Contes Catalans

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Contes catalans, Amades

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CONTES CATALANS

Generq'itpt CÍP Cats'unya Departen·eïit ae Cultura Centrç jte >•->.-• • ir·r·inc'ó1 Recerca ae la Cultura riar.iCionai < Popular

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CONTES DES CINQ CONTINENTS Collection crccc par PAUL DELARUE,

publiée sous le patronage du Musée national des Aris

et Traditions populaires.

PAR L'S :

Pertev Naili BoRATAV. — Contes turcs

Jeanne de LONGCHAMPS. — Contes malgaches

Joan AMADES. — Contes catalans

EN PRÉPARATION :

Solange BEKNARU-THIERRY. — Contes cambodgiens Carl Herman TILLHAGEN. — Contes tziganes

Luc LACOURÒIÈRE. — Contes canadiens Seamus O'DuiLEARGA. — Contes irlandais

Madeleine LEQULME-LE ROY. — Contes du Cameroun Maurice D E MEYER. — Contes flamands Valentina CHALY. — Contes ukrainiens

Kurt RANKE. — Nouveaux contes du pays des frères Grimm Ariane DE F É L I C E . — Contes des "dots français aux Etats-Unis

A la mème librairie, sous la mème direction et le mème patronage :

C O N T E S M E R V E I L L E U X D E S P R O V I N C E S D E F R A N C E

A. MII-I-IEX ei 1' . DEI .ARIE, Nivernais et Morvan. — G. MASSICNON, Ouest (Vendée, Grande Hrière, Angoumois). — A. PERHOSC, Gascogne. — A. DE F É U I i:, Hav.le-Brelagne. — François CADIC, Basse-Bretagne. — Gas-

ton M A U G A R D , Pyrénécs. — Maric-Aiméc MÉRAVII.LE, Auvergne.

E \ PRÉPARATION :

Des recueils de Bcrry et Poitou, Haut-Languedoc et Lyonnuis. Franche-Comté. Provence, Corse.

P A R I S

A I.'IMPRESSION

Charles JOISTEN, Contes du Dauphiné.

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J O A N AMADES

CONTES A T A L A N

Traduils p<r S O L E D A D E S T O R A C H e t M i c n K i. L E Q U E N N E

D e s s i n s de J o s é B A R T O L I Comnitr.taircs dc W A L T E R A N D E R S O N

et JOAN A M A D E S

É D I T I O N S É R A S M E PARIS, 3 I , QUAI DE BOURBON

w Generalitat de Catalunya Deparísmerü de Cultura Centrp de Doc jmemació i Recerca de ia Cultura Tradicional i Popular

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C E L I V R E , L E T R O I S I È M E D E L A C O L L E C T I O N

« C O N T E S D E S C I X Q C O N T I N E N T S » , A E T É

T I R É A T R O I S M I L L E E X E M P L A I R E S , S O I T :

50 E X E M P L A I R E S S U R P U R F I L L A F U M A ,

N U M É R O T É S D E I A 50, E T 2.050 E X E M P L A I R E S S U R V E L I N D E S P A P E T E R I E S

P R I O U X , D O N T 1 5 0 H O R S C O M M E R C E ,

C O N S T I T U A N T L ' É D I T I O N O R I G I N A L E .

EXE.MPLAIRE H. C.

© by éditions Érasme, Paris. 7957.

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I N T R O D U C T I O N

C 'EST presque par inadvertance que nous avons fait nos pre-miers pas dans le champ des recherches ethnographiques, mais nous y avons été retenu par le panorama bariolé

qu'ofjre la culture des humbles et surtout par la chanson, les con­tes (rondalL·s) et les coutumes. Dès l'année IQ14, nous avons recueilli tous les documents de littérature orale que nous avons pu trouver. De IÇI8 à 1921, puis de 1922 à IÇ28, nous avons par-couru toutes les contrées catalanes, depuis les Pyrénées jusqu'à l'Ebre, depuis l'Urgell jusqu'aux regions cótières. De IÇ28 à JÇ32, nous avons effectué des missions de recherches longues et étendues. Notre objectif était avant tout l'étude et le rassemble-ment de matériaux musicaux, mais nous collectionnions aussi tout autres sortes de documents, dont les contes qui avaient notre pré-jérence. De cette époque ò maintenant, nous avons effectué main-tes autres excursions à travers presque tout le pays. Dans Barce-lone mème, ou nous avons interrogé quantité de personnes venant de toutes les contrées de la Catalogne, nous avons effectué des recherches très importantes qui nous ont procuré un grand nombre de documents très divers et fort interessants.

Notre collection dépasse les 3.000 contes et légendes. Dans notre ouvrage Folklore de Catalogne, volume 1 , Rondallística, nous en avons publié 2.215, ' 0 M S fecueillis personnellement et

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aux lieux d'origine autant que possible. Nous nous somnies tou-jours efforcé d'écouter les conteurs chez eux, dans leur atmos-phère ou ils pouvaient parler avec naturel, ce qui nous permettait de saisir les conditions de leur vie et de leur état. Les contes proprement dits, les prodigieux et merveilleux, ne subsistent plus, pratiquement, que dans des ambiances familiales, à l'usage parti-culier des enfants qu'ü faut distraire et occuper. Chez les adul­tes, les contes ont perdu presque toute considération. Afin de les capter, nous nous sommes joint aux groupes d'enfants qui constituaient l'auditoire des grand-mères narratrices.

A deux occasions seulement, au cours de nos recherches, des conteurs semi-professionnels, à l'auberge ou nous étions hébergé, se sont offerts, pendant le repàs, à conter contre paie-ment d'une modique somme, mais plutót des contes facétieux et de peu de vahur. L'un d'eux, rencontré en 1925 à Ardévol, dans ZÍI région de VAlta Segarra, était un homme qui courait les foires et les pèlerinages avec un jeu d'anneaux et de flèches, il était de plus musicien, mais completemenl illettrè, ignorant les notes musi-cales comme la langue écrite. Le second cas était celui d'une narra-trice qui nous fut présentée en 1930 à ViL·nova de Meià dans le Segriar, c'était une guérisseuse qui soignait toutes sortes de mala-dies des humains et des betes, par des prières et des pratiques màgiques. C'était aussi une illettrée. Nous connaissons en outre un autre cas de pseudo-professionnalisme chez un vieux de Sarral qui fut employé comme diseur de contes ei devinettes et comme chanteur de vieilles chansons, pour distraire les mineurs, dans les mines de Surroca, dans le Ripollès.

Lorsque nous nous sommes trouve devant un conteur, jamais nous ne lui avons fait de suggestion ni n'avons tenté d'aider sa mémoire; tou\ours, nous Vavons laissé s'expliquer à sa tnanière. Nous avons toujours supporté patiemment tous les vices de dic-tion et de narration ainsi que les longues et fastidieuses répéti-

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tions d'épisudes rèdits souvent mot par mot avec une exactilude phono graphique.

Cette conduite na eu qu'une seule exception. Nous ne savions pour quelle rais on L· plupart des conteurs négligeaient, quand Us parlaient devant des adultes, d'utiliser des formules introductives et finales doni presque à coup súr Us ne manquent pas de faire usa ge lorsqu'ils s'adressent à des enfants. Chaque fois que nous avons questionné un conteur à ce sujet, il nous a répondu que c'était par crainte de nous faire rire et que l'on se moquàt de lui. Cette suggestion ne nous a jamais donné un resultat négatif, au contraire, elle a permis au conteur de compléter sa narration par la formule qu'il préférait.

Nous avons toujours systématiquement loué et complimento loui ce qui nous a été conté, sans jamais laisser entendre au conteur que sa narration était incomplète, déficiente ou incohérente, puis-que toujours nous avions le plus grand intérét à maintenir le moral du narrateur et mème à l'élever si nécessaire.

Le conte de contenu ethnographique appartient ordinairement au patrimoine féminin, et le climat le plus favorable à sa floraison est celui de la maternité. Nos meilleures collectes, nous les avons jaites aux lèvres des femmes qui élevaient leurs enfants et en fai-saient des hommes en leur recitant des contes entre deux cares-ses et en leur chantant de ces chansons que savent seulement les meres. Bien des fois, nous avons pu nous apercevoir que lorsque les meres disent des contes à leurs enfants, le récit aequiert une physionomie toute spéciale qui le fait différent de ce qu'il est, dit en d'aulres circonstances. Ces característiques sont si emotives qu'elles échappent à la transmission graphique. Cette période émo-.';;•(' se retrouve auprès des grand-mères entourées de petits. Nous avons entendu des meres réciter à leurs enfants des contes énumé-raiils qui nous ont charmés autant que le petit auditoire, et par contre, quand les mimes contes nous ont été dits pour que nous

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puissions les transcrire, les persistantes répétitions qui les carac-lérisent nous sont devenues on ne peni plus lourdes.

II est interessant de remarquer que les enfants sentent ordinaire-ment une préférence pour un nombre restreint de contes. Ce sont les mémes qu'ils demandent toujours et écoutent des centaines de fois.

En Catalogne, les contes appartiennent donc au patrinwine presque exclusif de L· femme. Les hommes n en connaisscnt pas beaucoup et ceux qu'ils racontent sont plutót des contes facétieux et anecdòtiques. Rares sont les contes du genre merveilleux qui appartiennent à leur répertoire, et alors ds sont typiquement mas­culins et durs, tels Jean de POurs et L e Pere Sans Peur. Bien entendu nous parions en termes généraux; puisqu'il existe des exceptions et que l'homme qui « sent le conte » a un répertoire bien plus riche que celui du commun des femmes

Ce sont íà les « contes d'auprès dit feu ». Jusqu'à nos jours, Yatmosphère propice aux contes fut celle « d'auprès du feu ». Les jours gris du long hiver ne conviennent guère aux occupations hors la maison. Les procédés d'éclairage rudimentaires ne se pré-taient pas à la plupart des travaux d'intérieur et la famille se repliait autour du foyer en attendant Vheure du diner sans autre éclairage que celui du feu qui chauffait la marmite. La jaillissaient les narrations que les reflets et le mouvement inégal et diabolique des flambées entouraient d'une lumière propre et d'un mystère present. On voyait, entre les flammes et la pénombre, surgir pour vivre en leurs exploits, les mille héros fantàstiques, protagonistes des narrations merveilleuses. Nous-mème avons subi le mystérieux charme de cette ambiance. Les récits que nous connaissions le mieux et qui auraient pu nous ètre devenus presque indifférents ont retrouvé une puissance neuve par l'effet du feu charmeur et de sa lumière. Le changement des coutumes a atteint l'essence et la vibration interne du conte. Ce qui a contribué le plus à l'épui-

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se ment du conte a été la perte dc l'usage des veillées hivernales auprès du jeu, — et c est le conte merveilleux tout spécialement qui semble s'affaiblir lorsqu'il est conté en plein jour.

Ceux qui contaient pcndant les veillées, c'etaient ordinaï-rement les vieux, assis en Heu eminent, sur le banc a dossier ou s'etaient reposées maintes générations d'anciens, en leur fonction patriarcale de conteurs, transmettant de bouche en bouche l'an-cien tresor de sagesse.

Lorsqu'il s'agit de chanter des chansons ou de réciter quelquc conte dans les montagnes et les campagnes ou il y a des bergers, il est d'usage de leur céder toujours la parole et personne n'ose les devancer ni s'opposer aux dires de ceux que l'on considère comme les plus autorisés en ce domaine. Jamais personne ne parlc avant qu'ils ne se taisent. Si, pendant que quelqu'un d'autre parlc, un berger lui fait une observation, personne ne le contredit et toujours on lui donne raison.

Dans les villes, parmi les femmes qui s'adonnent à des tra-vaux sédentaires de peu d'effort phvsique, et particulièrement aux iravaux d'aiguilles, qui s'effectuent sans bruit, l'habitude est encore répandue de se distraire par le récit d'histoires de toutes sortes, parmi lesquelles le conte traditionnel occupe encore une place, quoiqu'ü soit en déclin, repoussé par le récit de romans et parle commentaire d'arguments de films. Nous avo7is eu l'occa-sion de consulter bon nombre de femmes d'un certain agc qui avaient travaillé dans des usines de bonneterie et qui avaicn! un interessant répertoire de contes appris de leurs compagnes origi-naires de contrées fort diverses. Parmi les hommes, le récit col-leciij de contes est fort rare et la fable y occupe une place bien peu importante. Rares sont les hommes qui racontent des contes fantàstiques.

La moyenne de contes connus correctement par un con­teur oscille entre douze et vingt, encore que nous ayons fait la

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connaissance de conteurs qui en savaient plus d'une centainc. Ainsi dans les campagnes comme daus les villcs, le conte se

maintient encore vivant surlout chez Ics humbles et en particulicr parmi Ics femmes dgces. L'abondante litteraturc scolaire, le roman vulgairc inspiro souvent du conte ctranger, la presse enfantine largement illustrce et presque sans texte, le cinema, etc, n'ont rcussi à faire perdre du terrain au coute qu'à partir dc notre gene­rat ion.

Cellc dc nos fils en scra encore influencée, et qui sait si elle ne saura pas utiliscr le conte comme clement didactique, ei parmi elle, Ics femmes en particulicr? En tout cas, rcpctons-le, le conte de tradition orale est encore vivant, et il est encore possible, à qui sait iapprccicr, d'aller en respirer le parfum.

JOAN AMADES

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L A M A R I A - R O S E T A

V OICI qu'il était une fois un jeune roi qui voulait se marier et qui, après maintes reflexions sur la vertu majeure que devait avoir sa femme, pensa que mieux vaudrait peut-ètre qu'elle

fut très agile, afin que si, un jour, on voulait l'attraper et qu'elle dut se sativer par la fenètre, elle fut bien leste pour la sauter.

II fit alors proclamer publiquement son désir de se marier. II annonçait que devant son palais, au milieu de la place, il ferait dresser un lit, tout couvert de fleurs, de rameaux et de feuilles et que la jeune fille qui le sauterait d'un seul bond sans faire tomber ni fleur ni feuille se marierait avec lui.

Les demoiselles de tous les pays du monde se présentèrent par milliers et par milliers de mille. II en vint des jeunes, des riches et des pauvres, et toutes s'eftorçaient à qui mieux mieux de faire le plus grand saut. Mais il n'y en eut aucune d'assez légère pour sauter le lit sans faire tomber quelque fleur ou quelque brindille, ou qui ne fit tout aller sens dessus dessous. Cette sorte d'exercice dura plusieurs mois, et pour rire à se tordre, tous les gens de la ville allaient voir sauter celles qui voulaient ètre les promises du roi.

Voici qu'un jour se presenta une petite veuve, si jeune que personne n'eút pu déjà la croire en veuvage. Elle était fort vive,

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légère et jolie. Elle prit sa course de très loin, s'élança et d'un bond passa par-dessus le lit sans faire tomber aucune lleur. Totitefois elle fit voltiger un pétale de rose très petit, mais elle fut si leste qu'elle le saisit au vol, le porta à sa bouche et l 'avala sans que personne s'en aperçút. Sitót qu'elle eut sauté, elle courut se mèler à la foule qui regardait et sans que personne s'en rendit compte, elle s'en alia chez elle, s 'y enferma à sept serrures et à sept clés et n'en sortit plus, sauf pour aller à la messe. L e roi fut très con­tent de voir qu'enlïn il avait trouve celle qui pouvait sauter par dessus le lit et il ordonna aux domestiques de la lui amener. Mais les domestiques, cherche par ci, cherche par là, ne purent la trou-ver, ni personne qui sút leur en rien dire. Puisqu'elle était la seule capable de sauter le lit, le roi dit qu'elle avait gagné sa main, qu'il ne se marierait qu'avec elle et qu'un jour ou l'autre il la trou-verait et saurait qui elle était.

E t voici que cette petite veuve eut au bout d'un certain temps une petite fille qu'elle appela Maria-Roseta. Celle-ci était très jolie, plus encore que sa mère. Quand elle fut grande, sa mère la fit aller à la couture ( i ) et c'était la plus vive de toutes les petites filles qu'instruisait la maitresse.

Voici qu'un jour, le roi passa près de la couture et lorsqu'il entendit le grand babillage de toute cette troupe de petites filles, ü s'en amusa beaucoup et il entra. Toutes les fillettes lui contèrent des histoires, lui chantèrent des chansons et lui dirent des devi-nettes ; et le roi fut si content d'elles toutes qu'il leur promit qu'il reviendrait et qu'il leur apporterait une petite chaise d'or à cha-cune. L a Maria-Roseta arriva chez elle toute joyeuse et raconta tout ce qui s'était passé à sa petite mère qui lui répondit :

(i) 7.U couture : l'aneienne écolc pour les fillettes catalanes, oü l'on apprenait plus à couclre qu'à écrire. Le terme est encore usilé aujourd'hui dans les campagnes.

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— Dis au Seigneur roi quand il reviendra que tu n'as pas besoin de sa petite chaise d'or ; moi je t'en donnerai une qui sera plus jolie que la sienne, et s'il te demande ton nom, tu lui répon-dras :

— Je suis Maria-Rose, Mon père est un rosier, Ma mère est une rose, Je vis rue des rosiers A la mai son des roses.

Et elle lui donna une petite chaise d'or pour qu'elle s'y assít à la couture. Au bout de quelques jours, se presenta le roi avec maints serviteurs tout chargés de petites chaises d'or et il en donna une à chaque petite fille. Quand ce fut le tour de la Roseta, celle-ci lui dit qu'elle ne la voulait pas car elle en avait une plus jolie que lui avait donnée sa petite mère. L e roi fut fort étonné de ce refús et lui demanda qui elle était et comment elle s'appelait.

— Je suis Maria-Rose, Mon père est un rosier, Ma mère est une rose, Je vis rue des rosiers

A la maison des roses.

Le roi, très surpris de cette réponse, s'en retourna tète baissée avec la petite chaise dont la Marieta n* avait pas voulii.

Au bout de plusieurs jours, le roi revint à la couture et toutes les petites filles, très contentes, lui contèrent des histoires, lui ehantèrent des chansons et lui dirent des devinettes. L e roi, tout heureux, leur promit à chacune un coussinet d'or pour y planter leurs aiguilles.

Quand la Maria-Roseta raconta cela à sa petite mère, celle-ci

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répondit qu'elle lui donnerait un coussinet plus joli que celui que le roi pouvait lui offrir, qu'elle ne devait pas accepter un coussinet qui lui vint du roi et que s'il lui demandait qui elle était, elle répon­dit comme la première fois. Au bout de quelques jours, le roi vint à la couture tout chargé de coussinets d'or ; il en donna un à chaque fillette et la Maria-Roseta lui dit qu'elle n'en voulait pas parce qu'elle en avait un, plus joli, que lui avait donné sa petite mère. L e roi, très fàché, lui demanda qui elle était et comment elle s'appelait.

— Je suis Maria-Rose, Mon père est MM rosier, Ma mère est une rose, Je vis rue des rosiers A la maison des roses.

L e roi, courroucé, dut s'en retourner chez lui avec le cous­sinet d'or qu'il avait apporté pour la Maria-Roseta.

E t voici qu'au bout de quelques jours. le roi revint encore une fois à la couture, et toutes les fillettes, très contentes, lui racontèrent des histoires, lui chantèrent des chansons et lui dirent des devinettes. L e roi en fut si heureux qu'il leur promit à cha-cune un aiguillier en or. L a Maria-Roseta, toute joyeuse, raconta la chose à sa petite mère qui, fort en colère, lui répondit qu'elle n'avait pas besoin de cet aiguillier, qu'elle lui en donnerait un plus joli que celui du roi, et que lorsqu'il viendrait, elle lui répondit comme les autres fois.

L e roi, tout satisfait, revint au bout de quelques jours, à la couture, tout chargé d'aiguilliers d'or ; et il en donna un à chaque petite fille. Mais la Maria-Roseta ne voulut point accepter le sien et lui répondit comme les autres fois :

— Je suis Maria-Rose,

Mon père est un rosier.

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Ma mère est une rose, Je vis rue des rosiers A la mais on des roses.

L e roi furieux s'abandonna à sa colère, jeta l'aiguillier à la tète de la Marieta et toutes les aiguilles se prirent dans sa chevelure blonde qui descendait jusqu'à ses talons. L a pauvre Maria-Roseta dut passer le matin entier à se peigner pour parvenir à enlever tout cet essaim d'aiguilles, mais il lui en resta une, juste auprès de la nuque. Quand elle eut fini de se démèler, elle s'en alia chez elle.

Sur son chemin elle rencontra une vieille sorcière qui l'arréta, lui demanda oü elle allait avec cette aiguille dans les cheveux et qui ajouta qu'elle la lui enlèverait, si elle voulait. L a Maria-Roseta, sans penser à mal, lui répondit oui, la méchante sorcière — que íait-elle! — lui enfonce l'aiguille dans la nuque et la petite fille devient une petite colombe.

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Quancl elle se vit devenue colombelle, la Maria-Roseta ne sut plus que faire. Mais enfin, tout en volant, volant, elle s'en alia chez le roi et ne cessa de voltiger, si bien que les domestiques s'en aperçurent et la firent entrer. Elle se posait partout, et elle gagna si vite la sympathie de tous qu'elle venait mème se poser sur l'épaule du roi et manger dans son assiette.

Plus de sept ans passèrent. L e roi ne voulait point se marier car il attendait qu'un jour ou l'autre se presentat cette galante mignonne qui avait sauté le lit. Comme celle-ci ne se présentait pas, les gens de la Cour lui firent comprendre qu'il devait se décider à se marier, sans quoi, quand il mourrait, les plus grands embarras surviendraient pour savoir qui serait héritier de la couronne. L e roi se laissa convaincre. Mais comme aucune des femmes du pays qui avaient essayé de sauter par-dessus le lit ne lui avait plu, il crut qu'il ne lui restait pas d'autre solution que d'aller chercher épouse sur une autre terre.

11 appela le patron de la barque la plus grande et la plus rapide et lui dit de l'armer pour le mener dès le lendemain au Pays des Plus-jolies-jeunes-filles. L e patron arma son bateau, et, le jour suivant, de bonne heure, le roi s'embarqua, accompagné des sept hommes les plus vieux et les plus sages du royaume. Quand i'ancre fut levée, la barque ne voulut point bouger, le patron com-prit alors qu'il se passait quelque chose et il demanda au roi et aux sept hommes s'ils n'avaient rien oublié. Tous les huit pensaient que non, jusqu'à ce que le roi se frappàt le front et dit :

— Voici que j ' a i oublié de demander à ma petite colombe si elle ne voulait pas que je lui rapporte quelque chose de la Terre des Plus-jolies-jeunes-filles.

— Allez donc, Seigneur roi, tout de suite le lui demander, car autrement la barque ne bougera pas d'ici.

L e roi, vite, s'en alia chez lui trouver la petite colombe et lui

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demander si elle voulait qu'il lui apportat quelque chose de la Terre des Plus-jolies-jeunes-filles; et la petite colombe lui dit :

— Je veux un peu de pierre brise-cccur Qui porte le rire et les pleurs, Et un peu d'adiante fleurie Qui donne la mort et la vie.

Et le roi revint à la barque qui aussitót mit à la voile et en trois souffles de vent on arri va à la Terre des Plus-jolies-jeunes-filles.

L e roi et les sept plus vieux hommes allèrent dans la rue oü les jeunes filles qui veulent se marier vont chercher époux. II en passa par douzaines, par centaines, par milliers et milliers de mille, et aucune ne plut au roi. Ils se promenèrent par cette rue, ce jour-là, le lendemain et le surlendemain et ainsi trois semaines durant sans qu'aucune femme. petite ou grande, plút au roi. Les sept vieux qui etaient avec lui, crurent qu'il ne leur restait plus d'autrc solution que d'aller au Pays des Femmes-encore-plus-jolies.

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L a barque les porta au Pays des Femmes-encore-plus-jolies ; et là ils restèrent trois autres semaines, voyant passer des femmes grandes et petites. E t le roi n'en trouva aucune qui lui plüt.

Alors les conseillers pensèrent qu'il leur fallait aller au Pays des Femmes-encore-deux-fois-plus-jolies. L à aussi ils virent passer femmes et filles, dames et demoiselles, sans que le roi se décidàt pour aucune.

C'est ainsi qu'ils firent le tour des sept pays des Femmes-jolies, Trop-jolies et Beaucoup-plus-que-jolies. E t pas une ne plut au roi ; les sept vieux se réunirent et décidèrent que ce qu'ils pou-vaient faire de mieux serait de revenir chez eux.

Mais voici que la barque ne voulait point bouger et le patron demanda :

— N ' y a-t-il personne parmi vous qui n'ait fait quelque oubli? Et le roi se rappela alors qu'il n'avait plus pensé à ce que la

petite colombe lui avait demandé. II sauta à terre encore une fois et se mit à faire le tour des boutiques, demandant partout :

— Je veux un peu de pierre brise-cceur Qui porte le rire et les pleurs, Et un peu d'adiante jleurie Qui donne la mort et la vie.

Personne ne sut lui répondre et tout le monde se moquait de lui car nul ne croyait à une pierre qui puisse faire rire et faire pleurer; partout on lui disait que l'adiante était une herbe qui ne rleurissait pas, et le roi passa la journée entière à chercher de boutique en boutique jusqu'à ce que tombat la nuit.

II pensait qu'il ne pourrait revenir chez lui parce que la barque ne voudrait toujours pas bouger ; mais voici que s'approcha une petite vieille, — si petite, s; vieille! — qui lui demanda la gràce de la charité pour Pamour de Dieu. E t le roi lui dit :

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— Écoutez, bonne fem me, ne sauriez-vous pas me dire oü je pourrais trouver

La pierre brise-cceur, Qui porte le rire et les pleurs, Et un peu d'adiante fteurie Qui donne la mort et la vie.

— Oui, je vous le dirai. Sortez de la ville, marchez sept heures durant vers le midi, et là, vous trouverez deux grandes montagnes. Au sommet de l'une d'elles, vous trouverez un grand tas de pierres blanches : ce sont, changées en pierres, les larmes d'une demoiselle qui y pleura la mort de son promis.

C'est là la pierre-brise-cceur Qui porte le rire et les pleurs.

A la cime de l'autre montagne, vous trouverez la seule adiante

qui fleurisse au monde.

C'est Vadiante jleurie Qui donne h mort et la vie.

Le roi, à grandes enjambées s'en alia vers ces montagnes. II y trouva la pierre et l'adiante, il prit l'une et il prit l'autre, puts, toujours à grandes enjambées, reprit le chemin de la barque oü i' trouva le patron et les sept conseillers, las d'attendre.

En quatre bourrasques de mistral qui, s'il ne souffle d'en bas, souffle d'en haut, ils arrivèrent en leur pays oü tout le monde ies attendait pour connaítre la princesse. E t tous les gens firent un nez d'un empan, marris de voir que le roi revenait célibataire comme il était parti.

E t voici que le roi, qui avait grande dévotion pour la Mère

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de Dieu, allait chaque matin, au point du jour, à la messe, suivi de tous ses domestiques. L 'un d'eux était un grand dormeur qui se réveillait plus souvent tard que de bonne heure. Un jour il se réveilla si tard qu'il n'était pas encore levé alors que toute la bande des domestiques était déjà sur le chemin de l'église. Quand le roi s'en aperçut, il le fit appeler et le valet sortit à demi vètu. Comme i'heure de la messe approchait, le roi et sa suite de valets entrèrent dans l'église pendant que le valet dormeur finissait de s'habiller dans la rue. Tout en marchant, celui-ci entendit une petite voix qui disait :

Ah! pierre brise-cceur, Toi qui donnes le rire, Toi qui donnes les pleurs, Pourquoi n en pas finir Avec mes pleurs ? Ali! adiante fleurie, Toi qui donnes la mort, Toi qui donnes la vie, Viendras-tu pas encore M'óter la vie ?

E t le domestique fut tout interdit d'entendre cette voix. Vite, vite il s'en alia à la messe et il y arriva quand déjà on était sur le point de tourner le missel. L e roi s'aperçut de son retard et tout furieux allait le gronder quand le valet lui demanda pardon, raconta ce qu'il avait entendu et dit que c'était en écoutant cette petite voix qu'il s'était attardé. L e roi ne le crut qu'à demi, pen­sant que c'était là une excuse.

L e lendemain, le valet dormeur dormait encore ; et le roi s'aperçut à nouveau qu'il n'était pas avec les autres quand il se trouva dans la rue avec sa suite. II le fit appeler et le valet dormeur

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comme l'autre fois sortit à demi vètu. L e roi et sa suite de valets se mirent en route et, pendant que le dormeur mettaitses chaus-sures, il entendit à nou-veau la petite voix qui di-sait :

Ah! pierre brise-cceur, Toi qui donnes le rire, Toi qui donnes les pleurs, Pourquoi n en pas finir Avec mes pleurs? Ah! adiante fleurie, Toi qui donnes fo mort, Toi qui donnes la vie, Viendras-tu pas encore M'óter fo vie ?

L e valet fut encore en retard et le roi gronda de nouveau. L e dormeur lui dit qu'il avait entendu une nouvelle fois la petite voix.

L e roi tout inquiet de savoir ce que cela pouvait ètre, prit la décision d'al-ler plus tard à la messe le lendemain et pendant ce temps il resta à la maison, écoute qu'écouteras. Dès

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que tous les domestiques furent partis, il entendit la petite voix qui disait :

Ali! pierre brise-cceur, Toi qui donnes le rire, Toi qui donnes les pleurs, Pourquoi n en pas finir Avec mes pleurs ? Ah! adiante fleurie, Toi qui donnes la mort, Toi qui donnes la vie, Viendras-tu pas encore M'óter h vie ?

L e roi, écoute qu'écouteras, comprit que cette petite voix venait de chez lui et en se guidant sur elle, il arri va jusqu'à la petite colombe et vit que c'était elle qui parlait. II lui demanda :

— Or donc, que t'arrive-t-il, colombelle, que tu veuilles mou-rir ?

— A h ! Seigneur roi, si vous saviez ma mésaventure! Ma mère était une petite veuve. Un jour le Seigneur roi promit qu'il se marierait avec la dame qui sauterait un lit mis au milieu de la place sans en faire tomber aucune fleur, aucune brindille, ni vol-tiger aucune feuille. Ma petite mère parvint à le sauter. Au bout d'un peu de temps je naquis, puis j'allai à la couture. Un jour vint le roi et il me promit une petite chaise en or, et un autre jour un coussinet. Ma petite mère ne voulut pas qu'il me les donnàt. Un autre jour, il me promit un aiguillier d'or et parce que je n'en voulus pas, le roi me le jeta à la tète. Une aiguille s'emmèla dans mes cheveux et une vilaine sorcière me l'enfonça dans la nuque et me fit devenir colombe. J e vins habiter chez le roi sans plus jamais rien savoir de ma petite mère, malgré les années passées.

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Quand le roi entendit ceci, son cceur défaillit. Tout de suite ii prit la petite colombe et, dans le duvet des plumes de sa nuque, chercha l'aiguille, Penleva, et la colombe devint une jeune fille de quinze ans comme jamais l'on n'en avait vu de si charmante et de si gentille. L e roi lui demanda si elle le voulait pour mari ; elle lui dit que oui, mais que d'abord elle voulait aller voir sa mère. Tout de suite, ils y allèrent et trouvèrent la porte ouverte. Cherche que chercheras, ils ne la trouvèrent que dans la chambre la plus éloignée de la maison. Elle était morte sur son lit, mais aussi fraiche et aussi resplendissante que lorsqu'elle était en vie. lis l'enterrèrent et, au retour de l'enterrement, se marièrent et vécu-rent longtemps très heureux.

Conté ii Barcelone en igj2 par Antònia Rius i Margalet de Macià, paysanne née à Sarria, hanlieue de Barcelone. en 1802. Elle Vavait appris d'une de ses tantes, née à Sant Cugut del Vallès.

Le mari de cette conteuse travaillait à la maistrance d'artil-lerie et, de ce fait, elle était connue sous le nom de Mme Antònia de la Mestrança. Elle avait toujours vécu ii la cumpagne ei était projondément superstitieuse, ignoranle et méfiante, et c'est ò cause de cette circonstance qu'elle se montrait sauvage pour cuuter ce qu'elle savait. Elle ne s'e.xpliquait pas très bien ni n'avait un grand répertoire. Elle habitait une ferme éloignée du centre nrbain et il nous fallut nous procurer une recommandation de ses tnaítres pour qu'elle voulüt bien nous recevoir et nous icouter.

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Une seconde version de La Maria-Roseta m'a été donnée par Josepa Moix i Carcereny de Ferrer, née à Barcelone en i8(>8. Elle lenait une taverne; illeltrée, elle possédait une culture tra-ditionnelle très riche, notammenl dans le domaine de la mèdecine cliimérique, au point de pouvoir ctre considèrèc comme mèdecin-giièrisseur. Elle était projondément superstilieuse et méfiante el savait quelques contes. Pour gaguer sa confiance et lui faire réciler ce qui nous inléressait, nous dúmes faire de grands efforts. Nous fumes ohligés de nous recommander d'un de nos parents, ami intime de son mari. Elle se fit payer le temps de travail qu'elle perdait en nous recevant. Nous lui donnàmes une peseta par conte. Elle nous en conta cinq, parmi lesquels La Maria-Roseta, qui, ii lui seul, valait bien notre argent! Les autres n'avaient aucune vuleur.

Par méfiance el de peur qu'on ne se servit de son nom pour quelque sortilège, elle se refusa résolument ii nous dire com-ment elle s'appelait. Son mari nous le dit, mais en cachette, afm de s'éviter une dispule.

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II

L E S O R C I E R A U X S E P T D O I G T S

VOICI qu'il était une fois un garçonnet et une fillette qui etaient voisins, s'aimaient beaucoup et jouaient toujours ensemble.

Lui était très pauvre car sa mère était veuve et devait pour le nourrir travailler jour et nuit comme une négresse. La petite fïlle, elle, était d'une maison si riche que ses parents ne sa-vaient pas ce qu'ils possédaient. Elle avait toujours beaucoup de jouets parce que ses parents lui en achetaient un plein panier chaque fois qu'ils allaient à la foire et ils y allaient très souvent. L e garçon­net n'en avait pas un, sa mère, étant trop pauvre, ne pouvait lui en acheter. Mais la petite fille lui prètait les siens et plus encore, elle demandait à sa mère quand celle-ci allait au marché de rappor-ter quelque chose au pauvre Pierrot dont la mère était trop mise­rable pour pouvoir lui rien donner.

Voici que ces deux voisins devinrent grands et, si tout petits ils s'aimaient beaucoup, en grandissant ils s'aimèrent davantage. E t tant qu'ils voulurent se marier. Mais ils craignaient que la fa­mille de la jeune fille ne voulüt pas d'un garçon aussi pauvre. L a mère était une bonne femme et voulait bien de ce mariage. Mais ils craignaient le père, homme bizarre qui n'allait chez lui que pour dormir.

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Voici qu'un jour qu'ils se disaient des douceurs, le père les surprit et entra en fureur. S'adressant au jeune homme, il lui dit que s'il voulait courtiser sa fille il lui faudrait d'abord s'entendre avec le sorcier aux sept doigts. Hors de lui, et comme un coup de vent, il saisit sa fille et la fit rentrer à la maison.

Le sorcier aux sept doigts était un homme très farouche qui avait sept doigts à chaque main et qui habitait une caverne dans une montagne des environs. I out le monde avait grand-peur de lui.

Envoyer le jeune homme parler de son mariage avec le sor­cier aux sept doigts c'était le lui refuser, car pour affronter ce sor­cier, il fallait un bien rare courage.

Mais l'amour peut tout. Le père de la mignonne ne la laissant plus sortir ni par porte ni par fenètre, Pierrot languissait et se désespérait. Un jour, n'y tenant plus, il s'en alia vers la mon­tagne pour y rencontrer le sorcier aux sept doigts.

Après avoir beaucoup cherche, il parvint à la grotte du sorcier et, oh! surprise! il vit que celui-ci était le père de sa bien-aimée. Le jour, le sorcier vivait dans sa grotte faisant tout le mal qu'il pouvait, et la nuit, il perdait les deux doigts qu'il avait de trop à chaque main et rentrait chez lui comme les gens ordinaires. Quand le sor­cier vit Pierrot, il lui dit :

— Tu épouseras ma fille, mais tu la gagneras en travaillant.

— Quel travail dois-je faire ?

— Marche par ce chemin, toujours droit devant toi et ne t'ar-rète que devant une grotte, pareille à celle-ci, ou habite ma sceur Quiteria. Dis-lui qui tu es et elle te dira quel travail tu dois faire pour gagner ma fille.

Pierrot se mit en chemin et, chemine que chemineras, après avoir marché plus de sept heures, il se trouva devant une grotte sur le seuil de laquelle se tenait une femme. Elle était grande

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comme un peuplier, laide et fripée comme une chàtaigne et avait un nez comme un éteignoir qui lui tombait sur le menton. Pierrot lui parla ainsi :

— Etes-vous la Quiteria, sceur du sorcier aux sept doigts ?

— C'est moi-mème.

— J e suis Pierrot et votre frère m'a dit que vous aviez du travail pour moi.

— Très bien! Vois-tu là-devant cette montagne si pelée. Pas un arbre n'y pousse et ceux qu'on y plante meurent. Va en plan­ter! essaie une espèce après l'autre jusqu'à ce que tu en trouves une qui prenne racine. Vois cette autre montagne couverte de bos-quets, au-delà de la première. Eh bien! tu peux y aller et la déboiser pour planter celle-ci.

Pierrot fut anéanti d'entendre ce qu'on lui demandait. Mais l'amour pour sa bien-aimée était plus fort que tout. II prit dono le chemin de la deuxième montagne et se mit à arracher autant d'espèces d'arbres qu'il en trouvait. Puis il alia les planter sur la première, mais pas une ne s 'y enracinait. Elles y mouraient toutes au bout de quelques semaines. Pierrot était désespéré et pensait qu'il n'en finirait pas de toute sa vie. Enfin il trouva une sorte de pin très petit, mais aussi très joli qui donnait des pommes très frisées avec de bons pignons. Et il pensa que si ce petit pin ne prenait pas racine il lui faudrait revoir la vieille Quiteria et lui dire qu'il était impossible de mener à bien le travail qu'elle lui avait com-mandé. Mais il n'en fut pas ainsi, car le petit pin s'enracina, se mit à pousser et soudain ses belles pommes s'ouvrirent et répan-dirent grande abondance de pignons autour de lui que le vent dis­persa et que l'eau des pluies entraína dans la terre.

Au bout d'un mois cette montagne était déjà devenue une forèt de pins si épaisse que c'était un plaisir de la voir. Pierrot revint alors voir la Quiteria et lui dit :

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— L e travail que vous m'aviez commandé est fini. J 'espère que vous n'aurez pas à vous en plaindre. En avez-vous un autre à me confier ?

— Pierrot, je suis très contente de ce que tu as fait. J e n'ai rien d'autre à te demander mais va trouver mon frère. C'est un géant qui habite une grotte ou tu arriveras, bien qu'avec beaucoup de difficultés, en suivant ce chemin. II te donnera du travail.

Pierrot qui déjà n'en pouvait plus, frissonna lorsqu'il enten-dit les paroles de la sorcière qui lui donnait à entendre qu'un tra­vail plus dur l'attendait encore. II se mit en route et, chemine que chcmineras, après plus de trois heures de marche il entendit une grosse voix qui jurait à faire flamber la bouche. Bientòt il arriva devant une caverne sur le seuil de laquelle le géant Antoine, assis. jurait et blasphémait comme un damné. Pierrot pensa qu'il n'avait rien de bon à attendre s'il devait avoir affaire avec cette mauvaise langue. E t quand il fut devant le géant, il lui parla ainsi :

— Ou'avez-vous, brave homme, qu'avez-vous ? — Que veux-tu que j ' a i e ! Vois-tu cette montagne là-devant ?'

J ' y avais planté plus de mille potagers que j 'arrosais avec l'eau de cent rivières qui coulaient du sommet. Un autre géant qui habite la montagne voisine et qui ne pense qu'à me causer des ennuis ou à me faire du mal, d'une seule lampée a bu toute l'eau des cent rivières, et maintenant mes potagers se meurent de soif. J e sais bien que si je ramenais vers ma montagne les cent autres rivières qui passent un peu plus loin, et que si ce coquin ne revenait pas m'en boire l'eau, je pourrais à nouveau arroser mes potagers, mais je ne sais pas comment cela se fait. E t d'ailleurs je n'ai jamais travaillé, car travailler m'est une honte. Que vais-je devenir main­tenant, pauvre de moi ?

— Yotre sceur Quiteria m'envoie pour vous aider, si je le puis en quelque chose.

— Pour sür que tu peux m'aider, garçon. Tu arrives comme

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marée en carème. Tiens, va dévier le cours de ces cent rivières et ra-mène-les vers mes potagers. Quand tu l'auras fait, tu pourras t'en aller.

L e sang de Pierrot se glaça. L e géant parlait comme s'il l'eút chargé de ramasser quelque chose au sol, de lui couper du pain ou de faire quelque autre chose très simple.

Mais i'amour petit tout, et Pierrot se mit à travailler avec acharnement, et gràce à son bon vouloir il parvint à détourner et à conduiré l'eau des cent rivières vers les potagers du géant qui furent à nouveau beaux comme des jardins ainsi qu'ils l'é-taient autrefois. Quand il eut fini, Pierrot se presenta au géant Antoine et lui dit :

— J e crois que vous n'aurez pas à vous plaindre de moi. J ' a i fait ce que vous m'aviez commandé. Ma tàche est-elle finie maintenant ?

— Oui, mon gars, oui. J e suis très content de toi. T u peux déjà t'en aller. Mais droit sur ce chemin, tu trouveras une grotte oü habite ma nièce qui, certainement, aura quel­que chose à te faire faire. Vas-y et dis-lui que je t'envoie.

Quand Pierrot eut entendu les pa-roles du géant Antoine, l'àme lui

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tomba aux pieds, car il y avait sept plus sept qui font quatorze mois qu'il travaillait comme un brave sans avoir le moindre-ment vu, ni rien su de sa bien-aimée. Mais l'amour peut tout, et Pierrot de nouveau fut en chemin, chemine que chemineras, jus-qu'à ce qu'il eút fait plus de trois heures de marche et trouve une grotte devant laquelle il s'arrèta. Dans cette grotte était une très minuscule petite femme, et si vieille qu'elle pouvait à peine tenir debout; elle n'avait dans la bouche qu'une grosse dent pareille à une enorme gousse d'ail. Cette petite femme, bien que très bizarre, n'inspira à Pierrot ni le respect ni l'effroi que lui avaient causés la sorcière Quiteria et le géant Antoine.

II lui demanda quelle besogne elle avait à lui donner et lui dit qu'il venait de la part de son oncle Antoine. La petite vieille lui répondit :

— L a montagne là-devant est couverte de pierres au point qu'il n'y a pas un empan de terre ou planter la houe. Va les enle-ver et ainsi on pourra la labourer et en faire de la bonne terre de semence.

Pierrot se disposa à faire ce travail aussi pénible que les autres. II y partait quand la petite vieille l'appela et lui demanda oü il pas-serait la nuit. II répondit qu'il ne le savait pas. Mais elle lui de­manda encore oü il dormait quand il travaillait pour sa tante Qui­teria et son oncle Antoine, et Pierrot lui dit que le seul toit de sa chambre avait toujours été la voúte du ciel. Ces paroles gonl·lèrent le cceur de la petite vieille qui lui proposa de venir à sa grotte oü il trouverait refuge durant la nuit.

Pierrot s'en alia dans la montagne oü toute la journée il tra-vailla durement. Puis la nuit il revint à la grotte et y retrouva la petite vieille qui l'attendait avec le diner tout prèt. Ils dinèrent ensemble et engagèrent une longue conversation. Pierrot et la petite vieille devinrent on ne saurait plus amis et tous les soirs avant d'aller dormir ils causaient à cceur ouvert.

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Alors que la montagne était déjà presque toute dépierrée et que le travail de Pierrot touchait à sa fin, la petite vieille raconta au jeune homme qu'elle n'était pas une vieille bien qu'elle le sem­blat, mais une gentille demoiselle que son père avait enchantée. II lui avait aussi enfoncé sur les gencives un diamant si gros qu'il semblait une grosse dent sans que c'en füt vraiment une. Mais le jour oü un galant jeune homme viendrait lui enlever ce brillant, elle reviendrait à sa condition première et épouserait son sauveur. Pierrot resta tout interdit car il lui sembla que la vieille lui deman-dait ainsi de lui enlever son enorme dent. Mais s'il rendait ce service il devait en ètre récompensé en épousailles, et il ne pouvait s 'y prèter, lui qui avait travaillé trois fois trois mois ( i ) pour gagner sa belle au prix de tant de peines et n'en voulait aimer aucune autre.

L a petite vieille rèdit son malheur à Pierrot, insistant pour qu'il lui enlevàt sa dent. II hésitait car d'un autre còté elle avait été si gentille avec lui que ne pas lui rendre ce service le boulever-sait tout autant.

Enfin il se décida à lui arracher cette dent et voici qu'à l'instant mème, au lieu de la petite vieille, Pierrot eut devant lui sa bien-aimée.

Ils s'embrassèrent aussitót et se mirent à pleurer tant fut grande leur joie. Puis, ensemble, ils prirent le chemin du retour à leur maison. En route ils rencontrèrent le sorcier aux sept doigts qui, très heureux, montrait ses mains qui n'avaient plus que cinq doigts comme celles de tout le monde. Auprès de lui marchaient la tante Quiteria, devenue une charmante demoiselle, et le géant An­toine revenu à une taille comparable à celle des autres gens et montrant figure de charmant jeune homme.

(i) On rcmarquera cette contradiction du conteur : ici neuf mois, alors que plus haut il est question de quatorze mois avant la venue chez la derniére petite vieille.

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L e père de la mignonne s'adressa à Pierrot et lui dit : — Nous étions une famille enchantée par un roi sorcier qui

nous voulait du mal. II me fit pousser, à moi, deux doigts de plus à chaque main et me rendit méchant; il ensorcela et enlaidit ma sceur et transforma mon frère en un géant féroce et grognon. Pour nous libérer il nous fallait trouver un jeune homme qui voulút bien travailler à de longues et pénibles besognes sans toucher un sou. Toi , Pierrot, tu as fait cela et tu nous as désensorcelés. Aujourd'hui mème tu épouseras ma fille et vous serez heureux et riches puisque mes biens sont immenses et beaucoup plus que les gens ne l'ima-ginent.

Ils se marièrent ce jour-là et vécurent comme Joseph et Marie, toujours heureux, et s'ils ne sont pas morts ils sont encore en vie.

Et à h cric, cric, cric Le conte est déjà dit, Et à la cric, cric, crac Le conte est fini là.

Conte en içi8 par Francesca Balcells i Capella, née à Guissona, région de l'Alia Sa garra, en 1838.

C'était une illeltrée d'une grande siniplicité d'idées et d'une touchante bonté. Elle travaillait comme servanle et bonne d'en-fanls. Elle se dislinguail comme narratricc auprès des enfants des muisons oii elle travaillait, ce qui n'est pas étonnant, car elle possédail un répertoire très large. Elle conluit avec ingénuité cl une exactitude inalterable, ("est une de ses soeurs, aveuglc ei son ainée de vingt-ciuq ans. qui lui avait appris les contes qu'elle savait.

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I I I

L E R O I M A C I P

I I . était une fois une sorcière, bussue par devant, bossue par derrière, et de sa personne tout entière plus laidc que la peur. Klle avait un nez très long et tordti comme le crochet d'une

lampe, le menton fendu et tourné comme une corne de chèvre, tant et si bien que la pointe de son nez et celle de son menton se touchaient presque. Ses cheveux etaient longs et drus comme les cordes à presser le vin ( i ) , ou comme les cordes à amarrer Ics barques. Si laide, elle voulait cependant se marier avec un prince.

Pour y j)arvenir, que lit-elle ? Hlle enleva le fils du roi Macip et l'enchanta si bien qu'il devait dormir toujours pour ne se réveil-ler que le matin de la Saint-Jean.

Alors, s'il ne trouvait, dans la ruelle de son lit, personne qui lui tint compagnie, il devait se rendormir pour toute une autre année, et ainsi sept ans de suite au moins. Ce temps écotilé, le

(i) I.cs cordi'S des vieux pressoirs. On pcul voir un dc ces pressoirs ;*i cordes à Barcelone, au Musee des ans ei iraditions populaires.

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prince saurait gré à la femme venue pour lui tenir compagnie, et il l'épouserait.

De cette façon, au bout de sept ans, la sorcière pourrait venir s'asseoir au chevet du prince et réussirait à l'épouser.

Mais, écoutez bien! Chez la sorcière il y avait une mère poule, et une grande couvée de poussins qui toujours disaient à leur mère :

— Piou, Pi ou, Piou, Punt! Mère Poulette, Mère poulette, Dis-nous quelque chansonnette, Conte-nous quelque historiette.

Et la petite mère poule, qui ne savait que dire, leur racontait toujours le tour de la sorcière :

— Piou, Piou, Piou, Piou, Piou, Piou, Piou, Piou! Le roi Macip Est endormi Dans le sien lit. Et se lever

11 ne pourra Que le matin De la Saint-Jean. Cac, cac, cac, cac!

E t comme cette histoire leur plaisait beaucoup. ils lui deman-daient toujours de la leur redire

Mais voici que tous ces poussins se firent grands, le coquelet. quand il chantait, répétait ce que sa mère lui avait appris, et les poules, quand elles criaient l'ceuf pondu, le racontaient aussi.

Un jour. une princesse très, très belle vint passer quelque temps dans le pays, et elle entendit le coq d'une ferme — c'était

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justement le fils de cette mère poule à la sorcière, celui-là mème — qui chantait et disait :

— Quiquiriquic. Le roi Macip Est endormi Da.7is le sien lit. Et se lever II ne ponrra fitsqu'au matin De la Saint-Jean. Cac, cac, cac, cac!

Ces paroles du coq divertirem beaucoup la princesse ; mais elle voulut savoir ce que tout cela voulait dire. Elle s'approcha du coq et lui demanda pourquoi il disait ces choses, et qui était ce roi Macip. E t le coq lui expliqua ce que sa mère lui avait raconté quand il était poussin : qu'il s'agissait d'un roi enchanté dans un chàteau oü il dormait toute l'année, qu'il s'éveillait seulement à demi le matin de la Saint-Jean, et que s'il ne trouvait personne qtii lui tint compagnie, pour toute une autre année i! se rendormait. E t le coq ajouta que la demoiselle qui se trouverait auprès de lui un de ces matins de la Saint-Jean, l'épouserait. L a princesse demanda au coq s'il savait en quel Heu était endormi le roi Macip, et le coq répondit que sa mère lui disait seulement que c'était dans un chàteau très loin, très loin.

Tout ceci divertit beaucoup la princesse, et le désir lui vint de connaítre ce roi Macip. Pour voir si elle trouverait, elle décida de s'en aller par le monde.

Chemine que chemineras, par les forèts et les montagnes, sans jamais s'arrèter, tant elle marcha, qu'enfin elle arriva devant un grand manoir, tout sombre et tout desert.

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Que fait-elle ? elle frappe, Pam, Pam, Pam! Une petite vieille sort, à qui elle demande si elle veut lui donner accueil pour la nuit. L a petite vieille lui dit :

— Sais-tu bien oü tu es venue frapper, malheureuse! C'est ici l'hotel de la Mer, et jamais créature mortelle ne vient ici. Quand ma fille arrivera toute furieuse et démontée, elle te prendrà, te mangera et t'emportera au-dessous de tout, de tout, au fond de l'eau.

L a princesse expliqua qu'elle cherchait le chàteau du roi Macip. L a petite vieille la fit se cacher et lui promit qu'elle ten-terait de l'arracher à la furie de sa fille.

A u bout d'un moment, on entendit un ban-zim, ban-zam, ban-zim, ban-zam, qui à chaque fois était plus fort. Tout à coup, la Mer entra par dessus la porte avec une trombe d'eau, et tout de suite cria :

— Oh! l'odeur de chair chrétienne que je sens! Vous avez dü cacher ici une créature mortelle. Apportez-la-moi, car je veux diner; j ' a i grand-faim, et je n'en ferai mème pas une bouchée.

Sa mère lui dit : — J ' a i donné accueil à une pauvre jeune fille qui va par ce

monde de Dieu, cherchant le roi Macip qui, dit-elle, est toujours endormi. Toi qui touches tant de terres, tu dois savoir, pour sür, oü est son chàteau. S i tu le sais, nous pourrons renseigner cette jeune fille.

L a Mer, tout adoucie, répondit :

— Bien que je baigne tant de terres, je ne sais pas, je vous

Passure, oü se trouve ce chàteau, je n'en ai mème jamais entendu

parler. J e vous le dis, en vérité.

E t la Mer dina, s'en alia dormir et laissa la princesse en paix.

Celle-ci continua son chemin.

Chemine que chemincras, par les forèts et les montagnes, sans

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jamais s'arrèter jusqu'à la fin du jour. L a nuit tomba sur elle près d'une grande bàtisse. Que fait-elle ? Elle y va et frappe à la porte : Pam, Pam! Une petite vieille en sort qui lui demande ce qu'elle veut. Elle la requiert de bien vouloir lui donner accueil pour cette nuit, et la petite vieille lui répond :

— Sais-tu bien, malheureuse, oü tu es venu frapper ? C'est ici l'hotel du Soleil et mon fils qui est enragé, s'il te voit, te rótira de ses rayons ardents et te mangera. Jamais une créature mortelle ne vient par ici.

L a princesse lui expliqua pourquoi elle allait de par le monde et la petite vieille lui dit de rester et qu'elle tenterait de calmer la furie de son fils.

Voici qu'au bout d'un moment, on entendit un zis-zas, zis-zas, et on sentit une grande ardeur, si forte qu'elle brülait tout; ensuite on vit une grande clarté et tout d'un coup, par une fente de la fe-nétre, patapam! le Soleil entra et se mit à crier :

— Oh! l'odeur de chair chrétienne que je sens! Oh! l'odeur de chair chrétienne que je sens! Vous avez dú accueillir quelque créa­ture mortelle. Apportez-la-moi, car j ' a i grand-faim, et je veux la manger, ròtie d'un mien regard.

L a pauvre mère caressa son fils et lui expliqua qu'elle avait donné accueil à une pauvre jeune fille qui cherchait le chàteau du roi Macip, celui qui toute l'année était endormi. Avait-il vu ce roi, lui qui partout tournait et en tous lieux entrait sans avoir à deman­der la permissionà quiconque ? Avait-il pénétré en un tel chàteau, et se souvenait-il oü il se trouvait ? L e Soleil s'adoucit tout a fa i t et dit :

— Moi qui en tous lieux pénètre, qui connais les dedans et les dehors de maintes maisons, je vous jure de bon cceur que jamais je n'ai vu ce chàteau, ni entendu parler de lui, ni de ce roi. Si je les connaissais, je vous le dirais avec plaisir.

L e Soleil dina, s'en alia dormir et le lendemain, la princesse put reprendre son voyage.

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Chemine que chemineras, par les foréts et les montagnes jus­qu'à ce que sur elle tombat la fin du jour. E t elle se trouva devant un autre grand manoir. Que fait-elle ? Elle s'approche et frappe : Pam, Pam! Une petite vieille en sort qui, dès qu'elle la voit, lui dit aussitót :

— Ou vas-tu, malheureuse ? Jamais créature mortelle n'est encore arrivée en ces lieux. C'est ici l'hotel des étoiles et quand elles viendront toutes, elles voudront te manger, et de toi ne restera ni paille ni poussière. T u ne sais pas ce qui t'attend!

L a princesse lui conta pourquoi elle allait en ces parages, alors la petite vieille lui promit qu'elle ferait ce qu'elle pourrait pour l'aider.

A u bout d'un petit moment, on entendit une grande criaillerie étourdissante : voilà que commençaient à tomber par dessous toutes les tuiles du toit des étoiles et des étoiles encore, par dizaines, par centaines, par milliers et par milliers de mille ; et toutes criaient de mème :

— Oh! l'odeur de chair chrétienne que l'on sent! Apportez-la-nous, que nous la mangions. J ' en veux! E t moi aussi! E t moi je veux la cuisse! E t moi, le gésier!

E t la pauvre princesse, toute recroquevillée derrière la porte, pensait :

« Cette fois-ci je n'en échapperai pas, car jusqu'alors ce n'était qu'un seul qui voulait me manger, et un seul on pouvait le convaincre facilement, mais toute cette nuée, qui la convain-crait ? )>

Et la mère des étoiles ne cessait de leur dire : — Taisez-vous. Quand vous serez toutes ici, je vous la don-

nerai.

E t les étoiles criaient : — Déjà, nous y sommes toutes, déjà nous y sommes toutes.. . E t leur mère leur disait :

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— Que non! il manque encore les sept chevrettes ( i ) , toutes jumelles, et sans elles on ne peut partager le diner.

Mais attends, attends toujours! les chevrettes ne venaient pas. A mesure qu'arrivaient les autres, la vieille leur demandait :

— Écoute, toi, la flàneuse, qui vas du Levant au Couchant, sais-tu pas oü est le chàteau du roi Macip, celui qui toute l'année est endormi ?

<( E t toi, qui vas du Couchant au Levant ? E t toi qui vas de la tramontane au garbin (2), le savez-vous ?

Et toutes répondaient : — J e ne le sais, ni n'en ai mème jamais entendu parler. E t toutes arrivaient sauf les chevrettes. E t comme il se faisait

tard et que les étoiles avaient faim, elles se mirent à diner. Elles avaient presque íini de diner quand arrivèrent les sept

chevrettes. Et toutes leur demandèrent : — Pourquoi avez-vous tant tardé, aujourd'hui que nous avons

un si bon diner ou nous mangerons de la chair chrétienne ? E t l'une répondit : — C'est que j ' avais perdu ma quenouille. E t l'autre :

— E t moi, mon fuseau. E t l'autre :

— Et moi, ma pelote de fil. E t l'autre :

— Et moi, ma fusée. E t l'autre :

— Et moi, mon dévidoir. E t l'autre :

( 1 ) Chevrettes : « camhrelles », les sept étoiles de la Grande Ourse. (2) Garbin : vent du Sud-Ouest.

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— Et moi, je n'ai rien perdu et j ' a i trouve tout ce que mes sceurs avaient perdu.

Celle qui avait tout trouve était la plus petite et la plus dégour-die. E t alors, leur mère leur demanda, à l'une après l'autre, si elles savaient oü était le chàteau du roi Macip qui toute l'année est endormi.

Toutes disaient que non. jusqu'à ce que la plus petite dit qu'elle savait bien, elle, oü il se trouvait, et que maintes fois, du ciel, elle avait vu comme ce roi dormait. Alors, la mère des étoiles iui demanda si elle voulait diré oü il était à une pauvre princesse qui depuis très longtemps allait sans le trouver. Et la plus petite chevrette répondit qu'elle lui montrerait le chemin et ajouta :

— Demain, sur le coup de minuit, je me laisserai tomber juste à l'endroit oü se trouve le chàteau du roi Macip, et ainsi, elle saura oü le trouver.

L a nuit suivante, sur le coup de minuit, la plus petite chevrette tomba, et la princesse s'achemina vers l'endroit de sa chute. E t tout de suite elle trouva le chàteau qu'elle cherchait. II était si grand qu'en aliant sans s'arrèter sept jours et sept nuits on n'aurait pu le parcourir tout entier.

Partout, ce n'étaient que figures de femmes et d'hommes, dorées comme si elles avaient été tout en or, endimanchées, vètues de très riches et splendides costumes ; de grands jardins, des salles à manger par douzaines remplies de tables bien mises avec des mets et des vins de toutes sortes — et si l'un était bon, l'autre était sept fois meilleur — enfin, par centaines, des chambres avec leurs lits. Mais nulle personne n'y reposait.

Déjà, la princesse ne savait plus oü aller, puisque, parmi tant de gens figurés, il n'y avait absolument personne à qui pouvoir rien demander. Enfin elle arriva dans une grande chambre oü était un lit si joli qu'il semblait un ciel. L à , dormait un jeune homme d'une gràce sans pareille ; et la princesse pensa que ce devait ètre

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le roi Macip. Au chevet du lit, il y avait une grande chaise toute dorée et sculptée qui semblait ètre celle d'un roi, et la princesse pensa que c'était là la chaise ou il fallait s'asseoir et attendre ce matin de la Saint-Jean oü le roi devait se réveiller.

I'récisément, cela faisait juste trois jours que la Saint-Jean était passée et la pauvre princesse devait attendre toute une autre année. Elle s'assit sur la chaise au chevet du lit, et elle y passa ties heures et des heures, des jours et des jours, des semaines et des semaines. des mois et des mois. Elle ne se levait que de courts moments pour aller diner à l'une des tables qu'il y avait là, et lors-qu'une assiette et une coupe etaient vidées, elles se remplissaient de nouveau.

A rester si longtemps toute seule la pauvre princesse s'en-nuyait. E t voici qu'un jour elle entendit passer un homme qui ven-dait des enfants et criait : « Qui m'achète un garçonnet ? » Elle l'appela et lui acheta le plus gros et le plus dégourdi de tous. Le marchand le lui fit payer une pleine bourse d'argent. Elle apprit à l'enfant à jouer, et, ainsi, ils jouaient tous les deux, et elle se distrayait et se divertissait beaucoup.

Mais voici qu'au bout de quelques semaines, le garçonnet lui dit qu'il s'ennuyait de sa mère et qu'il voulait retourner près d'elle. L a princesse, qui d'aucune manière ne voulait rester seule, lui dit de s'en aller la chercher et de venir tous deux habiter près d'elle pour ainsi lui tenir compagnie.

Comme mère du garçonnet se presenta la sorcière qui avait enchanté le roi Macip, car c'était elle qui, pour prendre la place de la princesse, avait envoyé le marchand d'enfants vendre ses garçonnets près du chàteau.

L a princesse ne quittait sa chaise, ni de jour ni de nuit. Mais voici que, la veille de la Saint-Jean, retentit dans le jar-

din une musique si douce et si belle qu'on était charmé de l'en­tendre. L a sorcière appela la princesse à la fenètre pour entendre

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cette musique et la pnncesse toute nigaude y alia et resta si ravie qu'elle n'en pouvait partir.

C'est ainsi qu'elle y passa des heures et des heures, ce que précisément voulait la sorcière. Celle-ci pendant ce temps s'assit sur la chaise qui était au chevet du lit pour tenir compagnie au prince.

Vers le petit matin, le prince se réveilla et, se voyant de la compagnie, engagea la conversation. Et la sorcière lui dit :

— J e sais que vous avez promis de vous marier avec la dame qui, à votre réveil, viendrait converser avec vous et vous empèche-ràit de vous rendormir. Puisqu'il en est ainsi, vous devez donc vous marier avec moi.

E t le roi Macip, qui ne savait rien de la vérité, lui promit qu'il se marierait avec elle.

A l'heu re du déjeuner, la musique s'arrèta. Alors la princesse se rappela le roi Macip. Mais, quand elle s'en revint auprès du lit, elle n'y trouva plus personne.

Que de pleurs et de désespoir! Tout le chàteau était animé de gens qui allaient et venaient, les uns par ici, les autres par là, car toutes les figures n'étaient que les domestiques et les amis du roi Macip, ensorcelés avec lui et qui s'étaient réveillés en mème temps que lui.

Quand, après sept ans d'un si grand sommeil, le prince eut bien ouvert les veux et vu à la clarté du jour que celle qui l'avait désenchanté était si vieille et si laide, il en sentit un grand ennui et se mit à maudire son sort. E t l'envie lui vint presque de se ren­dormir sept ans et plus, afin de n'avoir pas à se marier avec cet épouvantail.

L e roi voulut visiter tout le chàteau dont il ne se souvenait presque plus, et en une des salles il trouva la princesse qui pleurait comme une Madeleine. Quand il la vit si jeune et si gentille, et blanche comme une rose blanche, il s'éprit d'elle et ne cessait de

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penser : « Ouelle n'aurait pas été ma chance si au lieu de celle-là, c'etit été celle-ci qui m'eüt désensorcelé! »

Et le roi, tendrement, demanda à la princesse ce qui lui arri-vait, pourquoi elle pleurait si amèrement; et elle le lui expliqua. Tout content et satisfait, le roi lui dit qu'il l'épouserait et que la sorcière serait mise en prison comme sorcière et méchante, et pen-due au jour de leurs noces.

E t le roi Macip se marià avec la princesse, et ils firent de grandes fetes, et ils vécurent heureux et en félicité pendant beau­coup d'années.

Ils firent un très long voyage, Chemine que chemineras. Trouvèrent un coq, Chemine que chemineras. Trouvèrent un chien, Chemine que chemineras. Trouvèrent un chat, Et mon conte finit là!

Conté à Barcelone en IÇ22 par Josepa Mix i Catarineu, née à Barcelone en 1851, femme de ménage, illettrée.

Quand elle contait, elle s'accompagnait d'une mimique expres-sive qui donnait un cachet très personnel à ses narrations, ïi tel point que son mime devenait aussi interessant que les contes eux-mémes.

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IV

L E C H A P E A U D U D I A B L E

Un conte je vous conterai Aussi bien que je le saurai. Si vous voules l'écouter, Après moi vous le saures. Si vous ne l'écoutcs pas. Ainsi ne l'apprendres pas.

V oici qu'il était une fois un roi qui se eroyait le plus fort et le plus puissant monarque de la terre et pensait que personne ne pouvait le vaincre à la poigne ( i ) ni gagner contre lui

aux cartes. Mais voici qu'à un pauvre savetier, qui jeünait plus souvent

qu'il ne mangeait, arriva un fils. Et comme il ne pouvait lui trouver de marraine parce qu'il était trop pauvre, il fit venir une voisine, très savante et très entendue sorcière. A l'heure du baptème, quand le curé lui demanda :

— Qu'apporte-t-on aujourd'hui à notre Sainte Mère l ' É -glise, fils ou fille ?

(i) C'est le jeu oú l'on éprouve la foree des bras, coudes sur la table. à qui fera plier l'autre.

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L a sorcière répondit : — Nous lui apportons un roi, car ce garçon, tel que vous !e

voyez, bien que fils d'un très pauvre savetier, sera roi et régnera.

Comme la sorcière était très avertie, tout le monde prèta grande attention à sa prophétie et crut que le garçon, bien que fils de savetier, parviendrait à étre roi.

E t comme partout on ne parlait que de cela, la nouvelle arriva bientót aux oreilles du roi qui alia voir le savetier et lui dit :

— Ce fils que vous avez, vous devez me le vendre. J e vous en donnerai tout un plein sac de monnaie d'or, et pour que vous n'ayez pas de peine, je vous donnerai un autre garçonnet ayant autant de jours que le vótre. Pour vous il en sera de mème d'avoir un marmot ou un autre. A moi, il me convient d'avoir votre fils.

L e savetier lui répondit :

— Seigneur roi, Est-ce qu'on voit Vendre son enfant

Comme cheval ov. junicnt?

L e roi répliqua :

— Parole de roi

A force de loi.

E t le pauvre savetier, qu'il l'eút voulu ou non, dut vendre son fils au roi qui le lui paya d'un plein sac de monnaie d'or et d'un autre enfant.

L e roi appela son plus fidèle domestique et lui ordonna d'em-mener l'enfant dans la forèt, de le tuer, de le bien enterrer sans que personne s'en aperçút et de lui rapporter son cceur en témoi-gnage de sa mission accomplie. L e domestique emmena l'enfant dans la forèt, mais pour le tuer le cceur lui faillit. II mit le marmot

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dans un panier, le jeta à la rivière, et apporta au roi le cceur d'une petite chienne très fidèle qui l'accompagnait toujours partout et ainsi l'avait suivi dans la forèt ce jour-là.

L e petit panier navigua en aval et il échoua dans un renfon-cément de la rivière, auprès d'un moulin. En arrivant au chenal, il s'introduisit dans la roue et l'arrèta. Le meunier s'en fut voir pour-quoi la roue ne tournait plus, trouva le mignon petit panier avec le bébé, et comme il n'avait pas d'enfant et désirait un fils, il l 'a­dopta.

^«smrçilftwiS!»»

Quinze ans après tout ceci, il y eut la guerre et le roi dut y partir. II vint à passer devant le moulin quand la nuit tombait et il s 'y arrèta pour se reposer. En voyant le jeune meunier, il remar-qua qu'il avait la mème physionomie que le savetier, père de ce garçonnet dont la sorcière avait predit que roi un jour il serait et il eut grand-peur que ce ne fút le mème. II appela le meunier et lui demanda si ce beau jeune homme était son fils. L e meunier lui expliqua ce qui s'était passé et comment il l'avait ramassé dans le chenal de son moulin. Le roi comprit bien vite que son domestique

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n'avait pas suivi l'ordre donné, et il se proposa de perdre le fils du savetier qui lui portait tant d'ombrage.

II appela le meunier et lui dit qu'il avait besoin d'une personne de confiance pour porter une lettre urgente à sa femme ; il lui . comprendre qu'il s'agissait d'une mission très délicate et lui de­manda s'il pouvait se fier à son fils adoptif.

Pour aller à la cité du roi il fallait traverser une forèt très épaisse oü l'on ne distinguait pas le jour de la nuit. Dans cette forèt vivait un très grand loup qui se ruait sur tous ceux qui pas-saient et en faisait charpie. L e roi était sür que le jeune homme entrerait dans la forèt mais qu'il n'en sortirait pas. De toutes façons. et au cas oü son messager ne trouverait pas le loup, il prit la précau-tion d'écrire à la reine que sitót la lettre reçue, elle fit pendre celui qui l'apportait.

L e jeune meunier cacha bien la lettre et se mit en chemin. II était nuit close quand il arriva au milieu de l'épaisse forèt et il fui contràírit de s'arrèter. A minuit il entendit une grande rumeur, et il comprit que c'était le grand loup qui s'approchait. II se mit en garde. II avait sur lui un couteau très grand et très bien affilé. Comme les loups se jettent sur la poitrine de ceux qu'ils veulent égorger, le jeune homme tint son couteau sur son cou. L e loup arriva, se rua sur lui et se fit une grosse blessure de Iaquelle, comme une fontaine, jaillit un Hot de sang.

Au lieu de tomber mort sur le sol, il se redressa, mit les mains à son cou et se dévètit de sa peau comme si c'eüt été un hàbit. Alors le loup prit subitement la forme d'un galant jeune homme qui, très courtoisement, s'adressa au jeune meunier et lui dit :

— Tel que tu me vois, je suis un prince, fils d'un roi auquel celui qui te fait voyager veut grand mal. Pour faire tort à mon père, il m'a enchanté et transformé en loup. C'est ainsi que pendant de iongues années j ' a i vécu en bète et non en ètre humain. J e ne pouvais ètre désenchanté et revivre comme prince que le jour oü

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je serais tué comme loup. C'est pour cela que j'attaquais tous ceux qui traversaient la forèt, mais tous etaient si làches qu'ils se laissaient tuer. En tant d'années tu es le seul qui aies su me faire face et me tuer comme loup. J e te protégerai en tout et partout. L e roi qui t'envoie veut te faire tuer. 11 croyait que ce serait moi qui t'abattrais mais, prévoyant le cas oü tu m'échapperais, il t 'a donné une lettre pour la reine dans laquelle il lui ordonne de te faire pendre dès ton arrivée. Au lieu de lui donner cette lettre que tu portes, tu lui donneras celle que voici. L a reine te mariera à sa fille. tu seràs roi, et te sortiràs de tout, quoi qu'il arrive.

E t le prince déchira la lettre du roi en mille petits morceaux et donna une autre lettre au jeune meunier qui, stupéfait, ne savait ce qui lui arrivait.

Dès qu'il fit jour, le meunier poursuivit son chemin vers la maison de la reine et presenta à celle-ci la lettre que le prince-loup lui avait remise. Aussitót que la reine eut lu la lettre, elle appela sa fille qui était plus belle que le soleil et lui fit savoir que son père lui avait donné l'ordre d'épouser ce gentil jeune homme. Les noces furent tout de suite préparées, et le mariage eut lieu le jour mème. Ils vécurent longtemps heureux, jusqu*à ce que la guerre fút finie et que le roi fut de retour.

Vous ne pouvez savoir quelle fut la déconvenue du roi et sa rage quand il se vit le beau-père du fils du savetier! S a première pensée fut de le perdre coúte que coúte. II l'appela et lui parla ainsi :

— Comme tu es mon gendre, tu es tenu à l'obligation de travailler pour mon bien. 11 y a un roi qui est mon adversaire et qui me veut du mal et je ne pourrai me defendre de lui que si je possède le chapeau du Diable. Avise donc à aller en Enfer et à me l'apporter.

L e roi pensait ètre tiré d'affaire en envoyant le jeune homme en Enfer, car en Enfer on va, mais on n'en revient pas.

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L e jeune meunier, confiant en la parole du prince-loup, prit le chemin de l 'Enfer, persuadé qu'il se sortirait bien de la mission confiée par son beau-père. Quand il arriva à la rivière qui coulait devant l'entrée, il trouva la barque qui devait le passer. Mais pendant la traversée le batelier ne cessa de lui faire des grimaces et de lui dire :

— A jamais! — Et pourquoi? — Parce que c'est la rivière oü l'on va, mais sans retour

Depuis tant de milliers d'années que j ' y passe du monde, jamais i! ne m'est arrivé de ramener un seul de ceux qui s'en sont aliés, et nul d'entre eux n'est ici revenu.

— Eh bien! moi, je vous dis que demain vous aurez à me passer de nouveau.

L e batelier faillit mourir de rire. Dès que le jeune meunier arriva sur l'autre rive, il vit aussitót la porte de l 'Enfer. E t que fit-il? D'un pas ferme il y alia et frappa. Pam, pam, pam! L e diable portier qui était sept fois plus velu que les autres, sortit la tète par la fenètre et demanda :

— Qui est là? — J e n'ai pas de travail et j ' en cherche, n'auriez-vous pas

besoin d'un ouvrier? L e diable portier, plus velu que tous les autres, ne sut que

répondre quand il entendit qu'on lui demandait du travail, car il était portier depuis des milliers et des milliers d'années et il n'a-vait jamais vu personne venir frapper à sa porte, et moins encore pour y demander du travail. II pensa qu'il était devenu fou ou qu'il n'avait pas bien compris et il redemanda :

— Qui est là? — J e n'ai pas de travail et j ' en cherche ; n'auriez-vous pas

besoin d'un ouvrier? L e diable ne sut que faire et crut que le mieux était d'aller

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demander avis au Grand Diable, son maítre. Pendant que le jeune meunier, gendre du roi, attendait dehors, devant la porte, le diable portier, tout poilu, alia trouver son maítre et lui expliqua ce qui se passait. Le Grand Diable s'en amusa beaucoup et fit aussitót donner l'ordre de faire entrer ce pauvre désespéré qui avait été assez benét pour venir demander du travail en Enfer. L e velu diable portier ouvrit la porte au meunier, gendre du roi, et l'in-troduisit auprès de la table de son maítre qui était en train de diner et qui, regardant le jeune homme des pieds à la tète, lui demanda :

— Qui es-tu et que veux-tu? — J e n'ai pas de travail, et j ' en cherche ; n'auriez-vous pas

besoin d'un ouvrier?

— Malgré mon grand àge, car je suis vieux comme le monde, jamais je n'ai vu personne mortelle venir frapper à ma porte et jamais personne n'était venu me demander du travail, car s'il est vrai que j ' en donne tant et plus, et mème que j ' en inflige, tout le monde est bien fàché de le faire. Pour moi tu es un toqué, encore que tu n'en aies pas la tète. Tiens! tu m'as tellement amusé, que je te louerai pour que tu m'habilles et me déshabilles. T u seràs donc mon valet de confiance et le seul de la maison qui me verra la queue, car s'il m'est égal qu'on me la voie dehors, chez moi je suis très pudique et je la porte toujours bien cachée dans mes chausses. Tu mangeras et boiras comme un roi sans avoir rien d'autre à faire qu'à m'óter mes hàbits le soir et à me les remettre le matin en me levant. E t maintenant, laisse-moi finir de diner, et puis, aujourd'hui mème tu me déshabilleras.

L e fils du meunier et gendre du roi fut heureux de l'emploi qu'on lui avait confié, car il pensa que, servant le Diable de si près, il trouverait l'occasion propice pour lui prendre son chapeau. II s'assit à table auprès du Grand Diable, maítre de toute la dia-blerie, et quand ils eurent fini de diner, le Diable s'en alia coucher.

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Le fils du meunier et gendre du roi le déshabilla et fut très surpris de lui voir une grande queue de plus de sept cannes ( i ) de long. 11 posa les hàbits du cornu, avec la plus grande attention, sur le porte-manteau. L e Diable s'endormit aussitót comme un sac de sable et se mit à ronfler si fort que l 'Enfer tout entier tremblait.

Quand le fils du meunier et gendre du roi vit que le Diable était bien endormi, il se coiffa du chapeau de celui-ci, se couvrit de sa cape jusqu'aux veux et quitta la chambre d'un air aussi désinvolte que s'il eút été maítre Diable en personne. E t sans rien dire, súr de lui-mème, il s'en alia vers la porte. Dès que le velu portier le vit qui s'approchait, le prenant pour son maítre, et comme si c'eüt été lui, il ouvrit la porte et fit une grande révé-rence, telle qu'il avait l'habitude d'en faire à son maítre chaque fois que celui-ci passait. L a horde de diables qui vaguaient aux alentours de la porte afin de surveiller le dehors, le virent sortir, et tous l'honorèrent d'une inclination de cornes et d'un remue-ment de queue, qui, selon ce qu'on dit, est la manière de se saluer et de se rendre hommage entre diables. L e fils du meunier et gendre du roi fut en quatre enjambées au bord de la rivière. L e batelier accosta aussitót pour passer le Seigneur Diable. L e fils du meunier et gendre du roi s'était bien drapé dans sa cape pour ne pas ètre reconnu. L e batelier le passa, et quand ils furent sur l'autre rive, le jeune homme se découvrit et lui dit :

— Vous voyez que vous m'avez repassé ainsi que je vous l 'avais dit.

On dit que le batelier fut si surpris qu'aujourd'hui encore il n'en est pas revenu.

L e gendre du roi arriva chez son beau-père et lui donna le chapeau du Diable. L e roi en fut aussi surpris que le batelier et ne sut comment s'expliquer la chose. Tout content et satisfait.

(i) Mesure ancienne, qui équivalait à environ i m. 60.

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il le mit aussitót et sortit se promener, tout fier de porter le cha­peau du Diable que nul autre au monde ne pouvait posséder.

* * *

.Mais voici que lorsque le diable se réveilla et se trouva sans son chapeau et sans sa cape, il fit appeler son nouveau domes­tique. En Enfer, tous furent très étonnés car l'on croyait le Diable parti faire la noce, et voilà qu'il venait de se lever. 11 est vrai qu'on avait pendant toute la nuit entendu des ronfiements qui faisaient trembler les voútes grillées de l 'Enfer ; mais tous avaient cru que c'était le fait du nouveau domestique.

Quand le Diable s'aperçut que son domestique s'était fait passer pour lui-mème, que de blasphèmes et de malédictions! II sortit sa queue de ses chausses et, comme si c'eút été un fouet, il se mit à donner des coups de queue par ci, des coups de queue par là, et toute la diablerie, petite et moyenne, de les recevoir sans répit. Après ce déchaínement de coups de queue, il enleva ses chausses comme il était accoutumé à le faire lorsqu'il sortait de l 'Enfer, et rentra dans le monde pour y chercher le chapeau et la cape qu'on lui avait volés.

11 marchait depuis peu, lorsqu'il rencontra le roi, plein de vanité, plus fier qu'un chien nanti d'un os, qui se promenait avec ostentation, exhibant le grand chapeau du Diable. Dès que le cornu le vit, jurant comme un loriot et tirant le feu de ses molai-res, il se rua sur lui, lui tordit le cou comme à un coq, le chargea sur ses épaules et en quatre enjambées Pemmena en enfer. E t là, il le precipita dans la maitresse chaudière qui est la plus grande de toutes, celle ou l'on jette ceux qui sont sept fois condam-nés. Aussitót il ordonna à la compagnie des diables chauffeurs de faire du feu sans désemparer, toute une année de suite, afin que le roi bríilàt sans répit.

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L e Diable, très satisfait, se frisait les poils de la barbe, de la tète et de la queue, quand voici qu'un diable menu comme le petit doigt lui dit :

— Monseigneur, vous avez tant désespéré de retrouver votre chapeau et maintenant, plein d'enthousiasme de l'avoir repris, en precipitant le voleur dans la chaudière, vous avez jeté le chapeau avec, et vous ne vous ètes pas aperçu qu'il brúlera aussi et que de nouveau vous ne l'aurez plus.

— T u as raison, menu petit diable! Que vienne à l'instant le chef des manieurs de fourches! Qu'il sorte mon chapeau de la chaudière et, à vous deux, je ferai la gràce pendant sept semai­nes de manger de mes farinetas ( i ) .

Et le chef des manieurs de fourches cueillit triomphalement le chapeau du Seigneur des En fers.

Ainsi donc que la sorcière l'avait predit, son lilleul, fils du savetier, fils adoptif du meunier et gendre du roi, fut roi, car on ne revit plus jamais son beau-père et nul ne sut jamais ce qu'il était devenu. Le jeune roi et sa femme vécurent toujours en paix et en harmonie comme Joseph et Marie.

Ils allèrenl de par le monde, Vannant l'onde, Et des le prcmier matin Trouvèrent un coq en chemin. Le second trouvèrent un cliicn, Le troisième ce fut un chal, Et mon conte finit là.

(i) Farinetas : plat typique de Catalogne, bouillie de farine de blé Oli de mals parfumé de thym, assaisonné d'huile d'olive, et oü l'on peut ajouter des petits morceaux de lard et de pain sjrülé.

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Nous avons recueilli ce conte, que nous publions pour la pre­mière fois, en 1018, de la bouche dc Josepa Aldaberl i Salou, de Palaudàries, née à Barcelone en 1888.

Quand nous l'avons connue, à l'àge de trentè ans, sacliant à pcine lire cl écrirc, elle avait fait maints metiers, entre autres celui de marchande amhulante : ainsi elle avait parcouru la moitíé de l'Ettrope, et notammenl les regions romanes, aceu-mulant un vaste capital de connaissances Iruditinnnelles.

Dans son adidescence, elle s'élait employce ii fabriquer des cspadrilles, industrie très répanduc dans la région du Maresme, d'oit ciaient ses parents. Cesi là, à Pineda, qu'elle avait appris ce conte dc sa mailresse.

Notre conleuse avait assimili un grand nombre de contes, chansons cl devinettes. Elle avait la parole facile et ce qui sor-lait de ses lèvrcs était comme régénéré.

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V

L A F I L L E D U S O L E I L E T D E L A L U N E

V oici que le Soleil et la Lune avaient une fille très belle et très courtoise mais qui sans cesse répétait qu'elle voulait courir le monde avec eux. Son père aussi bien que sa mère

Lui répondaient qu'elle s'y fatiguerait car, eux, devaient tou­jours marcher sans jamais s'arrèter ; mais elle ne voulait pas les croire.

Un soir, alors que sa mère sortait de la maison elle se cram-ponna à son bras et ne voulut point le làcher que sa mère ne l'em-roenàt. E t celle-ci de lui dire :

— Tu te fatigueras, tu ne pourras me suivre, et comme je ne puis m'arrèter, il me faudra t'abandonner là oü tu te sentiràs fatiguée.

Mais l'entètée ne voulut point laisser sa mère. L a Lune ne

put faire autrement que de l'emmener.

E t chemine que chemineras, toujours du mème pas, sans jamais s'arrèter, la fille commença à se fatiguer sans oser se plain-dre à sa mère, jusqu'à ce que, n'en pouvant plus, elle dut le lui dire. L a Lune, alors, lui parla ainsi :

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— Vois-tu, ma fille, ce que je te disais! Maintenant il me faudra le laisser car je ne puis m'arrèter un seul moment. J e te laisserai sur cette plage ou tu pourras habiter cette maisonnette. Ton père viendra te voir chaque jour, et moi, toutes les trois semaines, je viendrai passer les nuits auprès de toi, pendant huit jours.

E t sans s'arrèter d'un seul pas, la Lune laissa sa fille sur la plage et s'en alia. L a fille du Soleil et de la Lune vécut plusieurs années toute seule sans jamais voir un mortel. Son père allait chez elle tous les jours, et sa mère, toutes les trois semaines, lui tenait compagnie pendant huit jours.

E t voici qu'un jour le roi s'en fut chasser les mouettes et vit, perdue sur la plage, une maisonnette que jamais il n'avait remarquée. Comme il avait grand soif, il s'en approcha. Devant la porte, la fille du Soleil et de la Lune se trouvait à filer. Aper-cevant le roi, elle le reçut comme il se doit à une personne de qualité, et eile lui parla ainsi :

— Seigneur roi, à courir sous un pareil soleil par cette plage déserte, vous devez avoir soif. Asseyez-vous et buvez un peu. Petit seau, viens te poser sur la margelle du puits, laisse-toi attacher par la corde, descends chercher de l'eau fraiche pour le Seigneur roi et remonte vite car il t'attend. Petit gobelet, viens tout de suite, laisse-toi remplir par le petit seau et va, pose-toi entre les mains du Seigneur roi, qu'il puisse bien boire car il a soif. Si tu comprends qu'il n'est pas satisfait, va te remplir à nouveau et re viens.

Aussitót qu'elle eut parlé le petit seau alia se poser sur la margelle oü la corde l'attacha, puis le descendit au fond du puits, vite le remonta et comme déjà le gobelet attendait, le petit seau le remplit; le gobelet alia se poser entre les mains du Seigneur roi qui but toute son eau puis il retourna se remplir et le roi but une deuxième fois.

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Celui-ci se demandait s'il rèvait ou s'il était éveillé, car il n'avait jamais rien vu de semblable et ne savait que dire.

L a fille du Soleil et de la Lune lui parla une seconde fois ; elle lui dit :

— Pour sür que d'avoir tant couru tout en chassant, la faim a du vous venir et qu'il ne vous déplairait pas de goüter un peu. Bois, va au fourneau et allume-toi ; poèle, cours te poser sur le feu ; burette, verse de l'huile dans la poèle ; petits poissons, petits poissons, sortez de la mer, venez fournir un goüter au Seigneur roi, jetez-vous dans la poèle et laissez-vous frire ; petite laitue, petite tomate, piment, venez vite du potager, jetez-vous dans le seau et lavez-vous. Nappe, étends-toi sur la table ; serviette, verre, assiette et fourchette, vite, courez vous placer. Toi huile, assai-sonne la salade, toi poèle, sers les poissons au Seigneur roi ; que le couteau vienne et coupe le pain, et que celui-ci se pose à la portée du Seigneur roi ; toi calebasse, va à table et remplis le verre, que le Seigneur roi puisse boire!

Tout se passa ainsi que la fille du Soleil et de la Lune l'or-donnait et, sans s'arrèter de filer, elle prepara le goüter du Se i ­gneur roi qui ne savait ce qui lui arrivait.

II devint fort épris d'elle. Quand il eut fini de goüter, il lui

dit :

— Si ton nom je savais, Ma femme je tuer ais Et je t'épouserais.

— Je suis fille de bon lignage, X'ai pas à cacher mon visage. Ma mère est blanche, noble et rondc, Mon père a chevelure blonde. Nuit et jour vont autour du monde

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Et tout le monde les connait. Leurs noms si je te les disais, Toi aussi les reconnaitrais. lis ont vécu, vivent, vivront; Ils ont été, sont et seront.

— Comme roi que je suis, Je ne peux prendre femme Si je ne sais son nom!

Et le roi s'en alia à grand regret, sans se pouvoir òter de la téie cette demoiselle qu'il croyait ètre la fille d'un pècheur. II arriva chez lui et de fil en aiguille il raconta tout à la reine. S a darne, qui était très prétentieuse, fièrement lui répondit :

— Ce que fait fille de pècheur Le fera une reine et dame.

Et elle partit à la cuisine oü elle se mit à commander le bois. 1.: pòéle et la burette, les assiettes et la nappe. Mais rien ne bou-gea de sa place. L a reine, plus que fàchée de voir qu'elle ne pou­vait faire, bien que reine, ce qu'avait fait une pauvre fille de pècheur, prit les braises avec ses mains pour voir si elle parve-nait à cela. Mais elle se brüla, en mourut et fut enterrée.

Revenant du cimetière, tous les gens, serviteurs et conseil-lers du Palais, appelèrent le roi et lui dirent :

— Le Seigneur roi n'a pcint d'enfant, II n'a pas d'enfant ni de dame. Qu'adviendra-t-il de nous s'il meurt? A qui reviendra la couronne ? Seigneur roi, cherchez autre dame!

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L e Seigneur roi aurait bien voulu se marier avec la fille du pècheur, mais le faire en ignorant qui était son père ne pouvait ètre admis pour un roi. E t il se marià avec la demoiselle la plus jolie et la plus charmante de la ville. Ils vécurent très heureux. Des mois et des années passèrent et le roi pensait toujours à la fille du pècheur, tant qu'un jour il se décida à retourner chasser les mouettes sur la plage afin de revoir cette jeune fille.

L a fille du Soleil et de la Lune, comme la première fois, filait devant sa porte. Quand elle vit le Seigneur roi, elle resta si interdite que le fuseau lui glissa des mains et tomba dans la mer. Comme si rien ne se fút passé, elle dit :

— Dieu vous garde, Seigneur roi, comment allez-vous ? Cou­teau, viens vite, viens vite, coupe-moi la main droite et qu'elle s'en aille pècher le fuseau qui est tombé à la mer ; et toi petite main, tu le rapporteras puis te recolleras à mon bras.

E t tout se passa ainsi qu'elle l'avait demande. E t si le roi la première fois avait été bien étonné, il le fut plus encore cette !ois-ci. L a demoiselle l'invita de nouveau à boire et à goüter, de la mème manière que le jour de leur première rencontre. Et si le roi s'en était épris alors, il s'en énamoura bien davantage à cet instant. Et de nouveau il lui dit :

— Si ton nom je savais, Ma femme je tuerais Et je t'épouserais.

— Je suis fille de bon lignage, N'ai pas à cacher mon visage. Ma mère est blanche, noble et ronde, Mon père a chevelure blonde. Nuit et jour vont autour du monde Et tout le monde les connaít.

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Leurs noms si je te les disais, Toi aussi les reconnaítrais. Ils ont vécu, vivent, vivront; lis ont été, sont et seront.

— Comme roi que je suis, Je ne peux prendre femme Si je ne sais son nom!

Et le roi repartit chez lui fort préoccupé de ne pas savoir qui était cette fille de pècheur. En arrivant chez lui, il raconta à la reine tout ce qui s'était passé, et celle-ci, comme l'autre, lui dit :

— Ce que fait fille de pècheur Le fera une reine et dame.

Elle prit son anneau de reine et le jeta dans le puits, puis elle appela le couteau afin qu'il lui coupàt la main et aliat rechercher l'anneau. Voyant que le couteau ne venait pas lui couper la main, elle se la coupa elle-mème, et par la blessure qu'elle se fit, sai-gna, mourut; on l'enterra.

E t de retour du cimetière, les domestiques, serviteurs et con-

seillers du roi l'appelèrent et lui dirent :

— Le Seigneur roi n'a point d'enfant, II n'a pas d'enfant ni de dame. Qu' adviendra-t-il de nous s'il meurt ? A qui reviendra la couronne ? Seigneur roi, cherchez autre dame!

Et le roi se dit : « J e me marierai, mais cette fois ce sera avec la fille du pècheur. J e dois savoir son nom coúte que coúte. J ' i rai

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à la maisonnette, me cacherai de sorte qu'elle ne me voie pas et je lui ferai les quatre cents coups jusqu'à ce que je sache enfin son nom.

Et vers la plage, le jour mème il s'en alia. II arriva à l'orée de la nuit. L a demoiselle ne s'en aperçut pas. L e roi s'installa dans la maisonnette et versa toute l'huile de la lampe dans la burette ; il prit la burette bien, bien fort et se cacha derrière la porte. Quand vint la nuit et que la demoiselle dut se mettre à table, elle entra dans la maisonnette et dit :

— Lampe allume-toi, lampe allume-toi! E t la lampe répondait :

— J e ne puis, car je n'ai pas d'huile.

— Burette, va l'emplir!

— J e ne puis, Madame, car on me tient.

— Tais-toi, mauvaise langue ; puisqu'il n'y a personne ici, qui veux-tu qui te tienne ? V a remplir la lampe comme je te le demande.

— J e ne puis, Madame, on me tient.

Ce dialogue se répéta jusqu'à ce que la demoiselle, très fàchée, s'écriàt :

— Penses-tu me faire croire qu'on te tient ? Aussi vrai que je suis fille du Soleil et de la Lune, tu m'obéiras ou tu me le payeras.

Ainsi le roi n'eut pas besoin d'en apprendre davantage. Déjà, il savait que son amante était la fille du Soleil et de la Lune. Dif-ficilement pouvait-il imaginer des beaux-parents plus riches et plus comblés, plus grands et plus nobles. Tout de suite il làcha la burette, sortit de sa cachette, demanda pardon à la demoiselle, et pour l'épouser lui offrit sa main. Comme il plaisait beaucoup à la demoiselle, elle n'hésita pas à lui répondre oui.

Ils firent des noces comme jamais on n'en avait vues de sem-

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blables. On en parla maintes années et on en parle encore, com nous autres maintenant.

Ils vécurent heureux longtemps Et ils eurent trois garçons; L'un était blanc, L'autre était blond, Le dernier était pelé, Et mon conte est terminé.

Conté en 1Ç22 par Margarida Pot, d'une famille de pècheurs de Majorque, et, la mème annèe, par Josep Mas i Vila, né en íooo dans le quartier de Santa Catalina de cette mème ville. 11 était fils de pècheur et exerçait la profession de comptable.

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V I

P I E R R O T A L ' A N N E A U D ' O R

V OICI qu'il était une fois un père qui était très, très pauvre. II avait trois fils qu'il ne pouvait nourrir et tous quatre mou-raient de faim. Ils habitaient une vieille masure devant la-

quelle passa un jour un riche seigneur qui, les voyant si misera­bles, dit au père, que s'il voulait lui confier un de ses enfants comme domestique, il le nourrirait et lui ferait bonne vie. L e pau­vre père pensa qu'ainsi il aurait une bouche de moins à nourrir, et il laissa partir son fils ainé.

Le riche seigneur dit au garçonnet que le travail qu'il aurait à faire ne serait pas bien lourd et il lui donna une pioche et un cabàs. II le conduisit vers un puits ou il faliait descendre, lui dit d'en piocher le fond, qui était sans eau ; d'emplir de la terre qu'il remuerait un plein cabàs, et qu'ensuite il ferait un signe pour qu'on remontàt la charge. II ajouta que lorsque le garçon lui aurait rempli le nombre de cabàs qu'il désirait, il lui ferait signe de s 'a-gripper à la corde et qu'il le sortirait du puits, son travail étant fíni jusqu'au lendemain. Tout ceci sembla très facile au garçon­net et il pensa à la bonne vie qu'il s'offrirait s'il n'avait rien d'au-tre «à faire.

Aussitót qu'ils furent arrivés, le riche seigneur attacha son do­mestique à la corde et au fond du puits, garçon, pioche et cabàs

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descendiren!:. Quand le jeune garçon toucha le fond, il vit qu'il était tout semé d'onces d'or. II y en avait tant qu'il en fut tout ébloui. II se mit à piocher jusqu'à ce que fút rempli un plein cabàs, puis il fit le signe convenu, attacha le cabàs à la corde et son maitre, d'en haut, hala le treuil et fit remonter la charge. II fit redescendre immédiatement le cabàs, le garçonnet le remplit de nouveau, et tout se passa de mème jusqu'au troisième. Quand le maitre eut le troi-sième cabàs d'onces d'or, au lieu de remonter le garçon, il se mit à ramasser des cailloux et des pierres bien grosses et à les jeter au fond du puits. L e pauvre garçonnet qui s'attendait bien peu à recevoir une telle pluie de pierres ne fit que regarder par ci et regarder par là pour tenter de fuir, sans savoir comment. Mais le riche seigneur lui jeta tant de pierres qu'une d'elles l'atteignit à la tète et le tua.

Quelques jours plus tard, le riche seigneur revint passer de­vant la masure du pauvre père qui, le voyant, se precipita pour lui demander des nouvelles de son garçon. L e riche seigneur lui répondit qu'il s'était enfui depuis quatre ou cinq jours et qu'il ne savait oü il était allé.

Imaginez l'accablement du pauvre père! L e riche seigneur ajouta que s'il voulait lui confier son deuxième fils, il le soignerait très bien, et qu'il en ferait un homme. L e père ne savait que faire, mais comme il n'avait rien à lui donner à manger, il le laissa partir. E t le riche seigneur le traita comme il avait traité le frère aíné. Comme au premier, il fit emplir au second trois cabàs d'onces d'or et quand ils furent remontés, il jeta des pierres au garçonnet et le tua.

Quelques jours plus tard, le riche seigneur vint de nouveau à passer devant la masure du brave homme qui, le voyant, s'em-pressa de lui demander des nouvelles de son deuxième fils. Le riche seigneur recommença l'explication qui avait servi pour l'ainé.

Imaginez le désespoir du pauvre père!

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L e riche seigneur lui demanda de lui laisser son autre fils, le cadet, qui s'appelait Pierrot. L e pauvre homme ne voulait point le lui laisser. Mais le garçon insista tellement pour qu'il le laissàt partir et voir s'il découvrait le chemin que ses frères avaient pris, il désirait tant savoir ce qu'ils etaient deyenus, que le père ne s'y opposa plus.

L e riche seigneur refit au père les promesses qu'auparavant il avait faites au sujet des autres garçons. Pierrot et lui allèrent en-semble au puits. L à il attacha Pierrot à la corde, avec le cabàs et la pioche, et le tout en bas descendit. Mais voici que lorsque Pier­rot fut au fond, avant de faire ce que son maítre lui avait com-mandé, il voulut savoir oü il était, et tàtes que tàteras, il retrouva les corps de ses deux frères, tetes écrasées, qu'il reconnut à leurs hàbits. E t aussitót il décida de ne rien faire de ce que son maítre lui avait ordonné.

L e riche seigneur voyant que Pierrot ne lui faisait pas avec la corde le signe convenu pour remonter le sac plein d'or, comprit que celui-ci serait moins docile que ses frères et pensa que le mieux qu'il pouvait faire était de le lapider. II déversa donc quelques douzaines de pierres au fond du puits. Mais Pierrot, tàtant de ci de là, avait trouve une cachette sous des poutres de soutènement et ainsi, aucune pierre ne le toucha.

Quand il sembla au riche seigneur que Pierrot était mort, il s'en alia tranquillement sans plus y penser. L a volée de pierres passée, Pierrot se mit à tàter et au beau milieu du noir il lui sembla voir une chose qui reluisait. II la prit et vit que c'était une petite bague. En la mettant à son petit doigt, il la frotta sans le vouloir contre le mur du puits, et il entendit aussitót une petite voix qui disait :

Commande, Pierrot, Ce qu'il faut que fasse Le petit anneau.

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Quand Pierrot entendit cette toute petite voix, son cceur s 'é-panouit et aussitót il répondit :

— Que tu rendes la vie à mes frères et que tu nous sortes teus trois de ce puits.

E t en un clin d'ceil, les trois frères se retrouvèrent en haut du puits plus vivants et éveillés que jamais.

Plus joyeux que des castagnettes, ils allèrent rejoindre leur père qui ne iaisait que pleurer.

Alors imaginez son bonheur quand il les vit!

Pierrot raconta comment il avait fait pour rendre la vie à ses frères et sortir du puits. Quand il se fut bien expliqué et qu'ils eurent chacun tour à tour raconté leur aventure, ils se demandèrent si cet anneau ne pouvait pas ètre leur salut et voulurent éprouver s'il faisait toujours tout ce qu'on voulait.

Comme ils avaient grand faim, ilspensèrent que le mieux qu'ils pouvaient faire était de lui demander à manger. Pierrot prit une pierre, y frotta l'anneau, et tout de suite la petite voix lui demanda :

Commande, Pierrot, Ce qu'il faut que jasse Le petit anneau.

Que fit Pierrot ? II demanda un bon déjeuner. Aussitót une grande table apparut. Elle était si bien servie que jamais aucun li'eux n'en avait vue de pareille et n'avait goüté de si bons plats. Plus ils en mangeaient, plus il en reparaissait. Quand ils eurent dé-jeuné, ils s'aperçurent qu'ils etaient mal habillés ; alors Pierrot frotta une deuxième fois l'anneau et lui demanda quatre hàbits d'homme, lesquels parurent à l'instant mème.

Père et fils véeurent longtemps comme des grands seigneurs, bien nourris et bien habillés. Mais voici qu'un jour ils s'aperçurent qu'il ne convenait pas, à des seigneurs comme eux, d'habiter une

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vieille masure. Alors Pierrot saisit une pierre, frotta l'anneau et voilà qu'il entendit la petite voix qui lui disait :

Commande, Pierrot, Ce qu'il faut que fasse Le petit anneau.

Et il demanda aussitót une maison sisè devant celle du roi, mais encore plus grande. Et , zas! à l'instant mème stirgit du sol une si grande maison qu'il leur fallut plus d'une semaine pour la parcourir. Eile avait un jarilin, très grand, à perte de vue, beau­coup plus que celui du roi.

Quand le roi vit se dresser devant lui cette immense maison, il ne put en croire ses yeux et n'eut en tète que de savoir qui en était le maítre et comment celui-ci avait fait pour l'élever en moins de cinq minutes. II fit dire à ses voisins par l'un de ses domestiques qu'il aurait grand plaisir à faire leur connaissance, et il les invita à déjeuner. Pierrot, son père et ses deux frères allèrent déjeuner chez le Seigneur roi. Comme Pierrot était un garçon très bien bati, le roi, et sa fille aussi bien, furent très vite charmés. Afin qu'il épousàt la princesse, celle-ci et son père lui firen' fète. Pierrot raconta à la princesse comment, par la vertu d'un anneau qu'il se trouvait posséder, il avait obtenu cette maison plus grande que celle du roi. L a princesse crut qu'il se moquait d'elle, et ce fut ainsi qu'elle raconta tout à son père. Alors le roi avertit Pierrot qu'il ne l'accepterait pour gendre que s'il lui démontrait auparavant la vertu de son anneau. E t Pierrot répondit :

— Seigneur roi, demandez ce que vous voudrez, et vous verrez comme ce sera aussitót fait.

— J e veux un chàteau au milieu de la mer, avec une chaussée pour y aller depuis la plage.

Pierrot ne prit que le temps de sortir l'anneau, de le frotter sur

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une pierre et, tout de suite, il entendit la petite voix qui lui disait :

Commande, Pierrot, Ce qu'il faut que fasse Le petit anneau.

Pierrot lui demanda un chàteau au milieu de la mer avec une chaussée pour s'y rendre et à l'instant tout fut fait.

L e roi et la princesse en furent ébahis ; surtout le roi qui, ravi, pensa qu'avec un gendre avant un tel anneau, rien ne lui serait plus impossible.

Mais voici que la princesse, enjóleuse, dit à Pierrot qu'il lui plairait beaucoup d'avoir l'anneau, elle insista pour qu'il le lui prètàt. II répondit qu'il ne voulait pas le lui prèter, alors elle se mit à pleurer et à trépigner et Pierrot qui avait bon cceur le lui prèta — mais pour une heure seulement — afin qu'elle ne pleuràt plus. Entre-temps il alia prendre son petit déjeuner chez lui.

II était un très méchant sorcier, appelé Nez-de-Coq, qui avait un grand désir de l'anneau et qui, dans l'intention de se le faire donner, dès qu'il sut la faiblesse de Pierrot, alia trouver la prin­cesse. Quand il la vit, il lui dit qu'elle était embellie par son anneau, mais qu'il en possédait un qui l'embellirait davantage. L a prin­cesse, sans arrière-pensée, lui dit qu'elle ne le croyait pas. Alors ils convinrent, pour faire la preuve de leur dire, d'enlever tous deux un instant leur anneau pour voir lequel était le plus joli et ce fut ainsi que Nez-de-Coq, avec malice, changea l'anneau de la princesse. Aussitót l'anneau en son pouvoir, il s'enfuit à toutes jambes vers le palais du milieu de la mer, s 'y enferma, prit une pierre, frotta l'anneau, et la petite voix se fit entendre qui disait :

Ordonnc, Nez-de-Coq, Ce qu'il faut que fasse Le petit anneau.

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— J e veux que tu détruises la chaussée qui va de la plage au chàteau afin que personne ne puisse l'approcher.

E t , zum! aussitót la chaussée s'écroula.

Au bout d'une heure, Pierrot revint chercher l'anneau. Mais ni lui ni la princesse ne s'imaginaient qu'on le leur avait changé.

E t voici qu'entre temps le roi apprit que la chaussée s'était écroulée, il se mit en fureur contre Pierrot. Quand celui-ci apprit la colère du roi, il lui dit de ne pas se fàcher, qu'il demanderait à l'anneau de reconstruiré la chaussée. Pierrot alia chercher une pierre et il frotta l'anneau, frotte que frotteras, mais la petite voix ne répondait plus. Ne pouvant s'expliquer cela, Pierrot questionna maintes fois la princesse sur ce qui s'était passé, jusqu'à ce qu'enfin elle lui avouàt que Nez-de-Coq lui avait rendu visite, qu'ensemble ils avaient regardé lequel des deux anneaux était le plus joli, et que le sorcier súrement avait changé l'un pour l'autre.

L e roi ne voulut rien entendre à cela et dit à Pierrot qu'il lui donnait trois jours pour refaire la chaussée et que si au bout de ces trois jours, il ne l'avait pas refaite, il le ferait pendre. En attendant, il le fit mettre en prison.

Mais voici que Pierrot, pour garder sa grande maison, avait recueilli un petit chien perdu et un petit chat échappé qui l'aimaient beaucoup car il les nourrissait bien. II pensa donc à eux pour l'ai-der à se sortir d'embarras. II appela le geólier et lui demanda de faire dire à son père ce qui lui arrivait et de lui envoyer son petit chien et son petit chat. Quand les petites betes furent auprès de lui, il leur raconta ses ennuis, et elles lui promirent de faire tout leur possible pour le sauver.

L e petit chat et le petit chien se mirent aussitót en chemin vers la mer. L e petit chien dit à son compagnon de grimper sur son dos et de bien s'y agripper, car il allait se jeter à l'eau et nager jusqu'à ce qu'ils soient au chàteau. Le chat monta sur le dos du chien, celui-ci se mit à nager de ses quatre pattes et en un clin d'ceil

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ils arrivèrent au chàteau oü tout était bien verrouillé et les barres bien mises. L e petit chat dit au petit chien :

— Ne fais plus rien. Jusqu'ici c'est toi qui as travaillé. Main-tenant c'est à moi de le faire.

L e petit chat se dressa contre la porte du chàteau et se mit à crier par le trou de la serrure :

— Que la mère des rats vienne tout de suite! Sachez et en-tendez que je suis le roi des chats, celui qui les commande et gou-verne tous. II me convient d'avoir l'anneau de votre maítre. Si vous ne me l'apportez pas tout de suite, j 'appelle mes gens qui viendront tous, armés chacun de trois empans de griffes et de gueules et, en un clin d'oeil, il ne restera pas mème la graine de vous, rats et souris.

L a mère des rats tremble encore de ces paroles du chat. Sans plus attendre elle appelle tous les rats du chàteau qui y etaient par centaines de milliers et qui, tout tremblotants, se mirent à chercher de ci de là, et ailleurs encore, sans parvenir à trouver l'anneau.

Quand tous se voyaient déjà griffés et mangés par les gens du chat, alors qu'ils s'attendaient à les voir arriver avec leurs griffes de trois empans et leurs longues dents et qu'ils etaient au comble du désespoir sans savoir que faire, voici qu'une menue petite souris, que l'on apercevait à peine, leur dit qu'elle avait vu l'anneau lors-que le maítre allait au lit et comment alors, pour qu'on ne le lui prit pas, il Penlevait de son doigt et se le mettait dans le trou du p.ez. Tous les rats devinrent soucieux en se demandant comment iaire pour sortir l'anneau de là. Mais la mère de la petite souris qui était une rate très dégourdie leur dit :

— N'ayez crainte et laissez-moi faire. Aussitót elle courut vers la lampe à huile, y grimpa, mit sa

queue dans la cassolette, l'oignit d'huile jusqu'à ce qu'elle en dé-goulinàt, puis alia à la poivrière et y fit pénétrer sa queue pour bien l'engluer de poivre. Sitót après, elle courut au lit de Nez-de-Coq

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et lui frotta le declaris des narines avec sa queue. Chatouillé et pi­qué, il lança un éternuement qui fut entendu à plus de trois heures à la ronde et souffla l'anneau, lequel fut attrapé au vol par les rats qui attendaient atitour du lit. Ils s'empressèrent de le porter au petit chat qui, se promenant de long en large et les moustaches héris-sées, attendait dehors et pensait déjà qu'il lui faudrait les manger tous. Dès qu'il vit l'anneau, il le mit dans sa bouche pour ne pas le perdre et reprit le chemin de la maison du roi.

Mais voici que le petit chien ne cessait de lui dire : — Qui sait si nous arriveronsà temps, avant qu'on n'aitpendu

notre maítre ?

E t aussi de demander au petit chat : — Qu'en penses-tu, toi, arriverons-nous à temps ? Ou'en

penses-tu, arriverons-nous à temps ?

* €N PéReT Dé L'ANCU DAURAT *

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Mais le petit chat avait la bouche pleine et ne pouvait ré-pondre.

Tant et tant de fois le petit chien fit la mème question sans obtenir de réponse qu'il se facha et dit :

— Si tu ne me réponds pas, je plonge et te jette à la mer. Quand le petit chat entendit ceci, de peur de se mouiller, il

répondit tout de suite :

— Mais oui, nous arriverons à temps.

Et en ouvrant la bouche, l'anneau tomba dans l'eau. Songez quel fut leur chagrin alors!

Quand ils furent sur la plage, le petit chat appela le père des poissons et lui parla ainsi :

— J e suis le roi des chats qui portait un anneau pour son maí­tre. Cet anneau esttombé à l'eau ily aun instant. Uépèche-toi de me le faire chercher et apporter, sans quoi j 'appelle mes gens qui se rendront ici à l'instant mème et pas un poisson ne restera, car de vous tous, ils n'auront mème pas ce qu'il faut pour commencer.

Le roi des poissons entendit le petit chat et aussitót il donna l'ordre de chercher l'anneau. Au bout d'un moment, un poisson se presenta, le portant dans sa bouche. Alors le petit chat le prit et, jambes au cou, vers la prison du roi, il courut l'apporter à Pier­rot. Dès que celui-ci eut l'anneau entre ses mains, il le frotta contre le mur de la prison et il entendit la petite, toute petite voix qui disait :

Commande, Pierrot, Ce qu'il faut que fasse Le petit anneau.

11 lui demanda de le sortir de la prison et de refaire la chaus­sée qui allait de la plage au chàteau. Une fois hors de la prison, il se presenta devant le roi qui. sachant que la chaussée était recons-

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truite, se réjouit et redemanda au jeune homme d'ètre son gendre. L e lendemain mème eurent lieu les noces et un riche festiu,

comme jamais il ne s'en était vu Et tous en paix et tranquillité vécurent maintes années, et ils sont encore en vie s'ils ne sont pas morts déjà, et si dcjà ils sont morts, c'est qu'ils ne sont plus en vie.

Que celui qui ne voudra pas y croire, Aille y voir.

11 ne boira vin à la calebasse, Ni ne danscra sur la place.

Conté en 10.18 par Margarida Marginet i Cabanes de Par­ramon, née en 1842 a Riu daus la Cerdagne, gardeuse de porcs. Elle étail illettrée et d'une grande sitnplicité et bonté. Elle avait parcouru toute la Cerdagne. de la plaine à la montagne, aussi bien la catalane que la roussiüonne, enregistrant chansons et contes et les disant «i són tour. Elle en connaissait un si gran.l nombre qu'elle était vraiment comme les archives vivantes de la litlérnture orale Iraditionnelle.

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V I I

L ' A T T I S E B R A I S E

V oici qu'il était une fois un veuf avec une fillette bonne comme le bon pain et déjà si parfaite ménagère qu'elle savait faire la cuisine, le lit et laver le linge aussi bien que l'aurait fait

sa mère. Mais le brave homme qui devait aller travailler, était inquiet parce qu'il craignait que sa fille, se trouvant toute la jour-née seule, ne s'ennuyàt et, pour lui donner une autre mère, il se remaria.

II épousa une veuve qui sembiait, elle aussi, une brave femme, et qui avait deux filles, plus grandes que la sienne. Ces filles fai-saient semblant d'aimer beaucoup leur belle-sceur. Les premiers jours tout fut baisers et embrassades à cceur que veux-tu. Mais bientót les choses changèrent et tout ce qui d'abord était caresses et gràces devint, de la part de la maràtre et de ses filles, gronderies et reproches. Elies prirent à la pauvre fille les meilleures et plus jolies robes qu'elle avait, et ainsi elles allaient toujours endiman-chées. E t à la pauvrette elles laissèrent une vieille robe de bure et lui firent faire la souillon et la fille de peine. Toute la journée elles l'obligeaient à rester à la cuisine pour attiser et souffler le feu. Elle allait toujours souillée de cendre et on ne Pappelait pas autrement que l'Attisebraise. Mais comme elle était plus jolie que ses belles-

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sceurs, celles-ci, qui en avaient de la jalousie, la cachaient toutes les fois que des galants venaient leur rendre visite, afin qu'ils ne pussent la voir. Quand son père revenait, ce n'était que pour en­tendre médisances contre sa fille, et la tète lui bourdonnait de ce qu'elle faisait ceci ou faisait cela. Tant et tant de méchancetés furent faites à la pauvre Attisebraise que, désespérée, elle s'en alia de maison en maison pour demander la charité ou s'offrir à faire n'importe quel travail, en échange de sa seule nourriture.

Chemine que chemineras, la nuit vint sur elle au milieu d'un bois et elle fut prise de la peur de rencontrer une bète fauve qui la mangeàt. E t voici qu'au moment de sa plus grande frayeur, elle vit là-bas, au loin, une douce petite lumière qui, peu à peu, allait se rapprochant. E t quand la lumière fut tout près d'elle, elle vit que c'était une petite vieille au visage épanoui qui lui parla d'une voix qui semblait descendre du ciel, la consola de sa mésaventure et lui dit qu'elle était la Mère de Dieu, qu'elle ne l'abandonnerait pas et que, pour prix de tout ce que lui avaient fait endurer la maràtre et ses filles, elle aurait beaucoup de chance et serait très heureuse. Et la Vierge lui donna une noisette, une amande et une noix, et lui dit que, dès qu'elle aurait besoin de quelque chose, elle cassàt un de ces fruits : elle y trouverait ce qui lui conviendrait. Puis la Mère de Dieu l'embrassa sur chaque joue et s'en alia à travers la forèt.

L e lendemain, quand le jour se leva, la pauvre Attisebraise, fort encouragée, se remit en chemin sans savoir ou elle allait. E t , chemine que chemineras, elle arriva dans une ville très grande et très jolie et alia de porte en porte demandant du travail. E t par­tout on lui répondait qu'on n'avait besoin de personne. L a nuit tomba sur elle et nulle part elle n'avait trouve de travail ni n'avait pu manger la moindre chose. Elle s'arrèta devant un grand palais qui était la maison du Seigneur roi et pensa que peut-ètre le Sei­gneur roi, qui avait tant de domestiques et tant de servantes, en

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aurait besoin d'une de plus et la prendrait. L e Seigneur roi, quand il la vit si mal vètue, eut pitié d'elle et lui demanda ce qu'elle savait faire. E t elle, tout intimidée, lui répondit qu'elle savait attiser la braise. Le Seigneur roi appela la cuisinière-chef et lui dit de la prendre pour attiser les fourneaux. C'est ainsi qu'elle resta à la maison du Seigneur roi.

E t avec sa mème robe de bure, la pauvre Attisebraise s'en alia à la cuisine, dina bien, et le soir mème souffla le feu pour finir de faire le souper de tout ce grand monde : famille, convives et domestiques de la maison du Seigneur roi, toute fière et contente d'avoir trouve du travail dans une si bonne maison. E t comme pour faire la cuisine de tant d'invités, pour tant de festins et de fetes, on allumait de grands feux qui semblaient un enfer, l 'Attise­braise, souffle que souffleras, se démenait entre de grands nuages de cendre qui couvraient toute sa robe. Si sale et poussiéreuse qu'elle eüt été jusqu'alors, elle le fut plus encore à partir de ce mo­ment.

L'Attisebraise était très contente de vivre et de travailler dans la maison du Seigneur roi et de pouvoir souffler le feu. Après qu'elle eut longtemps attisé les fourneaux, voici, une fois, que le roi fit une grande fète qui dura trois jours, et chaque jour il y eut sept fois plus de convives qu'aux habituels festins du Seigneur roi. E t après il y avait un grand bal, des plus riches qu'on n'ait jamais vus. Dans toute la maison du roi on ne parlait d'autre chose sinon de la chance qu'auraient les mignonnes demoiselles qui pour-raient y aller. Puis on disait que le roi qui était jeune homme cher-chait promise et qu'il choisirait la jeune fille qui lui plairait le plus parmi celles qui viendraient.

E t voici que vint à l'Attisebraise le grand désir d'y aller. Mais il n'y fallait pas penser, avec la robe de bure qu'elle portait, et de plus, si sale de cendre que partout ou elle passait elle lais-sait des traces.

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En pensant tout le temps à ce qu'elle pourrait bien faire pour aller au bal, elle se rappela la noisette, Pamande et la noix que la Mère de Dieu lui avait données, et son conseil que dans le besoin elle en cassàt une et qu'elle y trouverait remède. Elle pensa que ce désir qu'elle avait d'aller au bal était vraiment un de ces besoins. E t que fit-elle ? Alors que toutes les autres servantes etaient endor-mies, elle sortit la noisette qu'elle avait cachée sous une tuile du toit du grenier oü elle couchait. Bien doucement et peu à peu, afin que les autres ne s'éveillassent pas, elle prit la noisette, la cassa, et du dedans elle sortit une robe tout en argent, plus lui-sante que la pleine lune. Avec la roble il y avait une paire de chaus-sures, en argent elles aussi, et sept bijoux brillants comme des soleils, tant qu'il n 'y avait plus qu'à les regarder : anneau, chaine, collier, bracelet, bague, broche et épingle de tète. On ne pouvait avoir assez d'veux pour les contempler.

L'Attisebraise se lava bien le visage et les mains et, quand elle fut propre, coiffée et parée, elle mit la robe et comme elle était très jolie et gentille, elle faisait tant plaisir à voir qu'elle semblait plus reine que sa maítresse. Ainsi toute belle, elle s'en alia au bal.

Quand elle entra au bal, tout le monde la remarqua. Personne n'avait assez d'veux pour la contempler et tous restèrent inter-dits devant cette grande dame si galante, et surtout si richement mise. Les musiciens eux-mème en furent si ébahis qu'ils perdirent la mesure et ne surent plus ce qu'ils jouaient.

L e Seigneur roi, tout fier et satisfait de voir cette jeune fille si richement mise, l'invita à danser et l'Attisebraise accepta. Si elle lui avait beaucoup plu dès qu'il l'eüt vue, elle lui plut davan-tage encore quand il lui parla sans pouvoir s'imaginer que c'était là son attisebraise. Son parler si joli et sa voix si douce, tout l'énamoura, et, très satisfait, il lui offrit un anneau avec une pierre verte, presque aussi joli que celui qu'elle portait. L'Attisebraise

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tout heureuse le mit à son doigt et toutes les autres jeunes filles du bal — elles y etaient par centaines — de jalousie ne se poli­valent tenir en place.

Lorsque le bal se termina, le Seigneur roi voulut inviter l 'At­tisebraise à diner pour avoir l'occasion de converser avec elle et lui demander sa main. Mais quand les musiciens jouèrent les der-nières notes de la contredanse, profitant d'un moment de distrac-tion, l'Attisebraise s'en alia bien vite sans que personne s'en aperçút.

Quand le Seigneur roi vit qu'elle était partie, il demanda à tout le monde le chemin qu'elle avait suivi, et surtout si l'on savait de quelle Maison elle était, afin de pouvoir l 'envoyer chercher. Mais nul ne l'avait reconnue. L e Seigneur roi était fort ennuyé. mais il se consola en pensant qu'il la reverrait au bal du lendemain.

L'Attisebraise monta tout de suite à son dortoir du grenier, elle enleva sa robe d'argent, la cacha sous les tuiles, mit les sept bijoux et l'anneau à la pierre verte que lui avait donné le roi, dans un de ses souliers, en guise de cassette, qu'elle cacha dans la gout-tière de façon que personne ne put le trouver ; puis elle s'en alia dormir.

L e lendemain, elle se leva avec les autres servantes et dans sa robe de bure elle descendit à la cuisine pour attiser le feu. Dans la maison du Seigneur roi, on ne parlait d'autre chose que du grand bal et surtout de cette jeune fille tout habillée d'argent qui avait dansé avec le Seigneur roi et dont tout le monde pensait qu'il s'était épris. Chaque fois qu'on parlait d'elle, l'Attisebraise disait :

— Peut-étre oui, Peut-étre noti,

Peut-étre bien, Que c'était moi?

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Les autres servantes en l'entendant, se moquaient d'elle et lui répondaient :

— Ne dis rieu, Tu déraisonnes; Tu n'es ni chien Ni personne!

Et elles recommençaient à parler du bal et de cette gentille mignonne, sans pouvoir en finir. Quand ce fut l'heure du petit déjeuner, le Seigneur roi ne faisait que parler de cette galante demoiselle et demander à tous ses gens si par hasard ils en savaient quelque chose. Et l'Attisebraise répondit de mème :

— Peut-étre oui, Peut-étre non, Peut-étre bien, Que c'était moi?

Et toutes ses compagnes, afin que le Seigneur roi ne se fàchàt pas, lui répondirent comme toujours :

— Ne dis rien, Tu déraisonnes; Tu n'es ni chien Ni personne.

L e Seigneur roi se fàcha d'entendre tout ceci et jeta une

cuiller à l'Attisebraise.

Quand le soir arriva, il y eut un deuxième bal. L'Attisebraise comme le jour precedent attendit que toutes ses compagnes fus-sent endormies pour casser l'amande qu'elle avait cachée sous

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une tuile, et elle en sortit une robe tout en or, plus brillante que ie soleil, avec des souliers comme la robe et sept bijoux tout en or eux aussi, beaucoup plus étincelants et jolis que ceux du pre-mier jour. L'Attisebraise se lava bien la figure, se peigna et se para, se dévètit de sa robe de bure, mit sa robe en or et s'en alia au bal.

Dès qu'elle entra au bal, tous les regards furent pour elle, et toutes les jeunes filles en eurent plus de jalousie que la veille, et les musiciens en perdirent la mesure, encore plus que la soirée pré-cédente. L e Seigneur roi tout de suite la fit entrer en danse, et ce qu'il fit tout d'abord fut de lui demander de quelle Maison elle était, et l'Attisebraise lui répondit :

— J e suis une Pain et Cuiller. E t le Seigneur roi fut tout interdit de cette réponse, parce

que jamais il n'avait entendu parler de cette Maison, et il se pro­posa de lui faire dire dans quelle rue était sa maison, à l'heure du diner oü il pensait l'inviter. L e Seigneur roi était tout regard pour elle et, si amoureux qu'il s'en était trouve la veille, il le fut plus encore ce jour-là. Pour lui faire plaisir, il lui donna un anneau avec une pierre vermeille, presque aussi joli que celui qu'elle portait déjà.

E t voici que lorsque le bal fut sur le point de se terminer et que les musiciens jouaient les dernières notes de la danse, l'Attise­braise se déroba sans que personne s'en aperçüt. Quand le Sei­gneur roi vit qu'elle était partie, il en fut plus malheureux que cela ne se peut dire et faillit presque se trouver mal.

L'Attisebraise monta au grenier, se dévètit de sa robe d'or et la cacha bien sous les tuiles. Elle mit les bijoux et l'anneau que lui avait donnes le Seigneur roi dans un soulier en guise de cassette et cacha celui-ci entre la maitresse poutre et le toit afin que per­sonne ne le trouvàt, puis elle s'en alia dormir.

L e lendemain elle se leva avec ses compagnes et descendit à

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la cuisine pour faire le petit déjeuner du Seigneur roi et, comme la veille tout le monde ne parlait que du bal et de cette mignonne dont le Seigneur roi s'était épris et qui lui avait échappé. E t chaque lois que l'on parlait d'elle, l'Attisebraise recommençait à dire :

— Peut-étre oui, Peut-étre non, Peut-étre bien, Que c'était moi?

Et toutes les servantes lui tombaient dessus, la traitant de simplette et ne cessaient de lui dire :

— Ne dis rien, Tu déraisonnes; Tu n'es ni chien Ni personne.

Quand le Seigneur roi descendit prendre son petit déjeuner, i! était de fort mauvaise humeur et fàché de n'avoir pu savoir qui était cette demoiselle qui lui avait brisé le cceur. E t chaque fois que, tout ravi, il parlait d'elle, l'Attisebraise lui répondait :

— Peut-étre oui, Peut-étre non, Peut-étre bien, Que c'était moi?

Et le Seigneur roi, plus que fàché, pensant qu'elle se moquait de lui, lui jeta une fourchette.

L e soir arrivé, l'Attisebraise lit comme les autres jours. Quand teutes ses compagnes furent endormies, elle sortit la noix de sous

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une tuile du grenier oü elle était cachée, la cassa, et elle en sortit une robe toute garnie de clochettes qui tintaient d'un son si doux que cela semblait vraiment une musique du ciel. Les souliers, eux aussi, etaient tout cousus de clochettes et de mème les sept bijoux qu'elle trouva. Après s'ètre bien lavée, peignée et parée, elle se dévètit de sa robe de bure, toute sale de cendre, et mit celle ornée de clochettes, prenant bien garde que leur sonnerie ne réveil-làt ses compagnes et la fit découvrir. Elle descendit l'escalier sur la pointe des pieds et s'en alia au bal.

L e Seigneur roi avait ordonné à tous ses serviteurs d'ètre vigilants dès que paraitrait la demoiselle qui était venue les deux autres jours, et de ne pas la perdre de vue un seul instant, afin qu'elle ne partit pas sans qu'on sut oü ni comment. Quand les gens du bal virent l'Attisebraise avec sa belle robe et surtout lorsqu'ils entendirent la douce musique des centaines et centaines de clo­chettes, ils en furent tout interdits et le Seigneur roi plus que per­sonne. L 'envie rongeait toutes les jeunes filles et les musiciens ne savaient plus ce qu'ils jouaient. L e Seigneur roi, tout aise, la con-duisit dans la danse et tout de suite lui demanda de quelle Maison elle était, et elle, avec assurance, lui répondit :

— J e suis une Pain et Fourchette. L e Seigneur roi ne comprit point ce qu'elle voulait dire, puis-

qu'il n'avait jamais entendu parler de cette Maison. E t il se promit déclaircir cela après le bal, quand ils díneraient ensemble, car il comptait bien que ce jour-là elle ne lui échapperait pas.

Mais comme résonnaient les dernières notes de la dernière danse, voici que profitant d'un moment d'inattention, l'Attisebraise s'échappa bien vite et discrètement, afin que le son des clochettes ne la trahít pas. Mais elle descendait l'escalier avec tant d'étour-derie et courait tant, qu'elle perdit un soulier. Par peur qu'on ne l'attrapàt si elle s'arrètait, elle ne retourna pas le ramasser.

Courant très vite, avec grandes précautions pour ne pas faire

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tinter les clochettes, et déchaussée d'un pied, elle monta l'escalier du grenier, se dévètit de sa robe avec grand soin, la plia et la ca­cha sous les tuiles, puis elle mit tous les bijoux et l'anneau avec la pierre bleue que lui avait donné le Seigneur roi, dans un soulier en guise de cassette qu'elle cacha bien sous le faítage du toit. Elle s'en-dormit jusqu'au lendemain oü, avec ses compagnes de la cuisine, elle descendit pour préparer le petit déjeuner du Seigneur roi. Elle était vètue de sa robe de bure pleine de cendre et si sale de visage que nul n'aurait été capable de la reconnaítre.

Toute la maison du Seigneur roi était remplie de ce qui s'était passé au bal et tout le monde savait que la galante demoiselle avait perdu un soulier en fuyant et que

Elle avait un peton Aussi petit et mignon Que celui d'un oisillon.

Quand le Seigneur roi descendit prendre son petit déjeuner, ii expliqua, tout contrarié, ce qui lui était arrivé, mais il ajouta qu'il avait l'espoir de retrouver la jeune fille gràce au soulier qu'elle avait perdu. E t chaque fois que le Seigneur roi parlait d'elle, l 'At­tisebraise répondait :

— Peut-étre oui, Peut-étre non, Peut-étre bien, Que c'était moi?

Et les autres servantes lui répondaient :

— Ne dis rien, Tu déraisonnes; Tu n'es ni chien Ni personne.

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L e Seigneur roi déeida de passer de maison en maison pour voir s'il trouvait quelque demoiselle à qui le soulier allàt, et de ne pas s'arrèter qu'il ne l'etit trouvée. Dans son plus beau car-rosse et accompagné d'une longue suite de valets, il entreprit ses visites. II s'arrètait devant chaque maison, frappait à la porte et disait :

— Dieu vous garde, bonnes gens; N'étes vous pas les Cuiller, N'étes vous pas les Fourcíiette, N'avez-vous pas une fille Au pied iout aussi mignon Que celui d'un oisillon, Et qui chausserait sans peine Ce petit soulier de reine Tout orné de fins grelots.

Et les gens tout fiers de voir le Seigneur roi en leur logis, — alors qu'ils savaient bien qu'ils n'etaient ni les Cuiller ni les Fourchette et que ce soulier n'était à aucune des jeunes filles de leur Maison —, faisaient entrer le roi, appelaient les jeunes filles qui etaient tout heureuses de pouvoir parler avec lui et faisaient. ce qu'elles pouvaient pour que ce soulier si joli s'ajustàt à leur pied, pensant que, si elles le pouvaient chausser, elles se marie-raient avec le Seigneur roi.

L e roi et toute sa suite parcoururent toute la ville, maison par maison, et essayèrent le soulier aux clochettes à toutes les jeunes filles à marier qui etaient par centaines de centaines. Mais à aucune i! n'alla. Aux unes il était de trois mesures trop grand, aux autres il était trop juste, les autres n'y pouvaient mème entrer le pied. L e Seigneur roi chaque jour se sentait plus amoureux de cette demoi­selle et, plus le temps passait, plus il l'aimait. E t comme il vint à

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penser que jamais il ne la trouverait, il allait languissant, s'attris-tant jusqu'à tomber malade, et plus maiade tous les jours sans qu'aucun méilecin put lui trouver remède. A la maison du Seigneur roi, tout était peine et douleur ; tout ce qui d'abord avait été joie était devenu tristesse et cceur lourd, car le roi devenait plus ma­lade et l'on craignait qu'il ne mourút.

L e roi s'affaiblissait de jour en jour et déjà personne ne sa­vait plus que faire pour lui. L'Attisebraise en eut compassion et demanda à lui préparer un bouillon très bon qu'elle connaissait et qui rendait la vie aux morts. D'abord nul ne l'écouta. Mais tant elle insista et tant l'état du roi empirait tous les jours qu'enfin on lui laissa faire le bouillon. Quand elle i'eut fait, l'Attisebraise mit la robe d'argent qu'elle avait cachée sous les tuiles, chaussa les sou-liers de la gouttière, se para des joyaux d'argent et jeta la bague à pierre verte que lui avait donnée le roi dans la tasse de bouillon. Toute belle, elle porta le bouillon au Seigneur roi. Comme il avait les veux mi-clos, il ne la vit mème pas. II prit l'écuelle à tàtons, mais en buvant la dernière gorgée, il trouva l'anneau, le regarda, le reconnut, et aussitót il ouvrit les yeux pour voir qui lui avait apporté ce bouillon. Mais l'Attisebraise était déjà partie se désha-biller, en cachette de tous.

L e roi demanda qui lui avait fait le bouillon. De peur qu'il ne -se fàchàt s'il le savait, on ne voulut pas le lui dire. L e roi sentit que ce bouillon l'avait un peu réconforté et en demanda encore.

L'Attisebraise habillée de sa robe d'or et parée des joyaux assortis lui apporta une autre écuelle de bouillon, oú elle avait jeté la bague à pierre vermeille que le roi lui avait donnée le jour du second bal. Comme le malade était à demi endormi quand elle vint, sans faire de bruit, elle deposa l'écuelle sur la table auprès du lit et s'enfuit. Quand le roi se réveilla, il but le bouillon et trouva l'autre bague. II comprit qu'il y avait là un mystère et demanda avec insistance qui avait fait le bouillon. De peur qu'il n'eút du

JOO

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dégoüt s'il apprenait qui c'était, on le lui cacha. L e roi ordonna qu'on lui en apportàt encore.

L'Attisebraise en fit un nouveau et jeta dans la tasse la bague à pierre bleue que lui avait donnée le roi au dernier bal. Elle mit la robe à clochettes, se para de tous les joyaux assortis, chaussa le seul soulier qu'elle avait et, à l'autre pied, garda une vieille espa-drille d'attisebraise. Sans se préoccuper d'ètre vue, elle alia à la chambre du roi lui apporter le bouillon. Tous les gens de la Maison du roi, dès qu'ils entendirent cette petite musique du ciel, tout ébahis, ne doutèrent plus que l'Attisebraise qu'ils avaient tènue pour simplette fut la demoiselle dont s'était énamouré le roi.

L e roi qui attendait le bouillon avec impatience, dès qu'il entendit la petite musique de clochettes se ranima et reconnut que c'était le son qui déjà l'avait transporté. Dès qu'il vit l'Attisebraise, il se réjouit et, tout regaillardi, lui demanda si c'était elle qui avait dansé avec lui aux trois bals, à qui il avait donné les trois bagues, et si c'était elle, son Attisebraise. Elle lui répondit :

— Peut-étre oui, Peut-étre non, Peut-étre bien, Que c'était moi?

L e roi lui regarda les pieds et voyant qu'elle portait un soulier orné de clochettes et une vieille espadrille, comprit que la demoiselle du bal et l'Attisebraise etaient une mème personne. Aussitót, il lui fit essayer l'autre soulier, qui lui allait très bien.

L e roi se rétablit tout de suite et se mit à sauter et danser, tant il était content. 11 fit préparer les noces et, au bout de quatre jours, ils se marièrent. Jamais on n'avait vu de fète pareille. II y eut un festin oü les convives etaient par centaines et par milliers, et ils firent un bal qui dura de nombreux jours. Des gens du monde entier

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allèrent à ce bal et personne ne parlait d'autre chose, et on en parla tant que mème nous, maintenant, nous en parions encore.

Et voici un chat, Et voici un chien, Et ce conte finit bien. Et voici un chien, Et voici un chat, Et ce conte finit là.

Ce conte est si populaire qu'il nous jaudrait citer toutes nos conteuses si nous tentions d'en énumérer les versions recueilli·js.

I.u version donnée est celle que contait notre mère, Teresa GélàtS i Grinyó d'Amades, née à Barcelone en 1857. Elle l'avait apprise de sa mère Magdalena Grinyó i Hostenc, née ii Olot, dans la Garrotxa, en 1824.

Tricoteuse de bas de son métier, tète d'équipe d'une usine de has pendant plus de trentè ans, notre mère avait appris le métier ii des centaines d'apprenties. Les parlicularités de ce travail, qualifié, sédentuire. peu pénible, etaient favorables à la causerie el ii la narration, et l'alelier constituait un foyer de conservation et de transmission des valeurs de la culture traditionnelle. Teresa était une analpliabèle, mais une femme d'un vaste savoir en coniuiissances populuires.

Elle disait presque toujours les contes avec les mèmes mols, les mèmes gestes et les mème inflexions de voix. De certains de ces contes, elle faisait des commentaires éducatifs et moraux. El souvent les conséquences qu'elle en déduisait devenaienl plus intèressantes que le conte lui-mème.

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V I U

L E S T R O I S P E N S É E S

C 'ÉTAIT dans cet endroit du monde oü avait un nez tout le monde,

qu'il était une fois un enorme géant dont le nez mesurait un empan. Le plus curieux, ce n'était pas qu'il eút un nez si grand, mais qu'il pút l'enlever et le remettre comme si c'eút été un chapeau ou une quelconque pièce de son costume. E t de plus, il pouvait le re­mettre par les deux bouts, soit le dos cóté visage et la racine en l'air, soit les ailes cóté lèvres et la pointe en dehors. Voici donc que ce géant qui était un grand malin, selon ce qui lui convenait pour ses méfaits, enlevait son nez ou se le remettait, la pointe en dehors ou la pointe en dedans, ce qui lui faisait une très bizarre figure, tant que personne ne le reconnaissait.

Et vous devez savoir et entendre, et encore entendre et savoir, qu'un jour, à cause de ses méfaits, il dut s'enfuir à toutes jambes et qu'il oublia d'enlever son nez et de le remettre dans sa poche comme il en avait coutume. Tout en courant il le perdit, et quand il s'en aperçut, il se trouva sans nez et ne sachant pas du tout oü il pourrait le retrouver, car il avait traversé maintes forèts toutes

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semées de simaiL· ( i ) , qui formaient un tapis épais de trois empans et plus. Désespéré, il refit le chemin par ou il était venu, deman­dant à tous ceux qu'il rencontrait s'ils n'auraient pas trouve le nez qu'il avait laissé tomber et bien perdu.

* *

Mais voici que vivait une brave veuve qui n'avait qu'un fils et était si pauvre qu'elle ne pouvait le nourrir. L e garçon, fatigué d'avoir faim, pour améliorer son sort, s'en alia chercher fortune par le monde. E t tout en marchant au travers des forèts et des bois, il trouva le grand nez du géant.

II ne comprit pas ce que cela pouvait étre, mais il vit bien que c'était de la viande et, comme il n'en avait pas mangé depuis des années, il décida de la faire cuire sur la braise. II ramassa du bois, alluma un bon feu et s'assit sur une pierre, bien disposé à rótir le nez du géant.

Mais vous devez savoir et entendre, et encore entendre et savoir, qu'aussitót assis, il entendit un si grand bruit et sentit un si grand vent qu'il en fut saisi d'épouvante.

Súrement, quelque méchante chose arrivait!

II grimpa dans un arbre pour échapper au péril, mais il eut peur de perdre ce morceau de viande qu'il avait trouve et il l'em­porta avec lui.

L e fracàs et grand vent qu'il avait entendus, c'était le géant qui arrivait.

Quand le pauvre garçon vit cet homme si grand, il se mit à

(i) Herbc imaginaire et legendaire, son nom n'a pas de traduction.

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trembler, tant et tant que mème l'arbre trembla — et c'était un chéne des plus puissants!

L e géant, voyant ce feu et cet arbre aux branches agitées, pensa que quelqu'un y était caché, regarda en l'air et vit le garçon plus mort que vif. II lui dit :

— Eh! jeune homme! n'aurais-tu pas trouve par ici mon nez que j 'a i perdu ?

— Peut-ètre! Vovez si c'est cela.

E t le garçon, du haut de l'arbre et sans oser descendre, lui jeta le nez.

Imaginez la joie du géant lorsqu'il vit son nez!

Aussitót, il le remit sur son visage comme un chapeau sur la tète et devint tout différent de ce qu'il était un instant auparavant.

II était si content qu'il ne savait ce qui lui arrivait et il voulut remercier ie garçon du service qu'il lui avait rendu. II sortit de sur sa poitrine une bourse pleine d'écus et la lui donna. Mais son bonheur était si grand d'avoir retrouvé son nez qu'il lui sembla

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qu'une telle joie n'était point assez payée par de l'argent et il vou­lut lui accorder un don. Alors il sortit de sa poche une bagnette inagique et lui dit :

— Voici une baguette magique avec laquelle tu pourras faire tout ce que tu voudras. Et si tu sais en tirer bon service et profit, tu pourras devenir riche et puissant.

Imaginez le bonheur de ce pauvre garçon qui, tout à coup, se voyait riche et maitre de cette baguette qui pouvait l'enrichir encore davantage et lui apporter faveur et chance!

Et que fit-il alors ? II pensa que ce qui lui convenait le plus, c'était de bien manger car il avait grand-faim. Et sans plus y réflé-chir, il prit le chemin de l'auberge pour se bien restaurer.

Mais voici que, pendant qu'il dínait, on entendit une grande musique, et l'aubergiste parla ainsi au jeune homme :

— Ah! mon galant jeune homme! ne sortez ni par porte ni par fenètre, ni d'une seule jambe ni mème d'un seul pied, car maintenant voilà que passe la fille aínée du roi et si vous la voyiez vous en deviendriez amoureux. C'est une très belle demoiselle, blanche comme la neige, blonde comme le soleil et, avec ses nattes jusqu'aux pieds, elle est la plus jolie et la plus charmante du monde. I ous les hommes qui la regardent s'en éprennent mais elle leur dit

qu'elle ne se mariera qu'avec celui qui devinera trois de ses pensées et que, bien entendu, elle fera pendre celui qui s'y essaiera»et n'y parviendra pas. Elle en a déjà fait tuer des centaines et des mil­liers. Croyez-moi, ne recherchez pas le sort de tant d'autres. Le mieux que vous puissiez faire, c'est de ne pas la regarder, ainsi vous n'en deviendrez pas amoureux.

Les paroles de l'aubergiste donnèrent au jeune homme un grand désir de voir et de connaitre la princesse, certain que, mème s'il en tombait amoureux, par la vertu de sa baguette, il se sorti-rait en bien de tout.

Comme la musique s'approchait, il sortit sur le pas de la porte

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et aussitót la princesse passa dans un carrosse tiré par vingt che-vaux, tout entouré de domestiques en hàbits de soie, d'or et d'ar­gent.

Comme l'avait predit l'aubergiste, dès que le jeune homme vit la princesse, il en tomba amoureux.

Sitót le carrosse passé, le jeune homme paya l'aubergiste et il s'en alia, droit vers la maison du Seigneur roi. Aussitót arrivé, il fit dire à la princesse qu'il l'aimait et était disposé à deviner ses trois pensées.

Les domestiques firent savoir à la princesse qu'un nouvel amoureux s'était présenté qui avec elle voulait se marier. La prin­cesse fit répondre que, le lendemain, elle l'attendrait.

L e jeune homme pensa qu'il serait bon de rester près de sa maítresse car il lui serait ainsi plus facile de savoir ce qu'elle fai­sait, et par suite ce qu'elle pensait.

E t que fit-il ? Au lieu de s'en aller attendre le lendemain dans une auberge, il se cacha dans un recoin du jardin du roi, de façon à ne pas ètre vu, derrière des fleurs.

Les douze coups de minuit allaient sonner lorsqu'il vit que s'ouvrait la fenètre de la princesse et qu'elle en sortait vètue d'ailes blanches de papillon et s'envolait.

Que fit-il ? 11 sortit de sa poche sa baguette magique, se fit pousser des ailes comme celles de la princesse et s'en alia, volant derrière elle.

E t vole que voleras, la princesse et le jeune homme s'en al-lèrent vers la mer. E t la princesse vola, vole que voleras, son ga­lant toujours à ses trousses, jusqu'à un rocher au milieu de la mer, tout entouré d'eau et sur lequel il n'y avait qu'une seule maison, très, très grande, habitée par un sorcier.

L a princesse passa par le trou de la serrure et entra dans la maison et le jeune homme fit de mème, toujours bien caché et toujours derrière elle.

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Quand le sorcier vit la princesse, il en fut très content, et pour lui faire hommage il sortit une flüte de sa poche, joua un peu et aussitót des centaines d'araignées descendirent de leurs toiles qui. comme des rideaux, pendaient au plafond et aux murs. E t voilà que les araignées se mirent à danser.

L e sorcier demanda à la princesse : — Cela t'a-t-il plu ? Es-tu contente ? — Oui, Père Sorcier. — Alors je ferai que l'on danse encore. Toutes les araignées retournèrent à leurs toiles. Le sorcier

mit la flüte dans sa poche, en sortit une autre, joua, et aussitót des milliers de cafards sortirent de tous les trous des murs et se mirent à danser au son de la musique.

E t le sorcier redemanda à la princesse : — Cela t'a-t-il plu ? Es-tu contente ? — Oui, Père Sorcier. — Alors je ferai que l'on danse encore. E t le sorcier remit la flüte dans sa poche, en sortit une autre,

joua, et aussitót sortirent par milliers des puces de tous les recoins et, pendant que les cafards rentraient dans leurs trous, d'autres milliers de puces sautèrent de tous les sommiers, paillasses et mate-las de la maison et se mirent à danser bien plus frénétiquement encore que les araignées et les cafards, touchant le plafond à chaque bcnd qu'elles faisaient.

E t le sorcier de demander encore à la princesse : — Es-tu contente ? Cela t'a-t-il plu ? — Oui, Père Sorcier. — Eh bien! Que veux-tu de moi maintenant ? — J e veux que vous me conseilliez car j ' a i un nouveau pré-

tendant et je ne sais que penser pour qu'il ne me devine pas. — Pense au Soleil. Aussitót qu'elle eut reçu ce conseil, la princesse s'en alia, res-

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sortit par le trou de la serrure, sui vie du jeune homme qui avait entendu les paroles du sorcier et savait maintenant ce qu'elle pen-serait.

L e lendemain, à l'heure de la réception, le galant, en hàbit, se presenta chez le roi. On le fit entrer dans le salon ou la princesse recevait ses prétendants. Dès qu'elle le vit, si gaillard et bien fait, elle commença à l'aimer, mais elle ne le fit pas voir et lui demanda :

— Sauriez-vous me dire à quoi je pense en ce moment ?

— Madame la princesse, vous pensez au Soleil.

— Deviné! Maintenant nous verrons si vous saurez encore

deviner demain et après-demain ce que je penserai.

Le jeune homme fit une grande révérence à la princesse et retourna à sa cachette du jardin pendant que la princesse se disait :

— Comment a-t-il pu me deviner ? C'est le seul de tous ceux qui s'y sont essayé qui ait découvert ma pensée. II n'est pas laid, ce garçon! V'oyons si demain il devinera encore.

Tout près de minuit, de nouveau, la fenètre de la princesse s'ouvrit et elle en sortit en volant, volant, et son galant la suivit.

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Comme le jour precedent, ils allèrent à la maison du sorcier, au lieu d'entrer par le trou de la serrure, ils passèrent par dessous la porte. Comme le premier jour, le sorcier fit danser les araignées, les cafards et les puces au son des trois flütes et finit par demander à la princesse ce qu'elle voulait de lui. Elle lui demanda de lui conseiller à quoi elle pouvait penser ce jour-là. L e sorcier lui répondit :

— Pense à la Lune. Comme la première nuit, la princesse repartit et le jeune

homme, toujours sans se laisser voir, la suivit. L e lendemain, quand il se presenta devant la princesse, il lui

devina sa pensée comme le jour precedent. Alors, toujours suivie sans le savoir par le jeune homme, elle

retourna chez le sorcier, et après que celui-ci eut fait danser les araignées, les cafards, les fourmis ( i ) et les puces comme il l'avait fait jusque là, il lui demanda :

— Que veux-tu de moi ? — Que vous me conseilliez ma troisième pensée, mais de sorle

que ce jeune homme ne la devine pas car il a deviné les deux pre­ïn ières de b-a ba à z-u zu.

— Pense aux étoiles. II est certain qu'il ne saura te deviner. Mais s'il y parvient tout de mème, tu peux l'épouser en toute tran-quillité, ce sera signe qu'il est bien savant et qu'il mérite ta main. E t quand à la mort de ton père il sera proclamé roi, bien súr, il saura gouverner et rendre la justice.

— J e ne sais pas pourquoi, mais je crains bien qu'il me devine encore si je pense aux étoiles. Ceci ressemble beaucoup au Soleil et à la Lune, mes pensées des jours precedents, puisque toutes sont choses du ciel. Enfin, mème s'il devine, je ne le regretterai pas tout à fait. Parmi les centaines de prétendants que j 'a i eus, il est

(i) Kst-ce inadvertance du conteur, la danse des fourmis n'apparail qu'au cours de cette dcrnière visite?

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le seul qui me plaise et j 'aimerais, <le toute façon, pouvoir me ma­rier avec lui.

Après cette conversation elle s'enfuit par la cheminée toujours suivie sans qu'elle s'en aperçüt de son galant qui, pour rien au monde, ne l'eút quittée.

Le lendemain, le jeune homme devina comme les autres jours la pensée de la princesse.

Tout de suite elle appela son père et lui fit savoir qu'enlin elle avait trouve un prétendant qui avait deviné ses trois pensées, qu'il était fort à son gré et qu'elle devait l'épouser ainsi qu'elle l'avait promis. Aussitót on prepara les noces et elles furent de celles qu'on ne voit qu'une fois dans la vie.

Et la pauvre veuve, mère du jeune homme, n'en revenait pas de penser que juste une semaine plus tot, ils etaient pauvres à ne pouvoir manger du pain, et qu'aujourd'hui son fils était devenu un prince et habitait la maison du roi, toujours suivi et précédé d'une douzaine de domestiques.

E t ils vécurent heureux en grande pompe et richesse.

Quand le Seigneur roi vint à mourir, son gendre, le mari de la princesse devint roi à son tour et il doit l'ètre encore s'il n'est pas mort depuis. S'il est mort cependant, on a dú l'enterrer.

Et turluloriré, Le conte est terminé. Et turlulariru, Le rcnard est venu. Et turlulariré, S'il l'a bien emportà, II l'a mis dans un tron, Là dedans est resté.

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^Generpijtp.t d<? Catalunya Departament de Cultura Centre de Doc'jrre"'ació ; Recerca de la Cuitura tradicional i Popular

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Conté en 1921 par Joan Vallès i Mas, né à Sabadell en 1805, mendiant el colporteur. Vagabond et pique-assiettes, il ne vivait que dc la bonne volonté des gens. Dans sa jeunesse, il avait organisé des troupes de gueux et de sans-abri. qui, à l'époque des vendanges, allaient travailler en France dans les regions viní­coles du Midi, pendant toute la saison. Ils voyageaient à pied et vivaient sur les routes. Vagabondani sans argent, ils parcou-raient toutes les terres romanes. Joan Vallès était connu de tous les gens de sa condition du fait qu'il se chargeait de les recrulcr à la saison des vendanges. On le surnommait Le jean Poilu (En Joan l'clut). Avant parcouru tant de pays et rencontré tant de monde, il connaissait beaucoup de contes et les disait avec faciliti.

En 1922, nous avons entendit de nouveau Les Trois Pensées de la bouche de Josepa Mix i Catarineu, la conteuse du Roi Ma­cip. Nous l'avons entendit encore en 1924 de Josep Capella i Marc, dit Ginjol, né en 1854 à Mataró dans le Maresme, qui l'avait appris d'un vieux pècheur. Lorsqu'il était jeune, ce conte était très répandu parmi les gens de mer.

Nous l'avons connu déjà vieux. II était hospitalisé dans la Maison de Charité de Barcelone oit il faisait le commerce du tabac. II manipulait les déchets de tabac et en faisait des paquets semblables à ceux de la Régie. C'était un grand parleur el con-naisseur de maintes histoires qu'il contait facilement. II était d'une famille de pécheurs et. de marins et ses contes respiraient l'air des pluges.

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L A G A R D E U S E D E P O R C S

Q U I D E V I N T P R I N C E S S E

V oici qu'il était une fois une gardeuse de porcs très jolie et de très bons sentiments.

Un jour, alors qu'elle gardait les porcs, elle entendit de hauts hurlements et grands gémissements au milieu de la forèt. Elle alia voir ce que c'était et trouva un gros loup qui hurlait parce qu'il avait une épine dans la patte et ne pouvait marcher. En grande peur qu'il ne la mordit, elle lui enleva l'épine, et le loup, au lieu de la mordre, lui lécha la main.

Elle revint ou elle avait laissé les porcs mais ils n'y etaient déjà plus.

Imaginez sa surprise et sa crainte! Elle alia aux étables de son maitre et, pour s'occuper à quel­

que chose, elle emmena paitre les brebis. Dès qu'elle fut arrivée à la forèt, elle entendit à nouveau

des hurlements et trouva le gros loup avec une autre épine dans la patte. Elle la lui enleva encore, mais quand elle fut de retour là oü elle avait laissé les brebis, elle ne les retrouva plus. Elle pensa qu'elles s'étaient égarées dans la forèt et pour que son

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maítre ne puisse l'accuser d'ètre une paresseuse elle se rendit à Pétable et emmena paitre les bceufs.

Dès qu'elle arriva au pàturage elle entendit encore les hur­lements du loup. Elle lui enleva une autre fois l'épine et quand elle revint, elle ne retrouva non plus les bceufs.

Elle passa toute la journée à la recherche des trois troupeaux sans pouvoir les retrouver.

Elle craignait, si elle retournait à la maison, que son maítre ne la mit à la porte et peut-ètre mème qu'il ne la tuàt pour lui avoir perdu toutes ses betes. Elle décida donc de rester dans la forèt et de vivre sur un arbre.

Voici qu'elle grimpa sur un arbre pour y passer la nuit afin que pendant son sommeil nulle bète ne püt lui faire de mal.

A minuit, elle aperçut là-bas au loin, très loin, une petite iumière qui peu à peu devenait grande et allait s'approchant. Quand cette petite lumière fut tout près, elle vit que c'était un jeune homme plus joli que le soleil. II parvint jusqu'au pied de i'arbre ou il s'arrèta, et malgré qu'elle y fút bien cachée, il lui parla. II dit :

— J e suis un prince enchanté par un très méchant géant. Pendant le jour je suis loup et pendant la nuit je suis prince comme tu peux le voir. J e suis le loup à qui, trois fois, tu as enlevé l'épine de la patte. L e géant, furieux de te voir me soigner, t 'a volé tes porcs, tes brebis et tes bceufs. J e serais désenchanté si tu donnais au géant une robe tissée de cheveux de princesse. Si tu peux l'obtenir, je serai désensorcelé et nous pourrons nous marier.

L a pauvre gardeuse de porcs, pleine de compassion au récit de la mésaventure du prince, prit la décision de tout faire pour le désenchanter. Elle partit pour la Cité des Princesses et là, elle se mit à la recherche du quartier oü elles habitent, criant au long des rues parcourues :

— Oü a-t-on besoin d'une servante ?

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Et voici qu'tine princesse blonde, jeune et très jolie qui était à sa fenètre, entendit ce cri, l'appela et la fit venir chez elle.

Précisément, le premier travail que la princesse lui demanda ce fut de la peigner. L a gardeuse de porcs lui dit qu'elle avait justement besoin d'obtenir une tresse de princesse pour tisser une robe qu'elle devait donner à un géant afin qu'un prince füt désen-chanté. Et.elle lui demanda si elle voulait lui donner une de ses tresses. La princesse lui répondit qu'elle ne la donnerait qu a la condition de se marier avec ce prince.

L a gardeuse de porcs comprit que si la princesse épousait le prince, elle ne pourrait, elle, se marier avec lui. Mais comme elle était très bonne elle s'y résolut pour que le prince pút ètre désenchaníé.

Elle était une agile fileuse comme il convient à une bonne gardeuse de porcs ; ainsi elle se mit tout de suite à tisser les che-veux, puis elle en coupa une robe qu'elle porta au géant. E t celui-ci en fut très content. Mais quand il l 'essaya, il trouva la robe trop courte et n'en voulut pas.

L a pauvre gardeuse de porcs, bien attristée, revint vers la princesse lui demander plus de cheveux et la prier de donner son autre tresse. L a princesse la lui donna. La gardeuse de porcs fila les cheveux, les tissa et allongea la robe. Mais elle fut encore trop courte et la gardeuse de porcs dut revenir trouver la princesse qui, sans plus aucune tresse, lui donna les quelques boucles qui lui restaient encore sur la tète et resta plus pelée qu'une souris.

L a gardeuse de porcs se remit à filer et à tisser les cheveux, puis elle allongea la robe qui cette fois fut bien à la taille du géant. Celui-ci en fut très content.

Dès que le géant fut habillé de la robe en cheveux de prin­cesse, la gardeuse de porcs alia dans la forèt chercher le loup. II lui demanda de le couper en petits morceaux, bien petits, tout petits, à peine perceptibles, et il lui dit qu'au fur et à mesure qu'elle le couperait, il redeviendrait prince.

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Avoir à couper et à reduiré son bien-aimé en petits morceaux comme du boudin, cela faisait mal au cceur à la gardeuse de porcs, mais puisque c'était lui qui l'ordonnait et qu'il s'agissait d'un enchantement, elle le fit. E t comme ce fut dit cela fut fait. A mesure qu'elle le coupait, le loup devenait prince.

Quand il fut tout à fait un homme, la gardeuse de porcs lui expliqua comment elle avait trouve des cheveux de princesse et fait la robe pour le géant. Elle lui dit aussi qu'il ne pouvait l'épouser car la princesse avait donné ses cheveux pour que le prince se mariàt avec elle. II en eut un grand chagrin. Mais ce qui est promis est promis.

E t les voici tous deux en chemin vers la Cité des Princesses pour aller trouver cette si jeune, blonde et gentille princesse et célébrer ses épousailles avec le prince désenchanté.

Mais qu'elle ne fut pas la surprise du prince et de la princesse lorsqu'ils s'aperçurent qu'ils etaient frère et sceur. L a princesse fut très contente d'avoir donné ses tresses pour désenchanter son frère et comme ils ne pouvaient se marier tous deux, le prince épousa la gardeuse de porcs qui, pour avoir été si bonne, devint princesse à son tour.

Le conte que vous ai conté, Mensonge n'est, mais vérité. S'il dit vrai c'est très bien ainsi, Mais s'il ment c'est très bien aussi.

Conté en IÇIJ par Josepa Rosies i Casanoves, née I'I Vilanova i la Geltrú en 1860, cartomancienne, diseuse de prières et de psaumes. guérisseuse, tènue pour sorcière et connaisseuse en mauvais arts. Illettrée, elle savait un bon nombre de contes qu'elle disait avec plaisir et èloquence.

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L E P È R E G R O S - J E A N

E T voici qu'il était une fois un homme et une femme qui avaient vingt et une filles, aucun garçon, et qui mouraient d'envie d'en avoir un. Alors qu'ils attendaient un autre enfant, le

mari dit à sa femme :

— Si une fille vient encore à naítre je tuerai toutes les vingt-deux.

Imaginez quels furent le trouble et la peine de la pauvre mère! Elle appela ses filles et leur conseilla de s'enfuir de la mai­son, de peur que leur père ne les tuàt si une petite seeur venait à naitre. Elle leur prepara à chacune un petit baluchon avec leur menu linge, leur donna une tartine de pain frottée de miel, et les vingt et une sceurettes s'en furent.

Une fois quittée la maison elles ne savaient oü aller, elles décidèrent alors de marcher toutes ensemble. Ainsi, quoi qu'il leur arrivàt, elles pourraient s'aider l'une l'autre. Chemine que chemi­neras, elles parvinrent à une forèt très touffue oü pas un rayon de soleil ne pénétrait et oü l'on ne distinguait pas le jour de la nuit. Chacune mangea sa tartine de pain frottée de miel. Quand elles eurent fini, elles demeuraient très fatiguées, elles avaient som-meil et ne savaient oü dormir.

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L a plus petite de toutes qu'on appelait Marieta et qui était la plus dégourdie, la plus vive et la plus jolie, proposa à ses sceurs de grimper toutes en haut d'un arbre pour y dormir, sauf une d'entre elles qui resterait à veiller et à faire le guet au cas ou soit des betes soit de méchantes gens viendraient leur faire du mal ; mais aucune ne voulut rester en bas car elles avaient toutes très peur et la Marieta leur dit :

— Alors je resterai, moi.

Ses sceurs grimpèrent dans l'arbre et se mirent à dormir, dors que dormiràs. E t pendant ce temps, la Marieta, toute seu-lette, de regarder de ci, de là, d'observer s'il n'y avait rien de suspect. En regardant là-bas, au loin, très loin, elle vit une petite lueur et aussitót appela ses sceurs.

— Réveillez-vous! réveillez-vous! Là-bas, au loin, on voit une petite lueur. Ce doit ètre une maisonnette ou [>eut-ètre nous trouverons abri pour la nuit.

Ses sceurs se réveillèrent, descendirem de l'arbre, mais elles avaient toutes peur d'aller à cette maison, craignant qu'un malheur ne leur arrivàt. L a Marieta leur dit :

— Ne craignez rien! J e vous conduirai toutes. J e serai votre capitaine et vous verrez qu'il ne vous arri vera rien. E t si quelque chose doit arriver, cela ne sera qu'à moi seule. Mais n'ayez pas peur et suivez-moi!

Toutes se dirent :

— Et qui petit habiter une si grande maison ?

L a Marieta frappa à l'une des sept portes : Pam!... Pam!...

Aussitót la porte s'ouvrit et une petite vieille en sortit, si vieille

que le bout de son nez touchait son menton. E t la Marieta lui dit :

— Vieiüetie, noble vieillette Doni nez et menton se touchent presque, Sommes vingt et une sceurettes

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Sans auberge ni maisonnette. Voulez-vous nous donner abri Seidement pour cette nuit ?

Et la petite vieille répondit :

— Oh là! mes pauvres fillettes Que malheureuses vous étes

D'ètre venues chez le Père fean Dont la bouche mesure sept empans Et dont le nez est aussi grand. 11 a un ceil comme un blutoir.

Et garagnic et garagnac, En quatre coups de dents, pauvrettes, Vous màchera sans laisser miettes.

A ces mots elles se mirent toutes à trembler. Mais voilà la Marieta qui leur dit :

— N'ayez pas peur et faites comme moi.

E t alors elle demanda à la petite vieille de leur donner quand mème abri, de les cacher n'importe oü, mais de ne pas les lais­ser passer la nuit dans la forèt car elles craignaient d'ètre mangées par une méchante bète. Et la petite vieille leur dit :

— Ce ne sera bète qui vous mangera, Mais le Père Jean qui le fera Dont L· bouche mesure sept empans Et dont le nez est aussi grand. 11 a un ceil comme un blutoir. Et garagnic et garagnac En quatre coups de dents, pauvrettes, Vous màchera sans hisser miettes.

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L a Marieta ne cessa de demander à la petite vieille de leur donner accueil et celle-ci, qui était une brave femme, s'apitoya et leur dit :

— Entrez, mais surtout faites tout ce que je vous dirai et peut-ètre que mon fils, qui est le Père Jean, ne vous verra pas et ne vous mangera pas. Que sept d'entre vous se cachent dans le four, sept dans le pétrin et les sept dernières dans le trou de la cheminée. E t quand mon fils rentrera, surtout ne dites rien, gardez-vous de respirer et peut-ètre ainsi ne s'apercevra-t-il pas de votre présence. Après diner il s'en ira au lit, et comme il dort très fort il ne saura pas qu'il y a deshótes à la maison. Demain vous vous lève-rez de bon matin, ne me ferez pas crier trop afin qu'il n'entende rien, et vous pourrez partir sans qu'il sache que vous ètes venues ici.

Ainsi firent-elles. Elles entrèrent dans la maison, sept d'entre elles se cachèrent dans le four, sept dans le pétrin et sept dans le trou de la cheminée. Elles s'accroupirent afin que le Père Jean ne s'aperçut de rien en rentrant.

E t voici que tout à coup on entendit un tintamarre tel qu'on eut dit que le monde entier allait s'effondrer. C'était le Père Jean qui arrivait avec ses chaussures qui faisaient à chaque pas sept lieues de chemin. II était encore à deux heures de là qu'on I'en-tendait déjà s'approcher. II écartait de la main les arbres de la forèt pour pouvoir passer, car c'était un géant plus haut que sept montagnes ; il lui fallait un chemin très, très large, et il écartait les chènes les plus grands comme s'ils n'étaient que petites herbes. Dès qu'elle entendit qu'il arrivait, sa mère lui ouvrit la porte. A peine passé le seuil il se mit à flairer partout, disant :

— Oh! je sens une odeur de chair chrétienne! N'avez-vous pas caché quelque créature dans un coin ? Apportez-la moi que je m'aiguise les dents en mangeant un brin avant le diner.

— Mais non, l'homme! mais non. J e n'ai donné accueil à

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personne. Dine et va-t'en dormir ; tu dois ètre fatigué et il faut te reposer.

Imaginez comme les vingt et une mignonnettes etaient apeu-rées, immobiles et accroupies dans la crainte que le Père Jean ne les entendit et ne les découvrit. Et pendant que l'enorme géant mangeait une chaudière de soupe plus haute qu'une montagne, il ne cessait de dire :

— Oh! je sens une odeur de chair chrétienne! Vous me faites manger de la soupe et moi je veux de la viande. Apportez, appor-tez ces créatures que vous avez dü cacher dans je ne sais quel coin, car j 'en sens bien l'odeur, moi. Ne les avez-vous pas cachées dans le four ?

Et sa mère disait : — Ne sois donc pas tétu, l'homme! Mange et tais-toi! J e n'ai

caché personne. — Ne les avez-vous pas cachées dans le pétrin ? Laissez-

moi passer que j 'aille voir. — Ne fais pas l'àne. Mange, tais-toi et va dormir! — Peut-ètre les avez-vous mises dans le trou de la chemi­

née. Écartez-vous de l'àtre que j ' v mette la tète et regarde en l'air.

— Allons, l'homme, allons! Ne fais pas de bètises. Mange et tais-toi!

Les vingt et une sceurs qui entendaient tout cela, tremblaient comme feuille à l'arbre, sauf la vaillante Marieta qui était súre que rien n'arriverait. L e géant termina la grande chaudière de soupe, dont toute la ville de Barcelone n'aurait pu venir à bout, et s'en fut dormir. Les vingt et une petites sceurs ne purent fermer l'ceil de la nuit tant elles etaient effrayées. L e Père Jean, lui, dormait et ronflait si fort que le bruit de ses ronflements secouait toute la maison.

Au point du jour, la petite vieille dont le bout du nez tou-

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miel et en donna une à chaque fillette. Chaque tartine avait plus de sept cannes de long et c'est à peine si les fillettes pouvaient les porter. Elles durent les placer sur leur tète comme si ç'avaient été des planches. L a petite vieille dont le nez et le menton se tou-chaient presque dut verser plus d'une jarre de miel sur chaque tartine. Ainsi, chaque fillette, en mangeant un peu de sa tartine tous les jours, avait de quoi se nourrir un bon mois.

Afin que son fils, s'il s'éveillait, ne les découvrít et ne les attrapàt toutes ensemble, la petite vieille en fit sortir trois par chacune des sept portes de la maison et leur indiqua le chemin par oü elles devaient passer pour se rencontrer toutes alors qu'elles seraient arrivées à la forèt. E t à la Marieta qui était la plus éveillée, elle dit quel était tout le chemin à suivre :

— Écoute! Quand vous vous serez toutes rejointes, vous verrez un petit chemin, vous le suivrez et vous tournerez sept fois à droite puis sept fois à gauche, vous grimperez sept collineltes, en descendrez sept autres, passerez sept ponts, trouverez sept ravins, et rencontrerez sept villages ; puis vous trouverez le palais du roi qui est un brave homnle et si vous lui demandez accueil, i! vous le donnera sürement pour toujours. Entends-tu bien, Marieta ? Souviens-toi du chemin que je t'ai dit.

Les vingt et une fillettes baisèrent la main de la petite vieille et s'en allèrent, trois par chaque porte. Elles sui virem les chemins indiqués et au bout d'un moment elles se rencontrèrent toutes en­semble au milieu de cette forèt si épaisse que le jour ne s'y distin-guait pas de la nuit. Alors la Marieta prit la tète de la bande et toutes allèrent de l'avant, tournèrent sept fois à droite, sept fois à gauche, grimpèrent sept collinettes, en descendirem sept autres, passèrent sept ponts, traversèrent sept rivières et ravins, rencon­trèrent sept villages, puis trouvèrent un palais si blanc et si brillant qu'on l'aurait dit fait en diamant, et orienté de telle sorte qu'il était toujours ensoleillé. L a Marieta frappa à la porte : Pam! Pam! Et

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chait !e menton appela les fillettes, d'abord celles cachées dans le four, puis les sept cachées dans le pétrin, enfin les sept dernières cachées dans le trou de la cheminée. Toutes sortirent à l'instant sans qu'il fallút les appeler deux fois, pour ne pas risquer de bruit et réveiller le Père Jean. L a petite vieille dont le nez et le menton se touchaient presque sortit un pain sept fois plus grand qu'une roue de moulin. Elle tailla sept tartines 3 qu'elle frotta de

(i) II cüt ccrtainement fallu ici : « trois fois sept tartines ».

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le Seigneur roi sortit revètu de sa cape, de sa couronne et le bàton de roi à la main. L a Marieta lui dit :

— Nous sommes vingt et une sceurettes qui errons de par le monde, à moitié pèrdues, et si vous vouliez nous louer, nous íerions tous les travaux car nous savons tout faire.

E t le roi, qui était un fort brave homme, les prit en pitié, les loua toutes et dit à la Marieta :

— Toi , encore que tu sois la plus petite, tu me parais la plus vi ve, tu commanderas donc à tes sceurs.

Aussitót elles se mirent à l 'ouvrage. E t de faire la cuisine, et la vaisselle, et la lessive, et la couture, et le repassage, et la broderie, et le reprisage! E t comme elles etaient de très bonnes travailleuses, d'un bout du jour à l'autre quelle besogne elles fai­saient! L e roi en fut très content et satisfait car tout le palais semblait une tasse d'argent : tout y était propre et astiqué. L e roi mit toute sa confiance dans la Marieta et il ne faisait rien sans lui en parler et lui demander conseil.

Ses sceurs en furent jalouses ; elles pensaient qu'il finirait peut-ètre par l'épouser et qu'il eüt mieux valu qu'il épousàt l'une d'elles plutót que la plus petite, la plus chétive et la plus laide de toutes : la Marieta. E t bien que celle-ci fút leur sceur, elles ne cessaient de lui couper l'herbe sous le pied et de lui faire tout le mal possible. Elles se concertèrent et s'en vinrent dire au roi que la Marieta s'était vantée d'ètre assez dégourdie pour prendre la couverture du Père Jean pendant qu'il dormirait. E t le roi, qui était très bon mais qui n'aimait pas les vantards, surtout quand ils se vantaient de choses qu'ils ne pouvaient faire, appela aussitót la Marieta et devant ses sceurs lui ordonna d'accomplir ce dont elle s'était vantée ; d'aller prendre la couverture du Père Jean pen­dant qu'il dormait et de la lui apporter. E t il ajouta que si elle la lui apportait, il l'épouserait.

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L a Marieta eut beau dire que c'était impossible et qu'elle n'avait pas dit cela, le roi, qui était aussi inflexible qu'il était bon, iui répondit que ceux qui se vantaient de ce qu'ils ne pouvaient faire méritaient de mourir pendus, et que si elle ne faisait pas cela, il la pendrait.

L a pauvre Marieta n'eut rien d'autre à faire que de s'apprèter à sortir de ce mauvais pas oü l'avaient mise ses sceurs qui se réjouissaient, sures, pensaient-elles, qu'elle n'en sortirait pas et que le roi la ferait penclre et se marierait alors avec l'une d'elles. Allez savoir avec laquelle!

L a Marieta s'en fut, tricoti-tricota, vers la maison du Père Jean par le mème chemin, fort embrouillé, qu'elles avaient suivi plus tòt de la maison du géant au palais du roi.

Quand elle arriva devant la maison, il faisait déjà nuit. Le Père Jean dormait et il ronflait si fort qu'elle l'avait entendu alors qu'elle était encore à trois heures de là. Au bruit de ses ronfle-ments, elle put trouver la chambre et vit qu'il dormait la fenètre ouverte. Car il avait toujours chaud et s'il avait fermé la fenètre, comme il ronflait si fort, le vacarme de ses ronflements ne pouvant s'échapper aurait fait s'effondrer la maison. L a Marieta grimpa à un arbre qui se trouvait juste devant la fenètre et, d'un bond, sauta dans la chambre du Père Jean, dors que dors et dors encore.

Et que fait-elle ? Elle va au pied du lit et d'une secousse elle tire la couverture. Mais elle n 'y réussit qu'en partie. L e géant se réveille à moitié et s'écrie :

— Qui tire ma couverture ? Oh! je sens une odeur de chair chrétienne! Mère, attrapez cette créature et rótissez-la moi peur mon petit déjeuner de demain.

E t comme il avait grand sommeil, il se rendormit sans s'en apercevoir, et de nouveau de ronfler, et ronfle que ronfleras.

Que fit la Marieta ? Encore une fois elle tira la couverture, mais ne put toujours pas l'enlever complètement. L e Père Jean

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à moitié endormi tendit la main qui fróla la Marieta et il s'écria sans se réveiller :

— Comment se fait-il, ma mère, que j ' a ie une fourmi dans mon lit? J e vous ai déjà dit que je n'en voulais pas et en voici une qui tire ma couverture Si je dors découvert je vais m'enrhu-mer. Mère, tuez cette fourmi!

De nouveau, il se rendormit comme un plomb. Et ronfle que rouflcras. L a Marieta donna une notivelle secousse à la couver­ture et la lit glisser complètement. L e Père Jean s'écria de nou­veau :

— Mère, pourquoi ne venez-vous pas tuer cette fourmi ? Regardez-la qui me prend la couverture.

La Marieta entendit du bruit en bas et, pensant que c'était la petite vieille dont le nez et le menton se touchaient presque qui montait, s'empressa de plier la couverture et, sautant par la fenè­tre sur l'arbre, se cacha du mieux qu'elle put pour ne pas ètre vue. L a mère du Père Jean monta. E t de chercher partout la couver­ture. Ne la trouvant pas, elle alia à l'armoire en prendre une autre et couvrit son (ils qui de nouveau ronlla, ronfle que ronfleras.

L a Marieta descendit de l'arbre, chargée de cette couverture qui était plus grande que toute la ville de Barcelone, elle la plia bien, se la mit sur la tète. Elle était si lourde que son poids Pé-crasait et Paplatissait. Elle se mit tout de mème en route vers ie palais du roi par le mème chemin si embrouillé.

En arrivant, elle presenta la couverture au roi qui en fut con­tent et satisfait, voyant que la Marieta ne se vantait pas de choses qu'elle ne pouvait faire, ce qui justement lui déplaisait le plus. 11 fut mème si content qu'il demanda qu'on fit tout de suite les préparatifs des noces.

Mais autant le roi et la Marieta etaient contents, autant les sceurs etaient furieuses. Alors elles pensèrent qu'il leur fallait inven-ter quelque chose d'autre pour perdre la Marieta et elles direm

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au roi que celle-ci s'était vantée d'aller prendre les chaussures du Père Jean. Tout furieux, le roi appela la Marieta devant toutes ses sceurs, il lui reprocha sa prétention et lui ordonna de la réa-liser, sinon, il la pendrait. L a pauvre Marieta eut beau se répan-dre en protestations en présence du roi, rien n'y fit. Forcée de lui obeir, elle pensa que ce serait bien le diable si elle ne s'en tirait pas comme pour la couverture, d'autant plus qu'elle savait à pre­sent oü dormait le Père Jean et que son sommeil était très lourd.

L e lendemain, de bon matin, elle se mit en chemin et arriva à la nuit devant la maison du Père Jean. Trois heures avant d'ar-river, elle l'entendit déjà qui ronflait plus fort que jamais, au point de faire bouger le sol. L a Marieta penetra par le mème arbre que la première fois dans la chambre que les ronflements faisaient trembler, et prit les chaussures en pensant :

d C'est que maintenant je n'ai pas peur! J e mettrai les sou-liers du Père Jean et ferai sept lieues d'un seul pas. E t mème s'il veut me poursuivre, comme il n'aura pas ses souliers, il ne pourra pas m'attraper puisque, mème s'il fait de longues enjam­bées, je le devancerai toujours. »

Aussitót dit, aussitót fait. Dès qu'elle fut à terre, elle chaussa les deux souliers qui semblaient deux voiliers des plus grands, tant ils etaient enormes et, zis-zas, tris-tras, en une seconde la voilà au palais du roi.

Pendant que la Marieta s'emparait des souliers, le Père Jean se réveillait car elle avait fait un peu de bruit. Voyant qu'on lui prenait ses souliers, il bondit comme une étincelle, sauta par la fenètre dans la forèt, courut en chemise derrière la Marieta, à moi mes jambes, en criant comme un fou :

— Au voleur! au voleur! Attrapez-Ia! Elle m'a volé mes sou­liers de sept lieues.

Mais la Marieta allait si vite qu'elle ne l'entendit pas et, très rapidement, il la perdit de vue et ne put la poursuivre. Par toute

! 3 '

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la forèt, il ne trouva personne pour attraper la Marieta et eüt-il trouve quelqu'un pour l'aider qu'il n'etit pu la rejoindre tant elle eourait.

Arrivée au palais du roi, la Marieta presenta les souliers du Père Jean. L e roi en eut grande joie et aussitót ordonna à ses gens de hàter les préparatifs de la noce. Mais comme la plupart des servantes etaient les sceurs de la Marieta, elles comprirent tout de suite qu'elle était bien revenue avec les souliers et que le roi allait l'épouser.

Rendez-vous compte de leur rage! Alors elle imaginèrent de lui tendre un autre piège pour tenter de s'en débarrasser une fois pour toutes. Elles s'en furent trouver le Seigneur roi et lui dirent que la Marieta s'enorgueillisait d'avoir pris la couverture et les sou­liers du Père Jean en personne. Dès que le roi eut entendu cela, il en fut fort fàché, fit comparaitre la Marieta devant lui et lui ordonna d'aller immédiatement faire prisonnier le Père Jean et de le lui amener ; sinon il la ferait pendre.

Cette fois c'était autrement clifficile que de voler les chaussu­res et la couverture, mais la Marieta ne s'en effraya nullement.

Elle appela le charpentier et lui fit faire un cercueil de sept

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cannes de long. Le cercueil achevé, elle le chargea sur un bourricot et s'en fut vers la maison du Père Jean.

L e Père Jean, devenu méfiant depuis qu'on lui avait volé sa couverture et ses souliers, s'était mis en tète d'attraper le voleur s'il revenait et avait décidé de passer la nuit sans dormir jusqu'à sa nouvelle apparition. E t pour le voir de loin, il s'assit devant la fenètre.

Mais la Marieta, ne l'entendant pas ronfler à trois heures de là comme elle l'avait entendu les autres fois, comprit alors que ce jour-là le Père Jean ne dormait pas et qu'il lui faudrait prendre bien plus de précautions. Elle s'approcha de l'enorme géant et, à quelques pas de lui, se mit à pleurer comme une Madeleine. L'entendant, le Père Jean en fut tout apitoyé et lui tint ce langage :

— Qu'avez-vous, pauvre femme, à tant pleurer ? — Comment ne pleurerais-je pas alors que mon mari est

mort ? — Et oü allez-vous avec un cercueil aussi grand ?

— J e viens de Taller chercher chez le charpentier et m'en vais

maintenant y mettre mon mari pour l'enterrer. — Qui donc était votre mari ? II devait ètre fort grand, car

le cercueil que vous portez est immense.

— C'était le père Pericas Dont L· bouche avait sept empans, Dont le nez était aussi granà, Et l'ccil pareu à un blutoir.

— Par tout ce que tu m'en dis, il pourrait ètre de mes parents. Mais je ne peux le croire car tous mes parents sont aussi grands que moi, sauf ma mère

Qui est une vieillette Dont nez et menton se touchent presque.

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— Pour súr! C'était un de vos parents! Par cette caisse vous

pcuvez voir qu'il était grand et mieux bati que vous.

— A h ! ne croyez pas ça! Cette caisse est faite pour un

homme beaucoup plus petit que moi.

— II vous le semble, mais mon mari était plus grand. Ce

cercueil serait de sept empans trop long pour vous.

— Mensonge! Vous ne me laisseriez pas m'y mettre pour

essayer ?

— Descendez et vous l'essayerez.

L e Père Jean, sür de lui, descendit par la fenètre et se mit dans le cercueil, ce que précisément voulait la Marieta. E t quand il y fut, elle l'y enferma avec les sept serrures qu'elle y avait fait mettre, chargea le cercueil sur le bourricot; et la voici à nouveau sur le chemin du palais du roi.

Quand le Père Jean se vit enfermé, il se mit à crier et à jurer. II hurlait si fort qu'on l'entendait de l'autre bout du monde et tout tremblait sur son passage.

Tout le long du chemin deia Marieta, betes et gens, toutfuyait, tant l'effroi était grand à entendre-ces cris et ces grincements. Tous ceux du palais du roi en entendant ces hurlements sortirent aux portes et aux fenètres et les sceurs de la Marieta reconnurent la voix du Père Jean, et elles se dirent à moitié effrayées :

« Gagez-vous que la Marieta a été assez maligne pour enfer-mer le Père Jean dans le cercueil qu'elle avait commandé au char-pentier, qu'elle l'emmène maintenant prisonnier au roi et que c'est pour cela qu'il crie de la sorte ? »

Entre-temps la Marieta était arrivée au palais du roi. Elle presenta au roi le Père Jean tout rouge de colère, égosillé d'avoir tant crié et échevelé de tant s'ètre retourné dans le cercueil.

L e roi fut très, très content d'avoir pour prisonnier cet enorme géant de Père Jean . . .

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Dont ta bouche avait sept empans, Dont le nez était aussi grand, Et l'ceïl pareil à un blutoir.

Et le jour mème, le roi et la Marieta se marièrent, et le roi voulut que le Père Jean fút parrain ( i ) à leur noce. II le fit débar-bouiller, peigner, et tout endimanché lui fit prendre une eau pour le guérir de son enrouement.

L e Père Jean alia aux noces oü il fut parrain. E t de rage, les vingt sceurs de la Marieta moururent l'une après l'autre, et le roi et la Marieta vécurent heureux et contents.

Et derrière la porte II est un savetier. Fait souliers de papier Et s'il ne les a plus, C'est qu'il les a perdus.

Conté en IÇI8 par Antònia Camps i Harrufet de Lteixar, née en 18-4 à Reus. Servante d'hópital, illettrée, elle était presque aveugle, avait la parole facile et beaucoup de grCice narratrice. C'était une grande connaisseuse de la littérature orale.

( 1 ) Parrain de noces a, en Catalogne, un sens plus large que celui de tcmoin; c'est presque le méme que celui de parrain de baptème.

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X I

L A C O C C I N E L L E

V oici qu'il était une fois une petite dame qui n'avait pas d'en­fant et qui aurait beaucoup aimé avoir un fils ou sinon une fille. Un jour, tout en pétrissant son pain, elle se dit :

— Que je voudrais avoir une fillette, mème aussi petite qu'une coccinelle!

E t pétrissant, pétrissant, sous le pétrin tomba un peu de pàte qui, touchant le sol, devint une fillette, petite, petite comme une coccinelle et qui, tout de suite, se mit à crier :

— Mère, petite mère, petite mère! E t la dame de regarder par ci, de regarder par là, et, ne

voyant rien ni personne, de penser : — Ce n'était súrement pas moi qu'on appelait, car on a dit

« mère », et moi je n'ai pas d'enfant. Pourtant il me semble bien que c'est ici, dans la cuisine, qu'on appelle. Mais qui pourrait donc ètre là ?

— Petite mère, c'est moi, votre fillette, la petite coccinelle! Alors la dame regarda par terre et vit une chose toute menue

qui sautait et dansait et qui, avec sa petite carapace, avait tout à fait l'air d'une coccinelle. Et celle-ci ne cessait de lui dire :

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— Voulez-vous que j 'aille porter le déjeuner de mon père ? Vous pourrez ainsi continuer à pétrir et vous vous fatiguerez moins ?

— Mais, mon Dieu! que dis-tu, fillette! Ne vois-tu pas que le panier du déjeuner est cent mille fois plus grand que toi et que tu ne pourras le porter ?

— Mais oui, je pourrai le porter. Posez-le sur ma tète et ma carapace, et vous verrez que je peux le porter.

E t tant et tant le demanda que sa mère lui posa le panier sur la tète. E t la Coccinelle — iris, tras — s'en alia toute seulette aux champs porter le déjeuner à son père.

E t voici que son père vit de loin un petit panier qui marchait tout seul, ce qui le surprit beaucoup. II le vit s'approcher de son champ et reconnut le petit panier de son déjeuner. Pensant qu'il marchait tout seul, il crut à une sorte de miracle. Tout à coup, son-geant que le petit panier était súrement un corps saint, il lui fit une révérence et lui dit :

— Dieu te garde, petit panier, Toi qui t'en vas tout seulet.

et Coccinelle lui répondit :

— Ne dites-vous rien à Coccinellette Qui n'est autre que votre fillette ?

Et le brave homme, tout étonné, croyant que c'était le panier qui parlait, le prit et vit dessous une chose toute menue, menue, qui ressemblait à une coccinelle et qui aussitót lui dit :

— Je suis Coccinellette,

Je suis votre fillette, Et pendant que vous dinerez, Voulez-vous que mène l'araire?

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— Mais tu es si petite que tu ne pourras pas! — S i , je le pourrai! L a petite coccinelle, d'un bond, sauta sur le manche de l'araire

et se mit à crier :

— Va Moréou, Moréou, Tire l'araire, tire!

* L A C U C U H ü b u e T A ' '

Et le Moréou qui était un bceuf, se mit à tirer, mais son com-pagnon ne tirait pas et elle lui cria :

— Va Babé, Tire, tire aussi!

Et alors, les deux bceufs se mirent à tirer et creusèrent des sillons très profonds, très droits, très bien faits.

Et voici que vint à passer le Seigneur roi qui allait à la chasse, fumant une pipe longue de sept empans. Quand il vit ces bceufs qui labouraient si droit, si vite et tout seuls, il pensa qu'ils feraient son

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affaire pour labourer ses champs. Aussitót il appela le laboureur et lui dit qu'il devait les lui vendre. Mais le laboureur lui répondit que ce n'étaient pas les bceufs qui labouraient si bien, mais sa fillette, la Coccinelle. L e roi s'offensa, pensant qu'on le trompait. II vou­lut chàtier le laboureur car, ne voyant personne qui tint l'araire, i! crut bel et bien qu'elle marchait toute seule. Alors le laboureur lui fit voir sa fillette.

E t voyez-vous! Elle était si menue que le roi ne la voyait pas, alors mème qu'on la lui montrait. E t que fit-il ? II se mit à la regar­der par le tuyau de sa pipe comme si c'eút été une lunette ; et ainsi il put la voir et en devint si épris qu'il voulut à toute force que le laboureur la lui vendít. Mais celui-ci ne cessait de dire au roi :

— Ah! Seigneur roi, Oü penses-tu qu'on voie Vendre un enfant Comme cheval ou jument ?

L a Coccinelle, grimpant jusqu'aux oreilles de son père, lui dit :

— Vendez-moi, mon père, acceptez! Ce sera la félicité!

Mais le père qui avait eu telle envie d'avoir un enfant, imagi-nez-vous, maintenant qu'il avait une Coccinelle si dégourdie, qu'il allait ainsi la vendre ? En aucune manière il ne le voulait. Mais le roi lui répéta maintes fois qu'il lui en donnerait un tresor aussi grand qu'il le demanderait, qu'il n'aurait plus jamais besoin de tra-vailler parce qu'il serait riche pour toute sa vie. L e père continua à refuser jusqu'à ce que le roi lui dit que l'on devait faire ce qu'il voulait; que s'il n'acceptait pas, il lui prendrait la Coccinelle et le

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ferait, lui, mettre en prison. Comme le laboureur vit qu'il allait perdre bceufs et grelots, et que sa fillette sans cesse lui disait à' l'oreille :

— Vendez-moi, mon père, accepiez! Ce sera la felicito!

il pensa que ce qu'il pouvait faire de mieux c'était de la vendre.

11 en demanda sept bourses pleines d'onces d'or que le roi lui donna à l'instant. Et il fut fort satisfait.

L e roi prit la Coccinelle qu'il mit dans le tuyau de sa pipe pour ne pas la perdre en route et, tout au long de son chemin de retour, il ne fuma point.

Quand il arriva à son palais, il fit conduiré la Coccinelle dans la chambre la plus belle et la fit servir par ses sept plus prestes ser-vantes à qui il recommanda de ne jamais la laisser manquer de tout ce qu'elle pourrait demander et désirer.

Voici qu'au bout de quelques jours, la fète du saint patron du roi arriva. Comme il était d'usage en ce temps pour la célébrer, on lit de grands bals au palais. Les servantes, surchargées par i'aménagement de la maison et la réception des convives, négli-

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gerent la Coccinelle. E t que fit-elle ? Quand elle entendit la musique qui venait du bal, elle enleva sa petite carapace et, de Coccinelle qu'elle était, elle devint une jeune demoiselle, gentille et belle comme il n'y en avait pas une autre au monde. Elle sortit de sous sa carapace une robe de soleil et d'ombre et sept poignées de bi­joux et de bagues. Elle mit tout sur elle et s'en fut au bal.

Quand ce grand monde la vit, tous en furent éblouis et le Seigneur roi s'éprit d'elle. Peu de temps avant que le bal ne finit, elle quitta le salon et s'en revint à sa chambre ou elle se déshabilla. Elle fut si leste que le roi ne put mème s'apercevoir comment elle était sortie du salon. II demanda à ses serviteurs s'ils l'avaient vue et par oü elle était sortie. Mais aucun ne put le lui dire et le roi en fut bien mécontent.

Quand les servantes allèrent servir la Coccinelle, elles ne lui parlèrent que du bal et surtout de la demoiselle qui y était allée et dont nul ne savait le nom ni d'oü elle venait, si jolie que le roi s'en était énamouré, qu'il l'avait fait chercher et n'avait pu la retrouver.

E t la Coccinelle de rire et de rire. E t les servantes de penser et de dire :

— La Coccinellette

Est devcnue simplette.

L e lendemain il y eut un deuxième bal. A nouveau, lorsque la Coccinelle entendit la musique, elle enleva sa carapace, en sortit une robe de mer et de poissons, et sept poignées de bijoux mille fois plus jolis que ceux du jour precedent. Elle se mit les bagues, les boucles d'oreille, les bracelets, les pendentifs et tout le reste, et — tris, tras —- elle se presenta au bal.

E t si le premier jour elle avait ébloui tout le monde, imaginez ce que ce fut cette fois-ci! Alors le roi en fut plus épris encore. Avant de l'inviter à danser, il appela son general et lui dit de faire

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doubler la garde afin qu'on püt suivre cette demoiselle quand elle sortirait, reconnaítre le chemin qu'elle prendrait et s'enquérir de la Maison à laquclle elle appartenait.

Pendant qu'ils dansaient, le roi insista pour faire dire à Coc­cinelle qui elle était et comment elle s'appelait, puisqu'en sachant son nom il aurait su à quelle famille elle appartenait. Mais Coc­cinelle seulement répondait :

— Maintenani dansons. Après nous verrons.

Et le roi, rempli d'espoir, croyant après le bal pouvoir lier conversation, dansa, danse que danseras, plus joyeux qu'une paire de castagnettes.

L a Coccinelle, profitant d'un moment oü le roi était distrait, sortit de nouveau du salon, arriva à sa chambrelte et remit sa petite carapace. Imaginez la grande contrariété du roi quand il vit que de nouveau elle lui avait échappé et que ni la garde ni personne ne l'avait vue sortir! Quand les servantes revirent Coccinelle, elles recommencèrent à lui dire ce qui s'était passé. Coccinelle de rire et de rire, et les servantes de penser et de dire :

— La Coccinellette Est devenuc simplette.

L e troisième jour, Coccinelle enleva une autre fois sa petite carapace et devint une gentille demoiselle. Et de sous la petite ca­rapace elle sortit une éblouissante robe de ciel et d'étoiles, et une autre poignée de bijoux d'or et de diamants. Si ceux des jours pre­cedents etaient jolis, ceux du troisième le furent beaucoup plus encore. Habillée, bien pomponnée, elle s'en alia au bal.

Quand on la vit, tout le monde fut ébloui et saisi d'admiration,

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et plus que nul autre le roi qui en était amoureux perdu. Alors, il ne cessa de lui demander d'ou elle était, comment elle s'appelait. E t elle de lui faire toujours la mème réponse :

— Dansons et dansons, Après nous verrons.

Le roi dit à tous les domestiques, gardes et gens du palais, que, s'ils la laissaient s'échapper comme les autres jours, s'ils ne réussissaient pas à la suivre et à savoir qui elle était, il les ferait tous pendre. Soyez súrs que devant une telle menace chacun eut sept veux ouverts afin de voir le chemin que prendrait la demoiselle en sortant.

Mais voici qu'il y avait une princesse que l'envie de se marier avec le roi dévorait et qui, sans cesse, tournait auprès de Cocci­nelle avec des veux de jalousie. Coccinelle avait emporté un nior-ceau de savon, de celui qui fait le plus de mousse et, profitant d'un moment ou tous etaient distraits et oíi cette princesse était tout près d'elle, elle jeta le savon à terre. L a princesse marcha dessus sans s'en apercevoir et tomba de telle sorte qu'elle fit trembler tout le salon. Tout le monde courut pour la relever, y compris le roi. E t alors que tous etaient occupés, demandant à la princesse si elle s 'é­tait fait mal, Coccinelle disparut sans que personne s'en aperçút.

Le roi en eut un chagrin si grand qu'il tomba malade. II fut visité par tous les médecins du royaume qui tous l'estimèrent en état grave et en péril de mort. Un très vieux médecin dit qu'il n'était qu'un remède : manger de la tarte de mal d'amour, mais que ce qui était difficile c'était de trouver qui la saurait faire, car le savoir en était perdu.

Aussitót on fit faire des annonces publiques dans tout le monde, offrant terre et mer à qui saurait faire de ces tartes, pour tenter de sauver le roi. Mais il ne se presenta personne. L'annonce parvint

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à l'oreille de Coccinelle. Elle dit à ses servantes qu'elle savait faire des tartes qui, si elles n'étaient pas celles du mal d'amour, leur ressemblaient beaucoup, et que si on le voulait, elle en pétrirait quelques-unes pour le roi.

Les servantes lui dirent d'en faire et elle en fit trois. On les porta au roi qui les mangea avec goüt, et déjà, tout de suite, il se sentit bien mieux. Pendant qu'il les mangeait, les tartes disaient :

— Quand il saura qui nous a jaites, Le roi aura le cceur en jéte.

Quand le roi entendit ces paroles, il demanda qui avait fait ces tartes si bonnes. Mais les servantes eurent peur que, si elles le lui disaient, il en eut la nausée et, qu'au lieu de remède, elles ne fussent pour lui du poison.

L e roi en demanda d'autres et les servantes le dirent à Cocci­nelle qui en fit trois encore. Les servantes les portèrent au roi qui les mangea avec tant d'appétit que son état en devint bien meilleur. E t pendant qu'il mangeait, les tartes lui disaient :

— Quand les tartes auront le Seigneur roi guéri, Celle qui les a jaites aura trouve mari.

E t le roi de demander qui avait fait ces tartes parlantes et si bonnes. Mais comment les servantes eussent-elles osé le lui dire ? Elles demandèrent à Coccinelle d'en faire encore trois autres et elles pensèrent : « Pendant qu'elle les fera, nous regarderons par le trou de la serrure pour apprendre son secret et, lorsque le roi en redemandera, nous pourrons les faire nous-mèmes ».

Ainsi dit, ainsi fait; elles regardèrent par le trou de la serrure et virent la Coccinelle transformée en une jeune et belle demoiselle qui n'était autre que celle dont s'était tant épris le roi.

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Quand Coccinelle eut fini de faire les tartes, elle ne se remit point sa carapace sur la tète comme les autres fois, mais elle resta une belle et jeune demoiselle. E t lorsque les servantes vinrent chercher les tartes pour les servir au roi, elle leur répondit que c'était elle-mème qui devait les lui apporter.

Alors le roi la vit. II fut tout interdit et en un instant n'eut plus aucun mal. II fut si content qu'on crut le voir devenir fou de joie. Aussitót ils parlèrent mariage et Coccinelle fit venir ses parents au palais du roi pour qu'ils lui donnassent le bras devant le curé le jour de la cérémonie. Us firent des noces commes on n'en avait jamais vu de si riches et plantureuses, et à jamais ils vécurent heureux et tranquil·les.

Sur que, s'ils ne sont pas morts, c'est qu'ils vivent encore!

Ils eurent trois garçons : L'aíné mourut cossu, Et pauvre le second, Et le cadet pendu, Et mon conte est conclu.

Conté en 1922 par Dolors Gual d'Oliver, née en i8jo à Sant Quintí de Mediona, dans le Penedès.

Elle possédait un bon ensemble de littérature traditionnelle de tout genre qu'elle disait aisément et avec plaisir, les mar-quani d'un ton convaincant, poignant et savoureux.

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Ce conte, que nous publions pour la première fois, elle l'avait appris de sa belle-mère, cordonnière. En 1924, il nous a été de nouveau conté par Josep Casals, né en 1861 à Sant Julià de Cerdanyola, dans l'Alt Berguedà. Connu sous le nom de L'Hcreu Mill (L'Héritier Millel), illettré, bon conteur et chanteur, il avait une connaissance très étendue de la littérature orale tradition-nelle.

C'était un brave capilaine d'une équipe de moissonneurs et un hardi contrebandier. II était fort considéré dans toutes Ics regions des l'yrénées ccntrales catalanes qu'il connaissait comme sa poche. Du fait de ses métiers de prèdilection, il avait fréquenté de très diverses sociétés. Grand causeur, il avait incor-poré tout ce qu'il avait entendit à son répertoire. Nous l'avons connu déjà vieux; il étail hospifalisé dans la Maison de Charité de Barcelone et il jasait encore comme une alouette.

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L E G É A N T A U X T R O I S T E T E S

V OICI! C'élait au temps des forgerons fins Ou l'on comptait les onces par picotins.

II était alors un père qui avais trois fils et une fille. Un jour ses enfants se disputèrent, et la fille s'en alia de la maison. Che­mine que chemineras, chemine que chemineras, au milieu d'une forèt elle vit une maisonnette. Elle y entra pour y demander du travail, mais il y avait dedans un enorme géant qui avait trois tetes et qui lui dit dès qu'il la vit :

— Petite, tu es venue au bon moment, car je cherchais une servante qui m'aidàt à manger, vu qu'il m'est impossible d'em-plir moi-mème trois bouches à la fois avec deux mains seulement. Écoute-moi! Avec mes mains je m'emplirai une bouche, et toi, avec les tiennes, tu m'empliras les deux autres.

L a mignonne ne put mener sa tàche à bien, car si le géant, avec ses grandes mains ne pouvait emplir qu'une de ses bouches, i! lui était plus difficile d'emplir les deux autres, à elle, qui avait de si petites mains. E t se voyant si mal servi, le géant se fàcha, l'attrapa par l'oreille et la mangea.

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Un petit oiseau vert qui était à la fenètre vit tout cela, courut chez le père de la jeune fille et lui raconta ce qui s'était passé. L e frère aíné partit aussitót voir s'il trouverait le géant et pourrait sau-ver sa sceur. Chemine que chemineras, quand il fut au milieu de la forèt, il rencontra un petit vieux qui lui demanda oú il allait. L e jeune homme le lui expliqua, mais de fort mauvaise gràce. E t le petit vieux lui dit :

— Si tu veux me croire, tout ira bien. T u trouveras un pont

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et à l'autre bout, deux pommiers, un qui donne des pommes aigres et un autre qui donne des pommes douces ; mange une pomme aigre, tu arriveras tout de suite chez le géant et tu pourras l'abattre. S i , entre-temps tu veux manger un brin avec moi, voici un morceau de pain et une gorgée de vin.

L e jeune homme, tout hargneux, lui répondit qu'il n'avait besoin ni de pain ni de vin, et qu'il se suffirait grandement à lui-méme pour découvrir la maison du géant et abattre celui-ci. II poursuivit son chemin, trouva le pont et les deux pommiers, et il pensa que ce serait niais de manger une pomme aigre. II en cueil-lit une douce. De là, il vit, au loin la maison du géant. E t que fit-il ? II s'en approcha. E t quand le géant le vit il lui dit :

— Tu arrives au bon moment, car je voulais goüter, et mon garde-manger est vide. J e vais donc te manger.

II le saisit d'une de ses grandes mains et il l 'avala comme une

olive.

L'oiseau vert vit tout cela de la fenètre et s'empressa d'aller tout expliquer au père du jeune homme qui envoya tout de suite son deuxième fils pour voir s'il pourrait sauver le frère et la sceur qui avaient été mangés par le géant. L e second frère rencontra également le petit vieux qui lui demanda oü il allait. Comme il était aussi hautain que son ainé, il lui répondit aussi mal. Comme son frère, il crut plus fin de ne pas manger une pomme aigre et il en mangea une douce, puis il s'en alia chez le géant qui, dès qu'il ie vit, pensa qu'il serait bon pour son déjeuner, car il était à jeun. E t il l 'avala comme une cerise.

Le petit oiseau vert courut chez le père des jeunes gens pour l'avertir de ce qui se passait. E t celui-ci envoya son cadet, malgré sa crainte qu'il füt aussi dévoré par le géant.

L e plus petit des trois frères était d'un cceur plus doux que les autres. Comme il était docile et très gentil garçon, il écouta

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poliment les paroles du petit vieux, accepta un morceau de pain et une gorgée de vin, l'embrassa sur les joues et prit congé de lui.

De l'autre cóté du pont il trouva les deux pommiers. II pensa que le petit vieux, plein d'expérience, qui lui avait conseillé de manger une pomme aigre, devait avoir pour cela une raison. II en cueillit une et la mangea. L à , au loin, il vit la maison du géant. II y alia et l'y trouva endormi.

L e géant, qui était fort gourmand, avait tant avalé à son diner qu'il en était malade. Vomissant ce qu'il avait dans le ventre, il en sortit d'abord des lézards, puis des serpents par douzaines — car c'était cela qu'il avait eu pour son diner — ensuite, le deuxième frère, le frère ainé et leur sceur.

Imaginez leur contentement quand ils se virent tous ensemble! Ils fouillèrent la maison du géant et y trouvèrent trois seaux rem-plis de monnaies d'or.

Chacun des frères chargea un sac sur son épaule et tous quatre s'engagèrent sur le chemin du retour. Mais, avec une telle charge, ils ne pouvaient aller vite. Alors, ils envoyèrent leur sceur par de-

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vant pour commencer à préparer le diner. Chemin faisant, leurs sacs sur les épaules, ils eurent grand soif et s'arrètèrent auprès d'un puits pour boire de l'eau. Alors qu'ils etaient sur la margelle, ils entendirent une voix qui disait :

— J e suis une princesse enchantée, prisonnière au fond de ce puits, celui qui m'en sortirà m'épousera, et il sera roi.

Les deux ainés eurent peur de descendre dans un puits si pro-fond et dirent qu'avec tout l'argent qu'ils avaient, ils etaient déjà assez riches et qu'ils ne voulaient se risquer en une telle aventure. lis engagèrent le frère cadet à y descendre, tout en ayant l'inten-tion de l'abandonner au fond du puits et de se partager son argent. L e frère cadet s'accrocha à la corde, descendit au fond du puits oü il trouva une galante personne, mignonne, fraiche etdélicate comme jamais on n'en avait encore vu de pareille. Elle lui dit que le géant aux trois tetes l'avait enchantée et qu'elle ne pouvait se désenchan-ter que le jour oü un jeune galant comme lui viendrait la chercher.

L e frère cadet fit signe avec la corde afin que ses frères le remontassent, mais comme ils etaient déjà partis avec les trois sacs d'argent, ils ne répondirent pas.

II était fort ennuyé, ne sachant comment faire pour sortir du puits. L a princesse lui dit alors de ne pas avoir peur, car il pouvait faire comme le géant qui prenait deux pierres, les frottait l'une contre l'autre, ce qui faisait, à l'instant mème, apparaítre un aigle sur le cou duquel il montait et qui le sortait du puits. Dans cette situation il pouvait essayer d'en faire autant.

L e jeune homme prit deux pierres, les frotta l'une contre l'autre et, à l'instant mème, on entendit un grand frémissement d'ailes et on sentit un vent qui semblait devoir tout emporter. Un aigle apparut, et il était si grand qu'avec les ailes étendues il n'au-rait pas tenu sur la place de l'église. Dès qu'il vit le jeune homme et la princesse, il leur dit :

— Que voulez-vous de moi ?

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— Que tu nous emmènes chez le roi, père de la princesse. E t pam! L 'a ig le s'envola avec la princesse et le jeune homme,

et, en un clin d'ceil, ils furent chez le roi.

Lorsqu'il vit sa fille, il ne sut que dire, tant il était content, et il declara au jeune homme que s'il la voulait pour épouse, ce serait avec grand plaisir qu'il la lui donnerait. L e lendemain mème, on fit les noces.

Et on fit un festin, Très grand, très grand, Et j'en fus

Le convive premier. II m'en revint un os, Très gros, très gros; Si gros, si dur, Que ne pus le ronger.

Dans mon genou il s'enfonça Ce qu'encor je puis vous montrer.

Montrant alors le genou, le coudc ou une autre partie du corps aux auditeurs, le conteur leur disait que c'était l'os qui lui revenait du festin, et il les invitait à le toucher. Les conteurs de talent et à la parole facile terminaient ainsi leur récit par des scenes pittoresques et humoristiques.

Conté par notre mère, Teresa Gelats i Grinyéi, déjà men-tionnée. Elle avait appris ce conte dans Tatelier oü elle travad-lait comme iricoteuse; nous ignorons de qui. En 1920, nous l'avons entendu de Matilde Martorell i Cor domi, née en 1874 à Barcelone, Iricoteuse de métier qui l'avait appris de sa nour-rice, née à Manresa, dans le Pla de Bages. La version était la mème malgré la diflérence d'origine.

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L A M A R G A R I D E T T E

I L était une fois un roi qui avait trois filles, aussi courageuses que gentilles. Un jour leur père voulut savoir combien il en était aimé II appela l'aínée et le lui demanda. L a demoiselle lui

répondit qu'elle l'aimait autant que le pain, et le père répliqua :

Si tu m'aimes comme ça Reste là!

II appela la deuxième et lui posa la mème question et celle-ci

répondit qu'elle l'aimait autant que le vin et son père répliqua :

Si tu m'aimes ainsi

Reste ici!

Puis, il appela la plus petite et lui posa la mème question et celle-ci répondit qu'elle l'aimait autant que le sel. L a réponse de la mignonne déplut à son père qui la chassa de la maison et lui dit :

Si tu m'aimes autant que le sel Va-t'en de mon castel!

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L a pauvre jeune fille, fort triste d'avoir été chassée de la mai­son, afin de dissimuler son rang, s'habilla de haillons et s'en alia à travers champs pour chercher du travail.

Elle arriva dans une ferme de riches paysans oü il y avait beaucoup d'oies, et demanda si on voulait la louer pour les garder. L a maitresse lui répondit que non, mais le fils ainé la vit et comme il la trouva très gentille, il demanda à sa mère de la prendre.

L e lendemain, on l 'envoya gardeí les oies au bord de la ri­vière. Quand la princesse qui s'appelait Margaridette, fut arrivée là, elle sortit de ses haillons un peigne tout en or et se pei-gna tout en se mirant dans l'eau de la rivière. En la regardant, les oies restèrent si émerveillées qu'elles ne goütèrent pas un brin d'herbe.

L e soir, de retour à la ferme, leur maitresse leur demanda si elles etaient satisfaites de la nouvelle petite gardeuse, et elles ré-pondirent :

Oc, oc, oc, Herbette, navons point mangée,

Mais belle dame regardée.

Et la fermière ne comprit pas ce que les oies lui disaient. L e lendemain et le surlendemain encore, tout se passa comme le pre-mier jour. L a princesse se peigna, les oies émerveillées ne man-gèrent rien, et lorsque leur maitresse leur demanda si elles etaient contentes, elles répondirent comme elles l'avaient déjà fait.

L a fermière en furie voulut renvoyer la petite gardeuse, mais le fils ainé se sentit malade et demanda à sa mère de lui faire ap-porter un bouillon d'herbes par la jeune fille. Quand elle le lui ap-porta, il lui demanda de quelle famille elle était, car à la finesse de ses mains, on reconnaissait qu'elle n'était point gardeuse d'oies. L a Margaridette répondit qu'elle était de famille très pauvre et

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que toutes ses sceurs etaient comme elle des gar-deuses de troupeaux. Le fils ainé lui dit qu'il ne voulait pas la croire, car par une déchirure de la robe déguenillée qu'elle portait, on voyait une autre robe toute brodée d'or, ce qui n'était pas le fait des gardeuses de troupeaux. L a demoiselle se voyant découverte lui confessa toute la vérité.

L e jeune homme s'éprit de la demoiselle et voulut l'épouser. Sa mère ne voulait pas de ce mariage, mais quand elle sut qu'il s'agissait d'une princesse, elle ne s'y opposa plus.

L e jour des noces ils firent un grand repàs auquel ils invi-tèrent tous les gens du village et convièrent les grands de la con-trée, ainsi que le père de la fiancée qui aimait beaucoup aller aux festins.

Quand la princesse sut que son père devait faire partie de la fète, elle demanda de préparer elle-mème les plats pour son père, et elle fit en sorte qu'ils fussent les plus exquis ; mais elle n'y mit pas de sel.

Après le repàs on demanda au roi s'il avait aimé les plats qui lui avaient été servis et il répondit qu'ils auraient été excel·lents si on n'y avait pas oublié le sel, et qu'il aurait préféré avoir mangé sans pain et sans vin que sans sel. Alors la fiancée lui rappela qu'il avait chassé de chez lui une de ses filles parce qu'elle lui avait dit

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qu'elle l'aimait autant que le sel et que par contre il avait préféré les deux autres filles qui disaient l'estimer autant que le pain et le vin. L e roi reconnut son erreur et quand il s'aperçut que la fian­cée était sa fille cadette il en fut très content et satisfait.

En haut de la montagne, II est un savetier Qui fait des souliers Tout en papier. II en fait en petit salé

Et un chat vint à passer Qui en prit une bouchée Et le conte est terminé!

Ce coute, l'un des plus populaires, nous Vavons recueilli en 1918 auprès d'Agnès Coll i Massip de Isamut, née en 1870 à Ripoll, dans les Pyrénées centrales catalanes.

Couturière de son métier dans sa jeunesse, elle était devenue marchande de journaux. Elle connaissait beaucoup de contes qu'elle avait appris à Ripoll, dans son enfance, de sa mère et des petites camarades de son àge. A la fin du siècle dernier, il était en effet d'tisage, entre les fillettes se retrouvant en petite troupe enfantine, de se raconter des histoires.

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L A P R I N C E S S E D O U C E M I E L

V OICI qu'il était une fois une princesse qu'on appelait Douce-miel tant elle était aimable et gentille. Mais la pauvre était toujours malade sans qu'aucun médecin süt dire de quoi

elle souffrait. Son père, ayant fait faire des proclamations à travers le monde, tous les médecins, rebouteux, devins et sorciers du plus grand talent etaient acoourus à son palais sans qu'aucun sút com­prendre ce qu'avait la princesse. E t voici qu'à l'heure ou tous etaient au désespoir, craignant qu'un jour ou l'autre la princesse ne mourüt, se presenta au palais la fée Estarella qui, dès qu'elle eut vu la gentille malade, parla au roi et lui dit :

— Votre fille guérira aussitót que vous aurez mis devant elle le Xervelli aux cent et une couleurs.

— L e croyez-vous, ma bonne Fée ? E t quelle sorte de chose est-ce qu'un Xervelli ? J e n'en ai, ma foi, jamais entendu parler. Est-ce une bète, une herbe ou bien une pierre ?

— C'est une sorte d'oiseau au plumage de cent et une cou­leurs.

— E t oü niche cette sorte d'oiseau ? — II ne niche nulle part, car il n 'y en a qu'un seul au monde

et c'est le roi Crapaud qui l'a dans son palais.

— Et oü se trouve le palais du roi Crapaud ?

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— II vous faudra marcher sept jours et sept nuits, traverser montagnes, rivières et forèts, toujours droit au Levant, sans ren-contrer un mortel, et vous arriverez au palais du roi Crapaud.

E t ceci dit, la fée Estarella disparut comme souffle de fumée. Bien qu'il mourút du désir de trouver un remède pour sa

fille, il ne sembla pas convenable au roi, d'aller lui-mème le cher­cher, la laissant toute seule. II appela son valet de confiance et lui ordonna d'aller chercher le Xervelli aux cent et une couleurs, lui recommandant de mettre toute son adresse à le ramener coúte que coute et en dépit de tout. L e domestique se mit en route le lendemain mème. II marcha sept jours vers le Levant sans s'ar­rèter et sans que rien le fit se détourner, traversant montagnes, rivières et forèts. Enfin il arriva devant un chàteau sept fois plus grand que ceux qu'on connaissait et qui s'étendait à perte de vue, aussi bien sur la droite que sur la gauche. Quand il fut devant la porte, il frappa. Elle s'ouvrit toute grande, un valet en hàbit de soie reluisante sortit et lui demanda qui il était et ce qu'il voulait. L e messager demanda si ce chàteau était bien celui du roi Crapaud et, quand il sut que c'était bien celui-là en effet, il demanda à parler au majordome. Un grand valet habillé d'une soie sept fois plus brillante que celle du premier se presenta aussitót. E t le messager lui parla ainsi :

— J e suis valet chez la princesse Doucemiel, la plus aima-ble et gentille, la meilleure de toutes les princesses du monde. Elle est malade depuis longtemps, sans trouver médecin pour son mal, et elle va mourir. L a fée Estarella, qui sait tous les secrets et mystères du monde, a dit au roi, père de la princesse et mon maitre, que sa fille ne pourrait guérir que si l'on plaçait à son chevet le Xervelli aux cent et une couleurs qui est, dit-on, en pos-session du roi Crapaud, maitre et seigneur de ce palais. Par ordre du roi, mon seigneur, je viens voir si vous me le pourriez prèter.

— L e désir de votre roi sera transmis à mon maitre et sei-

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gneur, et s'il vous prète le Xervelli aux cent et une couleurs, soyez sur que la princesse Doucemiel guérira.

Pendant qu'il allait parler à son maítre, le majordome demanda au messager d'attendre sur le rempart. Au bout d'un certain temps il revint avec une cage tout en or, si brillante que le soleil en était ébloui, et dans laquelle un petit oisillon sautiilait de joie. II avait un plumage de cent et une couleurs qui luisait et brilla.it comme du cristal, tant qu'il lançait des rayons et des étincelles ainsi qu'une étoile. Le valet de la princesse en fut tout ébahi. Et le majordome lui parla ainsi :

— Voici le Xervelli aux cent et une couleurs. Mon maítre vous le prète de bon gré mais à trois conditions : la première c'est que vous le traitiez bien, la deuxième que vous nous le rendiez dès qu'il vous aura servi, la troisième que vous lui donniez en échange ce qu'il vous demandera.

Comme le roi avait dit qu'on lui amenàt le Xervelli coúte que coúte, le valet fit une révérence au majordome et prenant la cage de ses mains, répondit :

— Tout ce que votre maítre et seigneur peut désirer lui sera accordé. Veuillez lui transmettre mille remerciements au nom de mon roi.

E t sans perdre de temps, le valet retourna au palais de son seigneur. Aussitót arrivée, la cage fut présentée à la princesse. En voyant le petit oisillon qui sans arrèt sautiilait, elle fut à l'ins­tant rétablie comme si jamais elle n'eút été malade. L e roi sem­bla devenir fou de joie. On fit des fetes comme jamais on n'en avait vu d'aussi riches et joyeuses et qui durèrent une quantité de jours. Lorsque bals et réjouissances furent finis, le roi appela de nouveau son valet, le chargea d'aller rendre le Xervelli aux cent et une couleurs au roi Crapaud et de lui demander ce qu'il voulait en paiement, en l'assurant que ce qu'il demanderait lui serait donné puisque la santé de la princesse valait tout.

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L e valet se mit tout de suite en chemin et, après sept jours et sept nuits de marche vers le Levant, il se trouva une nouvelle fois devant le palais du roi Crapaud. Comme la première fois il frappa à la porte, demanda le majordome, rendit la cage avec le Xervelli aux cent et une couleurs et au nom de son maítre remercia le roi Crapaud, lui faisant demander comment il pouvait le payer d'une si grande faveur. Le majordome alia transmettre cette demande à son maitre et au bout d'un moment il revint et dit au messager :

— L e roi Crapaud demande seulement que le mème jour de l'année prochaine, lui soit donnée la princesse Doucemiel, main­tenant rétablie.

Quand le valet entendit ces paroles, il en fut si troublé qu'il dut s'appuyer à un mur. II s'inclina devant le majordome et, tète basse, il s'en revint rendre compte de sa démarche à son roi.

Imaginez le chagrin du roi, père de la princesse, quand il apprit ce que le roi Crapaud lui demandait. 11 ne savait commen: s 'y prendre pour le dire à la princesse Doucemiel. Mais quand celle-ci le sut, comme elle était très hardie et résolue, elle ne prit pas peur et dit à son père qu'on ne revient pas sur la parole d'un roi, et qu'elle saurait se sortir en bien de tout.

L'année passa, et quand l'heure approcha, la princesse se mit en chemin toute seule. Au bout de sept jours et sept nuits de marche, traversant montagnes, rivières et forèts sans jamais s'arrè­ter, elle arriva devant le palais du roi Crapaud, frappa à la porte et chargea le valet, qui lui ouvrit en hàbit de soie reluisante comme le soleil, de prevenir son maitre que la princesse Doucemiel était là et venait le voir. Aussitót parut le majordome avec une suite de plus de cent valets, tous richement vètus et rendant hommage à la princesse. L e majordome lui demanda d'entrer et, après avoir traversé plus de cent salons, tous très richement ornés, ils arrivèrent auprès du roi Crapaud.

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Ce roi était un crapaud si gros, si gros, qu'il n'aurait pu tenir sur une place publique. II avait des yeux comme des roues de char-rettes. II était effrayant et repugnant à voir. Son lit était large comme un champ de foire. Allongé sur sept matelas, on l'aurait dit assis sur une garde-robe royale. Au-dessus de lui et le touchant presque, était la cage du Xervelli aux cent et une couleurs, au plumage étincelant de clartés semblables à celles du soleil. Quand la princesse Doucemiel vit cette enorme bète, elle ressentit une répugnance qu'on ne saurait dire. L e roi, au contraire, fut très content de la voir, et tout afïectueux ii lui dit :

— Bienvenue sois-tu dans mon palais. T u en seràs la mai­tresse ; tous mes gens seront à ton service et à tes ordres et tu seràs traitée à cceur-que-veux-tu. Maintenant, va te reposer de la fatigue du voyage, et demain nous nous reverrons et nous parlerons.

L e Xervelli, dans sa cage, ne cessait de sautiller et de regar­der la princesse comme s'il eüt voulu lui parler.

Par ordre du roi Crapaud, tous les domestiques se mirent au service de la princesse qui, plus morte que vive de crainte et de dégoüt, se jeta sur son lit mais ne put fermer l'ceil de toute la nuit. Le lendemain elle revint auprès du roi Crapaud qui la reçut avec force manifestations de joie et lui parla ainsi :

— J e suis un très riche et très puissant roi, enchanté par une sorcière qui me transforma en crapaud. J e ne puis me désenchan-ter que si j 'épouse une princesse, fille de roi, que j'attends depuis de longues années et que je n'avais pu rencontrer jusqu'à ce jour oü te voilà. T u te marieras avec moi et me désenchanteras.

Imaginez ce que ressentit la princesse quand elle entendit ces paroles! L'esprit lui manqua pour répondre. L e Xervelli, de sa cage, la regardait sans cesse et toujours avec des yeux si énamou-rés qu'elle se ranima et que le courage lui vint de demander au roi Crapaud trois jours pour réfléchir. L a princesse s'enferma dans

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sa chambre, fort soucieuse, et ne sachant quel parti prendre, car elle comprenait bien que le roi Crapaud la ferait tuer si elle se refu-sait à l'épouser. Mais, ce qui retenait particulièrement son atten-tion, c'était le regard si affectueux du Xervelli. Ne sachant que répondre au roi Crapaud, elle pensa lui demander de lui donner le Xervelli comme present de noces afin de s'en ébattre et de s'en amuser, et de faire reporter le mariage à trois jours plus tard.

Quand le roi Crapaud entendit cette proposition, il entra en fureur et lui dit que plutót que de lui donner le Xervelli, il la ferait tuer. L a princesse Doucemiel voulut bien renoncer au Xervelli , mais elle dit au roi qu'elle n'accepterait de se marier que s'il lui disait auparavant pourquoi il refusait de lui faire ce present. E t le roi Crapaud lui parla ainsi :

— Le Xervelli est un prince enchanté beaucoup plus jeune, plus fort et plus puissant que moi. II se désenchantera dès qu'une princesse, fille de roi, lui donnera un baiser. S'il se désensorcelle avant moi, il me sera alors impossible de me désenchanter et je n'aurai qu'à mourir sans avoir pu cesser d'ètre crapaud.

Quand la princesse entendit ces paroles, elle sentit son courage renaitre et dit au roi Crapaud qu'elle ne voulait pas l'épouser, et qu'elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour embrasser le Xervelli, le désenchanter et épouser ce prince.

Imaginez la fureur du roi Crapaud après avoir entendu les paroles de la princesse! II appela le majordome et lui ordonna de la conduiré dans la íorèt, de la tuer et de lui apporter son sang dans une bouteille, pour son petit déjeuner.

L e majordome emmena la princesse dans la forèt. Quand elle vit qu'il avait une grande bouteille, elle comprit quel sort l'atten-dait et lui demanda d'avoir pitié d'elle. II lui répondit qu'il avait plus de peine à la tuer qu'elle n'en pouvait avoir à mourir. E t ils se concertèrent pour chercher une bète, l 'égorger, emplir la bou­teille de son sang et la porter au roi Crapaud en lui faisant croire

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que c'était là celui de la princesse. Us se mirent à chercher à tra-vers la forèt et ils trouvèrent une chèvre que le majordome tua; il recueillit le sang, puis le porta à son maitre qui, fort content et satisfait, le but tout, en disant :

— Bon sang! Que c'est doux! J e comprends maintenant pourquoi on l'appelait la princesse Doucemiel. Tout en elle devait ètre aussi doux. J e me repens de ne pas avoir demande qu'on m'apportàt aussi sa chair. J e l'aurais mangé rótie. Bon sang! Qu'elle aurait été bonne!

L a pauvre princesse allait, perdue à travers la forèt, sans savoir que faire, ou se diriger, ni quelle décision prendre. Mais voici que soudain elle entendit un froissement parmi les bosquets et vit paraitre la fée Estarella qui l'avait visitée alors qu'elle était malade, et qui tendrement lui parla ainsi :

— Ne crains rien. J e veille toujours sur toi. Tiens! prends ce palet, porte-le toujours sur toi, et quand tu seràs dans l'embarras, tu lui parleras ainsi :

— Palet, Palet,

Par la double vertu Et par L· gràce Que L· Fée t'a données, Et encore plus, Fais moi...

et demande au palet tout ce que tu désireras. A l'instant mème, il le fera. »

Après avoir ainsi parlé, la fée Estarella s'évanouit comme souffle de fumée, laissant entre les mains de la princesse Douce­miel un palet plus brillant que le soleil.

L a princesse, se voyant seule et toute menue au milieu d'un

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bois épais ou l'on ne distinguait pas le jour de la nuit, prit le palet dans ses deux mains et lui parla ainsi :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par h grdce Que L· Fée t'a données, Et encore plus, Fais surgir un palais Plus grand sept fois Que celui du Crapaud roi Et rempli tout entier De servantes et valets.

Et à peine finissait-elle de parler que, houp, un palais surgit de terre, plein de toute une foule de valets et de servantes, tous habillés d'une soie sept fois plus brillante que celle des domes­tiques du roi Crapaud. Ces gens n'arrètaient pas d'aller de-ci, de­ia, et chaque fois qu'ils passaient devant la princesse Doucemiel, ils s'inclinaient, lui rendaient hommage et lui disaient :

— Qu'ordonne Votre Seigneurie ? Mais voici que le roi Crapaud se mit à soupçonner que le

majordome ne l'eüt trompé, qu'au lieu d'avoir tué Doucemiel il n'eüt égorgé quelque àne ou un autre animal commun, lui faisant boire comme sang de la princesse du sang de bourricot. Craignant que Doucemiel ne füt en vie, errante dans la forèt, et en train de tramer quelque machination contre lui, il monta au sommet de la plus haute tour de son palais et se mit à regarder de-ci, de-là, afin de découvrir quelque objet qui put lui donner indice que la princesse n'était pas morte, à bien tendre l'oreille afin de saisir toute rumeur suspecte.

E t voici que là-bas, au loin, très, très loin, plus loin encore que tout ce qui est au-delà, il lui sembla — était-ce ou n'était-ce

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pas ? — voir une petite tache blanche qu'il n'avait encore jamais remarquée jusqu'alors. II appela ceux de ses domestiques qui avaient la vue la plus fine pour regarder à leur tour, et tous remarquèrent la mème tache blanche. Sept fois transi de peur, il appela celui qui était le plus leste et le plus dégourdi et le chargea d'aller tout de suite voir ce que c'était que cette tache qu'on ne voyait pas aupara-vant et qu'on voyait maintenant. L e domestique se mit en chemin.

L a princesse Doucemiel, tous les jours, dès son lever, prenait dans ses deux mains le palet, et lui demandait :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par la gràce

Que h Fée t'a données, Et encore plus, Dis-moi ce qu'aujourd'hui Peut de mal m'advenir.

Et voici ce que tous les jours le palet lui répondait :

— Tranquille tu peux reposer,

Rien de mal ne doit t'arriver.

Mais le jour oü le domestique du roi Crapaud devait arriver chez la princesse, le palet lui répondit :

— Prévenue il faut que tu sois, Car un valet du Crapaud roi Viendra en fort mauvaise foi Pour perdre et ton palais et toi.

Ayant entendu ces paroles, la princesse parla à nouveau au

palet et lui dit :

— Palet, palet, Par la double vertu

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Et par la gràce Que la Fée t'a données. Et encore plus,

Fais qu'aussitót Que le valet du roi Crapaud Arrivera à mon chàteau Des toits, terrasses et chéneaux A seaux tombe et tombe l'eau.

Et houp! Dès qu'elle eut fini de parler, de l'eau et de l'eau encore se mit de partout à pleuvoir. L a princesse demanda à tous ses domestiques et servantes de bien s'enfermer dans le cellier et de n'en sortir pour rien au monde jusqu'à ce qu'elle les appelàt.

E t voyez comme ses valets etaient nombreux, car bien que son cellier füt immense, la place y manqua, et ils durent se serrer les uns contre les autres.

Dès que la princesse, grimpée sur un tronc d'arbre, vit venir le valet du roi Crapaud, elle se mit à recueillir l'eau qui tombait dans des seaux et des baquets, et à courir les jeter à la rivière. Quand le valet du roi Crapaud la vit, manches et jupes retroussées, charriant l'eau, il en fut tout ébahi et lui parla ainsi :

— Comment se peut-il que si grande dame doive s'adonner à si grossières besognes, propres aux domestiques ? J e ne puis aucunement permettre que vous touchiez une goutte d'eau de plus. C'est moi qui la recueillerai et irai la porter à la rivière.

— J e dois recueillir l'eau moi-mème, parce que mes domes­tiques sont pris par de plus importantes occupations.

L e valet se mit à charrier de l'eau et de l'eau encore, et plus il en emportait, plus il en pleuvait. Trempé comme un poisson, il passa trois jours et trois nuits à en porter, jusqu'à ce que, voyant qu'il n'en finirait jamais, plus mort que vif, il s'enfuit à toutes jambes.

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Sitót qu'il fut de retour, le roi Crapaud lui demanda quelles nouvelles il lui apportait, mais après qu'il s'en fut expliqué, le roi le maudit pour sa niaiserie et, à l'instant mème, il envoya trois autres domestiques, fort sagaces, afin d'ètre éclairé par eux sur le mystère de ce palais et de cette trombe d'eau qui tombait, alors que pas une seule goutte de pluie n'était dans le ciel.

L a princesse Doucemiel se leva le matin suivant, prit le palet dans ses deux mains et lui demanda :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par la grace Que la Fée t'a données, Et encore plus, Dis-moi ce qu'aujourd'hui Peut de mal m'advenir.

Et le palet lui répondit :

— Prévenue, il faut que tu sois, Car trois vahts du Crapaud roi Viendront en fort mauvaise foi Pour perdre et ton palais et toi.

Avant entendu ceci, la princesse parla de nouveau et lui dit :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par h grace Que la Fée t'a données, Et encore plus, Remplis le L·voir à pleins bords De tant de linge sale et or d Que les valets du roi Crapaud S'éreintent à laver tantót.

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Et aussitót dit, houp, toute la maison fut remplie de linge sale. L a princesse demanda à ses domestiques de s'enfermer dans le cellier et de n'en sortir que si elle les appelait. Ayant aperçu au loin, les trois valets qui s'approchaient, elle retroussa ses manches et elle se mit à laver comme une forcenée. Quand les domestiques du roi virent la princesse laver, ahuris, à l'instant mème ils lui parlèrent ainsi :

— Comment se peut-il que si grande dame doive s'adonner à si grossières besognes, propres seulement aux domestiques. Nous ne pouvons aucunement permettre que vous touchiez de ce linge un fil de plus.

E t les trois valets se mirent à laver comme des forcenés. Pen­dant que l'un savonnait, l'autre frottait et battait tandis que le dernier rinçait et tordait. E t plus ils lavaient, plus la pile de linge grossissait. Se dressant d'elles-mèmes, les pièces de linge se mirent à danser et, danse que danseras, elles se jetaient sur les trois valets, les éclaboussant et les trempant comme des peupliers. E t les trois domestiques lavèrent, L·ve que L·veras, pendant trois jours et trois nuits sans s'arrèter un instant, jusqu'à ce que, jambes à leur cou, plus morts que vifs, ils s'enfuissent vers le palais du roi Cra­paud qui, très inquiet, les attendait, eux et les nouvelles qu'ils ap-portaient.

Quand il sut ce qui s'était passé, furieux de voir qu'aucun de ses valets ne s'en tirerait, il résolut d'aller lui-mème au palais de la princesse, avec tous ses gens.

L a princesse Doucemiel, comme chaque jour, aussitót levée, demanda au palet :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par la grace Que la Fée t'a données,

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Et encore plus,

Dis-moi ce qu'aujourd'hui Veut de mal m'advenir.

E t le palet lui répondit :

— Prévenue, il faut que tu sois, Qu'ici s'en vient le Crapaud roi Avec ses gens et palefrois Pour perdre et ton palais et toi.

Ces paroles firent éclater de rire la princesse qui se prepara à se gausser sans pitié du roi Crapaud. S'adressant au palet, elle lui dit :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par L· grace Que la Fée t'a données, Et encore plus, Fais que le roi et tous ses gens Embrassent comme des dements Le trou qu'au bout de son échine Mon baudet cache sous sa queue. Pendant que le Crapaud chemine,

rgez l'ane et, au milieu Du portail de mon beau pahis, Pendez la bète, mes valets.

L a princesse appela ses domestiques et leur demanda d'égor-ger l'àne le plus galeux de son étable, puis de le pendre au milieu du portail du palais, en sorte qu'on ne püt entrer sans l'en écarter. Elle leur recommanda de se placer, quand ils auraient fini, à toutes les fenètres qui donnaient sur la façade du palais, d'oíi ils pour-

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raient contempler une bien amusante comédie, et de n'en partir que si elle les appelait. Ces ordres donnes, la princesse s'assit à la fenètre centrale et attendit l'arrivée des visiteurs annoncés par le palet.

Lorsque, de très loin, le roi Crapaud vit l'àne pendu, il cria plein d'enthousiasme :

— Que vois-je! que vois-je! E t comme un fou, il se mit à courir, puis se jeta sur Porifice

qu'au bout de Péchine l'àne avait sous la queue, Pembrassant, embrasse qu'embrasseras, pendant que tous ses gens le poussaient en criant :

— C'est mon tour! C'est mon tour! Mais lui, furieux, ne voulait s'en aller et braillait : — L e droit m'en revientàmoi seul plus qu'à vous tous ensem-

ble, car je suis votre roi, et de toutes choses il m'en revient le plus. Vous ne pouvez vous imaginer ce que pendant trois jours et

trois nuits sans arrèt furent leurs poussées, leur vacarme, leur pèle-mèle! A tant embrasser, ils finirent tous avec les lèvres enflées comme des sabots. Elles leur faisaient si mal que le roi résolut de retourner à son palais avec toute sa cour.

Pendant ce temps, la princesse et ses domestiques, assis aux fenètres, se tordaient de rire. Si grande était l'obstination du roi Crapaud à embrasser, qu'il oublia mème la princesse qu'il eüt pu voir pourtant rien qu'en levant les yeux, puisqu'elle était à sa fe­nètre, au-dessus de la porte ou pendait l'àne, et s'y amusait folle-ment.

De retour au palais, aussi bien le roi que ses gens durent soi-gner leurs lèvres irritées d'avoir tant embrassé. L e roi s'aperçut qu'il n'avait pas fait ce qu'il voulait, ni pu éclaircir, malgré tant d'efforts, ce qui l'inquiétait le plus. II appela le majordome qui était Phomme le plus avisé de la cour et le seul qui ne l'avait pas accom-pagné en cette expédition. II était son homme de confiance, il l 'a-

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vait laissé au palais pour surveiller le Xervelli. II le chargea d'al­ler voir lui-mème s'il pouvait tirer au clair le mystère de ce palais sept fois plus grand que le sien, de l'eau qui y tombait, du linge mouillé qui y dansait et de l'àne égorgé qui s'y trouvait. E t le majordome qui soupçonnait fort bien de quoi il retournait, bien qu'il ne parvint pas à tout comprendre, se mit tout de suite en che­min.

Comme chaque jour, aussitót levée, la princesse Doucemiel demanda au palet :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par L· grace Que la Fée t'a données, Et encore plus, Dis-moi ce qu'aujourd'hui Peut de mal m'advenir.

Et le palet répondit :

— Prévenue, il faut que tu sois, De l'arrivée en bon aloi De l'Intendant du Crapaud roi En paix et amitié pour toi.

L a princesse, fort réjouie, au palet parla ainsi :

— Palet, palet, Par la double vertu Et par L· grace Que L· fée t'a données, Et encore plus, Que tout mon palais se remplisse De mets qui fas sent les délices; De livrées et d'or et d'argent

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Pour vétir bellement mes gens. Que des fleurs et cent garnitures Fassent des chambres la parure. Je veux que Monsieur VIntendant Y soit bien aise et bien content.

L a princesse Doucemiel appela ses domestiques et leur de­manda de rendre force hommages à Phóte qu'elle attendait. Elle sortit ensuite du palais pour recevoir le majordome qui ne se fit pas attendre. E t elle était si contente et si satisfaite qu'elle l'em-brassa mille fois sitót qu'elle le vit. A l'heure du déjeuner ils parlèrent et le majordome lui promit la cage du Xervelli aux cent et une couleurs afin qu'elle pút embrasser l'oiseau.

L e déjeuner fini, ils se mirent tous deux en chemins vers le pa­lais du roi Crapaud ou ils arrivèrent après trois jours et trois nuits de marche. Le majordome entra par une porte secrète puis parvint jusqu'à la chambre du roi qui tout meurtri encore d'avoir tant em-brassé, dormait comme une souche. Sans que celui-ci s'aperçut de

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rien, le majordome décrocha la cage du Xervelli et, par la mème porte secrète, il sortit du palais. II donna la cage à la princesse qui l'attendait. Fort troublée, elle l'ouvrit, l'oisillon sortit. Elle lui donna un baiser et l'oisillon au mème instant se transforma en un charmant prince, au visage d'ange, et blond comme un fil d'or. II s'agenouilla aux pieds de Doucemiel pour la remercier de l'avoir désenchanté et lui demanda, pour l'amour de Dieu, de bien vou-loir l'épouser. II n'est pas besoin de dire si la princesse Doucemiel accepta.

Pendant que le prince Xervelli se désenchantait, le palais du roi Crapaud, le roi lui-mème et la suite de pagès et de serviteurs qui l'entouraient, fondirent comme nuée qui se dissipe, et il n'en resta mème pas les traces. L e majordome échappa seul, et il resta au service de la princesse Doucemiel.

L e prince Xervelli et la princesse Doucemiel se marièrent et firent de riches noces comme jamais on en avait vues, si riches qu'on en parla maintes années, et que nous en parions encore aujour-d'hui.

Et voici un plat d'oignon, Et voilà un plat d'olives. Et les mensonges s'en vont Entre eux deux, comme une eau vive.

Conté en 1Ç22 par Madrona Desplats i Badoni de Gispert, née en 1872 à Reus, province de Tarragone. Son père était d'origine frau^aise et sa mère d'origine italienne, mais ils etaient tous,

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déjà, des catalans. Elle possédait un vaste répertoire de litté-ruiure orale, très authcntique, sans aucune influence étrangère due aux origines de ses ascendants. Elle était Iricoteuse et avait travaillé dans plusieurs ateliers. Elle avait eu une vie très intense durant laquelle elle avait assimilé tout ce qui lui était accessible.

Nous avons entendit aussi ce conte, bien que très fragmenté et incoherent, de notre oncle, Vicenç Amades i Alcoberro, né en 1842 à Prat de Comte, dans la Terra Alta, berger et morin.

lllettré, Vicenç Amades incarnait les vuleurs de tous les ordres de la cttlture traditionnelle qu'il vivait intensament, matérielle-ment comme spirititellement. Malgré son anulphabélisme, c'était un sage au sens primitif dc ce mot. Paysan très averti, berger competent, il prutiquait tous les métiers de la forèt : charbon-nier, búcheron, plútrier, chaufournier, et bien d'autres métiers encore. Pendant. des années il fut voiturier et conditisit des nòmades transhumants avec lesquels il parcourut presque toute la Péninsule, le Midi de la France et le Nord de l'italie. II dirigea aussi une équipe de moissonneurs saisonniers avec lesquels il parcourut les terres à blé du bas Aragón et des rives de l'Ebre. Lorsqu'il habita Barcelone, il pratiqua les métiers de mer. II fut pècheur et marin, parcourut toutes les mers sous tous les vents et fit trois fois naufrage. 11 avait la parole facile et était un bon causeur. Oit qu'il se trouvàt, il engageait vite conver­sat ion. De ce fait il avait assimilé des idees et des récits pris à tous les milieux oh il avait vécu.

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X V

P E T I T - J E A N Q U I A V A I T U N E B O S S E

D E R R I È R E E T U N E B O S S E D E V A N T

VOICI qu'en cet endroit du monde Oii avait un nez tout le monde,

il était un roi qui avait trois filles et qui en était si jaloux qu'il ne voulait que personne pút les regarder. II ne les laissait voir ni par trou ni par fenètre. II ne leur permetiait de s'en aller promener qu'une seule fois toutes les sept semaines, bien enfermées dans un carrosse avec une escorte de cent valets devant, de cent valets derrière, et entourées de sept cents soldats à cheval, afin que per­sonne ne pút les approcher.

Voici qu'un jour, alors que tout le monde était en promenade. ils rencontrèrent un géant qui, avec un enorme pin, s'éventait et chassait les mouches ; il portait en guise de chapeau une tour sar-razine tout en pierre et des plus grandes qu'on ait jamais vues.

Tous les gens du roi lui semblèrent des fourmis, et les soldats des jouets. Sans s'apercevoir de ce qu'il faisait, il piétina cette mul-titude et enleva le carrosse du sol comme un simple fétu de paille, !e déeouvrit, y trouva les trois princesses qui lui parurent fort jolies

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et pensa les amener chez lui pour jouer avec elles. Comme elles etaient toutes menues dans sa main, il eut peur de les lais­ser glisser d'entre ses doigts et il les mit dans son chapeau. E t comme celui-ci était une tour, c'est clans cette tour qu'elles furent prisonnières.

Un valet qui échappa à tout ce massacre de gens courut ra-conter au roi tout ce qui s'était passé. E t le roi désespéré, s'ar-rachant les cheveux et les poils de la barbe, fit proclamer des bans promettant tout ce qu'il avait : sa couronne, ses biens et les trois princesses, à qui ramènerait ces dernières.

Or, il y avait un homme très petit et chétif qu'on appelait Petit-Jean et qui avait une bosse derrière et une autre devant. 11 entendit parler des bans qu'a-vait fait proclamer le roi et pensa qu'une bonne occasion se présentait à lui de gagner une couronne, les biens du roi et les trois princesses. E t il se décida à les chercher afin de les trouver.

II se mit donc en route et,

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chemine que chemineras, il marcha pendant sept jours et sept nuits sans dormir ni manger, buvant seulement trois fois par jour de l'eau des puits, une pour le Père, une pour le Fils, et une troi­sième pour P Esprit-Saint. E t ces trois gorgées d'eau le nourris-saient, lui donnaient íorce et bon sens pour poursuivre son chemin et chercher les princesses.

Voici que le huitième jour il attacha mal le seau à la corde du puits et, quand il tira pour avoir l'eau, il ne remonta que la corde.

Petit-Jean pensa que s'il ne pouvait boire de l'eau il était perdu, qu'il n'aurait plus de vigueur pour continuer à chercher, et il vit qu'il n'avait d'autre remède que de descendre quérir le seau.

Quand il fut en bas, il vit sur l'eau trois petites pierres très jolies. E t que fit-il ? II les prit. E t dès qu'il les toucha, les pierres lui dirent :

— Nous sommes pierres magiciennes et nous ferons ce que tu nous demanderas, mais rien qu'une seule fois.

L e Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une autre devant se rassasia d'eau et, avec le seau d'une main et les pierres de l'autre il sortit du puits et dit à l'une des petites pierres :

— Mène-moi à la maison du géant qui se trouve au fond du puits et fais en sorte qu'il ne me voie pas.

E t zas! Aussitót il y fut. E t il vit les trois jeunes filles. L 'une faisait du feu, l'autre la vaisselle et la troisième balayait. II lui sembla que ce devait bien ètre les trois princesses. II le leur de­manda et elles lui répondirent que oui. Alors, il voulut savoir s'ü leur plairait d'aller à la maison du roi et elles lui répondirent que oui. E t Petit-Jean, qui avait une bosse derrière et une autre de­vant, leur promit de les y mener. II sortit une pierre de sa poche et lui dit de les sortir du puits oü était la maison du géant. Et zas! Tout de suite il se trouva au bord de la margelle. II chargea les princesses, deux sur sa bosse de derrière et une sur sa bosse de devant, et lioupl Chez le roi, cn nous attend!

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Quand le géant revint chez lui et vit que les princesses etaient parties, il se mit en furie et courut derrière Petit-Jean pour les reprendre. Comme il marchait très vite, ii les rejoignit en un clin d'ceil.

L e garçon et les princesses, en le voyant, se sentirent per-dus. Mais Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une bosse devant sortit la troisième pierre de sa poche et lui dit :

— Transforme les princesses en noria et fais de moi le jar-dinier qui la ferait tourner.

Aussitót le géant arriva et, jurant comme un maure, dit au jardinier :

— Écoutez, brave homme, avez-vous vu le Petit-Jean qui a une bosse derrière et une autre devant sur lesquelles il portait assises trois princesses qui, à l'instant mème, etaient ici et que je ne vois plus ?

— D e peur de vous rencontrer, ils se sont cachés sous la noria, répondit le jardiner. Si vous y descendez, vous les y trou­verez.

E t ce niais de géant y descendit. Alors Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une autre devant, fit tourner la noria, lui écra-sant la tète comme une grenade. Puis il rechargea deux prin­cesses sur sa bosse de derrière et une sur celle de devant, et chez le roi il se rendit.

Quand celui-ci les vit, imaginez s'il fut content! A l'instant mème, il offrit la couronne à Petit-Jean ainsi

que tous ses biens et il lui demanda de choisir parmi les trois princesses celle qui lui plaisait le mieux. Mais le Jean devint tout sérieux et lui dit :

— Seigneur roi, vous avez dit dans les bans publiés que vous donneriez les trois princesses à celui qui les trouverait, et puis-qu'il en est ainsi, j ' a i le droit de les épouser toutes les trois.

— Elles sont bien à toi, car tu les as gagnées, dit le roi.

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Et le lendemain mème le roi fit célébrer des noces comme l'on n'en avait jamais vues de pareilles : celles d'un homme aussi courageux que Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une autre devant, et de trois princesses filles d'un grand roi.

E t comme le roi était très vieux, il mourut bientót et le Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une autre devant fut trois fois roi. E t comme il était très puissant,

Fit faire un pont de cristal, D'abord y passa un bceuf Et le pont ne se brisa, Après passa un cheval Et non plus ne se brisa, Après passa un cochon Et non plus ne se brisa, Après y passa un chien Et non plus ne se brisa, Après y passa un chat...

L'énumération ci'animaux se poursuit longuement jusqu'à lasser les auditeurs, alors le conteur nomme le chat, puis il baille ou éternue comme s'il perdait le fil de son récit, demande oü il en est resté, on lui répond : u A u chat » et le conteur achève :

— Et le conte finit là.

Conté en içi8 par Catarina Cordomi i Monner, née à Barce­lone en 1856. Passementière et vannière de son état, elle avait peu de lettres, mais elle savait un grand nombre de contes de tout genre, appris dans les ateliers de passementerie et de vannerie oü elle avait travaillé.

Elle avait un parler froid et s'exprimait sans émotion, et les contes sortis de ses lèvres y perdaient plutót qu'ils n'y gagnaient. En parlant, elle gesticulait et faisait tant de grimaces disgracieu-ses qu 'il était difficile de la regarder si l'on voulait se retenir de rire.

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X V I

S A N G - E T - N E I G E

V oici qu'il était une fois une très, très riche dame qui, un jour de neige, cousait auprès de sa fenètre. E t tout en cousant elle se piqua le doigt d'oü jaillit une goutte de sang qui

tomba sur la neige. L a couleur rouge du sang contrasta si joli-ment avec la blancheur de la neige que cette dame se dit :

— Si jamais je me marie et que j ' a ie une petite fille, il me plairait qu'elle füt blanche comme neige et qu'elle eut des lèvres vermeilles comme le sang ; ainsi elle serait aussi jolie que l'est maintenant cette goutte de sang sur la neige et, quand nous en vien-drions au baptème, nous lui donnerions le nom de Sang-et-Neige.

A quelque temps de là, cette dame se marià. E t maintes et maintes années se passèrent sans qu'elle eút fille ni garçon, elle pensait bien que jamais elle n'aurait une fille à qui elle pút donner le nom qu'elle aimait tant.

E t voici que, longtemps après, cette dame eut une fille tout ainsi qu'elle l'avait désirée : blanche comme neige et les lèvres vermeilles comme le sang ; elle lui donna donc le nom de Sang-et-Neige.

Cette fillette grandit. E t plus elle grandissait, plus sa figure devenait blanche, et ses lèvres vermeilles. Chaque jour elle était

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plus jolie et plus mignonne, et tous ceux qui la voyaient s'épre-naient d'elle.

Plusieurs années s'écoulèrent et sa mère mourut. Son père n'entendait rien à la conduite de la maison, et comme Sang-et-Neige était encore trop jeunette pour en prendre la charge, afin qu'on prït soin d'elle, qu'on balayàt, lavàt le linge et fit les repàs, son père se remaria.

II épousa une vieille veuve qui avait une fille en tout opposée à Sang-et-Neige. Elle était laide comme un cloporte et plus noire que le charbon ; elle avait les lèvres épaisses et boursouflées, le visage bouffi et un nez comme un crochet de lampe à huile ; enfin elle était faite comme un paquet. Cette pauvre jeune fille avait plus ou moins l 'àge de Sang-et-Neige et toutes deux grandissaient mèmement. Mais autant Sang-et-Neige devenait jolie, autant l'au­tre devenait au contraire de jour en jour plus vilaine, mal faite et dégingandée. La mère se rongeait de rage de voir que plus le temps passait, plus affreuse était sa fille et plus belle celle de son mari, que tous les jeunes gens courtisaient Sang-et-Neige et fuyaient sa fille.

Un jour que Sang-et-Neige cousait près de la fenètre, le fils d'un roi vint à passer et, dès qu'il la vit, il resta ébahi et plein d'amour. II engagea conversation, et quand il l'entendit parler de sa voix si douce et si caressante, il s'en énamoura plus encore et lui dit que, si elle voulait l'épouser, elle serait princesse.

L a pauvre Sang-et-Neige, lasse de tant souffrir par la jalou-sie et la rage de sa maràtre, et ne serait-ce que pour en finir avec ce martyre qu'elle vivait, accepta à l'instant d'épouser ce prince charmant qui, comme elle, était fort galant et aimable.

L e prince était d'une autre terre, très éloignée de celle oü vivait Sang-et-Neige et, pour y aller, il fallait prendre une barque et traverser la mer. Le prince prit la barque royale et Sang-et-Neige en prit une autre qui devait suivre celle du prince. Mais

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la maràtre, pleine de mauvaises intentions, declara qu'il ne con-venait pas à une jeune fille d'aller seule en la terre de son promis et qu'elle et sa fille partiraient aussi pour lui tenir compagnie.

Alors qu'ils etaient en mer depuis un long moment, le prince se pencha sur le bord de la barque royale pour dire à la maràtre d'appeler Sang-et-Neige sur le pont de leur bateau, car il aurait grand plaisir à la revoir. L a méchante maràtre, au lieu de faire ce qu'il lui demandait, fit sortir sa fille à demi couverte d'un voile noir afin que le prince ne s'aperçut pas que ce n'était pas Sang-et-Neige. L e prince resta tout surpris à cette vue et dit que sa fiancée lui semblait enlaidie. L a méchante maràtre lui répondit :

— L e soleil et le serein Font devenir les gens bruns.

Sang-et-Neige entendit que son promis et sa maràtre par-laient et demanda à celle-ci ce qu'ils se disaient. L a maràtre répondit que le prince assurait que si Sang-et-Neige voulait se marier avec lui, elle devait s'arracher un bras et le jeter à la mer. II sembla étrange à Sang-et-Neige que le prince voulut épouser une femme manchote, mais comme elle était très obéissante, elle crut aux paroles de sa maràtre, elle s'arracha un bras et le jeta à la mer. E t une baleine qui allait derrière les barques, les suivant sans arrèt, — Gnam! — mangea le bras comme si c'eüt été un spaghetti.

L e prince était consterné et ne pouvait convenir que sa bien-aimée fut devenue si noire et si laide. E t le désir lui vint de la revoir. II monta une autre fois sur le pont de sa barque et il l 'ap-pela. Aussitót la maràtre se presenta pour lui demander ce qu'il voulait. E t , comme la première fois, elle fit sortir sa fille, mais couverte d'un voile noir moins épais que le premier, afin que le prince pút mieux la voir telle qu'elle était. E t le prince la trouva

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encore plus laide et plus affreuse que l'autre fois, et il dit encore qu'elle ne pouvait lui convenir. E t la méchante sorcière de marà­tre répondit à nouveau :

— Le soleil et le serein Font devenir les gens bruns.

Sang-et-Neige redemanda si le prince avait dit quelque chose pour elle. E t la maràtre lui répondit oui, qu'il avait dit qu'elle s'arrachàt l'autre bras et qu'elle le jetàt à la mer. Et Sang-et-Neige le fit encore. L a baleine, comme la première fois — Gnam! —, d'un coup de màchoire l'avala tout entier sans le màcher comme si c'eut été un spaghetti.

Le pauvre prince ne pouvait comprendre que sa bien-aimée fút devenue laide. II lui semblait que ses yeux le trompaient et que cela ne pouvait ètre. II croyait à un mauvais rève et, doutant que ce fút vrai, il voulut la revoir. L a maràtre s'empressa de sortir avant Sang-et-Neige et, dès qu'elle sut ce que le prince voulait, elle fit venir de nouveau sa fille, mais cette fois-ci sans voile du tout. L e pauvre prince, c'est bien clair, la trouva encore plus laide et plus répugnante. Quand, stupéfait, il se récria, la maràtre lui répondit :

— Le soleil et le serein Font devenir les gens bruns.

Et comme ils arrivaient près de la terre du prince et qu'ils devaient débarquer, la méchante maràtre, afin que Sang-et-Neige ne la gènàt pas, lui dit que son promis lui demandait de se jeter à la mer et que les vagues la porteraient à terre. L a pauvre Sang-et-Neige obéit comme les autres fois et — Gnam! — la baleine la mangea comme si elle eút été une miette de pain.

Au débarquement, le prince vit clairement combien était laide

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celle qu'il croyait Sang-et-Neige. II en fut ahuri au point de ne plus vouloir se marier. Mais comme il avait donné sa parole et que la parole d'un prince ne peut ètre reprise, fort triste et inconso­lable de sa mésaventure, il se marià. Mais on ne celebra ni noces ni fetes le jour du mariage, et tous pleuraient comme s'ils eus-sent assisté à des funérailles.

Quand la pauvre Sang-et-Neige vit que la baleine l'avalait tout entière, elle en eut un grand chagrin mais ne put s'enfuir puisque, n'ayant plus de bras, elle ne pouvait nager. Dans le ventre de la baleine, elle trouva ses bras qui allaient de-ci de-là. Avec un baume qu'il y avait là dans un pot, elle les recolla et fut à nouveau entière, telle qu'elle était en quittant sa maison pour aller se marier.

Comme elle se plaisait beaucoup à se faire belle et qu'elle n'avait pas assez de place pour se peigner à son aise dans le ventre de la mère baleine, elle lui demanda de la laisser sortir jusqu'à la plage.

L a mère baleine n'y vit pas d'inconvenient mais lui dit qu'elle craignait qu'une fois dehors elle ne revint plus, et pour s'as-

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surer qu'elle ne s'échapperait pas, elle l'attacha avec une chaíne. Sang-et-Neige sortit sur la plage pour se peigner et prendre

un peu de soleil et de fraícheur marine car, dans le ventre de la baleine, il faisait terriblement chaud. Et voici qu'un instant après, elle vit s'approcher sur ie sable un gros chien portant dans la gueule un pain et une omelette de sept ceufs qu'il allait manger au bord de la mer. Sang-et-Neige qui n'avait rien mangé depuis iongtemps et ne savait comment y parvenir — car, dans le ventre de la baleine, il n'y avait pas une bribe de quoi que ce fút — demanda au chien s'il voulait lui donner une lichette de pain et un brin d'omelette. L e chien, généreux, lui donna tout son repàs, lui dit de revenir tous les jours à la mème heure et qu'il lui apporterait à chaque fois son déjeuner.

Quand Sang-et-Neige se fut bien peignée et eut bien mangé, elle s'en revint dans le ventre de la baleine attendre le lendemain pour sortir une nouvelle fois, prendre l'air, se peigner et manger ce que le chien lui apporterait. C'est ainsi qu'elle passa un grand nombre de jours, de semaines et de mois. Comme il ne mangeait rien pour pouvoir tout donner à Sang-et-Neige, le pauvre chien, qui jadis était bien gras et rondelet, devint de plus en plus maigre et efflanqué jusqu'au jour oú, de faiblesse, il ne put se tenir.

Ce chien appartenait au prince qui s'était épris de Sang-et-Neige. Le maitre s'aperçut que son chien maigrissait de jour en jour et qu'il ne lui restait plus que la peau et les os. Comme il l'aimait beaucoup, il fit appeler ses plus fidèles valets et leur re-commanda de prendre soin du chien et de le montrer aux meilleurs vétérinaires afin qu'on le pút guérir s'il avait un mal quelconque. Les valets avaient déjà remarqué que le chien ne mangeait plus son pain et son omelette dans le palais mème, comme jadis, mais que, dès qu'on lui donnait à manger, il s'enfuyait hors du palais comme pris d'une sorte d'angoisse et n'avait plus rien quand il revenait. Pour exécuter l'ordre du prince, les valets suivirent le

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chien et s'aperçurent qu'il allait à la plage et qu'il y rencontrait une demoiselle jolie comme un soleil. Elle était attachée par une chaïne et elle sortait du ventre d'une baleine. Ils virent aussi la jeune fille se peigner, puis le chien, tout caressant, lui donner son repàs qu'elle mangeait : alors le chien s'en revenait, en trébu-chant, tant il était affaibli.

Les valets s'en furent expliquer au prince ce qui se passait. Tout ceci lui sembla fort étrange et, pensant que peut-ètre on le trompait, il voulut voir par lui-mème. L e lendemain, lorsque le chien sortit du palais, il le suivit. Bientòt il arriva sur la plage et vit la belle demoiselle attachée à une chaine et qui se peignait. Tout apitoyé de la voir ainsi attachée, il s'approcha pour rompre la chaine et vit que c'était là sa bien-aimée Sang-et-Neige. Leur joie fut si grande que tous deux se mirent à pleurer. Aussitót ils s'embrassèrent. Elle raconta ce qui lui était arrivé et le prince en fit autant. Tous deux s'en furent au palais. L e prince appela la maràtre et lui demanda pourquoi elle l'avait trompé. Elle se reconnut coupable. L e prince appela l'archevèque qui le démaria de celle qui avait été jusqu'alors sa femme et le remaria à sa bien-aimée Sang-et-Neige. Et ils firent des noces dont on parla long-temps et dont certains parlent encore aujourd'hui. Ils vécurent de longues années contents et heureux et, s'ils ne sont pas morts, c'est qu'ils vivent encore.

L'est un fuseau derrière l'kuis Mon conte est fini, Amen ]ésus-Christ.

Conté en 70-',5 par Joana Cases i l'ilà de Colomines, coiitn-rière, née à Barcelone en i8ço, qui l'avait entendit de sa grand-

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mère. laquclle avaii été élevée à Esterri d'Aneu, village de In règion du Pallars Sobirà daus les Pyrénées occident ales cata­lanes, oü elle avait vécu jusqu'à l'àge de dix ans chez sa nour-rice.

Xotre conteuse possède un vaste répertoire de litléralure oràXe, qu'elle dit avec beaucoup de grace et de bonne volonté. C'est une narratrice remarquable par le ton et le charme qu'elle sait iinprimer à ses récits, qu'elle améliore et enrichit sans leur faire perdre leur conleuu cssinticllement tradilionnel. Nous l'avons cntcndue maintes fois et nous avons constaté qu'elle est d'une admirable c.xactitude. Tout ce qu'elle sait, elle l'a appris de sa grand-mère.

Nous avons aussi enregistri ce conte en 1945. dit par l'une des filles de Joana (ases, Monscrrat Colomines, qui maintenant a l'habitude de le conter tous les soirs à sa fillette Elisabet Esquerra, née en 1949, pour la faire dormir. L'enfant le dit aussi d'une manière en tout semhlalde à celle de sa mère et dc sa grand-mère.

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X V I I

L E B O S S U E T L A M A R I E T T E

VOICI qu'il était une fois une mère et sa fille, si pauvres qu'elles n'avaient rien à manger. Pour ne pas mourir de faim, elles allèrent se rassasier des figues d'un figuier que gardait un

bossu de très mauvais caractère, qui échinait tous ceux qui s'ap-prochaient de l'arbre.

Alors qu'elles etaient au beau milieu de leur festin, elles virent de loin arriver le bossu et en furent fort effrayées. Comme la fille était jeune, elle se fia à ses jambes pour s'enfuir, mais la mère, qui ne pouvait cotirir, était exposée à recevoir une forte volée de coups de bàton. Elle demanda à sa fille de l'enterrer au pied du figuier mais de lui laisser une oreille dehors pour pouvoir entendre tout ce qui se passerait, et elle ajouta que lors-que tout danger serait écarté, elle se déterrerait elle-mème et reviendrait chez elle.

A peine la vieille enterrée et la jeune décampée, le bossu arriva. II trouva l'oreille à terre ; croyant que c'était un cham-pignon, il tira pour le cueillir ; ce fut la vieille qui s'en vint et, tout épouvantée, elle lui demanda pardon.

L e bossu lui pardonna, mais lui fit promettre de lui amener sa fille, la Mariette, au bout d'un an et un jour.

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L a vieille ne s'en souvint plus, et juste au bout d'un an et un jour, alors que la Mariette allait à la couture, survint le bossu qui lui dit de rappeler à sa mère ce qu'elle lui avait promis.

Quand la Mariette arriva chez elle, elle raconta à sa mère sa rencontre avec le bossu et ce qu'il lui avait dit. E t sa mère lui recommanda, s'il lui apparaissait une autre fois, de lui dire :

— Je suis allée à la couture Et j'ai perdu mon petit dé Ou? Je ne sais m'en rappeler.

L e lendemain, le bossu alia de nouveau à la rencontre de la Mariette et lui fit une autre fois le mème rappel. Elle lui répon­dit comme sa mère le lui avait conseillé. Quand elle fut de retour à la maison et eut raconté sa nouvelle rencontre avec le bossu, sa mère lui recommanda de lui dire, si elle le voyait une autre fois :

— Je suis allée à la couture Petite aiguille j'ai perdue. Ou ? je ne m'en rappelle plus.

Et le bossu lui conseilla de ne rien oublier le troisième jour. L a mère donna le lendemain à sa fille, pour se débarrasser

du bossu, un panier plein de boudins, de saucisses et d'autres bon­nes choses à manger afin qu'elle lui en fit present quand elle le rencontrerait. Le bossu ne s'en contenta pas et dit à la Mariette que ce n'étaient pas ces choses que sa mère lui avait promises, mais elle, la Mariette, et qu'ainsi il devait l'enlever.

II l'emmena dans un grand manoir oü habitaient sept vieilles femmes et une jeune fille ; et il lui dit qu'elle serait leur servante.

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II ajouta que, si on lui ordonnait quelque chose dont elle ne süt comment se débrouiller, elle aliat boire à l'endroit oü etaient trois pins et qu'elle s'assít au pied du plus grand : il y viendrait l'ai-der et la conseiller.

Quant les sept vieilles eurent vu la Mariette, elles en furent très contentes, lui donnèrent une cruche de verre et lui dirent d'aller l'emplir de l'eau des Sept Fontaines pour pouvoir laver le visage de la demoiselle Pétronille qui devait se marier le len­demain. L a Mariette se trouva très ennuyée puisqu'elle ne savait pas oü etaient les Sept Fontaines. Elle prit la cruche, s'en alia au bois, s'assit au pied du plus grand pin et, tout de suite, le bossu se presenta qui lui demanda quel travail on lui avait com-mandé.

L a Mariette le lui conta. L e bossu lui dit de ne pas s'effrayer et qu'il irait lui-méme chercher l'eau. II prit la cruche et, en un ciin d'oeil, la lui rapporta toute pleine. Quand les vieilles virent que la Mariette venait avec la cruche pleine d'eau, elles en eurent un grand dépit. Elles lui donnèrent un grand sac de laine brune et lui dirent d'aller à la rivière la laver jusqu'à ce qu'elle devint blanche, car elle devait servir à parer le lit de la demoiselle Pétro­nille qui devait se marier le lendemain. L a Mariette chargea le sac sur son épaule et s'en alia s'asseoir au pied du plus grand pin. Aussitót le bossu se presenta. Dès qu'il sut quel travail avait été commandé, il chargea le sac sur son épaule, s'en alia à la rivière laver la laine et, en deux temps, trois mouvements, de brune qu'elle était, la fit devenir blanche comme neige.

Quand les sept vieilles virent venir la Mariette avec le sac de laine, elles en furent très fàchées et se résolurent à lui deman­der un travail vraiment impossible à faire. Elles la chargèrent d'al­ler chez la tante Maria chercher le chalumeau pour jouer les bal­lades à la noce de la demoiselle Pétronille qui devait se marier le lendemain. L a Mariette alia s'asseoir au pied du pin. Tout de

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suite le bossu se presenta qui, dès qu'il sut quel travail avait été

donné, lui dit :

— Ceci, vraiment, je ne peux le faire pour toi. Tu devras

y aller toi-mème. Mais moi, je te guiderai. Marche vers le Midi,

tu trouveras une rivière très large et tu lui diràs :

— Riviérette, ruisselet N'aiinerais-tu pas laver Les robes du roi Jeannet ?

Et le fleuve, tout de suite, s'assèchera pour te laisser pas­ser sur l'autre bord. T u trouveras une ronceraie très épaisse ; tous ceux qui veulent la traverser y laissent de leur chair, mais tu lui diràs :

— Ronceraie, ronceraie, Est-ce qu'il te plairait De sécher sur ta haie Les hàbits du roi Jeannet ?

Et la ronceraie se resserrera pour que tu puisses passer sans te faire mal. Plus loin, tu trouveras une terre à serpents oü ils sont par milliers. Emporte de la maison une calebasse pleine de lait et jette-la aux serpents ; ils seront contents et te laisseront passer. Plus au-delà, tu trouveras une crapaudière oü les cra-pauds sont par milliers et tous malheureux parce qu'ils n'ont que de la terre boueuse. Emmène avec toi une panetière de terre sèche et jette-la leur ; ils seront contents et te laisseront passer. Plus loin encore, tu trouveras un grand portail avec deux portes qui toujours s'ouvrent, se ferment et grincent grandement parce que jamais personne ne les a graissées. Emporte une petite écuelle

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de lard, graisse leurs gonds et elles te laisseront passer sans t'é-craser.

Alors tu seràs dans une grande maison oü tu ne trouveras personne. E t dans une très grande salle tu verras une table de plus de trois cent cannes de long, très bien servie. Pour l 'a-mour de Dieu, n'y goüte rien! A u milieu de la table il y a une petite cassette et dedans il y a le chalumeau pour jouer les balades. Prends-le et emmène-le!

Un chien poilu surgira qui voudra te mordre ; prends une tranche de pain sur la table et jette-la lui. E t pendant qu'il s'oc-cupera à la manger, va-t'en. Surtout n'ouvre pas la cassette et n'essaie pas de voir le chalumeau car il t'arriverait un grand malheur.

L a Mariette s'en revint à la maison des sept vieilles, emplit une calebasse de lait, une panetière de terre, une écuelle de lard et se mit en chemin vers le Midi. D'abord elle rencontra la rivière, lui parla comme le bossu le lui avait dit; et la rivière la laissa passer. Après elle rencontra la ronceraie qui, dès qu'elle entendit comment la Mariette lui parlait, s'écarta et rentra ses épines. Plus loin elle se trouva devant la terre à serpents, mais tous lui furent favorables quand elle leur jeta le lait. Puis elle arriva jus­qu'à la crapaudière et tous les crapauds dès qu'ils eurent de la terre sèche sortirent et dansèrent de contentement. Bientót elle arriva au grand portail et les portes s'ouvrirent toutes grandes devant elle par reconnaissance d'avoir été graissées. E t dans la maison de la tante Maria, elle trouva la grande et riche table. Oh! et n 'y pouvoir rien goüter! A u milieu il y avait la cassette. Elle la prit et se disposait à s'en aller, quand surgit le chien poilu, bien décidé à la mordre. L a Mariette lui jeta une tranche de pain et poursuivit son chemin. L e chien courut derrière elle, disant aux portes, aux crapauds, aux serpents, de l'écraser, de la froisser, de la tuer parce qu'elle avait volé la cassette. Mais les portes

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comme les crapauds et les ser­pents, en reconnaissance de ce que la Mariette leur avait donné, n'écoutèrent mème pas le chien.

Quand la Mariette eut passé la ronceraie et la rivière, comme elle était très fatiguée, elle s'as-sit au pied d'un arbre et l'envie lui vint d'ouvrir la cassette pour voir comment était ce chalu­meau pour jouer les ballades aux noces de la demoiselle Pétronille. Mais sitót qu'elle eut ouvert la cassette, un petit oiseau vert en sortit et s 'é-chappa. A l'instant mème, le bossu se presenta et lui dit :

— Qu'as-tu fait malheu-reuse ? Si je ne peux rattra-per cet oiseau, nous sommes perdus. Si je l'attrape, remets-le dans la cassette et porte-le aux sept vieilles. Elles le met-tront dans une cage et te com-manderont de disposer le cou-vert pour le festin des noces de la demoiselle Pétronille. L'oiseau, si tu négliges quelque chose, t'en avisera et te dira ce que tu dois faire pour te bien sortir de tout. Fais point par

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point ce que l'oiseau te dirà, et toi et moi sommes sauvés. Si tu n'obéis pas, nous sommes perdus, toi et moi, pour toujours.

L e bossu se lança derrière l'oiseau et, après avoir beaucoup couru et grimpé aux arbres, il l'attrapa. L a Mariette l'enferma dans la cassette et le porta aux sept vieilles. Celles-ci ouvrirent la cassette, en sortirent l'oiseau vert, le mirent clans une cage et or-donnèrent à la Mariette de disposer le cou vert sur la grande table du festin. L a Mariette la mit aussi bien qu'elle put sans que rien n 'y manquàt. Quand elle pensa avoir fini, l'oiseau vert lui dit :

— Mariette, ma jolie, La salière tu oublies.

Quand la Mariette l'entendit, elle courut mettre la salière. Quand la table fut tout à fait mise, de nouveau l'oiseau parla à la Mariette et lui dit :

— Maintenant les sept vieilles t'enverront au poulailler pour guetter le chant du coq. Mais, quand chantera le coq majestueux, ne le dis pas car il t'en adviendrait grand malheur.

Quand la Mariette eut mis la table, les sept vieilles l'en-voyèrent au poulailler avec un creuset ( i ) pour qu'elle y sur-veillàt le chant de chaque coq et le leur annonçàt afin de savoir quand arriverait l'heure du mariage de la demoiselle Pétronille.

L a Mariette, le creuset à la main, alia au poulailler et, sur-veille que surveilleras, elle criait tour à tour :

Maintenant chante le coq blanc! Maintenant chante le coq noir! Maintenant chante le coq roux! Maintenant chante le coq

(i) La simple vieille lampe à huile, faite d'un creuset oü trempe la mèche.

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tacheté! Maintenant chante le coq mafl·lu! Maintenant chante le coq haiit crèté!

Mais, bien que le coq majestueux eüt chanté, elle ne le dit pas. L a moins vieille des sept vieilles eut pitié de la pauvre Mariette qui toute la nuit et toute la matinée avait, sans pouvoir dormir, surveillé les coqs en haut du poulailler. Au lever du jour, la moins vieille des sept vieilles dit à la demoiselle Pétronille d'aller un petit moment au poulailler remplacer la pauvre Mariette, et celle-ci s'en alia dormir un peu.

Au bout d'un moment que la demoiselle Pétronille était au poulailler, le coq majestueux chanta et elle cria :

— Maintenant chante le coq majestueux!

Dès qu'elle l'entendit, la plus vieille des sept vieilles qui était

la mère de la demoiselle Pétronille, sans savoir que c'était sa Hlle

qui criait, s'exclama.

— Que meure celle qui tient la lampe!

Et comme celle qui tenait la lampe était la demoiselle Pétro­nille, elle tomba morte à l'instant. L a méchante vieille voulait se débarrasser de la pauvre Mariette, mais au lieu de la faire mou­rir, elle avait fait mourir sa fille.

Quand elle s'aperçut de ce qui s'était passé, elle s'élança pour tordre le cou de la pauvre Mariette, mais le bossu survint et ce fut lui qui tordit le cou à la vieille. A l'instant mème elle fut tuée, on entendit un grand coup de tonnerre, la terre frémit et la maison disparut tout entière. II ne resta que le bossu, changé en galant jeune homme, et la Mariette, tous deux au milieu d'une forèt.

Alors le bossu lui parla ainsi :

— J e suis un prince que ces sept vieilles avaient enchanté et qui ne pouvait ètre délivré que lorsque la mère de la demoiselle Pétronille aurait tué sa fille. T u as fait que cela fut, Mariette. A toi je dois la vie et, si tu veux, nous pourrons nous marier.

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Et pensez comme la Mariette fut contente! E t pensez comme ils se marièrent et vécurent beaucoup d'années heureux!

Et s'ils ne sont pas morts; ils sont encore en vie. Et s'ils ne vivent plus, c'est donc bien qu'ils sont morts.

Conte recueiüi à Barcelone en 1922, de In bouche de Remei Margarii i Cantareu de Rafeques, née à Barcelone en 1888, qui l'avait appris de sa mère.

Coiffeuse illettrée, malgri son analphabétisme, elle possidait un capital étendu de culture traditionnclle. Elle connaissaitmaints rentades ei formules màgiques et avait un très grand savoir en onirocritic populaire. Nombre de ses clientes préféraient sa capa-cité de prédire l'avenir par l'iutcrprèlation des rèves il son art de coiffeuse. Elle connaissail beaucoup de litlérature orale dont elle avait appris une bonne partie de sa mère, blauchisseu<e originaire de Manresa, dans hi régión du l'la de Bages. Elle etait une excellente narratrice, au dèbit facile.

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X V I I I

L E T R E I Z E

V O I C I qu'au temps oü les arbres chanlaient et les onces se mesuraient

il était un grand roi qui avait douze fils. Sa femme en attendait un autre. L e roi l'appela et lui dit :

— Si tu as une fille, je te ferai reine de trois royaumes, mais si tu as un fils, je vous tuerai, toi et lui.

Et la reine eut un autre fils et le roi donna l'ordre aux domes­tiques de tuer la mère et l'enfant. Ils n'eurent pas le cceur de le faire. Ils donnèrent à la reine une sauce verte qui la rendit aveugle, puis ils l'emmurèrent avec son fils dans une muraille des jardins de la maison du roi, en ayant soin que leur maitre n'en sút rien.

Comme le roi était resté sans femme, il se remaria.

Sur le haut du mur, les domestiques ménagèrent un mince soupirail afin que la reine pút respirer ; et par là, un petit pigeon apportait chaque jour trois oranges : une pour la reine, une autre pour son fils et la dernière pour lui, le petit pigeon qui les appor-

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tait. Mère et fils vécurent maintes années dans cette prison, si étroite qu'ils ne pouvaient mème s'y retourner.

Quand le garçonnet eut grandi, il dit à sa mère qu'il ne vou­lait plus rester dans ce trou et demanda pourquoi ils etaient enfer-més de la sorte. E t la pauvre reine lui expliqua ce qui s'était passé. L e Treize répondit qu'il briserait la prison et qu'il en sortirait.

E t la pauvre mère de s'évertuer à le retenir, craignant que le roi le vit et les fit tuer tous deux. Mais le Treize, qu'elle le vou­lut ou non, se mit à creuser le mur jusqu'à en arracher une pierre et il ouvrit une brèche assez grande pour pouvoir y passer.

E t voici que ce trou donnait sur la cuisine du roi. L e Treize attendit qu'il n 'y eút personne dans la cuisine, puis il regarda ce qu'il y avait sur le feu et vit qu'une perdrix y cuisait. E t que fit-il ? II la prit, la porta à sa mère et, avec la mème pierre, il referma la brèche afin que personne ne vit rien. Quand le maitre-queux du roi entra, il fut bien étonné de voir qu'on lui avait volé la perdrix qu'il tenait sur le feu. II se mit à crier et à maudire, voulant ap-prendre ce qui s'était passé, mais il ne put rien tirer au clair.

L e lendemain, avant si bien réussi la première fois, le Treize déplaça de nouveau la pierre qui fermait le trou de sa prison, des­cendit à la cuisine voir ce qu'il y avait sur le feu, y trouva un pou-let, le prit, et comme la veille le porta à sa mère. Quel ne fut pas le charivari du maitre-queux quand il revint à la cuisine et vit qu'on lui avait volé le poulet du roi. Que de commentaires et de bavar-dages pour chercher quel était le voleur! Mais qui pouvait l'ima-giner!

L e troisième jcur, le Treize sortit une nouvelle fois et trouva un chapon qui cuisait. E t que fit-il ? II le porta à sa pauvrette de mère. Mais cette fois-ci, le maitre-queux, hors de lui, menaça de tout raconter au roi et de faire punir marmitons, souillards et tous ceux qui avaient affaire à la cuisine. E t comme les aides etaient tous innocents, ils promirent d'ètre vigilants et de demeurer à la

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*€l TR6TZ6 *

cuisine pour découvrir le malin qui volait le diner sur le feu. L e pauvre Treize, sans rien soupçonner, sortit encore ce jour-là, mais un souillard au caractère plus fougueux qu'un vin sec de seize de-grés l'attrapa par la nuque et l'amena devant le maitre-queux.

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Celui-ci le conduisit auprès du roi. Quand le roi vit le garçon, il lui sembla retrouver sur ses traits sa propre physionomie et il en fut fort étonné. Et de lui demander d'oü il était sorti. Mais le Treize ne voulut jamais le lui dire. Ceci amusa beaucoup le roi et il le garda comme domestique.

L e Treize, en cachette, allait chaque jour porter à manger à sa pauvrette de mère.

Qu'il ressemblàt tant au roi déplut à la reine qui en conçut des soupçons. Comme elle avait le cceur très cruel, elle se mit en tète de se débarrasser du Treize. Elle feignit d'ètre malade et fit dire qu'elle ne guérirait qu'en buvant de l'eau des neuf puits de la Grosse Montagne et seulement si c'était le Treize qui allait la chercher. E t de faire l'enjòleuse, et de remplir la tète du roi en lui répétant qu'elle mourrait si on ne lui apportait pas de cette eau médicinale. Le roi appela le Treize et lui ordonna d'aller chercher une bouteille d'eau aux neuf puits de la Grosse Montagne.

L e pauvre Treize fut frappé de crainte à l'idée de ne plus jamais pouvoir revenir chez lui puisqu'il ne savait ni oü était la Grosse Montagne, ni par oü il devait y aller. E t il quitta sa maison triste, bien triste.

Soudain une petite vieille se presenta et lui demanda ce qui lui arrivait. Le Treize le lui expliqua. L a petite vieille le consola et lui dit :

— N'aie pas peur! Suis ce chemin, et au bout de sept jours, tu arriveras au croisement de trois chemins. L à , tu prendràs celui viu milieu et tu arriveras à la Grosse Montagne au pied de laquelle tu trouveras les neuf puits que tu cherches.

L e Treize prit le chemin de la montagne. En sept jours il arriva au croisement de trois chemins et après avoir suivi quelque temps le chemin du milieu, il arriva aux neuf puits, remplit sa bouteille d'eau et reprit le chemin du retour.

Quand le roi le vit, il en fut très content puisque ainsi il pou-

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vait sauver la vie de sa femme sans perdre la compagnie du Treize que lui plaisait tant. Mais la reine fut saisie d'une si grande colère que ce fut bien alors qu'elle en faillit mourir. Elle but l'eau puis recommença à emplir la tète du roi, lui disant qu'elle ne pouvait guérir que si elle mangeait le foie du bceuf noir qui gardait la Mon-tagne-aux-sept-trésors, ce que personne d'autre que le Treize ne serait capable d'aller chercher, lui qui lui avait si bien apporté l'eau des neuf puits.

L e roi appela encore son fils et lui demanda d'aller chercher cet autre remède pour la reine. E t le pauvre garçonnet, qu'il le voulut ou non, dut se remettre en chemin. De nouveau la petite vieille se presenta et, comme la première fois, lui demanda ce qui lui arrivait et lui donna ce conseil :

— Au lieu de suivre le chemin du Levant, ainsi que tu l'as fait pour aller à la Grosse Montagne, prends maintenant celui du Midi pour aller à celle des sept tresors. Au septième jour de mar­che, tu trouveras un croisement de trois chemins. Prends le chemin du milieu et tu arriveras au pied de la Montagne oü tu trouveras le bceuf noir qui dort. Tu lui jetteras une pierre, le tueras, et pourras lui enlever le foie.

E t la petite vieille lui donna une pierre magique qui tuait tous ceux qu'elle atteignait. L e Treize se mit en route. A u bout de sept jours il arriva au croisement et, peu après, il trouva le bceuf, lui lança la pierre, le tua, et lui enleva le foie qu'il porta à la reine.

Quand la reine le vit de retour, elle fut à nouveau prise d'une si forte colère qu'elle en faillit mourir. E t aussitót une nouvelie astuce pour se débarrasser du garçon lui vint à l'esprit. Elle appela le roi et lui dit qu'elle ne pourrait jamais guérir si elle n'avait pas grand soleil, et jusqu'au dedans de sa maison mème, ce qui était impossible puisque, devant la maison du roi, il y avait une mon­tagne qui ne laissait pas passer la lumière. L e roi appela son fils, lui demanda d'éloigner cette montagne qui, devant sa maison,

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l'empèchait de voir le soleil, lui disant de ne revenir que lorsqu'il aurait fini.

Cette fois-ci le Treize fut vraiment effrayé. II sortit fort triste de chez lui, s'en alia au loin, très loin, et chemina, chemine que chemineras, sans pouvoir oublier sa peine. Voici qu'il arriva devant un grand chàteau ou, à la fenètre, filait une jeune fille, qui, en le regardant, laissa tomber son fuseau. L e Treize le ramassa et le lui rendit. E t la demoiselle, reconnaissante, l'invita à faire avec elle une promenade dans son jardin. Tout en se promenant, ils virent des arbres très étranges. L e Treize demanda quel était leur fruit, et la demoiselle lui répondit :

— Ces arbres ne donnent point de fruit. Ils ne donnent que des feuilles de grande vertu ; celles de cet arbre-ci rendent la vue aux aveugles, et celles de cet arbre-là donnent, à qui le possède, le pouvoir de faire déplacer et aller les choses là oü il le veut. T u peux en cueillir autant que tu voudras.

Quand le Treize entendit ceci, il se sentit sauvé. II remplit ses poches de feuilles des deux arbres, s'en retourna chez lui et, avec l'une d'elles, il fit aller la montagne Dieu sait oü. Soudain, un fiot de soleil entra par portes et fenètres. L e roi appela le Treize, de joie l'embrassa et, ne sachant que penser, ne cessa de lui de­mander qui il était, comment il s'appelait et qui était son père. Jusqu'à ce que le Treize lui répondit :

— Mon père c'est vous, et ma mère est votre femme que vous avez voulu faire tuer. — Les domestiques la rendirent aveugle et nous emmurèrent, elle et moi, dans un mur du jardin. Lorsque j ' a i été grand, je suis sorti de notre cachette pour aller chercher à manger à ma mère et c'est pour cela que je vous volais ce qu'il y avait dans votre cuisine.

L e roi, pleurant des larmes comme des pèches, fut très heu­reux de savoir que sa première femme vivait encore et que ce mi-gnonnet, si leste et dégourdi, qui avait fait tant de grandes choses,

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était son fils. II ordonna à l'instant mème que l'on délivràt la reine,

et le Treize passa sur les yeux de sa mère une feuille d'arbre qui

lui rendit la vue. Le roi fit tuer la deuxième reine parce qu'elle

était méchante et jalouse, et il vécut, pour toujours, en sainte paix

et harmonie avec sa femme et ses treize fils.

La moitié du monde dit oui

Et l'autre moitié dit non

Allez savoir qui

A rais on!

Mais si le conte vous a plu,

Donnez-le pour bien entendu.

Conté en 1922 par Teresa Monjo i Morella, née en 184-; à Tivenys, sur les rives de l'Ebre.

Tenant commerce de vieilles ferrailles, elle était connue sous le nom de la Tripis-Trapis et courait les foires. Quand nous l'avons connue el interrogée, elle était déjà fort vieille, mendiait et ramassail de vieux papiers dans les rues. Elle était analpha-bèle, profondèment superstitieuse, connaissait un nombre infini de remèdes dc rebouleux et pratiquait la mèdecine vulgaire.

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L A P R I N C E S S E B O S S U E

V oici qu'il était une fois une princesse si hautaine et vaniteuse qu'elle se moquait de tout le monde et n'aimait aucun de ses vassaux. Son père voulait la marier avec un riche et

puissant prince alors fort jeune et charmant, mais la princesse était amoureuse d'un autre prince. Elle ne voulut absolument pas ac­cepter celui que lui destinait son père qui en eut un très fort cha-grin.

E t voici qu'un jour cette princesse s'en fut à la messe. Un pauvre bossu chétif qui mendiait au porche de l'église lui demanda ïa charité pour l'amour de Dieu. Comme elle était hautaine et vani­teuse, elle lui répondit :

— Éloigne-toi de moi! Tu es trop laid et mal fait! Y a ! Meurs une bonne fois! Que je ne te voie plus quand je vais à la messe!

Le pauvre petit bossu se mit à pleurer comme une Madeleine. 11 la maudit, souhaita qu'avant de mourir il pút la voir bossue comme lui, et il lui jeta un pou qu'il avait sur lui.

L a princesse ne fit aucun cas des paroles de ce pauvre et, comme elle n'avait jamais vu de pou, au lieu de se fàcher de ce que le bossu lui en eüt jeté un, elle s'en amusa beaucoup lui fit faire une cage d'or et de diamants et le remit aux soins de sept

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domestiques qui, jour et nuit, le choyaient et le caressaient. Très vite, il devint plus gros qu'un bceuf! L a princesse était très contente d'avoir ce pou, mais, en le voyant si gros, elle eut peur qu'un jour il ne la mangeàt. Alors elle appela le capitaine des abattoirs par qui elle le fit tuer, puis elle appela un tanneur pourpréparer la peau, avec laquelle elle fit faire un tambourin. Enfin, au lieu de cercler ce tambourin d'un anneau de bois comme ils en ont tous, elle lui fit faire un anneau en tronc de fenouil.

Comme la princesse voulait se marier, elle annonça qu'elle viendrait jouer une ritournelle de tambourin à son balcon : tous ceux qui voudraient l'épouser devraient passer dessous, et celui qui devinerait de quoi était fait le tambourin deviendrait son mari. Son père ne voulait pas de cela, mais comme elle était fort tètue et em-portée, il ne put l'en faire dédire. Toutefois il jura que quel que füt celui qui devinerait de quoi était fait le tambourin, et quoi qu'il ad vint, elle devrait l'épouser.

L e roi fit tout de suite publier les bans annonçant les désirs de la princesse. E t comme elle était jeune, belle et riche, imaginez le nombre de prétendants qui vinrent des quatre coins du monde! Nobles, chevaliers, princes et rois, tous arrivèrent par milliers afin de deviner de quoi était fait le mystérieux tambourin.

Comme il n'y avait pas assez de place pour recevoir tant de monde à la fois, le roi ordonna à tous les prétendants de se mettre l'un derrière l'autre, comme en procession, et, ainsi rangés, de détiler devant le balcon ou la princesse paraitrait pour jouer du tam­bourin. II se forma une file de prétendants d'une longueur de plus de sept cents lieues, bien qu'ils fussent fort serrés les uns contre les autres.

L a princesse joua du tambourin, et celui-ci disait :

— Soyez charitables Pour l'amour de Dieu

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A un bossu vieux Et pauvre et malade.

Tous, en entendant cette voix si étrange, furent interdits et ne purent comprendre de quoi était fait ce tambourin qui parlait. E t voici que dans toute cette cohue de galants et d'amoureux de la princesse était aussi celui qu'elle aimait. Dès qu'elle le vit, la princesse se mit doucement à lui dire :

— La peau est de pou, L'anneau de fenouil.

Mais le prince, surpris et étonné de ce que disait le tambou­rin, ne s'aperçut de rien d'autre et n'entendit pas les paroles de la princesse. Or, sachez que près de ce prince aimé de la princesse, marchait le vieux bossu qui lui avait jeté le pou lorsqu'elle allait à la messe. E t celui-ci entendit et comprit fort bien ce que la princesse disait. Quand toute la procession de galants fut passée, le bossu, avant vu qu'aucun n'avait deviné ce que la princesse demandait, se presenta au roi et lui dit qu'il savait de quoi était fait le tambourin. L e roi lui demanda alors de s'expliquer et le bossu répondit :

— La peau est de pou, L'anneau de fenouil.

Imaginez quel fut le chagrin et le désespoir de la princesse en s'apercevant que c'était ce vieux et pouilleux bossu qui avait tout deviné! Elle ne voulait en aucune manière l'épouser, mais son père le lui fit — s'il vous plaít — accepter de force. Puis, parce qu'elle était trop orgueilleuse, il la chassa de sa maison.

Comme elle n'avait jamais travaillé, elle ne savait que faire. Ainsi époux et épouse se trouvèrent sans avoir de quoi vivre. Lui ,

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savait mentlier. E t c'est ainsi que tous deux s'en allèrent à travers le monde, implorant la charité aux portes et aux églises.

L a princesse était lasse de mener une telle vie, surtout lors-qu'elle songeait combien elle avait été heureuse et gàtée dans le palais de son père alors que maintenant il lui fallait mendier. Elle ne pensait qu'à se débarrasser de son mari, mais il lui faisait peur et elle n'osait le tuer.

Voici qu'un jour ils furent obligés de traverser une rivière et, comme le pauvre bossu était trop vieux, il ne put la passer. Sa femme dut le charger sur ses épaules et pensa : « Yoilà mon heure!» Dès qu'elle eut mis les pieds dans l'eau, elle se mit à dire :

— O saint Christophe aimé, Le bossu fais tomber!

Sitót dit, une jambe du pauvre mari tomba dans l'eau et

la princesse se remit à dire :

— O saint Christophe aimé, Le bossti fais tomber!

Et l'autre jambe tomba. E t la princesse de redire encore :

— O saint Christophe aimé, Le bossu fais tomber!

Et un bras tomba. E t elle, de redire encore :

— O saint Christophe aimé, Le bossu fais tomber!

E t l'autre bras tomba. E t elle, de redire encore :

— O saint Christophe aimé, Le bossu fais tomber!

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Et cette fois la tète tomba. Et la princesse de redire encore :

— 0 saint Christophe aimé, Le bossu fais tomber!

Et le ventre tomba. Alors, elle pensa : « Maintenant, le dos va tomber avec la bosse et je serai sans mari. E t elle rèdit encore

une fois :

— O saint Christophe aimé,

Le bossu fais tomber!

Et la poitrine tomba, et tout le reste du corps, sauf le dos qui resta sur elle avec son enorme bosse et la fit laide et répugnante comme un ver. II en fut ainsi malgré ses prières à saint Christophe, car celui-ci ne voulut point Pécouter.

L a princesse était toute honteuse de se voir avec une bosse comme un bahut, et elle ne pensait qu'à ce qu'elle pourrait faire et oü elle pourrait aller. Comme elle était très près des terres de son prince tant aimé, elle pensa aller à son palais et y demander si on voulait la prendre comme servante. Ainsi, au moins, elle serait près de son bien-aimé et pourrait le voir souvent, mais sans se faire connaítre puisqu'elle pensait bien que s'il l'avait reconnue sous cette forme, elle lui aurait fait peur et qu'il l'aurait chassée.

Dès qu'elle fut arrivée au palais de son bien-aimé, elle de­manda si on voulait la louer et on la prit pour balayer, soufrler le feu et retirer les cendres du foyer. Quand elle balayait, elle voyait toujours le prince et, quand elle ne balayait pas, elle était à la cui­sine, oü, entre soufrler le feu et retirer les cendres, elle pouvait encore, par de grandes fenètres qui donnaient sur le jardin, regar­der le prince se promener.

L e prince avait su que le père de la princesse l'avait chassée de sa maison avec son mari, le bossu. Afin de savoir si elle l'ai-

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mait plus que le bossu et si elle était disposée à abandonner ce pauvre pour se remarier avec lui, le prince la fit chercher par tous les coins du monde et ne put la trouver.

Ayant déjà perdu tout espoir de la retrouver et de la revoir jamais, il chercha une autre fiancée et ils décidèrent de faire de grandes noces. Ils convièrent tous les rois, princes, nobles et che-valiers du monde. En cette terre il était d'usage de faire la fète des noces avant le mariage. C'est ainsi que l'on faisait d'abord un grand déjeuner, puis les promis, accompagnés de tous les convives, allaient à l'église se marier.

Pour préparer ce grand déjeuner, il y eut un affairement et un remue-ménage tels qu'on ne les peut imaginer. Petulant plus de quinze jours ce ne furent qu'allées et venues et portez par ici, ramenez par là.

Pour garnir les poulets et la viande à la braise, on voulut faire un grand mortier d'ailloli. Et de chercher qui serait capable de le bien réussir sans qu'il tournàt. Nul n'osait s 'y risquer. Les cuisi-nières, dans la cuisine, ne faisaient qu'en discuter et en débattre mais sans trouver personne qui se décidàt. Elles en parlèrent tant que la princesse les entendit et leur dit :

— Moi je me charge de faire un mortier d'ailloli tel que ja­mais personne au monde n'en a fait de meilleur.

Toutes les cuisinières restèrent interdites et pleines de doute sur la capacité d'une souffle-braise telle que cette bossue à faire quoi que ce soit de bon. Mais une cuisinière fort vieille leur dit :

— Eh quoi! qu'elle soit bossue et souffle-braise i'empèche-t-elle de savoir bien faire un mortier d'ailloli ? Ceux qui sont les plus dégourdis semblent parfois les plus benèts.

L a cuisinière-major répondit qu'elle n'osait charger la bossue de faire l'ailloli sans d'abord en parler au Seigneur prince, mais que, si lui n'y voyait pas d'inconvenient, elle la laisserait faire. Elles allèrent demander au Seigneur prince et celui-ci leur répondit:

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— Que me contez-vous là, avec votre ailloli! L e fasse qui veut!

L a bossue, toute contente, se mit à le préparer et, pendant qu'elle tournait le pilon, elle n'arrètait pas de chanter :

— Mortier, mon petit mortier, Dcfais ma bosse en entier.

Elle chantait et la bosse tombait miette par miette dans le mor­tier. Tourne que toumeras, la bosse se défaisait, et ainsi sans arrét jusqu'à ce qu'elle fút tout entière dans le mortier. Les cuisi-nières, n'ayant pas vu comme elle avait fait l'ailloli, voulurent le goúter avant de le servir et trouvèrent qu'il était très, très bon. E t de lui demander comment elle avait fait. Mais elle ne voulut point le leur dire. L a princesse fut maligne, et avant de donner l'ailloli, pour terminer, elle y cracha trois fois.

A l'heure du déjeuner, l'ailloli fut posé sur la table, et quand ie prince en sentit la bonne odeur, il voulut tout de suite qu'on lui en servit une pleine assiettée. Dès que l'ailloli fut dans l'assiette, ie premier crachat dit tout bas, tout bas, afin que le prince seul l'entendit :

— Súrl si tu savais qui m'a fait Une autre tu épouserais!

Mais le prince n'entendit rien car il était absorbé par la bonne petite odeur. E t le deuxième crachat qu'il y avait dans l'ailloli lui dit encore :

— Súr! si tu savais qui m'a fait Une autre tu épouserais!

Cette fois, le prince entendit fort bien la voix de l'ailloli,

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mais il ne lui sembla pas qu'il put ainsi parler. C'est alors que le troisième crachat parla et dit aussi :

— Súrl si tu savais qui m'a fait Une autre tu épouserais!

Alors le fiancé ne douta plus aucunement que ce fút l'ailloli qui parlat, et il reconnut mème la voix de sa bien-aimée.

Aussitót il appela la cuisinière-major et lui demanda qui avait fait l'ailloli. Celle-ci lui répondit que c'était la souffle-braise bossue qui l'avait fait. Le prince ordonna qu'on la lui presentat à l'ins­tant mème. L a cuisinière-major, fort étonnée, lui répondit que la souffle-braise était sale, déguenillée et dégoútante à voir. Mais le prince reclama énergiquement qu'on la lui presentat tout de suite.

Entre-temps, la princesse, qui s'était doutée de ce qui se passerait, était allée à la chambre de la fiancée et s'était habillée de la robe que celle-ci avait préparée pour se marier. E t quand la cuisinière-major vint vers la cuisine pour la chercher, elle ren­contra en chemin une demoiselle si désinvolte et si jolie, avec sa rcbe d'or et d'argent toute chargée de bijoux, qu'elle ne sut point reconnaítre en elle la souffle-braise bossue. L a princesse lui demanda oü elle allait, et la cuisinière lui fit mille révérences sans savoir qui elle était et lui répondit qu'elle allait à la cuisine cher­cher une souffle-braise bossue qu'il y avait là. L a princesse lui ordonna d'aller avec elle à la grande table du festin.

Quand le prince la vit, imaginez s'il fut heureux! E t aussi­tót il expliqua à tous les convives l'histoire de cette princesse. Comme il l'aimait beaucoup plus que celle qu'il était allé chercher en son absence, il annonça qu'il se marierait avec elle et non avec celle qu'il devait épouser. Parmi les convives, il y avait le père de la

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princesse qui, ne l'ayant pas vue depuis si longtemps, fut très

heureux de la retrouver car sa colère était passée. E t le prince

et la princesse se marièrent et vécurent très contents et heureux.

L'est un fuseau derrière l'huis

Le conte est fini

Amen Jésus-Christ!

Conté en içi8 par Teresa Muntanya i Pujolar de Cabanes, née en 1862 à Mers, région de t'Empordà, dans tes Pyrénées marítimes catalanes.

Elle était vachère et bouchère. Elle connaissait nombre de contes appris dans son enfance au sein de sa famille et qu'elle contait avec grace et beaucoup d'éloquence.

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X X

L A F I L L E D U C H A R B O N N I E R

U N jour que le roi était à la chasse, il s 'égara et finit par arriver près de la cabane d'un charbonnier. Celui-ci était absent et le roi ne trouva que sa fille qui soufflait le feu.

L e dialogue suivant s'établit entre le roi et la mignonne : — Ou est ton père ? — II oblige des gens à sortir de chez eux. — Et ta mère ? — - Elle pleure la joie de l'an dernier. — E t ton frère ? — II est à la chasse. E t le gibier qu'il tuera, il le laissera ;

celui qu'il ne tuera pas, il le ramènera à la maison. — Qu'y a-t-il dans cette besace toute boursouflée qui est là,

par terre ? — 11 v a l.i • causons-bas ». L e roi ne comprit mot de tout ce que la mignonne lui avait

dit. Dès qu'il fut revenu à son palais, il fit comparaitre le char­bonnier. II lui rèdit la conversation qu'il avait eue avec sa fille et lui ordonna de l'éclairer sur le sens de ses paroles.

— Quels gens obligiez-vous à sortir de chez eux ?

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— J'arrachais des souches pour allumer ma charbonnière. Comme je les tirais du sol oü elles etaient plantées, je les sortais de chez elles.

— Comment votre femme pleurait-elle la joie de l'an dernier ? — Elle était allée enterrer une de nos filles, mariée juste

depuis un an. En ce jour, l'année passée, tout n'était que bon-heur, le jour de l'enterrement, tout n'était que pleurs.

— Quel gibier chassait votre fils pour laisser celui qu'il tuait et pouvoir emporter celui qu'il ne tuait pas ?

— II chassait ses poux et laissait ceux qu'il tuait, mais ceux qu'il ne pouvait ni trouver, ni tuer, il les ramenait à la maison.

— E t qui est cette « causons-bas » qui était clans la besace ? — C'était ma fille cadette qui se cachait dans la besace afin

de ne pas ètre vue parce qu'elle était nue. J e suis si pauvre que mes filles cadettes — celle qui soufflait le feu et celle qui se cachait dans la besace — n'ont qu'une robe pour deux. Quand l'une est habillée, l'autre est nue et se glisse dans la besace pour ne pas ètre vue. Comme elles ne savent pas rester sans parler, elles se disent : « Causons bas, qu'on ne nous entende! » C'est ainsi que celle qui se tient dans la besace se trouve nommée la « causons-bas ».

— Votre fille me plait tant que je veux l'épouser! Tenez! Voici un paquet de tissús. Qu'elle commence à se faire ses robes de mariée.

L e roi donna au charbonnier un paquet de défroques en qua­rantè mille morceaux, si petits qu'on ne pouvait rien en faire. L a demoiselle, voyant le present du roi, donna une poignée de sciure à son père et lui dit de la porter au roi pour qu'il com-mençàt à en faire leurs meubles.

Par ce tour ingénieux, elle plut davantage au roi qui lui fit don d'une paire d'ceufs bien battus, lui recommandant de les faire couver et d'en garder les poussins pour amuser les enfants qu'ils

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auraient. L a demoiselle fit porter au roi une poignée de sable et une poignée de farine afin qu'il commençàt de faire pétrir les mas-sepains pour le jour des noces. L e roi, encore une fois, lui fit envoyer quelques coquilles de noix pour en préparer le repàs de noces. E t elle, en retour, lui fit apporter quelques crins de la queue d'un àne pour qu'il s'exerçàt à conduiré les chevaux qui tireraient le carrosse de la noce.

La finesse de la mignonne décida le roi à en faire son épouse. Mais il demanda au père de la faire se présenter au palais, ni vètue, ni déshabillée ; ni à pied, ni à cheval,.et qu'elle ne s 'y rendit ni par le chemin, ni par les champs.

L a fille du charbonnier se couvrit d'un filet et ainsi elle n'é­tait ni vètue, ni non plus déshabillée. Elle monta sur un àne très bas sur pattes et ses pieds touchaient le sol, de sorte qu'elle marchait et chevauchait en mème temps ; elle n'était donc ainsi ni à pied, ni à cheval. En route, elle fit aller l'àne, deux pattes sur le chemin et deux pattes sur le champ de bordure, c'est-à-dire ni sur le chemin ni en dehors de lui.

L e roi vit qu'elle était encore plus dégourdie qu'il ne croyait et l'épousa. Mais il y mit la condition que jamais de sa vie elle ne conseillerait autre que lui. C'est avec de tels conseils qu'il croyait pouvoir devenir un grand roi.

Us vécurent maintes années heureux. Un jour qu'ils etaient en voyage, il arriva qu'à l'auberge

oü ils logeaient, un marchand vint prendre gite qui avait pour monture une ànesse. Pendant la nuit, cette ànesse mit bas un ànon. E t , comme il naquit dans l'écurie oü se trouvait le cheval royal, le roi prétendit que l'ànon était de son cheval et, quoi qu'on püt dire, il voulut le garder.

Le marchand demanda conseil à la reine. Celle-ci lui dit de prendre une canne à pèche et de faire semblant de pècher dans un bassin qui était près de là ; quand le roi le verrait et lui deman-

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derait ce qu'il faisait, il lui répondrait qu'il pèchait des sardines. Lorsque le roi lui dirait que cela était impossible, il lui répondrait :

— II est aussi facile de pècher ici la sardine qu'à un cheval de faire un ànon.

L e marchand fit ainsi. L e roi comprit à l'instant mème qu'il avait été conseillé par

son épouse et, ainsi qu'il l'en avait menacé le jour de leur mariage, il la chassa de chez lui.

Elle lui demanda de lui laisser emporter ce qu'elle aimait le plus. Le roi y consentit. L a reine fit préparer un grand diner et elle jeta un somnifère dans l'assiette du roi. Celui-ci s'endormit comme une souche. Pendant qu'il dormait, la reine le fit mettre dans son carrosse et elle emmena Ie roi en partant vers la mai­son de ses parents.

Comme le roi dormait à poings fermés et qu'il n'y avait pas de lit dans la maison du charbonnier, on le deposa sur une pile de sacs de charbon qui touchait presque le plafond. Les toiles d'arai-gnées, qui pendaient, chatouillèrent la figure du roi et le réveil-

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auraient. L a demoiselle fit porter au roi une poignée de sable et une poignée de farine afin qu'il commençàt de faire pétrir les mas-sepains pour le jour des noces. L e roi, encore une fois, lui fit envoyer quelques coquilles de noix pour en préparer le repàs de noces. E t elle, en retour, lui fit apporter quelques crins de la queue d'un àne pour qu'il s'exerçàt à conduiré les chevaux qui tireraient le carrosse de la noce.

L a finesse de la mignonne décida le roi à en faire son épouse. Mais il demanda au père de la faire se présenter au palais, ni vètue, ni déshabillée; ni à pied, ni à cheval,. et qu'elle ne s'y rendit ni par le chemin, ni par les champs.

L a fille du charbonnier se cotivrit d'un filet et ainsi elle n'é­tait ni vètue, ni non plus déshabillée. Elle monta sur un àne très bas sur pattes et ses pieds touchaient le sol, de sorte qu'elle marchait et chevauchait en mème temps ; elle n'était donc ainsi ni à pied, ni à cheval. En route, elle fit aller l'àne, deux pattes sur le chemin et deux pattes sur le champ de bordure, c'est-à-dire ni sur le chemin ni en dehors de lui.

L e roi vit qu'elle était encore plus dégourdie qu'il ne croyait et l'épousa. Mais il y mit la condition que jamais de sa vie elle ne conseillerait autre que lui. C'est avec de tels conseils qu'il croyait pouvoir devenir un grand roi.

Ils vécurent maintes années heureux. Un jour qu'ils etaient en voyage, il arriva qu'à l'auberge

ou ils logeaient, un marchand vint prendre gíte qui avait pour monture une ànesse. Pendant la nuit, cette ànesse mit bas un ànon. E t , comme il naquit dans l'écurie oü se trouvait le cheval royal, le roi prétendit que l'ànon était de son cheval et, quoi qu'on püt dire, il voulut le garder.

L e marchand demanda conseil à la reine. Celle-ci lui dit de prendre une canne à péche et de faire semblant de pècher dans un bassin qui était près de là ; quand le roi le verrait et lui deman-

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clerait ce qu'il faisait, il lui répondrait qu'il péchait des sardines. Lorsque le roi lui dirait que cela était impossible, il lui répondrait :

— II est aussi facile de pècher ici la sardine qu'à un cheval de faire un ànon.

L e marchand fit ainsi. L e roi comprit à l'instant mème qu'il avait été conseillé par

son épouse et, ainsi qu'il l'en avait menacé le jour de leur mariage, il la chassa de chez lui.

Elle lui demanda de lui laisser emporter ce qu'elle aimait le plus. Le roi y consentit. L a reine fit préparer un grand diner et elle jeta un somnifère dans l'assiette du roi. Celui-ci s'endormit comme une souche. Pendant qu'il dormait, la reine le fit mettre cians son carrosse et elle emmena le roi en partant vers la mai­son de ses parents.

Comme le roi dormait à poings fermés et qu'il n 'y avait pas de lit dans la maison du charbonnier, on le deposa sur une pile de sacs de charbon qui touchait presque le plafond. Les toiles d'arai-gnées, qui pendaient, chatouillèrent la figure du roi et le réveil-

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lèrent. Ne sachant oü il était, il appela au secours. Son épouse

lui dit qu'obéissant à sa permission, elle avait quitté le palais en

emportant ce qu'elle aimait le plus, c'est-à-dire le roi.

Celui-ci lui pardonna tout et, de nouveau, ils vécurent heu­

reux. Et s'ils ne sont pas morts, il est certain qu'ils sont encore

en vie.

Tiens! Tiensl Voilà! Voilà!

Par ici, passe un chat.

Le conte finit là.

Conté à Barcelone en 1Ç22 par la Fille Rouge (Xica Roja), hlanchisseuse et couturière illettrée, née à Barcelone en 1840.

Cette conteuse refusa de nous donner son nom — cas très freqüent parmi les gens ignorants qui craignent d'étre víctimes de maléjices si on se sert de leur nom. Le qualificatif de Xica Roja (Fille Rouge, littéralement; peut-ètre dans le sens de ron-quine) est un surnom. De son nom de haptème, elle s'appelait Eulàlia.

C'était une illettrée, profondément superstitieuse. Elle con-naissait une copieuse littérature orale de tout. genre, et savait un grand nombre de contes.

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X X I

L E S A V E T I E R Q U I D E V A I T

U N P A U V R E P E T I T D E N I E R

V O I C I qu'il était une fois un savetier très, très pauvre qui ne savait comment se procurer à manger et se voyait obligé <le demander de l'argent à tout le monde. Comme il ne

pouvait jamais le rendre, il en devait beaucoup et à maintes per-sonnes. Les gens, le voyant si pauvre, jamais n'osaient lui récla-mer leur dú sauf un autre savetier, franc coquin qui, pour un triste petit denier, mortifiait le pauvre homme chaque fois qu'il le rencontrait, le traitant d'escroc et de mauvais homme. Cela était à un tel point que le savetier, désespéré, ne savait que faire pour se débarrasser de son insupportable confrère qui ne cessait de le poursuivre en lui reclamant le petit denier qui restait dü.

E t voici qu'une idée vint au très affligé pauvre savetier. II décida de faire semblant d'ètre mort, pensant que, lorsque les gens l'imagineraient défunt, ils lui remettraient ses dettes ; que son confrère dirait : « Que Dieu lui pardonne », et lui ferait aussi remise du denier qu'il lui avait prèté de son vivant. Quand il serait pardonne, le pauvre savetier ferait semblant de ressusciter,

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et ainsi il parviendrait à se débarrasser de sa dette d'un petit denier.

Aussitót dit, aussitót fait. II joua le mort et, par tout la ville courut la nouvelle que le pauvre savetier n'était plus. Tout le monde eut des mots de compassion pour lui et tous lui firent remise de ses dettes. Tous, moins l'autre savetier, son confrère, qui se mit à le maudire et le maudire encore, disant que son audace était grande d'aller jusqu'à mourir sans lui payer sa dette.

Au temps oú ceci se passait, il était d'usage de ne pas gar-<!er les morts dans la maison oü ils avaient trépassé. On les por-tait à l'église de leur paroisse, et c'étaient les compagnons de leur métier ou Corporation qui, chacun à leur tour, se chargeaient de les veiller eux-mèmes.

L e pauvre savetier fut conduit à l'église oü tout le monde passa Ie voir, raide mort, dans son cercueil, comme s'il l'eüt été pour de bon.

E t voici que ce fut au tour de cet autre savetier qui lui avait prété le pauvre petit denier d'aller le veiller. Celui-ci, au lieu de prier pour son confrère, de lui adresser des paroles de pitié et d'affection, passa tout son temps à le honnir et à le traiter de íripon et de voleur. E t le pauvre savetier, tout en faisant le mort, pensait : « II ne m'aura servi à rien de jouer les défunts. »

* * *

Mais voici que vers la minuit se fit entendre dans l'église un étrange bruit d'approche de gens. L e savetier veilleur courut se cacher dans la chaire, mais l'autre, quoiqu'il eüt grand peur, ne put point s'en aller puisqu'il faisait le mort.

C'était une troupe de voleurs armés de mousquets et de trom-blons qui venaient d'entrer pour faire le partage de trois grandes couvertures remplies de monnaie d'or qu'ils avaient volée. I'as-

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sant devant l'église, ils avaient vu de la lumière et la porte ouverte, et furent d'avis qu'ils seraient bien là pour faire les parts. C'est clans cette intention qu'ils etaient entrés.

Les voleurs étendirent les trois couvertures par terre et firent trois grandes piles d'or. II y en avait tant qu'une charrette n'au-rait peut-étre pas sufn à tout porter. L e capitaine fit asseoir tous les voleurs autour des couvertures, puis il dit à chacun :

— Tiens, toi! Tiens, toi! Tiens, toi! II fit les parts des onces et des doublons, mais voici qu'une

once restait hors partage et chacun croyait l'avoir bien méritée. Tous la voulurent, et ils se mirent à crier et à se disputer, cha­cun exigeant que le capitaine la lui donnàt. Celui-ci leur dit enfin, très fàché de voir que pour une once les meilleurs voleurs de sa bande allaient s'entretuer :

— Assez! C'est moi qui commande ici! Mettez-vous tous autour de ce mort! Sortez vos poignards! Pointez-les sur lui! E t quand je dirai : « V a ! », plantez tous vos poignards dans le corps du mort, qui, n'étant plus, ne sentirà rien. J e ferai don de cette once à celui qui aura le plus profondément enfoncé son poignard.

Cet ordre fut accepté par tous les voleurs. Ils se levèrent et se placèrent autour du pauvre savetier, poignards tournés vers lui, attendant le moment de frapper. E t le pauvre savetier pensa :

— Maintenant, ceux-ci vont me tuer pour de bon. E t au moment oü le capitaine allait dire « V a ! », le pauvre

savetier, contrefaisant une étrange petite voix, comme si c'eüt été celle d'une àme de l'autre monde, cria :

— Debout, tous les morts! Puis aussitót, contrefaisant une grosse voix de géant, ii

ajouta : — Nous nous levons à l'instant mème, tous ensemble. E t il se dressa et s'assit sur son cercueil. Imaginez la panique de tous ces voleurs lorsqu'ils virent le

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mort se dresser! Terrifiés, ils prirent tous la fuite, car ils pensafent voir tous les morts de l'église surgir de leurs tombes. E t l'or resta là, abandonné.

Alors le pauvre savetier sortit tout à fait de son cercueil et s'empara de cet éblouissant tresor. L'autre savetier qui s'était caché, descendit de la chaire et dit que lui aussi avait part au tresor et qu'ils devaient le partager ensemble. Mais le pauvre savetier ne voulut rien entendre et répondit que tout était à lui.

* *

Voici que lorsque les voleurs furent loin, très loin, il leur vint à l'esprit de se dire l'un à l'autre que l'on ne savait pas que jamais les morts fussent ressuscités, et, quoique cela eút semblé bien vrai, il ne pouvait se concevoir qu'un mort se dressàt hors de son cercueil ; que cette voix entendue n'avait súrement été qu'une hallucination. Alors le capitaine décida d'envoyer à l'église ie plus courageux de ses hommes, voir ce qui s'était passé et apprendre comment tout avait fini.

Mais voici que parmi ces voleurs oü, d'habitude, chacun se considérait comme le plus brave de la bande, aucun ne s'estimait le plus courageux en ce moment qu'il fallait aller affronter les morts. Chaque voleur disait à l'autre d'y aller. Le capitaine hnit par y envoyer celui qui lui sembla bon.

Plus mort que vif, le voleur s'approcha de la porte de l 'é­glise. Du dehors, il écouta, et il entendit le pauvre savetier qui disait au confrère qui l'avait veillé, tout en lui rendant le petit denier qui lui était dü :

— Tiens! Voici le petit denier qui te revient. Et silence! Ne

me réclame rien de plus.

Quand le voleur entendit ces paroles, il crut que c'étaient

1 6 *

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les morts qui parlaient et, jambes au cou, il se mit à courir pour rejoindre les autres. II leur dit :

— Oui! Les morts sont sortis. Oui! E t maintenant ils se partagent l'argent que nous avons laissé. E t jugez s'il doit y en avoir des centaines et des milliers de mille, car malgré le grand nombre d'onces et de pistoles, il ne leur revient qu'un denier à chacun.

Dès qu'ils entendirent ceci, les autres voleurs prirent la fuite et courent encore.

E t le petit savetier, de ce fait, devint très riche. L'autre, pour sa coquinerie et son avarice, dut se contenter

du petit denier que son confrère lui devait, et qui lui fut rem-boursé d sonnant et trébuchant ».

Et pour súr, s'ils ne sont pas morts, c'est qu'ils vivent encore.

Conté par Teresa Celats, notre mère, conteuse de L'Attise­braise et du Géant aux trois tetes.

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X X I I

L E C H A T E T L E B É L I E R

A L A M A I S O N D E S L O U P S

LE chat et le bélier etaient en route vers Rome oü ils allaient faire la connaissance du Saint-Père. Tout en cheminant ils trouvèrent une tète de loup et le chat dit au bélier :

— Ramassons-la! Qui sait si elle ne pourra pas nous rendre service ? E t le bélier la mit dans sa besace.

Vers le soir, une grande tempète survint qui obligea les pèle-rins à chercher un abri.

Là-bas, au loin, ils virent une petite lueur et ils se dirigèrent dans sa direction pour y demander gite. On le leur accorda, mais, quand ils furent entrés dans l'auberge, ils s'aperçurent qu'ils s 'é-taient précisément jetés dans la maison des loups.

Lorsque le père Loup les vit, il ne fut qu'allègre affabilité, songeant au bon diner en perspective pour lui et ses trentè fils.

Les deux voyageurs etaient trempés par la pluie. L e père Loup les invita à se chauffer au feu et les fit asseoir près de l'àtre autour duquel il rassembla ses trentè louveteaux, grinçant des dents de joie, rèvant au bon diner qui les attendait.

Pendant qu'ils se chauffaient, le chat dit au bélier : — Peut-ètre serait-il bon que nous mangions un peu. Ou'en

pensez-vous ? Si nous mangions la tète d'un de ces loups que nous avons tués et que nous avons dans la besace. Apportez-en une, ami bélier!

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L e bélier comprit l'intention du chat et il sortit la tète de loup de la besace. Le chat la regarda un peu, et puis encore un peu, et dit à son compagnon :

— A mon avis, elle me semble trop petite pour un diner à deux; apportez-en une autre!

L e bélier mit la tète dans la besace, fit comme qui cherche un peu, et il en sortit une autre — la mème, bien sür, puisqu'il n'y en avait qu'une — mais le chat la trouva aussi petite que la première, il en demanda une autre. E t ils recommencèrent la mème comédie neuf fois jusqu'à ce qu'enfin le chat affectàt de trouver la neuvième à son goüt.

Ils la mangèrent. Les loups, qui crurent pour de bon que le chat et le bélier

avaient tué neuf des leurs, s'étaient aplatis de peur et, la queue

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entre les pattes, ils allèrent se coucher plus morts que vifs. L e chat et le bélier cherchèrent ensuite un lit pour se cou­

cher. L e chat dit au bélier : — Toi , tu coucheras dans la caisse à cendres qui est en haut

de l'escalier, et moi, sur la dalle de l'àtre. A minuit le bélier appela le chat et lui dit : — J ' a i envie de pisser et je ne sais comment faire. L e chat lui conseilla de se mettre la panse en l'air et de se

soulager en cette position, ajoutant que la laine de son ventre absorberait la marée. Mais voici que tout en se tournant et retour-nant pour faire ce que le chat lui avait dit, le bélier tomba en bas de l'escalier, et il fit un tel tintamarre que les loups crurent qu'une armée de chats et de béliers venaient les tuer. Jambes au cou, ils s'enfuirent tous.

239

Page 227: Contes Catalans

Le chat et le bélier, voyant les loups fuir de peur, s'esclaf-fèrent et restèrent maítre de la maison.

Quand il fit jour, le père Loup envoya un de ses fils tenter de voir ce qui s'était passé chez lui. L e louveteau, tout apetiré, regarda par la fenètre et vit le chat qui faisait sa toilette avec sa patte.

Alors, fort effrayé, il courut trouver son père et lui dit que, dès que Ie chat l'avait aperçu, il l'avait menacé avec sa patte en lui criant :

— Approche, approche, si tu es courageux!

* *

Depuis ce temps les loups n'ont plus jamais eu de maison et ils ont dü errer, toujours seuls par les forèts. Mais le chat et le bélier au contraire vivent toujours dans une maison.

* tL C,AT I CL MARkÀ A LA CASA DtL LLOPS *

Conté en içiS par Maria Turet de Giralt, née à Ger, dans la Cerdagne, vers 1850, nattière de son métier.

Elle connaissait un très grand nombre de contes qu'elle a d'abord contés à ses nombreux enfants, ensuite ii ses petits-enfants. Nous l'avons écóutée maintes fois alors qu'elle était calourée de sa descendance.

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X X I I I

L A C O M M È R E R E N A R D E ,

L ' O U R S E T L E F O R G E R O N

V oici qu'une fois, rodant par la forèt, l'ours et la renarde se rencontrèrent et eurent une conversation. L a renarde dit :

— J ' a i une faim qui me hérisse. II y a déjà trois jours que je n'ai rien mangé.

— Moi de mème. — S' i l te semble bon, nous pouvons aller de compagnie, et

peut-ètre qu'ainsi, à deux, nous trouverons plus facilement une quelconque chose qui puisse apaiser notre faim.

— Pour moi, c'est dit! — Donc, pour moi aussi. Mais dis-moi, aimes-tu bien le

fromage ? — J e ne sais. J e n'en ai jamais mangé parce qu'il me sem-

blait que ce n'était pas une nourriture d'ours. — T u ne sais pas, benèt, comme c'est bon! Si tu y avais

goüté, tu ne parlerais pas ainsi. Sache qu'au ciel, on ne mange rien d'autre que du fromage. Vois-tu la basse-cour qui est là-bas ? C'est là que les bergers font le fromage. Moi, j ' irais bien, mais comme je suis une femme, si petite et si chétive, tous se moquent

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Page 229: Contes Catalans

de moi. Vas-y, toi qui est grand et inspires le respect, et prends le plus gros fromage que tu trouveras. T u verras quel festin nous ferons.

L 'ours alia à la basse-cour, vola le plus gros fromage, le porta à la renarde et lui dit :

— Eh bien! tu me diràs comme on mange cette si bonne chose.

— Tu verras, tu t'en lècheras les moustaches! Mais, à mon avis, il ne me semble pas avisé de le manger tout de suite, car, par la grande misère qui court maintenant, nous risquons pour prix de notre bon diner, de nous en aller au lit sans souper. J e crois préférable de ganler le fromage pour le souper et d'aller entre temps faire un tour, voir si nous trouvons quelque chose de plus pour nous faire un meilleur festin. Si nous ne trouvons rien, notre appétit s 'avivera et ainsi, le soir, nous ne mangerons qu ' avec plus de plaisir le si bon diner qui nous attend.

L e brave ours tomba de plein pied dans le piège. A u lieu de diner, il s'en alia en promenade. Au bout de quelques pas, i! s'aperçut qu'il avait perdu la renarde pressée de rejoindre sa renardière pour y manger le fromage toute seule.

A l'heure du souper, l'ours revint à la renardière et dit à sa compagne :

— Que t'est-il arrivé ? J e t'ai cherchée partout, et nulle part je n'ai pu te trouver!

— A h ! Ne m'en parle pas! J e suis tombée en défaillance. J e me suis évanouie et j ' a i perdu les esprits. A moitié étourdie, comme j ' a i pu, je suis revenue à la maison et me trouve encore bien malade.

— Eh bien! Mieux vaudra, si c'est ainsi, que tu ne manges rien. Quant à moi qui ai une faim de mille diables, je vais pouvoir manger tout le fromage.

— Hélas non! Car de peur de mourir en telle défaillance,

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Page 230: Contes Catalans

et pensant que le fromage pourrait me ranimer, je l'ai mangé tout entier.

— Que dis-tu ? Oh! farceuse! traitresse! menteuse! déver-gondée!

E t paf! l'ours envoya une si majestueuse claque sur la joue de la renarde qu'il lui cassa toutes les dents. L a renarde qui n'avait point l'habitude d'en recevoir de pareilles, fut bien sur-prise d'un tel present, et dès qu'elle fut revenue à elle, s'exclama :

— Bourreau! parjure! méchante bète! ètre sans foi! Est-ce ainsi que tu entends la vie en compagnie ? Alors que le besoin m'a porté à faire usage du diner, tu réagis de la sorte! V a donc, làche! N'as-tu pas honte de battre une pauvre petite femme, menue et chétive comme moi, toi, gras comme un bceuf, gros comme une montagne! T u n'aurais pas osé frapper le visage de l 'Homme, non!

Traité de làche, l'ours se sentit blessé dans son amour-propre. II s'écria :

— Grande hypocrite! Qui oses-tu traiter de làche ? J e t'ai giflée, toi, et j ' e n ferais autant sept fois sur le visage de l 'Homme. Dis-moi oü il est, dis-le moi et tu verras qui je suis.

— Cherche-le et tu le trouveras.

L 'ours sortit de la tanière de la renarde, très content de pou­voir aller soulager sa rage sur le visage du premier homme qu'il rencontrerait. E t cheminant, chemine que chemineras à travers la forèt, il rencontra un petit tailleur. II se dressa face à lui et dit :

— Arrète-toi! Es-tu le visage de l 'Homme ?

— Ah non! Monsieur l'Ours! J e ne suis qu'un pauvre tout petit tailleur qui va par le monde de ferme en ferme, cousant des culottes et des caleçons, petits, grands et moyens pour me nour­rir ainsi que mes pauvrets, sept maigres garçonnets.

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Page 231: Contes Catalans

— Bien! Si lu n'es pas le visage de l 'Homme, va-t'en au diable!

E t le malingre tailleur, épouvanté, plus mort que vif, s'en-fuit en courant. L 'ours poursuivit son chemin, chemine que che­mineras, à travers la forèt. II rencontra un pauvre savetier, ravau-deur d'espadrilles à qui il s'adressa, lui disant :

— Arrète-toi! Es-tu le visage de l 'Homme? — Ah non! Monsieur l'Ours! J e suis un pauvre savetier

qui va par le monde, de ferme en ferme, vendant des chaussures, grandes, moyennes et petites pour me nourrir ainsi que mes sept fillettes, pauvrettes, pauvrettes.

— Bien! Si tu n'es pas le visage de l 'Homme, va-t'en au diable!

L e savetier se mit à courir et s'en fut comme emporte par le diable, plus mort que vif. L 'ours , de plus en plus en colère de voir qu'il ne pouvait trouver le visage de l 'Homme afin de se soulager contre lui, poursuivit son chemin, chemine que chemi­neras. II marcha à travers la forèt jusqu'à rencontrer un forge-ron, gros, grand, farouche, barbu et plus poilu que l'ours lui-mème. Dès qu'il vit l'ours s'arrèter, il pensa : « Que peut me vouloir cet imbécile ? » L'ours se planta devant lui et demanda :

— Arrète! Es-tu le visage de l 'Homme ? — Moi-mème! Que me veux-tu ? — Nous devons nous battre. — Bien, compagnon! Tout de suite! Mais peut-ètre ne sais-

tu pas que nous autres, avant de nous battre, nous nous crachons dans les mains afin de frapper plus fort. Comme maintenant je n'ai point de salive, laisse-moi aller jusque chez moi boire un bon coup et cracher dans mes mains. Ensuite je reviendrai et nous nous battrons.

— Vas-y! Mais ne t'attarde pas trop. — Rassure-toi, je ne me ferai pas attendre.

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Page 232: Contes Catalans

L e forgeron s'en alia chez lui, alluma le foyer de sa forge, y plaça ses tenailles et quand elles furent bien rouges, il prit aussi sa masse et revint à la forèt à la rencontre de l'ours qui déjà, plein d'impatience, l'attendait en se promenant de long en large et les mains derrière le dos. L e forgeron, dès qu'il le vit, se planta

devant lui et avec ses tenailles rouges, lui pinça le nez. Puis, pen­dant qu'il le tenait bien serré et sans qu'il put bouger, il prit sa masse et lui en asséna quelques coups sur la tète au point de la lui enfoncer presque jusqu'aux cotes. Quand le cceur lui com-manda de s'arrèter, il laissa partir l'animal, mais, avec une esco-pette, il lui envoya une décharge de plombs au derrière qui le laissa presque sans queue.

245 '7

Page 233: Contes Catalans

Comme il le put, l'ours rentra chez lui. Lorsque sa femme Ie vit, ainsi fait comme sainte Misère, elle lui demanda ce qui lui était arrivé et l'ours lui expliqua :

— Oh! tais-toi, ma bonne femme! Tais-toi! On m'a dit que j 'étais un làche si je ne me battais pas avec le visage de l 'Homme. mais le deux-fois-maudit a plus dc force que je n'aurais jamais pu croire. II m'a mis les doigts dans le nez de telle sorte qu'il me l'a roti; il m'a serré si fort que je ne pouvais remuer la tète; ensuite il m'a donné de tels coups de poings que je croyais qu'il me frappait avec un rocher gros comme une montagne. Comme j ' a i pu, je me suis enfui, mais pendant que je m'échappais il m'a craché au derrière et avec cela il m'a laissé à moitié sans queue.

Coiilt1 par notre père Blai Amades i Barrobés, né en I#(>I ii Bot, Jans la Terra Alta, sermrier de sou métier. Dès son plus jeune àgé, il vécut ti Barcelone oh il se forma spirititellemenl. II avait appris les rares contes qu'il coiilait. de sa mère Baltesara Bar­robés i IJopis. née aussi it Bot, et qui était un puits de con-naissances traditionnettes de tout ordre — bien qu'illettrée — grande iiarratrice ii l'éloquence aisèe; bonne cuisinière et femme qui connaissait beaucoup de méàecine populaire.

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X X I V

L A C O M M È R E R E N A R D E ,

L E L I O N , L A L I O N N E ,

L E B C E U F E T L E C H E V A L

V O I C I qu'il était une fois un lion qui voulait planter là sa

lionne et tous deux eurent de grandes disputes. E t la lionne disait au lion :

— Si tu veux me quitter, c'est pour t'en aller avec une autre. Voyons! dis-moi pourquoi tu veux m'abandonner.

— Parce que tu sens mauvais. — Non! Ce n'est pas vrai! Menteur, triple menteur! T u

Page 235: Contes Catalans

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te cherches une exeuse.

Après s'ètre chanté pouilies, ils décidèrent de faire appel à un conseil de trois betes qui au-raient à se prononcer sur celui des deux qui avait raison et à déclarer s'il était vrai que la lionne sentait mauvais.

L e premier de tous les Linimaux qui eut à donner son avis, ce fut le b(euf. II s'approcha bien près, tout près, de la lionne. la flaira soigneusement partout. puis declara :

— J e suis d'avis qu'elle sent mauvais.

La lionne bondit, en

colère, et dit au bceuf :

— Ç a ! Qu'oses-tu pretendre, méchante lan-gue! Efíronté! inaudit, deux fois maudit! T u ne crains pas de contredire ta reine ? Tiens, voilà ton salaire!

E t elle lui envoya à la volée une telle gifle et un tel coup de griffe

Page 236: Contes Catalans

que le bceuf en tomba sur le sol, mort.

Alors ce fut le tour du cheval qui s'approcha bien près, tout près de la lionne, la flaira soi­gneusement de toutes parts, puis declara :

— Non, elle ne sent pas mauvais. C'est mon avis.

L e lion entendant de tels propos lit un bond rageur, se dressa devant le cheval et lui dit :

- • Que prétends-tu, efironté! méchante lan-

gtie ! inaudit deux fois

maudit! C'est ainsi que tu oses démentir ton roi ? Eh bien! tiens. voici ton salaire!

Et il lui envoya un tel coup de patte, à plei-nes griftes, que le che­val en tomba roide mort.

Alors ce fut le tour de­ia renarde qui s'approcha bien près. tout près de la lionne, la flaira bien et la Haira encore par ci, par

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Page 237: Contes Catalans

là, plusieurs et maintes fois, puis davantage encore et ilit après l'avoir ainsi bien sentie :

— Moi, pauvrette que je suis, je ne puis dire ni oui, ni non, car je ne sens rien tant je suis enrhumée.

L'est un fuseau derrière l'huis, Lorsque l'on file, Danse et sautille Le conte est fini A meu Jésus-Christ.

Conté par notre père, Blai Amades i Barrobés.

Page 238: Contes Catalans

X X V

R O N D A L L E S D E M A I A C A B A R

( H I S T O I R E S Q U I N E F I N I S S E N T P A S )

I

V O L S que et conti una rondalla ? Una vegada era un gat Que tenia la cua al cap

I els peus de cansalada. Vols que te l'expliqui Una altra vegada ? Una vegada era un gat...

VEUX-TU bien une chanson ? L'était un jour un chaton Qu'avait la queue au menton

Ses pattes etaient lardons. E t si tu veux, revenons De nouveau à la chanson. L'était un jour un chaton, etc.

Dit par Agnès Coll i Massip, eonteuse de « l.a Margaridette ».

Page 239: Contes Catalans

I I

U NA vegada era un sargento, Ara aquí comença el cuento, Que primer havia estat cabo,

El cuento ja casi l'acabo I abans havia estat soldat, I vet aquí el conte acabat; I dc soldat passà a sargento, Ara aquí comença el cuento...

Recollida a Esparreguera, en la regió del Montserrat, de boca de Jaume Riera, teixidor i ferrovellaire, nat el 1884, transcrita l'any 1916.

I I I

U NA vegada n'iiavia una vella farringuella, Xiribclla, quinquiribadella, boncaraijarabotella, Que escombrava la porta, jarringallorta,

Xiribellorta, quinquiribadellorta, boncaraijarabotorta. I va passar un frare de Poblet, farringallet, etc. Carregat amb una llebrassa, farringallassa, etc. I va dir a la vella farringuella, etc. — Escolteu bona dona farringallona, etc. Em guadaricu aquesta llebrassa farringallassa, etc. La posaré dins de fo caixa tirada, farringallda, etc. 1 a la caixa hi liavia un forat jarringallat, etc. I la llebrassa es va escapar, farrinoallar, etc. Va tornar el frare de Poblet, farringallet, etc. 1 va dir a la vella farringuella, etc. — Escolteu bona dona farringallona, etc. Torneu-me la llebrassa, farringallassa, etc. — Ai mireu, se m'ha escapat, farringallat, etc.

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Page 240: Contes Catalans

II

L ETAIT alors un sergent Là commence mon histoire D'abord l'était caporal

Bientòt finit mon histoire Avant il était soldat Et là finit mon histoire De soldat devint sergent L à commence mon histoire, etc.

Dit en lyi'i par Jaume Riera, de Esparraguera dans la région de Monserrat. C'était un tisserand et cheminoi né en 1884.,

III

T ' É T A I T un jour une vieille JLrf Vieillarouilledandivieille ( 1 )

Yieilletantplusgrinci vieille Coricocobéelavieille Bonnatrognalabotiteille Balayait devant sa porte Portarouilledandiporte Portetantplusgrinciporte Clopiclopalacloporte Bonnatrognatorteporte Passa moine de Poblet Poblarouilledandiblet, etc. Chargé d'une grosse hase Hasarouilledandinhase, etc. II demanda à la vieille, etc. Écoutez ma bonne femme, etc. Garderiez-vous pas ma hase ? etc. L'étendrai dans cette caisse, etc. Mais la caisse avait un trou. etc. Grosse hase s'échappa, etc.

( 1 ) La traduction de cette formulette était impossible par definit ion mèm-, puisque son essence consiste en un jeu complexe d'association de siçrni-lïcations et de sonorités spccifiques. Notre adaptation n'est donc qu'une recherche d'un equivalent français de ce jeu subtil.

Page 241: Contes Catalans

El frare se'n va anar cap a Poblet, farringallet, etc. A explicar al pare abad, farringallat, etc. Que havia deixat la llebrassa, farringallassa, etc. A tina vella farringuella, etc. I que se li havia escapat, farringallat, etc. Desseguida van sortir tres frarassos farringallassos, etc. Tots armats amb tres garrols, farringallots, etc. I van garrotejar la pobre vella farringuella, etc. Que escombrava la porta farringallorta, etc.

Analada l'any 1950 de boca de Maria Rius, nada a Reus a la regió del Camp de Tarragona, vers l'any 1890. Era cosidora i apedaçadora i com­pletament analfabeta.

Page 242: Contes Catalans

Revint moine de Poblet, etc. Oui demanda à la vieille, etc. Écoutez-moi bonne femme, etc. Rendez-moi ma grosse hase, etc. Ah voyez! s'est echappée, etc. Moine revint à Poblet, etc. E.xpliquer au Père Abbé, etc. Qu'il avait laissé sa hase, etc. A u x mains d'une vieille femme, etc. Qui avait perdu la bète, etc. Sitót vinrent trois gros moines, etc. Armés de trois gros gourdins, etc. Ils bàtonnèrent la vieille, etc. Balayant devant sa porte, etc.

(recommencement).

Nolé en 10Q. Dit por Maria Rius. couturière illettrée, née vers l8ço à Rens, province de Tarragone.

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R E M A R Q U E S S U R LES CONTES DE CE R E C U E I L

par W a l t c r Anderson et Joan Amades ( i)

I. La M a r i a - R o s e t a .

Ce joli conte manque dans le répertoire Aarne-Thompson. L'un de ses motifs provient du tvpe 408 (/.es trois oranges) : c'est l'aiguille transformant la jeune femme en colombe. La « pierre de patience », appelée ici la pedra de trencaeors (pierre tranche-cosur ou brise-cceur), est un épisode final qui se retrouve dans plusieurs contes types. C'est un motif que l'on trouve aussi dans Basile (Pentamerone, II, 8).

Xous possé<Ions dé ce conte une seconde version qui ne se dilïcrcncie de celle de ce rccueil que par de subtils détails. Dans les deux versions, le roi utilisc le méme procédé pour choisir et prendre femme, procédé très curieux et original, qui ne nous est connu par aucun autre document du folklore catalan.

Dans l'autre version recueillic (celle de Josepa Moix), la dame qui saute par-dessus le lit royal exposé au milieu de la place n'est pas une veuve. mais une jeune fille, et. le jour de l'cprcuve. il soufjle un vent si furt qu'il

li) M. Waltcr Anderson s'est chargé du classemcnt des contes, M. Joan Amades de l'ctudv des versions catalanes.

L'abréviation T. suivi d'un numero indique le classement du Type ou Conte lype. dans Aarnc-Tliompson (Bíbl., n" 51).

On trouvera dans le premier volume des Contes merveilleux des Provinces de France, Hivernals et Morvan (A. Millien et P. Delarue), éd. annotée, à \.\ suite de Généralités, résumanl ce que doit savoir « l'honnéte homme » de notre temps sur le conte populaire (pp. 240-257), une biMiographic critiqui- signalant les ouvrages fondamentaus pour son étude (pp. 258-260).

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emporte Ie toit des maisonS. Dans l'effort qu'elle fait par un vent si violent, cile atlrapc un rhume si gros qu'elle est coutrainle de courir chez elle ei dc se mettre au lit. Elle ne peut s'en lever que neuf mois plus lard alors qu'elle est guàrie du mal d'enfant par la nuissance d'une petite fille, au visage de reine plus éclatant que la lune dc minuit et que le soleil de midi.

Dans cette version, le principc génerateur est devenu le vent. Cette crovance au pouvoir fécondatcur du vent se rencontre aussi dans d'autres contes et documents de culturc traditionnelle. I I y a juste un siècle, les femmes de Barcelone eroyaient encore dangereux d'aller :'i deux heures de l'après-midi par certaincs rucs dc la ville oü soufflait une douce et agréable brise. D'après une chanson localc, à Maçanet de Cabrenys dans les Pyrénées marítimes catalanes, il y eut une fois un coup de vent qui laissa toutes les femmes en état dc grossesse, excepte deux qui, à ce moment-là, se trouvaient hors du village.

La fécondation par l'absorption d'un fragment vegetal est propre à notre conte : c'est le seul cas dc son espècc rencontre parmi les nombreux procédés merveilleux de génération que nous avons enregistrés.

Dans la version inédite, la fille du vent a une voix d'cuchanlercsse : elle est si mélodieuse que tous ceux qui l'eutendcnl en resten! ébahis. Un jour, le roi passe devant chez elle. l'enteud chanler, et en est si émerveillé qu'il lui promet un present pour l'entendre encore. La jeune fille. conseillée par sa mère, refuse tous Ics presents jusqu'à ce que le roi, irrití, lui jetlc les uiguilles à la tète.

Voici les presents que la petite colombe demande au roi quand celui-ci part en voyagc : des plumes de l'oiseau du oui et du non, des feuilles de l'arbre du non-plus et du aussi, et de la poussière de la pierre du peut-ètre cl du qui sait. Le monarque ne trouve rien de tout cela en aucune parlie du monde el il est obligé de recourir au Grand sorcier qui lui fait payer les plumes sept pleines hourses d'or, au Prince des sorciers qui lui demande pour les feuilles sept fois sept pleines bourses d'or, el au Roi des sorciers qui exige pour la poussière sept fois sept bourses ci·inhles d'onces d'or.

Le roi, triste et chagrin de ne pas retrouver la demoiselle qui a sauté par-dessus le lit. refuse de sortir dc l'église et ne cesse ne demander au ciel de la lui faire découvrir. Un jour, en distint la messe, le curé dit que le plus pelit de ceux qui hubitent le palais livrera au roi ce qu'il cherche depuis si longtcmps. Le roi ne saisit pas bien les pandes du curé el demande éclaircis-sement à ses domestiques; mais tous u'onl enlcndu que la messe. Ceci se répète plusieurs jours de suite et comme le roi ne pnrvicut à rien tirer au clair, il demande. au curé te sens dc ses paroles. Surpris, celui-ci lui répond qu'il ne fait que dire la messe comme à l'habitiide, sans y rien ajouter. Le roi comprend que c'est le ciel qui s'adresse à lui el, afin de découvrir le plus petit de sa maison, fait demander à chacun son úge, pour savoir qui est le plus jeune. Tout est vain. Enfin par une nuit sans sommeil, il se souvient du petit pigemi. II se lève à minuit, et sans mème prendre le temps de s'ha-biller, va le trouver et lui demande s'il sait oü se trouve la jeune fille qií> sait si bien sauter.

258

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version publiée. Parmi nos documents folklòriques, nous n'avons pas trouve une seule version oü l'ogre mange ses hòtes.

Dans deux des versions, le personnage qui répand la nouvelle de l'en-chantement du roi Macip est le vent. La princesse, intriguée par les paroles du vent, essaie de les déchiffrer, elle n'y parvient pas et a recours íi l'aide d'un sorcier ennemi de la sorcière qui a opéré le maléfice.

L'épisode de la vente d'enfants reprend la légende des enfants venus ou tombés du ciel, que seuls savent trouver des initiés ou des gens choisis qui, ensuite, vont les vendre par les rues en marchands ambulants. Une des nom-hreuses manières d'expliquer leur provenance aux enfants est de leur dire qu'ils ont été achetés à un marchand qui annonçait leur arrivée par un cri curieux que les meres imitent et duquel nous avons recueilli plus d'une version très mélodieuse. Les garçonnets coúteraient ainsi une peseta et les petites filles seulement trois réaux (soixante-quinze centimes). Comme la cérémonic du bapteme coútait aussi une peseta, on disait aux garçons que leur venu** au monde en avait coüté deux : une pour leur aequisition et une seconde pour les faire chrétiens.

Dans les autres versions, quand la sorcière se rend compte que le roi Macip et la princesse se parlent, elle met tous ses maléfices en jeu pour fai re obstacle à leur entretien. Le chàtiment de la sorcière par le roi offre, lui aussi, des variantes.

La version que nous vous offrons est la plus achevée, la plus parfaite et la plus intéressante.

IV. L e chapeau du diable (El barret del dimoni). T. 461

Ce conte est resté inèdit jusqu'à ce jour, et nous n'en avons recuei'.li aucune autre version.

C'est le thème de la barbe du diable. Miguel i Badia en a publié une version (Cuentos) qu'il intitule LA

PERRUQUE oi' DIABLE (La f'eluca del Diabio), parce que l'objet infernal que Ie beau-père demande au gendre est la perruque — comme en notre version le chapeau — et non la barbe du diable.

Xotre conteuse avait appris ce conte lorsque, jeune fille, elle confection-nait, à Pineda, des espadrilles. II faut noter que dans cette région du Maresme, la fabrication des espadrilles est très répandue, et que les ateliers de cette industrie constituent des foyers de tradition, spécialement de litté-rature orale.

L'épisode de l'enfant prédestiné à ètre roi et que le monarque veut perdre, mettant en jeu contre lui bien des moyens pour lui faire obstacle, ligure dans d'autres contes catalans de caractère facétieux. II constitue par-fois un conte à lui tout seul; c'est aussi, en d'autres occasions, le sujet d'une légende.

La seconde partie, qui met en action des personnages prodigieux, ne nous est connue que par le present document.

V. La Fil le du soleil et de la lune (La Fille del sol i de la lluna).

N'ous n'avons pas trouve trace de ce conte dans le catalogue péninsu-

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Page 246: Contes Catalans

iaire, et nous l'avons découvert uniquement à Majorque, oú il semble avoir été de tradition parmi les gens de mer. Alcover en publie une version dans Kondayes (vol. II), qui ne se différencie pas de la nótre. L'une et l'autre furent recueilües dans la ville de Majorque. Conte méditerranéen, ce thème se retrouve en Turquie, en Italie (c'est le conte XXVIII du volume de contes siciliens de Gonzenbach).

VI . P i e r r o t à l 'anneau d'or (En Peret de l'anell daurat). T. 561 et 560.

Ce conte est très peu connu. Xous n'en possédons qu'une seule version. Alcover en a publié une version dans Rondaves (vol. XI) qu'il intitule ILW.WOT, FILS DE VEUVE (En Joanet, fill de Viuda).

Le debut de notre conte évoque une histoire des Mille et une Nuits : Hassotí de Bassorah.

Le catalogue de Boggs désigne ce thème sous le numero 400 * B. Intcrnationalement, il s'agit du thème 561 (Aladin) uni au thème 560 (L'an­neau magique).

V i l . L ' A t t i s e b r a i s e (La Ventafocs). T. 5 1 0 A.

Ce conte est le plus répandu et le plus connu du folklore catalan. Toute-fois il apparait rarement dans les regions du Midi de la Xouvelle Catalogne et il ne figure pas non plus dans les recueils des regions valenciennes, de Minorque et d'ivissa. II est aussi fort rare dans les recueils des regions intérieures de la Péninsule. Ventafocs est le nom catalan le plus courant de la Cendrillon catalane, mais dans les múltiples versions contées au travers du pays, elle porte quantité d'autres noms, les uns fort proches de celui de Cendrillon : Cendreuse (Cendrera), Cendronnc (Cendrosa), Cendronille (Cen-droneü), d'autres inspirés, comme celui de Ventafocs, par le travail auprès du feu : Respirefeux (Aspirafocs), Soufflefeux (Bufefocs), ou, plus simple­ment : La Souillon (La Fregallots). Toute une sèrie de noms lui viennent de son accoutrement miserable : Loquetonne (Pelleringa), La Haillonne (Caci-galla), Loqueteuse (Pellingots), Pieçaille (Pedaçots) et encore, dans une version oü le thème se mèle à celui d'un autre conte. La Margarideta, dont l'héroïne se fait une robe de fragments d'écorce d'arbre : La Boisotte (Fusiots). Ln d'autres variantes encore, les sübriquets ont des consonances plus grossières, telle Jambe-brenneuse, ou sont reliés à des caractères plus rares, ainsi Éloile-de-Jour, d'une étoile fixée par la Mère de Dieu, au front dc la petite malheureuse, et qu'elle doit salir de cendres pendant le temps qu'elle est souillon de cuisine; Charrognote enfin, dans une version eombinée au thème de Peau d'Ane.

Aucune des versions catalanes n'a subi l'influence de Perrault ou de (irimm; on ne trouve en aucune la marraine fée et les métamorphoses des citrouille, rat, souris, e tc , en carrosse, cocher, valets, etc. En toutes, au contraire, la magicienne est la Mère de Dieu, à une seule exception près oü elle est remplacée par une sainte anonyme. Ces versions populaires du thème 5 1 0 A n'ont pas subi l'influence de l'imprimé.

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Tous les épisodes du thème sont susceptibles de variations grandes ou petites. La persécution initiaie de l'Attisebraise se présente, selon les versions, sous les formes les plus différentes. Dans l'une, le père de la jeune fille est un grand seigneur, ami du roi. Dans d'autres ce n'est pas la maràtre qui est la persécutrice, mais une sorcière à laquelle le père doit ; ;vrcr sa fille, ou la maitresse pour qui elle travaille. Enfin plusieurs versions commencent, comme dans le thème de l'eau d'Ane, par la fuite loin d'un père au désir incestueux auquel la jeune fille a réclamé les impossibles robes de soleil et de lune, tout de mème obtenues par l'entremise du diable (Majorque).

l'ne des belles versions majorquines comporte un interessant détail : la Mère de Dieu donne à l'Attibraise une eau magique qui la rend à vülonté '•elle ou laide, ce qui justifie que ie roi ne la reconnaisse pas lorsqu'il la voit dans ses cuisines.

Les fruits màgiques, qui contiennent les trois robes, ne sont plus, dans une version de la région de Vic, les clàssiques noix, amande et noisette, mais une orange, une mandarine et un citron.

Les robes et bijoux tirés de ces fruits varient, eux, presque avec chaque version, revelant les tresors de l'imagination poétiquc populairc. Relcvons quelqucs-unes des plus belles sèries. Ce sont des robes : d'écailles des pois­sons de la mer, de coquillages, de pierres et d'herbes de la mer (Mataró, région cótière de Maresme); robes : de plumes de tous les oiseaux, de toutes les fourrures, de feuilles de tous les arbres (Barcelone); robes : d'oranges d'or, d'oiseaux, de soleil, de lune ct d'étoiles (collection de Serra i Pagès); enfin, dans deux versions, une majorquine, une catalane, s'il s'agit pareillc-ment de robes faites des clartés du soleil, de la lune et des étoiles, dans la dernière, le roi fait éteindre les lumières et ce sont les robes qui éclairent la salle de bal.

L'épisode de la reconnaissance de la belle par le roi varie lui aussi enor­mement. Le soulier perdu figure dans maintes versions. Dans l'une d'elles, c'est la glu dont l'escalier du palais est enduit qui retient la pantoufle (qui. en Catalogne, n'est jamais de verre). Dans une autre version, la maràtn coupe un morceau du pied de sa fille pour le faire entrer dans le petit soulier. ["outefois, la reconnaissance s'effectue le plus freqüentment, dans les versions

catalanes, au moyen des bijoux donnes par le roi à l'Attisebraise au cours du chaque bal; celle-ci, quand le roi se trouve malade de ne pas la retrouver, les ^,'lisse, soit dans un gàteau, soit dans un plat de farinettes, soit dans un bouillon. L'ne variante curieuse montre le prince amoureux courant le monde à la recherche dc sa belle, restée sous son toit ; mais il trouve les bijoux qu'il lui a donnes au cours des bals, dans le pain emmené comme provision de route.

Toute une sèrie de versions enfin se trouvent contaminées par d'autres thèmes. Nous avons déjà signalé la fusion du thème de Cendrillon avec celui <ie l'eau d'Ane, ainsi qu'avec celui de La Margarideta. L'on verra qu'à l'in-verse le conte de Lo Coccinelle se termine comme une version de L'Atti­sebraise.

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VIII. Les t r o i s Pensées (El Ires Pensaments). T. 507 A. Le debut du conte (le nez <lu géant) est original. II existe certaines

versions oü l'organe dillorme que perd le géant est un sexe et oü les trois pensées de la princesse sont d'ordre érotique, mais ces détails seabreux ne ílgurent que dans les versions contées par les hommes.

La suite du conte appartient au thème s°7 A. Adelaida Ferrer en ;> publié une version beaucoup plus pauvre (Revista Catalana, vol. III, Barcc-ione, juin 19 19), version recucillie à Font Sagrada et contée par Maria Miranda, agée de dix-huit ans, d'Alos de Balaguer, dans la région do l'Urgell :

Deux amis Iris pauvres cheminent ensemble et iroir.ent en route un vieux chargé d'un fagot de bois. L'un d'eux s'offre à le lui porter. Le vieux est Notre-Seigneur... En récompense de son gesfe, il rèçoit une baguette magique. Quand il s'adresse il la baguette, le protngoniste prononce la for-mule : « I'ar la lumière de Xotre-Seigneur. >: Quand le jeune homme vole derrière la princesse, il ne cesse de la frapper doncement avec la baguette et lorsqu'elle est devant le sorcier, elle demande s'il grèle parce que tout au long du chemin elle a senti comme des petites pierres qui lui tomhaienl sur ie dos. Le sorcier lui recionmande de penser au talon de son pied. à sa main, el ii l'aohat d'une robe.

II n'est pas dit par oü la princesse entre chez le sorcier. Celui-ci ne l'invite qu'à une danse d'araignées. l'ne fi>is les protagonistes niaries, le CÓmpagnon de route est fait marquis.

IX. La gardeuse de porcs qui dev int princesse (La porqaerola que va arribar a ser princesa).

Un prince changé en loup cl qui sera désensorcelé gríice à un vè tement donné à son enrhanteur et fait de cheveux dc princesse est un thème inconnu dans le répertoire international. Deux versions de ce conte sont parvenues à notre connaissance : celle que nous publions dans ce recucil, restée jusqu'à present inédite, et une autre, que nous avons recueillie à Barcelone, et qui ne diffère de la première que par ce détail : l'hàbit du géant se trouve ètre à sa mesure dès le premier essayage.

Dans notre volumc, Rondallística, il a été publié un conte qui a pour titre : La gardeuse de porcs qui devien! reine (La porquenda que va arrivar a ser reina) (Rondalla 19), mais de contenu complètement différent. La matière en est d'ailleurs également inconnue des folkloristes.

X. Le père G r o s - J e a n (El parc Janàs). ï . 327 B et 328 .

N'ous n'avons pas connaissance que ce conte ait été publié et nous n'en possédons pas d'autre version que celle que nous publions. Le thème oü il est question de nombre de frères ou de sovurs du mème sexe, chassés de la mai­son paternelle à la naissance d'un frère et d'une su-ur de l'autre sexe est très freqüent. De mème, celui oü le héros est contraint de réaliser une entreprisc difficile du fait de la jalousic dc ses frères ou de ses compagnons. Le thème

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des sceurs ou des compagnes qui, par jalousie, portent un faux témoignage contre l'héroïne qui se voit obligée de mcner toute une sèrie d'entreprises diflïciles est très freqüent et on le retrouve dans plusieurs contes.

XI . La Coccinelle (La Cucuruqueta). T. 700 et 5 1 0 B.

Ce conte est peu connu. Xous n'en possédons qu'une seule version et nous ne la savons pas publiée par d'autres collecteurs.

11 existe d'autres contes qui ont avec cclui-là une certaine rcssemblancc. l'armi eux, La Rainette (La Regineta) dans Rondalllstica (Rondalle 50) :

L A RAINETTE. — Un couplc, desesperà dc ne pas avoir d'enfanls, en demande un, mème s'il doit ètre petit comme une petite grenouille. II leur vient au monde une petite fille, petite comme une rainette et qui chante mer-veillensement.

Le prince l'entend et en devient amoureux au point de vouloir l'épouser sans mème Vavoir vue. Le mariage fait. il n'ose la présenter ii ses parents. II s'avance 11 cheval. La Rainette, pour ne pas rester seule, monte sur un coq qui court autant que le cheval et elle le suit en chantant. En passant devant une église, le curé qui voit un coq courir comme un cheval et qui semhle chanter comme une femme — car on ne voil pas la Rainette — croit qu'il s'agit d'une ceuvre du démon et Ics asperge d'eau hénite tout en les conju­rant. IAI Rainette devient aussitót une gentille demoiselle d'une beauté exccptionnclle et elle est très bien reçue par les parents du prince. Le coq se transformo en un fougueux cheval blanc.

Ferrer a publié une version minorquine de ce conte dans Rondaies, qu'il intitule DAMOISEI.LE T I O I E (Sa l'aparreta). Comme La Coccinelle. cette version suit vers sa fin un déroulcmcnt semblable à celui de L'Attise­braise. Elle n'en diffère que par dc nombreux detalls secondaires.

XII . Le G é a n t aux t r o i s t e t e s (EI Cegant de Ires caps). T. 301 A.

Ce conte est très peu connu. Xous n'avons pas connaissance qu il ait été écrit.

La première partie manque dans le catalogue Aarne-Thompson, la seconde est le thème 301 A.

Les géants et autres monstres tricéphales reviennent quelquefois dans les contes, mais nous ne nous souvenons d'aucun récit oú ce géant soit embar-rassé pour manger avec ses trois bouches à la fois comme celui du present conte.

XIII. La M a r g a r i d e t t e (La Margarideta). T. 923 . Ce conte est un des plus pc.pulaires. Xous en avons recueilli diverses

versions et il a été publié par différcnts collecteurs. La présentc version se combine à d'autres thèmes et notamment à ceux de L'Attisebraise (T. 5 1 0 A) et de Peau d'Ane (T. 5 1 0 B). C'est le thème 923, Aimé comme le sel.

A ce conte se rattachent deux idees persistantes : l'une est celle de la protagoniste vètue de bois, d'oil son freqüent qualificatif de Boisotte (Fustots), l'autre est la peinture phonétique du cri des animaux qu'elle garde

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— ordinaircment des oies, plus rarement des porcs — peinture toujours cxprimée sous forme vcrsifiéc.

Xous avons recueilli une bonne version que nous n'avons pas publiée, parec que scatologique. Ce n'est pas « comme le sel » que la princesse dit aimer son père, mais comme un bon bran.

l'armi les manuscrits de Serra i Pagès figure une version de ce conte qui ne porte aucun titre et qui a été classée parmi les versions de L'Attise­braise, détail qui fait penser qu'au jugement de ce folkloriste elle devait constituer une variante de ce thème.

Maspons en a publié une version (Rondallayre, vol. I) intitulée L A BOISOTTE (Fustots).

Alcover publié une version majorquine qui a une tout autre tournure et qui s'intitule Le Conte Je chez le Rouge (La Rondaya de Son Roig, Ron­daves, vol. XII) :

Li; CONTE DE CHEZ LE ROUGE. — / / s'agit de trois sceurs sans père ni mère, les deux aínées sont très laidcs et la cadette gentille. Pour rèver ïi des amoureux, elles mangent des champiguons. L'ainóe rève d'une salle pleine de queues d'aii, la deuxième d'une salle pleine de sardonaies (marguc-rites dorées) et la cadette d'une salle pleine de sel. Elles mangent une deuxième fois des champignons; les deux aínées font le mème rève, mais la cadette rève d'un mariage avec un prince. Ce rève indispose les deux aínées et elles demanden! au porcher d'emmener leur sceur el de la tuer. L'homme a pitié de la jeune fille et il l'ahandonne. Au bout de quelque temps passe le roi. il s'éprend de la jeune fille et l'épouse. Le jour du baptéme du premier enfant. le roi promet de donner une grappe d'or ix tous ses vassaux qui viendront rendre visite i'l son fils. Dans la multitude vonl les sceurs de la reine. Elle les voit, les fait inviter au diner et ordonne de ne pas mettre un grain de sel dans le repàs. La reine leur reproche d'avoir voulu faire tuer leur s<i·iir parce qu'elle avait rèvé d'une salle pleine de sel. Les sceurs ineurent de chagrin et la reine récompense largement le porcher qui lui a sauvé la vie.

Ce conte, a été dit par Maria Mascaró i Reus de Campanet, cle la ville de Majorque.

Sous le pseudonyme de Mme Joscphe (Senyiira Pepa), nom familier de la ointcuse, Joseph Pijoan a publié une version de ce conte (Revista de Cata­lunya, vol. II, n° 2 1 , Barcelone, 1 9 0 3 ) intitulée : La Cribleuse dc sel (Sacsadora de sal), et qui est interpolée dans L'Attisebraise.

L.\ CRIBLEUSE DE SEL. — La protagoniste, chassée de chez elle par son père, rencontre une petite vieille comme l'Attisebraise, mais doni il n'est pas dit si elle est Mère de Dieu ou une fée. Cette vieille accompagne la jeune fille ú la recherche de travail. L'emploi qu'elle trouve n'est pas celui de soufjle-feu, mais celui de trieuse de se! et de tamiseuse de farine. Ensuite viennent les épisodes du bnl qui se déroulent ti peu près comme dans L'Attisebraise.

Relevons toutefois deux jolis détails : la première robe. faite de canaris avec chacun sa melòdic, et le jet de poignées d'oiseaux pour distraire les

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gardes nu moment de la fuite. Dans la conclusion, le thème de L'Attisebraise se combine ii la reconnaissance et au repentir du père, après le diner sans sel.

Le rfléme colleeteur, sous le mème pseudonyme et sous le titre La jeune fille au sel [La noie de la sal), publié une autre version dans Rondalla del Dijous (vol. I).

LA JEINE Fii.i.F. AL' SEL. — La première partie de cette version est en tout identiqne ii celle doni nous venons de parler. Le travail chez le roi consiste seulement it tamiser la jarine. Aucune mention n'est faite du cri-blage du sel. On retrouve ici la robe de canaris avec, en plus, ta mention de leur couleur blanche.

Quand le roi se décide, à la fiu du conte, à aller lui-mème à la recherche de l'inconnue du bal, la protagoniste arrose l'escalier de petits papiers écrils qui disent :

D'oú viens-tu? oü vas-tu de la sorte? Pour trouver ce que tu cherches loin

Xe franchis pas la porte. Oü vas-tu? D*oü est-ce que tu viens? Ce que tant tu recherches bien loin

Dans ta maison le tiens !

Le roi est mtrigué. Sa mère lui dit : — Qui sait si ce n'est pas la fille qui tamise la farine el qui m'a

demande de la laisser aller au bal tous les jours '. lis montent lii oü elle pèl ris sait, regardent par le trou de la serrure el la

volent tamiser la farine, habillée de sa robe de diamants. Le roi l'epouse et au bout de neuf mois a lieu un baptème. Elle demande que son père soit parrain. Elle veut faire elle-mème la cuisine et la fait sans sel.

Serra i Boldü {Rondalles Meravelloses) publié une variante qu'il intitulo La Mascota.

LA MASCOTTE. — Le roi part en voyage et demande it ses filles ce qu'elles désirent qu'il leur apporle. Les deux ainées demanden! l'une une robe d'or et l'autre une d'argent et la cadette une en soie. Au moment de leur donner les robes il demande comhien elles l'aiment. Quand la cadette dit qu'elle l'aime comme le sel. il la renie et ordonne ii ses domestiques dc l'emmener dans la forèt, de la tuer et de lui rapporter une pelite bouteille de son sang bouchée avec un de ses doigts, en témoignage de l'accomplisse-ment de cet ordre. A la place de la jeune lille ils tuent un petit chien el pren-nent un de ses os comme bouchon. La princesse s'assied près d'une fontaine. La Mère de Dieu paraít sous la forme d'une petite vieille el lui promet dc l'aider. Elle lui euvoie un cheval qui la conduit it la limite du royaume de son père. Elle se loue comme gardeuse de porcs. Les porcs qui sont malade. guérissent en la voyant se peigner et engraissent à sa seule contemplation. La maitresse, surprise. interroge les porcs qui lui disent :

Quand la princesse se coiffe X'avons plus ni faim ni soif

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Sa vue guérit tous nos maux Contempler ses yeux si beaux N'ourrit tout notre troupeau.

/.(• roi recherche dans la chasse la distraction au remords d'avoir fail tuer sa fille. Un jour il arrive à une maison oü elle se trouve. Elle se chargé de préparer le diner qu'on lui serf, et n'y met pas de sel. Précisément le roi ne pouvait souffrir le moindre grain de sel dans ses repàs et en le trouvani si jade il est fort content. 11 veut savoir à tout prix qui a cuisine tout à son goút. Au dessert la princesse lui fait une tourte et met dedans une hagué que son père lui avait donnée. Le roi trouve la hagué. Sa fille se present:: avec sa riche robe, et dès qu'ils se voient ils s'emhrussent.

Le collecteur ne fait pas mention du lieu de provenance de cette version ; très probablement elle fut recueilüe dans l'Urgell, sur les terres de Lleida, lieu de prédilection du collecteur. *~

L'ne version des ïles Baléares offre de curieux détails qui ne figurent pas dans celles du continent.

L A PETIT BOIS. — La jeune fille, dans la forèt, pour ne pas dormir sous la rosée se fail faire par un charpentier une maisonnette de bois à quatre feuétres, une sur chaque cóté, une porte et, it l'intérieur, un banc pour s'as­seoir. L'n jour passe une petite vieille qui lui donne une noisette, une amànde et une noix. i'n autre jour passe le roi qui voit la maisonnette, y entre, y trouve la jeune fille assise, lui demande qui elle est et n'obtient pas d'autre réponse que « La petit Bois » (N'a Fustets.) // l'emmène à son palais pour lui faire garder les oies royales. Elle accepte à la condition de garder avec elle sa maisonnette.

En gardant les oies, elle casse la noisette et en tire une robe d'argent, les oies restent ébahies, ne mangent rien et ne cessent de crier. Le roi ne comprend pas ce qu'elles disent et en demande raison it la Petit Bois qui se contente de répondre

Mes oies jaseuses Sont des bayeuses.

Le deuxième jour, elle ouvre l'amande et en tire une robe en or et en argent, et le troisième, elle ouvre la noix et en tire une autre robe tout en argent. Les oies crient tous les jours plus fort. Le roi envoie un domestique pour surveiller la Petit Bois. Le lendemain il y va en personne et découvre que c'est une princesse.

Cette version a été contée par Magdalena Sintes, de San Clement, de l'He de Minorque, et a été publtée sous le litre de .Va Fustets, par Eulàlia Vilallonga (Revista Catalana, vol. VI, n" 1 1 9 , Barcelone, 1922) .

Sixt Yilà públic une autre version recueilüe à Girone qu'il intitule LA GARDEUSE D'OIES (L'Engegadora d'Oques — Revista Catalana, vol. VI, n° 1 3 2 , Barcelone, 1922). La protagoniste s'v fait une robe de feuilles pour couvrir sa robe brodée d'or. Par ailleurs cette version diffère peu de celle que nous publions.

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Sous le litre : L A BO.NXE PETITE PRINCESSE (La Bona Princeseta), le mème auteur publié de ce conte une version déliciente et incomplète dans la mème revue (vol. I V , n° 74).

l'ne autre version de ce conte, grelïée aussi sur L'Attisebraise, est celle que nous avons publiée sous le titre de : Poupée de Bois (Ninot de Fusta), dans Rondallistica (Rondalle 65).

POUPÉE DE BOIS. — Un père qui n'a qu'une fille lui demande si elle l'aime beaucoup et elle lui répond comme le sel du pot-au-feu. La réponse dèplait au père. II veut la marier avec un vieux, repugnant, mais très riche, et la jeune fdle horrifiée va demander conseil à une petite vieille. Celle-ci lui dit de demander au vieux une robe faite de la plume de tous les oiseaux du ciel. Le vieux fait appel au démon. Celui-ci lui apporte la robe. La vieille couseille de nouveau la jeune fille et lui dit de demander une robe faite de l'écaille de tous les poissons de la mer et une autre faite d'or, de brillants, du poil de toutes les betes et des feuilles de tous les arbres. Ces trois robes obtenues la petite vieille ne sait plus quel conseil donner et ensemble elles ~.-<ml trouver une autre vieille plus iigée qui donne à la jeune fdle une petita hoite magique ïi ouvrir quand elle sera en difficulté, et lui recommande de faire construiré une grosse poupée de bois avec une cachette pour s'en-fermer dedans, de vivre ainsi cachée et de ne sortir que pour manger des lleurettes des bois. Un jour, le roi passe par là, il voit la poupée de bois, elle lui plait, il l'emporte chez lui, la mel dans sa garde-robe, et tous les jours, pendant qu'il s'habille et se déshabille il tient de longues convers aiions avec la poupée.

Le roi veut se marier et donne trois bals pour choisir sa promise. Pen-daul qu'il se peigne et met ses atours il donne un coup de déméloir sur la tète de la poupée el l'invite à aller au bal. Elle lui répond que les poupces ne peuvent y aller. Dès que le roi est parli, la demoiselle ouvre la petile boíte et en tire une robe de rayons de soleil, de lune et de toutes les étoiles et une petite chaise ailée. Elle passe sa robe de plume de tous les oiseaux par-dessus sa nouvelle robe, s'assoit sur la petite chaise et lui demande de la porter à la salle de bal. Le roi lui demande de quelle terre elle vient et elle liti répond de la terre des Coups-de-démèloir-donnés. Le roi ordonne à ses domestiques de surveiller sa sortie. Mais elle relève un peu sa robe de plumes el les rayons de celle qu'elle porte en dessous les éblouit tous et les empéche de voir comment elle s'assoit sur sa petite chaise et s'enfitit vers la garde-robe du roi. Le lendemain Ie roi. tout en l'invitant au bal, la frappe avec sa ceinture pendant qu'il s'habille. Elle met la robe d'écailles et quand on lui demande son pays elle répond qu'elle est du pays des Coups-de-ceinture-donnés. Le troisième jour il la frappe d'un coup de soulier. Elle met sa robe de poils et de feuilles, et quand le roi lui demande son pays elle répond qu'elle est du pays des Coups-de-soitlier-donnés. Elle s'enfitit comme les autres jours. Le roi tombe malade d'amour. Le médecin lui ordonne un bon bouillon de poule. Le roi veut que ce soit la poupée qui liti prépare le bouillon. Elle demande du charbon, une murmite et une poule, et qu'on n'ouvre pas la chambre avant cinq heures. Quand le roi l'apprend il a des soupçons, il

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l'épie par le trou de la serrure et voit que celle qui fait le bouillon est la demoiselle avec laquelle il a dansé. II entre suhitement dans la garde-robe et la surprend. Ils se marient et le jour des noces, ils invitent le père. Elle ordonne de ne point mettre du sel dans son repàs.

XIV. La pr incesse Doucemiel (La princesa Dolçamel).

Ce conte est peu connu. Est-il traditionnel ? L'authenticité en est assez douteuse. Cependant, recueilli à Reus, dans la province de Tarragone, nous en avons trouve quelques versions fragmentées et incompletes, man-quant de certains elements essentiels et formant un ensemble incoherent, à Prat de Comte, dans la Terra Alta, et à San Quinti de Mediona, dans le Penedès. Toutes ces versions appartiennent à la nouvellc Catalogne, Alcove; en a publié une autre version, majorquine, dans Rondaves (vol. VIII), qu'il intitule : L A MERLE ROIGÉ (ES Mel-lororrosso), nom emprunté ;'i l'oiseau autour duquel tourne l'argument. Le document majorquin olïre quelques variantes de détails, pas assez importantes pour qu'il vaille de les signaler.

XV. Pe t i t -Jean qui a v a i t une bosse d e r r i è r e e t une bosse d e v a n t (El nen Joan que tenia un gep darrera i un gep davant). Ce conte n'est guère connu. Xous ne l'avons trouve que deux fois et

sans variantes. 11 manque dans la classification internationale ; cependant un motif, la transformation des fugitifs devenant noria et jardinier, appartient au thème 3 1 3 .

Alcover publié une version majorquine de ce conte intitulée : Jeannot-Jambe-Courte (Es Joanet Cameta Curta), dans Rondayes (vol. VI).

JEANNOT-JAMHE-COIRTE. — Les princesses sont deux et le géant n'em­porte que l'ainée, dans une guitare qu'il porte en bandoulière. Avec un enorme gros pin, il chasse les mouches et arréte les attaques des soldats. Le roi, désespéré, offre la main de la princesse à celui qui la sauvera et celle de la fdle cadette si la première est trouvée morle et qu'on lui apporte ta tète du géant. Dans le grand nombre de ceux qui s'y essaient, il y a un petit jeune homme boiteux. Près d'un puits, il trouve une petite vieille désespérée parce qu'elle vivait de l'eau de ce puits, ú raison de trois gorgées deux fois par jour : sa cruche étant tomhée au fond du puits, elle craint de mourir de soif. Le jeune homme descend au fond du puits chercher la cruche et trouve trois petites boites très jolies qu'il mel dans sa poche. Quand il en ouvre une il entend une petite voix qui lui promet l'aide qu'il voudra, mais pour une seule fois. II demande à ètre porlé, invisible, à la maison du géant.

Quand le géant s'uperçoit qu'on lui enlève la demoiselle, il s'élancc à sa poursuite. Le jeune homme ouvre la deuxième petite hoite et lui demande de faire surgir un grand fleuve, très large et très profond. Le géant se jelte à la nage et passe l'eau. Le jeune homme demande à la troisième petite boite de faire surgir un jardin potager avec une noria et de les faire devenir, lui un jardinier, et la princesse une jardinière. Quand le géant arrive et demande s'ils ont vu le jeune homme et la princesse, ils lui disent qu'ils se sont cachés dans la noria. Le géant s'y jelte et les fugitifs lui lancent des pierres jusqu'à

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ce qu'ils l'aient tuè. Le héros descend au fond de la noria cl coupe la tète du géant avec un tranchet.

Cette version fut contée par Nicolau Damelo i Rottem, de la «fille de Majorque.

XVI . Sang-et-Neige (La Sang-i-Neu). T. 709 et 403.

Ce conte est très connu. I I porte différents titres empruntés ordinaire-menf au nom de la protagoniste. I I a été publié par divers collecteurs. 11 unit les thèmes 709 et 403; on y trouve un motif du conte type 408 : Le soleil et le senin (El sol i la serena). Seule l'histoire de la baleine manque dans le cata­logne.

Le thème capital est invariable et seuls les détails complémentaires offrent «les variantes. Maspons (Cuentos) en publié une version dans laquellc un prince, en regardant la neige tomber, joue avec un couteau et se fait une blessure.

Des gouttes de son sang totnbeni sur la neige et le contraste l'émer-veille tant qu'il décide de se marier avec une jeune fdle du nom de Sang-et-Neige. II entreprend un voyage ii travers le monde pour la rechercher. Une. fillette ii qui ses parents ne peuvent donner ti manger s'en va par le monde. Elle marche it travers la forèt, égralignée par les genets épineu.x et les ronces. Couverte de neige et de sang, elle parvient à une cabane habitée par une vieille qui a une fille, lui donne accueil et la nomme Sang-et-Neige. Un jour, pendant qu'elle peigne sa maitresse sur le pas de la porte, il advient que le prince, passant par là, enlend la vieille appeler la jeune fdle. II la lui demande et Ini donne une couronne et une robe d'argent. La vieille lui enlève le tout pour en hahiller sa fille pendant qu'elles sont en mer.

Bertran i Bros (Rondalluri) en donne une autre variante qu'il intitule Niranureta, du nom de l'héroïne. Dans cette version n'apparait pas du tout Ie détail du sang et de la neige.

XlRANURKTA. — Le frère de la jeune fdle s'en va à La Havane chercher fortitne. Là, il vante à l'un de ses amis la beauté de sa sceur, puis revient la chercher. II lui uchète une robe et des boucles d'oreille pour qu'elle soit bien mise. Ils s'embarquent vers VAmérique, la Niranureta dans une barque avec sa nourrice, la fdle de celle-ci et le frère dans une autre, parce qu'il n'y a pas assez de place pour tous dans une seule. En roule il demande à sa sceur si la mer ne la rend pas malade. La première fois, la nourrice fail croire à la jeune fdle que son frère lui a dit de donner sa robe à sa fdle ; la deuxième fois, qu'il lui a dit de donner ses boucles d'oreille et, enfin qu'il lui a demande de se jeter à la mer. Lorsqu'ils arrivent à terre le frère ne la reconnaít pas tan! il la voit laide et l'ami se marie avec la fdle de la nourrice pour ne pas manquer à la parole donnée. Quand la mère baleine voit la Niranureta si jolie, elle ne la mange pas et la garde auprès d'elle. Un jour la jeune fdle Ini demande 1111 empan de chaine pour sortir se peigner, le lendemain elle lui en demande deu.x pour sortir donner du pain aux oiseaux, ct le troisième. trois empans pour prendre le soleil. Le frère et l'ami vont

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chaque jour se promener au bord de la mer. Un jour ils -•oient une cheve-lure blonde qui jlolte sur l'eau, ils la saisissenl et découvrent la Niranureta La tromperie une fois dévoilée, pour en punir la nourrice et sa fille, ils les font emmurer. (Version recueilüe à Esparraguera, clans le Baix Llobregat.)

Alcover (Rondaves, vol. VIII) donne une version de ce conte sous le titre de Mère-petite-baleine (Sa mare Ralenela); évoquant ainsi l'animal qui fera justice des coupables.

MÈRE-PETTTE BALEINE. — La protagoniste a un frère. Le jeune homme part servir le roi et laisse sa sivur chez la nourrice. Le roi est un jeune homme célibataire et comme il s'est décidé à prendre femme, il demande conseil au frère sur de bonnes et gentilles jeunes filles à marier. Le jeune homme. qui s'appelle Bernadet, lui vante les grúces de sa steur. II lui dit que des perles jaillissenl de ses cheveux quand elle se peigne, que du fromenl sor! de ses mains et des poissons de ses pieds quand elle les lave; enfin que, si elle rit, le soleil parait, et que si elle pleure, le ciel se couvre el la pluie tombe. Le roi esl charmé et il l'envoie chercher au hameau majorqnin de Son Servera par un patron de barque qui a sa confiance. Elle esl accom-pagnée par la maràtre cl sa fille. Sans que le patron s'en aperçoive, elles jettenl à la mer, en cours de route, la jeune fille qui s'appelle Catalinela. l'ne baleine l'avale. Elles trompent le roi qui, malgré les protestutions de Bernadet, se marie avec la sceur de lait. Quand le roi ne voit ni perles ni fromenl il se considère comme trompa et fait pendre Bernadet.

Au bout de sept jours, Catalinela demande à la Mère-petite-baleine de la laisser sortir de son ventre pour se peigner et prendre l'oir. La baleine y consent, mais en la tenant attachée par une chaine d'argent. Catalineta se peigne, et de ses cheveux jaillissenl des perles, elle se lave les mains et il en sort du jromeut, elle se lave les pieds et il en sort des poissons qu'elle fait cuire sur un feu et qu'elle mange. Pas un mort el n'est alors sur la plage excepte un petit pigeon qui vole au-dessus d'elle. Elle lui demande des nouvelles de son frère et il lui répond qu'il a été pendu, puis elle en demande de sa nourrice et il lui dit qu'elle mène grande vie. et puis elle lui en demande de sa saeur de lait et il répond que, mariée avec Ie roi, elle vit auprès de lui très heureuse. Catalinela s'attrisle. pleure, et il se met ò pleuvoir jusqu'à ce que le petit pigeon lui demande de rire pour que réap-paraisse le soleil parce qu'il ne peut voler tant il a les ailes trempées.

La baleine engloutit de nouveau la demoiselle, et ceci se répète tous les sept jours. Enfin Ie roi se trouve sur la plage, voit cette scène et s'aperçoit de la tromperie. La baleine arrose le cadavre de Bernadet qui ressuscite. Elle dit à la nourrice el à sa fille de décrocher la chaine qui relient Cata­lineta et qui est attachée au palais de la baleine. Aussitót ceci fait, celle-ci les avale.

Cette version est contée par Francina Camps de Fuigpunyent et par Rafaela Calona, à Son Servera de Majorque.

Le poisson protecteur est toujours la baleine, considérée par les gens de mer comme bienfaitrice et mère de tous les poissons.

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XVII . L e Bossu e t la M a r i e t t e (El Geperut i la Marieta). T, 428.

Ce conte n'est guère connu et nous n'en possédons qu'une version en plus de celle qui a été publiée; toutes deux ont été recueillies à Barcelone. L'argument y est le mème. Les différences ne portent que sur des détails accessoires, tels les ordres donnes par les sept vieilles à la Mariette, les écueils et obstacles qu'elle doit vaincre pour obtenir le chalumeau enchanté.

Le gardien du figuier et prétendant de la Mariette n'est pas, dans la seconde version, un bossu, mais un vieux radoteur chargé de maux et de défauts et qui ne peut presque plus se tenir debout, tant il est àgé.

Alcover públic une version majorquine {Rondaves, vol. VI), recueilüe à Son Servera, contée par Antonina Guixa et Rafaela Calona, et qu'il intitule Es N e g r e t , parec que le protagoniste, au lieu d'ètre un bossu, était un prince enchanté par les sept vieilles, un jour qu'il était à la chasse et qu'à demi mort de soif il demandail à boire : sur quoi il s'était vu offrir une tasse d'eau ensorcelée qui l'avait changé en negre hideux.

La demoiselle qui le désenchante s'appelle CataÜneta, prénom féminin très freqüent dans le folklore insulaire. Les obstacles à vaincre et les moyens empruntés pour les surmonter ne coincident pas tout à fait avec ceux de notre version, mais ils sont du meme ordre.

XVIII. L e Tre ize (El Tretsè).

Ce conte est assez peu connu et nous n'en connaissons aucune variantc. Le narrateur avait de l'aversion à le conter parce qu'il le trouvait cruel et peu humain. C'est peut-étre à cet aspect qu'il doit de n'ètre pas plus répandu car c'est un thème méditerranéen que l'on trouve dans le Penta-merone dc Basile (IV, 5 : Lo dragone). lit Alcover en a publié une version moderne majorquine dans Rondaves (vol. VI) qu'il intitule Le Huitième (s' Infant que fa vuit), parce que les fils du roi sont huit au lieu de treize. Elle ne se différencie de la nótre par aucun détail important.

XIX. La pr incessse bossue (La princesa geperuda). T. 621 I.

Ce conte contient un épisode scabreux que nous ne sommes pas par-venus à faire dire au conteur malgré notre insistance.

Le premicr motif constilue l'épisode initial et capital du conte La Tiinhale cu peau de Puce (El Timbal dc Puça), que nous avons publié dans Rondallistica (Rondalle 145) :

L e t a m b o u r i n e s p e a u d e p u c e . — Une puce géne une princesse pendant sept nuits. Celle-ci parvient à la chasser et de sa peau se fait un tambourin. Elle off re sa main à celui qui devinera de quelle matière est fail ce tambourin. Un berger qui avait une corne au milieu du front va au coucours. En route il grimpe sur un arbre pour dormir. Trois géants tien-nent rcunion au pied de l'arbre et commentenl l'excenlricité de la princesse qui a fait un tambourin en peau de puce. Continuant sa route, le berger fait la connaissance de trois « donés » qu'il louc comme domestiques : Ie Coureur, le Soufjleur et le Tireur-de-tlèches.

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Le roi lui demande une cruche d'eau d'une fonlaine qui esl à cent lieues de là. I.e berger envoie le Conrear la chercher : il esl ensorcelé par un géant qui garde la fonlaine. Voyant qu'il ne remeni pas, le berger donne l'ordre au Tireur de lui envoyer une tlèche sur la pointe du nes pour le réveiller. Quand le géant voit qu'on lui emporte sou eau, il ordonne à un grand vol d'aigles d'aller reprendre la cruche au Coureur. Le Soufjleur se met à souffler un grand vent qui détourne le vol d'aigles et fait tomber la corne du front du berger qui devient un galant jeune homme gagnant le cceur de la princesse.

Nous possédons une autre version <le ce conte avec un déroulement tout à fait différent. Une princesse arrose et soigne tant un fenouil de son jardin qu'il devient aussi haut qu'un arbre. L'n jour qu'elle se peigne. elle trouve un pon dans son peigne, le met dans une jarre à huile plus grande qu'un tonneau, le fait eugraisser, et le pou devient vite si gros qu'il ne peut tenir dans la jarre. Par peur, elle le fait tuer. Elle en fait tanner la peau et en fait faire un tambour de basque avec un cerceau en bois de fenouil. Comme elle est à marier, elle fait crier des bans annonçant qu'elle se mariera avec celui qui devinera dc quoi est fait le tambour. L'n berger, tres entendu en betes, veut essayer de deviner. En route. il trouve un scarabèe, une fourmi et un rat. Quand il leur dit qu'il va se marier avec la fdle du roi, ils lui demandenl de les inviler aux noces, il les accepte comme convives et les met dans sa besace. II rencontre aussi un homme qui en mettant l'oreille à terre en'.cnj l'herbe pousser, un autre qui court plus vite que le vent, et un autre qui voit se promener Ics mousliques au delà des étoiles. il les loue pour cinq sous par jour chacun. Avant d'arriver au palais du roi. l'écouteur met l'oreille à terre et entend le roi dire à sa fdle : « Cela m'étonne que personne ne devine que ce tambour est en peau de pou et en bois de fenouil. » Le berger se présenle au palais et dit de quin est fait le tambour. Mais la princesse ne veut pas de Ini parce qu'il est un berger el qu'elle est amon-reuse d'un prince.

Le roi dit au berger que, pour gagner la main de hi princesse, i! doit de plus trier en une nuit une charretée de blé et de millet mélangés qu'il a dans son grenier, lui apporler une gargoulctte d'eau d'une fontaine qui esl à plus de mille lieues dc là, et compter toutes les étoiles du ciel, mème les plus petites, sans en manqiier une. La fourmi se charge de separer le blé du millet, le coureur va lui chercher l'eau, et celui qui voyait très loin, lui compte les étoiles. Bien qu'il ail fail toutes ces choses impossibles, le roi marie la princesse avec celui qu'elle aime. Alors le scarabèe et le rat jurent que la princesse détestera son mari. La nuit des noces le scarabèe et le rat s'entraident pour amener le marié à de gros méfaits scatologiqucs. La princesse, pleurant comme une Madeleine, dit à son père qu'elle ne veut point un prince aussi sale pour mari el que, tant qu'à faire. elle préfère le berger. Le roi appelle l'archevèque pour aniuiler le mariage de sa fdle et la remarier avec le berger.

Dans une autre version collectée à Ripoll, le berger, en chemin vers la maison du roi, rencontre Crosses-mains (Manasses) qui arrache les arbres

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par douzaincs d'une seule secousse el les chargé sur son dos pur centaines. II rencontre ensuite Longues-jambes (en Carnasses) qui court plus vite que ie vent, puis Gros-yeux (Cllassos) qui voit les moustiques au-dessus des étoiles, Grandes-orcilles (Orellasses) qui entend plus que cent personnes et Le Souffleur (en Bufera), dont le souffle est plus fort que celui de treize vents it l'heure. Grandes-oreílles entend le roi dire à sa fdle qu'elle ne pourra se marier parce qu'il n'y aura personne pour deviner que le tambour esl fail de peau de pou. Le berger se présente súr de son succés, ce qui contrarie Ic roi qui lui dit que le mariage n'est pas possible parce que les noces doivent obligatoirement se faire le lendemain, el que les papiers de la princesse soni à Rome. Le berger envoie Longues-jambes les chercher et celui-ci revient peu après. Le roi des Sorciers tic Roine le preud pour un demon, et décide dc le tuer. Graudes-oreilles entend cette décision et averlit le berger. Grauds-ycux lance en direction du Sorcier une pierre qui lui écrase la tète comme une greuade. Aussitót Longues-jambes arrive avec les papiers. Le roi pro-pose alors de désintéresser le berger avec de Vargent. Le berger accepte it la condition qu'on lui donne huit ce que pourra emporter Grandes-mains. Le tresor royal n'y suffit pas. l.c roi déscspérè lance ses armées ii la pour-suite des compagnons, mais Le Souffieur souffle de telle façon qu'il ren-verse tout. Tous six vont faire enscmhle un bon diner et se partagent le tresor en bons frères.

Ce thème se rencontre en Gascogne et dans Ie folklore basque, dans Basilc [l'entamerone, I, 5 : Lo polece).

I.a suite dc La Princesse bossue, après Ic motif de l'invoeation à saint ( hristophe, n'est pas cataloguée dans Aarne-Thompson. Cependant on y trouve quelques motifs provenant du thème 5 1 0 B.

Donnons un résumé d'une autre version du thème initial. La peau de pou (T. 621 I), version publiée par BerlnSn i Bros (Rondallari) et recueillie dans le hameau de Bruguera à la Vall de Ribes, dans les l'yrcnées centrales catalanes :

Un roi va à la guerre et sonffre de démangeaisons. II atlrape un pou très. Ires gros et le fait empailler. II a une très jolie fille à marier el il promet de donner sa main it celui qui devincra de quelle bète est la peau. l'n berger, ires enlendii en toutes sortes de betes, croit pouvoir le deviner et s'aclieiniue vers le palais. En route, il rencontre un rat. un scarabèe el un lion, qui lui demandent s'il veut les laisser aller avec lui. Le berger mel les deux premiers dans sa besace et emmène le lion comme si c'était un petit chien. Puis le rat les devance pour tenter de savoir de quelle bète est la peau. II entend la reine le dire au roi. Le ral le dit nu berger. En arrivanl au palais. la garde inferme le lion dans la cage aux lions du roi. Le berger devine tout de suite de quoi est faite la peau. Le roi, pour s'en débarrasser, le fait enfermer dans la cage aux lions, mais les lions le respectent, comme le leur demande celui qui est ami du berger. Le roi marie la princesse avec un prince qui la recherche. La nuit des noces, Ie scarabèe se met au lit des mariés et fait une montagne de crottes, ce qui est attribité au marié. La mariée est remplie de dégoút. La nuit suivante le marié met un picu à son derrière. Le rat montc

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sur Ic lit, chatouille le nez du prince. qui éternue si fort que le pieu sort avec grande force et va transpercer un mur et casser une jambe it la princesse qui esl dans la chambre ii cóté. Tout honteux le prince s'enfuil et la princesse avec sa jambe cassée doit se marier avec le berger, bien contente qu'il ait voulu d'elle.

XX. L a Fil le du charbonnier (La Filla del carboner). T. 921 et 8 7 5 .

Ce conte unit les thèmes 921 et 8 7 5 ; une version en a été publiée par Alcover, dans Les millors rondalles de Mallorca, qui ne se différencie guère de la nótre. l'armi les qüestions adressées par le roi ii la jeune fdle, l'une 1 oncerite ce qu'elle fait sur le feu. et la jeune fdle lui répond qu'elle cuit ceux qui vont sens dessus-dessous, ce qui veut dire qu'elle fait cuire des pots chiches que la cuisson met en continuel mouvement ascendant et descendant. Plus tard il lui demande un panier de rires. Elle lui envoie un panier plein d'oiseaux que le monarque reçoit alors qu'il est dans un grand festiu. Des qu'il ouvre le panier, tous les oiseaux s'échappent dans la maison et se posen! sur la tète des convives qui éclateut de rire.

L'épisode du propriétaire de l'ànesse qui met bas un ànon se produït dans le palais méme du roi, et non dans une auberge comme dans les ver­sions catalanes.

Ce conte n'est pas des plus connus; dans certaines versions, le mar­chand, au lieu de pécher dans un bassin, péche dans un pot de chambre plein d'eau. La cuisson des pois chiches se changé parfois en cuisson de haricots

l'armi les réponses que la lïlle du charbonnier fait au roi, se trouve l'énigme déjà posée à Homère, d'après la légende, par des petits pécheurs, et que ni Homère ni ses compagnons ne purent deviner : « Tout ce que nous avons pris, nous le laissons, ce que nous n'avons pas pris, nous í'empor-tons. » Dans notre conte, c'est le frère qui, chassant ses poux, laisse ceux qu'il tue et ramène à la maison ceux qu'il n'a pu trouver.

XX. Le s a v e t i e r qui deva i t un p a u v r e pe t i t denier (El sabaterei que devia un dinerel). T. 1654**.

Ce conte facétieux est très connu et souvent récité. Malgré cela il n'off re pas de variantes.

A Barcelone, on suppose le protagoniste citadin de cette ville. La tradition signalait au moins deux maisons par rue comme étant la sienne et donnait l'épisode facétieux comme avant eu lieu à l'église de Santa Maria del Mar. Ce conte prenait donc un caractère de légende.

Bertran i Bros en a publié une version dans liondallari, collectée dans la région de Montserrat, et qu'il intitule lu- Savetier qui devait trois liards (El Sabater que devia tres xavos). Flle ne se différencie en rien de la nótre.

Ferrer en a publié une version minorquine (Rondaves) sous le titre : L E YIEILLARD Mvrni ET LE VIEILLARD TIROLIL-LU (Es Vet Matei i es l'ei Tirolil-lu).

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Ici, le compère du savetier, considerant qu'il est mort sans lui payer sa dette, dècide de lui voler ses chaussures, et daus cette intention il se cache dans la chaire de l'église pour s'en emparer, la nuit oü le corps sera exposé dans le temple. Des voleurs chargés de sacs de deniers arrivent, et pendant qu'ils se disputent sur le partage, Vhomme qui faisait le mort se dresse, appelant les petites ames du purgatoire.

XXII . Le c h a t e t le bé l ier à la maison des loups (El gat i el marrà a la casa dels llops). T. 1 2 5 .

Ce conte n'est guère répandu, on ne le trouve que dans la région pyré-néenne et il n'off re pas de variantes.

Internationalement, c'est le thème 125 des contes d'animaux : le loup mis en fuite gràce à la tète de loup.

Sebastià Giralt en a publié une version intitulée L E CHAT ET I.'ACNK U (El gat i el borrec) dans Catalana (19,22, vol. VI), qui ne se différencie en rien de la nótre et provient aussi de la Cerdagne.

XXIII . La c o m m è r e r e n a r d e , l 'ours e t le forgeron (Comare guilla, l'ós i el ferrer). T. 1 5 7 .

Ce conte n'est guèrc répandu et nous n'en connaissons pas de variantes. Certains conteurs se plaisent à allonger les dialogues du tailleur et du

savetier avec l'ours afin de faire ressortir l'opinion défavorable qui est dans la tradition à propos des gens de ces métiers, opinions qui appartiennent au fond commun de la littérature orale, et ne sont pas propres à ce conte.

X X I V . La c o m m è r e r e n a r d e , le lion, la l ionne, le bceuf et le cheva l (Comare guilla, el lleó, la lleona, el bou i cavall).

Ce conte n'est pas très répandu ; nous n'en connaissons pas de variantes. II manque dans la classification internationale, mais le catalogue péninsulaire l'indique comme le type * 5 2 .

X X V . Histo ires qui ne finissent pas (Rondalles de mai acabar). T. 2300.

1. L'ÉTAIT UN JOUR UN CHATON (Una vegada hi havia un gal). Le chat est le protagoniste de plusieurs formulettes brèves, versifiées, les unes monò­tones et sans but, destinées à lasser l'auditoire par d'infinics et ennuyeuses répétitions, les autres — qui n'ont pas plus de trois vers — destinées aux enfants, afin de leur donner le changc lorsqu'ils insistent pour qu'on leur conte une histoire et qu'on en a pas ï'envie.

Le chat apparaít souvcnt aussi dans les formulettes finales des contes.

2 . L'ÉTAIT UN SERGENT (Una vegada era un sargento). C'est une for-mulette destinée à donner le change aux enfants lorsqu'ils insistent pour qu'on leur conte quelque chose. Xous n'en connaissons pas d'autres versions.

3 . L A YIEILLEROUII.LEDANDIVIEILLE (La Vella Ferraguella). Cette comp-

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line appartient à la catégorie des récits orthophoniques difficiles à dire et qui olïrent d"embarrassants écueils pour la prononeiation. Son eharme consiste à le dire très vite sans se t rom per jusqu'à confondre l'assistanee qui finit par ne plus comprendre.

Ordinairement ces formules finissent par une question faite par le conteur à l'assistanee, question qui contient un attrape-nigaud qui excite le gros rire si quelqu'un tombe dans le piége. Cette catégorie de formulettes ne compte pas beaucoup de spécimcns. De celle-ci, nous ne connaissons que la version que nous transcrivons.

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B I B L I O G R A P H I E D U C O N T E C A T A L A N

par Joan A madcs

I. R E C U E I L S ET CONTES

•. ALCOVER (Antoni Maria), Aplec de rondaves mallorquines d'En Jordi des Reco (Çollection de contes majorquins de M. Jordi des Reco), ville de Majorque, 1896-1935 , 13 volumes. Cet ouvrage est paru en diverses éditions qui se différencient par le

nombre de volumes, par le nombre de contes incitis dans chaque volume, et par le format; certains volumes ont connu jusqu'à quatre éditions. L'ne dernière édition en quatorze volumes, considéréé comme délïnitive, est paruc recentment à Majorque. Cet ouvrage contient deux cent quatre-vingt-deux contes recueillis directement de la tradition orale, avec tidélité linguistique et folklorique. Chaque volume contient un lexique des termes dialectaux Cette çollection est d'une grande valeur ethnographiquc, et constituí- un vrai tresor folklorique, à la fois par le nombre des documents et par leur quàlité. Le collecteur était un grand philologue qui souvent, séduit par la iangue, allongea excessivement les narrations.

2. Ii>., Cuentos maravillosos recogidos en Mallorca (Contes merveilleux recueillis à Majorque), Vàlence, Domènech, 1914, petit in-4, 202 pp. Comporte dix contes.

3 . In., I-'olk-tales of Mallorca. A selection jrom d'Aplec de rondaves mallor­quines, Buenos-Aires, 1945, in-4, 86 pp. Contient quinze contes.

4. ID. (Jordi des Reco), Les millors rondalles de Mallorca (Les meilleurs contes de Majorque), Majorque, Ed. Moll, 1046, in-8, 374 pp. Contient scize contes sélectionnés du vaste recueil de cet auteur.

ID., Nuei'os Cuentos maravillosos recogidos en Mallorca, Valence, 1928, petit in-4, 232 pp. Contient onze contes.

6. In., Once lliere -.vas and vas noi. New-York, Doubledav. Xous n'avons pas vu cet ouvrage.

7. ID., Rondaves de l'He Dorce, contes populaires majorquins, l'aris, 1037, in-4, '82 pp. Contient scize contes.

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8. AMADES (Joan), Les cent millors rondalles populars, Barcelone, Ed. Selecta S . A . , 1948 (Biblioteca Selecta, vol. 5 1 , 298 pp., et vol. 52 , 302 pp.), in-12. Seconde édition, Barcelone, 1953 . L'ne sélcction des cent contes les plus importants de l'ouvrage Folklore

<ie Catalunya, vol. I : Rondaüistica. 9. ID., Folklore de Catalunya, vol. I : Rondaüistica (Biblioteca Perenne,

vol. XIII), Barcelone, Ed. Selecta S . A . , 1950, in-8, 135 + 1.600 pp. Contient 1.389 contes et 826 légendes, recueillis directement dans le

peuple avec grande lidélité linguistique et soin scientilique. Cet ouvrage a des notations musicalcs, en particulicr des formulettes versiliées avec musique, une « galerie » biographique de 255 conteurs et une bibliograpliie ctendue. 10. ID., El Rector de Vallfogona (Narracions populars, vol. III), Barcelonc-

Gracia, Ed. Gràfiques Calmell, KJ38 , in-12, 74 pp. Contient quatre-vingts contes dc thèmes religicux attribués au prétre,

dont le nom donne au recueil son titre : c'est le héros catalan dc tous les récits de ce genre. 1 1 . ID., Refranys geografies, Barcelone, Centre Excursioniste de Catalunya,

1938, in-8, 45 pp. Contient quatre-vingt-douze contes sur le blason populaire catalan.

12 . Ii>., La rondalla i el proverbi (Narracions populars, vol. II), Barcelone-(iracia, Ed. Gràfiques Calmell, 193S, in-12, 70 pp. Contient soixante-quatorze contes, motifs des proverbes.

1 3 . ARXIDUC (Lluís Salvador), Rondaies de Mallorca, Würburg-Leipzig, 1896, in-8, 271 pp. Contient cinquante-quatre contes. Seconde édition dans Obres comple­

tes, Barcelone, Ed. Selecta S . A . , 1931 (Biblioteca Selecta, vol. 88, in -12 . pp. 149-271) . 14. BERTRAN I BRÒS (l'au), El RondaUari català (Biblioteca Catalana, vol. I).

Barcelone, Ed. Fidei Giró, 1909, in-12, 43 + 490 pp. Ouvrage publié d'après le manuscrit inèdit ; prologue sur l'auteur et soa

o'uvre, par K. Miquel i Planes. On y trouve cent trente-quatre contes trans­crits avec grande lidélité linguistique et soin scicntilïque. 1 5 . ID., Rondalles populars catalanes, Barcelone, Ed. Fidel (liró, 1908

(vol. I, 96 pp. ; vol. II, 92 pp.), in-t2. Une sélcction des meilleurs contes merveilleux du RondaUari català, du

mème auteur. 16. ID., Rondaüistica, Barcelone, Jochs Florals, imp. La Rcnaixensa, i888 v

' 1 - 4 - . ' 7 7 PP-Contient vingl-cinq contes.

17 . Biblioteca Infantil, Barcelone, l'Arxiu, sans date, in-12, 16 pp. Çollec­tion dc 43 volumes, rassemblée par divers collecteurs. Chaque volume componc un conte d'enfants.

18. BRIZ (Francesc Pelagi), La Panolla. Cuentos rondalles i novelles, Bar­celone, Estampa Lo l'orvenir, 1873, in-12, 351 pp. Deuxième édition, Biblioteca Literària, Barcelone, 1922, in-12, 233 pp.

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Cet ouvrage contient cies contes recueillis directement de la traditioti orale, des contes originaux et des contes traduits. 1 9 . ID., La Roja, Barcelone, Estampa Lo Pervenir, 1 8 7 6 , i n - 1 2 , 3 5 1 pp.

Cet ouvrage contient plusieurs contes originaux et traduits, el six contes traditionnels. 20. CAPMANY (Aureli), Rondalles, Biblioteca Nova Catalunya, Barcelone, Ed.

Fidel Giró, 1904, in-12, 61 pp. On changea la couverture d'une partiu de l'édition. La seconde partie porle le titre : Rondalles pera nois. Cet ouvrage contient six contes.

2 1 . ID., L·I Rondalla catalana, Barcelone, sans date, i n - 1 2 , 16 pp. Çollection de douze volumes. Chaque volume comporte un conte

d'enfants. 2 2 . CASEPONCE (Mossèn Esteve), Contes vallespirenchs del temps de les

Encantades, Ceret, Imp. Coste et Doutres, 1 9 3 1 . Nous n'avons pas vu cet ouvrage.

2 3 . ID., Contes vallespirenchs repleguis per En Mir y Nomtoquis, Perpignan, Imp. Joseph Payret, sans date (environ 1 9 1 2 ) , in-8, 1 6 + 1 8 7 pp. Contient douze contes d'une grande lidélité linguistique.

24. In., Rondalles. Barcelone, Ed. « Foment de la Pieta catalana », 1 9 2 1 , in-12. Çollection de dix livraisons de 3 2 pp. Cet ouvrage a été réédité en 1922 , 1 9 2 5 , 1 9 3 3 et 1941. II contient dix-

huit contes traditionnels. Ils sont écrits dans une langue plus littéraire que folklorique et remplis de termes diaiectaux. 2 5 . CASTELLÓ I GUASCH (Joan), Rondais eivissenques, Palma de Majorque,

Ed. Suc. d'En F. Ferrer, 1 9 3 5 , i n - 1 2 , 1 2 2 pp. Cet ouvrage contient douze contes recueillis directement de la tradition

orale. 26. ID., Rondaies d'Eivissa. Palma de Majorque, Ed. Moll, 1955, Biblioteca

Les Illes d'Or, vol. 6 4 , i n - 1 2 , 1 2 0 pp. Contient onze contes.

27. CHAÜVET (líorace), Folk-Lore catalan. Légendes du Ronssilton, Perpi­gnan, Imp. de I'Indépendant, 1899, i n - 1 2 , 1 18 pp. Cet ouvrage contient vingl-cinq contes et d'autres narrations.

28. CoKSTANZ (I.luis G. M. I).), Rondalles, Banyoles, Imp. dc F. Granes. 1 9 2 5 , in-12, 2 2 0 pp. Cet ouvrage contient quarantè el un contes recueillis dans la province

de (ierone. Ils sont écrits dans une langue plus littéraire que folklorique. 29. COXSTANZ I ENRIC \ ' \ L O R , Rondalles gironines i valencianes, Barce­

lone, Ed. Ariel, 1 9 5 1 , in-4, ' 5 5 PP-Cet ouvrage contient onze contes de la province de Gerone et cinq contes

vnlenciens adaptés et refaits librement. 3c. FARNÉS (Sebastià), Narraciones populares catalanes, traducidas W>re-

mente por A.R.L·L., Barcelone, Biblioteca Universal ilustrada, 1 8 9 3 , i n - 1 2 , 187 pp.

Contient vingt et un contes courts.

280

Page 266: Contes Catalans

3 1 . FERRER I GIXAKT (Andreu), Rondaies de Menorca, Folklore Balear, vol. I, Ciutadella, Imp. de Viuda de Salvador Fàbregas, 1914 , in-8, 26 + 288 pp. Cet ouvrage est l'unique recueil de contes de l'He de Minorque écrits avec

lidélité linguistique et soin folklorique. 11 contient vingt-trois contes avec notes et une table de termes dialeetaux. 3 2 . GEIS (Camil), Llibre de rondalles populars, Barcelone, Llibreria et Tipo­

grafia catòlica S.A., 1935 , in-8, 47 pp. Contient dix-sept contes courts et très connus.

3 3 . GOMIS I LI.AMBIAS ( J . ) , Rondalles. Aplec de contes de les comarques de Catalunya adaptat per a servir de lexl a les escoles (Publicacions Gerunda), Gerone, Ed. gerundense, 1922, in-8, 88 pp. Cet ouvrage contient vingl-cinq récits, recueillis dans les regions de li

province de Gerone, et qui sont plus près dc la légende que du conte.

34 . LLORENS I CARRERAS (Sara), Petit aplec d'eximples morals ab una noticia preliminar d'en Rosend Serra i Pagès (Biblioteca folklòrica catalana, vol. I), Barcelone, Ed. Fidel Giró, 1906, in-12, 54 pp. Cet ouvrage reproduii quinze contes éducatifs et moraux.

3 5 . MARTÍNEZ I MARTÍNEZ (Francesc), Coses de la meua terra, Yalence, 1 9 2 1 -1927, 3 volumes.

Cet ouvrage contient vingt-deux contes parmi d'autres documents de la litlérature traiiitionnelle. 36 . MASI'ONS I LAKRÓS (Francesc de S.), Cuentos populars catalans (Folklore

català, Biblioteca de l'Associació d'excursions catalana, vol. II), Bar­celone, Àlvar Verdaguer, 1885, in-12, 145 pp. Seconde édition, Biblioteca Folklòrica Barcino, vol. VIII, Barcelone, 1953, in-8. Cel ouvrage contient vingt contes lidèlement transcrits et confrontés

avec d'autres contes étrangers. 37 . ID., La Rondallayre. Cuentos populars catalans, Barcelone, Àlvar Ver­

daguer, vol. I, 1 8 7 1 , 1 15 pp.; contient 26 contes; vol. II, 1872, 1 1 0 pp. ; contient 27 contes; vol. III, 1875, 173 pp.; 27 contes. Cet ouvrage est un des meilleurs recueils du siècle dernier. C'est un

ouvrage assez rare. Du premier volume, une deuxième édition est parue : Lo Rondallaire. Antologia col·lecció d'escriptors catalans moderns, n° 4, Barcelone, Ed. Barcino, 1930, in-12, 157 pp.

38. MESTRES (Apeiles), Llegendes i tradicions del Montseny, Barcelone, Salvador Bonavia, 1933 , in-12, 193 pp. Cet ouvrage contient quatrc-vingl-deux contes très soigneusement ras-

semblés dans la région du Monseny.

39. It>., Tradicions. Folklore català, Barcelone, Imp. de Espasa i Compa­nyia, 1895, in-12, 296 pp. Contient une centaine de contes très courts.

40. MlLÀ I FONTANALS (Manuel), Observacioncs sobre la Poesia Popular, Barcelone, Imp. de Xarciso Ramírez, in-8, 177 pp.

28 l

Page 267: Contes Catalans

Ce volume, le premicr ouvrage d'étuiles folklòriques «le Catalogne, traite essentiellement «le la chanson, mais il contient neuf contes écrits en un style très concis et abrégés. Ils ont été les premiers du folklore catalan qui aient été publiés.

4 1 . MIQUEL I BADIA (Francesc), Cuentos de la Ahuela para la Nines, Bar­celone, Ed. Juan Oliveras, 1864, in-8, 88 pp. Contient douze contes contés avec beaucoup d'esprit.

42 . PINTI 1 COLLEL (Joan), Rondalles, Barcelone, 1 9 2 1 , in-12, deux fas-cicules. Contient deux contes d'un style plus littérairc que folklorique et exce<-

sívement rallongés.

4 3 . Rondalla del Dijous, Barcelone, L'Avenç, 1909, in-8, vol. I , 4 1 5 pp.; vol. I I , 400 pp. Revue enfantine spécialisée dans la publication «le contes de tous les pays parmi lesquels il y a quarantc-cinq contes catalans.

44. SALVATOR (Ludwig Erzherzog), Màrchen aus Mallorca, Würburg-Leipzig, 1896, in-8, 271 pp. Cet ouvrage contient einquante-quatre contes, les mèmes que ceux de

1 '«édition majorquine. 45. SERRA I BOLDÚ (Valeri), Aplec de rondalles, Nova recopilació de ron­

dalles populars catalanes, Biblioteca literària, Barcelone, Ed. Cata­lana S.A., sans date, in-12, 207 pp. Cet ouvrage contient vingt-cinq contes recueillis dans la tradition orale.

46. ID., Rondalles maravelloses, Barcelone, Ed. Catalana S.A., 1 9 2 , , in-8, 188 pp. Contient douze contes écrits suivant un critère peu scientifique.

47. ID., Rondalles populars, Barcelone, Aleu Domingo i Companyia, 1930-'938' Dix-huit fascicules in-12 de 72 pp. Contient un ensemble de quatre-vingt-quatre contes destinés aux enfants,

écrits selon un critère peu scientifique.

48. THOS I CODINA (Terenci), Lo llibre ie l'Infantesa. RondaUari Català, Barcelone, Estampa y Llibreria de Verdaguer, 1886, in-12, 119 pp. Cet ouvrage contient dix-huit contes traditionnels écrits dans un style

excessivement littéraire. 49. Una Vegada, Barcelone, 1907, revue enfantine spécialisée dans la

publication de contes parmi lesquels elle publié neuf contes catalans. 50. VALLDAURA (Anna de) [Joaquina Santamaría], Tradicions religioses de

Catalunya, Barcelone, Estampa de J . Rocca i Bros, 1877 , > n - ' 2 > ' 5 7 PP-Contient quarantè contes. Seconde édition : Barcelone, Foment dc

Pietat Catalana, 1926, in-12, 32 pp. ; contient douze contes. Troisième édi­tion : Barcelone, Ed. Millà, 1948, in-8, «17 pp.; contient soixante-dix-huil contes courts. 5 1 . VALOR I V I V E S (Enric), Rondalles Valencianes, Valence, Ed. Torre,

in-12, vol. I, 1930, 62 pp.

282

Page 268: Contes Catalans

Ce volume contient quatre contes. Le volume I I , de 62 pagès également, en contient trois. Ce petit recueil a un caractère plus littéraire et linguistique que folklorique. C'est le seul recueil de contes valenciens.

3 2 . VERDAGUER (Jacint), Rondalles, (Euvre posthume, Barcelone, Tipografia L'Avenç, 1905, in-12, 167 pp. Cet ouvrage contient qunrantc-huit contes écrits dans un style plus litté­

raire que folklorique. 53. VENTOSA (Mercè), llises i Polijem en la Rondaüistica catalana. Publica-

tions de la Seclion folklorique du Centre Excursioniste de Catalunya, Barcelone, L'Avenç, 1910 , in-4, 31 pp. Cet ouvrage componc une étude des versions catalanes de ce conte.

II. A U T R E S O U V R A G E S CITÉS D A N S L E S R E M A R Q U E S

5 4 . AARNE-THOMPSON : Aarne (Antti) et Thompson (Stith), The Types of the Folk-Tale, .1 Classification and Bibliògrafhy, Folklore Fellows Com­munications n° 74, Hèlsinki, 1928, in-8, 279 pp. (Classification des Contes types indo-européens, admise internationalcment par tous les folkloristes).

5 5 . BASII.E (Giambattista), Lo cunto de li cunti, ouero Lo trattenemiento de' peccerille (Le conte des contes ou Le divertissement des enfants) paru à Xaples en cinq Jiórnata de 1634 à 1636, appelé plutót le Petitamerone h partir de 1674.

56. BOGCS (Ralph S.), Index of Spanish Folktales, Folklore Fellows Com­munications n° 90, Hèlsinki, 1930, in-8, 2 1 6 pp.

5 7 . GONZEXHACII (Laura), Sicilianische Miirclien, Leipzig, 1870, deux volumes, Liu-368 pp. et iv-263 pp.

58. Su AUN (Jan-Ójvind), The tale of Cupid and Psyche (A. -T. 425 à 428), Lurid CVVK Gleerup, 1955.

Page 269: Contes Catalans

T A B L E

D E S M A T I È R E S

Page 270: Contes Catalans

C O N T E S C A T A L A N S

I X T R O D I C T I O X 7

I. La Maria-Roseta "3

II. Le Sorcier aux sept doigts 27

III . Le Roi Macip 35

IV. Le chapeau du Diable 49

Y . La Fille du Soleil et de la Lune 63

V I . Pierrot à l'anneau d'or 7 . ?

V I L L'Attisebraise 8 6

V I I I . Les trois pensées 103

I X . La gardeuse de porcs qui devint princesse 1 1 3

X . Le Père Gros-Jean U O

X I . La Coccinelle «3 6

X I I . Le Géant aux trois tetes ' 4 7

X I I I . La Margaridette 153

X I Y . La Princesse Doucemiel ' 5 7

X Y . Petit-Jean qui avait une bosse derrière et une bosse devant.. 177

X V I . Sang-et-Xeige 184

X V I I . Le Bossu et la Mariette ' 9 °

X V I I I . Le Treize 207

287

Page 271: Contes Catalans

X I X . 1-a Princesse bossue 2 1 4

X X . La Fille du Charbonnier 225

X X I . Le Savetier qui devait un pauvre petit denier 230

X X I I . Le Chat et le Bélier à la maison «les Loups 237

X X I I I . La Commère Renarde, l'Ours et le Forgeron 241

X X 1 Y . La Commère Renarde, le Lion, la Lionne, le Boeuf et le Cheval. 247

X X V . Mistoires qui ne finissent pas 251

Remarques sur les contes de ce recueil 257

Bibüographie du conte catalan 2 7 8

Page 272: Contes Catalans

A C II E V D ' I M P R I M E R

S U R L E S P R E S S E S n'Ai'BIN LIGl'GÉ ( VI EN NE)

LE 2C) MAI ' 0 5 7

POUR I.E COMPTE DES ÉDITIONS ÉRASME, 3 1 , OUAI DE BOURBON, I'AKIS-4''

D. 1... 2-1957. — Editem-, n° 10. — Imprinieur, n" 1.031. Imprimé en France.

Page 273: Contes Catalans

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