Clément Gérardin - TERRAIN VAGUE - Mémoire de recherche

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Clément Gérardin - Mémoire universitaire 2014, École Nationale de la Photographie. Réflexion autour de l'espace du terrain vague, des zones périphériques et des espaces au rebut. En partant du postulat selon lequel le terrain vague est un constituant et une constante de l’urbanisme occidental contemporain, la question se pose de savoir comment, de part ses propriétés urbaines, géographiques, topographiques et sociales, le terrain vague se présente comme un champ possible de création, pour nombre d’artistes de la fin du modernisme et du post-modernisme, ainsi que dans ma propre pratique photographique. Le but de ce mémoire n’est pas de dresser un catalogue exhaustif des artistes opérant à partir du terrain vague, mais davantage de montrer, en regard de ma propre pratique photographique, la diversité des créations artistiques et notamment celle ayant rapport à l’image, qui peuvent se développer en son sein au XXe et XXIe siècle en Occident.

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Mémoire de recherche en PhotographieÉcole Nationale Supérieure de la PhotographieSous la direction d’Alexandre Quoi, Maître de conférence en histoire de l’art, Université d’Aix-Marseille.

Jury : Daphné Le Sergent, Maître de conférence en arts plastiques, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis,& Marie Gautier, enseignant-chercheur, ENSP Arles.Mars 2014

Terrain Vague- Le délaissé comme générateur de création artistique -

Clément Gérardin

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Remerciements/

Je remercie Alexandre Quoi, mon Directeur de mémoire, pour son investissement et son enthousiasme à l’égard de cet essai, Christian

Gattinoni, pour ses relectures et Dominique Lemarquis, pour ses corrections orthographiques.

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Sommaire

Introduction : ......................................................................... 11

Ire partie : Lieux flottants : Interstices péri-urbains, zones, et autres terrains vagues ........................................... 25

1 / Le terrain vague : espace en flottement ...................................................252 / L’archipel fractal ..........................................................................................313 / Zone en société – Une brève histoire du terrain vague ..........................384 / Ruine et terrain vague ................................................................................455 / L’espace du désastre ..................................................................................50

IIe partie : Parcours et gestes : Le corps dans l’espace du terrain vague ..................................................... 65

1 / Hodologie : l’espace vécu .........................................................................652 / Marche et pratiques littéraires ...................................................................673 / Pratiques et usages ....................................................................................694 / Réinvestir la Zone........................................................................................73

IIIe partie : Au rebut : Pour une esthétique du tas ................................. 931 /L’espace entropique : producteur de rebuts .............................................932 / Tas, rebuts et autres déchets péri-urbains ................................................983 / Collectionner les rebuts – l’artiste en chiffonnier benjaminien ............1034 / Installations éphémères et sculpture spontanée : investir le terrain vague ................................................................................109

Conclusion ........................................................................... 115

Bibliographie........................................................................ 119

Table des Figures ................................................................. 123

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Introduction /

À la lisière de nos villes contemporaines, dans les zones péri-phériques et les replis de la cité, entre les usines et les espaces com-merciaux, on découvre, lorsque l’on y prend garde, quantité d’espaces flottants, délaissés, à l’abandon. Leurs architectures ruinées sont en-vahies par les ronces et les herbes folles, vouées à une lente déliques-cence. Ces lieux ont de nombreux noms, mais on les qualifie souvent de terrains vagues. Dans l’imaginaire collectif, pour les institutions, les urbanistes et le commun, la notion de terrain vague suscite spontané-ment l’image d’un espace à l’abandon, totalement inutile voir gênant.

Ma propre pratique photographique est mue par un vif intérêt pour ce type d’espaces délaissés. Ce qui m’amène à me poser un cer-tain nombre de questions relatives à ceux-ci, à savoir : le terrain vague est-il vraiment un espace mort, ou est-il au contraire le lieu d’un certain nombre de pratiques sociales, alternatives et péri-économiques ? Le corps entretient-il une relation particulière avec le terrain vague dans son expérience directement physique ? Enfin, ces relations possibles ne donnent-elles pas lieu à un certain nombre de pratiques artistiques dans ou à partir du terrain vague ?… Autant de questions qui seront abordées tout au long du développement de ce mémoire.

En partant du postulat selon lequel le terrain vague est un constituant et une constante de l’urbanisme occidental contempo-rain, la question se pose de savoir comment, de part ses propriétés urbaines, géographiques, topographiques et sociales, le terrain vague se présente comme un champ possible de création, pour nombre d’ar-tistes de la fin du modernisme et du post-modernisme, ainsi que dans ma propre pratique photographique.

Le but de ce mémoire n’est pas de dresser un catalogue ex-haustif des artistes opérant à partir du terrain vague, mais davantage de montrer, en regard de ma propre pratique photographique, la diversité des créations artistiques et notamment celle ayant rapport à l’image, qui peuvent se développer en son sein au XXe et XXIe siècle en Occident.

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Introduction

Nous nous arrêterons brièvement sur les fondements et les origines de ces pratiques, notamment au XIXe siècle avec l’hyper-urbanisation des villes et la révolution industrielle, puis sur l’expansion d’un modèle urbain mondialisé à la suite de la Seconde Guerre mondiale en Europe.

Dans mes photographies, j’aborde le thème du terrain vague de plusieurs manières, à travers trois de mes séries : Zones, Corps /Espace, et Rebuts. Ce mémoire se structure en conséquence autour de trois parties successives correspondant à ces séries. Elles sont fo-calisées respectivement sur l’espace du terrain vague, le rapport entre celui-ci et le corps et enfin sur les objets de rebut. Nous essayerons dans un premier temps de répondre à une nécessité définitionnelle de ce lieu en flottement qu’est le terrain vague, afin de comprendre et de circonscrire ce type d’espace, tout en cherchant à établir son his-toire possible ainsi que son rapport avec la société. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à la question du corps dans le lieu délaissé, à travers la marche notamment. Mais aussi à son exploitation péri-économique et son réinvestissement artistique par le corps et le geste. Enfin, la troisième partie de ce mémoire abordera la question de la nature entropique du terrain vague, la posture artistique du chif-fonnier induite par celui-ci, ainsi que celle du réemploi des rebuts à des fins plastiques et esthétiques.

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Série Zones

(extraits), 2012-2014, photographies argentiques

moyen-format, couleur,70 x 70 cm.

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Partie I / Lieux flottants

Ire partie / Lieux flottants : Interstices péri-urbains, zones, et autres terrains vagues

“Le chemin est tantôt simple et facile, tantôt incroyablement déroutant. La Zone est ainsi. Elle peut même sembler capricieuse. Mais en réalité, à tout moment, elle est telle que nous la concevons dans notre esprit… tout ce qui se passe ici dépend de nous, non de la Zone.”

Adreï Tarkovski, Stalker, 1979.

1 / Le terrain vague : espace en flottement

Plusieurs mots viennent à l’esprit lorsque l’on cherche à dé-signer les limites de la ville, la jonction floue entre l’espace urbain, ensemble formé par la ville, ses banlieues et l’espace extra-urbain, agreste, rural et agricole. Au sein de ce que l’on qualifie générale-ment de périphéries, d’espaces péri-urbains, de marges et de toutes les zones entourant la ville, on trouve des espaces en déshérence, à l’abandon, des friches, des délaissés et des terrains vagues. Autant de lieux infra-minces où l’exploitation et l’activité humaine ont cessé. Aussi, il paraît important de préciser chacun de ces termes, afin de bien comprendre les significations intrinsèques et les champs symboliques qu’ils recouvrent. Il semble également nécessaire de choisir une terminologie permettant de bien circonscrire le sujet et de recouvrir convenablement l’espace mis en question par ce mémoire.

Désignant tous les espaces qui côtoient directement la ville, les termes de périphérie et de péri-urbain sont trop larges et englobent à la fois les espaces morts de l’urbanisme contemporain et ceux faisant l’objet d’activités commerciales, industrielles ou agricoles en marge des villes. L’idée de zone, bien qu’elle soit trop générique, s’approche davantage de notre objet d’étude.

Quand on mentionne la périphérie, le terme de zone revient souvent, notamment sous forme de quantité de sigles génériques

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désignant différentes sortes d’espaces à but commercial, industriel, naturel, protégé ou encore à aménager… Quant à sa définition, le zonage est un procédé urbanistique de réglementation et de contrôle de l’utilisation du sol. Il consiste à diviser un territoire en zones et à attribuer à chacune des usages permis. On trouve notamment parmi elles les ZAC (zone d’aména-gement concerté), les ZUP (zone à urbaniser en priorité), les ZAD (zone d’aménagement différé), les ZI (zones industrielles) et bien d’autres encore, formant tout un vocabulaire rationalisé de la ré-partition, de l’organisation du territoire et de son aménagement. Historiquement, le terme de zone, désignant à l’ori-gine les anciennes fortifications de Paris, est également utilisé depuis le XIXe siècle pour désigner la bande de territoire, qui, en marge de la ville industrielle, abrite les marchés aux puces. Dans son livre Walkscapes - la marche comme pra-tique esthétique1, Francesco Careri, membre du groupe d’archi-tectes, d’urbanistes et d’artistes Stalker, créé en 1994, évoque la « Zonzo », un concept dérivé de celui de zone et venant de l’ex-pression italienne « andare a Zonzo », perdre son temps à errer sans but. Careri en propose ensuite une description contempo-raine : « la Zone, ce lieu exotique où règne le hasard, où l’on trouve des objets étranges et où l’on fait des rencontres inattendues. »2 Gilles Clément, quant à lui, dans un texte intitulé Euroland3, consacré au travail de la photographe Edith Roux, analyse la manière dont le concept de « délaissé » peut se dégager de celui de « zone » : « Très peu d’espaces bénéficient d’indifférence. Très peu s’épanouis-sent hors des lois territoriales. Dans la fièvre et l’incertitude le délaissé issu des ZAC et des ZUP n’intègre pas officiellement les POS, les SCOT et les PLU. Rien que pour cette raison – échapper aux glaciations du législateur – il mérite d’être regardé avec sympathie. »4

1 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, traduit de l’italien par Jerôme Orsoni, Nîmes, Editions Jacqueline Chambon, 2013. p. 185

2 . Ibid.

3 . CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, Paris, Éditions Sujet /Objet-Jean-Michel Place, 2005.

4 . Ibid.

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Partie I / Lieux flottants

Le concept de délaissé, est largement explicité par Gilles Clé-ment dans un autre de ses ouvrages, le Manifeste du Tiers Paysage5. Pour lui, le délaissé procède de l’abandon d’un terrain anciennement exploité. Son origine est multiple selon Clément : agricole, industrielle, urbaine, touristique, etc. Délaissé et friche sont à son sens synonymes. Pour l’auteur, « les délaissés concernent tous les espaces. La ville, l’in-dustrie, le tourisme produisent autant de délaissés que l’agriculture, la sylviculture et l’élevage »6. Dans le même paragraphe, Gilles Clé-ment définit également le délaissé comme tributaire d’un mode de gestion mais procédant généralement du principe d’aménagement en tant qu’espace abandonné. Il précise aussi que « en secteur urbain [les délaissés] correspondent à des terrains en attente d’affectation ou en attente d’exécution de projets suspendus aux provisionnements budgétaires, aux décisions politiques »7. Gilles Clément établit une dis-tinction entre le concept de délaissé (à l’abandon) et celui de réserve (protégée par décision de l’activité humaine). Pour lui, un territoire déclaré « réserve » d’un point de vue administratif est assorti de pro-tection, surveillance et sanctions. Un bord de route, un délaissé urbain, ne font l’objet d’aucune protection. Ce sont des lieux que l’on cherche à réduire ou à supprimer. Clément propose enfin une liste, expliquant les raisons de ce délaissement tributaire du regard porté par l’institu-tion sur une catégorie de son territoire :

« . exploitation impossible ou irrationnelle ; . exploitation non rentable ; . espace déstructuré, incommode, impraticable ; . espace de rejet, de déchets, de marge ; . espace d’insécurité ; . espace non revendicable, privé d’espérance. »8

Gilles Clément définit les espaces périphériques comme fon-damentalement indécis, formulant ainsi sa conception de la marge : « Si l’on cesse de regarder le paysage comme l’objet d’une industrie on découvre subitement - est-ce un oubli du cartographe, une négligence

5 . CLEMENT Gilles, Manifeste pour le Tiers-paysage, éditions Sujet /Objet, mai 2004.

6 . Ibid, p. 5.

7 . Id.

8 . Ibid., p. 21.

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du politique ? - une quantité d’espaces indécis, dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom. Cet ensemble n’appar-tient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges. En lisière des bois, le long des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture, là où les machines ne passent pas. Il couvre des surfaces de dimensions modestes, dispersées comme les angles perdus d’un champ ; unitaires et vastes comme les tourbières, les landes et certaines friches issues d’une déprise récente. »9

Par ailleurs, la formule synthétique que choisit Clément pour définir les lieux en désuétude est celle de Tiers Paysage, constitué pour lui de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Selon lui, ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour considé-ré comme une richesse potentielle. Mais ce terme inclus également pour lui les espaces agricoles en jachère, les portions de forêts secon-daires… C’est pourquoi nous laisserons ce terme trop large de côté.

Dans Euroland, Clément propose trois courtes définitions des termes de friche, délaissé et terrain vague. Ce dernier apparaissant manifestement comme le plus ouvert et porteur de potentialités :

« - “Friche” : chargée d’opprobre, désigne la terre aban-donnée, dénonce l’incurie, frappe l’espace d’une honte civique : en place du désordre et de la confusion le sol pourrait produire et nourrir la société. - “Délaissé” : mot commode, hissé au rang de substan-tif par le hasard des modes, porte la notion d’abandon à l’ensemble du territoire, s’immisce dans les villes, aborde les rives, les moindres linéaments, tous les petits oublis, les fissures, les plis.

9 . Op. cit., p. 4.

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- “Terrain vague” : désuet, pourtant chargé d’espoir et de rêves, n’offre plus guère de latitude aux jeux des écoles buissonnières. Mais il demeure, au moins par le vague pro-posé, un terrain des possibles. Vague-avant des villes en mouvement, le terrain vague, en proue d’une conquête, parfois aussi en dommage latéral, accompagne les avan-cées du bâti et de loin les annonce. »10

C’est cette potentialité, ce flottement contenu en germe dans l’expression terrain vague qui me fait incliner vers ce terme bien davan-tage que vers les autres, lorsqu’il s’agit d’exprimer le territoire examiné dans ce mémoire. Le dictionnaire11 explique que le terme vague vient du latin vacuus qui vient lui-même de vacare «être vide, libre». Un terrain vague est un espace qui n’est ni cultivé ni construit, dans une agglomération ou à proximité de celle-ci. L’ouvrage de Careri,Walks-capes, fournit une excellente définition du terrain vague, citant Ignasi de Solà Morales dans son article « Urbanité interstitielle » : « Le terrain vague selon la définition courante est un lieu vide de cultures et de constructions dans une ville ou un faubourg, un espace indéterminé, sans limites précises. C’est aussi un lieu apparemment oublié ou paraît prédominer la mémoire du passé sur le présent, un lieu obsolète ou certaines valeurs résiduelles se maintiennent malgré une désaffectation complète du reste de l’activité urbaine, un lieu qui est en définitive exo-gène et étrange, en retrait des circuits des structures productives de la cité, une île intérieure inhabitée, improductive et souvent dangereuse, à la fois en marge du système urbain et constituante à part entière. (…) Il apparaît enfin comme la contre image de la cité, autant dans le sens de sa critique que dans celui de l’indice de son propre dépassement. (…) La relation entre l’absence d’utilisation et le sentiment de liberté est fondamentale pour saisir toute la puissance évocatrice et para-doxale du terrain vague dans la perception de la ville contemporaine. Le vide c’est l’absence, mais aussi l’espérance, l’espace du possible. »12 De même, Jean-François Chevrier, préfaçant la série photo-

10 . CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, op. cit., p. 3.

11 . MAUBOURGUET Patrice (dir.), Le Petit Larousse Grand Format, Paris, Larousse, 1993.

12 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, , op. cit., p. 45, in DE SOLÀ MORALES Ignasi, « Urbanité interstitielle », Inter art actuel, n° 61, 1995, p. 27-28.

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graphique Ceux du Terrain13 de Marc Pataut, précise la nature du ter-rain vague : « Dans le langage du développement et de l’aménagement urbain, un terrain vague est un vide “résiduel”, une “réserve foncière”, un site plus ou moins “constructible”, la situation du terrain, ses dimen-sions, sa morphologie définissent un potentiel “d’intervention” »14. Pour Chevrier, le terrain vague est à la fois un reste d’une espèce d’espace disparu de la ville au cours de son évolution et un territoire interdit de cité, refuge naturel des exclus et des jeux interdits. C’est pourquoi le terrain vague doit, selon les détracteurs de l’auteur, être effacé, comme une tache, ou résorbé, comme une tumeur. Car, conclu celui-ci, s’il est généralement isolé, étroitement localisé, ou périphérique, il peut se diffuser par contagion et gagner toute la ville en absorbant l’espace public, comme on a pu le constater dans les downtowns américains et parfois même en Europe. L’auteur clos son article en désignant le terrain vague comme un « anti-espace public », une « manifestation parmi d’autres d’une crise de la ville industrielle, qui est aussi une crise de la ville bourgeoise. »15

La figure du terrain vague nous amène également à un autre concept majeur qui est celui de non-lieu, inévitable lorsque l’on évoque les espaces périphériques. Conceptualisé par Marc Augé dans Non-lieux – introduction à une anthropologie de la surmodernité16, celui-ci englobe tous les espaces transitoires et à but économique, tels les gares, les aéroports, les chaînes d’hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles… produits par la mondialisation et l’urbanisme occidental contemporain. D’après Augé, les non-lieux sont des espaces17 qui ne sont pas anthropologiques, « qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n’intègrent pas les lieux anciens »18. Ce ne sont pas des « lieux de mé-moire ». Augé ajoute également que « Le non-lieu est le contraire de l’uto-

13 . CHEVRIER Jean-François, « L’Intimité Territoriale », in Ne pas Plier, Ivry-sur-Seine, 1997.

14 . Ibid., p. 2.

15 . Ibid.

16 . AUGÉ Marc, Non-lieux – introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, « Librairie du XXIe siècle », 1992.

17 . Augé explicite longuement le choix du terme plus large d’« espace », se substituant à celui de « lieu », en partant des réflexions de Michel de Certeau dans L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1980.

18 . Ibid., p. 100.

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pie : il existe et il n’abrite aucune société organique »19. L’auteur le définit plutôt par exclusion : « Un espace qui ne peut se définir ni comme identi-taire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. »20 Partant de cette définition, dans l’idée d’une amplification de la thèse d’Augé, il faut inclure le terrain vague dans ce que l’on quali-fie comme non-lieu. Et ce, en tant que celui-ci est fondamentalement un espace non anthropologique, puisque n’abritant pas officiellement d’activité humaine. Il est de même non-identitaire, non-relationnel et non-historique, entrant donc parfaitement dans ce que Marc Augé ap-pelle un « non-lieu ». Plus qu’un ajout à la thèse de l’auteur, on peut poser l’hypo-thèse que le terrain vague existe au sein même de la définition plus globalisante du non-lieu dans les nouveaux espaces inaugurés par la surmodernité. Dès lors, l’idée de terrains vagues /non-lieux peut s’inclure dans la description faite par Augé d’un « monde promis à l’individualité solitaire, au passage, au provisoire et à l’éphémère »21. Cet aspect transitoire du non-lieu (et par extension du ter-rain vague), sa dimension de passage, d’un espace dans lequel on ne s’arrête pas, qui est appréhendé par le déplacement physique de la marche nous permet une connexion à un autre concept propre à l’ex-périence du terrain vague, l’hodologie, qui sera développé plus loin dans ce mémoire.

2 / L’archipel fractal

Le terrain vague existe non seulement en périphérie des villes, mais il est également présent au cœur même de l’urbanisme, occupant l’emplacement d’un bâtiment rasé, d’un chantier en cours, d’un terrain en attente d’aménagement. Il est une des constantes de l’urbanisme occidental mondialisé. Cette pensée habite le texte de Gilles Clément, Euroland, lorsqu’il déclare : « Le délaissé chinois mime celui de Vélizy ou de Mexico. Le paysage, plié aux commodités du marché et de la

19 . Ibid., p. 140.

20 . Ibid., p. 100.

21 . Ibid., p. 101.

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voiture, s’organise de la même façon, autosimilaire, sans variation notable, sans rupture d’échelle : réplique mollement déclinée d’un modèle universel de conquête. Sorte de fractale culturelle en panne de fantasme »22. Une idée que l’on retrouve dans les concepts d’archipel fractal et de dents creuses.

Par archipel fractal, Francesco Careri désigne, dans Walks-capes, tous les « vides urbains », les trous in-aménagés qui émaillent la linéarité du tissu urbain. Il montre que le vide peut être fondamen-talement conçu en temps que composante de la ville occidentale contemporaine. L’archipel fractal est « un ensemble de territoires appartenant aux suburbs, mot dont Smithson explique qu’il “signi-fie littéralement ville du dessous ” et qu’il décrit comme “un abîme circulaire entre ville et campagne, un endroit où les constructions semblent s’évanouir à notre vue, se dissoudre dans des babels ou des limbes rampantes” »23. Ces « îlots » de délaissés éparpillés dans la ville, ces dents creuses (terme désignant les vides urbains en ar-chitecture) forment la structure trouée de ce que Careri appelle la « ville diffuse ». C’est pour lui un système d’habitat suburbain de basse densité, s’étendant en formant des tissus discontinus sur de grandes aires territoriales. Il montre ainsi que le terrain vague ne se développe pas uniquement dans la périphérie, mais aussi de manière centripète, formant un maillage hétérogène dans le tissu urbain. Cette idée est également soutenue par Clément, qui écrit : « La ville produit d’autant plus de délaissés que son tissu est distendu. »24 en ajoutant que l’accroissement des villes et des axes de communica-tion conduit à l’accroissement du nombre des délaissés.

Pour illustrer cette idée d’archipel fractal et d’espaces creux, arrêtons-nous sur le travail de l’artiste Gordon Matta Clark qui, au début des années 1970, collectionne des vides et des interstices urbains avec son projet Reality Properties : Fake Estates (FIG. 1). En 1973, Matta Clark découvre que la ville de New York met

22 . CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, op.cit., p. 8.

23 . SMITHSON Robert, « A Museum of Language in the Vicinity of Art », The Wrighting of Smithson, New York University Press, 1979, p. 74-76, repris dans CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, , op. cit., p. 10.

24 . CLEMENT Gilles, Manifeste pour le Tiers-paysage, op. cit., p. 5.

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FIG. 1/ Gordon Matta Clark, Reality Properties : Fake Estates, 1973-1974 (assemblage posthume 1992), plans et photographies, 52,4 × 56,7 × 3,5 cm, Solomon R. Guggenheim Museum.

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FIG. 2 / Jacques Tati, Mon Oncle, 1958, film (montage de 4 photogrammes), 110min.

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régulièrement aux enchères des espaces inutilisables, des morceaux de terrains sans propriétaire ou repris par la ville suite à un défaut de paie-ment d’impôts locaux. Ces morceaux de ville sont le résultat d’erreurs d’arpentage, d’anomalies dans la délimitation des zonages, ou laissés à l’abandon suite à des travaux publics. L’artiste achète ainsi quinze lots dans le Queens et sur Staten Island et se constitue un portfolio de terrains vagues aux formes pour le moins incongrues. L’artiste propose une représentation de la ville comme une accumulation d’espaces résiduels inutiles d’un point de vue marchand. En achetant ainsi des espaces résiduels, Matta-Clark met en lumière une certaine dimension d’absurdité et d’incongruité de l’aménagement de la ville, conférant à des espaces morts et par son geste, une forme de pittoresque urbain.

Le film Mon Oncle (FIG.2), réalisé en 1958 par Jacques Tati, est également représentatif de la présence du terrain vague au sein même de l’espace urbain. En effet, le film est rythmé par quatre traversées successives d’un terrain vague, au beau milieu de la ville, séparant, aussi bien physiquement que métaphoriquement une ville ancienne, sale, à l’ambiance de village, parcourue par des carrioles et des vélos, d’une ville ultra-moderne, clinique, faite de building de béton et d’acier, dans laquelle ne circulent que des voitures neuves. Chez Tati, cet espace interstitiel, terrain vague habituel dans les villes françaises d’après-guerre, est un point de jonction entre deux sociétés, deux modes de vie. L’un rural, villageois, et l’autre moderne et urbain. Le personnage de Hulot, joué par Tati lui-même, apparte-nant à la première de ces deux sociétés, est justement dans une oscil-lation perpétuelle entre ces deux espaces. Le film entier interroge le devenir de cette société moderne post Seconde Guerre mondiale, en parodiant son côté froid et déshumanisé.

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La ZoneLa périphérie, le lieu, son caractère. Saisir un fragment de son essence, ou l’inventer.

Tenter de clarifier le monde, de voir clair dans sa substance, se laisser saisir par l’agencement parfait et éphémère de l’instant. Marcher en quête… de quoi ? D’un lieu, d’une scène, d’un théâtre ?

Se débarrasser du corps pour mieux habiter l’espace. Partir à la recherche de ces lieux construits un jour, dans un but précis… Des endroits qui, ont été exploités, épuisés, avant d’être abandonnés.

Partir alors en quête de cette ruine, ou presque ruine. Se laisser fasciner par l’abjection. Le lieu épuisé. Voir cette tige d’herbe qui repousse au milieu des vestiges, ou l’imaginer.

Se projeter vers la destruction. Marcher, dans un espace où d’autres ont marché, habités qu’ils étaient par un devoir, une fonction…

Revenir dans les lieux où les gens bien intentionnés ne vont pas, ne vont plus, pour quoi faire ?La Zone.

Venir flâner là ou les autres travaillent. Là où ils feraient tout pour ne pas passer leur temps libre.Attendre l’instant de silence, quand le fourmillement des occupations s’interrompt. Quand l’endroit se vide de ses activités

frénétiques et au fond si futiles.Et venir.

Observer avec curiosité les outils immobiles, les machines froides. Les bâtiments dans lesquels la poussière retombe lentement. Contempler cet endroit fait pour bruire, fait pour produire, fait pour rentabiliser, fait pour rembourser, fait pour bâtir, fait pour

transformer, fait pour vendre, fait pour creuser, fait pour occuper, fait pour développer, fait pour l’activité…La Zone.

Désertée, rejetée, cachée, désavouée. La périphérie…Arpenter la zone avec plaisir, par curiosité, par nécessité.

Qu’en faire ? Qu’en fais-je ? Sentir ces corps qui étaient là, qui seront là bientôt.

Et réinvestir l’endroit. Y disposer un geste, un instant. Chercher de nouveaux contacts, de nouvelles formes. Profiter de cette absence de corps utiles pour un instant y placer des corps inutiles. Produire pour un moment un acte artistique dans cet

espace laid, sale, bruyant, gris. Cet espace qui détruit, cet espace qui se pense utile.Qui m’attire. Qui me répugne.

La Zone. L’habiter un instant alors. imaginer un nouveau sens. Danser sur la ruine, danser sur ce qui bientôt sera ruine. Sera silence, sera

oubli. Choisir un endroit.Intégrer le geste dans l’essence du lieu. Suivre la courbe d’une machine, la ligne d’un bâtiment, la rigidité d’un pylône, la tension

d’une cheminée, la verticalité d’une usine.Profiter de l’espace, pour en faire un outil.

S’agripper à un grillage, poser ses mains sur le fer graisseux, s’arc-bouter contre une barrière métallique, une porte, un escalier… Chercher la tension… ou la simuler.

Figer ce lieu dans une autre action, une autre dimension, une autre fonction.Figer le geste. Par l’image.

Réinventer l’endroit, son identité, son usage. S’abstraire de son histoire, de son vécu, pour mieux le recréer. Ré-imaginer les formes de son architecture comme des lignes, des masses, des volumes simples. Se les approprier.

Parler pour ces formes, parler avec ces formes. Sans parler d’elles. Se passionner pour une matière, une texture, une couleur. L’affrontement du bâti et du végétal, du bâti avec le végétal. Comprendre la manière dont il empiète sur la nature, l’asservit, l’appauvrit, la dévore. Rester malgré tout hors du conflit.

Constater en spectateur impuissant. Cheminer le long du propos, suivre les voies détournées. Mais rester autour. Et finalement ne pas entrer dans le vif du sujet, ne pas même sembler s’y intéresser.

Pour dire quoi ? Pour dénoncer qui ? Pour émouvoir comment ?La Zone.

Ne pas porter cette vérité, ni cette histoire. Peut-être par lâcheté, mais pour quoi faire ? S’écarter de la valeur informative de l’image, la prendre comme un dessin, un aplat de couleur.

Se servir dans ces fragments de réalité rencontrée, là ou plus loin. Peu importe après tout.Recomposer un ensemble, une suite. Tenter des rencontres de formes, d’espaces, de gestes. Apposer deux couleurs l’une à

l’autre, enfermées dans leur cadre respectif. Appuyer des masses les unes par rapport aux autres, les unes contre les autres. Construire une structure dans laquelle les images prennent une nouvelle cohérence, une nouvelle substance. Mélanger les êtres,

les temporalités, les localités. Mélanger les gestes et les architectures. Mélanger le Sens. Mélanger le Vrai.Inventer de nouveaux lieux. De nouveaux espaces.

Des espaces de subsistances.

Clément Gerardin, La Zone, texte personnel.

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Partie I / Lieux flottants

C’est également cette jonction mince que je tente de mettre en avant dans ma série Zones, présente en ouverture de cette première partie. Ce travail, entrepris depuis 2012, rassemble des vues d’espaces périphériques, déliquescents, en marge de la ville nouvelle et de la ville ancienne. Réalisée dans un certain nombre de périphéries françaises, cette série constitue à la fois un travail de documentation d’un lieu générique de l’urbanisme occidental, jouant de cette dé-localisation géographique (Paris, Nîmes ou Caen, impossible de situer ces images) en même temps que sur une approche très frontale, sculpturale, d’élé-ments éparses de cet urbanisme en flottement.

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3 / Zone en société : Une brève histoire du terrain vague

En tant qu’il est non-identitaire, historique ou relationnel, le terrain vague est donc vécu comme un espace d’abandon et d’oubli. Il en va de même pour toutes les zones périphériques. Elles ne disposent au sens commun d’aucune reconnaissance comme territoire à part en-tière. Elles restent un des grands non-dits de la ville contemporaine, dont les architectes et urbanistes n’ont de cesse que de le faire dispa-raître et de l’oblitérer.

On peut chercher à mon sens les fondements de cette concep-tion du terrain vague, comme un accroc dans le tissu moderne de la ville, dans le mode de développement urbain mondialisé qui se répand dans la société de l’immédiate après-guerre, entre les années 1950 et 1960. En Europe, nombre de vieilles villes ont été quasiment rasées, et la Reconstruction des cités modernes se résume au surgissement de barres d’immeubles bétonnées construites à toute vitesse sur des champs de ruine, afin de reloger les populations civiles, laissées sans foyer par la guerre. Les années 1950 sont également la période d’une importante migration des populations rurales vers les villes, l’achève-ment véritable de la transition entre une société agricole et la société industrielle et post-industrielle dont nous sommes les contemporains. C’est aussi l’avènement des banlieues telles que nous les connaissons, faites de grande tours verticales ou horizontales, toujours situées à l’extrême périphérie de la ville, sans connexion directe avec celle-ci, dénuées de commerces et d’émulation sociale, et accueillant les exclus de la société et les classes sociales les plus pauvres (ouvriers, chômeurs, immigrés…). D’un point de vue générationnel, un certain nombre des enfants du baby-boom des années 1950 ont quasiment grandi dans un immense terrain vague, au sein d’immeubles neufs mais dont le pourtour n’était fait que de lieux en déshérence, dans un espace né de l’entropie et de la guerre et parallèlement en constante mutation. On peut prendre à nouveau l’exemple de Mon Oncle de Tati, la première séquence du film montrant bien cette constante du terrain vague dans l’urbanisme, à travers la déambulation d’une meute de chiens partant de la vieille ville vers la ville moderne. De même, on peut établir un parallèle avec le film Terrain Vague (FIG.3) de Marcel

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FIG. 3/ Marcel Carné, Terrain Vague, 1960, film, 102min.

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FIG. 4/ Eugène Atget, Porte d’Italie : zoniers [13ème arr], 1913, Photographie positive sur papier albuminé d’après négatif sur verre au gélatinobromure ; 16,9 x 21,8 cm, Bibliothèque nationale de France.

FIG. 5/ Robert Adams, Eden Colorado, Circa, 1968-71, épreuve gélatino-argentique, 13 x 15 cm, George Eastman House.

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Partie I / Lieux flottants

Carné, sorti en 1960 et consacré à une bande de jeunes de banlieue. Terrain Vague met en lumière le désarroi, l’ennui, les jeux et le communautarisme d’un groupe de jeunes laissés à eux-mêmes dans une des cités-dortoirs de l’après-guerre. Carné montre le bas-culement d’une banlieue de pavillons ouvriers à une banlieue faite de grands ensembles de tours impersonnelles. La bande de jeunes au cœur du film partage son temps entre une vieille usine désaf-fectée et les terrains vagues entourant les immeubles de la cité. Le film, aux problématiques étonnamment actuelles, exprime un mal-être social de ces nouvelles banlieues, qui a perduré jusqu’à nos jours, atteignant un paroxysme avec les émeutes qui ont secouées la France en automne 2005. Rétrospectivement, il montre bien l’absence d’évolution du rapport de la jeunesse à la banlieue et au terrain vague qu’elle côtoie depuis les années 1950.

En photographie, le point d’émergence de la figure du terrain vague dans l’imaginaire collectif des photographes peut se situer, en France, à partir du travail d’Eugène Atget (FIG. 4), qui, entre 1899 et 1913 réalise de nombreuses images des bidonvilles qu’abrite la zone de Paris, et de ses habitants, les zoniers. La plupart d’entre eux sont des chiffonniers, vivant de la récupération et de la revente des dé-chets de la ville. Tout au long de sa vie, Atget collectionne, classe et recense tous les petits métiers, les artisans, les marginaux, les quar-tiers pauvres et ouvriers d’une ville arrivée à un point de basculement, un bouleversement provoqué par l’expansion de l’âge industriel. De même, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux photographes vont s’attacher à documenter les nombreux bidonvilles, champs de ruine et autres terrains à l’abandon laissés par la guerre. Des photographes vers lesquels nous reviendrons plus avant dans ce mémoire.

Dans les années 1930, avec la Grande Dépression produite par la crise économique de 1929 aux États-Unis, est créée la Farm Security Administration25, et sa mission photographique, cherchant à faire un bilan objectif des conditions de vie et de travail des Américains

25 . La section photographique de la Farm Security Administration, 1935-1942, est dirigée par Roy Stryker et réunit des photographes comme Walker Evans, Dorothea Lange et Gordon Parks.

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ruraux. Des photographes comme Walker Evans ou Dorothea Lange en font partie et développent un regard aigu sur l’Amérique profonde et notamment les fermiers pauvres et les populations vivant à la péri-phérie de ses grandes villes. Leur approche, prônant un effacement du photographe au profit d’une image se voulant réaliste et tendant vers la neutralité, débouchera sur un courant photographique qualifié de « style documentaire »26.

Mais en tant que constituante à part entière de l’urbanisme moderne occidental, c’est surtout avec les Nouveaux Topographes27 aux États-Unis, réunissant des photographes comme Robert Adams (FIG. 5) ou Stephen Shore, qu’une représentation, une esthétique du péri-urbain et de la zone apparaît. L’approche critique et esthétique du territoire qu’entretiennent ces photographes dans le rapport au délais-sé, marque une étape dans le style documentaire en photographie, qui influencera un pan entier de la photographie paysagère contemporaine avec notamment en France, la Mission photographique de la DATAR28, en 1983, initiée par Bernard Latarget et François Hers. On retrouve, parmi les participants à cette mission, des photographes comme Lewis Baltz, Gabriele Basilico, Sophie Ristelhueber, Gilbert Fastenaekens ou Tom Drahos, tous s’intéressant à l’ensemble du territoire français, et notamment tous les espaces périphériques, génériques et les non-lieux produits par la post-modernité. Mentionnons aussi l’Observatoire Pho-tographique du paysage, qui depuis 1991, avec l’aide de photographes comme John Davies ou Thibault Cuisset, travaille à constituer un fond de séries photographiques qui permet d’analyser les mécanismes et les facteurs de transformations des espaces ainsi que les rôles des dif-férents acteurs qui en sont la cause de façon à orienter l’évolution du

26 . Voir à ce propos LUGON Olivier, Le style documentaire : d’August Sander à Walker Evans : 1920-1945, Paris, Macula, 2001.

27 . L’exposition New Topographics, Photographs of a Man-altered Landscape, organisée en 1975 à la George Eastman House de Rochester par William Jenkins réunissait huit photographes américains : Robert Adams, Lewis Baltz, Joe Deal, Frank Gohlke, Nicholas Nixon, John Schott, Stephen Shore et Henry Wessel Jr.

28 . La Mission visant à produire une vision générale du paysage français des années 1980. Les photographes ayant participé à la Mission de la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) étant Dominique Auerbacher, Lewis Baltz, Gabriele Basilico, Bernard Birsinger, Alain Ceccaroli, Marc Deneyer, Raymond Depardon, Despatin & Gobeli, Robert Doisneau, Tom Drahos, Philippe Dufour, Gilbert Fastenaekens, Pierre de Fenoÿl, Jean-Louis Garnell, Albert Giordan, Frank Gohlke, Yves Guillot, Werner Hannapel, François Hers, Joseph Koudelka, Suzanne Lafont, Christian Meynen, Christian Milovanoff, Vincent Monthiers, Richard Pare, Hervé Rabot, Sophie Ristelhueber et Holger Trülzsch.

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FIG. 6/ Jean-Marc Bustamante, Tableau 17.79, 1979, cibachrome, 103 x 130 cm, Edinburgh’s Fruitmarket Gallery.

FIG. 7/ Edith Roux, extrait de la série

Euroland, 2000, photographie

argentique couleur, 100 x 120

cm, Galerie Le Château d’Eau.

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paysage, qu’il soit rural, urbain ou péri-urbain.

D’un point de vue contemporain, et dans la droite ligne de ce style documentaire29, examinons le travail du photographe Jean-Marc Bustamante, avec sa série des Tableaux30(FIG.6), initiée en 1978. Il ré-alise des photographies couleur à la chambre grand-format. Ce sont principalement des paysages à la lisière des villes, à l’extrême fin de leurs banlieues. Les images de Bustamante semblent au premier coup d’oeil sans qualités, faisant montre d’une certaine platitude et s’atta-chant à de simples bâtisses en construction, à des abords de cité, des talus maigrement plantés et des herbes roussies. L’ensemble produit pourtant une puissante harmonie, les photographies étant figées dans une forme que l’artiste qualifie lui-même « d’instantanés lents ».

De même, Edith Roux, avec sa série Euroland (FIG. 7), datée de 2000 (et largement commentée par Gilles Clément31 dans son essai au titre éponyme, accompagnant la monographie de l’artiste), donne à voir la lisière entre zones commerciales bétonnées et espaces naturels en désuétude. Elle matérialise dans ses images la jonction infra-mince entre urbain et végétal, le point de démarcation entre un front de ville et ce que Gilles Clément appelle le tiers paysage. À propos de la série de Roux, Clément écrit d’ailleurs que « l’angle de vue sous lequel [la pho-tographe] montre les sites révèle un foisonnement doux et divers : utile contrepoint aux uniformes urbains, poétique de la “zone”. Le cadrage et le champ forcent le regard vers ce que l’on méprise habituellement : l’herbe. D’une façon ou d’une autre, par une approche sans rapport avec la démarche scientifique, l’univers visuel abordé ici appartient à cet ensemble diffus et fractionné que j’appelle Tiers-Paysage : frag-ment indécidé du jardin planétaire. »32

29 . Voir également les travaux photographiques de Joel Meyerowitz, Robert Adams ou Harry Callahan et plus récemment la série Le ban des utopies (2011), de Cyrille Weiner.

30 . BUSTAMANTE Jean-Marc, LAGEIRA Jacinto, Jean-Marc Bustamante, Tableaux 1978-1982, Rochechouart, MUSEE DEPARTEMENTAL DE ROCHECHOUART, 1994.

31 . CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, op.cit.

32 . CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, op.cit., p. 3.

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Partie I / Lieux flottants

Dans mon propre travail photographique également, à travers ma série Zones (dont des extraits sont reproduits en ouverture de cette première partie), je m’inscris dans cette approche post-documentaire du lieu, interrogeant par la photographie la figure du terrain-vague et du délaissé dans l’urbanisme et la société contemporaine. Réactivant à la fois les dents-creuses au cœur de l’urbain et les zones tampons à la limite de la ville, mes photographies mettent en jeu une approche très frontale et construite de l’espace et du bâti péri-urbain. À travers l’ex-ploration de zones périphériques, espaces généralisés et mondialisés de toutes les ceintures urbaines, c’est avant tout une volonté d’appro-cher l’idée de périphérie sous un angle plastique qui s’exprime ici, mais également une recherche ontologique des constituants graphiques de l’espace péri-urbain, de la déliquescence du bâti, de son essence non-fonctionnelle, désuète et brisée.

4 / Ruine et terrain vague

Écrire sur le terrain vague implique nécessairement de faire un détour par le concept de ruine, qui lui est ontologique-ment rattaché. Néanmoins, ce mémoire ne s’étendra pas outre mesure sur l’idée de ruine, celle-ci ayant été développée à de nombreuses reprises par des écrits théoriques conséquents33. Concernant la ruine, on se contentera de préciser qu’elle est en lien direct avec le terrain vague, dans la mesure où ces deux types d’espace se côtoient souvent. Une ruine est généralement entourée de terrains vagues, et on trouve des éléments épars d’architecture dans la plupart des lieux délaissés.

Le concept de terrain vague procède également de celui de ruine, dans le sens où la représentation de celle-ci dans l’histoire de l’art a contribué à l’émergence plus tardive d’une esthétique du terrain vague. On mentionnera rapidement le courant Romantique en littéra-ture, en musique et en peinture qui, partant d’Allemagne et d’Angle-

33 . Concernant le concept de ruine, voir notamment : AUGÉ Marc, Le temps en ruines, Paris, Galilée, 2003 ; LACROIX Sophie, Ce que nous disent les ruines: la fonction critique des ruines, Paris, Harmattan, 2007…

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FIG. 8/ Hubert ROBERT, Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, 1796, huile sur toile, 115 x 145 cm, Musée du Louvre.

FIG. 9/ Richard Peter, Blick vom

Rathausturm, Dresden -

1945, 1945, photographie

argentique noir et blanc, 23 x 28,4

cm, Deutsche Fotothe.

FIG. 10/ Robert Doisneau, La voiture fondue, 1944, photographie argentique noir et blanc,17,7 x 21,7 cm, Campredon Centre d’art, L’ Isle-sur-la-Sorgue.

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Partie I / Lieux flottants

terre au XVIIIe siècle et essaimant dans toute l’Europe au XIXe siècle, déclenche une véritable fascination pour la ruine et le bâti en désuétude. Le romantisme trouve dans la ruine une puissante image du mal du siècle. L’homme romantique se projette dans la ruine, il y voit comme une allégorie de sa propre existence. Une empathie avec la ruine que Chateaubriand, dans le Génie du Christianisme34, promeut en véritable esthétique : « Les ruines sont plus pittoresques que le monument frais et entier. Les ruines permettent d’ajourer les parois et de lancer au loin le regard vers les nues, les montagnes ». Selon lui donc, grâce aux ruines, par essence édifices troués par le temps, « l’horizon recule ». En ce sens la ruine serait comme la condition de possibilité, ou plus précisément, le relais du regard sur le paysage. Cette idée se retrouve notamment dans la Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines (FIG. 8), peinte par Hubert Robert (dont il était le conservateur en chef) en 1796, dans laquelle il produit une image tout a fait post-apocalytique, figurant le musée en champ de ruines, peuplé de vagabonds. Par ailleurs, le XVIIIe voit la création, par certains aristocrates influencés par le Romantisme, de parcs et de jardins tel le Désert de Retz à Chambourcy et les Folies Siffait près de Nantes. Ceux-ci intègrent des fabriques, ruines artificielles d’agrément, inspirées de l’antique et du gothique, notamment la Colonne détruite à Chambourcy, une gi-gantesque tour construite en forme de colonne grecque effondrée. Cette pratique romantique entre étonnamment en résonance avec le concept de ruine inversée, formulé par l’artiste Robert Smithson, c’est-à-dire des bâtiments directement construits à l’état de ruine, et non pas réduits à une forme de ruine avec l’écoulement du temps.

Dans l’iconographie de l’immédiat après-guerre, à la fin des années 1940, de nombreux photographes documentent les villes en ruine, ravagées par les bombardements alliés et nazis. En Allemagne, des photographes comme Henry Ries, Hermann Claasen ou encore Richard Peter35(FIG. 9), mettent en image des champs de ruines immenses dont toute vie semble s’être retirée.

34 . CHATEAUBRIAND François-René de, Génie du Christianisme, Paris, Garnier-Flammarion, 1966 [1802].

35 . SAYAG Alain (dir), Apocalypses, la disparition des villes : de Dresde à Détroit (1944-2010), cat. exp., Paris, Democratic Books, 2011.

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FIG. 11/ Stan Douglas, Michigan Theater, extrait de la série Detroit, 1999, C-Print, 75,7 x 85,7 cm, David Zwirner Gallery.

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Partie I / Lieux flottants

En France, Robert Doisneau (FIG. 10) notamment, immorta-lise les jeux d’enfants qui ont cours au sein même de ces ruines. Il photographie par exemple un groupe de ceux-ci, assis sur une voiture carbonisée, s’amusant dans les décombres.

Dans le cinéma de cette période, la ruine est également très présente, en particulier chez les Néo-Réalistes italiens tel Roberto Rosselini, (avec Rome, ville ouverte (1945), ou Païsa (1946)) dont la vo-lonté est de présenter le quotidien en l’état, en adoptant une position moyenne entre scénario, réalité et documentaire et en se servant sou-vent de gens de la rue à la place d’acteurs professionnels, en quelque sorte en romançant la vraie vie. Certains des films de ce courant étant d’ailleurs tournés directement dans les ruines produites par la guerre, du fait de la destruction des studios de tournage.

La ville fantôme, en temps qu’elle est une ruine généralisée, doit aussi être mentionnée. L’abandon d’une ville conduisant à sa trans-formation en ville fantôme résulte du fait que l’activité économique qui la faisait vivre s’est tarie ou par la suite de catastrophes d’origine naturelle (inondation, séisme, éruption volcanique, etc.) ou humaine (guerre, crise économique, accident industriel, désaffection de mines, etc.). D’autres causes peuvent expliquer le phénomène, comme la disparition des res-sources naturelles telles que l’eau potable, ou le retrait brutal des voies de communication (fermeture de lignes de chemins de fer en milieu rural, isolement soudain à l’occasion d’un nouveau tracé des routes, etc.). On citera entre autres, le travail de Jurgen Nefzger, Spain, exploration d’une ville nouvelle espagnole, aménagée sous le règne de Franco, avec ses rues, ses immeubles, ses parcs, mais jamais habitées. De même, la série Detroit (FIG. 11) de Stan Douglas, montre la ville contemporaine, entraînée dans un abandon pro-gressif dû à l’effondrement de son économie, des quartiers entiers anbandonné, des théâtres transformés en parkings provisoires… En soi, la ville fantôme est un prélude à ce qu’Alain Mons appelle « l’espace du désastre ».

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5 / L’espace du désastre

S’il demeure un élément marginal et peu voyant de l’urba-nisme contemporain, le terrain vague peut aussi apparaître comme une métonymie de l’effondrement possible de la société urbaine oc-cidentale, en particulier à travers les représentations photographiques littéraires et cinématographiques (nécessairement subjectives) qui sont faites de celui-ci.

Alain Mons36 met en avant cette idée lorsqu’il parle d’espace du désastre, en s’interrogeant sur la capacité prémonitoire des images à montrer la potentielle destruction de la ville. Et de fait, les images montrant des lieux délaissés, contiennent en puissance la métaphore d’un futur possible de la société post-moderne dans la destruction. Elles traduisent « la pulsion de mort appliquée à l’espace »37. Pour Mons, la photographie révèle une dimension catastrophique endogène aux mé-gapoles. « L’ultime de la dévastation urbaine comme figure répulsive est simultanée à une étrange attraction du regard »38. La ville, qui tend a priori vers une homogénéisation de ses composantes (bâtiments, voies de circulation), est simultanément fragmentée, mise en pièce, parcellisée par les lois du marché immobilier. Dans la pensée d’Alain Mons, cette contradiction peut aboutir à l’anti-ville, c’est-à-dire, une cité qui se consume par une « absurde involution »39.

Il existe par ailleurs dans la science-fiction, depuis le début du XXe siècle, un foisonnement de théories littéraires et cinémato-graphiques post-apocalyptiques. Celles-ci tournent toutes autour de la fictionnalisation de la destruction de la ville, et par là même de la disparition de la civilisation occidentale, généralement due à une catastrophe naturelle ou humaine, une guerre nucléaire (le genre étant essentiellement né de la crainte d’une guerre atomique durant la Guerre Froide), une épidémie, une attaque extraterrestre…40 Pour prendre un exemple récent, on mentionnera la série

36 . MONS Alain, L’Ombre de la Ville, « Penser l’espace », Paris, Éditions de la Villette, 1994.

37 . Ibid., p. 26.

38 . Ibid., p. 25.

39 . Id.

40 . Voir notamment les livres La Route (2006) de Cormac McCarthy, Niourk (1957) de Stefan Wul, ainsi que les films Soleil Vert (1973) de Richard Fleischer, Je suis une Légende (1964) de Ubaldo Ragona et Sydney Salkow, (ainsi que son remake de 2007 par Francis Lawrence), Mad Max 2 (1981) de George Miller, 28 jours plus tard (2002) de Danny Boyle…

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Partie I / Lieux flottants

télévisée The Walking Dead (FIG. 12), de Frank Darabont et Robert Kirkman, diffusée depuis 2010. Fondée sur un scénario classique de film post-apocalyptique, à savoir une invasion de zombies provoquant l’effondrement de la société, la série retrace la fuite, face à une fin iné-luctable, d’un petit groupe de survivants. Comme dans toute situation post-apocalytique, les personnages vivent dans un monde où les valeurs morales, sociales et économiques ont disparu, au profit d’un retour à un individualisme fort, des règles et une hiérarchie tribale au sein des groupes de survivants et une ultra-violence basée sur la loi du plus fort. Mais en suivant l’optique de cet essai, c’est essentiellement le rapport qu’entretiennent les survivants avec leur environnement qui est singulier. En effet, le système social s’étant effondré, la majorité des objets, des bâtiments et des espaces ont perdu toutes fonctions. Les personnages de The Walking Dead évoluent dans une sorte d’immense terrain vague, où tout n’est que ruine et rebut. Ils collectent pour sur-vivre les restes de leur civilisation (armes, outils, nourriture en conserve, vêtements…), toutes choses vouées à disparaître progressivement avec le temps. Ils n’ont plus un rapport évolutif aux objets, mais se contentent de glaner provisoirement les restes du passé à l’abandon, dans une démarche très proche de celle des zoniers photographiés par Atget au début du XXe siècle.

Globalement, on peut voir le genre post apocalyptique (qui explose après la fin de la Seconde Guerre mondiale), comme une métaphore du basculement de la pensée moderne progressiste (ac-compagnant l’effondrement des grandes idéologies modernistes et de la notion de progrès), vers une pensée post-moderne pessimiste. Le post-apocalytique serait ainsi une sorte de fantasme de la destruction de la civilisation occidentale, faisant place à un gigantesque terrain vague mondial.

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FIG. 12/ Frank Darabont et Robert Kirkman, The Walking Dead, 2010-, série télévisée (photogramme).

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Série Corps/Espace

(extraits), 2010-2013, photographies argentiques

moyen-format, couleur,70 x 70 cm.

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Partie II / Parcours et gestes

IIe partie / Parcours et gestes : Le corps dans l’espace du terrain vague

“Il avance à pied, dans une condition existentielle à mi-chemin entre le chasseur paléolithique et l’archéologue des futurs à l’abandon.”

Francesco Careri, Walkscapes – La marche comme pratique esthétique, 2006.

Après s’être intéressé à la nature et aux origines possibles du délaissé, il faut à présent se pencher sur le rapport direct du corps au terrain vague. Nous allons examiner celui-ci du point de vue des inte-ractions artistiques, mais aussi sociales et économiques qui ont lieu en son sein, à travers ses rapports de transhumance, d’errance, de flânerie et son réinvestissement par le corps, le geste et l’image.

1 / Hodologie : l’espace vécu

À l’exception des quelques cabanes ou bidonvilles qui peuvent parfois être installés de manière illicite et non-pérenne, le terrain vague est ontologiquement un lieu abordé par l’individu de manière transitoire, un lieu de passage, plus pratiqué que vécu, ou tout du moins vécu dans une certaine forme de transhumance. Au sens où s’il n’habrite pas officiellement d’activité humaine, le ter-rain vague n’est peuplé, traversé que de manière ponctuelle. C’est un espace dans lequel rien ne se fixe de manière permanente, mis à part peut-être les rebuts et les déchets eux-mêmes. Le délaissé implique d’être approché par le visiteur par le biais de l’expérience physique, puisque c’est en soi un espace fondamentalement non-mé-diatique, à savoir qu’étant considéré par l’institution comme un lieu à l’abandon et inutile, il n’a aucune raison d’acquérir à priori une re-connaissance officielle par l’autorité. Cette approche exclusivement physique du lieu peut donc être décrite d’abord comme hodologique. Le terme hodologie fait référence à un concept proposé par le psychologue expérimental Kurt Lewin dans les années 1920-1930, puis

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popularisé dans les années 1980 par le grand théoricien américain du pay-sage, John Brinckerhoff-Jackson41. L’hodologie vient du grec hodos qui signifie route, chemin, voyage. L’hodologie recouvre la notion d’espace vécu où se situe l’individu et son environnement. Cet espace s’oppose à l’espace géométrique du plan ou de la carte, à un espace euclidien ra-tionnel homogène et mesurable. Elle désigne une capacité cognitive de l’homme sur son environnement à travers l’expérience du déplacement. Gilles Tiberghien, dans sa préface de Walkscapes – La marche comme pratique esthétique, explique que l’hodologie « privilégie en fait le cheminement par rapport au chemin, le “sentiment géogra-phique” sur le calcul métrique. C’est pourquoi l’approche artistique est très importante pour comprendre notre manière de percevoir le monde à partir des voies qui le traversent dans la mesure où elle met l’accent sur la dimension de l’expérience sensible et affective de la marche »42. Tiberghien renvoie également à Thierry Davila qui, dans Mar-cher, Créer43, propose le concept de « cinéplastique » dans l’art. Le terme désigne une pratique artistique passant par le déplacement et la marche. Une notion que l’on retrouve notamment dans les anti-walk dadaïstes puis la dérive lettriste et situationniste.

41 . Sur le concept d’hodologie, voir BRINCKERHOFF-JACKSON John, À la découverte du paysage vernaculaire, traduit de l’américain par Xavier Carrière, Arles, Actes Sud, 2003.

42 . TIBERGHIEN Gilles A., La ville nomade in CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, op. cit., 11.

43 . DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002.

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Partie II / Parcours et gestes

2 / Marche et pratiques littéraires

L’approche hodologique et cinéplastique du réel, de l’urbain et du péri-urbain en art, prend ses sources dans les années 1920-30, avec le mouvement Dada. Dans une volonté de produire de l’anti-art, les dadaïstes organisent des excursions (des « anti-walk »44 telles que Careri les qualifient) dans la périphérie de Paris. Celles-ci ne donnent lieu à aucune production artistique matérielle, les artistes du courant souhaitant arriver, par le simple fait de marcher, à une forme de ready-made urbain, une union entre le mouvement, l’art et la vie. Dada se réfère en particulier à la posture du flâneur chez Baudelaire (dévelop-pée plus avant dans ce mémoire45). Francesco Careri précise d’ailleurs à ce propos que « Paris (…) la ville qui fut déjà à la fin du XIXe siècle celle du flâneur, ce personnage éphémère qui, en perdant son temps à admirer l’insolite et l’absurde, cependant qu’il vagabonde dans la ville, se rebelle contre la modernité. Dada élève la tradition de la flâ-nerie à la condition d’une opération esthétique ».46 Avec les Dadaïstes, la seule trace matérielle qui subsiste de ces marches est une trace écrite, des prospectus, des affiches et des communiqués de presse qui documentent la démarche et le déroulement de ce déplacement. Par la suite, le lettrisme, puis le situationnisme dans les années 1950-1960, s’approprient à leur tour cette idée d’anti-art par la marche, en reconnaissant dans le fait de se perdre dans la ville, une possibilité concrète expressive et un moyen esthético-politique grâce auquel subvertir le système capitaliste de l’après-guerre. Un parti-pris qui débouche sur le concept de dérive, visant à définir les zones in-conscientes de la ville, à travers une psychogéographie mesurant l’im-pact du contexte urbain sur l’individu.

Proche, dans sa démarche et ses idées, de l’anti-art dadaïste et de la dérive situationniste, Robert Smithson fait figure d’autorité en temps qu’artiste faisant la synthèse entre marche, terrain vague et écriture. En 1967, avec A Tour of the Monuments of Passaic (FIG. 13), Smithson propose une exploration de la périphérie industrielle de

44 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, op. cit., p. 79.

45 . Voir le point n°3 de la troisième partie de ce mémoire : Collectionner les rebuts – l’artiste en chiffonnier benjaminien.

46 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, op. cit., p. 82.

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FIG. 13/ Robert Smithson, A Tour of the Monuments of Passaic, 1967, illustrations publiées dans la revue Artforum.

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Partie II / Parcours et gestes

Passaic, sa ville natale. L’œuvre est constituée à la fois par un par-cours, (narré dans un article au titre éponyme et publié dans la revue Artforum47), une visite commentée par Smithson, des photographies prises par l’artiste et les autres visiteurs… C’est cette série d’élé-ments (le lieu, le parcours, l’invitation, l’article, les photographies, la carte, les écrits précédents et les écrits suivants) qui en constitue le sens et qui, comme dans de nombreuses autres œuvres de Smith-son, forme l’oeuvre elle-même. Pour lui, l’exploration urbaine « est la recherche d’un médium, un moyen pour déduire du territoire les catégories esthétiques et philosophiques, pour s’y confronter »48. Au cours de cette « épopée pseudo-touristique »49 dans les délaissés de la périphérie de Passaic, l’artiste confère, par la marche, l’écrit et la photographie-témoin, un statut de monument à des élé-ments architecturaux : un pipe-line, un pont, un derrick, des tuyaux de pompes… toutes choses qu’il considère comme faisant partie d’un « chaos unitaire »50, comme l’incarnation parfaite d’un espace entro-pique en déshérence. Passaic devient, l’emblème de la périphérie du monde occidental, le lieu du déchet et de la production de nouveaux paysages faits de détritus et de bouleversements.

3 / Pratiques et usages

Puisque qu’on peut définir le terrain vague comme un espace de traversée et non un lieu de résidence et d’interaction sociale au sens classique du terme, il est maintenant temps de s’intéresser aux individus qui l’arpentent. Le délaissé est tout d’abord peu fréquenté dans l’absolu, du fait de l’absence de contrôle institutionnel qui le caractérise. En son sein ont lieu des usages parfois destructeurs et l’absence d’entretien entraîne une dégradation progressive du bâti qui peut présenter des

47 . SMITHSON ROBERT, « The Monuments of Passaic », (1967), repris sous le titre « A Tour of the Monuments of Passaic », in FLAM Jack (dir.) The Collected Writing of Robert Smithson, Berkeley /Londres, University of Califonia Press, 1996.

48 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, op. cit., p. 169.

49 . Ibid, p. 161.

50 . Id.

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risques (effondrement du toit ou des murs, verrière instable, réseau élec-trique ou de gaz défectueux, produits toxiques…). La présence d’ani-maux sauvages, venimeux ou vecteurs de maladies, comme les rats ou les serpents, confère également une certaine dangerosité à l’espace. Comme tout espace caché et sans règle, le terrain vague attire des usagers marginaux voire illicites, des sociétés parallèles ou under-ground, que la convenance et la loi réprouvent. On peut y trouver des toxicomanes, des clandestins, des délinquants, des teufeurs, des joueurs d’air-soft… Le terrain vague sert aussi de lieu d’échanges péri-écono-miques pour des dealers, des réseaux de prostitution, mais aussi des glaneurs d’objets, des cultivateurs de plantes sauvages, des récupéra-teurs de cuivre… soit toutes les activités qui ne peuvent avoir directe-ment cours dans la ville, de par leur aspect illicite ou non-consensuel. Mais il peut aussi être un lieu de promenade pour les gens qui sortent leur chien, les cyclistes, les joggeurs, les flâneurs et bien sûr les artistes. Citons aussi les quelques stationnements improvisés, squat-teurs et autres sans-abris qui, seuls à entretenir un rapport quotidien avec ce type d’espace, y vivent de manière plus ou moins pérenne.

Dans sa série Ceux du Terrain (FIG. 14), Marc Pataut, en 1995, photographie pendant deux ans les SDF qui vivent au Cornillon, dans la plaine Saint-Denis, au nord de Paris, avant leur expulsion en vue de la construction du stade de France. La série regroupe des portraits des squatteurs, mais éga-lement des vues plus larges du lieu qui, si elles figurent au premier regard un terrain tout à fait à l’abandon, laissent deviner des points de passage, d’occupation et d’interaction, par les accumulations de déchets, les découpes dans les grillages, etc.

Enfin, le terrain vague constitue un lieu privilégié pour la pra-tique de sports impliquant un rapport au corps et à son emploi d’une manière non-consensuelle ou alternative, comme le skateboard, le planking (pratique populaire depuis 2009, consistant pour un individu à se faire photographier en train de faire la planche, le corps raidi au maximum à l’horizontale, dans des espaces publics et incongrus) ou encore le parkour, une activité physique existant depuis les années 1990, qui vise un déplacement libre et efficace dans tous types d’envi-

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FIG. 14/ Marc Pataut, extraits de la série Ceux du Terrain, 1993-1995, photographies argentiques noir et blanc, 40 x 30 cm chaque, Fonds municipal d’art contemporain de la Ville de Paris.

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FIG.15/ Brassaï, Graffiti, Le Roi Soleil (IX Images primitives), vers 1945 - 1950, Epreuve gélatino-argentique contrecollée sur bois, 139,8 x 105 x 2 cm, Mnam - Centre Pompidou.

FIG. 16/ Ernest Pignon-Ernest, Parcours Mahmoud Darwich, Ramallah, 2009, installation /collage.

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ronnement, en particulier hors des voies de passage préétablies. Ainsi les éléments du milieu urbain ou rural se transforment en obstacles franchis grâce à la course, au saut, à l’escalade, au déplacement en équilibre, à la quadrupédie, etc. Toutes ces disciplines s’approprient aisément tous les types d’espaces délaissés, les usines désaffectées et autres terrains urbanisés à l’abandon.

4 / Réinvestir la Zone

Dans l’idée d’une approche plastique visant à se réapproprier l’espace du terrain vague, les artistes sont manifestement présents dans le délaissé, l’explorant de nombreuses manières, par le geste, le rapport entre le corps et le lieu, la mesure du déplacement jouant avec l’aspect flottant du lieu et son indétermination statutaire…

Une des pratiques vernaculaires majeures du terrain vague, sur laquelle nous nous arrêterons brièvement (cette pratique très riche étant par ailleurs déjà très largement théorisée51), est bien sûr celle du graffiti. Les graffeurs, ou street artists, au-delà d’une pratique dans l’espace urbain, manifestent une appétence marquée pour tous les espaces en déshérence, les ruines et les bâtiments désaffectés. Les murs de ceux-ci sont très rapidement réinvestis après leur aban-don. Il est presque rare aujourd’hui de trouver, dans l’urbanisme oc-cidental, une ruine non taguée ou graffitée. De par sa nature même et sa dimension performative, le graff, réalisé en hauteur sur les façades, sur des toits et dans des endroits souvent difficilement ac-cessibles, implique un important mouvement du corps de la part de ses créateurs, par le geste même de l’aérosol, et nécessite souvent de grimper sur des murs d’immeubles ou de se suspendre en l’air. On mentionnera au passage les photographies de graffitis faites par Brassaï52 (FIG.15) qui, en 1960 publie un livre au titre épo-nyme, fruit de trente ans de recensement photographique dans Paris et qui pose le graffiti comme une forme d’art brut, primitif, éphé-

51 . Voir par exemple ARANGO Glen, Street Art : Portraits d’artistes, Londres, Graffito Books, 2011.

52 . BRASSAÏ, Graffiti, (1960), Paris, Flammarion, 1993.

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FIG. 17/ Andreï Tarkovski, Stalker, 1979, film couleur, sépia, noir et blanc, (montage de 3 photogrammes), 163 min.

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mère. De fait, il est l’un des premiers dans l’histoire de l’art moderne à considérer le graffiti comme un art. Bien évidement, ces pratiques étaient à l’époque relativement distantes du graffiti contemporain. Il s’agissait en effet de gravures faites à même le mur, et non de des-sins par pulvérisation de peinture tels qu’on les connait aujourd’hui. Fruit d’une pratique anonyme ou tout du moins restreinte à des groupes undergrounds, le graff possède également ses grands noms, reconnus dans le champ de l’art contemporain. On citera au passage le nom de Banksy, artiste largement diffusé en galerie et dont l’identité reste encore inconnue à ce jour, ou encore Ernest Pignon Ernest (FIG. 16), un des initiateurs, de l’art urbain en France. Celui-ci, depuis les années 1970, intervient directement dans l’espace urbain et péri-urbain, à l’aide de collages sérigraphiés de personnages à l’échelle 1.

En matière d’utilisation artistique du corps dans l’espace péri-ur-bain, un certain nombre de pratiques se dégagent, qu’elles envisagent l’individu comme outil de mesure du déplacement, d’investissement graphique ou encore par une fusion de celui-ci avec l’environnement. Sans dresser une liste exhaustive de ces pratiques, citons le film Stalker (FIG. 17), d’Andreï Tarkovski, sorti en 1979, dans lequel un homme guide deux autres individus, un poète et un scientifique, dans une Zone Interdite, évoquant avec presque dix ans d’avance celle de Tcher-nobyl, mise en place après la catastrophe nucléaire survenue en 1986. Le film, à travers la dérive des trois personnages dans les méandres de cette Zone aux phénomènes dangereux et aléatoires, confère au geste et au corps une valeur d’outil de mesure du déplace-ment dans le territoire. Le guide (le stalker) utilise des écrous prolon-gés de chiffons, qu’il lance au fur et à mesure de son avancée, afin de détecter les pièges invisibles de la Zone. Par ailleurs, le milieu du film est marqué par une étape transitoire des personnages, à la fois phy-sique et philosophique, durant laquelle les personnages sont étendus à même le sol, recroquevillés, dans des attitudes dont on ne saurait dire s’ils méditent, dorment ou se lamentent. Le corps entre en tout cas en contact profond avec le lieu, semblant vouloir fusionner avec la terre elle-même. Par son horizontalité, le corps allongé marque une inscrip-tion beaucoup plus forte avec la Zone, une relation consubstantielle entre l’être et le lieu.

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FIG. 18/ Carrey Young, Body Techniques (after “Lean In”, Valie Export, 1976), 2007, photographie couleur, 150 x 120 cm, Paula Cooper Gallery.

FIG. 19/ Holger Trulzsch, La matière vivante dans l’espace, série Oxydation, 1978, tirage papier au bromure d’argent, 30 x 40 cm.

FIG. 18 bis/ Carrey Young, Body Techniques (after Circles, Ulrich

Ruckriem, 1971), 2007, photographie couleur, 140 x 120 cm, Paula Cooper

Gallery.

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FIG. 20/ Denis Darzacq, ACT

N° 55-GLADYS FOGGEA,

photographie numérique couleur,

2008, 19,5 x 22 cm, Archives

Départementales de Rennes.

FIG. 21/ Clement Gerardin, Corps /Espace-2, 2013,

photographie argentique couleur,

70x70 cm.

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On fera également état des interventions de Barbara et Michael Leisgen, dans les années 1970, qui, en performant par le corps la ligne d’horizon du paysage, réinvestissent le lieu de la présence humaine. Tous deux travaillent sur une mise en espace du corps positionné, arti-culé au paysage, à travers une série photographique intitulée Mimesis. L’artiste britannique Carrey Young (FIG. 18 et 18 bis) quant à elle, reprend, dans la périphérie de Dubaï, entre chantiers gigan-tesques et désert aride, des performances célèbres de l’art contempo-rain, comme celles de Valie Export, Richard Long ou Ulrich Ruckriem. Mais ladite performance n’a lieu devant aucun spectateur, dans un espace ouvert et en pleine mutation. Elle est le prétexte à la réalisation d’une série d’images, à la fois œuvres et documents-témoins. Le corps atteint là une pure performativité, établissant une relation nouvelle avec un espace dans lequel il ne trouve pas a priori sa place.

Enfin, d’autres artistes choisissent de travailler sur un dialogue, une fusion entre l’être et le lieu. On a déjà parlé des personnages allon-gés de Stalker, mais il faut aussi mentionner le travail du photographe Holger Trülzsch (FIG. 19) qui, en 1978 à Hambourg, photographie Veruschka, une femme peinte ton sur ton dans une usine désaffectée et ses alentours. Le corps vient ici se mélanger complètement au lieu, à la manière d’un caméléon. À l’évidence, les noms ne manque pas lorsque l’on pense à des artistes entretenants une puissante relation entre le corps et le terrain vague53.

En regard de ces pratiques photographiques mettant en contact le corps et le terrain vague, je me propose de comparer ici deux images. La première a été réalisée par Denis Darzacq, et s’intitule Act n°55 – Gladys Foggea (FIG. 20). Il s’agit d’une photographie nu-mérique couleur réalisée dans le cadre de la série Act, produite entre 2008 et 2011. Ces images mettent en scène des personnes handica-pées physiques et mentales dans des postures singulières, souvent très chorégraphiques, au sein d’espaces naturels ou urbains, aussi bien en

53 . Il faudrait aussi mentionner la série photographique Immaculate (2009) de Ruben Brulat, qui réalise des autoportraits nu, allongé dans l’espace urbain et péri-urbain, les photographies d’Isabelle Waternaux dans Correspondances (2005), les premières photographies de nus péri-urbains faites par Spencer Tunick, réunie dans la série America Zone (1990-1998)…

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intérieur qu’en extérieur. La seconde, Corps /Espace - 2 (FIG. 21) est une de mes propres photographies. C’est une image réalisée au moyen-format argentique couleur datant de 2013. Elle s’inscrit dans une série d’images plus globale intitulée Corps /Espace, présentée en introduction de cette deuxième partie. Cette série interroge par la photographie la figure du ter-rain-vague et du délaissé dans l’urbanisme et la société contemporaine. Les deux images prennent clairement pour cadre des espaces en flottement, des non-lieux, figures péri-urbaines où le naturel reprend ses droits sur l’espace habité par l’homme, il recouvre progressivement les traces et les empreintes fonctionnelles laissées par celui-ci. Le contraste est en l’occurrence absolument marqué par la frontière phy-sique que représente et symbolise le mur dans les deux photographies. En effet, l’architecture fait ici un barrage absolu à la ligne d’horizon des images, bouchant toute échappatoire au regard. Le mur, dans cha-cune des deux photos, coupe distinctement l’espace du bâti de celui du végétal, délimitant par là même et d’un point de vue sémantique la jonction entre urbain et naturel, entre la ville et le terrain-vague. Et dans les deux cas, le corps abandonne son espace urbain habituel pour franchir cette démarcation et venir peupler l’espace du délaissé. Dans leur rapport au corps, ces images sont également inté-ressantes à mettre en perspective. La photographie de Denis Darzacq met littéralement le corps de cette femme handicapée en scène, dans une forme de théâtralisation du lieu : dans sa composition même, l’image incite le spectateur à se focaliser sur le corps. Elle se découpe facilement en une avant-scène dans laquelle s’inscrivent la femme et les herbes hautes, puis une arrière-scène avec son fond plat, figurée par le mur de béton, puis les immeubles et le ciel. L’espace est véritablement appréhendé par le photographe comme un décor. Il est vu comme un cadre, un écrin pour le modèle que Darzacq fait poser. Non pas que cette relation entre corps et décor soit dérisoire, mais elle établit en tout cas une dichotomie absolue entre l’être et son environnement, jouant sur un effet de décalage troublant entre le corps handicapé et l’espace en déshérence. En opposition, ma photographie cherche da-vantage à mettre en jeu une relation du corps avec l’espace. Le modèle dialogue avec celui-ci, il tend même à se fondre dans les couleurs et les matières du mur de briques, relégué au second plan, au statut d’un punctum visuel au sens barthésien du terme, mais que l’oeil du spec-

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tateur ne saisit pas nécessairement du premier coup. Le corps est en accroche avec le bâti, dans une volonté de mettre à profit l’espace du délaissé par une pratique alternative et hodologique de celui-ci. Intrinsèquement, le rapport au modèle diffère entre l’image de Darzacq et la mienne : Chez Denis Darzacq, il s’agit (et c’est le cas pour l’ensemble de la série Act) de mettre en œuvre un défi physique pour le modèle handicapé, une performativité du corps déficient, en décalage par rapport à un environnement choisi. Darzacq mène un travail de concer-tation préalable à l’image avec son modèle, pour choisir une posture et un lieu qui lui correspondent. De même, et directement par le titre de l’image (Act n°55 – Gladys Foggea), l’identité du modèle est mise en avant, en tant que l’incarnation d’un geste extrême pour cette per-sonne particulière, du fait de son handicap, qu’elle tend ici à dépasser, voire même à transcender. Dans mon propre travail, l’identité de l’individu n’est pas pri-mordiale, au contraire, l’image se veut bien davantage l’incarnation d’un individu lambda entretenant une relation de contact au lieu. Une performativité de l’instant, qui laisse une grande place à l’improvisa-tion du modèle (qui de fait est bien plus un performeur). En dehors d’un cadrage d’image préalable, il subsiste une grande part de hasard et d’autodétermination de l’individu. Autant de paramètres qui sont laissés de préférence à une soudaineté de l’instant. Mais dans les deux images, la photographie ne doit pas être perçue comme un simple document-témoin d’un instant performa-tif dans un lieu donné. Au contraire, c’est à partir de cette mise en espace que se développe un regard photographique singulier sur le réel. L’acte (ou l’Act !) reste avant tout le prétexte à une production photographique.

Ainsi le lieu délaissé, s’il fait l’objet, de par sa dimension de zone de non-droit, d’une occupation par certains individus en vue d’échanges péri-économiques, il est également un espace de flânerie, de traversée et de transhumance, qui ouvre le champ à des créations nombreuses et diverses de la part des artistes qui le fréquentent. De même dans mon propre travail, le terrain vague est pour moi un espace privilégié dans lequel je tente de re-créer une relation photographique et alternative entre le corps et le lieu.

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Série Rebuts

(extraits), 2012-2014, photographies argentiques

moyen-format, couleur, 70 x 70 cm.

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Partie III / Au rebut

IIIe partie / Au rebut : Pour une esthétique du tas

“Mais les chiffons, le déchet : je ne veux pas les décrire, eux, mais les montrer”

Walter Benjamin, Les Passages parisiens, 1935.

En tant qu’espace entropique, déliquescent, le terrain vague est géné-rateur de rebuts et de déchets. Par là même, ces détritus induisent des pratiques de collecte, de tri et de collection de la part des chiffonniers et des artistes qui arpentent le délaissé, dans des démarches allant jusqu’à l’installation éphémère et la sculpture trouvée.

1 /L’espace entropique : producteur de rebuts

Lorsque l’on s’intéresse à la figure du terrain vague, une des notions fondamentales qui se dégage de ce type d’espace est celle de l’entropie, concept cher à l’artiste américain Robert Smithson, évoqué précédemment, et qu’il a développé tout au long de son œuvre, dans une des démarches les plus fondatrices du land art et de l’art contem-porain. Il sera nécessaire d’examiner ce concept de l’entropie en pa-rallèle et à travers le prisme de l’oeuvre et des écrits de Smithson, précédemment abordé dans la deuxième partie.

Dans son article « Sous l’emprise de l’Instamatic »54, publié dans la revue Études photographiques, Katia Schneller (tout en cher-chant à clarifier le rapport qu’entretient l’artiste à la photographie), donne une définition précise de l’entropie chez Smithson, déjà posée par l’artiste lui-même dans ses écrits, notamment Entropy and the New

54 . SCHNELLER Katia, « Sous l’emprise de l’Instamatic », Études photographiques, n°19, décembre 2006, p. 69-95.

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Monuments55, publié en 1966. Schneller part de l’acception mécanico-physique du terme d’entropie, vers la relecture qu’en fait l’artiste. Ce terme se base sur un énoncé posé par le physicien allemand Rudolf Clausius, qui détermine la seconde loi de la thermodynamique, mesurant l’épuisement de l’énergie dans un système clos et par là même une forme de désorganisation de l’univers. Très employée dans les années 1960, cette notion a incarné dans plusieurs disciplines l’image de l’irrésistible dégénérescence de tout type de système. Katia Schneller propose ensuite une version de l’entropie telle qu’elle est envisagée par Smithson : « Pour des artistes tels que Smith-son, Morris ou Serra, [l’entropie] devient l’allégorie de l’absurdité et de la vacuité de la condition humaine. Elle est l’un des principes centraux de la pensée de Smithson et alimente son goût pour une esthétique de l’effondrement et de la désagrégation. Les bâtiments industriels et les paysages désertiques qu’il prélève dans la réalité incarnent donc autant d’allégories de l’épuisement d’énergie causé par l’action de l’Entropie. »56 D’après Schneller, Smithson a une conception temporelle entropique du monde et du temps, qu’il envisage comme le « futur [qui] croise le passé comme un présent inatteignable », « une double perspective du passé et du futur qui suivent une projection qui s’efface dans un présent non existant » ou encore, reprenant la formule de Nabokov, « le futur [qui] est l’obsolète à l’envers ».

Dans le rapport même qu’entretient Smithson à la pho-tographie, la figure de l’entropie est présente. Schneller cite ainsi Smithson : « Cette machine monstrueuse [l’appareil photo] semble elle-même guidée par une autre grande figure de l’univers smithsonien incarnant le désordre et le chaos, celle de l’Entropie. Il écrit en effet : “Les photographies sont les résultats d’une diminution de l’énergie solaire, et l’appareil photographique est une machine entropique dans la mesure où elle enregistre la perte graduelle de la lumière” »57.

55 . SMITHSON Robert, « Entropy and the New Monuments », 1966, in Robert Smithson: une rétrospective, le paysage entropique, 1960-1973, cat. exp., Marseille, MAC, 1994, p. 162-167 et « A Tour of the Monuments of Passaic », art. cit., p. 180-183.

56 . SCHNELLER Katia, « Sous l’emprise de l’Instamatic », op. cit., p. 83.

57 . Ibid., p. 81.

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Partie III / Au rebut

Smithson utilise la photographie comme moyen de documen-tation de ses œuvres, comme trace de la performance en situation. Pour lui par exemple, les clichés de son œuvre Asphalt Rundown, pris en 1969 par son épouse Nancy Holt, n’ont en aucune manière valeur d’oeuvre (il ne vendra d’ailleurs quasiment jamais de photographies au cours de sa carrière), mais se font témoignage de l’action de l’artiste dans un espace donné.

Comme évoqué plus haut dans la deuxième partie de ce mémoire, avec A Tour of the Monuments of Passaic58, Robert Smithson entretient dans ses œuvres une forte relation avec les ter-rains-vagues, les lieux délaissés et les espaces péri-urbains. Il s’ap-puie notamment sur la photographie comme moyen d’appréhension du lieu, mais sans prédilection particulière pour celle-ci, au même titre que l’écrit, ou l’expérience directement physique de l’espace. Katia Schneller s’appuie sur les photos faites par Smithson en 1969 de l’Hôtel Palenque au Mexique, très proches d’un « style documentaire » à la Walker Evans : « des photographies comme celles de l’Hôtel Palenque (1969-1972) (…) trahissent en effet l’exis-tence d’une porosité esthétique à l’égard du style documentaire. La photographie n’intervient que comme un élément dans le travail des artistes, qui parleront volontiers de photo-documentation »59. Schneller précise ensuite l’intérêt de Smithson pour ces es-paces délaissés, conçu par l’artiste comme fondamentalement entro-pique : « Au Mexique, en 1969, il préfère s’attarder sur le modeste hôtel Palenque alors en reconstruction plutôt que sur les ruines de l’éminent site archéologique maya. Il choisit de retenir des sujets géné-ralement considérés comme dénués d’intérêt esthétique, insignifiants et obsolètes : ponts, pompes, bac à sable de villes suburbaines, sites industriels et paysages minéraux peuplent ses images. Monumentaliser ces sujets désolés ressort en première lecture à une critique acide du consumérisme glorieux de la société américaine des années 1960, où seule la nouveauté a droit de cité et le rebut le devoir de disparaître. »60

58 . SMITHSON ROBERT, « The Monuments of Passaic », op. cit.

59 . Ibid., p. 82.

60 . Id.

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FIG. 22/ Robert Smithson, Asphalt Rundown, 1969, performance, photographie argentique couleur, Porto: Museu Serralves.

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Partie III / Au rebut

On trouve un certain nombre de motifs récurrents dans la production de Smithson, notamment les figures de l’affaisse-ment, de l’effondrement et de l’écoulement. Une bonne illustration de ces figures s’incarne dans Asphalt Rundown (FIG. 22), perfor-mance réalisée en 1969, dans les environs de Rome, durant laquelle il déverse un camion de goudron sur les pentes d’une carrière abandonnée. Celui-ci s’écoule le long de la pente, se figeant pro-gressivement, en laissant une sorte de coulée noire, quasi volcanique, sur le flanc de la carrière. L’asphalte, une fois déposé, est voué à disparaître progressivement, recouvert par la poussière et le sable. Pour Smithson, l’asphalte représente une sorte de piège per-mettant de capter l’énergie, se faisant métaphore des routes et des autoroutes de la (post-)modernité, le médium se transformant littérale-ment en un lieu de passage, en « voie entropique » permettant un flux continu de personnes et d’engins.

Une autre idée marquante chez Robert Smithson est celle de la « ruine inversée », que l’artiste conçoit comme l’inverse de la ruine romantique, parce que « les édifices ne tombent pas en ruine après qu’ils aient été construits, mais qu’ils s’élèvent en ruine avant même de l’être. Cette mise en scène anti-romantique évoque l’idée discréditée du temps, et bien d’autres choses “démodées” »61. Dans Walkscapes62, Francesco Careri apporte également une définition du concept de ruine inversée chez Smithson, en citant son article « A Tour of the Monuments of Passaic », lorsque celui-ci aborde la périphérie de sa ville natale : « ce panorama zéro semblait contenir des ruines en marche arrière, c’est-à-dire : toutes les nouvelles constructions qui seraient peut-être un jour bâties. (…) Ces trous sont (…) les monumentales places vacantes qui définissent (…) les traces mémorielles d’un ensemble abandonné de futurs. »63 La ruine moderne, qui comme nous l’avons vu, côtoie ou se trouve directement sur un terrain vague, est donc perçue chez Smith-son comme contenant toutes les potentialités déçues, les possibilités

61 . SMITHSON Robert, « The Monuments of Passaic », art. cit., p. 181-182.

62 . CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthétique, op. cit., p. 168.

63 . SMITHSON Robert, « A Tour of the Monuments of Passaic », in FLAM Jack (dir.), The Collected Writing of Robert Smithson, University of Califonia Press, Berkeley /London, 1996, p. 72.

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uchroniques du bâti, autrement dit tous les futurs obsolètes rêvés par ses auteurs, mais qui, marqué par le temps et la déshérence, glisse progressivement vers sa destruction, son entropie inexorable.

Pour conclure, le concept d’entropie, manifestant la dégrada-tion progressive de tout espace, a été largement exploité par Robert Smithson dans l’espace du délaissé. Ses œuvres participent de l’idée de dégénérescence et d’abandon qui habite ce type de lieux. Par ail-leurs, il serait utile d’examiner les déchets et les rebuts produits par la déliquescence progressive du terrain vague, à travers l’entropie qui l’habite fondamentalement.

2 / Tas, rebuts et autres déchets péri-urbains

Le terrain vague est fondamentalement un lieu d’abandon, de mise au rebut d’objets délaissés de manière légale ou illégale. Un dépôt qui est la plupart du temps organisé d’une manière purement aléatoire, provisoirement ou définitivement.

L’une des figures redondantes qu’on retrouve dans le terrain vague est celle du tas. Le terrain vague est globalement un lieu où l’on amasse des rebuts, de la terre, prenant la forme de monticules, de tumulus, d’agglomérats divers de gravats, pierres, ferrailles, objets et autres déchets empilés, abandonnés dans l’espace du terrain vague. Rebuts accumulés comme points de décharge, restes as-semblés de la destruction de bâtiments, ou suite à des opérations de terrassements, ces monticules servent aussi à obstruer certains terrains, à bloquer des portions de territoire, dans le but de fermer ceux-ci, d’éviter les tentatives d’installation dans le lieu par les gens du voyage et autres squatteurs, en recouvrant la totalité du lieu afin d’empêcher toute forme d’utilisation alternative de l’espace. De fait, par ces agglomérats et ces monticules, le terrain vague est un lieu vide, mais dans lequel l’être humain laisse à la fois sa trace et son empreinte, dans le sens où l’exprime Serge Tisseron

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dans Le Mystère de la Chambre Claire64 : c’est à la fois un espace qui porte les empreintes (conscientes) d’une activité humaine passée, et en même temps les traces (inconscientes) des transhumances, des er-rances et des activités péri-économiques qui s’opèrent en son sein.

Une autre caractéristique majeure du délaissé est bien souvent son sol jonché, couvert de détritus épars, abandonnés au gré des usages. Le terrain vague, bien que parfois sujet de cultures sauvages et de glanages, est un espace non entretenu par l’homme, glissant vers sa propre entropie, ou retournant à l’état naturel. Pour prendre un exemple de ces propriétés de tas, de sols jonchés et de traces qui marquent le délaissé, appuyons-nous sur le travail de Lewis Baltz, photographe nord-américain, ayant beaucoup parcouru et photographié des terrains vagues, et dont on observe au sein de l’œuvre un développement dans sa manière d’appréhen-der ceux-ci, un basculement du regard du photographe du lieu vers l’objet, en partant de sa série Park City, jusqu’à San Quentin Point : Avec Park City, série de photographies en noir et blanc, réali-sée entre 1978 et 1979, dans l’Utah, aux États-Unis, Lewis Baltz explore la périphérie d’une petite ville, marquée par de nombreuses zones péri-phériques à l’abandon, ou en cours de construction. Ses photographies, en plan large, donnent au spectateur une vision d’ensemble du lieu (la série étant accompagnée de cartes indiquant le lieu de prise de vue de chaque image). Baltz recense littéralement les monticules, les tas de gra-vats et de terre, les espaces en cours de terrassement qui cernent la ville. Quelques années plus tard, dans sa série San Quentin Point (FIG. 23), (1982), qui tourne également autour du thème du terrain vague, on constate une évolution dans la manière dont le photographe appréhende l’espace. En effet, Baltz fait pivoter son appareil vers le bas, il se concentre sur de menus objets, des rebuts jonchant l’espace. Il s’oriente vers des cadrages serrés, en plongée, ne laissant plus voir le lieu, mais bien davantage des accumulations de déchets et d’objets.

Établissons ici une analogie entre l’oeuvre de Baltz dans sa durée et mon propre travail photographique. Tout comme celui-ci,

64 . TISSERON Serge, Le Mystère de la chambre claire : Photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1999.

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mais sans réellement avoir connaissance de l’évolution du travail de Baltz avant de réaliser mes images, j’ai moi-même opéré dans le temps ce pivotement du regard. En plus de quatre ans d’exploration de terrains vagues, avec ma série Zones, mes photographies sont passées d’une vision large de l’environnement, essayant d’approcher l’essence du lieu, d’appréhender les typicités de l’espace péri-ur-bain, à une focalisation sur de petits objets qui peuplent le délais-sé. Avec la série Rebuts (FIG. 24), et la mise en place de cadrages en plongée, j’ai cherché, tout comme Lewis Baltz, à conférer par la photographie et par le cadrage une plasticité à des objets extrême-ment pauvres, en détachant ceux-ci de leur environnement direct. L’analyse de la démarche de Lewis Baltz, parcourant des pé-riphéries urbaines dans lesquelles des rebuts s’accumulent en monti-cules, nous amène logiquement à un type d’espace bien particulier : celui de la décharge. Nombre de décharges, dès lors qu’elles ne sont pas organisées rationnellement, sont des terrains vagues. Qu’elles soient publiques, privées, ou purement sauvages et illicites, les décharges sont par dé-finition des lieux d’accumulation d’objets et de déchets mis au rebut. Des photographes comme Edward Burtynsky (FIG. 25) ou Andreas Gursky65 ont consacré certains de leurs travaux à ces lieux, cherchant, par une approche débordante, all-over, du cadrage, ainsi qu’une très grande définition de l’image (enrichie dans le cas de Gursky par des montages de plusieurs photographies), à recréer la saturation visuelle par le déchet, l’accumulation quasi infinie de détritus agglomérés dans les décharges, en créant, chez le spectateur, une sensation de débor-dement absolu.

De fait, la multitude des choses abandonnées peuplant le ter-rain vague se fait la trace en creux d’une présence humaine erratique, avec sa cohorte de sacs plastiques, bris de verre, carcasses de véhi-cules, canettes et bouteilles vides, tiges et fils de fer rouillés. Autant de sujets d’exploration pour un certain nombre d’individus qui parcourent le terrain vague, qu’ils soient collectionneurs, collecteurs ou récupéra-teurs d’objets.

65 . Voir la série Oxford Tire Pile, (1999) d’Edward Burtynsky, ainsi que l’oeuvre Ohne Titel XIII, (2002) d’Andreas Gursky.

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FIG. 23/ Lewis Baltz, San Quentin Point #58, 1982,

photographie argentique noir et blanc, 10,9 x 22,9 cm, Tate Museum.

FIG. 24/ Clement Gérardin, Rebut n°6, 2013, photographie argentique couleur,

70x70 cm.

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FIG. 25/ Edward Burtynsky, Oxford Tire Pile #29, Westley, California, 1999, photographie argentique couleur, 68.6 x 86.4 cm, Phillips Londres.

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3 / Collectionner les rebuts : l’artiste en chiffonnier benjaminien

Parmi tous les individus qui arpentent le terrain vague, et en particulier ceux qui ont un rapport de transhumance avec celui-ci, il est deux figures sur lesquelles il est nécessaire de s’arrêter : celle du flâneur et celle du chiffonnier. Toutes deux constituent l’archétype d’un certain genre de pratiques artistiques qui, partant du principe de col-lecte, arrivent à celui de collection, à partir des déchets parsemant le terrain vague.

Grande figure dans la poésie de Charles Baudelaire, le flâ-neur est conçu par celui-ci comme un homme qui se laisse saisir par le hasard de sa déambulation, un « observateur, flâneur, philosophe, (…) il est le peintre de la circonstance et de tout ce qu’elle suggère d’éternel. »66 et il ajoute que « pour le parfait flâneur, pour l’obser-vateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde ».67 Dans son essai Sur la photographie68, Susan Sontag, élargit ce concept de flâneur à celui du photographe, qui est littéralement pour elle une « version armée du promeneur solitaire »69, son arme (l’appareil photo) lui permettant de conserver une trace des épiphé-nomènes rencontrés lors de sa déambulation. Mais face à l’approche romantique, exprimée par Baudelaire, d’un promeneur épicurien à la recherche de la moindre épiphanie visuelle dans la ville et sa périphé-rie, Sontag elle, a une vision critique du « flâneur bourgeois »70, qui s’oriente nécessairement vers le pittoresque des bas-fonds, précisant que « Le flâneur n’éprouve pas d’attrait pour les réalités officielles de la grande ville, mais pour l’envers obscur du décor, pour les laissés-

66 . BAUDELAIRE Charles, Le Peintre de la vie moderne, Paris, Fayard, collection « la petite collection », 2010 (1863).

67 . Id.

68 . SONTAG Susan, Sur la Photographie, traduit par Philippe Blanchard, Christian Bourgeois éditeur, 1983.

69 . Ibid., p. 85.

70 . Id.

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pour-compte »71. L’auteur critique la posture de voyeurs, l’orientalisme vis-à-vis de la pauvreté et la « bonne conscience »72 des photographes, qui les inclinent à montrer les aspects les plus sordides de la ville. Alain Mons, au contraire, dans L’Ombre de la ville73, perçoit plutôt dans cette approche du micro-phénomène péri-urbain une vo-lonté de montrer l’ambivalence de la ville, aussi bien ses bons que ses mauvais côtés. Pour lui, « [les photographes] sont contraints d’accepter la matière périssable, informe et indéfinie qui constitue le quotidien »74.

Il faut mettre en parallèle cette démarche du flâneur avec celle, intrinsèquement liée, du chiffonnier. Précédemment abordé d’un point de vue purement matérialiste75, comme individus collectant les déchets de la cité pour subsister, nous allons, dans la deuxième partie de cet essai, l’envisager d’un point de vue plus métaphorique. Nous nous appuierons pour cela sur les écrits de Walter Benjamin à ce propos, dans les fragments des Passages parisiens76. Benjamin envi-sage la posture du chiffonnier sous l’angle du poète ou de l’historien qui, se promenant dans la ville, collecte (métaphoriquement parlant) les déchets d’histoire de la ville. « Voici un homme chargé de ramas-ser les débris d’une journée de la capitale. Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un triage, un choix intelligent ; il ramasse, comme un avare un trésor, les ordures qui, re-mâchées par la divinité de l’Industrie, deviendront des objets d’utilité ou de jouissance »77. Cette description est formulée comme une méta-phore de la démarche du poète selon Baudelaire. Pour Benjamin, que ce soit le chiffonnier ou le poète, les rebuts (matériels, poétiques ou historiques) concernent l’un et l’autre. Il les collectionne, les trie, les assemble, de manière pensée.

71 . Ibid., p. 85-86.

72 . Id.

73 . MONS Alain, l’Ombre de la Ville, op. cit.

74 . Ibid., p. 36.

75 . Voir partie II, sous-partie 3 de ce mémoire.

76 . BENJAMIN Walter, « Le travail des Passages » in Walter Benjamin. Archives, traduit de l’allemand par Philippe Ivernel, Francfort, éditions Klincksieck, 2011.

77 . Ibid., p. 115-116.

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FIG. 26/ Eugène Atget, Un chiffonnier, le matin, dans Paris : Avenue des Gobelins, 1899, Photographie positive sur papier albuminé d’après négatif sur verre au gélatinobromure, 22 x 16,8 cm (épr.), Bibliothèque nationale de France.

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Dans mon rapport même à la photographie et en l’occurrence dans la démarche qui motive la réalisation de ma série Rebuts, présen-tée en ouverture de cette troisième partie, je m’inscris en droite ligne de cette posture d’artiste-collecteur d’ordure proposée par Benjamin. L’exploration de la frange péri-urbaine passe en effet dans mon travail par une focalisation sur de menus objets jonchant le terrain vague, qui se font la trace en creux d’une présence humaine erratique. Une co-horte de sacs plastiques, bris de verre, déchets, canettes et bouteilles vides, tiges et fils de fer rouillés, isolés de l’espace par un cadrage centré et en plongée qui les extrait, les prélève de leur lieu d’origine, créant ainsi un corpus homogène à partir de détritus hétéroclites. À propos des rebuts, Benjamin déclare d’ailleurs cette phrase, égale-ment représentative de mon travail : « Mais les chiffons, le déchet : je ne veux pas les décrire, eux, mais les montrer »78.

Parmi les artistes-collectionneurs, il en est un qui incarne à la perfection le collecteur (d’image) décrit par Benjamin. Il s’agit d’Eu-gène Atget (FIG. 26), qui a consacré la fin de sa vie à dresser un pano-rama exhaustif du vieux Paris, de ses faubourgs en train de disparaître, animé par un besoin quasi compulsif de portraiturer les artisanats en déshérence, les petits colporteurs, les chiffonniers, les zoniers… et dont nous avons abordé la pratique dans la deuxième partie de cet essai.

Une posture de collectionneur induit intrinsèquement un rap-port « fétichiste » aux objets, tel que Karl Marx l’a théorisé79, un besoin insatiable d’amplifier toujours cette collection, dans un rapport synthé-tique, métonymique au monde, par l’accumulation et la conservation de représentations d’objets voués à disparaître.

Ce besoin quasi compulsif de collection induit également une prise de risque de la part du collecteur, en tant qu’il évolue dans l’espace de non-droit qu’est le terrain vague. On citera à nouveau le film Stalker de Tarkovski, ainsi que le roman dont il s’inspire (Stalker

78 . Ibid., p. 118, fragment {<O°,36>}.

79 . MARX Karl, Le Capital. Livre I., (1867), Paris, Garnier-Flammarion, 1969.

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– Pique-nique au bord du chemin80) dans lequel lesdits stalkers (le mot anglais stalker pouvant se comprendre comme rôdeur, traqueur) partent chercher, au péril de leur vie, des artefacts mystérieux dans les méandres de la Zone interdite.

En parallèle des pratiques de glanage à chaud, réalisées dans le terrain vague par des artistes, la collection est une pratique d’échan-tillonnage du réel, une fragmentation d’éléments hétéroclites qui font ensuite synthèse dès lors qu’ils sont réunis (dans une galerie ou une édition) (sous une forme artistique?). L’exploration de non-lieux, de « sites »81 au sens smithsonien du terme, aboutissant à la production de « non-sites », c’est-à-dire une forme artistique réalisée en atelier à partir d’éléments récoltés dans des espaces entropiques et qui prend une signification en négatif une fois décontextualisée dans les galeries. Citons par exemple le travail du photographe anglais John Davies qui, dans l’exposition Hidden River82, présente une série de photographies d’herbes folles, poussant progressivement à travers le bitume du par-king d’un ancien hôpital abandonné. De même, le livre Con la coda dell’occhio83, de Marina Ballot-Charmet regroupe des typologies de pousses d’herbes qui surgissent dans les interstices des plates-bandes et trottoirs des quartiers périphériques en désuétude. Ces deux pho-tographes s’intéressent ainsi à de micro-évènements, des phénomènes tout à fait banals, infra-minces, une irruption discrète du délaissé au cœur même de la ville.

Cet acte de prélèvement d’objet visant à une production a posteriori, dans l’atelier ou la galerie à partir de ce matériau de base, se retrouve également dans nombre de pratiques artistiques liés au land art, comme celles de Robert Smithson, Nancy Holtz ou Richard Long, qui récupèrent par exemple de larges pierres plates dans le lieu en vue d’installation dans l’espace muséal. C’est ce que Smithson dé-signe comme des « non-sites », des éléments du lieu (objets, pierres,

80 . NATANOVITCH STROUGATSKI Arkadi, NATANOVITCH STROUGATSKI Boris, Stalker : Pique-nique au bord du chemin, (1972), Paris, Éditions Denoel, 1980.

81 . C’est-à-dire un espace entropique, propice pour Smithson à une production in situ.

82 . DAVIES John, Hidden River, cat. exp., Clermont-Ferrand, éditions Loco, 2013.

83 . BALLOT-CHARMET MARINA, Con la coda dell’occhio, Tavagnacco, Edizioni delle Arti Grafiche Friulane, 1995.

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FIG. 27/ Taiyo Onorato & Nico Krebs, Berlin - Marzahn, série Constructions, 2009, (Berlin, Allemagne / Basilicata, Italie), photographie noir et blanc, Fondation Sandretto Re Rebaudengo (Italie).

FIG. 28/ Georges Rousse, Archigraphies, Seoul, 2000, installation/photographie, 160 x 125 cm, galerie RX (Paris).

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détritus, terre…) faisant œuvre une fois ramenés dans la galerie. Paral-lèlement, un certain nombre de pratiques prennent directement nais-sance dans le terrain vague, notamment sous forme d’installations in situ, c’est-à-dire directement produites sur place (des « sites » donc tel que l’entend smithson). Celles-ci sont souvent éphémères et subsistent généralement uniquement sous forme de documents-témoins qui font souvent appel à l’image (photos /texte /vidéo /film). Plus encore, dans certains cas, l’image fait elle-même œuvre à part entière, bien plus que l’acte réalisé dans le lieu.

4 / Installations éphémères et sculpture spontanée : investir le terrain vague

Le terrain vague est parfois le lieu d’installations artistiques éphémères, en résonance peut-être avec les habitats précaires, les squats ou les cabanes /bidonvilles qu’il peut parfois abriter. Il repré-sente un important espace de création in situ, constituant le moyen d’une production alternative et non-fonctionnelle en son sein. À travers leur série photographique Constructions84 (FIG. 27), entre 2009 et 2012, Taiyo Onorato et Nico Krebs, artistes suisses vivant à Berlin, investissent des lieux délaissés à l’aide de tasseaux de bois ré-cupérés, redessinant à l’aide de ceux-ci la silhouette des buildings de la ville moderne à l’horizon. Cet acte dérisoire et fragile, qui est finalement prétexte à une photographie faisant œuvre, crée une passerelle entre deux espaces antagonistes, le délaissé et la cité d’immeubles de bureaux. On mentionnera également des pratiques comme celles d’Ana Mendieta, avec ses Siluetas, silhouettes féminines creusées à même le sol, ou encore les installations anamorphiques colorées de Georges Rousse (FIG. 28), généralement produites dans des bâtiments promis à la destruction, et que l’artiste réinvestit une dernière fois par une installation éphémère donnant lieu à une photographie synthétique.

84 . ORORATO Taiyo & KREBS Nico, Raise the Bar, Berlin, RVB Books /LE BAL, 2013.

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FIG. 29/ Keith Arnatt, extraits de la série Miss Grace’s Lane, 1986-87, photographies argentiques couleur, 25,4 x 20,2 cm chacune, collections du Tate Museum.

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Au-delà des formes d’installation qui peuvent prendre forme au cœur des lieux délaissés, c’est dans la dimension sculpturale même des objets qui les parsèment, que naissent certaines pratiques artis-tiques. De cette pratique de glanage photographique de détritus banals et sans vie naît un ensemble de sculptures trouvées, isolées par l’image et par l’esthétisation du réel que celle-ci opère. Par sculpture trouvée, je me réfère et me revendique directement des pratiques du duo d’artistes l’Épongiste, formé par Jean-François Robic et Germain Rœsz, dont la pratique est théorisée dans le livre Sculptures trouvées – Espace public et invention du regard85, co-écrit avec Michel Demange. Ces deux artistes collectent photographiquement, au cours de déambulations urbaines et péri-urbaines, des formes, des objets ou des pseudo-architectures qu’ils jugent posséder une présence sculpturale sur le moment. Ils choisissent toujours des formes pauvres, faites d’objets ou d’éléments banals, qui font sculpture par le regard photographique de l’Épongiste.

Mes propres Rebuts sont également le fruit d’une « appro-priation artialisante »86, à savoir que ces « objets perdus, oubliés, cassés, jetés, sont rédimés, introduits comme (substitut, partie de) réel dans la fiction de l’art, ou introduits comme objet (fictionnel) artistique dans le réel, ou la vision qu’on en a »87. Chez l’Épongiste comme dans mon propre travail, c’est la situation qui crée la sculpture. C’est-à-dire que la force plastique générée par un objet au rebut dans un contexte donné est révélée par une disponibilité du photographe au réel qui l’entoure. Robic ex-plique d’ailleurs que « ces objets manifestent à notre regard de façon précaire, incertaine, transitoire, indécise, éphémère : une manifesta-tion au /du regard exactement correspondante à la nature même des objets. Aussi, il serait tout à fait possible de ne pas les voir, de passer à côté »88. Cette disponibilité au réel est par ailleurs une idée qui, depuis Baudelaire, jalonne nombre de démarches photographiques.

85 . ROBIC Jean-François, DEMANGE Michel, et alii, Sculptures trouvées – Espace public et invention du regard, Paris, L’Harmattan, 2003.

86 . Ibid., p. 32.

87 . Ibid., p. 33-34.

88 . Ibid., p. 32.

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Sculptures spontanées et éphémères, ces rebuts, s’ils peuvent s’inscrire dans une pratique duchampienne du ready-made, (à savoir des objets prélevés sans modification dans le réel, puis présentés (dans l’es-pace d’exposition, le livre) non comme déchet, mais en tant que sculp-ture) acquièrent une dimension sculpturale et nécessairement esthétique par « l’incarnation photogénique »89 que leur confère la photographie. Demange note à ce propos que si « les ready-mades appartiennent à tout le monde »90, seules leurs images valent par l’écart dont elles témoignent. Chez l’Épongiste, c’est la copie qui l’emporte sur l’orignal parce qu’elle représente ce saut qualitatif et symbolique qui sépare la présence de la non-présence. Parce que l’image est pour Demange « le signe qui se substituant à la chose en décuple la teneur aurifère »91.

La même préoccupation typologique et sculpturale du déchet photographié habite la pratique de l’artiste Keith Arnatt (FIG. 29), à la fin des années 1980. Dans sa série Miss Grace’s Lane (1986-87), il collectionne des détritus jonchant les hautes herbes, les buissons et les talus de la forêt de Dean en Angleterre, parodiant les peintures roman-tiques du XIXe de Samuel Palmer. Par la suite, avec Howler’s Hill (87-88) et surtout Pictures From Rubbish Tip (1988-89), Arnatt se concentre sur des déchets organiques en décomposition, nimbés d’une lueur oran-gée, évoquant les toiles de William Turner.

Ces exemples permettent de mesure à quel point le terrain vague, de par son statut fondamentalement entropique, générateur de rebuts et lieu de décharge, engendre des propositions artistiques multiples, qu’elles soient de l’ordre de la collecte et de la collection, de l’installation ou de la typologie sculpturale et /ou photographique.

89 . Ibid., p. 23.

90 . Ibid., p. 8.

91 . Ibid., p. 27.

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Terrain Vague

Conclusion /

Au fil de ce mémoire, nous avons montré que le terrain vague, bien qu’envisagé par les institutions et beaucoup d’urbanistes comme à réhabiliter absolument ou à oblitérer, considéré comme une gêne et comme un espace inutile par le commun est, en réalité, de par son statut flottant et vague, le lieu de pratiques alternatives, sociales, ludiques et péri-économiques. Il est également, d’un point de vue artistique, un véritable générateur de création, induisant un ré-investissement par les artistes, du lieu, du corps et de l’objet. Il est donc partagé entre volonté de destruction ou de réaménagement planifié par l’institution et pratiques alternatives par ses usagers.

Une des solutions possibles afin de permettre au terrain vague de quitter ce statut de paria de l’aménagement urbain, pourrait peut-être résider dans le fait d’approcher cet espace en s’appuyant sur les idées du « laisser faire »et du « faire avec »92. À savoir, accepter d’une part, l’existence de zones non-fonctionnelles dans le tissu urbain, sans chercher nécessairement à les oblitérer, et d’autre part, composer avec ces espaces délaissés, au niveau urbanistique bien sûr, mais également social et artistique. Car le terrain vague peut être conçu comme un microcosme, un condensé des « futurs à l’abandon » tels qu’envisagé par Robert Smithson, présentant un champ de liberté, un espace des possibles pour la création plastique dans notre époque post-moderne contemporaine. La grande majorité des artistes évoqués dans cet essai ont par ailleurs un fort rapport à l’image, qu’ils utilisent comme médium plastique ou comme document-témoin d’une performance ou d’une installation in situ. En cela, l’image est peut-être un moyen de médiation du terrain vague, le moyen d’une réhabilitation artistique du lieu par le regard de l’artiste.

Pour élargir notre propos, il faudrait maintenant se poser la question de savoir si la diversité des interventions artistiques générées

92 . VIRET Bernard, L’avenir de la ruine dans les villes - Laisser-faire . Faire-avec . Temps . Regard, Mémoire de Master – Architecture du zéro déchet, École d’architecture de la ville et des territoires, Marne la vallée, inédit, 2010.

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Conclusion

par le terrain vague, que nous avons recensées tout au long de ce mé-moire ont fait évoluer l’imaginaire collectif attaché à celui-ci. Ont-elles permises de percevoir les zones délaissées davantage comme des terri-toires à part entière dans la ville ou se servent-elles simplement du terrain vague comme d’un champ d’exploration artistique parmi tant d’autres ?

Composer avec nos restes, les transfigurer, voilà peut-être une issue possible pour la création aujourd’hui. Car c’est dans l’espace du terrain vague que, comme l’écrit le poète argentin Roberto Juaroz, « mes restes se rencontrent avec les restes de tout ce qui jamais n’exis-ta. Peut-être que là m’attend un autre retour, un retour de quelque chose de plus que des restes ».

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“Je reviens de mes restes, de tout ce qui tomba dans le chemin,

comme un escargot de sa trace visqueuse.Je reviens de ce que j’ai abandonné

et de ce qui m’a abandonné,car les deux choses sont mes restes.

Je reviens même de moi,qui ne me suis pas abandonné

et néanmoins suis aussi un autre reste.Ma mémoire me signale une piste

et mon oubli m’en dessine une autre,précaires fils du retour.

Et derrière, loin derrière tout tracé,derrière même l’invisible,

mes restes se rencontrent avec les restesde tout ce qui jamais n’exista.

Peut-être que là m’attend un autre retour :un retour de quelque chose de plus que des

restes.”

Roberto Juaroz, Treizième poésie verticale,

éditions Ibériques – José Corti, traduction de Roger Munier,

1993, poème n°81, p.181.

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Bibliographie

Ouvrages généraux :

MAUBOURGUET Patrice (dir.), Le Petit Larousse Grand Format, Paris, Larousse, 1993.

Ouvrages théoriques :

ARANGO Glen, Street Art : Portraits d’artistes, Londres, Graffito Books, 2011.AUGÉ Marc, Non-lieux – introduction à une anthropologie de la surmo-dernité, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Librairie du XXIe siècle », 1992.BAUDELAIRE Charles, Le Peintre de la vie moderne, (1863), Paris, Fayard, collection « la petite collection », 2010.BENJAMIN Walter, « Le travail des Passages » (1935) in Walter Ben-jamin. Archives, traduit de l’allemand par Philippe Ivernel, Francfort, éditions Klincksieck, 2011, p. 256-259.BRINCKERHOFF-JACKSON John, À la découverte du paysage ver-naculaire, traduit de l’américain par Xavier Carrière, Arles, Actes Sud, 2003.CARERI Francesco, Walkscapes – la marche comme pratique esthé-tique, traduit de l’italien par Jerôme Orsoni, Nîmes, Editions Jacque-line Chambon, 2013.CHATEAUBRIAND François-René de, Génie du Christianisme, (1802), Paris, Garnier-Flammarion, 1966.CLEMENT Gilles, Manifeste pour le Tiers-paysage, éditions Sujet /Objet, mai 2004.CLEMENT Gilles, ROUX Edith, Euroland, Paris, Éditions Sujet /Objet - Jean-Michel Place, 2005.DAVILA Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002.LUGON Olivier, Le style documentaire : d’August Sander à Walker Evans : 1920-1945, Paris, Macula, 2001.

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Terrain Vague

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Terrrain Vague

MARX Karl, Le Capital. Livre I., (1867), Paris, Garnier-Flammarion, 1969.MONS Alain, L’Ombre de la Ville, « Penser l’espace », Paris, Éditions de la Villette, 1994.ROBIC Jean-François, DEMANGE Michel et alii, Sculptures trouvées – Espace public et invention du regard, Paris, L’Harmattan, 2003.SONTAG Susan, Sur la photographie, traduit par Philippe Blanchard, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1983, p. 84-87.TISSERON Serge, Le Mystère de la chambre claire : Photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1999.VIRET Bernard, L’avenir de la ruine dans les villes - Laisser-faire. Faire-avec. Temps. Regard., Mémoire de Master – Architecture du zéro déchet, École d’architecture de la ville et des territoires, Marnes la vallée, inédit, 2010.

Articles de périodiques :

BESSE Jean-Marc, TIBERGHIEN Gilles A. , « Quatre notes conjointes sur l’introduction de l’hodologie dans la pensée contemporaine », in Les Carnet du Paysage, n°11, « Cheminement », Editions Actes Sud /ENSP, 2004, p. 26-33.SCHNELLER Katia, « Sous l’emprise de l’Instamatic », Études photogra-phiques, n°19, décembre 2006, p. 69-95.SMITHSON ROBERT, « The Monuments of Passaic », (1967), repris sous le titre « A Tour of the Monuments of Passaic », in FLAM Jack (dir.) The Collected Writing of Robert Smithson, Berkeley-London, University of Califonia Press, 1996, p. 66-67.

Monographies :

ARNATT Keith, Mostyn Art Gallery, Keith Arnatt : Rubbish and recollec-tions, Llandudno, Éditions Oriel Mostyn, 1989.AUBENAS Sylvie, LE GALL Guillaume (dir.), Atget. Une rétrospective, cat. exp., Paris, Bibliothèque nationale de France/Hazan, 2007.BALLOT-CHARMET MARINA, Con la coda dell’occhio, Tavagnacco, Edizioni delle Arti Grafiche Friulane, 1995.BALTZ Lewis, BLAISDELL Gus, Park City, Albuquerque, Artspace Press, 1980.

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Bibliographie

BALTZ Lewis, HAWORTH-BOOTH Mark, San Quentin Point, Paris, La Différence, 1986.BRASSAÏ, Graffiti, (1960), Paris, Flammarion, 1993.BURTYNSKY Edward,Baichwal PAULI Lori et alii, Paysages manu-facturés : les photographies d’Edward Burtynsky, cat. exp., Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada /Yale University Press, 2003.BUSTAMANTE Jean-Marc, LAGEIRA Jacinto, Jean-Marc Bustamante, Tableaux 1978-1982, Rochechouart, MUSEE DEPARTEMENTAL DE ROCHECHOUART, 1994.CHEVRIER Jean-François, Robert Doisneau, Paris, éditions Belfond, 1983.DAVIES John, Hidden River, cat. exp., Clermont-Ferrand, éditions Loco, 2013.DISERENS Corinne (dir.), Gordon Matta-Clark, Marseille, éditions des Musées de Marseille, 1993.MEJANES Jean-François, Hubert Robert, Milan /Paris, 5 continents /Musée du Louvre, 2006.ORORATO Taiyo & KREBS Nico, Raise the Bar, Berlin, RVB Books /LE BAL, 2013.PATAUT Marc, « Le Cornillon-Grand Stade – Ceux du Terrain », Ne pas Plier, cop., 1997.ROUSSE Georges, Georges Rousse., Kyoto, édition Kyoto Shoin, 1990.SAYAG Alain (dir), Apocalypses, la disparition des villes : de Dresde à Détroit (1944-2010), cat. exp., Paris, Democratic Books, 2011.SMITHSON Robert, « Entropy and the New Monuments » (1966), in Robert Smithson: une rétrospective, le paysage entropique, 1960-1973, cat. exp., Marseille, MAC, 1994.

Romans :

NATANOVITCH STROUGATSKI Arkadi, NATANOVITCH STROUGATSKI Boris, Stalker - Pique-nique au bord du chemin, (1972), Paris, Éditions Denoel, 1980.

Films /séries :

CARNÉ Marcel, Terrain Vague, film noir et blanc, 102min, 1960.

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Bibliographie

DARABONT Frank, KIRKMAN Robert, The Walking Dead, Série télévi-sée, 4 saisons actuellement, 2010-.TATI Jacques, Mon Oncle, film couleur, 110min, 1958.TARKOVSKI Andreï, Stalker, film couleur, noir et blanc, sépia, 163 min, 1979.

Sites internet :

Univers Nucléaire - le site de la culture post-apocalyptique (www.uni-versnucleaires.com).

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Terrain Vague

Table des Figures

FIG. 1/ Gordon Matta Clark, Reality Properties : Fake Estates, 1973-1974 (assemblage posthume 1992), plans et photographies, 52,4 × 56,7 × 3,5 cm, Solomon R. Guggenheim Museum ......31

FIG. 2 / Jacques Tati, Mon Oncle, 1958, film (montage de 4 photogrammes), 110min. .........................................................32

FIG. 3/ Marcel Carné, Terrain Vague, 1960, film, 102min. ...................37

FIG. 4/ Eugène Atget, Porte d’Italie : zoniers [13ème arr], 1913, Photographie positive sur papier albuminé d’après négatif sur verre au gélatinobromure ; 16,9 x 21,8 cm, Bibliothèque nationale de France .................................................................38

FIG. 5/ Robert Adams, Eden Colorado, Circa, 1968-71, épreuve gélatino-argentique, 13 x 15 cm, George Eastman House .....38

FIG. 6/ Jean-Marc Bustamante, Tableau 17.79, 1979, cibachrome, 103 x 130 cm, Edinburgh’s Fruitmarket Gallery. ................................41

FIG. 7/ Edith Roux, extrait de la série Euroland, 2000, photographie argentique couleur, 100 x 120 cm, Galerie Le Château d’Eau 41

FIG. 8/ Hubert ROBERT, Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, 1796, huile sur toile, 115 x 145 cm, Musée du Louvre. .....................................................................................44

FIG. 9/ Richard Peter, Blick vom Rathausturm, Dresden - 1945, 1945, photographie argentique noir et blanc, 23 x 28,4 cm, Deutsche Fotothe ....................................................................................44

FIG. 10/ Robert Doisneau, La voiture fondue, 1944, photographie argentique noir et blanc,17,7 x 21,7 cm, Campredon Centre d’art, L’ Isle-sur-la-Sorgue ........................................................44

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Terrrain Vague

FIG. 11/ Stan Douglas, Michigan Theater, extrait de la série Detroit, 1999, C-Print, 75,7 x 85,7 cm, David Zwirner Gallery..............46

FIG. 12/ Frank Darabont et Robert Kirkman, The Walking Dead, 2010-, série télévisée (photogramme) ................................................49

FIG. 13/ Robert Smithson, A Tour of the Monuments of Passaic, 1967, illustrations publiées dans la revue Artforum ..........................64

FIG. 14/ Marc Pataut, extraits de la série Ceux du Terrain, 1993-1995, photographies argentiques noir et blanc, 40 x 30 cm chaque, Fonds municipal d’art contemporain de la Ville de Paris ........67

FIG.15/ Brassaï, Graffiti, Le Roi Soleil (IX Images primitives), vers 1945 - 1950, Epreuve gélatino-argentique contrecollée sur bois, 139,8 x 105 x 2 cm, Mnam - Centre Pompidou .................................68

FIG. 16/ Ernest Pignon-Ernest, Parcours Mahmoud Darwich, Ramallah, 2009, installation /collage ........................................................68

FIG. 17/ Andreï Tarkovski, Stalker, 1979, film couleur, sépia, noir et blanc, (montage de 3 photogrammes), 163 min. ...............................70

FIG. 18/ Carrey Young, Body Techniques (after “Lean In”, Valie Export, 1976), 2007, photographie couleur, 150 x 120 cm, Paula Cooper Gallery ......................................................................................72

FIG. 18 bis/ Carrey Young, Body Techniques (after Circles, Ulrich Ruckriem, 1971), 2007, photographie couleur, 140 x 120 cm, Paula Cooper Gallery ......................................................................................72

FIG. 19/ Holger Trulzsch, La matière vivante dans l’espace, série Oxydation, 1978, tirage papier au bromure d’argent, 30 x 40 cm ............72

FIG. 20/ Denis Darzacq, ACT N° 55-GLADYS FOGGEA, photographie numérique couleur, 2008, 19,5 x 22 cm, Archives Départementales de Rennes ...................................................73

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Table des Figures

FIG. 21/ Clement Gerardin, Corps /Espace-2, 2013, photographie argentique couleur, 70x70 cm .................................................73

FIG. 22/ Robert Smithson, Asphalt Rundown, 1969, performance, photographie argentique couleur, Porto: Museu Serralves. ....92

FIG. 23/ Lewis Baltz, San Quentin Point #58, 1982, photographie argentique noir et blanc, 10,9 x 22,9 cm, Tate Museum .........95

FIG. 24/ Clement Gérardin, Rebut n°6, 2013, photographie argentique couleur, 70x70 cm ....................................................................95

FIG. 25/ Edward Burtynsky, Oxford Tire Pile #29, Westley, California, 1999, photographie argentique couleur, 68.6 x 86.4 cm, Phillips Londres ....................................................................................98

FIG. 26/ Eugène Atget, Un chiffonnier, le matin, dans Paris : Avenue des Gobelins, 1899, Photographie positive sur papier albuminé d’après négatif sur verre au gélatinobromure, 22 x 16,8 cm (épr.), Bibliothèque nationale de France ...............................103

FIG. 27/ Taiyo Onorato & Nico Krebs, Berlin - Marzahn, série Constructions, 2009, (Berlin, Allemagne / Basilicata, Italie), photographie noir et blanc, Fondation Sandretto Re Rebaudengo (Italie) .........104

FIG. 28/ Georges Rousse, Archigraphies, Seoul, 2000, installation/photographie, 160 x 125 cm, galerie RX (Paris) ....................104

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Achevé d’imprimeren février 2014

à l’École Nationale Supérieure de la Photographie13200 Arles

©Clément Gérardin

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Plus d’info sur :

www.clementgerardin.com

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