Communication d'Influence

download Communication d'Influence

of 88

Transcript of Communication d'Influence

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    1/88

    1

    COMMUNICATION DINFLUENCE

    Manuel de survie a lusage des entreprises

    Pierre-Marie de BERNY

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    2/88

    2

    INTRODUCTION .......................................................................................................... 3

    DEMOCRATIE : LA NOUVELLE DONNE ............................................................................ 5

    INFLUENCE CONTRE PROPAGANDE .................................................................... 6

    Propagande, acte II ............................................................................................... 6

    Obsolescence de la propagande : un pige pour lopinion ................................... 11

    La victoire de linfluence sur la propagande ......................................................... 23

    DEMOCRATIE DOPINION ET REDISTRIBUTION DE LAUTORITE ..................... 27

    Mutation du pouvoir : de lautorit linfluence .................................................... 27

    Le nouveau rle du politique ................................................................................ 32

    FAIRE ENTENDRE LA VOIX DE LENTREPRISE ................................................................. 39

    LENTREPRISE FACE AU RISQUE DOPINION .................................................... 40

    Des risques nouveaux pour lentreprise ............................................................... 40

    La ncessit dcouter ......................................................................................... 45

    Prendre le risque bras le corps ......................................................................... 53

    LEVIERS DACTION POUR LENTREPRISE .......................................................... 59

    Les modes dinfluence actuels ............................................................................. 59

    Conqurir la confiance ......................................................................................... 65

    Lentreprise : coupable, victime ou hros ............................................................. 72

    CONCLUSION ........................................................................................................... 80

    BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 83

    ANNEXES................................................................................................................. 85

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    3/88

    3

    INTRODUCTION

    Dans nos dmocraties occidentales, souvent qualifies de socits du

    spectacle, le rle des mdias est fondamental dans notre perception de la

    ralit. Les mdias nous dlivrent longueur de journe des messages

    destins nous convaincre dacheter des yaourts brasss ou dadopter tel point

    de vue sur une question de socit. Mieux, ils ont la capacit de focaliser notre

    attention sur certains sujets plutt que dautres et faonnent ainsi notre

    apprciation du monde.

    Si ce constat est unanimement admis, la question de savoir qui contrle les

    mdias obsde nos concitoyens autant quelle leur chappe. On fantasme

    volontiers sur un pouvoir constitu de mystrieuses minences grises qui nous

    manipuleraient froidement depuis des salles de contrle souterraines1 Ou

    bien on accuse tour--tour les hommes politiques, les puissances financires,

    voire les mdias eux-mmes de chercher nous imposer une faon de voir le

    monde, pour mieux asseoir leur pouvoir.

    En effet, la capacit faire lopinion2 irrite et fascine.

    Avec lmergence des nouvelles technologies de linformation et de la

    communication, deux discours sopposent sur le pouvoir de contrler de

    lopinion :

    - Certains voient dans le phnomne Internet une rvolution dmocratique

    suppose permettre tout un chacun de se forger ses propres opinions

    et de faire entendre sa voix au plus grand nombre. En rendant

    1 Des films comme Wag the dog (1997), de Barry Levinson, avec Robert de Niro etDustin Hoffman, sont symptomatiques de cette fascination lgard des fameux spindoctors.

    2 Pour reprendre lexpression consacre par louvrage de Patrick Champagne :

    CHAMPAGNE Patrick, Faire lopinion, Editions de Minuit, 1990.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    4/88

    4

    impossible le contrle de linformation par les puissances tatiques,

    Internet instaurerait en quelques sortes une grande dmocratie directe et

    mondialise qui rendrait le pouvoir aux citoyens.

    - Pour dautres, Internet ne confisque pas leur influence aux mdias dits

    traditionnels, mais les met suffisamment en danger pour quils soient

    condamns vivre de plus en plus sous la perfusion financire de lEtat,

    qui ferait ainsi main basse sur le dbat dmocratique.

    Ces analyses ont tendance pour lune tourner leuphorie et pour lautre

    alimenter la thorie du complot. Parfaitement antagonistes, elles ont une

    consquence directe sur la faon dont les entreprises cherchent promouvoir

    ou dfendre leurs intrts. Les actions quelles cherchent mettre en uvre

    en ce sens doivent en effet sadresser un pouvoir. Or, selon quon adopte le

    premier ou le deuxime des postulats que nous venons de dcrire, on ne situe

    pas le pouvoir au mme endroit. Dans le premier cas, le pouvoir est diffus et

    partag. Dans le second, il est centralis et concentr au sein dinstitutions

    publiques. Dans la pratique, cette divergence de point de vue se traduit par des

    approches oprationnelles trs diffrentes en termes dinfluence. L o lelobbying concentre son action sur les dcideurs publics, la communication

    dinfluence adopte une approche avant tout mdiatique. Entre les deux

    fleurissent des offres qui articulent les deux dmarches : affaires publiques,

    stratgies dinfluence

    A travers cet ouvrage, nous avons donc cherch dcrypter les

    caractristiques de la nouvelle donne dmocratique, afin den tirer les

    conclusions sur les rapports entre lentreprise et la chose publique, tant il est

    vrai que la seconde impacte lactivit de la premire. Le but est ici de proposer

    des pistes et des leviers daction aux entreprises pour leur permettre de

    promouvoir plus efficacement leurs intrts.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    5/88

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    6/88

    6

    INFLUENCE CONTRE PROPAGANDE

    Propagande, acte II

    Un apptit de radicalit

    Depuis plusieurs annes, il est possible dobserver, en Europe tout du moins,

    une tendance gnrale la radicalisation. Cette radicalisation sexprime dans

    des domaines aussi divers que la communication politique, les modes de

    consommation, le cinma, le sport ou encore la religion.

    Cette tendance de fond pourrait trouver une explication en premier lieu dans le

    dsarroi que suscite chez beaucoup la complexit de la mondialisation. Dope

    par lmergence des nouvelles technologies de linformation et de la

    communication, ce phnomne bouscule nos repres traditionnels, et plus

    largement, notre reprsentation du monde. Il est caractris, entre autres, par

    une dmatrialisation des rapports humains. Cest le paradoxe de la

    communication : je suis en pleine conversation tlphonique avec un ami qui

    travaille Hong Kong, tel point que jen oublie de saluer mon voisin que je

    croise sur le trottoir. Par ailleurs, le formidable dveloppement conomique

    permis par cette explosion des NTIC est prcisment d la capacit

    aujourdhui quasiment acquise pour tout acteur conomique ou tout individu,

    dtre connect en permanence travers un tissu de relations en rseau.

    Le matin, en me levant, je lis les SMS que jai reus pendant la nuit. Pas besoin

    dallumer mon tlphone, je ne lteins plus le soir. Ah tiens ! Une photo de

    Guillaume. (Guillaume, cest un ami rencontr sur Facebook). A regarder sa

    tte, je me demande sil avait encore quelques grammes de sang dans lalcool

    3h Et puis qui est cette fille qui saccroche lui ? Javale un petit djeuner

    et saute dans le mtro. L, je consulte mes mails : comment fait Brigitte pour

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    7/88

    7

    menvoyer des messages 02 h 12 ? Jarrive au bureau et je dmarre mon

    ordinateur. Ouf, tout le monde est l : mes contacts MSN, mes amis Facebook,

    mes adresses mails, les contributeurs de mon forum prfr. Cest parti pour

    une journe de zapping relationnel Tiens, mon collgue Nicolas menvoie un

    mail, sans grand intrt je dois dire. Mais quand-mme, on travaille cinq

    mtres lun de lautre, ce serait peut-tre aussi simple si on se parlait, non ?

    Nous traversons une priode o sont rebattues les modalits de notre

    conception du monde. Au cocon rassurant dun monde fini, dlimit, qui oppose

    lici et le l-bas, se substitue un univers de plus en plus dconnect de toute

    contrainte gographique (du moins dans nos socits occidentales

    dveloppes). Lespace, qui conditionnait auparavant les dlais et la facilit des

    flux de personnes, de marchandises et dinformations, est devenu une monnaie

    qui se dvalue grande vitesse. Ce changement radical nest pas sans susciter

    une angoisse bien comprhensible de la part de nos contemporains.

    La consquence est un attrait prononc pour tout ce qui est susceptible de

    nous rattacher des repres rassurants. Cest de cette faon quon se prcipitedans les salles de cinma pour passer un bon moment en regardant le

    dsormais clbre film de Dany Boon Bienvenue chez les Chtis. On y retrouve

    des repres partags dans une ambiance franchouillarde, nourrie de clichs

    rgionaux qui font chaud au cur et rveillent une histoire collective perue

    comme menace face une mondialisation difficile apprhender.3

    Ce besoin de retour aux sourcessexprime jusque dans les choix alimentaires.On veut manger des produits naturels, comme au bon vieux temps. Si cet

    apptit na pas ncessairement pour effet de faire la fortune des petits

    producteurs agricoles, il conditionne nanmoins les choix de lindustrie

    3Il est tentant doprer ici un rapprochement avec lenthousiasme qui accompagna la

    naissance des mouvements folkloristes du XIXme sicle, en raction au sentiment de

    dilution des particularismes rgionaux dans une France uniformise, issue de la

    Rvolution.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    8/88

    8

    agroalimentaire en termes de marketing (bienvenue dans le monde de la chips

    lancienne), et ceux des distributeurs qui abandonnent le dveloppement des

    hypermarchs pour favoriser les commerces de proximit.

    Du pain, doncet des jeux : car cette tendance gnrale la radicalisation, ou

    plus exactement au got pour la radicalit, trouve un cho jusque dans les

    prfrences du public en matire de spectacles sportifs. La popularit

    grandissante du rugby en tmoigne : on veut du contact, de lengagement

    physique, des plaquages virils et des arcades sanguinolentes. Ce sport,

    autrefois rserv un public dinitis se dmocratise depuis quelques annes,

    notamment auprs dun public fminin auparavant peu adepte de ce type de

    spectacle4. Les partenaires et sponsors se multiplient et les enchres montent.

    Cest blanc ou cest noir

    A cet attrait montant pour la radicalit, sajoute un dbut dpuisement de cequil est convenu dappeler le relativisme. Lide selon laquelle lindividu est la

    mesure de toute chose, porte aussi bien par les tenants dun libralisme

    dbrid que par des idologies libertaires, sest rige en critre suprme

    juridique et thique. Ds lors, la distinction habituelle entre le bien et le mal perd

    de sa pertinence : elle est dailleurs gnralement taxe de manichisme. Un

    des symptmes de cette disparition de normes morales partages est la

    passion que suscite dsormais la promotion du dveloppement durable, enparticulier dans sa traduction cologique, et qui ressemble fort une tentative

    collective et frntique de sauvegarder la notion de bien commun.

    4Face ce phnomne, la Socit Gnrale, partenaire historique du rugby franais,

    cr le site www.paramourdurugby.com. Une rubrique destine prioritairement aux

    femmes est ddie une dcouverte des rgles du rugby pour les non-initis.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    9/88

    9

    En effet, force est de constater quune certaine lassitude se fait jour face cette

    disparition de rfrences collectives.

    Paralllement, on observe une rceptivit grandissante de lopinion vis--vis de

    discours qui facilitent notre reprsentation du monde en clamant ce qui est bien

    et ce qui est mal. On ne prche plus sa vrit, mais La Vrit. Le retour en

    force du phnomne religieux, dans sa version dcomplexe ,

    traditionnelle , ou fondamentaliste en est lune des manifestations les

    plus visibles.

    La rhtorique du retour aux fondamentaux sinvite galement dans les

    campagnes lectorales.

    Cest quen termes de communication politique, la radicalit paye.

    A cet gard, la campagne prsidentielle franaise de 2007 a t

    particulirement significative. Nous avons assist une surenchre de

    radicalit dans les discours politiques. Quand, la veille de la campagne,

    Sgolne Royal annonce sa volont de faire encadrer les dlinquants par des

    structures militaires, sa cote de popularit fait un bond. Que Franois Bayroulance quil faut supprimer lENA et les intentions de vote en sa faveur

    sacclrent. Le plus frappant est de voir Nicolas Sarkozy, en meeting Bercy,

    mugir quil faut en finir avec mai 68 , renforant sa position en tte des

    sondages. Plus rcemment, le Nouveau Parti Anticapitaliste dOlivier

    Besancenot, qui appelle sans dtour la rvolution communiste rencontre un

    franc succs dans lopinion. Un sondage BVA paru le vendredi 13 mars 2009

    prte Olivier Besancenot une cote de popularit quivalente celle du chefde lEtat, Nicolas Sarkozy.

    A lchelle de lEurope, la monte des mouvements nationalistes participe du

    mme phnomne. On se souvient notamment de la campagne mene en

    2007 par le parti Suisse de lUDC (Union Dmocratique du Centre), propulsant

    son leader Christoph Blocher 27% dintentions de vote : sur l'une des affiches

    alors placardes dans tout le pays, deux moutons blancs paissent sur le

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    10/88

    10

    drapeau suisse. Un troisime, d'un coup de pattes, jecte un mouton noir.

    Pour plus de scurit , peut-on lire

    *

    La combinaison des deux phnomnes que nous venons de dcrire (got pour

    la radicalit et puisement du relativisme) ne constitue-t-elle pas, finalement, un

    terrain idal pour la propagande ? La question mrite dtre pose. En effet, ce

    qui caractrise la propagande est sa capacit rendre le monde

    comprhensible et aider faire la distinction entre le bien et le mal. Ds lors,

    le besoin de retour aux fondamentauxet la qute de sensque nous observons

    chez nos contemporains face un monde de plus en plus complexe et

    dmatrialis exposent nos socits aux dangers de la propagande qui apporte

    une rponse ces proccupations par la diffusion dune vision simpliste de

    cette ralit complexe. Par cette reprsentation du rel, la propagande a la

    capacit de rassurer, de donner du sens et souvent de dsigner des boucs

    missaires qui deviennent la cause et lexplication de tous nos maux et de tous

    nos malheurs.En effet, la vision du monde propage par la propagande repose toujours sur

    une idologie et passe ncessairement par une simplification outrance du

    rel. Dans Lge des foules, Serge Moscovici dcrit parfaitement ce

    phnomne :

    La propagande [] a une base irrationnelle : les croyances collectives, et un

    instrument : la suggestion de prs ou distance. La majorit de nos actionsdrive des croyances. Lintelligence critique, le manque de conviction et de

    passion, sont deux obstacles laction. La suggestion peut les surmonter, cest

    pourquoi la propagande qui sadresse aux masses doit user dun langage

    dallgories, actif et imag, de formules simples et impratives. 5

    5MOSCOVICI Serge, Lge des foules, Fayard, 1981.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    11/88

    11

    En somme la propagande fonctionne comme une vritable matrice, dont la plus

    grande force est de rsister au rel.

    Obsolescence de la propagande : un pige pour lopinion

    NTIC : pied de nez aux dictatures

    Le terrain serait-il donc idal pour un retour en force de la propagande ?

    Tout dabord, nous sommes tents de dire que non, parce que le terme

    propagande renvoie surtout aux systmes totalitaires qui ont assombri le

    XXme sicle.

    Par ailleurs, outre le fait quil est difficile de taxer nos dmocraties occidentales

    de totalitaires, il est vident et les deux phnomnes sont incontestablement

    lis que les modalits permettant un pouvoir de matriser lensemble des

    canaux et des flux de communication ne sont plus runies. La dernire lection

    prsidentielle iranienne nous en a fourni un exemple probant. Le pouvoir a en

    effet cherch, en vain, imposer un vritable silence mdiatique sur la

    rpression sanglante des manifestations dopposition la rlection de

    Mahmoud Ahmadinejad. Les mdias nationaux ont t musels et les

    journalistes trangers ont t assigns rsidence. Cela sest avr inefficace

    puisque les photos et les vidos des violences policires se sont rpanduescomme une traine de poudre sur Internet et que les rseaux sociaux comme

    Twitter ont permis lopinon internationale de suivre presque en temps rl les

    vnements. Certains, comme Lev Grossman, ont nanmoins cherch

    temprer leuphorie gnrale en montrant que ce contournement de la censure

    grce aux nouveaux mdias ne constitue pas pour autant un remde miracle

    contre les rgimes autoritaires :

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    12/88

    12

    Twitter isn't a magic bullet against dictators. As tempting as it is to think of the

    service as a purely anarchic weapon of the masses, too distributed to be

    stoppable, it is theoretically feasible for a government to shut it down, according

    to James Cowie, CTO of Renesys, a company that collects data on the status of

    the Internet in real time. While Iran has a rich and diverse Internet culture, data

    traffic into and out of Iran passes through a very small number of channels. It's

    technically relatively trivial for the state to take control of those choke points and

    block IP addresses delivering tweets through them. The SMS network is even

    more centralized and structured than the Internet, and hence even easier to

    censor. 6

    Toujours est-il que la propagande tombe en obsolescence dans un systme

    fonctionnant sur le mode de linterconnexion. Autrefois, la propagande pouvait

    simmiscer dans tous les aspects de la vie de lindividu, dans les domaines

    sportifs, culturels, artistiques, architecturaux, mdiatiques, etc. Aucune autre

    reprsentation de la ralit ntait tolre. Le pouvoir disposait dune police

    politique et de moyens de rpressions propres tuer dans luf tout contre-

    pouvoir. Mais aujourdhui, le pouvoir devient lui-mme interconnect etrassemble la fois les diffrents acteurs du dbat public et ceux qui sont en

    charge de la dcision.

    Dans son livre La socit assige, Zygmund Bauman compare cette

    redistribution du pouvoir la financiarisation de lconomie :

    Les relations de pouvoir nouvelle formule suivent le modle des boursesde marchandises qui installrent le charme et la sduction la place

    6GROSSMAN Lev, Iran protests : Twitter, the medium of the movement , Time.com,

    2009,http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1905125,00.html

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    13/88

    13

    quoccupait autrefois la rgulation normative, et substiturent les relations

    publiques au commandement. 7

    Un sentiment de maturit trompeur

    Cela tant, lide dune obsolescence de la propagande, laquelle il est tentant

    de souscrire, provoque immanquablement dans lopinion un sentiment de

    maturit vis--vis de toute forme de propagande. Et pour cause, pas un jour

    sans quun expert en communication vous dcrypte les mimiques des

    hommes politiques, ou quun journaliste analyse la stratgie de communication

    de tel ou tel parti. Les mdias commentent presque autant la pertinence de la

    stratgie de communication dun gouvernement que celle de son action en elle-

    mme. Un homme politique est prsent dabord reconnu pour ses qualit de

    communiquant. Tout cela participe au sentiment gnral qui consiste se croire

    immunis contre la propagande. Il y aura en effet toujours un contre-pouvoir

    pour dcrypter ou dnoncer

    En ralit, il sagit dune maturit vis--vis de la communication qui se voit.

    Parce quautant il est ais de commenter en long, en large et parfois de travers

    une campagne de spots tlviss, autant les commentaires se font plus rares

    lorsquil sagit danalyser limpact de catgories smantiques sur la construction

    de la pense du public.

    Arrtons-nous ici sur cette relation de lopinion la communication qui se voitet

    celle qui ne se voit pas.

    Le sentiment de maturit vis--vis de la communicationqui se voitest dautant

    plus propice linfluence de lopinion quil est en grande partie illusoire.

    En effet, la communicationqui se voit (et par consquent qui se commente et

    se dcrypte) est toujours le fruit dune mise lagenda, comme disent les anglo-

    7 BAUMAN Zygmund, La socit assige, Le Rouergue/Chambon, 2005, p.55.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    14/88

    14

    saxons8. Cest le phnomne bien connu du halo mdiatique : la visibilit de

    lvnement apporte par les mdias amne celui-ci la conscience publique.

    Ainsi, lvnement nexiste qu travers sa mdiatisation et il est susceptible de

    toucher ou non le public.9 Le rle des agences de presse par exemple, comme

    lAFP, AP ou Reuters, est dcisif dans la slection de ce qui fera ou non

    lactualit, parmi une immense quantit de faits et dvnements.

    Le cerveau humain nest pas disponible en permanence. Sa rceptivit est

    ncessairement segmente et limite dans le temps. Chaque exposition un

    mdia (dans lacceptation large du terme) reprsente une opportunit de retenir

    son attention. Or, dans nos socits souvent qualifies de socits de limage

    ou de socits du spectacle, notre cerveau a tendance tre sollicit en

    permanence (publicit, tlvision, journaux gratuits, sites web, etc.) et opre

    donc un tri plus ou moins conscient entre ce qui mrite son attention ou pas.

    Par consquent, le vrai pouvoir rside dans la capacit occuper le temps

    dautrui. Pour Franois-Bernard Huyghe10, la clbre phrase de Hobbes

    Gouverner cest faire croire devrait tre reformule de la manire suivante :

    Gouverner cest faire penser ou faire smouvoir de ; et lauteur deconclure que si le pouvoir consiste occuper le temps des gens, le vrai pouvoir

    consiste donc occuper le temps des mdias.

    Cest que dans une socit interconnecte o le dveloppement des NTIC rend

    quasiment impossible tout contrle des flux dinformations, nous avons vu quil

    devient difficile dimposer des dogmes. Le pouvoir consiste donc plutt

    8Agenda making

    9BAUDRILLARD Jean, Lre de la facticit, in Technologies et symboliques de la

    communication, Presses Universitaires de Grenoble,1990.

    10HUYGHE Franois-Bernard, Du bon usage du cerveau dautrui , Huyghe.fr, 2009,

    http://www.huyghe.fr/actu_247.htm

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    15/88

    15

    imposer des priorits. Dans la pratique, cela peut consiste aussi bien susciter

    une dpche en attirant lattention dune agence de presse par un coup

    mdiatique, qu mettre en uvre des stratgies de rfrencement sur Google.

    Cette dernire pratique devient lun des points cls de la capacit crer de la

    visibilit sur le web. Certaines agences spcialises proposent leurs services

    pour optimiser le ranking des sites de leurs clients sur les moteurs de

    recherche. Les offres de formation aux techniques et aux stratgies de

    rfrencement fleurissent sur la toile.

    Linfluence que permet la capacit faire lagenda et attirer lattention du

    public au-del du contenu mme du message relativise fortement lide

    dune maturit de lopinion vis--vis de la communication qui se voit.

    Devant ce constat, on comprend lefficacit dautant plus forte de la

    communication qui ne se voit pas. A ce titre, la rhtorique et la smantique font

    figures darmes de construction massive de notre perception de la ralit.

    Rhtorique

    Prenons un exemple : la tribune des Nations Unies, en septembre 2008, le

    Prsident Sarkozy appelle pour faire face la crise reconstruire un

    capitalisme rgul . La formule, emprunte la gauche, nest pas nouvelle,

    mais il sagit l dun bel oxymore. Le propre du capitalisme est quil repose sur

    la seule loi de loffre et de la demande et lautorgulation. Cest le fameux

    phnomne de main invisible dAdam Smith. Dans un tel systme, touteautorit politique ou administrative dsirant agir sur le march drgle la

    machine, ce qui produit ncessairement des effets nfastes. Par consquent,

    vouloir rguler lconomie de march par autre chose que par elle-mme na

    pas de sens. Le but dun tel oxymore, rpt sans cesse par le Prsident de la

    Rpublique est avant tout de rassurer aussi bien les dfenseurs dun modle

    socialiste que les partisans dune conomie librale. Autre exemple :

    lexpression Islam la franaise , chre au chef de lEtat, consiste nier la

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    16/88

    16

    dimension universelle dune religion en prtendant en proposer une dclinaison

    nationale. Loxymore a une double utilit en termes de communication : il peut

    satisfaire - ou plus exactement rassurer - des parties opposes pour se

    soustraire une raction hostile de leur part et peut facilement devenir un

    slogan qui, inlassablement repris et rpt, cr chez celui qui y est

    rgulirement expos une catgorie mentale quil finit par adopter. Si la

    technique est bien connue des professionnels du marketing, la communication

    politique nest pas en reste. Quon songe la force tranquille de Jacques

    Sgula pour la campagne de Franois Mitterand en 1981, qui a t depuis

    dtourn dans des expressions comme la rupture tranquille ou encore le

    changement dans la continuit .

    Linfluence de la rhtorique est en effet dterminante sur la construction de la

    pense. Nous comprendrons ici rhtorique dans sons sens originel : cest--dire

    comme un ensemble de rgles visant agencer efficacement des mots dans le

    but de persuader un public. Cette technique, dont le nom a t galvaud et

    voque plutt aujourdhui lart de lloquence, voire la langue de bois, a t

    thorise par les Grecs cinq sicles avant notre re. Dans son trait LaRhtorique, Aristote en a pos les fondements qui permettent encore dclairer

    les stratgies actuelles de communications, quelles soient publicitaires,

    institutionnelles ou politiques. Quel collgien ne se souvient pas avoir appris

    dceler dans un texte les euphmismes, oxymores, hyperboles et autres

    mtonymies ? La rhtorique se distingue de la dmonstration proprement

    parler par le fait quelle sattache moins la justesse dun raisonnement de type

    mathmatique qu la meilleure faon dutiliser le langage crit ou parl pourpersuader un public donn. En un mot, il sagit dextraire dun raisonnement son

    pouvoir de persuasion pour le rduire un nonc efficace, quitte renoncer

    au moins en partie la rigueur scientifique.

    Langue et smantique

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    17/88

    17

    Si les Anciens avaient compris le pouvoir des mots en dmocratie, les

    promoteurs des idologies totalitaires du sicle dernier ont franchi un cap en

    passant matres dans lart qui consiste imposer par la langue un mode de

    pense et de perception du monde tout un peuple. Orwell, dans 198411, dcrit

    lutilisation cynique dune telle stratgie en vue dimposer dfinitivement un

    pouvoir totalitaire par lenfermement des masses dans une idologie.

    Le but de la novlangue tait non seulement de fournir un mode dexpression

    aux ides gnrales et aux habitudes mentales des dvots de langsoc, mais de

    rendre impossible tout autre mode de pense. Il tait entendu que lorsque la

    novlangue serait une fois pour toutes adopte, et que lancilangue seraitoublie, une ide hrtique - cest--dire une ide scartant des principes de

    langsoc - serait littralement impensable, du moins dans la mesure o la

    pense dpend des mots.

    En effet, comment concevoir et diffuser lide de libert politique sil ny a pas

    de mots pour lexprimer ?

    De la fiction la ralit, il ny a quun pas : dans La langue de bois12, Franoise

    Thom nous livre une analyse trs pertinente de la novlanguede lURSS. Elle y

    montre notamment le puissant pouvoir de contagion idologique de la langue

    de bois sovitique. En effet, manier irrprochablement la langue de bois, cest

    proclamer sa fidlit lidologie. Par consquent, quand matriser la langue de

    bois devient un facteur discriminant pour laccs aux postes de responsabilits,

    elle est adopte en premier lieu par les lites qui, par linfluence quils exercent,finissent par tre imits. Ainsi, la langue de bois conquiert progressivement

    ladministration, les universits, les mdias, les coles et finit par imposer des

    rfrences mentales collectives dont il est extrmement difficile de sextraire.

    11ORWELL Georges, 1984, Gallimard, 1991.

    12 THOM Franoise, La langue de bois, Julliard, Paris, 1987.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    18/88

    18

    Toute entorse ce politiquement correct de la langue est qualifi de dissidence

    et provoque lexclusion, la marginalisation, ou pire

    Cette langue de bois a ses expressions figes : forces dmocratiques et

    populaires , ralit naturelle et sociale , elle privilgie la forme passive pour

    viter davoir prciser qui fait quoi et crer un sentiment dappartenance aux

    nous par rapport au eux: de grands progrs ont t accomplis , la

    vigilance des dmocrates du monde entier a t rveille . Elle fait appel des

    formules verbales floues pour donner lapparence du srieux scientifique un

    nonc : prendre objectivement la forme de , dterminer en dernire

    instance , tablir un rapport dialectique avec . Elle cherche exprimer un

    mouvement progressif et irrversible, produisant ainsi une approche

    processuelle de la ralit : la progression inlassable , de plus en plus ,

    de jour en jour .

    La langue idologique agit selon trois modes :

    - Linterdiction de formuler et finalement de concevoir certaines ides.

    - La suggestion, en imposant un ensemble de formules qui se rpondent

    les unes aux autres et produisent un enfermement dans un dogme.

    - Le signalement de lappartenance un camp, par conviction ou par

    contrainte, qui exprime la soumission du sujet qui emploie ce code

    lautorit idologique de linfluent.

    Cest ce qua expliqu Franois-Bernard Huyghe, dans une intervention au

    Festival du motde La Charit-sur-Loire en juin 2008 :

    la langue se prte des stratgies dinfluence, cest--dire lemploi

    coordonn de moyens destins produire de lopinion et du consentement,

    sans avoir recourir la contrainte, sans se rclamer dune autorit explicite et

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    19/88

    19

    sans rien donner en change, donc sans compensation ni rcompense. Certes

    linfluence peut tre relaye par la puissance ou lautorit : limposition de

    certains vocables peut saccompagner de sanctions ou tre dcide par ordres

    et dcrets, mais cela ne change rien au pouvoir dinfluence intrinsque de la

    langue.

    Et Huyghe de prciser :

    Linfluence peut porter aussi bien sur le contenu (imposer une conviction ou un

    comportement linfluenc, le faire adhrer une proposition) que sur le code

    (intgrer des catgories mentales ou des attitudes gnrales qui poussent penser et agir comme le souhaite linfluent). De la mme faon, les mots

    agissent par leur agencement habile qui produit leffet de croyance dsir, mais

    aussi par leur simple prsence ou absence dans le vocabulaire de linfluenc.

    Ils manifestent leur puissance travers des rgles qui gouvernent leur emploi et

    quil peut intrioriser .

    Il est intressant de constater que ce phnomne de la langue de bois nest paspropre aux dictatures. Chaque profession a son jargon incomprhensible pour

    les non-initis. Juristes, mdecins, militaires, prtres assoient par un

    vocabulaire spcialis leur expertise et leur autorit.

    De mme, dans nos dmocraties, la prise de parole publique obit des rgles

    lexicales tacites dont il est dangereux de saffranchir. Cest ainsi quun aveugle

    devient un non-voyant, un clochardun sans-abripuis un SDF. Si une part deces volutions linguistiques obit une volont de pudeur (excessive ?) vis--

    vis de ralits douloureuses (un infirmeou un impotentdevient un handicap

    puis une personne mobilit rduite), certaines sont en revanche tout fait

    volontaires et cherchent faire accepter des ralits quon refuse dassumer ou

    quon cherche attnuer. En changeant de nom, les faits ou plus exactement

    ceux qui en sont responsables cherchent sacheter une virginit. Les

    bombardementsse muent en frappes ariennespuis en frappes chirurgicales

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    20/88

    20

    qui ne font plus de victimes civiles mais des victimes collatrales, voire des

    dommages collatraux. Il est vrai que des frappes chirurgicales causant des

    dommages collatrauxsont plus faciles avaler que des bombardementsqui

    tuent des femmes et des enfants

    Pour faire accepter une opration militaire par les opinions internationales,

    larme amricaine recourt des outils smantiques parfois trs efficaces. Tout

    le monde se souvient de lopration Tempte du dsert, nom sous lequel le

    Dpartement de la Dfense amricain a chass larme irakienne de Saddam

    Hussein du Kowet lors de la premire guerre du Golfe, en 1991. Le nom de

    lopration a t choisi pour rendre la plus acceptable possible lintervention

    amricaine et a t dvoile aprs un plan de communication destin

    diaboliser le rgime irakien. Les mdias sont friands de ces noms doprations

    qui donnent du relief une triste ralit et qui permettent de la raconter au

    public qui se sent impliqu. Le nom de lopration est donc continuellement

    rpt par toutes les tlvisions, les radios les journaux et devient familire

    dans lopinion. Or, quvoque Tempte du dsertpour chacun de nous ? Du

    sable, du vent, un grand territoire vide de population. On se reprsente

    parfaitement cette guerre du dsert, au milieu de nulle part, dans un ocan desable agit par le vent, images lappui. A croire que larme amricaine se bat

    hroquement contre des dunes. Cela fait oublier la ralit de cette guerre :

    bombardement des villes, dommages collatraux et autres atrocits.

    Cette capacit dinfluence par la smantique nest pas ncessairement

    lapanage du gouvernant comme dans le cas de la novlangue, les groupes

    dintrts idologiques ou conomiques lont compris. Comme nous lavons vu,une ide, pour exister, a besoin dtre nomme. Ds lors, nommer un concept

    et faire adopter cette dnomination aux autres, cest donner une ide

    abstraite une existence et une ralit dans lesprit de linfluenc. Rcemment,

    en France, une question a agit lAssemble nationale : celle du statut juridique

    du beau-parent dans une famille dite recompose. Le caractre polmique de

    cette question est due au fait quelle renvoie au dbat sur ladoption denfants

    par des couples homosexuels. Dans un tel dbat, la plus puissante arme des

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    21/88

    21

    promoteurs de ce droit dadoption est la cration et la diffusion du terme

    homoparentalit. Cette trouvaille est doublement efficace :

    - dune part, le mot homoparentalit accole deux ides que ses

    dtracteurs font valoir comme inconciliables (physiologiquement, deux

    partenaires homosexuels ne peuvent pas procrer). Ce mot constitue

    donc une excellente parade : celui qui vient ladopter intgre la

    catgorie mentale selon laquelle parentalit et homosexualit sont

    conciliables.

    - dautre part, elle met un mot unique et nouveau sur le concept. Ce mot

    unique permet la fois de faciliter la discussion sur le thme de

    ladoption denfants par des couples homosexuels en vitant de longues

    priphrases et de susciter la curiosit par sa nouveaut. Par consquent,

    il a t rapidement adopt par les journalistes et les diffrents acteurs du

    dbat, y compris ces opposants. Pour lanecdote, lune des figures de

    proue de cette contestation, Batrice Bourges, a mme crit un ouvrage

    intitul Lhomoparentalit en question, devenant ainsi, malgr elle, levecteur de diffusion et dacceptation de ce concept

    Dans cet exemple, le terme choisi fonctionne en quelques sortes comme un

    cheval de Troie smantique : ladversaire ladopte car il y trouve un moyen

    commode de dsigner lide quil combat et devient par la mme le promoteur

    de cette ide en contribuant la diffuser et lui donner une ralit.

    Pour Franois-Bernard Huyghe13, le succs dune terminologie reflte la

    constance et lorganisation de ses partisans.

    Les organisations prives spcialises dans linfluence, tout comme certains

    services gouvernementaux savent ce que savaient dj les philosophes

    13 Confrence au Festival du mot, La Charit-sur-Loire, juin 2008.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    22/88

    22

    chinois : que lordre politique dpend des dnominations. Et que celui qui

    dcide des secondes contrle le premier. Ce nest pas une petite victoire que

    davoir impos dveloppement durable , ingrence humanitaire , droit

    au logement opposable : le mot a entran la norme et la norme parfois la

    chose. De mme dans les organisations internationales, ce nest pas un enjeu

    ngligeable que dobtenir que lon dise Golfe Persique ou les autorits qui

    sont au Nord de lle de Chypre .

    Nous comprenons donc quel point ces phnomnes influencent notre

    perception du rel, le plus souvent sans que nous y prtions attention.

    *

    Nous avons vu que la propagande ntait rendue possible que par une matrise

    de lensemble des canaux et des flux de communication par un pouvoir. Les

    institutions dmocratiques et lexplosion des NTIC rendent impossible un tel

    contrle dans nos socits.

    Nanmoins, nous avons montr que le sentiment de maturit de lopinion vis--vis de la communication est trompeur : quil sagisse de la communication qui

    se voitou de la communication qui ne se voit pas, notre attention est dirige sur

    certains sujets plutt que sur dautres et lefficacit des techniques rhtoriques,

    smantiques et de manipulation de la langue gardent toute leur force de

    conditionnement. Ces techniques, dont certains rgimes autoritaires ont us en

    conscience afin de soumettre des peuples entiers, inspirent prsent laction

    dinfluence des groupes dintrts conomiques ou idologiques sur des sujetsvaris.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    23/88

    23

    La victoire de linfluence sur la propagande

    En dfinitive, la recherche de repres lie lpuisement du relativisme et legot grandissant de nos contemporains pour la radicalit ne nous exposent pas

    un retour de la propagande proprement parler, mais nous rendent

    permables aux actions dinfluence inities par des groupes dintrts qui

    matrisent, chacun leur chelle et avec leurs moyens, des leviers dinfluence

    sur lopinion et les dcisions publiques, comme nous allons le voir.

    En France, la campagne rfrendaire propos du Trait constitutionneleuropen de 2004 symbolise lui seul la ligne de fracture dfinitive entre lre

    de la propagande et celle de linfluence. Quelles sont les forces en prsence ?

    Dabord, le camp du oui regroupe les inconditionnels du parti au pouvoir

    (lUMP) ainsi que les adeptes dune gauche ouverte lconomie de march.

    En face, ou plus exactement autour, un ensemble de forces politiques

    parfaitement htrognes qui ont toutes une ou plusieurs raisons de sopposer

    une Constitution europenne : nationalisme, souverainisme, protectionnisme,

    anticapitalisme, alter-mondialisme et/ou grogne contre la politique nationale du

    gouvernement, les motivations sont diverses et varies, mais le dnominateur

    commun est une volont den dcoudre.

    Ce qui est intressant, cest que le camp du oui, UMP en tte, adopte une

    stratgie de communication de type propagande alors que le camp du nonse

    lance dans une vritable gurilla communicationnelle.

    LUMP tient un discours de dominant, explique pourquoi on ne peut tre que

    daccord avec le Trait et choisit de faire de la pdagogie . En toute bonne

    foi, les partisans du ouipensent que si on explique de manire simple comment

    cette Constitution va faciliter le fonctionnement des institutions europennes,

    les Franais voteront naturellement en faveur du texte. Le positionnement de

    dominant de lUMP sexprime aussi dans la supriorit des moyens de

    communication dont le parti dispose. Avec ces moyens, lUMP fait le choix de

    jouer sur le double registre de la pdagogie et du rve : pour emporter

    ladhsion, il ne suffit pas de tenir un discours rationnel, encore faut-il crer de

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    24/88

    24

    lmotion pour faire renatre dans les curs cet engouement pour lide

    europenne qui avait suivi la seconde guerre mondiale. Et pour cela, lUMP se

    dote dun visuel dclin sous forme de nombreux supports de communication.

    Ce visuel reprend exactement les codes des affiches de propagandes du parti

    nazi des annes trente. Un enfant blond, boucl, aux grands yeux bleu, regarde

    vers le ciel avec confiance ; dans ses yeux, on peut distinguer les douze toiles

    du drapeau europen. La ressemblance du personnage avec une fillette

    prsente sur une affiche du NSDAP est troublante, tandis que les yeux tourns

    vers le ciel rappellent ces reprsentations des soldats du Reich et des jeunes

    gens enrls dans les Jeunesses hitlriennes14. Ajoutons quil est difficile de

    savoir si lenfant reprsent sur laffiche de lUMP est un garon ou une fille et

    sil sagit dune image de synthse ou dune photo retouche ; cela le rend froid

    et irrel. Alors que le dnominateur commun des opposants au Trait est de

    dplorer une Europe devenue inhumaine et bureaucratique, le visuel de lUMP

    ne pouvait pas plus mal tomber. En plus dtre inefficace, gageons quil fut

    contre-productif.

    Pour leur part, les partisans du non sactivent et appellent la rsistance contreun parti unique et une Europe de bureaucrates ultralibraux . Leurs rangs

    sont cartels entre des positions politiques qui sont parfois loppos les unes

    des autres. Pourtant, ils parviennent crer un mouvement du non, htrogne

    et clat mais dtermin. On ne peut sempcher de penser au village dAstrix

    o lempoignade entre congnres est un sport national, mais se calme ds lors

    quil faut rsister lenvahisseur romain Dans ce trs disparate camp du non,

    il nest videmment pas imaginable de dterminer une stratgie commune. Lesopposants au Trait constitutionnel entrent donc dans une logique de gurilla.

    Contre un visuel institutionnel et froid, on oppose une forte capacit crative :

    des dizaines de caricatures, de photomontages et de slogans circulent sur

    Internet et sont dclins sous forme dautocollants ou de tracts. Car le facteur

    14 Cf : annexe 1

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    25/88

    25

    cl du succs du non en 2004 a t la capacit utiliser les ressources

    immenses du web.

    Une tude du laboratoire Costech, de lUniversit technologique de Compigne,

    a permis de cartographier les mobilisations des deux camps sur Internet15. Sur

    les reprsentations graphiques suivantes, on distingue clairement la diffrence

    de densit entre la sphre du ouiet celle du non.

    15 Cf : annexe 4

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    26/88

    26

    Lintensit de la mobilisation du camp du nona bien t dterminante dans la

    construction dun rapport de force qui sest sold par le rejet du trait par la

    majorit des lecteurs franais.

    Cest la premire fois que le web tient cette place de premier ordre dans une

    campagne politique franaise.

    *

    En somme, nous constatons que sur le fond, les procds de linfluence sont

    les mmes depuis des sicles. L o linnovation est la plus remarquable, cest

    dans les modalits et la forme de leur mise en uvre, dans le contexte dune

    rvolution structurelle rendue possible par le dveloppement des nouvelles

    technologies de linformation et de la communication.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    27/88

    27

    DEMOCRATIE DOPINION ET REDISTRIBUTION DE LAUTORITE

    Mutation du pouvoir : de lautorit linfluence

    Dans un monde qui fonctionne de plus en plus en rseau et sur le double-mode

    de lindividualisme et du communautarisme, linfluence elle-mme fonctionne

    sur des mcanismes dinterconnexion.

    Pour comprendre ce phnomne, il nous faut nous intresser lvolution de la

    notion de pouvoir. Il est vrai que les formes actuelles du pouvoir contrastent

    avec sa forme traditionnelle et verticale, fonde sur lautorit et la hirarchie. Le

    dveloppement des NTIC en particulier Internet a jou un rle important

    dans cette mutation. En effet, les nouvelles technologies ont considrablement

    dmocratis laccs linformation, qui tait jusquici lun des attributs du

    pouvoir. Le pouvoir est dsormais partag, dispers, clat. Le pouvoir est

    devenu lmanation dun jeu dinfluence exerc par des acteurs de toutes

    natures, de toutes tailles, tantt clairement identifis, tantt masqus.

    La dtention du pouvoir sest dsinstitutionnalise. Le pouvoir est pass dune

    forme solide une forme liquide. Sa conception devient abstraite et les

    dcideurs politiques ont d troquer les attributs du chef contre la docilit du

    gestionnaire. Docilit qui ? A quoi ? A lopinion, qui nest autre que le pouvoir

    partag entre une multitude dentits en rseaux. Elle est constitue de

    lensemble mouvant de modles, de valeurs et de reprsentations du monde

    dominants. Elle est modele par une multitude dacteurs qui interagissent pour

    susciter par leur influence des normes tacites ou rglementaires. Ces normes

    sont donc la rsultante dun jeu dinfluences complexe.

    Le droit ne suffit plus, loin sen faut, pour confrer sa lgitimit lautorit, nos

    dmocraties dopinion fonctionnent sur dautres modes : veilles citoyennes ,

    agences de notations , alertes , etc. Sur la scne du dbat public, exercer

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    28/88

    28

    lautorit dans le strict respect du droit peut mme se retourner contre le

    pouvoir lgitime. Ainsi, quand lassociation des Enfants de Don Quichotte, un

    an aprs linstallation de tentes au bord du Canal Saint-Martin, annonce dans

    les mdias que lopration va tre reconduite en bord de Seine, en plein cur

    de Paris, le choix de lemplacement nest pas neutre. Les forces de lordre ne

    peuvent permettre lassociation de sinstaller dans ce lieu central et touristique

    de Paris et provoquer des troubles lordre public. Cest prcisment la raison

    pour laquelle les Don Quichotteont choisi un tel endroit et ont accompagn ce

    choix dune communication provocatrice lgard du gouvernement. Ce quils

    cherchent faire alors nest pas dinstaller une nouvelle fois un campement de

    fortune mais bien de convoquer les journalistes un spectacle mdiatique : des

    CRS sans piti qui dispersent manu militari les dfenseurs des SDF. Lopinion

    ne saurait tolrer une telle lchet lencontre des dfenseurs des plus

    dmunis. Cela ne manque pas, lopration est parfaitement prpare et

    scnarise. Malgr le calme et la prudence des gendarmes, les militants jouent

    les martyres, chutent dans les escaliers et feignent dtre jets dans la Seine.

    La comdie ne tarde pas produire ses fruits : le jour mme, les images font le

    tour du web et des missions de tlvision, on demande des comptes auMinistre du Logement et on invite le Prsident des Enfants de Don Quichotte,

    Augustin Legrand, sur les plateaux. De lautre ct de lcran, la veille de

    lhiver, les tlspectateurs sindignent de la passivit du gouvernement face au

    drame des sans-abris. Dans ce cas prcis, une petite organisation militante a

    su provoquer une action lgitime de maintien de lordre et la retourner contre

    lEtat pour le dcrdibiliser et ainsi faire avancer une cause.

    Ce cas a montr la rapidit avec laquelle se propagent les informations et les

    images. Il nen est quun exemple parmi beaucoup dautres. Avec la

    gnralisation des fonctions dappareil photo et de camra intgres aux

    tlphones mobiles, un vnement est susceptible dtre immortalis par

    nimporte quel badaud. A lheure actuelle, on estime que prs de 75% des

    photos sont prises depuis un tlphone portable. Il est de plus en plus facile de

    diffuser ces images numriques sur Internet grce aux rseaux sociaux comme

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    29/88

    29

    Facebook, aux sites de partage de photos comme Flickr, via un blog ou sur un

    site Internet. Cest ainsi que les images dun fait marquant font le tour du monde

    non pas en 80 jours mais en 80 minutes. Le premier vnement qui a fait lobjet

    dune telle diffusion dimages fut le crash du Concorde en 2000, Gonesse.

    Les attentats islamistes des annes suivantes connurent un succs encore plus

    grand. Le crash des deux avions contre les twin towers Manhattan le 11

    septembre 2001 a t lvnement le plus film de lhistoire. Les attentats de

    Madrid et de Londres ont fait lobjet de la mme diffusion de clichs et de films

    amateurs. Lors des attentats de Londresen 2006, tout le centre de la ville est

    rapidement bloqu par la police. Les journalistes filment des tmoins ou des

    blesss mais aucune image des explosions et de la panique dans les sous-sol

    du mtro nest disponible. Dans la matine, la BBC prend la dcision den

    appeler aux contributions amateurs. La chane met donc en ligne une interface

    ddie sur laquelle les tmoins des explosions peuvent envoyer les photos et

    les vidos quils on pu raliser avec leurs tlphones mobiles.

    Andr Gunthert, sur son blog consacr lactualit de la recherche en histoire

    visuellerapporte comment les premires images ont commenc circuler :

    Ce n'est qu' 12h35 qu'une premire photographie prise l'intrieur du mtro

    est diffuse la tlvision. Il s'agit bien d'une image d'amateur, mais celle-ci n'a

    pas suivi le canal ouvert par la BBC. Excute 9h25 dans le couloir qui mne

    King's Cross par le passager dun wagon sur son tlphone portable Sony

    Ericsson V800, elle est envoye sous forme de message lectronique

    plusieurs destinataires. Alfie Dennen la reoit 9h56. Spcialiste de nouvellestechnologies, le jeune entrepreneur a cr la plate-forme MoblogUK,

    prcisment destine hberger les images de camphone. C'est sur ce site

    qu'il publie ds 10h24 une version de la photographie munie d'une licence

    Creative Commons, qui autorise sa libre copie. Reproduite sur Flickr, puis sur

    Wikinews, elle est enfin reprise par la chane Sky News, qui la diffuse partir

    de la mi-journe. 16

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    30/88

    30

    Or lopinion fonctionne lmotion. Avec cette clrit incontrlable de la

    diffusion dimages, lEtat perd linitiative en termes de dcision : que deux ou

    trois histoires denfants attaqus par des chiens dangereux soient rapportes

    par les mdias, photos lappui, et le gouvernement annonce un durcissement

    de la lgislation concernant la possession de ces charmantes bestioles

    Le pouvoir rgalien lui-mme devient nettement tributaire de lopinion. Ainsi, le

    procs des tortionnaires dHilan Halimi ce jeune homme juif retrouv

    agonisant sur une voie ferre aprs avoir t tortur par le gang des barbares

    a suscit de nombreux commentaires : suite la mobilisation de plusieurs

    organisations juives (CRIF, UEJF, BNVCA, FSJU, Consistoire de France) qui,

    dues par les peines de certains des tortionnaires, ont demand un nouveau

    procs, le Garde des Sceaux Michle Alliot-Marie sest excute. Elle a

    demand au parquet gnral de faire appel des condamnations de toutes les

    personnes frappes de peines infrieures aux rquisitions. Un nouveau procs

    aura donc bien lieu en 2010. Pourtant, lavocat gnral lui-mme tait satisfait

    du verdict quil avait qualifi dexemplaire.

    Cette affaire est le signe quun cap est en passe dtre franchi en termes de

    dmocratie dopinion.

    On a vu ici et l des leves de boucliers pour dfendre lindpendance de la

    justice vis--vis du politique. Mais la question de fond nest pas l : ce qui se

    noue autour du procs Halimi, cest la question du poids de lopinion sur le

    pouvoir rgalien. Ici, le grand tribunal de lopinion remet en cause le principe

    mme du procs huis-clos faisant appel un jury populaire. Si on peut le

    dplorer, on ne peut en revanche sen tonner. En effet, lactuel fonctionnement

    de la cour pnale est en contradiction avec deux volutions fondamentales de

    16GUNTHERT Andr, Tous journalistes ? Les attentats de Londres ou lintrusion des

    amateurs , Le blog dAndr Gunthert, 2009,

    http://news.bbc.co.uk/2/hi/talking_point/2780295.stm

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    31/88

    31

    nos socits occidentales et lies au dveloppement des technologies de

    linformation et de la communication : dune part tout ce qui est cach est

    destin devenir public (pour reprendre la formule de Jean-Pierre Beaudoin),

    et dautre part la tendance gnrale est la dmocratie directe. Lhuis-clos et

    les jurys populaires nont donc pas la cote.

    Un commentaire post le 14 juillet sur le site Elle.frest symptomatique de cette

    tendance :

    La justice n'est plus indpendante, c'est sr. Il reste qu'un dbat n'a jamais eu

    lieu dans cette affaire : comment ces jeunes en sont venus perptrer un acted'une telle violence ? Le manque d'ducation ? L'abandon des parents ? La

    btise ?

    Et pourtant si : le dbat eu lieu chre madame, auditions, enqute et

    tmoignages lappui !

    En dfinitive, lopinion tolre de moins en moins tout ce qui droge au principede la transparence, quand bien mme cela est justifi. Peut-tre sommes-nous

    face une spcificit europenne puisquaux Etats-Unis lopinion tolre plutt

    bien le principe du secret, condition quon lui explique pourquoi une

    information est confidentielle.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    32/88

    32

    Le nouveau rle du politique

    Face ces phnomnes dopinion, on observe une ncessaire mutation dupolitique, qui devient une voix parmi dautres. Sa capacit agir sur le cours

    des vnements dpend pour beaucoup de sa facult exister

    mdiatiquement. Ds lors, on comprend que le phnomne souvent raill

    de la pipolisation de la politique ou pipolitique est une consquence

    naturelle de cette mutation dun pouvoir vertical (mme dtenu par les

    reprsentant du peuple) vers un pouvoir clat, liquide et interconnect.

    Certains sont connus pour la nostalgie et le scepticisme que leur inspire cettevolution de la politique ; on se souvient des critiques rcurrentes de Franois

    Fillon en ce sens. Dautres en ont pris acte et lassument, sans perdre pour

    autant leur regard critique. A cet gard, il est intressant de revenir sur une

    sortie de Jean Sarkozy, passe presque inaperue, au sujet de la

    polmique autour des propos de Brice Hortefeux sur les immigrs dorigine

    maghrbine lors de luniversit dt de lUMP en aot 2009. Une vido avait

    alors immdiatement circul sur le web faisant connatre au plus grand nombre

    les propos bien maladroits du Ministre de lIntrieur : Quand il y en a un, a

    va, cest quand il en y a beaucoup que a pose problme ! La raction de la

    socit civilena pas tard, contraignant le Ministre rendre des comptes et

    affirmer publiquement sa condamnation du racisme.

    Dans une interview accorde au Parisien, Jean Sarkozy avait alors eu le mot

    suivant : Faisons attention ce que les nouvelles technologies de

    l'information ne transforment pas notre mdiacratie en mdiocratie. De quoi

    ulcrer les chevaliers du web citoyen et autres prophtes du vox populi, vox dei.

    Et pourtant, le fils du Chef de lEtat trouve un bon avocat en la personne de

    Charles-Henri Filippi. Dans un ouvrage paru en mai et intitul LArgent sans

    matre17, lancien PDG dHSBC France dcrit ce quil considre comme une

    alination de lconomie de lintelligence : lindividualisation de la matrise de

    linformation. En effet, dans les dcennies prcdentes, laccs, le traitement et

    17 PHILIPPI Charles-Henri, Largent sans matre, Descartes & Cie, 2009.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    33/88

    33

    la diffusion dinformations ncessitait de faire appel plusieurs personnes

    travaillant de faon organise au sein dune structure. Par exemple : pour avoir

    une ide de ltat de lopinion sur un sujet, une grande entreprise disposait dun

    service de presse qui pluchait quotidiennement journaux et magazines pour en

    extraire les articles jugs utiles, puis les collait sur des pages blanches et les

    photocopiait pour en faire une revue de presse qui arrivait chaque matin

    10h30 sur le bureau des cadres dirigeants. Aujourdhui, nimporte qui - ou

    presque- peut sabonner des alertes Google ou mettre en place gratuitement

    son agrgateur de flux rss. Il est ainsi inform en temps rel de lactualit, sans

    avoir recours personne et sans aucun budget, si ce nest une connexion

    Internet. Avec lmergence du web 2.0, la diffusion dinformations est

    galement la porte de tous.

    Pour Charles-Henri Filippi, cela est dangereux parce que tout individu dot

    dune intelligence peu scrupuleuse est en mesure de matriser et manipuler

    son profit des informations dont les consquences peuvent porter de graves

    prjudices ses concitoyens. Cest le cas de lun de mes clients qui a vu les

    comptences dun dirigeant de son entreprise mises en cause sur Boursorama

    sur la base de prtendues rvlations tenues de sources sres, avec pour

    objectif de faire chuter le cours de bourse de l'entreprise.

    Sil est sage de ne pas cder langlisme du web-citoyen-sauveur-de-la-

    sainte-dmocratie, il est utile de sadapter aux volutions radicales suscites

    par les nouveaux mdias plutt qu pleurer la disparition des temps bnis o

    linformation ntait manipule qu lchelle institutionnelle.

    Cela passe, pour le politique, par lacceptation de devoir tre une voix parmi

    dautres. Le politique devient en effet une des composantes dun jeu

    dinfluence dans lequel il intervient armes gales avec le monde associatif ou

    scientifique, voire parfois avec des mobilisations ponctuelles dinternautes.

    Dans Philosophie de la communication, Jean-Marc Ferry dcrit le phnomne

    de la manire suivante :

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    34/88

    34

    Le pouvoir nest pas, suivant limage reue, monopolis par lEtat, et

    concentr dans ses instances constitutionnelles (parlement, gouvernement,

    etc.). Il est plutt diffus travers toutes sortes dinstances qui forment

    systmes et rseaux []. Par rapport cet ensemble, le pouvoir politique

    lgitime, constitutionnel, est seulement au carrefour des forces et des

    influences canalises dans ces agences.

    En somme, la nouveaut ne rside pas tant dans le fait que le politique soit

    condamn satisfaire la volont gnrale chre Rousseau on a assez

    glaus sur la dmagogie que dans le processus de dtermination de

    lopinion vis--vis du politique : auparavant le citoyen observateur jugeaitlaction du politique dans les urnes chances dtermines, mais prsent

    le citoyen est lui-mme en permanence acteur de la chose publique.

    Lexpression de sa volont par le bulletin de vote nest plus quune forme parmi

    dautres de son intervention dans la cit. Il la dailleurs compris et sait en jouer

    pour adresser des messages au pouvoir en place, dtournant ainsi llection

    de sa vocation premire.

    Cette mutation de la res publicaa transform nos dmocraties traditionnelles en

    dmocraties dopinion, quon pourrait dfinir comme des socits au sein

    desquelles la loi et le rglement formalisent ce que lopinion lgitime. Les

    orientations politiques sont portes par la socit civile qui est la fois le

    rservoir idologique du politique et son principe de lgitimation. Le politique

    est donc deux fois client de la socit civile. La monnaie avec laquelle il paye

    est sa signature qui formalise juridiquement les aspirations de la socit

    civile. Le politique est devenu un gestionnaire de patrimoine idologique.

    Daucuns veulent voir dans lactuel Prsident de la Rpublique un Napolon en

    puissance. Cest saveugler sur la ralit : lnergie que dpensent le chef de

    lEtat et son gouvernement ne consiste pas imposer des rformes mais

    prparer lopinion accepter ces rformes puis ngocier avec les parties

    prenantes. La politique ne se rduit plus laction politique, son principal objet

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    35/88

    35

    est prsent de la lgitimer. Dans Contre-pouvoirs, Ludovic Franois et

    Franois-Bernard Huyghe analysent cette mutation :

    Le politique nest plus vraiment aux mains de lEtat et de ses chefs. Cest

    avant tout par linfluence que se faonne lavenir de la Cit. Lexercice de la

    politique dans un tel contexte nest plus une activit de dcision. Elle est au

    contraire une capacit dinfluer sur les diffrents acteurs par lgitimation

    collective et faire une synthse des courants pour in fine aboutir une

    mesure. [] La dmocratie ne consiste plus dsigner des reprsentants

    lgitims par les urnes, qui dcideront pendant un temps dfini. Elle est

    devenue un exercice permanent dinfluence et de contre-influence des groupesqui cherchent rassembler pour emporter la dcision. 18

    A tel point quil nest pas rare de voir des politiciens adopter des modes

    opratoires qui ont fait leurs preuves dans les milieux associatifs militants. Cette

    interpntration entre communication politique et militantisme associatif est

    frappante.

    Lopration Asnires bouge la ligne 13 , lance au printemps 2009, nous en

    donne un exemple. Sature en permanence, la ligne 13 du mtro parisien est

    devenue la bte noire des usagers. Il faut dire quau nord de la station Saint-

    Lazare lexploitation en deux branches limite le nombre de trains et accentue le

    problme. Par consquent, il nest pas rare de devoir laisser passer plusieurs

    rames avant de parvenir monter dans un wagon bond (4,5 personnes au

    mtre carr) La grogne des lus locaux est rcurrente mais a eu jusquici,semble-t-il, peu dcho. Do la dcision de la municipalit dAsnires de lancer

    18FRANOIS Ludovic et HUYGHE Franois-Bernard, Contre-pouvoirs, Ellipses, 2009,

    p. 17.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    36/88

    36

    une mobilisation citoyenne baptise Asnires bouge la ligne 13 pour

    pousser le STIF19 et la RATP prendre des mesures.

    Le dispositif web mis en place par la mairie est intressant : les usagers ont t

    invits faire part de leur ras-le-bol sur un blog ddi lopration en y postant

    des commentaires et des vidos prises avec leurs tlphones mobiles pour

    tmoigner des conditions de transports quils subissent quotidiennement.

    Paralllement, un camion transform en studio-vido a recueilli pendant dix

    jours les tmoignages des usagers en colre la sortie des stations Gabriel

    Pri, Agnettes et Courtilles. Une fois lintrieur du camion, les voyageurs

    avaient trente secondes face la camra pour donner leur avis, ou faire part deleurs attentes.

    Et pourtant la mobilisation, lance le 13 mars, a t bien faible : six vidos sans

    intrt filmes depuis des tlphones mobiles et trois tmoignages spontans

    dusagers. En revanche, les trs nombreuses vidos tournes dans le camion-

    studio constituent de loin lessentiel du contenu du blog.

    Il faut dire quentretemps, la RATP a annonc le 16 mars par la voix de son

    Prsident Pierre Mongin, un investissement d1,4 milliards deuros pour lanne

    2009. Le dsengorgement de la ligne 13 apparat parmi les diffrents projets

    auxquels sont allous ces investissements. Lors de son allocution, Monsieur

    Mongin a voqu la mobilisation Asnires en ces termes :

    C'est un peu dmagogique et pas trs responsable de mettre l'accent

    uniquement sur ce qui ne va pas, c'est--dire la saturation, en mettant en

    accusation l'entreprise et ses salaris. Il a ajout que deux stations

    supplmentaires avaient dores-et-dj t ouvertes sur la ligne, ce quil a

    qualifi de progrs social quil aimerait que le maire PS dAsnires

    Sbastien Pietrasanta reconnaisse.

    19 Syndicat des Transports en Ile-de-France

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    37/88

    37

    Toujours est-il que le 8 avril, le STIF vote lunanimit le prolongement de la

    ligne 14 pour dsengorger la ligne 13. De quoi encourager le politique dans

    cette voie.

    *

    Finalement, cette mergence de la dmocratie dopinion est caractrise par la

    supriorit des minorits agissantes par rapport aux majorits silencieuses. Si,

    comme le note Jean-Pierre Beaudoin dans tre lcoute du risque dopinion,

    la loi de la majorit est le systme de rfrences dans nos pays habitus aux

    fonctionnements dmocratiques 20, il ne faut pas oublier que lopinion

    majoritaire est la rsultante dun jeu dinfluence entre des opinions minoritaires

    qui apparaissent, disparaissent, se nourrissent, se combattent, se substituent

    les unes aux autres, convergent, voluent, gagnent du terrain, par processus et

    par accident.

    Pour rendre compte de cette ralit, on pourra prfrer, avec Ludovic Franois

    et Franois-Bernard Huyghe la notion de dmocratie dinfluence celle plus

    rpandue de dmocratie dopinion. A vrai dire, le terme le plus exact seraitdmocratie dinfluences.

    ***

    Nous voyons donc quel point une suppose mainmise des dcideurs publicssur le systme mdiatique apparat hors de propos, conformment la

    premire hypothse que nous avions formule. Les politiques sont devenus des

    acteurs parmi dautres du jeu de pouvoir qui sexerce dans nos dmocraties

    dinfluences. Certains hommes politiques, limage de Nicolas Sarkozy,

    20BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, Editions dOrganisations,

    2001, p.39.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    38/88

    38

    excellent dans la sduction des journalistes, mais ils nen sont pas moins

    tributaires ; et ils le savent.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    39/88

    39

    Partie 2

    FAIRE ENTENDRE LA VOIX DE LENTREPRISE

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    40/88

    40

    LENTREPRISE FACE AU RISQUE DOPINION

    Lvolution de nos socits vers la dmocratie dinfluence, dont nous avonsdcrit les mcanismes, place lentreprise face de nouveaux dfis.

    Les relations publiques, dont lobjet est de grer les relations avec les parties-

    prenantes de lentreprise, sont amenes adapter leurs comptences.

    Des risques nouveaux pour lentreprise

    Les interfaces entre lentreprise et la socit sont de plus en plus nombreuses

    et les frontires entre les thmatiques conomiques et socitales toujours plus

    poreuses. Dans ce contexte o les dbats dopinion ont largement investi le

    champ des rapports entre le politique et lconomie, les entreprises sont

    devenues une cible privilgie des groupes militants.

    En outre, ces groupes disposent, nous lavons vu, dun accs facile aux

    technologies dinformation et de communication. Ds lors, leur capacit

    dinfluence est potentiellement trs forte.

    Ils sen prennent la rputation des entreprises pour les contraindre se

    conformer des valeurs.

    Cela reprsente donc un risque pour les entreprises de devoir faire face des

    attaques (appel au boycott, grve, etc.) Mais au-del des consquences

    ponctuelles de ces actions, la relle force de ces campagnes rptes est

    quelles finissent par produire des normes, des rgles tacites auxquelleslensemble de la sphre conomique est tenue de se plier, sous peine de

    sexposer une mise au pilori mdiatique.

    Arrtons-nous sur le danger que reprsentent de telles campagnes mdiatiques

    pour les entreprises. Pour cela, rappelons que le premier objectif de

    lentrepreneur est de rendre son activit rentable pour en tirer un profit financier.

    Pour cela, travers le processus de cration, de lancement puis de

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    41/88

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    42/88

    42

    entre lentreprise et lune de ses parties-prenantes cls, puis provoquer

    une raction en chane. Prenons un exemple : il existe actuellement,

    dans certains pays europens et aux Etats-Unis, un dbat sur la possible

    interdiction des kits mains-libres en voiture. Le leader mondial de ce

    march est une entreprise franaise : Parrot. Pour cette PME

    internationale, si ce risque se prcisait, cela pourrait suffisamment

    inquiter les investisseurs pour faire chuter le cours de bourse de la

    socit. La consquence serait une difficult financer les projets en

    recherche et dveloppement, entranant un dficit dattrait de la marque

    auprs des tudiants en grandes coles dingnieurs et une difficult

    les recruter. La comptitivit de lentreprise serait alors mise mal et les

    produits proposs au client perdraient en attractivit, avec pour

    consquence une baisse des ventes. Ainsi, sans mme quune

    interdiction soit prononce, la seule capacit dassociations militantes

    rclamer cette interdiction sur la scne mdiatique pourrait suffire

    plonger lentreprise dans une situation extrmement prilleuse.

    Sans compter que parfois la cause dfendue par un ou plusieurs groupes

    militants finit par susciter une opinion majoritaire. La demande de la minorit

    agissante est alors soutenue par un tel nombre dlecteurs que le politique doit

    en prendre acte en conformant la lgislation en vigueur cette demande.

    Les anglo-saxons expriment ce passage de rgles tacites des rgles

    explicites en opposant les concepts de Soft lawet de Hard law.

    Ce processus dintervention du politique est suscit par les attentes de

    lopinion. En effet, face lentreprise, lopinion implique lEtat. Et mme quand il

    nest pas du ressort de lEtat dagir, lopinion ne supporte pas que ce dernier

    nendosse pas le rle du gendarme. Dans ce cas, la solution pour lEtat

    consiste mettre dans les mdias un jugement moral sur lentreprise. Cest

    ainsi quau moment de la crise suscite par les suicides de salaris chez

    France Tlcom, en septembre 2009, le Ministre de lEconomie et des

    Finances, Christine Lagarde, a convoqu Didier Lombard, PDG de France

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    43/88

    43

    Tlcom, Bercy, grands renforts de communication mdiatique. Jean-Pierre

    Beaudoin voque21 ces nouvelles formes dintervention de lEtat face aux

    entreprises :

    Cette intervention de lEtat ne saurait revenir aux formes qui taient les

    siennes jusquaux annes 1970, mais elle en trouve graduellement dautres.

    Notamment celle de la sanction que reprsente, pour une entreprise, le fait

    dtre, sur la place publique, lobjet dun jugement, et surtout dun jugement

    porte morale, de la part dune autorit dEtat.

    Et dajouter :

    Cest la pression sur limage comme moyen de gouvernement.

    Certains acteurs militants ont thoris ce processus afin de se doter de

    mthodologies daction efficaces. Nous avons ainsi pu rencontrer un prsident

    dassociation militante qui a accept de nous livrer une mthode trs prcise

    quil a mise au point pour faire merger une norme politique 22.

    Face cette monte en puissance de la socit civile, lentreprise est appele

    tre responsable , au sens originel du terme, cest--dire tre en mesure

    de rpondre de ses actes et de son comportement devant ses parties-

    prenantes, commencer par lopinion. Pour Jean-Pierre Beaudoin23, lattention

    du public lactivit et au comportement des entreprises se manifeste dans

    quatre domaines principaux : la sant, lenvironnement, la responsabilit sociale

    et lquit financire.

    On na jamais autant parl de gouvernance .

    21BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, op. cit. p. 33-34.

    22Cette mthode est retranscrite en annexe 2.

    23 BEAUDOIN Jean-Pierre, tre lcoute du risque dopinion, op. cit. p. 33.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    44/88

    44

    La socit civile est en effet de plus en plus vigilante aux menaces que peut

    reprsenter lactivit de lentreprise dans ces domaines.

    Cette notion de risque est un facteur dterminant pour lopinion, qui a en outretendance agir sur un mode plus motionnel que rationnel. Dans nos socits

    occidentales dveloppes, la tolrance au risque est particulirement faible.

    Daucuns parleront mme de socits du risque zro . Le terrorisme

    islamique a bien compris ce phnomne : en tuant quelques personnes, les

    djihadistes savent que le spectacle quils jettent en pture nos mdias

    dstabilise fortement nos populations.

    La dnonciation dun risque associe un discours motionnel institue un

    climat particulirement crisogne. Ds lors que le risque dnonc trouve un

    accomplissement, mme isol, une polmique a de fortes chances de

    dmarrer.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    45/88

    45

    La ncessit dcouter

    Les phnomnes dopinion que nous avons dcrits montrent une mutation dunsystme de partis politiques vers un systme dont les moteurs idologiques

    sont des groupes militants. De plus, les nouvelles technologies de linformation

    et de la communication changent radicalement les modalits du dbat

    dmocratique.

    Les entreprises sont places dans un contexte qui volue rapidement et voit

    rgulirement apparatre de nouveaux acteurs. Les rapports de force peuvent

    se redessiner en peu de temps. Or, nous lavons vu, tout cela peut peser surlactivit de lentreprise, voire la conditionner,

    Par consquent, les entreprises doivent tre en mesure dcouter, dobserver et

    danalyser leur environnement stratgique. Et cela pour deux raisons :

    - dabord parce quil est important dy voir clair dans un jeu dinfluence

    complexe pour anticiper les risques sur lactivit de lentreprise et se

    prparer y rpondre ;

    - ensuite parce que pour pouvoir agir sur cet environnement stratgique

    afin den exploiter les opportunits, il est indispensable au pralable de

    connatre et de comprendre le systme dopinion dans lequel on volue.

    Traditionnellement, les professionnels de lintelligence conomique qualifientcette activit dcoute et danalyse des phnomnes dopinion de veille

    socitale. Ainsi, dans son ouvrage consacr au management stratgique de

    linformation, Emmanuel-Arnaud Pateyron dcrit cette activit de la manire

    suivante :

    La veille socitale consiste discerner parmi un certain nombre de

    changements (comme par exemple lvolution de la dmographie, des villes, de

    la condition fminine) les grandes fractures qui soprent dans la socit et

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    46/88

    46

    qui risquent de transformer ou de perturber lentreprise et son

    environnement. 24

    Conue de la sorte, la veille dopinion est rduite lobservation de tendancesde fond, sans permettre de dcoder et danalyser les processus de formation de

    ces tendances. Si une telle pratique de la veille dopinion, par sa vison long

    terme, trouve une valeur en matire de prospective, elle devient inoprante ds

    lors quil sagit pour lentreprise dy voir clair dans un jeu dinfluence donn afin

    de pouvoir mettre en uvre un programme dinfluence dans le moyen, voire le

    court terme.

    En effet, quil sagisse pour lentreprise dune dmarche ractive face un

    risque dopinion avr, ou proactive dans le cadre dune politique dinfluence,

    lanalyse du jeu dopinion dans lequel cette dmarche sinscrit doit obir une

    mthode quon pourrait dfinir par quatre phases essentielles du traitement de

    linformation : collecte, mise en perspective, partage, surveillance.

    24PATEYRON Emmanuel-Arnaud, Le management stratgique de linformation,

    Economica, 1994.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    47/88

    47

    Cette mthode sinspire de celle dfinie par les Etats-Unis en matire de

    renseignement en 1976 et adopte depuis par la plupart des services derenseignement dans le monde. Seulement, l o la mthode communment

    appele cycle du renseignement pour vocation de dfinir le travail de

    collecte et de traitement des informations stratgiques dans leur globalit, notre

    mthode se concentre exclusivement sur les besoins dune organisation en

    matire dinfluence pour un sujet donn.

    La phase de collecte

    Dans un premier temps, le travail danalyse se traduit par une vaste collecte

    dinformations sur le sujet qui proccupe lentreprise. Ces informations sont

    obtenues selon deux mthodes complmentaires : le renseignement de

    sources ouvertes et le renseignement humain.

    - Le renseignement de sources ouvertes consiste en une recherche

    documentaire daprs des sources gratuites ou payantes accessibles au

    grand public (pages web, articles de presse, rapports officiels, etc.)

    - Le renseignement humain complte la recherche documentaire

    pralable. La source est ici une personne humaine. La vision populaire

    rapproche ce mode de collecte dinformations de lespionnage ; or il

    sagit dune activit beaucoup plus ouverte. Elle peut en effet seffectuer

    de manire masque ou non. Il peut sagir dun entretien semi-directif

    avec un chercheur qui on explique exactement qui lon est, pour qui

    lon travaille et dans quel but ; linverse on peut par exemple choisir

    dapprocher un responsable associatif fermement oppos aux intrts de

    lentreprise en expliquant quon ralise une tude sur le sujet, ce qui est

    une reprsentation trs partielle de la ralit Ds lors se posent des

    questions dtique professionnelle. Nous reviendrons sur cette dimension

    essentielle de la pratique de linfluence en conclusion de ce mmoire. Le

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    48/88

    48

    renseignement humain revt galement des formes trs spontanes qui

    consistent contacter des personnes que lon connat et qui sont

    comptentes sur le sujet qui intresse lentreprise pour recueillir leur

    analyse personnelle de la situation. Ces personnes peuvent tre des

    salaris de lentreprise. Contrairement ce quon pourrait croire, cette

    mine dor dinformations est trs peu exploite par les entreprises. Les

    consultants des cabinets dintelligence conomique ont coutume de dire

    quenviron 70% des informations demandes par leurs clients sont

    disponibles dune manire ou dune autre en interne chez ces clients

    eux-mmes.

    La phase de mise en perspective

    Les informations collectes, mme si lon est en droit dattendre quelles soient

    pertinentes au regard des phnomnes dopinion qui intressent lentreprise,

    restent nanmoins des informations brutes. En ltat, elles nont quune valeur

    relative. Dans nos socits de linformation, la difficult ne rside en effet pas

    tant dans laccs linformation que dans la capacit en permettre une lecture

    pertinente au regard des objectifs poursuivis. Le dfi consiste donc, pour qui

    veut offrir cette capacit une organisation, faire entrer cette dernire dans

    une double dmarche o lintelligence synthtique rpond lintelligence

    analytique. Linformation brute collecte dans un premier temps est donc

    ensuite organise et synthtise selon des modles qui permettront par la suite

    de rendre cette information utilisable dans le cadre dune dmarche dinfluence.

    Cela est particulirement important lorsquil sagit didentifier et de cartographier

    les acteurs dun jeu dinfluence. Dans un premier temps, il est utile de les

    classer par sphres :

    - sphre politique et administrative (prsidence, gouvernement, parlement,

    administration, agences gouvernementales, missions, commissions, etc.)

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    49/88

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    50/88

    50

    - Enfin, les acteurs dfavorables au point de vue de lentreprise et

    fortement mobiliss sur le sujet. Ces opposants reprsentent un rel

    danger. Dans ce cas : sil est possible de dialoguer avec eux, il faudra

    les rencontrer en esprant tre suffisamment convainquant pour parvenir

    lever tout ou partie des oppositions. Si leur posture est purement

    idologique, dialoguer sera peine perdue et il faudra cantonner autant

    que faire se peut leur influence ou la mettre en balance en faisant

    intervenir des allis.

    La phase de diffusion

    Ds lors que les informations collectes ont t analyses et mises en

    perspective travers les mthodes que nous avons dcrites, il est ncessaire

    daider les publics de lentreprise apprhender et comprendre le jeu

    dinfluence ainsi analys.

    Pour cela, outre un dossier qui reprend lensemble de la dmarche et les

    conclusions qui en manent, il est ncessaire de mettre en place de vrais outilsdaide la dcision. Pour tre efficaces, ces outils doivent tre clairs,

    comprhensibles, intuitifs et ergonomiques. La ralisation de tels supports

    correspond un travail de synthse et reprsente un lourd investissement en

    temps. Cette tche forte valeur ajoute est nanmoins facilite par ladoption

    dune approche mthodique en amont, telle que nous lavons propose

    prcdemment.

    Ainsi, il est utile de livrer aux dcideurs les six graphiques denvironnement

    (sous la forme la plus ergonomique possible afin den faciliter la lecture).

    Un deuxime mode de cartographie des acteurs peut tre mis en place : une

    carte gographique. Si son utilit est moindre en termes de conception de la

    stratgie, elle est nanmoins apprcie des publics internes car elle donne aux

    acteurs une ralit travers leur ancrage gographique (il est par ailleurs trs

    important dy faire figurer systmatiquement les photos ou les logos des parties

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    51/88

    51

    prenantes). Dans le cadre de projets internationaux, la carte gographique

    permet galement de prsenter une typologie de ltat de lopinion par zones

    gographiques.

    Lavantage de ces supports synthtiques est que leur diffusion au sein de

    lentreprise est facilite. Ils permettent galement dharmoniser en interne la

    comprhension des enjeux et facilitent la rflexion sur la stratgie mettre en

    place. Ces outils ne sont ni plus ni moins quune carte dtat-major. Comme

    dans le cadre dune campagne militaire, les informations qui y figurent sont la

    synthse des informations recueillies par les services de renseignement.

    Comme au sein dun tat-major, elles permettent la dfinition dune stratgie

    sur un mode collaboratif. En effet, il est facile de les projeter au mur laide de

    vidoprojecteurs et de les annoter en temps rel.

    Enfin, pour optimiser au maximum lutilit de ces supports, il faut mettre en

    place une interface unique donnant accs chacun deux. Ainsi, ils ne sont pas

    isols les uns des autres mais se rpondent et deviennent un tout

    complmentaire et cohrent. Linformatique offre ce titre de nombreuses

    possibilits.

    La phase de surveillance

    Ds lors quun tableau de bord est mis en place, il est ncessaire de suivre

    attentivement lvolution de lenvironnement ainsi cartographi. Une veille doit

    tre mise en uvre. Fonde sur les mmes principes que la phase de collecte

    renseignement de sources ouvertes et renseignement humain elle peut faire

    appel en complment des outils de veille automatiss : alertes automatiques

    de moteurs de recherches, agrgateurs de flux RSS, outils de crawling

    spcialiss, etc.

    Si lactivit de veille doit tre en mesure de livrer quotidiennement au dcideur

    des informations brutes dans des dlais courts, il est nanmoins important que

    soit ralise rgulirement une analyse mettant en perspective les informations

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    52/88

    52

    recueillies. Cela se traduit dans la pratique par une mise jour du tableau de

    bord qui devient un outil volutif, ainsi que par la rdaction dun rapport de veille

    mensuel, trimestriel ou semestriel en fonction de lintensit de la problmatique.

    Le soin apport ces quatre phases de lcoute de lopinion collecte, mise en

    perspective, partage, surveillance apporte lentreprise une apprciation fine

    de son environnement stratgique ainsi quune capacit lapprhender dans

    sa globalit et anticiper ses volutions. Cela facilite le processus de prise de

    dcision et llaboration de stratgies dopinion cohrentes et cibles.

  • 8/8/2019 Communication d'Influence

    53/88

    53

    Prendre le risque bras le corps

    Sil est si important de se doter doutils permettant le partage de linformation en

    interne, cest que la rponse un risque dopinion de la part de lentreprise doit

    tre globale. Chaque salari doit avoir une conception claire du rle oserons-

    nous dire de la mission ? de son entreprise vis--vis de la socit.

    Or cela est extrmement difficile. Autant la conception de lentreprise comme

    interaction permanente avec des parties-prenantes a t adopte par les

    services de communication institutionnelle des grandes entreprises, autant lemanagement reste dans lensemble mal laise avec cette ralit. Cela est vrai

    toutes les chelles : du simple cadre au dirigeant de lentreprise. Prendre en

    compte les dfis poss par lopinion lactivit de lentreprise demande de

    franchir un pas culturel important.

    Cela est particulirement vrai dans les entreprises technologiques, o la culture

    dentreprise est une trs forte culture dingnieurs. PDans certaines de ces

    entreprises high-tech, 70 % des salaris sont des ingnieurs.

    Or il est