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Jofroi de Champs la rivière à Cabiac sur terre Editions du Soleil

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Jofroi

de Champs la rivièreà Cabiac sur terre

Editions du Soleil

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Photo de couverture : Charlotte Plissart

ISBN : 978-2-9545373-0-6 Dépôt légal : BNF juillet 2013 © Jofroi et Editions du Soleil 2013 Hameau de Cabiac - F30430 St Privat de Champclos

www.jofroi.com

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés; toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notammant par photocopie, scanner ou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur

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«L’univers n’est pas tenu d’être en harmonie parfaite avec l’ambition humaine.»

Carl Sagan

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On entend parfois dire : « Pour être d’ici, il faut avoir ses parents au cimetière et ses enfants à l’école »... Autant dire que je suis de nulle part. Il y a bien longtemps que j’ai quitté mon village natal ainsi que la terre où reposent mes ancêtres… Et mes enfants ne sont pas tout près non plus. Mais est-ce vraiment si important ? Dans ce monde où le futur de l’homme est planétaire.

Je ne suis donc ni d’ici, ni de là... Je suis à l’endroit où je vis et j’y construis des univers, en partie imaginaires. Je suis de Champs la rivière, je suis de Cabiac sur terre… Et ces mondes se métamorphosent.

Ils me ressemblent ou je leur ressemble et je veux les partager comme un bon pain.

Je dédie ces lignes à tous les merveilleux amis que j’ai croisés jusqu’ici sur le chemin, à mes enfants et mes petits-enfants, à la Marie-Tzigane et au futur, car l’aventure n’est pas finie...

Jofroi

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SommaireMerci Félix ............................................................ Ça commence quand ? .......................................... Jofroi et les Coulonneux ........................................ Si ce n’était manque d’amour .............................. L’odeur de la terre ................................................ Mario si tu passes la mer ..................................... La Marie-tzigane n’est pas un bateau ................. Les aventures du Petit Sachem ............................. J’ai le moral ........................................................... Le rêve d’Antonin .................................................. Grenadine Blues .................................................... La robe rouge ........................................................ Le jour où les poules auront des dents ................. Cabiac... .............................................................. Marchand d’histoires ........................................... En l’an deux mille, l’humanité ............................ L’homme au parapluie ......................................... Marcher sur un fil ................................................ Bienvenue sur la terre .......................................... Les chansons des autres .......................................... Cabiac sur terre .................................................... Liste alphabétique des chansons .......................... Les contes musicaux................................................ Extraits de presse au fil du temps.......................... Discographie ..........................................................

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Merci FélixAutomne 1969. Tournai. J’ai vingt ans et une seule idée en tête : la chanson. Ce soir, Félix Leclerc chante à la Halle aux draps, ancienne Halle reconvertie en salle de spectacle. Je ne sais pas encore à quel point il va influencer mon devenir. Félix Leclerc, ce soir-là, je le découvre. Inconsciemment, je découvre aussi à quel point je suis affamé... de mots, d’émotions, d’échanges, de découvertes...

Aujourd’hui, j’en sais un peu plus, je peux peut-être décrypter un peu mieux ce qui, à ce moment, m’ensorcelle. Cette voix profonde et sûre, cette sorte de sagesse des mots, héritée de la vague et de l’oiseau, de l’arbre et du vent, qui nous embarque, dans un simple balayement, au fond de la joie ou de la souffrance de l’homme, de la femme, de l’enfant... L’essence du monde dans ce grand homme puissant et généreux.

Il y a des gens géniaux, tellement géniaux et généreux, que leur talent, loin de vous écraser, vous rend intelligent et vous renforce. Sans doute est-ce lui qui ce soir-là m’a nourri de cette force, de ce culot tel, qu’après le spectacle, dans la file des admirateurs, arrivant mon tour, j’ai osé lui dire :

- J’aimerais bien vous chanter quelques chansons... » Un peu surpris, Félix m’a répondu : - C’est gentil, mais ça me paraît un peu difficile. Puis il a ajouté : Et puis, ça me fait peur... Et moi, toujours gonflé de cette confiance qu’il avait chargée en moi, de répondre : - Moi, aussi, ça me fait peur... Il m’a regardé, il a souri, puis il m’a dit : - Ecoute, viens demain matin, je suis à l’hôtel de la Cathédrale. Viens me chercher à 8h...

photo : Marie-Françoise Plissart

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Je suis reparti sur mon nuage, voletant entre poudrerie et plumes d’oies imaginaires, traversant les rues en sautant d’un billot à l’autre... fou de bonheur. Et le lendemain, à 8h tapantes, j’étais devant l’hôtel de la Cathédrale ! Il a bien changé aujourd’hui, complètement relooké, rénové. J’y ai dormi, il y a quelques temps, pour le souvenir... lors d’un récital que je donnais à la Maison de la Culture de Tournai.

Donc, ce matin-là, Félix Leclerc m’attendait dans le hall. Il s’est un peu plié pour rentrer dans ma vieille 2CV brinquebalante et nous sommes retournés à la Halle aux draps où un régisseur complice nous a ouvert l’entrée des artistes. On s’est installés sur la scène et je lui ai chanté quelques unes de mes premières chansons.

Difficile de raconter un moment à la fois aussi simple et aussi incroyable. Félix, qu’est-ce qu’il pouvait me donner de plus qu’il ne m’aie déjà donné ? Félix m’a écouté, félicité, encouragé... et donné rendez-vous au Québec !

Quelques années plus tard, en 1976, je l’ai retrouvé sur les plateaux de la Télévision Suisse Romande, à Genève. Pas peu fier de lui offrir mon deuxième long jeu (33 tours) « si ce n’était manque d’amour », en lui rappelant notre curieuse première rencontre. Première rencontre qui m’avait tant apporté. Les images indélébiles qui m’en restent : Félix, souriant, assis sur une chaise dans un grand théâtre vide, en train d’écouter avec attention ce jeune débutant, Félix, recroquevillé sur le siège passager de ma 2CV-bout de ficelle...

Félix, je te dois beaucoup. Tu m’as donné une grande leçon de joie simple et de force humble au moment précis où je me construisais et tu fais à jamais partie de mon univers profond. Merci, Félix.

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Je suis né à Ath en 1949 et j’ai passé mon enfance et mon adolescence à Brugelette, petit village du Hainaut, Wallonie, Belgique...

Mon grand-père paternel après avoir été ingénieur des mines avait repris la ferme familiale, à Bauffe, ferme dite de Brandignies où la famille se succédait de père en fils depuis 1500... C’était un homme rustique à la moustache abondante et il avait fière allure sur son cheval de trait. J’adorais monter devant lui, sur l’encolure. On partait à travers champs, d’un pas lent et mesuré. J’adorais aussi jouer dans la grange immense et creuser des galeries dans les ballots quand on rentrait la paille... Lui, tout ce chambardement, ça ne lui plaisait pas trop... Il ne parlait pas beaucoup, vouvoyait ses enfants et ses petits-enfants. Je n’ai, hélas, pas connu ma grand-mère.

Mon grand-père maternel était grossiste en charbon, à Tournai. Sportif et bon vivant, il était président de l’équipe tournaisienne d’aviron et, dans sa jeunesse, avait dû ramer de longues heures sur l’Escaut. Parmi ses 45 petits-enfants, j’étais un peu son chouchou, son coq, comme il disait. On faisait de longues parties de cartes qu’il me laissait toujours gagner en s’exclamant «Aux innochins, les mains pleines !*». Le mercredi, il allait en bourse à Bruxelles pour acheter son charbon. Au retour, il faisait un détour par le collège où j’étais en internat et m’emmenait dans une pâtisserie manger un petit gâteau. Il en mangeait deux. Il nous emmenait à la piscine ou au long de l’Escaut. Il venait nous voir à la mer. J’ai encore ses verres à bourgogne et je dois dire que le vin continue à y bonifier. Ma grand-mère maternelle dirigeait leur maison. Jeune, elle avait été une vionoliste virtuose mais avait abandonné pour élever ses enfants.

Je parle de mes deux grands-pères parce que, du premier, je crois que je tiens le goût de la terre et la gravité, et du second, l’attrait de l’eau et le plaisir.

De mon père, j’ai hérité la rigueur, la ponctualité, la nécessité de faire bien les choses et la taille des rosiers. De ma mère, la fôlatrie, l’optimisme, la bonne humeur et les bonnes recettes.

photo : Marie-Françoise Plissart

photo : Marcel Plissart

*Aux innocents, les mains pleines

Ça commence quand ?

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La chanson était très peu présente dans la maison familiale. Mes parents écoutaient de la musique « classique ». Je me souviens d’un ou deux disques de Jacques Brel, de Gilbert Bécaud, un Ray Charles, et tombé là, par je ne sais quel hasard, un disque de Stéphane Goldman, qui m’intriguait et que j’adorais... Troubadour, tu vis hors de ton temps et La cravate lavallière faisaient bon ménage avec J’arrive et Le petit oiseau de toutes couleurs…

Alors, allez savoir quand ça commence ? Où est le début de l’aventure qui m’a mené jusqu’à aujourd’hui ? A six ans déjà, quand quelqu’un me hisse sur une scène où jouent Los Paraguayos, que l’un des musiciens m’assied à côté de lui et me tend un tambourin ? A onze ans, quand soliste de la chorale du collège, je chante les psaumes avec application ? A quinze ans, autour des feux de camps, où l’on entonne Santiano entre Le chant des marais et La bataille de Reischoffen ? Les découvertes d’Hugues Aufray, de Bob Dylan, du folk-song, du protest-song ne sont pas pour rien dans tout cela. Car c’est là que j’écris mes premiers poèmes malhabiles de l’adolescence, sentimentaux, un peu rebelles. Et ces poèmes, j’ai tout de suite envie d’en faire des chansons. Un copain de classe, Guy Bertrand, met bien quelques textes en musique mais j’ai envie d’essayer. J’apprends quelques accords sur une vieille guitare…

Au fil de ces années, entre 65 et 68, se glissent ainsi assez de textes et de musiques pour que j’ose, le 11 mai 68, produire dans mon village de Brugelette, un mini-récital de chansons, lors de la fête de la toute naissante maison des jeunes. Je dis : j’ose, car quand je relis les textes… Est-ce déjà le vrai début ? Pour qu’on me propose d’aller chanter dans un village voisin, puis un autre… C’est l’époque où, pas loin de chez moi, je vais voir chanter Julos Beaucarne qui démarre tout juste. Il accueille généreusement le débutant que je suis. Il me baptisera iorfoj et me gardera toujours sa plus profonde amitié.

Cet été-là, je me présente dans un concours de chansons à Olloy-sur-Viroin, dont je repars, auréolé du premier prix ! Ce qui va me conduire en automne au Festival Européen de la Chanson de Lüdenscheid en

photo : Marie-Françoise Plissart

photo : Marilyne Menoux

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Allemagne… Je me retrouve, avec Ann Gaytan, au milieu d’orchestres de bal et autres Oberbayern. Ce n’est pas tout à fait notre place...

Au printemps 69, c’est le festival d’Obourg. Parcours incontournable de l’époque, où je rencontre, entre autres, Bruno Brel et André Bialek.

C’est le moment de quelques escapades en ville. Pendant l’automne, étudiant en géologie à Louvain (Leuven), en pleine explosion du « Walen buiten », je me risque une fois ou l’autre à Bruxelles dans un cabaret comme le « Grenier aux Chansons ».

A Noël, un des organisateurs du festival d’Obourg, Willy Descamps, me propose d’accompagner sa chorale dans une tournée en Cévennes, au sud de la France, dans des temples protestants. Je chante quelques unes de mes toutes premières chansons à un moment de leur concert. Première tournée, si l’on peut dire.

Je me souviens de cette soirée, à Bagard, petit village cévenol entre Alès et Anduze. Cette nuit de Noël, dans ce temple protestant où le pasteur interrompt plusieurs fois son office pour éteindre les bougies qui mettent le feu aux branches d’un énorme sapin dressé sous la voûte. Cette nuit de Noël où le pasteur danse avec sa femme, en fin de soirée dans la salle paroissiale.

Et c’est pour moi la grande découverte d’un nouveau monde, d’un pays, de gens neufs. A tel point qu’en rentrant, j’écris au pasteur d’Alès et lui propose d’aller, l’été, chanter de temples en temples. Tout ça n’a rien à voir avec la religion, j’ai juste besoin de retrouver cette étincelle apparue dans le ciel des Cévennes.

Et en juillet 70, je chante dix-huit fois dans les vallées cévenoles. Dix-huit soirs en suivant ou presque, je n’avais jamais chanté tant. Le temple, dans ces villages perdus, c’est un peu la salle paroissiale. Je suis accueilli par le pasteur, l’instituteur… On passe le chapeau à la fin. C’est le coup de foudre. Je découvre les livres de Jean-Pierre Chabrol, la montagne, le peuple cévenol. Je retourne, à Bagard, saluer le pasteur et sa femme. Et charmé par leur petit garçon de 4 ans, aux yeux immenses qui me tire par la main et m’entraîne en courant dans la garrigue, j’écris ma première vraie chanson Petit Roy qui résume

Petit Roy

Roy, petit Roy Tes cheveux sentent bon

Le thym et la lavande Du chemin des moutons

Roy, petit RoyTes cheveux sont si blonds

Que le vent en passantFait des bonds amusants

Je me ferais bien oiseauJe me ferais bien roseau

Je me ferais bien ruisseauPour entendre chanter ton rire

Ecouter tes souvenirsEt l’histoire de jésusCe drôle d’individu

Roy, petit RoyRoy aux yeux furibondsQuand on veut te porterComme un petit garçon

Roy, petit RoyTu ressembles à Madelon

Comme deux branches d’olivierPeuvent se ressembler

Je me ferais bien oiseauJe me ferais bien roseau

Je me ferais bien ruisseauQuand tu me racontes la bibleLes grandes maisons d’Egypte

Et le bateau de NoéPlein d’animaux et de fées

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naïvement cette joie et cette découverte. Je l’enregistre aussitôt en rentrant, sur un tout premier 45 tours plus qu’artisanal.

Je suis loin de penser que je viendrai un jour vivre dans ce pays, mais c’est le début de mes allées et venues entre le nord et le sud. Je tombe amoureux de ce pays, où j’ai posé mon sac, finalement, des années plus tard.

Aujourd’hui, Roger – le petit roy – n’a rien perdu de son regard immense et chaleureux et offre à tous et au soleil, son rire, ses bras et le vin délicieux de ses vignes. Le domaine d’Anglas, entièrement en culture biologique se trouve à Brissac près de Ganges. N’hésitez pas à faire le détour, ça en vaut la peine...

J’ai abandonné Leuven et les cours de géologie pour rejoindre Tournai et l’IHECS, Institut des Hautes Etudes des Communications sociales... Certains cours sont extraordinaires et je me lierai d’ailleurs avec plusieurs professeurs formidables, Louis Darms, André Cavens, Paul Draime...mais, dans l’ensemble, beaucoup de choses sont très superficielles ou basées sur le paraî̂tre. Et c’est la chanson qui m’intéresse.

Je profite au maximum des cours de photo, de son, de cinéma, je pense qu’ils vont me servir plus tard. Mais je déserte de plus en plus les autres cours.

C’est l’époque nourricière où les festins sont faits de quelques pommes de terre et d’un œuf pour la mayonnaise. Où Jean-Pierre Guévart, mon ami pour toujours, poète à jamais, m’emmène à Honfleur chez l’éditeur Pierre-Jean Oswald. Où Michel Lejeune, notre intellectuel, décortique pour moi marxisme et matérialisme. Où je rencontre Madeleine qui partagera les premières années de ma vie et sera la mère de mes trois premiers enfants. Où, pendant deux heures, j’assiste fasciné, à une répétition de Léo Ferré. Tout seul dans un coin, je me fais tout petit dans les coulisses de la Halle aux draps. Pourquoi accepte-t-il ma présence, je ne le saurai pas. Ferré répète, marchant de long en large « un chien, je suis un chien ! ». Il bute et recommence…

Les deux trente-trois tours Amour-Anarchie vont tourner en boucle. Je plonge dans cet univers rebelle et poétique. Je me laisse envoûter par Léonard Cohen. Vient alors le choc de la rencontre avec Félix

Roy, petit RoyAu bout de ton bâtonLes filles sont joliesEt le fromage est bonRoy, petit RoyPetit prince démonAux montagnes fleuriesMon voyage est fini

Je me ferais bien ballonJe me ferais bien crayonJe me ferais bien bâtonPour rester auprès de toiRegarder passer les oiesEt courir sur les cheminsEn te tenant par la main...

avec le petir roy

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Leclerc que j’ai relatée en préambule. Mon monde est en train de se construire.

Je chante un peu dans la rue, fait deux, trois essais de manche dans des restos bruxellois mais je trouve très désagréable de chanter pendant que des gens mangent. Depuis, je suis d’ailleurs toujours gêné quand un musicien ou un chanteur rentre dans un restaurant où je suis attablé...

En octobre 70, je participe au concours des Automnales de la Chanson à Bastogne. Deuxième prix derrière Aline d’Havré, et, ce dont je suis très fier, je remporte le prix de la chanson sur la nature avec ma chanson Hiver. Et c’est la découverte des Ardennes, plus proches que les Cévennes, vieilles montagnes plus douces, tellement riches et profondes. Toute cette nature, dont je ressens un besoin impérieux, est là offerte, splendide. La ville ne m’attire guère, j’y fais de rares incursions.

En mars 71, je fais mon premier spectacle à Bruxelles au Chat Ecarlate, en première partie de… François Béranger, qui, lui aussi, fait sa première apparition en Belgique. Ce sera le début d’une relation épisodique, qui de rencontre en rencontre, me laissera, à la fin de sa vie, parmi ses amis intimes.

De retour en Cévennes, en été 71, je rencontre Michel et Sylvie Fontayne, sur le mont Lozère. Gens de théâtre et bergers intellectuels, ils vont avoir aussi une grande influence dans mes projets futurs. Rencontre également de Jean-Pierre Chabrol, en chair et en os, un soir dans un mas, au cours d’une veillée, cet écrivain et conteur que j’avais découvert l’été précédent. C’est lui, avec Claude Villers, qui me donnera le goût d’écrire et raconter des histoires.

Mon parcours de jeune chanteur, alors, se passe rarement dans les cabarets ou boîtes à chansons, mais plutôt dans les fêtes de villages, les MJC, les Centres Culturels et Maisons de la ulture qui se créent alors un peu partout en Belgique et en France.

Soutenu par Angèle Guller, je fais la première partie de Julien Clerc à Tournai en octobre. Puis la première partie de Barbara aux Automnales de la chanson à Bastogne. Les Ardennes, cette fois m’ont convaincu...

Aux plos, avec les Fontayne

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Après quelques mois à hésiter entre les cours de communication de la cité tournaisienne et l’appel des vieilles montagnes ardennaises, c’est le départ vers Champs, près de Bastogne. L’installation dans une petite ferme qui va devenir le rendez-vous de bien des chanteurs: André Bialek, Philippe Anciaux, Jacques-Ivan Duchesne. On se retrouve fréquemment et on refait le monde. Champs, printemps 72. Nous avons ramené des chèvres des Cévennes. Cochon, poules, âne, fromage de chèvre, c’est le retour à la terre... en Ardennes.

Je n’oublierai jamais l’aide que m’ont apporté quelques amis dans ces moments-là. Françoise et Henri De Caevel, à Tournai, m’ont permis d’acheter une belle guitare, puis avec Paul et Paule Draime et mon ami Guy Verlaine, ils nous ont envoyé chaque mois, pendant plus d’une année, une petite somme pour boucler notre fin de mois. Je ne sais pas si c’est grâce à eux que j’ai tenu bon, mais je sais que c’est grâce à eux que je crois à la solidarité. C’est pour ça que je le raconte.

Pour les quatrièmes Automnales de la chanson 72, nous avons concocté un programme parallèle à Champs et c’est toute une partie de la chanson belge émergente de l’époque qui se succède dans un pré à côté de la maison avec le soleil pour projecteur. D’autres quittent Bastogne, où se déroule le festival officiel, pour nous rejoindre : Julos, le groupe Crèche (c’est là que je rencontre Bernard Haillant), Georges Chelon… C’est là aussi qu’Angélique Ionatos et son frère Photis, lauréats du prix 72, font la connaissance du groupe Crèche qui les emmènera à Paris faire leur premier disque. On fait déguster nos premiers fromages de chèvres. Pélardons des Ardennes…

Ce sont les premiers pas de ce qui donnera, l’an d’après, l’envol du festival de Champs 73 : Musiques et t’chansons des d’jins de ç’costé-ci. Cette fois, en IN des 5èmes et dernières automnales de la Chanson de Bastogne, un des grands moments, organisé conjointement par le Service Provincial de la Jeunesse du Luxembourg (direction Philippe Dufrene), Bernard Gillain et la RTB. Il faut dire que, parti d’une lettre* du folk-singer américain, Pete Seeger, qui incite chacun à retrouver ses propres racines, un grand mouvement est en train de naître. Au Québec, en Bretagne, en Occitanie, les musiciens retournent aux sources. Sous la houlette de Bernard Gillain et de son émission Marie clap sabot à la RTB, la musique wallonne à son tour se

*…Une partie du travail des musiciens dans tous les coins de la terre aujourd’hui consiste à redécouvrir la richesse, la force et la subtilité de leur propre musique et de la porter à l’attention des masses populaires de leur pays. Dans votre pays, vous devriez pouvoir construire votre musique nouvelle sur ce que l’ancienne a de meilleur… Nous devrons lutter durement pour faire progresser dans chaque pays une musique qui puisse aider les gens à vivre et à survivre, et finalement à créer un monde neuf, paisible et coloré comme l’arc-en-ciel. » (Pete Seeger – Beacon – NY – USA) Trad. Jacques Vassal, extrait de Rock and Folk.

à Champs en 1972

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réveille. Bernard et Julos Beaucarne, suivis par d’autres, cherchent, fouillent et débusquent de merveilleuses petites perles. Et la musique traditionnelle se propage un peu partout. On ressort les violons, accordéons diatoniques, vielles à roue, psaltérions, cornemuses et autres rommelpots… On y mêle guitares, contrebasses et batteries…

Des groupes naissent en nombre : Les pêleteux, Rue du village, E Saquant beyaux, Jean Chabot béton. Du côté flamand, Wannes Van de Velde, Rum, De Snaar… C’est un feu d’artifice qui va durer plusieurs années. Champs 73, Champs 74, Champs 75 qui se transformeront en Temps des cerises quand je quitte le village de Champs et que Bernard Gillain reprend le festival, chez lui, à l’Abbaye de Floreffe. L’événement devient international, les musiciens viennent de partout, le public aussi. Les musiques s’enrichissent de sonorités modernes.

De plus en plus, on crée des chansons nouvelles. Le Temps des cerises draine des milliers de personnes. D’autres festivals naissent dans la foulée, La fête des Leux, St Gérard…

Aux origines de ce courant, je participe donc avec Bernard Gillain et Julos Beaucarne, à la préparation de ce fameux Champs 73. Une guinguette sur la place du village qui va attirer plus de mille personnes sur la journée et donner le coup d’envoi à ce formidable mouvement. Autour du violoneux Constant Charneux, tout le monde du naissant folk wallon est réuni. La soirée est enregistrée par la RTB et il en reste un disque emblématique Champs 73.

J’y chante pour la première fois Champs la rivière. Ma chanson commence à circuler sur les ondes. Après Bernard Gillain, c’est Edmond Blatchen qui la défend avec passion. Ce n’est pas une chanson folk, mais elle est née à Champs, dans ce creuset, et elle est au carrefour du renouveau wallon et de la nouvelle chanson belge.Mes inspirations classiques, Ferré, Brel, Leclerc, vont se mélanger à celles du folk. C’est aussi la découverte de Gilles Vigneault qui mieux que personne va mêler les genres. C’est dans ce climat que j’écrirai des chansons comme La fête des foyans, La marie ne fait plus son pain, Ah l’amie, Le temps des champignons… C’est aussi au cours de cette fameuse journée que je rencontre un groupe de musiciens qui s’est constitué pour l’occasion autour de Pierre Coulon et que Bernard Gillain baptisera

A CHAMPS LA RIVIEREun village ardennais à 6 km de

Bastogne

La fête battait son pleinles artificiers étaient en route

et Jofroi nous racontait simplementavec une patience impatiente de

fumeur de pipe...«Faut bâtir une terrefaut s’inventer la vie

et de l’aube à l’ l’hiverla patience...»

c’était en septembre 1973...Bernard Gillain

Champs 73 - photo : Philippe Ruelle

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Les Coulonneux. Joli jeu de mots avec les colombophiles qu’on appelle «coulonneux» en wallon... Quelques temps après, nous commencerons à répéter, Pierre Coulon (flûte), Jean-Paul Laurent (flûte et piano), Jeannot Gillis (violon) et Michel Dayez (guitare). C’est la naissance de Jofroi et les Coulonneux à l’occasion de Champs 74. Puis la sortie du premier 33 tours…

Nous quittons Champs la rivière fin 74, pour nous installer à Sivry, près de Chimay dans la botte du Hainaut. Je garde des images merveilleuses et de grandes émotions de ce déménagement. Il faut dire que Champs est devenu un village connu avec son festival et nous avons créé des liens forts avec les voisins, lié des amitiés solides.

D’autres sont venus s’installer là tout près, comme Roland De Raeve, psychologue, Claude Sélis, musicien ou ma sœur et son mari... Tous arrivent pour élever des moutons, des chèvres, revenir à la terre. Roland y est toujours, non loin de Neufchâteau, où il a pendant des années cultivé et élevé, à l’ancienne, chevaux, vaches et moutons, et créé, avec sa compagne, Elisabeth, un fromage remarquable, le Tournerol. La veille de notre départ, nous faisons un voyage jusque Sivry avec notre marchand de cochon qui, en échange d’une truie, a accepté de nous déménager. Son camion, malheureusement, tombe en panne devant la porte là-bas. Plus moyen de démarrer... nous rentrons ensemble, serrés dans la vieille R4, inquiets de notre retard, parce que nous avons invité tous nos voisins à venir boire un verre dans la cour de la ferme, le soir, pour leur dire au revoir. Je l’ai même fait annoncer par le curé, à la messe du dimanche.

Comment prévenir ? Les mobiles n’existent pas encore, même pas dans l’imagination. Quand nous arrivons, il est passé 20h ! Pas moyen d’arriver jusqu’à la maison, il y a des voitures garées partout. Plus d’une centaine de personnes entourent un grand feu qui brûle au milieu de la cour. Je pense que nous n’aurons jamais assez à boire pour tout ce monde. Et je découvre derrière la porte du vin, de la bière, des victuailles... Roland et quelques amis ont tout géré ! Ce soir-là, nous allons longuement serrer la main de tout ce monde, qui nous invite à revenir au village quand nous voudrons... Je retourne encore de temps en temps saluer l’un ou l’autre et regarder les arbres que j’y ai plantés.

pochette de l’album «Champs 75»maquette : Raymond Héroufosse

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à toi mamour, à Albert la faux, Oscar l’abeille et le vieux Thomas,à Ropus le loup, fennec et pépé,au mouleur de vielle des fables de Ghelderode, aux berges de l’Escaut,à tous les faiseurs de pain et de bonne aventure,à Sarah l’ânesse et ses trente ans de coups de talons, à toute la Cévenne fleurie et son peuple rebelle,aux gorges de la Jonte, à Big Sur, aux fêteurs de taupe, à l’alcool de grain, à la petite hermine blanche de champs la rivière,à nos enfants, cette humble moisson

Jofroi et les Coulonneux intitulé aussi Changer de pays sort en avril 1975 chez Alpha, enregistré au studio Steurbaut, à Gand, en direct sur un revox stéréo. Cette maison de disques au départ classique, a produit Julos Beaucarne quelques années auparavant et vient de sortir l’album de musique traditionnelle des Peleteux.

Nous vivons maintenant dans une maison isolée au bord de forêts magnifiques. Les chèvres ont suivi mais pas pour longtemps, les tournées ne vont pas me permettre de continuer à m’en occuper quotidiennement.

Mais je vais très vite acheter deux ânes qui vont nous tenir compagnie bien des années. C’est aussi le moment où j’installe quelques ruches au fond de la prairie et renoue avec le souvenir du rucher de mon père quand j’étais enfant. Les ânes et les ruches feront aussi le voyage pour Cabiac bien plus tard. Et si les ânes, aujourd’hui, nous ont quittés, j’ai toujours gardé les abeilles et cette relation privilégiée avec l’univers.

Les Coulonneux et moi, nous n’allons plus nous séparer pendant plusieurs années. Tous musiciens remarquables, de formation classique, ils ont le fin talent d’ajouter la tension dans les harmonies, et tout air, aussi traditionnel qu’il soit, prend d’autres couleurs. Ils se partagent les arrangements et le disque, comme le spectacle qui suit, est entrecoupé de quelques instrumentaux traditionnels ou originaux, arrangés ou écrits par les musiciens.

L’album, Jofroi et les Coulonneux, va ouvrir une brèche dans la production discographique belge, qui, depuis dix ans, n’a pas vu éclore un seul nouveau chanteur. Nous commençons à tourner partout. Les aficionados nous suivent de concerts en concerts. Les fêtes naissent dans tous les villages. Et puis tout bouge. La brèche s’ouvre à d’autres. Parallèlement au folk, d’autres mouvements font leur chemin. Je rejoins aussi la Chanson sauvage où se retrouvent, entre autres, Claude Semal, André Bialek, Aline D’havré, Christiane Stefanski, Philippe Anciaux, Jacques-Yvan Duchesne, André Burton…

Jofroi et les Coulonneux

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Je suis un mammifère voyageur arrêté quelque part parce que les grappes de sorbier m’y invitaient, à travers les sapins bleus d’un matin de décembre.En fait, je suis né pour la seconde fois, il y a trois ans et demi à « Champs la rivière ». Là m’est revenue ma mémoire de la terre comme des souvenirs anciens de granges bondées de foin et de marche lourde sur le cheval de trait de mon grand-père à moustache. C’est là qu’un matin d’hiver, je me suis rendu compte que la terre vivait, bruissait, travaillait toute seule, qu’elle était un véritable cadeau du ciel et qu’il fallait la respecter, la choyer même, la guérir si besoin… car nous ne pouvions vivre sans elle. Plus tard, je me suis intéressé aux hommes qui vivaient dessus, d’une manière proche… J’admire encore leur calme, leur longue patience, mais aussi leur force et leurs colères. Tout cela me semblait fantastique mais tellement sans espoir qu’on y revienne un jour, alors que de loin en loin me venaient les échos d’une société bousculée par la course au bonheur, de la méchanceté à la violence, de la haine à la guerre. Je me suis arrêté quelque part en rase campagne en me disant qu’il y avait mille manières de porter les cheveux mais une seule de porter l’enfant.Maintenant, j’ai changé de pays, de colline, de forêts. Je sais que la vie dans les campagnes est aussi belle et aussi malsaine qu’ailleurs. Je vous parle de tout et de rien, d’ici et d’ailleurs. Je vous écris de mon pays perdu, du fond de ma tête, des mots d’amour, des mots de fête, et aussi bien sûr, les peines et les angoisses qui vont avec.

texte écrit pour le communiqué de presse de la sortie du disque

photos : Françoise ErreraJo

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En ce début des années 70, comme je l’expliquais plus haut, c’est le temps béni du folk. Je me laisse inspirer par ces mélodies répétitives et joyeuses, chansons à répondre, à chanter, à danser… Mais au milieu de tous ces groupes qui naissent et vont chercher dans les répertoires anciens les perles rares, chansons courtoises, galantes ou osées, rarement engagées, j’invente mes propres chansons folk. Aujourd’hui encore, certains pensent que « la fête des foyans » est un air traditionnel venu des temps anciens où les bals étaient menés par les crin-crins et les rommelpots.Je l’ai écrite à Champs en 1974 pour le deuxième festival qui se déroulait dans la prairie au-dessus de chez nous, au lieu-dit «les cawettes». Quant aux « foyans », c’était le surnom donné aux habitants de Champs… « les taupes »… comme ça se faisait encore dans beaucoup de villages.

* Il est un vieux proverbe wallon qui dit : Y vaut meyeu s’betchi que s’capougni ! ce qui signifie : Il vaut mieux s’embrasser que se taper dessus !Autant dire que le fameux «Faites l’amour, pas la guerre !» pourrait bien être d’origine wallonne...

La fête des foyans

A les cawettes pour faire la fêteTi Jo ti Jean toutes nos gensA les cawettes pour faire la fêtePour faire la fête des foyans

Pour faire la fête des foyans Sont venus nombreux et fringantsPour faire la fête des foyans Pour danser on est exigeant

Pour danser on est exigeantLes belles le sont tout autantPour danser on est exigeantFallait voir la tête à ti Jean

Fallait voir la tête à ti JeanEncourageant décourageantFallait voir la tête à ti JeanC’est-i qu’l’amour c’est fatigant

C’est-i qu’l’amour c’est fatigantMarie donc la Julie ti JeanC’est-i qu’l’amour c’est fatigantT’iras te reposer au champ

T’iras te reposer au champFaut pas s’user en travaillantT’iras te reposer au champCe s’rait quand même plus excitant

Ce s’rait quand même plus excitantLa vie sans gêne et sans tourmentCe s’rait quand même plus excitantEn s’ bet’ chan qu’en s’ capougnan... *

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Lisbonne

Je t’écris ça fait longtempsQue j’aurais dû le faireIci l’été a fait son tempsC’est maintenant l’hiverJe n’ai pas quitté mon manteauDe tout l’automneJe suppose qu’il fait Bien meilleur à Lisbonne

Il paraît que tu as déjàRetrouvé du boulotIci la pluie n’arrête pasEt les champs sont sous eauOn n’a pas encore pu semerLes blés d’automneJe suppose qu’il fait Bien meilleur à Lisbonne

Ici rien n’a fort changéLa vie coûte très cherOn tape sur les portugaisEt tout va de traversLes gros manitous s’accolentPuis s’abandonnentJe suppose qu’il faitBien meilleur à Lisbonne

Je t’imagine au soleilAu fond d’une rue pauvreEst-ce si triste au soleilAu fond... une rue pauvre ?Ici la misère est sombreEt monotoneJe suppose qu’il fait Bien meilleur à Lisbonne

Sans doute as-tu appris aussiLà-bas par le journalNotre belle démocratieLaisse tomber le voileCe n’est pas encore arrivéÇa ne trompe personneJe suppose qu’il faitBien meilleur à Lisbonne

Joachim et ses enfantsRêvent de leur paysIls pensent bien dans pas longtempsY retourner aussiSi ce que l’on dit est vraiMais il s’en étonneIl suppose qu’il faitBien meilleur à Lisbonne

Fin 1974, j’écris « Lisbonne », lettre à ma jeune sœur partie là-bas pour y vivre. Présente à mon esprit, la révolution des œillets du mois d’avril et la fin du régime salazariste…

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Matins d’octobre

Je n’ai aucune envie d’être triste et pourtantOn m’a dit quelque part, il n’y a pas longtempsQue les prisons sont pleines de gens de mon âgeNe portant pas leur bonne foi sur le visageMais il en est ainsi de ces matins d’octobreOù je pense et tu penses et le ciel pèse fort

Je n’ai aucune envie d’être triste et pourtantJe pense par hasard aux palais éclatantsA l’heure où la misère va se mettre à tableA l’étranger perdu, à nos rois charitablesMais il en est ainsi de ces matins d’octobreOù tu penses et je pense et le ciel pèse fort

J’imagine la mine où mille yougoslaves Se pourfendent le corps pour défendre leur âmeJusqu’au dernier poumon et puis rejoignent au lit Les femmes qui attendent leur cinquième petitMais il en est ainsi de ces matins d’octobreOù je pense et tu penses et le ciel pèse fort

Je n’ai aucune envie d’être triste et pourtantLa mort et la folie ont frappé quelques-unsQui avaient l’habitude de ramasser leur bléDepuis qu’on voit des chars dans les champs barbelésMais il en est ainsi de ces matins d’octobreOù les feuilles se meurent et le ciel pèse fort

Mais il en est ainsi de ces matins d’octobreOù je t’aime et tu m’aimes mais le ciel pèse fort

En 74, je participe à la «fête de mai» organisée par le journal POUR, journal d’extrême-gauche. C’est dans ses colonnes qu’a paru pour la première fois, le texte de «Matins d’octobre». Nous partons pour une tournée d’une quinzaine de jours à travers Bruxelles et la Wallonie, emmenée par Claude Semal et une quinzaine de chanteurs et musiciens. Chaque jour, toute l’équipe, artistes, régisseurs, montent et démontent le chapiteau. Je me souviens avoir dû abandonner la tournée un peu avant la fin, abattu par une foudroyante hépatite. Je me souviens surtout de la solidarité de l’équipe qui a voulu que mon cachet soit payé jusqu’au bout.

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