Cytologie urinaire et marqueurs moléculaires

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Annales de pathologie (2010) 30S, S112—S114 SYMPOSIUM Cytologie urinaire et marqueurs moléculaires Urinary cytology and molecular markers Eric Piaton a,, Dimitrios Vordos b , Delphine Collin-Chavagnac c , Lukas Bubendorf d a Centre de pathologie Est, HFME, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France b Service d’urologie, hôpital Henri-Mondor, 94010 Créteil cedex, France c Laboratoire de biologie médicale, centre hospitalier Saint-Joseph-Saint Luc, 69007 Lyon, France d Universitätsspital Basel, Schoenbeinstrasse 40, 4031 Basel, Suisse Accepté pour publication le 25 juillet 2010 Disponible sur Internet le 16 septembre 2010 Les tumeurs vésicales superficielles peuvent être classées en trois catégories selon leur risque de progression, d’après les recommandations du Comité de cancérologie de l’association franc ¸aise d’urologie (CCAFU) [1] : les tumeurs à risque faible (pTaG1unique et pTaG1—G2sans récidive à trois mois), à risque intermédiaire (pTaG2multifocal, pTa multirécidivant, pTaG3 et pT1G2) et à risque élevé (pT1G3, pTiS diffus, pT1 multifocal et pT1 récidivant avant six mois). Environ 70 % des tumeurs récidivent après résection trans- uréthrale ; 9 % des tumeurs pTa, ainsi que 18 % des pT1 progressent en grade et en stade dans les cinq ans [2]. Les patients doivent donc être suivis régulièrement à un rythme qui dépend de l’appréciation initiale du risque. La cystoscopie et la cytologie urinaire sont, malgré leurs imperfections, les deux méthodes de choix pour détecter les récidives. La cytologie a au mieux une sensibilité de 30 %. Sa reproductibilité est faible dans la détec- tion des tumeurs de grade 1 à 2, alors qu’elle est élevée (80 %) pour le diagnostic des hauts grades (G3 papillaire ou infiltrant et carcinome in situ [CIS]). La cystoscopie impose des contraintes lourdes aux patients et aux urologues, d’autant qu’environ 85 % des cystosco- pies de contrôle s’avèrent négatives au cours du suivi [2]. De plus, la cystoscopie, malgré une spécificité de 90 % ne peut pas toujours visualiser le CIS. En pratique clinique, les cys- toscopies suspectes de CIS ne sont confirmées par des biopsies positives que dans moins de 50 % des cas. Symposium présenté le jeudi 25 novembre 2010, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le grand amphithéâtre. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Piaton). 0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.07.026

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Eric Piatona,∗, Dimitrios Vordosb,Delphine Collin-Chavagnacc, Lukas Bubendorfd

a Centre de pathologie Est, HFME, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, Franceb Service d’urologie, hôpital Henri-Mondor, 94010 Créteil cedex, Francec Laboratoire de biologie médicale, centre hospitalier Saint-Joseph-SaintLuc, 69007 Lyon, Franced Universitätsspital Basel, Schoenbeinstrasse 40, 4031 Basel, Suisse

Accepté pour publication le 25 juillet 2010Disponible sur Internet le 16 septembre 2010

Les tumeurs vésicales superficielles peuvent être classées en trois catégories selonleur risque de progression, d’après les recommandations du Comité de cancérologie del’association francaise d’urologie (CCAFU) [1] : les tumeurs à risque faible (pTaG1 uniqueet pTaG1—G2 sans récidive à trois mois), à risque intermédiaire (pTaG2 multifocal, pTamultirécidivant, pTaG3 et pT1G2) et à risque élevé (pT1G3, pTiS diffus, pT1 multifocal etpT1 récidivant avant six mois). Environ 70 % des tumeurs récidivent après résection trans-uréthrale ; 9 % des tumeurs pTa, ainsi que 18 % des pT1 progressent en grade et en stadedans les cinq ans [2]. Les patients doivent donc être suivis régulièrement à un rythme quidépend de l’appréciation initiale du risque. La cystoscopie et la cytologie urinaire sont,malgré leurs imperfections, les deux méthodes de choix pour détecter les récidives. Lacytologie a au mieux une sensibilité de 30 %. Sa reproductibilité est faible dans la détec-tion des tumeurs de grade 1 à 2, alors qu’elle est élevée (80 %) pour le diagnostic des hautsgrades (G3 papillaire ou infiltrant et carcinome in situ [CIS]). La cystoscopie impose descontraintes lourdes aux patients et aux urologues, d’autant qu’environ 85 % des cystosco-pies de contrôle s’avèrent négatives au cours du suivi [2]. De plus, la cystoscopie, malgréune spécificité de 90 % ne peut pas toujours visualiser le CIS. En pratique clinique, les cys-toscopies suspectes de CIS ne sont confirmées par des biopsies positives que dans moinsde 50 % des cas.

� Symposium présenté le jeudi 25 novembre 2010, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le grand amphithéâtre.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (E. Piaton).

242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2010.07.026

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Cytologie urinaire et marqueurs moléculaires

Le CIS représente un mode fréquent de récidive destumeurs à haut risque et est un facteur pronostiqueindépendant de progression. L’importance du CIS, soncaractère concomitant à une lésion papillaire et sa loca-lisation prostatique ou au niveau du bas uretère sont lescritères pronostiques principaux. La cystoscopie combinéeà la cytologie est un élément important du diagnostic,mais jusqu’à 42 % des CIS ne sont pas détectés en cys-toscopie standard. Le développement de la cystoscopieen fluorescence, ou diagnostic photodynamique a permisd’améliorer la détection des lésions et notamment du CIS,de la dysplasie et des petites tumeurs papillaires [2,3]. Lediagnostic photodynamique permet d’améliorer la qualitéde la résection, dans le but de diminuer la récidive et laprogression des tumeurs superficielles [4].

Concernant l’approche cytologique, de nombreuxtravaux ont été consacrés aux marqueurs urinaires pou-vant compléter ou remplacer la cytologie urinaire dansl’appréciation diagnostique ou pronostique des tumeursurothéliales. Un marqueur fiable doit avoir une sensibilitésuffisante pour éliminer le risque d’ignorer une tumeur dehaut grade et sa spécificité doit être suffisamment élevéepour réduire les explorations invasives chez les patientssans cancer.

Sur le plan de la sensibilité, la comparaison est souventdéfavorable à la cytologie urinaire, notamment dans lestumeurs de bas grade. Toutefois la cytologie urinaire aquelques points forts : bonne spécificité, encore inégaléeparmi les marqueurs urinaires, bonne performance diagnos-tique dans le CIS ou les tumeurs de haut grade [5]. Aucundes marqueurs tumoraux actuellement commercialisés neconstitue le test idéal et ne peut prétendre remplacer lacystoscopie. Toutefois, des tests tels qu’uCyt+ combiné à lacytologie, les microsatellites (Loss of heterozygosity/perted’hétérozygotie [LOH]) ou la FISH semblent intéressantsavec une sensibilité élevée et une valeur prédictive néga-tive de l’ordre de 95 % qui permettrait ainsi de limiter lescystoscopies inutiles [6—8].

Mais la principale limite des nouveaux marqueurs estla présence de faux positifs qui diminuent la spécificité

globale du test, notamment en présence de pathologiesurogénitales bénignes (lithiase, inflammation, adénome dela prostate) ou d’autres pathologies telles que le cancer dela prostate. Les techniques de biologie moléculaire tellesque la FISH, l’analyse des microsatellites ou le dosage del’ARNm de l’hTERT (télomérase), malgré des performancesdiagnostiques et pronostiques élevées, gardent un coûtélevé et des contraintes techniques importantes qui enlimitent encore l’applicabilité quotidienne. Une automa-tisation de ces tests sera nécessaire pour autoriser leurdiffusion en pratique clinique.

Les faux positifs posent plusieurs problèmes : d’unepart, une erreur diagnostique peut induire des cystoscopiesinjustifiées. D’autre part un test positif chez un patient àcystoscopie négative peut être indicateur d’une maladiemicroscopique non encore visible qui évoluera et deviendraune récidive cystoscopique [9]. Des études multicentriquesrécentes ont ainsi montré que des tests tels que la FISH,la survivine urinaire, uCyt+ ou le HA-HAase test sont pré-dictifs de récidive tumorale et améliorent la surveillance« visuelle » parfois prise en défaut. À ce propos, comme onl’a dit plus haut, l’utilisation des techniques de cystoscopieavec fluorescence (utilisation de l’acide 5-aminolévulinique[ALA] ou de l’hexaminulévulinate [HAL]) pourrait favoriserun diagnostic précoce des lésions non visibles de dysplasieou de CIS [2,4].

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Les études cytogénétiques ont permis d’identifier desanomalies génétiques les plus fréquemment observées,telles que la perte du locus 9p21 du chromosome 9 (locuscodant pour l’anti-oncogène p16), et des anomalies numé-riques des chromosomes 3, 7 et 17, avec perte de ladiploïdie. Ces anomalies chromosomiques vont pouvoiralors être identifiées et localisées par FISH. Le kit UroVysionde Vysis, commercialisé par Abbott, permet l’identificationdes aberrations numériques du 9p21 et des chromosomes 3,7 et 17 [7,8].

Il existe une corrélation statistiquement significativeentre un résultat positif de FISH et le taux de récidive tumo-rale. Dans la série de Skacel et al. [9], le taux de récidive àun an était de 28,6 % en cas de FISH positive, contre 9,7 % encas de FISH négative (p = 0,001). De même, une FISH posi-tive peut précéder le diagnostic cystoscopique de tumeur :dans cette même série, parmi les neuf patients avec uneFISH positive, une cytologie urinaire atypique et des biopsiesvésicales négatives, huit patients soit 89 % ont développéune tumeur de vessie avec un délai moyen de 5,5 mois.Il apparaît donc qu’une surveillance des tumeurs vésicalespar FISH pourrait améliorer le diagnostic précoce des réci-dives. Des résultats négatifs persistants devraient permettrel’espacement des cystoscopies, donc leur diminution.

D’autres méthodes génomiques apparaissent promet-teuses : les microsatellites sont des séquences courtes (un àquatre nucléotides) et répétées, distribuées de facon aléa-toire sur l’ensemble du génome. Par leur polymorphisme, ilspeuvent être utilisés comme « empreinte génomique » pourla cartographie de gène. De même, la détection de micro-satellites altérés dans un prélèvement cellulaire peut êtreutilisée comme marqueur de développement clonal.

Deux types de réarrangement sont généralement obser-vés en pathologie tumorale :• la perte d’hétérozygotie (LOH) qui correspond à la perte

de matériel génétique englobant un microsatellite etresponsable alors de fragments alléliques de taille iden-tique ;

• l’instabilité des microsatellites.

Le nombre de microsatellites étudiés varie d’une étudeà l’autre mais la sensibilité et la spécificité restent élevées,variant entre 49 et 95 % pour la sensibilité et entre 89 et100 % pour la spécificité. La perte d’hétérozygotie sesitue essentiellement sur le chromosome 9. L’analyse desmicrosatellites est tout particulièrement intéressante dansles tumeurs de faible grade (G1 ou pTa) où la majorité desséries retrouvent une sensibilité supérieur à 75 % [10]. Laspécificité de la technique est excellente avec quelquesfaux positifs (8 % en moyenne) correspondant dans laplupart des cas à des états inflammatoires ou à des patientsaux antécédents de tumeur de vessie.

À l’heure actuelle, aucun test n’a fait la preuve d’unesupériorité nette soit parce que les études ne corres-pondent pas à des essais thérapeutiques, soit parce que lenombre de patients étudiés est insuffisant, soit parce queces tests s’appliquent à une population de patients déjàtraités, ce qui modifie considérablement les performancesdiagnostiques du marqueur. La solution viendra sans doutede l’association de plusieurs marqueurs pour améliorer Seet diminuer les faux positifs. Les champs d’applicationde la biologie moléculaire sont vastes et une meilleurecompréhension de la carcinogenèse permettra proba-blement de supplanter le couple cytologie—cystoscopiedans la détection et la surveillance des tumeurs devessie.

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onflit d’intérêt

es auteurs n’ont pas de conflit d’intérêt.

éférences

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E. Piaton et al.

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10] Collin-Chavagnac D, Marcais C, Billon S, Descotes F, Piaton E,Decaussin M, et al. Quantitative loss of heterozygosity analy-sis for urothelial carcinoma detection and prognosis. Urology2010;76:515.e1—7.