Crowdsourcing vs Design Thinking : Une étude comparative de deux démarches d’innovation externes...
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Crowdsourcing vs Design Thinking :
Une étude comparative de deux démarches d’innovation externes
dans la phase d’idéation
Aurélie HEMONNET-GOUJOT
IAE Aix-en-Provence, Aix Marseille Université
Laboratoire CERGAM
Tel: 06 60 22 54 82
Email: [email protected]
Julie FABBRI
Ecole Polytechnique, Université Paris-Saclay
Centre de Recherche en Gestion, i3-CRG
Email: [email protected]
Delphine MANCEAU
ESCP Europe
Email: [email protected]
Crowdsourcing vs Design Thinking :
Une étude comparative de deux démarches d’innovation externes
dans la phase d’idéation
Résumé : Le crowdsourcing et le design thinking constituent deux démarches
d’innovation externes prisées par les entreprises pour faire émerger des idées de
nouveaux produits et services. Malgré leur forte visibilité parmi les praticiens, nous en
savons peu sur leurs spécificités et leurs apports dans la phase d’idéation. A travers une
étude de cas approfondie fondée sur un recours à ces deux démarches, cet article
analyse ces approches en détail. Bien qu’il ne soit pas plus économique et plus rapide
que d’autres démarches externes, le crowdsourcing créatif se révèle générateur d’un
grand nombre d’idées en regard du temps investi, tandis que le design thinking offre un
cadre d’analyse pertinent pour comprendre les usages, même s’il ne propose pas
toujours de solutions opérationnelles.
Mots-clés : Crowdsourcing, Design, Phase d’idéation, Nouveaux Produits/Services,
Open innovation, Co-création.
Abstract: Crowdsourcing and design thinking are two popular external innovation
approaches among companies to generate ideas for new products and services. Despite
their high visibility among practitioners, little is known of their advantages and
limitations in the ideation stage. Through an in-depth case study where both approaches
were used, this paper examines in detail both approaches. Although creative
crowdsourcing is neither cheaper nor faster than other external approaches, it proves to
generate a relatively large number of ideas for the time invested, while design thinking
provides a relevant framework for analyzing and understanding use patterns, even if it
does not always provide solutions that are operational.
Keywords: Crowdsourcing, Design, Ideation Stage, New Products/Services, Open
innovation, Co-creation.
1
Quelle démarche adopter pour générer de nouvelles idées ? Dans le processus de
développement de nouveaux produits et services, la phase de génération d’idées, ou
idéation, est considérée comme déterminante pour favoriser la performance ultérieure
du processus de développement de nouveaux produits (NPD) définie par le résultat
financier, la pénétration du marché et le délai de développement de nouveaux produits
(ou time to market) (Markham, 2013). Plus précisément, l’existence d’un processus
d’idéation structuré et favorisant une meilleure appréhension des besoins clients est un
moyen de réduire le délai de développement de nouveaux produit (Flint, 2002). Le
choix de la démarche d’idéation apparaît alors comme un sujet d’autant plus stratégique
qu’il permet aux entreprises d’avoir une meilleure réactivité pour répondre aux attentes
des clients et d’accentuer leur avantage compétitif conféré par la position de « premier
entrant » (Cankurtaran, Langerak et Griffin, 2013).
Deux nouvelles approches se diffusent fortement au sein de la sphère managériale,
essentiellement dans la phase d’idéation. On observe une forte augmentation du nombre
d’initiatives de crowdsourcing sur les cinq dernières années (Le Nagard et Reniou,
2013; Roth, 2014) et un recours croissant à la démarche design thinking (Carlgren,
Elmquist et Rauth, 2014). S’inscrivant dans une logique de décloisonnement du
processus d’innovation en phase avec la diffusion de l’open innovation conceptualisée
par Chesbrough (2003), elles cherchent à intégrer les clients et les utilisateurs. La
démarche crowdsourcing propose de recourir aux idées directement générées par les
consommateurs suite à des appels à projets (Füller, Jawecki et Mühlbacher, 2007; Cova,
2008; Burger-Helmchen et Pénin, 2011; Bayus, 2013; Le Nagard et Reniou, 2013; Roth,
Brabham et Lemoine, 2015). La démarche design thinking permet d’intégrer les
méthodes du design pour stimuler la créativité des équipes en charge du NPD (Brown,
2010).
Pour autant les caractéristiques et les apports de ces pratiques issues des praticiens, ont
été peu étudiées sur le plan académique, en particulier pour la phase d’idéation, malgré
quelques travaux fondateurs en crowdsourcing (Füller, Jawecki et Mühlbacher, 2007;
Poetz et Schreier, 2012; Bayus, 2013; Boudreau et Lakhani, 2013; Le Nagard et Reniou,
2013) et en design thinking (Brown, 2010; Carlgren, Elmquist et Rauth, 2014). Afin de
mettre en exergue leurs spécificités, leurs vertus mais aussi leurs limites dans la phase-
clé d’idéation, nous avons privilégié une approche comparative de ces deux démarches
2
(Hauser, Tellis et Griffin, 2006), et analysé leur application lors d’une même situation :
faire émerger des idées de nouveaux produits et services sur le marché ludo-éducatif.
L’étude en profondeur de ce double cas nous offre l’opportunité rare de comparer de
manière systématique ces deux démarches appliquées à une même problématique
d’innovation et d’analyser leur efficacité dans la phase d’idéation.
Crowdsourcing et design thinking : de quoi parle-t-on ?
Qu’est-ce que le crowdsourcing ?
De plus en plus d’entreprises font appel à des consommateurs pour imaginer, tester et
développer de nouvelles propositions de valeur (Füller, 2010). Cette pratique s’est
intensifiée avec internet qui permet d’atteindre rapidement et simultanément un nombre
plus important de consommateurs (Burger-Helmchen et Pénin, 2011), notamment grâce
à des plateformes web (Liotard, 2012). Le fait de poser la même question à une foule
d’individus anonymes, aux compétences variées, afin d’obtenir un maximum de
solutions définit la démarche crowdsourcing (Schenk et Guittard, 2011; Le Nagard et
Reniou, 2013). Le crowdsourcing d’activités inventives (Pénin et Burger-Helmchen,
2012) distingue trois formes selon la nature des tâches confiées à la foule Schenk et
Guittard (2011) : (1) le crowdsourcing de tâches simples (collecte de données,
génération de contenu), (2) de tâches complexes (résolution de problèmes exigeant des
connaissances spécifiques ou une expertise), (3) de tâches créatives (que nous
appellerons crowdsourcing créatif), qui favorise l’émergence d’idées nouvelles. Dans
les trois cas, deux modes opératoires peuvent être activés : le recours direct aux
individus, grâce à des communautés structurées (communautés d’innovateurs et de
marques); ou un recours indirect à des individus anonymes via des entreprises
intermédiaires (agences, sociétés d’études) faisant l’interface entre les entreprises et la
foule (Füller, Jawecki et Mühlbacher, 2007; Bayus, 2013; Boudreau et Lakhani, 2013).
Le recours aux individus peut prendre différentes formes, comme l’appel à contribution
(principalement pour les communautés d’innovateurs et de marques) ou le concours
d’idées, particulièrement adapté pour le crowdsourcing créatif (Boudreau et Lakhani,
2013). Globalement, l’efficacité d’une démarche crowdsourcing dépend de la
formulation de la question posée à la foule, de la capacité de la foule à y apporter des
solutions et de la facilité de l’entreprise à évaluer les propositions finales (Afuah et
3
Tucci, 2012). Dans cet article, nous nous concentrons sur le crowdsourcing créatif, parce
qu’il s’agit de la forme de crowdsourcing la plus utilisée dans la phase d’idéation1.
Qu’est-ce que le design thinking ?
Le terme design thinking, qui a été diffusé par Tim Brown, fondateur de la célèbre
agence de design américaine Ideo (Brown, 2010), consiste à appliquer les méthodes et
la « pensée design » au développement de nouveaux produits et à des problématiques
managériales. Cette approche, qui bénéficie encore aujourd’hui d’un faible ancrage
théorique, peut désigner une démarche d’innovation, une compétence managériale ou un
outil de stratégique de gestion des entreprises (Johansson‐Sköldberg, Woodilla et
Çetinkaya, 2013). Elle cherche à répondre à trois contraintes : la désirabilité (ce qui fait
sens pour le consommateur), la faisabilité (ce qui est techniquement possible dans un
futur proche) et la viabilité (ce qui permet de développer un projet économique
rentable).
La démarche design thinking est structurée en trois étapes : (1) l’inspiration, (2) la
génération d’idées et (3) la réalisation. (1) La phase d’inspiration s’appuie sur une
compréhension approfondie du marché et des besoins des utilisateurs, ce qui apparaît
comme un préalable essentiel à la génération d’idées. Elle permet d’identifier les désirs
des utilisateurs qu’ils ne peuvent pas verbaliser. Cette approche repose sur des
techniques variées d’observation et d’ethnographie (photos, films), qui permettent aux
designers de mieux comprendre, en contexte réel, les problématiques d’usages des
utilisateurs dans leurs pratiques quotidiennes (Leonard et Rayport, 1997). Elle
rassemble également des équipes pluridisciplinaires d’experts (psychologues,
anthropologues, sociologues). Cette démarche orientée usager semble favoriser
l’identification de nouveaux insights, par une meilleure appréhension des désirs latents,
et la détection de nouvelles opportunités (Veryzer et Borja de Mozota, 2005). (2) La
deuxième étape, la phase d’idéation, consiste à générer de nouveaux concepts, suite à
des séances de brainstorming, puis à les développer et à les tester de façon itérative via
la démarche de prototypage rapide. Elle permet, grâce à l’utilisation de nombreuses
représentations visuelles (croquis ou maquettes), de stimuler la créativité et d’explorer
1 Notons toutefois que le crowdsourcing créatif peut intervenir à différentes étapes du NPD, et également
en aval pour créer des campagnes de communication pour le nouveau produit ou pour co-produire
l’expérience de consommation.
4
de multiples idées en parallèle (Brown, 2010; Lockwood, 2010). (3) Enfin, la phase de
réalisation comprend la concrétisation technique de l’idée et l’étude de la viabilité
économique du projet.
Alors que l’on constate un recours croissant à ces deux démarches dans la phase
d’idéation, la littérature n’apporte que peu de précisions sur les spécificités et les
apports de ces démarches dans cette phase. Peu de travaux ont analysé le crowdsourcing
de tâches créatives dans le cadre d’un recours indirect aux usagers, d’une part, et la
démarche de design thinking dans un contexte managérial, d’autre part (Carlgren,
Elmquist et Rauth, 2014). Nous avons donc adopté une approche inductive, qui nous a
permis d’analyser les démarches crowdsourcing et design thinking dans la phase
d’idéation sur un même cas (encadré 1).
Encadré 1. Protocole de recherche
Dans l’objectif de préciser et de mettre en exergue les spécificités des démarches
crowdsourcing et design thinking dans la phase d’idéation, la méthodologie d’étude de
cas s’est avérée particulièrement pertinente pour mener une enquête empirique en
contexte réel sur ces deux nouvelles démarches d’innovation externes (Yin, 2009).
Nous avons eu l’opportunité d’étudier l’initiative originale d’une grande entreprise de
télécommunication française qui a eu recours simultanément à deux prestataires
externes, reconnus respectivement pour leurs démarches crowdsourcing et design
thinking, afin de générer des idées de nouveaux produits pour entrer sur un nouveau
marché.
Nous avons interviewé les cinq principaux acteurs du cas sur un mode semi-directif.
Plusieurs entretiens avec le chef de projet de l’entreprise cliente ont permis de
comprendre la nature du projet et des enjeux pour l’entreprise, les processus de
collaboration avec les deux partenaires, et enfin les résultats et suites du projet. Nous
avons également rencontré les chefs d’entreprises des sociétés spécialisées en
crowdsourcing et design thinking, ainsi que leurs chefs de projet pour ce client, pour
avoir leur retour sur le déroulé de la collaboration et la nature des résultats produits,
ainsi que pour mieux caractériser leurs démarches crowdsourcing et design thinking.
Deux entretiens collectifs, rassemblant à la fois le chef de projet de l’entreprise cliente
et les acteurs-clés chez les partenaires, ont également été organisés pour confronter leurs
5
visions respectives du projet. Nous avons ainsi été en mesure d’établir le rôle et les
apports de chacun, la chronologie des faits et le bilan du projet. Nous avons également
eu accès à de nombreux documents internes aux trois entreprises (briefs, comptes-
rendus de réunions de travail, résultats des sessions créatives, recommandations finales
de chacun des prestataires, documents de synthèse et d’évaluation du client…) et
effectué des recherches documentaires complémentaires sur Internet (consultation des
sites internet des trois acteurs, d’articles de presse…).
Pour analyser ces données, nous avons tout d’abord procédé à un premier niveau
d’analyse consacré au processus propre à chacune des démarches d’innovation étudiées.
Nous avons ainsi reconstitué et documenté les différentes étapes suivies dans ces deux
démarches, grâce à la combinaison des données primaires et secondaires. Puis, dans un
second temps, nous avons analysé la nature de la collaboration entre l’opérateur et les
deux partenaires externes mandatés et mis en perspective ces deux approches. Ces deux
phases d’analyse nous ont permis d’identifier les spécificités de ces démarches
d’innovation dans la phase d’idéation ainsi que leur influence sur le processus
d’innovation en général.
Etude de cas : Recours croisé au crowdsourcing et au design thinking
pour innover sur le marché du ludo-éducatif
Avec quelle(s) nouvelle(s) offre(s) entrer (et s’imposer) sur le marché du ludo-éducatif ?
Telle est la question que se pose l’un des acteurs majeurs de la téléphonie mobile et
d’internet en France, appelé TELCOX dans cet article. Cette entreprise opère sur
l’ensemble de la chaîne de valeur du digital, depuis la création de contenus (jeux,
musique et films) jusqu’à leur diffusion et la maîtrise des plateformes de distribution, et
fournit une large gamme de services (forfaits téléphoniques, cloud computing…). Pour
trouver de nouveaux relais de croissance, l’entreprise décide de réfléchir à une nouvelle
offre sur un marché en développement, le ludo-éducatif (ou edutainment). Après avoir
analysé l’existant (les offres disponibles, les tendances…), l’équipe Innovation décide
de développer de nouveaux concepts en s’appuyant sur une réflexion sur les usages
plutôt que sur la technologie ou les fonctionnalités du produit. Après avoir réfléchi
pendant deux ans en interne au sujet de l’éducation à la maison et avoir réalisé plusieurs
pilotes avec un éditeur spécialisé dans les contenus pour enfants, TELCOX décide de se
6
tourner vers des partenaires externes pour lui suggérer des idées de nouveaux produits et
l’aider dans sa démarche d’innovation. L’équipe fait alors appel, de façon distincte et
cloisonnée, à deux sociétés, l’une spécialiste de crowdsourcing, l’autre de design
thinking. Elle choisit de travailler avec, d’une part, la plateforme de crowdsourcing
créatif « eYeka », et, d’autre part, avec l’agence de design et d’innovation « Babel User
Intelligence » (BUI). Aucun des deux partenaires ne sait qu’une autre société a été
mandatée dans le même temps pour tenter de répondre au même brief (encadré 2).
Encadré 2. Brief « Apprendre en jouant à la maison » de TELCOX
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si les Technologies de l’Information et de
la Communication (TIC) sont utiles à l’éducation. Il s’agit désormais d’imaginer
comment les faire rentrer dans les processus d’apprentissage des enfants. 88% des
parents considèrent que les TIC sont très utiles à l’éducation des enfants et 69% que les
objets électroniques quotidiens doivent servir à l’éducation2. Les jeunes, eux, sont
friands de technologie : ils surfent sur le web plus de 6h par semaine, passent environ 2h
par jour devant la télé et 80% d’entre eux possèdent une console de jeux3. Au-delà des
TIC, ce sont les modes de vie familiaux, les rapports enfants-parents-technologie,
l’appréhension des nouvelles technologies par les plus jeunes générations et la place de
l’éducation hors scolaire qui sont au cœur du sujet du ludo-éducatif.
Si de nombreuses offres ciblent les jeunes enfants (0-6 ans), rares sont celles qui
concernent les enfants en âge d’aller à l’école (7 à 14 ans) : Comment les enfants
apprennent-ils de nouvelles choses ? Préfèrent-ils apprendre seuls ou avec d'autres
(enseignants, famille, amis) ? Qu’est ce qui rendrait l’expérience d’apprentissage plus
intéressante et plus amusante pour eux ? Nous viserons donc la population des écoliers,
comprenant à la fois les élèves du primaire (7-10 ans) et du collège (11-14 ans). Bien
que la première cible soit la plus prometteuse en termes de marché, nous nous
concentrerons sur l’étude des usages ludo-éducatifs des collégiens. En effet, cette cible
est plus facile à étudier et les résultats obtenus seront généralisables à l’ensemble de la
catégorie, considérant que les plus jeunes imitent largement les pratiques de leurs ainés.
La démarche crowdsourcing d’eYeka
2 Etude parue en France en février 2010, au moment de l’énoncé du brief. 3 Source : Médiamétrie/IPSOS.
7
Leader mondial des plateformes de crowdsourcing créatif, eYeka connecte des marques
et des individus créatifs via des concours d’idées rémunérés. Créée en 2006 en France,
eYeka rassemble aujourd’hui une communauté internationale de 250 000 individus
créatifs à travers 150 pays. Ce sont plus de 70 000 idées créatives qui ont été générées,
toujours de manière visuelle (vidéo, animation, planches illustrées...), en réponse à des
appels à création d’une quarantaine de grandes marques internationales telles que
Procter & Gamble, Kraft ou Microsoft.
Après trois réunions de travail préparatoires avec TELCOX, eYeka ouvre l’appel à
création auprès de sa communauté francophone (encadré 3). Le montant des dotations
affectées à ce concours s’élève à 3 500€ (avec un premier prix à hauteur de 1 500€).
Encadré 3. Brief créatif d’eYeka « A vous d’inventer l’edutainment de demain ! »
« Comme chaque année à cette époque, le Père Noël envoie ses nouvelles créations aux
lutins pour lancer la confection des cadeaux de fin d’année. Cette année, il a une grande
et belle idée pour faire plaisir aux enfants : leur offrir une nouvelle manière d’apprendre
et de s’instruire tout en s'amusant.
Il a noté que les enfants étaient de plus en plus technophiles au fil du temps, qu’ils ont
accès à internet à la maison, le droit de regarder la TV de temps à autres et qu’ils sont
toujours connectés avec leurs amis via leur mobile/smartphone. Partant de ce constat, il
veut créer le cadeau ultime, celui qui va leur permettre de s’amuser et d’apprendre
simultanément !
Que va-t-il pouvoir inventer ? A vous d’imaginer concrètement ce nouvel objet.
Trouvez ses fonctionnalités, son design, ses plans, la manière de l’utiliser. »
L’appel reste ouvert pendant deux semaines sur la plateforme d’eYeka. Trois semaines
après l’ouverture du concours, eYeka avait reçu 43 idées4, exprimées sous forme de
dessins, d’images 3D, de vidéos ou de storyboards, chacune accompagnée d’un texte
descriptif. Une équipe de 10 personnes issues de différents services de TELCOX (R&D,
Innovation et Marketing) et choisies pour leur connaissance de l’innovation et leur
proximité à la cible (ex : des parents) est alors rassemblée par le chef de projet de
4 Ces 43 idées émanent de 30 répondants car certains ont pu proposer plusieurs idées. Ces individus sont
soit étudiants, soit en activité ; leur âge moyen est de 32 ans.
8
TELCOX pour sélectionner les cinq meilleures idées parmi ces 43. Leurs critères
d’évaluation portent sur : (1) l’originalité et la nouveauté perçues par rapport aux
produits existants sur le marché cible, (2) la valeur de l’idée, à savoir sa capacité à
résoudre un problème latent et à créer un avantage pour le client, (3) la faisabilité de
l’idée en termes de transformation commerciale et la capacité de réappropriation en
interne, (4) la cohérence avec le métier de l’opérateur. Chacun de ces critères est évalué
sur une échelle de notation à cinq points (1=faible, 5 = élevé). Les idées lauréates sont
un appareil photo intelligent, un nouveau genre d'encyclopédie interactive, un correcteur
d'orthographe intégré à un bijou de téléphone portable, un outil interactif de découverte
des musées et une loupe multimédia de réalité augmentée.
Outre la gestion de la relation avec les individus créatifs et des droits de propriété
intellectuelle, eYeka réalise également une analyse approfondie du contenu collecté
pour établir des recommandations stratégiques à l’attention de TELCOX (encadré 4).
Ainsi, eYeka met en exergue la dynamique active de l’apprenant dans le cadre d’une
offre ludo-éducative et le fait que, grâce aux objets connectés, l'enfant peut apprendre au
gré des opportunités offertes par son environnement. Au final, le processus a duré trois
mois, depuis la première réunion de travail jusqu’à la présentation des recommandations
stratégiques finales, et coûté environ 30 000€.
Encadré 4. Démarche crowdsourcing d’eYeka
1. Définition du brief créatif : eYeka transforme la problématique marketing et
d’innovation de l’entreprise cliente en un brief inspirant pour les individus créatifs. Ni
trop directif, pour permettre aux individus d'exprimer leur créativité, ni trop vague, pour
éviter les hors-sujet et respecter certaines contraintes techniques, la formulation et le ton
du brief créatif sont des éléments déterminants de la réussite du concours. Le brief peut
être présenté sous la forme d’un texte, d’une vidéo…
2. Mise en compétition des individus créatifs : dès la mise en ligne du brief, un panel
d’individus créatifs choisi en fonction de leur profil (langue, participation préalable à
des concours similaires…) reçoit une invitation à participer à l’appel à création, qui est
librement consultable sur la plateforme. Les équipes d’eYeka animent et modèrent les
échanges et contributions des participants pendant la durée du concours. eYeka
accompagne également ses clients s’ils le souhaitent dans le choix des lauréats, le
versement des récompenses et la gestion de la propriété intellectuelle.
9
3. Recommandations concrètes : les spécialistes d’eYeka analysent le contenu des
idées soumises par les individus créatifs, soit en regroupant simplement les thématiques
communes, soit grâce à une analyse sémiotique approfondie. Un maximum de 100 idées
sont communiquées au client pour que le processus reste gérable et aboutisse à
l’émergence de nouveaux concepts concrets.
La démarche design thinking de Babel User Intelligence
Babel est une agence de communication française qui s’est dotée d’une entité de
prospective et d'innovation stratégique, Babel User Intelligence. BUI déploie une
démarche d’innovation « User Centric », c’est-à-dire centrée sur les usages. L’agence
place l’expérience utilisateur au cœur de sa réflexion sur les nouveaux produits et
services à développer avec ses clients, comme par exemple le pass Navigo, l’Appart
Pattex ou le réservoir d’essence Inergy.
Lors d’une première réunion de travail, TELCOX présente le brief du projet ludo-
éducatif à BUI, comme elle l’avait fait avec eYeka. BUI s’approprie la problématique et
reformule le brief de la manière suivante : « Quels sont les nouveaux formats
d’apprentissage permettant de combiner les univers du jeu, des nouvelles technologies
et de l’éducation ? » BUI commence par mettre de côté ce à quoi devrait ressembler le
produit final pour se concentrer sur la conception de différents scénarios d'interactions
entre un outil et des individus au cours du processus d'apprentissage. Selon la démarche
design thinking, BUI va générer des idées et construire des scénarios d’usage innovants
qui font sens pour les utilisateurs en suivant trois étapes (encadré 5).
La première étape du diagnostic de l'expérience de l'utilisateur dure entre quatre et cinq
semaines. Elle vise à comprendre qui sont les utilisateurs de la ciblé étudiée et quelles
sont leurs expériences d’apprentissage actuelles, grâce à une analyse comparative des
jeux éducatifs existants, des entretiens avec des enfants et leurs parents, et des
observations in situ. Un ethnologue et un designer s’immergent pendant plusieurs jours
dans huit familles différentes pour étudier les usages des enfants à la maison, en termes
de loisirs et de réalisation des devoirs scolaires. Des prises de vue ainsi que huit
entretiens individuels de deux heures au domicile des familles, associant parents et
enfants, sont réalisés. Le Directeur de l’agence insiste sur l’importance des approches
ethnographiques : « Il faut pouvoir observer les pratiques des gens au jour le jour dans
10
leur environnement quotidien. Cela permet d’aller au-delà des mots. Si on ne fait que
de l’entretien, certains problèmes liés à l’usage peuvent ne jamais être soulevés par
l’utilisateur et risquent donc de ne pas être identifiés. » La restitution des observations
effectuées sur le terrain permet de définir les grandes tendances du ludo-éducatif. Selon
l’agence, les quatre piliers fondamentaux de l’expérience ludo-éducative, reposant sur
une logique d’entraide et de partage, sont : (1) l’introduction du hasard et de l’imprévu,
(2) l’importance du raisonnement plutôt que du résultat, (3) l’association de plusieurs
matières d’apprentissage dans les contenus, (4) la mobilité et la connectivité.
La deuxième phase de création de l'expérience utilisateur dure entre deux et trois
semaines. Une séance de créativité rassemblant des experts de TELCOX et les designers
de l’agence permet de concevoir quatre scénarios d’usage, illustrés par des storyboards,
intitulés : « démonter pour apprendre », « valoriser la découverte », « capitaliser le
savoir », et « le wiki des collégiens ». « Les storyboards sont des sortes de maquettes,
des dessins très simples, pas forcément jolis, qui permettent de raconter une histoire
lors des phases de tests avec les utilisateurs », explique le chef de projet BUI. Il s’agit
de dessiner le bénéfice utilisateur, et non de dessiner le produit, et de visualiser
l’ensemble de l’expérience utilisateur, c’est-à-dire ce qui se passe avant, pendant et
après l’utilisation. Des focus groups sont également organisés pour faire évaluer les
storyboards par des enfants et des parents et en identifier les conditions de réussite
d’usage. « Ce qu’on veut savoir, c’est si la succession d’images, et donc la proposition
qui est faite, a du sens ou pas. Ensuite, on évalue la pertinence du projet pour
l’entreprise, sur une échelle de 1 à 10, en se concentrant sur la valeur pour l’usager.
C’est un critère éliminatoire ! Si la valeur pour l’usager est inférieure à 5 alors l’idée
est abandonnée car elle ne trouvera pas son marché » précise le Directeur de BUI.
Enfin, l’agence rédige les concepts finaux centrés sur l'utilisateur. Deux pistes sont
retenues et creusées, « la valorisation de la découverte » et « le wiki des collégiens ».
Au final, le processus a duré trois mois, depuis la première réunion de travail jusqu’à la
présentation des recommandations stratégiques finales, et coûté environ 30 000€, soit le
même montant qu’avec eYeka.
11
Encadré 5. Démarche design thinking de Babel User Intelligence
1. Le diagnostic de l’expérience utilisateur : identification de nouveaux leviers
d’innovation grâce au décryptage d’expériences d’usage d’utilisateurs et d’analyses
qualitatives et de marché : observations, ethnographies, analyses sémiotiques et
sociologiques, benchmark cross-marchés et tendances.
2. La création d’une nouvelle expérience utilisateur : création et identification de
solutions innovantes lors de sessions de créativité (workshops créatifs et experts,
inspirations de marchés connexes, ateliers de co-création) pour générer de nouveaux
concepts génériques d’expériences grâce à une scénarisation des usages sous forme de
storyboards (dessin du bénéfice utilisateur plutôt que du produit).
3. La formulation de concepts: initiation de produits et de services innovants. A partir
de l’étape précédente, les concepts sont détaillés, précisés et testés auprès d’utilisateurs
pour évaluer et quantifier leur potentiel. Un accompagnement ultérieur pour développer
ces nouveaux produits et services peut être réalisé à la demande du client (prototypage,
tests d’usage, design d’interface…).
Après avoir récolté les idées et les concepts générés par eYeka et BUI, TELCOX a
procédé à une analyse comparée des contenus. Il en ressort que les deux démarches
convergent sur plusieurs points et permettent d’identifier les tendances clés du secteur
du ludo-éducatif. Dans les deux cas, les idées portent sur des biens tangibles (objets),
plutôt que sur des services pour lesquels la technologie occupe un rôle central
puisqu’elle permet de capter l’image et le son, tout en enrichissant le contenu. A partir
de cette analyse, l’équipe Innovation de TELCOX élabore deux nouveaux concepts,
intitulés « L’objet compagnon » et « Une journée au musée ». Le premier est
rapidement abandonné car il revenait à recréer un téléphone portable pour enfants, ce
qui n’était pas souhaité par l’entreprise. Quant au second, il est mis de côté car il ne
laisse présager qu’un faible potentiel de revenus. En parallèle, le concept d’application
télé interactive ludo-éducative, sur lequel TELCOX avait commencé à travailler avant
de lancer cette démarche croisée, est réactivé, la remontée de plusieurs idées allant dans
ce sens, aussi bien par la démarche crowdsourcing que design thinking, ayant fourni de
nouveaux éléments à l’équipe pour convaincre TELCOX de lancer le développement.
Un nouveau programme de télévision, proposant des contenus ludiques et intelligents
12
mêlant vidéo, jeux et quiz à destination des enfants de 4 à 10 ans et de leurs parents, est
ainsi lancé (Figure 1).
Figure 1. Vue d’ensemble du projet ludo-educatif de TELCOX
Quels sont les apports et les limites de ces deux démarches dans la
phase d’idéation ?
Face à l’engouement des entreprises pour ces deux démarches d’innovation dans la
phase d’idéation, l’étude de cas encastrée nous a offert l’opportunité rare de les analyser
dans un même contexte et d’identifier des apports et des limites qui n’auraient
probablement pas pu l’être sinon.
13
Le crowdsourcing créatif, générateur d’idées et détecteur de tendances
La démarche crowdsourcing aura permis à TELCOX d’obtenir rapidement un nombre
important de nouvelles idées et de propositions concrètes. Comme le souligne le chef de
projet de TELCOX, qui se déclare satisfait de sa collaboration avec eYeka : « Nous
étions un peu bloqués sur le sujet. Les membres de la communauté eYeka ont su nous
apporter beaucoup d’idées nouvelles. Pour la plupart, nous n’aurions pas pu avoir ces
idées en interne ». Si cette recherche confirme l’intérêt de recourir au crowdsourcing
pour obtenir un grand nombre élevé d’idées nouvelles, elle permet également d’affiner
les connaissances sur le crowdsourcing créatif dans la phase d’idéation (Cova, 2008;
Schenk et Guittard, 2011; Boudreau et Lakhani, 2013; Le Nagard et Reniou, 2013). Les
résultats de cette étude indiquent que les bénéfices attribués à la démarche
crowdsourcing dans la littérature ne sont pas systématiquement confirmés lorsque
l’objectif visé est de nature créative, en lien avec la phase d’idéation. Alors que la
littérature souligne que le recours au crowdsourcing accélère le time to market et
favorise l’obtention plus rapide et à moindre coût d’idées par rapport au processus de
NPD classique (Schenk et Guittard, 2011; Le Nagard et Reniou, 2013), la mise en
perspective avec une autre démarche d’innovation externe pondère cette affirmation, les
délais et les coûts étant sensiblement identiques dans les deux cas. En effet, la durée de
la collaboration entre TELCOX et eYeka ou BUI, comme le coût des prestations, se
sont avérés équivalents (3 mois et 30 000€). La plateforme de crowdsourcing créatif est
certes capable de délivrer en quelques semaines un nombre conséquent d’idées, mais
elle requiert en amont des temps de briefing et de préparation. L’intérêt du recours au
crowdsourcing créatif dans la phase d’idéation semble alors résider dans le rapport
élevé entre nombre d’idées concrètes générées et temps investi, si l’on considère
l’ensemble de la relation avec le prestataire pour parvenir à générer des idées et non
uniquement l’étape de collecte des idées.
Les résultats de notre recherche permettent également d’identifier une nouvelle
fonction, non soulignée jusqu’alors par la littérature, qui a trait à l’identification de
tendances. Le nombre d’idées et la masse de propositions obtenues permettent de
développer des analyses de contenu et de dégager des tendances (dans notre cas, la
mobilité et les objets connectés semblent centraux dans le développement du marché
ludo-éducatif).
14
Le crowdsourcing créatif, vecteur d’innovations incrémentales ?
Cette étude met en lumière le fait que les idées générées par ce type de démarche sont
plutôt de nature incrémentale. Selon le directeur d’eYeka : « il s’agit avant tout d’un
outil pour le marketeur, qui est en recherche d’innovation concrète, pratique et
quotidienne… On retombe un peu sur de l’innovation incrémentale. » Utiliser le
crowdsourcing dans la phase d’idéation permettrait donc difficilement de créer des
innovations de rupture. Cette évaluation semble confirmée par certaines réactions
internes à TELCOX en découvrant par exemple l’idée de loupe multimédia : « Ils
veulent réinventer le téléphone mobile ! ». Alors que la littérature souligne que les idées
générées par le crowdsourcing créatif sont jugées comme plus innovantes (Poetz et
Schreier, 2012), ce faible degré d’innovation perçu peut être expliqué par l’influence du
profil de la « foule » interrogée. Bien qu’a priori ouvert à la foule, ou au grand public au
sens large, le crowdsourcing créatif s’adresse à un nombre restreint d’individus dont les
profils restent mal connus (Salgado et De Barnier, 2014). Il repose principalement sur
des individus issus d’un processus d’auto-sélection parmi les usagers qui souhaitent et
peuvent répondre aux appels à projets (Poetz et Schreier, 2012). Ces individus auxquels
s’adressent ces plateformes virtuelles, ne sont d’ailleurs pas toujours représentatifs de la
cible et des utilisateurs, comme le souligne notre étude où l’âge moyen des répondants
est de 32 ans pour un public ciblé de 10-14 ans. Enfin, même si les individus peuvent
être qualifiés de « créatifs », ils peuvent avoir des difficultés à se projeter dans de
nouveaux paradigmes (Christensen, 1997).
Le design thinking, un cadre d’analyse essentiel à la compréhension des
usages
Le chef de projet de TELCOX s’est déclaré satisfait de sa collaboration avec BUI, car
elle a grandement enrichi sa connaissance de l’utilisateur et surtout de ses usages.
« J’utilise toujours les résultats de l’étude terrain de BUI, notamment pour développer
l’offre de télé ludo-éducative. Par exemple, il était ressorti que l’aspect convivialité du
partage en famille était très important, du fait qu’aujourd’hui la cellule familiale est un
peu éclatée… Cela nous a renforcés dans l’idée de faire un service familial, et pas un
service qui ne serait destiné qu’aux enfants. ». La démarche design thinking aura offert
à l’équipe Innovation de TELCOX un cadre d’analyse utile et structurant pour
15
l’ensemble de sa démarche d’innovation : « Ils avaient une très bonne grille de lecture :
ils nous ont donné des pistes pour analyser des projets futurs ou l’évolution du marché,
qui allaient au-delà du lancement d’un produit à un moment donné. … cela nous a bien
confortés dans l’idée d’y aller, dans l’idée qu’on avait fait le bon choix (…)»
(Opérateur). Cette étude révèle ainsi des apports spécifiques de la démarche design
thinking dans la phase d’idéation et enrichit les travaux existants (Brown, 2010;
Carlgren, Elmquist et Rauth, 2014). Par la mise en place d’une phase d’inspiration
préalable, qui s’appuie sur une observation des utilisateurs et un recours à des experts,
cette démarche permet de proposer un cadre d’analyse essentiel à la compréhension des
usages. Ce cadre a de multiples fonctions : il permet non seulement de donner du sens
aux idées générées par d’autres démarches (internes ou externes), mais sert également
de cadre de référence pouvant être mobilisé tout au long du processus d’innovation et
réutilisé dans d’autres projets. Notre étude suggère donc que cette capacité de prise de
recul et d’analyse des pratiques apparaît comme un outil structurant du processus de
NPD pouvant favoriser les capacités d’innovation des entreprises, à court comme à long
terme.
Le design thinking, un protocole qui reste à préciser dans la phase
d’idéation
Alors que le design thinking a été conçu pour s’appliquer à l’ensemble du processus de
NPD, cette démarche est principalement mobilisée dans les phases amont par les
entreprises (Carlgren, Elmquist et Rauth, 2014). Ainsi, même si le design thinking
valorise la mise en place d’un processus de créativité itératif permettant d’enrichir la
phase d’idéation, plusieurs points méritent d’être précisés. Alors que le design thinking
prône le recours à l’ethnographie, la démarche ne précise pas les modalités d’analyse et
d’interprétation des phénomènes observés, à la différence par exemple de la démarche
ethnomarketing (Badot et al., 2009). Contrairement à la méthode Delphi, qui intègre
également des experts dans la phase d’idéation selon une approche structurée et indique
précisément le rôle des différents acteurs et les phases d’itérations successives, le
protocole de la démarche design thinking n’est pas suffisamment précisé. De plus, les
processus d’itération au sein de la phase d’idéation ne sont pas détaillés. Outre le fait
d’intégrer les compétences créatives des designers et de capitaliser sur leurs facultés de
16
prototypage rapide, cette étude révèle le caractère encore peu structuré de cette
démarche dans la phase d’idéation.
Cette étude permet également de préciser la notion de prototypage dans la démarche
design thinking. Pour Brown (2010), le prototype prend la forme de croquis ou de
maquettes, sans plus de précisions. Il permet, selon lui, à la fois de filtrer les idées, de
développer des concepts et de mettre en forme les idées dans une logique de production.
Dans notre étude, le storyboard peut alors être considéré comme une première forme de
prototypage, répondant à la double logique de filtrage des idées et d’élaboration de
concepts. Ce constat révèle que la nature du prototype varie en fonction de
l’avancement du processus d’idéation : prototype d’usage en amont, de bien ou service
ensuite. Il suggère l’existence de plusieurs sous-étapes dans la phase d’idéation.
Comment évaluer ces deux démarches d’innovation externes ?
Alors que la démarche crowdsourcing est fondée sur une interaction active et formelle
de l'utilisateur, la démarche design thinking repose sur une observation approfondie des
pratiques des utilisateurs par des professionnels. Toutes deux construites sur un
processus dynamique de résolution de problèmes, ces deux démarches capitalisent sur
des représentations visuelles (dessins, prototypes…), issues de la créativité de la
« foule » ou des designers. Elles cherchent non seulement à identifier de nouveaux
insights, mais aussi à concevoir de nouvelles expériences. L’étude de cas encastrée nous
a offert l’opportunité de les analyser dans un même contexte et d’identifier des apports
et des limites qui n’auraient probablement pas pu l’être sinon. Le tableau 1 souligne la
finalité et le processus de chacune de ces démarches, à la fois de manière générale et
dans le cas particulier de la phase d’idéation étudié dans cet article.
Tableau 1. Comparaison des démarches crowdsourcing et design thinking
Crowdsourcing Design thinking
Définition « Acte d’identifier une tâche
habituellement réalisée par un
employé et de l’externaliser à un
large groupe de personnes, indéfini,
extérieures à l’entreprise » (Howe,
2008)
« Une approche de l’innovation
centrée sur l’humain, qui part des
outils du design pour intégrer les
besoins des gens, les possibilités de la
technologie et les exigences des
affaires » (Brown, 2010, p.4)
17
Finalité Soumettre à la foule des tâches
simples, complexes ou créatives
(Schenk et Guittard, 2011)
Proposer une nouvelle démarche
d'innovation fondée sur la résolution
créative de problèmes (Brown, 2010)
Processus Appel à contribution ou concours
d’idées (Boudreau & Lakhani, 2013)
Processus en trois étapes (Brown,
2010) :
1. inspiration
2. génération d’idées
3. réalisation
Donneur d'ordre Départements Marketing, R&D,
Design, Innovation
Départements Marketing, R&D,
Design, Innovation
Origine des
contributions
créatives
Individus créatifs, usagers et
consommateurs anonymes
Designers, dont l'approche est enrichie
par celle d'experts externes
(sociologues, anthropologues…)
Acteurs et modalités
d'intégration
Indirecte :
- Plateformes de crowdsourcing (ex :
eYeka, Innocentive, Jovoto, Hyve)
Directe :
- Communautés de marques (ex :
www.mystarbucksidea.com; Lego
Ideas)
Indirecte :
- Agences de design spécialisées en
design thinking (ex : Ideo)
Directe :
- Internalisation progressive de la
démarche design thinking par les
entreprises
Langage Dessins, images 3D, vidéos Dessins, prototypes rapides (croquis,
maquettes…)
Travaux de
référence
Füller et alli (2007) ; Füller (2010);
Howe (2008) ; Schenk et Guittard
(2011) ; Afuah et Tucci (2012) ;
Bayus (2013) ; Boudreau et Lakhani
(2013) ; Le Nagard et Reniou (2013)
Brown (2010) ; Lockwood (2010) ;
Johansson-Sköldberg et alli (2013).
Approche avant tout issue des pratiques
des entreprises, encore peu théorisée
(Carlgren et alli, 2014)
Analyse de l’utilisation comparée du crowdsourcing créatif et du design thinking
appliqués au cas de développement d’un produit ludo-éducatif
Enoncé des idées
- Démarche créative et divergente
- Objets tangibles (vidéos, images
3D, dessins)
- Démarche prospective et convergente
- Scénarios d’usage (storyboards)
Qualité des idées
- Originalité des idées
- Bénéfice consommateur élevé
- Faible faisabilité technique
- Difficulté d'appréhension des résultats
- Propositions moins concrètes
- Faible faisabilité technique
Apport de la
démarche à la phase
d'idéation
- Source d'inspiration, génération
d'idées nouvelles
- Identification de tendances
- Grille de lecture qui aide à la
compréhension des usages
- Identification de nouveaux usages
- Structuration de la démarche
d'innovation
- Remobilisation dans d'autres projets
d'innovation
Outil de
réassurance
«Le fait que l'idée ressorte avec
eYeka nous a vraiment confortés
dans notre approche. On s'est dit
qu'on pouvait y aller.»
«Cela nous a vraiment rassuré par
rapport à toutes les idées qu'on avait et
par rapport à notre positionnement.»
Efficacité de la
démarche
Coût
Délai
30 000€
3 mois
30 000€
3 mois
A partir de cette analyse, nous pouvons énoncer trois principales recommandations aux
entreprises souhaitant y avoir recours :
18
Caractériser la démarche de création
L’analyse du cas révèle que chacun des prestataires a cherché à s’approprier le brief
initialement présenté par le client en fonction de sa compréhension de la question posée.
Ils ont ensuite reformulé ce brief dans un langage et un style propres à leurs démarches
d’innovation : l’un avec une visée créative (plateforme de crowdsourcing), l’autre avec
une visée compréhensive (agence de design). L’analyse des résultats indique que la
plateforme de crowdsourcing créatif se caractérise par la génération d’un nombre de
propositions créatives plus élevé (43) que l’agence de design (4) et donc par une forte
divergence. Par ailleurs, les deux acteurs ont jugé nécessaire d’apporter une valeur
ajoutée au résultat brut (les idées générées), en proposant des analyses complémentaires
pour dégager des pistes de conceptualisation. Alors qu’eYeka a réalisé une étude
sémiotique, permettant de donner du sens et classer la liste d’idées obtenues, BUI a
effectué une synthèse des différents leviers structurant de l’usage, contribuant à une
meilleure compréhension et analyse des usages. BUI se caractérise alors par une plus
grande convergence. Plus précisément, au regard des techniques de créativité existantes
qui peuvent être classées en fonction de la dialectique divergence (comme le
brainstorming) - convergence (comme la méthode Delphi, ou la démarche Creative
Problem Solving), cette étude indique que, dans la phase d’idéation, la démarche
crowdsourcing est caractérisée comme divergente et créative, à la différence de la
démarche design thinking qui est convergente et prospective, focalisée sur
l’identification de nouveaux usages. Elles apparaissent alors comme complémentaires.
Evaluer les qualités des idées tout en s’affranchissant de la présentation des
résultats
Les propositions issues de la plateforme de crowdsourcing créatif correspondaient
essentiellement à des idées d’objets du quotidien faisant appel aux dernières
technologies (ex : une loupe connectée à internet ou un objet communiquant en forme
de pomme). La forme de restitution des résultats est ainsi apparue plus convaincante aux
yeux du client. L’agence de design a, elle, proposé des scénarios d’usage, représentés
19
visuellement à l’aide de storyboards (mises en situation de l’expérience utilisateur). Le
chef de projet TELCOX s’est dit un peu déçu du degré d’opérationnalisation des
résultats produits par BUI, comparé aux propositions concrètes et imagées, parfois de
façon quasi-professionnelle, des membres d’eYeka. L’approche par les scénarios
d’usage a été jugée trop conceptuelle par l’entreprise qui s’attendait à voir des projets de
produit fini (bien qu’il n’en ait pas été question contractuellement) : « Ce sont des pistes
hyper intéressantes, mais derrière il faut avoir la capacité de les exploiter, de les
approfondir, d’aller plus loin. » Mais, quelques temps plus tard, le chef de projet
TELCOX reconnaissait que, le degré d’opérationnalisation des résultats fournis par
eYeka n’était pas plus élevé que celui de BUI, dont la pertinence des apports s’est
révélée croissante au fur et à mesure de la conduite du projet de NPD : « On n’était pas
assez mûr pour exploiter les concepts proposés par BUI. En plus, ils ne nous avaient
pas proposé de pistes produits pour porter ces concepts… Mais au final, sans la grille
de BUI, je n’aurais pas su utiliser les idées amenées par eYeka.».
Trois critères peuvent être mobilisés pour évaluer la qualité des idées : la nouveauté, le
bénéfice consommateur et la faisabilité (Poetz et Schreier, 2012). Si les idées
formalisées de façon plus attractive par la communauté eYeka ont pu sembler plus
abouties, plus originales et plus promptes à apporter un bénéfice consommateur élevé
dans un premier temps, les apports de la démarche design thinking mobilisée en phase
d’idéation semblent pouvoir dépasser cette phase et offrir un cadre de cohérence dans
lequel évoluer tout au long du processus de NPD. Néanmoins, aucune des deux
démarches ne semble finalement en mesure d’assurer un niveau élevé de faisabilité « clé
en main ». Concernant la démarche crowdsourcing, au-delà de la génération rapide d’un
nombre important d’idées, se pose la question de la sélection et du filtrage de ces idées,
ainsi que de leur faisabilité commerciale et technique. « On nous livre une quinzaine,
vingtaine, trentaine de projets mais ensuite il faut les évaluer, les tester, les
décliner… ». Il en va de même pour la démarche design thinking pour laquelle le chef
de projet regrette que « ce ne soit pas un travail fini ». Si ces démarches favorisent
effectivement la créativité, il est important que les managers gardent à l’esprit qu’elles
ne sont pas conçues pour fournir un « travail fini » dans la phase d’idéation. Un travail
important d’appropriation et d’étude de faisabilité, pouvant potentiellement allonger le
20
time to market, devra donc suivre la mobilisation de ces démarches, comme cela est
suggéré d’ailleurs dans la démarche design thinking.
Faire progresser en parallèle les démarches d’innovation internes et
externes
De manière inattendue, les idées générées, et parfois convergentes, des deux démarches
ont pu contribuer à rassurer le client sur la pertinence de projets internes en cours.
Le recours au crowdsourcing permet de légitimer des projets déjà portés en interne,
plutôt que de faire émerger de nouvelles idées : « Parmi les 43 idées, est ressortie celle
d’une chaîne de télé pour enfants. Il s’avère que nous travaillions déjà sur un tel projet
depuis plusieurs mois en interne mais il avait un peu été mis de côté. Beaucoup étaient
réticents à ce que l’entreprise se lance dans ce type d’activité, très éloignée de notre
cœur de métier. eYeka nous a vraiment confortés dans notre approche. On s’est dit
qu’on pouvait y aller.» Le directeur d’eYeka confirme que c’est un cas de figure qu’il a
déjà observé avec d’autres clients : « Ils s’en servent comme un moteur de changement,
ça vient valider des idées qu’ils avaient eues avant mais qu’ils n’osaient pas lancer.»
En parallèle, les éléments fournis par la démarche design thinking ont permis au chef de
projet de TELCOX d’être en mesure de constater et d’expliquer la pertinence pour
l’entreprise de développer ce nouveau type d’offre : « Cela nous a vraiment rassuré par
rapport à toutes les idées qu’on avait et par rapport à notre positionnement. »
Cette étude souligne que la mobilisation de ces deux démarches d’innovation externes
permet d’enrichir et de réactiver le processus d’innovation interne en apportant des
éclairages complémentaires sur les projets en cours de développement. A l’instar de la
démarche d’innovation ouverte (open-innovation), cette étude suggère que l’enjeu du
recours à des partenaires d’innovation externe dans la phase d’idéation n’est pas tant de
sous-traiter la production d’idées, mais de faire progresser en parallèle les démarches
d’innovations internes et externes pour améliorer les capacités d’innovation de
l’entreprise.
Cette complémentarité et cette dynamique positive ne sont cependant pas toujours
systématiques. L’intégration d’idées externes à l’entreprise peut également entraîner des
résistances de la part des créateurs internes. Les équipes déjà en place peuvent souffrir
du syndrome du « not invented here » (Katz & Allen, 1982), en ne poussant pas les
21
innovations dont elles ne sont pas à l’origine. Ceci peut alors entraîner un problème de
perception sélective pouvant affecter négativement l’objectivité de la sélection des idées
sélectionnées provenant de l’extérieur et l’efficience du processus de NPD (Bartl et al.,
2012).
Conclusion
Alors que la plupart des travaux sur la mobilisation d’acteurs externes à l’entreprise
dans le processus de NPD se sont attachés à comparer les résultats des processus
d’innovation interne et externe (Poetz et Schreier, 2012; Nishikawa, Schreier et Ogawa,
2013), nous avons mis en perspective deux démarches d’innovation externes. Grâce à
une étude de cas unique, nous avons identifié les spécificités, les apports et les limites
du crowdsourcing et du design thinking dans la phase d’idéation du processus de NPD.
Sur le plan théorique, cette étude révèle que la démarche crowdsourcing permet non
seulement d’apporter des réponses concrètes à travers une série de propositions d’objets
tangibles, mais aussi d’identifier les tendances. Contrairement à certaines idées reçues,
le crowdsourcing ne permet pas d’optimiser le time to market grâce à un gain de temps
significatif dans la phase d’idéation. La démarche design thinking suscite quant à elle un
questionnement au travers d’un cadre de réflexion centrée sur l’usage et l’expérience
qui permet de donner du sens aux idées générées par d’autres démarches, internes
comme externes, tout en offrant un cadre de référence, mobilisable à différentes étapes
du processus de NPD. Les deux démarches crowdsourcing et design thinking stimulent
toutes deux la créativité et développent les capacités d’innovation des entreprises grâce
à leur fonction de réassurance qui réactive les processus d’innovation interne.
Sur le plan managérial, notre étude aide les managers à mieux appréhender le processus
et la finalité de ces pratiques managériales informelles. Plusieurs recommandations ont
été formulées pour guider les entreprises désireuses de mettre en place ce type de
démarche, dans les meilleures conditions. Si ces démarches favorisent effectivement la
créativité, il est important que les managers gardent à l’esprit qu’elles ne sont pas
conçues pour fournir un « travail fini ». Un travail important d’appropriation devra donc
suivre pouvant affecter négativement le time to market. Par ailleurs, un travail
d’acceptation des idées externes par les équipes internes est essentiel pour assurer un
meilleur filtrage des idées.
22
Comme toute recherche, cet article comporte des limites sources de recherches futures.
Cette étude de cas unique, bien que riche d’enseignements pour l’analyse de ces deux
démarches d’innovation externes dans la phase d’idéation, doit être répliquée à d’autres
projets et secteurs afin de compléter l’analyse et permettre la généralisation des résultats
obtenus. Les idées issues de ces deux démarches pourraient par exemple être testées par
des experts en innovation ou des consommateurs sur un échantillon plus large. Alors
que nous nous sommes concentrés sur le crowdsourcing créatif, une autre voie de
recherche consisterait à comparer l’apport de la foule à celui d’une communauté
d’usagers structurée.
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