5. Les dispositifs de lutte contre les phénomenes d'influence
Communication d'Influence
Transcript of Communication d'Influence
-
8/8/2019 Communication d'Influence
1/88
1
COMMUNICATION DINFLUENCE
Manuel de survie a lusage des entreprises
Pierre-Marie de BERNY
-
8/8/2019 Communication d'Influence
2/88
2
INTRODUCTION .......................................................................................................... 3
DEMOCRATIE : LA NOUVELLE DONNE ............................................................................ 5
INFLUENCE CONTRE PROPAGANDE .................................................................... 6
Propagande, acte II ............................................................................................... 6
Obsolescence de la propagande : un pige pour lopinion ................................... 11
La victoire de linfluence sur la propagande ......................................................... 23
DEMOCRATIE DOPINION ET REDISTRIBUTION DE LAUTORITE ..................... 27
Mutation du pouvoir : de lautorit linfluence .................................................... 27
Le nouveau rle du politique ................................................................................ 32
FAIRE ENTENDRE LA VOIX DE LENTREPRISE ................................................................. 39
LENTREPRISE FACE AU RISQUE DOPINION .................................................... 40
Des risques nouveaux pour lentreprise ............................................................... 40
La ncessit dcouter ......................................................................................... 45
Prendre le risque bras le corps ......................................................................... 53
LEVIERS DACTION POUR LENTREPRISE .......................................................... 59
Les modes dinfluence actuels ............................................................................. 59
Conqurir la confiance ......................................................................................... 65
Lentreprise : coupable, victime ou hros ............................................................. 72
CONCLUSION ........................................................................................................... 80
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 83
ANNEXES................................................................................................................. 85
-
8/8/2019 Communication d'Influence
3/88
3
INTRODUCTION
Dans nos dmocraties occidentales, souvent qualifies de socits du
spectacle, le rle des mdias est fondamental dans notre perception de la
ralit. Les mdias nous dlivrent longueur de journe des messages
destins nous convaincre dacheter des yaourts brasss ou dadopter tel point
de vue sur une question de socit. Mieux, ils ont la capacit de focaliser notre
attention sur certains sujets plutt que dautres et faonnent ainsi notre
apprciation du monde.
Si ce constat est unanimement admis, la question de savoir qui contrle les
mdias obsde nos concitoyens autant quelle leur chappe. On fantasme
volontiers sur un pouvoir constitu de mystrieuses minences grises qui nous
manipuleraient froidement depuis des salles de contrle souterraines1 Ou
bien on accuse tour--tour les hommes politiques, les puissances financires,
voire les mdias eux-mmes de chercher nous imposer une faon de voir le
monde, pour mieux asseoir leur pouvoir.
En effet, la capacit faire lopinion2 irrite et fascine.
Avec lmergence des nouvelles technologies de linformation et de la
communication, deux discours sopposent sur le pouvoir de contrler de
lopinion :
- Certains voient dans le phnomne Internet une rvolution dmocratique
suppose permettre tout un chacun de se forger ses propres opinions
et de faire entendre sa voix au plus grand nombre. En rendant
1 Des films comme Wag the dog (1997), de Barry Levinson, avec Robert de Niro etDustin Hoffman, sont symptomatiques de cette fascination lgard des fameux spindoctors.
2 Pour reprendre lexpression consacre par louvrage de Patrick Champagne :
CHAMPAGNE Patrick, Faire lopinion, Editions de Minuit, 1990.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
4/88
4
impossible le contrle de linformation par les puissances tatiques,
Internet instaurerait en quelques sortes une grande dmocratie directe et
mondialise qui rendrait le pouvoir aux citoyens.
- Pour dautres, Internet ne confisque pas leur influence aux mdias dits
traditionnels, mais les met suffisamment en danger pour quils soient
condamns vivre de plus en plus sous la perfusion financire de lEtat,
qui ferait ainsi main basse sur le dbat dmocratique.
Ces analyses ont tendance pour lune tourner leuphorie et pour lautre
alimenter la thorie du complot. Parfaitement antagonistes, elles ont une
consquence directe sur la faon dont les entreprises cherchent promouvoir
ou dfendre leurs intrts. Les actions quelles cherchent mettre en uvre
en ce sens doivent en effet sadresser un pouvoir. Or, selon quon adopte le
premier ou le deuxime des postulats que nous venons de dcrire, on ne situe
pas le pouvoir au mme endroit. Dans le premier cas, le pouvoir est diffus et
partag. Dans le second, il est centralis et concentr au sein dinstitutions
publiques. Dans la pratique, cette divergence de point de vue se traduit par des
approches oprationnelles trs diffrentes en termes dinfluence. L o lelobbying concentre son action sur les dcideurs publics, la communication
dinfluence adopte une approche avant tout mdiatique. Entre les deux
fleurissent des offres qui articulent les deux dmarches : affaires publiques,
stratgies dinfluence
A travers cet ouvrage, nous avons donc cherch dcrypter les
caractristiques de la nouvelle donne dmocratique, afin den tirer les
conclusions sur les rapports entre lentreprise et la chose publique, tant il est
vrai que la seconde impacte lactivit de la premire. Le but est ici de proposer
des pistes et des leviers daction aux entreprises pour leur permettre de
promouvoir plus efficacement leurs intrts.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
5/88
-
8/8/2019 Communication d'Influence
6/88
6
INFLUENCE CONTRE PROPAGANDE
Propagande, acte II
Un apptit de radicalit
Depuis plusieurs annes, il est possible dobserver, en Europe tout du moins,
une tendance gnrale la radicalisation. Cette radicalisation sexprime dans
des domaines aussi divers que la communication politique, les modes de
consommation, le cinma, le sport ou encore la religion.
Cette tendance de fond pourrait trouver une explication en premier lieu dans le
dsarroi que suscite chez beaucoup la complexit de la mondialisation. Dope
par lmergence des nouvelles technologies de linformation et de la
communication, ce phnomne bouscule nos repres traditionnels, et plus
largement, notre reprsentation du monde. Il est caractris, entre autres, par
une dmatrialisation des rapports humains. Cest le paradoxe de la
communication : je suis en pleine conversation tlphonique avec un ami qui
travaille Hong Kong, tel point que jen oublie de saluer mon voisin que je
croise sur le trottoir. Par ailleurs, le formidable dveloppement conomique
permis par cette explosion des NTIC est prcisment d la capacit
aujourdhui quasiment acquise pour tout acteur conomique ou tout individu,
dtre connect en permanence travers un tissu de relations en rseau.
Le matin, en me levant, je lis les SMS que jai reus pendant la nuit. Pas besoin
dallumer mon tlphone, je ne lteins plus le soir. Ah tiens ! Une photo de
Guillaume. (Guillaume, cest un ami rencontr sur Facebook). A regarder sa
tte, je me demande sil avait encore quelques grammes de sang dans lalcool
3h Et puis qui est cette fille qui saccroche lui ? Javale un petit djeuner
et saute dans le mtro. L, je consulte mes mails : comment fait Brigitte pour
-
8/8/2019 Communication d'Influence
7/88
7
menvoyer des messages 02 h 12 ? Jarrive au bureau et je dmarre mon
ordinateur. Ouf, tout le monde est l : mes contacts MSN, mes amis Facebook,
mes adresses mails, les contributeurs de mon forum prfr. Cest parti pour
une journe de zapping relationnel Tiens, mon collgue Nicolas menvoie un
mail, sans grand intrt je dois dire. Mais quand-mme, on travaille cinq
mtres lun de lautre, ce serait peut-tre aussi simple si on se parlait, non ?
Nous traversons une priode o sont rebattues les modalits de notre
conception du monde. Au cocon rassurant dun monde fini, dlimit, qui oppose
lici et le l-bas, se substitue un univers de plus en plus dconnect de toute
contrainte gographique (du moins dans nos socits occidentales
dveloppes). Lespace, qui conditionnait auparavant les dlais et la facilit des
flux de personnes, de marchandises et dinformations, est devenu une monnaie
qui se dvalue grande vitesse. Ce changement radical nest pas sans susciter
une angoisse bien comprhensible de la part de nos contemporains.
La consquence est un attrait prononc pour tout ce qui est susceptible de
nous rattacher des repres rassurants. Cest de cette faon quon se prcipitedans les salles de cinma pour passer un bon moment en regardant le
dsormais clbre film de Dany Boon Bienvenue chez les Chtis. On y retrouve
des repres partags dans une ambiance franchouillarde, nourrie de clichs
rgionaux qui font chaud au cur et rveillent une histoire collective perue
comme menace face une mondialisation difficile apprhender.3
Ce besoin de retour aux sourcessexprime jusque dans les choix alimentaires.On veut manger des produits naturels, comme au bon vieux temps. Si cet
apptit na pas ncessairement pour effet de faire la fortune des petits
producteurs agricoles, il conditionne nanmoins les choix de lindustrie
3Il est tentant doprer ici un rapprochement avec lenthousiasme qui accompagna la
naissance des mouvements folkloristes du XIXme sicle, en raction au sentiment de
dilution des particularismes rgionaux dans une France uniformise, issue de la
Rvolution.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
8/88
8
agroalimentaire en termes de marketing (bienvenue dans le monde de la chips
lancienne), et ceux des distributeurs qui abandonnent le dveloppement des
hypermarchs pour favoriser les commerces de proximit.
Du pain, doncet des jeux : car cette tendance gnrale la radicalisation, ou
plus exactement au got pour la radicalit, trouve un cho jusque dans les
prfrences du public en matire de spectacles sportifs. La popularit
grandissante du rugby en tmoigne : on veut du contact, de lengagement
physique, des plaquages virils et des arcades sanguinolentes. Ce sport,
autrefois rserv un public dinitis se dmocratise depuis quelques annes,
notamment auprs dun public fminin auparavant peu adepte de ce type de
spectacle4. Les partenaires et sponsors se multiplient et les enchres montent.
Cest blanc ou cest noir
A cet attrait montant pour la radicalit, sajoute un dbut dpuisement de cequil est convenu dappeler le relativisme. Lide selon laquelle lindividu est la
mesure de toute chose, porte aussi bien par les tenants dun libralisme
dbrid que par des idologies libertaires, sest rige en critre suprme
juridique et thique. Ds lors, la distinction habituelle entre le bien et le mal perd
de sa pertinence : elle est dailleurs gnralement taxe de manichisme. Un
des symptmes de cette disparition de normes morales partages est la
passion que suscite dsormais la promotion du dveloppement durable, enparticulier dans sa traduction cologique, et qui ressemble fort une tentative
collective et frntique de sauvegarder la notion de bien commun.
4Face ce phnomne, la Socit Gnrale, partenaire historique du rugby franais,
cr le site www.paramourdurugby.com. Une rubrique destine prioritairement aux
femmes est ddie une dcouverte des rgles du rugby pour les non-initis.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
9/88
9
En effet, force est de constater quune certaine lassitude se fait jour face cette
disparition de rfrences collectives.
Paralllement, on observe une rceptivit grandissante de lopinion vis--vis de
discours qui facilitent notre reprsentation du monde en clamant ce qui est bien
et ce qui est mal. On ne prche plus sa vrit, mais La Vrit. Le retour en
force du phnomne religieux, dans sa version dcomplexe ,
traditionnelle , ou fondamentaliste en est lune des manifestations les
plus visibles.
La rhtorique du retour aux fondamentaux sinvite galement dans les
campagnes lectorales.
Cest quen termes de communication politique, la radicalit paye.
A cet gard, la campagne prsidentielle franaise de 2007 a t
particulirement significative. Nous avons assist une surenchre de
radicalit dans les discours politiques. Quand, la veille de la campagne,
Sgolne Royal annonce sa volont de faire encadrer les dlinquants par des
structures militaires, sa cote de popularit fait un bond. Que Franois Bayroulance quil faut supprimer lENA et les intentions de vote en sa faveur
sacclrent. Le plus frappant est de voir Nicolas Sarkozy, en meeting Bercy,
mugir quil faut en finir avec mai 68 , renforant sa position en tte des
sondages. Plus rcemment, le Nouveau Parti Anticapitaliste dOlivier
Besancenot, qui appelle sans dtour la rvolution communiste rencontre un
franc succs dans lopinion. Un sondage BVA paru le vendredi 13 mars 2009
prte Olivier Besancenot une cote de popularit quivalente celle du chefde lEtat, Nicolas Sarkozy.
A lchelle de lEurope, la monte des mouvements nationalistes participe du
mme phnomne. On se souvient notamment de la campagne mene en
2007 par le parti Suisse de lUDC (Union Dmocratique du Centre), propulsant
son leader Christoph Blocher 27% dintentions de vote : sur l'une des affiches
alors placardes dans tout le pays, deux moutons blancs paissent sur le
-
8/8/2019 Communication d'Influence
10/88
10
drapeau suisse. Un troisime, d'un coup de pattes, jecte un mouton noir.
Pour plus de scurit , peut-on lire
*
La combinaison des deux phnomnes que nous venons de dcrire (got pour
la radicalit et puisement du relativisme) ne constitue-t-elle pas, finalement, un
terrain idal pour la propagande ? La question mrite dtre pose. En effet, ce
qui caractrise la propagande est sa capacit rendre le monde
comprhensible et aider faire la distinction entre le bien et le mal. Ds lors,
le besoin de retour aux fondamentauxet la qute de sensque nous observons
chez nos contemporains face un monde de plus en plus complexe et
dmatrialis exposent nos socits aux dangers de la propagande qui apporte
une rponse ces proccupations par la diffusion dune vision simpliste de
cette ralit complexe. Par cette reprsentation du rel, la propagande a la
capacit de rassurer, de donner du sens et souvent de dsigner des boucs
missaires qui deviennent la cause et lexplication de tous nos maux et de tous
nos malheurs.En effet, la vision du monde propage par la propagande repose toujours sur
une idologie et passe ncessairement par une simplification outrance du
rel. Dans Lge des foules, Serge Moscovici dcrit parfaitement ce
phnomne :
La propagande [] a une base irrationnelle : les croyances collectives, et un
instrument : la suggestion de prs ou distance. La majorit de nos actionsdrive des croyances. Lintelligence critique, le manque de conviction et de
passion, sont deux obstacles laction. La suggestion peut les surmonter, cest
pourquoi la propagande qui sadresse aux masses doit user dun langage
dallgories, actif et imag, de formules simples et impratives. 5
5MOSCOVICI Serge, Lge des foules, Fayard, 1981.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
11/88
11
En somme la propagande fonctionne comme une vritable matrice, dont la plus
grande force est de rsister au rel.
Obsolescence de la propagande : un pige pour lopinion
NTIC : pied de nez aux dictatures
Le terrain serait-il donc idal pour un retour en force de la propagande ?
Tout dabord, nous sommes tents de dire que non, parce que le terme
propagande renvoie surtout aux systmes totalitaires qui ont assombri le
XXme sicle.
Par ailleurs, outre le fait quil est difficile de taxer nos dmocraties occidentales
de totalitaires, il est vident et les deux phnomnes sont incontestablement
lis que les modalits permettant un pouvoir de matriser lensemble des
canaux et des flux de communication ne sont plus runies. La dernire lection
prsidentielle iranienne nous en a fourni un exemple probant. Le pouvoir a en
effet cherch, en vain, imposer un vritable silence mdiatique sur la
rpression sanglante des manifestations dopposition la rlection de
Mahmoud Ahmadinejad. Les mdias nationaux ont t musels et les
journalistes trangers ont t assigns rsidence. Cela sest avr inefficace
puisque les photos et les vidos des violences policires se sont rpanduescomme une traine de poudre sur Internet et que les rseaux sociaux comme
Twitter ont permis lopinon internationale de suivre presque en temps rl les
vnements. Certains, comme Lev Grossman, ont nanmoins cherch
temprer leuphorie gnrale en montrant que ce contournement de la censure
grce aux nouveaux mdias ne constitue pas pour autant un remde miracle
contre les rgimes autoritaires :
-
8/8/2019 Communication d'Influence
12/88
12
Twitter isn't a magic bullet against dictators. As tempting as it is to think of the
service as a purely anarchic weapon of the masses, too distributed to be
stoppable, it is theoretically feasible for a government to shut it down, according
to James Cowie, CTO of Renesys, a company that collects data on the status of
the Internet in real time. While Iran has a rich and diverse Internet culture, data
traffic into and out of Iran passes through a very small number of channels. It's
technically relatively trivial for the state to take control of those choke points and
block IP addresses delivering tweets through them. The SMS network is even
more centralized and structured than the Internet, and hence even easier to
censor. 6
Toujours est-il que la propagande tombe en obsolescence dans un systme
fonctionnant sur le mode de linterconnexion. Autrefois, la propagande pouvait
simmiscer dans tous les aspects de la vie de lindividu, dans les domaines
sportifs, culturels, artistiques, architecturaux, mdiatiques, etc. Aucune autre
reprsentation de la ralit ntait tolre. Le pouvoir disposait dune police
politique et de moyens de rpressions propres tuer dans luf tout contre-
pouvoir. Mais aujourdhui, le pouvoir devient lui-mme interconnect etrassemble la fois les diffrents acteurs du dbat public et ceux qui sont en
charge de la dcision.
Dans son livre La socit assige, Zygmund Bauman compare cette
redistribution du pouvoir la financiarisation de lconomie :
Les relations de pouvoir nouvelle formule suivent le modle des boursesde marchandises qui installrent le charme et la sduction la place
6GROSSMAN Lev, Iran protests : Twitter, the medium of the movement , Time.com,
2009,http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1905125,00.html
-
8/8/2019 Communication d'Influence
13/88
13
quoccupait autrefois la rgulation normative, et substiturent les relations
publiques au commandement. 7
Un sentiment de maturit trompeur
Cela tant, lide dune obsolescence de la propagande, laquelle il est tentant
de souscrire, provoque immanquablement dans lopinion un sentiment de
maturit vis--vis de toute forme de propagande. Et pour cause, pas un jour
sans quun expert en communication vous dcrypte les mimiques des
hommes politiques, ou quun journaliste analyse la stratgie de communication
de tel ou tel parti. Les mdias commentent presque autant la pertinence de la
stratgie de communication dun gouvernement que celle de son action en elle-
mme. Un homme politique est prsent dabord reconnu pour ses qualit de
communiquant. Tout cela participe au sentiment gnral qui consiste se croire
immunis contre la propagande. Il y aura en effet toujours un contre-pouvoir
pour dcrypter ou dnoncer
En ralit, il sagit dune maturit vis--vis de la communication qui se voit.
Parce quautant il est ais de commenter en long, en large et parfois de travers
une campagne de spots tlviss, autant les commentaires se font plus rares
lorsquil sagit danalyser limpact de catgories smantiques sur la construction
de la pense du public.
Arrtons-nous ici sur cette relation de lopinion la communication qui se voitet
celle qui ne se voit pas.
Le sentiment de maturit vis--vis de la communicationqui se voitest dautant
plus propice linfluence de lopinion quil est en grande partie illusoire.
En effet, la communicationqui se voit (et par consquent qui se commente et
se dcrypte) est toujours le fruit dune mise lagenda, comme disent les anglo-
7 BAUMAN Zygmund, La socit assige, Le Rouergue/Chambon, 2005, p.55.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
14/88
14
saxons8. Cest le phnomne bien connu du halo mdiatique : la visibilit de
lvnement apporte par les mdias amne celui-ci la conscience publique.
Ainsi, lvnement nexiste qu travers sa mdiatisation et il est susceptible de
toucher ou non le public.9 Le rle des agences de presse par exemple, comme
lAFP, AP ou Reuters, est dcisif dans la slection de ce qui fera ou non
lactualit, parmi une immense quantit de faits et dvnements.
Le cerveau humain nest pas disponible en permanence. Sa rceptivit est
ncessairement segmente et limite dans le temps. Chaque exposition un
mdia (dans lacceptation large du terme) reprsente une opportunit de retenir
son attention. Or, dans nos socits souvent qualifies de socits de limage
ou de socits du spectacle, notre cerveau a tendance tre sollicit en
permanence (publicit, tlvision, journaux gratuits, sites web, etc.) et opre
donc un tri plus ou moins conscient entre ce qui mrite son attention ou pas.
Par consquent, le vrai pouvoir rside dans la capacit occuper le temps
dautrui. Pour Franois-Bernard Huyghe10, la clbre phrase de Hobbes
Gouverner cest faire croire devrait tre reformule de la manire suivante :
Gouverner cest faire penser ou faire smouvoir de ; et lauteur deconclure que si le pouvoir consiste occuper le temps des gens, le vrai pouvoir
consiste donc occuper le temps des mdias.
Cest que dans une socit interconnecte o le dveloppement des NTIC rend
quasiment impossible tout contrle des flux dinformations, nous avons vu quil
devient difficile dimposer des dogmes. Le pouvoir consiste donc plutt
8Agenda making
9BAUDRILLARD Jean, Lre de la facticit, in Technologies et symboliques de la
communication, Presses Universitaires de Grenoble,1990.
10HUYGHE Franois-Bernard, Du bon usage du cerveau dautrui , Huyghe.fr, 2009,
http://www.huyghe.fr/actu_247.htm
-
8/8/2019 Communication d'Influence
15/88
15
imposer des priorits. Dans la pratique, cela peut consiste aussi bien susciter
une dpche en attirant lattention dune agence de presse par un coup
mdiatique, qu mettre en uvre des stratgies de rfrencement sur Google.
Cette dernire pratique devient lun des points cls de la capacit crer de la
visibilit sur le web. Certaines agences spcialises proposent leurs services
pour optimiser le ranking des sites de leurs clients sur les moteurs de
recherche. Les offres de formation aux techniques et aux stratgies de
rfrencement fleurissent sur la toile.
Linfluence que permet la capacit faire lagenda et attirer lattention du
public au-del du contenu mme du message relativise fortement lide
dune maturit de lopinion vis--vis de la communication qui se voit.
Devant ce constat, on comprend lefficacit dautant plus forte de la
communication qui ne se voit pas. A ce titre, la rhtorique et la smantique font
figures darmes de construction massive de notre perception de la ralit.
Rhtorique
Prenons un exemple : la tribune des Nations Unies, en septembre 2008, le
Prsident Sarkozy appelle pour faire face la crise reconstruire un
capitalisme rgul . La formule, emprunte la gauche, nest pas nouvelle,
mais il sagit l dun bel oxymore. Le propre du capitalisme est quil repose sur
la seule loi de loffre et de la demande et lautorgulation. Cest le fameux
phnomne de main invisible dAdam Smith. Dans un tel systme, touteautorit politique ou administrative dsirant agir sur le march drgle la
machine, ce qui produit ncessairement des effets nfastes. Par consquent,
vouloir rguler lconomie de march par autre chose que par elle-mme na
pas de sens. Le but dun tel oxymore, rpt sans cesse par le Prsident de la
Rpublique est avant tout de rassurer aussi bien les dfenseurs dun modle
socialiste que les partisans dune conomie librale. Autre exemple :
lexpression Islam la franaise , chre au chef de lEtat, consiste nier la
-
8/8/2019 Communication d'Influence
16/88
16
dimension universelle dune religion en prtendant en proposer une dclinaison
nationale. Loxymore a une double utilit en termes de communication : il peut
satisfaire - ou plus exactement rassurer - des parties opposes pour se
soustraire une raction hostile de leur part et peut facilement devenir un
slogan qui, inlassablement repris et rpt, cr chez celui qui y est
rgulirement expos une catgorie mentale quil finit par adopter. Si la
technique est bien connue des professionnels du marketing, la communication
politique nest pas en reste. Quon songe la force tranquille de Jacques
Sgula pour la campagne de Franois Mitterand en 1981, qui a t depuis
dtourn dans des expressions comme la rupture tranquille ou encore le
changement dans la continuit .
Linfluence de la rhtorique est en effet dterminante sur la construction de la
pense. Nous comprendrons ici rhtorique dans sons sens originel : cest--dire
comme un ensemble de rgles visant agencer efficacement des mots dans le
but de persuader un public. Cette technique, dont le nom a t galvaud et
voque plutt aujourdhui lart de lloquence, voire la langue de bois, a t
thorise par les Grecs cinq sicles avant notre re. Dans son trait LaRhtorique, Aristote en a pos les fondements qui permettent encore dclairer
les stratgies actuelles de communications, quelles soient publicitaires,
institutionnelles ou politiques. Quel collgien ne se souvient pas avoir appris
dceler dans un texte les euphmismes, oxymores, hyperboles et autres
mtonymies ? La rhtorique se distingue de la dmonstration proprement
parler par le fait quelle sattache moins la justesse dun raisonnement de type
mathmatique qu la meilleure faon dutiliser le langage crit ou parl pourpersuader un public donn. En un mot, il sagit dextraire dun raisonnement son
pouvoir de persuasion pour le rduire un nonc efficace, quitte renoncer
au moins en partie la rigueur scientifique.
Langue et smantique
-
8/8/2019 Communication d'Influence
17/88
17
Si les Anciens avaient compris le pouvoir des mots en dmocratie, les
promoteurs des idologies totalitaires du sicle dernier ont franchi un cap en
passant matres dans lart qui consiste imposer par la langue un mode de
pense et de perception du monde tout un peuple. Orwell, dans 198411, dcrit
lutilisation cynique dune telle stratgie en vue dimposer dfinitivement un
pouvoir totalitaire par lenfermement des masses dans une idologie.
Le but de la novlangue tait non seulement de fournir un mode dexpression
aux ides gnrales et aux habitudes mentales des dvots de langsoc, mais de
rendre impossible tout autre mode de pense. Il tait entendu que lorsque la
novlangue serait une fois pour toutes adopte, et que lancilangue seraitoublie, une ide hrtique - cest--dire une ide scartant des principes de
langsoc - serait littralement impensable, du moins dans la mesure o la
pense dpend des mots.
En effet, comment concevoir et diffuser lide de libert politique sil ny a pas
de mots pour lexprimer ?
De la fiction la ralit, il ny a quun pas : dans La langue de bois12, Franoise
Thom nous livre une analyse trs pertinente de la novlanguede lURSS. Elle y
montre notamment le puissant pouvoir de contagion idologique de la langue
de bois sovitique. En effet, manier irrprochablement la langue de bois, cest
proclamer sa fidlit lidologie. Par consquent, quand matriser la langue de
bois devient un facteur discriminant pour laccs aux postes de responsabilits,
elle est adopte en premier lieu par les lites qui, par linfluence quils exercent,finissent par tre imits. Ainsi, la langue de bois conquiert progressivement
ladministration, les universits, les mdias, les coles et finit par imposer des
rfrences mentales collectives dont il est extrmement difficile de sextraire.
11ORWELL Georges, 1984, Gallimard, 1991.
12 THOM Franoise, La langue de bois, Julliard, Paris, 1987.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
18/88
18
Toute entorse ce politiquement correct de la langue est qualifi de dissidence
et provoque lexclusion, la marginalisation, ou pire
Cette langue de bois a ses expressions figes : forces dmocratiques et
populaires , ralit naturelle et sociale , elle privilgie la forme passive pour
viter davoir prciser qui fait quoi et crer un sentiment dappartenance aux
nous par rapport au eux: de grands progrs ont t accomplis , la
vigilance des dmocrates du monde entier a t rveille . Elle fait appel des
formules verbales floues pour donner lapparence du srieux scientifique un
nonc : prendre objectivement la forme de , dterminer en dernire
instance , tablir un rapport dialectique avec . Elle cherche exprimer un
mouvement progressif et irrversible, produisant ainsi une approche
processuelle de la ralit : la progression inlassable , de plus en plus ,
de jour en jour .
La langue idologique agit selon trois modes :
- Linterdiction de formuler et finalement de concevoir certaines ides.
- La suggestion, en imposant un ensemble de formules qui se rpondent
les unes aux autres et produisent un enfermement dans un dogme.
- Le signalement de lappartenance un camp, par conviction ou par
contrainte, qui exprime la soumission du sujet qui emploie ce code
lautorit idologique de linfluent.
Cest ce qua expliqu Franois-Bernard Huyghe, dans une intervention au
Festival du motde La Charit-sur-Loire en juin 2008 :
la langue se prte des stratgies dinfluence, cest--dire lemploi
coordonn de moyens destins produire de lopinion et du consentement,
sans avoir recourir la contrainte, sans se rclamer dune autorit explicite et
-
8/8/2019 Communication d'Influence
19/88
19
sans rien donner en change, donc sans compensation ni rcompense. Certes
linfluence peut tre relaye par la puissance ou lautorit : limposition de
certains vocables peut saccompagner de sanctions ou tre dcide par ordres
et dcrets, mais cela ne change rien au pouvoir dinfluence intrinsque de la
langue.
Et Huyghe de prciser :
Linfluence peut porter aussi bien sur le contenu (imposer une conviction ou un
comportement linfluenc, le faire adhrer une proposition) que sur le code
(intgrer des catgories mentales ou des attitudes gnrales qui poussent penser et agir comme le souhaite linfluent). De la mme faon, les mots
agissent par leur agencement habile qui produit leffet de croyance dsir, mais
aussi par leur simple prsence ou absence dans le vocabulaire de linfluenc.
Ils manifestent leur puissance travers des rgles qui gouvernent leur emploi et
quil peut intrioriser .
Il est intressant de constater que ce phnomne de la langue de bois nest paspropre aux dictatures. Chaque profession a son jargon incomprhensible pour
les non-initis. Juristes, mdecins, militaires, prtres assoient par un
vocabulaire spcialis leur expertise et leur autorit.
De mme, dans nos dmocraties, la prise de parole publique obit des rgles
lexicales tacites dont il est dangereux de saffranchir. Cest ainsi quun aveugle
devient un non-voyant, un clochardun sans-abripuis un SDF. Si une part deces volutions linguistiques obit une volont de pudeur (excessive ?) vis--
vis de ralits douloureuses (un infirmeou un impotentdevient un handicap
puis une personne mobilit rduite), certaines sont en revanche tout fait
volontaires et cherchent faire accepter des ralits quon refuse dassumer ou
quon cherche attnuer. En changeant de nom, les faits ou plus exactement
ceux qui en sont responsables cherchent sacheter une virginit. Les
bombardementsse muent en frappes ariennespuis en frappes chirurgicales
-
8/8/2019 Communication d'Influence
20/88
20
qui ne font plus de victimes civiles mais des victimes collatrales, voire des
dommages collatraux. Il est vrai que des frappes chirurgicales causant des
dommages collatrauxsont plus faciles avaler que des bombardementsqui
tuent des femmes et des enfants
Pour faire accepter une opration militaire par les opinions internationales,
larme amricaine recourt des outils smantiques parfois trs efficaces. Tout
le monde se souvient de lopration Tempte du dsert, nom sous lequel le
Dpartement de la Dfense amricain a chass larme irakienne de Saddam
Hussein du Kowet lors de la premire guerre du Golfe, en 1991. Le nom de
lopration a t choisi pour rendre la plus acceptable possible lintervention
amricaine et a t dvoile aprs un plan de communication destin
diaboliser le rgime irakien. Les mdias sont friands de ces noms doprations
qui donnent du relief une triste ralit et qui permettent de la raconter au
public qui se sent impliqu. Le nom de lopration est donc continuellement
rpt par toutes les tlvisions, les radios les journaux et devient familire
dans lopinion. Or, quvoque Tempte du dsertpour chacun de nous ? Du
sable, du vent, un grand territoire vide de population. On se reprsente
parfaitement cette guerre du dsert, au milieu de nulle part, dans un ocan desable agit par le vent, images lappui. A croire que larme amricaine se bat
hroquement contre des dunes. Cela fait oublier la ralit de cette guerre :
bombardement des villes, dommages collatraux et autres atrocits.
Cette capacit dinfluence par la smantique nest pas ncessairement
lapanage du gouvernant comme dans le cas de la novlangue, les groupes
dintrts idologiques ou conomiques lont compris. Comme nous lavons vu,une ide, pour exister, a besoin dtre nomme. Ds lors, nommer un concept
et faire adopter cette dnomination aux autres, cest donner une ide
abstraite une existence et une ralit dans lesprit de linfluenc. Rcemment,
en France, une question a agit lAssemble nationale : celle du statut juridique
du beau-parent dans une famille dite recompose. Le caractre polmique de
cette question est due au fait quelle renvoie au dbat sur ladoption denfants
par des couples homosexuels. Dans un tel dbat, la plus puissante arme des
-
8/8/2019 Communication d'Influence
21/88
21
promoteurs de ce droit dadoption est la cration et la diffusion du terme
homoparentalit. Cette trouvaille est doublement efficace :
- dune part, le mot homoparentalit accole deux ides que ses
dtracteurs font valoir comme inconciliables (physiologiquement, deux
partenaires homosexuels ne peuvent pas procrer). Ce mot constitue
donc une excellente parade : celui qui vient ladopter intgre la
catgorie mentale selon laquelle parentalit et homosexualit sont
conciliables.
- dautre part, elle met un mot unique et nouveau sur le concept. Ce mot
unique permet la fois de faciliter la discussion sur le thme de
ladoption denfants par des couples homosexuels en vitant de longues
priphrases et de susciter la curiosit par sa nouveaut. Par consquent,
il a t rapidement adopt par les journalistes et les diffrents acteurs du
dbat, y compris ces opposants. Pour lanecdote, lune des figures de
proue de cette contestation, Batrice Bourges, a mme crit un ouvrage
intitul Lhomoparentalit en question, devenant ainsi, malgr elle, levecteur de diffusion et dacceptation de ce concept
Dans cet exemple, le terme choisi fonctionne en quelques sortes comme un
cheval de Troie smantique : ladversaire ladopte car il y trouve un moyen
commode de dsigner lide quil combat et devient par la mme le promoteur
de cette ide en contribuant la diffuser et lui donner une ralit.
Pour Franois-Bernard Huyghe13, le succs dune terminologie reflte la
constance et lorganisation de ses partisans.
Les organisations prives spcialises dans linfluence, tout comme certains
services gouvernementaux savent ce que savaient dj les philosophes
13 Confrence au Festival du mot, La Charit-sur-Loire, juin 2008.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
22/88
22
chinois : que lordre politique dpend des dnominations. Et que celui qui
dcide des secondes contrle le premier. Ce nest pas une petite victoire que
davoir impos dveloppement durable , ingrence humanitaire , droit
au logement opposable : le mot a entran la norme et la norme parfois la
chose. De mme dans les organisations internationales, ce nest pas un enjeu
ngligeable que dobtenir que lon dise Golfe Persique ou les autorits qui
sont au Nord de lle de Chypre .
Nous comprenons donc quel point ces phnomnes influencent notre
perception du rel, le plus souvent sans que nous y prtions attention.
*
Nous avons vu que la propagande ntait rendue possible que par une matrise
de lensemble des canaux et des flux de communication par un pouvoir. Les
institutions dmocratiques et lexplosion des NTIC rendent impossible un tel
contrle dans nos socits.
Nanmoins, nous avons montr que le sentiment de maturit de lopinion vis--vis de la communication est trompeur : quil sagisse de la communication qui
se voitou de la communication qui ne se voit pas, notre attention est dirige sur
certains sujets plutt que sur dautres et lefficacit des techniques rhtoriques,
smantiques et de manipulation de la langue gardent toute leur force de
conditionnement. Ces techniques, dont certains rgimes autoritaires ont us en
conscience afin de soumettre des peuples entiers, inspirent prsent laction
dinfluence des groupes dintrts conomiques ou idologiques sur des sujetsvaris.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
23/88
23
La victoire de linfluence sur la propagande
En dfinitive, la recherche de repres lie lpuisement du relativisme et legot grandissant de nos contemporains pour la radicalit ne nous exposent pas
un retour de la propagande proprement parler, mais nous rendent
permables aux actions dinfluence inities par des groupes dintrts qui
matrisent, chacun leur chelle et avec leurs moyens, des leviers dinfluence
sur lopinion et les dcisions publiques, comme nous allons le voir.
En France, la campagne rfrendaire propos du Trait constitutionneleuropen de 2004 symbolise lui seul la ligne de fracture dfinitive entre lre
de la propagande et celle de linfluence. Quelles sont les forces en prsence ?
Dabord, le camp du oui regroupe les inconditionnels du parti au pouvoir
(lUMP) ainsi que les adeptes dune gauche ouverte lconomie de march.
En face, ou plus exactement autour, un ensemble de forces politiques
parfaitement htrognes qui ont toutes une ou plusieurs raisons de sopposer
une Constitution europenne : nationalisme, souverainisme, protectionnisme,
anticapitalisme, alter-mondialisme et/ou grogne contre la politique nationale du
gouvernement, les motivations sont diverses et varies, mais le dnominateur
commun est une volont den dcoudre.
Ce qui est intressant, cest que le camp du oui, UMP en tte, adopte une
stratgie de communication de type propagande alors que le camp du nonse
lance dans une vritable gurilla communicationnelle.
LUMP tient un discours de dominant, explique pourquoi on ne peut tre que
daccord avec le Trait et choisit de faire de la pdagogie . En toute bonne
foi, les partisans du ouipensent que si on explique de manire simple comment
cette Constitution va faciliter le fonctionnement des institutions europennes,
les Franais voteront naturellement en faveur du texte. Le positionnement de
dominant de lUMP sexprime aussi dans la supriorit des moyens de
communication dont le parti dispose. Avec ces moyens, lUMP fait le choix de
jouer sur le double registre de la pdagogie et du rve : pour emporter
ladhsion, il ne suffit pas de tenir un discours rationnel, encore faut-il crer de
-
8/8/2019 Communication d'Influence
24/88
24
lmotion pour faire renatre dans les curs cet engouement pour lide
europenne qui avait suivi la seconde guerre mondiale. Et pour cela, lUMP se
dote dun visuel dclin sous forme de nombreux supports de communication.
Ce visuel reprend exactement les codes des affiches de propagandes du parti
nazi des annes trente. Un enfant blond, boucl, aux grands yeux bleu, regarde
vers le ciel avec confiance ; dans ses yeux, on peut distinguer les douze toiles
du drapeau europen. La ressemblance du personnage avec une fillette
prsente sur une affiche du NSDAP est troublante, tandis que les yeux tourns
vers le ciel rappellent ces reprsentations des soldats du Reich et des jeunes
gens enrls dans les Jeunesses hitlriennes14. Ajoutons quil est difficile de
savoir si lenfant reprsent sur laffiche de lUMP est un garon ou une fille et
sil sagit dune image de synthse ou dune photo retouche ; cela le rend froid
et irrel. Alors que le dnominateur commun des opposants au Trait est de
dplorer une Europe devenue inhumaine et bureaucratique, le visuel de lUMP
ne pouvait pas plus mal tomber. En plus dtre inefficace, gageons quil fut
contre-productif.
Pour leur part, les partisans du non sactivent et appellent la rsistance contreun parti unique et une Europe de bureaucrates ultralibraux . Leurs rangs
sont cartels entre des positions politiques qui sont parfois loppos les unes
des autres. Pourtant, ils parviennent crer un mouvement du non, htrogne
et clat mais dtermin. On ne peut sempcher de penser au village dAstrix
o lempoignade entre congnres est un sport national, mais se calme ds lors
quil faut rsister lenvahisseur romain Dans ce trs disparate camp du non,
il nest videmment pas imaginable de dterminer une stratgie commune. Lesopposants au Trait constitutionnel entrent donc dans une logique de gurilla.
Contre un visuel institutionnel et froid, on oppose une forte capacit crative :
des dizaines de caricatures, de photomontages et de slogans circulent sur
Internet et sont dclins sous forme dautocollants ou de tracts. Car le facteur
14 Cf : annexe 1
-
8/8/2019 Communication d'Influence
25/88
25
cl du succs du non en 2004 a t la capacit utiliser les ressources
immenses du web.
Une tude du laboratoire Costech, de lUniversit technologique de Compigne,
a permis de cartographier les mobilisations des deux camps sur Internet15. Sur
les reprsentations graphiques suivantes, on distingue clairement la diffrence
de densit entre la sphre du ouiet celle du non.
15 Cf : annexe 4
-
8/8/2019 Communication d'Influence
26/88
26
Lintensit de la mobilisation du camp du nona bien t dterminante dans la
construction dun rapport de force qui sest sold par le rejet du trait par la
majorit des lecteurs franais.
Cest la premire fois que le web tient cette place de premier ordre dans une
campagne politique franaise.
*
En somme, nous constatons que sur le fond, les procds de linfluence sont
les mmes depuis des sicles. L o linnovation est la plus remarquable, cest
dans les modalits et la forme de leur mise en uvre, dans le contexte dune
rvolution structurelle rendue possible par le dveloppement des nouvelles
technologies de linformation et de la communication.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
27/88
27
DEMOCRATIE DOPINION ET REDISTRIBUTION DE LAUTORITE
Mutation du pouvoir : de lautorit linfluence
Dans un monde qui fonctionne de plus en plus en rseau et sur le double-mode
de lindividualisme et du communautarisme, linfluence elle-mme fonctionne
sur des mcanismes dinterconnexion.
Pour comprendre ce phnomne, il nous faut nous intresser lvolution de la
notion de pouvoir. Il est vrai que les formes actuelles du pouvoir contrastent
avec sa forme traditionnelle et verticale, fonde sur lautorit et la hirarchie. Le
dveloppement des NTIC en particulier Internet a jou un rle important
dans cette mutation. En effet, les nouvelles technologies ont considrablement
dmocratis laccs linformation, qui tait jusquici lun des attributs du
pouvoir. Le pouvoir est dsormais partag, dispers, clat. Le pouvoir est
devenu lmanation dun jeu dinfluence exerc par des acteurs de toutes
natures, de toutes tailles, tantt clairement identifis, tantt masqus.
La dtention du pouvoir sest dsinstitutionnalise. Le pouvoir est pass dune
forme solide une forme liquide. Sa conception devient abstraite et les
dcideurs politiques ont d troquer les attributs du chef contre la docilit du
gestionnaire. Docilit qui ? A quoi ? A lopinion, qui nest autre que le pouvoir
partag entre une multitude dentits en rseaux. Elle est constitue de
lensemble mouvant de modles, de valeurs et de reprsentations du monde
dominants. Elle est modele par une multitude dacteurs qui interagissent pour
susciter par leur influence des normes tacites ou rglementaires. Ces normes
sont donc la rsultante dun jeu dinfluences complexe.
Le droit ne suffit plus, loin sen faut, pour confrer sa lgitimit lautorit, nos
dmocraties dopinion fonctionnent sur dautres modes : veilles citoyennes ,
agences de notations , alertes , etc. Sur la scne du dbat public, exercer
-
8/8/2019 Communication d'Influence
28/88
28
lautorit dans le strict respect du droit peut mme se retourner contre le
pouvoir lgitime. Ainsi, quand lassociation des Enfants de Don Quichotte, un
an aprs linstallation de tentes au bord du Canal Saint-Martin, annonce dans
les mdias que lopration va tre reconduite en bord de Seine, en plein cur
de Paris, le choix de lemplacement nest pas neutre. Les forces de lordre ne
peuvent permettre lassociation de sinstaller dans ce lieu central et touristique
de Paris et provoquer des troubles lordre public. Cest prcisment la raison
pour laquelle les Don Quichotteont choisi un tel endroit et ont accompagn ce
choix dune communication provocatrice lgard du gouvernement. Ce quils
cherchent faire alors nest pas dinstaller une nouvelle fois un campement de
fortune mais bien de convoquer les journalistes un spectacle mdiatique : des
CRS sans piti qui dispersent manu militari les dfenseurs des SDF. Lopinion
ne saurait tolrer une telle lchet lencontre des dfenseurs des plus
dmunis. Cela ne manque pas, lopration est parfaitement prpare et
scnarise. Malgr le calme et la prudence des gendarmes, les militants jouent
les martyres, chutent dans les escaliers et feignent dtre jets dans la Seine.
La comdie ne tarde pas produire ses fruits : le jour mme, les images font le
tour du web et des missions de tlvision, on demande des comptes auMinistre du Logement et on invite le Prsident des Enfants de Don Quichotte,
Augustin Legrand, sur les plateaux. De lautre ct de lcran, la veille de
lhiver, les tlspectateurs sindignent de la passivit du gouvernement face au
drame des sans-abris. Dans ce cas prcis, une petite organisation militante a
su provoquer une action lgitime de maintien de lordre et la retourner contre
lEtat pour le dcrdibiliser et ainsi faire avancer une cause.
Ce cas a montr la rapidit avec laquelle se propagent les informations et les
images. Il nen est quun exemple parmi beaucoup dautres. Avec la
gnralisation des fonctions dappareil photo et de camra intgres aux
tlphones mobiles, un vnement est susceptible dtre immortalis par
nimporte quel badaud. A lheure actuelle, on estime que prs de 75% des
photos sont prises depuis un tlphone portable. Il est de plus en plus facile de
diffuser ces images numriques sur Internet grce aux rseaux sociaux comme
-
8/8/2019 Communication d'Influence
29/88
29
Facebook, aux sites de partage de photos comme Flickr, via un blog ou sur un
site Internet. Cest ainsi que les images dun fait marquant font le tour du monde
non pas en 80 jours mais en 80 minutes. Le premier vnement qui a fait lobjet
dune telle diffusion dimages fut le crash du Concorde en 2000, Gonesse.
Les attentats islamistes des annes suivantes connurent un succs encore plus
grand. Le crash des deux avions contre les twin towers Manhattan le 11
septembre 2001 a t lvnement le plus film de lhistoire. Les attentats de
Madrid et de Londres ont fait lobjet de la mme diffusion de clichs et de films
amateurs. Lors des attentats de Londresen 2006, tout le centre de la ville est
rapidement bloqu par la police. Les journalistes filment des tmoins ou des
blesss mais aucune image des explosions et de la panique dans les sous-sol
du mtro nest disponible. Dans la matine, la BBC prend la dcision den
appeler aux contributions amateurs. La chane met donc en ligne une interface
ddie sur laquelle les tmoins des explosions peuvent envoyer les photos et
les vidos quils on pu raliser avec leurs tlphones mobiles.
Andr Gunthert, sur son blog consacr lactualit de la recherche en histoire
visuellerapporte comment les premires images ont commenc circuler :
Ce n'est qu' 12h35 qu'une premire photographie prise l'intrieur du mtro
est diffuse la tlvision. Il s'agit bien d'une image d'amateur, mais celle-ci n'a
pas suivi le canal ouvert par la BBC. Excute 9h25 dans le couloir qui mne
King's Cross par le passager dun wagon sur son tlphone portable Sony
Ericsson V800, elle est envoye sous forme de message lectronique
plusieurs destinataires. Alfie Dennen la reoit 9h56. Spcialiste de nouvellestechnologies, le jeune entrepreneur a cr la plate-forme MoblogUK,
prcisment destine hberger les images de camphone. C'est sur ce site
qu'il publie ds 10h24 une version de la photographie munie d'une licence
Creative Commons, qui autorise sa libre copie. Reproduite sur Flickr, puis sur
Wikinews, elle est enfin reprise par la chane Sky News, qui la diffuse partir
de la mi-journe. 16
-
8/8/2019 Communication d'Influence
30/88
30
Or lopinion fonctionne lmotion. Avec cette clrit incontrlable de la
diffusion dimages, lEtat perd linitiative en termes de dcision : que deux ou
trois histoires denfants attaqus par des chiens dangereux soient rapportes
par les mdias, photos lappui, et le gouvernement annonce un durcissement
de la lgislation concernant la possession de ces charmantes bestioles
Le pouvoir rgalien lui-mme devient nettement tributaire de lopinion. Ainsi, le
procs des tortionnaires dHilan Halimi ce jeune homme juif retrouv
agonisant sur une voie ferre aprs avoir t tortur par le gang des barbares
a suscit de nombreux commentaires : suite la mobilisation de plusieurs
organisations juives (CRIF, UEJF, BNVCA, FSJU, Consistoire de France) qui,
dues par les peines de certains des tortionnaires, ont demand un nouveau
procs, le Garde des Sceaux Michle Alliot-Marie sest excute. Elle a
demand au parquet gnral de faire appel des condamnations de toutes les
personnes frappes de peines infrieures aux rquisitions. Un nouveau procs
aura donc bien lieu en 2010. Pourtant, lavocat gnral lui-mme tait satisfait
du verdict quil avait qualifi dexemplaire.
Cette affaire est le signe quun cap est en passe dtre franchi en termes de
dmocratie dopinion.
On a vu ici et l des leves de boucliers pour dfendre lindpendance de la
justice vis--vis du politique. Mais la question de fond nest pas l : ce qui se
noue autour du procs Halimi, cest la question du poids de lopinion sur le
pouvoir rgalien. Ici, le grand tribunal de lopinion remet en cause le principe
mme du procs huis-clos faisant appel un jury populaire. Si on peut le
dplorer, on ne peut en revanche sen tonner. En effet, lactuel fonctionnement
de la cour pnale est en contradiction avec deux volutions fondamentales de
16GUNTHERT Andr, Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou lintrusion des
amateurs , Le blog dAndr Gunthert, 2009,
http://news.bbc.co.uk/2/hi/talking_point/2780295.stm
-
8/8/2019 Communication d'Influence
31/88
31
nos socits occidentales et lies au dveloppement des technologies de
linformation et de la communication : dune part tout ce qui est cach est
destin devenir public (pour reprendre la formule de Jean-Pierre Beaudoin),
et dautre part la tendance gnrale est la dmocratie directe. Lhuis-clos et
les jurys populaires nont donc pas la cote.
Un commentaire post le 14 juillet sur le site Elle.frest symptomatique de cette
tendance :
La justice n'est plus indpendante, c'est sr. Il reste qu'un dbat n'a jamais eu
lieu dans cette affaire : comment ces jeunes en sont venus perptrer un acted'une telle violence ? Le manque d'ducation ? L'abandon des parents ? La
btise ?
Et pourtant si : le dbat eu lieu chre madame, auditions, enqute et
tmoignages lappui !
En dfinitive, lopinion tolre de moins en moins tout ce qui droge au principede la transparence, quand bien mme cela est justifi. Peut-tre sommes-nous
face une spcificit europenne puisquaux Etats-Unis lopinion tolre plutt
bien le principe du secret, condition quon lui explique pourquoi une
information est confidentielle.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
32/88
32
Le nouveau rle du politique
Face ces phnomnes dopinion, on observe une ncessaire mutation dupolitique, qui devient une voix parmi dautres. Sa capacit agir sur le cours
des vnements dpend pour beaucoup de sa facult exister
mdiatiquement. Ds lors, on comprend que le phnomne souvent raill
de la pipolisation de la politique ou pipolitique est une consquence
naturelle de cette mutation dun pouvoir vertical (mme dtenu par les
reprsentant du peuple) vers un pouvoir clat, liquide et interconnect.
Certains sont connus pour la nostalgie et le scepticisme que leur inspire cettevolution de la politique ; on se souvient des critiques rcurrentes de Franois
Fillon en ce sens. Dautres en ont pris acte et lassument, sans perdre pour
autant leur regard critique. A cet gard, il est intressant de revenir sur une
sortie de Jean Sarkozy, passe presque inaperue, au sujet de la
polmique autour des propos de Brice Hortefeux sur les immigrs dorigine
maghrbine lors de luniversit dt de lUMP en aot 2009. Une vido avait
alors immdiatement circul sur le web faisant connatre au plus grand nombre
les propos bien maladroits du Ministre de lIntrieur : Quand il y en a un, a
va, cest quand il en y a beaucoup que a pose problme ! La raction de la
socit civilena pas tard, contraignant le Ministre rendre des comptes et
affirmer publiquement sa condamnation du racisme.
Dans une interview accorde au Parisien, Jean Sarkozy avait alors eu le mot
suivant : Faisons attention ce que les nouvelles technologies de
l'information ne transforment pas notre mdiacratie en mdiocratie. De quoi
ulcrer les chevaliers du web citoyen et autres prophtes du vox populi, vox dei.
Et pourtant, le fils du Chef de lEtat trouve un bon avocat en la personne de
Charles-Henri Filippi. Dans un ouvrage paru en mai et intitul LArgent sans
matre17, lancien PDG dHSBC France dcrit ce quil considre comme une
alination de lconomie de lintelligence : lindividualisation de la matrise de
linformation. En effet, dans les dcennies prcdentes, laccs, le traitement et
17 PHILIPPI Charles-Henri, Largent sans matre, Descartes & Cie, 2009.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
33/88
33
la diffusion dinformations ncessitait de faire appel plusieurs personnes
travaillant de faon organise au sein dune structure. Par exemple : pour avoir
une ide de ltat de lopinion sur un sujet, une grande entreprise disposait dun
service de presse qui pluchait quotidiennement journaux et magazines pour en
extraire les articles jugs utiles, puis les collait sur des pages blanches et les
photocopiait pour en faire une revue de presse qui arrivait chaque matin
10h30 sur le bureau des cadres dirigeants. Aujourdhui, nimporte qui - ou
presque- peut sabonner des alertes Google ou mettre en place gratuitement
son agrgateur de flux rss. Il est ainsi inform en temps rel de lactualit, sans
avoir recours personne et sans aucun budget, si ce nest une connexion
Internet. Avec lmergence du web 2.0, la diffusion dinformations est
galement la porte de tous.
Pour Charles-Henri Filippi, cela est dangereux parce que tout individu dot
dune intelligence peu scrupuleuse est en mesure de matriser et manipuler
son profit des informations dont les consquences peuvent porter de graves
prjudices ses concitoyens. Cest le cas de lun de mes clients qui a vu les
comptences dun dirigeant de son entreprise mises en cause sur Boursorama
sur la base de prtendues rvlations tenues de sources sres, avec pour
objectif de faire chuter le cours de bourse de l'entreprise.
Sil est sage de ne pas cder langlisme du web-citoyen-sauveur-de-la-
sainte-dmocratie, il est utile de sadapter aux volutions radicales suscites
par les nouveaux mdias plutt qu pleurer la disparition des temps bnis o
linformation ntait manipule qu lchelle institutionnelle.
Cela passe, pour le politique, par lacceptation de devoir tre une voix parmi
dautres. Le politique devient en effet une des composantes dun jeu
dinfluence dans lequel il intervient armes gales avec le monde associatif ou
scientifique, voire parfois avec des mobilisations ponctuelles dinternautes.
Dans Philosophie de la communication, Jean-Marc Ferry dcrit le phnomne
de la manire suivante :
-
8/8/2019 Communication d'Influence
34/88
34
Le pouvoir nest pas, suivant limage reue, monopolis par lEtat, et
concentr dans ses instances constitutionnelles (parlement, gouvernement,
etc.). Il est plutt diffus travers toutes sortes dinstances qui forment
systmes et rseaux []. Par rapport cet ensemble, le pouvoir politique
lgitime, constitutionnel, est seulement au carrefour des forces et des
influences canalises dans ces agences.
En somme, la nouveaut ne rside pas tant dans le fait que le politique soit
condamn satisfaire la volont gnrale chre Rousseau on a assez
glaus sur la dmagogie que dans le processus de dtermination de
lopinion vis--vis du politique : auparavant le citoyen observateur jugeaitlaction du politique dans les urnes chances dtermines, mais prsent
le citoyen est lui-mme en permanence acteur de la chose publique.
Lexpression de sa volont par le bulletin de vote nest plus quune forme parmi
dautres de son intervention dans la cit. Il la dailleurs compris et sait en jouer
pour adresser des messages au pouvoir en place, dtournant ainsi llection
de sa vocation premire.
Cette mutation de la res publicaa transform nos dmocraties traditionnelles en
dmocraties dopinion, quon pourrait dfinir comme des socits au sein
desquelles la loi et le rglement formalisent ce que lopinion lgitime. Les
orientations politiques sont portes par la socit civile qui est la fois le
rservoir idologique du politique et son principe de lgitimation. Le politique
est donc deux fois client de la socit civile. La monnaie avec laquelle il paye
est sa signature qui formalise juridiquement les aspirations de la socit
civile. Le politique est devenu un gestionnaire de patrimoine idologique.
Daucuns veulent voir dans lactuel Prsident de la Rpublique un Napolon en
puissance. Cest saveugler sur la ralit : lnergie que dpensent le chef de
lEtat et son gouvernement ne consiste pas imposer des rformes mais
prparer lopinion accepter ces rformes puis ngocier avec les parties
prenantes. La politique ne se rduit plus laction politique, son principal objet
-
8/8/2019 Communication d'Influence
35/88
35
est prsent de la lgitimer. Dans Contre-pouvoirs, Ludovic Franois et
Franois-Bernard Huyghe analysent cette mutation :
Le politique nest plus vraiment aux mains de lEtat et de ses chefs. Cest
avant tout par linfluence que se faonne lavenir de la Cit. Lexercice de la
politique dans un tel contexte nest plus une activit de dcision. Elle est au
contraire une capacit dinfluer sur les diffrents acteurs par lgitimation
collective et faire une synthse des courants pour in fine aboutir une
mesure. [] La dmocratie ne consiste plus dsigner des reprsentants
lgitims par les urnes, qui dcideront pendant un temps dfini. Elle est
devenue un exercice permanent dinfluence et de contre-influence des groupesqui cherchent rassembler pour emporter la dcision. 18
A tel point quil nest pas rare de voir des politiciens adopter des modes
opratoires qui ont fait leurs preuves dans les milieux associatifs militants. Cette
interpntration entre communication politique et militantisme associatif est
frappante.
Lopration Asnires bouge la ligne 13 , lance au printemps 2009, nous en
donne un exemple. Sature en permanence, la ligne 13 du mtro parisien est
devenue la bte noire des usagers. Il faut dire quau nord de la station Saint-
Lazare lexploitation en deux branches limite le nombre de trains et accentue le
problme. Par consquent, il nest pas rare de devoir laisser passer plusieurs
rames avant de parvenir monter dans un wagon bond (4,5 personnes au
mtre carr) La grogne des lus locaux est rcurrente mais a eu jusquici,semble-t-il, peu dcho. Do la dcision de la municipalit dAsnires de lancer
18FRANOIS Ludovic et HUYGHE Franois-Bernard, Contre-pouvoirs, Ellipses, 2009,
p. 17.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
36/88
36
une mobilisation citoyenne baptise Asnires bouge la ligne 13 pour
pousser le STIF19 et la RATP prendre des mesures.
Le dispositif web mis en place par la mairie est intressant : les usagers ont t
invits faire part de leur ras-le-bol sur un blog ddi lopration en y postant
des commentaires et des vidos prises avec leurs tlphones mobiles pour
tmoigner des conditions de transports quils subissent quotidiennement.
Paralllement, un camion transform en studio-vido a recueilli pendant dix
jours les tmoignages des usagers en colre la sortie des stations Gabriel
Pri, Agnettes et Courtilles. Une fois lintrieur du camion, les voyageurs
avaient trente secondes face la camra pour donner leur avis, ou faire part deleurs attentes.
Et pourtant la mobilisation, lance le 13 mars, a t bien faible : six vidos sans
intrt filmes depuis des tlphones mobiles et trois tmoignages spontans
dusagers. En revanche, les trs nombreuses vidos tournes dans le camion-
studio constituent de loin lessentiel du contenu du blog.
Il faut dire quentretemps, la RATP a annonc le 16 mars par la voix de son
Prsident Pierre Mongin, un investissement d1,4 milliards deuros pour lanne
2009. Le dsengorgement de la ligne 13 apparat parmi les diffrents projets
auxquels sont allous ces investissements. Lors de son allocution, Monsieur
Mongin a voqu la mobilisation Asnires en ces termes :
C'est un peu dmagogique et pas trs responsable de mettre l'accent
uniquement sur ce qui ne va pas, c'est--dire la saturation, en mettant en
accusation l'entreprise et ses salaris. Il a ajout que deux stations
supplmentaires avaient dores-et-dj t ouvertes sur la ligne, ce quil a
qualifi de progrs social quil aimerait que le maire PS dAsnires
Sbastien Pietrasanta reconnaisse.
19 Syndicat des Transports en Ile-de-France
-
8/8/2019 Communication d'Influence
37/88
37
Toujours est-il que le 8 avril, le STIF vote lunanimit le prolongement de la
ligne 14 pour dsengorger la ligne 13. De quoi encourager le politique dans
cette voie.
*
Finalement, cette mergence de la dmocratie dopinion est caractrise par la
supriorit des minorits agissantes par rapport aux majorits silencieuses. Si,
comme le note Jean-Pierre Beaudoin dans tre lcoute du risque dopinion,
la loi de la majorit est le systme de rfrences dans nos pays habitus aux
fonctionnements dmocratiques 20, il ne faut pas oublier que lopinion
majoritaire est la rsultante dun jeu dinfluence entre des opinions minoritaires
qui apparaissent, disparaissent, se nourrissent, se combattent, se substituent
les unes aux autres, convergent, voluent, gagnent du terrain, par processus et
par accident.
Pour rendre compte de cette ralit, on pourra prfrer, avec Ludovic Franois
et Franois-Bernard Huyghe la notion de dmocratie dinfluence celle plus
rpandue de dmocratie dopinion. A vrai dire, le terme le plus exact seraitdmocratie dinfluences.
***
Nous voyons donc quel point une suppose mainmise des dcideurs publicssur le systme mdiatique apparat hors de propos, conformment la
premire hypothse que nous avions formule. Les politiques sont devenus des
acteurs parmi dautres du jeu de pouvoir qui sexerce dans nos dmocraties
dinfluences. Certains hommes politiques, limage de Nicolas Sarkozy,
20BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, Editions dOrganisations,
2001, p.39.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
38/88
38
excellent dans la sduction des journalistes, mais ils nen sont pas moins
tributaires ; et ils le savent.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
39/88
39
Partie 2
FAIRE ENTENDRE LA VOIX DE LENTREPRISE
-
8/8/2019 Communication d'Influence
40/88
40
LENTREPRISE FACE AU RISQUE DOPINION
Lvolution de nos socits vers la dmocratie dinfluence, dont nous avonsdcrit les mcanismes, place lentreprise face de nouveaux dfis.
Les relations publiques, dont lobjet est de grer les relations avec les parties-
prenantes de lentreprise, sont amenes adapter leurs comptences.
Des risques nouveaux pour lentreprise
Les interfaces entre lentreprise et la socit sont de plus en plus nombreuses
et les frontires entre les thmatiques conomiques et socitales toujours plus
poreuses. Dans ce contexte o les dbats dopinion ont largement investi le
champ des rapports entre le politique et lconomie, les entreprises sont
devenues une cible privilgie des groupes militants.
En outre, ces groupes disposent, nous lavons vu, dun accs facile aux
technologies dinformation et de communication. Ds lors, leur capacit
dinfluence est potentiellement trs forte.
Ils sen prennent la rputation des entreprises pour les contraindre se
conformer des valeurs.
Cela reprsente donc un risque pour les entreprises de devoir faire face des
attaques (appel au boycott, grve, etc.) Mais au-del des consquences
ponctuelles de ces actions, la relle force de ces campagnes rptes est
quelles finissent par produire des normes, des rgles tacites auxquelleslensemble de la sphre conomique est tenue de se plier, sous peine de
sexposer une mise au pilori mdiatique.
Arrtons-nous sur le danger que reprsentent de telles campagnes mdiatiques
pour les entreprises. Pour cela, rappelons que le premier objectif de
lentrepreneur est de rendre son activit rentable pour en tirer un profit financier.
Pour cela, travers le processus de cration, de lancement puis de
-
8/8/2019 Communication d'Influence
41/88
-
8/8/2019 Communication d'Influence
42/88
42
entre lentreprise et lune de ses parties-prenantes cls, puis provoquer
une raction en chane. Prenons un exemple : il existe actuellement,
dans certains pays europens et aux Etats-Unis, un dbat sur la possible
interdiction des kits mains-libres en voiture. Le leader mondial de ce
march est une entreprise franaise : Parrot. Pour cette PME
internationale, si ce risque se prcisait, cela pourrait suffisamment
inquiter les investisseurs pour faire chuter le cours de bourse de la
socit. La consquence serait une difficult financer les projets en
recherche et dveloppement, entranant un dficit dattrait de la marque
auprs des tudiants en grandes coles dingnieurs et une difficult
les recruter. La comptitivit de lentreprise serait alors mise mal et les
produits proposs au client perdraient en attractivit, avec pour
consquence une baisse des ventes. Ainsi, sans mme quune
interdiction soit prononce, la seule capacit dassociations militantes
rclamer cette interdiction sur la scne mdiatique pourrait suffire
plonger lentreprise dans une situation extrmement prilleuse.
Sans compter que parfois la cause dfendue par un ou plusieurs groupes
militants finit par susciter une opinion majoritaire. La demande de la minorit
agissante est alors soutenue par un tel nombre dlecteurs que le politique doit
en prendre acte en conformant la lgislation en vigueur cette demande.
Les anglo-saxons expriment ce passage de rgles tacites des rgles
explicites en opposant les concepts de Soft lawet de Hard law.
Ce processus dintervention du politique est suscit par les attentes de
lopinion. En effet, face lentreprise, lopinion implique lEtat. Et mme quand il
nest pas du ressort de lEtat dagir, lopinion ne supporte pas que ce dernier
nendosse pas le rle du gendarme. Dans ce cas, la solution pour lEtat
consiste mettre dans les mdias un jugement moral sur lentreprise. Cest
ainsi quau moment de la crise suscite par les suicides de salaris chez
France Tlcom, en septembre 2009, le Ministre de lEconomie et des
Finances, Christine Lagarde, a convoqu Didier Lombard, PDG de France
-
8/8/2019 Communication d'Influence
43/88
43
Tlcom, Bercy, grands renforts de communication mdiatique. Jean-Pierre
Beaudoin voque21 ces nouvelles formes dintervention de lEtat face aux
entreprises :
Cette intervention de lEtat ne saurait revenir aux formes qui taient les
siennes jusquaux annes 1970, mais elle en trouve graduellement dautres.
Notamment celle de la sanction que reprsente, pour une entreprise, le fait
dtre, sur la place publique, lobjet dun jugement, et surtout dun jugement
porte morale, de la part dune autorit dEtat.
Et dajouter :
Cest la pression sur limage comme moyen de gouvernement.
Certains acteurs militants ont thoris ce processus afin de se doter de
mthodologies daction efficaces. Nous avons ainsi pu rencontrer un prsident
dassociation militante qui a accept de nous livrer une mthode trs prcise
quil a mise au point pour faire merger une norme politique 22.
Face cette monte en puissance de la socit civile, lentreprise est appele
tre responsable , au sens originel du terme, cest--dire tre en mesure
de rpondre de ses actes et de son comportement devant ses parties-
prenantes, commencer par lopinion. Pour Jean-Pierre Beaudoin23, lattention
du public lactivit et au comportement des entreprises se manifeste dans
quatre domaines principaux : la sant, lenvironnement, la responsabilit sociale
et lquit financire.
On na jamais autant parl de gouvernance .
21BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, op. cit. p. 33-34.
22Cette mthode est retranscrite en annexe 2.
23 BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, op. cit. p. 33.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
44/88
44
La socit civile est en effet de plus en plus vigilante aux menaces que peut
reprsenter lactivit de lentreprise dans ces domaines.
Cette notion de risque est un facteur dterminant pour lopinion, qui a en outretendance agir sur un mode plus motionnel que rationnel. Dans nos socits
occidentales dveloppes, la tolrance au risque est particulirement faible.
Daucuns parleront mme de socits du risque zro . Le terrorisme
islamique a bien compris ce phnomne : en tuant quelques personnes, les
djihadistes savent que le spectacle quils jettent en pture nos mdias
dstabilise fortement nos populations.
La dnonciation dun risque associe un discours motionnel institue un
climat particulirement crisogne. Ds lors que le risque dnonc trouve un
accomplissement, mme isol, une polmique a de fortes chances de
dmarrer.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
45/88
45
La ncessit dcouter
Les phnomnes dopinion que nous avons dcrits montrent une mutation dunsystme de partis politiques vers un systme dont les moteurs idologiques
sont des groupes militants. De plus, les nouvelles technologies de linformation
et de la communication changent radicalement les modalits du dbat
dmocratique.
Les entreprises sont places dans un contexte qui volue rapidement et voit
rgulirement apparatre de nouveaux acteurs. Les rapports de force peuvent
se redessiner en peu de temps. Or, nous lavons vu, tout cela peut peser surlactivit de lentreprise, voire la conditionner,
Par consquent, les entreprises doivent tre en mesure dcouter, dobserver et
danalyser leur environnement stratgique. Et cela pour deux raisons :
- dabord parce quil est important dy voir clair dans un jeu dinfluence
complexe pour anticiper les risques sur lactivit de lentreprise et se
prparer y rpondre ;
- ensuite parce que pour pouvoir agir sur cet environnement stratgique
afin den exploiter les opportunits, il est indispensable au pralable de
connatre et de comprendre le systme dopinion dans lequel on volue.
Traditionnellement, les professionnels de lintelligence conomique qualifientcette activit dcoute et danalyse des phnomnes dopinion de veille
socitale. Ainsi, dans son ouvrage consacr au management stratgique de
linformation, Emmanuel-Arnaud Pateyron dcrit cette activit de la manire
suivante :
La veille socitale consiste discerner parmi un certain nombre de
changements (comme par exemple lvolution de la dmographie, des villes, de
la condition fminine) les grandes fractures qui soprent dans la socit et
-
8/8/2019 Communication d'Influence
46/88
46
qui risquent de transformer ou de perturber lentreprise et son
environnement. 24
Conue de la sorte, la veille dopinion est rduite lobservation de tendancesde fond, sans permettre de dcoder et danalyser les processus de formation de
ces tendances. Si une telle pratique de la veille dopinion, par sa vison long
terme, trouve une valeur en matire de prospective, elle devient inoprante ds
lors quil sagit pour lentreprise dy voir clair dans un jeu dinfluence donn afin
de pouvoir mettre en uvre un programme dinfluence dans le moyen, voire le
court terme.
En effet, quil sagisse pour lentreprise dune dmarche ractive face un
risque dopinion avr, ou proactive dans le cadre dune politique dinfluence,
lanalyse du jeu dopinion dans lequel cette dmarche sinscrit doit obir une
mthode quon pourrait dfinir par quatre phases essentielles du traitement de
linformation : collecte, mise en perspective, partage, surveillance.
24PATEYRON Emmanuel-Arnaud, Le management stratgique de linformation,
Economica, 1994.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
47/88
47
Cette mthode sinspire de celle dfinie par les Etats-Unis en matire de
renseignement en 1976 et adopte depuis par la plupart des services derenseignement dans le monde. Seulement, l o la mthode communment
appele cycle du renseignement pour vocation de dfinir le travail de
collecte et de traitement des informations stratgiques dans leur globalit, notre
mthode se concentre exclusivement sur les besoins dune organisation en
matire dinfluence pour un sujet donn.
La phase de collecte
Dans un premier temps, le travail danalyse se traduit par une vaste collecte
dinformations sur le sujet qui proccupe lentreprise. Ces informations sont
obtenues selon deux mthodes complmentaires : le renseignement de
sources ouvertes et le renseignement humain.
- Le renseignement de sources ouvertes consiste en une recherche
documentaire daprs des sources gratuites ou payantes accessibles au
grand public (pages web, articles de presse, rapports officiels, etc.)
- Le renseignement humain complte la recherche documentaire
pralable. La source est ici une personne humaine. La vision populaire
rapproche ce mode de collecte dinformations de lespionnage ; or il
sagit dune activit beaucoup plus ouverte. Elle peut en effet seffectuer
de manire masque ou non. Il peut sagir dun entretien semi-directif
avec un chercheur qui on explique exactement qui lon est, pour qui
lon travaille et dans quel but ; linverse on peut par exemple choisir
dapprocher un responsable associatif fermement oppos aux intrts de
lentreprise en expliquant quon ralise une tude sur le sujet, ce qui est
une reprsentation trs partielle de la ralit Ds lors se posent des
questions dtique professionnelle. Nous reviendrons sur cette dimension
essentielle de la pratique de linfluence en conclusion de ce mmoire. Le
-
8/8/2019 Communication d'Influence
48/88
48
renseignement humain revt galement des formes trs spontanes qui
consistent contacter des personnes que lon connat et qui sont
comptentes sur le sujet qui intresse lentreprise pour recueillir leur
analyse personnelle de la situation. Ces personnes peuvent tre des
salaris de lentreprise. Contrairement ce quon pourrait croire, cette
mine dor dinformations est trs peu exploite par les entreprises. Les
consultants des cabinets dintelligence conomique ont coutume de dire
quenviron 70% des informations demandes par leurs clients sont
disponibles dune manire ou dune autre en interne chez ces clients
eux-mmes.
La phase de mise en perspective
Les informations collectes, mme si lon est en droit dattendre quelles soient
pertinentes au regard des phnomnes dopinion qui intressent lentreprise,
restent nanmoins des informations brutes. En ltat, elles nont quune valeur
relative. Dans nos socits de linformation, la difficult ne rside en effet pas
tant dans laccs linformation que dans la capacit en permettre une lecture
pertinente au regard des objectifs poursuivis. Le dfi consiste donc, pour qui
veut offrir cette capacit une organisation, faire entrer cette dernire dans
une double dmarche o lintelligence synthtique rpond lintelligence
analytique. Linformation brute collecte dans un premier temps est donc
ensuite organise et synthtise selon des modles qui permettront par la suite
de rendre cette information utilisable dans le cadre dune dmarche dinfluence.
Cela est particulirement important lorsquil sagit didentifier et de cartographier
les acteurs dun jeu dinfluence. Dans un premier temps, il est utile de les
classer par sphres :
- sphre politique et administrative (prsidence, gouvernement, parlement,
administration, agences gouvernementales, missions, commissions, etc.)
-
8/8/2019 Communication d'Influence
49/88
-
8/8/2019 Communication d'Influence
50/88
50
- Enfin, les acteurs dfavorables au point de vue de lentreprise et
fortement mobiliss sur le sujet. Ces opposants reprsentent un rel
danger. Dans ce cas : sil est possible de dialoguer avec eux, il faudra
les rencontrer en esprant tre suffisamment convainquant pour parvenir
lever tout ou partie des oppositions. Si leur posture est purement
idologique, dialoguer sera peine perdue et il faudra cantonner autant
que faire se peut leur influence ou la mettre en balance en faisant
intervenir des allis.
La phase de diffusion
Ds lors que les informations collectes ont t analyses et mises en
perspective travers les mthodes que nous avons dcrites, il est ncessaire
daider les publics de lentreprise apprhender et comprendre le jeu
dinfluence ainsi analys.
Pour cela, outre un dossier qui reprend lensemble de la dmarche et les
conclusions qui en manent, il est ncessaire de mettre en place de vrais outilsdaide la dcision. Pour tre efficaces, ces outils doivent tre clairs,
comprhensibles, intuitifs et ergonomiques. La ralisation de tels supports
correspond un travail de synthse et reprsente un lourd investissement en
temps. Cette tche forte valeur ajoute est nanmoins facilite par ladoption
dune approche mthodique en amont, telle que nous lavons propose
prcdemment.
Ainsi, il est utile de livrer aux dcideurs les six graphiques denvironnement
(sous la forme la plus ergonomique possible afin den faciliter la lecture).
Un deuxime mode de cartographie des acteurs peut tre mis en place : une
carte gographique. Si son utilit est moindre en termes de conception de la
stratgie, elle est nanmoins apprcie des publics internes car elle donne aux
acteurs une ralit travers leur ancrage gographique (il est par ailleurs trs
important dy faire figurer systmatiquement les photos ou les logos des parties
-
8/8/2019 Communication d'Influence
51/88
51
prenantes). Dans le cadre de projets internationaux, la carte gographique
permet galement de prsenter une typologie de ltat de lopinion par zones
gographiques.
Lavantage de ces supports synthtiques est que leur diffusion au sein de
lentreprise est facilite. Ils permettent galement dharmoniser en interne la
comprhension des enjeux et facilitent la rflexion sur la stratgie mettre en
place. Ces outils ne sont ni plus ni moins quune carte dtat-major. Comme
dans le cadre dune campagne militaire, les informations qui y figurent sont la
synthse des informations recueillies par les services de renseignement.
Comme au sein dun tat-major, elles permettent la dfinition dune stratgie
sur un mode collaboratif. En effet, il est facile de les projeter au mur laide de
vidoprojecteurs et de les annoter en temps rel.
Enfin, pour optimiser au maximum lutilit de ces supports, il faut mettre en
place une interface unique donnant accs chacun deux. Ainsi, ils ne sont pas
isols les uns des autres mais se rpondent et deviennent un tout
complmentaire et cohrent. Linformatique offre ce titre de nombreuses
possibilits.
La phase de surveillance
Ds lors quun tableau de bord est mis en place, il est ncessaire de suivre
attentivement lvolution de lenvironnement ainsi cartographi. Une veille doit
tre mise en uvre. Fonde sur les mmes principes que la phase de collecte
renseignement de sources ouvertes et renseignement humain elle peut faire
appel en complment des outils de veille automatiss : alertes automatiques
de moteurs de recherches, agrgateurs de flux RSS, outils de crawling
spcialiss, etc.
Si lactivit de veille doit tre en mesure de livrer quotidiennement au dcideur
des informations brutes dans des dlais courts, il est nanmoins important que
soit ralise rgulirement une analyse mettant en perspective les informations
-
8/8/2019 Communication d'Influence
52/88
52
recueillies. Cela se traduit dans la pratique par une mise jour du tableau de
bord qui devient un outil volutif, ainsi que par la rdaction dun rapport de veille
mensuel, trimestriel ou semestriel en fonction de lintensit de la problmatique.
Le soin apport ces quatre phases de lcoute de lopinion collecte, mise en
perspective, partage, surveillance apporte lentreprise une apprciation fine
de son environnement stratgique ainsi quune capacit lapprhender dans
sa globalit et anticiper ses volutions. Cela facilite le processus de prise de
dcision et llaboration de stratgies dopinion cohrentes et cibles.
-
8/8/2019 Communication d'Influence
53/88
53
Prendre le risque bras le corps
Sil est si important de se doter doutils permettant le partage de linformation en
interne, cest que la rponse un risque dopinion de la part de lentreprise doit
tre globale. Chaque salari doit avoir une conception claire du rle oserons-
nous dire de la mission ? de son entreprise vis--vis de la socit.
Or cela est extrmement difficile. Autant la conception de lentreprise comme
interaction permanente avec des parties-prenantes a t adopte par les
services de communication institutionnelle des grandes entreprises, autant lemanagement reste dans lensemble mal laise avec cette ralit. Cela est vrai
toutes les chelles : du simple cadre au dirigeant de lentreprise. Prendre en
compte les dfis poss par lopinion lactivit de lentreprise demande de
franchir un pas culturel important.
Cela est particulirement vrai dans les entreprises technologiques, o la culture
dentreprise est une trs forte culture dingnieurs. PDans certaines de ces
entreprises high-tech, 70 % des salaris sont des ingnieurs.
Or il est