Chapitre 5 Les services écosystémiques au Gabon. Le rendez ...

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HAL Id: halshs-01098647 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01098647 Submitted on 27 Dec 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Chapitre 5 Les services écosystémiques au Gabon. Le rendez-vous manqué du renouveau des politiques conservation Xavier Arnauld de Sartre, Simon Dufour, Olivier Huet, Johan Oszwald, Noel Ovono Edzang, Léticia Sello To cite this version: Xavier Arnauld de Sartre, Simon Dufour, Olivier Huet, Johan Oszwald, Noel Ovono Edzang, et al.. Chapitre 5 Les services écosystémiques au Gabon. Le rendez-vous manqué du renouveau des politiques conservation. Xavier Arnauld de Sartre; Monica Castro; Simon Dufour; Johan Oszwald. Political ecology des services écosystémiques, PIE Peter Lang, 2014. halshs-01098647

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HAL Id: halshs-01098647https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01098647

Submitted on 27 Dec 2014

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Chapitre 5 Les services écosystémiques au Gabon. Lerendez-vous manqué du renouveau des politiques

conservationXavier Arnauld de Sartre, Simon Dufour, Olivier Huet, Johan Oszwald, Noel

Ovono Edzang, Léticia Sello

To cite this version:Xavier Arnauld de Sartre, Simon Dufour, Olivier Huet, Johan Oszwald, Noel Ovono Edzang, etal.. Chapitre 5 Les services écosystémiques au Gabon. Le rendez-vous manqué du renouveau despolitiques conservation. Xavier Arnauld de Sartre; Monica Castro; Simon Dufour; Johan Oszwald.Political ecology des services écosystémiques, PIE Peter Lang, 2014. �halshs-01098647�

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ARNAULD DE SARTRE, X., DUFOUR, S., HUET, O., OSZWALD, J., OVONO EDZANG, N., SELLO MADOUNGOU, L.N., 2014, « Les services écosystémiques au Gabon. Le rendez-vous menqué du renouveau des politiques de conservation », in X. ARNAULD DE SARTRE, M. CASTRO-LARRAÑAGA, S. DUFOUR, J. OSZWALD (dir.), Political

ecology des services écosystémiques, Bruxelles, PIE Peter Lang, p. 143-161.

Chapitre 5

Les services écosystémiques au Gabon.

Le rendez-vous manqué du renouveau des politiques conservation

Xavier Arnauld de Sartre, Simon Dufour, Olivier Huet, Johan Oszwald, Noel Ovono Edzang, Léticia Sello Madoungou

Le Gabon occupe, en matière de protection de ses milieux biophysiques, une place particulière parmi les pays forestiers tropicaux. On y observe en effet une politique de conservation très volontaire, par le biais de parcs nationaux : 10,6 % de l’espace national gabonais est classé en parc national. Cette politique de conservation est principalement menée au titre de la protection d’une biodiversité remarquable, avec un appui fort des Organisations non gouvernementales de conservation (principalement la Wildlife conservation society – WCS ; et le World Wildlife Fund – WWF). Ce pourcentage d’espaces naturels conservés ne doit rien au hasard : il a été choisi à cette hauteur pour correspondre aux recommandations de la Convention sur la diversité biologique qui, pour protéger efficacement la biodiversité à l’échelle globale, avait énoncé en 2002 un tel objectif.

L’exemplarité du Gabon sur le plan de la conservation de la biodiversité nous a intéressés pour y tester l’effet que pourrait avoir une politique de Paiement de services environnementaux. En effet, nous avons vu dans les chapitres précédents que la question des services écosystémiques était étroitement liée à la gestion de la biodiversité, un argumentaire renforçant, au risque de le remplacer, l’autre. Emblématique de la question de la biodiversité, le Gabon pourrait, en théorie, être emblématique de la question du paiement des services environnementaux. Y observe-t-on la substitution d’un argumentaire par un autre ? Cela se traduit-il par un changement de pratiques ?

C’est ce que pourrait donner à penser tout un ensemble de discours autour des mécanismes REDD. Lee White, le secrétaire exécutif de l’Agence nationale des parcs nationaux gabonais expliquait, dans une interview parue en 2012 :

« [À Copenhague], il y a quand même eu une évolution, une reconnaissance du rôle des forêts tropicales, une reconnaissance de la bonne gouvernance environnementale que certains pays comme le Gabon ont mise en place. Et on va vers un marché carbone qui va nous aider à aller plus loin dans notre démarche de gestion durable et de préservation de la forêt. Il y a peu d’espoir que nous ayons un vrai marché légal avant 2018 dans le cycle de négociation. Mais cela ne veut pas dire que le Gabon ne peut pas bénéficier de ce marché assez rapidement. Des discussions sont en cours pour pouvoir valoriser la forêt gabonaise et certaines banques (Paribas, Deutch Bank) sont prêtes à mettre sur la table non pas treize euros la tonne, mais peut-être cinq. Les discussions sont en cours, mais on va voir si on peut les concrétiser. J’ai quand même l’espoir qu’on fera quelque chose. Mais le vrai marché carbone, pour nous, c’est encore loin »1

Comme tout mécanisme de paiement de service écosystémique, les REDD constituent un potentiel pour assurer des revenus à la protection de l’environnement – mais sous une forme

1 Extrait d’interview tiré de l’article « Lee White, un scientifique à la tête des parcs nationaux », Gabon review.com, publié le 17 janvier 2012.

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particulière, celle du stockage de CO2. Ils posent différemment la question de l’acceptabilité des politiques de conservation. En outre, les REDD ne sont pas le seul mécanisme de paiement de services environnementaux envisagé au Gabon, puisqu’un premier mécanisme a été testé dans le Bassin versant de la rivière Mbé autour d’un service hydrologique.

Mais la question des services écosystémiques est potentiellement d’autant plus importante qu’elle a d’autres implications au Gabon. Elle y accompagne des discours tendant à renationaliser les politiques de gestion de l’environnement. En effet, le fait que la politique de conservation gabonaise soit fortement marquée par les ONG de conservation explique que cette politique soit perçue, orientée voire menée par des acteurs allochtones – ce qui, nous le verrons, pose d’importants problèmes d’acceptabilité de cette politique. Le problème de l’acceptabilité est d’autant plus important que la création de parcs nationaux s’est accompagnée de promesses de revenus, notamment au travers de l’écotourisme, et que ces promesses peinent, dix ans après, à être tenues. Les PSE peuvent alors représenter des sources de revenus alternatives. En étant assurée, au sein de l’État gabonais, par un service différent de celui qui gère les politiques de conservation et en étant associée à des financements nouveaux, la politique de PSE a le potentiel de changer la question de la conservation des milieux biophysiques au Gabon.

C’est l’hypothèse des transformations apportées, notamment dans la logique des politiques publiques et leurs effets sur l’environnement, par le passage d’une rhétorique de conservation de la biodiversité à une rhétorique de la gestion des services écosystémiques que nous avons voulu tester en étudiant le contexte gabonais2. Cela implique de caractériser, dans un premier temps, la logique des politiques actuellement menées au Gabon avant de présenter, dans un second temps, les caractéristiques actuelles de la politique de conservation. C’est sur cette base que nous allons, dans un troisième temps, mettre en évidence les transformations qui, dans la rhétorique, accompagnent les discours sur les services environnementaux. Nous avons enfin étudié deux situations de terrain particulières, l’une où une politique est menée, l’autre où elle pourrait être potentiellement menée, afin de caractériser la manière dont les politiques sont ou peuvent être transformées par la question des PSE.

Le Gabon en Afrique centrale, ou de la logique des politiques de gestion de

l’environnement au Gabon

La présentation du Gabon par l’Agence nationale des parcs nationaux au Gabon (ANPN), l’organe en charge de gestion de ces parcs, est la suivante :

« Le Gabon, situé au premier rang des pays africains quant à la surface de forêt par habitant (22 per capita) et doté d’une abondante biodiversité, offre d’énormes possibilités pour la conservation et beaucoup d’opportunités pour une gestion durable des ressources » (Site Web ANPN, http://www.parcsgabon.org/l-anpn/l-agence).

Cette citation met en évidence à la fois la faible population du Gabon et la richesse de sa biodiversité. En termes de biodiversité, le Gabon présente l’avantage d’avoir sur son territoire six des douze « paysages » emblématiques du Bassin du Congo (Devers et Vande Wegue, 2006), en particulier de larges portions d’espaces forestiers, fluviaux, côtiers et savanicoles. Or la logique des grands acteurs de la conservation, au premier rang desquels l’UICN et la CDB, est de placer sous statut de protection une portion significative de chacun des grands types d’écosystèmes forestiers afin de conserver la diversité biologique contenue dans ces écosystèmes. La protection des grands écosystèmes du Gabon permet donc d’atteindre un objectif à l’échelle de la sous-région.

Or, pour des raisons à la fois démographiques et politiques, le Gabon est un pays particulièrement approprié pour atteindre ces objectifs. En termes démographiques, le Gabon est un pays peu peuplé : selon l’annuaire statistique de l’UNESCO, qui se fonde sur les données fournies par les autorités du

2 Cette étude s’est notamment appuyée sur deux travaux d’étudiants, l’un de doctorat (Sello Madoungou), l’autre de master (Huet, 2013), sur la question de la gestion des milieux naturels au Gabon. En outre, les autres auteurs de l’article ont effectué plusieurs séjours au Gabon, notamment sur le site de La Lopé, où ils ont effectué des relevés de terrain et des entretiens avec les différents acteurs de la conservation.

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pays, le Gabon comptait en 2013 1,6 million d’habitants (chiffre sans doute surestimé3), soit une densité totale de 6,1 habitants par kilomètre carré. Cette densité est encore moindre si on considère que 86 % de la population vit en ville, c’est-à-dire que la densité de la population rurale est de 0,8 habitant par kilomètre carré. Cela a deux conséquences en matière de biodiversité : la première, liée à l’ancienneté de la situation, est que les écosystèmes du territoire gabonais sont bien préservés ; la seconde, c’est que ces espaces étant peu habités, leur mise en protection n’implique pas de nombreuses populations. De fait, la protection de ces espaces au Gabon a surtout pour objectif de les préserver de l’exploitation forestière, qui dégrade la couverture végétale et entraine autour des campements, une importante activité de braconnage. En outre, la présence sur le territoire gabonais de ressources naturelles considérables (outre donc le bois d’œuvre, on y trouve du pétrole et des minerais tels que le manganèse et l’uranium) permet à ce pays d’avoir un PIB par habitant élevé et un fort Indice de développement humain, ce qui limite la dépendance de ses habitants à l’égard des ressources naturelles. Ces caractéristiques expliquent que son territoire national soit couvert à 85 % de forêts. Le Tableau 1 permet de constater que cette situation est assez exceptionnelle en Afrique centrale.

Tableau 1 – Le Gabon en Afrique centrale – principaux indicateurs liés à la gestion des milieux

naturels

Superficie Population

totale

Densité

globale

Densité

rurale

Pourc.

de

forêt

PIB (en

PPA) par

hab.

IDH

Angola 1 246 700 4 500 000 15 1.4 50 % 6 500 0.49

Cameroun 475 440 20 549 221 43 20.3 40 % 2 400 0.53

Gabon 267 667 1 640 286 6 0.9 90 % 16 800 0.67

Guinée équatoriale 28 051 704 001 25 15.1 60 % 36 600 0.54

République

centrafricaine 622 984 5 166 510 9 5.0 40 % 800 0.29

République

démocratique du

Congo

2 345 410 12 200 000 32 3.4 70 % 1 254 0.29

République du Congo 342 000 807 000 15 0.8 70 % 4 700 0.53

Tchad 2 345 410 75 507 308 32 20.9 70 % 203 0.29

3 « Le chiffre officiel [de la population gabonaise] est généralement considéré comme peu crédible car le faible peuplement est un grave problème politique et le Gabon pourrait avoir intérêt à surévaluer la population. En effet, le Gabon souffre d’être insuffisamment peuplé pour deux raisons principales : la première est que l’existence d’une zone où la population est peu nombreuse exerce une attraction sur les pays africains voisins qui sont plus peuplés et disposent de moins de ressources que le Gabon ; la seconde est que la puissance des Etats se mesure partiellement par référence à la quantité de population et qu’un chiffre trop bas ternirait l’image internationale du pays » (Lavroff, 2002, p. 949).

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Une autre caractéristique du Gabon est la stabilité et la structure de son système politique. Après avoir acquis son indépendance en 1960, le Gabon s’est doté d’une Constitution proche de la Constitution française de 1958, c’est-à-dire d’un régime présidentiel. Le Président, élu au suffrage universel pour sept ans, exerce une forte prépondérance sur les autres pouvoirs. Son pouvoir est encore renforcé par l’institutionnalisation en 1968 d’un parti unique – le parti du Président au pouvoir.

« Le Président de la République dispose de pouvoirs très étendus qui sont encore renforcés par sa qualité de Président du Parti démocratique gabonais, et il n’y a pas de véritable contrepoids à son omnipotence » (Lavroff, 2002, p. 950).

Cela explique que le régime du Gabon soit considéré comme un régime autoritaire. Du fait de sa structure politique, la prise d’une décision comme celle de la création de treize parcs nationaux peut être le fait d’un seul homme, le Président, si tant est que ce dernier soit convaincu du bien-fondé de cette politique. Le Gabon n’est bien évidemment pas le seul pays de sa sous-région à avoir un régime autoritaire. Mais le fait qu’il bénéficie d’un régime d’une stabilité remarquable est, là encore, un gage d’efficacité quant à la pérennité d’une décision : depuis son indépendance, le Gabon n’a eu que trois présidents de la République, le troisième étant en outre le fils du second. Dès lors, les décisions de conservation ont non seulement une bonne chance d’être prises si elles trouvent un écho favorable à l’oreille du Président, mais elles peuvent en plus être envisagées à un horizon temporel assez exceptionnel dans la sous-région.

Pour des acteurs de la conservation dont l’objectif est la conservation des écosystèmes d’Afrique centrale, le Gabon constitue un pays dans lequel cet objectif peut être atteint avec un maximum d’efficacité. La création des Parcs nationaux au Gabon s’inscrit dans cette logique d’alliance entre des ONG et un pouvoir politique autoritaire pour protéger un écosystème principalement menacé, localement, par les concessions forestières et, régionalement, par la progression des sociétés nationales sur leurs territoires.

L’histoire de la mise en protection de ces espaces telle que racontée par l’ANPN est assez révélatrice de cette logique :

« Conscient des enjeux mondiaux dès 1972 à Stockholm, et fort d’un environnement toujours aussi exceptionnel et pratiquement intact, le Président de la république, son Excellence, El Hadj Omar Bongo, Ondimba, a décidé de poursuivre à grande échelle, en l’an 2000, le travail de recensement des écosystèmes Gabonais. Avec l’appui des scientifiques gabonais du Centre national de la recherche scientifique et technologique et des ONG telles que WCS et WWF, une cartographie des écosystèmes a été réalisée à travers tout le pays. « En l’an 2000 également, à l’instar des grands explorateurs du XIXe siècle comme Stanley, Livingstone et Du Chaillu, Mike Fay, un Américain de l’ONG WCS, a réalisé avec le soutien de National Géographic, un raid très difficile de 440 jours, soit quatorze mois dans la forêt équatoriale : le Megatransect. Les centaines de kilomètres parcourus à pied, depuis le nord du Congo jusqu’à la plage atlantique du Gabon, sans jamais sortir de la forêt, traversant certains des zones les plus primitives et sauvages de la planète. Les baïs ou les éléphants se mélangent avec des gorilles, des sitatungas, des potamochères et des buffles ; les gorilles naïfs qui n’ont jamais rencontré l’homme et qui ne montrent aucune peur ; des arbres vieux de mille ans de 70m de hauteur ; et des hommes, qui vivent toujours en harmonie avec la nature, respectant des anciennes traditions qui remontent jusqu’au début de notre espèce. Avec les résultats de son recensement, et inspiré par la formidable aventure de Mike Fay, et les images époustouflantes du photographe de National Geographic, Nick Nichols, le Président Omar Bongo Ondimba décida de changer le cours de la gestion des ressources naturelles au Gabon – véritable Teddy Roosevelt d’Afrique, il annonce au sommet mondial du développement durable à Johannesburg en 2002 la création d’un réseau de treize parcs nationaux. Action caractérisée de visionnaire et de courageux par la communauté internationale, le Gabon se lance ainsi dans la préservation et le développement durable de ce patrimoine animal et végétal unique au monde, montrant l’exemple aux pays développés des actions partagées nécessaires pour sauver la planète de la crise actuelle des changements climatiques. « Comment est né le projet des parcs nationaux du Gabon ?

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« De la passion de Son Excellence El Hadj Omar Bongo ONDIMBA Président de la République gabonaise, pour la nature. « De son attachement à la défense de l’environnement et la promotion de l’écotourisme. (…) » (Site Web ANPN, http://www.parcsgabon.org/l-anpn/l-agence/l-historique-des-parcs-nationaux, consulté le 23/01/2014).

Ce texte, dont nous n’avons pas corrigé la syntaxe, met en lumière plusieurs des points essentiels qui ont contribué à la protection des espaces gabonais. On y observe une alliance entre les attentes de la communauté internationale, reprises ici par les références aux Sommets internationaux, le rôle des ONG (dans le diagnostic scientifique ou le soutien à l’explorateur) et le rôle des sociétés d’exploration (ici la National Geographic Society) et leur pouvoir de conviction par l’image. Le texte met largement en valeur le rôle prépondérant joué par le Président de la République dans cette décision – qui est souvent présentée comme la décision d’un homme seul, ce qui correspond bien au mode de fonctionnement de l’État gabonais. Le récit du Conseil des ministres qui a entériné la décision du Président a été publié dans National geographic (septembre 2003, p. 76 à 94) et est assez éloquent : aucun ministre, pas même celui des Eaux et forêts, n’était avisé de la raison pour laquelle ils avaient été conviés à un conseil des ministres exceptionnel.

Cette décision, son histoire et le contexte dans lequel elle s’insère expliquent la fragilité de cette décision, visible en particulier par son institutionnalisation incomplète, le rejet dont elle fait l’objet par les populations locales et les faiblesses du modèle économique qui la soutient.

L’institutionnalisation incomplète des parcs nationaux gabonais

L’analyse des différents acteurs qui interviennent dans la gestion des parcs nationaux du Gabon révèle l’incomplète institutionnalisation de ces parcs. On peut distinguer six types d’acteurs intervenant dans la gestion des forêts en Afrique centrale (Garmi et Doumenge, 2006) : les acteurs politiques, les acteurs de la gestion, les acteurs de l’appui-conseil, les acteurs du financement, les acteurs de la recherche et les acteurs de la formation. Nous proposons un rapide panorama des quatre premiers acteurs – les deux autres acteurs n’intervenant pas directement dans la gestion des parcs.

Nous avons déjà souligné l’importance du Président dans la prise de décision concernant les parcs nationaux gabonais. Ce rôle a encore été réaffirmé lorsque le nouveau Président, élu au décès de son père en 2008, a priorisé trois secteurs pour assurer une transition vers l’après-pétrole : les industries (augmenter la valeur ajoutée des produits extraits du sous-sol gabonais), la conservation (gérer durablement les sols gabonais) et les services (économie numérique, tourisme et plate-forme de services à l’échelle régionale).

Pour assurer la gestion de ce secteur stratégique, le Président a placé au cœur du dispositif de gestion une agence, l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN). Cette agence est chargée de mettre en œuvre la politique de l’État gabonais en matière de parcs nationaux ; son secrétaire exécutif est le directement rattaché au Président de la République, dont il est le représentant. L’existence d’une agence placée directement sous l’autorité du Président est le résultat d’un choix fort. A priori, la charge de veiller à la protection et à la conservation du milieu naturel aurait dû incomber au Ministère des Eaux et Forêts, en particulier à la Direction générale de l’environnement. C’est d’ailleurs ce Ministère qui, par le biais des brigades de faune, a autorité en matière de police environnementale. L’ANPN, bien qu’échappant à l’autorité du Ministre des Eaux et forêts, gagne en autonomie, doit d’ailleurs articuler ses activités sur le terrain avec les fonctionnaires du ministère. Le fait d’avoir créé une telle agence et de l’avoir placée sous sa tutelle directe est à la fois le signe que le Président accorde une importance particulière à la question de la conservation, mais aussi le signe d’une certaine défiance à l’encontre de ses services administratifs. Or le fonctionnement de l’ANPN montre la dépendance d’une telle institution à l’égard de diverses organisations internationales.

L’identité et la biographie du secrétaire exécutif de l’ANPN, le représentant du Président, sont un point important. Celui-ci est un Lord britannique, naturalisé gabonais, Sir Lee White, qui est écologue de formation et était, au moment de la création des parcs nationaux, le directeur de la Wildlife Conservation Society du Gabon. Il a suivi le parcours classique des biologistes de la conservation qui souhaitent associer leur participation à la connaissance des milieux naturels à la préservation de ceux-

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ci. Sa présence à la tête de l’ANPN s’explique par sa connaissance des milieux naturels et son engagement pour leur protection, mais elle pose, bien entendu, des questions quant aux liens que cette agence entretient avec les Organisations non gouvernementales.

Le mélange entre ONG et Agence se retrouve en matière d’appui et de conseil. « Les acteurs de l’appui-conseil possèdent des connaissances techniques, scientifiques et pratiques importantes pour la conservation et l’exploitation durable des forêts. Ils ont un rôle-clef dans la définition des lois et des règlements, en appui aux acteurs politiques, et dans la mise en application de ces textes, en appui aux gestionnaires » (Garmi et Doumenge, 2006, p. 56). Si certaines de ces fonctions sont remplies, surtout à l’échelle du Bassin du Congo, par des organismes internationaux (UICN, PNUE), la plupart des actions menées nationalement et localement le sont par le biais de deux ONG, le WCS et le WWF. La première a joué, nous l’avons vu ci-dessus, un rôle crucial dans la création des Parcs nationaux, tant au niveau de la définition des objectifs et des lieux de la conservation que du portage du dossier auprès du Président de la République. Une fois ces parcs créés, les ONG jouent un rôle essentiel dans la délimitation des frontières des parcs, le contrôle du respect de la réglementation, la formation des gardes moniteurs, l’éducation à l’environnement des populations locales : des conventions lient, sur chacun de ces points, ONG et administration publique. Localement, les interactions entre ONG, agents du parc et agents du MEF sont quotidiennes. Un exemple peut servir à illustrer cela : afin d’avoir une visibilité des patrouilles et des prises effectuées par les Brigades de faune, le WCS a développé une application qui permet de géolocaliser les patrouilles et les prises, application qui a été diffusée à l’ensemble des brigades de faune intervenant dans les périmètres de parcs nationaux.

En termes de financement, le budget de l’ANPN est quinze fois supérieur à celui de la direction de l’environnement du Ministère des Eaux et forêts, et provient pour moitié de financements internationaux (Mouloungui, 2014). L’Union européenne, au travers du programme ECOFAC, et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) au travers du programme CARPE (Programme régional de l’Afrique centrale pour l’environnement) financent plusieurs actions de l’ANPN.

Les liens entre l’Agence nationale des parcs nationaux et les Organisations non gouvernementales sont simples et clairs. La compétence des ONG en matière, principalement, de biologie de la conservation et de sciences de l’éducation vient en appui de la souveraineté nationale sur un territoire. Le fait que l’État gabonais n’assure pas la totalité de sa politique de conservation et qu’il recoure à un petit cercle d’ONG produit cependant, auprès d’une partie de la population gabonaise au moins, à un mouvement de rejet de la politique des parcs nationaux.

L’application de questionnaires permet d’objectiver ce rapport aux parcs nationaux des populations – bien que de manières assez imparfaites. Nous avons appliqué des questionnaires auprès de tous les chefs de ménage riverains de trois parcs nationaux (Lopé, L’Ivindo et Mwagné) qui ont accepté de répondre à un questionnaire – soit un échantillon de 144 personnes (Sello Madoungou, 2013). 42 % des répondants ont déclaré avoir une opinion favorable des parcs nationaux, 24 % une opinion défavorable alors que 33 % n’ont pas exprimé d’opinion. Ces résultats, globalement favorables aux parcs nationaux, doivent cependant être nuancés pour plusieurs raisons : d’abord, un nombre important, mais malheureusement non estimé, de personne n’ont pas répondu à l’enquête du fait, justement, de leur hostilité aux parcs nationaux ; ensuite, parce que ceux qui n’ont pas exprimé d’avis ont préféré rester mutiques dans cet aspect de l’enquête, se contentant de réponses évasives. On a ainsi des réponses du type : « C’est une bonne chose parce que l’État ne peut pas faire quelque chose de mauvais, mais bon ils nous limitent la consommation, mais c’est bien la conservation », ou « On ne nous a pas demandé notre avis donc on n’a rien à dire »

Les raisons pour lesquelles les personnes sont favorables aux parcs sont assez homogènes, ce qui est sans doute le résultat de campagnes d’information : les raisons les plus couramment invoquées pour justifier une adhésion au projet des parcs nationaux est le capital naturel exploitable touristiquement (« la conservation est une richesse qui ne va jamais s’épuiser grâce au tourisme »), la protection d’un patrimoine naturel (« ça permet la conservation de la faune et de la flore ») et l’investissement dans le futur, que ce soit pour les enfants (« comme c’est une réserve, c’est pour nos enfants pour les jours à venir ») voire pour la survie de l’humanité (« parce qu’il y a va de la survie de

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l’humanité dans le cadre du changement climatique »). La création potentielle d’emplois est en outre souvent soulignée.

Les opinions défavorables aux parcs nationaux font état soit des dégâts occasionnés par les animaux, soit d’arguments dénonçant l’ingérence étrangère : « Le pays, maintenant, c’est pour les Blancs » ; « l’État a vendu cette brousse au WCS, on ne voit pas les retombées » ; « On peut faire comment ? Ce sont les Blancs qui commandent, et s’ils ont décidé de faire le parc, on va faire quoi ? ». En situation d’entretiens, ce rejet des parcs nationaux est bien plus important que dans les questionnaires ouverts dont nous présentons ici les résultats, avec de nombreux refus des parcs et une critique importante des autorités et des ONG.

L’acceptation limitée des parcs par des populations riveraines est une problématique commune à tous les parcs nationaux. Les parcs ont l’effet de limiter fortement l’accès au territoire. Les conséquences de ces limitations d’accès sont de trois ordres : à un niveau alimentaire, cela réduit les terrains de chasse des populations de chasseurs-cueilleurs. Or ces populations restent dépendantes des ressources de la chasse soit pour leur alimentation, soit pour la vente à des marchés urbains. En outre, les animaux n’étant plus chassés, ceux-ci se multiplient et perdent la crainte de l’homme, ce qui se traduit par des incursions des grands mammifères dans les espaces villageois, voire urbains, à la recherche de nourriture. Ces incursions occasionnent ce qu’il est convenu d’appeler les conflits homme/faune – la forme la plus commune étant la destruction de cultures. Enfin, les parcs nationaux entrainent une interdiction de l’exploitation forestière sur leurs territoires, ce qui limite les possibilités d’emplois pour les populations locales.

Il est très difficile d’estimer l’adhésion des populations non riveraines aux parcs nationaux. Il faudrait pour cela mener une enquête à l’échelle nationale – ce qui n’a pas, à notre connaissance, été fait et n’était pas dans nos moyens. En tous cas, la situation locale confirme la situation d’institutionnalisation incomplète, avec une adhésion très relative de la part des populations riveraines aux parcs nationaux. Cela rend d’autant plus cruciale l’acceptation de ces parcs par les populations.

Le très faible développement de l’écotourisme explique une partie des rejets des parcs nationaux, et risque de provoquer de nouvelles désillusions. En effet, le « géotourisme »4 a été l’argument central de création des parcs nationaux, celui sur lequel le modèle économique des parcs nationaux était alors fondé. En 2012, tout le monde s’accorde à constater l’échec de ce modèle : au Parc de la Lopé, qui est souvent cité comme le parc offrant le plus grand potentiel géotouristique, on a compté, en 2011, 700 entrées payantes dans le parc. Or la plupart de ces entrées sont le fait d’expatriés vivant au Gabon, et pas de touristes venus de l’étranger. Lee White estime que pour la même année 2011, moins de 2000 personnes avaient fait du Gabon une destination touristique. Or ce sont ceux-là les cibles du géotourisme des parcs nationaux. Si l’ANPN s’est donnée jusqu’à 2016 pour faire des parcs nationaux du Gabon une destination touristique majeure pour clients aisés, tout reste à faire, à commencer par la création d’une infrastructure touristique (si l’offre hôtelière s’est améliorée à Libreville du fait de tenue en 2012 de la Coupe d’Afrique des Nations, l’infrastructure hôtelière et de transports sur et vers les parcs reste à construire), d’une promotion de la destination à l’international, du développement d’un savoir-faire dans l’accueil touristique, etc.

En attendant, les effets du tourisme peinent à se faire sentir localement : à La Lopé par exemple, quatre personnes seulement déclarent une activité d’écoguide et de manière plus générale les effets du tourisme peinent à se faire sentir. Nous avons estimé, à La Lopé et dans les villages environnant les parcs nationaux, le nombre d’années passé dans les différents secteurs d’activité au cours de la vie active de 114 chefs de famille riverains des parcs nationaux (Figure 1) : les parcs nationaux ne fournissent que 3 % du temps de travail des riverains de parcs nationaux (Sello Madoungou, 2013). Le choix du mode de calcul écrase, bien entendu, les emplois créés récemment par les parcs nationaux, mais permet de bien ressortir l’importance de la conservation localement. En 2011, notre échantillon ne comptait que cinq personnes employées dans les parcs nationaux (l’échantillon ne comprend pas les

4 « Le géo-tourisme est une forme de tourisme dans lequel on a toujours cette idée de durabilité, dans lequel on essaie de valoriser tout les aspects naturels et culturels d’un pays. C’est quelque chose de beaucoup plus intéressant pour le Gabon et les Gabonais parce que cela valorise beaucoup plus les hommes, mais pas seulement les éléphants et les gorilles », Interview de Lee White dans Gabonreview.com, publiée le 17 janvier 2012.

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fonctionnaires logeant sur les sites du parc – souvent venus de l’extérieur), toutes en ville ; alors que par rapport à 2006, quatre personnes ont perdu leur emploi dans l’exploitation forestière. Les parcs ne créent pas la richesse attendue, ce qui génère une certaine frustration.

Figure 1 – Secteurs d’activité des riverains de parcs nationaux

Données biographiques reprenant le nombre d’années de vie active passée dans chaque secteur

Les PSE comme outil de renationalisation de la politique environnementale

gabonaise ?

Les gestionnaires des parcs nationaux sont bien entendu conscients de l’incomplète institutionnalisation des parcs nationaux que nous venons de décrire. Ils mènent une politique active pour y remédier.

Trois facteurs concourent à cette situation : dans le monde de la conservation en général, on observe depuis une dizaine d’années un mouvement vers une inclusion des populations locales dans les projets de conservation. L’exclusion des populations au nom de la conservation a fait long feu, tant parce que la faible acceptation des politiques de conservation nuit à leur efficacité que parce que la volonté d’étendre les périmètres conservés amène à faire passer sous statut de protection de nombreuses zones habitées. Dès lors, de nouveaux paradigmes, plus participatifs, irriguent le monde de la conservation. Par ailleurs, les niveaux de tension sont localement très forts, et trouvent des relais dans la presse locale, nationale, voire internationale. Nous avons déjà fait état de discours de riverains fortement hostiles aux parcs nationaux ; ces discours se retrouvent dans tout le pays, et la politique des ONG au Gabon est contestée dans la presse internationale (Kialo, 2012). Enfin, le Gabon affiche une volonté de renationalisation de ses politiques, plus particulièrement en ce qui concerne ses activités extractives.

Cette politique dans le monde de la conservation se traduit par un effort particulier mené sur la formation de cadres de la conservation, une nouvelle volonté d’associer les populations locales par le biais de conseils de parcs ou de projets de développement, et par le renforcement des capacités de l’ANPN : recrutement massif de personnels, augmentation de la capacité de projection sur le terrain des équipes, équipement de surveillance des parcs. Le fait que cette politique soit menée par Lee White conduit, paradoxalement, à conclure que la présence d’un ancien directeur du WCS à la tête de l’ANPN se traduit par un recul de l’action de l’ONG dans la gestion des parcs nationaux. En ce sens,

Agriculture*

43%*

Administra3on*

17%*

Commerce*

10%*

Chan3ers*fores3ers*

7%*

En*lien*avec*parcs*

na3onaux*

3%*

Divers*

20%*

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la création des parcs accompagne le processus de fortification d’un État de droit au Gabon en permettant la réaffirmation de la souveraineté de l’État sur son territoire (Mouloungui, 2014).

Or les services écosystémiques, en particulier les mécanismes REDD, sont un argument central de réaffirmation d’une politique nationale, au moins à l’échelle internationale. Au moment où nous écrivons ces lignes, la 19e Conférence des Parties qui s’est tenue à Varsovie en décembre 2013 a réaffirmé le principe d’un fond vert pour financer les actions de lutte contre les effets du changement climatique pour les pays en voie de développement. En outre, 280 millions de dollars ont été débloqués pour le paiement d’actions qui auront prouvé leur efficacité à protéger les forêts. Le Gabon entend être un acteur majeur de cette politique. Lee White, qui a été négociateur à la conférence de Copenhague, loue ainsi le rôle joué par son pays dans la phase de négociation finale :

« Copenhague était pour moi un moment unique. C’était la première fois dans l’histoire du monde, que toute une planète se focalise sur la question de l’environnement. Elle est devenue une question politique avec les 110 chefs d’État qui étaient sur place et des milliards de personnes qui suivaient cela à la télé. Pour moi, les résultats de Copenhague ont été beaucoup plus positifs qu’on en attendait. Nous avons vu pour la première fois à Copenhague l’engagement personnel de beaucoup de chefs d’État, y compris Ali Bongo Ondimba. Il y avait un petit cercle dans une salle où il y avait 25 chefs d’État qui ont négocié l’accord de Copenhague, le Gabon était à l’intérieur et il a joué un rôle important. »

Cette volonté de réaffirmation d’une stratégie politique internationale et de redéfinition d’une politique nationale s’est trouvée confirmée au Sommet des Trois Bassins qui s’est tenu à Brazzaville en 2011. Ce Sommet avait comme objectif de définir une stratégie commune aux pays forestiers tropicaux en matière de compensation à la réduction des gaz à effet de serre. Plus prosaïquement, il s’agissait de s’entendre pour capter les ressources, que l’on espère faramineuses, d’incitation à la mitigation des gaz à effet de serre. Le Gabon s’est singularisé par une opposition à l’attitude, qu’il qualifiait d’attentiste, de la plupart des autres pays forestiers tropicaux – invitant les autres pays à définir leurs propres priorités en matière de REDD et à ne pas attendre, pour mener leur propre politique, la création d’un hypothétique fond. En matière de politique nationale, un conseiller a été chargé du Processus REDD+ au Ministère des Eaux et Forêts, mais il demeure sans attributions réelles.

Ce Sommet n’a cependant eu aucune suite. De même, sur le terrain, on observe peu de réelles politiques de paiement pour services environnementaux, pas plus que l’on comprend comment ces politiques pourraient s’articuler aux politiques de conservation existantes. Les REDD peinent à jouer un rôle autre que rhétorique. Cette rhétorique accompagne le processus de nationalisation de la politique de gestion des milieux naturels du Gabon. Cet accompagnement n’est d’ailleurs pas que rhétorique, puisque dans les cas où une politique de paiement de service environnemental est appliquée, elle vient comme source de revenus complémentaire à la conservation.

PSE ou conservation de la biodiversité ? Le cas du projet de PSE des Monts

de Cristal

Le projet du paiement des services environnementaux de la rivière Mbé se situe au nord-est de Libreville, au niveau du bassin versant de la rivière Mbé. Il s’agit d’un projet qui vise à faire payer par la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) le non-usage ou le changement d’usage des terres du Bassin versant de la Mbé afin de réduire les quantités de terres qui ruissellent dans la rivière. Le principe est que la foresterie ou l’agriculture, en provoquant un déboisement, favorisent l’érosion hydrique et donc la présence de sédiment dans l’eau de la rivière. Cette eau alimentant un barrage hydroélectrique qui fournit en électricité Libreville, les turbines du barrage peuvent être endommagées par les sédiments. Dès lors, la limitation des activités de foresterie ou d’agriculture sur le Bassin versant de la rivière peut apparaître positive pour les turbines.

Le service en question n’est pas tant lié à l’usage des sols actuels qu’aux conséquences qu’aurait une déforestation massive de la zone. La Figure 2 représente l’emprise des activités humaines sur le territoire. Celles-ci sont limitées à de petites portions du territoire : les ruissellements actuels ne remettent d’ailleurs pas en question le fonctionnement des turbines. Lors d’un entretien avec le

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responsable de la division environnement de la DEEG, celui-ci nous a d’ailleurs déclaré que le service environnemental n’était pas du tout évident : pour l’instant, l’entretien des turbines se fait tous les 30 ou 40 ans, et rien ne dit que l’augmentation des surfaces en forêt limite cet entretien (Huet, 2013). De ce fait, c’est surtout le fait de ne pas déboiser qui est un service.

Figure 2 – Le Bassin versant de la rivière Mbé

Le service fourni est donc un déboisement évité. C’est ce qui explique que le bénéficiaire du paiement du service soit l’ANPN, et non les populations locales (qui accepteraient en échange de paiement de changer leurs pratiques) ou des migrants éventuels (qui se verraient compenser une non-colonisation de la zone). En payant l’agence nationale des parcs nationaux, il est explicite que ce qui est financé, c’est le maintien d’un non-usage. Cependant, le Gabon en général et cette zone en particulier ne sont pas sous une pression directe de déboisement. De fait, les argumentaires fournis pour justifier le paiement de service environnemental sont plus de l’ordre de la protection de la biodiversité. La justification du PSE dans le projet déposé auprès du GEF est faite au nom de la valeur intrinsèque de la biodiversité, et plus particulièrement du caractère endémique des espèces présentes dans la zone. Le directeur de la communication de l’ANPN déclare, quant à lui, protéger au nom de la biodiversité fonctionnelle :

« Pour que le service existe, il faut que la biodiversité soit dans un état stable. [...] Notre boulot c’est de veiller à la stabilité des écosystèmes : pas de braconnage, interaction entre la faune et la flore, maintien des zones de reproduction écologique, de zones de reproduction animalière, maintien des interactions qui font que l’écosystème lui-même soit stable. Bien sûr, dans le temps, il y a toujours des variations naturelles des écosystèmes ; mais nous notre boulot à l’ANPN c’est gérer les parcs et gérer les parcs c’est quoi ? C’est maintenir les écosystèmes dans un état fonctionnel qu’il y ait le moins de perturbations humaines possibles et c’est à ce moment-là que l’écosystème étant stable il produit le service... »

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Il ne s’agit pas, par ce mécanisme de PSE, de payer le parc national pour implémenter une nouvelle politique, mais juste de lui permettre de continuer à agir comme il le faisait déjà. En fait, cela s’insère dans une stratégie de diversification et de sécurisation des sources de financement du parc national. Cela est dit très clairement le directeur de communication de l’ANPN :

« Vous savez notre problématique aux parcs nationaux depuis leur création c’est de ne pas se limiter qu’aux financements de l’État ; il nous faut déjà chercher d’autres sources de financements de ces parcs-là... des financements pérennes donc euh [...] depuis 2005, 2004 [...], je suis d’ailleurs venu aux parcs pour ça... on explore tous les nouveaux champs de financements et euh, les paiements pour services écosystémiques, tout ce qui est changement climatique valorisation du stockage du carbone par exemple tout ce qui est valorisation des produits forestiers non ligneux sont des pistes que l’on explore... ».

Cela s’inscrit dans une logique plus globale de diversification des sources de financement de la conservation. Le projet ne change en rien la manière de gérer le parc national, et ne s’interpose contre aucune menace directe. Il s’agit juste de faire payer un bénéficiaire supposé du parc pour un service.

Si ce projet de PSE ne change rien directement aux pratiques de gestion du parc, cela en irait-il de même dans d’autres cas ? Nous avons choisi de procéder à l’inverse de ce que nous avons fait pour ce parc. Au lieu de regarder un projet de PSE et d’analyser ce qu’il payait, nous avons voulu avoir l’approche inverse et regarder, pour un parc national donné, ce qui est effectivement produit comme service et ce qui pourrait être commercialisé.

Les PSE comme rupture dans les procédures de gestion ?

Le Parc national de La Lopé est une ancienne réserve de faune, datant de 1947, devenue Parc national en 2002. Haut lieu de la conservation au Gabon, ce parc est aussi un haut lieu touristique : situé le long de la voie ferrée qui relie Libreville à Franceville, il est facilement accessible et bénéficie d’une importante infrastructure touristique. Ce parc est composé d’une combinaison de forêts/savanes qui offre un habitat favorable aux grands mammifères. Ces derniers se cachent, en particulier pour dormir, dans les forêts, et se nourrissent dans les savanes. La présence de savanes favorise l’observation des animaux puisqu’elles offrent des espaces ouverts qui offrent des points de vue pour les animaux. En outre, des vestiges archéologiques permettent de valoriser un tourisme culturel qui a justifié le classement de La Lopé au titre du Patrimoine naturel et culturel de l’UNESCO

Nous avons, dans le cadre d’un dispositif de recherche-formation, fait plusieurs séjours à La Lopé qui nous ont permis de qualifier les différents effets que la présence d’un parc national a sur l’environnement. On a noté l’augmentation des surfaces en forêt : de 1987 à 2007, on a observé une augmentation de 24,5 % des surfaces forestières dans la zone nord du parc, du fait de l’interdiction de l’exploitation forestière et de la diminution des feux de brousse (de deux campagnes de feux par an, on est passé à une seule campagne). Cette progression se fait principalement par une progression des lisières et le long des cours d’eau, qui petit à petit grignotent les savanes. Mais la conservation s’accompagne de mesures très strictes de protection de la faune, qui ont pour conséquence une augmentation très importante des populations animales – qui de ce fait débordent des limites du parc et détruisent les cultures des populations riveraines.

En matière de services écosystémiques, cette évolution paysagère a trois effets contradictoires : le premier est d’augmenter la quantité de CO2 stocké par une progression de la forêt. Mais la fermeture des paysages peut avoir un effet néfaste sur la faune sauvage de grands mammifères, car ces animaux vivent dans les lisières. L’enfrichement des savanes risque, à terme, de faire disparaître ces mosaïques favorables aux populations d’animaux, en même temps qu’il empêchera la visibilité. C’est principalement pour cette raison que le gestionnaire des parcs nationaux maintient un plan de brûlis des savanes, afin d’assurer leur entretien. En outre, l’enfrichement favorise la création de corridors dont profite une espèce de fourmi, la Wasmannia auropunctata. Celle-ci a envahi le Parc à partir des espaces forestiers ou densément couverts : arrivée sur la zone par voie ferrée, elle a pu entrer dans le parc en profitant de la reconnexion des espaces forestiers. Or cette fourmi a une influence notable sur les écosystèmes tropicaux, mais aussi sur les activités anthropiques : elle est très agressive et, avec

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plusieurs piqûres, peut rendre aveugle la mégafaune ou des animaux domestiques ; elle contribue aussi fortement à la réduction de la biodiversité du sol du fait de sa forte capacité de prédation et de son agressivité (Holway et al., 2002 ; Vonshak et al., 2010). Enfin, les limitations des usages humains de la forêt et les débordements des animaux limitent les services de production rendus dans les parcs et leurs lisières.

De ce fait, la production de services écosystémiques par un parc national est forcément question de choix. Favoriser le stockage de CO2, comme les politiques de REDD inciteraient à le faire, implique de renoncer au service écotouristique et à accepter une perte de biodiversité du fait de la dispersion d’une fourmi à l’impact négatif sur les grands mammifères et de la perte d’espaces pour ces animaux. La gestion actuelle des parcs, grâce en particulier aux feux de savane, vise à atteindre un compromis entre les différents services.

Ce compromis est-il acceptable par un bailleur qui serait intéressé uniquement par le stockage de CO2 ? A priori non, puisque le stockage n’est pas optimisé par le parc national. Il faudrait, pour le justifier, bâtir un argumentaire favorable en faveur des bouquets de services – qu’un bailleur ne serait cependant pas obligé d’accepter. En effet, si la conservation des écosystèmes est assurée sans financement spécifique, il deviendrait inutile de financer si cela ne changeait pas les pratiques.

Conclusion

La conservation de la biodiversité est l’objectif principal de la politique de parcs nationaux de l’État gabonais, ce que la prise en charge de cette politique par des ONG de conservation montre clairement. Cette politique traduit une dépendance de l’État gabonais à des acteurs extérieurs pour sa politique en faveur des milieux naturels, mais elle s’accompagne d’un renforcement de la souveraineté de l’État gabonais. La politique de paiement de services environnementaux, que ce soit par les REDD (au niveau rhétorique) ou par le projet de la rivière Mbé, vient en appuis à ce processus – et ne peut être comprise qu’à cette aune. Ce n’est qu’en tant que source de revenus complémentaire aux parcs nationaux que ces outils sont envisagés. Et ce alors même qu’en théorie, le paiement d’un seul service environnemental (les REDD) irait à l’encontre de l’objectif même de la politique actuelle.

L’ambiguïté de la notion de services écosystémiques demeure au terme de cette analyse : son rôle de renforcement de l’argumentaire en faveur de la biodiversité se retrouve dans la politique analysée. À l’inverse, le piège est que cette politique peut conduire à favoriser certaines fonctions des écosystèmes, et partant certains paysages, plutôt que d’autres. En outre, comme toute politique, elle implique de faire des choix et peut avoir des rétroactions négatives, comme dans le cas de l’invasion par une espèce agressive.

Cet exemple confirme ainsi les liens forts entre biodiversité et services écosystémiques, en même temps qu’il introduit la notion de bouquet de services et de dysservice.

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Bibliographie

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nature au Gabon, Paris, Muséum national d'histoire naturelle, Mémoire du master Environnement, Développement, Territoire et Société, 71 p. KIALO, P., 2012, Parcs nationaux et diplomatie environnementale au Gabon, Paris, L'Harmattan. LAVROFF, D.G., 2002, Gabon, Encyclopedia universalis, Paris, p. Tome 9, p. 948-950. MOULOUNGUI, A., 2014, Gouvernance des ressources forestières au Gabon: acteurs et enjeux, Département de géographie, Université d'Orléans, Orléans, 556 p. SELLO MADOUNGOU, L.N., 2013, Le monde rural gabonais: entre production et conservation, Pau, Université de Pau et des Pays de l'Adour, thèse de doctorat (sous la direction de J.Y. Puyo et X. Arnauld de Sartre), 380 p. VONSHAK, M., DAYAN, T., IONESCU-HIRSCH, A., FREIDBERG, A., HEFETZ, A., 2010, « The little fire ant Wasmannia auropunctata: a new invasive species in the Middle East and its impact on the local arthropod fauna », Biological Invasions, 12, p. 1825-1837.