De Ghellinck - Essentia Et Substantia.

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ESSENTIA ET SUBSTANTI A Note complémentair e Les difficultés actuelles des communications et, par suite, le s retards et les irrégularités dans la consultation des revues, quan d celles-ci sont encore accessibles, nous ont empêché, dans no s pages précédentes sur Essentia et Substantia publiées ici-même s , de tenir compte d'une note intéressante et originale parue dan s Philologus 2 au moment même où était composée notre étude . Cette note avait surtout pour objet l'utilisation du mot substan- tia par les Latins de l'époque impériale, pour rendre le mo t ovoía dans la première des dix catégories d'Aristote . Bien que la partie médiévale du mot n'entre guère dans l'horizon d e l'auteur, l'article n'est pas sans intérèt pour qui veut étudie r la genèse des sens de substantia, car il contient quelques consi- dérations utiles, indirectement au moins, à leur histoire, san s rien apporter toutefois qui doive modifier les grandes ligne s de notre étude sur l'emploi médiéval du mot . Par l'histoire primitive de substantia, l'étude de Curt Arpe en somme défend une thèse : il veut faire dépendre du sens originel du mot chez les Latins la signification de la premièr e catégorie d'Aristote et en conséquence il souhaite de remplacer , contrairement à l'usage courant, par le mot « Einzelding » le terme de «Substanz », ordinairement employé pour désigner l e premier des prédicaments d'Aristote . Car, aux yeux de M . Arpe , l'emploi de substantia latin pour l ' obola d'Aristote n'a pa s été sans influence sur le sens même et l'interprétation de cett e première catégorie et lui a peu à peu fait donner celui de «Sub- strat » . Cette recherche amène sous sa plume quelques obser - r . Voir l'Archivum, t . XVI, 1941, p. 77-112 . Nous nous faisons un devoi r et un plaisir de remercier M . le Professeur J . Mansion, de l ' Université de Lou- vain, qui a eu l'amabilité de nous signaler l'article de M . Curt Arpe . 2 . Curt ARPZ (Wandsbeck), Substantia, dans Philologus, Zeitschrift fiir da s klassische Altertum, t. XCIV, 1g4o, p. 64-78 . 9

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Note Complémentaire

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  • ESSENTIA ET SUBSTANTIA

    Note complmentaire

    Les difficults actuelles des communications et, par suite, le sretards et les irrgularits dans la consultation des revues, quan dcelles-ci sont encore accessibles, nous ont empch, dans no spages prcdentes sur Essentia et Substantia publies ici-mme s ,de tenir compte d'une note intressante et originale parue dansPhilologus 2 au moment mme o tait compose notre tude .Cette note avait surtout pour objet l'utilisation du mot substan-tia par les Latins de l'poque impriale, pour rendre le mo tovoa dans la premire des dix catgories d'Aristote . Bien quela partie mdivale du mot n'entre gure dans l'horizon d el'auteur, l'article n'est pas sans intrt pour qui veut tudie rla gense des sens de substantia, car il contient quelques consi-drations utiles, indirectement au moins, leur histoire, san srien apporter toutefois qui doive modifier les grandes ligne sde notre tude sur l'emploi mdival du mot .

    Par l'histoire primitive de substantia, l'tude de Curt Arpeen somme dfend une thse : il veut faire dpendre du sensoriginel du mot chez les Latins la signification de la premirecatgorie d'Aristote et en consquence il souhaite de remplacer ,contrairement l'usage courant, par le mot Einzelding leterme de Substanz , ordinairement employ pour dsigner l epremier des prdicaments d'Aristote . Car, aux yeux de M . Arpe ,l'emploi de substantia latin pour l ' obola d'Aristote n'a past sans influence sur le sens mme et l'interprtation de cett epremire catgorie et lui a peu peu fait donner celui de Sub-strat . Cette recherche amne sous sa plume quelques obser-

    r . Voir l'Archivum, t . XVI, 1941, p. 77-112 . Nous nous faisons un devoiret un plaisir de remercier M . le Professeur J . Mansion, de l ' Universit de Lou-vain, qui a eu l'amabilit de nous signaler l'article de M . Curt Arpe .

    2 . Curt ARPZ (Wandsbeck), Substantia, dans Philologus, Zeitschrift fiir dasklassische Altertum, t. XCIV, 1g4o, p. 64-78 .

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    vations intressantes, parfois un peu ingnieuses, sur la s -mantique du mot substantia chez Snque et surtout che zQuintilien, chez qui il croit surprendre une dviation du sensoriginel du mot : pour l'auteur de l'article, quelques lignessuggestives de l'Institutio oratoria semblent dsigner Quintiliencomme agent de liaison entre le sens de substantia, ralit exis-tante, et celui de la a-ravas des rhteurs grecs, puis de l celui dela premire des catgories d'Aristote I .

    Conduites avec sagacit, ces recherches sur l'histoire pri-mitive du mot ne manquent pas d'originalit et ouvrent u ncoin de perspective intressante pour les historiens de la phi-losophie antique . Malgr les sens divers donns par Aristot e obvia dans l'ensemble de son oeuvre, il semble douteux ce -pendant que les historiens de la philosophie aristotlicienn eacceptent cette interprtation nouvelle du premier prdica-ment. Sans doute aussi, propos de Snque et de Quintilien ,est-ce btir beaucoup sur un texte . Il est bon galement d ese rappeler que l'volution des sens des mots, trs capricieus edans le langage parl, est loin d'avoir laiss toutes ses trace sdans les documents purement littraires . L'auteur reconna td'ailleurs que notre documentation sur l'usage primitif du mo tet sur ses significations originelles est fort lacunaire . Puis, i lpasse assez vite quelques rares citations ou rfrences, tro pparcimonieusement prises Marius Victorinus, qui s'inspir ed'un usage existant, Augustin et Boce. Mais il omet derecourir Apule et Hilaire, l'un et l'autre en contact avecla terminologie grecque, quoique des degrs divers, et quiauraient fourni quelqu'appoint utile . Des auteurs mdivaux ,Pierre Auriol seul est mentionn, comme introducteur du sen sde Substrat o, d'aprs l'ouvrage de Prantl passablement vieill iaujourd'hui 2 . Mais ces rflexions sagaces, ingnieuses, basessur des rapprochements runis parfois par un fil assez tnu ,mritent d'tre prises en considration pour l'histoire primi-tive du mot substantia, mme l o elles appellent discussion .L'auteur semble bien avoir entrevu la mme difficult qui faisait

    r . Philologus, article cit, p . 65-73 ; SANAQUE, Ej ist, ad Lucilium, 58, i5et 87, 40 ; QUINTILIEN, Instit . orator, III, 6, 23-25, II, 14, 2, etc . ; voir l'Archi-vum, article cit, t . XVI, p . 83-84 et 8o-82 .

    2 . Article cit de Philologus, p. 73-76 et 77, n . 1 .

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    recourir les thologiens du IV e et du Ve sicle au mot subsis-tentia 1 . L'on remarquera aussi qu'il laisse peu prs entire-ment de ct le sens de biens matriels, patrimoine, etc ., d'unusage universel ensuite, apparemment dj prsent chez Tacit eet chez Snque, qu'il interprte autrement, chez Quintilienou l'auteur des Declamationes maiores, et que Grgoire le Grand ,form par l'exemple des traductions bibliques, ne manque pa sde lguer au moyen ge, jusqu' l'employer trois fois en quelque slignes 2 .

    Le mme article . de Philologus a l'avantage de renvoye r une note de la Geschichte der Rmischen Literatur de Teuffel ,qui permet d'identifier cet nigmatique Plautus associ l'his-toire du mot essentia . Il s'agit non pas du factieux auteur descomdies bien connu, mais d'un philosophe du dbut de l'em-pire ou de la fin de la rpublique . A ce propos, il est piquantde remarquer que les ditions sont en retard sur les histoire sde la littrature . Celles-l continuent imprimer l'extrait deQuintilien parmi les Fragmenta dubia et suspecta 4 , mmeencore en 1924, tandis que les historiens de la littrature comm eTeuffel, dj dans l'dition de 189o, et Schanz-Hosius, en 1935 ,rangent franchement cet auteur parmi les philosophes de l apriode d'Auguste 6 . Mais leur citation incomplte du passage

    I . Voir l ' Archivum, article cit, p . 99-106 et III. Les philosophes et les tho-logiens qui se sont intresss la doctrine de Boce n'ont pu manquer videm-ment de donner leur attention, assez ingalement du reste, sa terminologi esurtout propos de Subsistentia, hypostasis, etc . (voir plus haut, p . 102) . Parmieux, il faut faire une place part aux pages originales, critiques, trs fouille sdu P. SCnuRR, dans Die Trinittslehre desBoethius, p . 2I-42, 72-74, etc . (Forschun-gen zur christlichen Literatur- und Dogmengeschichte, t . XVIII, I, Paderborn ,1 935) M. le Professeur Van de Vijvere, de Gand, se prpare publier une tud ehistorique et philologique, impatiemment attendue, sur l ' adoption des critsde Boce, authentiques et autres, dans les coles du haut moyen ge.

    2. TACITE, Dialog . 8, et S$NZk9uz, Epist . 87, 40, dit . HxnsE, Leipzig, 1938,p . 362 ; QUINTILIEN, Declamat . maior., XIV, 3 ; Voir l' Archivum, p. 91-92 ;GR$GGIRE LE GRAND, Homiliae XL in Evangelia, Hom . XIV, I (PL, LXXVI,1127 d) : a terrena substantia, biens terrestres e .

    3. Voir la p . 73, H . 24 .4. Plauti Comeediae, dit . G. GoxTz et FR. ScxoRLL, Leipzig, 1924, t . VII ,

    p . 152, fragm . X .5. TEUFFEL, 5 e dition,18go, t . I, p . 632, passage reproduit dans la 60 dit . ,

    t . I, 1910, p. 162-163, 266, 9, sans gure de changement part une ou deu xindications bibliographiques ; SCHANZ-Hostos, Geschichte der rmischen Lite-

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    de Quintilien aurait d{i remonter quelques lignes plus haut ,qui auraient lev tout doute sur la personnalit de l'auteur :le paragraphe du De Institutione oratoria 1 commence eneffet par ces mots :

    Suprsunt qui de philosophia scripserunt . e

    Mais Quintilien fait remarquer le petit nombre de ces cri-vains Rome :

    4 Paucissimos adhuc litterae romanae tulerunt .

    Avec Plaute, il mentionne Cicron et deux ou trois autre sauteurs, et Plaute il reconnat une utilit pour l'tude de l aphilosophie stocienne :

    4 Plautus in Stocis rerum cognitioni utilis .

    Une conjecture assez plausible, admise par Teuffel et Schanz -Hosius 2 , corrige la mention de Sergio Flavio en Sergio Plautodans un autre passage de Quintilien, et harmonise ainsi ses deu xaffirmations . En toute hypothse, Plaute le comique n'a plu srien voir avec l'histoire du mot essentia a,

    Le mme cas d'exclusion semble bien devoir s'appliquer Cicron. Mais la mention de son nom par Quintilien parmiles traducteurs de la philosophie grecque nous donne l'occasion , propos de ce mme mot essentia , de remarquer une foisde plus que Cicron vite ce mot quand il s'agit de rendre legrec ovula . Les fragments conservs de sa traduction du Tintede Platon permettent une comparaison suggestive avec la tra-duction de Chalcidius, faite, a-t-on cru, pour Hosius de Cordoue ,trois sicles plus tard et principale source de la connaissanc edirecte de Platon par la pense mdivale durant dix sicles :

    CICRON : 4 Quantum enim ad id quod ortum est, aeternita svalet, tantum ad fidcm veritas . s

    CHALCIDIUS : 4 Quantoque melior est essentia generatione, tantofamae et opinionis incerta praestantior veritas . s

    ratur, t. II, 4e dit ., 1939, p . 361, qui glisse une faute dans le texte de Quintilienen crivant : haec interpolatio, pour haec interpretatio .

    1. Livre X, 1, 123 et 124, dit. BONNELL, Leipzig, 1936, p . 260.2. Livre III, 33, ibid ., t . II, p . 9 6 ; TxuFFBL, op. cit., p. 163, et SCHANz-

    Hostus, op . et loc. cit .3. Prire de corriger en consquence l'indcision laisse dans l'article pr-

    cdent de 1'Archivum, p . 8o-8x .4. Timaeus Platonis, g . N'ayant pas sous la main les ditions de PLASB&RG

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    L o Cicron rend ovoia par aeternitas, Chalcidius n'hsitepas recourir au mot essentia, peu prs dans les mmes anne squi voyaient les efforts de Marius Victorinus pour transmettreaux Latins la pense et le vocabulaire de la philosophie ploti-nienne .

    J . DE GHELLINCK, S . J .

    (rgo8), de WROBEL (1896), etc ., inaccessibles pour le moment, force nous est d erenvoyer le lecteur aux textes de Fr . G. Aug. MULLACH, Fragmenta Philoso-phorum graecorum, Paris, Didot, 1864, t . II, p . 158 . Intressants compareravec Chalcidius, les fragments de Cicron se trouvent p . 157-176 . Ils ont t examins par Fr . BLPTT, professeur l'Universit d'Aarhus peu avant la guerre ,Remarques sur l'histoire des traductions latines, dans Classica et Mediaevalia ,t . I, 1938, p . 223-226.

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