Champaigne pour tous !

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Expositions, conférences, parcours pictural Philippe de Champaigne-Jacques Paris… Saint-Julien-en-Beauchêne, Hautes-Alpes du 6 juillet au 30 septembre.

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ISBN 978-2-746649-17-0

© MAIrIE dE SAINT-JULIEN-EN-BEAUCHÊNE/EdITIONS dU BUECH 2012Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.122-5, 2) et 3) a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privédu copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentationou reproduction intégrale ou partielle faite sans consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou de ses ayants cause est illicite » ( art. L. 122-4 ). Cette représentation oureproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Champaigne pour tous !

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Saint-Julien-en-Beauchêne, un riche patrimoine artistique.

Située sur la départementale 75, entre Grenoble et Sisteron, la commune a souhaité créer unévènement autour de L’Assomption, tableau aux dimensions imposantes, commandé en 1671au peintre Philippe de Champaigne par les moines de la Chartreuse de durbon, présente de-puis le 12°siècle sur le territoire de la commune. Cette œuvre classée, la plus importante desHautes-Alpes, a été récemment restaurée ; elle est aujourd’hui conservée dans l’église parois-siale du village.

Le village de Saint-Julien peut également se vanter d’avoir inspiré un autre très grand peintredu 20 siècle : Paul Signac ( 1863-1935). Trois aquarelles représentant Saint-Julien sont la pro-priété respectivement des musées de Grenoble, Little rock (USA) et du musée national deFinlande à Helsinki.

Et enfin, grâce à Jean Giono, Beaumugne, hameau de la commune de Saint-Julien, est présentdans la littérature française.

Parcours picturalPhilippe de Champaigne, 1671

Jacques Paris, 2012

Saint-Julien-en-Beauchêne

Hautes-Alpes

6 Juillet - 30 Septembre 2012

Mairie de Saint-Julien-en-BeauchêneEditions du Buëch

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ChampaignePour tous !

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L’exposition qui fait le sujet de ce catalogue a été organisée par la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne sous la responsabilité de son maire Jean-Claude Gast.

Ce catalogue, coédité par la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne, initie un projet durablecentré sur son patrimoine : - La Chartreuse de durbon et l’Assomption de Philippe de Champaigne, - Les œuvres de Paul Signac et Jean Giono réalisées à Saint-Julien-en-Beauchêne.

L’ approche de la création artistique sous toutes ses formes , dans un petit village en milieurural, implique la population et engage la détermination de son maire pour oser avec persévérance mettre Saint-Julien sur le devant de la scène culturelle.

Ce projet n’aurait pas vu le jour sans le soutien de Frédérique Verlinden, conservateur en chefdu Musée-Muséum départemental à Gap. Elle a depuis longtemps un regard attentif sur l’œu-vre de Jacques Paris, pour lequel elle a organisé une résidence de travail devant L’Assomption de Philippe de Champaigne, aboutissant à la présente exposition.

Ce catalogue ne serait pas ce qu’il est sans la générosité scientifique d’Alain Tapié. Il nous a autorisés à utiliser largement les textes du Catalogue publié sous sa direction : Philippe de Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion. Palais des Beaux Arts de Lille, 27 avril 2007-15 août 2007. Musée rath, Genève, 20 septembre 2007-13 janvier 2008.Alain Tapié est Conservateur en chef du patrimoine, et directeur du Palais des Beaux Arts de Lille, ainsi que du musée de l’Hospice Comtesse à Lille.Il soutient avec constance notre démarche, associant la création contemporaine au patrimoine, où qu’il se trouve. Qu’il en soit encore chaleureusement remercié.

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Merci PhilippeJean-Claude GastMaire de Saint-Julien-en-Beauchêne

J’ose espérer que vous ne me trouverez pas trop familier en vous appelantpar votre prénom. Vous remarquerez que je n’aborde pas le tutoiement. Il ya quand même des limites à la bienséance  !!!Vous commencez à m’être tellement proche que je ne peux m’empêcher devous appeler Philippe.

Sans le savoir vous m’avez accompagné depuis fort longtemps, quelquesportraits de richelieu cachés dans les «  Lagarde et Michards  » pendant unescolarité poussive m’avait déjà éveillé l’œil. Et puis au gré des visites culturelles votre présence surgissait imposante parfois discrète que ce soità Port royal, au Sénat où dans d’autres lieux historiques.

Mais surtout je vous sais gré de ce tableau L’Assomption que vous avezcréé pour les Chartreux de durbon. En effet grâce à lui vous avez pu réveiller au 21ème siècle notre patrimoine et notre curiosité culturelle.Nous avons été présents avec vous à Lille, à Genève lors de cette magnifique exposition de toutes vos œuvres.

Toujours grâce à lui cette rencontre avec votre complice Jacques (Paris)au-delà des siècles n’est-elle pas magnifique  !Et pour en rajouter à cette soif jamais calmée je souhaite que votre collègue au style bien différent du vôtre, mais peu importe, Paul (Signac)se joigne à nous pour d’autres utopies.

Sans être la grenouille qui se veut aussi grosse que le bœuf, n’est-ce pas un splendide message : que, grâce à la culture et à l’art, des communes etdes habitants aussi différents aient pu se trouver et partager.La culture et l’art sont universels, sachons les préserver et les propager,l’humanité ne s’en portera que mieux.

Vous avez toute ma reconnaissance pour tous ces moments forts que j’aivécus et que je vis grâce à vous.

Encore toute ma respectueuse considération, veuillez recevoir, Cher Phi-lippe, l’expression de mes sentiments distingués.

Eloge d’une courtoisie réciproqueFrédérique VerlindenConservateur en chef Musée-Muséum départemental – Hautes-Alpes - Gap

Le public venu à Saint-Julien-en-Beauchêne, canton d’Aspres-sur-Buëch dansles Hautes-Alpes, sait-il ce que sont les Chartreux, l’Assomption de Marie, ledogme mariologique, la dévotion à la Vierge, l’apparition de la Madone en1664 à Saint-Etienne-le-Laus, une commande artistique, la vie à Bruxelles en1602, la mort à Paris en 1674, durbon avec ses mines de fer, de cuivre et deplomb, sa forêt et son prestigieux passé ?

Les peintres et sculpteurs, utilisent depuis le haut Moyen Age lacouleur dite bleu marial pour colorer la robe de la mère de Jésus.

La Toile est au XXI° siècle un écran informatique. S’y connecter permet de serépandre et d’accéder en tous lieux et tous moments à des informations et àdes contacts. Les distances métriques sont abolies. Le rapport au monde achangé : les moments d’écoute et de vision s’accélèrent. Les intervalles detemps rétrécissent. La durée d’existence rallonge. Nos facultés d’attentionsont sollicitées par des images renouvelées au rythme des secondes,… Etrecontemporain des autres exige d’être positionné en réseau et en mobilité

A la grande Chartreuse, une communauté d’hommes de foi vit ensilence dans des cellules individuelles. Ils prient 8 fois par jour...

de nouvelles appartenances se créent. d’autres dépendances se tissent. Lesliens sociétaux se dupliquent et s’effilochent. Les savoirs enseignés se diluent.Le copier-coller se propage.

Avec l’Assomption de la Vierge, unique et dupliquée, présentéedans plusieurs lieux de culte, l’église catholique propose unmoyen de cheminer vers dieu. La mère de Jésus, au terme de savie terrestre, est élevée au ciel. Le 15 août en est la célébration.

Au XVIIème siècle, les artistes se devaient d’avoir un génie immortel. Au-jourd’hui, ils ont encore des vertus. Ils sympathisent avec nos émotions. Ilsquestionnent l’espérance, la souffrance, l’effort, la patience, la vie, la mort,la résurrection, le multiculturalisme… la pérennité et les mutations de l’êtreau monde.

L’Assomption peinte par Philippe de Champaigne se trouvait dansle chœur de l’église de la maison haute de la Chartreuse de dur-bon. Les bâtiments ont été vendus, certains démolis. Leurs pierresont été réemployées pour construire des maisons dans les alen-tours… L’œuvre est maintenant conservée dans l’église parois-siale de Saint-Julien-en-Beauchêne. La composition picturale est épurée. Le manteau Bleu Céleste en-veloppe la robe rouge Passion. La Vierge est enlevée par le mou-vement ascendant des anges.

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Fi-gu-resper-duesentreCieletterre

d’un trait vif et précis, répétant le même sujet en le multipliant dans des dis-positions nouvelles, Jacques Paris questionne la pensée et le sentiment. Ilfragmente la composition, disperse la lumière, adoucit la manière.

Sur plusieurs niveaux d’ébauches et de lecture, il croque le portrait d’une ren-contre, celle qu’il vit avec le peintre Philippe de Champaigne. Il part à sa rencontre. Il questionne le chef-d’œuvre commandé en 1671, classé en 1906 au titredes Monuments Historiques. Il esquisse le contexte, décrit le sujet choisi, étudie le paysage, parcourt lesruines de la Chartreuse. Il s’approprie le tout. Il fixe pour préalable d’être agréable et sévère, géné-reux et exigeant. Zélé dans sa démarche, inspiré par le génie de Philippe de Champaigne, ilentre dans son alchimie. Il fouille sa manière de peindre, s’enfonce, creuse,capte, divise.

d’un artiste à l’autre, l’œuvre se libère de son temps. Elle nous fait entendred’autres tonalités. d’inimaginables accords virtuoses s’harmonisent. Le ta-bleau pénètre les dessins, les couleurs du carnet de croquis de Jacques Paris. Les deux approches trouvent leurs connections, forment un corps.

L’histoire est un assemblage labyrinthique dans lequel les concepts, le réel etla beauté sont blottis.

L’art contient une myriade de possibles et de repères. Il donne de la clarté àla connaissance de nos aïeux. Il singularise notre approche. Il permet d’or-donner le temps, de placer un récit, de distribuer des données.

Entre nos yeux, L’Assomption de Philippe de Champaigne convoque nos facultésd’émotion, d’intuition, de mémoire et d’imagination. Nous n’avons plus à en re-tenir la chronologie. Notre approche doit aller au-delà d’un savoir distribué parsection, discipline ou catégorie… Notre accès à l’œuvre, au lieu de superposertous ces plans de connaissances, implique un engagement, un don, celui de l’ins-tant du regard et de la quiétude de la méditation, celui du moment de la pré-sence, celui de l’instant à soi. Aller vers l’œuvre, c’est traverser une part sincère de nous-mêmes. Suivre le peintre, c’est tailler avec lui dans le détail, adopter sa langue sanspour autant la parler, entrer dans sa vérité sans la mimer.

Avec le temps, le tableau de la Chartreuse de durbon tient tout seul. Il nesert aucun discours en particulier. Il gagne en voix humaines.

Jacques Paris dessine sa lecture inventive de l’œuvre. Il décrypte l’insaisissabledans son cahier de croquis. Il le projette partout dans l’espace de Saint-Julien-en-Beauchêne. Postulant que tout est à réinventer, il prend appui sur la ren-contre et le cheminement qu’ils soient matériels, affectifs ou immatériels.

Il nous implique pour fouiller L’Assomption de la Vierge. Il fait surgir cequ’elle peut encore éveiller de curiosité et conscience.

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Jeu du ca-cher-révé-ler,dudivin-hu-main

Là réside une subjectivité qui appartient à chacun : l’un percevra la lumière,l’autre le trait, le troisième le vide ou le symbole… La nouveauté est que nous pouvons habiter cette œuvre, y pénétrer corpset âme, lui porter attention, comprendre son éloquence et trouver la nôtre.

Jacques Paris est un peintre de l’esprit. Il médite partout. Il observe, relève,légende, exécute des croquis et des lavis. Il entremêle lignes et clair-obscur.

Il nourrit sa pratique d’historien de l’art et d’enseignant pour cultiver le re-gard et l’approche de l’autre.

Le trait, les encres produites et reproduites, fragmentées et variées, font sonnerdans les rues de Saint-Julien-en-Beauchêne une rumeur particulière. JacquesParis ensemence le village. Il nous conduit aux hasards de l’œuvre, révèle latrace du sillon des chartreux, découpe, externalise et délivre l’élévation de laVierge sur d’autres formats. Il se joue du privé, public, éphémère, permanent…

distancié de L’Assomption, Jacques Paris s’écarte du savoir, parvient au vide,à sa lumière transparente et diaphane, au rien… Il fixe une fraction, mesureles transitions, évalue la pensée qui change. Il écrit des trouées. Il passe pardes pages-recueils qu’il efface et déconstruit. Son voyage se déroule par mor-ceaux. Chaque extrait donne un accès pour tous, Il défait le point de gravitéde l’ensemble. Il déstabilise le champ de force de toute composition convenue.Il préfère la périphérie, le gué et le franchissement d’une dimension à l’autre.

Placées dans le quotidien de l’été 2012, les esquisses et peintures de JacquesParis, entremêlent le vieil état des choses à l’actuel, créent des interstices,nous invitent à nous déplacer d’une tonalité à une autre.

Pour voir se manifester notre Humanité, il faut être préparé.

Passages, bordures, dégradés colorés, formats modestes, revêtent, tel unManteau de fête, le village de Saint-Julien-en-Beauchêne. Cette approche àpartir de la médiation de Marie forme un tissu relationnel où les parcourspersonnels et les sensibilités de chacun se mêlent avec courtoisie. Alors,Champaigne pour tous !

Frédérique VErLINdEN, Avril 2012.

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Une dynamique artistique entre 17ème et 21ème siècle

L’Assomption nous arrive du 17ème siècle, peint par un des plus grands artistes de son temps,né et formé aux Pays-Bas : Philippe de Champaigne. Celui-ci exporte le style flamand à lacour de Louis XIII, où il va devenir un des incontournables représentant du courant clas-sique français. Après une très belle restauration, l’Assomption est exposée, en 2007, au Palais des Beaux-arts de Lille, à l’occasion de la grande rétrospective « Philippe de Champaigne, 1602-1674.Entre politique et dévotion », sous la direction de son conservateur en chef, Alain Tapié.En 2008, le tableau est prêté au Musée rath de Genève, puis revient dans son petit villagede 127 habitants, Saint-Julien-en-Beauchêne. A cette occasion, en conférence dans l’église paroissiale qui abrite le tableau, Alain Tapiédonne des clefs historiques et religieuses, car « devant un tableau, on peut toujours passersans voir et regarder sans comprendre. C’est en effet à un effort de compréhension quenous convie l’œuvre de Philippe de Champaigne ». Un artiste présent dans la salle, Jacques Paris, dessine comme il le fait depuis toujours de-vant les œuvres qu’il rencontre et qui le touchent. Il poursuit ce travail d’études, avec lesoutien du Musée-Muséum départemental de Gap, en la personne de Frédérique Verlin-den, son conservateur en chef. Elle s’intéresse depuis longtemps au travail de JacquesParis, qu’elle expose dans les collections permanentes du Musée. Jean-Claude Gast, maire de Saint-Julien-en-Beauchêne, est conscient que l’ œuvre deChampaigne, essentielle aux yeux d’un public averti, est méconnue dans le départementqui le conserve, ainsi que des nombreux visiteurs qui y passent.Il a alors l’idée d’un projet qui rassemblerait plusieurs expositions, le tableau de l’Assomp-tion et le travail d’un artiste contemporain inspiré par cette œuvre.

Claire Lamy

Le parcours dans le village entre les deux lieux d'exposition des œuvres de Jacques Paris,l'hôtel Les Alpins et l'église Saint Blaise, est revêtu de plaques reproduisant ses dessins etses peintures.« Les jours de liesse, dans l'Italie de la renaissance les tentures décorant les palais sontsorties et suspendues pour pavoiser la ville, devenant en quelque sorte des vêtements,des habits de fête. L'église sort ses ornements dans des processions à travers les rues. Lacélèbre toile de Claude Monet « le 14 juillet » montre aussi cet habit de lumière éphémère,dans un temps saisi comme les lumières fugaces sur la façade de la cathédrale de rouen.Ainsi Saint Julien-en-Beauchêne se pare de ses richesses intérieures contenues dans letableau de l'Assomption de Philippe de Champaigne et révélées par le travail passionnéde Jacques Paris. Les reproductions sur des plaques fixées sur les maisons laissent paraîtrede façon éclatante son approche de cette grande peinture héritée des moines chartreuxde durbon. Elles ponctuent la voie jusqu'à l'église où elle est conservée et nous oriententaussi, précieux palimpseste urbain, vers la trace tenue laissée par ces religieux puisqueles ruines de la Chartreuse sont sur le point de nous échapper ».

Gérard Boisard

L’Assomption, 1671Philippe de Champaigne

Huile sur toile. H. 2,45m ; L. 1,85m. Cadre rapporté.

Statut juridique : propriété de la commune de Saint-Julien-En-Beauchêne.

Edifice de conservation : Eglise paroissiale Saint-Blaise.

Historique. Peint en 1671 sur commande des chartreux de durbon.

Cette date est attestée par une quittance signée du peintre et conservée aux

archives départementales des Hautes-Alpes ( 1H148) .Ce tableau a été classé

monument historique le 12 décembre 1906 .

dans la religion catholique, l’Assomption est l’enlèvement miraculeux de la

Vierge au ciel, par les anges.« dans ce siècle qui voua à la Vierge une grande

dévotion, Ce thème a plusieurs fois été peint par l’artiste à partir de 1620 : treize

Assomptions, huit parvenues jusqu’à nous, dont 4 pour des chartreuses ».

deux Assomptions de Champaigne sont conservées dans notre région :

L’Assomption de Marseille, exposée au musée des Beaux-arts, a été peinte

en 1646. Elle ornait l’oratoire de l’appartement d’Anne d’Autriche au Val-

de-Grâce. « Vive lumière, couleurs très claires et perlées, joyeuse agitation

qui anime la Vierge » caractérisent le style de Champaigne pour cette œuvre.

L’Assomption, peinte en 1639 pour l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, fut

saisie au moment de la révolution française, et mise en dépôt au musée de

Grenoble. L’Assomption de Saint-Julien-en-Beauchêne a l’originalité d’être

restée dans le lieu, ou presque, pour lequel elle a été peinte : la chartreuse

de durbon, sise sur la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne. Comme les

Assomptions de Bordeaux (1673) et d’Alençon (autour de 1656), elle fut

commandée par les chartreux, ordre avec lequel le peintre entretenait

d’étroites relations.

Très longtemps méconnue, cette œuvre « constitue un repère essentiel pour

reconstruire l’activité » et le style de Philippe de Champaigne à la fin de sa vie.

La Vierge « s’offre à nous, compacte, calme et solennelle », baignant dans

une lumière chaude, aux « couleurs vives et sensuelles » ; l’artiste nous donne

une « vision très concentrée » dans laquelle Marie nous apparaît à la fois

« imposante et légère ». Le style, en comparaison des Assomptions précé-

dentes, est ici retenu, presque dépouillé, et cependant limpide.

Claire Lamy

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Philippe de Champaigne (1602-1674)

Eléments de biographie.

Né en 1602 à Bruxelles, Philippe de Champaigne fait son apprentissage dansl’atelier bruxellois d’un peintre paysagiste. Comme les artistes de l’époque, ilsouhaite visiter rome, mais s'arrête à Paris en 1621. Il se fixe au quartier latinoù il se lie d'amitié avec Nicolas Poussin ; en 1625 il commence à travaillerpour son compte. Ayant regagné Bruxelles, il est rappelé un an plus tard parl’intendant des bâtiments de Marie de Médicis pour participer à la décorationdu palais du Luxembourg. Commence alors une carrière de peintre à La Cour :nombreux portraits de Louis XIII, de Marie de Médicis, du Cardinal de riche-lieu : il est le seul peintre autorisé à peindre le cardinal de richelieu en habitde cardinal : il le représente onze fois. Il est, avec Simon Vouet, l'un des deuxpeintres les plus recherchés du royaume. Ces portraits, présents dans tousles livres d’histoire, sont ainsi plus connus que le peintre lui-même !Il décore de nombreux bâtiments à Paris : le palais du cardinal, le dôme del'église de la Sorbonne ; la cathédrale Notre-dame-de-Paris, dont le célèbre« Vœu de Louis XIII » date de 1638. Il dessine également plusieurs cartonspour des tapisseries. Il est un des membres fondateurs de l'Académie royalede Peinture et de Sculpture en 1648.

À partir de cette date, il se rapproche des milieux jansénistes et devient lepeintre de Port-royal. II exécute une série de portraits des moniales et desSolitaires qui sont un des sommets de son art. Il est également très prochedes Chartreux dans leur esprit de renoncement et de pauvreté. Après 1654, il se heurte à la concurrence de Charles Le Brun. Il décore l'ap-partement d'Anne d’Autriche au Val-de-Grâce ainsi que le réfectoire de cethôpital. Il est nommé professeur en 1655 et participe à la décoration des Tui-leries, cette fois sous la direction de Charles Le Brun.

À la fin de sa vie, son activité pédagogique devient plus importante : mêmesi aucun écrit ne subsiste de sa main, il existe des transcriptions de plusieursde ses conférences, publiées en 1669. Il y commente plusieurs œuvres, dontcelles du Titien, participant ainsi au débat entre coloristes et dessinateurs etprônant une attitude modérée.

Lors d’une, conférence donnée en 1669, Champaigne met en garde les étu-diants contre les risques d’une imitation trop servile de leurs maitres. « Toute sa vie il s’est tenu à l’écart de rubens que pourtant il n’a jamais cesséd’admirer. » Il insiste sur l’apprentissage de la diversité : « raphaël pour lacorrection du dessin, Titien pour l’union des couleurs ». En conclusion du catalogue consacré à l’œuvre de Philippe de Champaigne,par le Palais des Beaux-arts de Lille, Alain Tapié note « qu’il n’y a guère decarrière plus longue que celle de Philippe de Champaigne au service des sou-

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Autoportrait de Philippe de Champaigne.Gravure de Gérard Edelink.

verains qui se succèdent en France de 1625 à 1674 et guère d’artiste plus in-vesti dans la recherche d’une juste expression du sentiment religieux. Nourri de multiples expériences et porteur d’un idéal qu’il tente d’incarner,Champaigne a toujours été reconnu comme un grand peintre. Il a pratiquétous les genres, mais c’est dans la peinture religieuse qu’on saisit le mieux lesenjeux de sa pratique et qu’on peut suivre l’approfondissement de son esthé-tique spirituelle »

Extraites du passionnant travail d’Alain Tapié, quelques phrases très éclai-rantes sur l’art de Champaigne : Tapié souligne « son goût de l’ordre et desgestes à l’arrêt, une réserve et une dignité, une pudeur, un art sans tapage,un réalisme fondamental, une intériorité surtout…»« Il partageait (avec rubens) une même culture de la physionomie, de la mo-numentalité, des drapés, de la stridence et de la franchise des coloris, de ladensité de l’être dans les postures et les gestes …»« …dans leur austérité sculpturale, les plis portent le poids de l’espace, et lacouleur l’intensité du temps présent… »« La peinture de Philippe de Champaigne tente…par une gestualité qui sem-ble codée mais qui reste spontanée, comme suspendue dans l’espace, un co-loris dense qui se déploie avec ampleur dans le vif et le franc, un agencementstructurant des espaces qui rétablit, malgré la multiplicité des points pers-pectifs, la planéité du tableau… »

Claire Lamy

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Philippe de Champaigne dans son sièclePhilippe de Champaigne était de tempérament pieux  ; après denombreux deuils (sa femme, son fils unique et sa fille cadette), ildonne un part encore plus grande à la religion dans sa vie  ; dès1643 il fréquente Port-royal et sa fille Catherine y prend le voileen 1657 : elle figure sur le célèbre tableau l' Ex-Voto en 1662 auxcôtés de la Mère Agnès Arnaud. Ce double portrait est réalisé à lasuite d'une longue maladie invalidante qui affligeait Catherine etqui guérit miraculeusement. On peut imaginer dans quel étatd'esprit Philippe de Champaigne peignit ce tableau  !

L'Abbaye de Port royal fut la cible, dès la prise personnelle dupouvoir de Louis XIV en 1661, de persécutions entre 1709 et 1713  :dispersion des nonnes, destruction des bâtiments de Port-royaldes Champs, exhumation des corps ensevelis dans le  cimetière ;pourtant nombreuses étaient les personnalités qui eurent desliens avec Port-royal à commencer par Blaise Pascal qui à l'occa-sion des polémiques religieuses qui agitèrent ce siècle, publia les

fameuses Provinciales en 1656  ; on peut citer aussi Jean de LaFontaine, qui avait noué de solides liens d’amitié avec robert Ar-naud d’Andilly, poète comme lui. On lui demanda, en 1671, d’ap-poser son nom prestigieux à une anthologie de poèmes réunie parles Solitaires dans le cadre de leurs publications pédagogiques,«  le recueil de poésies chrétiennes et diverses  ».

dans la période où peu avant sa mort Champaigne peignait plu-sieurs Assomptions de la Vierge entre 1970 et 1974, racine quiavait fait ses classes aux petites écoles de Port-royal des Champspubliait «Bérénice  », « Bajazet  », « Mithridate  » et «  Iphigénie  »,Corneille «Tite et Bérénice  », «  Psyché  »  , «  Pulchérie  » et«  Suréna »  ; Molière  : «  Le Bourgeois Gentilhomme » en 1670avec une musique de Lully ; et «  Le Malade Imaginaire  » en 1673avec une musique de Charpentier  ; Boileau, « L'Art Poétique » en1674 et Bossuet avait déjà prononcé deux oraisons funèbres.

Elsa Micholet

Jacques Paris, éléments de biographie.

Né en 1948 au Vietnam ; Il vit en Afrique jusqu’en 1964. Il poursuit des étudesartistiques à Paris de 1967 à 1972. Il va dessiner tous les matins au Louvre lesœuvres de Chardin, Poussin, son préféré, et delacroix. Les peintures de lagrotte Chauvet l’ont aussi profondément marqué.

Il travaille dans les Hautes-Alpes depuis 1975 où il enseigne. Il expose depuis 1978.

Chez Champaigne, il admire la force de travail, la puissance de sa foi, « quiseule peut produire de telles œuvres », reconnaît-il, lui qui n’est pas croyant. Autre sujet de fascination, qui fait que l’artiste peut passer des heures à tra-vailler devant le tableau : la somme de connaissances techniques, religieuses,scientifiques, bibliques, historiques, linguistiques, mythologiques, nécessairesaux peintres de l’époque pour représenter la réalité. « N’oublions pas que les peintres étaient alors les seuls grands pourvoyeursd’images. » Et puis, « Il y a une jubilation du regard devant l’œuvre d’unautre peintre! Me trouvant devant une œuvre du passé, il se produit quelquechose qui est d’abord et reste un contact effectif, la réalisation d’une extrêmeproximité entre elle et moi que le dessin révèle, car il ne s’agit pas d’uneinterprétation, qui suppose une distance ou une posture. »

Son travail artistique le conduit à fragmenter l’œuvre de Champaigne en mul-tiples Variations, et en même temps, chacune la donne à voir toute entière.démarche précieuse, passionnante et éclairante pour le spectateur.Cette démarche plastique rappelle le travail de Picasso sur les Menines de Vé-lasquez et de bien d’autres : cette fascination pour la peinture d’un grand an-cien, au point de la décliner indéfiniment comme pour en saisir le mystère.

Claire Lamy

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Champ visuel

Le travail, la grâce, l’absolu…la connaissance, le savoir de tout…grand siècle de France.Voilà le peintre d’aujourd’huiregardant ce mystère à transmettre.Le voila des heures durant chassant le détail d’un pied, d’un drapé,isolant le fragment, restituant l’énergie en touches éparses…

Et si le remède à nos manièrespassait par la précision d’une recherche intime, introspective ?Et si la formule du temps infini absolument passait par le regard fracturé, fractal ?Tableau, dévotion, mystère… S’y plonger, s’y dévouer.. ; trouver une voie enfin sienne : devenir.

reproduire le plaisir de cette recherche,s’y développer, s’y lover.Et restituer à autrui cette joie de n’avoirrien trouvé, mais ressenti beaucoup.

du mystère de l’Assomption au ressac denos jours, l’écume d’une époque vient auxlèvres des baroques.

Olivier dalmon

MétamorphosesLes dessins et peintures à partir de l'Assomption de Philippe de Champaigne

1/ Le travail de Jacques Paris à partir du tableau de Philippe de Champaigne s'est dérouléde 2008 à 2012 en plusieurs phases correspondant à l'évolution du dialogue établi avecl'œuvre.

2/ Il y a d'abord les dessins faits au cours de ses nombreuses stations devant l’œuvre. Ledessin ne cherche pas la capture mais fouille dans le fourmillement de telle ou telle partiedu tableau à la découverte de la vie propre à chacune d'elles.

3/ Une deuxième phase prolonge l’approche des dessins sous forme de petites peintures: les Variations Baroques.Cette suite fait ressortir ce qu'il y a d'inouï dans le réalisme du tableau malgré son ap-parente retenue. des fragments reprographiés des dessins sont utilisés comme des ma-trices d'où jaillissent des couleurs faisant subir des métamorphoses aux motifs dutableau (la Vierge, les anges, les drapés). Le thème et la forme de l’Assomption com-mencent à se diluer, se détacher des codes religieux et picturaux auxquels l’œuvre deChampaigne obéit.

4/ dans la troisième phase, s’opère un « déplacement de point de vue ». L’Assomption,ayant en quelque sorte «  couvée en lui  », se retrouve dans un «  ailleurs  », hors de sonargumentation religieuse, hors de sa fonction première de dévotion.Les peintures Manteau et Ange, correspondent à cette phase, animée d’une jubilationd’un tout autre mode : à partir de la richesse des figures de la Vierge et des anges, lasomptuosité des matières des plis, la déclinaison des bleus, la textures des chairs roséeset dorées, le velouté des gris-blancs des nuages, les peintures font voir un va-et-viententre profusion et vide, entre saturation et désir violent de respiration.

5/ Quatrième phase : le triptyque Petites Méditations montre un processus d'effacementdes motifs des anges et de la Vierge, une disparition en cours. Ces collages de petits for-mat sont une manière d'hommage et la forme non-achevée de la relation silencieuseentre les deux peintres.

Afin d'établir un lien entre ce travail réalisé à l'intérieur de l'église, résultat d'un dialogueintime avec le tableau de Champaigne, et l'espace public du village, Jacques Paris a penséun dispositif d'extériorisation. C'est à cet objectif que tendent les reproductions de sesdessins et peintures accrochées sur les murs des maisons, une trentaine de plaques d'alu-minium imprimées qui ont fait l'objet d'un travail de recadrages et de retraitement descouleurs en accord avec leur fonction spécifique d'animation du parcours entre les deuxlieux d'exposition des peintures aux cimaises de l'Hôtel Les Alpins (les Variations Ba-roques ) et sur les murs de l'église Saint-Blaise ( les dessins, les Manteaux et Anges, letriptyque Petites Méditations), en regard de L'Assomption de Philippe de Champaigne.

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Catalogue

Jacques Paris dessins, peintures, lithographie,

dessins 1 à 11 encre sur papier, 20 x 14 cm,2008-2011

Variations Baroques 1 à 12teinture et collage sur papier Arches50 x 35 cm,2010

Manteaux 1 à 6et Anges 1 à 6pigment, graphite sur papier Arches marouflé sur toile81 x 65 cm,2011-12

Petite Méditation triptyquecollage sur papier Arches, 3 x [20 x 15 cm],2012

Variation Champaigne,

lithograhie sur Arches,

65x50 cm

2011

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dialogue pictural : Champaigne, Paris.Introduit par ce titre léger et plein de promesses, « Champaigne pour tous », l’exposition de Saint-Julien-en-Beauchêne est le résultat d’un dialogue pictural entrepris par Jacques Paris avec le tableau dePhilippe de Champaigne : L’Assomption.

Ce grand tableau, avec les dessins et les peintures quilui font écho, obéissent à une délectation, terme queParis affectionne, le tenant de Nicolas Poussin. L’enjeu de cette exposition est de permettre au spectateur, de suivre la relation entre deux pratiques,deux conceptions de la peinture.Pour l’un, Champaigne, la peinture est affaire de dévotion chrétienne ; pour l’autre, Paris, elle s’inscritdans une pratique où la foi est absente. L’itinéraire de Champaigne est marqué toute sa viepar l’élan mystique vers la figure féminine idéale.Paris n’est pas moins habité par les textes sacrés bibliques qu’il fréquente depuis longtemps, mais, ennon croyant, il peint la femme et non la Vierge. Par delà les modalités de leurs peintures, l’une ancréedans les codes du classicisme issu de la renaissance,l’autre héritée des courants essentiels les plus décisifs,selon lui, du XX siècle, cubisme et abstraction lyrique,et au-delà de la foi de l’un et de l’athéisme de l’autre,il existe une charnière, un lieu commun où s’est établi le dialogue : l’Assomption, thème pour l’un,motif pour l’autre.

Paris peint à partir de ce qu’il voit dans le tableau deChampaigne, ce qu’il peint c’est ce que celui-ci a dé-clenché en lui. Champaigne peint une image correspondant à uneiconographie faite de règles liées aux canons de la liturgie catholique. A ces codes acceptés, il ajoutebien sûr sa liberté créatrice : composition du tableau,disposition des figures, couleurs, toutes ses Assomptions sont subtilement différentes.

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Qu’ont en communL’Assomption de Champaigne et les peintures de Paris ?Sans doute parlent-elles chacune du sentiment et de

l’appréhension de la non séparation du ciel et de la

terre ; sans doute aussi l’un et l’autre peintre éprou-

vent-ils chacun « à leur façon », qu’il n’y a pas forcé-

ment d’abîme entre le ciel et la terre….. c'est-à-dire

en nous-mêmes ?

L’un et l’autre devant l’Assomptiondepuis le « début » de l’histoire de Marie (l’Annoncia-

tion), jusqu’à sa « fin » (l’Assomption), il n’y a que la

figure de l’ange pour l’accompagner. Toute cette

histoire parle du corps encombrant (cf. le dogme de

l’Immaculée Conception) , empêtré dans la matière, de

sa conception à sa décomposition « dé-tachées ». Cette

histoire parle aussi de la dissolution du corps, de sa

fusion avec La Nuée Céleste ( de même pour le Christ

après sa mort), vers la vie sans fin de la résurrection.

L’Ancien Testament dit déjà cet encombrement du

corps dans ce « Libère moi des sangs » du Psaume 51, 16.

dans le tableau de Champaigne, la Vierge est seule,

elle occupe l’espace supérieur « séparé » d’en bas par

les nuages qui la portent.

Paris tire de ce motif le Manteau c’est à dire l’enveloppe.

Tous deux traitent la solitude attachée à Marie : elle est

une femme seule de l’Annonciation à l’Assomption, en

passant par cette parole terrible à travers laquelle elle est

évoquée dans son humaine maternité, parole rapportée

de Jésus, son fils, peu avant de mourir :

« Qui est ma mère ? » (Mathieu).

dans l’Assomption, Champaigne met l’accent sur la

« manifestation de la grâce qui habite cette figureperdue entre ciel et terre, sur la sensation diffused’une présence cachée dans l’espace ambiant qui sefait ainsi personnage principal du tableau. »Les 6 peintures Manteaux que peint Paris traitent de

l’absence du corps et interprètent cette montée cé-leste du corps de Marie comme un évènement dans lebleu du ciel : le bleu du manteau de la Vierge, dans lescodes de l’iconographie mariale, marque son apparte-nance céleste, mais pas le ciel lui-même.

L’art, le beau, la foiLa peinture de Champaigne est comme une prière,elle exprime quelque chose que Champaigne ne peutpas inventer. L’Assomption a été peinte pour la prièredes Chartreux qui vivent dans un désert, lieu le plusfavorable pour provoquer la rencontre avec dieu. Paris n’a pas dans sa peinture cette conception duBeau devant être atteint, d’un Beau qui préexiste àl’acte qui le trouverait. dans ses peintures les formessont palpitantes puisque toujours se transformant,non définitives et inattendues.

Champaigne peint avecla sublime assurance decelui qui a la foiParis n’est pas dans le doute pour autant : ses peinturessont des espaces faits de « la variance » de toute chose. La variance exprime, selon le philosophe et sinologueF.Jullien, qu’une forme ne saurait être définitivementconcevable sous un seul aspect la définissant, aurisque de la faire mourir. Il souligne l’ancrage mentalqui différencie radicalement les conceptions orien-tales et occidentales de l’art et du Beau.Le travail de Paris est très influencé par ses immer-sions dans les cultures de l’Asie et de l’Afrique, jusqu’àl’âge de 16 ans. « Quiconque a la foi trouve dans les histoires bibliquesla matière dont est fait le buisson ardent de Moïse, ilbrûle sans combustion ». C’est ainsi que procéde Champaigne. Paris « ne laissepas pour autant ces histoires en paix ». Il en revientensuite avec « une poignée de cendres chaudes »,

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comme l’écrit Erri de Luca dans « Noyau d’olive » oùil témoigne de sa fréquentation assidue de La Bible,bien qu’il ne soit pas croyant. Toute la journée il re-vient sur ces textes qu’il tourne dans sa bouchecomme on fait d’un noyau d’olive. Champaigne peutpeindre le corps de La vierge assis sur des nuages sou-tenus par des anges. Ils sont tous tenus ensemble parson sentiment religieux.Paris voit ce tableau et peint ce qu’il appelle le Manteau,qui est une forme faite de bleus, de gris, de noirs, derythmes, c'est-à-dire un instant du ciel. Il peint aussides corps d’anges noyés dans le flux de nuages, flot-tant « entre deux eaux ».

Une quête qui se pro-longe : désir d’infini etde contemplation En regard de la grande composition de Champaigne,Paris peint des fragments, pas des extraits, qui ontune vie autonome. Il se produit immanquablement là,une métamorphose de l’iconographie de l’Assomp-tion, transformée par une vision et une expériencequi ne sont soumises à aucune condition préalable duciel-espace infiniment inatteignable. L’Assomption de Champaigne peut s’interprétercomme « la quête intérieure de l’homme, face à sa liberté de penser et de croire au salut ».Le travail de Paris sur ce tableau se détourne de laquête de Champaigne dans « son essai et sa démons-tration du sens du visible », son « plaisir mystique »,et sa « patiente rhétorique picturale »Paris montre, en partant des motifs de cette peinture,que ceux-ci, à travers et par-delà leur style et leur nature religieuse, peuvent avoir une autre vie expri-mant un désir d’infini sans métaphysique et une contemplation sans mysticisme. L’Assomption devient pour Paris, non pas un sujetmais une source qu’il décline en correspondances,tensions actives entres anges, nuages, vierge, espace,paysage, éclairage.

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dans l’atelier de Champaigne, comme dans tout atelier depuis la renaissance, il y avait « le peintre desdrapés », celui « des ciels », celui « des paysages »…Lui, le Maitre , avait mis en place le projet du tableau,sa composition et veillait à son accomplissement, à sa ressemblance rigoureuse au codes et au modèleparfait. La peinture de Paris ne vient pas de l’accomplisse-ment d’un projet, mais plutôt du déroulement d’unprocessus ; ce qui vient ou plutôt se passe, est de na-ture imprévisible et inattendue, ne « colle » pas à lafiguration ; sa peinture est « dans l’esprit de » , dansla consistance de ces choses ( drapés, ciels, anges,Vierge…) et veille à laisser à ces choses l’inépuisabledont elles sont faites.

La recherche de la forme idéale débouche chez Cham-paigne sur un tableau plein, où tout est peint. Paris se plie à la mouvance et aux correspondancesdes choses, et cela donne une peinture faite de videset de pleins, évitant par là l’écueil de réduire unechose à elle seule, séparée, étouffée, sans respiration. Chez Champaigne les figures de La Vierge et desanges, expriment ce qui les animent intérieurementet tous jouent comme des acteurs selon un rhéto-rique codifiée.Paris sort ces mêmes figures du jeu auquel elles sem-blaient attachées, et elles nous montrent alors leursflux internes, leur animation.

Claire Lamy

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Jacques Paris, en perspective.« La réflexion qui suit, veut éclairer l'écart de montravail par rapport à l'Assomption de Philippe deChampaigne.Elle concerne la question de l'adéquation du style etdu sujet : dans le tableau de Champaigne, je ne voispas l'expression du mystère sensé habiter l'Assomp-tion sous la scénographie datée, réduite à un symbolisme d'accessoires, d'ailes, de nuages..., et j'aipeine à imaginer que ce traitement réaliste du mystère puisse transporter un fidèle, ni à fortiori un spectateur actuel. En effet, l'excès de règles et la volonté de réalisme(qui caractérise l'art français surtout dès le momentoù celles-ci sont dictées par l'Académie royale dePeinture créée en 1648 et dont Champaigne fut un pilier) a fini, sans compter l'épuisement par répétitiondes schémas iconographiques, par nuire à l'expressiondu spirituel ; à trop avoir arrêté le visible, les règlesclassiques ont empêché toute possibilité de dépasse-ment du visible en invisible.Or n'est-ce pas le projet d'une peinture religieuse quede toucher à l'invisible (l’art roman y est parvenu,l'art gothique et celui de la première renaissanceaussi, avant que le classicisme ne fige les choses)?C'est cela qu' au 20°siècle, la peinture (Kandinsky,

Braque, le Matisse de la fin) a du et su retrouver endépassant et en faisant voler en éclat ce blocage : « ça ne marchait plus ».Je suis habitué à la peinture du 17ème siècle, je la fré-quente surtout à travers celle de Nicolas Poussin, et j'aime le tableau de Champaigne, en tant que pein-ture, mais je ne suis pas touché par son sujet. C'est une très belle peinture, à l'agencement savant etaux coloris subtils, dans laquelle Champaigne a resserré le sujet, concentré la composition et la pa-lette colorée. Je peux comprendre qu'au 17ème siècle, elle ait suscitéla dévotion des Chartreux qui la lui avait commandée. En non-croyant, aujourd’hui, je la vois plutôt en sa-

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vourant le traitement de l'espace, incandescent versle haut, froid d'ardoise en bas, les zébrures des rais delumière et la délicatesse des montagnes lointaines quibarrent la peinture tout en bas, mais elle ne me mon-tre pas d' « ailleurs ».

Cette saveur procurée par Champaigne, cette jubila-tion, m'ont en revanche conduit, dans mes travaux, « d'après » et « à partir » de sa peinture, à tenter de renouer avec une dimension ( qui n'est pas l' « ailleurs» chrétien) qui manque aujourd'hui dans le tableau deChampaigne, empêtré dans ses empêchements à voir.Pour autant, mon travail n'est pas une interprétation« contemporaine » de l'Assomption. Il a été menédans le respect de ce que je vois dans le tableau,mais, une fois dites dans un langage pictural plusproche et plus commun, les choses se trouvent transportées et rendues à nouveau lisibles aux yeuxdes spectateurs d'aujourd'hui. Il s'est opéré une sorte de transmission, non pas unemanipulation de l'iconographie de l'Assomption, quiappartient à l'histoire et à la sphère privée catholiqueoù elle entre dans l'élaboration par l'église du cultemarial, mais une transgression de son esthétique del'Idéal, visant le Beau absolu, une esthétique, il faut leredire, qui proclame qu'aucune représentation sensi-ble ne peut espérer exprimer un sujet touchant « auxfins dernières. » C 'est bien ce qui fonde l'élévation ducorps de la Vierge vers l'Eternité de sa résurrection,et qu'une telle représentation doit se détacher descontingences du quotidien, de l'ordinaire de la vie : jepense tout le contraire, tout est là dans l'expériencede la vie, il faut seulement « ouvrir l'œil ».

Trois siècles après Champaigne, et à la suite de toutce que le 20ème siècle, Cézanne, le cubisme, l'abstrac-tion lyrique, m'a appris et montré de l'expression duspirituel, et non du religieux, (le spirituel touche leschoses de l'esprit, avec ou sans foi, quelque soit la tradition et le contexte), je tente de dire ceci :mes travaux à partir de l'Assomption quittent délibérément le domaine de l'image (l’imagerie) symbolique, et ils n'ont pas vocation à nommer un

Beau Absolu. Par contre, ils veulent renouer avec unenon-séparation du sujet / objet. Ceci « justifie » à mesyeux la pérennité du style roman, qui est un art de ladimension spirituelle, pouvant toujours toucher,même le non-croyant ; cette réconciliation du proposet du style dans une œuvre, a des chance de donner àvoir cette « histoire » de disparition, évaporation,désintégration du corps qui transgresse toutecroyance dans toute tradition puisque concernanttout vivant.

Cette histoire-là est bel et bien contenue derrière laforme de l' « Assomption » de Champaigne, et par mesmatières, mes couleurs, mes gestes, tout ce qui consti-tue ma peinture, elle s'extrait au moment où j'en faisl'expérience (= je peins), une expérience qui tient plusdu processus en train de se faire, n'est ce pas la vraienature de la vie...? et elle rend in fine un hommage àmon aîné : c'est à partir de sa peinture, en dégageantce qu'elle dissimulait d'inépuisable, que j'ai tiré cela.»

Propos Jacques Paris

Variation Baroque 12

Paris peint comme une expérience de « la première fois », unphénomène vivant dontla condition de surviedépend du souffle queva posséder l’œuvre, de son énergie, de sa « résonnance intérieure »comme le dit Kandinsky.

du Spirituel dans l’Art

Variation Baroque 1

Variation Baroque 2

Variation Baroque 3

Variation Baroque 4 Variation Baroque 6

Variation Baroque 5 Variation Baroque 7

Variation Baroque 8 Variation Baroque 9

Variation Baroque 10 Variation Baroque 11

Manteau 6

Pas une peinture à lasurface de la forme, de son contour, maisdans le passage entre, àtravers un processus qui touche à la transfor-mation permanente deschoses

Jusqu’à l’apparente disparition qui n’est quela forme ultime perceptible par les senshumains…

Ange 2

Ange 1

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Ange 3

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Fragments, mais pas extraits, qui ont une vieautonome. Il se produitalors immanquablementlà une métamorphosede l’iconographie del’Assomption

Ange 4Ange 5

Ange 6

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Manteau 3Manteau 1

Manteau 5Manteau 4

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Petite Meditation

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Saisirdansl’homme in-té-rieur,la sin-gula-rité dechaqueâme

Variation ChampaigneLithographie sur velin d'Arches. 20113 couleurs. 65x50 cm.

Les Amis du Musée, dont l'action consiste à valoriser les collections du

Musée-Muséum départemental, se sont engagés dans une action de diffu-

sion, particulièrement celles des artistes contemporains vivants, par l'édi-

tion d'art d'estampes, des multiples limités par le procédé choisi.

Jacques Paris, exposé et présent dans les collections, nous est apparu, en

accord avec Frédérique Verlinden, conservatrice en chef du Musée-Mu-

séum, capable de se prêter à la technique de la lithographie, ce procédé né

au 19 ème siècle permettant de travailler spontanément sur les pierres de

calcaire fin et de transférer sur des papiers de qualité (vélin d'Arches) l'en-

cre des dessins et des masses de couleurs. Cette technique s'accordait par-

faitement à la liberté de trait, aux couleurs nuancées et à la transparence

des tons qui caractérisent sa peinture.

Il a accepté de tenter cette aventure alors qu'il était en train de réaliser son

travail autour de L'Assomption, et c'est ainsi qu'il est allé travailler avec

Philippe Moreau, imprimeur d'art à Forcalquier, et a pu prolonger, de son

propre aveu, grâce à cette technique favorisant les effets de superposi-

tions, l'esprit baroque de l'œuvre de Champaigne.

La lithographie originale signée et numérotée a été tirée à 50 exemplaires

dont 30 mises en vente par les Amis du Musée.

Gérard Boisard,

Président des Amis du Musée-Muséum, Gap.

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Pertede me-sureentreleproche et leloin-tain

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remerciementsChampaigne pour tous! a bénéficié : de l’acompagnement du Pays Buëch-Sisteronais dans le cadre d’un projet Feader, dusoutient financier du Conseil Général des Hautes-Alpes, du Conseil régional PACA, de la direction régionale des AffairesCulturelles et de l’Europe. Qu’ils en soient ici remerciés. Merci pour ses patients conseils à Cécile Gacougnole, coordinatrice de l’Agence culturelle départementale au Conseil Général des Hautes-Alpes, au Pays Sisteronnais-Buëch….Merci aux habitants du village de Saint-Julien-en-Beauchêne, qui ont autorisé l’installation de panneaux sur les façades de leurs maisons. des remerciements très particuliers à Murielle et Jean-Philippe Guibaud, propriétaires de l’Hôtel-restaurant Les Alpins, toujours impliqués dans les aventures culturelles du village.

Ont contribué à la rédaction de ce catalogue : Jacques Paris, qui tout au long de ces pages, donne des clés pour comprendre sa démarche artistique, en regard de celle dePhilippe de Champaigne. Jean-Claude Gast, Frédérique Verlinden, Claire Lamy, Elsa Micholet , Olivier dalmon, Gérard Boisard.Coordination : Claire Lamy.Conception graphique : Olivier dalmon / Editions du Buëch.Crédits photographiques : Jacques Paris.

Pour aller plus loin

Sur la peinture de Philippe de ChampaigneCatalogue Philippe de Champaigne 1602-1674. Entre politique et dévotion.Sous la direction de : Alain Tapié et Nicolas Sainte Fare GarnotPalais des Beaux-Arts de Lille. 27 avril 2007 – 15 août 2007Musée rath, Genève. 20 septembre 2007 - 13 janvier 2008

Sur la Chartreuse de durbonLa chartreuse de durbon, Nathalie Nicolas (2005)http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00667929

Sur Port-royal des Champs« Le désert de la grâce » de Claude Pujade-renaud, édition Actes Sudroman très documenté sur cette abbaye où vécue la fille de Philippe de Champaigne, celle de Jean racine et tant d’autres. L’auteure embrasse l’histoire d’un lieu de grâce que le pouvoir temporel de Louis XIV n’eut de cesse d’opprimer, détruire et transformer en désert, au risque même d’en faire un mythe.

Sur la peinture de Jacques Pariswww.jacquesparis.frŒuvres dans les collections publiques-Etudes pour un portrait d'Abd el-Kader (2002-2003), 12 peintures, et rêve de la météorite (2004), 12 peintures, Musée-Muséum départemental, Gap. -Ulysse et Pénélope (2006-2007), 12 peintures, commune de Suharëkë (Kosovo).-dans la nuit d'Orion (2010), cycle de 5 peintures sur roche, ancienne mine d'argent du Fournel, L'Argentière-La-Bessée (Hautes-Alpes).-rain of burning chiles (2011), peinture murale, Americas Best Value Inn, Las Cruces, New Mexico, USA (www.youtube.com).-Constellation, 3 vitraux, chapelle des Capucins-Centre d'Art Contemporain (2011), Embrun (Hautes-Alpes).-Xoanon, peinture murale (2012), Jardin de Paix, Matha (Charente Maritime).

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ChampaignePour tous !

SAINT-JULIEN-EN-BEAUCHÊNE - 10€

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