire. Les besoins en formation quand on les exprime c’est déjà trop tard. (…). On ne peut pas imaginer la manière de produire plus tard sans imaginer la manière de former… ».

Former les futurs managers aux outils de demain et accompagner les entreprises dans leurs réflexions sur la construction de nou-velles démarches correspondent aux deux missions que les managers assignent aux enseignants chercheurs. Les chaires de for-mation ou de recherche et les collaborations étroites des universités, écoles et entreprises dans les formations en gestion répondent à

Page 78: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

78 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ainsi que des enseignants chercheurs des universités, et des investisseurs en capital. Ensemble, managers et chercheurs cherchent à développer la recherche et à fixer les orien-tations stratégiques sur le numérique. On citera également des initiatives nouvelles comme celles signées fin 2012 entre IBM et l’agglomération de Montpellier. A cette ini-tiative sont associées l’Université Montpel-lier I et Montpelier II et des PME dans la thématique de la ville intelligente. Philippe Sajhau, Vice Président – Smarter Cities, IBM France explique qu’une « plateforme ouverte de données métiers est mise à la disposition des acteurs du territoire pour leur permettre de créer de nouveaux usages et d’utiliser la valeur de la corrélation de ses données … Cette plateforme de données va bien au-delà des bases de données Open Data, en intégrant les données métiers, en utilisant le temps réel et en permettant une extraction extrêmement simple des données pour créer de nouveaux usages ». A l’international, l’expérience réussie de l’Imperial Business School of London (encadré 3) illustre bien ce type de processus.

Il existe par ailleurs des volontés institution-nelles fortes de la part d’organismes char-gés d’évaluer les institutions d’enseignement comme l’AACSB par exemple, qui prônent ce type de coopérations. Parmi les initia-tives identifiées par l’AACSB2 se trouvent celles du Marketing Science Institute (MSI), qui cherche à créer des ponts et des rela-tions entre les chercheurs et les entreprises (encadré 2), mais aussi l’Advanced Institute of Management Research (AIM), un institut de recherche créé au Royaume-Uni dont le rôle est de mettre en avant les nouveaux défis auxquels est confronté le management et de soulever le débat entre les praticiens et les pouvoirs publics.

L’AACSB met en avant des exemples de col-laborations et les multiplicités d’actions com-

2/ http://www.aacsb.edu/resources/research/col-laboration.asp

de ces recherches. On pense notamment aux contrats CIFRE dans le domaine des thèses, aux fondations où préoccupations des entreprises et préoccupations de recherche font l’objet d’échanges fructueux, voire de financements, à d’autres initiatives où les recherches peuvent être confrontées aux réflexions et pratiques des entreprises. C’est le cas des journées organisées par l’ANVIE dans le domaine des sciences sociales qui ré-unissent chercheurs et praticiens sur des pro-blématiques importantes pour les managers, ou encore des ARA (Ateliers de Recherche Appliquée) et « journées entreprises » en marketing organisés par l’AFM (Associa-tion Française du Marketing) dans le même esprit. Parallèlement, le Syntec et la Fnege organisent les Prix de recherche en Manage-ment pour encourager les travaux permettant des applications en entreprises.

Ainsi, la démarche d’interaction continue entre chercheurs et praticiens semble être en route...

Pratiques de collaboration dans les sciences sociales et les sciences dures

Des exemples de collaborations entreprises-universités existent déjà, au niveau internatio-nal, en sciences dures et en sciences sociales. Alors que certaines initiatives sont encore en construction, d’autres sont à un stade de développement avancé. Le processus va de la génération d’idées à l’échange d’informa-tions, la diffusion des connaissances, et par-fois même jusqu’à des propositions de solu-tions pour la prise de décision. En France, dans le domaine des sciences dures en par-ticulier, on pensera aux pôles de compétiti-vité et aux incubateurs. L’exemple du pôle de compétitivité Advancity, pour accroître la réflexion sur la ville de demain et la mobilité, en cohérence avec le développement durable est intéressant. Une autre initiative est celle de Cap Digital, pôle de compétitivité du nu-mérique. Il regroupe des centaines de PME mais aussi une trentaine de grands groupes

Page 79: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 79

d’évolution, qu’il s’agisse de stimulation, de

promotion de la recherche, de diffusion, ou

de réponse à des questions concrètes posées.

En marketing, de telles initiatives qui allient

interactions entreprises-chercheurs et nou-

velles technologies n’en sont qu’à leurs bal-

butiements. Nul doute qu’elles peuvent être

développées au plan européen et français car

elles répondent à une demande commune des

entreprises et des chercheurs face aux évolu-

tions technologiques et à la relation au temps.

munes en gestion de manière générale et dans certains cas, plus spécifiquement en marke-ting. Beaucoup de ces expériences vont de la génération d’idées à la prise de décisions (encadré 4).

Il ressort de ces expériences, menées en sciences dures, en sciences sociales et en ma-nagement, que celles-ci s’appuient largement sur le numérique, les forums et communautés de chercheurs et de managers. Cette voie, tout juste esquissée en marketing, peut représen-ter un enjeu et des perspectives importantes

Encadré 3 : Collaborations Chercheurs/Managers au Royaume-Uni : de la formation à la prise de décision

L’Imperial Business School of London (IBSL) propose des programmes de recherche fondés sur une collaboration étroite entre les chercheurs et les entreprises. L’objectif des chercheurs est d’accueillir les nouvelles idées d’innovation, de réfléchir à leur mise en œuvre et de participer à leur application. Parmi les différents projets menés en 2011 se trouvent le projet d’IBM et le projet de la « Ville Intelligente » appelé « le Digital City Exchange » (DCE).

Le cas IBM : La collaboration entre l’IBSL et IBM depuis 2005 a changé les processus d’innovation de cette entreprise et a contribué à redéfinir sa stratégie et son modèle de prise de décision. Les chercheurs d’IBSL et les managers d’IBM ont travaillé ensemble pour voir comment générer et développer les idées nouvelles en dehors de l’entreprise. Le travail des chercheurs s’est orienté vers la mise en avant de l’importance et des enjeux liés au développement de la relation client. Dans cette perspective, IBSL développe en 2011 un programme de formation (Executive Education) dans lequel les chercheurs ont pour rôle de rapprocher l’entreprise IBM de ses clients ; une relation étroite entre les partenaires per-mettrait au client de mieux appréhender les capacités et la technologie d’IBM. Elle serait pour l’entre-prise l’occasion de trouver des idées et des opportunités de développement de nouveaux produits. La mise en pratique des résultats de la recherche a permis des changements dans l’organisation d’IBM en l’aidant à évoluer dans le même sens que ses clients. Pour IBSL, la mise en place de cette structure de formation représente une voie intéressante de partage des connaissances et de transfert de l’expérience entre chercheurs et managers. Source: http://www3.imperial.ac.uk/business-school/research/researchcelebration/innovation-at-ibm

Le cas « La ville intelligente » : La Digital City Exchange (DCE) est un programme de recherche multidisciplinaire lancé en septembre 2011. Autour de ce projet sur cinq ans, sont rassemblés une école de management (l’Imperial Business School of London), une école d’ingénieurs (The Faculty of Engineering), et des entreprises industrielles, leaders dans leur secteur telles que Transport for London, NHS Trust, Sainsbury’s, Arup… L’objectif de ce grand projet est de révolutionner les infrastructures de la ville et de créer des nouveaux services. Il s’agit d’exploiter de nouvelles générations de systèmes digitaux, dans le but d’opérer une transformation de la gestion des services et des ressources de la ville. Ce programme a pour but de permettre aux citoyens et aux entreprises qui vivent dans cette ville d’amé-liorer leur vie au quotidien et d’accroître les opportunités de développement des activités économiques. Le projet a été conçu en collaboration avec les industriels. Les chercheurs et les étudiants travaillent avec de vraies données sur des cas réels qui se produisent dans les villes concernées. Le principe repose sur le test des cas et le développement de scénarii qui permettent de traiter les informations de manière à obtenir de nouvelles données permettant ainsi le développement de nouveaux services. Source : http://www3.imperial.ac.uk/business-school/research/researchcelebration/digital-city-exchange

Page 80: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

80 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

être revisitées. Ainsi, l’objectif ultime d’aider à la prise de décision est formalisé depuis de nombreuses années dans le cadre du dévelop-pement de modèles d’aide à la décision (voir par exemple, Choffray et Lilien, 1986). Ces modèles s’appuient sur des bases de connais-sances et des règles de production tirées de recherches antérieures et aussi sur les juge-ments et l’expertise des managers (Lilien, 2011). Ces modèles subjectifs peuvent être utiles aux managers lors de prises de déci-sion sur les produits, les prix, les marques… « leurs décisions font partie d’un ensemble de possibilités et d’alternatives dans un monde complexe et incertain ». Pour Lilien (2011), de tels modèles, revisités, sont particulière-ment appropriés face à la masse de données existantes. Les nouvelles possibilités offertes par les technologies permettent d’exploiter

Relever les défis de la technologie et du temps

Ce sont les questions du contenu de la recherche et des thématiques abordées (what ?), mais aussi du comment, c’est-à-dire des méthodes, de la diffusion et de l’acces-sibilité des recherches elles-mêmes (how ?) qui sont ici abordées, telles que soulevées par Lutz (2011). Répondre aux problématiques de l’entreprise, y compris en termes de diffu-sion et d’accessibilité rapides des recherches, de mise en œuvre de nouveaux outils de re-cherche, et de prise de décision sont les défis à relever.

De nouveaux modèles

De nouveaux modèles sont certes à concevoir mais des démarches existantes peuvent aussi

Encadré 4 : Autres exemples d’actions collaboratives entre entreprises et académiques

Ces collaborations vont de la promotion de collaborations à la recherche de solutions par des commu-nautés en ligne à des problèmes posés :

Promotion, conduite de la politique de recherche, et stimulation de la recherche – L’Association for University Business and Economic Research (AUBER) est une association pro-

fessionnelle dont l’objectif est de promouvoir la recherche en gestion et en économie auprès des organisations, en stimulant celles-ci dans les universités publiques ou privées.

– Science Business est une organisation européenne qui réunit chercheurs, investisseurs et déci-deurs politiques autour de l’innovation. Son réseau est constitué d’universités reconnues pour leurs recherches, d’entreprises multinationales et d’agences gouvernementales. Elle crée des liens entre les différentes parties prenantes par de multiples moyens : évènements en réseaux, communica-tions… et a pour objectif de conduire la politique de recherche en innovation.

Diffusion de la recherche, interactions et communautés – La Society for Effectual Action (SEA) est une communauté de recherche autour de l’entrepreneu-

riat, qui assure le lien entre chercheurs et entrepreneurs du monde entier pour diffuser et discuter de nouvelles idées et de leurs applications à partir d’articles et de contributions de recherche.

– L’Utilium Network est un service qui fournit des résumés de recherches en psychologie, sociologie et management, axés sur la résolution pratique de problèmes liés aux organisations. Les managers peuvent poser leurs propres questions et réagir. Un forum en ligne permet aux diverses parties prenantes d’interagir ; et les étudiants peuvent aussi consulter le site.

Mises en œuvre collaboratives de recherches – Innocentive représente, pour sa part, une communauté d’entreprises en ligne qui financent la re-

cherche. L’idée repose sur la quête de réponses à des défis en R&D mais aussi sur la recherche des scientifiques qui apportent ces réponses. Ces initiatives, d’abord réservées aux sciences dures, sont aujourd’hui un modèle pour les autres disciplines.

– L’Advanced International Marketing Knowledge (AiMark) stimule des recherches en marketing (distribution et e-commerce, bien-être du consommateur...) menées dans le cadre d’actions colla-boratives entre le monde de la recherche et celui des entreprises, avec la mise à disposition des bases de données d’Europanel et de ses partenaires (Gfk, Kantar Worldpanel, SymphonyIRI).

Page 81: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 81

aussi en France avec l’avènement d’un certain pluralisme méthodologique et le développe-ment de recherches, entre autres de type eth-nographique.

Mais une des questions majeures est celle déjà soulevée du décalage temporel entre le rythme des recherches et de leur diffusion et celui des préoccupations des entreprises. Dans ce contexte, un phénomène impor-tant relatif à la publication des recherches et à leur diffusion doit être souligné. C’est celui de l’accélération de la diffusion numé-rique des recherches, avec une croissance exponentielle des revues en « accès libre ». En Europe, la recherche financée par des organismes publics doit être accessible gra-tuitement (initiative de Budapest de 2012 ; Commission Européenne, juillet 20123). Aux Etats-Unis, l’administration Obama a exigé en février 2013 la mise à disposition gratuite de tous les travaux issus de sa recherche pu-blique. Par ailleurs, des éditeurs proposent désormais les articles acceptés dans leur revue en « open access doré », immédiat, monde entier, moyennant contribution finan-cière des auteurs ou en « open access vert »4 (Cabut et Laropusserie, 2013). La guerre fait rage entre, d’une part, des associations scien-tifiques et chercheurs et, d’autre part, des éditeurs sur le libre accès des articles et les tarifications pratiquées par ces éditeurs. Ces tendances lourdes doivent amener les cher-cheurs en marketing à réfléchir au moyen de diffuser aussi largement et efficacement que possible les résultats de leurs travaux, soit à travers des communautés d’intérêt et réseaux dédiés de chercheurs et entreprises à imagi-ner, soit en diffusant en libre accès des « exe-cutive summaries » de leurs travaux.

3/ Voir http://www.opensocietyfoundations.org/openaccess, et http :europa.eu/rapid/press-release IP-12-790 fr htm.4/ Les articles peuvent être dans la pratique en « open access vert » c’est-à-dire sur le site de leur institution, pays ou communauté, dans une version pré-print ou légèrement remaniée ; ou en « open access doré », qui est la version publiée mais où l’auteur finance cet accès libre mondial.

les données et la connaissance, de guider la prise de décision et de mettre en œuvre ces décisions dans un contexte résolument inte-ractif, cela en phase avec les préoccupations actuelles des entreprises.

Au-delà des modèles d’aide à la décision, ce qui est nouveau est la possibilité d’échanges directs et interactifs entre chercheurs et ma-nagers sur des problèmes d’intérêt commun.

Outils d’analyse, diffusion et accessibilité aux recherches

Technologie et temps sont au cœur de ces problématiques. En ce qui concerne les dé-marches scientifiques et les outils d’analyse, il faut distinguer ce qui ressort, d’une part, du traitement de grandes masses de données avec une certaine immédiateté, et d’autre part, des démarches de compréhension de phéno-mènes où l’urgence temporelle n’est pas la même. Au-delà des thématiques de recherche fortement marquées par les évolutions tech-nologiques (stratégies cross-canal, nouvelles pratiques des consommateurs, etc.) et de l’adaptation nécessaire des outils aux grandes masses de données à trier, croiser, traiter, il s’agit aussi de passer de la description quan-titative à la compréhension des phénomènes. C’est ce que le philosophe Dilthey (1954) appelait « Von Erklärung zu Verstehen », c’est-à-dire de « l’explication » à la « com-préhension », à la quête de sens, à l’interpré-tation. Cette contribution importante que les chercheurs peuvent apporter aux managers, et ce qui est attendu par ces derniers, doit rester présente à l’esprit. Comme le souligne Robert-Demontrond (2013), les nouveaux enjeux justifient de passer de « l’étude des attitudes » au « tournant qualitatif » (narra-tif, phénoménologique, herméneutique, etc.) dans lequel se sont déjà impliquées nombre de sciences sociales. Les nouvelles approches ne doivent pas s’arrêter à des outils d’analyse, à de nouvelles démarches statistiques, plus robustes et fiables, mais doivent inclure de nouveaux paradigmes de recherche. Ceci est déjà le cas aux Etats-Unis, en Europe, mais

Page 82: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

82 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Conclusion

Les entretiens réalisés permettent de faire émerger les attentes des managers à l’égard du monde académique. Le rôle des cher-cheurs apparaît légitime pour définir les cadres théoriques qui sous – tendent les dis-cours managériaux et les faits observés, et en cela nos résultats sont cohérents avec les tra-vaux antérieurs (Cornelissen et Lock, 2005 ; Hugues et al., 2011).

L’évolution du rapport au temps affecte autant les différentes parties prenantes (consomma-teurs, chercheurs, managers). Nos conclu-sions mettent en valeur l’économie du lien qui structure davantage le court-terme que le long terme. Les entreprises s’orientent vers des relations d’échange dynamiques, qui impliquent la mise en place de processus performants et l’échange de compétences et/ou de services à partir duquel la valeur est co-créée avec le consommateur (Vargo et Lusch, 2004 ; Lusch et Vargo, 2011). Ainsi, ce nouveau rapport au temps, l’avènement de l’ère numérique et des échanges dyna-

Dans tous les cas, ces évolutions technolo-giques permettent de dépasser les contraintes temporelles auxquelles les acteurs sont sou-mis, par obligation (les entreprises et les chercheurs) ou par choix (les consomma-teurs).

De l’information à la prise de décision

A partir de ces réflexions, la figure 2 propose un schéma de collaboration à construire entre chercheurs et managers. Ce schéma met en avant le processus de collaboration qui com-mence dès la génération d’idées et continue jusqu’à la prise de décision. Les différentes formes d’échange de savoirs entre les cher-cheurs et les managers sont maintenant omni-canal : ils peuvent avoir lieu lors de conférences et de colloques et sont aussi dé-multipliés par les media sociaux et les open access : cela ouvre la voie aux chercheurs en marketing pour proposer aux praticiens des modèles de support et d’aide à la décision pour faire face aux défis qui les attendent.

Figure 2 : Les collaborations chercheurs-managers et le Web : Allier temps, technologie et recherche

Page 83: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 83

est ResearchGate, véritable Facebook pour scientifiques, qui permet aux chercheurs de se créer un profil professionnel, d’ajouter des contacts, d’échanger dans le cadre de groupes de discussion, de débattre de sujets précis. On pourrait imaginer des plateformes du même type entreprises-chercheurs, qui permet-traient de suivre les activités des utilisateurs partageant les mêmes centres d’intérêts, de participer à des groupes de discussion ou de débattre de sujets précis. Il faut souligner qu’il existe dans le domaine scientifique des plate-formes spécialisées (MalariaWorld concer-nant la recherche sur la malaria par exemple) ou plus généralistes (Epernicus pour toutes recherches cliniques et médicales). Des ré-seaux sociaux de scientifiques au service de l’entreprise ont été créés à l’image de celui de la Fondation Pierre-Gilles de Gennes (FPPG Network) pour faire le lien entre ses 1 500 chercheurs et les entreprises innovantes. Et les propositions d’innovations qui émergent sont ensuite discutées lors de colloques. Globalement, les enjeux de réseaux sociaux dédiés sont multiples comme le montre une étude menée à propos des réseaux scienti-fiques. Les répondants souhaitent des ré-seaux multidisciplinaires, ouverts et multi-acteurs dont l’utilisation principale serait la collaboration et la recherche d’informations, dont la vocation serait professionnelle et non sociale, avec des outils et contenus utiles, et avec la présence d’un animateur/animatrice dynamique (Duchemin, 2011). En marketing comme dans les domaines des sciences de gestion en général, la création de réseaux so-ciaux dédiés apparaît comme une évolution à venir souhaitable car correspondant à l’évolu-tion technologique et temporelle soulignée, et aux attentes des managers et chercheurs. Elle nécessite néanmoins de réfléchir aux objec-tifs, à la faisabilité, au caractère spécialisé ou plus généraliste de tels réseaux dédiés, et à la création de valeur pour les managers comme pour les chercheurs.

En analysant les discours, il apparaît égale-ment que les managers sont en attente d’une

miques militent en faveur d’une interaction entreprises-chercheurs à tous les stades de la recherche. Ainsi, Lutz (2011) préconise l’utilisation de modèles plus collaboratifs à toutes les étapes de la recherche, comme les modèles de recherche web 2.0. Il précise que l’adoption de ces modèles depuis la concep-tion, en passant par le design et le reviewing jusqu’à la diffusion électronique des connais-sances, permet d’assurer cette évolution. Il milite en particulier pour une diffusion plus rapide des idées, des informations et des recherches, en s’appuyant sur de meilleures méthodes de « distribution » de la recherche. Il propose de faire, à l’instar de certaines revues, du « push » knowledge contribution, à travers des campagnes promotionnelles proactives. In fine, on assiste au développe-ment de formes nouvelles d’interaction aux divers stades de la recherche. Les travaux en open access en sont une illustration. Ouvrir la porte à une diffusion électronique des connaissances en marketing ouvre ainsi la voie à de plus grandes possibilités de colla-boration et de communication.

Des réseaux sociaux dédiés aux interactions entreprises-chercheurs en marketing consti-tuent aussi une voie d’avenir majeure dans le cadre de ces collaborations. Les services numériques pour l’information scientifique créent de la valeur ajoutée en exploitant de plus en plus les « métadonnées auteur », et en facilitant l’accès aux recherches. Des ré-seaux dédiés aux scientifiques existent (par exemple e.g. Research Gate, Academia.eu, Ways, Social Science Space (Sage), Resear-chID (Thomson Reuters), BiomedExperts (Elsevier), UniPHY (Collexis)), ainsi que des réseaux d’entreprises. L’intérêt et le déve-loppement de la communication scientifique avec le Web est avéré (Broudoux, Chartron, 2009 ; Schopfel, 2009 ; Bester, 2011). Mais on peut imaginer des plateformes disposant de fonctionnalités, à l’instar de LinkedIn ou Viadeo, pour échanger entre membres d’un réseau social dédié chercheurs-entreprises. Un exemple intéressant de réseau scientifique

Page 84: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

84 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

fileadmin/Medias11/Documents/A10/BESTER.pdf

Broudoux E. et Chartron G. (2009), La communi-cation scientifique face au Web2.0 : Premiers constats et analyse, H2PTM’09 – Rétrospective et perspective – 1989-2009, Hermès Sciences, Lavoisier, 323-336.

Cabut S. et Larousserie D. (2013), A qui appar-tient le savoir ?, Le Monde Sciences et Tech-no, 28 janvier,abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2013/02/28/a-qui-appartient-le-sa-voir_1840797_1650684.html

Choffray J.-M. et Lilien G. (1986), A Decision-Sup-port System for Evaluating Sales Prospects and Launch, Industrial Marketing Management, 15, 1, 75-85.

Cornelissen J. P. et Lock A. R. (2005), The uses of marketing theory: constructs, research proposi-tions and managerial implications, Marketing Theory, 5, 165-184.

Cova B. (2008), Consumer made : quand le consom-mateur devient producteur, Décisions Marke-ting, 50, 19-27.

Dedieu C. et Removille C. (2012), Métamorphoses du marketing, Paris, Economica.

Dilthey, W., (1954), Essence of Philosophy, S.A. Emery and W.T. Emery (trans.), Chapel Hill: University of North Carolina Press.

Duchemin E. (2011), Les réseaux sociaux scienti-fiques sur Internet : compte-rendu d’une courte étude, Vertigo, 16 septembre. http://vertigo.hy-potheses.org/1104.

Ferrell O.C. et Ferrell L. (2008), A macromarketing ethics framework: stakeholder orientation and distributive justice, Journal of Macromarketing, 28, 1, 24-32.

Filser M. et Vernette E. (2011), La théorie marketing vit encore, Décisions Marketing, 62, 5-6.

Finchelstein G. (2011), La Dictature de l’urgence, Paris, éditions Fayard.

Gianellonni J.L. et Vernette E. (1995), Etudes de Marché, Paris, Vuibert.

Gilmore J.H. et Pine J.B. (1998), Welcome to the experience economy, Harvard Business Review, 76, 4, 97-105.

Hugues T., Bence D., Grisoni L., O’Regan N. et Wornham D. (2011), Scholarship that matters : Academic – practitioners engagement in busi-ness and management, Academy of Management Learning and Education, 10, 1, 40-57.

Jaworski B.J. (2011), On managerial relevance, Journal of Marketing, 75, 211-224.

redéfinition même du concept de marketing, ou à un retour aux fondamentaux. C’est la question à laquelle Kotler et al. (2013) apportent des réponses dans leur ouvrage Le Marketing 3.0. Ils nous invitent ainsi à intégrer les différentes facettes du consom-mateur : les dimensions émotionnelle, intel-lectuelle et spirituelle, bases d’un nouveau modèle qu’ils dénomment « cœur, cerveau et âme » du consommateur.

Enfin, ces perceptions des managers et les réponses qui peuvent être apportées à leurs questionnements ne doivent pas faire oublier que la recherche en marketing a pour finalité de répondre non seulement aux préoccupa-tions des entreprises, mais aussi des autres parties prenantes (Ferrell et Ferrell, 2008), qu’il s’agisse des consommateurs, des pou-voirs publics ou d’autres organismes publics et privés.

Références

Achrol R.S. et Kotler P. (2012), Frontiers of the Mar-keting Paradigm in the Third Millennium, Jour-nal of the Academy of Marketing Science, 40, 1, 35-52.

Baines P.R., Brennan R., Gill M. et Mortimore R. (2009), Examining the Academic/Commercial Divide in Marketing Research, European Jour-nal of Marketing, 43, 11/12, 1289-1299.

Baron S., Richardson B., Earles D. et Khogeer Y. (2011), Marketing academics and practitioners: Towards togetherness, Journal of Customer Be-havior, 10, 3, 291-304.

Bardin L. (2007), L’analyse de contenu, Paris, PUF.

Bénavent C., Hetzel P. et Salerno P. (1999), La ligne éditoriale, Décisions Marketing, 17, 5-6.

Belk R.W., Wallendorf M., Sherry J.F. Jr. (1989), The Sacred and the Profane in Consumer Behavior: Theodicy on the Odyssey, Journal of Consumer Research, 16, 1, 1-38.

Benavent C. et Hetzel P. (2000), Marketing et nou-velle économie, Décisions Marketing, 19, 5.

Bester E. (2011), Les réseaux sociaux dédiés aux scientifiques : état des lieux et analyse, Colloque Médias 011, Université Paul Cézanne, 8-9 dé-cembre. http://www.medias011.univ-cezanne.fr/

Page 85: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Recherche – 85

Pras B. (2012), La résilience du marketing, Revue française de gestion, 228-229, 59-85.

Robert-Demontrond P. (2013), Marketing 3.0 ? Tri-bunes@afm, Hiver.

Rosa H. (2010), Accélération, une critique sociale du temps, traduction de Renault D., Paris, La Découverte, coll. Théorie critique.

Roux D. (2012), Pourquoi parler de résistance ?, Décisions Marketing, 68, 5-10.

Schöpfel J. (dir.) (2009), Communication scienti-fique: les nouveaux enjeux, Les Cahiers du Nu-mérique, 5, 2.

Servan-Schreiber J.L. (2012), Trop vite ! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme, Le livre de poche, p. 13.

Vargo S.L. et Lusch R.F. (2004), Evolving to a New Dominant Logic for Marketing, Journal of Mar-keting, 68, 1, 1-17.

Kotler P., Kartajaya H., Setiawan I. et Vandercam-men M. (2012), Le marketing 3.0., Produits, clients, facteur humain, Bruxelles : De Boeck.

Laugier E. (2012), That’s marketing, Le nouvel économiste, 11 juillet, http://www.lenouvele-conomiste.fr/thats-marketing-15522/#.UYTT-sO2ENz0

Lilien G. L. (2011), Bridging the academic – prac-titioner divide in marketing decision models, Journal of Marketing, 75, 196-210.

Lusch R.F. et Vargo S.L. (2011) Service-dominant logic: a necessary step, European Journal of Marketing, 45, 7/8, 1298-1309.

Lutz R.J. ( 2011), Marketing Scholarship 2.0, Jour-nal of Marketing, 75, 225-234.

Maillet T. (2010), Le marketing et son histoire ou le mythe de Sisyphe réinventé, Pocket.

Morin E. (2011), La voie : pour l’avenir de l’Huma-nité, Fayard, Paris.

Page 86: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 87: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 87-101

Pour contacter les auteurs : [email protected].

DOI : 10.7193/DM.072.87.101 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.87.101Droulers O., Lajante M. et Lacoste-Badie S. (2013), Apport de la démarche neuroscientifique à la mesure des émotions : importation d’une nouvelle méthode de mesure de l’activité électrodermale, Décisions Marketing, 72, 87-101.

Résumé

Les émotions jouent un rôle essentiel lors de la prise de décision du consommateur. L’activité électrodermale, comme mesure du niveau d’activation émotionnelle (arousal), intéresse les chercheurs en marketing depuis de nombreuses années. Si ce signal est facile à enregistrer, il demeure complexe à traiter et à quantifier. Dans cet article, nous proposons des recommandations d’usage, présentons une méthode de traitement du signal récem-ment développée en neuroscience et l’appliquons à l’étude de huit publicités télévisées. Les résultats obtenus nous conduisent à recommander aux chercheurs et aux chargés d’études l’utilisation de cette nouvelle méthode de mesure. Mots-clés : activité électrodermale, activation émotionnelle, réponse électrodermale, traitement du signal, inté-grale des réponses électrodermales, neuroscience.

Abstract

Contribution of the neuroscience approach to the measurement of emotions: Importing a new EDA signal-pro-cessing method

Emotions play a critical role in decision-making. For several decades, researchers in marketing have relied on electrodermal activity to measure emotional arousal. This signal is easy to record but it remains difficult to pro-cess and quantify. In this paper, we propose recommendations for the assessment of skin conductance responses. A new signal processing method that has been developed in neuroscience is imported and applied to the study of eight television commercials. The results lead us to recommend the use of this new signal processing method for researchers and research managers. Key words: electrodermal activity, emotional arousal, skin conductance response, signal processing, integrated skin conductance responses, neuroscience.

Remerciements

Les auteurs remercient le rédacteur en chef et les évaluateurs anonymes qui ont contribué à l’amélioration de cet article par leurs commentaires.

Apport de la démarche neuroscientifique à la mesure des émotions :

importation d’une nouvelle méthode de mesure de l’activité électrodermale

Olivier Droulers, Mathieu Lajante et Sophie Lacoste-BadieUniversité de Rennes 1, IGR et IUT de Rennes

Centre de Recherche en Economie et Management, UMR CNRS 6211

Page 88: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

88 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Issues des domaines de la médecine et de la biologie, les neurosciences prennent depuis deux décennies une place de plus en plus importante en sciences humaines et sociales. En marketing cette évolution concerne l’en-semble des acteurs. En 2012, le neuromar-keting est identifié par une communauté de chercheurs comme un des thèmes émergents de la recherche en marketing (session hot to-pics, AFM 2012) et la même année est créée la Neuromarketing Science and Business Association (www.nmsba.com) qui regroupe de nombreuses sociétés de neuromarketing. Ainsi de plus en plus souvent, en complément aux méthodes classiques d’études, des sociétés de neuromarketing proposent aux entreprises d’utiliser des « méthodes neuroscientifiques ». Cette appellation englobe des méthodes très différentes comme la mesure de l’activité électrodermale, l’électromyographie faciale, le rythme cardiaque, l’électroencéphalogra-phie et les potentiels évoqués ou l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.

Nous choisissons dans cet article de trai-ter de la mesure de l’activité électrodermale (AED ; encadré 1). Si cette méthode intéresse les chercheurs en marketing depuis plusieurs années (Kroeber-Riel, 1979), on constate récemment une recrudescence du nombre d’articles basés, de façon exclusive ou non, sur la mesure de l’AED (par exemple, Micu et Plummer, 2010 ; Peacock, Purvis et Hazlett, 2011 ; Vecchiato et al., 2010). Parallèlement, des sociétés de conseil de plus en plus nom-breuses proposent à leurs clients une mesure de l’AED. Point remarquable et qui montre une large diffusion de cette méthode, la me-sure de l’AED n’est plus seulement présen-tée par des sociétés de type « pure player » en neuromarketing, comme Innerscope ou Sands Research, mais de plus en plus souvent par des sociétés de conseil « généralistes » telles BVA ou Nielsen.

L’explication de ce large intérêt porté à la mesure de l’AED en marketing est double. Ces dernières années les marketers – qu’ils

soient chercheurs ou praticiens – ont souli-gné le rôle principal des émotions dans les prises de décisions du consommateur mais, tout autant, la difficulté à les mesurer à l’aide de méthodes explicites verbales ou iconiques (Derbaix et Poncin, 2005). Or, l’AED est un indicateur du niveau d’activation physio-logique (arousal) d’un épisode émotionnel qui ne permet cependant pas d’en estimer la valence (pleasure). D’autre part, compa-ré à d’autres méthodes, l’enregistrement de l’activité électrodermale est simple puisqu’il repose sur le placement de deux électrodes sur les doigts du sujet (cf. infra). Cependant, et comme souvent avec les méthodes neuros-cientifiques, ce n’est pas tant la phase d’enre-gistrement qui pose problème que celle du traitement et de la quantification du signal. Or, dans les travaux publiés en marketing, cette partie est le plus souvent éludée ou trop rapidement traitée alors qu’elle mérite une attention particulière, comme le soulignent Poels et DeWitte (2006, p. 25) : « L’aptitude à mesurer la conductance cutanée et à en ana-lyser les données s’acquiert progressivement. Il est donc préférable de faire appel à des ex-perts, car ces données doivent être traitées et analysées de façon méticuleuse pour obtenir des résultats valides ».

La mesure de l’AED fait l’objet de plu-sieurs écrits de référence en neuroscience : Boucsein (2012), Boucsein et al. (2012) ou Cacioppo, Tassinary et Bernston (2007). Ce-pendant, ces travaux essentiellement à visée théorique n’abordent pas la mesure de l’AED sous un angle opérationnel. Dans cet article, nous formulons des recommandations pour les chercheurs et les chargés d’études souhai-tant mesurer l’AED dans leurs travaux. Une nouvelle méthode de traitement et de quanti-fication du signal de l’AED est importée des neurosciences, pour la première fois en mar-keting à notre connaissance : la déconvolution non-négative (Benedek et Kaernbach, 2010a, 2010b). Cette méthode présente le double in-térêt de garantir l’objectivité du traitement du signal et d’évaluer avec précision l’intégrale

Page 89: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 89

des réponses électrodermales qui est à ce jour l’indice le plus représentatif du processus phy-siologique mesuré. Puis, nous présentons une étude basée sur l’exposition à huit annonces publicitaires télévisées visant à comparer deux méthodes de quantification : la moyenne du signal aujourd’hui régulièrement utilisée en marketing (annexe 1) et la déconvolution non-négative. Pour terminer, les recomman-dations managériales sont discutées.

Mesurer l’activation émotionnelle du consommateur

Les travaux s’appuyant sur la mesure de l’AED visent à évaluer les réactions émotionnelles du consommateur suscitées par les stimuli

marketing (Bolls, Muehling et Yoon, 2003).

S’il est vrai que l’enregistrement du signal ré-

sultant de l’AED est une procédure relative-

ment simple, il n’en demeure pas moins que

son interprétation demande la mise en place

d’outils d’analyse élaborés. L’enregistrement

des réponses physiologiques exige donc une

attention particulière lors de l’acquisition et

de l’analyse du signal. Une lecture attentive

des études publiées en marketing a permis

d’identifier trois étapes qui concentrent l’es-

sentiel des limites méthodologiques. Il s’agit

de la phase de préparation à l’acquisition du

signal, de la phase de traitement du signal et

de la phase de quantification du signal.

Encadré 1 : Origine et composantes de l’activité électrodermale

L’activité électrodermale (AED) désigne la variation des propriétés électriques de la peau en réponse à la sécrétion de la sueur par les glandes sudoripares eccrines. Ces glandes sont principalement situées dans l’épaisseur du derme des sites palmaires et plantaires. Elles sont sous le contrôle du système nerveux autonome qui leur transmet les ordres de stimulation du système nerveux central. D’après Boucsein (2012), trois sous-structures du système nerveux central contrôlent l’AED : les structures limbiques (hypothalamus, gyrus cingulaire, hippocampe) impliquées dans les réactions émotionnelles et la thermorégulation, le cortex moteur et les ganglions de la base impliqués dans la locomotion et enfin la formation réticulée impliquée dans le contrôle du niveau d’éveil. Aujourd’hui, un consensus existe entre les chercheurs pour reconnaître que les variations phasiques de l’AED sont des marqueurs d’événements pertinents concernant le domaine des émotions et de l’attention (Sequeira et al., 2009).L’AED est composée d’une activité tonique (lente) et d’une activité phasique (rapide). L’activité to-nique fluctue spontanément (c’est-à-dire en l’absence de la présentation d’un stimulus) et lentement de façon continue entre 1 et 3 microsiemens (µS) pour une constante de temps comprise entre 10 et 30 secondes. Ce niveau de conductance de base est compris entre 2 et 20 µS selon les individus. L’activité phasique se distingue de l’activité tonique par des variations rapides en réponse à des stimuli et par une amplitude beaucoup plus faible comprise habituellement entre 0,1 et 1 µS. Seule l’activité phasique, appelée réponse électrodermale (RED), est l’indicateur du niveau d’activation d’un épisode émotionnel suscité par la présentation d’un stimulus. La superposition des deux activités (tonique et phasique) représente le niveau de conductance globale (figure 1).

Figure 1 : Les composantes tonique et phasique de l’activité électrodermale

Page 90: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

90 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

quer un gonflement de l’épiderme entraînant une diminution de la conductance cutanée (Boucsein, 2012). En revanche, l’application d’un gel conducteur sur les électrodes de recueil est préconisée pour diminuer l’impé-dance peau/électrodes actives. Les électrodes sont ensuite reliées à un système d’acquisition.

Avant de débuter l’enregistrement, une der-nière étape doit permettre de contrôler la mesurabilité des réactions physiologiques du sujet. En effet, certains traitements comme les anxiolytiques ou les antidépresseurs sont susceptibles d’émousser la réactivité du sys-tème nerveux autonome. Un son inattendu ou un cycle d’hyperventilation (plusieurs amples respirations) suffisent le plus souvent à sus-citer une RED et à contrôler la réactivité du système nerveux autonome avant l’enregis-trement du signal.

Enfin, il est important que le taux d’échantil-lonnage soit ajusté pour obtenir des données exploitables après la conversion analogique/numérique du signal. Une fréquence de 10Hz à l’acquisition est suffisante. Lorsque ces dif-férentes étapes de préparation à l’acquisition du signal sont franchies, l’expérimentateur peut débuter l’enregistrement.

La phase de traitement du signal

L’examen des choix méthodologiques effec-tués dans les études publiées en marketing montre que l’étape de traitement du signal est sous-évaluée, voir éludée. Or, ces insuf-

La phase de préparation à l’acquisition du signal de l’activité électrodermale

La préparation du participant, préalable à l’étape d’acquisition du signal, est détermi-nante pour garantir la qualité du signal en-suite recueilli. Dans les travaux publiés en marketing (annexe 1), le protocole de prépa-ration à l’enregistrement des données se li-mite à la pose des deux électrodes de recueil. Pourtant, plusieurs éléments de l’environ-nement doivent être considérés afin d’éviter des variations non contrôlées de l’AED. La salle expérimentale doit être neutre, insono-risée, sa température (proche de 23°C) et sa luminosité maintenues constantes (Boucsein, 2012). Si le protocole requiert la diffusion de stimuli via un écran de présentation, l’étalon-nage des paramètres d’affichage des couleurs à l’aide d’une sonde de calibration est recom-mandé afin de s’assurer de la constance des propriétés colorimétriques de l’écran.

L’enregistrement du signal brut est assuré par la pose de deux électrodes d’un diamètre compris entre 8 et 10 mm (par exemple de type Beckmann en argent-chlorure d’argent) positionnées sur la face interne des phalanges médianes de l’index et du majeur de la main non-dominante du sujet (figure 2). Avant la pose des électrodes, la peau ne requiert pas de préparation. En effet, cette intervention pourrait modifier le niveau d’hydratation et de concentration en électrolytes de la peau et exercer une forte influence sur l’AED. Par exemple, le lavage au savon peut provo-

Figure 2 : Equipement du sujet – (A) électrodes Ag/AgCl 10 mm ; (B) positionnement des électrodes ; (C) liaison établie entre les électrodes et le système d’acquisition

Page 91: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 91

gulièrement état d’avancées méthodologiques visant à améliorer le traitement du signal de l’AED. Récemment Benedek et Kaernbach (2010a, 2010b) ont proposé une méthode de traitement basée sur un modèle de décon-volution non-négative du signal. Cette mé-thode permet de décomposer les données de conductance cutanée et de reconstruire chacune de ses composantes tonique et pha-sique pour les évaluer séparément (figure 4). La procédure débute par la reconstitution de la composante tonique calculée à partir des données du signal déconvolué compris entre chaque RED. L’activité phasique est extraite en soustrayant l’activité tonique à l’AED. Les indices spatio-temporels des RED sont ensuite calculés, permettant ainsi l’évaluation des effets de superposition des courbes et la reconstruction point par point des courbes continues des RED. Lorsque cette étape est franchie, la définition d’une valeur de seuil critique permet de contrôler la significati-vité de l’activité phasique extraite. Les RED observées après l’apparition d’un stimulus doivent atteindre une valeur supérieure à 0,01 ou 0,05 µS (selon les auteurs) pour être retenues (Benedek et Kaernbach, 2010a ; Boucsein, 2012).

L’évaluation de l’effet de superposition des courbes

L’effet de superposition est lié aux propriétés temporelles d’une RED. Celle-ci est carac-

fisances méthodologiques risquent d’induire des biais dans la phase de quantification des RED. Il convient donc de traiter le signal brut en procédant par étapes.

La suppression des artéfacts

Boucsein définit les artéfacts comme « des changements dans le signal enregistré qui ne sont pas causés par la source du signal en question » (2012, p. 140). Lors de l’acquisi-tion du signal, la principale source d’artéfacts est liée au déplacement des électrodes dû à leur mauvaise fixation ou, plus souvent, à un mouvement du sujet durant la phase d’enre-gistrement. Afin de prévenir ces artéfacts, il est important de préciser au sujet d’éviter tout mouvement brusque durant l’enregistrement. Certains gestes peuvent toutefois survenir et modifier le signal. Il est donc nécessaire d’identifier et de supprimer les portions de la courbe altérées par ces mouvements avant de poursuivre le traitement. La solution la plus appropriée consiste en une reconstruction du segment altéré de la courbe par un proces-sus d’interpolation linéaire (reconstitution de la courbe à partir des coordonnées des deux points de données critiques) (figure 3).

L’extraction de la composante phasique

L’AED est un signal composé d’une activité tonique et d’une activité phasique qui doivent être évaluées séparément (Boucsein et al., 2012). La recherche en neuroscience fait ré-

Figure 3 : Exemple d’un artéfact et de sa suppression par interpolation linéaire

Page 92: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

92 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

La phase de quantification des réponses électrodermales

L’étude des travaux en marketing montre que la quantification de l’AED repose le plus souvent sur le calcul de la moyenne du signal non traité (annexe 1). Dans cette méthode de quantification, aucune procédure de traite-ment du signal n’est préalablement appliquée. Cet indice se calcule en effectuant la moyenne des valeurs de la courbe globale (c’est-à-dire sans distinguer l’activité phasique de l’acti-vité tonique) de l’AED pour chaque unité de temps choisie. L’indice obtenu peut être en-suite utilisé de deux façons différentes. Soit l’indice est calculé pour chaque condition expérimentale ; dans ce cas, la comparaison

térisée par une déflection (1 à 3 secondes après l’apparition d’un stimulus), suivie d’une phase d’ascension rapide vers un pic (1 à 3 secondes après la déflection) à laquelle suc-cède une phase de récupération lente vers la ligne de base (2 à 10 secondes après le pic). Comme la durée de la phase ascendante est toujours plus courte que celle de la phase descendante, la proximité temporelle de deux RED provoque un effet de superposition des courbes (figure 5). Il est donc primordial de tenir compte de ce phénomène avant la quan-tification des RED. Dans le cas contraire, la latence et les valeurs d’amplitude des RED seront sous-estimées.

Figure 4 : Extraction de la composante phasique par déconvolution non-négative du signal (adapté de Benedek et Kaernbach, 2010b)

Figure 5 : Paramètres d’une réponse électrodermale (adapté de Dawson, Schell et Courtney, 2011)

Page 93: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 93

en lieu et place de la variabilité de l’activité phasique (variant de 0,1 à 1 µS). En outre, les variations du signal ne représentent pas né-cessairement une augmentation de l’activité phasique corrélée à la présentation d’un sti-mulus mais peuvent résulter de fluctuations spontanées de l’activité tonique (Bach, Fris-ton et Dolan, 2010).

D’autre part, aucune valeur de seuil critique n’est applicable pour déterminer la significa-tivité des variations d’activité identifiées pen-dant la présentation des stimuli. Au regard de ces limites, la moyenne du signal brut ne per-met pas de déterminer si un stimulus suscite des réactions émotionnelles significatives et si celles-ci diffèrent d’une condition expéri-mentale à l’autre.

des moyennes permet d’identifier les stimuli qui suscitent les réactions émotionnelles les plus élevées (par exemple, Peacock, Purvis et Hazlett, 2011). Soit l’indice est calculé avant et pendant la présentation du stimulus ; dans ce cas, la comparaison des moyennes obte-nues détermine si le stimulus a déclenché des réactions émotionnelles.

Cependant, la moyenne du signal brut est un indice de quantification qui ne tient pas compte des propriétés du signal de l’AED. D’une part, l’absence de traitement permet-tant de distinguer l’activité tonique – indé-pendante des conditions expérimentales – de l’activité phasique – dépendante des condi-tions expérimentales – conduit à mesurer l’AED globale et à interpréter la variabilité de l’activité tonique (variant de 2 à 20 µS)

Encadré 2 : Origine de la forme des RED

Le modèle d’Edelberg (poral valve model, 1993) suppose qu’au repos, les pores de la peau sont fermés et les canaux sudoripares affaissés. Lorsque la sueur remplit les canaux à la limite de leur capacité, la pression résultante entraîne la diffusion de la sueur dans la couche cornée. L’hydratation croissante des niveaux inférieurs de la couche cornée déclenche une légère augmentation de la conductance cutanée. Lorsque la sueur est diffusée ou réabsorbée par le derme, la conductance cutanée retourne lentement vers son niveau initial et produit une réponse électrodermale aplatie (Figure 6, schéma A). En revanche, si le processus de sécrétion est élevé, la pression dans les canaux sudoripares augmentera fortement déclenchant l’ouverture des pores de la peau et la diffusion de la sueur vers l’extérieur, ce qui produira un accroissement abrupt de la conductance cutanée. La perte de volume subséquente à la diffusion de la sueur à travers les pores engendrera, tout d’abord, une baisse rapide du niveau de conductance cutanée, puis, la chute progressive de la pression dans les canaux sudoripares, jusqu’à la fermeture des pores, produira un retour lent vers la ligne de base (Figure 6, schéma B). Dans ce modèle, la forme variable des réponses électrodermales est attribuée à ces deux processus.

Figure 6 : Relation entre le processus de diffusion de la sueur et la forme des RED (tiré de Benedek et Kaernbach (2010a) et adapté de Edelberg (1993, poral valve model)

Page 94: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

94 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Etude comparative des méthodes de traitement du signal

Si les RED déclenchées par des annonces publicitaires télévisées représentent un in-dice électrophysiologique déjà plusieurs fois mobilisé dans un contexte marketing (par exemple, Bolls, Muehling et Yoon, 2003 ; Bradley, Angelini et Lee, 2007 ; Peacock, Purvis et Hazlett, 2011), à notre connais-sance, la méthode de traitement du signal de l’AED par déconvolution non-négative ainsi que la quantification de l’activité phasique à l’aide de l’ISCR n’ont jamais été appliquées dans un contexte d’étude marketing. Dans cette seconde partie, nous présentons les résultats d’une étude visant à comparer deux méthodes d’évaluation des RED suscitées par l’exposition à huit annonces publicitaires télévisées : le calcul de la moyenne du signal sans traitement préalable et le calcul de l’IS-CR après traitement du signal par déconvolu-tion non-négative (encadré 3).

Résultats

Pour évaluer l’activation émotionnelle susci-tée par les différentes annonces publicitaires télévisées, des analyses de variance (ANO-VA) à mesures répétées ont été effectuées avec l’annonce publicitaire comme facteur à huit modalités (Coca-Cola, McDonald’s, Président, Lindt, Spa, Pantoloc, Soubry, Mu-tuelle Nationale Territoriale) et la moyenne du signal brut et l’ISCR comme variables dé-pendantes. Un test post-hoc avec correction de Bonferroni a été utilisé en cas de signi-ficativité pour la comparaison multiple des moyennes. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel SPSS (version 20).

Calcul de la moyenne du signal brut

Les conditions d’application de l’analyse de variance à mesures répétées ont été véri-

La méthode de traitement du signal par dé-convolution non-négative, en décomposant l’AED en une composante phasique et une composante tonique, permet le calcul de plusieurs indices de quantification des RED comme, par exemple, la moyenne de l’acti-vité phasique, l’amplitude maximale de l’acti-vité phasique, la somme des amplitudes des RED ou l’intégrale de l’aire sous la courbe de l’activité phasique (par la suite : ISCR ; Integrated Skin Conductance Responses). A ce jour, plusieurs chercheurs (par exemple, Benedek et Kaernbach, 2010a ; Boucsein, 2012 ; Traxel, 1957) considèrent que l’ISCR, jusqu’ici difficile à calculer, est l’indice le plus représentatif du processus physiologique car il tient compte des formes hétérogènes des RED déterminées par le processus d’ou-verture des pores (encadré 2). L’ISCR est di-rectement corrélée au niveau d’activation des glandes sudoripares et représente l’activité phasique cumulée pendant le temps d’exposi-tion à un stimulus. Comme l’aire de l’activité électrodermale phasique n’est pas affectée par la déconvolution non-négative, l’intégrale de l’aire sous la courbe de l’activité phasique est parfaitement égale à l’aire des RED iden-tifiées sur le signal.

La normalisation des données de l’activité électrodermale

Avant de procéder aux tests statistiques avec les indices calculés, il convient de normali-ser les données extraites de l’AED phasique (Dawson, Schell et Filion, 2007). La distri-bution non gaussienne du signal impose une transformation logarithmique afin de res-pecter les hypothèses sous-jacentes aux tests statistiques paramétriques telles que les ana-lyses de variances (ANOVA, MANOVA) ou le t-test de comparaison des moyennes (Be-nedek et Kaernbach, 2010a, 2010b). La nor-malisation des données de l’AED s’effectue en appliquant la formule suivante : X’ = log (1 + |X|) ; où |X| est la valeur brute de l’AED (Venables et Christie, 1980).

Page 95: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 95

Calcul de l’ISCR

Les conditions d’application de l’analyse de variance à mesures répétées ont été vérifiées2. L’analyse montre qu’il y a un effet significa-tif de l’annonce publicitaire sur l’ISCR : F (6,34 ; 292,02) = 7,752 ; p = 0,000, η2 = 0,144 (l’effet du film explique 14,4% de la variance totale). Nous pouvons conclure que l’analyse réalisée à partir de l’indice « ISCR » indique qu’il y a des différences d’activation entre les huit publicités (figure 8).

2/ Le test de Mauchly indique que la condition de sphéricité n’est pas remplie (W de Mauchly = 0,311, c2 (27) = 50,71, p = 0,004), les degrés de liberté du test F ont donc été corrigés par la correction de Huynh-Feldt (e = 0,907).

fiées1. L’analyse montre qu’il n’y a pas d’effet significatif de l’annonce publicitaire sur la moyenne du signal brut : F (3,19 ; 143,82) = 1,017 ; p = 0,39, η2 (Eta au carré partiel, taille de l’effet) = 0,022 (l’effet du film explique 2,2% de la variance totale). Nous pouvons conclure que l’analyse réalisée à partir de l’indice « moyenne du signal brut » ne per-met pas de montrer de différence d’activation entre les huit annonces publicitaires (figure 7).

1/ Le test de Mauchly indique que la condition de sphéricité n’est pas remplie (W de Mauchly = 0,027, c2 (27) = 154,03, p = 0,000) ; les degrés de liberté du test F ont donc été corrigés par la correction de Greenhouse-Geisser (e = 0,457).

Encadré 3 : Méthodologie de l’étude

Enregistrement du signal48 sujets droitiers ont participé à la tâche expérimentale dans son intégralité. L’échantillon était com-posé de 11 hommes et 37 femmes, âgés de 19 à 57 ans (âge moyen = 33,55 ans, écart type = 10,08). Un formulaire de consentement éclairé a été recueilli auprès de chaque sujet qui a reçu une rémunération de 15 euros pour sa participation. La phase d’enregistrement s’est déroulée dans une pièce neutre dont la température (23°C) ainsi que la luminosité (éclairage artificiel) ont été maintenues constantes. Les stimuli ont été diffusés sur un écran plat Dell Professionnel P2210 56cm (22’’) via le logiciel de présentation E-prime 2 Professional. Les paramètres d’affichage des couleurs à l’écran ont été contrôlés avec une sonde de calibration (Spyder 3 Elite ColorVision Datacolor). Deux électrodes de recueil Ag-AgCl de 10 mm de diamètre, incluant un gel isotonique ont été placées sur les phalanges médianes de l’index et du majeur de la main non-dominante. Ces électrodes ont été branchées à un préamplificateur sans fil moins contraignant en termes de mouvement qu’un système de recueil classique (Bionomadix, Biopac System, Inc., Goleta, CA, USA). Le signal préamplifié était ensuite transmis à un bioamplificateur 16 voies et à un convertisseur Analogique/Numérique 16 bits (MP150, Biopac System, Inc., Goleta, CA, USA). Aucun filtre n’a été appliqué pendant l’acquisition du signal. Une fréquence d’échantillonnage de 10 Hz a été retenue.Après la pose des électrodes de recueil, les sujets ont effectué un cycle d’hyperventilation afin de vérifier la réactivité de leur système nerveux autonome. Après une période de relaxation de 3 minutes, 8 annonces publicitaires télévisées (t = 30 secondes) ont été diffusées (Coca-Cola, MacDonald’s, Pré-sident, Lindt, Spa, Pantoloc, Soubry, Mutuelle Nationale Territoriale). L’intervalle inter-stimulus a été fixé à 8 secondes et l’ordre d’apparition des annonces publicitaires a été randomisé. Chaque sujet a été exposé aux 8 annonces publicitaires. Traitement du signal

– Calcul de la moyenne du signal : aucun traitement n’a été appliqué. Les scores ont été calculés en effectuant la moyenne des 10 points de données de la courbe enregistrés chaque seconde.

– Calcul de l’ISCR : le signal a été analysé avec le logiciel d’analyse LEDALAB V3.3.2. Les arté-facts détectés ont été corrigés en reconstruisant la courbe par interpolation. Le signal a été ensuite lissé et analysé par la méthode de décomposition continue qui traduit le niveau de conductance cutanée de base en mesure continue de l’AED tonique, et le niveau des RED en mesure continue de l’AED phasique (Benedek et Kaernbach, 2010a). Le critère de seuil était de 0,01 µS. Les données ont toutes été normalisées avant les traitements statistiques (X’ = log (1 + |X|)).

Page 96: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

96 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

annonces publicitaires « Coca-Cola » (p

= 0,002), « Pantoloc » (p = 0,003), « Pré-

sident » (p = 0,009), « Soubry » (p = 0,000)

et « Lindt » (p = 0,000).

Il n’y a pas de différence d’activation signi-

ficative entre les annonces publicitaires

« Spa » et « McDonald’s » (p = 0,568). De

même, il n’y a pas de différence d’activation

significative entre les annonces publicitaires

« Mutuelle », « Coca-Cola », « Pantoloc »,

« Président », « Soubry » et « Lindt ».

Les tests de comparaisons multiples avec correction de Bonferroni ont permis d’obser-ver 11 différences significatives entre les an-nonces publicitaires. L’annonce publicitaire « Spa » est significativement plus activante que les annonces publicitaires « Mutuelle » (p = 0,001), « Coca-Cola » (p = 0,000), « Pantoloc » (p = 0,000), « Président » (p = 0,000), « Soubry » (p = 0,000) et « Lindt » (p = 0,000).

L’annonce publicitaire « McDonald’s » est significativement plus activante que les

Figure 7 : Comparaison des moyennes du signal brut pour les 8 annonces publicitaires (indice exprimé en µS)

Figure 8 : Comparaison des ISCR pour les 8 annonces publicitaires (indice exprimé en µS par seconde)

Page 97: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 97

comme des indices du niveau d’activation émotionnelle. L’application de la méthode de traitement par déconvolution non-négative et la quantification des RED à l’aide de l’ISCR montrent en revanche que les annonces pu-blicitaires des marques Spa et McDonald’s suscitent des réactions émotionnelles signifi-cativement supérieures aux autres annonces présentées dans le protocole.

Les résultats obtenus en appliquant la mé-thode de traitement du signal développée par Benedek et Kaernbach (2010a, 2010b) confortent le choix de cette procédure. En plus de répondre aux limites méthodolo-giques préalablement identifiées, le traite-ment par déconvolution non-négative du signal présente quatre principaux bénéfices pour les chercheurs s’intéressant à la mesure de l’AED en marketing. Premièrement, la distinction entre les composantes tonique et phasique est établie et l’application d’un cri-tère de seuil garantit au chercheur de traiter et d’interpréter l’activité phasique représen-tative de l’activation émotionnelle. Deuxiè-mement, la décomposition des données de la composante phasique permet de contrôler l’effet de superposition des courbes et de cal-culer ainsi avec précision les indices spatio-temporels des RED nécessaires à leur quanti-fication. Troisièmement, le contrôle de l’effet de superposition des courbes permet égale-ment une réduction significative des inter-valles inter-stimulus. Ces intervalles autrefois assez longs afin de tenir compte de la phase de récupération, sont aujourd’hui considéra-blement réduits ce qui permet de raccourcir la durée des expérimentations, d’augmenter le confort du participant et d’éviter la sur-venue de phénomènes liés à la lassitude du participant. Enfin quatrièmement, la modé-lisation mathématique de la forme des RED permet de calculer l’intégrale de l’aire sous la courbe, qui est l’indice de quantification le plus représentatif du processus psychophy-siologique en cours.

Conclusion et recommandations managériales

La mesure de l’activité électrodermale est aujourd’hui régulièrement adoptée pour éva-luer les réactions émotionnelles suscitées par des stimuli marketing. Cette mesure, utilisée à l’origine dans le champ des neurosciences, participe à l’approfondissement des connais-sances en comportement du consommateur. Cependant, les étapes de traitement du signal et de quantification des RED doivent être res-pectées pour garantir la validité des résultats. A ce titre, nous avons introduit une méthode de décomposition des données de l’AED par déconvolution non-négative qui fournit aux chercheurs et aux praticiens un cadre d’ana-lyse robuste. Cette méthode n’ayant jamais été utilisée dans un contexte marketing, nous avons proposé une étude comparative qui visait trois objectifs : mettre en application l’ensemble des recommandations formulées pour l’enregistrement de l’AED, importer pour la première fois en marketing la mé-thode de déconvolution non-négative du si-gnal et enfin comparer la moyenne du signal brut et l’intégrale des RED comme indices d’évaluation du niveau d’activation physiolo-gique des consommateurs.

A la suite de l’exposition à huit annonces publicitaires, l’ensemble des 48 participants de l’étude a eu des réactions physiologiques mesurables et chaque annonce publicitaire a suscité des réactions émotionnelles défi-nies par une activité phasique supérieure au critère de seuil de 0,01µS. Les résultats de l’étude illustrent l’intérêt de cette nou-velle méthode par rapport à la méthodologie la plus souvent appliquée en marketing. La moyenne du signal sans traitement préalable ne permet pas de distinguer des niveaux d’activation physiologiques significativement différents suscités par les annonces publi-citaires. En outre, l’absence de distinction entre les composantes tonique et phasique du signal conduit à considérer de façon abusive les valeurs de la conductance cutanée globale

Page 98: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

98 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

loppée par Benedek et Kaernbach (2010a, 2010b). Cela contribuera à l’amélioration de la qualité des recommandations des sociétés de conseil en marketing ayant fait le choix de l’AED dans l’étude des réactions émo-tionnelles du consommateur. L’importation de cette méthode a été illustrée avec des publicités télévisées. Il convient à l’avenir de l’étendre à d’autres supports (annonce presse ou radio, packaging, site internet), soit dans un contexte de simple exposition, soit dans un contexte de prise de décision.

Références

Aaker D. A., Stayman D. M. et Hagerty M. R. (1986), Warmth in advertising: Measurement, impact and sequence effects, Journal of Consu-mer Research, 12, 4, 365-381.

Association Française du Marketing (2012). Page consultée le 30/09/2012. http://www.afm-mar-keting.org/1-afm-association-francaise-du-marketing/125-ressources/182-hot-topics.aspx

Bach D.R., Friston K.J. et Dolan R.J. (2010), Ana-lytic measures for quantification of arousal from spontaneous skin conductance fluctuations, International Journal of Psychophysiology, 76, 1, 52-55.

Belch M.A., Holgerson B.E., Belch G.E. et Koppman J. (1982), Psychophysiological and cognitive responses to sex in advertising, Advances in Consumer Research, 9, 1, 424-427.

Benedek M. et Kaernbach C. (2010a), Decomposi-tion of skin conductance data by means of non-negative deconvolution, Psychophysiology, 47, 4, 647-658.

Benedek M. et Kaernbach C. (2010b), A continuous measure of phasic electrodermal activity, Jour-nal of Neuroscience Methods, 190, 1, 80-91.

Bolls P.D., Lang A. et Potter R.F. (2001), The effects of message valence and listener arousal on atten-tion, memory, and facial muscular responses to radio advertisements, Communication Research, 28, 627-651.

Bolls P. D., Muehling D. D. et Yoon K. (2003), The effects of television commercial pacing on viewers’ attention and memory, Journal of Mar-keting Communications, 9, 1, 17-28.

Boucsein W. (2012), Electrodermal activity (2nd ed.), New York, Springer.

Sur ce dernier point, plusieurs arguments ont été avancés. Edelberg (1993) a développé un modèle explicatif des formes des RED liées à l’ouverture variable des pores de la peau. Les RED liées à une ouverture complète des pores auront une forme en pic, alors qu’elles auront une forme plus plate si les pores restent fermés (phénomène à l’origine de la dimension spatiale des RED). Il faut égale-ment tenir compte du temps d’ouverture des pores (phénomène à l’origine de la dimen-sion temporelle des RED). Or, par exemple, la valeur d’amplitude des RED n’intègre que la dimension spatiale, alors que l’ISCR intègre simultanément les dimensions spa-tiales et temporelles des RED. Ainsi, à notre connaissance, l’ISCR est à ce jour l’indice de quantification le plus représentatif des réac-tions émotionnelles déclenchées par des sti-muli marketing, car il traduit fidèlement le niveau d’activation des glandes sudoripares à l’origine des RED (Benedek et Kaernbach, 2010a, 2010b ; Boucsein, 2012).

Depuis la mise en évidence du rôle des émo-tions dans les évaluations et les décisions du consommateur, les outils de mesure n’ont cessé d’évoluer. Aujourd’hui, l’activité élec-trodermale est un indice physiologique uti-lisé pour mesurer les réponses émotionnelles du consommateur exposé à des annonces publicitaires télévisées (par exemple, Bolls, Muehling et Yoon, 2003 ; Bradley, Angelini et Lee, 2007 ; Peacock, Purvis et Hazlett, 2011). Les publicités télévisées sont des stimuli dy-namiques complexes, souvent d’une durée de quelques (dizaines de) secondes, susceptibles donc de générer plusieurs épisodes émotion-nels de niveaux et de durées différents. Les chercheurs en marketing, tout comme les chargés d’études, doivent tenir compte des caractéristiques particulières de ce type de stimuli et sélectionner une méthodologie à la fois rigoureuse et accessible. Sur la base des résultats que nous avons obtenus, nous préconisons de délaisser la méthode de quan-tification des RED basée sur la moyenne du signal brut et d’opter pour la méthode déve-

Page 99: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 99

attention, and memory for television messages: When an edit is an edit can an edit be too much? Journal of Broadcasting & Electronic Media, 44, 94-109.

Micu A.C. et Plummer J.T. (2010), Measurable emo-tions: How television ads really work, Journal of Advertising Research, 50, 2, 137-153.

Peacock J., Purvis S. et Hazlett R. L. (2011), Which broadcast medium better drives engagement? Measuring the powers of radio and television with electromyography and skin conductance measurements, Journal of Advertising Research, 51, 4, 578-585.

Poels K. et DeWitte S. (2006), How to capture the heart? Reviewing 20 years of emotion measu-rement in advertising, Journal of Advertising Research, 46, 1, 18-37.

Potter R.F. (2009), Double the units: how increasing the number of advertisements while keeping the overall duration of commercial breaks constant affects radio listeners, Journal of Broadcasting & Electronic Media, 53, 584-598.

Sequeira H., Hot P., Silvert L. et Delplanque S. (2009), Electrical autonomic correlates of emo-tion, International Journal of Psychophysiology, 71, 1, 50-56.

Stayman D.M. et Aaker D.A. (1993), Continuous measurement of self-report of emotional res-ponse, Psychology & Marketing, 10, 3, 199-214.

Traxel, W. (1957). Über das Zeitma der psychogal-vanischen reaktion. Zeitschrift für Psychologie, 161, 282-291.

Vecchiato G., Astolfi L., De Vico Fallani F., Cincotti F., Mattia D., Salinari S., Soranzo R. et Babiloni F. (2010), Changes in brain activity during the observation of TV commercials by using EEG, GSR and HR measurements, Brain Topography, 23, 2, 165-179.

Vanden Abeele P. et MacLachlan D.L. (1994), Pro-cess Tracing of Emotional Responses to TV ads: Revisiting the Warmth Monitor, Journal of Consumer Research, 20, 4, 586-600.

Venables P. H. et Christie M. J. (1980), Electro-dermal activity, in I. Martin et P. H. Venables (coord.), Techniques in psychophysiology, New York, Wiley & Sons, 3-67.

Boucsein W., Fowles D.C., Grimnes S., Ben-Shakhar G., Roth W.T., Dawson M.E. et Filion D.L. (2012), Publication recommendations for electrodermal measurements, Psychophysiology, 49, 8, 1017-1034.

Bradley S.D., Angelini J.R. et Lee S. (2007), Psy-chophysiological and memory effects of nega-tive political ads, Journal of Advertising, 36, 4, 115-127.

Cacioppo J. T., Tassinary L. G. et Berntson G. G. (2007), Handbook of psychophysiology (3e ed.), New York, Cambridge University Press.

Dawson M. E., Schell A. M. et Courtney C. G. (2011), The skin conductance response, antici-pation, and decision-making, Journal of Neuros-cience, Psychology, and Economics, 4, 2, 111-116.

Dawson M. E., Schell A. M. et Filion D. L. (2007), The electrodermal system, in J.T. Cacioppo, L. G. Tassinary et G. G. Bernston (coord.), Hand-book of psychophysiology, 3e ed., New York, Cambridge University Press, 159-181.

Derbaix C. et Poncin I. (2005), La mesure des réac-tions affectives en marketing : évaluation des principaux outils, Recherche et Applications en Marketing, 20, 2, 55-75.

Edelberg R. (1993), Electrodermal mechanisms: A critique of the two-effector hypothesis and a pro-posed replacement, in J. C. Roy, W. Boucsein, D. C. Fowles et J. H. Gruzelier (coord.), Progress in electrodermal research, New-York, Plenum Press, 7-29.

Groeppel-Klein, A. et Baun, D. (2001), The Role of Customers’ Arousal for Retail Stores--Results from An Experimental Pilot Study Using Elec-trodermal Activity as Indicator, Advances in Consumer Research, 28, 1, 412-419.

Kroeber-Riel W. (1979), Activation research: Psy-chobiological approaches in consumer research, Journal of Consumer Research, 5, 4, 240-250.

Lang A., Bolls P.D., Potter R.F. et Kawahara K. (1999), The effects of production pacing and arousing content on the information processing of televisions messages, Journal of Broadcasting & Electronic Media, 43, 451-475.

Lang A., Zhou S., Schwartz N., Bolls P.D. et Pot-ter R.F. (2000), The effects of edits on arousal,

Page 100: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

100 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Ann

exe

: Syn

thès

e de

s m

étho

des

de m

esur

e de

l’ac

tivité

éle

ctro

derm

ale

en m

arke

ting

Etu

des

Stim

uli

Equ

ipem

ent

Tra

item

ent

Qua

ntifi

cati

onK

roeb

er-R

iel,

1979

Jour

nal o

f con

sum

er r

e-se

arch

Ann

once

s pu

blic

itair

es p

ress

eN

on p

réci

séN

on p

réci

séA

mpl

itude

de

l’A

ED

gl

obal

e

Bel

ch e

t al.,

198

2A

dvan

ces

in c

onsu

mer

re

sear

chA

nnon

ces

publ

icita

ires

pre

sse

Non

pré

cisé

Non

pré

cisé

Non

pré

cisé

Aak

er, S

taym

an e

t Hag

erty

, 19

86Jo

urna

l of c

onsu

mer

re-

sear

ch

Ann

once

s pu

blic

itair

es

télé

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sur

l’in

dex

et le

maj

eur

de la

m

ain

non-

dom

inan

te(N

arco

Bio

syst

em P

hysi

ogra

ph)

Non

pré

cisé

Moy

enne

du

sign

al

Stay

man

et A

aker

, 199

3P

sych

olog

y &

mar

keti

ngA

nnon

ces

publ

icita

ires

lévi

sées

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sur

la f

ace

palm

aire

de

la

mai

n no

n-do

min

ante

Non

pré

cisé

Non

pré

cisé

Van

den

Abe

ele

et M

acL

ach-

lan,

199

4Jo

urna

l of c

onsu

mer

re-

sear

ch

Ann

once

s pu

blic

itair

es

télé

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sur

la f

ace

palm

aire

de

la

mai

n no

n-do

min

ante

Fré

quen

ce d

’éch

antil

lonn

age

: 2

Hz

(ZA

K B

iosy

stem

s E

DA

/S m

odul

e) ;

Non

pré

cisé

Moy

enne

sta

ndar

disé

e (s

core

s z)

des

am

plitu

des

max

imal

es p

ar s

egm

ent d

e 3

sec

(3 s

ec*1

0 se

gmen

ts =

30

sec

)

Lan

g et

al.,

199

9Jo

urna

l of B

road

cast

ing

&

Ele

ctro

nic

Med

ia

Ann

once

s pu

blic

itair

es

télé

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sta

ndar

ds s

ur la

mai

n no

n-do

min

ante

Fr

éque

nce

d’éc

hant

illon

nage

: 20

Hz

(Cou

lbou

rn S

C m

odul

e, e

nreg

istr

emen

t exo

som

atiq

ue,

tens

ion

cons

tant

e : 0

,5 V

Non

pré

cisé

Moy

enne

du

sign

al

Lan

g et

al.,

200

0Jo

urna

l of B

road

cast

ing

&

Ele

ctro

nic

Med

ia

Ann

once

s pu

blic

itair

es

télé

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sta

ndar

ds s

ur la

mai

n no

n-do

min

ante

Fr

éque

nce

d’éc

hant

illon

nage

: 10

Hz

(Cou

lbou

rn S

C m

odul

e)

Non

pré

cisé

Fréq

uenc

e de

s R

ED

(se

uil :

0,

1µS)

Bol

ls, L

ang

et P

otte

r, 20

01C

omm

unic

atio

n R

esea

rch

Ann

once

s pu

blic

itair

es r

adio

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sta

ndar

d av

ec u

n ge

l co

nduc

teur

pla

cées

sur

la f

ace

palm

aire

de

la m

ain

non-

dom

inan

teFr

éque

nce

d’éc

hant

illon

nage

: 20

Hz

(Cou

lbou

rn S

C m

odul

e)

Non

pré

cisé

Moy

enne

du

sign

al

Page 101: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 101

Etu

des

Stim

uli

Equ

ipem

ent

Tra

item

ent

Qua

ntifi

cati

on

Gro

eppe

l-K

lein

et B

aun,

20

01A

dvan

ces

in c

onsu

mer

re

sear

ch

Mer

chan

disi

ngPl

acem

ent d

e 2

élec

trod

es s

tand

ard

avec

un

gel

cond

ucte

ur p

lacé

es s

ur la

fac

e pa

lmai

re d

e la

mai

n no

n-do

min

ante

Supp

ress

ion

des

arté

fact

s et

ext

rac-

tion

de l’

activ

ité

phas

ique

(m

étho

de

non

préc

isée

). E

va-

luat

ion

des

effe

ts

de s

uper

posi

tion

Som

me

des

ampl

itude

s de

l’

activ

ité p

hasi

que

(seu

il :

0.05

µS)

.Fr

éque

nce

des

RE

D

Bol

ls, M

uehl

ing

et Y

oon,

20

03Jo

urna

l of m

arke

ting

com

-m

unic

atio

ns

Ann

once

s pu

blic

itair

es té

lé-

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sta

ndar

d su

r la

mai

n no

n-do

min

ante

; fr

éque

nce

d’éc

hant

illon

nage

: 20

Hz

(Col

bour

ne S

C S

yste

m)

Non

pré

cisé

Moy

enne

du

sign

al

Bra

dley

, Ang

elin

i et L

ee,

2007

Jour

nal o

f adv

erti

sing

Ann

once

s pu

blic

itair

es té

lé-

visé

es

Plac

emen

t de

2 él

ectr

odes

sta

ndar

d su

r la

mai

n no

n-do

min

ante

; fré

quen

ce d

’éch

antil

lonn

age

: 20

Hz

(Col

bour

ne L

abli

nc V

Sys

tem

)N

on p

réci

séM

oyen

ne d

u si

gnal

Potte

r, 20

09Jo

urna

l of B

road

cast

ing

&

Ele

ctro

nic

Med

iaA

nnon

ces

publ

icita

ires

rad

ioPl

acem

ent d

e 2

élec

trod

es s

tand

ard

avec

un

gel

cond

ucte

ur p

lacé

es s

ur la

mai

n no

n-do

min

ante

Fréq

uenc

e d’

écha

ntill

onna

ge :

20 H

zN

on p

réci

séM

oyen

ne d

u si

gnal

Peac

ock,

Pur

vis

et H

azle

tt,

2011

Jour

nal o

f adv

erti

sing

re

sear

ch

Ann

once

s pu

blic

itair

es té

lévi

-sé

es e

t rad

ioN

on p

réci

séN

on p

réci

séM

oyen

ne d

u si

gnal

Page 102: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 103: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 103-120

Pour contacter l’auteur : [email protected]

DOI : 10.7193/DM.072.103.120 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.103.120Willart S. (2013), Le VRM : un nouveau paradigme pour la relation client ? Fondements, principe, opportunités et limites, Décisions Marketing, 72, 103-120.

Résumé

Le principe du VRM (Vendor Relationship Management) est d’offrir aux consommateurs un ensemble d’outils pour gérer la relation entre vendeur et client. Les trois axes principaux de ce renversement de la relation com-merciale sont la réappropriation par les consommateurs de leurs données personnelles, la diminution drastique du pistage en ligne, et la déclaration des intentions d’achat. Ces deux premiers points sont appuyés par un projet de règlement européen renforçant la protection de la vie privée, et le troisième est à la base de nouveaux outils conçus par des entreprises innovantes. Cet article propose d’analyser l’ensemble de ces phénomènes en les confrontant aux avis de consommateurs recueillis lors d’une série d’entretiens et d’un focus-group. Mots-clés : VRM, vie privée, règlement 2012/0011, pistage en ligne, entretiens consommateurs.

Abstract

VRM : a new paradigm for customer relationship ? Foundations, Principles, opportunities, limits

The VRM (Vendor Relationship Management) principle is to provide customers with a set of tools for managing their relations with vendors. The three main drivers of this shift in commercial relationships are a) customers taking back their personal data b) a drastic decrease of online tracking c) intent-casting. The first two issues are fostered by a European regulation project on data protection. The third is the basis of new tools being developed by innovative companies. This paper analyses all of these aspects of VRM and presented them to customer opi-nions through a series of interviews and a focus-group. Key words: VRM, privacy, regulation 2012/0011, online tracking, customer interview.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Bernard Pras et les trois relecteurs anonymes de la revue Décisions Marketing pour leurs commentaires, ainsi que Dominique Crié, Andréa Micheaux, le PICOM, et les consommateurs et respon-sables d’entreprise interviewés.

Le VRM : un nouveau paradigme pour la relation client ?

Fondements, principe, opportunités et limites

Sylvain Willart IAE de Lille, Université Lille 1

Page 104: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

104 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Le principe du VRM (Vendor Relationship Management) est d’offrir aux consomma-teurs un ensemble d’outils pour gérer la rela-tion entre vendeur et client. Cette idée part du constat d’asymétrie de cette relation, le ven-deur disposant de nombreux outils de CRM (Customer Relationship Management) aux-quels les consommateurs n’ont, pour le mo-ment, rien à opposer. Le VRM devrait ainsi permettre de renforcer les consommateurs dans la relation commerciale, en les rendant plus indépendants, notamment via le contrôle de leurs données personnelles et des usages qui peuvent en être faits. De façon ultime, les termes de la relation pourraient être négociés, et non plus imposés par le vendeur et accep-tés par le consommateur. La relation ainsi ré-équilibrée, plus transparente et plus juste, serait plus avantageuse pour les deux parties. L’objectif de cet article est d’analyser dans quelle mesure le VRM peut rénover à moyen et long terme la pratique de la relation client.

Ce concept de VRM, ancré dans la tradition du permission marketing (Godin, 2000) et du CMR (Customer Managed Relationship, Newell, 2003), est développé notamment depuis 2006 au sein du Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard) dans le cadre du « projectVRM » (dirigé par D. Searls). Ce projet, au travers de sa liste de diffusion1, se veut un point d’intégration des nombreuses thématiques connexes au principe, encore en construction, du VRM : aspects techniques et informatiques, aspects juridiques, questions de vie privée, manage-ment des identités numériques, efficacité et intérêt de la publicité ciblée, usages des don-nées personnelles, cloud-computing…

Au cours des deux dernières années, plusieurs phénomènes ont convergé rendant plus pres-santes les pistes d’innovation proposées par le principe du VRM. L’émergence des « Big Data » tout d’abord, au travers des questions de la qualité des données et de leur utilisation

1/ https: / /cyber.law.harvard.edu / l ists /info / projectvrm

potentiellement intrusive. Le questionnement juridique ensuite, notamment quant aux trai-tements effectués sur ces données avec ou sans le consentement des consommateurs. Et enfin la nécessité pour les entreprises de renforcer la relation de confiance avec leurs clients2. Ces différents phénomènes ont pous-sé à plusieurs innovations de la part d’entre-prises installées ou de start-ups, même si plusieurs obstacles existent encore quant à l’émergence d’un écosystème complet de VRM.

Ces différents aspects du VRM, techniques, juridiques, et pratiques d’entreprises, sont confrontés tout au long de l’article à une analyse du sentiment des consommateurs re-cueilli via une série d’entretiens semi-direc-tifs et un focus-group (encadré 1). Ce regard croisé permet de mettre en lumière les inno-vations potentiellement les plus importantes, ainsi que les écueils et limites du système.

Aspects techniques du VRM : à contre-courant du tracking et des Big Data

L’évolution du CRM en ligne a permis de stocker, analyser, optimiser la relation entre vendeurs et consommateurs. De grandes bases de données ont été constituées parfois sans accord explicite des consommateurs, voire des entreprises. La réaction des inter-nautes face au phénomène de tracking per-mis par ces Big Data n’est pas unanime, et la réponse apportée par le VRM réside notam-ment dans un ré-équilibrage de la dimension technologique de la relation commerciale.

Track me if you can

Outils du tracking

L’évolution du CRM, notamment dans le commerce en ligne, a permis le développe-ment d’outils toujours plus précis à disposi-

2/ Voir le Baromètre de la Confiance 2011 / L’Ob-SoCo

Page 105: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 105

tion des entreprises pour suivre et analyser le comportement des internautes. L’analyse clas-sique et limitative des fichiers LOG a laissé la place aux cookies de session puis de tierces parties (voire maintenant des cookies Flash, des web-beacons et du Fingerprinting)3. Un marché s’est organisé autour de ces données et profils récoltés, d’abord autour des Adser-vers, et aujourd’hui sur des plateformes de RTB (Real Time Bidding). Ces outils du

3/ Voir http://www.allaboutcookies.org et https://panopticlick.eff.org/

CRM moderne permettent aux entreprises de personnaliser et d’optimiser l’expérience d’achat en ligne. Internet est ainsi devenu un vecteur privilégié de la relation client.

Bien que ces outils soient globalement effi-caces pour augmenter le taux de conversion (source criteo.com, leader français du retar-geting), leur dimension automatique et exter-nalisée peut générer des effets inattendus pour les commerçants en ligne. Les vendeurs ne sont ainsi pas toujours au courant des coo-kies tiers déposés par leur site du fait de la

Encadré 1 : Méthodologie

1 – Dans une approche holistique du sujet complexe qu’est le VRM, la première étape méthodolo-gique a constitué en une observation de la liste de diffusion « projectVRM » du centre Berkmann sur une période de 12 mois (mars 2012 – février 2013). Cette observation a constitué la principale source d’informations d’ordre technique, ainsi qu’une familiarisation avec le principe du VRM et sa galaxie d’outils et entreprises innovantes.2 – Sur les aspects juridiques, après une analyse approfondie du projet 2012-0011, de ses commentaires dans les revues juridiques, et des documents du G29, nous avons pu interviewer trois personnes : une avocate spécialisée dans le droit des nouvelles technologies, une docteure en droit de l’UE, et une représentante de la CNIL. Cette analyse et ces interviews (non enregistrées) ont été la source des infor-mations d’ordre juridique.3 – Quant à la question de la possibilité et de l’acceptation d’un écosystème de type VRM, nous avons procédé à une approche multiple en vue d’une triangulation :

a) Une série de neuf entretiens semi-directifs a été réalisée (juin-septembre 2012). Ceux-ci visaient à définir comment, en fonction de l’histoire particulière de chaque consommateur, l’émergence d’outils de type VRM pouvait être perçue. Ces outils ont été abordés en seconde partie, après des questions ouvertes sur le respect de la vie privée et l’utilisation des données personnelles. Malgré des jugements et comportements très hétérogènes sur les sujets touchant aux données personnelles, la saturation théorique a été atteinte quant à la perception des outils de type VRM.

b) Par la suite, un focus-group a été organisé (7 participants – 24 septembre 2012) afin de voir com-ment des consommateurs pourraient réagir collectivement à l’arrivée de tels outils. Le déroulement de la réunion a suivi un plan similaire à celui des entretiens semi-directifs. Sur le chapitre des outils de protection de la vie privée, la discussion a pris une tournure d’échange de « bons plans » en la matière, laissant supposer que ce type d’outils pourrait bénéficier d’un bouche-à-oreille positif. Sur les outils plus spécifiques du VRM, les participants ont interrogé le médiateur sur la date de disponibilité et le prix de ces outils montrant ainsi une attente assez forte même si plusieurs critiques ont été émises.

c) Enfin, nous avons interrogé plusieurs représentants d’entreprise (treize) occupant divers postes liés à ces problématiques (responsable CRM, responsable bases de données clients, directeur de l’innovation, directeur des services informatiques, correspondant informatique et libertés – CIL, directeur général…), ce dans plusieurs types d’entreprises (GSA, GSS, SSII, banque, start-up). Ces entretiens ont globalement mis en évidence une certaine appétence, mais également plusieurs craintes quant à la thématique du VRM.

4 – Les entretiens semi-directifs et le focus group ont fait l’objet d’enregistrements vidéo et/ou audio et d’une retranscription. Cette retranscription a permis un codage et une catégorisation des propos. Les interviews au sein des entreprises en revanche n’ont pu faire l’objet que d’une prise de notes, et pour raison de confidentialité les propos rapportés ne sont pas attribués nommément à telle ou telle entreprise.

Page 106: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

106 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ces questions de protection de la vie privée ; les raisons de ce décalage, ou privacy para-dox, sont encore mal connues (Pras, 2012), même si plusieurs pistes ont été avancées (John et al. 2011).

En amont de la perception de l’intrusion se trouve la prise de conscience par les inter-nautes qu’ils peuvent effectivement être pis-tés dans leur comportement en ligne. Cette prise de conscience doit largement à la série What they know publiée par le Wall Street Journal et relayée dans les médias du monde entier (<http://blogs.wsj.com/wtk/>).

Les conséquences de cette prise de conscience sont variées (Lancelot-Miltgen, 2003 et 2011). Pour certains consommateurs, c’est la résignation qui l’emporte face à un système dont les règles semblent absconses (« des fois c’est compliqué de comprendre d’où ça peut venir, par quel biais cette information là a pu arriver. On est face à une machine qui évolue plus vite que nous. Dans la vie de tous les jours on a un certain nombre de codes, on les comprend, mais sur internet on joue un jeu où les règles changent tous les jours, il faut se remettre à niveau. » – FG3). Pour d’autres consommateurs, c’est la résistance (Pez, 2012) qui apparaît comme la meilleure voie. Cette résistance peut s’exprimer par un refus net (« Les pubs ciblées je trouve ça juste ennuyeux, et puis de toutes façons, en réaction, j’achèterai pas, rien que pour çà, ça m’énerve » – AB), ou par la volonté de ne pas se sentir influencé dans ses choix ou poussé à la consommation (« Moins j’ai de pub, plus je suis content, j’ai envie d’avoir l’impression que je fais mes choix tout seul » – MZ). Pourtant, en amont de ces possibles réactions, les jugements sur le principe de la publicité ciblée ne sont pas nécessairement négatifs (« C’est très pratique… il garde en mémoire ce que tu avais sélectionné la der-nière fois » – LA ; « La pub ciblée sur inter-net me dérange pas. Parce que je préfère ça plutôt que d’avoir une pub pour des couches

complexité des accords d’affiliation et de par-tenariat (« Quand on a fait la nouvelle version de notre site et que j’ai dû ouvrir les ports de connexion, c’est là que je me suis rendu compte qu’on avait plus d’une trentaine de partenaires qui déposaient des cookies » – Dir. Innovation, GSS). Cette complexité peut également avoir des répercussions néga-tives sur la relation avec les clients (« Si un client est en opt-out chez nous, et en opt-in chez un de nos partenaires, il peut très bien recevoir nos mailings, et là forcément, il va se plaindre » – CIL, VAD). D’autre part, les entreprises ne contrôlent pas toujours les sites sur lesquels leurs campagnes vont s’afficher. L’optimisation du retargeting prenant en compte le prix de l’espace publicitaire, une entreprise de bonne foi peut voir sa publicité affichée sur un site de contenus illégaux ou licencieux (téléchargement, streaming…) où cet espace, de par sa grande quantité, est moins cher.

Perception et réactions des internautes consommateurs

Pour les consommateurs, comme pour les entreprises, le principe du tracking et retar-geting présente des avantages et des inconvé-nients qui correspondent à la perception que chacun peut avoir de la frontière entre per-sonnalisation et intrusion.

Le caractère très hétérogène de cette percep-tion a fait l’objet de plusieurs études, qui la relient aux préoccupations des consomma-teurs quant à l’utilisation de leurs informa-tions personnelles. La première segmentation proposée en la matière est celle de Westin (1967) qui différencie les fondamentalistes, qui considèrent leur vie privée comme une forteresse, les pragmatiques, qui dévoilent des informations choisies à des destinataires triés sur le volet, et les non-concernés, qui ne s’embarrassent d’aucun mécanisme de conservation de leur sphère privée. Beau-coup d’études (voir Li, 2011, pour une revue) mettent toutefois en lumière une différence entre le déclaratif et le comportemental sur

Page 107: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 107

VRM, quoique plus jeune, n’est pas en reste sur ce point. De nombreux outils (tableau 1) émergent en effet pour permettre aux consommateurs de gérer leurs relations avec les vendeurs. Plusieurs de ces outils existent également en dehors de l’écosystème VRM. Mais ces alternatives sont souvent fournies en échange d’informations personnelles. L’objectif du VRM est de proposer ces ser-vices dans le strict respect de la vie privée, privilégiant parfois un paiement direct de la part des consommateurs sur la base d’abon-nements.

Le point commun de ces outils est leur contrôle total par le consommateur et leur faculté à simplifier pour lui ses relations avec les différents vendeurs. Du point de vue des données, leur logique est dans la multipli-cation des « Small Data » (chaque consom-mateur gère sa base de données) plutôt que dans la constitution d’une méga-base. Cette approche, quelque peu à contre-courant, est promue par certains analystes au rang des-quels on retrouve A.S. Pentland4 et le cabi-net CtrlShift (https://www.ctrl-shift.co.uk/). Cela étant, ces outils peuvent être différen-ciés au moins sur un aspect : certains ont une vision « défensive » de la relation commer-ciale, d’autres une vision conversationnelle. Certains outils du VRM sont ainsi compa-rables à des PETs (Privacy Enhancing Tools) offrant notamment aux consommateurs la possibilité de stocker leurs informations dans des coffres-forts et d’en restreindre l’accès (Ghostery, Privowny, CFN…), protégeant ainsi ces consommateurs des conséquences du tracking. D’autres promeuvent la capa-cité pour le consommateur de transmettre, de manière privée et sécurisée, des infor-mations aux vendeurs afin que ces derniers, mieux renseignés, puissent mieux les servir (DomiColis, outils d’intentcasting…). Un des objectifs du VRM est donc de fournir au consommateur des outils sûrs pour qu’il

4/ Professeur au MIT et en charge pour le Forum de Davos du thème des « Big Data ».

pour bébé par exemple, j’en ai rien à faire des couches pour bébé » – MZ).

Une analyse des verbatims recueillis fait en effet apparaître que l’une des principales sources de mécontentement quant à la publi-cité ciblée est son manque de pertinence, ou, plus globalement, son manque d’adéquation avec les préférences des interviewés. La di-mension « automatique » de cette pratique en est d’ailleurs la cause selon certains partici-pants à l’étude. C’est donc bien le fonctionne-ment du système qui est remis en cause plutôt que son existence même.

La question est alors de savoir si des données en quantité toujours plus grande peuvent ré-sorber ces problèmes, ou s’il faut au contraire moins de données, mais plus pertinentes et plus à jour car gérées par les consommateurs eux-mêmes. Le développement des solu-tions « Big Data » correspond à la première piste, le VRM propose de s’engager dans la seconde, et souligne l’importance du choix qui doit être laissé au consommateur de faire part ou non de ses informations personnelles (« Sur monservicepublic.fr on peut rien choi-sir : tu mets tout, et les ministères accèdent à ce dont ils ont besoin, mais tu sais pas à quoi, donc je me suis pas fait de compte » MS – « Les cookies par exemple, ça me gêne pas parce que je sais que je peux les enle-ver… donc je les laisse » – MZ). Sur ces fon-dements du choix laissé aux consommateurs (Godin, 2000, Newell, 2003) et de la qualité des données qu’ils pourraient transmettre, plusieurs outils sont développés au sein des entreprises engagées dans le VRM (Tableau 1). L’objectif de ces outils est de donner aux consommateurs une vue globale de leurs relations avec les vendeurs, pour éventuelle-ment pouvoir leur transmettre des informa-tions et des intentions d’achat.

La boîte à outils du VRM au service des consommateurs

Le CRM, notamment en ligne, est fortement porté par la puissance de ses outils ; mais le

Page 108: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

108 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Tableau 1 : Les outils du VRM

Types d’outils (et exemples d’alternatives non-VRM)

Principes de fonctionnement Exemples

PETS sur navigateur (paramètres de confidentialité des réseaux sociaux, DoNotTrack)

Permet aux internautes de gérer ou effacer les cookies (de session, tiers ou flash) et de limiter le tracking en ligne. Ces outils sont en amont de l’éco-système VRM et mettent en avant la défense de la vie privée plus que la construction d’une relation équilibrée entre vendeurs et consommateurs.

Collusion, Privowny, Disconnect.me, Ghostery, BetterPrivacy,

Monétisation de données comportementales (aucun)

Permet aux internautes de se traquer eux-mêmes et de disposer de leurs données de comportement en ligne pour les vendre par la suite au plus of-frant, ou en faire don à des associations qui les revendront pour se financer.

MyMindShare, Enliken (vente au profit d’associations)

CFN : Coffres-forts numériques (Google drive, Dropbox, MobileMe…)

Cloud privé permettant de stocker tous les documents et informations personnelles des internautes (factures, assurances, identifiants…). Ces plate-formes sont sécurisées, et l’utilisateur peut choisir de transférer telle ou telle information à telle ou telle entreprise. En plus du stockage, ces plateformes proposent des outils d’organisation des informations stockées incluant par exemple des tableaux de bords de dépenses, ou le résumé de l’ensemble des relations avec un vendeur.

En France, réunis dans l’asso-ciation A-CFN (a-cfn.org)Le projet « DomiColis » s’inscrit en partie dans cette logique (cf. partie 3).

Identifiants uniques (Facebook Connect, twitter connect…)

Permet aux internautes de se connecter à tous les sites internet avec un iden-tifiant unique. Génère des emails à usage unique que le consommateur peut simplement effacer s’il veut stopper la relation avec un site.

OneCub, Privowny, Persona (Mozilla)

Bases de données de vendeurs (Bases de données d’entreprises)

Certains outils permettent aux internautes de se constituer une base de don-nées des vendeurs avec lesquels ils sont en relation. D’autres proposent aux internautes d’accéder à des informations sur les entreprises avec lesquelles ils voudraient entrer en relation.

OneCub, Privowny

Réorganisation de boîtes mail (filtres anti-spam, filtres de mails)

Réorganiser le flux d’emails commerciaux pour offrir aux consommateurs une vue globale de leurs relations avec tel ou tel vendeur.

OneCub, Azigo

Réseaux de confiance (réseaux d’amis, recommandations sur les RSN professionnels)

Permet aux internautes de construire un réseau de personnes et d’entreprises auxquelles ils font confiance, et de partager leur avis sur ces personnes ou entreprises.

RespectNetwork.com, Connect.me, IDcubed.org

« intentcasting » (enchères inversées)

Permettre aux consommateurs de passer des appels d’offre auprès de plu-sieurs vendeurs de façon simultanée.

Prizzm, Trovi.co, intently.co, übokia

Standards (standards classiques du web : ftp, html, javascript…)

Définir des standards (algorithmes et langages de programmation) afin de faciliter la connectivité et la sécurité des différents outils du VRM. L’objec-tif est notamment d’assurer un cryptage de haut niveau et une connectivité « à la volée » entre les applications.

KRL (Kynetx), TAS3.eu

Inspiré de : http://cyber.law.harvard.edu/projectvrm/VRM_Development_Work

Page 109: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 109

2002/21, 2002/58, 2006/24, 2009/136) n’est sur certains points que marginalement appli-qué (consentement aux cookies par exemple), ou transposé de manière lacunaire (en Alle-magne, Espagne, Italie notamment). Le pro-jet de règlement (2012/0011) risque ainsi de heurter les pratiques actuelles de nombreuses entreprises dans de nombreux pays de l’UE, tout en renforçant l’attrait d’une gestion des données personnelles par le consommateur dans la logique du VRM.

Les grands axes du projet de règlement 2012/0011

Le thème du consentement à l’utilisation des données personnelles, colonne vertébrale du projet de règlement, pose deux problèmes majeurs de définition : qu’est-ce que consen-tement, et qu’est-ce qu’une donnée person-nelle...

A l’ère des Big Data, il est extrêmement ardu de définir ce qu’est une donnée personnelle (Tene et Polotensky, 2012). En théorie, celle-ci est une donnée concernant une personne « identifié ou identifiable, directement ou indirectement ». Mais le volume des bases de données actuelles, leur précision et la pos-sibilité de croiser des fichiers rendent quasi-ment toute donnée virtuellement personnelle. L’adresse IP ou la géolocalisation, quoique non-nominatives, sont de bons exemples en la matière. A cela s’ajoute le flou des don-nées « privées, manifestement rendues pu-bliques », à savoir les messages et informa-tions des divers réseaux sociaux, qui rentrent mal dans la classification binaire opérée par le droit entre donnée personnelle et non-per-sonnelle. Leur utilisation par les entreprises reste pour l’instant problématique comme le montrent les affaires Pages Jaunes et Yatedo portées par la CNIL (2011, 2012). La position présente est que ces données ne sont rendues publiques qu’à leurs destinataires, mais leur envoi ne vaut pas consentement à leur utili-sation. D’autre part, la frontière perçue entre donnée privée et publique peut varier d’une

puisse, en toute confiance, s’engager plus avant dans la relation commerciale sans craindre d’en perdre le contrôle. Ce risque de perte de confiance, et son impact sur la crois-sance du commerce en ligne, a déjà été souli-gné (London Economics, 2010) et se retrouve également dans les entretiens réalisés (« J’ai aucune confiance dans les engagements des marques sur ce genre de choses [à propos de l’effacement des données personnelles lors d’un opt-out] » – MZ ; « J’ose même pas cli-quer sur “unsubscribe” parce que j’ai peur que ce soit un virus » – FG4).

Des réformes juridiques supportant les idées du VRM

C’est avant tout la perte de confiance des internautes dans le web qui a poussé la Com-mission européenne (et les Etats-Unis) à re-voir les règles de protection des données per-sonnelles. Si la confiance diminue, l’activité économique également ; et si le respect de la vie privée est source de confiance, alors les institutions se doivent de garantir ce respect pour refonder la confiance et relancer l’acti-vité. C’est exactement ce raisonnement qui est développé dans les rapports de London Economics, de Viviane Reding5, et de Ann Cavoukian, directrice de l’équivalent de la CNIL en Ontario (Canada) et inventrice du concept de « Privacy by Design » (Cavou-kian, 2010). C’est également la raison pour laquelle l’administration Obama a proposé le principe du DNT (Do Not Track, Obama, 2012).

En Europe, les principes posés en 1995 (directive 95/46) en termes de contrôle par les consommateurs de leurs informations personnelles sont relativement bien intégrés dans les entreprises (opt-in, consentement, droit de rectification, d’information...). En revanche, le paquet Télécom (directives

5/ Commissaire européenne pour la justice, les droits fondamentaux, et la citoyenneté, vice-prési-dente de la Commission européenne.

Page 110: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

110 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

certains géants du web (Google, Facebook, Critéo…) ; et les intérêts en jeu peuvent remettre en question l’avenir d’un tel projet de règlement. Néanmoins, au vu de l’impor-tance pour l’Union européenne d’affirmer son soft-power en matière de protection des données personnelles, le projet, même s’il est ralenti, devrait voir le jour. Ceci notamment parce qu’il correspond en grande partie aux attentes des consommateurs (Lusoli et al., 2012) que les institutions européennes ont intérêt à défendre.

Dans la sphère du VRM, plusieurs pistes et outils émergent pour assurer, comme l’encourage le règlement, un consentement spécifique et éclairé. Quant à la dimension « spécifique » du consentement, certains outils du VRM (CFN notamment) pourront permettre à terme aux consommateurs de transférer certaines données à des vendeurs pré-sélectionnés pour un laps de temps dé-terminé. Le consentement provient donc ici d’une action univoque et spécifique et ne peut être mis en doute. Pour la dimension « éclai-ré », les entreprises développant des outils de VRM accordent souvent une attention toute particulière à la rédaction de leurs conditions d’utilisation et leurs politiques de vie privée. L’objectif, largement discuté sur la liste de diffusion projectVRM, étant de traduire ces textes juridiques en un langage accessible à tous. D’autre part, plusieurs projets connexes de décodage des conditions d’utilisation ont vu le jour (ToS-dr.info, icons.disconnect.me)

donnée à l’autre, d’un individu à l’autre, voire dans le temps.

La façon la plus sûre d’utiliser légalement une donnée personnelle est d’obtenir le consentement de la personne. C’est la pra-tique utilisée par la plupart des entreprises commerciales lors de la demande d’opt-in. Dans la lignée du paquet Télécom, le projet de règlement prévoit un renforcement de la notion de consentement. Ces textes l’étendent d’une part aux cookies, au tracking, à la géo-localisation, et à la reconnaissance faciale (voir affaires en cours contre Facebook en Allemagne et Autriche); et d’autre part la différencient de la notion d’« accord » en le rendant nécessairement spécifique, explicite, et univoque. En clair, le consentement « aux cookies publicitaires » n’est pas recevable, chacun de ces cookies devant faire l’objet d’un consentement spécifique. Le consente-ment doit également être « éclairé ». Et c’est là un vrai challenge pour les e-commerçants d’expliquer succinctement et de façon péda-gogique les traitements qui peuvent être faits des données personnelles de leur clients. Pour les managers, c’est la problématique de l’éducation des marchés qui pourrait revenir au premier plan des préoccupations.

Les outils du VRM permettent un respect du futur règlement

Le tracking et la publicité ciblée représentent une partie importante du chiffre d’affaires de

Encadré 2 : Quelques autres éléments abordés dans le projet de règlement

Le projet de règlement 2012/0011 aborde de nombreux thèmes, au rang desquels on trouve notamment le droit à l’oubli numérique, la portabilité des données, le droit d’opposition au marketing ciblé, la nomination de responsables du traitement des données dans les entreprises de plus de 250 salariés, et un barème de sanctions calculées en pourcentage du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise contreve-nante. Ce barème de sanctions est celui applicable dans la protection de la concurrence et qui avait per-mis les amendes record contre Microsoft (près de 900 millions d’euros). L’autorité chargée de réguler le respect de la vie privée au plan européen sera créée à partir du Groupe 29 existant. Le G29, groupe de réflexion rassemblant les équivalents de la CNIL pour tous les pays de l’Union, a, à de nombreuses reprises, avancé des propositions avant-gardistes et extrêmement protectrices de la vie privée (G29, 2010, 2011, 2011b, 2012, 2012b). Ainsi, on peut s’attendre, suite à son accession aux commandes pré-vue vers 2015-2016, à une application plutôt stricte des règles de respect de la vie privée.

Page 111: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 111

Adapter les outils classiques du CRM

La plupart des grandes entreprises utilisent, à des degrés divers, la palette des outils offerts par le CRM. Afin de s’engager dans une rela-tion moins asymétrique avec les consomma-teurs, ces outils peuvent être adaptés. Cette idée a donné naissance au début des années 2000 au CMR (Newell, 2003) qui propose de laisser les consommateurs contrôler les outils classiques du CRM. Au plan législatif, cette vision s’est transcrite dans l’adoption de l’opt-in (2004 en France) : le consommateur a le choix de recevoir, ou non, les communications émises par l’entreprises. Mais cet opt-in reste un choix binaire mal adapté aux préférences des consommateurs. Un trop grand nombre de newsletters n’offrent ainsi au consom-mateur aucune possibilité de réglage de leur contenu, de leur fréquence, de leur jour de réception, ou de leur suspension temporaire. Du point de vue du consommateur, souscrire à une newsletter peut être perçu comme un contrat non-négociable (SL : « Avec les news-letters, c’est un peu comme si tu rentres dans une pièce où il fait noir, tu sais pas ce qui va te tomber dessus, et la seule solution c’est de trouver la porte de sortie ») dont l’issue même est incertaine (FG4 : « J’ose même plus cliquer sur “unsubscribe” parce ce que j’ai peur que ce soit un virus »).

Une piste possible pourrait être de rendre l’opt-in mieux contrôlable par les consom-mateurs, et en cela, les usages constatés sur les réseaux sociaux semblent pouvoir appor-ter une réponse (LA : « ça [les newsletters] devrait être comme twitter : tu suis des gens qui te mettent du contenu sur ton écran, tu t’abonnes à eux, et tu te désabonnes quand tu veux »). C’est la direction qu’a prise Au-chan par exemple, avec son application mo-bile MyAuchan qui permet de (dé-)sélection-ner rapidement les catégories de produits et le(s) magasin(s) desquels le client accepte de recevoir les offres. En rendant aux consom-mateurs un certain contrôle du flux de la communication, les entreprises peuvent cer-

qui se proposent de résumer les points-clés de ces conditions par des pictogrammes aisé-ment compréhensibles par les internautes. La diffusion de ce type d’outils pourrait certai-nement permettre un consentement effective-ment éclairé (Van den Berg et Van der Hof, 2012).

D’autre part, dans une optique de VRM, chaque consommateur récupère ses propres informations personnelles et les gère via un CFN. Un tel système libère donc les entre-prises de la charge du stockage, de la sécu-risation, et du maintien à jour des données personnelles de leurs clients.

Enfin, dans le contexte français, on ne peut manquer de mentionner le projet de Loi sur la fiscalité du numérique (Collin et Colin, 2013) qui propose de taxer les entreprises en fonc-tion de la récolte qu’elles font des données personnelles avec une décote proportionnelle à leur propension à rendre ces données aux utilisateurs. Le VRM et l’open-data appa-raissent dans ce contexte comme le moyen le plus direct de diminuer le poids cette éven-tuelle taxation en augmentant la décote.

Pratiques d’entreprises, et premiers exemples concrets de VRM

La façon dont les entreprises, en place ou émergentes, peuvent intégrer le principe du VRM dans leurs relations avec les consom-mateurs est encore à construire. Cette ques-tion fait encore l’objet de débats animés (voir la liste projectVRM par exemple) quant au business model à adopter ou à la façon de connecter les outils du CRM à ceux du VRM. Nous présentons ici plusieurs pistes qui pour-raient, à notre sens, aider les entreprises à in-tégrer ces concepts et outils innovants. Trois pistes au moins émergent, qui tendent toutes, à terme, vers le même objectif : le recueil des intentions d’achats.

Page 112: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

112 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

merciale et la publicité ciblée (FG4 : « c’est bien, ça fait comme un écran entre nous et eux »). L’objectif, à terme, étant de transfor-mer cette extension en un outil de conversa-tion en permettant aux utilisateurs d’envoyer des informations (intentions d’achat notam-ment) à destination de leurs vendeurs préfé-rés. Sa réussite dépend toutefois beaucoup de la confiance qu’il peut générer (FG2 : « Mais il faut que je mette tous mes codes chez une petite start-up que je connais pas ? », FG4 : « Là, si on se fait hacker son compte, on perd tout… »).

Au-delà de la navigation, l’email est certai-nement une des interfaces client-vendeur la plus utilisée du e-commerce. Pour sa gestion, les entreprises disposent de nombreux outils automatisés d’envoi en masse face auxquels les consommateurs n’ont rien à opposer. Par-tant de ce constat, la société OneCub (Olivier Dion, 2011) a conçu une interface de gestion des mails commerciaux. Cette interface réor-ganise le flux des messages reçus en exfil-trant les e-mails commerciaux pour les clas-ser par entreprises, par secteurs d’activité, et par types (promotionnels, transactionnels, relatifs à la gestion du compte, ou suivi de commande). Les utilisateurs ont également la possibilité de noter (de 1 à 5) la qualité des vendeurs, cette évaluation pouvant être transmise de façon agrégée aux vendeurs. A terme, cette interface pourrait également supporter une fonction d’intentcasting vers les vendeurs recensés par l’utilisateur. Son principal attrait, pour l’instant, étant de re-donner aux consommateurs le contrôle de leurs boîtes aux lettres électroniques (FG7 : « On est plus obligés de laisser tomber nos anciennes boîtes mail », FG2 : « Là, mon an-cienne boîte mail toute spammée, je pourrais la récupérer »).

Si le filtrage de la relation commerciale, en ligne ou par mail, n’est pas une fin en soi dans la démarche du VRM, elle est certainement nécessaire pour redonner du contrôle, puis de la confiance, aux consommateurs. Une fois

tainement espérer une plus grande adhésion à leurs listes de diffusion. D’autre part, l’ana-lyse des comportements de modifications des opt-ins dans le temps par les consommateurs pourrait constituer pour les entreprises une source non-négligeable d’informations (Yil-diz, 2007).

Contrôler le flux de la relation commerciale

Le contrôle des outils du CRM par les consommateurs n’étant pas toujours pos-sible, plusieurs entreprises émergentes com-mencent à proposer des outils permettant de regagner un certain contrôle sur le flux de la relation commerciale. Deux pistes sont parti-culièrement intéressantes dans cette optique « défensive » du VRM : le contrôle de la navigation, et le contrôle du courrier électro-nique.

La barre de navigation de la société Pri-vowny (fondée par Hervé Le Jouan, 2010) est un exemple des outils que le VRM pourrait mettre entre les mains des consommateurs. Cette extension de navigateur internet permet de gérer les cookies (recensement et désac-tivation), de générer des adresses emails à usage unique (il suffit alors d’effacer une adresse générée pour stopper la relation avec le site où elle a été renseignée), de remplir automatiquement les formulaires en ligne (à partir des informations personnelles stockées sur un compte Privowny), et de créer une base de données des entreprises avec lesquelles l’utilisateur est en relation (laquelle base in-dique quelles informations ont été transmises à quelle entreprise). L’utilisateur dispose ain-si d’une boîte à outils relativement complète de gestion de ses relations avec les commer-çants en ligne, et peut faire rapidement le tri entre les vendeurs selon qu’il souhaite ou non poursuivre ses relations avec eux. Cette boîte à outils est principalement « défensive » en ce sens qu’elle crée un filtre entre les vendeurs et l’utilisateur, permettant à ce dernier de ne pas être submergé par la communication com-

Page 113: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 113

de réceptacle à tout un ensemble de nouvelles données et de nouvelles applications encore à inventer. Parmi les applications possibles, l’intentcasting figure évidemment en bonne position.

Sur le thème des coffres-forts numériques, deux réactions des consommateurs sont à prendre en compte. La première est le be-soin de certification de ces entreprises pour qu’elles puissent gagner la confiance des consommateurs. Lors du focus-group, l’en-semble des participants était d’accord sur cet élément, six sur sept pensaient que la CNIL pourrait jouer ce rôle (sept sur dix lors des entretiens semi-directifs), et trois sur sept dé-claraient qu’ils auraient également confiance dans leur banque pour certifier un prestataire de coffre-fort. C’est certainement la raison pour laquelle les CFN mettent en avant leur déclaration à la CNIL, et que, outre-Atlan-tique, Personal.com travaille en collaboration avec Ann Cavoukian (Cavoukian, 2012). La seconde réaction recueillie auprès de certains consommateurs est plus problématique pour le secteur ; elle concerne la peur de la cen-tralisation de tout un ensemble de documents chez un prestataire unique, que celui-ci soit sécurisé ou non (« Je sais pas comment ex-pliquer, mais j’aime pas centraliser toutes mes informations à un endroit, c’est un truc que je trouve un peu flippant » – MS ; « Je me vois pas utiliser un système comme ça, je préfère segmenter au maximum mes in-fos » – MZ, « A première vue... je trouve ça super pratique et.... mais en fait… j’aurais l’impression d’un truc un peu tentaculaire » – PM). Cette réaction tend à souligner que les offres de ce type n’ont pas un marché poten-tiel extensible à l’infini, certains segments de consommateurs y restant réfractaires.

Au rang des nouvelles données à inventer et partager dans ces CFN, le projet « Domi-colis » de Atos Worldline peut fournir une piste de développement intéressante. Ce pro-jet vise à créer une base de données partagée des préférences et informations de livraison

renforcés dans cette relation, les consomma-teurs peuvent décider de s’engager dans une conversation avec les entreprises.

Engager une conversation contrôlée

Plutôt qu’une position défensive, certaines entreprises ou organisations développent des outils d’échange et de conversation entre consommateurs et vendeurs.

Le projet mesinfos, développé par la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) de-puis janvier 2012 sous l’égide de D. Kaplan, s’inscrit dans cette voie. Il s’agit de doter les consommateurs d’un cloud personnel. Ce coffre-fort, contrôlé par les consommateurs, est abondé en informations personnelles (nom, email, coordonnées bancaires…) par ces derniers, et en informations transac-tionnelles ou d’usage (historiques d’achat, de consommation…) par les entreprises et organisations participantes (banques, as-surances, commerce, transport, télécom, SGMAP6, CNIL). La force de cette expéri-mentation (sur un panel de 200 testeurs envi-ron) est qu’elle emmène d’emblée de grands acteurs qui détiennent des informations personnelles et qui proposent de les ouvrir (principe de l’open-data). Le projet se pose ainsi comme un véritable outil de conversa-tion et d’échanges, et non comme un simple renforcement de la protection des données personnelles. Des initiatives similaires ont été lancées au Royaume-Uni (projet mida-ta, novembre 2011), et plus récemment aux Etats-Unis (Smart Disclosure, février 2013). Plusieurs entreprises privées vont également dans ce sens en proposant aux consomma-teurs des coffres-forts numériques (Perso-nal.com aux Etats-Unis, et les membres de l’A-CFN en France). Ces coffres-forts se conçoivent plus comme des plateformes que des applications ; leur objectif est de servir

6/ Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Administration Publique, sous la tutelle du Premier Ministre, qui coordonne notamment les missions Etalab et mon-service-public.fr

Page 114: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

114 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Pourtant, son intérêt a été très rapidement perçu et compris par les consommateurs interrogés qui l’ont comparé aux systèmes d’appel d’offres qui peuvent exister dans le commerce BtoB (« C’est vachement bien, ça pré-mâche le travail de recherche » – FG4 « C’est comme une vente aux enchères à l’en-vers, ou un genre d’appel d’offre » – FG7). En ce sens, il s’inscrit dans le principe du VRM qui cherche à doter les consommateurs d’outils comparables à ceux des entreprises (Vargo et Lusch, 2011).

Pourtant, deux réserves ont été spontanément mentionnées lors des entretiens immédiate-ment après un premier élan d’enthousiasme. La première est la peur qu’un tel système ne profite qu’aux plus gros acteurs du e-com-merce, réduisant ainsi l’offre (« Il y a beau-coup de petits vendeurs qui risquent de cou-ler s’ils s’adaptent pas » – FG6 ; « Tous les petits commerçants en ligne vont encore se faire écraser » – FG2). La seconde est liée à la confiance que les consommateurs pour-raient avoir dans un tel système (« Mais qui contrôle que le vendeur efface notre mail après? » – FG3 ; « Il faut être sûr que c’est pas pour repomper des données par der-rière » – FG2) et à la capacité d’un tiers à se porter garant (« Il faudrait donner des vrais moyens à la CNIL pour s’occuper de tout ça » – LA).

Opportunités et limites du concept de VRM

Comme nous l’avons expliqué, l’émergence d’un écosystème VRM pourrait rénover la re-lation client-vendeur dans un sens bénéfique pour les deux parties. Mais à l’heure actuelle, de nombreux obstacles existent encore au développement des outils adéquats.

Des aspects techniques à préciser

Au plan technique, la première limite est certainement le manque de structuration et d’uniformisation des projets issus du prin-

(date, heure, accès au logement…). Cette base, abondée par les consommateurs, pour-rait être mise à disposition des prestataires de livraison des achats en ligne (La Poste, UPS, DHL…), avec le consentement explicite des consommateurs, pour optimiser les tournées. L’intérêt de ce projet est qu’il porte sur des données non-concurrentielles (au moment de la livraison, la transaction est déjà réali-sée), très volatiles, et quasi-inexistantes ; il améliore donc la transaction commerciale pour toutes les parties en présence (clients et vendeurs). Ce type de données pourrait typiquement être stocké dans un coffre-fort personnel et partagé temporairement avec un vendeur une fois la transaction réalisée.

Le relationnel de demain, vers l’intentcasting ?

Comme nous l’avons souligné, plusieurs outils développés dans l’écosystème du VRM tendent à terme à créer des interfaces d’intentcasting. Ces interfaces7 devront per-mettre aux consommateurs d’exprimer leurs intentions d’achat en direction d’un ensemble de vendeurs. C’est le principe de l’économie de l’intention (les consommateurs expriment leurs intentions, Searls, 2012a) qui s’oppose à l’économie de l’attention (les vendeurs es-sayent de capter l’attention des consomma-teurs par la publicité ciblée, Kessous, 2011). L’objectif est double : d’une part, réduire le gâchis de la publicité mal-ciblée dont le taux de clic reste très faible (souvent moins de un pourcent, Fulgoni et Morn, 2009), et d’autre part se passer des techniques classiques du tracking de moins en moins bien acceptées par les consommateurs et les pouvoirs pu-blics.

Le principe de l’intentcasting est technique-ment complexe, il nécessite en effet une com-munication en temps réel, cryptée et anony-misée, entre les CFN des consommateurs et les systèmes d’information des vendeurs.

7/ Le fonctionnement possible de ces interfaces a fait l’objet d’un article d’anticipation (Searls, 2012b).

Page 115: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 115

lement choisir, une fois leurs informations ré-cupérées, de les transmettre à un concurrent. Dans un modèle toujours plus dépendant des algorithmes de recommandation, les don-nées sont en effet devenues hautement stra-tégiques. D’autre part, pour être pleinement exploitables, ces données devraient être four-nies dans un format (semi-)structuré (XML par exemple) et assorties de méta-don-nées (informations décrivant les données). Toutefois, cette démarche, dans la logique d’échange propre à l’open-data, pourrait éga-lement permettre aux entreprises de deman-der à leurs clients un accès à leurs données d’achat chez les concurrents.

En aval, l’investissement nécessaire à la connexion du CRM au VRM ne peut se justi-fier que si les utilisateurs du VRM atteignent une masse critique ; ce qui peut poser pro-blème si les consommateurs attendent pour leur part que cette démarche soit adoptée par de nombreuses entreprises. C’est notamment pour amorcer cette spirale vertueuse que le projet mesinfos a été conçu en partenariat avec des acteurs de poids.

L’acceptation par les consommateurs

Les différents outils et fonctionnalités du VRM testés lors des entretiens semblent in-diquer qu’il pourrait exister un engouement de la part des consommateurs. Mais ces résultats doivent nécessairement être tem-pérés à l’aune des connaissances actuelles sur le privacy paradox. Il est donc difficile, aujourd’hui de savoir combien les consom-mateurs seront prêts à investir, en temps et éventuellement en argent, pour intégrer les outils du VRM dans leurs comportements d’achats de produits et services en ligne. L’expérimentation menée dans le cadre du projet mesinfos pourrait à ce titre fournir des données intéressantes, notamment pour une application du modèle d’acceptation (Techno-noly Acceptance Model). Certains analystes tel A. Pentland supposent déjà que les pra-tiques pourraient changer très rapidement si

cipe du VRM. De nombreux acteurs tentent de développer leurs propres infrastructures, et l’inter-opérabilité entre les différents outils n’est pour l’instant pas garantie. C’est notam-ment sur ce point que travaille l’entreprise Kynetx au travers du développement de son langage KRL (Kynetx Rule Langage).

La seconde limite technique est un problème récurrent en ligne : la gestion de l’identité nu-mérique. Malgré l’ancienneté du problème, il n’existe pas de solution fiable et respectueuse de la vie privée pour pallier le problème de l’identification sur internet. De nombreuses pistes existent, fédérées autour de l’Internet Identity Workshop, mais aucun standard ne s’impose. Or, le VRM reposant sur une dis-cussion client-vendeur, il est important que, à un moment au moins de la relation, les par-ties puissent être identifiées de façon forte. La solution d’une grande base de données unifiée (type Facebook Connect) pose ici des problèmes de protection de la vie privée, et se heurte à la volonté de certains consomma-teurs éventuellement désireux de conserver des identités cloisonnées (« j’aime pouvoir avoir... comment dire... plusieurs identités, que certaines choses ne soient pas forcément liées les unes avec les autres » – MS). C’est en partie sur ce thème que travaille le Res-pect Network qui vise à valider les identités par les pairs tout en gardant une architecture décentralisée.

Un nécessaire engagement des vendeurs

Sans engagement des entreprises, les outils du VRM ne pourront migrer d’une posture défensive vers un support de conversation. Cet engagement est nécessaire à deux ni-veaux : en amont avec la mise à disposition des données transactionnelles, et en aval avec la connexion des outils du CRM avec ceux du VRM pour permettre la réception et la prise en compte des préférences des clients.

En amont, le principal frein pour les entre-prises est que leurs clients puissent éventuel-

Page 116: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

116 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

de l’Internet des objets (les coffres-forts pourraient garder trace des objets achetés et connectés). Ces données, plus étendues et de meilleure qualité, pourraient permettre, avec le consentement des utilisateurs, d’affiner sensiblement les recommandations.

Conclusion

Dans la lignée des textes complétant la direc-tive 95/46, le projet de règlement 2012/0011 adopte une position très conservatrice de la notion de vie privée, et aurait tendance à soutenir les outils les plus « défensifs » de la sphère du VRM. Cela découle de la nature du droit de la consommation qui protège le consommateur, partie faible, face aux profes-sionnels, partie forte. Ces règles sont égale-ment une tentative d’améliorer la confiance des consommateurs dans l’activité écono-mique en ligne qui représente une part crois-sante de la richesse des pays de l’Union euro-péenne.

Source de contraintes, la réforme annoncée constitue à notre sens une feuille de route stratégique pour développer (ou contribuer à développer) les nouveaux outils de la conver-sation et de la confiance entre clients et ven-deurs. Cette voie conduirait certainement les acteurs du commerce à constater que confiance et fidélité ont plus en commun que leur seule étymologie (« On dit partout que les données sont le nouveau pétrole de l’éco-nomie, mais à mon avis, c’est la confiance qui sera le moteur » Dir Innovation – GSA).

Compte tenu de cet objectif, le VRM peut être une piste stratégique intéressante pour les entreprises. Elle est incertaine (risque de fuite de consommateurs), elle est encore en construction (la plupart des outils sont au stade de test). Mais elle est prometteuse. En ce sens, le VRM pourrait être comparé aux débuts du web commercial qui, malgré les craintes générées lors de ses premiers balbu-tiements (concurrence effrénée, piratage…), a été, pour beaucoup d’acteurs, un relai

un outil complet et fonctionnel était proposé aux consommateurs8.

Des opportunités à prendre en compte

En dépit de ces limites, il faut souligner que le principe du VRM laisse entrevoir au moins deux opportunités importantes. La première est la possibilité de repenser en profondeur la relation client. Dans une vision certes quelque peu utopiste, le VRM pourrait per-mettre une réelle conversation entre vendeurs et consommateurs, et une confiance réci-proque fondée sur la capacité de chacune des parties à contrôler la relation. L’asymétrie ac-tuelle de la relation commerciale limite cer-tainement la possibilité d’engagement de cer-tains consommateurs craignant d’avoir plus à perdre qu’à gagner. Cette relation devenant discussion, elle pourrait également donner un rôle d’une toute autre ampleur à la pro-fession émergente de community manager, et permettre une adaptation des entreprises aux préférences hétérogènes des consommateurs. Dans un tel contexte, la frontière entre intru-sion et personnalisation cesserait également d’être un problème.

La seconde opportunité est l’accès à des don-nées de grande qualité et de types nouveaux. Etant gérées par les consommateurs eux-mêmes, les données personnelles seraient certainement mieux maintenues à jour, cha-cun n’ayant à s’occuper que d’un seul jeu de données et non d’une base complète. D’autre part, le VRM peut également être l’occasion d’accéder à de nouvelles données. L’intent-casting en est un exemple, de même que le projet DomiColis, mais également des don-nées beaucoup plus personnelles, comme celles du Quantified Self (le projet mesinfos projette par exemple d’intégrer ce type de données), ou plus nombreuses, comme celles

8/ Allocution vidéo pour le Forum de Davos 2013 http://forumblog.org/2013/01/ideas-davos-digital-rights-and-wrongs/ « it could happen almost over-night »

Page 117: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 117

Actes du Congrès de l’Association Française du Marketing, Tunis.

Lancelot-Miltgen C. (2011), Vie privée et marke-ting : étude de la décision de fournir des don-nées personnelles dans un cadre commercial, Réseaux, 167, 131-166.

Li Y. (2011), Empirical studies on online information privacy concerns : literature review and an inte-grative framework, Communications of the Asso-ciation for Information Systems, 28, 453-496.

London Economics (2010), Study on the econo-mic benefits of privacy-enhancing technologies (PETs), Final report to the European Commis-sion, DG Justice, Freedom and Security.

Lusoli W, Bacigalupo M., Lupiañez F., Andrade N., Monteleone S. et Maghiros I. (2012), Pan-eu-ropean survey of practices, attitudes and policy preferences as regards personal identity data management, Joint Research Center de la Com-mission européenne, rapport 25295.

Newell F. (2003) Why CRM doesn’t work, Bloom-berg Press, Princeton.

Pez V. (2012) Comprendre les comportements de rejet de certains consommateurs face aux pro-grammes de fidélité, Décisions Marketing, 68, 37-46.

Pras B. (2012), Entreprise et vie privée. Le « privacy paradox » et comment le dépasser, Revue Fran-çaise de Gestion, 38, 87-94.

Searls D. (2012a), The intention economy : when customers take charge, Harvard Business Re-view Press.

Searls D. (2012b), The customer as a God, Wall Street Journal, 20 juillet.

Tene O. et Polotensky J. (2012), Big data for all : privacy and user control in the age of analytics, papier de recherche SSRN n°2149364, à paraître dans Northwestern Journal of Technology and intellectual property.

Van den Berg B. et Van der Hof S. (2012), What hap-pens to my data? A novel approach to informing users of data processing practices, First Monday, 17, 7.

Vargo S.L. et Lusch R.F. (2011), It’s all B2B... and beyond : toward a systems perspective of the market, Industrial Marketing Management, 40, 181-187.

Westin A.F. (1967), Privacy and freedom, Athe-neum, New York.

Yildiz H. (2007), Permission et engagement : propo-sition d’un cadre théorique appliqué au courriel pré-accepté, Recherches et Applications en Mar-keting, 22, 3, 5-26.

important de croissance. Suite à ce premier web commercial construit par les vendeurs, le VRM pourrait marquer l’entrée en piste des consommateurs, et inciter à repenser en profondeur la relation commerciale en ligne.

Au plan académique, le VRM est également, à l’heure actuelle, un large champ d’inno-vations et de pistes de recherche nécessai-rement transdisciplinaires (gestion, droit, informatique…). De nouveaux outils appa-raissent, mais leur diffusion et leur accepta-tion posent encore de nombreuses questions. De nouveaux types de données émergent pour lesquelles des méthodologies spéci-fiques devront être développées. Enfin, des business models sont à adapter ou à inventer.

Références

Cavoukian A. (coord.) (2010), Privacy by design... Take the challenge, <www.privacybydesign.ca/content/uploads/2010/ 03/PrivacybyDesign-Book.pdf>.

Cavoukian A. (2012), Privacy by design and the emerging personal data ecosystem, <http://pri-vacybydesign.ca/content/uploads/2012/10/pbd-pde.pdf>.

Dumoulin R. et Lancelot-Miltgen C. (2012), Entre-prise et respect de la vie privée du consomma-teur. De l’usage autorisé à l’autorisation souhai-table des données personnelles, Revue Française de Gestion, 38, 95-109.

Fulgoni G. et Morn M. (2009), Wither the click? How online advertising works, Journal of Adver-tising Research, 49, 2, 134-142.

Godin S. (1999), Permission marketing, Simon & Schuster, New York.

John L., Acquisti A. et Loewenstein G. (2011), Strangers on a plane: context-dependent willin-gness to divulge personal information, Journal of Consumer Research, 37, 5, 858-873.

Kessous E. (2011), L’économie de l’attention et le marketing des traces, Actes du 79ème congrès international de l’Association Francophone pour le Savoir, 69-79.

Lancelot-Miltgen C. (2003), Vie privée et internet : influence des caractéristiques individuelles et situationnelles sur les attitudes et les comporte-ments face à la collecte de données personnelles,

Page 118: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

118 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

G29 (2011), Avis 13/2011 sur les services de géo-localisation des dispositifs mobiles intelligents, WP 185, 16 mai 2011

G29 (2011b), Avis 15/2011 sur la définition du consentement, WP 187, 13 juillet 2011

G29 (2012), Opinion 04/2012 on cookie consent exemption, WP 194, 7 juin 2012

G29 (2012b), Opinion 05/2012 on cloud computing, WP 196, 1er juillet 2012

Obama, B (2012), Consumer privacy bill of rights, 23 février 2012

Parlement européen et Conseil (1995/46), Directive relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 24 octobre 1995.

Documents juridiques et administratifs

CNIL (2011), Délibération de la formation restreinte n°2011-203 portant avertissement à l’encontre de la société Pages Jaunes, 21 septembre 2011

CNIL (2012), Délibération de la formation restreinte n°2012-156 portant avertissement à l’encontre de la société Yatedo France, 1er juin 2012

Collin, P. et Colin, N. (2013), Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique

Commission européenne (2012), Proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 2012/0011, COD, 25 janvier 2012

G29 (2010), Avis 2/2010 sur la publicité comporte-mentale en ligne, WP 171, 22 juin 2010

Annexe 1 : Liste des interviewés

Liste des consommateurs interviewés en entretien semi-directif

AB : femme, 40 ans, franchiséeAH : homme, 30 ans, export de matériel usinéBF : homme, 33 ans, intelligence économiqueLA : homme, 29 ans, journaliste indépendantLM : homme, 25 ans, éducateur sportifMS : femme, 28 ans, communication politiqueMZ : homme, 33 ans, éditeurPM : homme, 36 ans, enseignantSL : homme, 28 ans, industrie automobile

Liste des participants au focus group

FG1 : homme, 39 ans, enseignant, en couple, deux enfantsFG2 : homme, 25 ans, ingénieur, célibataireFG3 : homme, 45 ans, responsable technique de musée, en couple, deux enfantsFG4 : femme, 30 ans, commerciale dans l’immobilier, en coupleFG5 : femme, 34 ans, médiatrice socio-culturelle, en couple, un enfantFG6 : femme, 36 ans, agent de surveillance, en couple, deux enfantsFG7 : femme, 33 ans, auto-entrepreneur, célibataire

Liste des entreprises interviewées (et nombre de personnes)

Crédit Agricole Consumer Finance (5), Castorama (2), Numsight (1), EuraRFID (1), Intermarché (2), MédiaPerformances (1), 3 Suisses International (1).

Liste des entreprises/organisations rencontrées (discussions hors du cadre formel d’une interview)

PICOM, Cap Digital, CNIL, FING, GS1, Kiabi, BlogBang, Leroy Merlin, Auchan, OneCub, Atos Worldline, BRM Avocats, Décathlon

Page 119: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 119

Annexe 2 : Le projet de règlement 2012/001 – Une tendance lourde(Version étendue : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00816330)

La protection des données à caractère personnel a été initiée en Europe par la directive 95/46. Le projet 2012/0011 a pour fonction majeure d’unifier les nombreux développements du droit européen en la matière. Les deux véri-tables innovations de ce texte sont le régime de sanction aligné sur celui du droit de la concurrence, et la mise en place d’une institution de protection des données au niveau européen. Néanmoins, en cas de rejet, ces points précis, pourraient être intégrés à un texte ultérieur.Actuellement, le projet de règlement fait l’objet d’un nombre élevé d’amendements, certains dictés par les lob-bies d’entreprises (Facebook et Google entre autres), d’autres proposant de renforcer la protection envisagée par la Commission. La réforme de la directive 95/46 s’est engagée très tôt pour faire face à l’arrivée du réseau internet, avec plusieurs textes venus renforcer et affiner la protection des données (directives 1997/7 et 1997/66 notamment sur l’envoi de courrier électronique non-désiré, directive 2000/31 sur le commerce électronique, directive 2002/58 sur les communications électroniques avec les web-bugs et cookies ; directive 2009/136 qui impose notamment un consentement préalable à l’installation d’un cookie).La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a sensiblement renforcé la protection offerte par les directives. Elle a notamment précisé la notion de consentement, qualifié l’adresse IP de donnée à caractère personnel, et proposé des pistes de mise en place du droit à l’oubli.L’Union reconnaît actuellement un véritable droit à la protection des données personnelles en sus du droit à la protection de la vie privée (articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux ; article 16 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). La volonté juridique s’accompagne d’un volontarisme politique : le programme de Stockholm (2010) mentionne également l’importance de renforcer la protection des données à caractère personnel.En droit français, on citera la Loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN, 2004) et l’ordonnance 2011/1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques, qui consacre notamment le principe du consentement préalable au dépôt d’un cookie. La feuille de route numérique (28 février 2013) du Gouvernement insiste (axe 3 point 2) sur la nécessité de renforcer la protection des données personnelles et un projet de loi en ce sens est prévu pour le début de l’année 2014. Dans les autres pays européens ou aux Etats-Unis, les évolutions vont dans le même sens : soumission des pop-ups au régime de l’opt-in (Tribunal de Düsseldorf en Allemagne, mars 2003, et proposition de loi en Belgique en 2007), consentement des internautes avant la mise en place de cookies (« cookie law » au Royaume-Uni, 2011), ou protection des données personnelles (Consumer Privacy Bill of Rights et introduction du système « Do Not Track » par l’administration Obama en février 2012).

Lexique : les principaux outils du tracking en ligne – Clear gif, web-bug, web-beacon

Fichiers de petite taille qui sont intégrés dans les mails ou les pages web. Lorsque l’internaute visite une page, ou ouvre un mail, l’entreprise qui a placé un web-bug est avertie.

– CookiesIl s’agit de fichiers placés par les sites visités sur le disque dur des internautes. Ils peuvent être utilisés pour opti-miser la navigation (cookie de session, de panier, de préférences) ou pour suivre l’activité en ligne des internautes (cookie tiers).Les cookies tiers permettent aux régies publicitaires de suivre l’internaute tout au long de sa navigation pour établir son profil comportemental.

– Flash cookies ou Local Shared Objects (LSO)Les LSO sont des cookies « persistants ». Ils ont une durée de vie plus longue et sont plus difficiles à effacer par l’internaute.

– Browser fingerprintingCette technique consiste à récolter de très nombreuses informations sur le navigateur utilisé par l’internaute en misant sur le fait que deux personnes ne peuvent avoir exactement la même configuration de navigateur (tout comme deux personnes n’ont jamais les mêmes empreintes digitales). Cette identification unique permet de se passer des cookies.

– IPv6La nouvelle version de l’adresse IP (IPv6) permet à chaque terminal (ordinateur, smartphone, tablette…) de conserver une adresse fixe. Chaque terminal peut ainsi être identifié, et son activité gardée en mémoire par les sites web dans leurs fichiers LOG.

Page 120: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

120 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

– Identifiant uniqueLes réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn, Google…) ont offert aux internautes la possibilité de se connecter à un grand nombre de sites en utilisant leur login et mot de passe de réseau social. Ces réseaux peuvent ainsi suivre et analyser l’activité de leurs membres sur l’ensemble des sites où ils ont choisi de se connecter via cette méthode.

Page 121: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 121-137

Pour contacter l’auteur : [email protected] ; Eric Casenave est actuellement doctorant et ancien direc-teur marketing dans l’industrie.

DOI : 10.7193/DM.072.121.137 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.121.137Casenave E. (2013), Impact du décideur marketing sur l’accountability financière du marketing : propositions pour améliorer la prise de décision managériale, Décisions Marketing, 72, 121-137.

Résumé

La capacité du marketing à relier ses actions à la performance financière (l’accountability financière du marke-ting) continue d’être questionnée. Cet article propose de s’intéresser à la prise de décision des marketeurs et à ses conséquences sur l’accountability financière du marketing. Après avoir évoqué les biais décisionnels possibles en marketing, l’article suggère de considérer l’obligation de rendre des comptes imposée au décideur (l’accountabi-lity du décideur) comme un levier pour prendre de meilleures décisions. En distinguant l’accountability portant sur les résultats et l’accountability portant sur les processus, une démarche managériale est proposée visant à favoriser la rationalité des décisions sans contrarier la créativité du marketeur. Une accountability différenciée selon les activités marketing est notamment recommandée. Mots-clés : accountability, fonction marketing, marketeur, décision marketing, créativité.

Abstract

Decision-maker’s impact on marketing’s financial accountability: Proposals for improving managerial decision-making

The marketing ability to link marketing actions to financial performance (marketing accountability) is still under debate. This article proposes to study marketing decision-making and its consequences on marketing financial accountability. After reviewing possible decisions biases in marketing, this article suggests to consider decision-maker accountability as a tool for making better decisions. A distinction between outcome accountability and process accountability is made to propose a management system to foster rationality without affecting marketer creativity. A differentiated accountability is recommended for marketing activities. Key words: accountability, marketing function, marketer, marketing decisions, creativity.

Remerciements

L’auteur remercie vivement Béatrice Parguel et Sophie Rieunier pour leurs remarques et leurs conseils sur des versions antérieures de l’article, ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires et recommandations.

Impact du décideur marketing sur l’accountability financière du marketing : propositions pour améliorer la prise de décision managériale

Eric Casenave Université Paris Dauphine

DRM (Dauphine Recherche en Management) UMR CNRS 7088

Page 122: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

122 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

L’accountability du marketing a été régu-lièrement classée comme sujet de recherche prioritaire par le Marketing Science Institute (MSI) de 2004 à 2010, et continue pourtant de poser des questions en termes de contrôle et de performance marketing. Le projet Mar-keting Accountability Standards Board1 est toujours en cours aux Etats-Unis dans le but de formaliser les processus marketing et de standardiser les mesures, alors que la der-nière enquête de l’Association of National Advertisers (mars 2013) place l’accountabili-ty en tête de liste des priorités des marketeurs pour 2013. En étant le plus proche de ses racines étymologiques, l’accountability se traduit en français par l’obligation de rendre des comptes (Dumez, 2008). Le groupe ou l’individu justifie son action à partir d’élé-ments chiffrés (les comptes) auprès d’une audience disposant du pouvoir de sanction et de récompense. Cette définition très générale implique d’en délimiter les contours en mar-keting. L’accountability est ainsi définie par l’American Marketing Association (AMA) comme : « la responsabilité du management systématique des ressources et processus marketing dans le but d’obtenir des résultats mesurables en terme de retour sur investis-sement marketing (ROMI) et d’efficience marketing, tout en maintenant la qualité et l’augmentation de la valeur de l’entreprise ». Cette définition revendique une obligation de rendre des comptes sur l’atteinte de résul-tats financiers (ROMI, réduction de coûts et accroissement de la valeur actionnariale), au-près des actionnaires ou de ses représentants. Cette conception de l’accountability est donc avant tout financière et demeure un sujet de préoccupation pour les organisations et les marketeurs.

Cette forme d’accountability est cepen-dant largement questionnée par le courant éthique. Kotler, après avoir défini le marke-ting comme étant la capacité à : « répondre aux besoins des clients de façon profitable

1/ www.themasb.org

pour la firme » (Kotler et Keller, 2006, p.5), évoque la nécessité d’une conscience dans la pratique marketing (Kotler, 2012). D’autres auteurs vont plus loin, se gardant de consi-dérer l’éthique comme un outil marketing, et invoquent la responsabilité sociétale du mar-keting, où le marketing rendrait des comptes à l’ensemble des parties prenantes (com-munauté, clients, organismes de régulation, actionnaires, employés et fournisseurs) (Hult et al., 2011). Bien que restrictive et contro-versée, la conception d’une accountability marketing essentiellement tournée vers l’or-ganisation et l’actionnaire prédomine. Elle correspond à une représentation véhiculée largement par les praticiens et la recherche académique (Mintz et Currim, 2012). La priorité étant la performance financière et non la performance sociale (Crittenden et al., 2011), il est demandé au marketing de se conformer comme les autres fonctions aux principes financiers en vigueur dans l’orga-nisation, afin de renforcer le caractère straté-gique du marketing et le faire réintégrer les comités de direction (Verhoef et Leeflang, 2009).

Les recherches, déplorant généralement le manque d’accountability financière du mar-keting, ont cherché à en identifier les rai-sons. La faiblesse des outils de mesure (Rust, Lemon et Zeithaml, 2004), la stratégie des firmes (Mintz et Currim, 2013), ou l’absence de culture financière des marketeurs (Sheth et Sisodia, 2005) ont été les principales expli-cations avancées. Très peu de recherches se sont intéressées à la prise de décision mana-gériale comme déterminant de l’accounta-bility financière. Les choix effectués par le décideur conditionnent pourtant l’optimisa-tion financière, que ce soit lors de l’élabora-tion des plans marketing ou lors de la mise en œuvre opérationnelle. Malgré cette exigence de rationalité financière, les marketeurs se représentent le marketing comme une fonc-

Page 123: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 123

tion créative. La dernière étude IBM2 ayant interrogé 1 700 directeurs marketing montre que 60 % d’entre eux considèrent que leur succès personnel dépendra avant tout de leur créativité, de même que 68% des profession-nels du marketing interrogés par la Cegos en 2010. Le contexte organisationnel doit donc, dans l’idéal, apporter au marketing mais aus-si aux marketeurs qui le mettent en œuvre, un équilibre entre optimisation et créativité. L’article se propose d’étudier comment orga-niser l’accountability du décideur marketing pour lui permettre de prendre de meilleures décisions et contribuer ainsi à la performance financière du marketing.

Comme n’importe quel autre décideur, le décideur marketing n’optimise pas toujours ses décisions soit par manque de temps, soit en s’appuyant sur ses croyances, soit en étant influencé par son environnement. Le décideur marketing est donc sujet aux biais décisionnels, ce qui potentiellement limite-rait l’optimisation des décisions et ainsi l’at-teinte de résultats financiers. Demander à un décideur de rendre des comptes, c’est-à-dire lui demander de justifier et d’expliquer ses décisions (Lerner et Tetlock, 1999), est un moyen classique pour motiver les décideurs à prendre les meilleures décisions possibles. Prenant le décideur comme unité d’analyse, notre propos a, dans un premier temps, pour objectif de préciser la notion d’accountability financière dans un contexte marketing, puis d’évoquer en quoi la prise de décision des managers marketing représente un frein potentiel à l’accountability financière. Nous montrerons comment des raccourcis utili-sés dans les décisions marketing engendrent potentiellement des biais susceptibles d’être à l’origine de conséquences financières néga-tives. Ensuite, nous montrerons dans quelle mesure le fait de justifier et d’expliquer ses décisions permet d’en prendre de meilleures. Enfin, nous proposerons un système d’ac-

2/ « From stretched to strenghened – Insights from the Global Chief Marketing Officer study », IBM (2011).

countability adapté aux activités marketing, et suffisamment équilibré pour permettre d’améliorer la rationalité des décisions sans pour autant contrarier la créativité inhérente au marketing. Cet article s’appuie sur une littérature essentiellement anglo-saxonne et jusqu’à présent rarement exploitée dans la recherche marketing française. Par ailleurs, des travaux en psychologie, dont les résul-tats apparaissent peu utilisés en management malgré leur intérêt, sont mobilisés. Ces re-cherches sont mises en parallèle avec la pra-tique marketing au travers d’entretiens auprès de marketeurs et de financiers (N =20) puis d’études de cas pour étayer notre argumen-tation.

L’accountability du marketing : résultats financiers ou processus ?

L’enjeu du marketing n’est pas d’avoir à utili-ser davantage d’indicateurs de performance mais de les relier à des mesures financières (Stewart, 2009). Evoquer l’accountability du marketing revient donc généralement à invoquer la dimension financière, le but étant que les décisions marketing contribuent autant que possible à la performance finan-cière de la firme (Merunka et Kazmierczak, 2005 ; Verhoef et Leeflang, 2009). Pour les auteurs, l’accountability financière est, avec la capacité d’innovation, le principal levier de l’influence du marketing dans l’organisation. Par ce système d’accountability, les évalua-teurs représentés par la Direction Générale et la Direction Financière s’assurent que le marketing se conforme aux objectifs finan-ciers. Le fait que le marketing doit démontrer des résultats mesurables financièrement n’est certainement pas nouveau, mais le contexte économique amplifie cette exigence. La jus-tification financière du marketing se systéma-tise (encadré 1).

Page 124: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

124 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ting et l’inscrire dans une perspective finan-cière de long terme, il est possible d’utiliser la valeur de la marque comme indicateur de performance (encadré 2). Pour certaines firmes, la marque représente plus du tiers de la valeur de l’entreprise (tableau 1). En de-mandant au marketing de rendre des comptes sur la valeur de la marque, parfois bien supé-rieure à la valeur des actifs tangibles comme les unités de production, les organisations accepteraient plus aisément d’investir dans la marque et donc dans le marketing.

Les demandes de la part des brand mana-gers d’investir sur la marque ne reçoivent pourtant que peu d’échos de la part de diri-geants centrés sur le cours de l’action ou les résultats trimestriels. D’une part, un contexte économique défavorable incite à réduire les investissements à effets long-terme pour se concentrer sur les investissements offrant des résultats rapides. D’autre part, les méthodes d’évaluation de la marque ne font pas consen-sus, ce qui empêche de les imposer comme une mesure incontestable dans les organisa-tions. Le ROMI est alors positionné comme le résultat financier de référence vers lequel les activités marketing devraient converger. En conséquence, toutes les tactiques pour at-teindre le ROMI sont envisageables comme

L’approche économique justifie l’existence du marketing si les gains obtenus excèdent les coûts engagés. Dans le cas contraire, le positionnement du marketing dans l’organi-sation risque naturellement d’être remis en question. Cette exigence financière est forte mais se heurte à des limites régulièrement évoquées. La marge supplémentaire obte-nue uniquement grâce à l’activité marketing et non par des variables externes est difficile à identifier. Les modes de calcul du retour sur investissement marketing (ROMI) sont ambigus. Par exemple, seulement 30% des marketeurs interrogés mentionnent que leur organisation a une définition claire et parta-gée du ROMI (ANA/MMA Marketing ac-countability study, 2008). Enfin, les marke-teurs avancent qu’une focalisation excessive sur les résultats financiers risque d’orienter la fonction marketing vers un horizon de court terme. Souvent réalisé lors des exercices bud-gétaires, le calcul du ROMI se limite à l’exer-cice comptable, soit un an au maximum. L’optimisation du ROMI encouragerait alors les réductions des coûts marketing ou les pro-motions au détriment de la fidélisation à long terme des clients et de la valeur de la marque (Ambler et Roberts, 2008). Cependant, pour justifier la contribution financière du marke-

Encadré 1 : Renforcement du contexte d’accountability financière en marketing (exemples de verbatim)

« Nous avons toujours eu la nécessité de justifier financièrement l’efficacité des plans marketing, mais c’est devenu de plus en plus rigoureux et systématique. Même si nous ne dépendons pas de la Direc-tion Financière, leur feedback sur notre performance joue un rôle dans notre évaluation personnelle annuelle. » (Directeur des études marketing, Procter&Gamble)« Ça, c’est pas forcément d’un point de vue marketing… mais la rentabilité est un indicateur qui est suivi de façon de plus en plus forte et en gros si on ne lance pas un produit qui a un niveau de contribu-tion financière supérieur ou égal à la gamme précédente, on n’a pas bien fait son job. »(Chef de groupe, secteur grande consommation alimentaire)« Pour moi financier, je m’attends à quelque chose de quantifié mais ce n’est pas du tout comme cela que ça marche. Mais ce n’est pas normal. Même si ce n’est pas un P&L, il pourrait y avoir quelque chose de plus solide...ben ils ne savent pas : ça n’a pas marché, on attendait plus. (…) Est-ce que si on n’avait pas dépensé ce que l’on a dépensé en investissement commerciaux, on serait super mal en chiffre d’affaires? »(Directeur financier corporate, secteur distribution)

Page 125: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 125

qui leur permettra d’être évalués favorable-ment (Dumez, 2008). Si assigner un objec-tif de résultats à une équipe est susceptible de la motiver, cela risque aussi de l’inciter à utiliser des connaissances éprouvées et à ne proposer que des solutions aisément défen-dables, diminuant ainsi son apprentissage (Gardner, 2012). Ces limites associées à une accountability marketing uniquement basée sur les résultats imposent de s’intéresser aux processus marketing indépendamment des résultats financiers obtenus (tableau 2). Les évaluateurs ont aussi intérêt à demander aux marketeurs de rendre des comptes sur les systèmes d’analyse et les méthodologies qui

la réduction des budgets ou le développe-ment d’activités promotionnelles comme le soulignent l’ANA (Association of National Advertisers) et le MMA (Marketing Mana-gement Analytics) dans leur rapport « The growing accountability imperative » (2009). Ces exigences de rentabilité à court terme brideraient alors l’innovation produit en fa-vorisant les extensions ou les évolutions mi-neures, dont les coûts sont inférieures à celui d’un lancement de nouveau produit.

Les acteurs, jugés principalement sur la base d’indicateurs chiffrés, donneront aux chiffres, à un moment ou à un autre, le sens

Encadré 2 : Contribution du marketing à la valeur de la firme

Pour évaluer l’impact financier du marketing, il est intéressant de rapprocher la valeur de la marque de la valeur de l’entreprise. Montrer que la stratégie marketing contribue directement à l’augmentation de l’actif de la firme, permet de considérer les coûts marketing comme des investissements et non des dépenses. Le cabinet de conseil Brand Finance évalue la marque à partir des revenus et profits futurs, et la rapproche de la valeur de l’entreprise. Ces revenus de la marque représentent la valeur actualisée des redevances potentielles que paieraient les tiers qui souhaiteraient l’utiliser. Cette méthode est rela-tivement répandue auprès des évaluateurs financiers, alors que d’autres approches utilisent des critères marketing comme les dimensions fonctionnelles ou la valeur symbolique.

Tableau 1 : Les 10 premières valeurs de marque françaises

Clas-sement

Marque SecteurValeur de la marque

(mars 2012)

Valeur de l’entre-prise (mars 2012)

Valeur de la marque / Valeur de

l’entreprise

1 Orange Télécommunication 18 557 96 884 19%

2 Bnp Paribas Banque 16 809 42 347 40%

3 GDF Suez Energie 16 598 153 267 11%

4 Axa Assurances 13 406 37 214 36%

5 Total Energie 12 968 148 438 9%

6 Carrefour Distribution 8 812 24 286 36%

7 Renault Automobile 8 064 30 616 26%

8 Peugeot Automobile 7 976 24 613 32%

9 L’Oréal Cosmétiques 7 744 22 358 35%

10 EDF Energie 7 690 110 130 7%

Données en millions de US$ (Source : Brand Finance Global 500, mars 2012)

Page 126: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

126 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ne reflète pas la pratique réelle des acteurs. Comme les investisseurs, les décideurs mar-keting n’ont pas les capacités cognitives suf-fisantes pour intégrer toute la complexité des marchés. Ils développent alors des straté-gies personnelles pour effectuer leurs choix. Ces stratégies sont parfois automatiques et inconscientes risquant d’engendrer des biais de jugement (Kahneman et Frederick, 2005). L’accountability offre théoriquement la pos-sibilité de stimuler les efforts cognitifs des décideurs et de clarifier leurs idées, leur fai-sant prendre alors de meilleures décisions. Le mécanisme est simple : en situation de justification, le décideur anticipe les critiques potentielles pour protéger son image person-nelle (Green, Visser et Tetlock, 2000). L’ac-countability du décideur marketing serait alors en théorie un levier pour favoriser la rationalité des décisions et ainsi contribuer à l’optimisation financière. Nous examinons donc ici les biais possibles en marketing et positionnons l’accountability du décideur, sous certaines conditions, comme une tech-nique de « débiaisage ».

Biais du décideur marketing et conséquences financières

Etudier les biais décisionnels d’un marketeur ne consiste pas à postuler son manque de ra-tionalité voir son irrationalité, mais plutôt à reconnaître et identifier les limites des capa-cités humaines (Pham, 1996). En théorie, un décideur collecte l’information, élabore des solutions potentielles et choisit l’option opti-male. Dans cet univers rationnel, le décideur cherche à limiter l’incertitude en procédant à une analyse objective des informations et à

conditionnent la façon dont sont prises les décisions.

Cette approche centrée sur les processus ne pourrait cependant pas s’affranchir d’objec-tifs chiffrés. Elle risquerait sinon de déve-lopper une bureaucratie marketing excessive, dont la technicité deviendrait le but au détri-ment des exigences de résultats. Le choix d’une forme d’accountability portant sur le résultat et/ou sur les processus indépendam-ment des résultats représente donc un enjeu stratégique puisque ceci est susceptible d’af-fecter le comportement des décideurs. De-mander de rendre des comptes implique donc d’articuler exigences sur les résultats et exi-gences sur les processus (Dumez, 2008). Le Département Consumer Market Knowledge de Procter & Gamble développe la qualité de ses processus depuis plusieurs années, étant par exemple une des premières organisations marketing à avoir utilisé des techniques de modélisation. Le développement d’une ac-countability financière a cependant incité ce département à évaluer la performance en fonction des résultats (encadré 3).

Le décideur marketing : biais et réactions de défense

En s’appuyant sur les sciences cognitives, la finance comportementale a montré dans plusieurs travaux les limites de la rationalité des investisseurs : simplification excessive, erreurs de jugement, perte de contrôle émo-tionnelle et influence issue des interactions sociales (Hirshleifer, 2001). L’optimisation financière est donc largement théorique et

Tableau 2 : Formes de l’accountability du marketing

Attendus financiers Attendus non financiers

Sur les résultats Chiffre d’affaires, profit, cash-flow, valeur de la marque, ROMI…

Parts de marché, satisfaction client, capital marque,…

Sur les proces-sus

Système de contrôle des coûts marketing, justification financière des décisions, utili-sation de modèles analytiques…

Orientation client, gestion des actifs marketing, audit marketing, fiabilité des études, qualité des protocoles de tests…

Page 127: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 127

des coûts de fonctionnement significatifs. Par conséquent, les décideurs sous la contrainte du temps ou pour soulager leur système co-gnitif se reposent en grande partie sur leur intuition. Si les décisions intuitives ne sont pas obligatoirement plus mauvaises que des décisions plus réfléchies, les conséquences stratégiques et financières sont en revanche plus incertaines et les ajustements à effectuer en cas d’échec moins facilement identifiables.

Les biais décisionnels existent en marke-ting comme ailleurs en management et leurs conséquences sur la performance financière sont à considérer. Un des rares articles trai-tant de l’utilisation d’heuristiques en marke-ting par les managers montre l’existence de biais dans l’analyse de données (Hutchinson, Alba et Eisenstein, 2010). Dans l’expérimen-tation menée par les auteurs, des sujets, dis-posant des dépenses de communication et

une évaluation des probabilités de succès des options identifiées. Ce processus est rationnel dans la mesure où il reflète l’intention et les efforts du décideur de prendre la meilleure décision possible. Lorsque les décisions sont complexes, un décideur utilisera des heu-ristiques plutôt qu’un processus de décision rationnel. Ces heuristiques ou raccourcis cognitifs ont pour but de simplifier la prise de décision mais risquent aussi de conduire à des biais de jugement (Kahneman et Frede-rick, 2005). Si en marketing, les heuristiques consommateurs sont largement étudiées, celles employées par les décideurs marke-ting le sont beaucoup plus rarement (voir néanmoins Pham, 1996 pour une synthèse). Pourtant, dans une organisation, adopter des processus décisionnels strictement et sys-tématiquement rationnels impliquerait des ralentissements dans les prises de décision et

Encadré 3 : Accountability sur le résultat et sur le processus Exemple du Département Consumer Market Knowledge de Procter & Gamble

Dans le Département Consumer Market Knowledge, les chargés d’études sont des consultants marke-ting internes, tenus d’obtenir des résultats quantifiables. L’indicateur clé de résultat est le nombre de recommandations effectuées par les chargés d’études qui sont adoptées par les chefs de marque. La valeur de ces recommandations est évaluée par la suite au regard du business généré. L’accountability du Département se manifeste également au travers d’une volonté affichée de transparence, l’ensemble des données d’études étant accessible à tout le personnel de l’entreprise. Tout le monde peut donc potentiellement refaire une étude et vérifier la pertinence des conclusions.En insistant sur le nombre de recommandations, le danger n’est il pas que les chargés d’études se focalisent sur cet objectif au détriment de la qualité des recommandations ?Nous avons un certain nombre de filtres avec des opérationnels qui disposent d’un sens critique donc une étude non pertinente ne devrait pas passer. Pour lutter contre le phénomène de séduction de l’au-dience (les chefs de marque), je leur rappelle qu’ils ne sont pas évalués par eux mais par moi et que nous sommes rattachés à la Direction générale. Certains chargés d’études me font part d’un feedback positif des chefs de marque, mais à moi de dire si c’était une bonne chose ou pas. Challenger les char-gés d’études sur leur activité, par exemple sur le nombre de simulations effectuées dans l’année, est clairement secondaire.Que se passe-t-il en cas d’échec d’un lancement produit?Il y a quelques années, on aurait dit : on a suivi le process. Regardez nos modèles, ils fonctionnent. On peut bien entendu parfaitement suivre un processus et connaître l’échec. L’opération est réussie mais le patient est mort. Un lancement de produit implique un travail d’équipe (vente, marketing, R&D, finance, études). Si on rate un lancement, c’est toute l’équipe qui échoue. L’approbateur du projet est le chef de marque, c’est donc lui qui est directement responsable. Pour autant, ça veut dire que les chaînons qui travaillent avec lui comme chef d’orchestre, n’ont pas su à un moment donné rediriger l’initiative vers un concept meilleur. Donc au final la sanction sera partagée.Sources : Propos recueillis auprès de Henri-Jacques Letellier – Responsable du Département Consu-mer Market Knowledge (CMK).

Page 128: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

128 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

bleau 3) susceptibles de se produire dans la pratique marketing. Ce tableau a ensuite été validé par les professionnels à qui nous l’avons soumis, confirmant l’existence de biais décisionnels dans la pratique marketing. Bien que relativement fréquents, ces biais ne sont pas reconnus comme tels, ayant pour-tant de fortes chances de figurer quelque part dans un plan marketing. A titre d’exemple, un marketeur expérimenté qui procéderait par analogie en mobilisant systématiquement son expérience personnelle serait candidat aux biais, dans la mesure où il négligerait la pos-sibilité d’un contexte différent. Par ailleurs, les décideurs ont aussi des réactions émo-

des résultats pour 16 points de vente, doivent décider d’une répartition budgétaire globale entre différents medias. Trois types d’heu-ristiques sont utilisés pour rechercher une relation entre dépenses et résultats : compa-rer chaque observation l’une après l’autre, rechercher une tendance globale, et repro-duire les allocations effectuées pour les plus performants. Ce dernier biais d’exemplarité, consistant à s’inspirer de ce qui marche pour décider, est le plus fréquemment utilisé par les répondants dans cette expérimentation.

A partir d’entretiens et d’observations, nous avons identifié des exemples de biais (ta-

Tableau 3 : Exemples de biais décisionnels en marketing

Capacités marketing(1) Risques de biais décisionnels

Conséquences négatives sur la performance financière

Politique produit

- Lancement : anticiper le succès à partir de résul-tats de produits similaires sans tenir compte d’un changement d’environnement(2)

- Attachement excessif à un produit existant - Aversion au risque

- Augmentation de la probabilité d’échecs des nouveaux produits

- Innovation insuffisante limitant la création de valeur

Market information

- Recherche d’informations confirmant les opinions - Augmentation de la pro-babilité de pertes

Communica-tion marketing

- Ancrer un budget au même niveau indépendam-ment de nouvelles contraintes économiques

- Investir dans les dernières tendances marketing (exemple medias sociaux) en faisant abstraction de la justification économique(3)

- Surévaluation du budget - Allocation des dépenses

non optimales

Planification marketing

- Investir davantage sur son propre marché plutôt qu’à l’étranger malgré des perspectives plus attractives

- Considérer à tort que ses consommateurs sont différents dans sa région

- Innovation insuffisante limitant la création de valeur

- Coûts d’adaptation des offres

Mise en œuvre du plan marketing

- Ne pas changer un plan marketing malgré des premiers résultats négatifs (sur-confiance)

- Continuer à engager des dépenses sous prétexte des sommes déjà engagées (coûts irrécupérables)

- Augmentation des pertes financières

(1) Les capacités marketing retenues sont celles identifiées par Vorhies et Morgan (2005) dans leur étude sur le benchmarking.(2) 23% des décideurs évaluent les besoins de leurs clients à partir de leur expérience (Accenture – Customer analytics survey, mai 2011).(3) Seulement 14% des marketeurs communicant sur les réseaux sociaux utilisent le ROI (BRITE–NYAMA Marketing Measurement in Transition Study, 2012).

Sources : entretiens, observations à partir d’études.

Page 129: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 129

processus qu’il a suivi (Outcome Accountabi-lity : OA). Les travaux empiriques comparant OA et PA mettent en évidence des effets de nature psychologique différents. Des études démontrent l’efficacité d’une PA sur quatre biais importants pour améliorer la qualité des décisions marketing : (1) l’autojustifica-tion, (2) les décisions sur la base de sommes déjà engagées (coûts irrécupérables), (3) la confiance excessive dans les prévisions, (4) les traitements insuffisants d’information.

1. Le marketing initie régulièrement de nou-velles offres dans un contexte d’incertitude. En cas de résultats négatifs, les décideurs risquent de se justifier en rationalisant a posteriori leurs choix. L’OA incite à adop-ter un comportement défensif pouvant aller jusqu’à la poursuite d’un projet pour-tant sans perspectives (Simonson et Staw, 1992), afin de se protéger temporairement de sanctions éventuelles. En revanche, en se concentrant sur la qualité du processus de décision (PA), les évaluateurs acceptent la part d’incertitude et encouragent les décideurs à examiner plusieurs options de façon objective et plus approfondie.

2. En marketing, les projets engendrent des dépenses sur des études, des tests et des opérations de promotion qui sont des coûts irrécupérables. La décision d’affecter de nouvelles dépenses à un projet se fait sou-vent en fonction des sommes déjà engagées alors qu’elle devrait reposer exclusivement sur les perspectives commerciales. Si-monson et Nye (1992) montrent que cette tendance est moins marquée en situation de PA. Adoptant une démarche plus ra-tionnelle, les décideurs ne prennent pas en compte les coûts déjà engagés pour décider de la suite d’un projet.

3. Le marketing est tenu d’effectuer des pré-visions pour justifier un lancement ou une opération promotionnelle. En conséquence, un décideur ne devrait pas surévaluer les prévisions du fait d’un excès d’optimisme. Siegel-Jacobs et Yates (1996) montrent la

tionnelles dont il convient de tenir compte. Quand une activité procure un bénéfice émo-tionnel substantiel, les individus ont tendance à en minorer le risque potentiel (Finucane et al., 2000). En conséquence, un attachement excessif à un produit impliquerait de surva-loriser ses probabilités de succès. Cette ten-dance conduit, selon un de nos répondants : « à en prendre soin affectueusement », et à conserver ce produit dans la gamme malgré des résultats insuffisants. Dès lors, comment prémunir les décideurs contre les biais? Leur demander de justifier leurs décisions est un processus classique pour éviter les risques de biais consécutifs aux heuristiques (Ler-ner et Tetlock, 1999). Le risque de formation d’autres biais liés par exemple à une stratégie défensive implique néanmoins de bien définir le contexte et le type d’accountability.

Accountability, biais et qualité des décisions

Au même titre qu’une organisation, un indi-vidu est appelé à justifier et expliquer ses dé-cisions, et les pressions qu’il ressentira à un degré plus ou moins élevé influenceront son comportement. Il existe une littérature abon-dante principalement outre-Atlantique qui traite des effets de l’accountability sur le dé-cideur (voir Lerner et Tetlock, 1999 pour une synthèse). Ces travaux s’intéressent à la façon dont les individus « ressentent » l’accounta-bility, et aux stratégies qu’ils emploient pour y faire face. Les individus, anticipant une sanction ou une récompense potentielle, cherchent avant tout à protéger ou à valoriser leur image personnelle. L’accountability est alors décrite comme un phénomène subjectif, où l’interprétation des exigences de la partie à qui l’on rend compte apparaît plus impor-tante que les exigences elles-mêmes.

Un décideur peut être évalué avant la prise de décision, c’est à dire sur le processus qu’il a suivi (Process Accountability : PA), ou alors être évalué après la décision, c’est à dire sur le résultat de sa décision indépendamment du

Page 130: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

130 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

le montrent les verbatims des managers que nous avons interrogés (tableau 4). Elles évite-ront au décideur de mener une analyse objec-tive des décisions prises.

La PA (Process accountability) a un effet plus important que l’OA (Outcome accoun-tability) sur la réduction des biais dans la mesure où le désir d’être évalué favora-blement implique d’adopter une démarche rationnelle pour plaire à l’audience (Siegel-Jacobs et Yates, 1996). Au contraire de la PA, l’OA diminue la motivation épistémique (motivation à traiter l’information), le déci-deur se concentrant sur le résultat et non sur le processus pour y parvenir. En permettant une large improvisation pour atteindre les objectifs, l’OA ne contraint pas le décideur à adopter une démarche rationnelle et l’incite à se reposer sur son intuition. Une organisation doit veiller à rendre responsable un individu sur ce qu’il contrôle ou sur ce qui n’est pas imprévisible, sous peine d’être confronté à des excuses du type « je n’y suis pour rien » ou « je ne pouvais pas le savoir ». L’exemple suivant montre comment est appréhendée la notion d’accountability d’un individu dans une entreprise anglo-saxonne (encadré 4). La forme de type OA adoptée par cette organisa-tion est susceptible d’encourager les compor-tements qui sont dénoncés : attitudes défen-

supériorité de la PA par rapport à l’OA pour diminuer les risques d’une confiance exces-sive lors de l’estimation de probabilités. En situation de PA, les sujets de l’expérimenta-tion traitent toute l’information disponible effectuant de meilleures prévisions.

4. Les décideurs marketing sont confrontés à une multitude de données à traiter. Zhang et Mittal (2005) montrent que l’OA encou-rage les individus à choisir l’option la plus facilement justifiable, alors que la PA in-cite à un traitement de l’information plus important. Une autre étude (Scholten et al., 2007), portant cette fois sur l’accountabi-lity d’un groupe, confirme qu’en situation de PA les membres traitent davantage d’in-formations parvenant alors à de meilleures décisions qu’en situation d’OA.

Ces études montrent donc qu’en cas de ré-sultats non atteints, les décideurs porteront leurs efforts sur la recherche de stratégies de défense.

Résultats et stratégies de défense du décideur

Ces stratégies de défense pourront consister à attribuer l’échec à une cause externe, à des comportements opportunistes dans l’organi-sation ou à une conduite stratégique inadé-quate des relations par l’entreprise, comme

Tableau 4 : Réactions de défense face à un contexte d’accountability sur les résultats

Réactions Exemples de verbatim

Attribution externe « Honnêtement je suis assez fier du produit que j’ai développé avec mon responsable… Et derrière, l’équipe de vente, ne sait pas le développer…et au final ça me retombe dessus si le produit ne marche pas. On me dit, ton produit ne fonctionne pas ou l’accueil de ton produit n’est pas terrible auprès des distributeurs ; alors qu’en fait, pour moi, c’est l’équipe de vente qui devrait se remettre en question. » (Chef de produit, secteur medias)

Opportunisme « Une structure décentralisée laissant une large autonomie avec une responsabilité sur les résultats est fragilisée avec des individus malhonnêtes et court-termistes obsédés par l’accountability sur les résultats et non sur le comment y arriver. » (Directeur marketing, secteur grande consommation)

Conduite stratégique des relations (impression management)

Le pilotage mensuel des coûts imposé au marketing « conduit à transformer les marketeurs en contrôleurs de gestion. » (Directeur marketing, secteur medias)

Page 131: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 131

des explications plus détaillées sur ses juge-ments (Lerner et Tetlock, 1999). Les effets de ce mode d’accountability au niveau per-sonnel résident alors dans la volonté des indi-vidus d’être évalués favorablement et d’éviter les critiques. Du point de vue théorique, une décision optimale nécessite alors trois condi-tions, (1) un décideur suffisamment compé-tent, (2) des évaluateurs légitimes du point de vue du décideur, (3) une méconnaissance des préférences des évaluateurs afin de ne pas s’y conformer à l’avance. Sous réserve que le processus d’évaluation soit accepté, les individus suffisamment motivés et dis-posant de capacités cognitives suffisantes anticiperont les critiques potentielles. Dans le cas contraire, lorsque les préférences de l’audience sont connues, le décideur, à moins qu’il soit fortement convaincu par ses choix, se conformera simplement aux attentes de l’audience en bon politicien. Sous réserve des conditions d’accountability décrites (com-pétence, audience légitime, préférences de l’audience inconnues), le décideur marketing produira davantage d’efforts cognitifs limi-tant alors les risques de biais de jugement. Même si ces conditions sont théoriques, s’en inspirer paraît utile lorsque l’on souhaite sti-muler les décideurs.

sives ou recherche d’excuses, alors qu’ils en sont la conséquence (Markman et Tetlock, 2000).

Comment structurer l’accountability du marketing ?

Les mécanismes d’accountability s’appuient sur des outils formalisés comme les repor-tings, les évaluations de performance, les systèmes de récompenses, les revues budgé-taires etc. Notre propos n’est pas d’analyser la pertinence de tel ou tel outil, mais plutôt de décrire les contextes d’accountability les plus appropriés aux décisions marketing. En effet, une accountability informelle est susceptible de produire des effets sur le décideur. Les re-lations hiérarchiques, l’influence des pairs ou les pratiques en vigueur sont d’autres leviers pour qu’un individu adopte un comportement en ligne avec les objectifs supérieurs de la firme.

Un équilibre nécessaire entre rationalité et créativité

Demander à un décideur de rendre des comptes doit dans l’idéal l’inciter à produire des efforts de réflexion, à consacrer davantage de temps à la tâche demandée ou à proposer

Encadré 4 : Caractéristiques perçues par l’entreprise d’un manager marketing n’étant pas accountable sur les résultats (OA : Outcome accountability)

(Entreprise de grande consommation)

Définition de l’accountability sur les résultats: Exigence personnelle pour atteindre des niveaux de performance élevés (…) pour soi-même ou bien vis-à-vis de ses collaborateurs dans l’intérêt de l’entre-prise.La personne qui ne démontre pas cette compétence :– N’est pas claire sur ce qui est attendu.– Accepte la sous-performance et le laisser-faire ambiant : n’apprécie pas les personnes sur la base des résultats ou de la performance.– Ne tient pas ses collaborateurs pour responsables de la sous-performance constatée.– Manque d’assumer la responsabilité des actions entreprises.– Accepte l’échec.– Cherche des excuses en cas de problème ou de mauvaise performance.– Adopte une attitude défensive en réponse aux observations.– Omet de faire un feedback complet et honnête en ne soulignant que les aspects positifs.

Page 132: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

132 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

qui est en charge de proposer des innovations de rupture en terme de produits et services. L’objectif affiché est de créer cette séparation afin d’éviter toute forme d’influence prove-nant des représentations et des pratiques du groupe (encadré 5).

Des formes d’accountability adaptées aux activités marketing

Chaque activité marketing n’exige pas les mêmes formes de décision. Certaines récla-ment une prise de risque, d’autres une dé-marche rationnelle, d’autres demandent du temps etc. Plutôt que proposer un système d’accountability uniforme (par exemple ex-clusivement sur le résultat), nous suggérons une adaptation aux types d’activités marke-ting. Dans le tableau 5 nous partons des ca-pacités marketing identifiées par Vorhies et Morgan (2005) comme pouvant procurer un avantage compétitif pour les organisations. Le but est de proposer une forme d’accounta-bility adaptée et capable d’optimiser la prise de décision. Cette synthèse a été enrichie après plusieurs interactions avec des mana-gers marketing issus de différents secteurs. Les cinq capacités marketing mentionnées ont le mérite d’être facilement identifiables par les managers. La gestion de la marque et de la relation client ne sont pas considérées car il s’agit de compétences qui se situent à un niveau supérieur regroupant ainsi plu-sieurs des capacités décrites. Nous proposons pour chaque capacité une accountability sur le résultat (OA : Outcome accountability), sur les processus (PA : Process accountabi-lity) ou hybride combinant OA et PA.

(1) Le développement produit implique la gestion et la création de nouvelles offres. Pour des produits non performants, nous suggérons de ne pas se focaliser sur les résul-tats afin d’éviter les comportements défensifs incitant à fixer continuellement de nouveaux objectifs. Nous proposons de questionner la qualité des processus de justification, afin d’en éprouver la rationalité. La création de

L’activité marketing ne se limite cependant pas à un exercice rationnel d’optimisation. Un marketeur doit aussi explorer de nou-velles opportunités sans que les perspectives économiques puissent être correctement évaluées. Des recherches avancent que l’ac-countability affecterait la créativité (Ferris et al., 1995). Par calcul politique ou pour protéger leur image personnelle, les indivi-dus « accountable» soumettant un nouveau projet anticiperont l’opinion de leur évalua-teur et chercheront à s’y conformer dans le but de plaire à l’audience envers qui ils rendent compte. L’accountability limiterait alors l’émission d’idées originales. De plus, si tant est que la proposition d’idées nouvelles soit une exigence fonctionnelle, l’évaluation des marketeurs sur cette dimension pourrait les inciter à n’émettre que des idées faible-ment originales, ceci afin d’obtenir une large acceptation. Des marketeurs naturellement portés vers les solutions les plus facilement justifiables, ne prendraient pas la peine de défendre les solutions créatives. Dans un contexte marketing exigeant une justifica-tion financière systématique, la créativité, bien que souhaitée de la part des marketeurs, pourrait être annihilée du fait d’une forte aversion envers l’incertitude, ce qui ferait qu’au final les idées véritablement nouvelles seraient écartées. L’enjeu pour une organisa-tion marketing devrait donc être de concevoir un système d’accountability qui incite les décideurs à prendre des risques et à éviter les stratégies d’autocensure.

Quelques grands groupes, fortement « ac-countable » financièrement, ont ainsi accordé un statut particulier aux activités créatives. Pernod Ricard, qui a été distingué en 2012 par le magazine Forbes comme une des 15 sociétés les plus innovantes au monde3, a créé le Breakthrough Innovation Group (BIG). Il s’agit d’une structure à part, en dehors de l’organisation traditionnelle de l’entreprise,

3/ « Innovation marketing : Pernod Ricard distin-gué par Forbes », e-marketing.fr (07/09/12).

Page 133: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 133

octroie des « chèques en blanc » aux initia-teurs de projets innovants.

(2) Pour les activités d’études, nous incitons les organisations à mettre en place un disposi-tif favorisant la motivation épistémique. Une accountability sur le processus semble donc plus adaptée. Plutôt que ne prêter attention qu’aux résultats des études, avec le risque de les utiliser pour confirmer ses propres opi-nions, les managers devraient se concentrer sur les méthodologies utilisées et sur leur fia-bilité, et accepter qu’une étude puisse ne pas donner de résultats instantanés. Apple, qui s’est vu à nouveau décerner le CMO Survey

nouvelles offres devrait s’affranchir des contraintes d’accountability au moins à court terme, ce que nous appelons « accountability retardée ». Nous recommandons ainsi de dif-férer au maximum la fixation d’objectifs chif-frés et les revues des résultats, en laissant une large autonomie. Si la création d’une équipe dédiée est difficile à mettre en place, d’autres leviers sont envisageables, à l’image de Google et ses fameux 20% de temps accordé aux employés pour se consacrer aux innova-tions libres et personnelles ou de Kraft4 qui

4/ « Dana Anderson Explains Kraft’s New ‘Lea-ping’ Philosophy », Advertising Age (21/10/11).

Encadré 5 : Comment Pernod Ricard s’organise pour l’innovation de rupture ?

Après une succession d’acquisition qui l’a conduit au deuxième rang mondial dans le secteur des vins et spiritueux, le groupe Pernod Ricard a mené un programme de réflexion dont l’objectif était d’iden-tifier les accélérateurs de croissance pour les dix prochaines années. La nécessité de créer des innova-tions de rupture a émergé comme un des leviers prioritaires. Le groupe étant davantage organisé pour les innovations incrémentales, il a donc fallu repenser l’organisation. Il a alors été décidé de mettre en place une structure spécialement dédiée à la création d’innovations de rupture. Cette structure nommée Breakthrough Innovation Group (BIG) lancée en janvier 2012 se situe en dehors de l’organisation, est indépendante des processus d’innovation habituels et est supervisée directement par le bureau exécutif du groupe.

Pourquoi est-ce important pour votre structure d’être en dehors de l’organisation marketing de Per-nod Ricard?Les organisations sont des broyeurs à idées. Pernod Ricard ne fait pas exception, même s’il s’agit d’un groupe décentralisé avec une structure hiérarchique légère. Un groupe comme le nôtre est struc-turé pour gérer le risque voir éliminer les risques, donc tout ce qui sort de l’épure est immédiatement identifié, visé et détruit. C’est une réalité. Les processus éliminent toute forme de pensée qui sort de la culture, des convictions et des habitudes. Voilà pourquoi nous avons clairement identifié la nécessité d’être à l’extérieur car nous avons besoin d’autonomie, de zéro contrainte et de nous épanouir dans notre propre système. Ainsi, nous ne constituons pas de projets de groupe de travail et nous ne partons pas sur des inspirations qui viennent de Pernod Ricard. Notre mission est de travailler sur des projets globaux en s’affranchissant des contraintes comme peuvent l’être les marques et les catégories. En outre, nous innovons également sur les méthodes. On n’utilise jamais les mêmes méthodes pour chaque projet. Chaque projet repose sur une méthodologie adaptée. Nous sollicitons par exemple des spécia-listes en ethnologie, sociologie ou anthropologie. On sort des boulevards études classiques qui n’ont pas beaucoup évolué.

Vous reportez à un membre du Comité Exécutif. Comment rendez-vous compte de votre activité ?Nous voyons notre superviseur une fois par mois. Nous écrivons l’agenda et présentons les projets. Il s’agit davantage d’une réunion d’information car nous avons une grande autonomie de décision. Lorsque l’on recommande quelque chose, on a ensuite carte blanche et il y a zéro interférence. Per-sonne ne vient nous dire, votre truc ça ne me plaît pas, faites autre chose… Notre reviewer ne fait aucune remarque sur les idées mais cherche au contraire à les enrichir. Il est dans l’accompagnement et le support en nous laissant vraiment libre. C’est une condition de réussite d’avoir un minimum d’interférences. La donne changera bien entendu lorsqu’il faudra mettre en œuvre les projets identifiés.

Propos recueillis auprès d’Alain Dufossé – Directeur Général Breakthrough Innovation Group.

Page 134: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

134 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

au même titre que les autres investissements

réalisés par les organisations, il convient de

se pencher également sur la qualité des pro-

cessus d’allocation de dépenses. Une exi-

gence de justification de ces processus pose

un regard critique qui incite les marketeurs

à la transparence et à faire évoluer leurs pra-

tiques.

Award for marketing excellence en 20125, est réputé ne pas conduire d’études de marché classiques mais en revanche passe un temps considérable à observer ses clients utiliser ses produits.

(3) Si la mesure du résultat des opérations de communication est devenue indispensable,

5/ « The CMO Survey », cmosurvey.org

Tableau 5 : Formes d’accountability souhaitables selon les activités marketing et enjeux décisionnels

Capacités marke-ting contribuant à la performance(1)

Objectifs Formes d’accountability souhaitables

Enjeux décisionnels

(réduction des biais)

Développement produit

Gérer les produits existants

Hybride : processus et résultatsFixation des critères de performance, processus de définition des marchés, processus de commercialisation…

Eviter les phénomènes « d’attache-ment », résister aux coûts irrécupérables

Créer de nouvelles offres différenciantes

Accountability « retardée »(2) :Autonomie totale ou création d’une équipe dédiée

Eviter la conformité

Market informa-tion

Acquérir des connais-sances sur le marché

Sur le processus : Pertinence des méthodologies, fiabilité des données...

Traiter l’infor-mation

Communication marketing

Influencer la valeur perçue par les clients

Hybride : processus et résultatsSur les processus : Sélection des parte-naires, qualité du modèle d’allocation des dépensesSur les résultats : Indicateurs de per-formance

Eviter la sur-confiance, l’au-tojustification et l’ancrage budgétaire

Planification marketing

Concevoir une stratégie marketing

Sur le processus : Diagnostic, explica-tion des choix stratégiques, mode de détermination des objectifs

Traiter l’infor-mation, éviter la sur-confiance

Mise en œuvre du plan marketing

Concrétiser la stratégie marketing

Hybride : processus et résultatsSur les processus : Choix des canaux de distribution, pricing, coordination des ressourcesSur les résultats : Mesure de l’effi-cience et de l’efficacité des pro-grammes marketing, résultats écono-miques

Eviter la sur-confiance et l’autojustifica-tion

(1) Les 5 capacités marketing retenues par Vorhies et Morgan (2005) dans leur étude sur le benchmarking.(2) L’accountability que nous dénommons « retardée » est une accountability qui s’affranchit des contraintes, au moins à court terme, en différant au maximum la fixation d’objectifs chiffrés et les revues des résultats, et en laissant une large autonomie.

Page 135: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 135

tion de clients dans les phases de tests voir dans la création des offres est classiquement une méthode qui évite un enfermement dans des préférences organisationnelles. D’après Lerner et Tetlock (1999), les individus ap-profondiront leurs analyse et feront preuve d’ouverture d’esprit, si l’audience est (1) suf-fisamment informée, (2) intéressée par les processus de décision suivis plutôt que par la décision elle-même, et (3) dispose d’une raison suffisante pour donner son avis. Le recours à des évaluateurs externes disposant d’une expertise dans un domaine concerné semble donc être un levier à considérer.

Conclusion

Cet article a proposé d’évaluer les effets de l’accountability sur la décision du marketeur en prenant en compte la dualité rationalité/créativité. La mise en œuvre d’un système d’accountability du marketeur est un déter-minant critique de la performance financière du marketing, mais ne saurait se réduire à rendre compte sur les seuls résultats. Ne pas prêter attention à la qualité des processus marketing mis en œuvre n’est pas un témoi-gnage de confiance vis à vis des marketeurs, mais plutôt un frein à leur apprentissage.

Nous positionnons donc l’accountability comme un levier pour optimiser les décisions marketing si tant est qu’elle soit adaptée à la diversité des activités marketing. Nous re-commandons aux organisations (1) de s’inter-roger sur la qualité du processus de décision marketing plutôt que de se focaliser sur le résultat a posteriori, (2) d’adapter les formes d’accountability aux types d’activités marke-ting et (3) d’identifier l’audience qui contri-buera le mieux à faire prendre conscience aux marketeurs des biais de décisions pos-sibles. Ces propositions devraient inciter à mieux structurer le mode de reporting de la fonction marketing.

Issues de travaux reposant sur des expérimen-tations en laboratoire et sur des observations

(4) La planification marketing repose sur un processus de justification, au moins lors des phases budgétaires annuelles. Son évaluation doit garantir l’alignement des objectifs mar-keting sur les objectifs stratégiques et l’opti-misation des prises de décision. Le décalage important dans le temps entre la conception du plan marketing et ses résultats empêche cependant les décideurs d’effectuer un bilan critique. Les événements s’étant produit pen-dant cette période sont autant d’interférences qui ne permettent pas une analyse de type cause-effets (Homburg, Artz et Wiesecke, 2012). En conséquence, une accountability des décideurs marketing sur le résultat des plans marketing aurait peu d’impact sur leur apprentissage.

(5) La mise en œuvre du plan marketing consiste à réaliser la stratégie souhaitée. L’objectif est de coordonner efficacement l’ensemble des ressources et des programmes marketing. Ne s’attacher qu’aux résultats risque d’encourager les approches opportu-nistes et trop focalisées sur le court terme.

Ces cinq capacités marketing ne sont bien-sûr pas exhaustives et il importe d’en identi-fier d’autres dans chaque organisation et de concevoir pour chacune un mode d’accoun-tability spécifique.

La théorie de l’accountability postule que le décideur ne doit pas connaître les préfé-rences de son évaluateur afin d’éviter de s’y conformer. Ce contexte empêcherait le décideur d’utiliser des stratégies dans le but d’être favorablement évalué, et l’inciterait à se concentrer sur la meilleure décision pos-sible. Ceci est probablement difficile à mettre en pratique dans des organisations où les pré-férences peuvent être devinées quand elles ne sont pas parfaitement connues. En consé-quence, nous suggérons de varier la compo-sition des comités d’évaluation du marke-ting. Cette audience se devant d’être légitime du point de vue des marketeurs, le choix des évaluateurs, qu’ils soient internes ou externes à l’entreprise, est un point critique. L’utilisa-

Page 136: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

136 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Hutchinson J.W., Alba J.W. et Eisenstein E.M. (2010), Heuristics and biases in data-based deci-sion making: effect of experience, training and graphical data displays, Journal of Marketing Research, 47, 4, 627-642.

Kahneman D. et Frederick S. (2005), A model of heuristic judgment, in K.J. Holyoak& R.G. Morrison (Eds.), The Cambridge handbook of thinking and reasoning, New York, Cambridge University Press, 267-293.

Kotler P. (2012), Marketing needs a conscience, Marketing News, 31/12/2012, 30

Kotler P. et Keller K.L. (2006), Marketing Manage-ment, 12th edition, Upper Saddle River, NJ, Pear-son Prentice Hall.

Lerner J. et Tetlock P.E. (1999), Accounting for the effects of accountability, Psychological Bulletin, 125, 255-275.

Markman K.D. et Tetlock P.E. (2000), Accounta-bility and close-call counterfactuals: The loser who almost won and the winner who almost lost, Personality and Social Psychology Bulletin, 26, 1213-1224.

Merunka D. et Kazmierczak J.B. (2005), ROMI : Une révolution dans la pensée et les pratiques en marketing, Décisions Marketing, 40, 9-15.

Mintz O. et Currim I.S. (2013), What drives mana-gerial use of marketing and financial metrics and does metric use affect performance of marke-ting-mix activities, Journal of Marketing, 77, 2, 17-40.

Pham M.T. (1996), Heuristiques et biais décisionnels en marketing, Recherche et Applications en Mar-keting, 11, 4, 53-69.

Rust R.T., Lemon K.N. et Zeithaml V.A. (2004), Return on marketing: using customer equity to focus marketing strategy, Journal of Marketing, 68, 1, 109-127.

Scholten L., van Knippenberg D., Nijstad B.A. et De Dreu C.K.W. (2007), Motivated information processing and group decision-making: effects of process accountability on information proces-sing and decision quality, Journal of Experimen-tal Social Psychology, 43, 4, 539-552.

Sheth J.N. et Sisodia R.S. (2005), Does marketing need reform?, in Marketing renaissance: oppor-tunities and imperatives for improving marketing thought, practice, and infrastructure, Journal of Marketing, 69, 4, 10-12.

Siegel-Jacobs K. et Yates J.F. (1996), Effects of pro-cedural and outcome accountability on judgment quality, Organizational Behavior and Human Decision Processes, 65, 1, 1-17.

en entreprise, ces propositions nécessitent d’être validées par la pratique. Par ailleurs, des recherches devraient être menées sur des décideurs marketing pour approfondir la connaissance des paramètres qui influencent la façon dont l’accountability est ressentie. L’accountability de la fonction marketing, souvent jugée insuffisante par les Directions Générales, ne progressera qu’en s’intéressant aux marketeurs et à leurs activités.

Références

Ambler T. et Roberts J.H. (2008), Assessing marke-ting performance: don’t settle for a silver metric, Journal of Marketing Management, 24, 7-8, 733-750.

Crittenden V. L., Crittenden W., Ferrell L. K., Fer-rell O. C. et Pinney C. (2011), Market oriented sustainability: a conceptual framework and pro-positions, Journal of the Academy of Marketing Science, 39, 71-85.

Dumez H. (2008), L’obligation de rendre des comptes ou accountability, Gérer et Comprendre, 91, 4-8.

Ferris G.R., Mitchell T.R., Canavan P.J., Frink D.D. et Hopper H. (1995), Accountability in human resource systems, in G.R. Ferris, S.D. Rosen et D.T. Barnum (Eds.), Handbook of human resource management, Oxford, Blackwell Pu-blishers, 175-196.

Finucane M.L., Alhakami A., Slovic P. et Johnson S.M. (2000), The affect heuristic in judgment of risks and benefits, Journal of Behavioral Deci-sion Making, 13, 1, 1-17.

Gardner H. K. (2012), Performance pressure as a double-edged sword: enhancing team motivation but undermining the use of team knowledge, Ad-ministrative Science Quarterly, 57, 1, 1-46.

Green M., Visser P. et Tetlock P.E. (2000), Coping with accountability cross-pressures: Low-effort evasive tactics and high-effort quests for com-plex compromises, Personality and Social Psy-chology Bulletin, 26, 1380-1392.

Hirshleifer D. (2001), Investor psychology and asset pricing, The Journal of Finance, 56, 4, 1533-1597.

Homburg C., Artz M. et Wieseke J. (2012), Mar-keting performance measurement systems: does comprehensiveness really improve perfor-mance?, Journal of Marketing, 76, 3, 56-77.

Hult G.T.M., Mena J.A., Ferrell O.C. et Ferrell L. (2011), Stakeholder marketing: a definition and conceptual framework, AMS Review, 1, 44-65.

Page 137: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Performance – 137

Verhoef P. C. et Leeflang P.S.H. (2009), Understan-ding the marketing department’s influence wit-hin the firm, Journal of Marketing, 73, 2, 14-37.

Vorhies D.W. et Morgan N.A. (2005), Benchmar-king marketing capabilities for sustainable com-petitive advantage, Journal of Marketing, 69, 1, 80-94.

Zhang Y. et Mittal V. (2005), Decision difficulty: effects of procedural and outcome accountabi-lity, Journal of Consumer Research, 32, 3, 465-472.

Simonson I. et Nye P. (1992), The effect of accoun-tability on susceptibility to decision errors. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 51, 416-446.

Simonson I. et Staw B. M. (1992), Deescalation stra-tegies: a comparison of techniques for reducing commitment to losing courses of action, Journal of Applied Psychology, 77, 4, 419-426.

Stewart D.W. (2009), Marketing accountability: Lin-king marketing actions to financial results, Jour-nal of Business Research, 62, 636-643.

Page 138: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 139: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 139-156

Pour contacter les auteurs : [email protected] ; [email protected]

DOI : 10.7193/DM.072.139.156 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.139.156Gorge H. et Özçaglar-Toulouse N. S. (2013), Expériences de consommation des individus pauvres en France : apports du Bas de la Pyramide et de la Transformative Consumer Research, Décisions Marketing, 72, 139-156

Résumé

Cet article a pour vocation de mettre en perspective les enjeux posés par les deux approches majeures existant sur la pauvreté: le Bas de la Pyramide et la Transformative Consumer Research. A cet effet, nous explorons les vécus d’individus pauvres en France, une catégorie de consommateurs peu abordée en marketing. Evoluant dans un système de consommation en leur défaveur, ces derniers entretiennent une relation avec la consommation analysée sous deux angles : celui des besoins et celui des compétences. Mots-clés : consommateurs pauvres, compétences, besoins, BoP, TCR.

Abstract

Consumption experiences of French poor people: knowledge from the Bottom of Pyramid and the Transformative Consumer Research

This article puts into perspective the challenges of the two existing approaches on poverty: the Bottom of Pyra-mid and the Transformative Consumer Research. To do so, we explore the experiences of French poor people, a recent category of consumers in marketing. Evolving in a disadvantaging system of consumption, these consu-mers maintain a relation with consumption that we have analyzed from two angles: the issue of needs and the one of competences.Key words: poor consumers, competences, needs, BoP, TCR.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les lecteurs et le rédacteur en chef invité pour leurs commentaires et la qualité de la discussion engagée autour de l’article, ayant permis d’enrichir le manuscript et de mieux l’ancrer dans la thématique de ce numéro spécial.

Expériences de consommation des individus pauvres en France : apports du Bas de la Pyramide et

de la Transformative Consumer Research

Hélène Gorge et Nil Özçaglar-ToulouseUniv. Lille Nord de France-SKEMA Business School

LSMRC

Page 140: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

140 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Accentuée par la crise économique et sociale, la pauvreté touche aujourd’hui 14,3% de la po-pulation française (INSEE, 2011) : celle-ci est marquée à la fois par l’augmentation des prix des matières premières et des produits ali-mentaires, l’instabilité économique (chômage, précarité) et l’accès de plus en plus limité à la propriété et au crédit. Parallèlement, les obser-vateurs pointent un sentiment croissant de dé-classement chez les Français (Chauvel, 2006). Ainsi, 65% de la population considèrent leur niveau de vie ou celui de leurs enfants comme dégradé par rapport à celui de leurs parents, et 48% se sentent pauvres ou menacés par la pauvreté (TNS Sofres Logica, 2012).

La pauvreté (qu’elle soit objective ou sub-jective) commence aussi à interpeller le marketing (Dalsace et Menascé, 2010). En novembre 2012, Marketing Magazine expose en première page « le business de la pauvre-té », prônant « un marketing de crise devenu structurel, sans cynisme et avec respect » (2012, p.6). Dans le monde professionnel, le « retour de la pauvreté en Europe » conduit certains managers, tels que le président d’Unilever Europe, à réfléchir à des straté-gies ciblées (Le Monde, 2012). L’intérêt pour ce « marché » n’est pas sans poser des ques-

tions d’ordre éthique quant à l’implication des entreprises. S’agit-il ici simplement d’un nouveau segment de consommateurs ? Ou plutôt d’un terrain sur lequel la responsabi-lité sociale des entreprises devrait désormais s’exercer ? A ce débat, le monde académique contribue à travers deux approches ma-jeures : la perspective du Bas de la Pyramide (BoP, Prahalad, 2004) et le courant de la Transformative Consumer Research (TCR, Mick, 2006). Alors que le BoP souligne le potentiel économique des consommateurs pauvres, essentiellement dans les pays émer-gents, la TCR se focalise sur leur bien-être et leur qualité de vie, en soulignant les externa-lités négatives du marché.

Le débat sur la pauvreté est donc lancé dans les entreprises et en recherche, mais peu de travaux empiriques sont menés sur les res-sentis des consommateurs pauvres et leur relation à la consommation. Quels sont donc leurs vécus vis-à-vis de la consommation ? Comment leurs expériences de la pauvreté se traduisent-elles par des comportements de consommation spécifiques ?

A travers une approche interprétative, l’ob-jectif de cette recherche est de développer

Encadré 1 : Comment définir l’individu pauvre ?

Plusieurs approches sociologiques ont fait évoluer la définition de l’individu pauvre. L’ouvrage séminal de Simmel (1907) associe le statut de l’individu pauvre à celui d’une personne bénéficiant de l’aide sociale. Il part en effet d’une définition relative de la pauvreté, dans laquelle le pauvre se définit par son statut d’assisté vis-à-vis de son groupe de référence. Les travaux plus récents de Paugam (1991) s’inscrivent dans cette démarche. Il fait apparaître le concept de disqualification sociale, permettant de comprendre l’exclusion contemporaine à travers le délitement du lien de protection de la société envers l’individu pauvre. Paugam (2005) dresse une typologie des formes contemporaines de pauvreté, à savoir la pauvreté intégrée, la pauvreté relative et la pauvreté disqualifiante. La pauvreté intégrée est répandue dans des pays émergents et les économies de subsistance, et concerne de larges parties de la population. C’est une pauvreté où peut néanmoins régner la solidarité et où l’économie est largement informelle. Même parmi les pauvres on retrouve alors divers niveaux de pauvreté, souvent classés en fonction du niveau de revenus (plus de $2 par jour, entre $1 et $2, moins de $1 par jour). La pauvreté re-lative ou marginale est celle d’une petite partie de la population alors que la société dans son ensemble est globalement prospère. La pauvreté disqualifiante est celle des sociétés industrielles qui s’appau-vrissent suite aux difficultés économiques et au chômage. La pauvreté disqualifiante devient de plus en plus importante dans les sociétés industrielles. Les stratégies du Bas de la Pyramide s’intéressent habituellement aux deux premières catégories. Le courant de la Transformative Consumer Research s’intéresse quant à lui aux trois formes de pauvreté.

Page 141: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 141

une première compréhension des consom-mateurs pauvres en France. Tout d’abord, cet article rappelle les défis soulevés par les deux perspectives majeures sur la pauvreté en marketing: le BoP et la TCR. En partant des questionnements de ces approches, et pour analyser les vécus des consommateurs pauvres, nous adoptons ensuite une méthodo-logie interprétative basée sur des entretiens longs. Deux thèmes principaux émergent alors : la ré-hiérarchisation des besoins et le développement de compétences. Ces der-niers permettent d’apporter un éclairage aux débats autour du BoP et de la TCR, et de pro-poser un agenda de recherches futures.

Enjeux autour du consommateur pauvre

L’entrée dans un contexte économique diffi-cile, après l’euphorie des Trente Glorieuses, a orienté la recherche en comportement du consommateur des années 1970 vers la ques-tion des inégalités dans l’accès au marché. Les consommateurs pauvres sont à cette pé-riode étudiés à travers la notion de « double peine », étant davantage impactés par la va-riation des prix ou se trouvant dans l’obliga-tion de prendre des crédits (Caplovitz, 1967). Le désavantage est alors surtout exprimé en termes de barrières économiques. A partir des années 1990, les travaux font état d’un rapport de domination dans la société de consommation au détriment des consomma-teurs pauvres, et au bénéfice des marketeurs. Ces derniers profiteraient de leur vulnérabi-lité économique, mais aussi parfois sociale et culturelle, pour leur soumettre des crédits, les faire payer davantage ou leur proposer des biens et services qui ne leur seraient pas adaptés (Alwitt et Donley, 1996; Talukdar, 2008). Dans une autre perspective, les re-cherches mettent en valeur les mécanismes identitaires de compensation que les consom-mateurs opèrent (Hill, 1991), ce que la littéra-ture sur les stratégies de coping approfondit par la suite (Hamilton et Catterall, 2008).

De nature psychologique, ces dernières per-mettent de gérer les difficultés liées au vécu de la pauvreté. Parmi des exemples, on peut citer l’idéalisation d’une vie future à travers les objets chez les femmes sans abri, ou en-core la quête de lien social qui s’exprime par l’intégration au sein d’une communauté ou d’un groupe.

Ces travaux ont alimenté l’émergence de nouvelles approches sur le consommateur pauvre. Deux courants se dégagent particu-lièrement depuis les années 2000 : le Bas de la Pyramide, et la Transformative Consumer Research. S’ils font des constats identiques sur le consommateur pauvre (vulnérabilité des individus, échange marchand inégali-taire, conséquences sociales, culturelles, physiques, morales et économiques de la pauvreté, etc.), les solutions qu’ils proposent les différencient l’un de l’autre. Le courant du Bas de la Pyramide (Bottom ou Base of Pyramid) est né des travaux de Prahalad et Hart (2002), et dresse le constat suivant: les entreprises doivent s’engager dans les pays émergents auprès des populations pauvres. Cela, non seulement afin de leur assurer des services de meilleure qualité, mais aussi parce qu’ils représentent un potentiel de mar-ché non négligeable, évalué à environ quatre milliards de personnes. Deux principes fon-damentaux caractérisent cette perspective (Prahalad, 2004). D’abord, elle conçoit les personnes pauvres comme des individus en-treprenants, capables de mettre en place des projets pour sortir de la pauvreté et intégrer le marché. Ensuite, elle explique la néces-sité pour les entreprises engagées dans cette démarche de mettre en place des innovations pour s’adapter à ces marchés, notamment en matière de modèles de production ou d’inves-tissement. Cependant, les principes jugés non « éthiques » de ce courant, ainsi que les re-tours d’expérience parfois négatifs, ont posé les bases de critiques fortes envers le BoP (Karamchandani, Kubzansky et Lalwani, 2011; Weidner, Rosa et Viswanathan, 2010). Par ailleurs, la volonté récente de certaines

Page 142: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

142 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

prises comme au cœur de la démarche, les recherches (Arnould et Mohr, 2005 ; Weid-ner, Rosa et Viswanathan, 2010) invitent de plus en plus ces dernières à construire des partenariats avec des acteurs locaux, tels que les associations. Certains suggèrent d’adap-ter la stratégie BoP en fonction du niveau de pauvreté (Rangan, Chu et Petkoski, 2011) par le biais de plusieurs initiatives : propo-ser des offres de produits et services adap-tées et innovantes pour le segment des bas revenus (soit 1,4 milliard d’individus vivant avec 3 à 5 dollars par jour), s’appuyer sur le commerce informel, les petits entrepreneurs et les communautés locales pour mieux ser-vir le segment des pauvres (soit 1,6 milliard d’individus vivant avec 1 à 3 dollars par jour), faire des partenariats avec les autorités gou-vernementales et les ONG pour répondre aux besoins basiques des plus démunis (soit 1 milliard d’individus vivant avec moins de 1 dollar par jour).

Le tableau suivant (tableau 1) résume les objectifs communs de ces approches domi-nantes, tant dans leurs perspectives que dans leurs mises en œuvre. En retraçant leurs dif-férences, ce tableau permet aussi de dresser les principales limites et les défis auxquels les recherches futures peuvent répondre.

L’intérêt grandissant du marketing pour les problématiques de pauvreté dans les pays développés conduit à plusieurs questionne-ments: Pouvons-nous considérer les popula-tions pauvres comme un nouveau segment de marché auquel il faut proposer une offre adaptée ? Ou alors, doit-on s’inspirer des solutions que ces consommateurs pauvres trouvent afin de les aider à améliorer leur quotidien ? Les limites, l’évolution et les questions posées par le BoP, notamment sur le plan éthique, peuvent potentiellement trou-ver des réponses dans l’approche de la TCR. Celle-ci cherche à approfondir notre connais-sance des consommateurs pauvres avant de proposer des pistes de réflexion pour les par-ties prenantes. A ce titre, le consommateur

entreprises à adapter des solutions du BoP dans les pays développés (Le Monde, 2012) a soulevé de nombreux questionnements ; d’une part autour de la méconnaissance des enjeux et des besoins des consommateurs pauvres dans un contexte différent, celui des pays développés ; et d’autre part autour des dangers d’une « marketisation » de la pau-vreté.

Parallèlement à cette approche, le courant de la Transformative Consumer Research s’est développé au cœur de la recherche en com-portement du consommateur. Récemment initié (Mick, 2006), la TCR correspond à la volonté grandissante de certains chercheurs de se préoccuper du « bien-être » des consom-mateurs (Mick et al., 2011). Elle se focalise donc sur des thématiques spécifiques (pau-vreté, matérialisme, développement durable, etc.), dans l’objectif de diffuser les résultats de la recherche auprès des parties prenantes, et ainsi de transformer le fonctionnement des marchés. A l’image du BoP, la TCR encou-rage des implications managériales, et sou-haite intégrer les consommateurs pauvres dans la société. Elle se distingue cependant sur deux aspects principaux. D’abord, elle considère la pauvreté comme l’un des dark side du marketing, adoptant une approche critique vis-à-vis du fonctionnement actuel de la société de consommation et considérant que le bien-être du consommateur ne passe pas (seulement) par le marché. Ensuite, elle encourage le développement d’approches ascendantes, cherchant à comprendre l’expé-rience vécue des consommateurs pauvres (Blocker et al., 2011, 2013), et plus parti-culièrement la manière dont ils effectuent des arbitrages de consommation ou tentent de maintenir leur participation au marché. Cette connaissance sert ensuite à inciter les entreprises, les politiques publiques ou le secteur associatif, à intervenir. Par ailleurs, si la TCR a toujours encouragé la collabora-tion entre ces différentes parties prenantes, le BoP tend à converger dans ce sens. En effet, si ce courant continue de considérer les entre-

Page 143: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 143

Tableau 1 : Comparaison des deux approches dans l’étude des consommateurs pauvres

Bas de la Pyramide Transformative Consumer Research

Constat

Les pauvres constituent un marché. Les pauvres (ou Bas de la Pyramide) qui rejoignent le marché pour la première fois constituent un potentiel de marché supérieur à celui des classes moyennes ou riches.

Le marché crée la pauvreté. La consommation a engendré des conséquences négatives (dette, sur-consommation) et négligé les besoins des consom-mateurs vulnérables ou désavantagés, tels que les pauvres.

Enjeu

L’objectif est de créer de la richesse à partir du bas de la pyramide.Cela conduit à un défi managérial : comment vendre aux pauvres et les aider à améliorer leurs vies ? Ce défi implique des changements de business model et des innovations technologiques dans une approche souvent locale.

L’objectif est d’améliorer le bien-être du consom-mateur pauvre en engageant une réflexion critique sur le système de consommation et en s’interrogeant sur les véritables besoins de ce consommateur. Cela conduit à un défi sociétal: inverser les externalités négatives créées par le marché vers des consé-quences positives pour l’ensemble de la société.

Place des entreprises

Les entreprises sont au centre de la réflexion : elles doivent associer rentabilité et intérêt pour ces consommateurs. Elles doivent accompagner les pays émergents dans leur transition vers l’économie de marché de manière transparente.

Les entreprises doivent agir en tant que parties prenantes, mais doivent réviser leurs objectifs pour faire du bien-être du consommateur une priorité. Elles ne sont qu’un acteur parmi d’autres (associa-tions, pouvoirs publics, etc.).

Définition du segment des pauvres

A l’origine, la définition est ancrée dans les pays émergents autour des personnes qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. Aujourd’hui, on y intègre les pauvres des pays développés, mais sans définition précise (convergence avec la TCR).

De nombreuses définitions de la pauvreté existent: économique, culturelle, sociale, psychologique, etc. On intègre à la fois les pauvres des pays développés, en développement (convergence avec le BoP) et dans le cadre d’économies de subsistance.

Thématiques abordées et recherches types

Management stratégique et BoP (Martinet et Payaud, 2010)Collectivités et partenariats locaux (Arnould et Mohr, 2005)Innovation et stratégies commerciales (Weidner, Rosa et Viswanathan, 2010)

Multi-dimensionnalité de la pauvreté (Blocker et al., 2011, 2013)Vulnérabilité et stratégies de coping (Hill, 1991)Relations consommateurs pauvres/marchands (Mick et al., 2011; Talukdar, 2008)

Limites et challenges

– Il n’existe que peu de preuves empiriques sur l’importance réelle de ce marché.– Encourager le libre marché dans les pays émer-gents comporte plusieurs risques : les consom-mateurs ne sont que peu protégés, encourager la consommation crée de nouveaux besoins, etc.– La perception du pauvre comme « entrepreneur » peut être signe d’ethnocentrisme occidental.– Le BoP crée une contradiction éthique majeure entre l’encouragement du profit et la réduction de la pauvreté.

– Il existe une dissonance entre le marché existant (et donc une offre de plus en plus large) et la volonté d’un « moins de consommation ».– La démarche critique du courant peut à terme nuire à la prise de décision concrète.– Les recherches sont principalement menées par des chercheurs peu familiarisés avec la pauvreté et vivant dans des pays développés.– La TCR crée une contradiction entre la préoccu-pation du bien-être des consommateurs et l’adoption d’une approche normative, et donc peu émique.

Page 144: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

144 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

une mobilité sociale basse indique que les individus interrogés ont une occupation de statut inférieur à celle de leurs parents. Une mobilité sociale moyenne signifie qu’il n’y a eu ni ascension sociale, ni déclassement (Chauvel, 2006) par rapport à la situation de leurs parents. Le parcours biographique des interviewés permet ainsi d’identifier l’exis-tence de « nouvelles » formes de pauvreté, où les évolutions économiques (perte d’emploi) et sociales (divorces) jouent un rôle fonda-mental.

Les entretiens, d’une durée moyenne de deux heures, ont été conduits selon les recomman-dations de McCracken (1988) au domicile des interviewés, enregistrés et retranscrits. Les entretiens ont été analysés de manière herméneutique (Thompson et al., 1994). Cette approche appréhende les comporte-ments des individus, sans uniquement cher-cher à les expliquer, mais en souhaitant aussi les comprendre à travers leurs expériences de vie. En effet, celle-ci conçoit que le consom-mateur (se) construit un sens cohérent lors de la narration, qui conduit le chercheur à mieux interpréter les expériences de consom-mation. Pour cela, l’analyse s’effectue autour d’une véritable itération des entretiens, en procédant à des allers et retours entre les cas particuliers de chacun des interviewés, les entretiens considérés dans leur ensemble et la littérature. Dès lors, l’utilisation d’entre-tiens longs analysés de manière herméneu-tique nous permet d’adopter une démarche compréhensive vis-à-vis des interviewés, afin d’appréhender leur vécu de la consommation et leurs difficultés au quotidien.

Les expériences de consommation des consommateurs pauvres

De l’analyse de nos entretiens émergent en particulier deux thèmes majeurs sur le rap-port de ces individus à la consommation : la re-hiérarchisation des besoins et le dévelop-pement de compétences.

est replacé au cœur du questionnement, non seulement pour éviter dans la mesure du pos-sible les risques impliqués par l’’extériorité du chercheur, mais aussi afin de saisir sa propre perception de sa relation à la consommation.

Notre étude exploratoire sur la pauvreté en France s’ancre a priori davantage dans la démarche de la Transformative Consumer Research en se centrant, parmi les trois types de pauvreté selon Paugam (encadré 1), sur des situations de pauvreté relative ou disqua-lifiante dans des pays industrialisés. Cette recherche, qui souhaite apporter un premier éclairage sur les expériences des consomma-teurs pauvres en France, devrait cependant permettre de tirer des implications perti-nentes tant pour la TCR que pour le BoP, avec l’esquisse de nouvelles pistes de recherche pour l’avenir. L’emploi d’une méthodologie interprétative, permettant de comprendre les ressentis et vécus de ces consommateurs, est adoptée.

Une démarche interprétative

Pour conduire cette recherche, nous avons ré-alisé 10 entretiens longs (McCracken, 1988) auprès de consommateurs pauvres vivant en milieu urbain dans la région lilloise. Tous les interviewés sont en dessous du seuil de pau-vreté, tel qu’il est calculé par l’INSEE (2011). Le seuil de pauvreté est calculé en France par l’INSEE en fonction des revenus moyens. Il diffère selon la taille du foyer. Ainsi, il est établi à 977 euros pour une personne seule mais à 1759 euros pour un couple avec un enfant âgé de moins de 14 ans1. L’échantillon est de convenance, le recrutement étant effec-tué par bouche à oreille. Cependant une at-tention particulière a été portée à la diversité des profils de personnes, en termes d’emploi, de situation familiale et de mobilité sociale (annexe 1). La mobilité sociale symbolise le parcours biographique des individus. Ainsi,

1/ Nous prenons en compte le seuil de pauvreté établi à 60 % du revenu médian.

Page 145: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 145

consommation à l’excès, opère souvent cette séparation (Adorno et Heller, 2008). Tels que les interviewés les conçoivent, les « vrais » besoins sont ceux primaires, de base, les seuls qu’ils peuvent atteindre. Quant aux « faux besoins », ils sont définis comme tous les biens et services superflus, car créés arti-ficiellement par le marché :

« Les produits de marque, je pense que c’est inutilement cher (...) on paie énor-mément de choses... c’est un emballage, c’est une présentation, … parce que c’est une marque mais les produits à l’inté-rieur sont les mêmes » (Julien, 50 ans).

Dans les problématiques de pouvoir d’achat, le marketing est en effet souvent critiqué pour sa promotion de tentations superficielles (Djelassi et al., 2009). On retrouve ce re-proche chez nos interviewés qui vont jusqu’à accuser la société de consommation : celle-ci formaterait des styles de vie auxquels les consommateurs pauvres ne peuvent pas avoir accès :

« Je trouve que c’est trop. Les voitures, les télés, les machins, les trucs... Tout ce qu’il faut pour faire comme tout le monde. Par exemple au boulot, je pense que j’ai une collègue qui faisait des crédits pour acheter des trucs, qui regardait la télé... Et je pense qu’il y a plein de gens qui font comme tout le monde parce que ça les rassure de faire comme tout le monde. D’avoir un écran plat... ça les rassure » (Tiphaine, 53 ans).

Les images de consommation qui pour-raient les frustrer deviennent en réalité des ressources pour construire un discours cri-tique sur des besoins perçus comme super-ficiels. Certaines recherches ont montré que les consommateurs pauvres relativisent leurs difficultés pour en alléger le poids, notam-ment en évoquant des situations « pires » que les leurs (Hamilton et Catterall, 2008) ou en espérant une vie future meilleure (Hill, 1991). Ici, c’est leur lecture personnelle des besoins, mais aussi la critique qu’ils adressent à la

La re-hiérarchisation des besoins

Une réévaluation des besoins

Les consommateurs rencontrés se carac-térisent par un éthos particulier, mélange de discours à la fois utilitaire, rationnel et sobre. Nous proposons d’examiner succes-sivement ces trois dimensions et leurs inte-ractions. D’abord, leur manque de moyens économiques les conduit à se préoccuper avant tout de leurs besoins physiologiques, ce qui se retraduit dans une consommation basique que nous qualifions d’utilitaire, éloi-gnée de la logique d’hyperconsommation ou de la valorisation d’une consommation hédo-niste. Eloïse, 37 ans, était agent de voyages mais a perdu son travail, il y a deux ans. Au-jourd’hui, serveuse, elle nous explique com-ment sa consommation est impactée par ce changement de vie :

« En termes de consommation, là je t’avouerai que... en termes d’achats, c’est plus ce dont j’ai besoin que plutôt me faire plaisir. Enfin l’un n’empêche pas l’autre aussi mais... un exemple bête, je me suis achetée des soutiens-gorges, non pas parce que ça me fait plaisir mais parce que j’en ai besoin… L’alimenta-tion, c’était pas ma priorité mais quand tu as de moins en moins de moyens, ça devient des priorités ».

Son appauvrissement a transformé non seu-lement ses priorités mais aussi le rapport qu’elle entretient avec certains domaines de consommation, qui, à l’exemple des sous-vê-tements, ont évolué d’une notion de plaisir vers une notion de besoin, distinguant ces deux types de consommation.

Ensuite, le discours indique un esprit de consommation rationalisant. Car au-delà d’une consommation utilitaire, les inter-viewés rationalisent leurs comportements d’achats en opérant une distinction entre ce qu’ils nomment les « vrais » et les « faux » besoins. La littérature sur le matérialisme et le bien-être, exposant les risques d’une

Page 146: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

146 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

satisfaire ce qui me fait envie, je peux pas partir en vacances, j’ai pas de loisirs » (Caroline, 45 ans).

Ainsi, aucun des interviewés n’est parti en vacances ces cinq dernières années au-delà de week-ends dans la région. La plupart s’arrangent pour récupérer des vêtements de leurs familles ou se rendent dans les centres de distribution et ont des loisirs « gratuits ». Cette restriction quotidienne n’empêche pas à certains moments une recherche de plaisir dans la consommation. Cependant ce plaisir est lui aussi rationalisé, dans le sens où il est occasionnel, et le fruit d’une réflexion préa-lable :

« J’adore le thé Mariage par exemple, je vais pas aller acheter du thé Mariage toutes les dix minutes. Je vais m’en ache-ter deux fois dans l’année mais j’achète-rais celui-là. Je ne vais pas aller acheter du Lipton bas de gamme pour me faire plaisir, j’irai acheter celui-là, c’est un plaisir. C’est un mois faste, chouette je peux aller m’acheter mon thé préféré, et je préfère ne pas en avoir que d’avoir du thé de base. Mais je me prive assez faci-lement des choses, j’ai pas de souffrance particulière à squeezer… C’est là-dessus que je peux jouer, donc je me pose même pas la question en ces termes-là » (Caro-line, 45 ans).

La rationalisation des besoins est particu-lièrement visible dans le domaine alimen-taire qui constitue un pôle particulier pour les interviewés. Domaine incompressible, il est aussi paradoxalement celui dans lequel ils ont le plus de « libertés ». D’abord, parce que c’est une dépense qui n’est pas fixe, sur laquelle ils peuvent « jouer » en fonction de leurs ressources. Ensuite, parce que l’alimen-taire reste le seul pôle de dépenses considéré comme espace de choix. Ainsi, en fonction de leur budget du mois, leurs décisions de consommation sont différentes. Si parfois, des consommateurs se retrouvent contraints d’aller vers la banque alimentaire, lors des

société de consommation, et implicitement à ceux qui en sont victimes (notamment en prenant des crédits), qui leur permet de ratio-naliser leur situation.

Enfin, leurs discours peuvent s’apparenter à ceux que l’on retrouve chez les consomma-teurs dits « sobres » ou « frugaux », à l’image de Sophie, 53 ans :

« Les trucs essentiels c’est les produits de saison, les légumes de saison, et puis bon... c’est les produits d’entretien pour la maison, c’est... Ce qui nous sert à vivre tous les jours. Mais et puis de toute fa-çon je vais vous dire... Je ne peux pas me payer le reste ».

Sophie se rend en effet dans un marché pour faire ses courses, ce qui lui permet d’ache-ter moins de produits que dans le cas d’un supermarché où elle serait tentée, mais aussi d’avoir accès à des produits de saison, moins chers et « meilleurs ». Schor (1998) évoquait le cas de consommateurs poussés par une baisse de revenus vers la frugalité, adoptée ensuite avec satisfaction. Cependant, même si leurs besoins et leur consommation sont relativisés dans les discours des interviewés, le manque de ressources est avant tout diffi-cile à vivre, et leur démarche adoptée sous la contrainte économique.

La mise en pratique de cette réévaluation

La discussion autour des besoins se retrouve dans les pratiques de consommation des consommateurs pauvres. D’abord, la notion de consommation utilitaire se révèle à travers leurs dépenses qui sont focalisées sur l’essen-tiel et le nécessaire. La consommation « se-condaire », tels que les loisirs, les vacances ou la décoration, etc. est perçue comme non vitale et donc souvent totalement absente :

« Bah j’ai une tenue A et j’ai une tenue B et c’est exactement ça, c’est-à-dire que suivant le temps j’ai une tenue A ou une tenue B et point barre, j’ai pas d’argent pour m’acheter des habits, j’ai rien pour

Page 147: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 147

après le meuble va à la poubelle. Vous voyez ce que je veux dire ? Moi ça me plait pas, je préfère prendre un meuble qui se casse pas tout de suite, un peu plus cher, mais qui dure ».

On retrouve ici un comportement similaire à celui du « wise shopper » qui met en place des stratégies face à la baisse du pouvoir d’achat (Djelassi et al., 2009). Néanmoins, ce consommateur est wise par nécessité plus que par choix. En parallèle de ce discours à la fois utilitariste et rationnel, on constate le déve-loppement de nouvelles compétences, outils de lutte contre leur situation de désavantage.

Un consommateur appauvri mais non démuni

La « maîtrise » de la consommation

Le consommateur pauvre est souvent décrit comme démuni face à un monde de consom-mation difficilement atteignable et même compréhensible (Alwitt et Donley, 1996). Pourtant, la situation de pauvreté agit aussi comme catalyseur, en obligeant à trouver des moyens de survivre dans le monde de la consommation. Nous décrivons ici un type de stratégie, à savoir les compétences que ces consommateurs développent. Par com-pétences, nous entendons les connaissances sur le fonctionnement de la consommation associées à une certaine familiarité avec le marché (Longo et al. 2012). Cela correspond à l’image d’un consommateur « expert » qui comprend le système de consommation, ce qui, dans le cas des interviewés, leur permet d’éviter des difficultés supplémentaires. Nous illustrons ces compétences à travers trois exemples : la gestion du budget, le shopping et le développement de savoir-faire. Jocelyne et Sabine ont respectivement 36 et 37 ans. En dépit de leur situation financière commune, leurs parcours sont très différents. La pre-mière est sans emploi depuis de nombreuses années et vit dans un HLM avec sa fille tout en bénéficiant du RSA. Sabine a toujours travail-lé mais ne cumule aujourd’hui que quelques

mois « fastes » ils peuvent se permettre des dépenses considérées comme plus luxueuses et qui deviennent alors sources de plaisir. Les arbitrages s’opèrent au niveau des pro-duits et des points de vente. Les magasins de discount sont surtout réservés aux produits d’entretien ou à l’épicerie, alors que les mar-chés ou les petits commerçants sont appré-ciés non seulement pour leur qualité, pour leur proximité géographique (économisant des coûts de transport), mais aussi pour leur choix restreint leur évitant une trop grande frustration :

« Vous ne me ferez pas aller à Auchan, vous ne me ferez pas aller à Carrefour, j’ai horreur des hypers. (...) Je trouve que c’est, c’est... oui ils poussent à acheter. Vous êtes... toujours tenté d’acheter plus que ce que vous avez déjà dans ce genre de choses. Moi j’aime bien acheter des trucs essentiels donc je ne vais pas dans les hypermarchés, enfin dans les grands hypers » (Sophie, 53 ans).

Talukdar (2008) mentionne la discrimina-tion vécue par le consommateur pauvre qui, ne disposant pas de véhicule, ne peut pas se rendre dans les grandes surfaces aux produits plus accessibles. Un autre élément apparaît ici : le fait d’éviter les grandes surfaces per-çues comme des sources de frustration par la profusion de choix qu’elles offrent.

Enfin, leurs comportements de consomma-tion les rapprochent aussi de comportements plutôt sobres. Issue d’une famille ouvrière, Jean-Michel, 51 ans, travaille aujourd’hui comme peintre en bâtiment. Au moment de l’entretien, il souhaite racheter une table et des chaises de salle à manger, et donc éco-nomise depuis deux ans. Il nous explique son choix, exigeant davantage de sacrifices finan-ciers, mais rentable à long terme :

« Je préfère acheter quelque chose... qui plaît. C’est vrai que ça coûte plus cher qu’un magasin comme Ikea mais c’est de la merde en fait. C’est comme si vous achetez un meuble chez Ikea et qu’un an

Page 148: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

148 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

développement de compétences se retrouve aussi dans la gestion des courses. Caroline, 45 ans, nous explique ici son utilisation cou-rante de Chronodrive :

« Je maîtrise vachement bien avec Chro-nodrive. Parce que je me fixe une somme, et quand je suis dans un magasin, je la dépasse systématiquement. […] Alors qu’à Chronodrive, tu vois ton panier en haut à droite qui descend au fur et à mesure et tu maîtrises vraiment tes dé-penses, t’es pas tentée quand tu arrives à la caisse d’acheter toutes les petites salo-peries qu’il y a autour, un supermarché pour quelqu’un comme moi qui justement est en surendettement et qui doit vraiment cadrer ses dépenses, c’est le lieu de toutes les frustrations possibles et imaginables et le lieu de toutes les tentations pos-sibles. Chronodrive t’as zéro tentation. Tu es sur ton truc, tu cliques, et t’achètes ce dont tu as besoin point barre. Donc ça je fais mes gros pleins là-bas pour pas dépasser ».

Chronodrive lui permet de « maîtriser » ses dépenses de courses et donc son budget, sans pour autant lui donner l’impression de se priver outre mesure. Cet outil de courses en ligne est ici utilisé à des fins détournées, non pas comme outil pratique, mais comme un moyen de se distancier des endroits frustrants et tentants de consommation. Enfin, au-delà de connaissances, les compétences repré-sentent aussi des savoirs pratiques simples, souvent délaissés dans nos sociétés contem-poraines. Longo et al. (2012) se référent d’ailleurs à la notion de compétences pour expliquer cette gestion de la consommation quotidienne, véritable tendance auprès de populations jeunes urbaines qui souhaitent apprendre à cuisiner, bricoler etc. Mais ici, c’est le manque économique qui oblige dans un premier temps à acquérir et développer des compétences :

« Bah t’apprends à faire plein de choses toi-même. Bah déjà le pain. […] Donc

heures de ménage par semaine. Toutes deux ont cependant des stratégies similaires en ce qui concerne la gestion de leur budget :

« Il y a des gens qui font comme ça, moi je faisais comme ça avant, un ou deux mois je ne payais pas mon loyer. Je le gardais pour me rhabiller un peu plus. Mais maintenant, même si c’est dur, dur, dur, mais je paie mes factures. Depuis que je suis déménagé [sic], que je suis ici, tout est fait en prélèvement automatique. Prélèvement automatique pas le choix […] Dès le début du mois tout est calculé. Les factures on attend et sinon on achète rien. En fait le 5 du mois quand je touche, tout est déjà noté sur un papier, ce que j’ai à payer, ce que je dépense à côté et ce qu’il faut dépenser comme courses » (Jocelyne, 36 ans).

« Alors comme je sais que tout y est débi-té par petites sommes, en début du mois, et que Mme X elle me paie en fin de mois, enfin un petit peu avant comme ça jusqu’à temps que j’encaisse le chèque je ne suis pas à découvert, c’est normal, parce qu’il faut quand même trois jours avec un chèque... et après tout y est débité, je retire l’argent qui reste et je sais combien il me reste pour aller faire les courses et on peut ou on peut pas » (Sabine, 37 ans).

Deux compétences apparaissent : d’abord, l’utilisation du prélèvement automatique per-met de contraindre les dépenses obligatoires telles que les factures. Ensuite, les inter-viewés opèrent une hiérarchisation de leurs dépenses par priorités : celles obligatoires, puis alimentaires et ensuite celles, éventuel-lement, superficielles quand « on s’autorise un petit truc à côté » (Jocelyne). La maté-rialisation du budget à travers le fait de noter leurs dépenses ou l’utilisation de l’argent li-quide permet de le contrôler plus facilement. Toutes les personnes rencontrées déploient beaucoup d’efforts pour éviter des situations de crédit ou de découvert qui n’auraient pour effet que de les handicaper davantage. Le

Page 149: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 149

on s’en sort donc si on commence à tom-ber dans des trucs comme ça ».

Elle opère donc une distinction entre l’uti-lisation du crédit à la consommation à bon escient, lui permettant d’avoir accès à des biens de consommation qu’elle souhaite, et un processus qui l’aurait plongée dans davan-tage de difficultés. Sa conscience du crédit à la consommation comme « engrenage » montre sa réflexivité vis-à-vis de cet outil, souvent décrit comme un instrument défa-vorisant les ménages pauvres (Montlibert, 2006). Cette situation est symptomatique d’un constat contemporain plus général, où on ne peut plus associer uniquement l’indi-vidu pauvre à quelqu’un de marginalisé, désocialisé et incompétent. Par ailleurs, ces savoirs leur permettent aussi de se valoriser vis-à-vis de ceux qui ne parviennent pas à maîtriser leur consommation. Tous les inter-viewés ajustent et expriment leurs besoins et même leurs désirs de consommation en fonction des budgets qui leur sont alloués. Ils développent ainsi une critique à propos des personnes qui ne régulent pas leur consom-mation et confondent désirs et besoins :

« Mais les gens qui prennent des crédits pour partir en vacances, parce que ça existe, faut arrêter ! On peut s’en passer. Il y a des choses dont on ne peut pas se passer et il y a des choses dont on peut se passer » (Sophie, 53 ans).

Selon Paugam (2009), cette légitimation de soi est particulièrement importante chez les personnes vulnérables. Ici, elle permet de recréer des « différences » vis-à-vis des autres individus qui ont peut-être les mêmes ressources économiques, mais ne sont pas capables de « maîtriser » leur consommation.

Quels nouveaux regards sur le consommateur pauvre ?

Les vécus explicités par les discours des consommateurs peuvent être en partie analy-sés sous l’angle du coping, révélant des stra-

voilà manger autrement et donc finale-ment là où j’avais pas le temps d’aller au marché, d’aller… enfin de cuisiner, c’est pas que ça me passionne, loin de là, mais tu apprends des choses, tu apprends à faire des choses toi-même. Et puis du coup ça te revient moins cher, c’est par-fois meilleur » (Eloïse, 37 ans).

Ces (nouveaux) savoir-faire sont décrits non seulement comme des outils leur permettant d’économiser, mais aussi comme des loisirs potentiels. Les activités de couture, tricot, cuisine ou jardinage sont des moyens d’ob-tenir des biens de consommation peu chers, mais en plus le temps qui y est passé occupe et éloigne des lieux de consommation : « J’ai besoin de tricoter, donc ce sera des choses que j’essaierai de faire moi-même parce qu’en plus ça va m’occuper dans le temps. Parce que si j’achète une fringue, bah voilà ça va m’occuper cinq minutes, mais tandis que de faire soi-même…» (Tiphaine, 53 ans). Les consommateurs aux moyens financiers limités développent ainsi une connaissance du fonctionnement de la consommation et une réflexivité sur leur propre consommation.

La valorisation de soi à travers les compétences

Les compétences sont non seulement un moyen de maîtriser la consommation, mais aussi de se valoriser, notamment en marquant une différence avec ceux qui ne les détiennent pas. Cet aspect est particulièrement visible dans l’utilisation de certains outils, tel que le crédit. Tiphaine (53 ans) nous explique ainsi comment elle a utilisé le crédit à la consom-mation :

« Pour nos meubles on avait tout acheté avec la carte Cétélem, c’est du revolving. Mais donc moi c’était juste pour bénéfi-cier du dix fois sans frais et après j’ai fait sauter le contrat Cétélem parce que moi les crédits revolving ça me tente pas (...). Dès que j’ai fini de payer mes meubles, j’ai tout arrêté, je ne tiens pas à tomber dans cet engrenage, c’est déjà tout juste si

Page 150: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

150 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

des stratégies sont proposées pour répondre aux besoins des consommateurs pauvres, notamment en les segmentant en fonction du niveau de pauvreté, en s’appuyant sur (et en stimulant) les ressources locales (Rangan, Chu et Petkoski, 2012), avec les petits entre-preneurs, les communautés de villageois, les marchés informels, ou en cherchant à adop-ter une politique de développement durable avec certains gouvernements et ONG pour répondre à des besoins vitaux. Les straté-gies BoP actuellement réussies sont d’ailleurs celles qui allient intérêt général et intérêt particulier, valeur sociale et valeur commer-ciale. La TCR propose depuis ses débuts de réfléchir à la critique portant sur la notion de besoins en étudiant les dimensions idéolo-giques de la pauvreté. Pour les chercheurs de la TCR, ce serait la société qui structurerait les conditions de ce qui est considéré comme une vie « décente » ou non (Blocker et al., 2012). Cette réflexion pourrait alors s’inspi-rer des travaux de Douglas (2007), pour qui c’est la définition des besoins et des désirs en termes de nécessités individuelles qui a ten-dance à exacerber les notions d’abondance et de pauvreté. Approcher la pauvreté par la rareté conduirait à une problématique incom-plète, car focalisée avant tout sur une défi-nition matérielle de la pauvreté, par rapport à une société de consommation abondante. C’est pour cela que les mesures de la pauvre-té doivent aussi s’ancrer dans les conditions idéologiques de production des besoins et des désirs, c’est-à-dire dans le type de société qui génère ces valeurs (Douglas et Isherwood, 1979).

Les résultats de notre recherche montrent que les besoins sont au cœur des réflexions et des comportements des consommateurs pauvres. Le BoP, et notamment parce qu’il est sur-tout focalisé sur les pays émergents, n’offre que peu de réflexions sur les frontières entre besoins et désirs, prônant une intégration par le marché pour le bien-être des pauvres. La TCR pose elle non seulement la question des besoins en termes théoriques, mais offre

tégies émotionnelles et comportementales permettant de gérer des difficultés, ce que la littérature a déjà montré (Hamilton et Cat-terall, 2008). Cependant, ces discours sou-lèvent de nouveaux questionnements sur les consommateurs pauvres. La notion de besoin engendre une réflexion qui se place au cœur des débats animant aussi bien la TCR que le BoP. De plus, les compétences présentées exigent de repenser notre vision du « mar-ché » telle qu’elle existe aujourd’hui dans le cas du traitement des personnes pauvres. Après avoir passé en revue ces questions, nous proposons pour conclure un « agenda de recherche » mettant en valeur les enjeux majeurs de la recherche sur la pauvreté et le rôle des parties prenantes (chercheurs, entre-prises, etc.).

Les besoins au centre de la réflexion sur la pauvreté

Les discours des consommateurs pauvres évoquent une ré-hiérarchisation des besoins. On constate une baisse ou une absence de consommation dans certains domaines. Les consommateurs évoquent ainsi une consom-mation avant tout utilitaire, où le « super-flu » est impossible et impensable, ce qui se ressent notamment dans leur consommation énergétique, de loisirs, etc. On observe éga-lement le développement d’une réflexivité sur leur consommation, qui leur permet non seu-lement de définir ce qu’ils considèrent être de « vrais » besoins, mais aussi de se valoriser à travers cette réflexion.

La notion de besoins est incontournable pour la recherche sur la pauvreté en marketing, et se replace, de manière différente, au cœur des débats sur le BoP et la TCR. Le BoP est sou-vent critiqué pour sa tendance à ne considérer les personnes pauvres que comme des cibles de marché potentielles, et donc pour sa pro-pension à créer des besoins là où leur néces-sité n’est pas réellement avérée, aggravant po-tentiellement par-là les situations de pauvreté. Le BoP répond peu à cette critique, même si

Page 151: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 151

« désirent ». Par contre, ils maintiennent leur identité de consommateur par plusieurs stra-tégies discursives ; et notamment le fait d’être compétents pour éviter les « écueils » de la consommation ou de réévaluer leurs besoins de manière à se valoriser. Le BoP et la TCR encouragent tous les deux d’une certaine manière l’intégration dans le marché par les compétences, tout en adoptant une démarche quelque peu différente. Dans l’approche BoP, le consommateur pauvre est perçu comme un potentiel « entrepreneur ». La TCR a une vision moins tranchée sur le sujet, puisque les pistes de recherche adoptent justement une vision des personnes pauvres capables de connaissances, de compétences, de capabili-tés, etc.

Une vision nuancée est sans doute possible à ce sujet. La perception des consommateurs pauvres comme compétents apparaît dans nos résultats, et encourage un regard moins « misérabiliste » sur la pauvreté. Par contre, l’un des risques de l’association entre indivi-du pauvre et entrepreneur est sans doute de se diriger vers une éthique de marché libérale, où les individus seraient tous responsables de leur propre développement. Or, les com-pétences ne s’acquièrent pas toujours facile-ment. Les consommateurs ont notamment connu plusieurs écueils (à l’image du suren-dettement) dans ce cheminement, et certains ne disposent pas des mêmes ressources cultu-relles et sociales pour se construire. Dans ce contexte, l’entreprise pourrait ainsi être un lieu d’apprentissage de meilleures pratiques ou un relais de connaissance, à l’image de certaines chaînes de distribution en Amé-rique Latine (Cavazos-Arroyo et González Garcia, 2012) qui favorisent les courses en ligne dans des espaces dédiés avec l’aide du personnel, afin d’éviter notamment les phé-nomènes de tentation ou de frustration ou de dépassement du budget répandus parmi les consommateurs pauvres. Cette notion de compétences est aussi relayée par le secteur associatif, à l’image de Voisin Malin qui propose des relais de connaissances dans les

aussi une vision critique de cette prégnance idéologique d’un système de consommation abondant et sans limite comblant au-delà des besoins, des désirs de consommation, et donc créant des frustrations pour les consomma-teurs n’ayant pas les moyens d’y répondre. Cette problématique des besoins éclaire l’une des principales différences entre ces deux approches. A la différence du BoP qui re-cherche de nouveaux marchés pour les entre-prises, et même si la dimension « développe-ment durable » est de plus en plus prégnante dans cette stratégie, la TCR sous-entend que ce sont les marchés tels qu’ils existent aujourd’hui qui créent ces situations de désa-vantage, voire de pauvreté.

A l’image de cette recherche, les deux pers-pectives, BoP et TCR, pourraient ainsi s’ins-pirer des travaux de Banerjee et Duflo (2012) dans ce domaine. Ces économistes, par le biais de méthodes in situ montrent que les rationalités des personnes pauvres dans les pays émergents diffèrent souvent de celles conçues à leurs propos par les programmes d’aide des pouvoirs publics ou même des en-treprises. Ce type de recherche devrait être encouragé aussi dans les pays développés. Dans ces derniers, l’idéologie de consomma-tion toute puissante conduit non seulement à des situations de frustration pour les consom-mateurs, mais aussi à des confusions entre les notions de besoins et de désirs, auxquelles les chercheurs doivent être attentifs.

L’intégration des consommateurs pauvres à travers les compétences

Les résultats ont mis en relief un large nombre de compétences développées par les consom-mateurs pauvres. Celles-ci permettent de gérer les restrictions, mais sont aussi autant d’outils de maîtrise de la consommation. Les interviewés mettent ainsi en place une inté-gration mesurée à la société de consomma-tion. En cela, nous entendons qu’ils sont limi-tés par leurs ressources économiques et donc ne peuvent pas avoir accès à tout ce qu’ils

Page 152: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

152 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

des consommateurs de services, des agents sociaux et/ou des citoyens engagés.

Dans le tableau ci-dessous, nous indiquons à partir de nos résultats un agenda de re-cherche sur la pauvreté, ainsi que les implica-tions pour les parties prenantes. Cet agenda met en perspective les approches du BoP et de la TCR, qui tout en partageant certaines similitudes, continuent de varier dans leurs implications concrètes.

Si le tableau 2 présente un agenda de re-cherche autour d’axes fondamentaux, une autre lecture consisterait à examiner le rôle des parties prenantes: les entreprises, les associations et les pouvoirs publics, dans ces enjeux. Les entreprises sont les plus à mêmes d’encourager le développement du lien social dans le marché, que ce soit à travers des services de proximité adaptés aux clients pauvres ; ou alors par le développement de points de vente à taille humaine et d’outils de maîtrise budgétaire. Cette notion de « maî-trise » se retrouve dans une autre piste d’ac-tion, basée sur un meilleur apprentissage de la consommation. Contribuer au déploiement des compétences des personnes pauvres, mais aussi leur fournir une communication plus transparente et non stigmatisante, sont deux axes de développement conduisant à une meilleure intégration des consomma-teurs pauvres.

Dans ces enjeux, les entreprises peuvent s’ap-puyer sur d’autres acteurs : les associations, qui bénéficient d’une bonne connaissance du terrain, et les pouvoirs publics qui ont les moyens de relayer et/ou d’impulser des chan-gements sociétaux sans objectif de rentabili-té. Ces deux parties prenantes sont des relais de savoir pertinents, appuyant les entreprises dans une démarche participative. Dans une perspective TCR, les associations et pouvoirs publics peuvent aussi constituer des acteurs à part entière. Les premières, en contribuant par exemple à identifier de nouvelles formes de pauvreté, et rendre compte de réalités sociales peu connues. Le rôle des pouvoirs

quartiers défavorisés. Par ailleurs, les acteurs doivent adopter un discours solidaire et éga-litaire sans pour autant être moralisants ou stigmatisants. L’intégration de ces consom-mateurs passe en effet aussi par le sentiment d’être considérés comme des consommateurs à part entière avec des besoins spécifiques. Certaines entreprises aujourd’hui ont initié cette réflexion, telles que La Poste qui forme des conseillers aptes à discuter avec des pu-blics précaires, ou encore EDF qui agit avec des acteurs de terrain pour comprendre ces populations et leur fournir des services adap-tés. Ainsi, selon la perspective de la TCR, le marketing ne doit pas seulement créer de nouveaux besoins, mais adapter les services ou offres en fonction de ces consommateurs en s’appuyant sur le maintien du lien social. L’évolution récente et encore peu formalisée au sein du BoP insistant sur la nécessité d’une dimension sociale et d’apprentissage pour mener des stratégies réussies sur le moyen-long terme tend à se rapprocher de cette vi-sion.

Perspectives et enjeux sur les consommateurs pauvres

Les recherches sur la pauvreté soulèvent iné-vitablement la question de la responsabilité et de l’éthique des chercheurs et des praticiens. L’engagement pris par ceux impliqués dans la TCR reflète cette préoccupation : agir pour un marketing différent, en faveur du bien-être du consommateur. Tant le BoP que la TCR encouragent l’action des parties prenantes en faveur de l’intégration des personnes pauvres à la société de consommation. Cependant, la TCR implique une réflexion critique sur la structure même du système de consom-mation, autour de deux points principaux. D’abord, la recherche et la prise de décision en marketing sont encouragées à dépasser les limites du marché, pour développer des implications pour l’ensemble de la société. Ensuite, cette perspective incite à faire évo-luer le regard sur les personnes pauvres, pour que de simples clients, ils puissent devenir

Page 153: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 153

Tableau 2 : Agenda de recherche sur les consommateurs pauvres et implications

Enjeux pour la recherche

Bas de la Pyramide Transformative Consumer Research

Stimuler les actions en faveur de l’intégration et de l’amplification des dimensions de lien social et de bien-être sur le marché

Amplifier le lien social dans le marché– Encourager un travail collaboratif entre entreprises et acteurs du terrain pour mieux appréhender les besoins des consommateurs – Encourager la dimension de proximité et de solidarité avec les consommateurs et entre les consommateurs

Concevoir une distribution en faveur du bien-être du consommateur– Favoriser des points de vente de proximité et de taille réduite pour éviter les tentations– Encourager les courses en ligne ou développer des plates-formes spécifiques en magasin permettant de mieux gérer son budget

Encourager la for-mation, l’informa-tion, la transparence et les programmes de développement collaboratif

Former et éduquer à la consommation pour favoriser une intégration (mesurée) des consommateurs pauvres au marché– Encourager la transparence des informations pour éviter les risques de consom-mation, notamment de surendettement

– Encourager l’esprit d’initiative des consommateurs

– Encourager les compétences et les connaissances sur la consommation

Promouvoir des programmes de développement basés sur une collaboration étroite entre entreprises, institutions publiques, société civile et monde académique

– Modérer le rôle des entreprises dans les solutions apportées à la pauvreté

– Eradiquer les risques de stigmatisation des consommateurs pauvres

Mieux appréhender et clarifier les formes de pauvreté et leur évolution

Identifier les dynamiques socioculturelles dans l’appréhension de la pauvreté

– Rendre compte des diversités socio-culturelles des marchés du bas de la pyramide

– Appréhender les consommateurs pauvres sous le prisme générationnel (déclassement, mobilité sociale, etc.)

Clarifier les formes de pauvreté à partir d’éléments objectifs et subjectifs (vulnéra-bilité, précarité, travailleurs pauvres, etc.)

– Dissocier la pauvreté dans les pays développés et émergents

– Prendre en compte de nouveaux critères: le «reste à vivre» comme iden-tification des plus démunis

Intégrer à la recherche les dimen-sions « sensible », « éthique » et « sociétale »

Intégrer la dimension « sensible » et « éthique » de la recherche sur la pauvreté par le chercheur– Encourager des méthodes introspectives pour les chercheurs et leur formation et sensibilisation aux problématiques de pauvreté ou d’exclusion – Encourager l’élicitation des discours des consommateurs par des méthodes pro-jectives

Concevoir la recherche comme médiateur d’un changement sociétal

– Intégrer la recherche in situ dans la réflexion afin de comprendre les ratio-nalités des individus pauvres – Examiner rétrospectivement et de manière longitudinale les impacts du développement du BoP

– Prendre appui sur la « recherche par-ticipative » dans laquelle chercheurs et parties prenantes travaillent ensemble– Développer des recherches « révéla-trices » des réalités sociales peu connues

Page 154: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

154 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

définition économique et donc objective de la pauvreté. D’autres recherches pourraient la confronter à une réflexion autour du res-senti de la pauvreté. Ensuite, dans une pers-pective plus managériale, l’une des voies de recherches consisterait à s’intéresser aux ré-actions des consommateurs les plus pauvres face à certaines pratiques des entreprises et pouvoirs publics, tels que le développement de Free à 1 euro ou le « pass-lunettes » lancé pour les personnes âgées à revenus modestes par Optique Solidaire. Peu d’études ont éva-lué concrètement la portée de ces initiatives auprès de ce public, premier concerné. Enfin, cette recherche soulève des questionnements sur d’autres concepts corrélés, tels que la vul-nérabilité ou le désavantage, dont la pauvreté ne constitue que l’une des représentations. De futurs travaux pourraient ainsi mettre en perspective ces notions, mais aussi approfon-dir leur compréhension par l’étude de diffé-rentes populations, afin d’encourager le déve-loppement de ce champ de recherche.

Références

Adorno T. W. et Heller A. (2008), Par-delà le vrai et le faux. Deux textes sur la théorie des besoins, Mouvements, 54, 2, 13-33.

Alwitt L.F. et Donley T.D. (1996), The low-income consumer. Adjusting the balance of exchange, USA, Sage Publications.

Arnould E. J. et Mohr J. J. (2005), Dynamic trans-formations for Base-of-the-Pyramid market clusters, Journal of the Academy of Marketing Science, 33, 3, 254-274.

Banerjee A.V. et Duflo E. (2012), Repenser la pau-vreté, Paris, Les livres du Nouveau Monde.

Blocker C., Ruth J.A., Sridharan S., Beckwith C. Ekici A., Goudie-Hutton M., Antonio Rosa J., Saatcioglu B., Talukdar D., Trujillo C. et Varman R. (2013), Understanding poverty and promo-ting poverty allievation through Transformative Consumer Research, Journal of Business Re-search, 66, 8, 1195-1202.

Blocker C.P., Ruth J.A., Sridharan S. et al. (2011), Applying a Transformative Consumer Research lens to understanding and alleviating poverty, Journal of Research for Consumers, 19, 1-9.

publics pourrait être d’encourager la solidari-té et l’éthique des citoyens au sens large, afin qu’une conscience collective et participative vienne contrer le risque de fractures sociales.

Conclusion

Bien que cette recherche propose certains développements théoriques et managé-riaux autour des consommateurs pauvres, elle demeure exploratoire et porteuse de li-mites, notamment d’ordre méthodologique. D’abord, compte tenu des thématiques abor-dées lors des entretiens (revenus, difficultés au quotidien, etc.), il semble possible que les interviewés mettent en place une ratio-nalisation a posteriori dans leurs discours. La valorisation de soi par une certaine maî-trise de la consommation peut s’apparenter à l’émergence de la figure du wise shopper dans les sociétés occidentales (Djelassi et al., 2009). Le fait que cette figure soit idéalisée par les consommateurs peut créer un biais de « désirabilité sociale ». Il serait pertinent de consolider les recherches futures à la fois par des approches ethnographiques et pro-jectives. Alors que l’observation permettrait de dépasser les discours pour toucher les pratiques (non dites), les techniques projec-tives seraient à même d’explorer les logiques « sous-terraines » des expériences vécues et des frustrations. Ensuite, nous avons tenté de diversifier le profil des interviewés afin d’élargir notre spectre des vécus. Cependant, certaines catégories de pauvres nécessitent d’être approfondies, telle que les travailleurs pauvres ou les consommateurs récemment appauvris.

De nombreuses voies de recherche méritent d’être explorées. D’abord, notre recherche montre la complexité de la notion de pau-vreté, qu’elle soit objective ou subjective. On peut, en effet, se sentir pauvre sans l’être et inversement ne pas se considérer comme pauvre, mais être en dessous du seuil de pau-vreté tel qu’il est défini de manière chiffrée. Dans notre recherche, nous avons choisi une

Page 155: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 155

Mick D.G. (2006), Presidential adress: Meaning and mattering through Transformative Consumer Research, Advances in Consumer Research, 33, 1-4.

Mick D.G., Pettigrew S., Pechmann C. et Ozanne J.L. (2011), Transformative Consumer Research for personal and collective well-being, USA, Routledge.

Montlibert de C. (2006), Les surendettés ou les déchus du monde économique, Regards Sociolo-giques, 32, 109-133.

Paugam S. (2009 [1991]), La disqualification so-ciale, Paris, PUF.

Paugam S. (2005), Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF.

Prahalad C.K. (2004), The fortune at the bottom of the pyramid: Eradicating poverty through pro-fits, USA, Prentice Hall.

Prahalad C.K. et Hart S. (2002), The fortune at the bottom of the pyramid, Strategy + Business, 26, 1-14.

Rangan V.K., Chu M., et Petkoski D. (2011), Seg-menting the base of the pyramid, Harvard Busi-ness Review, 89, 6, 113-117.

Schor J.B. (1998), The overspent American. Why we buy what we don’t need, USA, Harper.

Simmel (1998 [1907]), Les pauvres, Paris, PUF.

Talukdar D. (2008), Cost of being poor: retail price and consumer price search differences across inner-city and suburban neighborhoods, Journal of Consumer Research, 35, 3, 457-471.

Thompson C.J., Pollio H.R. et Locander W.B. (1994), The spoken and the unspoken: a her-meneutic approach to understanding cultural viewpoints that underlie consumers’ expressed meanings, Journal of Consumer Research, 21, 3, 432-452.

Weidner K.L., Rosa J.A. et Viswanathan M. (2010), Marketing to subsistence consumers: lessons from practice, Journal of Business Research, 63, 6, 559-569.

Caplovitz D. (1967), The poor pay more, New York, The free press.

Cavazos-Arroyo J. et González Garcia S. (2012), Market development in the Latin American Context, dans ed. Peñaloza L., Toulouse N. et Visconti L.M., Marketing Management : A Cultural Perspective, London, Routledge.

Chauvel L. (2006), Les classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil.

Dalsace F. et Ménascé D. (2010), Entreprises et pau-vretés, Revue Française de Gestion, 36, 208-209.

Djelassi S., Collin-Lachaud I. et Odou P. (2009), Crise du pouvoir d’achat : les distributeurs face au « wise shopping », Décisions Marketing, 56, 37-46.

Douglas M. (2007), Pour ne plus entendre parler de la « culture traditionnelle », Revue du Mauss, 29, 1, 479-516.

Douglas M. et Isherwood B. (1979), Pour une an-thropologie de la consommation : le monde des biens, Paris, Editions du Regard.

Hamilton K. et Catterall M. (2008), “I can do it!” Consumer coping and poverty, Advances in Consumer Research – North American Confe-rence Proceedings, 35, 551-556.

Hill R.P. (1991), Homeless women, special posses-sions, and the meaning of “home”: An Ethnogra-phic Case Study, Journal of Consumer Research, 18, 3, 298-310.

Karamchandani A., Kubzansky M. et Lalwani N. (2011), Is the bottom of the pyramid really for you?, Harvard Business Review, 107-111.

Longo C., Shankar A. et Mettall P. (2012), Being competent consumer within the complexity of everyday life, Consumer Culture Theory Confe-rence, Said Business School, 16-22 août.

Martinet A. C. et Payaud M. A. (2010), La straté-gie BoP à l’épreuve des pauvretés. Une modéli-sation dialogique, Revue Française de Gestion, 208-209, 63-81.

McCracken G. (1988), The long interview, London, Sage Publications.

Page 156: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

156 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Annexe 1 : Présentation des interviewés

Interviewé et âge

Formation EmploiMobilité sociale

Situation familiale

Revenus/mois(1)

Julien, 50 Bac + cursus universitaire non validé

Sans emploi Basse Célibataire 650 €

Tiphaine, 53 BEP Aide-soignante Moyenne En concubi-nage, 1 enfant

533 €

Jean-Michel, 51

Arrêt à 15 ans Au chômage Moyenne En concubinage 500 €

Éloïse, 37 BTS Tourisme Serveuse Basse Célibataire 1 051 €(2)

Inès, 50 Arrêt à 16 ans Sans emploi Basse Mariée, 2 enfants

450 €

Sophie, 53 BEP Nourrice Basse Divorcée 1 023 €

Caroline, 45 BAC + formation assistante direction

Professeur de piano à domicile

Basse Divorcée, 2 enfants

666 €

Gaëtan, 51 Arrêt à 16 ans Au chômage Moyenne Marié 450 €

Sabine, 36 Formation profes-sionnelle

Femme de ménage

Moyenne En concubi-nage, 1 enfant

375 €

Jocelyne, 36 Arrêt à 16 ans Sans emploi Moyenne Séparée, 1 enfant

285 €

(1) Nous avons divisé le revenu de l’ensemble du foyer par le nombre de personnes présentes. Ainsi, un revenu de 1600 euros pour 3 personnes (par exemple dans le cas de Tiphaine) est ramené à 533 euros pour 1 personne. (2) Les revenus d’Eloïse et de Sophie sont indiqués tels qu’ils existent au moment de l’entretien. Cependant, la précarité de leur travail rend ces revenus fluctuants et majoritairement en dessous du seuil de pauvreté.

Page 157: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 157-178

Pour contacter les auteurs : [email protected] et [email protected]

DOI : 10.7193/DM.072.157.178 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.157.178Dufeu I. et Ferrandi J.-M. (2013), Les ressorts de l’engagement dans une forme particulière d’échange collabo-ratif entre producteur et consommateurs : les AMAP, Décisions Marketing, 72, 157-178.

Résumé

Initier des démarches collaboratives et contractualisées entre consommateurs et producteurs constitue un enjeu majeur pour le marketing, notamment dans le cadre des circuits courts alimentaires. Les Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) constituent un cas d’étude pour de telles démarches. La spécificité de cette forme de consommation vient de l’engagement mutuel, sous forme associative, entre producteur(s) et consommateurs. L’engagement du consommateur amapien est si contraignant que ce système est souvent perçu comme ne pouvant s’adresser qu’à ceux, minoritaires, qui y sont disposés a priori. L’article montre que la com-munauté amapienne peut au contraire substantiellement influencer l’adhésion et la rétention des consommateurs.Mots-clés : AMAP, engagement, consommation collaborative, proximité, acculturation.

Abstract

The determinants of consumer commitment in a particular form of collaborative consumption: the CSA

Initiating collaborative contractual approaches between consumers and producers constitutes a major marketing challenge, particularly within the field of short food supply chains. Community Supported Agriculture (CSA) programs constitute a practice case for such approaches. Its specificity comes from the direct relationship between producer(s) and consumers, based on the amount of mutual commitment in an association. The commitment of the CSA members is so binding that CSA is often perceived to be only attractive to a minority that is inclined a priori to CSA. This research shows that the CSA community can, on the contrary, substantially influence this commitment and support adhesion and retention of CSA members.Key words: Community Supported Agriculture, commitment, proximity, collaborative consumption, accultura-tion.

Remerciements

Les auteurs remercient chaleureusement les trois lecteurs anonymes et le rédacteur en chef du numéro spécial, Bernard Pras, pour leurs encouragements et leurs commentaires très constructifs qui les ont aidés à améliorer l’article. Ils remercient également M. Bougnoteau, N. Latouille, J.-M. Le Blanc , E. Nkom-Mbem et A. Tournant pour leur participation au recueil des données.

Les ressorts de l’engagement dans une forme particulière d’échange collaboratif

entre producteur et consommateurs : les AMAP

Ivan Dufeu et Jean-Marc FerrandiLUNAM Université, ONIRIS, LARGECIA, Nantes

Page 158: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

158 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Les Associations pour le Maintien de l’Agri-culture Paysanne (AMAP), modèle désormais connu de vente directe entre un groupe de consommateurs et un (ou des) producteur(s) local, s’inscrivent concomitamment dans deux mouvements récents en matière de consommation : le renouvellement des cir-cuits courts alimentaires avec les magasins de producteurs ou les paniers par exemple, et le développement des pratiques collaboratives dans lesquelles consommateurs et citoyens participent à la production, au partage et à la consommation de biens, services et savoirs1. Achats groupés, troc, échange de maisons ou covoiturage sont quelques exemples de ces pratiques collaboratives. Elles sont souvent associées à l’idée d’alternative à l’économie marchande, le consommateur devenant auto-nome et responsabilisé.

Les Amap participent de ce mouvement tout en y occupant une place à part : formalisées et structurées par un statut associatif, elles se singularisent par la dimension verticale de la collaboration (entre producteur et consom-mateurs, dénommés « mangeurs ») et par la force de l’engagement mutuel entre ces parties (Amemiya, 2011 ; Robert-Demontrond, 2010). Les mangeurs paient ex ante les produits sur une saison complète, à un prix fixé conjointe-ment avec le producteur, et gèrent la distribu-tion des produits. Les producteurs s’engagent à livrer les paniers de produits frais selon les conditions spécifiées dans le contrat (relatives aux modes de production par exemple) et à participer à la vie de l’association.

A l’image d’autres pratiques collaboratives et d’autres formes de circuits courts, les Amap ont connu un succès rapide. Depuis leur appa-rition en France en 2001, plus de 1 600 Amap ont été créées, impliquant plus de 270 000 mangeurs et 3 500 producteurs (http://mirA-map.org). La plupart affichait encore des listes

1/ IPSOS (2013), Les Français et les pratiques collaboratives : qui fait quoi et pourquoi ? (étude conduite auprès de 4 500 consommateurs français âgés de 15 à 75 ans).

d’attente de plusieurs dizaines de personnes en 2010. Mais, l’engouement pour les Amap semble s’essouffler, « non en matière de créa-tions d’Amap, qui continuent à progresser à l’initiative de producteurs, mais en nombre de clients »2. C’est le cas dans les Pays de la Loire où, après une forte croissance de la demande entre 2004 (année d’apparition) et 2009, la tendance s’est inversée depuis 20113. Daniel Vuillon, créateur de la première Amap fraçaise, reconnaît aussi que les listes d’at-tente (pour intégrer un groupe) ont tendance à disparaître (Le Point, 02/12/11). Il invoque la concurrence des formes dérivées de distri-bution de paniers de produits agricoles. Ces formules moins contraignantes séduisent en effet des consommateurs à la recherche d’une alternative aux GMS sans toutefois être prêts à un engagement fort (Lanciano et Saleilles, 2011 ; Robert-Demontrond, 2010 ; Lamine, 2008).

La fin de la croissance du système ne semble pourtant pas être une fatalité. Au Japon, la proportion des foyers adhérents d’un Teikei (ancêtre des Amap) a progressé jusqu’à 25% (Lagane, 2011). En France, si certaines Amap peinent à renouveler leurs adhérents, d’autres continuent de refuser du monde, et ce dans la même ville. Dans ce contexte nous pouvons supposer que la pérennité des Amap dépend aussi de la façon dont elles sont gérées.

Partant de ce constat, nous avons entamé une recherche empirique en 2011 dont l’objectif était de comprendre ce qui pouvait favoriser l’adhésion, l’engagement et la rétention des adhérents à une Amap. Cette recherche s’ap-puie sur dix entretiens semi-directifs et sur une enquête réalisée auprès de 301 adhérents de 14 Amap de la région nantaise. Après avoir présenté les spécificités de cette nou-velle forme d’échange par rapport à d’autres

2/ Marion Vandenbulcke, chargée de mission au réseau Alliance-Provence, fédérant les AMAP de cette région pionnière (citée par nicematin.com le 31/05/12).3/ http://www.Amap44.org.

Page 159: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 159

pratiques collaboratives en plein développe-ment, nous analyserons les déterminants de l’adhésion et de l’engagement dans les Amap et les ressorts de la rétention des amapiens. Nous examinerons les perspectives, implica-tions managériales et possibles fertilisations croisées entre les Amap et les autres formes innovantes de pratiques collaboratives. Si les Amap ont à apprendre de ces pratiques émergentes, ces dernières ont également des leçons à tirer du système amapien.

Les Amap, une pratique collaborative

La recherche en marketing s’est emparée très récemment de la question des circuits courts alimentaires en France définis comme des modes de commercialisation des produits agricoles impliquant au plus un intermédiaire (Herault-Fournier et al., 2012). Ces circuits, généralement associés à la consommation locale, renvoient à un imaginaire positif au regard des différentes dimensions du déve-loppement durable. Ils sont le plus souvent perçus comme des systèmes alimentaires alternatifs, favorisant la proximité entre pro-ducteurs et consommateurs (Merle et Pio-trowski, 2012). Pourtant, les circuits courts recouvrent des réalités variées : de la dé-marche individuelle déjà ancienne, consistant à vendre directement ses produits à la ferme ou sur les marchés, jusqu’à l’association de producteurs qui s’organisent pour distribuer des paniers ou établir des points de vente col-lectifs, par exemple.

Les Amap, systèmes de « paniers » de pro-duits frais alimentaires offerts directement par des producteurs locaux aux consomma-teurs adhérents, appartiennent à ce champ. Toutefois, elles se distinguent des autres formes de vente directe, sous forme de pa-niers ou non, par leur dimension collabora-tive. Elles s’appuient sur une collaboration et un engagement mutuel entre mangeurs et producteur, sur la base d’un contrat sai-sonnier (plus ou moins formel). Les Amap

constituent en ce sens une forme d’échange collaboratif (encadré 1). Elles se veulent être une alternative aux filières marchandes tradi-tionnelles, au même titre que l’autopartage, le covoiturage ou le troc entre particuliers. L’en-quête Ipsos (2013) précitée confirme cette parenté et montre la forte participation des amapiens aux autres pratiques collaboratives.

Au regard de l’ensemble hétérogène que constituent ces pratiques collaboratives, les Amap se singularisent néanmoins par plu-sieurs aspects. La première spécificité des Amap vient de la nature verticale de la col-laboration (encadré 1) : la collaboration entre les mangeurs est nécessaire pour gérer les distributions, mais c’est la collaboration entre le producteur et le groupe de consommateurs (fixer ensemble les conditions du contrat, les prix et les modalités de l’échange) qui consti-tue le cœur du projet.

Ensuite, l’Amap se distingue par son orien-tation fortement collective, centrée sur le lien social, et la volonté des amapiens de res-pecter la nature et de renouer avec le natu-rel (IPSOS 2013). Ces liens ont d’ailleurs un caractère réel, alors que les autres pratiques collaboratives sont marquées par un très fort poids du virtuel et des réseaux sociaux, qui ont largement contribué à leur essor.

Les Amap se singularisent enfin par la place qu’occupe l’engagement. Durable (ce n’est pas une seule opération, mais une succession d’opérations), solidaire (le préfinancement permet de mutualiser les aléas) et formalisé, il se situe à deux niveaux (engagement double au sens de Raïes et Gavard-Perret 2012) : un engagement envers l’Amap (comme système marchand) : l’amapien s’engage à préfinan-cer, à participer à la distribution, à accepter le contenu partiellement aléatoire des paniers, à cuisiner, etc. ; un engagement envers la communauté (les membres mangeurs et pro-ducteurs) correspondant à l’engagement rela-tionnel avec les autres membres, processus diachronique, et à l’engagement envers l’objet d’intérêt de la communauté (Raïes et Gavard-

Page 160: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

160 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

dans la mesure où la collaboration inclut producteurs et mangeurs, où elle est parti-culièrement engageante et formalisée et où le lien social occupe une place essentielle. Mais, derrière cette tendance dominante se cache une diversité des critères d’adhésion et d’engagement durable dans une Amap, que nous avons identifiés à partir d’entretiens

Perret 2012). Les valeurs sont alors moins utilitaires, plus sociales et axiologiques (Hol-brook, 1999 ; Alon et Brunel, 2007) alors que l’engagement est beaucoup plus modeste et circonscrit dans les autres pratiques collabo-ratives précitées.

Les Amap constituent donc une forme spé-cifique d’échange collaboratif (encadré 1),

Encadré 1 : Consommation collaborative et économie du partage

Partage de voitures, échange de maison, troc, ventes et financements entre particuliers, la consomma-tion collaborative manifeste la volonté de consommateurs et de citoyens d’agir ensemble, sans inter-médiaire. Chaque consommateur participe à la production, au partage et à la consommation de biens et services et de savoirs. Cette alternative à l’économie traditionnelle s’appuie sur le développement des échanges entre consommateurs, majoritairement sur Internet et les réseaux sociaux, pour trouver de nouvelles formes de partage. Cependant, les systèmes collaboratifs existant présentent une grande diversité. Nous proposons de les segmenter à partir de deux critères.1. La nature verticale ou horizontale de la collaboration : soit les co-créations mettent en relation uni-quement des consommateurs, soit les consommateurs interagissent aussi avec des producteurs auxquels est donné un rôle plus ou moins central : le site web est un simple intermédiaire dans le cas du covoitu-rage ; l’artiste est central dans le cas de la participation à la production d’œuvre. Mais, les approches de marketing collaboratif, qui émaneraient des entreprises pour convaincre l’acteur de participer, n’entrent pas réellement dans le champ de l’économie du partage (tel que généralement entendu) selon nous : le partage ne se substitue pas au circuit de vente conventionnel. Cependant, la frontière entre économie marchande traditionnelle et économie du partage n’est pas toujours claire.2. Les motivations des pratiques collaboratives : individuelles ou collectives ? Lorsque cette finalité est la recherche de bons plans de consommation (prix plus bas, gain de temps,…), la relation recher-chée avec les partenaires du partage est rationnelle (Alon et Brunel, 2007). Il ne s’agit pas de quitter le modèle de l’économie du bien, mais de trouver de nouvelles opportunités en s’appuyant sur les autres consommateurs. Cependant, d’autres formes de consommation collective expriment en sus le désir de s’inscrire dans un système économique donnant la primauté au lien (Cova, 1995). Le lien (la relation socio-émotionnelle) est désiré pour lui-même. L’enquête IPSOS, comparant six formes de pratiques (ou consommations) collaboratives selon les motivations des consommateurs, montre par exemple que les pratiquants d’achats groupés, de ventes de biens et d’échanges ou trocs ont des motivations plutôt individuelles et rationnelles, alors que celles des adeptes du covoiturage et des amapiens sont plus altruistes et collectives.Ainsi, en croisant l’orientation individuelle (bien, recherche de bons plans) ou collective (lien, engage-ment sociétal, environnemental) des motivations des consommateurs à adhérer aux pratiques collabora-tives et les acteurs à l’origine de leur création il est possible de construire une typologie de ces pratiques présentée dans le tableau 1.

Tableau 1 : Proposition de typologie des pratiques collaboratives

Motivations des consommateurs

Cocréation mobilisant uniquement des consommateurs (horizontale) avec intermédiaires virtuels

Cocréation mobilisant des producteurs et des consommateurs

(verticale et horizontale)

Individuelles Vente, échange/troc de biens entre parti-culiers

Achats groupés, financement de produc-tion musique/ cinéma

Collectives Couchsurfing, location et échange de services

Covoiturage, Amap

Page 161: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 161

et consom’acteurs » (Robert-Demontrond, 2010, p21). En dehors des critères de satisfac-tion liés à la nature des produits, les concepts clés qui ressortent de ces travaux sont donc la proximité, le lien social et la confiance.

D’autres études comparent les motivations à participer à une Amap par rapport à celles d’autres pratiques collaboratives (Ipsos, 2013). Les deux motivations principales qui apparaissent sont la recherche de nourriture authentique, de qualité, ainsi que la recherche de proximité avec la nature.

L’analyse qualitative que nous avons menée permet d’affiner l’analyse des ressorts de l’adhésion durable au système. Dix entre-tiens semi-directifs de 30 à 60 minutes ont été réalisés auprès d’adhérents choisis selon leur âge, sexe, CSP4. Ils sont centrés sur les variables clés de l’étude et sur leurs relations : circonstances de l’adhésion et motivations, comportement de consommation, satisfac-tion/insatisfaction, confiance, liens sociaux, proximité, engagement notamment. L’étude des verbatim a notamment permis de préci-ser ce que recouvraient ces concepts dans le cas des Amap.

La satisfaction et l’insatisfaction portent souvent sur les produits eux-mêmes : « Des produits frais de bonne qualité qui se gardent bien, c’est important ! Des recettes !» (4). « On a des produits de qualité, on n’est pas déçu sur ce qu’on a mangé, et puis il y a le goût qui est là ! » (8). Elles reposent égale-ment sur les assortiments : « c’est vrai qu’on mange toujours la même chose sur les pé-riodes » (7) ; « on mangeait beaucoup moins varié que maintenant » (1). Elles portent enfin sur l’Amap comme espace communautaire : « Et puis, quand même une ambiance, enfin quelque chose de différent ! » (4) ; « Mes enfants de temps en temps veulent aussi y

4/ Leurs caractéristiques sont présentées en an-nexe 1. Les répondants seront identifiés par leur numéro dans le texte lors de la citation de leurs dis-cours.

semi-directifs, puis analysés à partir d’une enquête quantitative. Derrière cette tendance existent aussi des insatisfactions qui amènent des amapiens à se désengager, voire à quitter l’Amap.

Déterminants potentiels de l’adhésion durable à une Amap

Recherches antérieures et résultats de l’étude qualitative

Les chercheurs en sciences sociales ont ré-cemment commencé à publier des travaux portant sur les Amap. Ils inscrivent souvent ce nouveau mouvement socio-économique (Lanciano et Saleilles, 2011) dans une lo-gique de modification des moteurs du com-portement de certains consommateurs : la manifestation de leur résistance au marketing (Roux, 2009) et à l’ordre marchand (Robert-Demontrond, 2010) et/ou la recherche de proximité (Lagane, 2011). Les recherches empiriques, dont en marketing, ont en majo-rité analysé les motivations d’adhésion au système (Bertrandias et Pernin, 2010 ; Kolo-dinsky et Pelch, 1997 aux Etats-Unis). Ber-trandias et Pernin (2010) montrent ainsi que la perception des contraintes que suppose une adhésion, constitue un facteur dissuasif. Les formules de paniers alternatives aux Amap s’en distinguent d’ailleurs toujours par leur caractère moins engageant (La Ruche, drives fermiers, paniers bio, …). Outre la qualité/naturalité des produits ou la défense de l’en-vironnement, le lien social et la convivialité sont souvent recherchés par les nouveaux entrants, qui peuvent voir les contraintes de l’engagement comme une contrepartie né-cessaire de ces attentes (voir aussi Merle et Piotrowski, 2012). L’adhésion est perçue non seulement comme un engagement à respecter les principes de l’Amap, mais souvent aussi comme une recherche de liens, de proximité et de confiance entre membres d’une commu-nauté (Lagane, 2011). « L’Amap est conçue comme une structure relationnelle (et non pas transactionnelle), entrelaçant producteur

Page 162: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

162 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

distributeur/producteur) : « des produits du jardin ! » (5) ; « A partir du moment où on voit l’exploitation, ça rassure sur ce qu’on mange, on sait d’où ça vient, qui le récolte. Ça participe au plaisir, on sait que ce lé-gume-là a été produit par cette personne-là. On sait quelles sont ses conditions, com-ment elle vit » (9) ; « On mange des choses qui n’ont pas été trafiquées ! » (8).

• Proximité relationnelle (relations directes et répétées entre individus) : « Il y a un brin d’échange en plus, avec le producteur, avec des personnes de l’AMAP qu’on commence à connaitre au fil des années » (4) ; « C’est très convivial, on apprend à connaître plein de monde » (2) ; « Quand on a passé 3h avec quelqu’un dans un cerisier, on a parlé un peu de la vie en général » (5).

• Proximité identitaire (valeurs que repré-sente le producteur) : « J’ai plutôt confiance car je trouve que c’est des gens qui repré-sentent les mêmes valeurs que moi » (7). « C’est une histoire de cohérence, la ma-nière dont on est, la manière dont on agit dans notre entourage » (9). « C’est sympa-thique, ça correspond à mes valeurs » (8).

Ces éléments sont reliés en particulier à la re-cherche de fournisseurs intègres et crédibles, fournissant des produits sains et dont on est certain de la traçabilité (proximité de proces-sus). Il s’agit d’alternatives aux GMS, avec un fort poids de la proximité physique (accessibi-lité), mais aussi de la proximité identitaire (va-leurs partagées entre amapiens), relationnelle (entre amapiens et producteur, et entre ama-piens eux-mêmes). La confiance semble être un fort déterminant de l’adhésion et de l’enga-gement. D’où viennent les engagements plus ou moins forts des amapiens sur la durée, et quelles sont les raisons des éventuels départs ?

Etude quantitative et évolution des amapiens

Après une présentation rapide des variables mesurées (encadré 2) et des résultats bruts, nous exposerons les résultats des analyses

aller, ça leur permet de jouer aux vendeurs, c’est émouvant » (9). Le lien social apparaît comme un critère de satisfaction per se.

Les liens tissés avec l’Amap et ses adhérents sont d’ailleurs majoritairement évoqués par les répondants : « Ce sont des relations assez saines, on discute. Des gens assez ouverts finalement, plus que quand on est dans un su-permarché… on ne va pas aller discuter avec la personne qui est derrière soi à la queue. Alors qu’à l’Amap, si. C’est un lieu de ren-contre, et on échange » (7). Ces liens peuvent être qualifiés notamment à partir des deux vocables souvent mis en avant dans la litté-rature sur les Amap : confiance et proximité.

La confiance est en effet souvent évoquée, de manière générale (« J’ai confiance dans les producteurs et dans les personnes qui sont là » (3)), mais aussi sous l’angle de plusieurs de ses dimensions comme la bienveillance ou l’intégrité (« Le premier contact avec les pro-ducteurs qui ont créé cette Amap m’a tout de suite donné confiance. Ils ont une bonne tête, et quand je vois leurs produits, j’ai totalement confiance » (8)).

Plusieurs dimensions de la proximité perçue vis-à-vis de l’Amap transparaissent dans les discours. Ces dernières années, des cher-cheurs en gestion (Barnes, 1997 ; Salerno, 2001 ; Filser et Vernette, 2010) ont analysé la problématique de la proximité entre acheteur et vendeur. La typologie de Bergadaà et Del Bucchia (2009), adaptée par Herault-Four-nier et al. en 2012, nous apparaît bien cerner les différentes dimensions perçues dans les discours. Nous considérons donc dans leur prolongement, quatre formes de proximité (les deux premières concernent l’amapien et l’Amap en tant que système d’échange ; les deux autres concernent l’amapien et la com-munauté) :

• Proximité d’accès (parcours nécessaire pour se rendre au lieu de distribution).

• Proximité de processus (niveau de connais-sance des processus mis en œuvre par le

Page 163: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 163

comportement des répondants, près de la moitié estime que leur adhésion a accru la quantité et la variété de fruits et de légumes consommés et le temps passé à cuisiner. Les répondants échangent, de plus, beaucoup avec les autres amapiens et participent aux activités de distribution (91%) et parfois de production (36%). Ils déclarent parler de leur Amap autour d’eux (98%). Ceci accrédite l’idée que les Amap constituent un mode de commercialisation à forte dimension identi-taire et politique (au sens premier) (Robert-Demontrond, 2010). La satisfaction est forte au niveau des prix, de la sécurité alimentaire et de la fréquence de distribution. Elle l’est moins pour la variété et le renouvellement du panier (légère majorité de satisfaits). Les questions mesurant la proximité ressentie avec l’Amap ont révélé une appréciation très positive pour les différentes dimensions du concept. Il en va de même pour la confiance dans l’intégrité et l’honnêteté du producteur à leur égard. Dès lors, il apparaît logique-ment que l’attachement et l’engagement sont forts en moyenne. Le taux élevé de réponses exploitables et leur nombre (301) permettent de modérer les risques de biais statistiques, liés notamment au caractère volontaire de la réponse au questionnaire.

multi-variées. Les motivations, les per-ceptions et les comportements vis-à-vis de l’Amap apparaissent comme étant fortement influencés par la capacité explicative de l’an-cienneté. Quelles sont les variables stables quelle que soit l’ancienneté des amapiens et celles qui différencient ces derniers ?

Le profil des répondants amapiens

Les tris à plat révèlent une population majo-ritairement féminine (73%), d’âge moyen, vivant en famille, à haut niveau d’étude : un profil similaire à celui identifié dans les en-quêtes précédentes (Mundler, 2007). Leurs principaux critères d’achat des produits ali-mentaires sont la saisonnalité, puis l’origine géographique, la fraîcheur et le biologique. Le prix et le goût ne viennent qu’après. Le prix apparaît peu dans les études sur les motivations de l’adhésion (excepté chez Ber-trandias et Pernin, 2010). Les motivations déclarées pour adhérer à une Amap sont liées à la recherche d’une alternative aux circuits de distribution classiques et d’une proximité avec le producteur, puis à la santé et à l’envi-ronnement. Ces résultats corroborent aussi ceux des études existantes (Mundler, 2007 ; Kolodinsky et Pelch, 1997). Concernant le

Encadré 2 : Méthodologie de l’enquête quantitative

Cette étude a été réalisée à partir d’un échantillon de 14 Amap de l’agglomération nantaise. Le ques-tionnaire conçu sur la base des entretiens semi-directifs comportait 79 questions portant notamment sur les habitudes alimentaires du répondant, son relationnel avec l’AMAP (habitudes, proximité, confiance), son comportement avec les produits offerts, et ses niveaux de satisfaction et d’engagement. Il s’agit pour l’essentiel de questions fermées à réponses uniques ou multiples. Nous avons parfois limité le nombre de réponses possibles. Pour mesurer la confiance, la satisfaction et l’engagement nous avons repris les échelles multidimensionnelles proposées par Cissé-Depardon et N’Goala (2009). L’engagement a également été appréhendé sous l’angle du comportement de l’amapien vis-à-vis de l’Amap et de sa consommation. La proximité perçue a été évaluée à partir de l’échelle développée par Herault-Fournier et al. (2012). Toutes ces échelles ont été contextualisées au cas des Amap. L’enquête a été administrée sur Internet du 21 avril au 21 mai 2011. Sur une population mère de 1000 adhérents sollicités, 346 ont répondu. Suite au retrait des questionnaires incomplets ou présentant des réponses aberrantes, 301 réponses ont été conservées. La stabilité et la fiabilité des échelles de proximité, de confiance, de satisfaction et d’engagement dont les items ont été contextualisés aux Amap ont été véri-fiées (annexe 3). Nos résultats confirment la validité de l’échelle de mesure de la proximité proposée par Herault-Fournier et al. (2012) non confirmée jusque là. Tous ces tests ont été réalisés au moyen d’analyses factorielles exploratoires (ACP), puis confirmatoires (PLS Path-Modeling, Tenenhaus et al., 2005).

Page 164: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

164 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

sition ») étant toujours en position intermé-diaire6.

Ces différences se retrouvent dans leur com-portement vis-à-vis de l’Amap. Plusieurs tests de khi-deux et une analyse en composantes multiples montrent que les « récents » ont un comportement significativement diffé-rent de celui des « anciens ». Là aussi, les « en transition » sont intermédiaires. Tout d’abord, le comportement alimentaire évo-lue avec le temps d’adhésion. Par exemple, les « anciens » perçoivent une hausse de la variété de leur alimentation et du temps passé à cuisiner. Ensuite, leur comportement social à l’intérieur de l’organisation évolue. Les anciens sont caractérisés par une parti-cipation active aux travaux de l’exploitation et à la distribution des paniers, ceux qui ne participent pas étant majoritairement dans la catégorie des « récents »7. Restant plus long-temps à l’Amap à l’occasion des distributions, ils discutent avec les producteurs et les autres amapiens. Lorsqu’ils ne peuvent venir, les « anciens » donnent d’ailleurs leur panier à d’autres adhérents alors que les « récents » les laissent souvent à l’Amap. A l’inverse, ceux qui ne nouent pas de liens et échangent peu sont tous dans la catégorie des « récents ». On comprend donc que la proximité relationnelle soit ressentie beaucoup plus fortement par les anciens. Enfin, leur comportement en dehors de l’Amap devient plus militant : ils parlent de l’Amap autour d’eux et pensent avoir incité des gens à rejoindre une Amap. En rappro-chant ceci d’une proximité identitaire rela-tivement plus forte des anciens vis-à-vis du système, nous pouvons supposer que c’est le reflet de leur engagement croissant. C’est en effet ce que montrent les travaux en psy-chologie de l’engagement (Joule et Beauvois,

6/ Un test de différences des moyennes (Duncan) réalisé sur les scores factoriels standardisés de 0 à 100 après bootstrap montre que les trois groupes d’amapiens ressentent de manière différente leurs proximités processuelle et identitaire, leur engage-ment, leur satisfaction. 7/ Tests d’homogénéité des moyennes de Duncan significatifs.

Il ressort globalement de ces premiers élé-ments que les amapiens, dans leur ensemble, attribuent les poids les plus élevés dans leurs motivations à la proximité d’accès, la proxi-mité identitaire, la crédibilité et l’intégrité. D’où viennent les différences entre amapiens et comment se caractérisent-elles sur la du-rée ?

Les différences entre amapiens sur la durée

Des analyses à partir de caractéristiques so-ciodémographiques n’ont pas permis de dé-celer de différences significatives entre ama-piens quant à leurs motivations. En revanche, il existe des différences significatives de motivations et d’attitudes entre les amapiens récents, qui ont adhéré depuis moins d’un an, et les plus anciens5. Le caractère struc-turant de la variable « ancienneté de l’adhé-sion » de l’amapien (trois modalités : moins d’un an, entre un et deux ans et plus de deux ans) apparaît. Des analyses de variance (sur les scores factoriels standardisés de 1 à 100, après bootstrap des dimensions des échelles respectives) confirment le rôle discriminant de l’ancienneté (figure 1). Il apparaît tout particulièrement que les amapiens adhérant depuis moins d’un an (les « récents ») ont une proximité relationnelle et de processus plus faible vis-à-vis de l’Amap, qu’ils sont moins satisfaits et surtout beaucoup moins engagés que ceux qui sont là depuis plus de deux ans (les « anciens ») ; ceux dont l’ancienneté est comprise entre un et deux ans (les « en tran-

5/ Dufeu et Ferrandi (2012) ont montré, à par-tir d’une analyse typologique, l’existence d’une forte relation entre les proximités (sauf accès) et la confiance, et de liens étroits entre la confiance, la satisfaction et l’engagement de l’amapien. Cepen-dant, une analyse en composantes multiples entre les variables comportementales et une typologie des amapiens a révélé un effet Guttman. L’effet Guttman est visualisé lors de l’ACM par un nuage de forme parabolique, qui en raison de sa structure symétrique autour du second axe, atteste que les ca-ractères concernés manifestent une certaine redon-dance (relation quadratique). Il n’y a pratiquement qu’une dimension.

Page 165: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 165

tants probables »). Ces derniers ont été repé-rés à partir de trois catégories de variables : ils déclarent vouloir renouveler leur adhésion (oui ou plutôt oui), être attachés à leur Amap et être satisfaits de leur Amap. Nous avons fixé la frontière de l’attachement et de la sa-tisfaction à un score de 60/100 (scores facto-riels standardisés de 1 à 100, après bootstrap des dimensions des échelles respectives). Ceux qui sont au dessus (249 amapiens) et déclarent qu’ils vont probablement renouve-ler constituent la catégorie des restants pro-bables. Les autres (52) sont les partants pro-bables8 (tableau 2).

Les résultats des analyses bivariées (annexe 2) et de l’analyse en composantes multiples (figure 3) décrits ci-dessous permettent dès lors de comprendre un peu mieux les ressorts de la rétention des amapiens.

Tout d’abord, nous n’avons trouvé pratique-ment aucune relation entre le profil du répon-dant et le fait d’être partant probable : CSP, âge, sexe, situation maritale, niveau d’étude, habitudes de consommation et critères de choix de produits ne jouent pratiquement pas. Ce résultat va à l’encontre d’une thèse

8/ Nous n’avons pas seulement considéré la ques-tion « pensez-vous renouveler votre contrat » (avec quatre modalités : Oui, plutôt oui, plutôt non, non), parce qu’il existe probablement un biais de réponse lié au caractère abrupt de la question. D’ailleurs, seuls douze répondants ont coché « non » ou « plutôt non », alors que les répondants peu satisfaits et peu attachés à leur Amap sont plus nombreux.

2002) : les actes engageants (participer aux distributions, aux travaux…) débouchent sur une consolidation des attitudes et des valeurs (rationalisation ex post des choix effectués).

Au total, il apparaît donc que les récents ont développé moins de liens avec la commu-nauté de leur Amap et avec le système qu’ils se sentent moins satisfaits et moins engagés. Ces résultats sont peu contre-intuitifs mais révélateurs de l’importance du temps pour l’appropriation et l’engagement. Cela caracté-rise-t-il également les amapiens qui risquent de partir ou est-ce seulement une caractéris-tique des plus récents qui n’ont pas encore réellement fait l’apprentissage de l’Amap ? En d’autres termes, les amapiens qui envi-sagent de partir sont-ils essentiellement les plus récents ou ont-ils aussi d’autres caracté-ristiques propres ?

Ressorts de la rétention des amapiens

Les amapiens risquant de partir

Pérenniser les Amap suppose de pouvoir retenir les adhérents, notamment les plus récents. Pour comprendre ce qui joue sur leur rétention, nous avons repris les analyses multidimensionnelles en distinguant désor-mais deux catégories d’amapiens : ceux qui sont susceptibles de quitter leur Amap pour la prochaine saison (appelés les « partants probables ») et ceux qui le sont peu (les « res-

Figure 1 : L’influence de l’ancienneté sur les perceptions et sur l’engagement

Page 166: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

166 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

motivations, les perceptions et l’engagement (figure 2).

Quelle que soit leur ancienneté, les partants sont toujours (significativement) en dessous des « restants » sur les dimensions de proxi-mité relationnelle, identitaire et processuelle, confiance et engagement, alors que la proxi-mité et l’engagement sont ressentis plus for-tement par les restants (figure 2). L’insatis-faction est significativement plus forte chez les partants probables dans nombre de ses dimensions mesurées ici (annexe 2). Il appa-raît que celle-ci est liée à la variété du conte-nu des paniers, à leur renouvellement et à un prix perçu comme élevé. En revanche, ils ne perçoivent pas la fréquence des distributions différemment des autres répondants. Ils ne sont, par ailleurs, pas situés plus loin du lieu de distribution (en termes de temps de dépla-

déterministe selon laquelle les adhérents qui se plaisent dans leur Amap sont ceux qui avaient la « bonne » inclination au départ.

La question de l’ancienneté se pose donc à nouveau. Les amapiens qui risquent de partir sont-ils les plus récents ou sont-ils tous sus-ceptibles de quitter l’Amap, quelle que soit leur ancienneté ? Il apparaît que 33% des amapiens depuis moins d’un an, 20% des amapiens ayant entre un et deux ans d’ancien-neté et 10% des amapiens les plus anciens sont susceptibles de quitter l’Amap (tableau 2). Un test du Chi-deux montre un lien effec-tif entre l’ancienneté et l’intention de partir même si toutes les catégories d’amapiens sont touchées. En revanche, à l’intérieur de la catégorie des partants probables comme de celle des restants probables, la durée d’adhé-sion n’est plus discriminante concernant les

Tableau 2 : Les amapiens selon la durée d’adhésion et la probabilité de renouvellement du contrat

Durée d’adhésionTOTAL

Moins d’un an Entre un et deux ans Plus de deux ans

Restants probables 38 (13%) 66 (22) 145 (48) 249

Partants probables 19 (6) 16 (5) 17 (6) 52

TOTAL 57 82 162 301

Figure 2 : Ecarts de perceptions entre amapiens restants probables versus partants probables

Page 167: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 167

étaient quant à eux, bien plus que les par-tants, entrés pour y trouver un lieu d’échange et de discussion. Enfin, les partants probables ont, plus souvent que les restants (significa-tivement), connu les Amap via des médias et moins par l’intermédiaire de relations. Le lien social semble donc discriminant. Ceci est confirmé par une autre analyse bivariée montrant que ceux qui étaient motivés par les échanges et discussions avaient des niveaux de proximité, de satisfaction et d’engagement bien plus élevés que ceux qui n’étaient pas motivés par cela. C’est le contraire pour ceux qui étaient motivés par le fait d’échapper aux GMS.

L’analyse du comportement de l’amapien (figure 3) va dans le même sens : il ressort que ceux qui sont partants probables passent moins de temps à l’Amap (ce qui confirme le lien avec la proximité relationnelle plus faible) et discutent moins dans et en dehors de l’Amap. Le fait que les restants probables laissent plus souvent leur panier à des ama-piens en cas d’absence montre également qu’ils ont tissé plus de liens dans le cadre de l’Amap. Une analyse du comportement de l’amapien selon sa probabilité de renouveler son contrat, au regard du comportement de l’amapien en général est présentée en an-nexe 2.

cement) même s’ils perçoivent la proximité d’accès plus faiblement.

Il est également à noter que la confiance (bienveillance, crédibilité, intégrité) accor-dée à l’Amap est très faible chez les partants (quelle que soit l’ancienneté) au regard des restants. Leur appréciation basse des ni-veaux de crédibilité et d’intégrité est d’autant plus notable que les répondants dans leur ensemble ont une perception positive en la matière (figure 1). C’est donc bien une ca-ractéristique propre aux partants probables. Quelles pratiques permettraient de remédier à cette perception négative ? Nous y vien-drons en dernière partie.

Les motivations de la première adhésion dif-fèrent peu selon les deux groupes. Sur les sept motivations proposées (recherche de proxi-mité, de lien, recherche de produits sains, écologiques, soutien à l’économie locale, soutien aux petits producteurs, alternatives aux circuits de distribution classiques), seules deux d’entre elles (alternatives aux circuits de distribution classiques et recherche de lien) différencient les deux groupes. Les partants probables recherchaient dans l’Amap, plus que les restants, une échappatoire aux cir-cuits de distribution (sans que la signification de cette idée ne soit précisée). Les restants

Figure 3 : Le comportement des Amapiens en fonction de leur propension à quitter l’Amap

Page 168: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

168 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

répondants expliquent que si les attentes sont, ex ante, trop éloignées de ce que pro-pose l’Amap, les consommateurs la quittent : « Oui, typiquement les gens qui n’acceptent pas qu’on mange du choux l’hiver, et qui ne rêvent que d’une chose, leurs tomates, ils s’éliminent tout seuls. Ils ne vont pas faire cet effort de cuisiner le produit de saison, ils ne vont pas se sentir à l’aise avec ça » (9 : 2 ans). Ils n’adhèrent pas réellement au système. C’est aussi ce qu’explique un adhérent d’une Amap cité par Le Monde le 3 avril 2012 : « Nous avons eu 40% de départs la première année. Ces personnes voulaient consommer bio à un prix correct et n’étaient pas dans l’idée militante de maintenir une agriculture paysanne ».

Pour les autres, les perceptions et comporte-ments des amapiens sont très fortement liés à un phénomène d’apprentissage et d’accul-turation, avec une adhésion au système, dans ses différentes dimensions, qui se fortifie avec le temps. Le tableau 3 résume les prin-cipaux changements décrits (principalement par sept des dix répondants).

Au total, c’est donc bien le lien social, tant ce-lui qui était recherché au départ que celui qui est vécu, qui constitue l’essentiel de la diffé-rence entre partants et restants probables. La proximité processuelle n’intervient pas ici.

Lien social et acculturation : ressorts de la rétention

Les résultats précédents nous apportent trois enseignements : (1) certains amapiens sont venus pour chercher une alternative aux GMS, rejettent le caractère contraignant de l’engagement, et ne partagent pas la culture de l’Amap ; (2) les liens sociaux dans le cadre de l’Amap sont au cœur de la problé-matique de la rétention de l’amapien, les res-tants probables étant ceux qui en ont tissé le plus ; (3) les partants potentiels se raréfient avec le temps. Cela nous a conduits à retour-ner aux discours des amapiens pour com-prendre ce qui pouvait se jouer au cours de l’histoire entre l’amapien et son Amap. Il en ressort, tout d’abord, que certains amapiens se sont fourvoyés en adhérant. C’est ce que constatent à leur sujet ceux qui restent. Deux

Tableau 3 : Verbatim exprimant la création de lien, l’acculturation et les changements de perceptions et d’habitudes alimentaires

Création de lien social et évolution de style de vie

Création de lien social, de proximité (proximité relationnelle)

Création de convivialité : « Ce côté jouer à la marchande, donner les légumes, demander aux gens « qu’est ce que vous voulez », ce contact là c’est sympa je trouve. » (7 : 1 an et demi) « Il y a une convivialité qui se créée » « puis c’est vrai qu’on voit plein de copines et tout donc euh… c’est un moment sympa ». (1 : 2 ans et demi)« Quand on est allé aider le producteur avec plusieurs Amapiens. De super moments ! On bouffe le midi, un pique-nique ensemble, etc. Et puis l’apéro offert par le producteur… super sympa ! » (10 : 2 ans).Liens sociaux affirmés : « Quand je fais les permanences, je tombe toujours sur des gens sym-pathiques et on rigole bien… Maintenant ça fait partie de mes habitudes, de nos habitudes de vie. Je n’aimerais pas trop que ça s’arrête. Concernant les liens, je sais à qui j’ai affaire, même si je n’ai pas des supers relations avec eux. Je fais totalement confiance aux gens qui m’appro-visionnent. » (8 : 4 ans d’ancienneté)

Appren-tissage, ajustement mutuel entre les amapiens consom-mateurs et producteurs

« Il y a des AMAP où (…) il n’y a personne qui fait le service quoi, chacun se sert…Ca a des intérêts, ça responsabilise les gens, chacun pèse ses produits. Bon, après, des fois, même avec de la bonne volonté, euh, les pesées ne sont pas exactes et il manque des produits à la fin de la distribution, ça a des avantages et des inconvénients. Donc il y a ça qu’on peut améliorer, en-fin qu’on peut changer voilà. Et puis parfois on pourrait accélérer un peu, mais c’est important de garder le lieu de distribution comme un lieu convivial. Et peut-être on pourrait le rendre encore plus convivial parfois, par exemple en offrant un coup à boire. » (1 : 2 ans et demi)

Page 169: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 169

(Zimmer, 2011 ; Goudarzi et Eiglier, 2006)

« Le mauvais moment en fait c’est au lancement de l’AMAP, avec des choses pas encore en place, des gens hésitants, un agriculteur pas à l’aise avec ces choses-là, et pas conscient de ce qu’il pouvait demander aux gens… C’était au début de l’AMAP, maintenant je pense qu’il l’a intégré, et ça s’est bien passé… » (10 : 2 ans)

Evolutions plus larges (sortie du cadre de réfé-rence initial)

« En fait au début franchir le pas c’était plus ...bon ben c’est … je le fais un peu par curio-sité... Et après ca devient un truc ou on se dit “mais oui mais en fait c’est dingue qu’avant… se rendre compte que je mangeais des trucs sans... je l’achetais comme ça… à la chaine sans forcément me poser des questions. (…) Ça transforme la façon de faire… Ca a changé notre façon de vivre » (1 : 2 ans et demi)« Ca a beaucoup changé mes habitudes quand même » (10 : 2 ans)

Changements de perception et d’habitudes alimentaires

Evolution des habitudes culinaires

Habitudes et lien social : « Et puis après ce qui est amusant c’est qu’on parle préparations culinaires et le fait est que quand on mange des produits de saison, on mange des produits qu’on a plus l’habitude de manger et ça incite la personne qui fait à manger à la maison à se renseigner, à innover et on découvre finalement des plats très sympas. » (9 : 2ans)Habitudes culinaires : « Ce n’est pas comme des légumes surgelés, c’est moins facile à utili-ser, il y a de la préparation. Il y a beaucoup de légumes … pas mal de temps, par exemple, les épinards, faut les nettoyer. Enfin, faut… faut s’adapter ! » (10 : 2 ans) « Avant on ne cuisinait pas du tout et maintenant on cuisine tous les soirs » (1 : 2 ans et demi)« Donc on est obligé de faire de la cuisine. Chose que je ne faisais pas avant… » (6 : 3 ans et demi)

Evolution de la perception de l’alimen-tation

Evolution du regard: « Ce que j’ai remarqué moi c’est que je suis passé à l’AMAP pour des raisons un petit peu militantes et en fait je me suis rendu compte que ça a transformé ma vision de la consommation… C’est pas forcément que j’étais conscient que je voulais changer mon alimentation… non, j’y suis allé pour certaines raisons, donc un peu de militantisme de ce type d’agriculture et mon regard a changé… sur la façon de considérer mon mode d’ali-mentation… je suis beaucoup plus conscient de ce que je mange… » (1 : 2 ans et demi)Education et perception : « Petit à petit on a augmenté le nombre de produits que nous prenons à l’AMAP. Aussi, ce n’est pas moi qu’il a fallu que j’adapte, mais plutôt les enfants car je leur ai proposé des produits. Une fois, il y avait du pain à la courge et là je me suis dit que ça n’allait pas passer au niveau des enfants, finalement c’est passé... On leur a expliqué que c’était bon pour eux … Ça fait partie de l’éducation » (8 : 4 ans)

Evolution des critères de choix de produits alimentaires (proximité de processus)

Arbitrage et acceptation : « Plutôt c’est une contrainte mais qu’on accepte car on se dit fina-lement, on est content aussi de se l’imposer, parce qu’on comprend que c’est bon pour nous » (1 : 2 ans et demi).« Dans une AMAP, il y a une autre dimension qui entre en jeu, on voit le producteur, on voit les exploitations, etc. Donc on accepte un prix supérieur pour tout ce bien-être qu’on a, un bien-être produit, les valeurs et puis le côté humain… ça compense le coût supplémentaire » (9 : 2 ans)Nouveaux critères : « Je regarde de plus en plus les étiquettes… de quoi le produit est fait, la date de péremption, la date de fabrication et surtout tous les produits non naturels qui sont rajoutés... On mange beaucoup plus de légumes, et je fais plus attention aux autres produits tout fabriqués. Je regarde plus de quoi ils sont faits » (8 : 4 ans)

Acceptation croissante des contraintes et adaptation

Apprentissage et acceptation : « Les choux, je peux vous dire que les enfants en ont jusque-là ! (rires) C’est ça le truc, il faut rentrer dans le jeu. C’est des légumes de saison, faut les consommer… Justement, quand c’est la période d’un légume donné, on sait que c’est la période du légume ! Et on va le retrouver pendant un mois. En même temps, c’est lié à leur récolte, c’est comme ça quoi ! Faut faire avec. Donc, ça c’est peut être un des handicaps pour les gens… Après, il faut le cuisiner de manière différente, c’est ça qui est intéressant » (7 : 1 an et demi)Acceptation : « C’est vrai qu’au bout d’un moment on en a un peu assez d’avoir toujours des panais, parce que forcément c’est la saison... Mais on voit qu’ils font beaucoup d’efforts pour alterner quand même. Bon ça reste des racines, mais c’est la saison des racines, donc on n’y peut rien ! Ce n’est pas une contrainte non plus. » (4 : 3 ans)

Page 170: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

170 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

la proximité identitaire étant une condition décisive au maintien ? Plusieurs répondants décrivent au contraire l’importance des mécanismes d’apprentissages croisés entre producteurs et mangeurs, facilités par la proximité relationnelle. C’est probablement à ce niveau que se joue la capacité des Amap à retenir les adhérents. En effet, non seule-ment ces apprentissages collectifs permettent d’améliorer la qualité du service (ajustement mutuel), mais ils sont aussi l’occasion d’inté-grer les amapiens au groupe social (Goudarzi et Eiglier, 2006).

Ces évolutions conjointes des comporte-ments, des perceptions et des liens sociaux apparaissent en effet interreliées : c’est sou-vent par l’intermédiaire des échanges avec la communauté que se créent des processus d’apprentissage et d’ajustement mutuel entre amapiens. Il est possible de parler d’un effet « d’acculturation », entendu comme un chan-gement de la psychologie et de la culture de l’individu suite à la rencontre d’un autre groupe (Berry et Sam, 1996). Cette accul-turation est spontanée, naturelle, libre, c’est-à-dire non dirigée (Bastide, 1960). Ce phé-nomène est décrit par Zimmer (2011), qui montre que les amapiens font, en s’investis-sant dans l’association, l’expérience de leur capacité d’action dans un champ habituelle-ment hors de leur portée, celui de l’écono-mie. Cette expérience sociale démocratique (ibid.) des amapiens modifie leurs percep-tions et leur engagement.

Ce que nous nommons acculturation dans le cas présent est proche du concept de socia-lisation organisationnelle du client (mobi-lisé en marketing des services pour analyser la relation entre individu et organisation) tel que défini par Goudarzi et Eiglier (2006) : un processus d’apprentissage par lequel le client apprend et maîtrise le rôle associé à la rela-tion de service, s’intègre au groupe social de l’organisation… et se fait une appréciation de la culture, des normes et des valeurs de cette organisation. Le contexte de l’Amap présente

Les changements des amapiens au fil du temps concernent notamment les habi-tudes alimentaires (élevant par exemple le temps accordé à la préparation des repas et le plaisir pris à le faire) les critères pris en compte dans leurs achats alimentaires. Les répondants décrivent majoritairement une prise de conscience progressive de l’amélio-ration qualitative de leur alimentation. Les contraintes sont mieux acceptées, car mieux appréhendées avec le temps. Elles sont même contournées (nouvelles recettes, achat d’un congélateur…).

C’est souvent en discutant avec les autres membres que ces changements sont rendus possibles. Ils ont également trait aux liens so-ciaux eux-mêmes et au style de vie des ama-piens. Avec le temps, les amapiens se sentent de plus en plus proches des autres membres (proximité relationnelle) et des valeurs por-tées par leur Amap (proximité identitaire). Ils modifient consciemment leurs comporte-ments (culture alimentaire) et leurs critères de choix. Dès lors, leur engagement dans l’Amap est décrit comme un tout, comme un ensemble cohérent de comportements et d’attitudes (patience, solidarité, convivia-lité, tolérance…) : « on voit ceux qui sont en cohérence avec le concept… Ca se passe bien parce que certaines personnes sont dans la bonne philosophie » (9 : 2ans). L’enquête allait dans le même sens. La participation croissante aux travaux de production et presque toujours à la distribution, la hausse du temps passé à l’Amap à discuter avec les autres amapiens permettent de comprendre ce qui peut faire évoluer le comportement de l’adhérent (proximité relationnelle). Le seul répondant qui n’a créé pratiquement aucun lien social dans le cadre de l’Amap (répon-dant 3 déclarant rester 5 minutes lors des dis-tributions) est l’un des rares chez qui on ne constate pas d’évolution depuis son adhésion, et est un partant potentiel.

Devons-nous en déduire qu’il n’y a rien à faire pour favoriser l’engagement des amapiens,

Page 171: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 171

naires et de la perception de l’alimentation font que les bénéfices sont de mieux en mieux appréhendés et les contraintes acceptées. Une évolution des comportements et des cri-tères de satisfaction s’opère au cours de cette expérience sociale démocratique (Zimmer, 2011) et l’engagement et la satisfaction se ren-forcent. L’engagement à l’égard de l’Amap en tant que système est lié à l’engagement envers la communauté des adhérents de son Amap (proche de l’idée de relation bidirectionnelle chez Raies et Gavard-Perret, 2011) : ce double engagement est la raison d’être originelle de cette pratique collaborative qu’est l’Amap. Est-il possible d’accroitre la probabilité que les processus d’acculturation et d’engagement opèrent ? Par ailleurs, est-il possible de mieux répondre aux attentes de ceux qui cherchent aussi une simple alternative aux GMS ? Est-ce conciliable ? L’analyse d’autres pratiques collaboratives peut à ce titre fournir des pistes opérationnelles intéressantes.

Nos résultats nous conduisent à considérer deux leviers essentiels pour favoriser l’adhé-sion et la rétention des amapiens. Le premier passe par l’identification de solutions pour favoriser l’engagement des adhérents. Nous mobiliserons à la fois les enseignements de la psychologie de l’engagement9 et les inno-vations apportées par d’autres formes de consommation collaborative et de circuits courts pour y répondre. Le second passe par la diminution du caractère contraignant de

9/ En psychologie sociale, des recherches ont montré que l’engagement des individus est le plus souvent la conséquence des actions/décisions qu’ils ont pu être amenés à effectuer (Joule et Beauvois, 2002). Les décisions prises sont ce qu’il y a de plus engageant, à condition toutefois, qu’elles aient été prises librement. Ensuite, le lien de causalité entre actes/décisions et opinions/valeurs va dans le sens inverse de ce qui est généralement considéré : « l’in-dividu rationalise ses comportements en adoptant après coup des idées susceptibles de les justifier » (p.49). Enfin, l’engagement dans des actes rend l’individu plus sensible à la consistance qu’il doit y avoir entre ses actes passés et une nouvelle attitude : ceci « s’expliquerait par cette tendance qu’auraient les gens à éviter toute contradiction entre leurs conduites et leurs attitudes » (p.91).

en effet des points communs avec celui des services. Nous retrouvons en Amap la logique collaborative et socialement située de cocréa-tion de valeur et d’apprentissage conjoint.

Si le processus est similaire, nous choisis-sons toutefois le terme d’acculturation pour exprimer une dimension spécifique au cas des Amap, celle de l’alimentation. La proxi-mité identitaire dans ce cas repose largement sur des valeurs liées à la manière de travail-ler la terre, de produire (écologie, ruralité), d’échanger et de consommer l’aliment. Et cette culture alimentaire évolue en fonction de l’ancienneté des amapiens. C’est égale-ment ce constat que font Bertrandias et Per-nin (2010, p.15) dans leur recherche sur les Amap : « Nos résultats conduisent à considé-rer la possibilité que ces discours traduisent des croyances progressivement intériorisées dans leur vie de membre de l’association, voire à des formes de rationalisation a pos-teriori des raisons les ayant amenés à l’adhé-sion ». Cette logique est confirmée par les ré-sultats des recherches en psychologie sociale (Joule et Beauvois, 2002), que nous abordons à présent.

Nous pouvons dès lors nous interroger sur les axes d’action des Amap par rapport aux critères de satisfaction classiques liés aux produits eux-mêmes et à leur diversité, au service avec par exemple la proximité de pro-cessus, et à la nature des liens sociaux noués lors de l’adhésion.

Théorie de l’engagement et pratiques collaboratives : quelques perspectives

L’engagement dans l’Amap (au-delà de l’enga-gement contractuel de base envers le système) est un processus évolutif que les circons-tances peuvent favoriser. L’analyse des dis-cours montre qu’un phénomène d’accultura-tion se produit souvent : au contact des autres (proximité relationnelle) l’apprentissage de l’organisation, l’évolution des habitudes culi-

Page 172: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

172 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

de meilleure qualité sans avoir une vision claire des engagements engendrés par leur adhésion. Internet et les réseaux sociaux offrent des perspectives pour « ouvrir » les nouveaux membres au fonctionnement de ce système associatif tout en s’appuyant sur leurs motivations initiales : suggestions et teasing. Il serait possible de leur suggérer de décla-rer être ami (liker) de leur Amap sur sa page Facebook (par exemple), de donner leur avis sur l’Amap sur le blog de son site, de voter pour la meilleure recette proposée sur le site pour les légumes peu connus ou d’organiser un concours de recettes qui laisserait place à leur créativité. Ces opérations pourraient être complétées par des opérations de communi-cation en ligne révélant par étapes la vie des produits grâce aux actions collaboratives des membres ou montrant par étapes les résultats de ce cofinancement.

Temps 2 : L’accompagnement initial.

Les amapiens interrogés ont souligné les dif-ficultés rencontrées lors de leur arrivée dans leur Amap (« C’est vrai qu’il faudrait faire attention pour les nouveaux, qui du coup ne savent peut-être pas. En tous cas, les pre-mières distributions, on parlait beaucoup de comment on allait cuisiner ça. Car au début il y a quand même des légumes qu’on ne connait pas, qu’on ne sait pas cuisiner… On découvre ça c’est sûr… C’est important de garder le lieu de distribution comme un lieu convivial (1)). Ces difficultés pourraient être réduites en guidant les nouveaux lors de la signature des contrats, en les accompagnant lors de leur première participation à la distri-bution des produits (« La première fois que je suis venue à l’AMAP j’ai participé à la distri-bution, j’étais un peu perdue quand même ! Je ne savais pas du tout comment ça se passait, comment on distribuait ! » (3)). Une anima-tion, avec des photos sur le site internet, ou l’organisation d’une manifestation festive à la ferme du producteur constituent des pistes pour mettre en œuvre cet accompagnement.

l’engagement. Les modèles de l’économie collaborative et du partage s’appuient forte-ment sur les NTIC et les réseaux sociaux, sur des consommations plaisir, et peuvent suggé-rer des pistes d’action intéressantes.

Favoriser l’engagement envers la communauté par l’utilisation collaborative du numérique

La psychologie de l’engagement nous en-seigne que tenter de convaincre, par un ar-gumentaire bien pensé, un nouvel amapien de la nécessité de s’engager pleinement n’a que peu d’effet : « Nous sommes tellement convaincus que nos actes dépendent de… nos opinions ou de notre personnalité que nous sommes très sensibles à toutes tentatives manipulatrices qui porteraient directement sur nos intentions ou nos opinions » (Joule et Beauvois, 2002, p.50). Elle montre que l’on est bien plus à même d’engager un individu dans une voie si l’on a commencé par obte-nir de lui une petite décision au départ (tech-nique du pied dans la porte : par exemple, en demandant un remplacement lors d’une distribution à l’Amap), qui va, par effet de gel, conduire à de nouvelles décisions de plus en plus engageantes (décision d’entrée, par-ticipation à plusieurs distributions, aux tra-vaux…). Ces décisions seraient à l’origine de la modification des perceptions (hausse des proximités identitaire et de processus), de la satisfaction et de l’engagement. Toute action de la part des Amap favorisant une partici-pation croissante aux activités tendrait ainsi à accroître chez les amapiens les perceptions positives vis-à-vis de celles-ci, l’adhésion aux valeurs, et à accroître la rétention.

Une démarche en trois temps, s’appuyant davantage sur les NTIC à l’image d’autres formes de consommation collaborative, pourrait être mise en œuvre.

Temps 1 : La sollicitation de l’intérêt.

Les nouveaux amapiens intègrent générale-ment l’Amap pour consommer des produits

Page 173: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 173

tiques). Des informations en ligne relatives à la production actuelle (moyen de sensibi-liser les mangeurs sur ses aléas), aux outils et lieu de travail seraient utiles.

• Inciter à la proximité relationnelle (plate-forme d’échanges) et à l’engagement. Il est par ailleurs possible d’imaginer une modu-larité quantitative (avec éventuellement des systèmes d’incitation) et qualitative des engagements. Ceux-ci peuvent prendre des formes différentes en fonction des compé-tences de chacun. Les membres pourraient exprimer leur savoir-faire et participer à la vie de l’Amap (gestion des paniers vacants, création de la page Facebook, organisation de concours online).

• Rendre la proximité relationnelle plus ludique. De nombreux amapiens sont pa-rents. Favoriser les contacts entre les fa-milles et les enfants d’amapiens via inter-net (partage d’expériences, recettes, jeux, échanges) peut conduire à dynamiser une communauté d’amapiens via les familles.

Réduire le caractère contraignant de l’adhésion

En prenant appui sur les NTIC, les Amap pourraient améliorer la gestion des paniers non retirés, échanger des jours où l’amapien est en charge de la distribution, échanger la participation à la distribution ou à la produc-tion agricole contre son panier. Ceci offrirait plusieurs avantages : la levée de la contrainte de l’engagement militant, une réduction du risque financier perçu (pour le consomma-teur), de nouvelles occasions d’échange et de rencontre entre les amapiens, une participa-tion à la réduction du gaspillage alimentaire (une manière de valoriser la motivation éco-logique des amapiens). De plus, ceci peut être l’occasion de faire découvrir le système à des amapiens sur liste d’attente et de les impli-quer par l’acte d’achat tout en montrant les capacités (humaines) d’accueil.

La possibilité d’engagements de nature variée peut également lever une contrainte

Temps 3 : L’engagement proprement dit.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour favoriser l’engagement des amapiens. La pre-mière est de positiver l’engagement, en privi-légiant l’idée que chacun est coproducteur et partie prenante de l’aventure du producteur comme le font les sites collaboratifs dont l’ob-jet est le financement d’entreprises, de projets ou de films (www.peopleforcinema.com). Les sites de consommation collaborative montrent tout l’intérêt de développer les occa-sions d’échange et de partage sur le déroule-ment du projet. Les Amap pourraient ainsi mettre en ligne les photos et vidéos des temps de partage, faciliter l’échange des recettes (afin d’améliorer la variété perçue des pro-duits) ou offrir un espace de libre expression aux amapiens au moyen d’un forum virtuel. Ceci permettrait de développer la confiance, la proximité relationnelle et processuelle des amapiens potentiels ou nouveaux notamment. Il serait possible, entre autres de :

• Accroître la proximité processuelle et la confiance : la proximité processuelle est liée à la recherche de produits sains, natu-rels et traçables. Tous les répondants, qu’ils soient restants ou partants probables, sont sensibles à cette dimension. Mais nous avons vu dans la présentation des résultats, que les partants probables avaient une ap-préciation faible de l’intégrité et de la cré-dibilité de leur Amap. On peut donc penser que ces doutes sont notamment relatifs aux processus mis en œuvre dans les Amap. Il convient dès lors d’agir sur ces deux dimen-sions (proximité de processus et confiance) simultanément. Les actions des temps 1 et 2 ci-dessus peuvent contribuer à une meil-leure compréhension des spécificités de l’Amap et de ses processus, et donc amélio-rer les perceptions en matière de crédibilité et d’intégrité. Il serait par ailleurs utile de faciliter les visites chez le producteur, et accroître les échanges soit physiques, soit virtuels (mise en ligne de vidéos sur la pro-duction, interviews des producteurs, forum d’échange avec le producteur sur ses pra-

Page 174: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

174 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

membres. Mais certaines lourdeurs des Amap constituent aussi leur spécificité et leur force au sein des pratiques collaboratives, avec des interactions humaines et pas seule-ment virtuelles, avec le respect d’une charte par l’ensemble des acteurs. Ainsi, les inte-ractions entre mangeurs et entre mangeurs et producteurs renforcent leur confiance mu-tuelle en favorisant la création de liens avec des personnes que l’on apprend à connaître et apprécier, grâce au partage de l’aventure. L’engagement est pris en présence des autres. La confiance est donnée à une personne phy-sique et non à un « identifiant ». De même, la rédaction et la signature de la charte par l’ensemble des acteurs supposent l’accord des parties sur les termes de l’échange, per-mettent le contrôle (au travers du cahier des charges) et favorisent la confiance. « Il y a un cahier des charges par rapport à l’Amap » (5). Cette charte symbolise la solidarité entre tous les amapiens et assure la transparence des échanges.

Ces caractéristiques, qui permettent d’instau-rer la confiance et la transparence, peuvent alimenter les réflexions de possibles moyens de régulations face aux dérives de certaines pratiques collaboratives. Ces dernières ont aussi des enseignements à tirer des Amap.

Enfin, pour conclure, il convient de souligner que cet article, en identifiant les motivations et comportements des amapiens en général et de ceux qui pensent quitter leur Amap, s’est concentré sur des amapiens actuels. Pour aller au-delà de cette étude exploratoire, il conviendrait d’interroger des personnes ayant effectivement quitté leur Amap, et d’analyser ce qui aurait pu les retenir, et vers quelles pratiques collaboratives elles s’orientent.

Références

Alon A.T. et Brunel F.F. (2007), Dynamics of com-munity engagement: The role of interpersonal communicative genres in online community evolutions, Research in Consumer Behavior, 11, 371-400.

forte, vécue par certains, de non capacité à participer à la distribution : s’engager à gérer le forum, par exemple, permet d’apporter sa contribution même si on ne peut pas aider à la distribution.

Ceci pourrait s’accompagner de la possibi-lité du paiement en ligne, voire comme dans d’autres domaines, d’un abonnement. Ce sys-tème permettrait de supprimer l’existence de transactions financières réelles qui, même si elles n’ont lieu que deux fois par an, sont vécues de manière négative par des produc-teurs et mangeurs amapiens que nous avons interrogés.

Pour certaines de ces opérations, une mu-tualisation des moyens au niveau des Amap locales est envisageable, surtout lorsqu’elles ont le même producteur. L’association de plu-sieurs Amap en ligne permettrait d’ailleurs de proposer des contenus de paniers plus variés, voire de composer le panier en ligne comme dans le cas de certains systèmes de paniers.

L’utilisation des NTIC offre donc des oppor-tunités aux Amap pour faciliter la mise en œuvre des deux processus d’engagement évo-qués précédemment et pour stimuler l’appren-tissage par l’action. Pourtant, cette utilisation est peu commune dans le cas des Amap (de la région nantaise au moins) alors qu’elles sont en général au centre des autres initia-tives de consommation collaborative. Un fac-teur culturel est vraisemblablement derrière ceci : l’idée que l’Amap c’est du réel, c’est de la relation physique, « à l’ancienne » et non virtuelle. En réalité, les pratiques des réseaux sociaux par la jeunesse nous apprennent que la communauté virtuelle n’exclut pas la communauté réelle, voire que virtuel et réel peuvent se renforcer.

Conclusion

Les Amap peuvent s’inspirer de certaines pratiques collaboratives pour augmenter les adhésions et améliorer la rétention de leurs

Page 175: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 175

Joule R.V. et Beauvois J.L. (1989), Une théorie psychosociale : la théorie de l’engagement, Recherche et Applications en Marketing, 4, 1, 79-90.

Kolodinsky J.M. et Pelch L.L. (1997), Factors in-fluencing the decision to join a community sup-ported agriculture farm, Journal of Sustainable Agriculture, 10, 129-141.

Lagane J. (2011), Du Teikei à l’AMAP, un modèle acculturé, Développement Durable et Territoire, 2, 2-12.

Lamine C. (2008), Les AMAP : un nouveau pacte entre producteurs et consommateurs ?, Gap, Editions Yves Michel.

Lanciano E. et Saleilles S. (2011), Le travail institu-tionnel du mouvement des AMAP, Revue Fran-çaise de Gestion, 217, 155-172.

Merle, A. et Piotrowski M. (2012), Consommer des produits alimentaires locaux : comment et pour-quoi ?, Décisions Marketing, 67, 37-48.

Morgan R.M. et Hunt S.D. (1994), The commitment-trust theory of relationship marketing, Journal of Marketing, 58, 3, 20–38.

Mundler P. (2007), Les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) en Rhône-Alpes, entre marché et solidarité, Ruralia, 20, 185-215.

Robert-Demontrond P. (2010), Nouveaux mou-vements sociaux, ancien esprit : une étude des structures anthropologiques de l’imaginaire des Amapiens, International Conference, Marketing Trend, 9.

Roux D. (2009), Marketing et résistance(s) des consommateurs, Paris, Economica.

Salerno A. (2001), Une étude empirique des rela-tions entre personnalisation, proximité dyadique et identité de clientèle, Recherche et Applica-tions en Marketing, 16, 4, 25-46.

Tenenhaus M., Vinzi V.E., Chatelin Y. et Lauro C. (2005), PLS Path Modeling, Computational Sta-tistics and Data Analysis, 48, 1, 59-205.

Zimmer M. (2011), Les AMAP en France : entre consommation de produits fermiers et nouvel ordre de vie, in Pleyers G. (coord.), La Consom-mation Critique, Desclée de Brouwer.

Bastide R. (1960), Problèmes de l’entrecroisement des civilisations et de leurs œuvres, in Gurvitch G. (coord.), Traité de Sociologie, Presse Univer-sitaire de France, tome 2, 315-330.

Barnes J. (1997), Closeness, strength, and satis-faction: examining the nature of relationships between providers of financial services and their retail customers, Psychology & Marketing, 14, 8, 765-790.

Bergadaà M. et Del Bucchia C. (2009), La recherche de proximité par le client dans le secteur de la grande consommation alimentaire, Management et Avenir, 21, 121-135.

Berry J.W. et Sam D.L. (1996), Acculturation and adaptation, in Berry, Segall et Kagitçibasi (eds.) Handbook of Cross-Cultural Psychology, vol. 3, 291-326.

Bertrandias L. et Pernin J. L. (2010), Comprendre l’intention d’adhérer à une AMAP : une ap-proche par la théorie du comportement planifié, Journées de Recherche en Marketing de Bour-gogne, 15.

Cissé-Depardon K. et N’Goala G. (2009), Les effets de la satisfaction, de la confiance et de l’engage-ment vis-à-vis d’une marque sur la participation des consommateurs à un boycott, Recherche et Applications en Marketing, 24, 1, 43-67.

Cova B. (1995), Au-delà du marché, quand le lien importe plus que le bien, L’Harmattan.

Dufeu I. et Ferrandi J.M. (2012), Perceived proxi-mity, trust, satisfaction and relationship com-mitment of members of Community Supported Agriculture, International Marketing Trends Conference, Venice, 19-21th January.

Filser M. et Vernette E. (2010), La proximité est-elle seulement une nouvelle mode du marketing ?, Décisions Marketing, 57, 5-6.

Goudarzi K. et Eiglier P. (2006), La socialisation organisationnelle du client dans les entreprises de service: concept et définition, Recherche et Applications en Marketing, 21, 3, 65-85.

Herault-Fournier C., Merle A. et Prigent-Simonin H. (2012), Comment les consommateurs per-çoivent-ils la proximité à l’égard d’un circuit court alimentaire ?, Revue Management et Ave-nir, 53, 16-33.

Holbrook M.B. (1999), Consumer value: A framework for analysis and research, London Routledge.

Page 176: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

176 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Annexe 1 : Les caractéristiques des répondants

Ancienneté (ans) Sexe Age Situation maritale Profession

Entretien 1 2.5 Homme 35 Couple + enfants Cadre

Entretien 2 3 Femme 37 Couple + enfants Congé parental

Entretien 3 0.8 Femme 65 Couple Retraitée

Entretien 4 3 Femme 55 Divorcée + enfants Employée

Entretien 5 1.5 Homme 47 Célibataire Informaticien

Entretien 6 3.5 Femme 46 Célibataire Employée municipale

Entretien 7 1.5 Femme 31 Couple + enfants Infirmière

Entretien 8 4 Femme 47 Couple + enfants Enseignante

Entretien 9 2 Homme 37 Couple + enfants Ingénieur

Entretien 10 2 Homme 28 Couple Informaticien

Page 177: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 177

Annexe 2 : Le comportement de l’amapien en général et selon sa probabilité de renouveler son contrat

Variable Ensemble amapiens Partants probables Restants probables

Motivations d’adhésion par ordre décroissant

Alternative GMSSa santéL’environnementEconomie localePortefeuille producteurEchanges, discussionsPrix

Davantage motivés par la recherche d’une alternative aux GMS

Davantage motivés par les échanges et discus-sions

Temps passé à l’Amap Entre 11 et 15 minutes 15 minutes ou moins Plus de 15 minutes

Si absence Ami ou voisin Famille ou laisse Amapien ou ami

Produits non consommés habituellement

Teste recette ou donne idem idem

Participation aux travaux de l’exploitation

Oui à 36% Non Oui

Participation à la distribution Oui à 91% Non Oui

Discussion avec producteur Oui à 95% Non Oui

Sujets abordés (par ordre décroissant)

ProduitsModes de productionDifficultés rencontréesRecettesActualitéSujets privésNouvelles cultures

Parle davantage des pro-duits ,modes de produc-tion, nouvelles cultures, difficultés rencontrées et sujets privés

Discussions avec autres adhérents

Oui à 92% Non Oui

Rencontres avec d’autres adhérents en dehors de l’Amap

Oui à 62% Non Oui

Parle de l’Amap autour de lui Oui à 98% Oui Oui

Adhésion grâce à lui Oui à 56% Non ou NSP Oui

Page 178: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

178 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Annexe 3 : Structure et validité des échelles

Échelles Loading

Proximité d’accèsMon AMAP est facile d’accèsJe peux me rendre facilement à mon AMAPMon AMAP est bien située

.883

.917

.879

Proximité identitaireJe suis en accord avec les valeurs portées par l’AMAP Les valeurs de mon AMAP sont importantes pour moiJe partage plus de valeurs avec mon AMAP qu’avec les autres magasins dans lesquels je fais mes coursesMes valeurs personnelles et celles de mon AMAP sont semblables.

.840

.910

.815

.858

Proximité de processusJe sais comment sont fabriqués les produits de mon AMAP J’ai toutes les informations que je souhaite sur l’origine des produits vendus dans l’AMAP Je connais les méthodes de production utilisées par les agriculteurs de mon AMAPJe sais comment travaillent les producteurs de mon AMAP

.876

.865

.905

.915

Proximité relationnelleJ’ai des relations amicales avec les producteurs de mon AMAP Je passe du temps à échanger avec les producteurs sur les produitsJe passe du temps à échanger avec les producteurs sur d’autres thématiques que celles liées aux produits vendus

.847

.887

.822

ConfianceBienveillance :L’AMAP fait attention à ce qui me convient le mieux Les producteurs de l’AMAP tiennent compte de mes intérêtsCrédibilité :J’ai confiance en la qualité des produits de mon AMAP Je ne cours aucun risque en achetant des produis de l’AMAPIntégrité :Je crois en la sincérité de l’AMAPL’AMAP est honnête envers moi

.898

.919

.893

.870

.917

.926

SatisfactionJe suis content(e) de la relation que j’ai établie avec mon AMAPJe suis ravi(e) des habitudes prises avec mon AMAPJe suis satisfait(e) de mon AMAPJ’ai bien fait de choisir cette AMAP

.875

.885

.920

.841

EngagementJe suis attaché(e) à mon AMAP Je trouverais difficile de changer d’AMAP

.929

.868

Variance moyenne extraite Rho de Jöreskog

PROXIMITE – Accès – Identitaire – Processus – Relationnelle

.728

.734

.794

.799

.923

.917

.939

.889

CONFIANCE – Bienveillance – Crédibilité – Intégrité

.826

.777

.850

.905

.874

.919

SATISFACTION .775 .932

ENGAGEMENT .768 .896

Page 179: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013, 179-205

Pour contacter les auteurs : [email protected] et [email protected]

DOI : 10.7193/DM.072.179.205 – URL : http://dx.doi.org/10.7193/DM.072.179.205Benabdallah M. et Jolibert A. (2013), L’acculturation : l’influence des sous-cultures d’origine et de la distance culturelle, Décisions Marketing, 72, 179-205.

Résumé

La nécessité de satisfaire les besoins spécifiques de consommateurs issus de cultures étrangères est l’un des nou-veaux défis que rencontrent les entreprises. Cet article étudie l’acculturation des consommateurs immigrés, qui proviennent d’un même pays mais appartiennent à des sous-cultures différentes. Il montre, sur la base d’une étude qualitative, que la distance culturelle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil est une variable média-trice entre la sous-culture de l’individu et la direction de l’acculturation. Les résultats obtenus complètent la concep-tualisation existante de l’acculturation. Ils montrent que l’acculturation peut être obligatoire ou choisie, que le mé-tissage des cultures constitue une direction importante de l’acculturation, et ils permettent de distinguer des modes d’acculturation plus détaillés dans les sous-cultures que ceux de la littérature. Ils ont également montré l’influence de variables modératrices psychosociales (la nostalgie et le matérialisme) sur l’acculturation et ont mis en évidence leur influence inégale en fonction de la distance culturelle qui sépare les sous-cultures de la culture d’accueil.Mots-clés : acculturation, sous-culture d’origine, auto-identification ethnique, matérialisme, nostalgie, revenu, durée de résidence, âge d’immigration.

Abstract

Acculturation: the effects of subcultures of the country of origin and cultural distance

The satisfaction of specific needs of migrating populations is a challenge facing companies. This article focuses on the acculturation of consumers changing their cultural environment by migrating from the same country but belonging to different subcultures. A qualitative study was conducted. It showed that the cultural distance between the subculture of origin and the host culture is a mediating variable between subcultures and acculturation modes. Study results also add to the existing acculturation literature that acculturation could be compulsory or selected. They highlight the existence of a new acculturation direction which is the mix of cultures. They show how psycho-social moderator variables might influence acculturation and how moderator variables play different roles according to the cultural distance between subcultures and host country culture. Key words: acculturation, sub-culture of origin, ethnic self-identification, materialism, nostalgia, income, length of residence, age at immigration.

Remerciements

Les auteurs remercient vivement le rédacteur en chef du numéro spécial, Bernard Pras, pour ses suggestions et ses encouragements constants dans la rédaction de cet article. Ils remercient également les lecteurs pour leurs suggestions.

L’acculturation : l’influence des sous-cultures d’origine et de la distance culturelle

Mounia Benabdallah* et Alain Jolibert**

*IDRAC Business School**INSEEC Business School et CERAG, UMR CNRS 5820

Page 180: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

180 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Les flux migratoires vers les pays développés enregistrent depuis quelques décennies une forte augmentation. Les individus quittent leur culture d’origine pour diverses raisons, principalement économiques et politiques, pour rejoindre une nouvelle culture d’accueil. Selon l’INED (2012), en 2006, la France a enregistré 4,9 millions d’immigrés, soit 8,1% de la population, en 2009, ce chiffre est passé à 5 433 000 immigrés (8,4% de la popula-tion). Comme la culture d’origine est le plus souvent différente de celle de la culture d’accueil, les chercheurs se sont intéressés aux changements culturels qui peuvent se produire lorsque des personnes d’une culture donnée rencontrent une autre culture, ce phé-nomène est connu sous le nom d’accultura-tion.

Les études portant sur l’acculturation ont considéré que la culture d’origine du consom-mateur est homogène. Elles ont ignoré la diversité de la culture d’origine qui peut être constituée de sous-cultures (mini-cultures) formant des groupes de consommateurs par-tageant une ethnie commune, une marque commune (Schouten et McAlexander, 1995) ou même une expérience commune (Cova et Pace, 2006). Dans ce contexte si divers et varié, peut-on considérer que l’acculturation se produise de manière comparable chez des consommateurs appartenant à deux ou plu-sieurs sous-cultures ?

Face à ce constat et à cette interrogation, cette recherche s’est intéressée aux sous-cultures ethniques qui composent une culture d’origine. L’objectif de l’article est d’explorer l’acculturation des consommateurs provenant d’un même pays mais de sous-cultures eth-niques différentes. Pour comparer l’accultu-ration à partir des sous-cultures d’origine, la distance culturelle, qui existe entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil, a été utilisée. Cette distance culturelle se définit par les similarités et les différences de la société d’origine (sous-culture) par rapport à celle d’accueil, comme les différences de

langue, de religion, de valeurs, de coutumes, etc. La distance culturelle est prise ici dans une acception plus large que celle considé-rée par le courant des chercheurs qui tra-vaillent sur les valeurs (Hofstede et Bond, 1988 ; Javidan et al., 2006 ; Ng et al., 2007) et s’appuie sur toutes les dimensions de la culture (voir par exemple, Tylor, 1958). Une étude qualitative menée auprès d’immigrés algériens issus de deux sous-cultures d’ori-gine importantes (kabyle et oranaise) nous permet :

• d’approfondir l’étude de l’acculturation de sous-cultures ainsi que d’étudier et de comparer les modes d’acculturation des consommateurs issus de ces sous-cultures.

• d’étudier plus en détail l’influence des variables modératrices de l’acculturation. En effet, en plus des variables modéra-trices socio-démographiques et relatives à la culture d’accueil, cette recherche met en évidence l’influence de variables psychoso-ciales sur l’acculturation comme le maté-rialisme et la nostalgie. Elle examine aussi les variations de ces influences en fonction de la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil.

• de montrer l’influence de la sous-culture d’origine et de la distance culturelle sur les directions et modes d’acculturation.

La première partie de cet article présente le cadre général dans lequel s’inscrit notre re-cherche, avec une revue de la littérature sur la conceptualisation de l’acculturation et ses variables médiatrices et modératrices, et ce sur quoi nous mettons l’accent. La seconde partie expose la méthodologie de l’étude qua-litative. La troisième partie est consacrée à la présentation des résultats comparés à ceux de la littérature existante.

Acculturation et modèle général

Pour étudier l’acculturation, les chercheurs se sont intéressés à la culture d’origine et à la culture d’accueil de l’individu, considérées

Page 181: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 181

toutes les deux d’une façon globale. Les chan-gements culturels, qui se produisent alors, se développent dans deux directions : le main-tien de la culture d’origine et/ou l’adaptation à la culture d’accueil. De ces changements culturels, différents modes d’acculturation résultent, dont ceux proposés par Berry (1989, 1997) : assimilation, intégration, sé-paration, marginalisation. Dans la pratique, l’acculturation peut s’observer par l’étude des modifications d’éléments de la culture tels que la langue ou les valeurs. Historiquement, l’évolution des études sur l’acculturation a été marquée par trois principaux courants de recherche : assimiliationniste, multidirec-tionnel et post-assimilianioniste (tableau 1). Dans ces recherches, l’influence de la sous-culture d’origine sur les processus d’accul-turation a été passée sous silence, alors qu’il s’agit d’une variable potentiellement impor-tante.

Dans cet article, nous étudions l’influence de la sous-culture d’origine dans le pro-cessus d’acculturation. Les changements culturels qui se produisent dans l’accultu-

ration devraient dépendre de la proximité ou de l’éloignement culturel entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil (dis-tance culturelle), qui devraient eux-mêmes conduire à une adaptation plus facile ou plus difficile à la culture d’accueil. Ainsi, la dis-tance culturelle joue un rôle médiateur entre la sous-culture d’origine et la direction de l’acculturation, à savoir le maintien de la culture d’origine ou l’adaptation à la culture d’accueil. Ces directions de l’acculturation conduisent elles-mêmes à divers modes d’ac-culturation, les plus classiques et les moins situationnels correspondant au courant mul-tidirectionnel de Berry (1989, 1997).

Par ailleurs, les chercheurs ont identifié un ensemble de variables modératrices suscep-tibles d’influencer les directions et modes d’acculturation. Les variables les plus fré-quemment identifiées dans les recherches sont les variables socio-démographiques (âge d’arrivée dans la culture d’accueil, genre, ni-veau d’éducation, statut social, durée de rési-dence) et des variables relatives à la culture d’accueil (manière d’accueillir un individu,

Tableau 1 : Synthèse des études de l’acculturation

Courant de recherche

Conceptualisation de l’acculturation

Direction d’acculturation

Modes d’acculturation

Principaux auteurs

Assimila-tionniste

Processus assimila-tionniste unidirec-tionnel

Abandon de la culture d’origine tout en s’adaptant à la culture d’accueil

Assimilation Gordon (1964)

Multi- directionnel

Processus multidi-rectionnel avec des directions indé-pendantes l’une de l’autre

1. Maintien de la culture d’origine2. Adaptation à la culture d’accueil

AssimilationSéparationIntégrationMarginalisation

Berry (1989, 1997)

Post-assimi-lationniste

L’acculturation est situationnelle. Le consommateur peut adopter un mode d’acculturation en fonction du contexte culturel dans lequel il se trouve

1. Maintien de la culture d’origine2. Adaptation à la culture d’accueil3. Transformation cultu-relle ou créolisaton4. Adoption d’une autre culture

Différents d’un chercheur à l’autre.

Peñaloza (1994) ; Oswald (1999) ; Askegaard, Ar-nould et Kjeldgaard (2005) ; Üstüner et Holt, (2007) ; Özçaglar-Toulouse et al. (2009) ; Bécheur et Toulouse (2012)

Page 182: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

182 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

bution potentielle de notre réflexion et de l’étude menée, par rapport aux courants de recherche existants.

Terrain étudié : les sous-cultures kabyles et oranaises

Nous examinerons dans cette étude des sous-cultures d’origine dont la distance culturelle diffère de la culture d’accueil. Pour cette rai-son, nous avons choisi les sous-cultures ka-byle et oranaise dans le contexte de la culture algérienne.

Notre choix de terrain, qui s’est porté sur les consommateurs algériens immigrés en France provenant de sous-cultures différentes repose donc sur cette logique mais aussi sur les raisons suivantes :

1. La population algérienne représente selon l’Insee, la première population immigrée en France avec 702 811 immigrés algériens en 2007 et 617 000 descendants d’origine algérienne en 2010.

modification de la culture d’accueil, cosmo-politanisme). Leur influence sur l’accultu-ration est présentée en annexe A1. D’autres variables, potentiellement pertinentes dans le cadre de l’étude des sous-cultures, mais prises en compte dans un nombre restreint de recherches, sont de nature psychosociale. Il s’agit de variables identitaires (auto-identifi-cation ethnique, estime de soi), de motivation (causes de l’immigration), de valeur (maté-rialisme), d’émotion (nostalgie) et d’autres variables culturelles (religiosité et média). Le tableau 2 résume les principales études menées sur l’influence de ces variables sur l’acculturation.

Le modèle général (Figure 1) dans lequel notre recherche s’inscrit met l’accent en particulier sur les variables nouvelles, qui sont au cœur de notre problématique : les sous-cultures d’origine, la distance cultu-relle (entre sous-culture d’origine et culture d’accueil) comme variable médiatrice, des variables psychosociales comme variables modératrices, les directions et modes d’ac-culturation. Ce modèle constitue un schéma de réflexion destiné à faire émerger la contri-

Figure 1 : Le modèle d’acculturation

Page 183: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 183

Tableau 2 : Variables modératrices psychosociales de l’acculturation

Variable Définition Influence sur l’acculturation

Variables identitaires

L’auto-identi-fication ethnique

L’ethnicité est un sentiment d’appartenance ressenti potentiellement, auto-déclaré et fai-sant appel à une approche émique (Peñaloza, 1994 ; Oswald, 1999 ; Askegaard, Arnould et Kjeldgaard, 2005 ; Üstüner et Holt, 2007). L’auto-identification ethnique est considérée comme représentant au mieux l’ethnicité du consommateur (Hirschman, 1981), avec l’identification par le consommateur du groupe ethnique auquel il pense appartenir (nation, sous-culture ethnique, communauté de quartier) ainsi que la force de cette identi-fication.

Plus le groupe ethnique auquel s’identifie le consommateur est proche de la culture d’accueil, plus le consommateur s’adaptera à la société d’accueil (Berry, 1997)

L’estime de soi

La valeur qu’a une personne d’elle-même (Darpy, 2012)

Plus une personne s’estime, plus elle aura confiance et fera d’efforts pour s’adapter à la culture d’accueil (recherche d’emploi, affronter la discrimination) (Kosic, Mannetti et Sam, 2006).

Motivation

Les causes de l’immi-gration

Raisons pour lesquelles la personne a quitté sa culture d’origine. Par exemple : raisons économiques, refuge politique, regroupement familial, etc.

Un départ volontaire de la société d’origine facilite l’adaptation à la culture d’accueil en comparaison à un départ forcé (Tartakovsky et Schwartz, 2001).

Valeur

Le matéria-lisme

L’importance que le consommateur attache aux possessions dans ce monde (Belk, 1985)

Un consommateur avec un niveau élevé de matérialisme s’adaptera plus facilement qu’un autre aux cultures matérialistes (Tartakovsky et Schwartz, 2001).

Emotion

La nostal-gie

Réaction affective, éventuellement associée à une activité cognitive, et ressentie par un individu lorsqu’un stimulus externe ou interne a pour effet de le transposer dans une période ou un événement issu d’un passé idéalisé, s’inscrivant ou non dans son propre vécu

La nostalgie peut conduire le consommateur à s’attacher plus à sa culture d’origine, ce qui ne facilite pas l’adaptation à la société d’accueil, surtout lorsque ces deux cultures sont très différentes (Stamboli, 2011)

Variables culturelles

La religio-sité

Degré de croyance et de respect par un indi-vidu des valeurs, des idéaux d’une religion spécifique et sa mise en pratique (Delener, 1990)

Lorsque la religion pratiquée dans la culture d’origine est différente de celle de la culture d’accueil, plus la religiosité de l’individu sera forte, plus il maintiendra les principes de sa culture d’origine et rejettera ceux de la culture d’accueil et vice-versa (Berry, 1997)

Les média Les média cultivent et font circuler une image qui peut s’avérer fausse de la réalité

Déception et difficultés d’adaptation dans le cas où l’individu se fait une image de la culture d’accueil différente de la réalité. Par ailleurs, consommer les média de la société d’origine ou ceux de la société d’accueil desti-nés principalement aux immigrés peut être un moyen de maintien de la langue, des valeurs et des traditions d’origine (Lee, 1989).

Page 184: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

184 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

3. L’Algérie partage une partie de son histoire

avec la France puisqu’elle a été colonisée

pendant 132 ans (de 1830 à 1962). Cette

longue période a permis aux Algériens

d’adopter certaines pratiques culturelles de

la France dont principalement la langue.

Ainsi, le français est la deuxième langue

en Algérie. Il est pratiqué par une grande

partie de la population surtout ceux ayant

vécu la période coloniale ou nés juste après

2. L’Algérie est une nation composée de sous-cultures multiples et distinctes. Les plus an-ciens habitants sont les Berbères (Gaffarel, 2004). Cette communauté englobe de nos jours de nombreuses sous-cultures instal-lées dans différentes régions comme les Kabyles, les Touaregs et les Mozabites. Ces sous-cultures ont une langue de base commune nommée le « Tamazight » et de nombreux éléments distinctifs de consom-mation.

Encadré 1 : Comparaison des deux sous-cultures

La culture est un concept très complexe. Pour étudier et comparer les cultures, les éléments constituant la culture et les sous-cultures peuvent être utilisés. En effet, toute culture (et sous-culture) est composée d’éléments que sont : la langue, la religion, les valeurs, les coutumes et les mœurs, les éléments maté-riels, l’esthétique, l’éducation et les institutions sociales (Czinkota et Ronkainen, 2006). Une recherche documentaire nous a permis d’établir une comparaison entre les deux sous-cultures étudiées dont les résultats sont synthétisés dans le tableau suivant :

Les principales caractéristiques des sous-cultures kabyle et oranaise

Kabylie Oranie

Délimitation géographique

- Nord centre et Nord-est - Nord-ouest

Langue prati-quée

- Kabyle, langue maternelle (plus parlée qu’écrite)

- Français - Arabe classique à l’école

- Arabe dialectal, langue maternelle - Français - Arabe classique à l’école

Religion - 70% à 90% Musulmans - 10% à 30% Chrétiens

- 99% Musulmans - 1% autre

Drapeau - Drapeau national - Drapeau kabyle

- Drapeau national

Fêtes et rituels - Jour de l’an Yennayer (ancien an berbère)

- Printemps berbère - Fêtes nationales comme le jour de

l’indépendance - Fêtes musulmanes comme l’Aïd - Fêtes chrétiennes comme Noël

- Fêtes nationales comme le jour de l’indépendance

- Fêtes musulmanes comme l’Aïd

Aliments spéci-fiques

- Huile d’olives - Figues séchées

- Pas de spécificités mais une préfé-rence pour les dattes

Habits féminins - Robe kabyle traditionnelle portée au quotidien par les femmes, à l’extérieur comme à l’intérieur de la maison

- Robe traditionnelle portée unique-ment lors des mariages

Musique - Musique kabyle - Musique Rai et musique orientale

Sources : Le Haut-Commissariat de l’Amazighité, les associations kabyles ACB et CBF, l’église Notre-Dame de Kabylie, l’Office National des Statistiques (Algérie), la revue El bahdja du Ministère de la culture (Algérie), ONU, etc.

Page 185: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 185

provenant des deux sous-cultures d’origine comme le schématise la figure 2.

Pour mettre en place le guide d’entretien, nous nous sommes d’abord basés sur les indications fournies par la littérature pour étudier l’acculturation, puis nous avons sou-mis le guide d’entretien à trois experts (un expert des études culturelles et intercultu-relles, un expert des études qualitatives et un expert de la culture algérienne). Ceux-ci devaient notamment signaler et corriger tout élément susceptible de heurter la sensibi-lité des consommateurs car les sujets traités s’avèrent sensibles à la désirabilité sociale, qu’il s’agisse de l’immigration, des change-ments qui en découlent et de l’ethnicité des consommateurs (Kabyles versus Arabes).

Le guide d’entretien étudiait : l’acculturation (encadré 2), l’influence de l’acculturation sur le comportement du consommateur, les va-riables qui influencent le processus d’accultu-ration et l’ethnicité du consommateur.

Pour localiser les consommateurs, nous avons fait appel à différents consulats d’Algérie ainsi qu’aux associations de Kabyles (comme l’ACB Association Culturelle Berbère et la CBF Coordination des Berbères de France) et d’Oranais (fondues dans des associations d’immigrés algériens, ce qui constitue une tâche difficile). Un traducteur de kabyle a été sollicité car malgré l’immigration en France,

l’indépendance (ceux qui ont fait leur sco-larité avant l’arabisation du pays).

4. La sous-culture kabyle est la principale sous-culture berbère en Algérie qui se situe géographiquement au centre nord du pays. La sous-culture oranaise est majori-tairement arabe, elle se situe au nord-ouest de l’Algérie et est éloignée de la région kabyle de plus de 400km. Au-delà de la distance géographique qui sépare ces deux sous-cultures, nous les avons choisies car elles sont différentes dans les éléments qui composent leurs sous-cultures (Czinkota et Ronkainen, 2006), à savoir : la langue, la religion, les valeurs, les coutumes et les mœurs, les éléments matériels, l’esthétique, l’éducation et les institutions sociales (en-cadré 1).

Pour étudier l’existence de différences d’ac-culturation entre ces deux sous-cultures, une étude qualitative a été menée, elle a permis d’étudier en profondeur l’acculturation de ces consommateurs et de mettre l’accent sur les variables modératrices de l’acculturation des sous-cultures. La méthodologie de cette étude ainsi que ses principaux résultats sont exposés dans les points qui suivent.

Dans le but de récolter le maximum d’in-formations possibles, l’étude exploratoire a consisté en 40 entretiens semi-directifs, me-nés auprès d’immigrés et enfants d’immigrés

Figure 2 : Schéma récapitulatif de la composition de l’échantillon de l’étude qualitative

Page 186: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

186 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Par ailleurs, l’analyse des modes d’accultu-ration d’individus provenant des deux sous-cultures a mis en évidence des modes plus précis que ceux observés jusqu’à présent. Ces modes diffèrent d’une sous-culture à l’autre en fonction de la distance culturelle qui sé-pare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil.

L’acculturation : choix ou obligation ?

Nous avons retrouvé auprès des immigrés des deux sous-cultures que l’acculturation peut être dans certains cas obligatoire et dans d’autres choisie.

L’acculturation obligatoire consiste en l’obli-gation du consommateur à s’adapter à cer-taines règles de vie de la société d’accueil. Il en va ainsi pour le respect des lois, l’adapta-tion à une semaine différente (fin de semaine le dimanche en France au lieu du vendredi en Algérie), obligation de parler la langue d’accueil au travail et l’utiliser pour l’éduca-tion. Par ailleurs, les répondants ont fait part d’une « obligation indirecte » d’abandonner la culture d’origine et de s’adapter à la culture

nous avons rencontré deux personnes qui ne parlaient ni l’arabe, ni le français mais uni-quement le kabyle.

Les entretiens ont été menés à Grenoble, Lyon et Paris. Ils ont été retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Le lo-giciel sphinx Lexica a été utilisé pour cette analyse.

Résultats de l’étude qualitative

De cette étude ressortent des éléments qui re-mettent en cause ou précisent des éléments de la littérature sur l’acculturation. Nous présen-terons d’abord les résultats relatifs à l’étude de l’acculturation. Par la suite, les résultats de l’étude des variables modératrices de l’accul-turation sont exposés.

La conceptualisation de l’acculturation

Les résultats font ressortir trois éléments nou-veaux qui n’avaient pas été observés dans les modèles d’acculturation : (1) l’acculturation, choix ou obligation ; (2) le métissage des cultures ; (3) les immigrés et leurs enfants.

Encadré 2 : Eléments du guide d’entretien pour étudier l’acculturation

Pour étudier l’acculturation, notre guide d’entretien comportait les thèmes suivants :Récit d’immigration : ceci permettait au consommateur de restituer son expérience de changement de culture. Il nous parlait ainsi des raisons de son immigration, de son déroulement, de ses souvenirs des premiers jours lors de l’arrivée dans la culture d’accueil, des difficultés (facilités) rencontrées lors de son installation, etc. Les différences perçues entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil : une fois le consomma-teur replacé dans le contexte de changement de culture, nous avons approfondi notre étude en insistant sur les similarités (dissimilarités) perçues entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil pour chaque élément composant la culture (langue, religion, coutumes, etc.)Adaptation à la culture d’accueil : nous avons interrogé le consommateur sur les éléments de la culture d’accueil auxquels il s’est adapté et les raisons de cette adaptation. Le consommateur nous a parlé ainsi des situations dans lesquelles il s’est senti obligé de s’adapter à la culture d’accueil et dans d’autres lorsqu’il a fait le choix d’adopter d’autres éléments culturels que ceux d’origine. Maintien (perte) de la culture d’origine : nos questions se sont orientées par la suite vers la culture d’origine en demandant au consommateur quels étaient les éléments de la culture (sous-culture) d’ori-gine qu’il a gardé et ceux qu’il a perdu. Pour aborder ces thèmes, nous avons posé plusieurs questions, utilisé les techniques de relance et nous avons reformulé parfois les questions comme par exemple pour le maintien de la culture d’origine, nous avons dû aborder le thème élément par élément de la culture en demandant par exemple aux Kabyles : parlez-vous kabyle en France ? Avec qui ? Pourquoi ? Est-ce important pour vous de parler kabyle ? etc.

Page 187: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 187

car on travaille et on n’a pas le temps. Des fois même, j’oublie la date, je me rends compte que c’est le Mouloud quand ma famille m’appelle pour me souhaiter un bon Mouloud, je fais semblant de m’en souvenir et je leur dis des mensonges comme quoi je l’ai célébré. Mais franche-ment, comment veux-tu que je le célèbre dans cette ambiance morte. »

Cet exemple montre bien que ce n’est pas la loi qui oblige le consommateur à abandonner des éléments de sa culture d’origine mais bien l’environnement culturel, si différent de celui de la société d’origine, qui ne permet pas à l’individu de maintenir sa culture d’origine.

Certains aspects de la consommation ont été considérés comme obligatoires également comme l’achat de certains produits en mater-nité (9 répondants) du siège pour enfant en voiture (12 répondants) ou encore des tenues de ski exigées par l’école (12 répondants). Ces règles de vie de la société d’accueil obligent l’immigré à adopter des comporte-ments et à consommer parfois des produits dont il n’avait pas l’habitude dans son pays d’origine. L’acculturation obligatoire apporte un éclairage complémentaire au modèle post-assimilationniste selon lequel les consomma-teurs ont le choix car ils s’appuient sur leur ethnicité comme ressource identitaire pour définir leur position et pour décider de se comporter de telle ou telle façon, même s’ils sont aussi déterminés par les institutions. Ce choix ne semble pas si évident dans la réalité. Le consommateur est parfois obligé direc-tement ou indirectement d’abandonner sa culture d’origine. Dans certaines situations, les individus se sentent contraints d’appli-quer les normes culturelles du pays d’accueil et doivent renoncer à leurs habitudes. Le maintien de la culture d’origine créant une tension trop forte pour l’individu, le choix est d’y renoncer pour se conformer à la culture d’accueil. Ce résultat souligne le processus de négociation vécu par l’individu dans des situations d’écart élevés ; il est cohérent avec

d’accueil à cause de l’environnement culturel dans lequel ils vivent.

Pour ce qui est de l’acculturation obligatoire que nous qualifions de directe, Samir un Oranais de 35 ans a confié :

« Avant d’arriver à Paris, je n’avais pas un très bon niveau de français, tu sais chez nous, on se débrouille, on parle un mot par ci, un mot par là pour s’exprimer mais en arrivant ici, si tu ne connais pas bien le français, t’es mort. Je me rappelle que j’étais bloqué déjà avec le dossier de la carte de séjour. A la préfecture tout est écrit en français alors, j’ai dû demander de l’aide à d’autres immigrés pour retrou-ver mon chemin. Pour remplir le dossier, c’est pareil…..mais avec le temps, j’ai dû apprendre le français à cause de mes en-fants, pour parler avec eux déjà, et pour les aider à faire leurs devoirs et je ne te cache pas que j’ai appris en même temps qu’eux. ».

Dans d’autres cas, l’obligation de l’abandon de la culture d’origine et d’adaptation à la culture d’accueil n’est pas dictée par des lois, mais est le résultat de plusieurs facteurs en-vironnementaux qui conduisent le consom-mateur à une acculturation obligatoire que nous qualifions d’indirecte. Ainsi en est-il de Farida, une Kabyle de 49 ans qui a dit :

« Des fois, j’ai beau essayer de garder nos coutumes, nos traditions, nos habitudes religieuses mais je n’y arrive pas par la force des choses. Regarde le Mouloud par exemple (en arabe le Mawlid, ce qui signifie l’anniversaire du prophète Mohamed). Il faut acheter des bougies spéciales, une pour chaque membre de la famille, allumer quelques pétards, faire la fête quoi (rire), ici impossible de le faire ! Les bougies, on ne les trouve pas et les pétards sont interdits, alors la première année quand on arrive on se contente du repas spécial comme El rechta, l’année d’après on n’a pas le temps de la faire, et puis l‘année suivante on ne le fête plus

Page 188: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

188 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

tuées que les consommateurs issus d’une sous-culture proche de la culture d’accueil se retrouvaient moins dans une situation d’acculturation obligatoire que ceux issus d’une sous-culture éloignée de la culture d’accueil. Ainsi, il semblerait que la distance culturelle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil dépende de l’importance de l’acculturation que vit le consommateur. En d’autres termes, plus la distance cultu-relle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil est proche (réduite), plus le consommateur se retrouve dans une situation d’acculturation choisie plutôt qu’obligatoire car les éléments de sa culture d’origine et de la culture d’accueil ne se confrontent pas, ne se contredisent pas, ne s’opposent pas. Ainsi, le consommateur est plutôt dans une situation qui le met à l’aise et lui offre la possibilité de choisir d’adopter les éléments d’une culture ou de l’autre.

Le métissage des cultures

Plutôt que de maintenir la culture d’ori-gine ou de s’adapter à la culture d’accueil, le consommateur peut faire un mélange des deux cultures en créant de nouveaux com-portements. Dans la littérature, les directions d’acculturation établies par différents cher-cheurs (Comme Berry (1989), Askegaard, Arnould et Kjeldgaard (2005)) citent bien la possibilité de maintenir la culture d’origine et/ou de s’adapter à la culture d’accueil mais ne parlent pas de métissage culturel, à l’ex-ception de quelques travaux (Amselle, 2004 ; Béji-Bécheur et al., 2007) .

Comme indiqué auparavant, Berry (1989) a mis en place quatre modes (segments) d’acculturation en fonction du maintien de la culture d’origine et/ou de l’adaptation à la culture d’accueil, des directions qu’il considère comme indépendantes l’une de l’autre. Bien que ce chercheur ait fait men-tion d’une différence des directions adoptées et des modes qui en résultent en fonction du contexte dans lequel se trouve l’individu (sphère privée versus publique), Berry (1989,

les travaux récents sur les tensions identi-taires (Zouaghi et Bécheur, 2011).

L’acculturation choisie quant à elle, consiste en la décision du consommateur d’adop-ter certaines règles de la culture d’accueil pour mieux intégrer la société française ou plutôt de maintenir sa culture d’origine. Par exemple, certains répondants ont décidé de fêter Noël (14 répondants) pour faire plaisir à leurs enfants afin que ces derniers ne soient pas les seuls à ne pas recevoir de cadeaux. En interrogeant les immigrés sur d’éventuels changements culturels (traditions, fêtes, cou-tumes etc.), Baya, une maman Kabyle de 42 ans a confié :

« Oui, des fois, j’ai fait comme les Français parce que je pense que c’était bien pour moi et ma famille. Tu vois, fê-ter Noël, ça se fait pas chez nous, sauf pour certains (rire)….je ne le faisais pas non plus les premiers temps quand je me suis mariée avec Saïd (à noter que c’est la principale raison pour laquelle elle a changé de culture), mais après, quand mes enfants sont rentrés à l’école, qu’on leur a parlé du Père Noël, des cadeaux et tout et tout…que là où tu allais tu ne pouvais pas y échapper, je ne me voyais pas leur expliquer que ce n’est pas notre religion et patati et patata, et je voulais les voir heureux en découvrant les ca-deaux et avoir quelque chose à raconter à leurs amis, alors, nous avons acheté un petit arbre en plastique qu’on a décoré, j’ai mis les cadeaux et je ne te raconte pas leur joie ».

Dans ce cas, il n’y a pas d’obligation d’adap-tation ou de consommation, mais le consom-mateur choisit de s’intégrer ou de maintenir sa culture d’origine (le choix d’un mode d’in-tégration ou d’un mode de séparation se fait par le consommateur lui-même).

Au-delà de l’identification d’une accultura-tion obligatoire et une acculturation choi-sie, nous avons noté via les analyses effec-

Page 189: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 189

turation, à savoir le maintien de la culture d’origine et/ou l’adaptation à la culture d’accueil, d’une façon indépendante l’une de l’autre, l’individu pouvait mélanger les deux cultures pour en créer une nouvelle. Cette nouvelle direction d’acculturation, non iden-tifiée comme telle dans les travaux existants, peut aller dans les deux sens des cultures. Le consommateur peut prendre des éléments de la culture d’accueil et se les approprier dans des rituels de la société d’origine comme l’ont montré Herbert et Sabri (2012), mais il peut également transformer des rituels de la société d’accueil en fonction de sa culture d’origine. Nadia, une immigrée de 45 ans d’origine oranaise a confié :

« Ici, on fête un succès avec une bouteille de Champagne mais on ne boit pas d’al-cool à la maison, c’est Hram (péché)…..pour fêter la licence de Lilia (sa fille), j’ai réfléchi, réfléchi, ensuite je me suis dit, allez, vas-y pour le Champomy1, comme les gamins ».

Dans cet exemple plutôt que de s’adapter à la culture d’accueil en achetant du Champagne ou de maintenir celle d’origine en offrant du thé (café ou jus), cette consommatrice a créé un nouveau rituel de fête qui englobe à la fois des éléments de la culture d’accueil (rituel de fête) et ceux de la culture d’origine (religion).

Processus d’acculturation : les immigrés et leurs enfants

La conceptualisation actuelle de l’accultu-ration, tels les modes d’acculturation définis par Berry (1989, 1997) ou encore l’approche post-assimilationniste ne semblent pas être adaptable auprès des enfants d’immigrés. En effet, les répondants d’origine étrangère non immigrés, nés et ayant grandi en France, ne

1/ Champomy est une boisson non alcoolisée qui contient 99% de jus de fruits et 1% de bulles. Son emballage et les bulles qui pétillent lors de l’ouver-ture de la bouteille et dans le verre sont assez sem-blables aux caractéristiques du Champagne. Le nom de marque est également très proche de celui du Champagne.

1997) n’évoque pas la possibilité de créer de nouveaux éléments culturels en mélangeant la culture d’origine à celle de la culture d’ac-cueil.

Chez les post-assimilationnistes, les cher-cheurs ont parlé de la notion de « bricolage culturel » en la considérant comme un facteur de construction identitaire mais sans l‘iden-tifier comme une direction d’acculturation. Ainsi, Herbert et Sabri (2012), ont mentionné qu’outre l’alternance entre les produits du pays d’origine et ceux du pays d’accueil, des Maghrébines de France utilisent des produits appropriés du pays d’accueil pour la prépa-ration de produits cosmétiques selon des re-cettes orientales traditionnelles, ce qui s’ap-parente selon ces chercheuses au « bricolage identitaire » développé par Bouchet (1995).

La notion de métissage culturel, développée en sociologie, est apparue lors de l’étude des individus issus de croisements culturels, elle désigne quelque chose de nouveau, différent de chacun des deux groupes d’individus en interaction (Audinet, 1999). En effet, lorsque les individus de deux groupes culturels dif-férents se rencontrent, ils se mêlent et mêlent les langues, les coutumes, les symboles et les corps. Ce métissage engendre la production et non seulement la reproduction. Il autorise la créativité et l’invention. Comme le sou-ligne Foucart (2009), des formes culturelles originales peuvent s’inventer sans supplanter entièrement celles desquelles elles tirent leur origine. Le métissage culturel est différent du cosmopolitisme. En effet, le consomma-teur cosmopolite ne fabrique pas une nou-velle culture en mélangeant et adaptant leurs éléments, il valorise plutôt les différentes cultures en vivant à l’aise dans des univers d’identités variées sans les modifier (Burke, 1999).

Nous avons identifié du métissage culturel à travers nos entretiens et avons souligné que c’était le produit de la rencontre de la culture d’origine et de celle d’accueil. Ainsi, au lieu de suivre les directions classiques d’accul-

Page 190: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

190 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

raisons, nous pensons que le modèle bidirec-tionnel tel qu’il est conçu ne représente pas l’acculturation des enfants d’immigrés.

L’étude qualitative a montré des éléments nouveaux dans la conceptualisation de l’ac-culturation comme nous venons de l’exposer. Les modes d’acculturation des sous-cultures diffèrent ils en fonction de la distance cultu-relle entre sous-culture d’origine et culture d’accueil ?

Les modes d’acculturation des sous-cultures d’origine

Nous nous sommes basés uniquement sur les réponses des consommateurs immigrés pour identifier des profils d’acculturation et les comparer à ceux de la littérature (les en-fants d’immigrés ont été exclus). Nous avons identifié, comme le présente le tableau 3, six profils qui sont présentés du plus faiblement acculturé (dans le sens de la plus faible adap-tation à la culture d’accueil) au plus fortement acculturé dans le tableau suivant. Le niveau d’acculturation a été établi en fonction de leur maitrise de la langue d’accueil et son utilisa-tion, de leur consommation de média de la culture d’accueil, de l’acceptation et l’adop-tion de la culture d’accueil versus de son rejet et enfin de leur maintien de la culture d’ori-gine.

La description détaillée des profils identifiés par l’analyse qualitative est présentée ci-des-sous :

• Les séparés arrivistes : il s’agit de jeunes consommateurs arrivés récemment en France. Ils ont immigré pour des raisons principalement économiques dans le but d’améliorer leurs conditions de vie. Ils ne parlent pas bien le français. La culture d’ac-cueil leur semble très différente de celle d’origine. Ils découvrent de nouvelles insti-tutions, de nouveaux espaces commerciaux et n’arrivent pas à se repérer. La barrière de la langue accentue leur distance avec la société d’accueil. Ils se réfugient alors dans leur groupe ethnique (les autres immigrés

connaissent pas leur sous-culture d’origine comme leurs parents. De leur culture d’ori-gine, ils ne connaissent que ce qui leur a été transmis par leurs parents ou bien ce qu’ils ont pu découvrir lors de voyages dans le pays d’origine de leurs parents. Samy, un Français d’origine kabyle, âgé de 22 ans, habitant à Grenoble a confié :

« Le problème ici en France, c’est que ni je suis Français, ni je suis Algérien. La politique nous considère comme des étrangers, mais désolé je suis Français, je suis né en France, j’ai grandi en France c’est mon pays avant tout, je ne suis pas venu du Bled….J’aime beau-coup l’Algérie mais je ne parle ni kabyle ni arabe, je connais quelques mots, c’est tout. Quand j’étais petit, j’y allais chaque année avec mes parents mais maintenant, j’y vais une fois tous les deux ou trois ans juste pour voir la famille, tu comprends je préfère les vacances en Espagne ou ici en France car le prix du billet du Bled n’est pas donné et en plus là-bas à part la plage il n’y a rien ».

Sur les 10 répondants d’origine algérienne (5 Kabyles et 5 Oranais), nous n’avons re-censé que le maintien de la langue de la sous-culture d’origine (3,2)2, de certaines pratiques religieuses comme la prière (1,2) et le Ramadhan (1,3) et la préparation de plats traditionnels de leur sous-culture (3,2). Les consommateurs issus de l’immigration ne peuvent maintenir une culture d’origine qu’ils ne connaissent pas bien généralement, ni même s’adapter à une culture d’accueil qui est par définition leur culture maternelle. Etant nés dans la société d’accueil, ces en-fants d’immigrés vont apprendre la culture de la société d’accueil à travers l’école et diffé-rents milieux sociaux avec lesquels ils sont en contact. Leur contact avec la culture d’ori-gine se résume à des voyages ou à certains éléments transmis par les parents. Pour ces

2/ Ces chiffres correspondent aux nombres de ré-pondants Kabyles et Oranais respectivement.

Page 191: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 191

Tabl

eau

3 : L

es m

odes

d’a

ccul

tura

tion

des

cons

omm

ateu

rs a

lgér

iens

imm

igré

s en

Fra

nce

dans

les

deux

sou

s-cu

lture

s

Prin

cipa

les

cara

ctér

istiq

ues

du p

rofil

Les

sép

arés

ar

rivi

stes

(1,

4)(1

)

Les

sép

arés

nos

tal-

giqu

es (

2,3)

Les

inté

grés

(8,

3)L

es c

osm

opol

ites

(1,2

)L

es p

ré-a

ccul

turé

s (2

,2)

Les

hyp

er-

assi

milé

s (1

,1)

Dur

ée d

e ré

side

nce

Infé

rieu

re à

troi

s an

sPl

us d

e 15

ans

Ent

re 1

0 et

20

ans

Ent

re 5

et 2

6 an

s (s

embl

e no

n pe

rtin

ente

pou

r ce

pr

ofil)

Ent

re 3

et 1

2 an

s (s

embl

e no

n pe

rtin

ente

pou

r ce

pr

ofil)

Ent

re 9

et 3

2 an

s

Rai

son

d’im

mig

ratio

nE

cono

miq

ues

Eco

nom

ique

s et

fa

mili

ales

(po

ur

les

fem

mes

aya

nt

rejo

int l

eurs

épo

ux)

Eco

nom

ique

s et

re

grou

pem

ent

fam

ilial

Eco

nom

ique

et

sécu

rita

ire

Pers

onne

lles

(non

ac

cept

atio

n de

s rè

gles

de

vie

de la

so

ciét

é d’

orig

ine)

Eco

nom

ique

s et

pe

rson

nelle

s (n

on

acce

ptat

ion

des

règl

es d

e vi

e de

la

soci

été

d’or

igin

e)

Mai

tris

e de

la la

ngue

fra

n-ça

ise

Faib

le à

très

fai

ble

Moy

enne

et f

aibl

e po

ur le

s fe

mm

es a

u fo

yer

Bon

ne à

très

bon

neT

rès

bonn

eT

rès

bonn

eT

rès

bonn

e

Mai

tris

e et

acc

epta

tion

de la

cu

lture

d’a

ccue

ilFa

ible

à tr

ès f

aibl

eFa

ible

Bon

ne à

très

bon

neT

rès

bonn

eT

rès

bonn

eT

rès

bonn

e

Atta

chem

ent à

la c

ultu

re

d’or

igin

eT

rès

fort

Trè

s fo

rt a

vec

l’in

-te

ntio

n de

ret

our

au

pays

d’o

rigi

ne

Fort

dan

s la

sph

ère

priv

éeFa

ible

Faib

leT

rès

faib

le à

in

exis

tant

Atta

chem

ent a

u m

ême

grou

pe d

’ori

gine

eth

niqu

e da

ns la

soc

iété

d’a

ccue

il

Trè

s fo

rtT

rès

fort

Fort

che

z le

s K

abyl

esFa

ible

à m

oyen

Trè

s fa

ible

Trè

s fa

ible

à

inex

ista

nt

(1) L

es c

hiff

res

entr

e pa

rent

hèse

s re

prés

ente

nt le

nom

bre

de r

épon

dant

s K

abyl

es e

t Ora

nais

cor

resp

onda

nt a

u pr

ofil.

Page 192: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

192 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

grés dans le milieu professionnel ce qui les aide à s’adapter à la culture d’accueil. Ils maintiennent par ailleurs leur culture d’ori-gine par la consommation. Ils sont mariés avec une personne originaire de la même sous-culture. Chez ces consommateurs, la culture d’origine domine l’environne-ment familial, et la culture d’accueil dans le domaine public. Ainsi, ils utilisent par exemple la langue d’origine à la maison et celle d’accueil à l’extérieur. Parfois ils mé-langent même les deux cultures. Ce mode d’acculturation a été bien plus observé chez les Kabyles (8) que chez les Oranais (3).

• Les cosmopolites : ce sont des individus ouverts à toute autre culture que celle de leur origine. Ils aiment apprendre d’autres langues, essayer d’autres cuisines, voya-ger, s’habiller avec différents styles. Ils ne cherchent pas intentionnellement à maintenir leur culture d’origine. Ils disent « prendre le meilleur de chaque culture ». Ce profil a été observé dans les deux sous-cultures, mais plus dans la sous-culture oranaise. Notons que la région d’Oran a subi de nombreuses influences étrangères (espagnole notamment) ayant laissé par-fois, dans certains domaines comme celui de la musique, une forme de multiculturali-té. Par contre, la région kabyle, caractérisée par des montagnes a été moins sujette aux influences étrangères.

• Les pré-acculturés : dans cette catégorie, sont classés les consommateurs qui ont manifesté une acculturation avant même le changement de culture (avant l’immigra-tion). Ces individus parlent couramment la langue d’accueil, ont l’habitude de visiter la France (touristes ou famille déjà immi-grée) et sont familiarisés avec la culture française. Ils ont décidé d’immigrer car ils n’acceptaient pas les normes de leur sous-culture d’origine. Ces consommateurs sont issus d’un milieu social aisé. Ce profil a été observé à nombre égal dans les deux sous-cultures. Les individus préfèrent quit-ter leur sous-culture d’origine pour retrou-

provenant de leur culture d’origine). Leur difficulté de communication, le peu de contacts sociaux avec les membres de la culture d’accueil et leur attachement à leur groupe ethnique ne permet pas d’affirmer leur rejet de la culture d’accueil. En effet, cette situation peut changer avec l’augmen-tation de la durée de résidence. Ce mode d’acculturation est plus prononcé dans la sous-culture oranaise que dans la kabyle.

• Les séparés nostalgiques : ce sont des personnes âgées qui travaillent en France depuis plus de 15 ans, mais qui attendent la retraite pour retourner dans leur culture d’origine. Ces consommateurs ont main-tenu de nombreux aspects de leur culture d’origine et rejettent en grande partie la culture d’accueil. Ils préfèrent s’entou-rer de personnes de leur culture d’origine considérant qu’elles ont les mêmes valeurs. Généralement, ces consommateurs ont financé l’achat ou la construction d’un bien immobilier dans leur culture d’ori-gine pour y habiter pendant les vacances et après la retraite. Ils disent « garder un pied là et un pied là-bas » pour représen-ter leur attachement à la fois à la société d’origine dont ils sont nostalgiques et la société d’accueil, source de leur revenu. Nous avons identifié deux Kabyles et un Oranais dans ce cas. Figurent également dans cette catégorie deux femmes au foyer, Oranaises qui ne maitrisent pas la langue d’accueil et qui ne fréquentent que des per-sonnes du même groupe ethnique ou ayant une culture assez proche de celle d’origine. Ces femmes consomment des média d’ori-gine et les média d’Orient. Elles passent la totalité des vacances scolaires d’été dans la culture d’origine et envisagent de reve-nir dans celle-ci une fois que leurs enfants auront grandi.

• Les intégrés : certains consommateurs trouvent un équilibre entre leur culture d’origine et celle d’accueil. Ils sont généra-lement salariés et mariés avec une durée de résidence entre 10 et 20 ans. Ils sont inté-

Page 193: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 193

s’ils étaient issus d’une sous-culture éloignée de la culture d’accueil.

Variables modératrices et distance culturelle

La littérature, comme nous l’avons exposé dans cet article, présente un ensemble impor-tant de variables influençant l’acculturation du consommateur, cependant peu d’études se sont intéressées à l’influence des variables psychosociales. Cette étude a permis d’iden-tifier les variables modératrices de l’accultu-ration des sous-cultures parmi les variables traditionnellement mise en évidence et les va-riables psychosociales. Certaines ont conduit à des conclusions nuancées comme dans le cas de la religiosité. Globalement, l’étude a permis également de distinguer les réponses d’une sous-culture à l’autre en fonction de la distance culturelle que perçoivent les répon-dants entre leur sous-culture d’origine et la culture d’accueil.

La durée de résidence

L’insertion du consommateur dans la culture d’accueil, l’apprentissage correct de la langue d’accueil et l’accoutumance aux nouvelles normes demandent du temps au consomma-teur immigré. Certains consommateurs (8 répondants) résidant depuis de nombreuses années en France ont confié s’être habitués à la France et avoir évolué avec le temps. Ainsi, Ameziane, un Kabyle de 48 ans a dit :

« Comme dit la chanson, avec le temps va, tout s’en va, on oublie le visage et l’on oublie la voix. Je suis en France depuis presque 20 ans, et avec le temps, j’ai appris à la connaitre, à l’aimer, à aimer les Français et puis à devenir Français. Ce n’est pas chose facile en arrivant avec sa valise. Je ne connaissais personne, puis petit à petit, à travers mes études, mon travail et mes amours, j’ai construit mon petit monde….je ne me sentais plus seul ».

ver un milieu culturel plus adéquat avec leurs convictions. Le revenu joue un rôle modérateur important dans les deux sous-cultures.

• Les hyper-assimilés : ces personnes ont adopté la culture d’accueil et préfèrent ne pas garder de lien avec leur sous-culture d’origine. Ils ne parlent pas la langue d’ori-gine, s’entourent de personnes de la culture d’accueil et ne consomment aucun produit en relation avec leur culture d’origine. Nous avons rencontré dans cette catégo-rie un individu qui a changé de nom pour couper toute relation avec son passé. Les raisons de ces choix selon ces répondants résident en une situation conflictuelle avec la sous-culture d’origine. Ce profil a été observé de la même façon (même nombre) dans les deux sous-cultures. Les raisons de l’immigration conduisent les individus à s’assimiler entièrement et abandonner leur sous-culture d’origine quelle qu’elle soit.

Certains modes d’acculturation identifiés rejoignent ceux connus dans la littérature comme les intégrés de Berry (1989, 1997) et les hyper-assimilés des post-assimilation-nistes (Askegaard, Arnould et Kjeldgaard, 2005). Cependant, nous avons identifié des profils non précisés auparavant comme les pré-acculturés et avons apporté plus de dé-tails dans le profil des séparés en les affinant selon la durée de résidence des répondants et leur âge.

Par ailleurs, il apparait à la lecture des résul-tats que la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil influence le mode d’acculturation du consom-mateur. En effet, les Kabyles sont plus du pro-fil « intégré » que les Oranais. Inversement, dans le profil « séparé », il y a plus d’Oranais. Ceci consolide notre thèse selon laquelle l’ac-culturation ne se produit pas de façon équi-valente à travers les sous-cultures. Pour les consommateurs provenant de sous-cultures proches de la culture d’accueil, il est plus facile de s’adapter à la nouvelle culture que

Page 194: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

194 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

que la famille et encore…Sinon, ce que je peux te dire sur Oran c’est que j’ai du mal à la cerner. Elle change beaucoup d’un voyage à l’autre et donc je me perds à chaque fois ».

Inversement, l’immigré adulte a forgé son apprentissage dans la société d’origine. Les normes et les valeurs de la culture (sous-culture) d’origine sont ses repères et il lui est généralement difficile de les changer en immigrant. L’immigration à un jeune âge permet à l’individu de mieux s’adapter à la culture d’accueil même si celle-ci est très différente de la sous-culture d’origine. Ainsi, l’âge de l’immigration modère l’acculturation et peut réduire la distance culturelle entre sous-culture d’origine et culture d’accueil.

Le revenu

Le revenu permet à l’individu de s’insérer dans un milieu social donné. Les répondants qui se sont le mieux adaptés à la société d’ac-cueil avaient tous un revenu élevé et ce dans les deux sous-cultures. Leurs moyens finan-ciers leur permettaient d’aller au restaurant, de faire du ski, de s’inscrire dans des activi-tés sportives et ainsi de s’insérer mieux dans la culture d’accueil. Mohamed, un architecte Oranais précisait :

« L’argent ne fait pas le bonheur mais y contribue. C’est un des principaux élé-ments m’ayant aidé à m’installer cor-rectement avec ma femme et mes filles. Quand j’ai décidé d’immigrer il y a dix ans, j’ai fait les choses à distance. J’ai eu un poste à l’école d’architecture de Grenoble et j’ai pris un logement à côté, pas loin de l’Avenue de Constantine et je trouvais que c’était bien car Constantine c’est chez nous. Mais en arrivant, je me suis très vite rendu compte que j’avais fait une grosse erreur. C’était à côté de la ville neuve, je ne pouvais pas accep-ter de vivre et surtout de faire vivre mes filles dans ce milieu. Heureusement, mon salaire me permettait de vite changer

L’analyse des réponses a montré que lorsque la durée de résidence était courte (infé-rieure à trois ans), les individus issus d’une sous-culture éloignée de la culture d’accueil étaient plus nombreux à manifester des diffi-cultés d’adaptation à la culture d’accueil. Par ailleurs, pour une durée de résidence impor-tante (entre 10 et 20 ans), il y avait plus de personnes intégrées chez les individus issus d’une sous-culture proche de la culture d’ac-cueil que ceux provenant d’une sous-culture éloignée. Ces résultats indiquent que la du-rée de résidence modère l’acculturation en influençant l’adaptation du consommateur à la culture d’accueil. Cependant cette modé-ration diffère d’une sous-culture à l’autre en fonction de la distance culturelle. Elle est plus prononcée chez les consommateurs issus d’une sous-culture proche de la culture d’ac-cueil que ceux originaires d’une sous-culture éloignée.

L’âge de l’immigration

Les répondants ayant immigré à un jeune âge se sont adaptés à la culture d’accueil plus facilement en comparaison de ceux ayant immigré adultes dans les deux sous-cultures, ce qui confirme que l’âge de l’immigration modère l’acculturation. Lorsque la personne immigre enfant, elle n’a pas suffisamment connu et appris sa culture d’origine au point de la maintenir et de s’y référer au quotidien. Les immigrés jeunes continuent leur système d’apprentissage dans la culture d’accueil, ils adoptent des normes et des valeurs de cette nouvelle culture plutôt que celles de la culture d’origine. Samira, une Oranaise de 25 ans a précisé :

« Je suis arrivée en France à l’âge de 4 ans, je parlais bien l’arabe à l’époque mais depuis je n’utilise que le français, je parle arabe uniquement avec ma grand-mère des fois, j’ai même oublié des mots. Je n’ai pas gardé grand-chose de mon enfance à Oran, tu comprends j’étais trop petite. J’ai fait l’école et l’université ici. Mes amis sont ici, là-bas, je ne connais

Page 195: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 195

musulmans et 1 un individu sans conviction religieuse.

Les analyses des réponses ont mis en avant le rôle joué par la religiosité dans les déci-sions du consommateur (encadré 4). Ceci dit, la façon dont la religiosité influence l’accul-turation du consommateur nous est apparue très complexe à ce stade de l’étude, parfois à cause de la sous-culture d’origine et parfois à cause de la différence d’interprétation de la religion (au sein d’une même sous-culture).

En ce qui concerne la sous-culture d’origine, les résultats ont montré que la religiosité dé-pendait de l’appartenance à une sous-culture ethnique. Il a semblé plus facile d’être musul-man chez les Oranais que chez les Kabyles car l’arabe est la langue maternelle des Oranais, ce qui leur facilite la pratique de l’Islam et la lecture du Coran. Par ailleurs, il n’existe pas de conflit identitaire entre les Oranais et l’Islam (les deux étant d’origine arabe). Chez les Kabyles, la religion musulmane semble parfois être un héritage forcé d’une coloni-sation arabe plutôt qu’une conviction. Samia, Kabyle de 34 ans, a confié :

d’endroit, mais il a quand même fallu attendre quelques mois le temps de pré-parer un bon dossier avec des fiches de paie etc. ».

En conséquence, il apparait que l’importance du revenu est un facteur qui réduit la distance culturelle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil, un élément que les pouvoirs publics peuvent utiliser pour mieux aider les individus immigrés à s’intégrer (encadré 3).

La religiosité

Nous avons examiné, dans l’étude qualitative, la religiosité du consommateur en demandant à chaque répondant la religion qu’il suivait (s’il y en avait une car nous avons interrogé un Kabyle qui ne s’identifiait à aucune reli-gion), s’il la pratiquait, les changements de religiosité qui se sont produits après change-ment de culture et comment sa religiosité in-fluençait son adaptation à la culture d’accueil et/ou le maintien de sa culture d’origine. Le profil religieux de notre échantillon, suite aux déclarations des répondants, est le sui-vant : chez les Oranais, il y 100% de musul-mans, chez les Kabyles, il y a 2 chrétiens, 17

Encadré 3 : Les immigrés et l’argent

D’après la banque mondiale (19 avril 2013), les envois de fonds des travailleurs immigrés vers les pays en développement ont atteint 529 milliards de dollars en 2012, dont 1,843 milliard vers l’Algérie. Ce montant bien qu’important, ne prend pas en compte les transferts informels. En effet, en Algérie les immigrés préfèrent changer les devises sur le marché parallèle qui peut rapporter 30% de plus que le change officiel.Cette étude qualitative a montré que les immigrés qui transfèrent l’argent vers leur pays d’origine ne le font pas souvent pour aider leur famille, mais plutôt pour assurer une retraite « au bled ». Ainsi, ils in-vestissent dans des achats et des constructions immobilières. Les répondants enfants d’immigrés n’ont pas l’intention de retourner vivre dans la société d’origine, qui est considérée comme une résidence de vacances. En France, comme l’a souligné l’INSEE, les immigrés vivent souvent regroupés dans des HLM. Ce regroupement ne favorise pas les échanges sociaux avec les membres de la société d’accueil, ni l’adaptation à ses normes, il favorise en revanche le maintien de la culture d’origine.Cette étude a montré également que le revenu réduit les distances culturelles et favorise l’intégration. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent utiliser ces informations pour aider les immigrés issus d’une sous-culture éloignée à s’adapter à la société d’accueil. L’accompagnement des immigrés par l’apprentissage de la culture d’accueil, éviter les habitations qui favorisent les regroupements ethniques (quartiers d’immigrés), et l’amélioration du niveau de vie réduit la distance culturelle. De ce fait, il y aura plus de mixité sociale entre immigrés et la population de la culture d’accueil, ce qui favorise leur intégration.

Page 196: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

196 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

culturelle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil est proche en termes de religiosité, plus le consommateur s’adaptera.

La religiosité est influencée également par l’interprétation de la religion. En effet, nos analyses ont montré, principalement chez les Oranais, que l’interprétation personnelle de la religion affectait la religiosité et l’accultu-ration de l’individu. Ainsi, certains individus se focalisent sur les cinq piliers de l’Islam. Ils parlent de la prière, du jeûne (Ramadhan) et parfois du pèlerinage (la Mecque) et jugent leur adaptation à la société d’accueil en fonc-tion de leur capacité à pratiquer ces éléments religieux, que cela soit sur le plan personnel (comme le courage de résister à la faim et faire le Ramadhan dans une société qui ne le fait pas, où tout le monde autour de soi mange), ou sur le plan règlementaire (accor-der un temps de prière au travail, aménager les horaires pour le Ramadhan, disposition d’un lieu de culte comme la mosquée ou une salle de prière, etc.). Ils jugent par exemple qu’ils ont du mal à s’adapter à une société dans laquelle ils ne peuvent pas pratiquer leur prière du vendredi en raison des horaires de travail ou de l’absence de mosquée.

Pour d’autres personnes, la religion intervient dans toutes les facettes de la vie, dans toutes les activités quotidiennes. Ces individus pra-tiquent différemment les cinq piliers de l’Is-lam. Concernant la prière, ils considèrent que celle-ci doit être simplement faite, à la mai-son ou ailleurs, ils ne réclament pas de lieu de culte et pensent que si elle n’est pas faite à ses horaires à cause du travail, elle sera toujours rattrapable le soir. Ils ne trouvent pas ainsi de mal à s’adapter. Chez ces personnes, les principes de l’Islam sont plus évoqués dans le cadre de la vie courante comme le travail. Ainsi, ils rejettent l’idée des aides sociales et préfèrent travailler car l’Islam rejette l’obten-tion facile de quelque chose, sans labeur, ou l’obtention d’un profit non justifié par un travail collectif (Pras et Vaudour-Legrâce,

« Je ne sais pas si je suis vraiment musul-mane ou pas, je ne connais que très peu de choses sur l’Islam, des trucs qu’on nous a forcé à apprendre à l’école. De plus je ne comprends rien à l’arabe du Coran….Nous (les Kabyles), avant nous étions des chrétiens ou des juifs, on a été envahi par les musulmans…..d’ailleurs notre hé-roïne la Kahena (Dihya) était juive, elle a même été trahie par un arabe musulman qu’elle a adopté… certains d’entre nous reviennent même à la religion d’origine (le Christianisme). On estime qu’on n’est pas des musulmans et qu’on a la liberté de choisir sa religion ».

Ainsi, il apparait qu’un lien important est fait chez les Kabyles entre leur identité ethnique et la religion qu’ils pratiquaient. Lorsqu’ils immigrent, la distance culturelle qui sépare leur sous-culture d’origine de la société d’accueil influence leur adaptation. En effet, ils disent s’adapter plus à des sociétés non arabes, non musulmanes. Arezki, un Kabyle de 29 ans précisait :

« Oui la religion est importante, déjà même dans le choix du pays d’immigra-tion. Moi je n’ai jamais pensé immigrer à Dubaï ou d’autres pays du Golfe même si j’ai un bon diplôme. Ça ne va pas! C’est un suicide pour moi. Je préfère de loin un pays dont les valeurs sont les miennes même si j’aurais eu moins de pognon. La France c’est l’idéal, je fais ce que je veux, ni je suis obligé de prier, ni d’aller à la mosquée ou de manger en cachette ».

La religiosité comme variable dans le choix du pays d’immigration n’a pas été retrouvée chez les individus de la sous-culture ora-naise. Nous avons noté également, qu’en termes de pratiques religieuses, le discours était bien plus profond et complexe avec les Oranais que les Kabyles. Ces derniers, résu-maient généralement leur religiosité à la pra-tique de la prière (sans discuter du lieu), du Ramadhan et de la consommation de certains interdits alimentaires. Ainsi, plus la distance

Page 197: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 197

Ces résultats ne permettent pas de dire si la religiosité des Oranais leur facilite (ou non) l’adaptation à la société d’accueil. Il serait intéressant de lui consacrer une étude spéci-fique afin de mieux cerner ses effets en fonc-tion de la sous-culture d’origine d’une part et des interprétations personnelles d’autre part.

La nostalgie

Les consommateurs ayant manifesté un plus fort attachement à la sous-culture d’origine et une moindre adaptation à la culture d’accueil étaient souvent nostalgiques de leur culture d’origine, ce qui confirme que la nostalgie modère l’acculturation (Stamboli, 2011). Ils se sentaient étrangers dans la culture d’ac-cueil et avaient du mal à l’accepter. Ils mani-festaient leur attachement à leur culture d’ori-gine en fréquentant des individus du même groupe ethnique et en consommant des pro-duits provenant de leur culture d’origine en disant qu’ils y trouvaient « l’odeur du Bled », c’est ce qu’a confié Tassadite, une Kabyle de 63 ans :

« La Kabylie me manque beaucoup, si j’avais les moyens je descendrai plus sou-

2007). Lakhdar, un Oranais de 54 ans a pré-cisé :

« Quand on immigre en France, on sait ce qui nous attend, on sait qu’on ne trouvera pas une mosquée pour faire la prière du vendredi alors j’estime que c’est un choix fait en connaissance de causes…Moi, mon Islam je le vois autrement, je pré-fère travailler, ce qui est obligatoire dans notre religion plutôt que de toucher des aides, mais bon des fois t’es obligé quand il n’y pas de boulot (rire). L’Islam pour moi c’est respecter les autres au quoti-dien, ne pas mentir, ne pas voler, bref tout ce que notre religion nous enseigne pour bien vivre ».

En résumé, les résultats des analyses sur la religiosité mettent en avant une différence de religiosité entre les consommateurs des deux sous-cultures en fonction de la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil. L’influence de la reli-giosité sur l’acculturation semble être plus causée par l’interprétation personnelle de la religion que par la religiosité elle-même.

Encadré 4 : Influence de la religiosité sur le comportement du consommateur

La consommation halal est souvent symbolisée dans la société d’accueil par l’interdiction de consom-mer du porc et du vin et la consommation de viande dîte halal. Les analyses effectuées dans cette étude qualitative ont montré que la religiosité du consommateur le conduisait parfois à changer profondément son comportement de consommation et ne se réduisait pas simplement à acheter des viandes halal et ne pas consommer de porc. Ainsi, les résultats montrent par exemple que :

– L’analyse de l’emballage changeait : le consommateur prend du temps et lit la composition des produits pour rechercher une éventuelle présence de porc ou ses dérivés (gélatine) ou bien d’al-cool. Ceci concerne de nombreux produits : bonbons, produits laitiers, pâtisseries, plats cuisinés (comme les poissons), etc. Même l’étiquette des cuirs des habits est analysée pour s’assurer que le cuir ne provient pas de porc.

– La perception des marques : certains consommateurs n’achètent pas des produits même certifiés halal en raison du nom de marque. Ainsi en est-il par exemple pour la marque Fleury-Michon, Cette marque commercialise du porc et fait des publicités sur ce produit. En conséquence, le consommateur l’associe à ce produit interdit par sa religion et ne la consomme pas. Certains répondants ont même dit qu’ « il pouvait y avoir du porc dans le jambon halal du moment qu’ils étaient fabriqués par les mêmes machines, sortaient de la même usine ».

– La constitution de communautés virtuelles : les consommateurs se retrouvent sur la toile, créent des forums pour échanger des informations sur des produits, des lieux de consommation qu’ils recommandent ou inversement qu’ils conseillent d’éviter les jugeant non conforme à leurs pra-tiques religieuses.

Page 198: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

198 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

avant même de changer de culture. Une fois arrivé en France, ce consommateur a consom-mé en premier les produits dont il rêvait dans sa sous-culture d’origine et qu’il ne pouvait acheter compte tenu de son faible pouvoir d’achat (prix des produits importés/salaire). Ce niveau de matérialisme élevé dans la sous-culture d’origine a conduit le consom-mateur, après immigration, à s’adapter plus facilement au mode de consommation de la société d’accueil. Ce type de matérialisme a été recensé d’une façon plus prononcée chez des consommateurs issus d’une sous-culture éloignée de la culture d’accueil. Ainsi, un niveau de matérialisme élevé avant change-ment de culture réduit la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil et favorise l’adaptation.

Dans une seconde situation, le degré de matérialisme élevé de la société d’accueil a provoqué un changement de mode de consommation chez les consommateurs après le changement de culture. A l’inverse de la situation précédente, nous n’avons pas noté de niveau de matérialisme élevé dans la sous-culture d’origine avant changement de culture. L’augmentation du niveau de matérialisme a eu lieu après changement de culture. L’immigré cherchant à s’intégrer dans une société matérialiste, a adopté des comportements de consommation matéria-listes pour s’adapter. Samia, une Kabyle de 34 ans a confié :

« Quand j’ai commencé à travailler, je ne m’habillais pas comme ça (montre ses vêtements). En fait, mes collègues s’ha-billent toutes avec des marques, elles ont des sacs Longchamp, portent de beaux costumes et tailleurs, etc. pourtant ce ne sont que des secrétaires……mais l’appa-rence est importante ! Alors, moi je ne pouvais pas être la kavia (mot algérien qui désigne une personne démodée, qui n’a pas de goût) du club. J’ai économisé moi aussi, et j’ai acheté des marques ».

vent. Mais comme je n’ai pas de sous, je fais avec les moyens du bord. On me ra-mène l’huile d’olive de mon village avec laquelle je fais mon bon couscous chaque dimanche. Il y a aussi des associations ici à Paris (20ème arrondissement), qui nous permettent de nous retrouver, de faire de la couture ensemble, de chan-ter, ça me rappelle l’ambiance de Larbaâ Nath Irathen (village kabyle) ».

Les répondants ayant le plus évoqué le re-gistre nostalgique ont par ailleurs exprimé une forte distance culturelle. A l’inverse, les personnes ayant le sentiment d’une faible distance culturelle entre leur sous-culture et la culture d’accueil étaient moins sur un registre nostalgique. Les responsables mar-keting peuvent utiliser la nostalgie auprès des consommateurs issus d’une sous-culture éloignée de la culture d’accueil pour faire des offres spécifiques. Ce sera plus le cas des immigrés d’origine oranaise (produits spé-cifiques halal) que d’origine berbère. Mais même dans ce dernier cas, on peut penser à des produits et événements spéciaux à l’oc-casion du nouvel an berbère. Globalement, plus la nostalgie est forte, plus il sera impor-tant de proposer des produits et services qui maintiennent le lien avec le pays d’origine (cartes téléphoniques, voyages, produits eth-niques) à des prix acceptables. Dans tous les cas, l’utilisation de la langue d’origine pour des produits à forte charge émotionnelle ou lorsqu’on veut s’assurer de la parfaite com-préhension du message seront opportuns.

Le matérialisme

Nous avons mis en évidence deux situations dans lesquelles le matérialisme influence l’adaptation du consommateur dans la société d’accueil.

Dans une première, le consommateur mani-festait à travers son récit un niveau de maté-rialisme plutôt élevé lorsqu’il était dans sa sous-culture d’origine. En effet, il souhaitait posséder des objets de la culture d’accueil,

Page 199: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 199

niste, considère l’acculturation et l’ethnicité comme deux variables indépendantes (Berry, 1989 ; Askegaard, Arnould et Kjeldgaard, 2005). Le consommateur peut développer un fort sentiment d’appartenance à la culture d’accueil et s’y adapter, tout en conservant son sentiment d’appartenance à sa sous-culture d’origine. Cette nouvelle approche a donné lieu à des typologies d’acculturation comme celle de Berry (1989, 1997)

Nous avons analysé dans cette étude qua-litative à quelle culture ou sous-culture le consommateur appartenait et à quel groupe ethnique il s’identifiait. Les répondants ora-nais s’identifient unanimement à l’Algérie (100%), seules quatre personnes ont rajouté le qualificatif « Oranais ». Par exemple, Mohamed, l’architecte a dit : « Je suis Algérien », alors que Samir a dit « Je suis un Algérien, Wlid Wahran (Fils d’Oran) ». Ils ont justifié leur réponse par la nationalité et par la région où ils habitaient ou bien où ils sont nés.

Les répondants kabyles s’identifient majo-ritairement à leur sous-culture d’abord (18 répondants sur 20). La nationalité n’a été citée que par la moitié des répondants. Ils ex-pliquent cette identification par l’histoire de la Kabylie qu’ils considèrent bien antérieure à celle de l’Algérie. De plus, certains d’entre eux (12 répondants) citent leur différence de culture (langue et coutumes) avec le reste de la population algérienne. Tassadite a précisé par exemple :

« Je suis Kabyle, même si mon passe-port est algérien et que j’aime l’Algérie, je ne peux pas me reconnaitre dans les autres régions. Ils ne parlent pas comme nous, n’écoutent pas la même musique, moi j’aime Ait Menguelet, eux ils ne le comprennent même pas. Prends les plats de cuisine, c’est pas pareil, ou zid ou zid (etc., etc.) » .

Par ailleurs, les Kabyles qui s’identifient ma-joritairement à leur groupe ethnique ne voient

Ce changement a été observé auprès des consommateurs des deux sous-cultures. Ainsi, quelle que soit la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil au moment du changement de culture, le matérialisme réduit la distance culturelle et influence l’acculturation du consommateur.

En conséquence, le matérialisme est une variable modératrice de l’acculturation du consommateur. Il peut réduire la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil et favoriser l’adapta-tion du consommateur.

Acculturation, identité ethnique, et sous-cultures d’origine

L’ethnicité du consommateur a été étudiée à ce jour de manière globale. Les chercheurs ont mené leurs études en se basant principalement sur les critères de nationalité, voire même de groupe de nationalités ou encore d’autres cri-tères représentant la nationalité comme le pays de naissance, le nom de famille, etc. Ils ont ignoré de ce fait, les différents groupes ethniques existants au sein d’une nation. En effet, même s’ils utilisent dans leurs travaux le terme de « sous-culture » pour indiquer une communauté ethnique (une organisation sociale), ils désignent par le terme « sous-cultures » des groupes ethniques formés sur la base de nationalité(s) comme les Turcs, les Hispaniques, les Asiatiques, etc.

La relation entre l’acculturation et l’ethni-cité ne fait pas l’objet d’un consensus chez les chercheurs. Certains travaux, notamment ceux du modèle assimilationniste, consi-dèrent que l’acculturation et l’auto-identifi-cation ethnique sont opposées. Ainsi, plus le consommateur s’auto-identifie à sa culture d’origine, plus il s’y attache, moins il s’adapte à la culture d’accueil et vice versa (Cuellar, Harris et Jasso, 1980 ; Faber, O’Guinn et McCarty, 1987). Une autre lignée de travaux, correspondant principalement au modèle bi-directionnel et au modèle post-assimilation-

Page 200: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

200 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

ethnique n’est ni opposée à l’acculturation, ni indépendante des changements culturels. Pour notre part, l’auto-identification ethnique influence l’acculturation du consommateur en fonction de la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine du consom-mateur de sa culture d’accueil. D’après Ward et Kennedy (1993), plus les différences entre les cultures sont importantes, plus l’adap-tation à la culture d’accueil est difficile. Lorsque la sous-culture d’origine est proche culturellement de la culture d’accueil, la dis-tance culturelle est réduite, et une forte auto-identification ethnique à cette sous-culture favorisera l’adaptation à la société d’accueil. Inversement, lorsque la sous-culture d’ori-gine est éloignée de la culture d’accueil, la distance culturelle est importante, et une forte auto-identification ethnique à la sous-culture freinera l’adaptation du consomma-teur à la société d’accueil. Cela s’explique selon Sam et Berry (2006) par la nécessité de perdre plus de sa culture d’origine pour s’adapter à celle d’accueil. C’est ce que révèle clairement l’étude qualitative menée sur les populations kabyles et oranaises.

Sous-cultures et nouveau modèle d’acculturation

Certains éléments forts ressortent de l’analyse du processus d’acculturation en prenant en compte les sous-cultures d’origine des indi-vidus plutôt que la culture globale (figure 3).

L’étude qualitative a montré que la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’ori-gine de la culture d’accueil est une variable médiatrice entre la sous-culture d’origine et l’acculturation. Lorsque la distance culturelle entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil est proche, l’individu s’adaptera plus facilement que lorsque la distance cultu-relle est éloignée.

L’acculturation est influencée par les va-riables modératrices traditionnellement iden-tifiées dans la littérature comme les variables socio-démographiques et celles liées à la

pas en cette identification un contraste avec la culture d’accueil mais plutôt un rapproche-ment de valeurs. Massinissa, un Kabyle de 36 ans a dit :

« Honnêtement, je me sens plus proche des Français que des autres Algériens. Chez nous à Tizi, que tu veuilles faire le Ramadhan ou pas, personne ne te juge, sauf les Arabes et l’Etat qui nous met en prison, ici, on tolère, on respecte, c’est comme les Kabyles ».

Dans ce cas, la distance culturelle est perçue comme proche entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil mais plutôt éloignée entre la sous-culture d’origine et la culture « nationale » d’origine.

Les Oranais quant à eux, perçoivent des dif-férences entre leur sous-culture et la culture d’accueil. Pour Zakia, une Oranaise de 52 ans, femme au foyer, immigrée depuis 31 ans :

« Oh mon dieu, on est où et ils sont où. A Oran, on respecte, tu ne vois pas les gens s’embrasser dans la rue, les filles s’ha-billent correctement. Ici, tu vois de tout en plein jour. Nous on prie le vendredi, eux le dimanche, alors ils nous font travailler le vendredi et pas le dimanche. L’Aïd, il ne reconnaissent pas, tu dois travailler et les enfants doivent aller à l’école sinon ils justifient l’absence, c’est pas comme Noël ou la pentecôte. Après plus de trente ans de vie en France, et avec des papiers français, je me sens toujours étrangère ».

Ainsi, plus le consommateur oranais s’identi-fie à sa culture d’origine et la maintient, plus il fait face à certaines situations probléma-tiques le conduisant parfois à faire un choix entre sa culture d’origine et celle d’accueil car elles sont différentes.

Au regard de ces résultats, il apparait que la relation entre l’acculturation et l’ethnicité ne rejoint aucune des deux approches citées dans la littérature. En effet, l’auto-identification

Page 201: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 201

de la culture d’origine et de l’adaptation à la culture d’accueil, une autre direction d’accul-turation a été identifiée : le métissage des cultures. Enfin, les modes d’acculturation des sous-cultures se rapprochent partiellement de ceux identifiés dans les recherches précé-dentes. Ainsi le mode des séparés identifié dans la littérature a été précisé en prenant en compte les variables modératrices telles la nostalgie et la durée de résidence. Mais notre étude fait apparaître de nouveaux modes d’acculturation comme les cosmopolites et les pré-acculturés.

Implications managériales et limites

Sur le plan managérial, notre étude sug-gère aux responsables marketing, pour satis-faire les besoins spécifiques des immigrants, de se baser sur les sous-cultures et la distance culturelle entre sous-culture d’origine et culture d’accueil qui est une variable média-trice antécédente de l’acculturation. En effet, pour les consommateurs provenant d’une sous-culture proche de la culture d’accueil, il n’est parfois pas nécessaire de mettre en place des offres spécifiques car leur mode de consommation est semblable à celui des consommateurs de la société d’accueil. Les responsables marketing devraient ainsi

culture d’accueil, mais aussi par les variables psychosociales. La durée de résidence, le revenu et l’âge d’immigration modèrent la relation entre la distance culturelle et la direction de l’acculturation. Des variables modératrices psychosociales, peu étudiées (matérialisme, nostalgie et identité ethnique), modèrent cette même relation. La relation entre l’auto-identification ethnique et l’accul-turation, qui ne fait pas l’objet d’un consen-sus dans la littérature, a été précisée. Cette relation dépend de la distance culturelle qui sépare la sous-culture d’origine de la culture d’accueil. Lorsque la distance culturelle est grande, les consommateurs s’identifiant for-tement à leurs sous-cultures d’origine s’adap-teront moins facilement à la culture d’accueil. Les effets de la religiosité sont quant à eux complexes et mériteraient une étude particu-lière.

L’étude a permis de distinguer une accultura-tion choisie, et une acculturation obligatoire. En effet, dans certains cas, le consomma-teur n’a d’autre choix que d’abandonner sa culture d’origine, que cela soit de façon di-recte (lorsque la loi exige certaines règles) ou de façon indirecte (lorsque l’environnement culturel de la société d’accueil ne permet pas de maintenir sa culture d’origine en dépit de la volonté de la garder). En plus du maintien

Figure 3 : Le nouveau modèle d’acculturation

Page 202: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

202 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

miner la distance culturelle entre une sous-culture d’origine et une culture « nationale » d’origine. En effet, il est probable que lorsque la sous-culture ethnique est différente de la culture « nationale » d’origine, les consom-mateurs de cette sous-culture chercheront la proximité d’autres cultures, parfois étran-gères, celles d’autres pays vers lesquels ils vont immigrer. Il serait aussi intéressant d’étudier l’acculturation à travers les géné-rations. En effet, on peut se demander par exemple si des parents intégrés vont avoir des enfants intégrés ou pas et les variables qui influencent cette acculturation intergé-nérationnelle (voire même la reculturation). Une autre voie de recherche pourrait s’orien-ter vers les sous-cultures d’accueil (comme les sous-cultures bretonne et corse en France ou flamande et wallonne en Belgique). Enfin, nous nous sommes basés dans cette étude sur des comportements déclarés, l’utilisation de méthodologies différentes serait naturelle-ment nécessaire pour généraliser les résultats obtenus.

Références

Amselle J.-L. (2004), Métissage, branchement et triangulation des cultures, Revue germanique internationale, 21, 41-51.

Audinet J. (1999), Le temps du métissage, Paris, Édi-tions de l’Atelier/Éditions Ouvrières.

Askegaard S.R., Arnould E.J. et Kjeldgaard D. (2005), Postassimilationist ethnic consumer re-search: qualifications and extensions, Journal of Consumer Research, 32, 1, 160-170.

Bécheur A. et Toulouse N. (coord.) (2012), L’ethni-cité, fabrique marketing ?, Cormelles-Le-Royal, Editions EMS.

Béji-Bécheur A., Özçaglar-Toulouse N. et Zoua-ghi S. (2007), Ethnicity, Acculturation, and Consumption in France, Congrès international de Lalonde les Maures, juin.

Beiser M., Barwick C., Berry J.W., Da Costa G., Fan-tino A., Ganesan S., Lee C., Milne W., Naidoo J., Prince R., Tousignant M. et Vela E. (1988), Menial health issues affecting immigrants and refugees, Ottawa, Health and Welfare.

concentrer leurs efforts sur les consomma-teurs provenant de sous-cultures éloignées de la culture d’accueil, ayant des modes de consommation distincts, nécessitant des offres marketing particulières. Notre étude montre que pour la mise en place par exemple d’une communication commerciale, dans laquelle la langue est le premier facteur de décodage du message, la prise en compte de la sous-culture d’origine s’impose. En effet, de nombreux consommateurs, même issus de sous-cultures proches de la culture d’ac-cueil utilisent leur langue d’origine. Mettre en place un message dans cette langue, uti-lisant les média spécifiques de cette commu-nauté, serait plus efficace que d’utiliser une langue d’origine nationale non pratiquée par la sous-culture (cas de l’arabe non utilisé par des Kabyles dans cette étude). Par ailleurs, les variables modératrices de l’acculturation mises en évidence dans cette étude peuvent constituer des critères de segmentation de la population immigrée. Pour des consomma-teurs nostalgiques par exemple de leur sous-culture d’origine, il serait judicieux d’utiliser cette variable dans des campagnes de com-munication relatives à des transferts d’argent par exemple vers la sous-culture d’origine ou dans le secteur de la téléphonie (où des cartes téléphoniques prépayées sont vendues permettent au consommateur de contacter sa famille dans la culture d’origine). Ce ne sont que quelques exemples parmi les nombreuses implications possibles, comme par exemple celles relatives au métissage culturel (déve-loppées dans le texte).

Comme toute recherche, ce travail comporte des limites. Une seule communauté d’immi-grés (les Algériens) a été étudiée, dans deux sous-cultures (kabyle et oranaise). Des re-cherches futures peuvent élargir ce travail à d’autres sous-cultures d’origine de cette com-munauté (comme les Mozabites) ou encore à d’autres communautés d’immigrés (les Turcs par exemple). La distance culturelle a été analysée entre la sous-culture d’origine et la culture d’accueil, il serait intéressant d’exa-

Page 203: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 203

Foucart J. (2009), Métissage et interculturel : une approche à partir de la transaction, Pensée plu-rielle, 2, 21, 27-39.

Gaffarel P. (2004), L’Algérie, histoire, conquêtes et colonisation, Paris, Editions Jacques Gandini.

Gordon M.M. (1964), Assimilation in American Life, New York, Oxford University Press.

Herbert M. et Sabri O. (2012), Les médias eth-niques : expansion et enjeux, in A. Bécheur et N. Toulouse (coord.), L’ethnicité, fabrique mar-keting ?, Cormelles-Le-Royal, Editions EMS, 153-176.

Hirschman E.C. (1981), American Jewish ethni-city, its relationship to some selected aspects of consumer behaviour, Journal of Marketing, 45, 3, 102-110.

Hofstede G. et Bond HM. (1988) : « The Confucius connection : from cultural roots to economic growth », Organizational Dynamics, 16,4, 5-21.

Javidan M., House R.J., Dorfman P.W., Hanges P.J., et Sully de Lucque M. (2006), Conceptualizing and measuring cultures and their consequences: a comparative review of GLOBE’s and Hofstede’s approaches, Journal of International Business Studies, 37, 6, 897-914.

Kara A. et Kara N.R. (1996), Ethnicity and consumer choice: a study of Hispanic decision processes across different acculturation levels, Journal of Applied Business Research, 12, 2, 22-34.

Kosic A., Mannetti L., et Sam D. L. (2006), Self-monitoring: a moderating role between accultu-ration strategies and adaptation of immigrants, International Journal of Intercultural Relations, 30, 2, 141–157.

Lee W.N. (1989), The mass-mediated consumption realities of three cultural groups, Advances in Consumer Research, 16, 1, 771-778.

Ng S.I., Lee J.A., et Soutar G.N. (2007), Are Hofstede’s and Schwartz’s value frameworks congruent?, International Marketing Review, 24, 2, 164-180.

Oswald L.R. (1999), Culture Swapping: consump-tion and the ethnogenesis of middle-class Hai-tian immigrants, Journal of Consumer Research, 25, 4, 303-318.

Özçaglar-Toulouse N., Béji-Bécheur A., Fosse-Go-mez M-H., Herbert M. et Zouaghi S. (2009), L’ethnicité dans l’étude du consommateur: un état des recherches, Recherche et Applications en Marketing, 24, 4, 57-76.

Peñaloza L. (1994), Atravesando fronteras/border crossings: a critical ethnographic exploration of the consumer acculturation of Mexican immi-

Belk R.W. (1985), Materialism: trait aspects of li-ving in the material world, Journal of Consumer Research, 12, 3, 265-280.

Berry J.W. (1989), Imposed etics-emics-derived etics: the operationalization of a compelling idea, International Journal of Psychology, 24, 6, 721-735.

Berry J. W. (1997), Immigration, acculturation and adaptation, Applied Psychology, 46, 1, 5-68.

Bouchet D. (1995), Marketing and the redefinition of ethnicity, in J.A. Costa et G.J. Bamossy (coord.), Marketing in a multicultural world: ethnicity, nationalism and cultural identity, Thousand Oaks, CA, Sage, 68-104.

Burke J. F. (1999), Reconciling cultural diversity with a democratic community: mestizaje as op-poser to the usual suspects, Citizenship Studies, 3, 1, 119-140.

Cleveland M., Laroche M. et Papadopoulos N. (2009), Cosmopolitanism, consumer ethnocen-trism, and materialism: an eight-country study of antecedents and outcomes, Journal of Inter-national Marketing, 17, 1, 116-146.

Cova B. et Pace S. (2006), Brand community of convenience products, new forms of customer empowerment: the case “my nutella the com-munity”, European Journal of Marketing, 40, 9, 1087-1105.

Cuellar I., Harris L.C. et Jasso R. (1980), An accul-turation scale for mexican american normal and clinical populations, Hispanic Journal of Beha-vioral Sciences, 2, 3, 199-217.

Cumming P., Lee. E. et Oreopoulos D. (1989), Ac-cess to trades and professions, Toronto, Ontario Ministry of Citizenship.

Czinkota M.R. et Ronkainen I.A. (2006), Interna-tional marketing, Fort Worth, TX, The Dryden Press.

Delener N. (1990), The effects of religious factors on perceived risk in durable goods purchase decisions, Journal of Consumer Marketing, 7, 3, 27-39.

Darpy D. (2012), Comportements du consommateur, concepts et outils, Paris, Dunod.

Emonstpool J. et Rojas Gaviria P. (2012), Bruxelles et le rêve cosmopolite, in A. Bécheur et N. Tou-louse (coord.), L’ethnicité, fabrique marketing ?, Cormelles-Le-Royal, Editions EMS, 231-250.

Faber R. J., O’Guinn T. C. et McCarty J. A. (1987), Ethnicity, acculturation, and the importance of product attributes, Psychology & Marketing, 4, 2, 121-134.

Page 204: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

204 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

Üstüner T. et Holt D.B. (2007), Dominated consu-

mer acculturation: the social construction of

poor migrant women’s consumer identity pro-

jects in a Turkish squatter, Journal of Consumer

Research, 34, 1, 41-56.

Tylor E. (1958), Primitive culture, New York: Harper

Torchboks, Harper and Row.

Wallendorf M. et Reilly M.D. (1983), Ethnic migra-

tion, assimilation, and consumption, Journal of

Consumer Research, 10, 3, 292-302.

Ward C. et Kennedy A. (1993), Where‘s the “culture“

in cross-cultural transition? Comparative studies

of sojourner adjustment, Journal of Cross-Cultu-

ral Psychology, 24, 2, 221-249.

Zouaghi S. et Béji-Bécheur A. (2011), Hamman,

soin du corps et soins de soi: espace ethnique et

réduction des tensions identitaires, Perspectives

culturelles de la consommation, 1, 1, 79-108.

grants, Journal of Consumer Research, 21, 1, 32-54.

Pras B. et Vaudour-Legrâce C. (2007), Marketing et Islam, des principes forts et un environnement complexe, Revue Française de Gestion, 33, 171, 195-223.

Sam D. L. et Berry J.W. (2006), Cambridge hand-book of acculturation psychology, Cambridge, Cambridge University Press.

Schouten J.W. et McAlexander J.H. (1995), Sub-cultures of consumption: an ethnography of the new bikers, Journal of Consumer Research, 22, 1, 43-61.

Stamboli C.(2011), Les influences de la nostalgie sur l’acculturation et la consommation: Le cas des immigrés turcs en France, Sarrebruck, Editions universitaires européennes.

Tartakovsky E. et Schwartz H. (2001), Motivation for emigration, values, wellbeing, and identifica-tion among young Russian Jews, International Journal of Psychology, 36, 2, 88-99.

Page 205: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Sociétal – 205

Ann

exe

A1

: Var

iabl

es s

ocio

dém

ogra

phiq

ues

et r

elat

ives

à la

cul

ture

d’a

ccue

il, m

odér

atri

ces

de l’

accu

ltura

tion

Var

iabl

eD

éfini

tion

Influ

ence

sur

l’ac

cult

urat

ion

Var

iabl

es

soci

o-dé

mo-

grap

hiqu

es

L’âg

e d’

arri

vée

à la

cul

ture

d’

accu

eil

Qua

nd la

per

sonn

e es

t jeu

ne, e

lle e

st e

ncor

e en

pro

ces-

sus

de c

onst

ruct

ion

iden

titai

re e

t ne

conn

ait p

as b

ien

sa

cultu

re d

’ori

gine

Ada

ptat

ion

à la

cul

ture

d’a

ccue

il d’

auta

nt p

lus

rapi

de q

uand

la p

erso

nne

s’es

t in

séré

e tô

t dan

s la

cul

ture

d’a

ccue

il (B

eise

r et

al.,

198

8 ; K

ara

et K

ara,

199

6 ;

Cle

vela

nd, L

aroc

he e

t Pap

adop

oulo

s, 2

009)

Le

genr

eD

iffé

renc

es e

ntre

hom

mes

et f

emm

esD

ans

les

cultu

res

hisp

aniq

ues,

les

fem

mes

ont

plu

s de

mal

à s

’ada

pter

à u

ne

nouv

elle

cul

ture

que

les

hom

mes

(B

eise

r et

al.,

198

8). E

pous

es, s

ouve

nt c

an-

tonn

ées

aux

tâch

es m

énag

ères

, iso

lées

soc

iale

men

t dan

s la

soc

iété

d’a

ccue

il,

surt

out s

i pro

blèm

e de

maî

tris

e de

la la

ngue

d’a

ccue

il et

difi

culté

s d’

adap

tatio

n

Le

nive

au

d’éd

ucat

ion

Edu

catio

n (c

onsi

déré

e co

mm

e un

e re

ssou

rce

pers

onne

lle)

perm

etta

nt à

l’in

divi

du d

e m

ieux

ana

lyse

r le

s pr

oblè

mes

et

de

trou

ver

des

solu

tions

(B

erry

, 199

7) :

inci

denc

e su

r la

maî

tris

e de

la la

ngue

d’a

ccue

il, le

rev

enu,

le s

tatu

t pr

ofes

sion

nel,

le r

ésea

u so

cial

.

Un

haut

niv

eau

d’éd

ucat

ion

favo

rise

une

mei

lleur

e ad

apta

tion

à la

cul

ture

d’

accu

eil (

Bei

ser

et a

l., 1

988)

Le

stat

ut

soci

alU

ne d

imin

utio

n du

sta

tut s

ocia

l infl

uenc

e né

gativ

emen

t l’a

dapt

atio

n à

la

cultu

re d

’acc

ueil,

ave

c se

ntim

ent d

e dé

valo

risa

tion

(Cum

min

g, L

ee e

t Ore

o-po

ulos

, 198

9) e

t ave

c de

s di

fficu

ltés

à ac

cept

er le

s rè

gles

de

cette

soc

iété

(B

erry

, 199

7).

La

duré

e de

side

nce

Plus

la d

urée

de

rési

denc

e es

t gra

nde,

plu

s l’

imm

igré

s’a

dapt

e à

la c

ultu

re

d’ac

cuei

l et s

’ass

imile

(W

alle

ndor

f et

Rei

lly, 1

983)

.

Var

iabl

es

rela

tives

à

la c

ultu

re

d’ac

cuei

l

La

man

ière

d’

accu

eilli

r un

indi

vidu

Un

bon

accu

eil f

avor

ise

les

inte

ract

ions

soc

iale

s, l’

appr

entis

sage

des

nor

mes

, l’

inté

grat

ion

des

vale

urs

et l’

adap

tatio

n à

la c

ultu

re d

’acc

ueil(

Ber

ry, 1

997)

. A

l’in

vers

e, u

n ac

cuei

l nég

atif

, ent

raîn

e un

sen

timen

t d’e

xclu

sion

et f

rein

e l’

adap

tatio

n.

Mod

ifica

tion

de la

cul

ture

d’

accu

eil

Les

dép

lace

men

ts f

réqu

ents

des

hab

itant

s de

la c

ultu

re

d’ac

cuei

l ver

s le

pay

s d’

orig

ine

des

imm

igré

s (c

omm

e le

s Fr

ança

is v

ers

le M

aghr

eb)

enge

ndre

nt la

con

nais

sanc

e, la

fa

mili

aris

atio

n et

l’ap

pren

tissa

ge d

e la

cul

ture

d’o

ri-

gine

de

la p

opul

atio

n qu

i a im

mig

rée.

Plus

l’in

divi

du r

etro

uve

des

élém

ents

de

sa c

ultu

re d

’ori

gine

dan

s la

cul

ture

d’

accu

eil,

plus

il s

’ada

pter

a à

la n

ouve

lle c

ultu

re (

Ber

ry, 1

997)

Le

cosm

opo-

litan

ism

eU

n in

divi

du c

osm

opol

ite, o

uver

t aux

aut

res

cultu

res,

s’a

dapt

e fa

cile

men

t. à

la

cultu

re d

’acc

ueil

ou à

d’a

utre

s cu

lture

s pr

ésen

tes

dans

la s

ocié

té (

Em

onst

pool

et

Roj

as G

avir

ia, 2

012)

. Par

exe

mpl

e, u

n A

ngla

is im

mig

ré e

n Fr

ance

peu

t s’

adap

ter

à la

cul

ture

chi

nois

e qu

’il a

ppre

ndra

en

Fran

ce g

râce

à la

com

mu-

naut

é de

Chi

nois

imm

igré

s en

Fra

nce.

Page 206: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 207: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013 – 207

Politique éditoriale et instructions aux auteurs

1 – Contributions attendues

Décisions Marketing (DM) est une revue acadé-mique qui a pour mission de diffuser des résultats de recherches orientées vers la prise de décision en marketing.

Les articles peuvent être soumis soit dans le track général couvrant tout type de proposition en cohé-rence avec le positionnement de la revue, soit dans les 3 tracks spécialisés (rubriques): marketing digi-tal, communication ou marketing stratégique.

Les articles publiés s’appuient sur des recherches qui traitent de concepts et de méthodes pertinents en termes de prise de décision marketing avec une problématique clairement énoncée et une vision cri-tique. Ils permettent également de faire connaître des concepts, méthodes et pratiques émergentes ou en forte croissance. Les propositions présentent des points de vue originaux et reposent sur une méthodo-logie rigoureuse ; cette dernière peut être présentée sous forme d’encadrés détaillés, si cela facilite la lisi-bilité globale de l’article. Les implications en matière de prise de décision sont largement développées.

D’une manière générale, les propositions doivent pouvoir répondre aisément à la question finale : « Qu’est-ce que l’on ne savait pas avant cette re-cherche et que l’on sait dorénavant ? ». Ces contri-butions doivent être énoncées dans le résumé.

2 – Envoi et suivi des propositions

Les propositions peuvent être soumises à la revue en français ou en anglais. Dans le cas d’un article ou une rubrique en anglais, la version finale sera à traduire en français aux frais de l’auteur.

Les auteurs choisissent eux-mêmes le track de soumission en fonction du thème de leur proposi-tion : général ou spécialisé. Si le thème de contri-

bution s’inscrit dans plusieurs tracks, ou est à cheval entre le track général et un track spécialisé, le choix de l’auteur est prioritaire. Néanmoins, en cas de d’erreur manifeste, les rédacteurs en chef ou le res-ponsable de track pourront réorienter la contribution vers le processus administratif adéquat.

Les propositions d’articles du track général sont envoyées par e-mail sous format électronique (fichier Word) au secrétaire de rédaction : Lau-rent Maubuisson [email protected] ainsi qu’aux deux co-rédacteurs en chef : Elisabeth Tissier-Desbordes ([email protected]) et Jean-Luc Giannelloni ([email protected])

Les propositions d’articles pour les tracks spé-cialisés (rubriques) sont envoyées par e-mail sous format électronique (fichier Word) au responsable du track concerné :

« Communications » Jean-Marc Decaudin ([email protected])

« Digital » Christophe Benavent ([email protected])

« Stratégies » François Courvoisier ([email protected])

ainsi qu’au secrétaire de rédaction des ru-briques : Cyrielle Vellera [email protected]

L’ensemble du processus de révision ainsi que les échanges avec les rédacteurs en chef, les respon-sables de rubriques, et avec les assistants de rédac-tion se font par e-mail.

3 – Processus d’évaluation

Tous les articles, quel que soit le track suivi (général ou spécialisé), sont soumis à évaluation anonyme

Page 208: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

208 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

(trois lecteurs). Pour le track général, les co-rédac-teurs en chef prennent conjointement les décisions finales d’acceptation d’un article, de modification ou de rejet ; pour les tracks spécialisés, la décision finale d’acceptation est prise conjointement par les rédacteurs en chef sur proposition du responsable de track.

Pour les articles du track généraliste, ce sont les rédacteurs en chef qui choisissent les lecteurs et gèrent la totalité du processus de révision ; pour les tracks spécialisés, chaque responsable de rubrique a en charge la gestion respective de son processus de révision (choix des lecteurs, modifications, rejet, proposition d’acceptation).

4 – Format et normes editoriales

Les formats (longueur, style, nombre de réfé-rence, etc.) sont identiques pour tous les articles, du track généraliste ou des tracks spécialisés.

Dans un souci d’harmonisation et de lisibilité, le titre d’un article ou les sous-titres peuvent être mo-difiés. Une réécriture de quelques phrases peut être effectuée par les co-rédacteurs en chef.

• La longueur de la contribution ne doit pas dé-passer 20 pages (tableaux, figures et références compris), sur la base d’une police Times New Roman12, avec des marges de 3 cm sur chaque côté et une interligne de 1,5. Ces 20 pages ne com-prennent pas la page de titre et les résumés.

• Le nombre total de mots doit être inférieur à 8000.

• Les références bibliographiques ne doivent pas dépasser 25.

• Le style : l’ensemble du document doit être for-maté en style « Normal » (ne pas utiliser les autres styles prédéfinis par Word).

• Un double saut de ligne doit être effectué entre l’introduction, les différentes parties et la concluions

• Un saut de ligne doit être pratiqué entre chaque paragraphe

• La première page indique le titre de l’article, les noms de l’auteur et co-auteurs éventuels, leur ins-titution d’appartenance (sans mentionner la fonc-tion), coordonnées complètes (adresse profession-nelle et e-mail) et les éventuels remerciements. La deuxième page d’un article comporte le titre, un résumé (entre 5 et 8 lignes maximum) et des mots-clés en français, suivis du titre, du résumé et des mots-clés traduits en anglais. Le résumé doit être clair, précis, bien écrit, et présenter la contribution de l’article. Le texte proprement dit commence en page 3. Il démarre directement sans mettre

Introduction en en-tête. En fin d’article, de ru-

brique ou de tribune, il est suivi par les références

bibliographiques et les éventuelles annexes.

• Titres de paragraphes : Faire des titres synthé-

tiques (pas plus de 10 mots si possible). Ne pas

utiliser les styles de titres et sous-titres prédéfinis

par Word. Les présenter de la façon suivante :

Titre 1 (Times New Roman 14, en gras, justifié à

gauche)

Sous-titre 1 (Times New Roman 14, normal, justifié

à gauche)

Sous-titre 2 (Times New Roman 12, italique, justifié

à gauche)

• Encadrés : Les encadrés sont insérés dans le

texte. Dans le texte, ne pas indiquer « (voir l’enca-

dré) » ou « (cf. encadré) », mais mettre : (encadré

7). Indiquer l’endroit où il faut insérer l’encadré.

Les encadrés sont réalisés selon le modèle ci-des-

sous (ne mettre le texte qu’avec une ligne dessus

et une ligne dessous l’encadré et ne mettre aucune

ligne sur les côtés). Exemple :

Encadré 7 : Titre en times new roman 12, centré

De nombreuses entreprises…

• Tableaux et figures : Les tableaux et figures (ou

visuels) sont insérés dans le corps du texte à

l’endroit qui semble le plus logique à l’auteur (et

non pas renvoyés en fin d’article). Les tableaux

sont réalisés selon le modèle ci-dessous (ne pas

tracer les lignes ou colonnes sauf pour la première

ligne des titres). La mise en page finale, réalisée

par l’éditeur, prendra en compte ses souhaits, en

tenant compte des impératifs techniques et des as-

pects esthétiques. La réalisation doit être impec-

cable et permettre une reproduction directe. Il est

important d’éviter les dégradés de gris pour assu-

rer une reproduction de haute qualité. Les articles

ne remplissant pas cette condition sont renvoyés

aux auteurs avec proposition de facturation pour

une réalisation correcte.

Dans le corps du texte, on indique la référence du

tableau (ou de la figure) (ne pas indiquer « voir le »,

« voir la », « cf. le »,…). Les titres des tableaux ou

figures sont à présenter ainsi : Exemple :

Page 209: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013 – 209

Tableau 2 : Titre du tableau en times new roman 12, cadré à gauche

Variables expliquées

Coefficients R2

Compréhension 0,4810,359

0,542

Intention d’utilisation

0,141 0,018

Lecture réflexe 0,140 0,019

Confiance dans le produit

0,345

0,160

0,162

• Notes de bas de page : les notes de bas de page sont en nombre limité. Le renvoi apparaît au bas de chaque page, la numérotation étant continue sur l’ensemble du document.

• Normes et présentation des références biblio-graphiques :

Une référence bibliographique est repérée dans le texte par le ou les noms de l’auteur(s), suivie de l’année.

Les références bibliographiques sont en fin d’ar-ticle, (par ordre alphabétique d’auteurs).

Les normes de présentation sont identiques à celles de la revue RAM :

Dans le texte, les citations de référence apparaîtront entre parenthèses avec le nom et la date de parution, ex : (Laurent, 1990). Dans le cas d’un nombre de co-auteurs supérieur à trois, on utilisera la men-tion et al. après le nom du premier auteur. Si deux références ont le même auteur et la même année de parution, on les différenciera par des lettres.

Exemple : (Dupont, 1990a). Ces lettres apparaîtront aussi dans la bibliographie.

- Périodiques :

Liste des auteurs incluant l’initiale de leur prénom, suivie de l’année de la publication, du titre de l’ar-ticle, du nom du périodique (sans abréviation) en italique, du numéro du volume, du numéro du périodique dans le volume et du numéro des pages.

Exemple : Sempé L. (2000), Une échelle de mesure de l’appartenance aux cercles sociaux : analyse fac-torielle confirmatoire multiniveaux, Recherche et Applications en Marketing, 15, 2, 43-58.

- Périodiques en anglais :

Utiliser les mêmes normes de présentation que pré-cédemment (majuscule uniquement en début de titre).

Exemple : Garbarino E.C. et Edell J.A. (1997), Cog-nitive effort, affect, and choice, Journal of Consum-er Research, 24, 2, 147-158.

- Ouvrages :

Liste des auteurs incluant l’initiale de leur prénom, suivie de l’année de la publication, du titre de l’ou-vrage en italique, du lieu de publication et du nom de la société éditrice.

Exemple : Desmet P. et Zollinger M. (1997), Le prix : de l’analyse conceptuelle aux méthodes de fixation, Paris, Economica.

- Ouvrages coordonnés (« edited » en anglais) :

Les ouvrages coordonnés ou réalisés sous la direc-tion d’une ou plusieurs personnes (qualifiées d’edi-tors en anglais) doivent être traités de la manière suivante :

Exemples : Hénault A. (coord.) (2002), Questions de sémiotique, Paris, PUF. Earl P.E. et Kemp S. (coord.) (1999), The Elgar companion to consumer research and economic psychology, Cheltenham, Edward Edgar Publishing.

- Extraits d’ouvrages :

Liste des auteurs incluant l’initiale de leur prénom, suivie de l’année de la publication, du titre du cha-pitre, du titre du livre en italique, de l’initiale du pré-nom et du nom du ou des coordinateurs (editor(s) en anglais) précédé de “ in ”, du lieu de la publica-tion, du nom de la maison d’édition et du numéro des pages.

Exemples :

Maille V. et Siekershi E. (2006), Comment gérer les sensations tactiles ?, in S. Rieunier (coord.), Le mar-keting sensoriel du point de vente, Paris, Dunod, 169-203.

Lilien G. (1994), Marketing models: past, present and future, in G. Laurent, G. Lilien et B. Pras (co-ord.), Research traditions in marketing, Boston, MA, Kluwer, 1-20.

- Papiers non publiés :

Les références à des papiers non publiés, des thèses, etc. doivent mentionner la liste des auteurs incluant l’initiale de leur prénom, suivie de l’année de la sou-tenance ou de la présentation ainsi que du titre. Les mots “ rapport ”, “ papier de recherche ”, “ thèse ”, etc. ne doivent pas être mis en italique. Ne pas ou-blier d’inclure le nom de l’Université ou de l’École, ainsi que le lieu de la soutenance ou de la présen-tation.

Exemples :

Tourtoulou A-S. (1996), Marques nationales, marques de distributeurs et premiers prix : effets

Page 210: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

210 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013

de leurs mises en avant sur les ventes et la structure concurrentielle de la catégorie de produits, Thèse de doctorat en sciences de gestion, École HEC, Jouy-en-Josas.

Schmitz J., Armstrong G. et Little J. (1990), Cover-story: automated new findings in marketing, papier présenté à la Conférence Decison Support Systems, Cambridge, MA.

Simonson I. (2007), Will I like a “medium” pillow? Another look at constructed and inherent prefe-rences, papier de recherche, département marketing, Université Stanford. (et non “ working paper ”)

- Actes de colloque ou conférence ayant fait l’ob-jet d’une publication :

Les citations d’actes de colloques sont traitées comme les extraits d’ouvrages. Il faut indiquer dans l’ordre : la liste des auteurs incluant l’initiale de leur prénom, suivie de l’année de la publication, du titre de l’article, de l’initiale du prénom et du nom du ou des coordinateurs (editor(s) en anglais) précédé de “ in ”, de l’intitulé du colloque mis en italique, du numéro du volume, du lieu de la publication, du nom de la maison d’édition et du numéro des pages.

Exemples :

Ngobo P.V. (1998), Les relations non linéaires entre la satisfaction, la fidélité et les réclamations, in B. Saporta (coord.), Actes de la Conférence de l’Asso-ciation Française du Marketing, IAE Bordeaux, 641-670.

Vanden Abeele P. et MacLachlan D. (1994), Process tracing of physiological responses to dynamic com-mercial stimuli, in C. Allen et D. Roedder-John (co-ord.), Advances in Consumer Research, 21, Provo, UT, Association for Consumer Research, 226-232.

- Citations de ses propres travaux :

Dans le cas où les auteurs souhaiteraient faire réfé-rence à un ou plusieurs de leurs travaux, il est essen-tiel que la formulation utilisée préserve l’anonymat. Si cela se révèle impossible, utiliser dans le texte ainsi que dans les références bibliographiques la formule : (auteur ou co-auteur, date), par exemple (auteur, 1996). Les références bibliographiques se-ront complétées une fois le papier accepté.

5 – Déontologie et Copyright

Les articles proposés à la revue doivent être origi-naux.

Il n’est pas envisageable de soumettre simultané-ment un même article à deux revues. En revanche,

les articles soumis peuvent avoir été présentés à des conférences sans copyright (notamment le Congrès de l’AFM) mais doivent être retravaillés pour être conformes au positionnement scientifique et aux normes éditoriales de la revue.

Les co-rédacteurs en chef (hormis les éditoriaux dont ils ont la responsabilité) et responsables de tracks ne peuvent soumettre des contributions (ar-ticles ou rubriques) à la revue durant leur mandat. Il en va de même pour le rédacteur en chef invité d’un numéro spécial. En cas de proposition soumise avant leur mandat et qui serait encore dans le pro-cessus d’évaluation à leur prise de fonction, c’est le co-rédacteur en chef sortant ou le directeur de la publication qui est responsable du processus ; en cas d’acceptation du papier, ce point sera précisé dans une note de bas de page accolée au titre de la contri-bution.

Lorsqu’une proposition d’article émane d’un auteur membre d’un même centre de recherche qu’un des deux co-rédacteurs en chef, c’est l’autre co-rédac-teur en chef qui gère le processus de révision ; il en va de même s’il s’agit d’un ancien doctorant qui sou-met un papier dans l’année qui suit sa thèse. Dans des cas similaires soumis à un responsable de track spécialisé (rubriques), ce sont les co-rédacteurs en chef ou le directeur de publication qui gèrent le pro-cessus.

Les assistants de rédaction peuvent, durant leur mandat, soumettre des propositions à la revue. Dans ce cas, le processus d’évaluation est externalisé et confié au directeur de la publication ; en cas d’accep-tation de la proposition, ce point sera précisé dans une note de bas de page accolée au titre de la contri-bution.

Le copyright appartient à la revue Décisions Mar-keting. Les déclinaisons sur d’autres supports sont également soumis au copyright (ouvrages, CD Rom, base de données, site web...).

Pour toute information complémentaire, contacter les co-rédacteurs en chef :

Elisabeth TISSIER-DESBoRDES [email protected]

ou

Jean-Luc GIANNELLoNI [email protected]

Page 211: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 212: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 213: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 214: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives
Page 215: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013 – 215

Tarifs 2014

Abonnement pour 4 numéros :• France 92 €

• Étranger 106 €

Vente au numéro :

• France 27 €

• Étranger 27 €

Les demandes d’abonnement et le règle-ment s’effectuent auprès de l’éditeur :

ÉDITIONS MANAGEMENT ET SOCIÉTÉ17, rue des Métiers14123 Cormelles-le-RoyalTél.(33)(0)2 31 35 76 95 Fax (33)(0)2 31 35 76 [email protected]

Publicité

Pour tout renseignement, contacter :Christelle DubailleESSEC Business School / BP 10595021 Cergy Cedex

Tél.(33)(0)1 34 43 33 60

Membres de l’AFM

Les membres de l’Association Française de Marketing peuvent effectuer leur règlement directement au tarif spécial d’abonnement (France 70 € , Étranger 80 € ) à :ASSOCIATION FRANÇAISE DE MARKETINGc/o ESCP Europe79, avenue de la République75543 Paris Cedex 11Tél.(33)(0)1 49 23 20 35Fax (33)(0)1 49 23 20 36

Ventes et abonnements

Page 216: Décisions Marketing: Enjeux et perspectives

Revue imprimée sur papier recyclé,par un imprimeur détenant le label

Imprimé en France par Corlet Imprimeur, SA.

Z.I., Route de Vire – 14110 Condé-sur-NoireauN° d’imprimeur :

Édité par EMS, marque d’IN QUARTo SARLConception/Réalisation : In Quarto/EMS

Dépôt légal : décembre 2013ISSN 0779-7389

© Association Française du MarketingAFM c/o ESCP

79, avenue de la RépubliqueF-75543 Paris Cedex 11