De La Plume Au Clavier_Velay_Dunod
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De la plume au clavier :
Est-il toujours utile denseigner lcriture manuscrite ?
Jean-Luc Velay(1), Marieke Longcamp(1) & Marie-Thrse Zerbato-Poudou(2)
(1) Institut de Neurosciences Cognitives de la Mditerrane (CNRS UMR 6193), 31 chemin Joseph Aiguier, 13402 Marseille cedex 20
(2) IUFM, Universit de Provence, 63 La Canebire 13001 Marseille Rsum Quelle consquences lusage du clavier, qui change la relation entre le mouvement et la trace produite, aurait-il sil devenait systmatique pour apprendre crire ? Une tude dimagerie crbrale (IRMf) chez ladulte montre quune zone corticale prmotrice, qui est active pendant lcriture, est aussi active pendant la simple observation des lettres. Un certain nombre darguments nous permettent davancer lide que la lecture mettrait automatiquement en jeu une forme dcriture interne. Dans une tude lcole maternelle, nous avons compar lapprentissage traditionnel de la lecture/criture et lapprentissage avec un clavier. Aprs lapprentissage, les enfants qui avaient appris la main reconnaissaient mieux les lettres que ceux qui avaient appris au clavier. Parce que nous apprenons simultanment lire et former les lettres en les traant, nos aptitudes la lecture pourraient en partie dpendre de notre manire dcrire. Lcrit face aux nouvelles technologies
Lcriture ds son origine a t confronte la matire. Du roseau biseaut qui marquait
largile, au clavier de lordinateur, en passant par le plomb du linotypiste et la plume du
copiste, lHomme a de tout temps d inventer, pour crire, des gestes, des techniques alliant
fonctionnalit et conomie [1]. Au fil du temps, le geste sest peu peu modifi; aujourdhui,
avec lusage du clavier et de la souris, il devient de plus en plus virtuel. Le mode dcriture (et
de lecture ?) peut-tre le plus pratiqu actuellement est lcriture sur ordinateur, depuis lessor
des ordinateurs domestiques et lavnement des logiciels de traitement de texte. De
nombreuses tudes ont mis en vidence les changements induits par lusage des outils
informatiques sur notre faon dcrire. Un des changements imposs par lusage des
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ordinateurs a peut-tre moins retenu lattention : il sagit des modifications dcriture lies
lusage du clavier.
Le clavier modifie drastiquement le geste dcriture et ses corrlats sensorimoteurs. Cela a
probablement des consquences chez les personnes qui crivent trs souvent au clavier au
cours de leur activit professionnelle : quand elles sont amenes crire la main, elles
prouvent souvent une certaine difficult et laspect de leur criture est parfois modifi. En
dpit de cela, les consquences du changement de mode d'criture chez l'adulte, si elles sont
avres, peuvent probablement tre considres comme minimes. En revanche, il pourrait en
aller tout autrement si les claviers taient systmatiquement utiliss par de trs jeunes enfants.
Or, lutilisation dominante du clavier, qui est aujourdhui limite au adultes, pourrait demain
stendre des enfants trs jeunes, avec lintroduction de plus en plus prcoce de cet outil
lcole. Lvolution des mentalits embotant le pas celle des techniques, certains jusquau-
boutistes nhsitent pas poser la question : pourquoi ne pas apprendre crire
directement au clavier ? . Pose aussi brutalement, cette question choque et provoque dans
un premier temps des ractions violentes ; la plupart dentre nous considrent comme une
rgression lventuelle disparition dune activit comme lcriture manuscrite, qui est le fruit
dune lente volution technique, culturelle, sociale et peut-tre biologique. Ensuite, on se
rassure en se disant que a nest pas pour demain. Mais il ne faut pas sous-estimer les
pressions techniques et surtout conomiques qui induisent de nouveaux comportements. La
mme volution sest produite par exemple pour le dessin industriel, o les pratiques
actuelles, grce aux nouvelles technologies (conception assiste par ordinateur ou CAO), se
diffrencient trs fortement des anciennes, notamment parce que lactivit manuelle y est trs
grandement limine [2]. On doit sinterroger sur la rduction de lactivit manuelle impose
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par ces nouveaux outils, rduction qui pourrait conduire un appauvrissement des
reprsentations spatiales pour les utilisateurs.
En serait-il de mme si le stylo cdait peu peu la place au clavier ? Cest un problme qui
proccupe aujourdhui les pdagogues. Les changements ne concerneraient-ils que la forme
ou bien toucheraient-ils la nature mme de lcrit, la reprsentation interne que nous en
avons ? Quelles rpercussions auraient-ils sur les aptitudes la lecture ? Derrire ces
questions thoriques des relations entre lecture et criture se dissimule celle, toujours trs
sensible, de lillettrisme. Quoi quil en soit, on peut sinterroger sur la pertinence des
mthodes dapprentissage de lcriture qui, jusqu un pass trs rcent, imposaient un certain
type de rapports avec lcrit. Cette interrogation des sciences de lducation voque deux
questions importantes des neurosciences cognitives: - celle du rle cognitif de la motricit, - et
celle de la reprsentation crbrale du langage crit.
Les mouvements structurent les reprsentations spatiales
Percevoir de faon cohrente les relations spatiales entre les divers lments du monde qui
nous entoure ne nous est pas donn priori : cela doit sapprendre au cours de lenfance.
Cest pendant cette priode de dveloppement que se mettent en place les reprsentations
spatiales qui serviront ensuite au dcodage des signaux sensoriels. Les mouvements
volontaires, et en particulier les mouvements de manipulation, jouent un rle dterminant
dans ce processus. Comme le souligne Paillard [3], Lappareil moteur des organismes
apparat comme une structure assimilatrice, transformatrice et gnratrice dordre spatial. .
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Certaines proprits des objets nous sont accessibles par la vue (forme, couleur, taille),
dautres par le toucher (texture, temprature...), ou par louie. Certaines proprits sont
accessibles par plusieurs modalits sensorielles (localisation, taille, texture, etc.) alors que
dautres le sont seulement par une modalit (la couleur pour la vision ; la temprature pour le
toucher). Selon le point de vue Piagetien, toutes ces donnes sensorielles seraient associes
dans lespace et dans le temps par la manipulation active des objets. En outre, les mouvements
apportent des informations supplmentaires sur les objets (poids, taille, ). Au cours de la
petite enfance, nous apprenons associer les diffrents attributs qui caractrisent un objet
avec les mouvements qui permettent dagir sur lui, de faon construire une reprsentation
cohrente et unifie de cet objet. Le support de cette reprsentation serait un rseau
plurimodalitaire (visuel, tactile, sensorimoteur,) constitu de neurones situs dans
diffrentes rgions crbrales et activs simultanment. Une fois ce rseau structur, une seule
des entres participant sa mise en place (par exemple la vue dun objet) suffirait ractiver
la totalit du rseau [4].
A lappui de cette hypothse, et grce la technique de limagerie crbrale qui permet
dtudier lactivit du cerveau pendant des tches motrices, perceptives et cognitives, on a pu
montrer que la simple prsentation visuelle dobjets manipulables activait des zones
crbrales impliques dans les activits motrices, alors quaucun mouvement ntait effectu
[5]. Ces rsultats obtenus chez des sujets sains sont rapprocher de certaines observations
cliniques. En effet, des lsions crbrales peuvent parfois provoquer une incapacit
reconnatre les objets non manipulables, alors que les objets manipulables continuent tre
reconnus [6]. Parfois, lorsquils ne sont pas identifis la simple prsentation visuelle, ils
peuvent ltre si lon autorise le patient les manipuler. Celui-ci utilise alors les
connaissances procdurales quil a conserves sur lobjet pour retrouver son nom [7, 8]. Tout
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se passe comme si la reprsentation des objets manipulables comprenait une composante
sensorimotrice, qui serait utilise pour les reconnatre ou pour les nommer.
Mouvements et reprsentation de lcrit
Les caractres ne sont pas des objets mais ce sont des signes qui sont troitement et
spcifiquement associs aux mouvements qui permettent de les former. De ce point de vue,
les symboles les plus pertinents sont probablement les idogrammes chinois ou japonais, qui
sont trs nombreux et visuellement complexes. Les traits composant chaque idogramme
doivent tre crits dans un ordre prcis et rigoureusement codifi. Savoir lire les idogrammes
kanji demande aux jeunes japonais de nombreuses annes dapprentissage, au cours
desquelles la mthode utilise pour les mmoriser est lcriture trs rptitive sur le papier ou
mme avec le doigt, sur la table ou dans lair. Cette mthode dapprentissage a une
consquence : souvent, lorsquun lecteur japonais hsite devant un caractre complexe, il fait
appel au Ku-sho (crire avec le doigt en lair) pour retrouver sa signification [9]. En
dautres termes, il trace en lair les traits constitutifs du caractre, dans lordre appropri, et sa
signification lui revient en mmoire. Cest semble-t-il un des moyens mnmotechniques les
plus populaires parmi les japonais [10].
Comme pour la reconnaissance des objets, les donnes cliniques sur les troubles de la
reconnaissance des lettres sont riches denseignement. Dans certains cas dalexie, cest--dire
lorsque des patients porteurs dune lsion crbrale deviennent incapables de reconnatre des
lettres ou des mots, la reconnaissance des lettres est parfois amliore si le patient est autoris
les crire, ou simplement les tracer du doigt [11, 12, 13]. Cette facilitation kinesthsique
a t employe comme technique damlioration de la lecture chez des patients alexiques
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[13]. Lensemble de ces donnes suggre que, comme les objets manipulables, les lettres
seraient reprsentes au sein de notre cerveau, non seulement par leur composante visuelle, ou
auditive, mais aussi sous leur forme sensorimotrice. Des tudes dimagerie crbrale sur des
sujets sains conduisent aux mmes conclusions.
Dans une tude en imagerie par rsonance magntique fonctionnelle (IRMf), Kato et coll. [14]
ont prsent, des sujets japonais, uniquement les premiers traits dun caractre kanji et leur
ont demand de retrouver lintgralit du caractre. Ils ont montr que des structures
normalement impliques dans lcriture du kanji (dont le cortex prmoteur gauche) taient
actives dans ces conditions. Pour les auteurs, retrouver les kanjis en mmoire induirait une
sorte dcriture mentale, automatique et non-intentionnelle. Dans une tude rcente en IRMf,
nous avons obtenu un rsultat similaire pour les caractres romains, chez des adultes franais
[15]. Nous avons observ en effet que la simple prsentation visuelle de lettres provoquait,
chez des droitiers, lactivation dune zone prcisment situe dans le cortex prmoteur
gauche, alors quaucune rponse motrice ntait requise. Cette zone ne sactivait pas lorsque
des pseudolettres (que les sujets ne savaient pas crire) taient prsentes. En revanche, la
mme zone sactivait trs fortement lorsque les sujets devaient effectivement crire les lettres.
Une fois encore, les donnes de la neuroimagerie chez le sujet sain sont mettre en relation
celles de la clinique. Anderson et coll. [16] ont dcrit le cas dune patiente, portant une lsion
trs focale dans le cortex prmoteur gauche, qui tait incapable dcrire les lettres, bien
quelle ne ft pas atteinte au plan moteur ; elle tait encore capable dcrire les chiffres par
exemple. De faon particulirement intressante, cette patiente tait galement incapable de
lire les lettres, alors quelle restait capable de lire les chiffres et mme deffectuer des
oprations arithmtiques complexes. Cela souligne les liens fonctionnels troits qui
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existeraient entre les processus mis en jeu pour la lecture et pour lcriture. Dans ltude en
IRMf prcdente [15], le fait que seule une zone prmotrice de lhmisphre crbral gauche,
qui gre les mouvements de la main droite, soit active par la prsentation visuelle des lettres
conforte lide selon laquelle ces activations sont bien relies aux mouvements dcriture.
Nous avons toutefois cherch le vrifier en effectuant une exprience similaire avec des
gauchers (qui ne savaient pas crire de la main droite). En effet, il y a des raisons de penser
que chez eux cest lhmisphre crbral droit qui prend en charge les mouvements dcriture.
Nous avons observ que lorsquon demandait aux gauchers de regarder des lettres, la mme
zone du cortex prmoteur, mais cette fois dans lhmisphre droit, sactivait [17].
Linterprtation avance pour rendre compte de lensemble de ces rsultats est que la
reprsentation crbrale des lettres reposerait sur un rseau plurimodalitaire dont lune des
composantes serait de nature sensorimotrice. Ce rseau se mettrait en place pendant
lapprentissage simultan de la lecture/criture. En effet, pendant cette priode, les enfants qui
apprennent la lettre A par exemple associent sa forme visuelle avec le son [a] et le
mouvement qui permet dcrire un A. Quadviendrait-il si le mode dcriture changeait au
moment de cet apprentissage ? Cest la question laquelle nous avons cherch rpondre en
comparant chez des enfants lapprentissage traditionnel avec un apprentissage au clavier.
Dans un premier temps, nous allons tenter danalyser les raisons pour lesquelles lcriture au
clavier, qui met galement en jeu la motricit manuelle, pourrait ne pas permettre le codage
sensorimoteur des caractres.
Les mouvements du scripteur et ceux du dactylographe
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Certaines diffrences entre les motricits utilises dans les deux modes dcriture sont
manifestes, dautres sont plus fines ; toutes mritent dtre soulignes :
- Lcriture manuscrite est par essence uni-manuelle, mme si lautre main joue un certain
rle postural (maintien de la feuille). Cette forte asymtrie manuelle est bien sr lie
lasymtrie hmisphrique pour le langage : les commandes motrices sont mises par
lhmisphre qui gre le langage (le gauche pour les droitiers). Lcriture au clavier est bi-
manuelle : la main gauche, qui est commande par lhmisphre droit, participe au geste
dcriture au mme titre que la droite. Par consquent, cela suppose une communication et
une coordination fine entre les deux hmisphres crbraux.
- Lorientation gauche droite de la ligne, et le sens de rotation anti-horaire des lettres cursives,
qui imposent des contraintes motrices fortes dans lcriture manuscrite, ne sont plus prgnants
au clavier.
- Lespace sparant les mots na plus le mme statut dans les deux types dcriture : en
criture manuscrite, il se traduit par une lvation de la plume et un saut vers le dbut de
lautre mot. Au clavier lespace possde sa touche et on lcrit comme un vrai caractre. En
revanche, les retours la ligne ne seffectuent pas au clavier (dans les traitements de texte)
sauf sil sagit dune fin de paragraphe.
- Sur le plan temporel, il faut aussi considrer des diffrences : la dure dcriture manuscrite
est due au temps de formation des lettres ; celle-ci est immdiate au clavier et le temps est
occup par le dplacement des doigts vers les touches. Cette diffrence est trs nette si on
observe des scripteurs et des dactylographes dbutants.
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- Dans lcriture manuscrite lespace douvrage est la feuille de papier et plus prcisment
lextrmit du crayon o la vision se focalise et o naissent les mots : il est la fois lespace
moteur et lespace visuel. Au clavier, il y a 2 espaces distincts : lespace moteur (le clavier), et
lespace visuel, qui est lcran pour les experts et la fois lcran et le clavier pour les
dbutants. Lespace moteur est trs concentr dans le cas de lcriture manuscrite ; il stend
sur tout le clavier en dactylographie. Il en va de mme pour lespace visuel. Plus important, en
dactylographie ces deux espaces sont spars et non contrls par les mmes modalits
sensorielles. Cela impose un partage de lattention entre eux, au moins chez les dbutants qui
effectuent beaucoup de mouvements de tte de lcran au clavier.
- Enfin, et cest nos yeux le plus important, criture manuscrite et dactylographie relvent de
deux catgories de mouvements que lon oppose classiquement :
- les morphocinses destines produire des formes (mouvements dexpression,
danse,...)
- les topocinses destines atteindre un lieu, un point prcis de lespace : ces
mouvements sont orients vers un objectif extrieur et leur trajet dpend de contraintes
physiques externes : position de lobjectif, obstacles ventuels. Ils donnent gnralement lieu
des trajectoires rectilignes.
Lcriture manuscrite appartient la catgorie des morphocinses : chaque lettre
correspond un patron moteur spcifique. Ces patrons moteurs ont t bien tudis [18] : ils
se caractrisent par certaines lois gnrales dont les plus remarquables sont les suivantes :
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- le temps ncessaire pour crire une lettre est relativement indpendant de sa taille (principe
disochronie).
- la forme produite est la mme quelle que soit sa taille (loi dinvariance homothtique
spatiale) : un caractre est crit de la mme faon en tout petit sur un timbre-poste (avec les
doigts), en plus grand sur une feuille de papier (main et coude) et en trs grand au tableau
(main, coude et paule), ce qui suggre que cest la mme reprsentation motrice qui est
utilise. Ce modle interne du mouvement est donc mmoris sous une forme abstraite, non
attache au systme neuro-musculo-squelettique utilis pour lapprendre ou pour le produire.
Ces lois gnrales sont cependant largement pondres par des paramtres individuels
qui personnalisent lcriture. Il faut adjoindre ces lois implicites, une rgle explicite,
impose par les apprentissages scolaires, car cohrente avec le sens gauche-droite de
progression de lcriture : il sagit du sens de rotation anti-horaire, pour les lettres cursives.
Remarquons que ce sens de rotation nest pas toujours adopt spontanment par les enfants
chez qui il suscite quelques difficults dapprentissage, et que certains adultes, les gauchers
notamment, ne sy conforment pas toujours.
Lcriture au clavier met galement en jeu la motricit manuelle, mais les mouvements
effectus sont qualitativement trs diffrents. La dactylographie relve des mouvements dits
topocintiques. En pratique, il sagit datteindre un point du clavier o se trouve une forme
dfinie. La correspondance entre le mouvement et la forme de la lettre est arbitraire : un
mouvement identique peut aboutir produire deux lettres diffrentes et inversement la mme
touche peut tre atteinte par des mouvements diffrents (ventuellement produits par des
doigts diffrents, voire une main diffrente). Il nexiste donc pas une relation univoque entre
la lettre crire et le mouvement. Bien que lcriture dactylographique require galement un
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apprentissage visuospatial complexe, au cours duquel le dbutant doit construire une
reprsentation cognitive du clavier [19], rien dans le mouvement datteinte des touches ne
renseigne sur la configuration spatiale ou lorientation de la lettre forme.
Si, comme nous le supposons, les mouvements dcriture participent la reprsentation que
les enfants se construisent du langage crit, au regard des diffrences que nous venons
dnumrer, les contributions de lcriture manuscrite et dactylographique seront-t-elles de
mme nature ? En fait, trs peu dauteurs ont compar les avantages respectifs de ces deux
modes dcriture et ceux qui lont fait ont tudi des processus trs cognitifs comme
lapprentissage de lorthographe (avec des enfants dj avancs dans leur scolarit et assez
gs par consquent). Les raisons pour lesquelles la motricit graphique pourrait influencer
lorthographe ne sont dailleurs pas prcises dans ces travaux et les rsultats obtenus sont
plutt contradictoires. Une premire tude a montr que les enfants orthographiaient mieux
les mots appris la main que ceux appris avec un ordinateur [20]. Toutefois, deux tudes
suivantes nont pas retrouv cet avantage de lcriture manuscrite [21]. Puisque crire au
clavier est plus simple qucrire la main, et puisque cela ne semble pas affecter
lapprentissage de lorthographe, certains auteurs promeuvent lordinateur comme outil
privilgi pour enseigner lecture et criture aux enfants prsentant un handicap intellectuel
lger [22]. Nous pensons que, sil existe effectivement un processus influenc par la motricit
graphique, celui-ci devrait tre un processus perceptif, , mis en jeu au moment de la
reconnaissance des lettres, cest--dire au moment de cette tape prcoce de la lecture o des
traits sur une feuille de papier doivent tre identifis comme des caractres alphabtiques. En
dautres termes, les mouvements dcriture pourraient permettre de mieux mmoriser la forme
et/ou lorientation des lettres.
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Une tude sur lapprentissage de la lecture/criture en maternelle
Pour valuer les consquences dun changement dcriture au moment de lapprentissage,
nous avons compar chez deux groupes denfants lapprentissage des mmes lettres, grce
lcriture manuscrite et lcriture au clavier [23]. Aprs lapprentissage, nous avons test la
capacit des enfants reconnatre visuellement les lettres apprises parmi des distracteurs.
Comme nous voulions raliser cette tude avec des enfants nayant pas encore bnfici dun
apprentissage de lcrit, nous avons fait appel des enfants jeunes (3-5 ans), encore en
maternelle. Quarante-deux enfants gs de 2 ans et 9 mois 4 ans et 9 mois provenant de trois
classes maternelles (1 petite et 2 moyennes sections) ont particip lexprience qui a eu lieu
au dbut de lanne scolaire dans deux des classes (moyennes sections) et en fin danne
scolaire dans la troisime (petite section). Avant de dbuter lapprentissage en lui-mme nous
avons fait passer aux sujets une srie de pr-tests cognitifs et sensorimoteurs qui, avec
dautres donnes individuelles (ge, sexe), nous ont servi rpartir les enfants pour constituer
deux groupes quilibrs.
Apprentissage :
Nous avons fait apprendre aux enfants 12 caractres majuscules dont limage en miroir est
diffrente de la lettre elle-mme (B, C, D, E, F, G, J, L, N, P, R, Z). Ces lettres ont t
incluses dans 4 mots (LAPIN, JOB, CERF, ZADIG). Les enfants avaient pralablement t
familiariss avec ces mots grce une histoire que lenseignant avait raconte avant le dbut
de lapprentissage. Les voyelles A, O et I ntaient l que pour constituer des mots, mais nont
pas t utilises pour le test de reconnaissance. L'apprentissage a dur 3 semaines, raison
dune sance dune vingtaine de minutes par semaine.
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Groupe criture manuscrite
Chaque mot tait prsent sur une feuille de papier, en haut gauche. Les enfants, avaient
pour consigne de le reproduire le plus exactement possible en-dessous avec un stylo feutre.
Chaque mot tait copi deux fois par sance. Il ny avait pas de ncessit de produire les
lettres dans le bon ordre, ni de les disposer dans un espace particulier de la feuille ; aucune
consigne de taille ntait donne, lessentiel tant que chaque lettre soit crite.
Groupe clavier
Chaque mot tait prsent en haut gauche de lcran. La consigne donne aux enfants tait
de le reproduire le plus exactement possible en-dessous, cest--dire de reprer chaque lettre
sur le clavier et dappuyer dessus. Chaque mot tait copi deux fois par sance. Aucune
consigne dordre dcriture des lettres ntait donne. Le clavier utilis avait t amnag
pour cette tude : seules les 15 touches ncessaires pour crire les mots avaient t conserves
et regroupes au centre du clavier.
Tests :
Un test de reconnaissance des caractres tait effectu immdiatement aprs la 3e semaine
dapprentissage. Le mme test tait rpt une semaine plus tard. A chaque essai, 4 caractres
dont 3 taient des distracteurs taient prsents sur lcran dun ordinateur (figure 1).
Lenfant devait pointer du doigt la bonne lettre, cest--dire celle quil reconnaissait comme
ayant t crite pendant lapprentissage. Les distracteurs taient de trois types : - mme forme
mais mauvaise orientation (en miroir), - mme orientation mais mauvaise forme (parties de la
lettre ajoutes ou enleves), - mauvaise forme et mauvaise orientation.
--------- insrer figure 1 par ici -------------
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Les rsultats de cette exprience peuvent tre rsums en trois points :
1- La reconnaissance des lettres, estime par le nombre de rponses correctes, est meilleure
quand les enfants ont appris les lettres en les crivant la main, condition quils
soient suffisamment gs (> 50 mois). Chez les enfants plus jeunes (< 50 mois), le
type dcriture utilis pendant lapprentissage ninfluence pas la reconnaissance
ultrieure des lettres (fig. 2).
2- Cette augmentation des rponses correctes est due une diminution des erreurs en miroir
dans ce groupe (fig. 2). Donc, les enfants qui ont appris en crivant la main ont une
meilleure reprsentation de lorientation des lettres que ceux qui ont appris au clavier.
3- Cette diffrence dans la reconnaissance de lorientation des lettres napparat quaprs une
semaine : les performances restent stables chez ceux qui ont crit la main et elles se
dgradent chez ceux qui ont appris au clavier.
--------- insrer figure 2 par ici -------------
Ces diffrents points seront discuts successivement :
limportance de la motricit
La premire conclusion de cette tude est que lcriture manuscrite semble contribuer une
meilleure mmorisation des caractres chez les enfants. Ce rsultat est en accord avec ceux
dexpriences antrieures qui avaient dj montr que tracer des formes graphiques permettait
de mieux les mmoriser [24]. Au-del de lcriture proprement parler, tout mouvement
exerc sur les lettres semble porteur dinformation. En effet, une tude rcente indique que le
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fait dexplorer visuellement et tactilement avec lindex des lettres en relief par des enfants de
maternelle amliore leur apprentissage de la lecture [25]. En dernier lieu, il faut mentionner
que le lien entre la trace crite et les mouvements peut tre trs abstrait car la seule description
verbale par lenseignant et llve des procdures motrices permet ces derniers daccder
plus aisment lcriture [26].
lorientation des lettres
Dans ltude faite en maternelle, crire les lettres informe davantage sur lorientation des
caractres que sur leur forme globale. Il faut souligner que lorientation des lettres est dune
importance cruciale pour identifier les lettres, les confusions entre les caractres et leur image
en miroir tant parmi les erreurs les plus frquemment commises par les jeunes enfants et les
mauvais lecteurs [27, 28]. Or, pour les trs jeunes enfants le problme nest pas simple au
plan cognitif. En effet, ils apprennent dabord par eux-mmes quun objet est toujours le
mme, quelle que soit son orientation dans lespace. Lorientation spatiale nest donc pas une
variable critique pour discriminer les objets qui les entourent. En revanche, elle devient
cruciale lorsquils sont face des lettres : en effet, un d nest pas un b, un p nest pas un
q, etc. Les lettres sont donc des objets tranges qui changent didentit lorsquon les fait
tourner ! Il est important davoir une bonne reprsentation de lorientation des lettres. Or,
visuellement, la diffrence entre une lettre et son image en miroir nest pas immdiate : les
segments rectilignes et curvilignes sont les mmes, seule leur position relative par rapport
un axe vertical change. Les caractristiques extraites dune image deux dimensions peuvent
suffire pour reconnatre rapidement la forme globale de la lettre (dtecter sil manque un
segment, ou si au contraire il y en a un en trop) ; mais la vision semble tre moins efficace
pour distinguer le mme stimulus dans diffrents orientations. Sur le plan moteur en revanche,
crire une lettre ou son inverse ncessite des mouvements trs diffrents : lordre de trac des
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traits, la progression des segments horizontaux (de gauche droite) et le sens de rotation des
parties courbes (horaire ou anti-horaire) diffrent. En consquence, le programme moteur qui
a t labor pour un caractre ne correspond pas son image en miroir.Si, comme nous le
pensons, ce programme moteur est automatiquement activ la simple vue de la lettre, il
pourrait permettre dviter la confusion avec son image en miroir.
lge des enfants
Lapport des mouvements dcriture dpend de lge des enfants : il existe chez les plus gs
mais pas chez les plus jeunes. Cela pourrait tre d au fait que les structures neuronales qui
contrlent la motricit fine, ncessaire pour produire des mouvements prcis des doigts et du
poignet, ne seraient pas suffisamment matures chez les enfants les plus jeunes. On sait par
exemple que des faisceaux de fibres comme le faisceau cortico-spinal, qui commande les
mouvements digitaux, ou le corps calleux qui permet la communication entre les deux
hmisphres crbraux, croissent trs fortement au cours des 2 ou 3 premires annes de la
vie mais continuent se dvelopper graduellement jusqu la fin de ladolescence.
le besoin de temps
Lapport des mouvements dcriture demande du temps pour tre effectif car il met en jeu des
processus mnsiques qui sont assez lents se stabiliser. En effet, quand un apprentissage
moteur prend fin, le programme moteur sous-tendant lhabilet apprise devient graduellement
moins fragile (en quelques heures) et cette consolidation saccompagne de changements dans
la reprsentation neuronale de la mmoire motrice. En contrepartie, une fois stabilise, la
mmoire motrice peut durer pendant trs longtemps en absence de toute pratique.
le clavier serait moins efficace
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Les mouvements dcriture dactylographique ne semblent pas favoriser la mmorisation de
lorientation de la lettre. Nanmoins, nous navons pas test la condition contrle dans
laquelle lapprentissage des lettres aurait t effectu en lecture seulement, sans crire, cest-
-dire sans aucun mouvement manuel. Toutefois, des rsultats acquis chez des adultes qui
devaient apprendre un nouvel alphabet indiquent que lusage du clavier ne conduit pas une
meilleure reconnaissance des lettres apprises quun apprentissage simplement visuel [29].
Comme cela a t mentionn prcdemment, nous pensons que le mouvement dcriture au
clavier ninforme pas sur les proprits spatiales du caractre produit.
Conclusion
Sil fallait se hasarder donner une rponse la question provocatrice pose en titre de ce
chapitre, nous dirions quil est videmment utile, et plus dun titre, denseigner lcriture
manuscrite. Lensemble des rsultats prsents ici suggre en effet que les mouvements
dcriture participent la reprsentation et la mmorisation des caractres et donc leur
reconnaissance visuelle. Nous ne pouvons affirmer toutefois que cela aurait un impact sur la
lecture proprement parler, quand il sagit de percevoir et reconnatre des mots et non plus
des lettres isoles. Nanmoins, sil est dfinitivement tabli que la reconnaissance des lettres
est le premier des processus cognitifs qui se produisent pendant la lecture [27], il se pourrait
que la faon dont les enfants apprennent crire interfre avec leur aptitude la lecture. Doit-
on pour autant rejeter dfinitivement lordinateur pour apprendre lcrit ? A notre avis, il est
trop tt pour laffirmer. En effet, si lcriture manuscrite enrichit la reprsentation des
caractres et facilite leur reconnaissance chez la majorit des enfants, elle pourrait produire
leffet inverse chez ceux qui, pour des raisons diverses, ont des difficults effectuer les
mouvements fins et prcis imposs par lcriture. Dans ce cas, lusage du clavier, beaucoup
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plus simple au plan moteur, associ lordinateur pour lequel les enfants manifestent un
engouement prononc, pourrait constituer une tape pour prparer le passage lcriture
manuscrite. De plus, nous navons mis laccent que sur la composante graphique de lcrit :
en demandant aux enfants de reproduire un modle et de produire une bonne forme, nous
avons nglig laspect langagier de lcriture. De ce point de vue, nous tions dailleurs assez
proches des pratiques pdagogiques habituelles qui, en ce qui concerne la prparation
l'criture, privilgient de faon quasi exclusive les aspects formels de l'criture, l'entranement
moteur, les exercices rptitifs Mais, la centration sur les seuls aspects formels, rduit l'crit
une activit gestuelle et nglige le fait que c'est un objet social et culturel, un langage et non
uniquement une trace [30]. En librant lapprentissage de lcrit des seules contraintes de
graphisme, le clavier et lordinateur pourraient faciliter ltablissement de la relation entre la
trace de lcrit et son sens.
Remerciements : Cette recherche a t finance par lACI Cognitique du Ministre de lEducation Nationale. M. Longcamp a bnfici dune allocation de Recherche de lACI Cognitique. Nous remercions tout particulirement les enseignant(e)s et les enfants des coles maternelles de Marseille (Chteau-sec, Desautel et Valmante) grce auxquels ltude en maternelle a t ralise dans les meilleures conditions. Pour en savoir plus : Anis, J. (1998). Texte et ordinateur : lcriture rinvente ?, De Boeck Universit. [Cet ouvrage explique de manire accessible les techniques et en analyse les enjeux dans le cadre dune smiolinguistique de lcrit ouverte aux sciences cognitives. Les thmes traits sont les relations entre informatique et criture ; le traitement de texte, hypertexte, multimedia, internet, livres lectroniques] Amigues R. et Zerbato-Poudou M.T. (2000) : Comment lenfant devient lve. Les
apprentissages lcole maternelle. Paris, Retz. [La troisime partie de cet ouvrage pose la question de lapprentissage premier de lcriture dans ses rapports aux activits graphiques traditionnelles. Elle montre linfluence des dispositifs pdagogiques sur la construction du rapport au savoir par les lves et le sens quils donnent leur activit.] Zeziger P.(1995) Ecrire. Approches cognitive, neuropsychologique et developpementale.
Paris, P.U.F. [Louvrage tente de cerner les processus dcriture du point de vue de la psychologie cognitive. Deux grandes classes de processus sont examines : les processus orthographiques et les processus perceptivo-moteurs, partir de lapproche exprimentale classique et par ltude dindividus prsentant des troubles de lapprentissage ou de la production de lcrit.]
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Figure 1 : exemple de configuration prsente lcran au cours du test de reconnaissance.
< 50 mois > 50 mois
AGE
35
40
45
50
55
60
65
% R
pon
ses
corre
ctes
< 50 mois > 50 mois
AGE
25
30
35
40
45
50
% R
pon
ses
en m
iroir
Figure 2 : Taux de rponses correctes (gauche) et de rponses en miroir (droite) en fonction de lge pour le groupe qui a appris les lettres en les crivant la main (trait continu) et pour celui qui a appris au clavier (trait pointill)