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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES
AFFILIÉE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÈAL
LA TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS PUBLIQUES
ÉTUDE DE CAS D’UN DIRIGEANT
PAR
ALI FADIL
SCIENCES DE LA GESTION
MÉMOIRE PRESENTÉ EN VUE DE L’OBTENTION
DU GRADE DE MAÎTRISE ÈS SCIENCES
(M.SC.)
JANVIER 2012
© ALI FADIL, 2012
i
ii
Sommaire
La présent mémoire porte sur l’étude du cas d’un dirigeant qui a accompli avec
succès la transformation de deux organisations publiques au sein des
institutions françaises. Si les contributions sur les aspects stratégiques et
opérationnels du changement en situation de complexité sont nombreuses, peu
d’écrits traitent plus spécifiquement des caractéristiques de dirigeants du
secteur public.
C’est dans cette optique que nous avons émis la question de recherche
suivante : Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à
transformer les organisations publiques ?
Pour y répondre, nous avons mené une étude exploratoire sur base du cas de
Jean-Paul Bailly, président-directeur général du Groupe La Poste. Ce dirigeant
a consacré sa carrière au service de la transformation d’organisations publiques.
Dans un premier temps, notre recherche s’appuiera sur son récit (3 entrevues).
Dans un second temps, nous avons validé et complété le récit fourni par ce
dirigeant en consultant 10 intervenants extérieurs. Cet échantillon de
convenance a été consulté dans le cadre d’entrevues semi-dirigées longues et
approfondies (1h05 en moyenne). L’étude de cas a été enrichie sur base d’une
recension documentaire.
Les assises théoriques de cette problématique se trouvent dans la littérature
scientifique où nous nous employons à définir les concepts et traiter des études
empiriques en recensant les écrits autour de 3 thèmes : 1) La transformation des
systèmes organisationnels complexes : Gestion stratégique et opérationnelle
d’une transformation en situation de complexité ; 2) Les caractéristiques du
dirigeant en période de transformation : Leadership et pilotage d’une
transformation organisationnelle ; 3) La transformations des organisations
publiques : Enjeux organisationnels et direction du changement dans le secteur
public. Sur base de la revue de littérature, nous avons constitué un cadre
iii
conceptuel intégrant deux dimensions d’une transformation : 1) Le diagnostic
des capacités du changement stratégique 2) Les leviers d’action dans la mise en
œuvre d’un changement. Ce cadre conceptuel identifie les principales variables
à étudier (contexte, structure, culture, leadership, leviers d’action : légitimation,
réalisation, appropriation) pour permettre de faire ressortir les caractéristiques
du dirigeant en période de transformation.
Prenant appui sur l’analyse des données présentées dans l’étude de cas, nos
résultats révèlent, sous forme de propositions, que ce qui caractérise ce
dirigeant, c’est : 1) sa capacité à influencer sur les décisions de l’État – 2) sa
capacité à définir des structures novatrices intégrant des contradictions – 3) sa
capacité à influencer les perceptions de ses parties prenantes en valorisant
certains éléments liés à l’accomplissement des missions de service public 4) son
leadership transformationnel basé sur l’authenticité, la conciliation et la
confiance 5) sa capacité à accompagner la mise en œuvre la transformation par
la création de mécanismes d’anticipation permettant, par le dialogue,
l’association et la réconciliation des différents acteurs.
Compte-tenu de la portée de cette recherche, réalisée dans le cadre des
contraintes logistiques et temporelles d’un mémoire de maîtrise, l’étude se base
sur le cas d’un dirigeant. Les résultats obtenus ne peuvent être généralisés à
tous les dirigeants du secteur public. Toutefois, par son étude approfondie,
historique et longitudinale, cette recherche offre un certain nombre de
propositions intéressantes qui pourraient faire l’objet d’un approfondissement
futur.
Mots clés : Transformation ; Leadership; Organisations publiques ;
Direction ; Changement.
iv
Table des matières
Sommaire ii
Table des matières iv
Liste des tableaux vi
Liste des figures vii
Remerciements viii
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1 : Revue de la littérature 5
1.1. La transformation des systèmes organisationnels complexes 5
1.1.1. La gestion stratégique d’une transformation en situation de
Complexité
6
1.1.2. La gestion opérationnelle d’une transformation en situation
de complexité
11
1.2. Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation 16
1.2.1. Le leadership transformationnel 16
1.2.2. Pilotage d’une transformation organisationnelle 21
1.3. Les transformations organisationnelles dans le secteur public 24
1.3.1. Les enjeux organisationnels face à la transformation du secteur
public
25
1.3.2. Les dirigeants publics au service de la transformation 31
CHAPITRE 2 : Cadre conceptuel 36
2.1. Réflexions et problématique de recherche 36
2.2. Cadre conceptuel : modèles et dimensions retenues 38
2.3. Description des dimensions et variables 40
2.3.1. Dimension A : Diagnostic de la capacité de changement
stratégique
40
2.3.2. Dimension B : Leviers d’action pour la mise en œuvre d’une
Transformation
46
CHAPITRE 3 : Méthodologie 51
3.1. Méthode de recherche 51
3.2. Technique d’échantillonnage 55
3.3. Collecte de données 56
3.4. Analyse des données 58
3.5. Avantages et limites de la méthode 59
3.6. Considérations éthiques 61
v
CHAPITRE 4 : Présentation des données 62
4.1. Étude de cas : l’histoire d’un dirigeant 62
4.1.1. Partie 1 – Origines du dirigeant 63
4.1.2. Partie 2 – Formation à la gestion stratégique et
opérationnelle de la transformation
69
4.1.3. Partie 3 – Diriger la transformation des organisations
publiques
81
CHAPITRE 5 : Analyse des données 103
5.1. Analyse des données du cas 103
5.1.1. Contexte 104
5.1.2. Structure 106
5.1.3. Culture 109
5.1.4. Leadership 113
5.1.5. Leviers d’action 117
5.2. Discussion et conceptualisation 122
5.2.1. Contexte 123
5.2.2. Structure 127
5.2.3. Culture 129
5.2.4. Leadership 131
5.2.5. Leviers d’action 134
CHAPITRE 6 : Conclusion 137
6.1. Apports de l’étude 137
6.2. Limites de l’étude 140
6.3. Pistes de recherche 141
ANNEXES 142
BIBLIOGRAPHIE 148
vi
Liste des tableaux
Tableau n°1 : Management versus Leadership selon Kotter 17
Tableau n°2 : Caractéristiques du leader transformationnel selon Bass 19
Tableau n°3 : Cinq composantes caractérisant les organisations publiques selon
Santo et Verrier
29
Tableau n°4 : Dirigeants publics transformateurs selon Hafsi/Bernier 34
Tableau n°5 : Éléments suggérés dans la revue de littérature 37
Tableau n°6 : Variable 1- Le contexte 123
Tableau n°7 : Variable 2- La structure 127
Tableau n°8 : Variable 3 - La culture 129
Tableau n°9 : Variable 4 - Le leadership 132
Tableau n°10 : Variable 5 – Processus de mise en œuvre 134
vii
Liste des figures
Figure n°1 : Typologies de transformation selon Van de Ven et Poole 7
Figure n°2 : Les types de transformation selon Rondeau 8
Figure n°3 : Modèle Hafsi-Fabi du changement stratégique 10
Figure n°4 : Mise en œuvre de la transformation selon Kotter / Lewin 13
Figure n°5 : Le mode des phases de préoccupations selon Bareil 14
Figure n°6 : Le rôle de la direction en période de transformation selon Rondeau
et Bareil
23
Figure n°7 : Cadre conceptuel 39
Figure n°8 : La démarche de réalisation d’une étude de cas selon Gagnon 54
viii
Remerciements
Mes premiers remerciements s’adressent à mes parents, et ce pour leur
détermination à faire de l’instruction une priorité dans l’éducation qu’ils nous
ont inculquée. Je remercie également mes frères et sœurs, pour leur soutien.
Je tiens à remercier Taïeb Hafsi. Plus qu’un directeur, il a été un père inspirant.
En frappant à sa porte, sans même le connaître, il m’a ouvert un chemin. Les
mots me manquent pour lui témoigner ma reconnaissance comme ils peuvent
manquer lorsque l’écoute constitue une bien meilleure vertu. Je suis également
reconnaissant de l’implication des membres du jury, Céline Bareil (HEC
Montréal) et Luc Bernier (ENAP). Leurs remarques m’ont permis de poursuivre
mes apprentissages. Durant mes rédactions de ce mémoire, j’ai bénéficié d’un
espace à la Chaire d’entrepreneuriat Rogers-J.A.-Bombardier. Je suis
reconnaissant des privilèges dont j’ai pu bénéficier en travaillant sous la
direction de son titulaire, Louis-Jacques Filion.
Merci à celles et ceux qui, dans le monde professionnel, ont consacré du temps
et de l’intérêt pour ce mémoire, passant souvent plusieurs heures à répondre à
mes questions. Merci à Jean-Paul Bailly pour sa confiance.
J’aimerais ensuite remercier celles et ceux qui ont contribué à l’amélioration du
mémoire par leur relecture. Mes premiers remerciements vont à mon meilleur
ami, mon frère, Karim El Yousfi pour sa générosité et qui doit certainement être
un spécialiste en management.
Je tiens surtout à remercier toutes celles et ceux qui, durant ces mois
d’enfermement ont dû supporter mon humeur changeante, mon manque de
disponibilité, allant parfois jusqu’à refuser tout contact avec ceux qui comptent
le plus à mes yeux pour ne pas m’éloigner de cette priorité. J’espère qu’ils
auront compris que j’étais complètement déconnecté de la réalité, de la vie, la
vraie.
1
Introduction
« Il faut que tout change pour que rien ne change. On ne peut rester fidèle à soi-
même qu’en changeant ». Ces quelques mots expriment le cœur de la
philosophie de management de Jean-Paul Bailly, l’actuel PDG du Groupe La
Poste. Ce dernier s’est forgé cette réflexion au fil des transformations qu’il a
menées avec succès tout au long de sa carrière au sein de deux organisations
publiques majeures en France.
Comme le laisse entrevoir notre propos, nous traiterons dans ce mémoire de la
question des transformations organisationnelles dans le secteur public. Si ce
phénomène, lié plus globalement à la thématique du changement, constitue l’un
des sujets de gestion les plus étudiées en recherche, à l’inverse du côté des
praticiens, les résultats sembleraient quelque peu mitigés (Rondeau, 2008).
Certains chercheurs tels que Bareil (2008) sont plus précis quant à cette
évaluation et parlent même d’un taux d’échec avoisinant les 50% dans l’atteinte
des objectifs fixés au départ.
Dans un numéro de la revue Téléscope1, consacré à la thématique de la gestion
stratégique dans les organisations publiques, Louis Côté (2008 : 3), explique
que les organisations publiques éprouveraient davantage de difficulté à se
transformer du fait de leurs spécificités tandis que les défis confiés aux
dirigeants requerraient un véritable « numéro d’équilibriste » :
« Dans un tel environnement public, de plus en plus complexe et
souvent opaque, on perçoit aisément le caractère critique des enjeux
de ces convulsions pour l’organisation mutante. Il lui faut en même
temps redessiner ses structures, convertir son habitus, mobiliser ses
personnels, sauvegarder sa culture et améliorer son efficacité et son
efficience ».
1 Revue de L’Observatoire de l’administration publique édité par l’École nationale d’administration publique du
Québec (ENAP)
2
Par ailleurs, dans un article consacré au même sujet, Hafsi et Bernier (2007 :
489) affirment que malgré les difficultés liées au contexte particulier de ces
organisations d’État et à leur mode de fonctionnement, certains dirigeants
parviennent à jouer un rôle majeur dans le succès de ces transformations :
« The history of the public sector in North America abounds with
stories of remarkable entrepreneurs who devoted an incredible amount
of energy, and sometimes put their future, their positions, and their
well-being at risk to reform the public systems ».
Partant de l’idée que ces organisations connaissent un certain nombre de
difficultés à se transformer, du fait de leurs spécificités et que certains
dirigeants parviennent, par une approche particulière, à obtenir des résultats
positifs, nous nous poserons la question de recherche suivante :
Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à transformer les
organisations publiques ?
Pour répondre à cette question, nous avons choisi de mener une étude
exploratoire sur une base approfondie, historique et longitudinale.
Notre approche se centrera sur le parcours d’un dirigeant, Jean-Paul Bailly, qui
s’est démarqué en France par la réussite récurrente de transformation dans le
secteur public. Le choix de notre objet de recherche s’est justifié d’une part par
le fait que les organisations étudiées sont en proie à une vague de
transformations et d’autre part que le recul sur les actions menées par le
dirigeant permettent de faire ressortir les caractéristiques à l’origine de ces
succès.
Pour aborder ce phénomène, nous recueillerons son récit et nous intéresserons
au point de vue de 10 intervenants-témoins qui ont vécu ces situations de
transformation.
3
Ainsi, l’objectif de cette exploration sera de dégager les spécificités des
organisations publiques pour mieux comprendre les caractéristiques liées à
l’action du dirigeant.
Pour circonscrire notre champ d’investigation, nous avons orienté les lectures
recensées au premier chapitre, consacrées à la revue de littérature, sur base de
trois thèmes :
- La transformation des systèmes organisationnels complexes
- Le rôle du dirigeant en période de transformation
- La transformation organisationnelle dans le secteur public
Cette revue de littérature nous a permis d’apporter un premier éclairage à notre
question de recherche et d’identifier des modèles pour constituer un cadre
conceptuel. En effet, dans le cadre conceptuel, nous utiliserons les variables de
deux modèles de référence en gestion du changement stratégique
d’organisations complexes :
- Modèle Hafsi-Fabi sur la capacité du changement stratégique
o Variables : Contexte, Structure, Culture, Leadership
- Modèle Rondeau-Bareil sur les 3 enjeux dans la mise en œuvre d’un
changement majeur
o Variables : Légitimation, Réalisation, Appropriation
L’utilisation de ces variables, d’une part sur les aspects stratégiques (contexte)
et d’autre part sur les aspects opérationnels (mise en œuvre) permettra une
analyse plus rigoureuse et mieux ciblée des résultats de notre recherche.
Nous avons choisi de présenter les résultats de notre exploration sous la forme
d’une étude de cas. À cet effet, nous retracerons le parcours personnel et
professionnel du dirigeant sur base des données recueillies auprès de notre
échantillon de convenance et de données secondaires (documents internes,
presse économique, rapports officiels d’institutions de l’État…).
4
L’analyse du cas sur base des variables retenues et des éléments traités dans la
revue de littérature, nous permettront finalement d’émettre des propositions
exposant les caractéristiques de dirigeants qui réussissent à transformer des
organisations dans le secteur public.
5
Chapitre 1 : Revue de littérature
La transformation des organisations publiques constitue la thématique
principale de ce mémoire. L’étymologie du verbe « transformer » renvoie au
latin « trans/formare » qui signifie donner une forme nouvelle, que ce soit à une
chose ou une personne. Le deuxième terme qui nous intéressera dans ce
chapitre, c’est celui de « l’État » venant du latin « Stare » qui se traduit par être
debout, telle une statue. Ceci nous amène à évoquer quelques aspects du champ
sémantique environnant de ce deuxième terme. Nous pensons alors à la
permanence, à la constance, en somme à l’idée de stabilité. Deux mots qui, dans
leur étymologie s’opposent, l’un renvoyant au mouvement, l’autre parlant
d’immobilité.
Dans ce chapitre, consacré à la revue de la littérature, nous nous intéresserons
d’abord au champ de la recherche sur le thème de la transformation des
organisations complexes. Nous aborderons ensuite le rôle qu’occupent les
dirigeants durant ces phases de transformation. Nous verrons enfin que cette
volonté de transformation se confronte à un certain nombre d’enjeux
spécifiques au contexte des organisations publiques.
1.1. La transformation des systèmes organisationnels complexes
La revue de littérature en gestion de la transformation et des changements
organisationnels est à la fois très vaste et regroupe des réalités diverses
(Rondeau, 2008). En parcourant les ouvrages couvrant ce champ de la
recherche, une distinction claire apparaît toutefois entre les notions de «
changement » et de « transformation ». Bareil (2008) définit la transformation
comme un changement stratégique majeur, Rondeau (2008) rappelle que la
transformation induit une modification profonde de l’architecture de
6
l’organisation. Mintzberg, Lampel et Ahlstrand (2002) abondent dans le même
sens en indiquant que contrairement au changement, la transformation
toucherait aux aspects liés tant à la stratégie qu’à la structure. Les deux notions,
de changement et de transformation, ne feraient donc pas référence à la même
ampleur.
Nous verrons plus précisément dans cette première partie ce que recouvre le
concept théorique de transformation et nous ferons ressortir ensuite quelques
études empiriques qui traitent de la mise en œuvre de la transformation en
situation de complexité.
1.1.1. La gestion stratégique d’une transformation en situation de
complexité
Dans une perspective volontariste, certains chercheurs tels qu’Andrews (1987)
prétendent que la transformation résulterait d'une volonté du gestionnaire.
D'autres chercheurs comme Meyer (1982) pensent au contraire que cette
transformation serait déterminée par des facteurs extérieurs non prévisibles,
dépassant les intentions planifiées par le gestionnaire. Certains chercheurs
stipulent que cette différence serait le fruit d’une confrontation entre les écoles
de pensée de la recherche en gestion, les uns axés sur l’action, les autres sur la
compréhension du phénomène (Miller, Greenwood et Hinings, 1999 ; Jacob,
Rondeau et Normandin, 2008).
En se basant sur les résultats d’études empiriques, Rondeau (2008) apporte une
nuance intéressante.Il précise que c’est justement la complexité inhérente à une
transformation qui ne permettrait pas aux dirigeants de procéder par une gestion
simple et planifiée. À ce propos, Séguin, Hafsi et Demers (2008) rappellent
qu’il n’existe pas de réelle recette définitive en situation de complexité, la règle
étant d’expérimenter et d’ajuster constamment dans des situations paradoxales
7
sans recherche de solution définitive. Pichault (2008) insiste de son côté sur la
nécessité pour le dirigeant de disposer d’une compréhension fine de
l’environnement et des enjeux auxquels est confrontée l’organisation.
L’association des parties prenantes permettrait alors au dirigeant d’analyser
correctement cette complexité liée à la transformation selon ce même
chercheur.
Il existe plusieurs modèles pour identifier les typologies des transformations.
Nous étudierons plus précisément celui développé par Rondeau (2008) et celui
de Van de Ven et Poole (1995).
Figure n°1 : Typologies de transformation selon Van de Ven et Poole
(1995)
Van de Ven et Poole (1995) rappellent que le changement constitue l’un des
phénomènes les plus étudié en recherche alors qu’il représente aussi le
phénomène le plus difficile à étudier. Afin de clarifier quelque peu ce
phénomène, Van de Ven et Poole (1995) proposent une matrice sur base de
8
deux axes. L’axe horizontal tient compte du facteur de prévisibilité tandis que
l’axe vertical mesure l’unité d’analyse de la transformation.
Dans le cas de l’axe horizontal, les chercheurs se demandent si cette
transformation est issue de l’action managériale, ils parlent alors de prescription
prévisible ; ou si cette transformation est le fruit d’un contexte
environnemental, ils décrivent alors cette transformation comme étant une
construction non-prévisible.
Dans le cas de l’axe vertical, les chercheurs se demandent si cette
transformation concerne une unité unique comme un groupe restreint de
l’organisation ou des unités multiples à savoir l’organisation dans sa globalité.
Pour chacune des typologies, les chercheurs proposent des modèles théoriques
plus précis, celle du cycle de vie et téléologique sur l’axe de prévisibilité ou
encore la théorie évolutionniste et dialectique sur l’axe de l’unité d’analyse.
Figure n°2 : les types de transformation selon Rondeau (1998)
Le phénomène de transformation renverrait donc des réalités multiples, ce que
ce modèle tente de mettre en avant. D’autres auteurs, tels que Nadler et
9
Tushman, analysent par exemple les implications d’une transformation en
fonction de sa typologie (incrémental vs radical / réaction vs anticipation).
Offrant à la fois une compréhension sur la typologie des transformations et leur
mise en œuvre, le modèle de Rondeau (2008) s’appuie sur les recherches du
Centre d’études en transformation des organisations. Le chercheur propose de
classifier les transformations selon 4 types : le réaménagement, le
renouvellement, le réalignement et le redéploiement.
Le premier type de transformation, le réaménagement, vise à corriger une
déficience du business model par l’amélioration de la productivité. Pour
atteindre cet objectif, la transformation passera par un certain nombre
d’innovations managériales sur le plan de processus. Le second type de
transformation, le renouvellement, vise à corriger une déficience dans la
manière de rendre le service aux clients en favorisant l’implication du
personnel. Pour atteindre cet objectif, la transformation passera par une révision
des valeurs et de la culture organisationnelle. Le troisième type de
transformation, le réalignement, vise à corriger une dégradation de la
performance par la réduction des coûts. Pour atteindre cet objectif, la
transformation passera par un resserrement dans l’utilisation des ressources.
Finalement, le quatrième type de transformation, le redéploiement, vise à
corriger une offre de service non-pertinente par rapport à la demande des
clients. Pour atteindre cet objectif, la transformation passera par une révision de
l’offre de service.
À travers la revue de la littérature, nous remarquons que les écrits ne
s’intéressent pas uniquement à classifier le phénomène de transformation en
typologies. D’autres auteurs démontrent que pour gérer une transformation, il
ne s’agit pas simplement de comprendre ce phénomène. Ainsi, un courant de
pensée insiste sur la nécessité de s’attarder sur la capacité à changer.
10
Hafsi et Fabi (1997) définissent la transformation comme étant le passage entre
un état vécu et un étant désiré. Cet état désiré proviendrait d’une prise de
conscience découlant d’un surcroit d’informations. Cette prise de conscience
génère alors deux cas de figures, un stress qui accroit le désir la transformation ;
une inertie qui accroit la résistance. Les chercheurs expriment la capacité d’une
organisation à changer comme un équilibre entre l’inertie et le stress.
Figure n°3 : Modèle Hafsi-Fabi du changement stratégique (1997)
Comme nous pouvons l’observer sur la figure, la capacité de changement
organisationnelle est influencée par 4 facteurs qui constituent la complexité : le
contexte, la structure, la culture et le leadership.
Dans un autre ouvrage consacré au même sujet, Hafsi et Demers (1997) arrivent
à la conclusion qu’en présence d’une forte ou faible capacité de changement,
l’organisation se transformera sur une base continue et évolutive dans le
premier cas ou seulement sur une base plus ponctuelle, liée à une rupture en
période de crise, dans le second cas.
11
1.1.2. La gestion opérationnelle d’une transformation en situation de
complexité
Selon Bareil (2008), une transformation sur deux n’atteindrait pas les objectifs
fixés. Les raisons de ces échecs se trouvent dans la difficulté de prévoir l’avenir
au moment où les objectifs de la transformation sont planifiés selon Mintzberg
et Walters (1985). Ces chercheurs remettent dès lors en question la possibilité
de planifier et avancent que le phénomène de transformation serait contrait par
des phénomènes émergents qui remettraient en cause la mise en œuvre décidées
précédemment. Rondeau (2008) va plus loin en indiquant que la transformation,
à savoir une modification de l’orientation stratégique et des structures, ne
suffisent pas pour parvenir à l’atteinte des objectifs. L’exercice est bien plus
complexe car il se heurte aux phénomènes d’inertie organisationnelle et de
résistances à des niveaux individuels et/ou collectifs.
D’autres chercheurs, comme Anne Langley et Denis (2008), s’inscrivent dans
la même lignée et rappellent le caractère désintégratif, dynamique, endogène et
asymétrique du changement lors de sa mise en œuvre. Selon ces derniers, les
publications scientifiques tant prescriptives que didactiques négligent ces 4
dimensions, ce qui aurait des répercussions quant aux échecs lors de
l’implantation des changements majeurs. Prenant pour appui leurs études dans
le secteur des soins de santé, ces chercheurs expliquent que c’est le caractère
endogène du changement, soit le fait que le contenu du changement puisse être
à son tour transformé par le contexte même de l’organisation, qui importe dans
le secteur public. Un effort de compréhension de la nature du contexte
organisationnel propre au secteur public devrait constituer un préalable à la
mise en œuvre d’une transformation. Ce serait en effet le contexte et la culture
qui auraient un impact sur le processus d’implantation et expliquerait ces
échecs. Les auteurs citent l’exemple des relations de pouvoirs diffus dans le
secteur public.
12
De façon plus explicite, Hafsi, Séguin et Toulouse (2000) soutiennent que ces
échecs sont le fait d’une négligence du facteur humain de la part des dirigeants
des entreprises qui, dans la mise en œuvre de transformations, ont tendance à se
centrer sur l’amélioration des performances. Or selon ces mêmes auteurs, la
réalisation d’une telle stratégie passe par l’adhésion et la participation active
des collaborateurs. Le facteur humain jouerait un rôle important dans le succès
ou l’échec d’une transformation. Ainsi, la corrélation entre les préoccupations
des destinataires d’un changement et les comportements de résistance au
changement a également été étudiée par d’autres chercheurs (Bareil et Savoie,
2003). Les résultats de ces études tendraient également à démontrer que la
résistance au changement, soit « le refus d’accepter un changement […] par des
comportements visant à entraver le changement, à y nuire ou à y faire
obstacle » constituerait l’une des principales causes d’échec d’une
transformation (Bareil, 2008).
La gestion du volet humain constitue donc l’un des facteurs majeurs à prendre
en considération lors d’une transformation. Afin de mieux répondre à cette
problématique, plusieurs chercheurs se sont penchés sur cette thématique de
recherche. Trois modèles, recouvrant des approches différentes, émergent dans
notre revue de littérature.
C’est avec Kurt Lewin, un acteur majeur et fondateur du courant de la
psychologie sociale, qui introduit les premières expériences fondamentales sur
la gestion des changements, jetant ainsi les bases d’un modèle basé sur une
approche cognitive et un processus temporel (Bareil et Savoie, 1999).
Il explique qu’un changement suit 3 étapes successives : la décristallisation, le
mouvement et la recristallisation. Durant la première étape, appelée aussi dégel,
il s’agit ici pour les gestionnaires de parvenir à surmonter les résistances à la
fois individuelles et/ou collectives en les réduisant. La deuxième étape, appelée
aussi étant transitoire, amène le gestionnaire à intensifier son action en faveur
13
du changement pour permettre l’abandon du statu quo. Finalement, lors de la
troisième étape, appelée aussi regel, le gestionnaire termine cette boucle par
une stabilisation, une sorte d’équilibre entre le mouvement et le statu quo. En
quelque sorte, on peut rapprocher cette étape par celle du stress et de l’inertie
que nous évoquions dans le modèle Hafsi-Fabi ci-dessus. Bareil et Savoie
(2003) constatent, à travers les publications de la littérature scientifique et
professionnelle, que bien que général, ce modèle a été largement cité, utilisé et
repris, ce qui explique les variantes dans la dénomination des 3 phases
proposées initialement par Lewin.
Un autre modèle a été développé par Kotter (1995) et publié dans la très
prestigieuse Harvard Business Review, aborde le rôle des gestionnaires
stratégiques. C’est sur base d’une recherche empirique, centrée sur les
gestionnaires d’organisations réussissant et échouant la mise en œuvre de
changements que Kotter propose une modèle basé sur 8 étapes. Il est surtout
destiné aux dirigeants qui disposent, selon le chercheur, de la capacité à
développer une vision permettant ensuite la mise en œuvre des transformations.
Figure n°4 : Mise en perspective des modèles de Kotter / Lewin selon
Robbins et Judge (2006)
Selon Robbins et Judge (2006), le modèle dessiné par Kotter s’inspirerait de
celui proposé par Lewin tout en offrant une démarche plus détaillée
14
Les deux premiers modèles semblent ne pas assez tenir compte de certains
facteurs liés à la complexité lors de la mise en œuvre d’une transformation. À
côté d’une première approche centrée sur les observateurs (Lewin), d’un second
adoptant la perspective des dirigeants stratégiques, une troisième approche
ressort dans la littérature, celle centrée sur les bénéficiaires d’un changement.
Ainsi, le modèle des phases de préoccupations, fondé sur une approche
cognitive-affective, tient en compte les préoccupations provoquées par la mise
en œuvre d’un changement. Selon Bareil (1998), cette théorie a été introduite
par Hall, George et Rutherford en 1986, développée et vérifiée empiriquement
par d’autres chercheurs. Les auteurs constatent en effet que les individus
touchés par un changement passent à travers différentes phases de
préoccupations débutant par l’absence de préoccupation et se terminant par une
volonté d’améliorer le changement.
Figure n°5 : Le mode des phases de préoccupations selon Bareil (2004)
Plus concrètement, ce modèle se compose des 7 étapes suivantes :
15
- Phase 1 aucune préoccupation : les destinataires ne se sentent pas
concernés par le changement ;
- Phase 2 préoccupations centrées sur le destinataire : les destinataires
expriment des inquiétudes quant aux impacts du changement sur eux ;
- Phase 3 préoccupations centrées sur l’organisation : les inquiétudes des
destinataires se centrent ici sur la volonté et la capacité organisationnelle
à gérer, soutenir et implanter le changement ;
- Phase 4 Nature du changement : les destinataires expriment un intérêt
plus prononcé pour le changement et la manière dont il sera implanté ;
- Phase 5 Expérimentation : les inquiétudes des destinataires concernent
ici les moyens mis en œuvre pour leur permettre gérer le changement ;
- Phase 6 Collaboration : les inquiétudes se centrent davantage sur la
façon dont ce changement sera vécu avec les autres destinataires;
- Phase 7 Amélioration continue : les destinataires se soucient finalement
de l’amélioration du changement implanté.
La présentation de ce modèle de mise en œuvre d’une transformation nous
amène à refermer cette première partie. Nous constatons, à travers les différents
écrits recensés, que la pensée en gestion pourrait être regroupée entre des
courants, l’une déterministe stipulant que c’est l’environnement étant l’élément
contraignant, l’autre volontariste laissant davantage de place à la capacité du
gestionnaire à gérer la transformation. Une évolution plus récente tendrait à
associer ces deux courants en stipulant qu’au mieux, le dirigeant peut gérer les
capacités permettant la transformation. Les études empiriques relativisent
quelque peu l’ampleur de la recherche académique en constatant le taux
d’échec lié à la mise en œuvre des transformations. Des modèles proposés,
simple ou prescriptif ne constitueraient pas une réponse suffisante. Des modèles
contextuels, prenant en compte le facteur de complexité, mettent davantage
l’emphase sur la nécessité d’associer l’ensemble des parties prenantes en
période de transformation, en étant attentifs à leurs préoccupations respectives.
16
Après avoir circonscrit le champ conceptuel lié au concept de transformation,
nous nous intéresserons, dans la partie suivante, au rôle des dirigeants.
1.2. Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation
Les dirigeants occupent un rôle essentiel dans la transformation d’une
organisation selon les différentes lectures recensées. Cependant, les avis
divergent quant à la manière d’expliciter concrètement ce rôle.
Dans cette partie, nous nous intéresserons d’abord aux fondements théoriques
du leadership transformationnel. Ensuite, nous affinerons le sujet en abordant
d’un point de vue plus pratique le rôle du dirigeant dans la conduite d’une
transformation organisationnelle.
1.2.1. Le leadership transformationnel
La notion de leadership fait débat tant dans la construction théorique que
fournissent les chercheurs que dans son utilisation pratique dans les réalités
administratives auxquelles sont confrontées les organisations. Le terme
anglophone n’a pas d’équivalent dans la langue française, il est utilisé comme
anglicisme et fait référence au mot « leader » se traduisant par chef.
C’est Kurt Lewin (1939), qui introduit les premières expériences
fondamentales, sur le leadership. Entre temps, plusieurs chercheurs se sont
intéressés à définir ce concept, notamment Alexandre-Bailly et Bourgeois
(2009 : 228) :
« Le leadership est la capacité générale à entraîner les autres
derrières soi (regroupe l’influence morale et l’influence
affective ». Un leader est un dirigeant qui s’appuie en priorité
17
sur son leadership »
En effet, le leadership, en tant qu’ « action de conférer une orientation à un
groupe par des moyens principalement non coercitifs » est la clé de l’avantage
concurrentiel selon John Kotter (1988 : 14). Le chercheur distingue clairement
le management, assurant l’ordre et la cohérence, du leadership qui permet aux
organisations de surmonter les obstacles et à se transformer pour s’adapter à
l’environnement.
En plus d’être l’un des premiers à intégrer la notion de vision dans sa définition
du leadership, Kotter conclut que les organisations qui réussissent sont celles
qui parviennent à attirer et à conserver ces leaders.
Tableau n°1 : Management versus Leadership selon Kotter (1988)
Management Leadership
Faire face à La complexité Le changement
Outils Planification, organisation, contrôle Direction, vision, communication
Approche Tactile Stratégique
Orientation Présent Futur
Cette distinction entre managers et leaders est essentielle selon Northouse
(2001). Le chercheur clarifie les deux notions en parlant de deux contextes
précis. Selon Northouse (2001 : 8), « le management cherche l’ordre et la
stabilité, le leadership consiste à chercher un mouvement adapté et constructif
à la société ». Le manager apporterait donc de l’ordre et une certaine logique
tandis que le leader amènerait davantage de changement et de mouvement dans
les organisations.
Selon Pascale (1991 : 65) : « Managers do things right, while leaders do the
right thing ». En suivant une voie tracée, les managers veillent à
18
l’accomplissement des tâches et au respect des règles en reposant leur
philosophie de gestion sur le contrôle, ce qui procure de l’ordre et une certaine
stabilité. À contrario, les leaders écoutent davantage leur instinct et se laissent
guider par leurs émotions. Axés sur les personnes, ils définissent des objectifs
et des principes et basent leur philosophie de gestion sur l’influence, la
motivation et la confiance.
Plutôt que d’opposer les leaders et managers, Selznick (1957) apporte une
clarification en rappelant que les deux sont nécessaires à la transformation des
organisations. En effet, l’organisation en tant que système organique en
turbulence est touchée à la fois par les caractères sociaux des personnes et les
changements de son environnement. Par sa personnalité, son prestige et sa
crédibilité, le leader apporte alors du sens aux actions mises en œuvre tout en
rappelant et en préservant les valeurs qui font l’identité institutionnelle de
l’organisation. C’est alors que le leader s’appuie sur ses managers qui disposent
des connections internes « to make things happen ».
Enfin, Collins (2001) partage l’idée selon laquelle les organisations qui
réussissent sont celles qui se transforment à partir de ce qu’elles sont, en partant
de leurs ressources et de leur savoir-faire. Alors que Selznick parle de prestige,
Collins conçoit davantage le leader à la tête d’organisations qui réussissent
comme une personne humble mettant son ambition et sa persévérance au
service de l’organisation. Il ne cherche à tirer aucune gloire personnelle des
succès tandis qu’il n’hésite pas à se blâmer en cas d’échec. Si les leaders
deviennent une source d’inspiration pour leurs managers, les leaders misent
quant à eux sur leurs managers qu’ils voient comme des successeurs à qui ils
laissent suffisamment d’espace et auxquels ils prédisent un avenir encore plus
brillant.
Dans ce mémoire, nous nous intéresserons plus particulièrement aux théories
développées sur un type de leadership: le leadership transformationnel. En effet,
dans « Leadership », James MacGregor Burns (1978 : 2) débute son ouvrage
19
par le constat suivant : « Leadership is one of the most observed and least
understood phenomena on Earth » Ce professeur en sciences politiques
s’intéresse dans cet ouvrage à des grands leaders de son époque : Kennedy,
Roosevelt et Wilson, dont il écrit les biographies officielles. Plutôt que de
s’attarder sur les traits de personnalité, il centre son approche sur les
interactions collaboratives et mutuellement bénéfiques que ces leaders
parviennent à nouer avec leur entourage dans l’atteinte des objectifs. Il
remarque alors chez ces dirigeants d’Etat un leadership particulier qu’il qualifie
de transformationnel.
Avant que la notion de leadership transformationnel soit largement reprise à
partir des années 1985, il faut retourner à l’Université de l’Ohio où le livre
politique du leadership de Burns retient l’attention de Bernard Bass. Ce
chercheur associe alors les théories de Burns sur les transformateurs de l’Etat à
celles développées en psychologie sur la dynamique des groupes en leadership
transactionnel (Miner, 2005).
Tableau n°2 : Caractéristiques du leader transformationnel selon Bass
(1990)
Charisma Provides vision and sense of mission, instills pride, gains respect and trust
Inspiration Communicates high expectations, uses symbols to focus efforts, and
expresses important purposes in simple ways.
Intellectual
Stimulation Promotes intelligence, rationality, and careful problem solving.
Individualized
Consideration Gives personal attention, treats each employee individually, coaches, advises.
Bass valide son modèle à plus grande échelle jusqu’à obtenir la première
théorie sur le leadership transformationnel dans Leadership and performance
beyond expectations, 1985. Ce modèle s’articule autour de 4 dimensions : le
20
charisme, l’inspiration, la stimulation intellectuelle et la considération
individuelle (Bass, 1990).
Le leader transformationnel pose un regard neuf sur l’organisation qu’il
revitalise (Tichy et Ulrich, 1984). En traçant une vision sur l’avenir, il devient
une source d’inspiration positive pour ses collaborateurs (Bass, 1985 ; Burt et
Warren, 1985 ; Yukl, 2010). Le leader transformationnel encadre ses
collaborateurs de manière active dans l’accomplissement de leurs objectifs et
reste attentif à leurs préoccupations (Bass, 2008). La réussite de l’action du
leader transformationnel repose sur sa capacité à agir sur les perceptions de ses
collaborateurs, créant ainsi un climat propice au changement et à la réussite de
l’entreprise en termes de performance (Bass, 1999 ; House, Shamir et Arthur,
1993 ; Lowe, Kroeck et Sivasubramaniam, 1996). C’est une
institutionnalisation du changement que bâtit le leader transformationnel dans la
mobilisation des ressources humaines (Tichy et Ulrich, 1984).
Cette nouvelle façon d’aborder le leadership est reprise par de nombreux
psychologues de l’époque. Le leader transformationnel serait caractérisé par
l’expression d’une vision et de valeurs qui permettent de mobiliser les
collaborateurs (Warren et Burt, 1985). Ce leader met systématiquement les
intérêts de l’entreprise qu’il sert devant ses intérêts personnels (Kouzes et
Posner, 1987). Il pousse également ses collaborateurs à voir au-delà de leurs
propres intérêts, à l’inverse de ce que préconise le leader charismatique (Yukl,
1999, 2010). Contrairement au leadership charismatique, dont certains
chercheurs doutent qu’il puisse être appris, le leadership transformationnel peut
s’enseigner par des formations (Kuhnert et Lewis, 1987).
Si certains auteurs parlent de paradigme transformationnel eu égard à la grande
variété des recherches développées, d’autres lui prêtent en revanche quelques
faiblesses en matière d’éthique (Stone, Russell, Patterson, 2004). Bass et
Steidlmeier (1999) tenteront alors de faire évoluer la notion en leader
21
transformationnel authentique, insistant sur le caractère moral dans la relation
aux autres et sur l’importance des valeurs éthiques dans la vision et le
processus.
L’approche transformationnelle du leadership qui s’affirme comme modèle
dominant à partir des années 1985 - soit au moment où l’économie américaine
est en quête de revitalisation (Tichy et Ulrich, 1984) - continue d’être
d’actualité. Les recherches émergentes mettent en avant un lien entre ce type de
leadership et l’intelligence émotionnelle (Harms et Crede, 2010).
1.2.2. Pilotage d’une transformation organisationnelle
Nous avons vu dans le point précédant que le leader transformationnel, se
caractérisait dans sa définition, par la mobilisation des acteurs. Nous allons à
présent nous intéresser au rôle qu’occupent plus concrètement ces leaders lors
de la mise en œuvre de transformation.
À la lumière des résultats de leurs recherches, Kanter (1981), Tushman et
Romanelli (1985) ou Nadler et Tushman (1989) soutiennent que c’est à travers
l’exercice de leur leadership que ces dirigeants parviennent à contrer l’inertie en
exprimant leur volonté de transformer l’organisation. Ils sont en quelque sorte
les instigateurs de la transformation.
Cette thèse est également émise par Kotter (1988) dans l’ouvrage « The
Leadership Factor », où l’auteur explique par ailleurs qu’au travers de leur
leadership, c’est surtout une vision claire, de nouvelles idées, une nouvelle
façon de penser qui est attendue de ces dirigeants. Diffuser cette vision nouvelle
au sein de l’organisation constituerait le point de départ de la transformation.
Cette approche considère donc la transformation comme un phénomène
largement imposé et se diffusant du haut vers le bas (Waldersse et Griffith,
2004).
22
En s’appuyant sur ses recherches menées au Centre d'études en transformation
des organisations, CETO2, à HEC Montréal, Rondeau (1998) remarque qu’il
n’existe pas qu’un seul leader dans l’organisation et qu’au-delà de son statut –
directeur général ou cadre intermédiaire – il importe surtout que ce leader
incarne une vision au sens large, que celle-ci soit légitime et incontestée aux
yeux des différentes parties prenantes impliquées dans la mise en œuvre de la
transformation.
D’autres chercheurs, tels que Reitter (1991) ou Tichy et Ulrich (1984),
observent que dans la conduite d’une transformation, certains dirigeants se
caractériseraient en étant eux-mêmes des agents de la transformation. Au-delà
de l’aspect « visionnaire », ils réussissent la mise en œuvre de transformations
en assumant des responsabilités opérationnelles.
Dans un article sur le rôle de la direction dans la conduite de changements
majeurs, Rondeau et Bareil (2009) soulignent que l’un des rôles du dirigeant en
période de transformation est d’apporter le soutien nécessaire aux cadres
intermédiaires afin qu’ils parviennent à mettre en pratique cette vision. Selon
les auteurs, tout changement majeur passerait par 3 enjeux : la légitimité, la
réalisation et l’approbation. Ils décrivent pour chacun de ces enjeux les
implications pratiques du dirigeant vis-à-vis des cadres intermédiaires qui
représentent selon eux « la clé du processus de mise en œuvre » (Figure n°6).
L’article de Rondeau et Bareil (2009) apporte deux implications importantes.
D’une part, le changement ne soit pas uniquement le fait des dirigeants, mais
que les cadres peuvent en être des artisans et non plus de simples exécutants.
D’autre part, que le rôle du dirigeant consiste davantage à apporter le soutien
nécessaire aux cadres dans la mise en œuvre. Ils s’inscrivent à l’encontre d’une
2 Le Centre d'études en transformation des organisations a pour mission la progression, le
transfert et l’intégration des connaissances du champ de la transformation des organisations
complexes : http://web.hec.ca/ceto
23
pensée qui décrirait le changement comme étant quelque chose d’imposé et qui
se diffuserait sans encombre.
Figure n°6 : Le rôle de la direction en période de transformation selon
Rondeau et Bareil (2009)
Les auteurs rappellent ici la nécessité d’un changement partagé et impliquant
les différents parties prenantes, ce qui suppose l’existence d’un certain climat
de confiance entre ces interlocuteurs.
Nous avons pu voir dans cette deuxième partie de ce chapitre que la littérature
sur le leadership transformationnel est abondante. Entre les modèles mettant
l’emphase sur l’importance de la mobilisation que permettent les leaders
transformationnels, d’autres modèles qui insistent sur la distinction entre
24
gestion du changement et compréhension de la complexité, finalement les
modèles contemporains mettant davantage l’emphase sur la nécessaire
exemplarité de ces leaders. Nous observons également que le rôle du dirigeant
se heurte à différents enjeux lors de la conduite d’une transformation. Que la
transformation soit imposée ou participative, nous retiendrons qu’un des rôles
majeurs passe par le soutien des cadres intermédiaires, chargés de traduire en
action la nécessaire transformation.
Dès lors, cette partie riche en informations nous amène à nous concentrer plus
spécifiquement au contexte des organisations publiques en période de
transformation. Ce sera l'objet de notre troisième et dernière partie de ce
chapitre.
1.3. Les transformations organisationnelles dans le secteur
public
C’est dans une Italie divisée par les luttes internes que Nicolas Machiavel en
appelle en 1513 dans Il Principe à l’unité, usant du terme « Stato » pour
qualifier cette organisation politique.
Entre construction et déconstruction dans l’histoire, l’État continue aujourd’hui
d’exister à titre d’ « autorité souveraine qui exerce son pouvoir sur la
population habitant un territoire déterminé et qui, à cette fin, est dotée d’une
organisation permanente »3. Cette définition du point de vue institutionnel nous
renvoie à une organisation certes, mais une organisation particulière, différente
des autres par sa complexité.
Ainsi, dans cette troisième et dernière partie, nous nous arrêterons au contexte
dans lequel se situe ce mémoire, le secteur public. Nous verrons dans un
premier temps les caractéristiques et logiques qui ressortent dans les écrits
3 DENOIX DE SAINT, Renaud (2004). L'État, Paris, PUF Que Sais-je, p.3
25
traitant des organisations publiques et tenterons d’en dégager les enjeux
essentiels dans le cas d’une transformation. Nous nous intéresserons finalement
aux dirigeants qui se sont distingués dans l’histoire comme étant au service de
la transformation de l’État.
1.3.1. Les enjeux organisationnels face à la transformation du
secteur public
L’État est un acteur incontournable de la vie économique et sociale en raison de
ses organisations publiques qui par leur taille, les services qu’elles offrent,
contribuent de manière importante dans les dépenses et à la création de richesse
nationale (OCDE, 2010).
Si l’État n’a pas toujours le monopole sur un marché donné pour l’exécution
des missions de service public, il en contrôle néanmoins le cadre juridique qu’il
fait évoluer. Les personnes qui se mettent alors au service de l’État créent,
organisent et gèrent dans le respect des règles établies (Santo et Verrier, 2007).
Certaines conventions internationales obligent même l’État à organiser certains
services d’ordre collectif. Dans notre cas, le service postal universel, qui définit
les prestations minimales de l’État, notamment en ce qui concerne par exemple
la levée du courrier à 5 jours par semaine, est définie par une directive
européenne4.
En France, où se situe le terrain de notre étude, il faut distinguer dans cette
organisation que l’on confère à l’État, d’abord les services de l’État central,
ensuite les collectivités territoriales et enfin les grands établissements
autonomes, cette dernière catégorie devant satisfaire les deux niveaux de l’État
au nom de la « libre administration » (Muller, 2008).
4 Directive 97/67/CE
26
Par ailleurs, il faut également distinguer la notion de service public de celle
d’une organisation publique. En effet, le service public concerne les missions
relevant de l’intérêt général que l’État tente de satisfaire au nom d’un besoin
d’ordre collectif. Ces missions assurées sous le contrôle de l’État, par les fins de
l’intérêt général, peuvent être assumées tant par une organisation de droit public
que privé (Chevalier, 2008). Il faut donc bien évidemment distinguer
l’organisation de la gestion.
Au nom du service public, ces organisations doivent cependant veiller au
respect de 3 principes dits unificateurs de l’État qui dispose d’un pouvoir de
modification unilatéral en tant que garant de l’intérêt général. Il s’agit de
« l’universalité », qui fait référence notamment au droit d’accès de tous, « la
continuité » dans le cadre de la vie de la nation tout en respectant les
prérogatives liées au droit de grève et enfin « la mutabilité » qui concerne
l’adaptation des organisations publiques.
Si les deux premiers principes reposent sur des textes de lois, la mutabilité
comme l’adaptation du service public à l’évolution des besoins de ses usagers
et de son environnement tant économique que social, n’a en revanche pas de
portée juridique (Denoix de Saint, 2004). La question de cette transformation
est « laissée », sur base d’un principe d’autonomie accordé aux organisations
dans leur gestion.
Cette adaptation à l’environnement économique constitue un des nouveaux
défis auxquels ces organisations publiques doivent faire face. En effet si la
notion de service public remonte à la fin du 19e siècle, au nom du principe de
solidarité sociale, l’intervention de l’État dans des services de types marchands
a été remise en cause progressivement depuis quelques décennies, au nom du
principe de libéralisme économique (Metzger, 2000).
Malgré l’introduction de la concurrence, les organisations publiques restent tout
de même à l’abri des sanctions du marché en étant concessionnaire des
27
missions de service public qui se caractérisent par des obligations en termes de
qualité, de prix et d’accès non discriminatoires, mais qui confère aussi certains
privilèges. À ce titre, l’État intervient en tant que source de financement et
exerce un certain contrôle en tant que régulateur, mettant certaines barrières à
l’entrée dans la création d’initiatives privées (Chevalier, 2008).
En continuant d’intervenir, l’État doit toutefois aussi faire face aux évolutions
et à la qualité des attentes de la part des citoyens tandis que les contraintes
budgétaires deviennent également plus rigoureuses (OCDE, 2010). Cette réalité
pousse les organisations publiques à devoir « trouver des solutions innovantes
pour accroître la productivité, maîtriser les coûts et mieux répondre aux attentes
de la population »5.
Lorsque nous nous intéresserons au fonctionnement des organisations
publiques, nous remarquons dans les écrits qu’il reposerait sur le principe de
bureaucratie. Selon Weber (1971), ce modèle tire son efficacité par une
domination rationnelle-légale où les règles sont déterminées rationnellement.
L’autorité exercée sur ses membres est ainsi légitimée par cette « forme sociale
fondée sur l’organisation rationnelle des moyens en fonction des fins »6.
L’idéal type wébérien suppose que les règles soient prédominantes et
impersonnelles, gommant au passage les identités des membres. L’autorité
repose quant à elle sur une organisation hiérarchique fonctionnelle,
contraignante et en cascade (Alexandre-Bailly et Bourgeois, 2009). Les
nominations aux fonctions se basent sur les compétences tandis qu’une
éventuelle promotion repose sur l’ancienneté. Les membres obéissent à leur
devoir et ne peuvent s’approprier leur fonction (Chevalier et Lochak, 1982).
La démarche de Weber s’inscrirait dans une perspective taylorienne où la
notion de performance administrative reposerait sur la volonté d’endiguer
5 OCDE (2010). La stratégie de l'OCDE pour l'innovation, Paris, OECD Publishing, p.174
6 WEBER, Max (1971). Économie et société, Paris, Plon, p.226
28
l’incertitude amenée par le comportement humain au travail (Muller, 2008). Le
sociologue Pierre Muller (2008) précise par ailleurs que « c’est le caractère
impersonnel, déshumanisé et routinisé de la bureaucratie qui explique son
efficacité sociale au profit du gouvernant »7.
En sociologie des organisations, plusieurs chercheurs s’intéressent aux limites
du modèle wébérien, qu’il s’agisse de Merton (1965), Friedberg (1993) ou
Crozier (1971). Ainsi, après avoir étudié de près le secteur des postes dans
Petits fonctionnaires au travail en 1955, Michel Crozier aborde le modèle sur
lequel repose des organisations publiques en 1971 dans Le phénomène
bureaucratique, où il parle d’une crise d’un modèle qui ne s’auto-corrige pas en
fonction de ses erreurs.
En effet, le respect des règles sur lequel est basé la légitimité rationnelle-légale
peut aussi manquer d’efficacité à cause de son caractère rigide qui empêche ses
membres de prendre des initiatives. La gestion est évaluée sur base d’une
régularité juridique (Chevalier et Lochak, 1982), donc d’une conformité de
l’action au droit (Fringer et Ruchat, 1997). Cela crée selon Crozier une forme
de rigidité dans l’accomplissement du travail. Les membres protégés par la
sécurité de l’emploi, deviennent de simples exécutants isolés et soumis à la
centralité de la prise de décision.
Si ce type d’organisation amène une forme de stabilité, en s’auto-reproduisant
et en s’auto-entretenant, il entraîne aussi une forte inertie et se montre peu
sensible à l’innovation (Warwick, 1975). Or, cette rigidité et l’absence de
flexibilité pèsent lourdement en termes de coût (Thompson et Davidson, 1995).
Pour ainsi dire, les organisations publiques apparaissent selon Chevalier (2008 :
114) comme « ligotées par de multiples contraintes qui tendent à exclure toute
part d’improvisation, à interdire toute flexibilité et à réduire les facultés
d’adaptation ».
7 MULLER, Pierre (2008). Les politiques publiques, Paris, PUF Que Sais-je, p. 17-18
29
L’État jouerait un rôle important dans cette situation de statu quo car il véhicule
une sorte de flou et une forme d’ambiguïté en voulant à la fois ramener et tenir
le gouvernail (Gibert, 2004). Il devrait, au contraire, se préoccuper du
gouvernail en favorisant l’action entrepreneuriale et l’innovation. Mais cela
demande en retour une certaine décentralisation et une forme d’autonomie des
organisations publiques, mettant un terme à ce flou et à cette ambiguïté
(Osborne et Gaebler, 1992).
En tenant compte de ces différentes observations sur le fonctionnement des
organisations publiques, les chercheurs de l’approche néo-institutionnaliste
nous rappellent que cette transformation ne peut être possible que par une
accumulation progressive, poursuivie dans le temps et qui s’inscrivent donc
dans la durée (Pierson, 2000).
Tableau n°3 : Cinq composantes caractérisant les organisations publiques
selon Santo et Verrier (2007)
Composante Caractéristique
1. Poursuite de finalités externes Décisions induites à partir de finalités
définies et imposées par la loi visant à
garantir l’intérêt général.
2. Absence de rentabilité capitalistique Interventions de service public non
assujetties à la rentabilité financière de
la valeur ajoutée au capital investi.
3. Missions assurées en concurrence
imparfaite
Activités non-régulées par le marché car
l’action administrative n’est pas soumise
aux données de l’environnement.
4. Systèmes complexes et cloisonnés Missions hétérogènes, taille importante,
organisation hiérarchique selon les
statuts de la fonction publique.
5. Soumission de l’action au politique Actions soumises au processus de
décisions et à l’agenda du pouvoir
politique dans un État de droit.
30
Si nous établissons un certain nombre de regroupements par rapport aux écrits,
nous constatons donc que les organisations publiques doivent être étudiées à
partir de leurs propres caractéristiques selon les chercheurs du courant du
« Public administration » ou de « Public management » (Sindane, 2004).
En plus de structures de gestion concrètes, les organisations publiques
désignent aussi un champ d’activités sociales qui se caractérisent par une
logique propre (Chevalier, 2008). C’est à partir des composantes des
organisations publiques que Santo et Verrier (2007) proposent d’en définir les
caractéristiques spécifiques.
En nous basant sur les conclusions des auteurs sur les cinq composantes de la
logique de fonctionnement des organisations publiques (Santo et Verrier, 2007),
nous pouvons en tirer quelques premiers enjeux sur le développement d’une
stratégie de transformation dans le secteur public (Johnson et al., 2008) :
1. Stratégie d’entreprise ne poursuit pas un objectif de survie structurel par
la pérennité de ses missions ;
2. Stratégie financière est définie en termes d’allocation budgétaire et non
d’investissement productif ;
3. Stratégie concurrentielle vise au maintien d’une qualité de service et au
respect des contraintes budgétaires ;
4. Stratégie opérationnelle est compliquée par les mécanismes de
coordination8 ;
5. Planification stratégique est bousculée par le rythme des échéances
politiques et électorales.
Ainsi, une approche stratégique visant à la transformation des organisations
publiques amènerait une certaine contradiction de rationalité entre d’un côté
une volonté d’améliorer l’efficacité par l’innovation et de l’autre une tradition
8 Mécanisme de coordination d’après Mintzberg dans l’accomplissement des activités selon une
approche systémique des organisations.
31
bureaucratique (Chevalier, 2008). Dans le fonctionnement concret, la recherche
de compromis entre les deux modèles ne peut être concevable sans difficultés
ou tensions (Grémion et Fraise, 1996).
À ce stade, nous pouvons donc constater que par leur construction et l’évolution
de l’histoire, les organisations publiques correspondent à des structures très
dissemblables et qu’elles assument des tâches très variées. Il apparait également
qu’il faille un effort particulier pour que l’effet de la logique bureaucratique soit
atténué dans le processus de transformation des organisations publiques. Ces
organisations hétérogènes déjà inféodées à l’État sont également soumises
depuis plus récemment à un environnement concurrentiel. Nous pouvons en
conclure que ces organisations se situent à une interface inconfortable.
Nous verrons dans le point suivant comment, malgré ces contraintes, certains
dirigeants publics ont réussi à mener des transformations importantes dans le
secteur public.
1.3.2. Les dirigeants publics au service de la transformation
Selon les théories de la bureaucratie (Weber, 1968), il ressort que le rôle des
dirigeants des organisations publiques serait plutôt limité. En effet, selon
Crozier (1971), le dirigeant d’une organisation publique ne pourrait pas
réellement prendre des initiatives à des fins de transformation. Le rôle du
dirigeant se définirait davantage par l’existence étant donné que cette volonté
de transformation doit venir de l’État, seul habileté à l’ordonner. Le
comportement routinier des dirigeants, respectant les règles établies,
constituerait même l’une des caractéristiques essentielles du fonctionnement
dans le secteur public selon Crozier (1955).
D’autres recherches empiriques se sont penchées sur le rôle qu’occupent
effectivement certains dirigeants d’entreprises publiques. Sardais (2008)
32
s’intéresse au contexte plus particulier du secteur public en France où il étudie,
sur une période longitudinale de onze années, la présidence de Pierre
Lefaucheux à la Régie nationale Renault. L’entreprise à caractère industriel est
détenue par l’Etat durant cette période d’après-guerre. Nommé d’abord
administrateur par intérim des usines Renault réquisitionnées en 1944 ;
Lefaucheux devient ensuite le PDG lors de la nationalisation de l’entreprise
l’année suivante. De 1945 à 1955, ce dirigeant entreprend une série de
transformation, à la fois dans le domaine stratégique et social, qui feront de
Renault le premier constructeur d’automobile en France et l’un des leaders à
l’échelon européen.
Dans deux autres articles de revues scientifiques, Sardais (2005, 2008) souligne
d’une part les enjeux liés au secteur public encadrant à priori l’action du
dirigeant et d’autre part du rôle qu’occupe ce dernier. Le chercheur s’appuie sur
un exemple historique : « l’accord Renault de 1955 » qui améliore les
conditions des travailleurs, notamment à travers les 3 semaines de congés
annuels et le versement d’une prime récompensant la persévérance.
Pour tenter de comprendre « comment un dirigeant peut contribuer à
transformer une organisation » Sardais (2005), rappelle que dans le contexte
public, l’action du dirigeant est contrainte par le pouvoir public. En matière
social par exemple, la fixation des salaires constitue une compétence du
Ministère du Travail qui est le seul habileté à conclure des conventions
collectives. Le chercheur rappelle que malgré ces marges de manœuvre limitée,
l’entreprise publique, sous propriété de l’État, se doit d’être exemplaire sur le
plan social.
Ainsi, dans l’article « Un PDG persiste et signe face à son actionnaire public »,
Sardais (2008) démontre que lors d’une transformation, le dirigeant peut
parvenir à occuper un rôle plus important que celui qui lui serait assigné à
33
priori. En effet, Lefaucheux sera l’initiateur d’un progrès social national par la
généralisation de son modèle, « une vitrine sociale » à d’autres entreprises.
Sardais (2005) relève toutefois un certain nombre de limites au rôle du
dirigeant. Il relativise l’action du dirigeant en rappelant que les conséquences de
cette transformation sont aussi à trouver dans un processus plus émergent que
délibéré, dépassant en quelque sorte ses intentions initiales. Le chercheur
soutient également que ce comportement trouverait son origine non plus
uniquement sur base d’une finalité à atteindre, mais que ce dirigeant a plutôt été
guidé par des valeurs, des convictions et des idéaux qu’il souhaitait promouvoir
au travers de son action.
Le rôle du dirigeant dépasse dès lors largement l’idée selon laquelle il ne serait
pas en mesurer d’initier des changements majeurs au sein de l’organisation
publique. C’est dans cette perspective que Hafsi et Bernier (2007) mettent en
avant l’existence de comportements entrepreneuriaux au sein d’organisations
publiques. À la différence d’autres individus, ces dirigeants jouent, d’après ces
chercheurs, un grand rôle dans des situations à succès en réinventant les façons
de faire au sein de l’organisation.
Hafsi et Bernier (2007) prennent pour appui des exemples de dirigeants du
secteur public qui se sont mis au service de la transformation en entreprenant,
tels que Mores, Ruckelshaus, Saulnier ou Marier, Bélanger et Gourdeau
(Tableau 4).
Selon les résultats de leur recherche, les deux auteurs proposent une typologie
au sein des dirigeants du secteur public qui transforment les organisations : les
entrepreneurs individuels d’une part et d’autre part les entrepreneurs
systémiques. Les premiers sont des créateurs qui lancent de nouvelles activités
ou organisations tandis que les seconds sont davantage en quête d’une
amélioration de la gestion bureaucratique.
34
Tableau n°4 : Dirigeants publics transformateurs selon Hafsi/Bernier
(2007)
Dirigeants Caractéristique
Robert Moses
Urbaniste et concepteur de la rénovation
de New-York de 1930 à 1970. Il réussit
son œuvre par son influence sur les
décideurs politiques
William Ruckelshaus
Premier directeur de l’agence de
protection de l’environnement aux États-
Unis en 1970. Il fait de la protection
environnementale une réalité par ses
fonctions et sa participation au Rapport
Brundtland de l’ONU en 1987.
Lucien Saulnier Développement rayonnement de
Montréal : construction du métro /
organisation de l’expo 67
André Marier / Michel Bélanger / Éric
Gourdeau
Hauts fonctionnaires de l’État, acteurs
clés dans le projet de nationalisation des
11 compagnies privées chargées de la
distribution de l’électricité au Québec.
Gordon McGregor Fondateur d’Air Canada
Que pouvons-nous conclure ? Le dirigeant se caractérise-t-il par l’existence tel
que l’indique Crozier (1962) ou dispose-t-il de marges de manœuvres afin
d’entreprendre une transformation au sein des organisations publiques comme
l’affirme Sardais (2005, 2008) ? Les travaux de Hafsi, Bernier et Farashahi
(2007) apportent une nuance. Les chercheurs indiquent que c’est en période
d’urgence que l’État tendrait à relâcher le contrôle traditionnellement exercé
pour permettre à des dirigeants d’être à l’initiative de transformations et ce
jusqu’à l’atteinte des résultats, la bureaucratie reprenant alors le dessus.
Cette partie, qui referme notre revue de littérature, nous amène à constater que
les organisations publiques, par la présence à la barre de l’État ne peuvent être
définies comme n’importe quelle organisation. Ensuite, nous constatons que ces
organisations seraient construites, par leur logique de fonctionnement, de telle
manière qu’elles finissent par décourager les dirigeants d’entreprendre des
35
transformations. Pourtant, contrairement à ce que décrivait le courant de pensée
de la bureaucratie, il existe des exemples de dirigeants du secteur public qui
parviennent à initier et mettre en œuvre des transformations importantes, à des
moments précis, c’est-à-dire lorsque l’État se trouve en difficulté.
36
Chapitre 2 : Cadre conceptuel
Ce deuxième chapitre aborde les aspects liés à la constitution du cadre
conceptuel de notre étude. Nous l’entamerons par une réflexion menée à partir
des indications tirées de la revue de littérature. Nous ciblerons ensuite la
problématique de notre recherche et exposerons notre question de recherche.
Enfin, nous constituerons un cadre conceptuel sur la base des modèles recensés
dans le premier chapitre et nous définirons précisément les variables retenues.
2.1. Réflexions et problématique de recherche
Dans le premier chapitre de ce mémoire, la revue de littérature s’est construite
autour de trois parties :
1) La transformation des systèmes organisationnels complexes : Gestion
stratégique et opérationnelle d’une transformation en situation de complexité ;
2) Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation : Leadership et
pilotage d’une transformation organisationnelle ;
3) La transformation des organisations publiques : Enjeux organisationnels et
direction du changement dans le secteur public.
Le recensement des écrits nous permet de tirer un certain nombre
d’enseignement généraux sur le phénomène que nous étudions. En effet, la
revue de littérature suggère que :
- Primo : étant donné un certain nombre de spécificités liées au
fonctionnement des organisations publiques, la mise en œuvre d’une
transformation demanderait une approche particulière ;
- Secundo : certains éléments liés aux caractéristiques du dirigeant
sembleraient avoir des effets positifs sur le succès d’une transformation.
37
Suite au recensement des écrits, nous pouvons également tirer certaines
informations qui nous permettent de compléter ces deux suggestions (Tableau
n°5).
Tableau n°5 : Éléments suggérés dans la revue de littérature
Barrières Barrières surmontables Caractéristiques dirigeant
- Normes de fonctionnement
bureaucratique : endiguer
l’incertitude liée au
comportement
humain (Caractère impersonnel
et déshumanisé, respect des
règles et non appropriation des
fonctions, avancement
ancienneté, sécurité d’emploi)
- Histoire et héritage :
attachement aux missions du
service public
- Structures et mécanismes
complexes et cloisonnés :
taille, niveaux, statut fonction
publique
- Incertitude liée au
contexte: flou sur
l’adaptabilité. Soumission
contrôle État >< Autonomie
gestion. État relâche le contrôle
en période de crise
- Analyse et compréhension
fine des facteurs déterminants
la capacité à changer
- Réorganisation des structures
- Association parties prenantes
/ prise en compte des
préoccupations : susciter
l’adhésion et implication dans
mise en œuvre changements
- Mise en œuvre dans la durée :
construction par
expérimentation plutôt qu’une
décision
- Nouveaux défis futurs : mise
en concurrence
- Leadership Transformationnel
(Burns)
- Crédible (Selznick)
- Exemplaire (Collins)
- Légitime (Rondeau)
- Initiatives (Sardais)
- Vision (Kotter)
- Entrepreneuriat
(Hafsi/Bernier)
» Déterminants transformation » Leviers transformation » Direction transformation
En effet, notre réflexion nous pousse à nous demander quelles sont ces
spécificités que nous évoquons lorsque nous parlons des organisations
publiques et surtout nous souhaitons savoir si ces spécificités liées au
fonctionnement constituent des barrières, en quelque sorte, les déterminants
d’une transformation. Nous pouvons alors poursuivre notre réflexion en
identifiant les barrières surmontables, celles qui constitueront en quelque sorte
les leviers stratégiques. Finalement, ce questionnement sur les spécificités
organisationnelles nous mènera à tenter de comprendre les caractéristiques des
dirigeants qui jouent un rôle dans la transformation des organisations publiques.
38
Nos questionnements et suggestions tirés de la revue de littérature nous
amènent à formuler la question de recherche suivante :
Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à transformer les
organisations publiques ?
Comme nous le mentionnions précédemment, la réponse à notre question de
recherche ne semble pas directement accessible. Dès lors, nous nous appuierons
sur deux questions complémentaires :
1) Quels sont les facteurs déterminants du changement stratégique dans le
cas d’une organisation publique ?
2) Quels sont les leviers d’action permettant la mise en œuvre du
changement stratégique dans le cas d’une organisation publique ?
Partant de ces interrogations, il s’agit à présent d’identifier, sur base de notre
revue de littérature, les modèles et dimensions qui nous serviront de balises
pour analyser les résultats de notre recherche. Ce sera l’objet du point suivant
consacré au cadre conceptuel.
2.2. Cadre conceptuel : modèles et dimensions retenues
Une étude attentive des modèles recensés dans la revue de littérature nous
permet d’identifier un certain nombre de modèles. Constatant que notre
question de recherche implique l’analyse de deux dimensions, nous remarquons
que l’utilisation d’un seul modèle ne pourrait suffir pour couvrir et délimiter
correctement les frontières de notre mémoire. Afin que notre cadre repose sur
des fondements théoriques, nous avons choisi d’arrêter notre choix sur base de
deux dimensions que nous analysons dans le cas d’une transformation en
situation de complexité :
- Dimension A : un modèle faisant référence aux aspects stratégiques ;
39
- Dimension B : un modèle se rapportant aux aspects opérationnels.
Afin d’étudier les caractéristiques des dirigeants qui parviennent à transformer
des organisations publiques, nous avons retenu, pour la Dimension A, le
modèle Hafsi-Fabi (1997), repris dans la première partie de la revue de
littérature (Voir : 1.1.1 La gestion stratégique d’une transformation en situation
de complexité) et nous avons choisi pour la Dimension B, le modèle Bareil-
Rondeau (2009), également cité dans le premier chapitre (Voir : 1.2.2. Pilotage
d’une transformation organisationnelle).
Figure n°7 : Cadre conceptuel
DIMENSION A DIMENSION B
Diagnostic stratégique de
la transformation
Caractéristiques
du dirigeant
Mise en œuvre de la
transformation
Modèle stratégique
La capacité du
changement
stratégique
Modèle opérationnel
Enjeux du changement
selon les logiques de
l’action organisée
- Contexte
- Structure
- Culture
- Leadership
- Leviers d’action :
Légitimation
Réalisation
Appropriation
Comme nous l’observons dans cette figure, les deux dimensions permettent
d’apporter des éléments de réponses à nos deux questions complémentaires. Les
deux modèles retenus, via les 5 variables proposées, permettent de constituer
40
une grille d’analyse en abordant à la fois les aspects stratégiques et
opérationnels d’un changement en situation de complexité. C’est à partir de ces
indications que nous parviendrons à apporter des réponses à notre question de
recherche.
2.3. Description des dimensions et variables
Avant d’expliquer chacune des dimensions et de définir les variables retenues,
nous allons d’abord préciser ce que nous entendons par « caractéristiques du
dirigeant » dans notre cadre conceptuel.
Selon la définition reprise dans Le Petit Larousse illustré (2011 :159), le terme
caractéristique est défini comme suit :
«Qui caractérise, qui est un des traits dominants. Ce qui constitue la
particularité, le caractère distinct de qqn ou qqch.»
Nous pouvons donc conclure que les deux dimensions nous serviront de balises
pour comprendre les particularités, les traits dominants, en somme ce qui
distingue les dirigeants qui parviennent à transformer avec succès des
organisations publiques.
2.3.1. Dimension A : Diagnostic de la capacité de changement stratégique
Maintenant que nous avons constitué notre cadre conceptuel, il s’agit de passer
en revue les différentes variables retenues. La dimension A, nous servira d’outil
pour diagnostiquer les aspects stratégiques et ce sur base du modèle de la
capacité à changer. La définition des variables provient de 3 textes :
41
- L’ouvrage de HAFSI, Taïeb et Christiane DEMERS (1997) sur La
capacité de changement des organisations : la comprendre et la
mesurer
- L’ouvrage de HAFSI, Taïeb et Bruno FABI (1997) sur Les fondements
du changement stratégique
- L’article de HAFSI, Taïeb (1999) sur La capacité de changement
stratégique : vers un nouveau paradigme, publié dans la Revue
Internationale de Gestion (Vol. 24, p. 140-147)
Nous avons retenu les variables du modèle Hafsi-Fabi (1997) repris dans les
deux dernières publications, tandis que les précisions apportées par la réflexion
menée par Hafsi-Demers (1997) nous offriront une meilleure clarification. Nous
apporterons également certaines indications complémentaires sur base des écrits
recensés dans la revue de littérature.
2.3.1.1. Variable 1 : Contexte
La première variable que nous décrirons dans cette partie concerne le contexte.
En effet, contrairement aux variables liées à la structure, la culture ou au
leadership qui s’intéressent à des composantes internes de l’organisation et dont
nous ferons une description plus détaillée dans les parties suivantes, la variable
contextuelle retenue ici fait référence à l’environnement externe.
Hafsi et Demers (1997) expliquent qu’aux yeux des dirigeants, l’évolution de
l’environnement externe aurait un certain impact sur la performance
organisationnelle. Ces répercussions négatives constitueraient une raison
suffisante pour entamer un changement, dans le cas d’une variation dans
l’environnement ou d’une transformation, dans le cas d’une mutation.
La variable de contexte sera dès lors analysée en lien avec le besoin de
performance. Pour être plus précis, à la question « pourquoi se transformer »
que se posent ces chercheurs, nous pourrions répondre : c’est la perception
42
d’une dégradation future de la performance ou dans le cas présent, la volonté
d’améliorer celle-ci qui poussera le dirigeant à entamer une transformation
permettant d’adapter l’organisation à l’évolution de son environnement.
La circonscription de la variable contextuelle nous amène à nous intéresser aux
facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du
rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi
(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Évaluer la pertinence d’une transformation sur base de l’évolution de
l’environnement et de la performance
- Prendre la décision d’entreprendre une transformation
Notons dans le cas du secteur public que selon Hafsi et Fabi (1997), le contexte
réglementaire constituerait l’une des variables permettant d’accroitre le stress et
donc la probabilité de transformation au sein de l’organisation. Précision
également que selon ces auteurs, le contexte des organisations publiques serait
l’État et ses différentes composantes. Rappelons également que selon les
travaux de Hafsi, Bernier et Farashahi (2007), cités dans la revue de littérature,
l’État serait par design hostile au changement sauf dans le cas d’urgence tels
que des crises.
2.3.1.2. Variable 2 : Structure
La deuxième variable que nous décrirons dans cette partie concerne la structure.
En effet, nous nous intéressons à présent aux composantes internes de
l’organisation.
Hafsi et Demers (1997) expliquent qu’une des préoccupations majeures des
dirigeants concerne la modification des structures organisationnelles à des fins
de performance. Ces chercheurs définissent la structure de manière large
comme la configuration de l’organisation englobant à la fois l’architecture, les
43
systèmes et les processus. La structure tendrait à favoriser ou à ralentir la
transformation de l’organisation.
La variable de structure sera dès lors analysée sur une base configurationnelle et
interactionnelle. Pour être plus précis, Hafsi et Demers (1997) indiquent, d’une
part que certaines structures seraient plus adaptées à certaines situations de
transformation et que d’autre part, certains groupes seraient moins favorables à
la transformation du fait de la modification d’accès aux ressources et de la
relation au pouvoir qu’entraine celle-ci.
La circonscription de la variable structurelle nous amène à nous intéresser aux
facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du
rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi
(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Établir des structures fonctionnelles de coordination plus appropriées
- Établir des mécanismes d’allocations des ressources plus appropriés
Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), la
structure décentralisée favoriserait la transformation tandis que la structure
centralisée ne permettrait que des variations par l’entremise de changements
mineurs. Rappelons également que selon les travaux menés par Hafsi et Bernier
(2007), l’État serait centralisé et bureaucratique, ce qui ne favoriserait pas le
changement, sauf dans le cas de dirigeants publics qui parviennent à prendre
des initiatives, tel que nous l’avons vu dans les cas de Moses, Ruckelshaus,
Saulnier ou Marier, Bélanger et Gourdeau, cités précédemment.
2.3.1.3. Variable 3 : Culture
La troisième variable que nous décrirons dans cette partie concerne la culture.
En effet, nous nous intéressons cette fois-ci à une des composantes plus
profonde de l’organisation.
44
Hafsi (1999) rappelle que si l’établissement de structures plus appropriées au
défi de transformation constitue un premier grand chantier du dirigeant, les
effets de ces modifications pourraient être limités lorsque celles-ci ne tiennent
pas suffisamment en compte le facteur culturel.
D’après Hafsi et Demers (1997), la variable de culture sera dès lors analysée à
partir de l’histoire, des valeurs, des croyances et des pratiques partagées qui
constituent le sentiment d’appartenance et permettent la cohésion des membres
de l’organisation. Nous pourrions déduire qu’une transformation n’a de sens
que si cette action est rapportée à la nature de l’organisation et de ses membres.
Ces chercheurs ajoutent qu’une transformation remettant en question les
fondements culturels de l’organisation s’exposerait à la manifestation de
résistances de la part de ses membres, ce qui diminuerait sa capacité de
changement.
La circonscription de la variable culturelle nous amène à nous intéresser aux
facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du
rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi
(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Être attentif à l’histoire et aux valeurs fondamentales de l’organisation
- Être attentif aux normes ancrées et partagées par la majorité des groupes
Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), une
culture forte constituerait l’une des variables permettant d’accroitre l’inertie et
donc la probabilité à l’encontre d’une transformation au sein de l’organisation.
2.3.1.4. Variable 4 : Leadership
La quatrième variable que nous décrirons dans cette partie concerne le
leadership. En effet, nous nous intéressons maintenant aux propres
caractéristiques des dirigeants qui pilotent le changement, qu’il s’agisse de la
45
haute direction, des cadres intermédiaires ou des gestionnaires du changement.
Si les chercheurs définissent le leadership, au moment de l’analyse, nous
porterons une attention plus particulière aux éléments liés au leadership
transformationnel, tel que développé dans la revue de littérature.
Hafsi et Demers (1997) expliquent que ces dirigeants jouent un rôle majeur en
terme d’impact dans la transformation d’une organisation et ce grâce à leur
influence sur les variables internes mentionnées précédemment, à savoir la
culture et la structure.
La variable du leadership sera dès lors analysée à partir de deux types de
caractéristiques du dirigeant d’après Hafsi et Fabi (1997). La première
caractéristique regroupe des critères démographiques tels que l’âge, les
origines, l’éducation, la connaissance de l’environnement ou l’expérience. La
deuxième caractéristique fait référence au leadership transformationnel de
l’équipe de direction et donc à des aspects psychologiques, tels que le besoin de
contrôle, d’accomplissement, la philosophie, le style ou l’attitude.
La circonscription de la variable du leadership nous amène à nous intéresser
aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude
du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et
Fabi (1997), le rôle du dirigeant lui-même serait à considérer selon des :
- Caractéristiques démographiques, tels que le degré de connaissance et
d’expérience avec des changements dans l’environnement
- Caractéristiques psychologiques, tels le style/la philosophie/l’attitude
vis-à-vis du changement et le style de leadership transformationnel
Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), un
leadership crédible s’appuyant sur un engagement et une expertise en
changement constituerait l’une des variables permettant d’accroitre le stress et
donc la probabilité de transformation au sein de l’organisation. Rappelons que
46
selon les écrits de notre revue de littérature, le leader transformationnel – soit le
dirigeant qui s’appuie sur son leadership pour parvenir à mobiliser les acteurs -
serait effectivement un facteur dynamique. Dans le cas du secteur public
Sardais (2005, 2009) rappelle que le dirigeant qui parvient à transformer une
organisation publique parvient à agir sur les variables mentionnées
précédemment. Précisons toutefois qu’avant la mise en œuvre d’une
transformation, Langley et Denis (2008) insistent, dans le cas du secteur public,
sur la nécessité de compréhension entourant le contexte et la culture.
2.3.2. Dimension B : Leviers d’action pour la mise en œuvre d’une
transformation
Nous allons à présent passer en revue les différentes variables retenues dans la
dimension B qui nous servira d’outil pour analyser les aspects opérationnels et
ce sur base du modèle des enjeux liés à la conduite d’un changement majeur. La
définition des variables provient de 2 textes :
- Le modèle a d’abord été cité dans l’article de RONDEAU, Alain (2008)
sur L’évolution de la pensée en gestion du changement : leçons pour la
mise en œuvre de changements complexes, publié dans la revue
Téléscope (Vol. 14, p. 1-13)
- Puis développé dans l’article de BAREIL, Céline et RONDEAU, Alain
(2009) intitulé Comment la direction peut-elle soutenir ses cadres dans
la conduite d’un changement majeur ?, publié dans la Revue
Internationale de Gestion (Vol. 34, p. 64-69)
Nous avons retenu les variables du modèle Bareil-Rondeau (2009) repris dans
la deuxième publication, tandis que les précisions apportées par la réflexion
menée par Rondeau (2008) nous offriront une meilleure clarification. Nous
apporterons également certaines indications complémentaires sur base des écrits
recensés dans la revue de littérature.
47
Mentionnons également que pour des raisons liées aux données recueillies
(contenu de l’étude de cas sur la façon dont le dirigeant a mis en œuvre la
transformation), nous avons choisi de rassembler les 3 enjeux de légitimation,
réalisation et appropriation sous la variable « Leviers d’action ».
Selon la définition reprise dans Le Petit Larousse illustré (2011 : 585), le terme
« levier » est défini comme suit :
« Moyen d’action qui sert à surmonter une résistance.»
2.3.2.1. Variable 5 : Leviers d’action – Légitimation
La cinquième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers
d’action concerne la légitimation. En effet, selon la définition de Rondeau et
Bareil (2009), il s’agirait d’inculquer au sein de l’organisation un sentiment
constituant une réponse aux nouvelles exigences ou aux difficultés auxquelles
cette dernière est confrontée.
Rondeau (2008) explique que durant la mise en œuvre d’une transformation, les
cadres vivent avec une certaine incertitude liée à l’inconnu que génère un
changement alors qu’ils peuvent être perçus comme de simples exécutants d’un
changement imposé par la direction.
La variable de légitimation du changement sera dès lors analysée sous l’angle
de la relation entre les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009).
Le dirigeant aiderait ainsi les cadres en établissant avec ces derniers un dialogue
soutenu d’une part et d’autre part en l’aidant à composer avec les déséquilibres
et en protégeant leur intégrité.
La circonscription de la variable de légitimation nous amène à nous intéresser
aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude
48
du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et
Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Développer une vision partagée sur la nécessité de la transformation
- Impliquer les cadres en tant que parrains légitimes dans cet engagement.
Rappelons que comme l’indique les flèches dans notre cadre conceptuel, les
« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en
interaction avec les variables mentionnés précédemment. L’appropriation, soit
le développement d’une vision partagée serait à mettre en perspective avec le
diagnostic stratégique.
2.3.2.2. Variable 6 : Leviers d’action – Réalisation
La sixième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers d’action
concerne la réalisation. En effet, selon la définition de Rondeau et Bareil
(2009), il s’agirait de déployer des configurations d’actions et des pratiques
nouvelles permettant l’incarnation de la transformation dans l’organisation.
Rondeau (2008) explique que lors d’une transformation, les cadres font face à
des attentes contradictoires qu’ils doivent parvenir à gérer. La réussite de la
mise en œuvre d’un changement dépend en grande partie des cadres qui doivent
le faire de façon appropriée. Les chercheurs concluent que l’étape de réalisation
constitue celle où les rapports entre dirigeants et les cadres devraient être
soutenus.
La variable de réalisation sera dès lors analysée sous l’angle de la relation entre
les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009). Le dirigeant
aiderait ainsi les cadres en favorisant la visualisation du changement, en
amenant les cadres à intégrer un mode de fonctionnement par gestion de projet
et en utilisant la mise en œuvre du changement pour le développement de
capacités nouvelles.
49
La circonscription de la variable de réalisation nous amène à nous intéresser
aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude
du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et
Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Constituer une structure de pilotage crédible
- Mettre à disposition des cadres les ressources et compétences adéquates
Rappelons que comme l’indiquent les flèches dans notre cadre conceptuel, les
« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en
interaction avec les variables mentionnées précédemment. La réalisation, soit la
constitution d’une structure de pilotage crédible serait à mettre en perspective
avec le diagnostic stratégique.
2.3.2.3. Variable : Leviers d’action – Appropriation
La septième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers
d’actions concerne l’appropriation. En effet, selon la définition de Rondeau et
Bareil (2009), il s’agirait d’amener les destinataires touchés par la
transformation à adopter les nouvelles pratiques de telle sorte que celles-ci
constituent désormais la façon de fonctionner.
Rondeau (2008) explique que les cadres qui sont perçus comme étant crédibles
aux yeux des destinataires dans la mise en œuvre du changement susciteront de
la confiance et parviendront, par l’exercice de leur leadership, à les mobiliser.
Les dirigeants devraient donc être attentifs à outiller les cadres afin que ces
derniers deviennent à leur manière des artisans de la transformation.
La variable d’appropriation sera dès lors analysée sous l’angle de la relation
entre les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009). Le dirigeant
aiderait ainsi les cadres en amenant ces derniers à exercer leur leadership ; à
accompagner les destinataires du changement dans la modification des
50
comportements ; à considérer ces changements comme des situations
d’apprentissage et à aborder ces changements dans une perspective
d’amélioration continue.
La circonscription de la variable d’appropriation nous amène à nous intéresser
aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude
du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et
Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :
- Susciter un intérêt à changer en créant des conditions incitatives
- Amener les cadres à voir le changement comme un apprentissage par
expérimentation et une progression par mesure/amélioration du résultat
Rappelons que comme l’indique les flèches dans notre cadre conceptuel, les
« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en
interaction avec les variables mentionnées précédemment. L’appropriation, soit
l’incitation à changer par des conditions incitatives serait à mettre en perspective
avec le diagnostic stratégique.
51
Chapitre 3 : Méthodologie
Tel un fil conducteur, la méthodologie permet au chercheur de progresser par
étapes dans la réalisation de son étude scientifique (Quivy et Van
Campenhoudt, 2006). Nous nous intéresserons dans cette partie aux enjeux
méthodologiques rencontrés, qu’il s’agisse de la méthode de recherche ; la
technique d’échantillonnage ; la collecte de données ; l’analyse des données ;
les limites de la méthode choisie et nous terminerons par les aspects éthiques.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à rappeler que les choix opérés
dans notre démarche méthodologique s’inscrivent dans le cadre de la réalisation
d’un mémoire de maîtrise. Les aspects de logistique et temporel doivent donc
être pris en considération comme éléments contraignants.
3.1. Méthode de recherche
La présent mémoire s’intéresse aux caractéristiques des dirigeants dans la
transformation des organisations publiques. Tel qu’exprimé dans la revue de
littérature et dans le cadre conceptuel, la transformation des organisations
constitue un sujet très étudié mais peu d’exemples s’intéressent en profondeur
aux entreprises publiques en transformation et aux caractéristiques des
dirigeants qui parviennent à les transformer avec succès dans le secteur public.
C’est la raison pour laquelle l’objectif de ce mémoire consiste à mener une
étude exploratoire sur base du cas d’un dirigeant qui réussit à transformer des
organisations publiques.
Dans ce contexte précis, Taïeb Hafsi, professeur titulaire et directeur de ce
mémoire, a identifié Jean-Paul Bailly, président-directeur général du Groupe La
Poste, comme répondant aux critères mentionnés. Ce dirigeant a consacré sa
carrière au service de la transformation de deux organisations publiques
majeures au sein des institutions publiques françaises.
52
Le choix de terrain s’est également porté sur ce dirigeant pour les raisons
suivantes :
- Réussite de transformation de manière récurrente ;
- Occupation de 5 mandats de direction générale d’organisations
publiques sur une longue période, s’échelonnant entre 1994 à 2011 ;
- Maturation et développement d’une philosophie de management sur
base des expériences de transformation au fil de sa carrière ;
- Disponibilité, volonté de collaboration et ouverture à la recherche ;
- Accès privilégié à différentes ressources, à la fois en termes de
répondant-témoin que de données internes ;
- Respect des principes éthiques en matière de recherche.
Le but premier de notre étude de terrain consiste à comprendre comment ce
dirigeant a réussi à transformer ces organisations, et ce, malgré les difficultés
liées aux caractéristiques et aux logiques de fonctionnement du secteur public.
Dès lors, pour mener cette exploration, notre recherche de terrain se base dans
un premier temps sur son récit.
Un second objectif a été poursuivi lors de l’étude sur le terrain. Il s’agissait en
effet de parvenir à valider le récit fourni par ce dirigeant en consultant des
intervenants extérieurs. De par leur expertise et leur implication lors des
transformations, ces intervenants constitueront en quelque sorte un groupe-
témoin qui nous aidera à faire ressortir les raisons à l’origine de ce succès.
Finalement, un troisième objectif consiste à recenser l’ensemble des données
secondaires à des fins de validation et de contextualisation des récits. Le
caractère public de ces organisations facilite l’accès à ces données. En effet, les
actions menées par les dirigeants d’organisations publiques sont recensées dans
les annales parlementaires (auditions des dirigeants), les rapports
d’établissements chargés de la régulation des comptes publics (cour des
53
comptes), les documents internes (rapports annuels) ainsi que la presse
économique.
Pour atteindre les objectifs de ce mémoire, la méthode de recherche retenue est
celle de l’étude de cas. Nous poursuivrons à cette fin une recherche de type
qualitative, basée sur des entretiens individuels.
Ce choix méthodologique se justifie par le caractère inductif qu’offre l’étude de
cas. En effet, cette méthode de recherche répond mieux aux objectifs
exploratoires de notre mémoire. Selon Wacheux (1996 : 89), nous pouvons
définir la méthode de l’étude de cas comme :
« une analyse spatiale et temporelle d’un phénomène complexe
par les conditions, les événements, les acteurs et leurs
implications ».
L’étude de cas se justifie également car elle permet d’accéder à une
compréhension profonde des phénomènes auxquels le chercheur s’intéresse.
Cette profondeur fait référence aux particularités d’un phénomène individuel ou
organisationnel complexe que l’on chercherait à décrire et/ou à l’expliquer
(Denzine et Lincoln, 2005). L’étude de cas, en tant que méthode de recherche,
respecte une démarche rigoureuse, condition sine qua non de la validité
scientifique des résultats.
L’étude de ce phénomène singulier, le cas d’un dirigeant qui réussit à
transformer de manière récurrente des organisations publiques, nous amène de
facto à circonscrire notre champ d’analyse. Nous avons choisi trois critères.
Le premier fait référence à la période de temps prise en compte. Étant donné
qu’un dirigeant ne peut être compris sans que nous ne nous intéressions à son
parcours personnel, nous débuterons cette période au moment de sa naissance
(1946). Nous avons choisi de limiter le temps de travail de terrain au 14 avril
2011, date de publication du décret ministériel renouvelant le mandat de Jean-
54
Paul Bailly à la tête du Groupe La Poste pour un troisième mandat d’une durée
de 5 années.
Figure n°8 : La démarche de réalisation d’une étude de cas selon Gagnon
Source : GAGNON, 2005, p. XIV.
Le deuxième élément de limitation de l’objet de l’étude concerne la zone
géographique que nous considérerons. Si le dirigeant que nous étudions a
effectué des passages aux États-Unis et au Mexique dans sa phase
d’apprentissage, notre travail de terrain se centrera surtout sur la France où se
déroule le phénomène que nous étudions.
Le troisième champ délimite plus précisément les organisations et les acteurs
auxquels nous nous intéresserons. L’accent sera donc mis sur deux
organisations publiques : d’abord, La RATP, Régie Autonome des Transports
Publics, l’opérateur public des transports en commun à Paris ; ensuite le Groupe
55
La Poste, le principal opérateur français chargé de distribuer le courrier. Nous
constituerons donc un échantillon de convenance en sélectionnant des
intervenants liés à ces deux situations. Nous détaillerons davantage cet aspect
dans la partie suivante.
3.2. Technique d’échantillonnage
Pour choisir les personnes à interviewer, plutôt que d’étudier la totalité de la
population susceptible de nous donner des informations sur les entreprises en
question et sur JPB, ce qui serait impossible, ou d’étudier un échantillon
représentatif de la population, dont les critères seraient partiels et arbitraires à
notre stade de recherche, nous avons choisi d’interroger les personnes selon un
échantillon de convenance, non strictement représentatives mais néanmoins
connaissant suffisamment les différents aspects de la vie et du travail de JPB.
Deux variables, cités par Quiry et Van Campenhoudt (2006), ont été prises en
considération pour déterminer cet échantillon de convenance.
- Le premier critère de sélection des personnes interviewées correspond à la
diversité suffisante des personnes concernées en regard de l’étude de JPB et des
transformations entreprises.
- Le deuxième critère de sélection concerne la taille de notre échantillon qui a été
fixé sur base du critère de saturation, lorsque le rendement marginal pour
chaque étude supplémentaire décroît malgré la diversité des profils.
Afin de cibler les répondants potentiels pour la deuxième phase d’entretiens, 4
conditions discriminantes ont été établies pour constituer notre échantillon
d’intervenants-témoins : Avoir occupé des fonctions à la RATP-La Poste /
Avoir été un représentant de l’État / Avoir été un représentant syndical / Faire
partie de l’entourage. Certains intervenants répondent à plusieurs catégories.
Dirigeant La Poste 1 Haut-dirigeant La Poste
Dirigeant La Poste 2 Haut-dirigeant RATP / La Poste
56
Dirigeant La Poste 3 Haut-dirigeant RATP / La Poste. Entourage personnel.
George Lefebvre Directeur général adjoint / Directeur des ressources humaines au
Groupe La Poste. Ancien fonctionnaire des PTT.
Philippe Lemoine Administrateur La Poste. Chercheur, Haut fonctionnaire public,
Vice-Président des Galeries Lafayette.
Philippe Essig Directeur général RATP, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de
l’équipement en charge du logement. Président de la SNCF.
Bernard Gitler Secrétaire général du syndicat Forces ouvrières à la RATP
Pierre Herisson Représentant politique UMP (droite) : Sénateur, Président de
l’observatoire national de la présence postale, Vice-président de
Conseil général, Maire, Vice-président de l’Association des
Maires de France.
Jean-Pierre Sueur Représentant politique Parti Socialiste (gauche) : Secrétaire d’État
auprès du ministère de l’intérieur en charge des collectivités
territoriales, Député, Sénateur, Conseiller régional, Maire. Maître
de conférences et chercheur CNRS.
Nicole Oudin Sœur de Jean-Paul Bailly. Entourage personnel.
Nous tenons à rappeler que les personnes ayant acceptées de participer à
l’entrevue l’ont fait sur une base volontaire. Certaines personnes sollicitées
n’ont pas pu donner suite à notre étude. Par ailleurs, pour des raisons liées au
respect de la confidentialité et à la protection des répondants, le parcours de
certains dirigeants actuellement en fonction au Groupe La Poste n’a pas été
étayé. Bien entendu, le cœur de notre étude a été une série d’entretiens avec
JPB lui-même.
3.3. Collecte de données
Notre choix s’est porté sur la technique de l’entrevue semi-dirigée et la
constitution de guides d’entrevues comme support.
Le caractère semi-directif laisse une plus grande marge de manœuvre au
chercheur au moment de l’entrevue. Le chercheur peut alors explorer un
phénomène à partir de thèmes, laissant une plus grande liberté à l’expression
des répondants (Quivy et Van Campenhoudt, 2006).
Cette collecte des données s’est déroulée sur une période de 7 mois et ce, tant
en France que depuis le Canada. 13 entretiens semi-dirigés ont été réalisés : 4
ont été effectués en face à face à Paris, 3 par vidéoconférence et 6 par
téléphone.
57
Le processus de collecte de données impliquait que nous devions disposer d’un
certain nombre de connaissances préalables sur Jean-Paul Bailly, objet de
l’étude. Nous avions effectué un travail de préparation durant près d’un mois.
Ce processus de recensement documentaire s’est poursuivi après la collecte des
données primaires à des fins de validation et de précision des informations
recueillies.
À partir de cette base documentaire, nous avons constitué un premier guide
d’entrevue destiné aux deux premières entrevues avec Jean-Paul Bailly. Le
guide d’entrevue (voir annexe 1) nous servait de support afin de structurer
l’entrevue poussée, sur base de 5 thèmes. Les thèmes utilisés dans ces guides
ont été formulés en adéquation avec les objectifs exploratoires de notre
recherche (Gavard et al., 2008).
Étant donné que l’étude menée sur celui-ci se base sur le récit de sa vie, nous
avons divisé ces entrevues longues et approfondies en plusieurs séances (Quivy
et Van Campenhoudt, 2006). Cette division a permis d’éviter que les échanges
ne deviennent confus étant donné le caractère poussé de notre processus de
collecte.
Deux entrevues ont eu lieu avec Jean-Paul Bailly. Ensuite, nous avons
rencontré individuellement les 10 intervenants témoins sur une période de deux
mois. Au terme de ces rencontres et après retranscriptions, nous avons
rencontré Jean-Paul Bailly une troisième et dernière fois à des fins
d’amélioration de qualité et d’interprétation des données recueillies.
Pour permettre de répondre à l’objectif exploratoire de notre recherche, nous
avons constitué une série de guides d’entrevues destinées cette fois-ci à notre
échantillon de convenance. En effet, le but de notre deuxième phase de collecte
de données, était d’analyser le sens que ces autres acteurs donnaient au
phénomène étudié (Fenneteau, 2007).
58
La durée moyenne des 13 entrevues est de 1H05 :
- Au total, 3 entrevues ont été menées avec Jean-Paul Bailly, le dirigeant sur
lequel porte notre étude de cas.
1 2 3
0h58 1h02 0h53
- Au total, 10 entrevues ont eu lieu avec des intervenants témoins.
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
0h58 1h02 0h53 1h04 0h53 1h04 0h57 0 h55 1h03 1h10
Rappelons finalement qu’avant d’être utilisés, les guides d’entretiens ont été
testés et vérifiés sur base d’un critère de précision et de clarté dans la
formulation des questions (Fragnière, 2009). Taïeb Hafsi, directeur de ce
mémoire a également contribué à cette amélioration. Il a en outre supervisé le
déroulement de toutes les entrevues, par la préparation des guides. Il a
également participé aux 3 entrevues menées avec Jean-Paul Bailly et à 6 des 10
entrevues effectuées auprès des intervenants témoins.
À côté de la collecte de données primaires, nous avons aussi recueilli des
données existantes. Ces données secondaires et documentaires sont constituées
de documents historiques, d’informations publiées par la presse grand public,
de publications officielles de l’État (arrêtés, lois et décrets) ainsi que d’archives
(journaux internes, rapports annuels d’activités, plans stratégiques,
organigrammes, curriculum vitae, brochures) des entreprises au sein desquelles
Jean-Paul Bailly a travaillé.
3.4. Analyse des données
Un certain nombre de dispositions ont été prises afin de garantir la fiabilité et la
validité des données collectées. En effet, ces dispositions tentent d’atténuer une
des faiblesses de l’entrevue semi-dirigée où la qualité des données récoltées
59
dépend du degré de confort et de coopération des participants (Marshall et
Rossman, 1995).
Ainsi, toutes les entrevues ont été enregistrées après approbation, puis
retranscrites entièrement, amenant à 150 le nombre de pages de données brutes.
Ces données ont ensuite été soumises aux participants dans un but de favoriser
un climat de confiance mais aussi dans un souci d’amélioration des données.
Cependant, malgré les nombreuses sollicitations des participants, les guides
d’entretiens n’ont pas été communiqués à l’avance et ce pour favoriser la
spontanéité lors des répondants.
Les données recueillies puis validées auprès des participants ont ensuite été
codées et classées sur base de catégories afin d’en permettre l’analyse
transversale. Toutes les données n’ont pas été utilisées et ce pour ne pas nous
écarter de nos objectifs de recherche. En effet, ces catégories ont été établies sur
base de thématiques répertoriées dans les guides d’entrevues, ce qui a permis de
classer et de comparer les réponses recueillies.
Ces documents nous ont permis de vérifier les données recueillies lors des
entrevues. Au moment de l’analyse, ils nous ont également facilité la
compréhension contextuelle des situations de transformation.
Pour donner sens aux données collectées, classées puis interprétées, nous avons
choisi la méthode de l’étude de cas. La première version du cas s’appuyait sur
les données traitées de Jean-Paul Bailly. La seconde version intégrait la
documentation recensée. Finalement, la troisième version recensait les données
traitées auprès des intervenants témoins en prenant la forme de citation directe.
3.5. Avantages et limites de la méthode
La recherche qualitative offre également l’avantage de pouvoir étudier un
phénomène à partir du terrain et donc d’une situation concrète. Selon Paille et
Mucchielli (2008 : 9), cela implique :
60
« un contact personnel avec les sujets de la recherche,
principalement par le biais d’entretiens et par l’observation des
pratiques dans les milieux mêmes où évoluent les acteurs »
Dans le cadre de notre recherche, cette interaction personnelle n’a pas pu se
faire en face à face pour la majorité des entrevues. Nous reconnaissons que les
contraintes de faisabilité ne nous permettaient pas de rencontrer l’ensemble des
répondants lors de notre déplacement à Paris. Nous pensons cependant que les
moyens technologiques utilisés, tels que la vidéoconférence proposée
systématiquement aux répondants, démontrent de notre volonté d’établir au
mieux ce contact.
Il est évident que la recherche qualitative, comme n’importe quelle autre
approche, ne saurait comporter que des avantages. Certains chercheurs stipulent
que la recherche qualitative requiert l’intervention d’une personne dans l’étude
d’un phénomène, ce qui entraînerait nécessairement une perte d’objectivité dans
la production de connaissances (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1997). La
recherche qualitative s’expose à d’autres critiques quant à la généralisation que
l’on pourrait en tirer en partant d’une situation précise (Rispal, 2002). De plus,
certains chercheurs continuent de douter de la viabilité scientifique de la
méthode d’étude de cas qui, du fait de sa flexibilité, manque selon eux de
structures et de procédures systématiques permettant de dégager des lois
universelles (Scholz et Tietje, 2001).
Finalement, nous gardons à l’esprit que la technique d’échantillonnage choisie
ne permet pas d’intégrer un nombre de répondant plus important. Pour
composer notre échantillon de convenance, nous avons plutôt identifié des
personnes répondants à des critères importants pour les fins de l’étude réalisée.
La constitution de cette unité sur une base d’opportunité s’efforçait néanmoins
de couvrir l’ensemble des acteurs qui gravitent autour de la problématique.
61
3.6. Considérations éthiques
Nous profitons de cette occasion pour rappeler que l’ensemble de notre
recherche s’est déroulé dans le respect des principes éthiques conformément à
la politique relative à l’éthique de la recherche avec des êtres humains adoptée à
HEC Montréal9.
Ainsi, nous avons tenté d’avancer dans une relation de confiance, en veillant à
ne pas nuire à nos participants volontaires tout en leur exposant au
commencement d’entrevues les objectifs de notre recherche. Les données
collectées auprès des participants ont ensuite été soumises à leur approbation.
Nous avons également offert la possibilité aux participants de confirmer le
niveau de confidentialité. Sur les 11 répondants, deux ont souhaité que seul le
titre de leur fonction ne soit indiqué dans l’étude de cas.
Pour des raisons de confidentialité et d’éthique en recherche, l’ensemble des
données recueillies n’a pas fait l’objet d’une citation directe lors des entrevues
individuelles et ce conformément à l’avis émis par le CER pour ce mémoire.
Finalement, rappelons que monsieur Taïeb Hafsi, professeur titulaire et
directeur de ce mémoire, s’est assuré avec l’étudiant que les principes éthiques
soient également compris et acceptés avant le lancement du projet de recherche.
9 http://www.hec.ca/recherche_publications/comite_ethique/politique/index.html
62
Chapitre 4 : Présentation des données
Nous consacrons ce quatrième chapitre à la présentation des données recueillies
sous la forme d’une étude de cas. À cet effet, nous retracerons le parcours
personnel et professionnel de Jean-Paul Bailly, le dirigeant que nous étudions.
4.1. Étude de cas : l’histoire d’un dirigeant
Jean-Paul Bailly a consacré sa carrière au service de la transformation des
organisations publiques depuis 1970. Il a occupé et continue d’occuper des
fonctions de dirigeant parmi les plus élevées dans le secteur public en France.
Parmi les postes occupés, mentionnons, de 1994 à 2002, celui de Président
Directeur Général à la RATP. Depuis 2002, il dirige le Groupe La Poste. Jean-
Paul Bailly a passé toute sa carrière dans le secteur public, selon lui : « au
service de la réussite de l’entreprise et donc au service des Français par la
qualité du service qui est rendue ».
Ingénieur de l’École Polytechnique à Paris en 1967, il a obtenu par la suite, en
1970, un Master of Science en Management de Sloan School Massachusetts
Institute of Technology.
En rapportant des faits saillants du parcours personnel et professionnel de Jean-
Paul Bailly, la présentation du cas qui suit remet en scène ce dirigeant dans des
situations de transformation au sein d’organisations publiques majeures au sein
des institutions françaises.
La première partie est consacrée à ses origines et à son cheminement personnel
jusqu’à « son entrée dans la fonction publique ». La deuxième partie exposera,
à partir des situations vécues par Jean-Paul Bailly, son cheminement
professionnel et la constitution, sur base de ces expériences, d’une philosophie
de management spécifique aux enjeux des entreprises publiques. Finalement, la
63
troisième partie exposera les actions entreprises à des fonctions de direction-
générale. Nous verrons en quoi la mise en œuvre de ces transformations
constitue le prolongement d’une réflexion personnelle du dirigeant sur le
fonctionnement spécifique du secteur public.
4.1.1. Partie 1 : Origines du dirigeant
4.1.1.1. Une enfance mouvementée
Né à Hénin-Beaumont en novembre 1946, un an après la libération, Jean-Paul
Bailly ne garde que quelques vagues souvenirs de son enfance dans le nord de
la France. L’esprit de solidarité prévaut en cette période de reconstruction et la
chaleur humaine qui se dégage de ces liens nouvellement constitués marque
l’esprit du petit garçon. « C’est peut-être la première chose qui m’a frappé et
d’une certaine manière formé » explique-t-il.
L’histoire ne dure pas. Son père Jean Bailly, ingénieur dans les Houillères,
obtient un nouvel emploi à l’étranger. Toute la famille s’installe au Maroc. À
tout juste 8 ans, Jean-Paul Bailly quitte son village natal et le foyer familial. Ses
parents l’inscrivent au Lycée d’Oujda, ville la plus proche et située à 40 km de
la zone minière de Zellidja où son père exerce ses activités professionnelles. «Je
garde de cette période-là l’amorce d’une assez grande autonomie. Très jeune,
j’ai ressenti de la part de mes parents une grande confiance».
Jean-Paul Bailly est d’abord accueilli dans une famille d'amis à l’âge de 10 ans.
Plongé dans un nouvel environnement, il découvre une culture, des habitudes
de vie et des formes de pauvreté différentes de celles qu’il a pu côtoyer
auparavant. Cette confrontation suscite chez lui plusieurs interrogations,
notamment lorsqu’il observe le sens du partage et la générosité de ces
personnes qui manquent pourtant de ressources. Naturellement, il se mélange
aux locaux qui ne tardent pas à devenir ses nouveaux amis. Un jour, l’un d’eux
64
l’invite chez lui. «Je m’en souviens comme si c’était hier. Il avait plusieurs
frères et sœurs. Ils vivaient dans une seule pièce et lui, il faisait ses devoirs sur
la cuisinière. Ce petit marocain était le premier de la classe.»
En cette période de transition de régime politique, marqué par l’abolition du
protectorat de la République française au Maroc en 1956, les enfants de sa
génération, qu’ils soient français ou marocains, se côtoient désormais ensemble
dans les classes du lycée, voir même au-delà. «J’ai beaucoup appris à cette
occasion à la fois la modestie, la tolérance, le respect et surtout l’acceptation
réciproque... la différence ne saurait être quelque chose qui doit diviser mais
quelque chose qui doit enrichir».
Cette époque coïncide aussi avec la guerre d’indépendance de l’Algérie. En
cette période d’instabilité, Jean-Paul Bailly se trouve en première ligne du
conflit. Les avions survolent sa maison, située non loin de la frontière entre les
deux pays tandis que les bruits des tirs au canon s’installent durablement dans
son quotidien. Ce sentiment d’insécurité s’accentue lorsque des amis de la
communauté d’expatriés sont pris pour cible lors d’un attentat sur leur voiture.
«J’en ai sans doute gardé quelques traumatismes, en même temps, ces
événements-là sont extrêmement formateurs et font mûrir», confie-t-il.
Ces événements ne spolient pas pour autant l’enfance de Jean-Paul Bailly qu’il
qualifie d’heureuse. Il conserve des liens très étroits avec ses parents et sa sœur
qu’il rejoint régulièrement en fin de semaine. « Cela nous a donné à tous les
deux une ouverture, et permis de vivre partout, d’être bien partout. Nos parents
nous ont surtout appris à rester optimiste, cela permet d’avancer dans n’importe
quelle situation » selon Nicole Oudin, sa sœur. Alors que beaucoup d’enfants
sont envoyés comme pensionnaires en France, ses parents, des chrétiens
engagés, tiennent à assumer leur rôle d’éducateur en maintenant une relation de
proximité avec leurs enfants. « Ils ont décidé qu’une bonne éducation consiste
en un équilibre entre le côté scolaire et un bon environnement familial ». Ces
65
parents inculquent alors à Jean-Paul et à sa sœur des valeurs d’ouverture sur les
autres. « Eux-mêmes étaient des gens très généreux, très à l’écoute de tout
l’environnement, de toutes les personnes aux alentours, quelque soit leur
formation ou leur place… ».
L’adolescent vit une situation plus particulière lorsqu’à l’âge de 13 ans, sa
famille d'accueil déménage vers d’autres contrées. Il réside alors avec une
famille propriétaire d’un hôtel dans lequel il occupe une chambre. «Quand j’y
réfléchis, je me dis est-ce que je ferais cela à mes enfants... Je me dis que non,
je n’en aurais pas le courage». Comme n’importe quel client, il prend ses repas
dans la salle de restauration. « Il devait sans doute faire face à de grands
moments de solitudes qu’il devait gérer tout seul si jeune. Très vite, il a du se
débrouiller tout seul vu les circonstances. Cela fait partie de son histoire et cela
l’a façonné en quelque sorte » commente Nicole Oudin. Jean-Paul Bailly se
trouve rapidement des occupations. Il apprécie les activités artistiques,
notamment la peinture, qui s’avère être une occasion pour lui de libérer son
imagination débordante au moyen de quelques coups de pinceaux. Au terme de
ces deux années, ses parents retournent en France et la famille s’installe
définitivement à Paris.
4.1.1.2. Retour aux sources
Paris s’éveille en cette rentrée des classes de l’année scolaire 1961. Jean-Paul
Bailly découvre à peine les nombreuses ruelles qui sillonnent la résidence
familiale du 1er arrondissement, cœur historique de la ville, qu’il doit déjà
reprendre le chemin de l’école. Il traverse la Seine pour se rendre au lycée
Louis le Grand situé sur la rive gauche. «C’est une incroyable perte de repère,
cela demande un effort d’adaptation et de socialisation pour se réintégrer dans
un groupe où tous se connaissent». L’établissement où étudie désormais Jean-
Paul Bailly est reconnu pour la qualité de son enseignement. Le lycéen redouble
66
alors d’efforts pour rattraper l’écart scolaire et atteindre finalement un niveau
d’excellence. Il décroche son Baccalauréat à dominante scientifique avec succès
et poursuit l’effort à l’occasion de son admission aux meilleures classes
préparatoires à l’École Polytechnique10.
Au-delà du travail intensif, ce retour aux sources permet à l’étudiant de
retrouver une ambiance familiale. «Par rapport à d’autres qui à cet âge, n’ont
vécu que chez leurs parents, j’étais un cas de figure assez différent. J’ai assez
peu vécu dans l’ambiance strictement familiale». Sa mère, Hélène Bailly,
l’accompagne durant ses études afin de lui rendre la vie la plus confortable
possible. Son père, plus occupé, devient l’un des dirigeants de Lafarge, une
entreprise industrielle française, leader mondial en matériaux de construction.
Aujourd’hui à la retraite, le père de Jean-Paul Bailly continue de se consacrer à
des personnes âgées à travers un rôle de compagnonnage. Il constitue pour
Jean-Paul une source d’inspiration. «J’ai plus appris de ma mère quand j’étais
jeune et de mon père maintenant, c’est assez touchant et une très belle leçon de
voir ce côté complètement au service des autres».
À l’instar de son père, Jean-Paul Bailly accomplira ses études en ingénierie sans
pour autant y voir une quelconque influence dans ce choix.
En dernière année, il regrette cependant le caractère strictement scientifique et
technique de sa formation. «Je pense que je n’ai pas tellement l’esprit d’un
ingénieur. Je le suis de formation, mais j’ai le sentiment d’avoir la vision d’un
architecte, à savoir s’intéresser à la vue globale, au pourquoi des choses, à la
manière dont les gens vont vivre et fonctionner dans ces espaces». Avant
d’entamer sa carrière professionnelle, il envisage la poursuite d’un MBA aux
Etats-Unis comme un complément à sa formation initiale.
10
Dans la tradition française l’École Polytechnique est considérée comme au sommet des
écoles les plus prestigieuses.
67
En se questionnant sur son avenir, Jean-Paul Bailly se verrait bien travailler
dans une organisation publique qui allie selon lui le meilleur des deux mondes.
« C’est une entreprise avec tout ce que ça peut avoir d’innovant, de dynamique
puis clairement au service de l’intérêt général ». Cette volonté de se mettre au
service des autres vient justement de ce contexte familial, de valeurs fortes qu’il
a reçues dans son éducation et auxquelles il attache beaucoup d’importance. La
plupart des ingénieurs promus se dirigent instinctivement vers des carrières au
sein de grandes entreprises industrielles, de services ou dans le conseil. « Ceux
de ma génération qui ont démarré en entreprises publiques avaient une
philosophie assez comparable à ces jeunes qui aujourd’hui passent par une
ONG ».
Au moment des recrutements universitaires, plusieurs dirigeants de grandes
entreprises se bousculent pour aller à la rencontre des futurs diplômés de
l’École Polytechnique. L’un d’eux, Pierre Weil, le Directeur général de la Régie
Autonome des Transports Publiques (RATP), l’opérateur public des transports
en commun à Paris, retiendra son attention. «Si vous éprouvez un intérêt pour la
RATP, voici le numéro de téléphone du service de recrutement et voici aussi
mon numéro de téléphone personnel». Aux yeux de Jean Paul Bailly, cet effort
d’accessibilité suffit à le distinguer des autres recruteurs.
Il rencontre le dirigeant de la RATP et il lui réitère sa volonté de poursuivre des
études avant de rejoindre l’entreprise. Ces quelques mots suffisent à Jean-Paul
Bailly pour convaincre Pierre Weil d’accepter cette requête. Il lui offre même
l’équivalent de son salaire en échange d’un engagement à travailler pour
l’entreprise à son retour. « Il a été tout de suite embauché. C’était une grande
qualité de disposer de cette double formation dans la culture française d’abord
et ensuite américaine » se souvient Philippe Essig, l’un des dirigeants de la
RATP. Jean-Paul Bailly retiendra de cet épisode que son engagement à la
RATP tient à la fois d’une volonté et du hasard.
68
4.1.1.3. Compréhension et apprentissages
Jean-Paul Bailly accomplit son service militaire en 1968 tandis que ses
démarches auprès de toutes les grandes universités américaines aboutissent
positivement. Il choisit le MIT, la plus prestigieuse des écoles d’ingénieurs aux
États-Unis. L’institution dispense dans son école Sloan School des
enseignements de management avec une approche scientifique, ce qui séduit le
candidat, préférant selon ses termes, « la continuité à la rupture ». Durant cette
immersion dans l’environnement international de Cambridge, Massachusetts, il
découvre une tout autre philosophie, de nouvelles façons de penser et de se
comporter. «Ce passage aux États-Unis m’a formaté de manière décisive. Je ne
me souviens pas bien des techniques de marketing ou de finance, mais ce que
j’ai appris, c’est comment il fallait travailler. Cela a modifié mon mode de
fonctionnement et j’ai établi des relations qui marqueront toute ma pratique
managériale».
Le regard que portent les professeurs sur les étudiants est totalement différent
de ce qu’il avait connu auparavant. « La proximité, la convivialité, le fait que
l’on puisse discuter d’égal à égal avec les plus grands, leur modestie… quelque
chose d’inimaginable en France ! ». À Sloan School, les enseignements
poursuivis par Jean-Paul Bailly sont dispensés par un corps professoral
composé de chercheurs reconnus et de prix Nobels tels que Paul Samuelson ou
Robert Solow. «Je ne considère pas mes étudiants comme moins bons, qui ont à
apprendre, mais je les regarde comme des successeurs que je forme» lui confie
l’un d’eux.
Cet état d’esprit positif séduit l’étudiant. Face aux problématiques soulevées
dans les études de cas en classe, les étudiants apprennent ensemble à trouver
des solutions adaptées. « On ne cherche pas les responsabilités, on cherche les
réponses à apporter».
69
L’approche contributive devient une référence absolue pour Jean-Paul Bailly.
«C’est un endroit où l’on fonctionne sur la confiance à priori alors que dans le
système français, on fonctionne sur la défiance. C’est ce qui fait toute la
différence». Ce regard différent sur la façon de gérer les relations extérieures
enrichira à cette occasion la vision que Jean-Paul Bailly se forge alors du
management. « Il a fait polytechnique puis un master. Il n’a pas été dans le
moule habituel des anciens chefs issus de l’ENA11
qui connaissent le technique
mais pas toujours les relations humaines. On peut discuter plus facilement, on
est plus proche de comprendre le point de vue des autres et il n’y a pas de
froideur dans le contact » constate Bernard Gitler, secrétaire général du syndicat
Forces Ouvrières.
Durant cette période de formation aux États-Unis, Jean-Paul Bailly, l’un des
plus jeunes de sa promotion, côtoie des étudiants issus des quatre coins du
monde avec lesquels il partage de nombreuses activités scolaires et sportives.
« On pouvait faire du bateau sur la Charles River. Il y avait des courts de tennis
partout. L’hiver, on skiait dans le nord des États-Unis ou au Canada… ». C’est
dans cet environnement international qu’il rencontre également son épouse, une
étudiante française au département d’économie du MIT.
Une fois diplômé en 1970, Jean-Paul Bailly retourne en France, décidé à mettre
en pratique et à faire partager ses apprentissages en management à la RATP.
4.1.2. Partie 2 : Formation à la gestion stratégique et opérationnelle de la
transformation
11
ENA : L’École Nationale d’Administration forme les hauts fonctionnaires de l’État. L’accès
à cette école prestigieuse s’effectue principalement par voie de concours externes destinés aux
détenteurs d’un 2e cycle universitaire. En France, les énarques occupent des fonctions de
premier plan dans la vie politique et économique. Le caractère élitiste, le facteur de
reproduction social ou encore l’image aristocratique constituent les principales critiques
adressés à l’ENA par certains sociologues comme Pierre Bourdieu.
70
4.1.2.1. Début d’une carrière au service de l’intérêt général
Le leadership de la RATP en matière d’innovation technologique dans la
construction de réseaux de transports urbains souterrains est reconnu et n’a
cessé de se développer depuis son lancement en 1949. Les réalisations de
l’entreprise et son savoir-faire sont admirés et s’exportent à travers le monde.
Son ancêtre, la Compagnie de Chemin de fer métropolitain de Paris a été fondé
en 189912 pour la mise en service de la première ligne de métro en 1900 lors de
l’exposition universelle de Paris. En 2010, la RATP est le 5e opérateur de
transport urbain dans le monde et accueillait plus de 10 millions de voyageurs
quotidiennement en totalisant un effectif de 56 000 collaborateurs.
L’établissement public à caractère industriel et commercial a réalisé un bénéfice
net de 186 millions d’euros et affiche un chiffre d’affaires de 4,5 milliards
d’euros13
. Les voyageurs utilisent l’une des 300 stations de métro, et le réseau
de RER reliant la plupart des banlieues de l’Ile-de-France. De plus, la ville de
Paris est sillonnée par un réseau dense d’autobus et de tramway urbains14 qui
fait partie du système géré par l’entreprise.
À son arrivée à la RATP à l’été 1970, le service de Jean-Paul Bailly débute à 5h
du matin. La semaine suivante il commence à midi, puis à 20h voire à 23h pour
se terminer aux petites heures de la nuit. Il apprend le métier d’agent de
maîtrise d’une ligne de métro à la RATP. À titre d’ingénieur, il est ensuite
appelé à assurer des fonctions de remplacement sur le réseau afin d’en assurer
l’exploitation quotidienne d’un terminus puis d’une ligne. « Je retiens d’abord
que ce fut un assez dur atterrissage, de passer du monde académique,
intellectuel et conceptuel à la réalité du terrain ».
12
La RATP a été créée en 1949 pour succéder à la Compagnie du chemin de fer métropolitain
de Paris, CMP.
13 Indicateurs financiers consolidés du Groupe RATP pour l’exercice 2010
14 D’après le site officiel de la RATP
71
Après les premières découvertes, Jean-Paul Bailly aspire à de nouveaux défis. Il
mesure toutefois l’importance de ce passage par le terrain où il acquiert
connaissances et compétences, garant selon lui d’une forme de légitimité lors
du passage à des postes fonctionnels. « S’ils le prennent parfois mal au début, je
ne connais pas d’exemples de gens qui ne m’aient pas remercié de les avoir
envoyés sur le terrain ». L’ingénieur profite alors de ses temps libres pour
s’investir sur d’autres terrains. Passionné de rugby depuis son adolescence, il ne
tarde pas à trouver sa place au sein de l’équipe US Métro, le club officiel de la
RATP. Au fil des matchs, Jean-Paul Bailly côtoie des salariés provenant de
toutes les composantes de l’entreprise. « Il y avait cette relation de totale égalité
avec des gens qui avaient des statuts sociaux très différents. Je me suis rendu
compte que ces collaborateurs étaient d’abord des personnes ». Qu’ils soient
conducteurs d’autobus, machinistes ou ouvriers, tous mettent de côté leurs
uniformes respectifs afin d’endosser le même maillot. « Cette phase de ma vie a
profondément ancré en moi la notion de respect. L’idée que dans le fond, on
doit la même considération à quiconque, qu’il soit ouvrier ou Président de la
République ».
À la fin des années 1972, Jean-Paul Bailly est sollicité par Philippe Essig pour
rejoindre la cellule dédiée à la planification et la promotion des services au sein
de la direction ferroviaire de la RATP. « Il n’y avait pas de véritable direction
commerciale. Pour une fois, on s’est dit qu’on pouvait changer les habitudes et
comprendre les attentes légitimes des utilisateurs » raconte Philippe Essig.
Parallèlement à sa fonction de planificateur, il devient également contrôleur de
gestion. En 1974, Pierre Giraudet, le directeur général de la RATP lui confie la
planification au niveau de l’entreprise. Les projets de construction du RER,
d’allongement du métro et de modernisation des autobus se développent.
4.1.2.2. Détachement à Mexico, un épisode formateur
72
Le travail de Jean-Paul Bailly est apprécié par ses supérieurs qui misent sur ce
jeune collaborateur et lui prédisent un avenir prometteur. La direction générale
n’est pas en reste. En 1978, elle lui offre de prendre la direction d’une mission
de coopération technique à Mexico.
À cette époque, Jean-Paul Bailly n’hésite pas une seconde malgré la barrière
linguistique et la longueur de l’engagement, qui le gardera absent pendant 4
années. Au contraire, adepte des séjours à l’étranger, il y voit une opportunité
de partir à la découverte d’un nouvel environnement, d’apprendre une nouvelle
langue et de progresser.
À Mexico, l’opportunité est à la mesure des espoirs. Jean-Paul Bailly dirige
pour la première fois une équipe constituée de quinze ingénieurs. « J’ai
beaucoup retenu de la force du travail en équipe, savoir se coordonner et faire
parfois bloc par rapport au client ». L’équipe d’ingénieurs français participe à la
conception et la construction des lignes de métro du district fédéral mexicain.
Sous la direction de Jean-Paul Bailly, ils sont à la fois responsables des
équipements, du matériel roulant ainsi que de la mise en exploitation. La
distance géographique avec Paris et les moyens de communication limités
amènent Jean-Paul Bailly à conduire son action de manière responsable et
autonome. «On avait l’obligation de prendre un certain nombre d’initiatives
locales. Aujourd’hui, les moyens de communication ont tendance à
déresponsabiliser les collaborateurs».
En tant qu’ingénieur responsable du volet technique, il parvient à travailler en
totale symbiose avec la municipalité du District Fédéral15
. Cette première
rencontre professionnelle avec le monde politique s’avère concluante dès lors
que les décisions se prennent rapidement et que Jean-Paul Bailly parvient à
15 À Mexico, le district fédéral correspond au territoire abritant la capitale. Jusqu’aux récentes
réformes d’autonomisation de 1993, la gestion de la capitale du Mexique était mise sous la
tutelle du gouvernement fédéral.
73
nouer une véritable relation de confiance avec ses interlocuteurs. Par ailleurs, il
trouve en Paco Noreña, le directeur général du projet, une source d’inspiration.
«Beaucoup de choses se faisaient sur le terrain à Mexico, ce qui conférait une
forme de réactivité et de rapidité dans le management de l’avancement du
projet. C’était exactement le contraire de la manière dont on disait qu’il fallait
manager». Selon Jean-Paul Bailly, ce réfugié espagnol gérait avec un art
particulier, laissant à ses collaborateurs un grand degré d’initiatives tout en
parvenant à être attentif aux objectifs, au respect des échéances et aux enjeux
économiques. « On n’était pas sur le dos des gens. Une fois qu’on a fixé des
objectifs, qu’on a donné les moyens, qu’on est d’accord sur les règles du jeu,
pour le déploiement, rien ne vaut le travail sur le terrain ».
Cette organisation du travail décentralisée porte ses fruits. Avec son équipe,
Jean-Paul Bailly effectue des visites hebdomadaires des chantiers pour s’assurer
des avancements et des éventuels ajustements à opérer. La dynamique de travail
mexicaine s’éloignant des méthodes traditionnellement appliquées à la RATP
bouscule certains ingénieurs. Plus rationnels, certains regrettent la non
centralisation dans les prises de décisions et perçoivent dès lors ce management
par le terrain comme étant approximatif. «On me disait à l’époque que ne c’était
pas la bonne manière de gérer un projet. Avec le recul, 40 km de métro ont été
construits en un temps record de 40 mois sans aucun dépassement budgétaire ni
accident. Chacun jugera, tout n’était pas bon mais il y avait beaucoup de choses
à apprendre de cette manière de gérer».
4.1.2.3. Pratiques de la négociation sociale
Fort de son succès à Mexico, Jean-Paul Bailly pense décrocher un poste
significatif lorsqu’il réintègre le siège de la RATP à Paris en 1982. Il n’en sera
rien. Aucune affectation précise ne lui est confiée. «Bien que considéré comme
un des cadres importants à potentiel, la direction générale ne m’a trouvé aucune
fonction. Cela a duré 9 mois. Cela fait partie des aléas de la vie. Dans ces
74
périodes de doute, il faut apprendre, se former. Aujourd’hui, je mesure mieux la
difficulté pour réinsérer certains cadres importants après des mobilisations à
l’étranger… j’utilise parfois ma propre expérience auprès de cadres importants
».
Après quelques missions temporaires, il hérite d’une responsabilité lourde de
conséquences : la direction de l’Atelier Championnet. Situé dans le 18e
arrondissement de Paris, cet atelier de 9 hectares érigé un siècle plus tôt en
1882 est chargé de la révision générale et de la maintenance des 4.000 autobus
de la RATP.
Mais l’activité est vouée à décliner fortement avec la nouvelle politique
d’acquisition de matériel roulant neuf et, par conséquent, la mise en vente des
bus en fin de vie. « Cet atelier était fondé sur le fait que les bus duraient 25 ans
et qu’à mi-vie, on les reconstruisant complètement ». Près de 1.200 personnes
travaillent au sein de la plus grande implantation industrielle de la capitale
française. Bien que ce fût un objectif important de l’entreprise, aucun
gestionnaire n’était parvenu à ramener les effectifs au niveau des besoins réels.
«C’était devenu un prétexte pour ne pas faire de productivité ailleurs dans
l’entreprise. C’était vu par l’entreprise et mes collègues comme une mission
impossible ». Philippe Essig, directeur général de la RATP en 1982, à
l’initiative du plan pluriannuel d’accroissement de la productivité s’explique : «
Championnet était un handicap. Tous les prédécesseurs de JPB étaient des
techniciens du service qui par la force des choses sont arrivés à sa direction. On
restait à l’intérieur d’un secteur fermé ».
Tout en ignorant les raisons qui poussent les dirigeants à lui confier cette
mission à l’époque, Jean-Paul Bailly ne se résigne pas devant une telle
difficulté. Philippe Essig revient sur les raisons qui le motivèrent quant à cette
nomination : « J’avais confiance en lui car je sentais qu’il y avait dans ce poste
un besoin d’imagination. Il fallait créer quelque chose pour parvenir à sortir de
75
ce cercle vicieux ». Ce directeur général nomme au même moment Jean-Michel
Barnier, un cadre spécialisé dans le volet technique, comme adjoint pour
accompagner JPB dans cette mission de transformation.
Les deux dirigeants se complètent par leurs connaissances et qualités
respectives pour mener à bien ce projet. « Un homme avec un management à la
fois dur et exigeant mais aussi humain… une combinaison que moi… je ne
saurais pas bien faire. Je sais être humain mais je ne sais pas être aussi dur
qu’était cet homme, dans la manière de parler ». Ensemble, ils se rendent sur les
lieux dès leur nomination. La dernière visite de terrain remontait à plus d’un an.
« C’était ma première rencontre avec le monde ouvrier et syndical. Les
relations étaient très difficiles ».
À leur arrivée, les deux collaborateurs sont entourés par quelques centaines de
personnes. « La tension était extrêmement vive et la pression physique palpable
». Des employés enclenchent les klaxons des autobus, d’autres lancent des
boulons sur les différents poteaux de l’atelier, l’un d’eux s’écrie dans les hauts
parleurs : « voilà le fossoyeur du service public ». Jean-Paul Bailly reçoit même
des menaces de mort et surprend, au détour d’un escalier couvert de graisse,
une représentation à son effigie attachée à une potence. « C’est une épreuve,
parce que ça vous marque. Quand le soir venu, vous rentrez chez vous, ce n’est
pas facile. Mais, ça fait partie des choses dans la vie qui donnent une certaine
force, et je pense que, dans la vie, les épreuves, ou les échecs sont nécessaires
pour former une personne».
Plutôt que de focaliser sur les pertes d’effectifs, Jean-Paul Bailly se tourne
résolument vers l’avenir. Il sensibilise d’abord le personnel sur la nécessité de
faire évoluer l’activité qui se trouve condamnée. «J’ai compris qu’au travers du
dialogue, à savoir de l’écoute et du parler vrai aux gens sur les enjeux, on
pouvait vraiment faire avancer les problèmes». Philippe Essig abonde dans le
même sens : « Il pouvait jeter un regard nouveau et objectif. Il était capable de
76
tenir un autre langage que celui qui marquait la mémoire et les blocages du
passé ».
Jean-Paul Bailly tente ensuite de responsabiliser et de trouver avec chacune des
divisions de l’atelier un certain nombre de réponses autour d’un projet partagé.
«Bien que conflictuelles, les relations syndicales sont progressivement
devenues plus confiantes». Dans ses communications, Jean-Paul Bailly fait
également preuve de pédagogie. « On ne refait plus les bus, mais vous avez
votre savoir-faire… On va essayer de le valoriser » explique-t-il aux employés.
C’est ainsi que de 1982 à 1985, Jean-Paul Bailly entreprend une transformation
historique du site à la RATP. « Ensemble, nous avons essayé de trouver un
certain nombre de réponses autour d’un projet partagé. Ensuite, nous avons
conduit cette opération par un mode de gestion décentralisé et responsabilisant,
atelier, par atelier ». Les activités de révision générale se poursuivront en partie
tandis que l’espace libéré deviendra le plus grand dépôt d’autobus dans Paris.
« Cette action a été menée avec une perspective de sortie du conflit par le haut
en trouvant un projet mobilisateur. On peut considérer ce qu’il a fait comme
étant l’apogée de ses qualités humaines au contact du terrain » conclut Philippe
Essig. Cette réorganisation s’est déroulée de manière progressive sur une
période de 3 années. « On a fait une grande partie du chemin, d’abord en
coupant le terrain en deux, en modernisant certains ateliers et en reconvertissant
les autres en dépôts qui deviennent une valeur ajoutée pour l’entreprise ».
Difficile, cette période constitue un réel apprentissage pour Jean-Paul Bailly. Il
se forge à cette occasion une philosophie de management et expérimente ses
propres méthodes sur le terrain.
4.1.2.4. Directeur des ressources humaines
La transformation des Ateliers de Championnet est un grand succès et elle est
unanimement saluée au sein de la RATP. « Si vous réussissez une mission dite
77
impossible, cela vous donne une grande légitimité dans l’entreprise ». Il
chemine alors à des postes de direction, d’abord en tant que Directeur du
matériel roulant et des autobus en 1985 puis à la direction du Métro et au RER
en 1988. Cette année-là, l’intégration du système automatique SACEM16
sur le
RER A donnera lieu à un premier conflit social. Cette innovation technologique
devait permettre d’augmenter le nombre des voyageurs transportés face à la
saturation du réseau ferré.
Lorsqu’au terme de leur action de grève les conducteurs parviennent à obtenir
une prime compensatoire, c’est au tour des ouvriers de maintenance de se
croiser les bras le 7 novembre 1988. Ils estiment que leurs revendications ne
trouvent pas suffisamment d’échos auprès de la direction générale. « Les
conducteurs avaient un statut particulier dans cette maison. Leur rémunération
était largement supérieure aux autres » raconte Bernard Gitler, secrétaire
général du syndicat Forces Ouvrières. Au cœur du réseau parisien, les trains
non entretenus tombent en panne, la qualité du service se dégrade tandis que les
moyens d’intervention demeurent limités. « Il a fallu 3 semaines pour que le
métro s’arrête. On avait prouvé qu’il n’y avait pas qu’une catégorie du
personnel qui pouvait bloquer Paris pour faire sa loi indépendamment des
autres » poursuit Bernard Gitler.
À la RATP, les rivalités catégorielles entre les différents corps de métiers
empêchent la modernisation de l’entreprise. « J’avais connu les mêmes
épreuves. Je m’en suis sorti avec peine car les moyens de force et de réquisition
ne fonctionnent pas lorsqu’une grève éclate. Alors, nous négocions… mais dans
des conditions difficiles ! » explique Philippe Essig, devenu secrétaire d’État.
Sur la base du rapport de ses conseillers, le premier ministre Michel Rocard
demande un renouvellement à la direction de l’entreprise publique. Début 1989,
16
SACEM : Système d'Aide à la Conduite à l'Exploitation et à la Maintenance. Ce système
d’exploitation permet d’augmenter, sans nuire à la sécurité, le nombre de RER en circulation
simultanée par la réduction de l’intervalle de temps nécessaire entre deux passages en gare.
78
Jean-Paul Bailly devient directeur général adjoint en charge des ressources
humaines. Le savoir-faire acquis par ce dernier en matière de négociation
sociale est mis à contribution au moment où l’entreprise sort d’une série de
grève. Philippe Essig revient sur les coulisses de cette décision : « Le premier
ministre souhaitait mettre en place quelqu’un qui pourrait avoir un discours
nouveau pour sortir définitivement de ces blocages ».
Quelques semaines plus tard, Paul Reverdy, président de la RATP, ne sera pas
confirmé dans ses fonctions au terme de son premier mandat. Le premier
ministre charge Christian Blanc, par le décret du 22 février 1989, de moderniser
l’entreprise et trouver des solutions durables dans la gestion des relations
sociales.
Christian Blanc, ancien préfet et haut fonctionnaire, à la fois chef d’entreprise et
homme politique a connu plusieurs carrières dans sa vie. Avant d’entrer à la
RATP, Christian Blanc a été secrétaire général de la Nouvelle-Calédonie où il
interviendra en 1988 en qualité de représentant du gouvernement pour une
mission de dialogue. Il obtient une solution politique au conflit opposant les
indépendantistes aux loyalistes à propos du maintien de l’île comme territoire
français. Visionnaire et entrepreneur, cet homme d’action poursuivra sa carrière
à la tête d’organisations publiques comme la RATP (1989-1992) ou encore Air
France avant sa privatisation (1993-1997). Il présidera la Commission du Plan,
chargée d’étudier le fonctionnement de l’État et qui aboutira en 1993 au fameux
rapport : « Pour un État stratège garant de l’intérêt général ». Il reviendra dans
le monde politique en tant que député centriste (depuis 2002) et en sa qualité de
secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale (2008-10).
À son arrivée à la RATP, Christian Blanc et Jean-Paul Bailly s’entendent sur la
nécessité de transformer l’organisation. « La RATP a eu à partir de ce moment-
là une nouvelle renaissance. Blanc et Bailly formaient un tandem et reflétaient
l’image de ce qui se faisait plutôt dans les pays anglo-saxons » confie l’un des
79
dirigeants de la RATP. Comme une bouffée d’oxygène en territoire difficile,
Christian Blanc devient alors une source d’inspiration notamment en ce qui
concerne la primauté du stratégique sur le tactique. «Ne soyez pas tactique sur
cette décision, réfléchissez à la stratégie, à l’objectif. La tactique viendra après»
lui disait-il. Jean-Paul Bailly continue d’apprendre, de tirer des enseignements
de ces situations de management. « Ma philosophie de management s’est
cristallisée avec ma montée au comité exécutif. Cela a démarré à Mexico en
1980, une expérience décisive, a continué de se construire dans les étapes
suivantes, à l’atelier central, aux activités de maintenance des autobus et du
métro, pour se finaliser avec Christian Blanc en 1990. Cela s’est construit en 10
ans ».
Rien ne pouvait arrêter Christian Blanc selon ses collaborateurs qui le décrivent
comme étant un visionnaire, courageux dans la prise de risque et résolument
décidé à apporter des changements en profondeur au sein de l’entreprise. «Des
réorganisations, il y en a plein les tiroirs. Elles ne sont pas mises en œuvre,
parce que c’est difficile, cela demande du courage. Il m’a appris que le dialogue
et la fermeté vont de pair».
4.1.2.5. Contrer les rivalités catégorielles
Lorsque Christian Blanc décrit son premier projet de modernisation de la RATP
auprès de ses collaborateurs, il indique : « Jusqu’à présent, les salariés étaient
comme des tournesols tournés vers le président soleil. Aujourd’hui, le soleil
vers lequel il faut se tourner, ce sont les clients ». Il sera reconnu pour sa
volonté à instaurer le concept de client, ne considérant plus les utilisateurs de la
RATP comme des usagers.
De son côté, Jean-Paul Bailly s’attaque progressivement aux chantiers qui
empêchent la transformation de la RATP en tête desquels l’épineuse question
des rivalités catégorielles soulevées par ses prédécesseurs. George Lefebvre,
responsable du personnel d’une autre entreprise publique décrit le contexte : «
80
Contrairement au secteur privé, les organisations syndicales considèrent
l’entreprise publique comme étant immortelle ou du moins que c’est une
théorie. Si elle va mal, l’État sera toujours là pour la sauver. Dans le cas de la
RATP, les corporatismes étaient en plus extrêmement cultivés, chacun allait de
ses propres revendications. Cela change complètement la nature du dialogue
social et rend le changement très difficile ».
En tant que directeur des ressources humaines, Jean-Paul Bailly constate
d’abord que les critères administratifs traditionnels fondés sur l’ancienneté ne
poussent pas les collaborateurs de l’entreprise à davantage de performance et de
qualité dans le service rendu. « Un sujet très compliqué et assez risqué qui
touchait à tous les métiers et leur équilibre et concernait le mode d’évolution de
carrière ». Par conséquent, la nouvelle politique salariale imaginée par Jean-
Paul Bailly dissocie le grade de la fonction. Cette mesure symbolique entend
désormais récompenser les collaborateurs les plus performants, mettant un
terme à l’automatisation de l’évolution des carrières. « Bailly et Blanc ont
réussi à promouvoir l’avancement au mérite alors que les conducteurs rejetaient
culturellement toute cette notion » rapporte l’un des dirigeants de la RATP. Les
critères d’évaluation, tel que l’atteinte, voire le dépassement des objectifs fixés,
sont basés sur des critères individuels et non plus collectifs, tandis que les
critères d’évolution de carrière privilégient désormais l’évaluation des qualités
individuelles nécessaires quant à la fonction vacante.
Jean-Paul Bailly travaille ensuite avec Christian Blanc sur d’autres leviers qui
faciliteraient l’instauration du dialogue social. Les deux dirigeants s’entendent
alors sur une vision d’un management décentralisé qui délègue un certain
nombre de responsabilités aux entités opérationnelles. De 1989 à 1994, le
raccourcissement des paliers hiérarchiques fait passer de 9 à 3 le nombre de
niveaux. « L’axe principal de l’action de décentralisation, c’était d’enlever du
pouvoir aux gens du centre pour en donner aux gens sur le terrain. Je l’ai
accompagné par la mise en place de cette nouvelle politique RH ».
81
Les impacts des réformes liés au mode d’évolution de carrière et à la
décentralisation ne se font pas attendre. « Cela a eu comme effet n°1 de faire
disparaître la cause principale de la conflictualité à la RATP à savoir les
rivalités catégorielles ». Philippe Lemoine, l’un des dirigeants des Galeries
Lafayette, une entreprise partenaire de la RATP, confirme cette observation :
« La RATP avait un pouvoir de nuisance par rapport aux parisiens lorsqu’il y
avait des mouvements sociaux. C’était une entreprise qui disposait de très peu
de marges de manœuvre. Jean-Paul Bailly a réussi à les créer afin que ces
mouvements ne soient plus globalisés mais fragmentés ».
Mener des projets de transformation et de modernisation constitue un exercice
périlleux. Christian Blanc en fait l’expérience. Il finit par démissionner de ses
fonctions le vendredi 27 novembre 1992 suite à un désaccord perdurant avec le
gouvernement sur l’instauration d’un service minimum en cas de grève. Son
action à la RATP sera reconnue par le ministre des transports Jean-Louis
Bianco lors d’une allocution à l’Assemblée nationale. Le ministre rappelle
notamment le succès de son projet de modernisation et de sécurisation des
stations de métro qui fera baisser drastiquement les faits de criminalités dans les
transports urbains. Á son départ, Christian Blanc soumet le nom de son
directeur des ressources humaines pour lui succéder. «Il me considérait comme
son numéro 2 même si je n’étais pas vraiment le second dans la hiérarchie
établie». Cette proposition ne sera pas retenue par le gouvernement.
4.1.3. Partie 3 : Diriger la transformation des organisations publiques
4.1.3.1. Président Directeur Général de la RATP
Le nouveau changement à la direction de la RATP affecte Jean-Paul Bailly.
Pour la première fois de sa carrière, il découvre la difficulté de collaborer avec
Francis Lorenz, un dirigeant dont il ne partage pas la philosophie de gestion.
82
« C’est une des rares personnalités avec qui j’ai eu du mal parce que,
fondamentalement, c’était quelqu’un qui ne faisait pas confiance. Il était
souvent sur le terrain de la défiance, voir du complot. J’ai eu beaucoup de mal.
C’était autant sa responsabilité que la mienne ».
Jean-Paul Bailly continue à occuper ses fonctions de directeur des ressources
humaines non sans difficulté et se réserve la possibilité de quitter l’entreprise en
cas de renouvellement du Président-directeur général nouvellement nommé.
«La difficulté et le mal de vivre deviennent progressifs. D’une manière ou
d’une autre, cela ne pouvait pas vraiment durer. S’il était resté, moi je serais
parti, parce que c’était trop difficile».
Six mois avant la fin de son premier mandat de remplacement, Francis Lorentz
sollicite son renouvellement. De son côté, Jean-Paul Bailly devient le
« candidat naturel de l’interne ». L’un des dirigeants de la RATP revient sur cet
épisode : « Il y avait deux candidats. Le débat était venu sur la place publique.
J’ai été consulté par des conseillers de cabinets ministériels du fait de ma
position à la RATP. Je connaissais bien les deux candidats. En 1994, l’enjeu
stratégique de la RATP, c’était de transformer les relations sociales. J’ai fini par
prendre parti pour Jean-Paul Bailly car c’était de l’intérêt de l’entreprise ».
À l’occasion de la publication du décret ministériel le 22 juin 1994 par le
premier ministre Édouard Balladur, c’est Jean-Paul Bailly qui est nommé à tête
de l’entreprise. Il remplace Francis Lorentz, non renouvelé dans cette fonction.
Philippe Essig, l’un des dirigeants de la RATP et de la SNCF se félicite de la
nomination d’une personne issue du métier des transports et pouvant assurer
l’avenir de l’entreprise publique : « Je pense que l’intermède de 18 mois de
Francis Lorentz était une erreur du gouvernement. Il ne s’est jamais vraiment
intégré aux réalités de l’entreprise ».
Jean-Paul Bailly devient alors le premier président-directeur général de la
RATP issu de l’entreprise. «Cela me procurait à la fois de la fierté mais créait
83
aussi une vraie exigence. Ma principale motivation était de démontrer qu’un
dirigeant venu de l’interne pouvait réussir. Que chacun dans l’entreprise puisse
se dire c’est possible ! ». Il s’agit là d’une reconnaissance de ses compétences
professionnelles qui ont été rapportées auprès du gouvernement par ceux qui
ont pu collaborer avec lui. Jean-Paul Bailly se dit décidé à conforter les
responsables de l’État dans leur choix.
4.1.3.2. Premiers pas d’un directeur général
L’homme d’ordinaire discret doit désormais composer avec une fonction
tournée vers l’extérieur. «Il y a un vrai apprentissage. À l’interne, il y a assez
peu de rupture si ce n’est qu’il faut à la fois garder la proximité et prendre de la
distance». En plus de devenir une personnalité publique, il doit désormais
traiter tout l’environnement extérieur qu’il soit politique, administratif ou
médiatique. Nicole Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly voit cette prise de
responsabilité comme relevant d’une certaine continuité : « Il était très heureux.
La RATP était vraiment sa maison. Malgré ses responsabilités de président-
directeur général, il arrivait tout de même à décrocher facilement en dehors des
heures de travail. Lorsque nous nous rencontrions avec nos amis, personne ne
pouvait imaginer qu’il occupait une telle position. Très simple, il est lui-même,
ne joue pas de rôle et a un rapport très naturel aux gens qu’ils soient d’un
milieu simple ou plus aisé. Dans tout cela, on le reconnaît. Il reste dans le
même registre. Les gens savent bien que quand il est face à eux, il dit la même
chose et ne sera pas pris en défaut sur une position différente qu’il a soutenue.
Il ne se transforme pas selon les contextes, reste honnête et droit ».
À peine est-il nommé que Jean-Paul Bailly ne va pas tarder à subir son épreuve
du feu. Au moment de l’annonce du plan Juppé le 15 novembre 1995, Jean-Paul
Bailly subit de plein fouet un conflit national opposant les organisations
syndicales au gouvernement libéral sur la question de l’âge du départ à la
retraite. L’une des mesures annoncées à l’Assemblée nationale par Alain Juppé,
84
premier ministre, préconise d’allonger la durée de cotisation dans la fonction
publique, passant de 37.5 à 40 annuités de cotisations et à remettre en cause les
régimes spéciaux de retraite d’entreprise dont bénéficient les collaborateurs de
la SNCF17
ou la RATP. « Pendant cette période, j’ai été attentif à ne jamais
couper le lien avec les organisations syndicales. Ce n’était pas trop difficile
parce que la cause était extérieure, c’était une décision gouvernementale. »
Les collaborateurs de la RATP et d’autres organisations publiques telles que la
SNCF, La Poste ou France Télécom se mobilisent contre ce plan en menant des
manifestations et des actions de grève. Le mercredi 29 novembre 1995 et durant
les 17 jours suivants, aucun métro, tramway ou autobus ne circulera dans Paris.
«J’ai compris que la capacité à moderniser la RATP dépendait de la qualité du
dialogue social lorsque je voyais cette menace obnubiler l’attention de mes
prédécesseurs». Les effets des conflits sociaux devenant instantanés et lourds de
conséquence, la résolution de cet aspect devient dès lors sa priorité. Le projet de
loi Juppé sur la réforme des retraites sera finalement abandonné en partie par le
gouvernement le 15 décembre 1995.
4.1.3.3. Une innovation sociale et réglementaire
Au terme du chapitre des grèves générales, Jean-Paul Bailly se pose alors en
réel stratège. Il souhaite anticiper la manifestation des conflits sociaux qui
empêchent la continuité du service à la RATP. Il se concerte avec les membres
de l’organisation et les syndicats sur le thème « plus jamais cela ». Bernard
Gitler participe à ces négociations en tant que secrétaire général du syndicat
Forces Ouvrières : « La table ronde n’a pu se faire que parce qu’il y avait une
espèce de relation de confiance entre lui et la plupart des syndicats. Nos
discussions menaient à des résultats sans que le lendemain il ne change d’avis.
Il faisait preuve de respect et de loyauté vis-à-vis des engagements pris ».
17
SNCF : Société Nationale des Chemins de Fer
85
Les échanges entre les différents interlocuteurs se poursuivent. L’un des
dirigeants de la RATP décrit le rôle qu’occupe Jean-Paul Bailly durant ces
réunions : « Bailly adopte une méthode de dialogue basée sur l’écoute et la
prise en compte de chacun. Il cherche à construire une relation de confiance
avec ses interlocuteurs de telle sorte qu’il crée le sentiment qu’on peut lui faire
confiance en retour. Dès lors, tout ce qui est un obstacle au progrès dans le
secteur public, à savoir la capacité de tous à bloquer, se libère. Les obstacles
tombent et la caravane passe ! ».
C’est à cette période que Jean-Paul Bailly fait émerger l’idée de l’Alarme
sociale. Ce dispositif imaginé par Jean-Paul Bailly en 1996 se fixe l’objectif de
traiter le mieux possible la continuité des services. «La meilleure réponse était
dans la qualité du dialogue social. Lorsque l’on sentait monter une situation
conflictuelle, on offrait la possibilité aux syndicats ou aux gestionnaires
d’émettre un signal d’alarme». Concrètement, il oblige les deux parties en
conflit à se rencontrer en présence d’une situation conflictuelle 15 jours avant le
dépôt éventuel d’un préavis de grève. Ces discussions mènent à des conclusions
d’accord ou de désaccords qui sont alors publiées en interne. La publication des
conclusions auprès des collaborateurs évite aussi les erreurs d’interprétation de
l’une des parties présente lors des négociations. «On a remarqué que le fait de
se parler, de creuser les choses suffisait souvent à désamorcer le conflit. Depuis
cette date-là, il n’y a plus eu de grève sans un service minimum».
La méthode porte ses fruits. Celle-ci responsabilise tous les acteurs de
l’entreprise à l’échelle locale et évite qu’ils ne doivent remonter auprès de la
direction générale pour qu’une revendication soit traitée. Bernard Gitler,
secrétaire général du syndicat Forces Ouvrières évoque le changement de
situation à la RATP : « Avant, on disait il y a des grèves partout… Lorsque des
choses ne vont pas, on demande 1x, 2x, 3x, le chef ne pouvait pas répondre
parce qu’il n’avait pas les moyens et ne voulait pas que cela remonte au-dessus.
Si ça remontait, avant que cela ne revienne, t’avais le temps… Cela se terminait
86
par une action de grève. Avec l’alarme sociale, la décentralisation
responsabilise le chef qui a des moyens et doit répondre à nos préoccupations.
Les choses se négocient en respectant des délais ».
Cette innovation constituera une étape importante dans l’histoire de la RATP.
Elle permettra aussi à Jean-Paul Bailly de régler la question du service
minimum non-soutenue par le gouvernement en 1992.
Selon un rapport parlementaire du Sénat sur l’alarme sociale : « Le protocole
d'accord qui a été mis en place à compter du 11 juin 1996 à la RATP est
exemplaire puisqu'il a permis de réduire le nombre de préavis de grève de 800
par an dans les années 1980 à près de 200 par an actuellement »18. L’alarme
sociale s’appliquera par ailleurs dans d’autres entreprises publiques et sera à
l’origine d’une évolution réglementaire en étant intégrée dans la Loi n° 2007-
1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public
dans les transports terrestres réguliers de voyageurs19. Depuis le 1er
janvier
2008, tout préavis de grève dans une organisation publique de transport doit
être précédé par un constat de désaccord lors du déclenchement de l’alarme
sociale. «On a anticipé l’environnement réglementaire et on l’a probablement
inspiré par cette initiative».
Dans les tabloïdes de la presse française, Jean-Paul Bailly, autrefois inconnu du
grand public, hérite même d’un qualificatif : celui de démineur social. George
Lefebvre, responsable du personnel d’une entreprise d’Etat explique le surnom
donné au dirigeant par les médias : « Il est démineur dans le sens où il attache
beaucoup d’importance aux micro-signaux pour pouvoir réagir par anticipation
aux éventuelles crises sociales. Je crois que profondément, c’est un homme qui
18
http://www.senat.fr/rap/l98-194/l98-19410.html
19 Publiée dans le Journal Officiel du 22 août 2007 - http://www.assemblee-
nationale.fr/13/dossiers/service_public_transports_terrestres.asp
87
n’aime pas le conflit et qui a une grande sensibilité aux individus. C’est cela qui
guide son action. Il va au-delà du rôle de médiateur des organisations
syndicales, il traite plutôt avec des individus au sens large et de leurs besoins à
l’échelle locale. Il n’y a rien qui le meurtrie le plus que quand l’un ou l’autre
l’accuse d’être inhumain ». Nicole Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly confirme
ces aspects relevant de la personnalité du dirigeant : « C’est quelqu’un de très
sensible dans le sens qu’il est touché par les choses mais aussi par les attaques
personnelles. Il a une personnalité sensible dans le fait qu’on peut le toucher.
Malgré tout je pense que cela fait partie de ces qualités que l’on peut attendre
d’un dirigeant ».
4.1.3.4. Le sens du compromis
L’association de l’ensemble des parties prenantes continue de dominer l’action
que mène Jean-Paul Bailly à la tête de la RATP. « Au quotidien, c’est beaucoup
d’échange et d’écoute, une manière de manager inductive ». Lorsqu’il élabore
son plan stratégique pour l’entreprise en 1997, il mobilise les organisations
syndicales, les élus locaux et tous les acteurs concernés. Il est à l’écoute de
leurs préoccupations respectives. «Cela signifiait instaurer un processus ouvert
et participatif pour arriver ensemble à définir un sens, une vision, une
ambition».
Entre temps, un changement de gouvernement intervient suite à la dissolution
de l’assemblée nationale le 21 avril 1997 par le président Jacques Chirac. Les
socialistes arrivent au pouvoir et l’on se demande si Jean-Paul Bailly ne va pas
être remplacé. Concomitamment, la légitimité du plan semble menacée. «Au
bout du compte, on l’a gardé tel quel car il n’était pas le plan d’un président et
dépassait mon engagement personnel».
88
L’absence d'étiquette politique joue en faveur du dirigeant. Jean-Pierre Sueur,
Secrétaire d’État et Sénateur PS20
partage cette observation : « Jean-Paul Bailly
a été président de la RATP avec un gouvernement de gauche comme de droite.
Il fait partie des grands commis de la République Française capable de travailler
avec tous les gouvernements. Cette culture du service public sur laquelle repose
son engagement est une nécessité absolue pour aller plus loin et être adapté au
système actuel ».
Dès lors, Jean-Paul Bailly parvient à conserver ses fonctions à la tête de
l’entreprise publique. «Je suis au service de la transformation et de la réussite
de l’entreprise, et donc, au service des Français». S’il incarne l’homme de
l’entreprise discret, loin des combats politiques, Jean-Paul Bailly se distingue
également par la longévité de sa direction et par la stabilité qui en résulte. « Il
vaut mieux être discret. On a beaucoup à y gagner. Il ne faut pas perdre de vue
qu’en tant que dirigeant du service public, on est au service. On n’est pas
propriétaire. Être au service, cela suppose une attitude. Discrétion, modestie et
humilité sont des qualités très importantes ».
Jean-Paul Bailly quittera la RATP en 2002, appelé par le gouvernement de
Jean-Pierre Raffarin à prendre de nouvelles fonctions à la tête du Groupe La
Poste.
Philosophie de management de Jean-Paul Bailly
Ma philosophie de management est fondée sur la responsabilisation, donnant
à chacun des objectifs, des leviers et des outils pour réussir, et être exigeant
sur les résultats. Cette philosophie est dite des « 3 S » et repose sur la
confiance. Elle est valable du Président au chef d’équipe.
1. Le Sens : être capable d’expliquer aux gens où nous sommes
et, où on va et pourquoi, ce que l’on attend d’eux
20
PS : Parti socialiste. Formation politique de gauche en France.
89
2. Le Soutien : créer les conditions du succès pour tous les
collaborateurs de l’équipe : la compétence, l’efficacité de
l’organisation, la qualité des outils, le cadre de travail, les
systèmes de motivation, la performance de la logistique. On
va travailler dans un cadre où les conditions soient le mieux
remplies possible pour que chacun réussisse.
3. Le Suivi : s’assurer que les résultats sont atteints. C’est la
phase d’évaluation.
4.1.3.5. Le Groupe La Poste
Si depuis le 1er
mars 2010, le Groupe La Poste est devenu une société anonyme
à capitaux publics, l’opérateur français chargé, notamment, de la distribution du
courrier, dispose d’un héritage historique long et inédit dans le monde des
entreprises.
Selon le comité pour l’histoire de La Poste, l’activité postale française aurait été
fondée vers 1476 par Louis XI21
. Son évolution s’entremêle à l’histoire du pays
puisque c’est en 1789 que l’activité postale devient un service public exploité
par l’État22
. En 1879, La Poste fait partie du Ministère des postes et télégraphes,
puis du Ministère des PTT, l’administration publique d’État chargée des Postes
Télégrammes et Téléphone. C’est en 199123
que La Poste acquiert finalement le
statut d’exploitant autonome de droit public. Le président de l’observatoire
21
Appelé aussi « La Poste aux chevaux », puis Union postale universelle en 1878
22 C’est en 1801 que l’arrêté du 27 prairial en IX réaffirme ce monopole d’État
23 Réforme des PTT consacre à France Télécom et La Poste une personnalité juridique
90
national de la présence postale et député UMP24
Pierre Hérisson rappelle cet
héritage historique : « La Poste a plusieurs centaines d’années, elle a toujours
assumé sa mission, même en période troublée. En 14-18, le parlement crée les
chèques postaux et c’est le postier qui passait apporter de l’argent ou prenait les
économies des Français. En 2011, en France le facteur prête serment et
s’engage à l’éthique, l’honnêteté et la confidentialité. Il y a une confiance
naturelle entre les citoyens et les postiers. Cette confiance ne se décide pas, elle
s’acquière au fil du temps ».
Le Groupe La Poste25
est actuellement structuré autour des quatre activités
suivantes : Courrier, Colis/Express, Banque Postale et Enseigne. En 2010,
l’entreprise a accueilli chaque jour 2 millions de clients dans l’un des 17 000
points de contact répartis sur l’ensemble du territoire français. Le Groupe La
Poste est la plus grande entreprise en France en termes d'effectif avec 276.000
collaborateurs. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 20.9 milliards d’euros en
2010.
Au moment de sa nomination au Groupe La Poste par le décret ministériel du
18 septembre 2002, Jean-Paul Bailly qualifie l’entreprise comme étant menacée
par des retards de compétitivité et fragilisée par de nombreux handicaps. En
plus d’être frappée par une baisse constante des volumes du courrier, son
activité historique, l’entreprise devra également se préparer à la libéralisation
complète du marché postal fixée au 1er
janvier 2011. À partir de cette date, La
Poste perdra son dernier monopole, celui de la distribution des lettres de moins
de 50 grammes. À cette époque, George Lefebvre, occupe la position de
Directeur des ressources humaines. Il décrit cet état des lieux dans lequel se
trouve l’entreprise publique : « La situation était très pessimiste, un manque de
capacité pour nous moderniser dû au résultat d’exploitation limité et l’État ne
24
UMP : Union pour un mouvement populaire, parti politique français de droite.
25 Indications basées sur le rapport annuel 2010
91
nous aidant pas plus ». Fidèle à son entreprise depuis 1970, George Lefebvre ne
manque pas de rappeler les attentes exprimées envers le dirigeant : « La
visibilité stratégique était plus qu’incertaine. On n’avait pas réussi à bâtir un
plan stratégique avec les prédécesseurs. Quand on commençait, on sentait que
le dirigeant se sentait déstabilisé. Il fallait non seulement arriver à arrêter une
vision stratégique mais aussi parvenir à la déployer ensuite. La maison attendait
son successeur… ».
4.1.3.6. Diagnostic organisationnel
Les défis de transformation sont nombreux pour l’entreprise de service. Les
structures et les modes de fonctionnement du Groupe La Poste s’appuient sur le
modèle des administrations publiques françaises. « Chaque branche du groupe
est quasiment la taille d’une entreprise du CAC40. Il fallait les traiter comme
telle et non pas avec une vision qui restait administrative ». Jean-Paul Bailly se
donne pour mission de moderniser l’entreprise et de la ramener sur le chemin
de la performance. «Tout le monde était inquiet sur l’avenir. Il fallait traiter le
Groupe La Poste comme une entreprise et sortir d’une vision essentiellement
administrative».
En 2002, le nouveau président-directeur général est appelé à trouver des
réponses à une série d’enjeux stratégiques selon la presse économique26
:
Comment restructurer l’activité courrier en décroissance constante ? Quel statut
pour les services financiers de La Poste ? Comment parvenir à dégager un
modèle économique permettant de soutenir ces défis ?
Pour parvenir à élaborer son plan stratégique, Jean-Paul Bailly va à la rencontre
des acteurs de l’entreprise qu’il écoute et essaye de comprendre. « Il faut
écouter, prendre les avis. Comme une maison, une entreprise se construit en
commençant par les fondations et non le toit ! On essaie de réfléchir à là où on
veut aller puis au chemin de construction. On peut trouver des obstacles sur sa
26
Source : les échos
92
route, alors on tente de déterminer si des éléments et/ou des acteurs peuvent
bloquer. La bonne méthode émerge, elle ne s’impose pas. La décision se
construit plutôt qu’elle ne se prend ».
Au moment d’établir son diagnostic, Jean-Paul Bailly consulte, s’informe et
souhaite dégager des réponses à partir des préoccupations de ses parties
prenantes. L’un des dirigeants du Groupe La Poste rejoint l’équipe de direction
et accompagne Jean-Paul Bailly notamment sur les questions de stratégie : « Il
ne cherchait pas à s’imposer par un rapport de force, il était beaucoup plus dans
la volonté d’établir une relation humaine, assez rare à ce niveau de dirigeant. En
même temps, c’est un bâtisseur qui vient dans les entreprises pour les
transformer sans relâche ». Ce dirigeant du Groupe La Poste conclut : « Sa
force, c’est cette conciliation entre qualité humaine d’écoute et une grande
fermeté dans la volonté de conduire le changement sans vraiment s’arrêter ».
C’est également dans une perspective de durée que Jean-Paul Bailly compose
son équipe de direction pour mener cette action de transformation. Il renouvelle
sa confiance en certains d’entre-deux et fait appel à d’autres personnes pour
renforcer cette équipe. « Je pars toujours de l’hypothèse qu’on peut travailler
avec les gens en place. Sur certaines activités, j’ai senti le besoin d’un
renouveau, d’un regard différent ». Jean-Paul Bailly recrute ces nouvelles
personnes sur base de leurs qualités relationnelles et de leurs « capacités à
bousculer les choses ». Bousculer certes, mais dans le temps. En effet, « C’est
une alchimie très progressive. Je ne suis pas un homme de rupture mais d’une
adaptation vigoureuse ». George Lefebvre sera confirmé dans ses fonctions de
direction des ressources humaines : « Je me mettais à sa disposition s’il voulait
faire évoluer l’entreprise. Il m’a dit qu’il n’avait pas de raison de ne pas me
faire confiance à priori et que l’on ferait le point dans 1 an. Bien qu’étant
spécialiste des RH, sa tentation aurait pu être de s’en mêler. Or, il a préféré
s’investir dans les domaines industrielles qu’il connaissait moins ».
93
4.1.3.7. Mise en œuvre de la stratégie
Après l’écoute vient le temps de l’action. Dans son premier plan, Performance
et Convergence, de 2003 à 2007, Jean-Paul Bailly adopte une série de
changements structurels au sein de l’entreprise et sensibilise les représentants
de l’État à prendre d’autres mesures d’accompagnement. « Performance était le
sujet de l’entreprise, Convergence celui de l’État ».
L’action de Jean-Paul Bailly ne s’arrête pas à l’élaboration du plan stratégique.
Il mise sur sa présence en région pour faire comprendre les enjeux et mobiliser
les énergies autour de son projet. Sans déroger de ses objectifs, il se montre
néanmoins relativement souple sur la façon d’y parvenir. « Plutôt que d’être
autoritaire, je mise sur une vision partagée. Je suis quelqu’un d’assez déterminé
sur le fond, et très flexible sur la forme ».
Proche du terrain, Jean-Paul Bailly rencontre des élus de la République, les
postiers et les cadres de l’entreprise lors de ses déplacements. Au siège du
Groupe La Poste, il reçoit tour à tour des groupes de 10 parlementaires à des
rencontres autour d’un petit déjeuner sur une base mensuelle. Le président de
l’observatoire national de la présence postale et député UMP Pierre Hérisson
décrit cette particularité : « La différence, c’est que Jean-Paul Bailly a une
approche de la relation avec les élus au motif qu’il a une culture d’entreprise
publique. Il a compris qu’il devait s’appuyer et se montrer disponible vis-à-vis
des parlementaires, conseillers généraux et maires. Quand il s’est fixé un
objectif, il est déterminé, il avance. Son souci, c’est de laisser un minimum de
gens qu’il n’a pas convaincu derrière lui. Dans une entreprise publique, ce n’est
pas un conseil d’administration que vous devez convaincre mais d’abord
l’ensemble des acteurs ». Jean-Paul Bailly se consacre pleinement à ce travail
de communication et de pédagogie afin de convaincre et de rallier à son action
de transformation les représentants de l’État et ses 300.000 collaborateurs. «Je
suis convaincu qu’on ne perd jamais son temps à réfléchir à la stratégie, à
94
expliquer où l’on va, à la faire partager. Les gens ont compris qu’on préparait
l’avenir de l’entreprise auquel elle devait s’adapter. J’ai trouvé ici une
formidable capacité d’adhésion et de mise en œuvre du changement».
Ainsi, entre 2003 et 2007, le Groupe La Poste abandonne la structure
départementale pour une organisation de type divisionnaire dessinée autour de
3 grands métiers : le courrier, le colis et l’express, la banque. Désormais,
chaque métier se responsabilise par la conduite de projets propres et dispose
d’objectifs, de moyens et d’équipes dédiées. « Autrefois, il y avait un directeur
par département, il devait être polyvalent pour des métiers très différents… la
division permet de professionnaliser chaque branche ».
La décentralisation des activités sur trois niveaux, national, territorial et
l’établissement au lieu de cinq, s'accompagne également d’une structure
parallèle de dialogue social poursuivant une méthode bien définie dans des
accords-cadres. « Nous voulons être clairs, fermes sur les objectifs mais
flexibles sur les façons de les réaliser ». Tant les élus locaux que les syndicats
s’y retrouvent pour définir de manière concertée la manière de conduire au
mieux la transformation de l’entreprise.
D’autre part, l’État joue pleinement son rôle d’actionnaire actif pour permettre à
l’entreprise de se mettre à armes égales avec ses concurrents. « Le grand thème
c’était : nous allons faire des efforts de performance, mais nous ne pouvons pas
faire la course en tête avec des grosses chaussures et un sac à dos sur les
épaules quand tous les autres sont en survêtement avec des pointes… ». Jean-
Paul Bailly obtient deux mesures importantes des représentants politiques : le
financement de la retraite des fonctionnaires et la création de la Banque Postale.
L’un des dirigeants du Groupe La Poste revient sur les contours de ce
changement de régulation : « Au début du 20e siècle, La Poste était le principal
opérateur financier en France avec les chèques postaux. Avec la montée des
banques de détail, le fonds de commerce s’est vidé. Ces derniers se sont battus
95
très fortement pour éviter la création de la Banque Postale. Grâce à une longue
bataille, Jean-Paul Bailly a réussi à obtenir le soutien du gouvernement ». Avec
près de 10 millions de clients en 2010, la Banque Postale propose désormais un
ensemble de services27
tout en assurant une mission d’accessibilité bancaire
aux personnes les plus modestes. « C’est une entreprise présente dans le marché
mais son propriétaire est public, une gouvernance où on est assez dépendant du
Parlement. Jean-Paul Bailly dispose de cette capacité d’empathie à l’égard du
pouvoir politique ».
4.1.3.8. Évaluation des performances basée sur le monitoring des résultats
Les résultats de l’action de transformation menée par Jean-Paul Bailly durant
ses deux mandats au Groupe La Poste se traduisent par une série de
changements concrets et visibles aux yeux des postiers et des représentants de
l’État. « Aujourd’hui, la grande majorité des postiers reconnaîtrait que
finalement, après 8 ans, la politique suivie a renforcé La Poste ».
L’outil logistique du courrier a été reconstruit sur la base d’un investissement
de 3 milliards échelonné de 2003 à 2010. La présence d’enseigne sur le
territoire français est repensée avec l’introduction de 7.000 points postaux en
partenariat. Il s’agit d’un partenariat avec des commerçants ou des Communes
qui continuent d’offrir le service dans certaines zones rurales. Les grands
bureaux postaux urbains bénéficient également d’une revalorisation de leurs
activités. « Nous avons finalisé la mise en place d’une transfiguration des
bureaux de Poste dans lesquels il y a un vrai accueil. Les gens sont pris en
charge avec une quasi disparition des files d’attentes. On n’entre plus dans une
administration mais dans un magasin moderne… on se sert, on va à des caisses
séparées... »
27
Parmi les services désormais proposés, citons ; le crédit immobilier, le crédit à la
consommation, l’assurance vie, dommages,santé, prévoyance, les prêts aux personnes morales
et bientôt aux collectivités territoriales.
96
Les orientations stratégiques du premier plan de 2003 à 2007 ont permis au
Groupe La Poste de rattraper en partie le retard sur ses concurrents européens
par une transformation profonde de l’organisation publique. « Nous sommes
parvenus à dégager un résultat économique permettant notre modernisation,
notre développement et l’amélioration de qualité du service ».
Le second plan de 2008 à 2011, Performance et Confiance, a permis de
favoriser une culture basée sur le résultat. Cela se traduit par la nécessité
d’atteindre à la fois une meilleure marge d’exploitation et qualité du service. Il
s’agit pour Jean-Paul Bailly de parvenir à dégager des résultats similaires sinon
supérieurs aux concurrents européens. Pour favoriser la mise en œuvre des
mesures du second plan stratégique, Jean-Paul Bailly instaure le principe de « la
feuille de route » détaillant aux dirigeants les objectifs à atteindre. George
Lefebvre, directeur des ressources humaines explique les différences : « Il y a
un système de suivi assez organisé. Chacun dispose d’une feuille de route, avec
un système de reporting et de suivi par rapport à cette feuille de route. Ce
système d’appréciation fondé sur des objectifs et des lettres de mission
n’existait pas entre les présidents précédents et les cadres-dirigeants ».
Les cadres intermédiaires sont également soumis à des évaluations. En effet,
Jean-Paul Bailly s’assure à l’atteinte des résultats via un système d’évaluation :
le monitoring du développement responsable28
. L’un des cadre-dirigeants du
Groupe La Poste explique : « Avec la décentralisation vers les métiers, les
cadres intermédiaires sont responsabilisés. Les directeurs sont évalués sur base
des résultats et beaucoup moins qu’avant sur les moyens ». Selon un autre
cadre-dirigeant, ce système d’évaluation traduirait les valeurs et la philosophie
28
Monitoring : les indicateurs de performance des rapports du Groupe La Poste sont basés sur
1) des indicateurs financiers (rapports financiers classiques – les résultats insistent sur la
répartition en fonction des branches étant donné l’investissement et les objectifs spécifique à
chacun des métiers), 2) des indicateurs sur la qualité des opérations et du service rendu (ex:
durée attente bureaux, respect délais livraison, taux de satisfaction), 3) des indicateurs sur le
rapport avec les parties prenantes (ex : nombre de bureaux, indicateurs de diversité,
environnementaux, part de salariés permanents) - Voir résultats Annexe 2
97
de management du président-directeur général : « Il délègue, fait confiance et
ne donne pas l’impression de contrôler. Cela dit, il sait ce qui se passe. Les
résultats, il les connaît, il les voit. Il a tout un tas de réseau d’informations qui
lui reviennent de partout donc il sait très bien ce qui se passe. La base de la
relation, c’est la confiance ».
4.1.3.9. Instaurer une relation de confiance sur le long terme
Entre la direction générale du Groupe La Poste et de la RATP, Jean-Paul Bailly
perçoit un certain nombre de similitudes issues de sa philosophie de
management (Voir en Annexe 1). «L’atteinte des résultats a été possible parce
qu’on a beaucoup travaillé sur la relation de confiance en interne, avec les élus
locaux et l’actionnaire». Jean-Paul Bailly dit aussi avoir réussi à maintenir ce
climat de confiance en tenant les engagements pris auprès de chacun. « Une
manière de progresser dans la confiance, c’est de prendre des engagements, de
les honorer et d’en rendre compte régulièrement sur la manière dont ceux-ci
sont atteints. C’est vrai pour toutes les parties prenantes ».
L’un des facteurs de succès réside dans une compréhension fine et l’articulation
des préoccupations des différents acteurs autour de la table. La bonne gestion
des temps devient alors une qualité importante d’un dirigeant d’une
organisation publique selon lui. « Le temps joue un rôle majeur et les temps des
parties prenantes ne sont pas les mêmes. Il y a un peu d’intuition dans cette
capacité à orienter au bon moment ». Si le temps des décideurs est court, du fait
des pressions financières, Jean-Paul Bailly explique que pour le corps social, le
temps est long, car il nécessite compréhension et appropriation. « Dans des
situations où la maturation est lente, il faut savoir attendre que les esprits soient
préparés. Si vous jetez une graine, il faut préparer le terrain pour que cela donne
quelque chose ». Philippe Lemoine, membre du conseil d’administration du
Groupe La Poste en sa qualité d’observateur extérieur explique que cette
capacité à gérer les temps joue un grand rôle dans la réussite des
98
transformations entreprises par Jean-Paul Bailly : « Ce qui le caractérise, c’est
d’essayer de relier en permanence les différentes préoccupations dans ses
changements. Je l’ai comparé à un très bon chef de gare où les trains
passeraient dans tous les sens avec des aiguillages. La mise en œuvre de son
management passe par une orientation stratégique partagée et un management
décentralisé. De ce fait, un tas de changement est mis en œuvre en prêtant
attention au risque de collision ».
À côté des similitudes, Jean-Paul Bailly perçoit aussi des différences entre le
Groupe La Poste et la RATP. En France, la culture du service public repose sur
3 fondements : l’universalité, la continuité et l’adaptabilité. « La culture de la
RATP est essentiellement technique. Il est particulièrement difficile de passer à
une culture de service et de qualité ». Le dirigeant a pu se rendre compte que
malgré son leadership sur le plan technique, les questions sociales venaient
ralentir l’adaptabilité de la RATP. « Les enjeux techniques comme la sécurité y
sont extrêmement forts. C’est souvent un facteur de rigidité. On a un système
qui marche et qui est sûr. Du coup, cela crée beaucoup de résistance au
changement car il y a un risque d’altérer la sécurité. Même le changement
organisationnel est redouté ».
Jean-Paul Bailly a fourni beaucoup d’efforts à trouver des solutions novatrices
pour permettre la continuité des services lorsqu’il fut dirigeant à la RATP. « À
l’inverse, La Poste est complètement tournée vers le grand public. Le facteur
rend un service individuel à chacun. La culture du service est présente ».
Au Groupe La Poste, Jean-Paul Bailly s’appuie alors sur les attentes et la
satisfaction des clients pour faire évoluer l’entreprise. « Lorsqu’il y a une
relation de face à face, les entreprises sont fondamentalement plus à même
d’adhérer à la nécessité de s’adapter à l’évolution des attentes et des
comportements d’une clientèle ». En observant la transformation des
organisations publiques, George Lefebvre, directeur des ressources humaines
99
insiste sur la capacité de Jean-Paul Bailly à intégrer l’héritage du Groupe La
Poste : « La transformation des métiers a pu être conduite en profondeur grâce à
un mode de management responsabilisant fondé sur des objectifs. Cela a permis
d’intervenir de manière séquentielle et parallèle, ce qui autrefois était
impossible avec la centralisation. Bailly s’est attaché à respecter la culture
profonde et les valeurs de l’entreprise. Il se situe plus dans une évolution
qu’une rupture. Changer le comportement de centaines de milliers de
collaborateurs certes, mais sans y perdre son âme, sans renoncer aux valeurs du
service au plus grand nombre et du soutien aux personnes qui sont en
difficultés. ».
Si l’atteinte des résultats économiques constitue l’une de ses priorités, Jean-
Paul Bailly n’en oublie pas pour autant les valeurs attachées au service public,
la raison pour laquelle il s’est lui-même consacré aux entreprises d’État. Les
organisations publiques allient selon lui un équilibre entre le sens d’un service
public et l’esprit d’entreprendre. «S’il n’y a que l’un des deux, on risque de
divorcer en perdant nos valeurs ou, dans l’autre situation, on peut tomber dans
des écueils de nature administrative».
Celles et ceux qui l’ont rejoint à la direction du Groupe La Poste partagent
selon lui cette même volonté de relever les nombreux défis de transformation
du service public. « Ces gens de très grande qualité pourraient trouver des
rémunérations incomparablement plus favorables. Au contraire, ce sont des
gens qui m’ont rejoint pour des causes plus nobles. Ces gens restent parce
qu’ils sont heureux d’exercer leur talent au service de l’intérêt général ». L’un
des dirigeants du Groupe La Poste confirme cette volonté de se mettre au
service de l’intérêt général lorsqu’il fut recruté par Jean-Paul Bailly : « Ce qui
attire ceux qui viennent à La Poste, c’est d’une part que ça bouge beaucoup et
d’autre part une certaine teinture d’intérêt général. C’est ce qui me plaisait chez
Jean-Paul Bailly. D’abord quelqu’un de très simple à la fois dans les signes
extérieurs d’autorité et de richesse alors que d’autres grands PDG que j’ai pu
100
rencontrer sont extrêmement imbus d’eux-mêmes. C’est un honnête homme,
d’une grande modestie, très curieux et surtout très exigeant intellectuellement,
l’empathie et la sympathie n’excluait pas que l’on se fasse corriger en cas de
faute de raisonnement ».
Cette loyauté envers les organisations publiques qu’il s’est efforcé de
transformer constitue l’une des raisons essentielles de sa réussite selon Pierre
Hérisson, président de l’observatoire national de la présence postale et député
UMP : « Bailly s’est inscrit avec des objectifs qui ne pouvaient être réalisés à
court terme. Il a compris qu’il devait rester jusqu’à leur accomplissement. Il
s’est attaché à cette mission à tel point qu’il renonça à être ministre. L’autre
maitre mot, c’est qu’en tant que serviteur de l’État, il a réussi à assurer en
permanence la relation nécessaire à une concertation. Pour pouvoir faire
évoluer une entreprise publique, il a passé une grande partie de son temps à
concilier les différents points de vues, gouvernement, parlement, syndicats,
collectivités locales ».
4.1.3.10. Perspectives futures
L’action de transformation menée par Jean-Paul Bailly au Groupe La Poste a
permis d'accroître la performance et même de ramener l’entreprise publique
vers des résultats économiques durablement positifs, comparables aux meilleurs
concurrents et robustes dans la tempête économique et financière depuis 2008.
En 2010, la branche courrier effectue 11 milliards d’euros en chiffre d’affaires
tandis que les chiffres d’affaires des deux autres branches, colis express et
banque, sont chacun de l’ordre de 5 milliards d’euros. « C’est important que le
service public soit capable de générer les ressources nécessaires à son
fonctionnement, à sa modernisation et son développement. C’est l’intérêt du
contribuable et de la nation ».
L’accomplissement de ces engagements stratégiques a valu à Jean-Paul Bailly
la reconduction de son contrat à l’occasion d’un troisième mandat d’une durée
101
de 5 ans à la tête du Groupe La Poste29
. Il entend poursuivre son action de
modernisation tout en relevant les nouveaux défis de son plan Ambitions 2015.
« Il ne faut jamais arrêter le mouvement. Ce qui demande le plus d’énergie,
c’est de commencer à bouger. Je donne souvent l’exemple d’une fusée. Le
moment où il y a le maximum de puissance, c’est au décollage, quand elle ne
bouge pas. Au fur et à mesure qu’elle bouge, que le carburant se consomme,
que la résistance à l’air diminue, elle a besoin de moins en moins de puissance.
Une entreprise, c’est pareil. » Contrairement aux décennies précédentes, le
dirigeant de l’entreprise publique est désormais nommé sur proposition du
gouvernement qui doit ensuite obtenir l’aval des deux assemblées constituantes.
Après une période d’audition à l’Assemblée nationale et au Sénat, les députés
ont émis un avis majoritaire positif par un vote à bulletin secret30
. Nicole
Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly conclut : « Les personnes, de droite comme
de gauche ont reconnu ses qualités d’un homme honnête et intelligent, prenant
des décisions pour le bien de l’entreprise. Il a aimé être dans le service public, a
adhéré à cet état d’esprit compatible avec ses valeurs et qu’il tente de maintenir
à l’heure actuelle. C’est ainsi qu’il est devenu un grand serviteur de l’Etat,
servant le plus grand nombre le mieux possible et sans intérêts personnels ».
En se tournant vers l’avenir, Jean-Paul Bailly prédit un très bel avenir aux
services publics dans un contexte de crises récentes qui, d’après lui, mirent en
relief la nécessité d’activités régulées. Il avance toutefois un certain nombre de
conditions de réussite. Le cahier des charges devrait d’abord et avant tout être
défini correctement par les instances politiques. La deuxième condition
reposerait selon lui sur les capacités du service public à évoluer, à être en phase
avec les attentes des concitoyens. « Mon message principal : le service public
29
Le conseil d’administration du Groupe La Poste a validé ce renouvellement le 20 décembre
2010. Jean-Paul Bailly a été auditionné à l’Assemblée Nationale le 21 décembre 2010 et au
Sénat, le 12 avril 2011. Il a été renouvelé officiellement par décret ministériel en date du 14
avril 2011.
30 Si le dirigeant proposé n’obtient pas la majorité des suffrages en sa faveur, le gouvernement
est tenu de soumettre un autre candidat.
102
n’a de sens que s’il est contemporain et en phase avec les attentes de la
population. Quand on voit des difficultés dans le fonctionnement de service
public, c’est que les différentes forces qui agissent n’ont pas réussi à créer les
conditions de cette adaptation permanente à l’environnement ».
Si Jean-Paul Bailly a par contre toujours décliné les nombreuses opportunités,
qu’elles soient professionnelles ou ministérielles, c’est pour continuer, comme
au premier jour de poursuivre un idéal. « Sur le long terme, on a la capacité de
vraiment faire évoluer des choses. Une contribution moins spectaculaire, moins
médiatique mais au moins aussi authentique ».
103
Chapitre 5 : Analyse des données
Dans un premier temps, nous allons analyser les données présentées dans
l’étude de cas sur base des variables de notre cadre conceptuel. Dans un second
temps, nous discuterons les résultats de notre exploration en effectuant le lien
avec les éléments théoriques développés dans la revue de littérature. La
conceptualisation à partir de nos données nous permettra de tirer un certain
nombre d’enseignements et de répondre à notre question de recherche sous
forme de propositions.
5.1. Analyse des données du cas
L’analyse des données se basera sur cadre conceptuel proposé au chapitre 2.
DIMENSION A DIMENSION B
Diagnostic stratégique de
la transformation
Caractéristiques
du dirigeant
Mise en œuvre de la
transformation
Modèle stratégique
La capacité du
changement
stratégique
Modèle opérationnel
Enjeux du changement
selon les logiques de
l’action organisée
- Contexte
- Structure
- Culture
- Leadership
- Leviers d’action :
Légitimation
Réalisation
Appropriation
104
L’analyse du cas se fera en fonction des 5 variables retenues dans le cadre
conceptuel : 1) Contexte ; 2) Structure ; 3) Culture ; 4) Leadership ; 5) Leviers
d’actions (Appropriation, Réalisation, Légitimation). Nous compléterons notre
propos par des citations issues des entrevues menées dans le cadre de ce
mémoire.
5.1.1. Contexte
La première variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas concerne
le contexte.
En effet, nous observons dans l’étude de cas que les transformations entreprises
par Jean-Paul Bailly au sein des deux organisations publiques réfèrent à des
différents contextes externes.
À la RATP, le dirigeant prend conscience, au moment de sa prise de fonction à
la direction générale de l’entreprise publique, que la : « la capacité de
transformation de la RATP dépendait de la qualité du dialogue social ».
Le son de cloche semble quelque peu différent à son arrivée au Groupe La
Poste. Le dirigeant explique que : « la capacité de transformation de La Poste
dépendait de sa compétitivité et d’handicaps structurels ». En effet, l’entreprise
dégageait un résultat nul ou négatif tandis que plusieurs lois limitaient son
développement contrairement à ses futurs concurrents européens.
Ces deux premières indications sur le contexte particulier de ces organisations
publiques, nous ramènent à nous intéresser d’une certaine manière au contexte
plus général des entreprises détenues par l’État.
À ce titre, le dirigeant explique dans l’étude de cas, lorsqu’il parle de l’avenir
du service public, qu’en tant que serviteur de l’État, son rôle consiste à : « créer
les conditions d’une adaptation aux attentes de la population ».
105
Nous remarquons donc qu’au cours de ces transformations, Jean-Paul Bailly
centre son action sur le problème de « continuité » tandis qu’à La Poste, où il
explique éprouver moins de difficulté concernant cette continuité, il s’occupe
davantage de la question de l’adaptabilité.
Finalement, un autre élément lié au contexte ressort dans le cas, lorsque George
Lefebvre, directeur des ressources humaines au Groupe La Poste, rappelle que
la gouvernance de l’organisation publique dépend, dans la mise en œuvre de la
transformation, des lois votées par le Parlement. Donc, le dirigeant s’adressera
aux responsables politiques tant à titre de régulateur que d’actionnaire.
Ainsi, nous voyons que Jean-Paul Bailly parvient même à influencer d’une
certaine manière l’environnement réglementaire, qu’il fait évoluer. Le cas de la
transposition de la mesure de l’Alarme sociale et texte de loi ou encore la
création de la Banque Postale représente des exemples cités dans le cas.
Extrait d’un entretien :
« Un patron d’entreprise publique doit avoir encore plus que les autres des
capacités, à savoir gérer des contradictions et le degré de complexité
supérieur, par une autre nature de contrainte que ne connaissent pas les
patrons du privé, celles qui sont mises en avant par l’Etat et la nation. Si vous
ne prenez pas en compte cette dimension-là, vous ne pourrez jamais faire
bouger les choses. L’action que vous conduisez est forcée d’intégrer les
préoccupations de l’Etat. »
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
Cette première variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain
nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les
caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.
106
Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qui caractérise le
contexte d’une organisation publique, c’est l’État-lui-même. En tant que
propriétaire et régulateur des activités de ce type d’organisations, l’État
constitue en quelque sorte le contexte de la transformation.
Nous pouvons également indiquer qu’il existe, dans cette relation État-
organisation publique, et par prolongement, dirigeant, une certaine dépendance.
Cette dépendance ne peut être vue uniquement de façon déterministe. En effet,
nous voyons dans le cas qu’un dirigeant peut agir sur cette variable, en amenant
l’État à « l’accompagner » dans la mise en œuvre de la transformation. Le nom
« Performance et Convergence » du premier plan stratégique fait justement
référence, par le terme convergence, au rôle de l’État comme nous avons pu le
voir dans l’étude de cas. De plus, le dirigeant parvient à garder un minimum de
contrôle par des rapports continus avec l’État. Nous remarquons que par ses
choix, notamment des dirigeants l’État peut être à la fois conservateur, dans le
cas de la RATP, limitant le degré de transformation, ou proactif, dans le cas du
Groupe La Poste. Finalement, la capacité de transformer le contexte ne dépend
pas uniquement de la décision du dirigeant, mais davantage de sa relation à
l’État.
5.1.2. Structure
La deuxième variable sur laquelle nous nous appuierons pour analyser l’étude
de cas concerne la structure.
En effet, nous observons dans l’étude de cas que les transformations entreprises
par Jean-Paul Bailly au sein des deux organisations publiques s’appuient sur
des changements structurels.
Mentionnons d’abord une première spécificité des deux organisations
publiques : leur taille. Nous apprenons dans le cas qu’en 2010, la RATP compte
107
56.000 collaborateurs tandis qu’au Groupe La Poste, l’effectif s’élève à 276.000
personnes. La transformation touche de grands nombres et nous observons dans
le cas qu’une série d’ajustements ont été opérés dans les mécanismes
d’allocations des ressources et dans les structures de coordination.
Ainsi, l’une des mesures concerne le principe de décentralisation. Tant à la
RATP qu’au Groupe La Poste, le nombre de niveaux entre la direction et les
opérations a été réduit, passant de 9 à 3 niveaux dans le cas de la première
organisation publique et de 5 à 3 niveaux dans le second cas.
Jean-Paul Bailly décrit plus précisément les raisons qui motivèrent ces
modifications structurelles.
Dans le cas de la RATP, il explique que pour parvenir à transformer les
relations sociales, qui empêchent d’assurer la mission de service publique de
continuité des services, il tente dans un premier temps d’endiguer la
globalisation des conflits, puis dans un second temps, à créer un mécanisme
permettant d’améliorer la qualité du dialogue.
Plus concrètement, cette volonté stratégique se traduit d’un point de vue
opérationnel par les mesures ajustant les structures de l’organisation :
- Endiguer la globalisation des conflits : La politique RH
traditionnellement basée sur des critères bureaucratiques pour
l’évolution de carrière/rémunération tient compte de critères individuels
liés aux qualités et à la performance des collaborateurs. Les
collaborateurs sont donc considérés de manière individuels et non plus
collectifs.
- Améliorer la qualité du dialogue social : L’alarme sociale responsabilise
les cadres et leur donne les ressources nécessaires pour veiller et traiter
les préoccupations exprimées par leurs collaborateurs dans les
opérations courantes. Une préoccupation, reconnue désormais comme
108
étant quelque chose de légitime, est prise en charge à la source de
manière précise en suivant une procédure, évitant que les collaborateurs
non-écoutés autrefois ne doivent traduire en action, exprimant en
quelque sorte leur résistance.
Dans le cas du Groupe La Poste, Jean-Paul Bailly indique que pour parvenir à
adapter l’organisation publique aux besoins de la population et parvenir à
relever les défis futurs occasionnés par la libéralisation complète du marché
postal, il tente de restructurer l’organisation. En effet, la structure de 2002 se
base sur un héritage historique de l’organisation bureaucratique des
administrations françaises. Rappelons qu’en 1991, La Poste faisait partie d’un
ministère et qu’elle avait à sa tête un Ministre faisant partie du gouvernement.
Plus concrètement, cette volonté stratégique se traduit d’un point de vue
opérationnel par les mesures suivantes :
- Structure de coordination : groupe structuré autour de 4 divisions, dites
« métiers ». Avant l’arrivée de Jean-Paul Bailly, l’organisation publique
était structurée de façon pyramidale sur base des échelons territoriaux de
l’administration française. Avec le plan « Performance et
Convergence », la structure est divisée en branches selon les métiers du
Groupe à savoir, le courrier, le colis/express, la banque et l’enseigne des
bureaux.
- Mécanismes d’allocation des ressources : professionnalisation des
métiers. Pour parvenir à assurer la qualité des services rendus aux
citoyens et assurer l’autofinancement des activités, nous voyons dans le
cas que Jean-Paul Bailly nomme des responsables dans chacune des
business-units, disposant chacun d’une feuille de route avec des
objectifs propres aux réalités de leur environnement, un budget et une
évaluation dans l’atteinte des résultats.
109
Cette deuxième variable de l’analyse nous amène à un certain nombre
d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les
caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.
Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qui caractérise la
structure d’une organisation publique, c’est l’héritage de logiques de
fonctionnement basées sur l’organisation bureaucratique du travail. La
centralisation et les niveaux de hiérarchies élevés ont tendance à limiter la mise
en œuvre d’une transformation.
Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, ces
structures peuvent être modifiées pour permettre, notamment grâce à la
décentralisation, mais aussi par des innovations managériales dans les
mécanismes de coordination et d’allocations des ressources, la mise en œuvre
de changements « non plus séquentiels, mais parallèle ». Selon les termes du
cas. Nous préciserons également le fait que cette variable constitue celle qui
confère le plus de contrôle au dirigeant, d’où son importance dans la capacité à
permettre le changement.
5.1.3. Culture
La troisième variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas concerne
la culture.
En effet, nous observons dans l’étude de cas que la notion de culture est très
présente dans les transformations entreprises par Jean-Paul Bailly au sein des
deux organisations publiques.
Rappelons d’abord, que ce qui caractérise les deux organisations publiques,
c’est un héritage long dans l’histoire de la France. En effet, fondée en 1899, la
RATP offre ses services de transports depuis plus de 100 ans alors que la
110
gestion par l’État du service postal remonte à 1789, une période historique dans
l’histoire du pays, la Révolution Française et qui remonte à plus de 200 années.
Nous voyons dans le cas que Jean-Paul Bailly en a bien conscience. Il explique
en effet que ce qui distingue les deux organisations publiques, et aura par
conséquent une influence dans la manière d’aborder leur transformation selon
ces propos, c’est du côté de la RATP, une organisation fondée sur une culture
technique et du côté du Groupe La Poste, une entreprise reconnue pour son
service.
D’une certaine manière, nous pouvons pousser notre analyse en indiquant qu’en
étant fondée pour servir le plus grand nombre, ces organisations publiques ont
bâti leur confiance sur le savoir-faire d’un service technique, soit le
déplacement collectif de façon sécurisé pour la RATP et d’un service personnel
d’acheminement du courrier/colis de façon confidentielle. Jean-Paul Bailly
explique que ces deux organisations publiques bénéficient ainsi d’une relation
de confiance vis-à-vis de la population dans l’accomplissement de ces missions.
Ces premières indications sur la culture particulière de ces organisations
publiques, nous ramènent à nous intéresser d’une certaine manière à la façon
dont Jean-Paul Bailly a mis en œuvre ces transformations.
Ainsi, nous remarquons dans le cas que, selon les propos de Jean-Paul Bailly,
mais surtout de notre échantillon d’observateurs-témoins, le dirigeant a réussi à
entreprendre ces transformations parce qu’il avait conscience de cette culture de
service publique et propre à l’histoire de ces organisations d’État. Dès lors,
plutôt que « de renier cet héritage » selon les termes du cas, Jean-Paul Bailly a
tenté de s’appuyer sur cette culture pour parvenir à transformer les deux
organisations publiques.
En partant de la culture de service du Groupe La Poste, il explique s’être
appuyé sur la volonté des postiers de servir au mieux la population avec qui ils
111
ont une relation de proximité par leur fonction. D’une certaine manière, nous
pouvons dire que les attentes et les comportements des citoyens évoluent
(baisse du volume du courrier, augmentation des colis), ce dont les postiers ont
conscience. Dans la mise en œuvre, nous pouvons citer la réorganisation
logistique, la transformation des bureaux en magasins modernes, le
redéploiement des points postes comme des exemples de changements axés sur
la culture d’amélioration du service rendu à la population. Citons l’exemple le
plus marquant, qui est la création de la Banque Postale. L’institution tire sa
légitimité d’une culture « d’accessibilité bancaire » qui rappelons-le, fait écho
au principe d’université des missions de service public. Notre analyse nous
pousse à croire que c’est en se basant sur cette variable culturelle, que Jean-Paul
Bailly a réussi à convaincre les pouvoirs publics de permettre cette création
malgré les pressions des banques de détail.
Dans le cas de la RATP, Jean-Paul Bailly explique dans la dernière partie du
cas, qu’il évalue lui-même son bilan de façon plus mitigé, une transformation
« plus difficile » à cause « de la culture essentiellement technique ». En effet,
selon le dirigeant, la crainte d’altérer la sécurité d’un système qui fonctionne en
cas de modifications. Un autre élément retient notre attention, le pouvoir des
organisations syndicales, notamment dans leur capacité à bloquer la mise en
œuvre de changements dans certaines normes partagées par les membres de
l’organisation. Il est intéressant de voir dans le cas que les organisations
syndicales occupent une place plus importante dans le cas du fait de leur rôle à
la RATP, contrairement au Groupe La Poste. Les organisations syndicales
seraient incontournables étant donné « leur pouvoir de nuisance sur la
population » en cas de grève. Pour autant une généralisation à l’ensemble du
secteur public comme une caractéristique parait illusoire étant donné la
fréquence différente entre La RATP et le Groupe La Poste.
Extraits d’entretiens :
112
«Il sait très bien qu’il y a une culture dans l’organisation publique et il sait
très bien qu’on ne pourra pas changer cette organisation en niant cette
culture. Le respect de cette culture de service public est une nécessité absolue
pour aller plus loin et être adapté au système actuel. Cela a été géré avec
davantage de respect du potentiel, qu’il est nécessaire de le respecter, car
c’est un véritable atout. Quand vous ne respectez pas l’organisation publique
pour ce qu’elle est et peut apporter, vous ne faites pas bien évoluer
l’entreprise.»
Jean-Pierre Sueur,
Député et Secrétaire d’État, Parti socialiste
« Dans le secteur privé, les organisations syndicales ont conscience que
l’entreprise est mortelle, alors que dans le secteur public, elles n’en ont pas
conscience, ou considèrent que c’est une théorie, et qu’in fine, même si
l’entreprise publique va mal, l’Etat sera toujours là pour la sauver. »
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
« La nécessité d’une adaptation vigoureuse est largement imposée par
l’environnement. Pour réussir cette transformation indispensable, il faut
s’appuyer sur les valeurs profondes dans une organisation publique. Il faut
que tout change pour que rien ne change. Il faut que l’organisation change
complètement pour rester elle-même, conformément à ce que les citoyens
attendent d’un service public contemporain, pas d’il y a 50 ans. On ne peut
rester fidèle à soi-même qu’en changeant. »
Jean-Paul Bailly
Cette troisième variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain
nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les
caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.
Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qu’une organisation
publique est caractérisée par une culture forte, liée à un héritage historique long
113
et inédit. Nous dirons également que les missions de service public, raison
d’être de ces organisations, correspondent en quelque sorte aux valeurs qui
partagent les membres de ces organisations dans l’accomplissement de leur
emploi. Nous mentionnerons également que pour rester pertinent, l’un des
piliers des missions de service public est l’adaptabilité du service rendu aux
attentes de la population.
Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, la culture
peut constituer un levier à la fois défavorable mais peut également s’avérer être
un levier favorable à la transformation d’une organisation publique. Nous
avancerons également le fait que le dirigeant a réussi la mise en œuvre des
transformations parce qu’il ne cherchait pas à aller à l’encontre des limites
rencontrées du fait de la culture organisationnelle.
5.1.4. Leadership
La quatrième variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas
concerne le leadership. Nous reviendrons plus particulièrement sur le leadership
transformationnel.
En effet, comme nous avons pu le voir dans l’analyse des variables précédentes,
le dirigeant joue un rôle moteur en créant, à partir de facteurs organisationnels,
une capacité permettant la transformation. En partant de cette idée, nous tentons
alors de dégager un certain nombre de traits relatifs au leadership
transformationnel du dirigeant que nous avons étudiés dans le cas.
Nous observons dans un premier temps que Jean-Paul Bailly a été nommé à la
direction de deux organisations publiques parce qu’il disposait d’une
connaissance du fonctionnement ainsi que d’expériences réussies. Il a été
identifié comme un leader de la transformation. Rappelons que Jean-Paul Bailly
a été systématiquement renouvelé dans ses fonctions par l’atteinte des résultats.
114
Nous voyons dans le cas que cette connaissance des caractéristiques propres
aux organisations publiques s’est développée sur plusieurs années. Jean-Paul
Bailly explique qu’il commence à se forger une philosophie de management du
secteur public au moment de son détachement à Mexico, où il est confronté aux
membres de son équipe, aux représentants politiques et aux ouvriers mexicains
dans la gestion d’un projet de construction. Il continue d’apprendre lorsqu’il
devient le responsable des Ateliers de Championnet où il découvre à cette
occasion le dialogue social avec les organisations syndicales. Finalement, Jean-
Paul Bailly parle de cristallisation de cette réflexion lorsqu’il devient Directeur
général adjoint, période durant laquelle il est initié à la pensée stratégique. Tout
au long de ces passages, le dirigeant en devenir trouve des modèles
d’inspiration tels que Paulo Norena, Jean-Michel Barnier et Christian Blanc.
Le dirigeant explique que c’est lors de cette dernière étape qu’il a été converti
au développement d’une vision stratégique, une vue d’ensemble qui permet de
relativiser et de prendre les décisions qui permettent de faire progresser
l’ensemble de l’organisation.
Ces premières indications sur le leadership, nous amène à nous intéresser d’une
certaine manière aux caractéristiques du dirigeant qui auraient un effet positif
dans la mise en œuvre ces transformations dans les organisations publiques.
Ainsi, lorsque nous nous intéressons au style de gestion du dirigeant, Jean-Paul
Bailly décrit longuement le facteur de confiance comme élément central.
L’ensemble des observateurs abordent cette notion de « management par la
confiance à priori » tout au long du cas.
D’autres traits ressortent tels que « l’éthique et les valeurs, la loyauté et
l’honnêteté » cités à 60 reprises tandis que « la simplicité, l’humilité, la
discrétion » sont des qualités mentionnées 51 fois. Nous constatons ensuite des
traits liés à « l’intelligence, la culture et le fait d’être brillant » 58 fois alors que
« le côté visionnaire » reviennent 40 fois.
115
Ensuite, nous constatons qu’un style de leadership de type authentique
constituerait un moyen d’avancer dans la confiance avec l’ensemble des parties
prenantes. Jean-Paul Bailly parviendrait à concilier, à trouver un certain
équilibre entre les diverses injonctions contradictoires en étant en quelque sorte
un conciliateur, à l’écoute et accessible, selon les termes cités dans le cas.
Plus précisément, la recherche de « consensus, compromis, d’anticipation du
conflit et de résolution par la médiation » sont cités à 85 reprises dans les
verbatims, tandis que « la proximité, la disponibilité dans le contact »
constituent d’autres éléments, lesquels reviennent à 71 occasions. Ensuite, « la
volonté de compréhension, par une considération, une attention, une
préoccupation ou une sensibilité aux autres » se retrouve 62 fois dans les
données recueillies ou encore la nécessité de « l’écoute, du dialogue » à 69
occasions.
Extrait d’un entretien :
« Très simple. Il est lui-même. Il ne joue jamais de rôle. Il sait parler avec des
gens d’un milieu simple, ou plus évolué. Il est capable de tenir sans feuille,
en restant lui-même, tout en sachant s’adapter. Il a un rapport aux gens très
naturel. Dans ce genre de boulot, il jongle avec les différentes relations avec
des gens très simples qui ont une vie très difficiles, à des gens au contraire
hyper aisés. Dans tout cela, on le reconnaît. Il reste dans le même registre.
Les gens savent bien que quand il est face à eux, il ne se transforme pas selon
les endroits. »
Nicole Oudin,
Sœur de Jean-Paul Bailly
« Il est abordable, comprend l’autre et est également loyal parce que quand
vous dites j’ai discuté avec des directeurs, le lendemain, ils avaient changé
d’avis. Quand on avait fait un deal, c’était un deal. Cela compte car vous
n’êtes jamais à l’abri d’un changement et puis vous passez pour un mec qui a
116
mal négocié et qui s’est fait avoir... »
Bernard Gitler,
Secrétaire Général du Syndicat Forces Ouvrières RATP
« Il construit avec ses interlocuteurs une relation de confiance, de telle sorte
que les gens qui l'environnent aient le sentiment qu’on peut lui faire
confiance. Il écoute les gens, prend en compte leurs préoccupations, les
respecte, leur fait confiance. En retour il reçoit de la confiance, dès lors, tout
ce qui est un obstacle au progrès dans le secteur public, soit la capacité de
tous de tout bloquer, les gens lui font confiance de sorte que les choses se
libèrent et avancent. »
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
Cette quatrième variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain
nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les
caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.
Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait qu’une organisation
publique peut être transformée sous l’impulsion d’un dirigeant. Le leader
transformationnel est identifié comme tel sur base d’expériences en
changement. Leur mise en œuvre réussie repose sur une connaissance
préliminaire et des leviers permettant d’agir sur le fonctionnement
organisationnel. Le leader transformationnel et visionnaire peut alors constituer
un réel facteur dynamique.
Nous pouvons également indiquer qu’un certain nombre de caractéristiques
psychologiques liées au style (participatif, conciliateur, accessibilité), ou à
l’attitude (simplicité, ouverture, écoute, empathie ou à la philosophie de
management (confiance, délégation). Notre constatons également qu’avant
d’être PDG, le dirigeant a été un artisan de la transformation en tant que cadre-
intermédiaire et qu’il s’appuie, au moment d’être dirigeant, sur d’autres leaders
choisis pour leur capacité « à faire bouger les choses ».
117
5.1.5. Leviers d’action
Les variables suivantes s’intéressent aux aspects liés au volet humain lors de la
mise en œuvre d’une transformation. Nous utiliserons pour analyser l’étude de
cas les variables de légitimation, réalisation et d’appropriation
Mentionnons dans un premier temps le fait que cette étude de cas a ceci
d’intéressant qu’elle décrit le récit d’un dirigeant, qui a d’abord œuvré dans la
mise en œuvre de transformations imposées par ses propres dirigeants. Jean-
Paul Bailly indique d’ailleurs dans le cas que ce n’est qu’au moment de sa
nomination en tant que directeur général adjoint qu’il a développé avec
Christian Blanc la nécessité d’adopter une vision stratégique, « Ne soyez pas
tactique » lui disait-il dans le cas.
Cet élément d’introduction nous amène tout droit aux variables que nous
analysons ici : légitimation/réalisation/appropriation. Le fait de rappeler ci-
dessus le passage de Jean-Paul Bailly par les échelons opérationnels a son
importance, étant donné que la philosophie de management qu’il s’est forgée et
qu’il décrit dans le cas, repose justement sur trois principes opérationnels.
Nous voyons dans les 3 S, soit le Sens, le Soutien et le Suivi, une dénomination
traduisant les trois variables que nous analysons. Jean-Paul Bailly indique dans
le cas, que cette philosophie de management est : « fondée sur la
responsabilisation, donnant à chacun des objectifs, des leviers et des outils pour
réussir, et être exigeants sur les résultats ».
Nous allons entrer plus en détail dans chacun des 3 enjeux liés à une
transformation selon Rondeau, et mettre en parallèle chacune des 3 variables
avec le cas.
Ainsi, dans la mise en œuvre d’une transformation, la légitimation constitue le
premier enjeu. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Sens », soit le fait :
118
« d’être capable d’expliquer aux gens où nous sommes et, où on va et pourquoi,
ce que l’on attend d’eux ».
Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly
consacre une grande partie de son temps sur le terrain à partager sa vision de la
transformation auprès d’individus. Cette vision ne représente pas une position
personnelle du dirigeant, mais est le fruit d’une activité de consultation
préalable effectué auprès de l’ensemble des parties prenantes concernées par la
transformation. D’une certaine manière, cette vision est légitimée parce qu’il
mobilise et fait participer, à la fois les collaborateurs internes et les pouvoirs
publics, étant donné qu’il s’agit d’une organisation appartenant à l’État. Cet
aspect, lié au diagnostic stratégique, est très important pour la mise en œuvre de
la transformation.
Nous pouvons citer des exemples tirés du cas comme le fait qu’à la RATP, le
premier plan stratégique n’a pas été remis en question lors du changement de
pouvoir entre un gouvernement de droite et de gauche, le plan « dépassait
largement l’engagement personnel du président ». Au Groupe La Poste, nous
pouvons citer le fait que Jean-Paul Bailly reçoive, autour de petits déjeuners
tour à tour l’ensemble des parlementaires afin de légitimer son action. La
présence en région lui permet également de partager cette vision auprès des
cadres qui mettent en œuvre cette transformation.
Ensuite, la réalisation constitue le deuxième enjeu dans la mise en œuvre d’une
transformation. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Soutien », soit le fait :
« de créer les conditions du succès pour tous les collaborateurs de l’équipe : la
compétence, l’efficacité de l’organisation, la qualité des outils, le cadre de
travail, les systèmes de motivation, la performance de la logistique. On va
travailler dans un cadre où les conditions soient le mieux remplies possible pour
que chacun réussisse ».
119
Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly
crée d’une part les structures nécessaires et qu’il mette à disposition les
ressources nécessaires pour permettre l’évolution du comportement humain lors
de la mise en œuvre des transformations.
Si ces aspects ont été en partie détaillés dans la variable liée à la structure d’un
point de vue organisationnel (voir 5.1.1.2.), nous pouvons ajouter que sur le
plan du comportement humain, Jean-Paul Bailly a été attentif à trois éléments :
le rythme, la flexibilité et la concertation dans la mise en œuvre des
transformations. Nous pensons, d’après notre analyse des données, que ce sont
les expériences opérationnelles à la RATP, tels que la transformation des
Ateliers de Championnet qui participent au fait que le dirigeant soit sensibilisé
aux réalités opérationnelles auxquelles sont confrontées les cadres chargés de
traduire la transformation en action.
Nous pouvons citer des exemples tirés du cas comme le fait que Jean-Paul
Bailly explique qu’il est « clair, ferme sur les objectifs mais flexibles sur les
façons de les réaliser », que « dans des situations où la maturation est lente, il
faut savoir attendre que les esprits soient préparés » et finalement la mise en
place, à chaque niveau hiérarchique, de « structure parallèle de dialogue social
poursuivant une méthode bien définie dans des accords-cadres » pour favoriser
la concertation.
Finalement, dans la mise en œuvre d’une transformation, l’appropriation
constitue le troisième enjeu. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Suivi »,
soit le fait : « de s’assurer que les résultats sont atteints. C’est la phase
d’évaluation ».
Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly
soit attentif aux impacts et aux résultats concrets de son action. De manière
générale, l’étude de cas nous permet de voir par exemple que les effets de la
transformation à la RATP par la diminution des préavis de grèves, de 800 à 200
120
et au Groupe La Poste en renouant avec la compétitivité et en devant le
deuxième opérateur sur le marché Européen sur base d’un chiffre d’affaires de
20,9 milliards d’euro. Rappelons que le dirigeant a mis en place une série
d’indicateurs (monitoring) pour s’assurer de l’atteinte des résultats alors
qu’avant son arrivée la logique consistait à ne pas dépasser des moyens alloués.
Au-delà de ces indicateurs, nous pouvons citer des exemples plus frappants
tirés du cas. En effet, Jean-Paul Bailly explique que sa philosophie de
management repose sur la confiance et que par conséquent, la seule manière de
progresser dans cette confiance, que ce soit par rapport aux collaborateurs de
l’entreprise ou vis-à-vis des pouvoirs publics, c’est de tenir ses engagements et
d’en rendre compte sur base de l’atteinte par les résultats. Le « dialogue et la
fermeté vont de pair » lorsqu’il s’agit des résultats dit-il avoir appris. C’est
également dans une perspective d’amélioration continue que Jean-Paul Bailly
procède au renouvellement de certains cadres-dirigeants, qui selon ces termes
« apporteront un regard nouveau » sur la façon de réussir la mise en œuvre
d’une transformation.
Extraits d’entretiens :
« Je l’ai comparé à un très bon chef de gare qui aurait à mettre en œuvre un
programme où les trains passeraient dans tous les sens avec des aiguillages. Il
y a des tas de changements qu’il a mis en œuvre sans aucune collision. »
Philippe Lemoine,
Administrateur Groupe La Poste et Chercheur
« Je prends souvent l’exemple de l'éléphant dans un magasin de porcelaine.
Une entreprise publique, c’est un peu un magasin de porcelaine. Si vous êtes
trop brutal, vous faites beaucoup de dégâts et vous n’avancez pas. Tout l’art,
c’est d’être capable de mesurer jusqu’où il peut aller sans risquer de casser la
porcelaine, parce que sinon, le dommage est bien plus grave que le petit
121
bénéfice que l’on pouvait espérer en tirer. »
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
« Pour avancer, il faut mettre en conjonction les temps des uns et des autres.
Le temps de l’entreprise n’est pas toujours le temps des salariés et il est
rarement celui des politiques. Si vous voulez faire des réformes et des
transformations, il faut être capable de trouver ou de créer le moment où ces
différents temps sont alignés. Vous pouvez y aller. Sinon, vous pouvez
considérer que vous n’y arriverez pas. »
Jean-Paul Bailly
Ces variables de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain nombre
d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les
caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.
Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait qu’une organisation
publique est caractérisée par la conciliation des préoccupations de ses membres
tout au long de la mise en œuvre d’une transformation. En quelque sorte, nous
remarquons qu’au moment de la légitimation, le projet de transformation
s’appuie sur une vision partagée, que les destinataires sont associés au moment
de la réalisation et finalement de l’adhésion des différents acteurs qui adoptent
les nouveaux comportements. L’évaluation continue sur base de critères établis
permet de mesurer la progression et d’améliorer les résultats.
Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, en tant que
réconciliateur, ces trois enjeux liés à la mise en œuvre d’une transformation,
peuvent être facilités. Le dirigeant agit en quelque sorte comme un conciliateur,
il passe beaucoup de temps à écouter, à comprendre puis à convaincre et à
apporter le soutien nécessaires en termes de structure et de ressources aux
cadres sur le terrain.
122
5.2. Discussion et conceptualisation
Nous sommes maintenant dans la dernière phase d’analyse de notre mémoire.
Avant de nous intéresser à la suite de l’analyse qui permettra de répondre à
notre question de recherche, nous tenterons d’apporter quelques clarifications à
notre cadre conceptuel sur base des réponses à nos deux questions
complémentaires :
3) Quels sont les facteurs déterminants du changement stratégique dans le
cas d’une organisation publique ?
4) Quels sont les leviers d’action permettant la mise en œuvre du
changement stratégique dans le cas d’une organisation publique ?
Nous pouvons répondre par les éléments suivants :
1) Nous pouvons indiquer que les organisations publiques décrites dans
l’étude de cas, tendraient par les variables que nous avons analysées
dans le modèle des capacités, à décourager des initiatives de
transformation. Toutefois, un leadership transformationnel, symbolisant
en quelque sorte le dirigeant initiateur de la transformation et les cadres
intermédiaires comme des artisans soutenus, constituerait l’unique
facteur dynamique permettant le déclenchement et l’implantation d’un
changement.
2) Par son leadership axé sur la transformation, le dirigeant agit, après
diagnostic, sur les variables pour permettre la capacité de changement.
Nous pouvons indiquer, sur base de l’étude de cas, que certains leviers
sont plus efficaces étant donné les spécificités des organisations
publiques. Ainsi, les leviers d’action sur lesquels le dirigeant a le plus
de contrôle dans la mise en œuvre du changement stratégique. C’est en
123
créant des mécanismes d’anticipation basés sur la permanence du
dialogue et la prise en compte des préoccupations que le dirigeant
parvient à garder un certain contrôle sur les blocages liés à l’incertitude
du comportement des parties prenantes. Ces derniers sont associés aux 3
enjeux : vision partagée (sens), implication dans la réalisation (soutien),
mesure des résultats (suivi).
À présent, nous allons voir comment les résultats de notre exploration
permettent de comprendre les caractéristiques d’un dirigeant transformant des
organisations publiques, et ce, à la lumière de nos cinq propositions.
5.2.1. Contexte
La première variable que nous mettrons en perspective par rapport aux
informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre
conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le
contexte.
Tableau n°6 : Variable 1- Le contexte
Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques
Analyse - État propriétaire et régulateur des
activités
- État veille à l’accomplissement des
missions de service public répondant
aux attentes de la population
- Dépendance État dans la mise en
œuvre de la transformation (lois)
- Contrôle par influence : amener
l’État à accompagner la
transformation / évolution favorable
du cadre réglementaire
Cadre Impact de l’environnement sur la
performance
Évaluer la pertinence et prendre la
décision de transformation
Littérature - État organise le service et gère les
règles au nom de l’intérêt général
- Accomplissement missions
constitue la finalité de l’organisation
selon 3 principes : universalité,
continuité, adaptabilité
- Flou juridique sur l’adaptabilité :
autonomie gestion >< soumission
- Existence (Crozier)
- Transformation (Sardais)
- Entrepreneuriat (Hafsi/Bernier)
124
contrôle État
- Évolution : concurrence / rentabilité
À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre
d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du contexte de
transformation dans le secteur public.
Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que la transformation, du fait des spécificités contextuelles du
secteur public, requiert une approche particulière.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, l’impératif de
transformation ne proviendrait pas uniquement d’une dégradation de la
performance pouvant être lié à un changement dans l’environnement. L’analyse
des données présentées dans l’étude de cas tendrait à indiquer que les raisons de
cette transformation se trouveraient dans l’accomplissement du service à la
population, dits « missions de service public ». Nous avons appris que
l’adaptabilité ne correspondait qu’à un des trois principes avec l’universalité et
la continuité.
D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de
littérature, cette adaptabilité toucherait aux attentes du citoyen certes, mais, des
changements contextuels plus récents tels que la libéralisation des marchés -
soit la mise en concurrence des activités délivrées par les organisations
publiques - ainsi que les contraintes budgétaires - soit l’évaluation de
l’investissement capitalistique des ressources financières de l’État - tendrait à
définir cette adaptabilité sur une base de performance.
Extrait d’un entretien :
« La Poste dispose d’un réseau d’établissement, de bureaux de postes
extrêmement important. Il est largement surdimensionné par rapport aux
critères économiques et d’environnement. N’importe quelle logique
125
d’entreprise normale conduirait à redimensionner ce réseau, même
progressivement. La contrainte supplémentaire qui est la nôtre, c’est que le
réseau des bureaux de poste est considéré par tous les élus, qu’ils soient de
gauche ou de droite, comme propriété de la nation, et quelque part,
inaliénable. Si vous ne prenez pas en compte cette dimension-là, vous ne
pourrez jamais faire bouger les choses. Voilà un exemple de contrainte qui
est particulier aux entreprises publiques. L’action que vous conduisez est
forcée d’intégrer des préoccupations de l’Etat »
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
Ensuite, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que certaines caractéristiques du dirigeant sembleraient avoir des
effets positifs sur le succès d’une transformation.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, il existerait une
dépendance de l’action du dirigeant à l’État dans l’évaluation de la pertinence et
la prise de décision de transformer. L’analyse des données présentées dans
l’étude de cas tendrait à indiquer que la nomination des dirigeants, leur
renouvellement ou leur révocation reviendrait aux instances de l’État
(gouvernement/parlement). La soumission de l’action du dirigeant à l’agenda et
aux décisions du pouvoir politique avait par ailleurs été suggérée notamment
par Santo et Verrier (2007) et Chevalier (2008) dans la revue de littérature.
Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur
contextuel ? La revue de littérature suggérait deux perspectives, celle de Crozier
où le comportement du dirigeant était défini en des termes routiniers, se
contentant de l’existence ; tandis que d’autres chercheurs tels que Sardais, Hafsi
et Bernier mettaient en avant l’existence de comportements
transformateurs/entrepreneuriaux et donc des marges de manœuvres dans
l’action du dirigeant. L’étude de cas tendrait à appuyer cette deuxième
affirmation.
126
Extrait d’un entretien :
« Dans une entreprise publique, on est en train d’évoluer, mais on restera
largement cela. Votre actionnaire est l’Etat ou essentiellement l’Etat. Il joue
un rôle double et quelque fois ambigu. Il est le régulateur du secteur dans
lequel vous œuvrez, il définit globalement les règles concurrentielles. En
même temps, il est votre actionnaire ou équivalent. C’est lui qui va aligner
votre stratégie... donc il y a quand-même un rôle. En France, on a fait évoluer
les choses avec une agence de participation de l’Etat qui joue le rôle de
l’actionnaire pour les entreprises publiques, gérant la schizophrénie d’être en
même temps le régulateur et l’actionnaire de l’entreprise. L’Etat joue un rôle
important car toutes les décisions stratégiques sont prises qu’en accord avec
lui, avec l’actionnaire, que vous retrouverez dans une autre entreprise. La
différence avec une entreprise classique, c’est que l’Etat n’a pas un
raisonnement à long-terme, avec une logique budgétaire très annuelle, et de
par l’action de l’Etat sur la nation, il peut y avoir des préoccupations de long-
terme. Les deux ne sont pas toujours faciles à concilier. Les relations avec
l’Etat sont assez complexes parce qu’il est constamment tiraillé entre le long-
terme et le court-terme budgétaire et que son raisonnement n’est pas
forcément celui d’un investisseur ».
Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP
La circonscription de ces caractéristiques nous amène à émettre la proposition
suivante :
Du fait de leur contexte particulier, la transformation des organisations publiques
viserait, non un impératif de survie, mais l’amélioration des services rendus à
l’ensemble de la population de manière continue et productive. La dépendance de
l’action du dirigeant par rapport à celle de l’État, le contraint à une stratégie
d’influence pour créer les capacités d’une transformation.
127
5.2.2. Structure
La deuxième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux
informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre
conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne la
structure.
Tableau n°7 : Variable 2- La structure
Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques
Analyse - Organisation structurée de façon
centralisée, niveaux hiérarchiques
élevés
- Organisation fondée sur des
logiques de fonctionnement
bureaucratiques pour l’allocation des
ressources
- Coordination : modification par un
design structurel
décentralisé/responsabilisant
favorisant le changement et la
concertation
- Allocations des ressources :
modification des règles
d’attributions, mécanismes de
récompenses sur base individuelle
Cadre Les structures décentralisées
favoriseraient la transformation
Établir des structures de coordination
et des mécanismes d’allocations
appropriés
Littérature - Transformation = un changement
stratégique ET structurel
- Fonctionnement bureaucratique tire
sa légitimité d’endiguer l’incertitude
liée au comportement humain
- Structures et mécanismes
complexes et cloisonnés (taille/statut
fonction publique)
- Caractère impersonnel et
déshumanisé
- Respect des règles et non
appropriation des fonctions
- Avancement ancienneté / sécurité
d’emploi
- Nominations politiques
À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre
d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos de la structure
lors de transformations dans le secteur public.
Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que la transformation, du fait des spécificités structurelles du
secteur public, requiert une approche particulière.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, la mise en place de
structure décentralisée favoriserait la transformation. L’analyse des données
128
présentées dans l’étude de cas tendrait à indiquer que cette modification des
structures nécessiterait une attention particulière du dirigeant, notamment parce
que les organisations publiques seraient fondées sur un modèle rationnellement
bureaucratique qui par son caractère rigide et stable ne s’autocorrigerait pas.
D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de
littérature, notamment par Merton (1965), Freidberg (1993) et Crozier (1971)
cette volonté, « d’auto-correction », d’adaptation permanente, notamment par
l’établissement de structures et de mécanismes de coordination plus appropriés
basés sur des critères individuels et non plus impersonnels, se heurterait lors de
sa mise en œuvre, à la réaction de ses membres et de l’État. La démission de
Christian Blanc, non-soutenu sur la question du service minimum par le
gouvernement constitue un exemple frappant du cas.
Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur
structurel ? L’étude de cas et la revue de littérature, notamment Hafsi et Bernier
(2007) et Sardais (2005, 2008), suggéraient qu’en fait, malgré ces difficultés,
certains dirigeants parviendraient à apporter des modifications structurelles
profondes. L’étude de cas tendrait à indiquer que les marges de manœuvre
seraient différentes d’une organisation publique à une autre. Contrairement au
contexte, et nous le verrons dans le point suivant, à la culture, nous avons appris
que la structure correspondait à la variable sur laquelle le dirigeant pouvait
avoir le plus de contrôle. Par ailleurs, si cette variable permettrait d’obtenir un
impact concret sur le comportement des membres de l’organisation étant donné
la redéfinition des principes de fonctionnement (ex : récompense/punition,
avancement de carrière au mérite, primes de performance), il subsiste certaines
limites par l’héritage des principes de fonctionnement établies (ex : statut de
fonctionnaire garantissant la sécurité d’emploi).
La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition
suivante :
129
Du fait des spécificités en termes de fonctionnement des organisations publiques, la
modification des structures de coordination et des mécanismes d’allocations des
ressources, contraint le dirigeant à faire preuve d’imagination, de créativité et
d’ouverture pour parvenir à un design et des mécanismes intégrant différentes
contradictions.
5.2.3. Culture
La troisième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux
informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre
conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne la
culture.
Tableau n°8 : Variable 3 - La culture
Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques
Analyse - Forte culture organisationnelle
partagée entre les membres
- Héritage historique long et inédit
- Valeurs liées aux missions de
service public
- Levier favorable : qualité du service
- Levier défavorable : continuité des
services
- Limites : aller à l’encontre de la
culture
Cadre Une culture forte accroit l’inertie Attention particulière à
l’histoire/valeurs fondamentales de
l’organisation et normes
ancrées/partagées par la majorité des
groupes
Littérature - Attachement aux missions du
service public depuis fin 19e
- Missions liées à la construction de
l’État garant de l’intérêt général
- Stabilité, forte inertie
- Caractère endogène : contenu du
changement soutenu par le dirigeant
est transformé lors de la mise en
œuvre à cause de facteurs culturels
À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre
d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos de la culture lors
de transformations dans le secteur public.
130
Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que la transformation, du fait des spécificités culturelles du secteur
public, requiert une approche particulière.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, une culture forte,
partagée par ses membres, tendrait à limiter l’impact d’une transformation.
L’analyse des données présentées dans l’étude de cas tendrait à confirmer cette
affirmation, indiquant par ailleurs que le dirigeant accorde une attention
particulière au respect des missions de service public sur lesquelles les
organisations publiques seraient fondées.
D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de
littérature, cette volonté du dirigeant se heurterait, comme l’indiquaient Langley
et Denis (2008) à propos du secteur public, au facteur endogène, soit une forme
de rejet de certains groupes de l’organisation du fait d’une modification
touchant à des normes fondamentales partagées par ses membres.
Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur
culturel ? La revue de littérature, notamment Sardais (2005, 2008) et l’étude de
cas suggéraient qu’en fait, malgré ces difficultés, certains dirigeants
parviendraient à utiliser le facteur culturel pour accomplir une transformation.
L’étude de cas tendrait à indiquer que le dirigeant peut centrer son attention sur
l’une des normes partagées. Pour parvenir à transformer le Groupe La Poste,
Jean-Paul Bailly, en centrant son attention sur l’adaptabilité, s’est en quelque
appuyé sur la culture d’excellence du service auprès des postiers et sur le
principe d’accessibilité bancaire auprès du gouvernement pour parvenir à la
création de la Banque postale. Le dirigeant dispose donc d’une capacité à
mettre en avant certains éléments culturels tels que l’accessibilité, la volonté
d’amélioration, sans aborder directement la nécessité de dégager des profits
nécessaires.
131
Extrait d’un entretien :
La France a été très structurée par le service public, pendant des siècles, cela
a été un pays jacobin, avec des rois, plus Napoléon. La révolution française a
créé une nation et un Etat. On a développé l’école républicaine, un système
de chemin de fer nationalisé, de même Air France a été longtemps comme La
Poste, appartenait comme EDF à l’Etat. On est dans une culture avec de
grandes entreprises publiques très compétitives, très fortes et très respectées.
Ça c’est l’héritage, il faut garder ce qu’il y a de beau dans celui-ci à savoir le
sens du service public, une certaine idée d’égalité, de justice et de
péréquation. Il n’y en a pas pour l’eau, le résultat, c’est que son prix est très
différent d’où vous êtes, ce qui n’est pas le cas pour l'électricité et le gaz avec
EDF. Le challenge auquel est confronté JPB, c’est comment aller de l’avant
avec la concurrence dans une société qui a une culture de service public, en
s’adaptant à ce nouveau contexte, en se disant puisqu’on a une forte culture
du personnel très compétent, une efficacité, puisque chaque facteur touche
chaque français chaque jour, comment valoriser cela dans le contexte de la
concurrence.»
Jean-Pierre Sueur,
Député, Sénateur et Secrétaire d’État, Parti Socialiste
La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition
suivante :
Du fait d’une forte culture au sein des organisations publiques, la volonté de
modifier des normes fondamentales pour accroître la capacité de transformation
entraîne des oppositions de la part des membres de l’organisation ou de l’État.
Le dirigeant peut cependant valoriser certains éléments plus que d’autres
influençant ainsi les perceptions.
5.2.4. Leadership
132
La quatrième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux
informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre
conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le
leadership.
Tableau n°9 : Variable 4 - Le leadership
Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques
Analyse - Le leadership le seul vrai facteur
dynamique
- La compréhension de la complexité
du système organisationnel permet au
dirigeant d’agir ensuite sur les autres
variables permettant la
transformation
- Vision stratégique d’ensemble
(planification) et Compréhension des
micro-signaux opérationnels (réagir
par anticipation)
- Imagination et créativité
- Loyauté et confiance
- Ouverture, flexibilité et adaptation
- Ecoute, empathie et conciliation
Cadre Leadership crédible avec expérience
et expertise faciliterait la
transformation
- Caractéristiques démographiques
connaissance/expérience
- Caractéristiques psychologiques
style/philosophie/attitude
Littérature - Mobilisation des collaborateurs
dans l’atteinte des objectifs
- Apporter du sens par le biais des
valeurs
- Soutenir les cadres chargés de la
mise en œuvre
- Transformationnel (Burns)
- Crédible (Selznick)
- Exemplaire (Collins)
- Légitime (Rondeau)
À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre
d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du leadership lors
de transformations dans le secteur public.
Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que dans les organisations, certaines caractéristiques du leadership
du dirigeant auraient un impact positif sur la transformation.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, soit le fait que les
caractéristiques psychologiques et démographiques du dirigeant pouvaient avoir
un impact positif sur la transformation, nous pouvons affirmer, sur base de
133
notre cas, que ces éléments sont d’autant plus important au sein des
organisations publiques. En effet, nous voyons dans le cas que le dirigeant
constitue en quelque sorte le facteur dynamique par son action au service de la
transformation. Ce leadership a été identifié à la fois par les dirigeants de Jean-
Paul Bailly que par les membres du gouvernement qui appelèrent le dirigeant à
prendre ces responsabilités au sein de deux organisations publiques à l’occasion
de 5 mandats.
D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de
littérature, notamment Bass (1990) et Burns (1978), un leadership de type
transformationnel, bénéficiant d’une crédibilité par la reconnaissance des
résultats de son action et le respect de ses engagements, exemplaire par son
humilité et son engagement au service des autres, parviendrait en quelque sorte
à être légitime pour mener une transformation. Une attitude centrée sur l’écoute
et la prise en considération des préoccupations des destinataires permettrait
d’endiguer les manifestations de résistances et de blocages.
Pour autant, peut-on ériger le dirigeant en des termes héroïques étant donné
l’impact positif de son leadership sur la transformation ? La revue de littérature,
notamment Selznick (1957) et Collins (2001), et l’étude de cas suggéraient
qu’en fait ces dirigeants se caractériseraient non par leur charisme mais par leur
volonté de créer une relation de confiance en étant attentif aux préoccupations
individuelles exprimées par chacun des parties prenantes. Hafsi et Bernier
(2007) parlent d’entrepreneurs systémiques, étant donné l’attention qu’ils
accordent à créer des systèmes bureaucratiques novateurs. Cette volonté se
traduit notamment par des actions de proximité ou la création de structure de
dialogue au sein des organisations publiques.
La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition
suivante :
134
Un leadership de type transformationnel, authentique et conciliateur permettrait
d’associer les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes autour du projet de
transformation d’une organisation publique. L’instauration d’un climat de confiance
avec les parties prenantes est une fonction de la durée de l’engagement du dirigeant.
5.2.5. Leviers d’action
Finalement, la cinquième variable que nous mettrons en perspective par rapport
aux informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le
cadre conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le
processus de mise en œuvre, soit les enjeux de légitimation, réalisation et
d’appropriation.
Tableau n°10 : Variable 5 – Processus de mise en œuvre
Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques
Analyse - Conciliation des préoccupations des
parties prenantes
- La mise en œuvre implique les
parties prenantes dans l’élaboration
d’une vision partagée, au moment de
la réalisation et lors de l’évaluation
des résultats
- Des structures parallèle sont
élaborées pour favoriser le dialogue
social / anticiper des conflits
- Dirigeant consacre du temps à
écouter, comprendre et trouver des
solutions conciliants les
préoccupations des différentes parties
prenantes (Consultation)
- Dirigeant consacre du temps à
communiquer, faire comprendre et
convaincre les différentes parties
prenantes le projet de transformation
(Sens)
- Dirigeant s’assure du soutien
nécessaire à la mise en œuvre
(Soutien)
- Dirigeant veille à l’atteinte des
résultats (Suivi)
Cadre Le succès de la mise en œuvre d’une
transformation passe par 3 enjeux
durant lesquels les dirigeants
apportent le soutien nécessaire aux
cadres chargés des aspects
opérationnels
- Légitimation : vision partagée et
implication des cadres
- Réalisation : structure pilotage et
ressources aux cadres
- Appropriation : conditions
incitatives et évaluation résultats en
vue d’une amélioration continue
Littérature - Le succès dans la mise en œuvre de
la transformation dans le secteur
- Engagement sur la durée :
construction par expérimentation
135
public est envisagée sur une base
évolutive et continue plutôt que
ponctuelle et de rupture
- Planifié (Volonté) vs Incrémental
(Phénomènes émergents)
- Corrélation entre préoccupations et
résistances (facteur d’inertie)
plutôt qu’une décision (complexité)
- Compréhension fine des enjeux
- Association parties prenantes :
susciter l’adhésion et mise en œuvre
du changement
À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre
d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du processus de
mise en œuvre lors de transformations dans le secteur public.
Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous
remarquons que la transformation, du fait des spécificités du processus de mise
en œuvre du secteur public, requiert une approche particulière.
En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, soit le fait que la mise
en œuvre d’une transformation passerait par trois enjeux, la légitimation, la
réalisation et l’appropriation du changement, nous constatons que le dirigeant
utilise des étapes quelque peu comparables qu’il a baptisé la philosophie des
3s : Décrire le Sens de l’objectif visé, Soutenir la mise en œuvre et le Suivi sur
base d’une évaluation des résultats.
D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de
littérature, notamment Meyer (1982) ou Van de Ven et Poole (1995), cette
volonté du dirigeant se heurterait lors de la mise en œuvre à des phénomènes
émergents non-planifiés au moment de l’élaboration d’une vision stratégique.
Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le processus de
mise en œuvre ? La revue de littérature et l’étude de cas suggéraient qu’en fait,
malgré ces difficultés, certains dirigeants parviendraient à contenir ces effets
d’une part par la qualité de leur diagnostic, avec une attention particulière à
l’évaluation des risques ; d’autre part en élaborant des mécanismes
d’anticipation tels que des structures de dialogue social.
136
Extrait d’un entretien :
C’est un homme qui sait écouter, positif, qui accorde beaucoup
d’importance au dialogue social. Il a réussi à la RATP et La Poste
parce qu’il écoute, est moderne, pragmatique, dit aux syndicats : ben
oui, vous auriez voulu que ce soit autrement, mais on est dans ce
contexte concurrentiel, si on crée la Banque Poste, c’est parce qu’il
faut s’adapter à ce nouveau contexte. Moi-même, je n’ai pas toujours
voté ce qu’il proposait au Sénat, comme par exemple privatiser La
Poste à 100%, on aurait pu garder une économie mixte. Je reconnais
dans son management, même sans avoir soutenu tout ce qu’il a
présenté, il a été moderne, efficace, il s’est adapté au nouveau contexte,
il a toujours su écouter et il a toujours accordé de l’importance au
dialogue social avec les 7 syndicats en France, il faut être patient.
Jean-Pierre Sueur,
Député, Sénateur et Secrétaire d’État, Parti Socialiste
La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition
suivante :
La mise en œuvre d’une transformation d’une organisation publique peut être définie
comme une construction artisanale permanente fragilisée par l’incertitude du
comportement des parties prenantes. Le dirigeant peut parvenir à contrôler cette
incertitude par des mécanismes d’anticipation mettant l’accent sur le maintien du
dialogue.
137
Chapitre 6 : Conclusion
L’analyse des résultats a permis de renforcer notre compréhension sur les
caractéristiques du dirigeant parvenant à transformer des organisations
publiques. Nous allons maintenant conclure ce mémoire. Cette partie sera pour
nous une occasion d’exposer les résultats, les apports conceptuels et les limites
de notre étude. Nous proposerons finalement un certain nombre de voies de
recherche qui pourraient être explorées lors de prochains travaux.
6.1. Apports de l’étude
Le présent mémoire a permis d’apporter plusieurs éclaircissements à partir
d’une recherche de type exploratoire. Notre démarche visait à répondre à la
question de recherche : Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui
parviennent à transformer les organisations publiques ?
La présentation des données sous la forme d’une étude de cas ainsi que leur
analyse sur base de 7 variables nous permettent de mieux circonscrire ces
caractéristiques et donc répondre à notre question de recherche sous la forme de
5 propositions.
La présentation des données sous forme d’une étude de cas nous a permis de
mettre en scène un dirigeant du secteur public en abordant ses origines, son
parcours académique et pour nous intéresser finalement à son cheminement
professionnel « au service de la transformation » de l’État. Nous avons vu que
lors des différentes étapes de sa vie, ce dirigeant a pu sans cesse continuer de se
former, d’apprendre et de se construire. Il est à la fois en devenir et en action,
fait preuve d’une grande adaptabilité en considérant de fait la transformation
comme une construction, supposant une perspective axée sur long terme.
138
Nous avons vu, à partir des spécificités des organisations publiques, que la mise
en œuvre d’une transformation nécessitait de fait une approche particulière.
Confronté au contexte étatique qui le nomme ou le révoque, à la présence d’une
forte culture de service public partagée par les membres de l’organisation, le
dirigeant se situe de ce fait à une interface inconfortable.
Pro
positio
n 1
Du fait de leur contexte particulier, la transformation des organisations publiques
viserait, non un impératif de survie, mais l’amélioration des services rendus à
l’ensemble de la population de manière continue et productive. La dépendance
de l’action du dirigeant par rapport à celle de l’État, le contraint à une stratégie
d’influence pour créer les capacités d’une transformation.
S’il dispose de leviers d’actions, tels que la structure, permettant de mettre en
œuvre une transformation, le dirigeant fait cependant preuve d’imagination et
de créativité pour parvenir à gérer les nombreuses contradictions. Les
mécanismes d’anticipation tels que l’alarme sociale avec les représentants du
personnel ou le principe des petits déjeuners avec les représentants de l’État lui
permettent d’impliquer l’ensemble des parties prenantes et de garder un certain
contrôle en favorisant l’instauration d’un dialogue continue.
Pro
positio
n 2
Du fait des spécificités en termes de fonctionnement des organisations publiques,
la modification des structures de coordination et des mécanismes d’allocations
des ressources, contraint le dirigeant à faire preuve d’imagination, de créativité et
d’ouverture pour parvenir à un design et des mécanismes intégrant différentes
contradictions.
Ce dirigeant reste cependant attentif en permanence à tous les micro-signaux
qui lui reviennent par son réseau d’information afin de pouvoir réagir par
anticipation. En effet, en étant à une interface inconfortable, ce dirigeant ne
saurait satisfaire tous ces parties prenantes au même moment. Il parvient en
revanche à accorder un temps à chacune d’elles.
139
Pro
positio
n 3
Du fait d’une forte culture au sein des organisations publiques, la volonté de
modifier des normes fondamentales pour accroître la capacité de transformation
entraîne des oppositions de la part des membres de l’organisation ou de l’État.
Le dirigeant peut cependant valoriser certains éléments plus que d’autres
influençant ainsi les perceptions.
Nous avons pu y voir que la transformation des organisations publiques se
réalisait à travers les parties prenantes certes, mais derrière les représentants
syndicaux, de l’État et les collaborateurs, il y a des personnes avec des
préoccupations que ce dirigeant parvient à écouter, comprendre puis réconcilier.
En faisant preuve d’empathie à l’égard des préoccupations de chacune des
parties prenantes, le dirigeant tente de perpétuer un climat de confiance, dès lors
il construit en quelque sorte un espace qui le protège.
Pro
positio
n 4
Un leadership de type transformationnel, authentique et conciliateur permettrait
d’associer les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes autour du
projet de transformation d’une organisation publique. L’instauration d’un climat
de confiance avec les parties prenantes est une fonction de la durée de
l’engagement du dirigeant.
Somme toute, ce mémoire, en abordant les aspects stratégiques et opérationnels,
rappelle que le succès de l’action d’un gestionnaire dépend en grande partie
d’une compréhension fine des facteurs clés de succès ainsi que de l’adhésion
des parties prenantes lors de la mise en œuvre.
Pro
positio
n 5
La mise en œuvre d’une transformation d’une organisation publique peut être
définie comme une construction artisanale permanente fragilisée par l’incertitude
du comportement des parties prenantes. Le dirigeant peut parvenir à contrôler
cette incertitude par des mécanismes d’anticipation mettant l’accent sur le
maintien du dialogue.
140
En comprenant les enjeux de chacun, nous avons vu que ce dirigeant parvenait
à réconcilier les différents intérêts autour d’une construction artisanale, qu’il a
lui-même bricolée et qui le protège en quelque sorte.
6.2. Limites de l’étude
Malgré ses intérêts, cette recherche possède également un certain nombre de
limites. La première critique que nous pouvions adresser concerne le fait que
nous nous basions sur un seul dirigeant comme objet d’étude. Nous pourrions
en effet considérer qu’en élargissant notre angle à plusieurs dirigeants, notre
étude aurait certainement gagné en intérêt. Dès lors, nous avons choisi une
approche historique, approfondie et longitudinale en faisant intervenir un
échantillon de convenance pour veiller à la validité de nos entretiens.
Nous avons choisi notre terrain en Europe parce qu’il nous offrait un accès
privilégié pour l’étude de notre phénomène. Malgré cet intérêt, il est vrai que la
distance géographique a ajouté un certain nombre de contraintes logistiques.
Nous nous sommes rendus sur place pour quatre entretiens et nous avons eu
recours aux nouvelles technologies de vidéo-conférence pour ce qui est des
autres. Mais force est de constater que ces moyens offrent des avantages mais
également des inconvénients : ainsi, nous n’avons pas pu mener d’observations
directes, ce qui est pourtant particulièrement important dans une démarche de
compréhension.
Par ailleurs, malgré l’étalement des entretiens sur une période de 7 mois, les
contraintes temporelles inhérentes à un mémoire de maîtrise ne nous ont pas
permis d’envisager un plus grand nombre d’entretiens. Nous avons privilégié
des entretiens dépassant systématiquement les 60 minutes, ce qui nécessite un
temps de traitement méthodique, l’ensemble ayant été retranscrit pour favoriser
la qualité de l’analyse.
141
Enfin, nous devons également mentionner que les résultats de notre étude
portent sur deux organisations d’État, ce qui implique que nos conclusions ne
pourraient pas s’appliquer unanimement à toutes les organisations publiques.
Nous pourrions dès lors vraisemblablement trouver au sein de ce secteur des
comportements qui contredisent les patterns que nous évoquons. Ne serait-ce
parce que la notion d’organisation publique peut recouvrir une diversité
hétérogène assez large, ainsi que nous l’avons mis en évidence lors de la revue
de littérature.
6.3. Pistes de recherche
Parallèlement aux limites de ce mémoire, nous pouvons entrevoir un certain
nombre de pistes de recherches à explorer dans l’avenir.
Il serait également intéressant d’analyser, en continuité de ce travail, le
leadership des dirigeants du secteur public à une plus grande échelle. Cette
étude pourrait cibler des caractéristiques dominants de ces serviteurs de l’État,
tenter de mettre en avant certaines récurrences dans leur comportement ainsi
que dans leur interaction aux autres.
En adoptant le point de vue de ce dirigeant, il serait également pertinent
d’observer parallèlement celui des destinataires sur des périodes plus précises et
moins longues. En effet, les intervenants mentionnent à plusieurs reprises les
effets dévastateurs de la transformation de France Télécom sur ses salariés.
Finalement, nous pouvons constater que les pistes de recherche portant sur la
transformation des organisations publiques sont nombreuses. Nous avons tenté
par notre modeste contribution d’apporter une petite pierre aux connaissances
encore insuffisamment explorées et pourtant nécessaires à l’évolution de nos
sociétés en quête de sens.
142
Annexes
Annexe 1 : Grille d’entretien Jean-Paul Bailly
« Jean-Paul Bailly au service de la transformation de l’Etat »
Par Ali Fadil et Taïeb Hafsi
Objectif du cas :
Faire ressortir les éléments suivants :
- Le caractère particulier de « serviteur d’Etat » en tant que valeur du dirigeant
au sein d’un service public efficace
- Les qualités d’un « serviteur de l’État »
- La volonté du dirigeant de façonner un groupe à l’image des fonctions
publiques nord-américaines alors que la tradition française n’autorise pas un
fonctionnaire d’Etat à prendre des initiatives
- L’absence de revendication et d’ambition politique du dirigeant
- La réconciliation entre les besoins personnels et les exigences de la
responsabilité
Le cas devra se conclure par une réflexion sur le fonctionnement du secteur
public, en mettant en perspective le rôle de l’Etat et le management de secteur
public.
Canevas d’entretien :
Deux dimensions : A partir des événements marquants de sa vie, une double
perspective
1. Personnelle : Une personne ne peut être comprise sans la replacer dans son
contexte
- Sa dynamique interne
- Son cadre de développement
- Son cheminement
2. Professionnelle : Observer le changement de nature en ramassant
l’information contextualisée
- Ses réalisations
- Ses décisions majeures
143
- Ses bons coups
- Ses difficultés
Trois parties :
1. Jean-Paul Bailly : La personne
2. Dirigeant stratégique : Paris, RATP - Mexico, SOFRETU
3. Meta-manager : Direction et médiation, RATP, Groupe La Poste
Questionnaire :
Méthode : Entretien semi-structuré. Question générale, très ouverte, amenant
l’individu à définir ce qui lui semble important, puis, à développer par des
relances portant sur les thématiques abordées.
1. Origines :
Parlez-nous de votre jeunesse. Quel genre de personne étiez-vous ?
Quelle relation entreteniez-vous avec vos parents ?
Contexte : Né le 29/11/1946 à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Père chef
d’entreprise, enfance à Oujda (Maroc), Épouse grande économiste
2. Polytechnique Paris :
Qu’est-ce qui vous a amené à entreprendre des études en ingénierie ?
Contexte : Lycée à paris (Louis-le-Grand) avant d’entrer à Polytechnique,
Promotion X-1965
3. MIT :
Comment s’est passée votre transition vers les États-Unis ?
Qu’est ce qui était différent de votre formation en France ? Quelles sont les
valeurs préconisées ?
En quoi ce passage a-t-il influencé la suite de votre cheminement ?
Contexte : Master of science
4. RATP de 1970 à 1978 puis 1981 à 1988
Comment êtes-vous arrivé à la RATP en 1970 ?
Pourquoi être revenu en France alors que vous obtenez un diplôme à Boston ?
144
Pourquoi débuter sa carrière dans une entreprise publique ?
Contexte : Ingénieur au plan d’entreprise (70), Ingénieur d’exploitation (88)
5. SOFRETU de 1978 à 1981
En 1978, vous êtes détaché en tant qu’ingénieur dans la construction du métro
de Mexico. Pouvez-vous nous parler de cet épisode de votre vie ?
Qu’est-ce qui différencie votre rôle à Paris de Mexico ?
Quelles sont les habiletés que vous mettez à contribution ?
Contexte : Chargé du métro de Mexico
6. Direction RATP : 1989 à 2001
Vous êtes nommé par Christian Blanc comme adjoint à la direction en 1990.
Pouvez-vous nous parler de votre cheminement avant votre arrivée 4 ans
plus tard à la tête de l’entreprise ? Y-a-t-il un lien particulier entre vous et votre prédécesseur ?
Comment êtes-vous arrivé à cette position ?
Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos réalisations ?
A quelles difficultés avez-vous fait face ?
Contexte : Directeur du personnel (89), Directeur général adjoint (90) auprès
de Christian Blanc, puis Francis Lorentz (92), PDG (94), nommé par Édouard
Balladur, Alarme sociale
7. Direction Groupe La Poste : 2002 à nos jours
A votre arrivée au Groupe La Poste, vous décrivez l’entreprise comme étant «
menacée par des retards de compétitivité et fragilisée par de nombreux
handicaps ». Quelle était votre mission ?
Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos réalisations ?
A quelles difficultés avez-vous fait face ?
Comment avez-vous préparé votre entreprise à l’ouverture du marché ?
Quels ajustements avez-vous apporté au modèle économique ?
Comment composez-vous votre équipe de direction ?
Contexte : Directeur du personnel (89), Directeur général adjoint (90) auprès
de Christian Blanc, PDG (94), Banque Postale (06), Cap Qualité courrier,
Société anonyme (2010), Même équipe
8. Management et Service public :
145
Quels rôles jouent des acteurs institutionnels comme les appareils
gouvernementaux, les associations professionnelles ou syndicales ?
Comment parvenez-vous à concilier stratégie d’entreprise et cahiers des charges
?
Comment définiriez-vous la performance dans une entreprise publique ?
Quelles sont les qualités requises pour un dirigeant ? Quel est votre style de
direction ?
Pouvez-vous nous expliquer le concept de «démineur social» ?
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes désirant devenir de bons
gestionnaires dans le secteur public ?
Contexte : Mettre en place un style de management : Méthode 3 « S » : Sens,
soutien, suivi. Formule «concertation, compromis et dialogue». Prudent:
méthode lente, patiente, sans coup d’éclat (stratégie à long terme), effacement,
discret, manœuvre en coulisse, se méfie des médias (votation), apolitique, +
dans le faire que dans le faire savoir (de terrain, connaît ses dossiers)
9. Prochain mandat :
Où vous voyez vous dans les années à venir ?
Pourquoi n’avez-vous pas exercé de responsabilités politiques ?
Comment voyez-vous le futur de votre industrie ?
Comment voyez-vous le futur du Groupe La Poste ?
Quels sont les mots qui caractérisent le mieux le Groupe La Poste aujourd’hui ?
Conclusion :
Nous vous avons posé plusieurs questions. Y a-t-il d’autres éléments que nous
n’avons pas couverts, des affaires évidentes que l’on devrait savoir sur vous,
sur ce que vous avez fait.
146
Annexe 2 : Grille d’entretien « autres répondants »
« Jean-Paul Bailly au service de la transformation de l’Etat »
Par Ali Fadil et Taïeb Hafsi
Note : certains éléments ont été retirés conformément au respect de l’avis du
CER (protection des répondants). Les questions générales ont été reprises à
partir des différents guides d’entretien individuels. Ci-dessous une compilation.
A) Le dirigeant
Comment définissez-vous son style de direction par rapport à ses prédécesseurs
et/ou successeurs ?
Comment le définiriez-vous en tant que personne au-delà du dirigeant ?
Quelles sont selon vous les qualités d’un dirigeant d’une entreprise publique ?
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes désirent devenir de bons
gestionnaires dans les entreprises publiques ?
Comment expliquez-vous qu’il soit un dirigeant apprécié ?
Quels sont ses défauts ?
B) La transformation de l’organisation publique
JPB qualifie La Poste comme menacée par des retards et de compétitivité à son
arrivée. Pourriez-vous nous parler de La Poste à cette époque ?
Comment décrivez-vous l’évolution de La Poste à travers les performances de
M. Bailly ?
Avez-vous eu assez d’espace ? Comment est JPB dans la délégation et la
responsabilisation ?
147
Qu’en est-il de la conduite de ces changements et de ses effets sur les personnes
et la culture de ces entreprises ?
Comment parvenir à garder le cap sur la stratégie lorsqu’on est entouré d’autant
d’acteurs qui viennent influencer vos projets ?
Avez-vous perçu un changement dans les relations aux syndicats avec JPB ?
Qu’est-ce qui différencie le rôle des syndicats dans une entreprise publique
plutôt que privé ?
Quels rôles jouent les appareils gouvernementaux dans la transformation de
l’entreprise publique ?
Pourriez-vous définir dans vos mots cette notion de service public ?
Qu’est ce qui est plus complexe dans la gestion de la transformation d’une
entreprise publique ?
Quels sont les aspects plus critiques dans cette gestion de la transformation ?
Comment définissez-vous la performance dans une entreprise publique ?
Comment voyez-vous l’avenir du service public ?
C) Questions liées au répondant
Pourriez-vous nous parler de vous, des choses essentielles de votre parcours ?
Comment avez-vous connu JPB ?
Pouvez-vous nous parler des relations de travail que vous entretenez avec lui ?
Êtes-vous également convié pour faire part de vos préoccupations ?
Y-a-t-il d’autres éléments dont vous voudriez nous faire part et que n’avons pas
eu l’occasion de développer ?
148
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