Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères...

76
1 Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’hui Eric Donfu, Sociologue 13 février 2008

Transcript of Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères...

Page 1: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

1

CesfillesdeMai68Quisontgrands‐mèresaujourd’hui

EricDonfu,Sociologue13février2008

Page 2: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

2

Résumé

L’étuderévèleque,quaranteansaprès,lesex‐fillesdemaipréparentun«mai68desgrands‐mères»…Les fillesdemai68se révèlentêtredesgrands‐mèresà la foisattentiveset innovantes.Cesbaby‐boomeuses, qui ont fait lemoinsd’enfants et privilégié leur insertion sociale et professionnelle àleurviefamiliale,veulentrattraperletempsqu’ellesn’ontpaspuouvoulupasseravecleurspropresenfant.Toutencorrigeantl’espritdeleurjeunesse,ellesnerenoncentpasàchangerlaconditiondesgrands‐mères,commeellesontchangélecoupleetlesmodesd’éducation.S’attaquantauxdernierstabous,ellesneveulentpassacrifierau«babysitting»,veulentvivreleurvieetn’hésitentpasàafficherleurpréférenceauseindesfratriesdeleurspetitsenfants.Complicesdeleursfilles,ellessontlapremièregénérationdefemmesàpouvoirsedireréellementlibérée,carentouréesdedeuxgénérationsde femmes libérées, leursmèresquiontconquis lesdroitset leursfillesqu’ellesontélevéselonleursprincipesd’éducation.Génération«Extraversion»,cultivéesetjeunesd’esprit,ellesattendentqueleurspetitsenfantssoitenâgedepartageravecellesl’ouvertureaumondequ’ellesrêventdeleurtransmettre.Semettantdèsaujourd’huiàleursniveau,jouantunrôlecentraldanslafamille,notammentàl’égarddeleursfillesaveclesquellesellesentretiennentunecomplicitépourassurerl’avenirdel’enfantpar‐delàlesincertitudesducouple,ellespréparentunvéritable«mai68desgrands‐mères»

Page 3: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

3

Photos1,2,3,manifestationsétudiantes.photo4,manifestationgaullistesurleschampsElysées

Enmai1968,surlesbarricades,etboulevardSaintGermain

Page 4: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

4

EricDonfuestl’auteurdeOhmamieboom

EricDonfu,sociologue::Queserace«mai68»desgrands‐mères?Sociologue,présidentdeDRSDialoguesetRelationsSociales,auteurdeOhmamieboom(JacobDuvernet,2007)etdeCesJoliesfillesdeMai,enquêtesurunegénérationpascommelesautres(JacobDuvernet,avril2008),EricDonfuapilotél’enquête«Cesfillesdemaiquisontgrand‐mèreaujourd’hui»réaliséeàl’occasiondelafêtedesgrands‐mères2008.EricDonfu,àl’occasiondelafêtedesgrands‐mèresdu2mars2008,vousavezréaliséuneenquêtesociologique sur « Ces filles de mai 68 qui sont grand‐mère aujourd’hui. Quelles sont, sesconclusions?Nousaurons interrogéplusdequarantegrands‐mèreset l’analysede leurspropos démontreque,jeunesgrands‐mères,elless’investissentetvonts’investirdanslarelationavecleurspetitsenfants,de façon encore plus intense que leursmères.. En unmot, ces femmes restent innovatrices pourelles‐mêmescommepourleursproches.Cesfillesdemaiquisontdevenuesgrands‐mères,sontdesgrands‐mères modernes, qui amplifient les métamorphoses de leurs mères, les premières«nouvellesgrands‐mères»enétantàlafoisdavantagedanslerôle–ellessontsouventfièresd’êtreappelées grands‐mères et ne cherche pas des surnoms de substitution – et enmême temps ellessontcellesquiaffirment leplus leurvolontédenepasse laisserenvahirpar lerôle,enpréservantleurproprepersonnalité,leursviesdecouple,professionnelles,personnelle,sociale,amicale.Ellescomposentdenouveauxstylesdegrands‐mères,ceuxquenousavionsappelé«créatives»,qu’ellessoient« féeséniors»,«cheftaines»ou«mariepoppins»C’est logique,carcesontdes femmesplus formées et cultivées, qui ont travaillé et qui ont intégré lamodernité des rapports hommesfemmes, de l’autonomie de l’individu, du «libre ensemble» icontemporain. L’enquête de terrainconfirmeaussicequenousavionsdéjàobservédansnosenquêtesprécédentes.Dites‐nous,sont–ellesdesgrands‐mèresdifférentesdesautresgrands‐mères?Oui,surplusieursplans.D’abord,ellesrespectent l’autonomiede leursenfants, les jeunesparents.Ensuite, elles sont le plus souvent actives, soit parce qu’elles travaillent encore, soit par leursengagements associatifs et leur volonté de garder du temps à elles. Mais elles lèvent aussi lesderniers tabous. Par exemple, elles n’hésitent pas à affirmer des préférences pour tel ou tel petitenfant,quandleurmèredisaitnepasfairededifférence.Ellescorrigentaussil’éducation–souventstrict–de leursenfants,parunecomplicitédémultipliéeavec leurspetitsenfants,qu’elles laissents’exprimer, jouer, s’exprimer,ensemettantfacilementdans leurmonde. A les écouterparlerdeleurspetits‐enfants,delabeautédurôledegrand‐mèresetdelaforcedulien,nouspouvionspenserquelefaitd’êtregrandparentl’emportesurtouteautreconsidération.Et68,c’estloin.Cesjeunesgrands‐mèresconfirmentnosenquêtesprécédentes,surlaforcedulien,lesnouveauxstylesetlescomportements.Mais,quand,auboutdedeuxheuresd’entretien,vousentrezdansleurconsciencedurôle,quandvousretracer leurviedefemme,demèreet lacomparezà leurviedegrand‐mère,nousobtenonsdestémoignagestrèsintéréressants.

Page 5: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

5

C'est‐à‐direIlressortque68évoquebien,quaranteansaprès,unrepèrequiestdevenuun«marqueurdevie».Bien sûr, il y a des différences entre celles qui étaient manifestantes, souvent des femmes d’uncertainmilieu,engagée,cellesquiétaientspectatricesympathisantes,etcellesquiétaientendehors,voirehostilesaumouvement.Mais,mêmechezcellesquiétaientàlaSorbonneouàNanterre,mai68apparaîtaujourd’huicommeunbonsouvenir,quelquechosede fortetde joyeuxqui témoigned’une émancipation,mais pas comme un guide, plutôt comme unmodèle à relativiser. Certaines,dontcellesquiontchangédevieàcetteépoque,évoquentmêmeunhandicapàsurmonterdanslavie.Enfait,onressentbienquelemalaisesemélangeàlanostalgie,maisquelebilanpersonnelestplusquemitigé.Toutencorrigeant l’espritde leur jeunesse,ellesassumentpleinement lesacquis.Certaines,commeNoëlleChateletdéfendemêmetrèsbien lebilanet l’espritde1968. Maispourbeaucoup,cethéritageestaussiunpoids.Pourquoi?Ce n’était pas une période facile pour les jeunes femmes. Selon les idées reçues, Elles se sontémancipées de leurs parents, n’ont pas ou fait peu d’enfants, ont élevé leurs propres enfantscomme des personnes en rupture avec l’éducation qu’elles avaient reçue, ont privilégié leur vieprofessionnelleàleurviefamiliales,etontétélespremièresàdivorcer…Enréalité,àl’épreuvedelavieetdutemps,lesbaby‐boomeuses,quionteu20ansenmai68,etquiontaccompagnétouslescombatset lesconquêtesdes femmes, ontcorrigé lesexcèsde leur jeunesseet fontmentir cesponcifs.Siellesontmaitriséleurcorps,ellessesontassuméesseulesonsulaisseruneautonomieàleursenfants,etreconnaissenttoutesdeserreursd’éducation.Mai68,aurait‐ilpourellesunbilannégatif?Non,parcequ’ellesontconsciencedel’importancedel’expérimentationetdufaitqu’ilenresteunhéritagepositif.Ellesontinstituéunnouvelamourentrelesgénérations,ledroitdevivresavietoutenétantaveclesautres,leprinciped’égalitédanslecoupleetdanslasociété,ledroitautravailetaux responsabilitésdes femmesetellesensont fières. En fait,ellesdistinguent lesacquisde leurressenti personnel,même si elles ont tiré demai 68 un nouveau comportement dans leur sphèrefamilialeetquecelui‐ciseressentaujourd’hui,dansleurfaçond’êtregrand‐mère.Maisiln’étaitpasquestionpournousd’entrerdans lesdébatssur les«viesultérieures»demai68,carces femmessontsurtoutdansleprésent,etviventpleinementl’instantdeleurgrand‐maternité.C'est‐à‐dire?Ellesontcherchéàdévelopperuneréellecomplicitéavecleursenfantsetnotammentleursfilles,maisontlaisséuneautonomiejamaisvueàleursenfants.Devenuesgrands‐mères,instinctivement,elles redeviennent maternelles avec leurs petits enfants, et la majorité redécouvrent même lesattributsclassiquesdurôle,enacceptantdesefaireappelergrand‐mère,sansavoiràreprendreunrôledésuetdont leursmères,nouvellesgrands‐mères,s’étaientdébarrasséesavantelles.Façonderattraperletempsqu’ellesn’ontpasvouluoupupasseravecleurspropresenfants?Craintedevantl’avenir et le manque d’aidants familiaux? Elles sont encore jeunes et actives, tout en ayant laconsciencedeleurrôleetdufaitqueleurvieestencorelongue.Donc,quandellesenontletemps,en ne travaillant pas ou plus, etmême quand elles refont leur vie avec de nouveaux enfants àcharge, et quand leursmèresou les autresbeaux‐parents ne leur en laisse guère le choix, elless’investissent dans la relation avec leurs petits enfants. Et cela nous annonce des grands‐mèresinnovatrices,notammentquandleurpetitenfantseraenâgedepartageravecellesl’éveilaumondequ’ellesrêventdeleurtransmettre.

Page 6: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

6

Qu’est‐cequicaractérisedéjàleurrôledegrand‐mère?Ce sont de jeunes grands‐mères, et elles confirment les conclusions de notre étude de l’annéedernière sur « Grand‐mère la première fois» Entre indulgence, prévenance et vigilance, Ellesacceptentdesefaire«enrôler»parlesjeunesparents,encréantleurspropresstyledegrand‐mèreplusoumoinsdisponible,enveillantà trouver labonnedistanceavec leurspropresenfants.Ellesdoiventaussietdeplusenplussouventcomposeravecleurspropresparents,desgrands‐parentsdevenus arrières grandsparents et qui ont su nouer des relations complices et suivies avec leursenfants,despetits‐enfantsgâtés devenusparentsetquiconsidèrenttoujours leursgrandsparentscommeceuxdeleursenfants…Pasfacile,donc,pourcesfillesdeMai,àlafoisd’assumerleurpasséetleursstyled’éducationdeplusenplusprisàcontrepiedparleurspropresenfants,àlafoisdeserendreutilesetdevivreleurdésirdematernitéparprocuration,alorsqu’ellessontencorejeunesetseretrouvesouvent«pivot»delafamille,endevantaiderà lafois leursparentset leursenfants.MaisMai68est‐ilvraimentunanniversaireàleursouhaiter?Bien‐sûr!, Car quarante ans, c’est aujourd’hui une génération et demie, et parce que les jeunesfemmesnotammentnesaventpascequeleurscombatsleurontapportés,neserait‐cequeparledroitauxétudeset lamaitrisede leurcorps. Alorsque l’onobserveunretourà lanormechez lesparentsde35–45ans,plussévèreavecleursenfantsqueleursparentsnel’ontété,cesfillesdemaidevenuesgrands‐mèresméritentaussid’êtreencouragéeàréinventercenouveaurôlefamilial,avecla même puissance d’imagination dont elles ont fait preuve pour métamorphoser leur rôle demaman.Peut‐êtreen restera‐t‐ilquelquechosequand leurs fillesdeviendrontgrands‐mèresà leurtour! En tous cas, leurs petits enfants ne peuvent qu’être sensibles à leur histoire, si proche, siquotidienne,etdéjàsilointaine.Unebonneraisonpourleurcélébrerleurfêtedimanche2marsEntretienréaliséparDelphinedeNervaux

Page 7: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

7

Lesfillesdemai:

«GénérationExtraversion»?

«Odéon, don, don, tu as de la chance, mon ange, tu n’iras pas goûter rue Spontini, ledimanche, tu ne baisera pas la main des vieilles mémères, tu ne feras pas de premièrecommunion,tuneseraspasphotographiéenaubeblanche,tunechuchoteraspastespéchésà monsieur le curé, le péché n’existe plus, le péché n’existe pas. Dis donc, Sophie, quelprénomavez‐vousdonnéàcemôme?Iln’apasencoredeprénomnidenom:sonpèreaditqu’ilnepouvaitpassepréoccuperde futilités,enunmomentpareil» (AnnadeCéspedes,Chansondesfillesdemai,écritauquartierlatinpendantlesévènementsSeuil,1968)Siledésird’enfantnepeutêtredissociéduregardquelasociétéportesurlui,cebébéde68exprimeparfaitementleparadoxede68:Uneruptureversquoi?Unpontversquellerive?Laissonsnousguiderverscesfillesdemai,habilléessoitdeminijupescourtesdonnantunesilhouette à la Paco Rabanne, ou de fripes colorées à la mode hippies, toujours là,revendicatrices, mais veillant à être séduisantes, n’hésitant pas à faire les sandwich. Ceshéroïnes de la révolte parfois matraquées, violentées, mais oubliées par les ténors dumouvement.Ellesontété lesymboleéclatantd’uncombatquiallaitchanger lasociétéenchangeantlaconditiondesfemmes.Un air de liberté souffla sur ce printemps là. Les femmes découvrirent qu’elles avaient ledroitdeparlerhautetfort,dedescendresanshontedanslaruepourdirenonàunesociétéqui semblait, au fond, les ignorer. Sur leboulevardStMichel, lesétudiantsabattaientdesarbrespourbarrerlarouteauxpoliciers.Lesfillesde68,elles,coupaientlecordondecequilesreliaitàlasacro‐saintefamille,rompantavecl’imagedeleursmères,gardiennesdufoyer,obéissantesépouses.Enfoulant lespavésdecemoisdemai,ellesontfaitrespirertouteunegénération,défiélestabousetouvertlaporteàleursfuturesfilles…C’étaitvingtansaprès lecataclysmede la secondeguerremondiale:aumomentd’entrerdansl’universdesadultes,lagénérationdu«baby‐boom»contestaitlesvaleursdu«vieuxmonde». Dénonçant «l’état‐patron», revendiquant «l’abolition de l’aliénation», cettejeunesse avait soif d’une parole libre, d’une sexualité libre aussi. Le flower power leurapportait d’abord unmessage clair «faites l’amour, pas la guerre». Lamode incitait à laprovocationavecsesminijupes,et,encebeaumoisdemai,lesfillesétaientjuchéessurlesépaulesdes garçons.Pourquelquesassociationsbienpensantes,Mai68, c’était la licencesexuelle.Dangernational,périlmortel.Etlapilule?unfléau.Lesfilles,ellesrevendiquaientledroitdeprendreenfinenmainleurdestin.iiL’expression«soixante‐huitard»figuredanslepetitRobert.Lanoticeprécisequeletermedésigne«cequiconcernelesévénementsdeMai68,ouunepersonnequiaconservécet

Page 8: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

8

esprit. Exemple: les soixante‐huitards, un vieux soixante‐huitard». Le terme a aussi unaspect péjoratif, et ses détracteurs. L’ombre portée sur les générations suivante est‐elleinsupportable? Cette «génération 68» est‐elle en réalité une génération névrosée,souffrantd’unchagrinpolitiqueetdescontradictionsentremai68et lesannées80? Cesdébatsvontsemultiplieràl’occasionduquarantièmeanniversairedesévénementsdemai68.Mai68n’a jamaisétéune révolutionmaisunpointd’orgue,une fêteetunecrise,ouplutôt une crise et une fête. Le point d’orgue d’une société en mutation, et dont lesavancées sont surtout le fait de la génération née avant la première guerre et autour de1920.Au‐delàdesnuits d’émeutes, 1968 fut aussi la fêted’une jeunessequi voulait vivreavec son époque, pour qui la liberté était plus importante que l’autorité, pour qui l’acted’amour sexuel était un bonheur de la vie contraire aux valeurs d’une société qu’il fallaitchangerd’urgence.On a aussi mis sur le dos de 68 la métamorphose de l’autorité, désormais partagée etacceptée,ourefusée.Maisilseraittropfaciledemettreaudébitde68ledéclindesusages,de la politesse et du savoir‐vivre. Mais là encore, il y a concordance des temps, et latolérance plus grande pour des comportements plus libre, a été constatée dans tous lespays.Mais,parcequ’elleétaitaussiaucœurdel’espritde68,nousnepouvonséchapperàunequestiondefond.L’autoritéest‐elleunenécessité?Etest‐elled’abordunequestiondemodèle, de conception de l’image de soi et de respect des autres? Il est vrai que cettequestionaplus fait l’objetde slogans«Il est interdit d’interdire»quededébatsdans lesamphithéâtres… et le rejet de l’uniforme synonyme de service militaire obligatoire, aentrainéavecluilerejetdetoutautoritarisme,sansquelanotiond’autoritésoirredéfinie.RelevonscetémoignagedeAdaiii:«Printemps67,leprofdephilonousparledeFreud,del’enfant pervers polymorphe, du complexe d’Oedipe, du refoulé, unmal que je vais bienconnaitre. Le prof s’assoit sur l’estrade, celle qu’il va bientôt contribuer à faire tomber, ilparledufonddelaclasse(…)Chezmoi,j’essuielavaissellequemamèrelave,leshommesregardentlatélévision.Jeparlefortpourqu’onm’entende,jedismonregardnouveausurlesliensfamiliaux,jedénoncel’originedelafamilleetdelapropriétéprivée.Engels,elleneconnait pas, ça ne l’intéresse pas. «Arrête de jacasser et essuie un peu plus vite»L’inconsciente,elleveutresterdanssonignorance!(…)Jenesuispasvenuedanssapiaulepour faire des enfants, fonder une famille. Non. Je suis là pour vivre notre grand amour.Depuis ledébut, jeprendslapilule, jeveuxquenotreamoursoit libre.Obtenir lafameusepiluleaétéunparcoursdifficile.J’étaismineure,lespréjugésmaisj’airéussi.Jeneportepasenmoilapeurd’êtreenceinte‘enaid’autres,beaucoupd’autres,quejenedévoilepas.»Maisilestvraiquecesfemmescorrigentaujourd’huil’espritdeleurjeunesse,ainsi«Enmai1968,j’étaisdéjàmèredepuisdeuxans.J’aieumonfilsà18ans,en1966etj’aiconscienceque1968m’a,d’unecertainemanière, influencéedans lemauvaissensdansmonrôledemère, car je n’étais pasdisponiblepour Eric.(…)On l’aimait, notre fils,mais il aurait aussibienpuêtreunpetitfrère.»ivLesoucidepréserversaproprevieétaitégalementessentiel«Onavaitdécidé,Françoisetmoi,quelanaissancedecebébén’allaitpaschangerninotrequotidien, entre lui etmoi, ni notre rapport amoureux, çanedevait que l’embellir et pasl’écraser.»vD’autressontplussévèresencore«68abrouillélesrepèresetaffaiblil’autoritéparentale.Parce que j’estime que j’ai complètement échoué dans l’éducation avec mes

Page 9: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

9

enfantset,sansdoute,quelefaiscequ’ilteplaît,cen’estpasforcémentunbontrucpouréleverdesgossesetcommeilestinterditd’interdire»viMai 68 fut, pour les femmes, une bouffée d’espoir. C’était les premiers pas de celles quidéfileraientquelquestempsplustardauxslogans«unenfantsijeveux,quandjeveux»,«Atravail égal, salaire égal»…Sur les photos de mai 68, les femmes se transforment encolleusesd’affiches,défilentaussientêtedecortège,commeporte‐étendardd’undrapeaurougeounoir.CertainessontmalmenéespardesCRScoléreux,d’autressonttransportéessur un brancard. Pourtant dans l’inconscient collectif, ce sont «les petits frères deGavroche»quilestiennent,pasles«petitessœursdecosette…viiIln’estpastoujoursfacilededépasser l’irrationnel,pourretenir lesacquisobjectifsdecesannées 60 et 70, commepar exemple le droit à l’impertinence, et son corollaire, la vraieliberté de la presse et des ondes par rapport au pouvoir politique. Mis en musique parl’Atelier des BeauxArts, qui fut tout à fois un atelier de création demots, un laboratoired’art contemporain, un ferment de cultures urbaine, donnant la parole aux murs par lepochoiroul’affiche,avecdespictogrammesetdesslogansquionttraverséslesannées.Cedroit à l’impertinence a en fait remis à jour une vieille tradition française du «portrait àcharge».CharlieHebdoouHaraKirionteu leurpublicité faitepar les procèset lesaisiespériodiquesdeleursnuméroscommeceluisurlamortduGénéraldeGaulleen1970:«BaltragiqueàColombey:1mort»SileCanardEnchainé,journaldetranchécrééen1915,n’ajamais abandonné le terrain de l’indépendance, de la liberté de ton, de l’enquête et del’humour, si son alter‐égo anarchiste de droite «Le Crapouillot» a lui‐aussi sorti desdossiers explosifs, l’esprit demai a renouvelé l’expression libreet créative. La«figurationnarrative»,courantd’artcontemporainmélangeant laphoto, ledessin, lapeintureet l’arturbain, lui doit beaucoup, comme la vague des journaux de lycées, les Fanzines, ou lanouvellevaguedelabandedessinée.Maisl’espritdemaiaaussiétérapidementrécupérépar la publicité commercialemoderne. Combien d’ex‐68 ont été recrutés dans les teamscréatifsd’agences,commephotographesoucommecommerciaux?Etcombienlesdirigentaujourd’hui? Les codesdemai68 sont restés ceuxd’unegénérationqui aaussi créé sespropres codes de communication et de consommation, jusqu’à en faire lamarque d’uneépoque.Aujourd’hui,laquestionestplutôtdesavoirsiilyaeuounonoverdose…D’ailleurs, curieusement, cet espace temps 1968‐2008, est celui de l’explosion de laconsommationdemasse, des hypermarchés, de la voiture, de l’équipement des foyers. Atitred’exemple,c’estaussiletempsqu’ilafallutàMcDonald’spourconquérirlemonde.En1967, Ray Kroc, qui avait racheté l’enseigne aux frères McDonald’s en 1955 avait 1000restaurantsauxEtatsUnis. Ilenaprèsde32000aujourd’huidans lemonde,dont13774auxEtatsUnis.C’estaussi le29avril1968quelaproductionmusicaleHairestprésentéepourlapremièrefois à Broadway; Elle tiendra l'affiche à 1 742 reprises jusqu'aupremier juillet 1972.On yretrouvenotammentleschansonsAquarius,LetTheSunshineInetGoodMorningStarshine.C’est ce même moi d’avril 1968 que sort le succès du duo, Simon et Gartfunkel “MrsRobinson”, une composition de Paul Simon pour le film Le Lauréat, (en anglais, TheGraduate).Oui,ilyeudeshistoiresd’amoursurlesbarricades,desdébatssurl’érotismeetl’amourvraiquiproduitleplaisirvrai,mêmesileslogandontonsesouviensest«jouissons

Page 10: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

10

sansentrave».Périodeesthétique,mai68fut,surtoutdanssapartexistentialiste,prolixeenmotsetenslogansentrésdepuisdanslamémoirecollective,de«souslespavés,laplages»aucélèbre«Soyezréaliste,demandezl’impossible».C’estdanslaSorbonneoccupéequelechanteurRenaudécritsapremièrechanson.Maisau‐delàdecetteliberté,etmêmedecepseudo libertanisme, il y avait aussi une crise, une crise à trois étages, culturelle,universitaire, et sociale. Culturelle car les codes établis étaient devenus obsolètes,universitairecarlemandarinatetlasélectionl’étaientaussi,sociale,carl’actiondesouvriersy a trouvé le débouché d’acquis sociaux. Ce ne fut qu’une courte –mais sévère ‐ crisepolitique, le pouvoir étant conforté après la dissolution de l’assemblée du 30 mai et lamajoritéabsoluedonnéeparlesurnesaupouvoirGaulliste.Aujourd’hui,nouspouvonsévaluerlequatrièmeétage,sansdouteleplusprofond,entouscaslepluslongàmesurer:Lacrisegénérationnelle.68futunesuccessiondepetitsfaitssurun litdebraises.Révélée le8 janvier1968,par lamanifestationdequelquesétudiantsdel’université Nanterre criant au ministre François Missoffe venu inaugurer la piscine ducampus«Vousinaugurezunepiscine,maisquefaites‐vouspourlesproblèmessexuelsdelajeunesse?»,puisle7févrieràlasuited’unerépressionpolicièred’unemanifestationcontrelaguerreduVietnam,etdéclenchéle22mars,par l’occupation,touteunenuit,de latouradministrative du campus de Nanterre. S’il ne reste que des souvenirs des nuits desbarricades,cemouvement,futàl’occasiond’unejonctioninéditeentrelemouvementdesétudiantsetlesouvriersdonnantlesgrandesgrèvesetlesaccordsdeGrenelledu27maisurl’augmentationdessalaires,laréductiondeshorairesetl’abaissementdel’âgedelaretraite.Même contredit par les urnes ce mouvement, qui n’a pas eu d’équivalent, a aussi étémarqué,danstouslesmilieux,paruneprisedepouvoirdelajeunesse,rejetantlesnormesd’unesociétéetsesmodèlesd’éducation.C’étaitdoncaussiunecrisedegénération.Bien‐sûr,celle‐ciavaitéclatéavantlesévènements,maisnousnepouvionsenprendrelamesurequ’au termed’uncycle. Et, c’estbienquandunegénérationprend le relaisquece tempss’accomplit. Et ce sont les femmes, ces filles de mai, présentent dans les manifs maisoubliéescommeporte‐paroles,quirévèlentlaportée,lepoidsetlesbienfaitsdecettecrisequiaappeléeuneclassed’âgela«générationdemai1968».Alors,quaranteans,c’està la fois loinettrèsprocheet lamémoirevivanteseportebien.Lesenfantsdesbaby‐boomerayantfaitdesenfantsplustardqueleursparents,onnepeutpasdireque40ans,c’estdeuxgénérations.Retenonsjustequec’estunegénérationetdemietquecelapeutdoncdevenirunsujetdetransmissionentrelesgénérations.D’autantplusquecellesetceuxquiavaientvingtansen1968arriventaujourd’huiàl’âgedelaretraiteetmêmedelagrand‐parentalité.Aeuxaussidesedégagerd’accusations,dedénégations,oudemythes.Aeuxaussidesesaisirdecesujetsiactuel,enprofitantdufaitqueledébatn’ajamais autant tournéautourde cesBaby‐boomersnésàpartirde1946etquideviennentmamyboomeusesetpapyboomers.J’aienviederevendiquerletrèsbeautitredeSignoretLaNostalgien’estpluscequ’elleétait.Trèsnostalgique,j’aimebiennostalgiser.Sur68‐70,leprintemps,Sur80‐85,l’étédemavie,Maintenantc’estl’automne,etc’estmasaisonpréférée.Alors,jevis.LuceviiiCommeleditsibienl’actriceCharlotteRampling,«Jenepensejamaisàmonâge,jepenseàmavie»ix(5)SeuleuneminoritédefemmesontparticipéauxévènementsduquartierLatin,maistoutesont vue leur vie changer enquarante ans.xxiOubliée l’époquedu film«Diabolomenthe»

Page 11: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

11

aveclesécolespourfillesséparéesdesgarçons,lesavortementsàl’étranger,lesmariagesobligatoires,lesétudescourtesetl’astreinteàlamaisonpouréleverunefamillenombreuse.Ce n’est qu’en 1965 qu’une femme a eu le droit de travailler sans l’autorisation de sonmari,etd’ouvrirseuleuncompteenbanque.Cen’estqu’en1967quelacontraceptionaétélégalisée,avantl’avortement,en1975.Ledivorceparconsentementmutueldate,ausside1975. Plus encore que la maitrise du corps et la libéralisation des mœurs, c’est unrenversementdevaleursquis’estopéré.Cen’estpluslecouplemaisl’enfantquistructurelafamille,etcenesontplus lesnormesmais laqualitédes liensqui la fédère. Le faitd’êtreensemble tout en étant soi‐même, de bouleverser les calendriers de vie, en quittant plustardledomicileparentaletenfaisantdesenfantsplustard,l’allongementdel’espérancedevie,de15annéesdepuis1950, ontmodifiéaussi lespyramides familialesencréant la«familleverticale»enréférenceà latourquereprésententdavantagedegénérations,avecmoinsd’enfantsàchaqueétage…Lafortereprisedelanatalitéaprèslaguerre(baby‐boom)avaitétéobtenueaveclereculdelamortalitéinfantile,labaisserégulièreetlentedelamortalitégénéralegrâceauxprogrèsmédicaux et à la hausse des niveaux de vie et une forte immigration .Depuis, notrepopulation vieillit et notre croissance démographique lente ne permet pas lerenouvellementdesgénérations.Eneffet,si laFranceconnaitdepuisdeuxansuntauxde.natalitéélevé(voirenannexelebilanpubliéparl’INSEEenjanvier2008)depuislafindesannées 60, les statistiques de tous les pays occidentaux ont accusé une baisse de lanuptialitéetdelanatalitéetunehaussedesdivorcessurtoutdemandésparlesfemmes.EnFrance, le seuil de natalité a été l’année 1974 Mais si elles ne sont plus contraintes aumariagecommeleursmères,onobserveaussiqueplus leniveaud’éducationdes femmess’élève,moinsellessemarientetplusellesdivorcent. Ils’agitcependantmoinsd’unrejetdu mariage que des relations d’inégalité à l’intérieur du couple, en particulier la chargeexclusive des tâches domestiques. C’est ainsi que l’union libre et de la famillemonoparentalesesontbanalisés,toutcommelarecherched’unevieamoureuseycomprisailleursquedansl’hétérosexualitéEncomparantlesrecensementsdelapopulationde1968et 1999, sur un nombre deménages passant de 15,8 à 23, 8millions, le pourcentage defemmesseulesestpasséde13,8%à18,5%,defamillesmonoparentalesde2,9%à7,4%,decouplessansenfantde21,1%à24,8%alorsquelenombredecouplesavecenfantpassaitde36%à31,5%.Cesontdonccesfemmes,cesfillesdemaidontlavievaêtrebouleverséeparl’évolutiondesmœursetdesmentalitésquiaprécédéetvasuivremai68quinousintéressent.Cellesquiont été en avant, féministes, écrivains,mais aussi les anonymes et toutes celles qui sontrestéesendehorsdumouvement.C’estavecellesquenousallonsessayerderetracercesquaranteans,cetespacedetempsquinoussépareaujourd’huidumoidemai1968,àParis,rueGayLussacouboulevardSaint‐Germain.«Lesfillesdemai»sontlapremièregénérationàpouvoirs’affirmercomme«libérée»,carelleestentouréededeuxgénérationsdefemmeslibres,leursmères,quisesontlibérées,etleursfilles,qu’ellesontélevéesselonleursprincipesd’éducation.Alors,commentdéfinircestroisgénérations?

Page 12: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

12

Troisgénérationsde femmes libéréesetde mèresaucœurdesmutationsde la famille,transformation,extraversion,modération.Premièregénération:Transformation,cesfemmesquionteu20ansen36Leursmèresont vécu lesplus grandsbouleversements. La génération1920,qui a vécu sajeunesseen1936,véculaguerreetfaitlebaby‐boomestcelledesgrandsbouleversements.Cesontcesfemmesquiontétélespremièresàvoter,sontpasséesdelacampagneàlavilleetontétélespremièresàétudieretàtravaillermassivement.C’estuneminoritéféministeactivedeces femmesqui se sontaffrontéesà leursmères, ont remisencause la sociétématriarcale et patriarcale, et ont obtenu enfin, en 1965, la première loi permettant auxfemmes de travailler sans l’autorisation de leur mari et de disposer directement de leursalaire. Ce sont aussi elles qui ont vécu la révolution des arts ménagers, l’arrivée de latélévisionet lagénéralisationdel’automobile. Mais,plusquetout,cesontaussiellesqui,enfant, ont bénéficié des premières campagnes de vaccination et ont ensuite, grâce àl’améliorationdesconditionsdeviesetauxprogrèsdelamédecine,découvertlalongévitéenbonnesanté.Graceàlaréductiondelamortalitéinfantiled’abord,puiscelledesadultesetdespersonnesâgéesensuite,trenteannéesd’espérancedevieontétégagnéesaucoursdu20èmesiècle,dontquinzeannées l’ontétédepuis1950.Voilàpourquoicesontelles les«nouvellesgrands‐mères»desannées80.Desfemmesquiontfaitbeaucoupd’enfants(lebaby‐boomaeuuntauxdenatalitéde3enfantsparfemmes)etsontarrivéesàl’âgedelagrandematernitéencore jeunes.Ce sontellesquiont remisen cause le rôle classique,etque nous avons étudié dans leurs différents styles. Ayant travaillé, bénéficiant dans lesannées 80 de retraites revalorisées, ce sont aussi elles qui ont été les premières à aidersignificativementleursenfantsetàsoutenirleurspetitsenfants,toutens’occupantdeleursparents âgés. Elles ont développé une complicité avec leurs petits enfants, qu’elles ontaccompagné comme adolescents et commeparents. Cette génération pivot a aujourd’huientre 75 et 85 ans, et entre dans le grand âge comme elle était arrivée dans la grand‐parentalité,enmeilleurformequeleursparents,etsurtout,avecunecomplicitéentretenueavec leurs petits enfants et des liens très forts. Voilà pourquoi cette complicité continueaujourd’huialorsque leurspetitsenfantssontparents.Oui, ilyabienun«printempsdesarrièresgrands‐parents»en2008.Deuxièmegénération:ExtraversionLeursfilles, les«baby‐boomeuses»,vontaccomplircestransformationsdelaconditiondelafemme.Cesontellesquivontremettreencauselerôleet laplacedelafemmedanslecouple, la famille et la société. Maitrise de leur corps, remise en cause de la maternitémême.Quisontles«fillesdemai»?Desfemmesquiontvéculeurjeunessedanslesannées60‐70etquiavaiententre17et27ans en 1968 sont nées entre 1941 et 1951. Elles ont aujourd’hui entre 57 et 67 ans. Laplupartd’entreellessontgrand‐mères.A56ans,unepersonnesurdeuxaaumoinsunpetitenfant,maisunesurdixn’aeupasd’enfants.Certainesont«jetéleurssoutiensgorgesaufeu»aveclesféministespoursedébarrasserdececorsetquiemprisonnelecorpsdesfemmes,défendueslapiluleetledroitàl’avortement,

Page 13: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

13

rompu avec les principes d’éducation de leurs parents, fait peu ou pas d’enfants, inventéunenouvellesociétéenyprenantlepouvoir.Quaranteansaprès,seules,mèresougrands‐mères,ellessesontcalmées,ontrelativisé l’espritderévoltede leur jeunesse.Maiscellesqui disaient « Ils peuvent couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue duPrintemps»n’ontpasrenoncéàchanger lasociété. LacomédiemusicaleHair,présentéeenAvril1968,commelachansondePaulSimon«MrsRobinson»sontrestéesdanstouteslestêtes.Lesslogans«Ilest interditd’interdire»,commecelui inscritdansl’ascenseurduHallCdeNanterre« Jouissezsansentraves,vivezsanstempsmorts,baisezsanscarotte»fontautantréagir.Cesontces fillesdemai,habilléesdemini‐jupescourtesdonnantunesilhouetteà laPacoRabanne, ou de fripes colorées à la mode hippies, qui apparaissent comme le symboleéclatantd’uncombatquiachangélasociétéenchangeantlaconditiondesfemmes.Toutencorrigeant l’esprit de leur jeunesse, ces femmes restent innovatrices pour elles‐mêmescomme pour leurs proches. Alors, même si elles ont rejeté l’allaitement que leurs fillesrevendiquent aujourd’hui,même si elles n’assument pas toute leur histoire, elles restentprofondémentattachéeauxvaleursd’ouverture,d’écouteetdegénérosité.Voilàpourquoionpourraitnommercettegénération«Extraversion»?Parceque,selonladéfinition du dictionnaire, il s’agit de la caractéristique d’une personne qui extériorisefacilement ses sentiments et qui est réceptive au comportement des autres. (Larousse,1996) Attitude, comportement d’un individu quimontre une grande facilité à établir descontacts avec ceux qui l’entourent, qui exprime aisément ses sentiments. ( Robert, 1993)Extraexprimeàlafoisl’extériorité–endehors–etl’intensité–extrêmement.Onapuainsiparler d’une contradiction possible entre les besoins du tout petit et les intérêts extra‐maternelsdelamèreoudesproblèmesrencontrésparl’étudiantdanslavieuniversitaireetextra‐universitaire.Version,Fig,Actiondetournerd’unelanguedansuneautre,traduction.Anos seigneursacadémiques, raffineursde locutions,entrepreneursde locutions ( Littré,1872)Al’imaged’uneJaneBirkin,quisedit‘mère,grandmèreetadolescente’,cesfemmesquiont vécu leur jeunesse dans les années 60, réinventent l’art et lamanière d’être grand‐mère.Entresouvenirsderévoltes,d’innovationsetdeconformismerevisité,ellespréparentbienun«mai68desgrands‐mères»

Ellessontdevenuesdes"grandsmèresinnovatricesens’appuyantsurleursprincipes«Neplus trop les contraindre et ce n’est pas pour autant qu’on était permissif – Pas decontraintes, certes sauf cellesdenotre liberté– Jen’aipas l’impressionde l’avoiréduquémaisde luiavoir faitpartagernotremodedevieetnosvaleursetque il s’estéduqué lui‐mêmeparl’exemple.»"Ellesnesontpaspassivesmaisactives,dansleurrelationavecleurspetits enfants. Elles veulent établir de nouvelles relations avec leurs petits‐enfants. Cesrelations sont implicitement marquées par leur passé‘soixante‐huitardet par lestransformations de la société et de la famille qui ont marqué leur jeunesse. Ellestransmettrontleurhistoireàleurspetitsenfantsadolescents,ennesecomportantpasdelamêmefaçonaveclespetitesfillesetaveclespetits‐fils.Cellesquiontcontribuéetréussiàchanger les rapports homme/femme, les rapports parents/enfants vont changer aussi la

Page 14: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

14

relation grands‐parents/petits‐enfants?La figurede lagrand‐mèrequ’elles incarnent estliéeà68,qu’ellesoithéritièrede68,ouenréactionà68.Ces femmes du Baby boom, nées après 1946, celles qui ont eu 20 ans en 1968, sontnombreuses, ce sontaussiellesquiont fait lemoinsd’enfants.Certainesont considéré lagrossessecommeuneanimalité,d’autresontélevéleurenfantcommeunepersonneadulte,laplupartontprivilégié leurvieprofessionnelleà leurviefamiliale,et plusd’unesurdeuxontdivorcé.Alorsqueleursenfantsrefontdesenfants,xiiellesdeviennentdeplusenplus,etàleurtour,grands‐mères.Nousavonsvoulucomprendrecommentellesviventcenouveaurôle, et quel bilan elles faisaient demai 1968 Ce bilan n’est pas toujours celui que l’onpourrait penser. Ainsi, pour Dominique, une femme de 60 ans, qui était étudiante enSociologie à la Sorbonne, chez les prochinois et sur les barricades, mai 68 a brouillé lesrepèresetaffaibli l’autoritéparentale.«Parceque j’estimeque j’ai complètementéchouédansl’éducationdemesenfantset,sansdoute,quele«Faiscequ’ilteplait»cen’estpasforcémentunbontrucpouréleverdesgosses,comme«ilestinterditd’interdire».Lesliensnesontpasdistendusavecsesfils,leproblèmeestailleurs.«Jeneleuraipasdonnécequ’ilfallaitpoursepositionnerdansl’existence.Ilssontassez‘anars’etinadaptésàlacruautédumonde actuel». En même temps, qu’en retire‐t‐elle? C’était une période formidable,quelque chosede très joyeux.C’est l’impression forte,même si je suis très critique sur lanaïvetéetlesdégâtsqu’ontfaitcettepensée»Ellepenseavoirétémèretropjeune.Depuis,quelquesannées,elleappréciesonnouveaurôledegrand‐mère,avecsesdeuxpetitesfilles«Jemesouviensdespremièresvacancesquej’aipasséesavecelles,ellesavaientunanetdemiettroisansetdemi.Jen’airientrouvédemieuxquedelesemmenerenSicile,dansune ilequiétaitun caillou. Il y avaitune chaleurmonstrueuse.C’était aberrant. Je trouvequelesparentsétaienttrèscourageuxdemelesavoirsconfiés»….Commel’écritLuce,uneautrefilledemai«Lamarmiteexploseparfois,maissanstropdedégâts(…)Etlà,magique,unevoixdit:Onréfléchit.Onsesouvient.Etc’estpastriste!»(3)Cettegénérationaundésirfoudegrandematernité,commel’exprimebienNoëlleChatelet«C’estd’autantplusacceptable,pourmoidesefaireappelergrand‐mèreque,depuisquejesuisgrand‐mèrejem’identifieplusvolontiersàmamère,danscequ’elleavaitdemeilleur»Troisièmegénération:Modération?Sansremettreencauselesacquis,les30‐40ansreconstituentlanormequeleursmèresontmisencause,fontlechoixdelamaternité,delafamille,d’uneéducationrecadréeetd’unretourdestraditions.LesFrançaisessontainsientêteduclassementdesEuropéennesquifont le plus d’enfants. Mais, dans les chiffres, l’effet de 68 touche de plein fouet lesnouvelles générations. Entre 25 et 54 ans, 80% des Françaises travaillent, alors qu’ellesn’étaientque45,1%en1962.Depuis1970etlamaitrisedelaprocréation,laproportiondeFrançaisesquis’estimentheureusesdeleurviesexuelleaplusquedoublé(passantde26à54%) alors que celle des hommes n’a que faiblement progressé ( de 41 à 47%) En effet,31,3%desFrançaises(âgéesde15ansouplus)sontcélibataires,contre22,4%en1980,17%viventenunionlibre,contre6%en1980,48,7%sontmariéescontre59,5%en1980Maislesusagesontquandmêmelapeaudure:Sur4cadres,quellequesoitl’entreprise,3sontdes

Page 15: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

15

hommes. Et les femmes continuent à consacrer deux fois plus de temps que leurscompagnons aux activités domestiques (ménages, courses, enfnats), à raison de 4 h 36minutes par jour ( en moyenne, week‐end compris) contre 2 h 13 minutes pour lesHommes…iSelonlemotdeFrançoisdeSinglyiiMarciaMaalox‐«laProvenceFemina»,2mai1998.iiiFILLESDEMAI‐68‐monmaiàmoi‐mémoiresdefemmes.‐Editionsleborddel’eau‐2004P64ivEntretienavecNicoleLapierrevEntretienavecNoëlleChateletviEntretienavecDominiqueviiviiiLuceHaccard‐Perrin:En68,j’émergetoutjusted’uneinterminableetdouloureuseadolescence,d’unlongséjourdanslescouloird’unemortprogramméeetjamaisachevée.BrefjesuismûrepourNAÎTRE,vraiment,cettefois.Pourlesautres,j’ai27ans,jesuisdocumentalisteàl’EducNazeetviscéralementrebelleàtouteautorité.Mûre,donc,pourlegauchisme…Citéepage105dans«FillesdeMai»68monMAIàmoi,mémoiresdefemmes,LeBorddel’eau,Latresse,2004.

x2°)RappeldesacquisobtenusparlesfemmesdepuislaLibération:1944:OrdonnanceduConseilNationaldelarésistancesu21avrilsignéeparleGénéraldeGaulleetDonnantauxfemmesledroitdevoteetd’êtreélues.1946:Leprincipedel’égalitédesdroitsentrehommesetfemmesestposépourlapremièrefoisDanslepréambuledelaConstitution.1965:Lemarinepeutpluss’opposeràl’exercicedel’activitéprofessionnelledesfemmes.1967:LoiNeuwirthautorisantlacontraception.1970:L’autoritéparentalesesubstitueàl’autoritépaternelle.1975:LoiVeilautorisantprovisoirementl’interruptionvolontairedegrossesse.:Instaurationdudivorceparconsentementmutuel1979:Loidéfinitivesurl’interruptiondegrossesse.1982:Remboursementparlasécuritésocialedel’interruptionvolontairedegrossesse1984:Congéparentalouvertàchacundesparentssalariéssansdistinctiondesexe.1985:Loirenforçantl’égalitédesépouxdanslesgestionsdesbiensdelafamille:Possibilitéd’ajouteraunomdel’enfantlenomdel’autreparent(engénéralceluidelamère)1991:Loiautorisant,souscertainesconditions,lapublicitépourlescontraceptifs.1999:Révisiondel’article3et4delaconstitutionportantégalaccèsdeshommesetdesfemmesauxmandatsélectorauxetauxfonctionsélectives.xii3°)Bilandémographique2007L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a rendu public le 15 janvier 2008 son "Bilandémographique de l’année 2007". Il confirme la plupart des traits spécifiques déjà repérés depuis le début des années2000.LapopulationdelaFranceestestiméau1erjanvier2008à63,753millionsd’habitants,soit361000personnesdeplusquel’annéeprécédente(haussede0,6%).Cetteaugmentationestdued’abordàunsoldenaturelpositifde290000personnes(816500naissances contre526500décès), le soldemigratoire s’élevantquant à lui à 71000personnes (seulementuncinquièmedel’accroissementtotaldelapopulation).Celan’empêchepaslapoursuiteduvieillissement(16,3%deplusde65danslapopulationcontre15,2en2000et,surtout,augmentationde9%enunandes60‐64ans).Letauxdeféconditéfrançaisresteleplusélevéd’Europeavecceluidel’Irlande(198enfantspour100femmes),maiscelas’accompagne d’importants changements sociétaux: les naissances hors mariages sont devenues majoritaires pour lapremièrefoisen2007(50,5%), l’âgemoyendesmèresestmontéà29,8ans, lemariagecontinuedereculeralorsque laprogressionduPACSsepoursuitaurythmede25%paran,l’espérancedevieaencoreaugmentéde3moisenunan.

Page 16: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

16

EntretienavecNoëlleChatelet«Aujourd’huijepeuxledirejesuisamoureusedemapetitefille»

Page 17: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

17

EricDonfu:Lesfillesdemaisontsurprenantes.Jevoulaislireabsolumentvotretrilogie«ladameenbleu»,«lafemmecoquelicot»et«lapetiteautournesol».Ladameenbleucelaluifaitquelâge?NoëlleChatelet : C’est lepersonnaged’un conte. Solangea50ansetelle s’identifie àunevieilledamede75ans.Lafemmecoquelicot,c’estlepointdevued’unevieilledamequivaredevenirjeunegrâceà l’amour,et ladernière,c’est lapetitefilledeMarthequielleveut,commesa grand‐mère,entrerenamouretà6ans,aunehistoireavecunpetitgarçonde7ans.Onpassesanstransitiondesamourstardivesauxamoursprécoces,etcesonttroisâgespossiblesdelamétamorphoseféminineàtravers l’amour ou bien la décision de ne plus être amoureux et sous la forme du contephilosophiqueàchaquefois.Pourlapetiteautournesol,sonmodèlec’estsagrand‐mèreetnonpassamère,çac’estintéressant.J’ai écrit d’ailleurs à ce propos un texte qui s’appelle «grandir et vieillir, la boucle de laconnaissance» E.D:Unepetiteétudeaétéréaliséeoùonserendcomptequecertainsadorentleurgrand‐mère,aupointmêmedelesfairerevenirvivrechezeux.Lagénérationdesfemmesde1920,cesontellesquiontrévolutionnélemondedesgrands‐mèrescarellesontnouéd’autrestypesderelationsavecleurspetitsenfantsetiln’yapasderaisonqueçanes’arrêtepasmaintenant,c'est‐à‐direquecesarrièresgrands‐mèressontplus«toniques»etlesbaby‐boomeusesontdumalàsesituer.N.C:C’estlaquestionquiestexactementposéedans«grandiretvieillir…»Onnedevraitpasavoirledroit de dire, pour les vieilles damesqu’elles «retombent en enfance».Dire cela est pourmoi lecombledelabêtise.Unevieilledame«regrandit»dansl’enfance.Ellesretrouvent,àtraverslefaitqu’elles vieillissent et qu’elles aient de nouveau materné, par obligation souvent, à la fois unedépendancemaisaussiunludismeetunefantaisiedel’enfance.E.D:Unequestionpratique:Avez‐vousunportable?N.C:Depuisdeuxansseulement.J’enaiprisunlorsquej’aifaitundocumentaireavecAnneLandreusur lesgreffesd’organe.Onvadireque jem’ysuishabituéemaisdireque j’ensuiscontente,c’estautrechose.E.D:Ditesmoiaussi,estcequevousfaiteslacuisinelacuisinequelquefois?N.C:Oui,moinsqu’autrefoismaislaplupartdutempsc’estmoncompagnonquilafait.Jemelaisseun peu gâter. Mon fils cuisine également, il faut dire que son père était un grand chef. Il étaitbeaucoupdansnosjambes,etc’estcommecelaqu’ilaappris.Antoineaapprisenvivantavecnous.E.D:Etdoncvosenfants,vousavez...?N.C: Un fils, qui aura 40 ans au printemps. Qui est né dans la nuit du 22 au 23mars 1968…Plussoixantehuitardquelui,iln’yapas!LespremièresdouleursontduveniraumomentoùàNanterre,lesétudiantscommençaientlemouvement.E.D:Iladesenfants,ilestmariéd’ailleurs?

Page 18: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

18

N.C:Non.Ilvientd’avoirunenfant.Ilaétémariépendantdetrèslonguesannéesàuneamie,unefemmephilosophe,ill’estlui‐même.Ilaquittésafemmeilyaunanenvironetenarencontréuneautreavecquiilaeucettepetitefilledehuitmois.E.D:Etdoncen1968,vousaviezquelâge?N.C:23ans.E.D:Etoùestcequevousétiez?N.C: J’étaisentre la findemamaîtrisede lettresetmonpremierposteà l’éducationnationale, Jen’enseignaispasencore,j’étaisdanscetteespèced’entredeuxetpendantlesmoislesplusagitésde68, j’étais en «retour de couches» comme on dit. Etmon fils, unmois après a été opéré d’unedoublehernieetnousavionstrèstrèspeur.C’étaittrèsétrangecarjevivaisungrandmomentdemaviedefemmeetj’auraiscertainementvécumai68autrementsijenevenaispasd’accoucheràcetteépoque. Moins de disponibilité bien sûr. J’allais dans les manifestations mais je calculais pour lebiberondubébéparexemple.L’heureétaitàlalibertétotaledesfemmes,unerevendicationsurtoutde cette liberté y compris par rapport à ça, la grossesse etmoi j’étais en plein dans l’expérienceintimedecettematernité.Celadonnaitunesituationquin’étaitpasbanale.E.D:1968a‐t‐ileuuneinfluencesurlafaçondontvousl’avezéduqué?N.C:C’esttrèsdifficiledeledireaprèscoup.Ilmesemblequenonparcequejecroisquemêmesans68,Françoisetmoiaurionseuunefaçondevivreavecl’enfantquiauraitétélamême.Cen’estpas68qui a jouéquelque chosemais là où ça a jouéun toutpetit rôlepeut‐être, c’est par rapport àl’allaitement.Jemerendscomptequelesfemmesd’aujourd’huiparexemple,quelesfemmeslefontpar goût. Il y a un retour à l’allaitementmaternel et il existe comme une pression sur les jeunesmamansdans leshôpitaux.Brefonamêmetendanceà leur fairesavoirquesiellesn’allaitentpasleurbébéellesnesontpasnécessairementdetrèsbonnesmères…alorsqu’en68c’est legenredechosessurlesquellesonn’insistaitpastrop.Enfait,lesfemmesn’étaientpasmécontentesdeneplusavoirdelaitauboutdetroisjours.Jemesuisretrouvéedanslasituationd’allaiteràlaclinique,etjedois dire que je n’ai pas trouvé cela très agréable. A l’époqueonnous extrayait le lait à l’aide detrayeuse,commesurunevacheetj’avaistrouvécelaignoble!Etassezpeurespectueuxdel’imagequejemefaisaisd’unefemmevis‐à‐visdesonbébé.Etlasociétéaeffectivementjouéunrôletrèsimportantdanslafaçondontonvitsamaternité.E.D:Honnêtement,jusqu’àprésent,cesujetlàn’apasencoreétéabordé,maisonabeaucoupparlédufaitdenepasporterdesoutiengorge,estcequevousenportiez?N.C: Non, je n’en portais pas. Mais aussi parce que je pouvais ne pas en porter…Les femmes agrosses poitrines étaient bien obligées d’en porter! C’est vrai qu’il y avait une tendance chez lesfemmes,àvouloirvivrecommeleshommes,quittemêmeàressemblerunpeuàdeshommes,descorpsunpeuandrogynes,lamodeétaitàçaaussi.C’étaitàl’époqueoùjepensaisfaireunethèsesurl’androgenéïté(finalementjen’aipasécritcellequejepensais)avecGillesDeleuze,maisunesurlesrapportsducorpsavecl’alimentation,oùj’aborde,longuementlaquestiondemoralité.E.D:Est‐cequevouspensezquedanscettemouvanceféminineilyaeucettequestion?

Page 19: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

19

N.C:Biensur!Ilyavaitunepressionsurledesigndescorpsminces,fins…E.D:Maisilyaeuaussilamodedesmini‐jupes,etcen’estpastrèsandrogyne…N.C:Moijefaisaispartiedecellesquis’habillaientauxpuces.J’aimem’habillerauxpuces,carçamevabien,desrobestrèslongues,deschâles,desboas…J’étaisunpeuextravagantedansmafaçondem’habilleràl’époque,ilyavaitunevolontédevouloirm’habillerdifféremment.E.D:Etvosparentsvousaidaientàéleverl’enfant?N.C:Oui,unpetitpeu.E.D:Etvousl’emmeniezoùvousalliez?N.C:C’étaitunbébécouffin.Al’époqueiln’yavaitpasdegarded’enfantetilfallaitsedébrouiller.Onl’emmenaitpartout.Etcecouffin,trèspratique,onlemettaitengénéraldanslesbaignoiresdenosamis!C’estunbébéquel’ontrimballépartout.Danslesréunions,ilyavaitbeaucoupdebébés,uneformedecommunautarismerégnaitmêmesimoijenel’étaispascarj’avaisunsensaigudemonindépendance.J’avaishorreurdescollectivitésetmongrandbonheurdecetteépoque,c’estquejesortais du lot.Quand j’ai rencontré François, j’étais une très jeune femmeet ce que j’aimais faireavec lui,c’étaitdeschosesquenefaisaientpas lesautres,c’estsur.Cebébéétaitcommeopaque.J’avais une mère sage femme, qui a d’ailleurs assisté à la naissance d’Antoine, à la clinique desbleuets,quiétaitlacliniquedesmétallos,celleoùavaitcommencél’accouchementsansdouleursdel’époque.J’avaisd’ailleursététrèstrèsencolèreparceque,imaginezvous,onnotaitlesaccouchées,selon ledegréde souffrancequ’elles avaientéprouvépendant leur accouchement!Moi j’avais eu9/20carj’avaisaccouché«parlesreins»commeondisait,avecdesdouleurslombairesquejen’aipaspumaîtriser(etc’estlapremièrefoisquejen’aipaseulamoyenneàunexamen!)–Notersurlacapacitéàdominerlasouffrance,jetrouvaiscelaassezdégoutant.Pasbiendutout.C’était aussi l’époque où on disait que c’était nécessaire de laisser un enfant pleurer. Alors jememorfondaisdanslapièceàcoté,ilatellementcriépendantunmoisetdemi,quec’estlaraisonpourlaquelleils’estfaitunedoublehernie.Lemédecinm’aditqu’ilavaittropcrié.Onavaitdécidé,Françoisetmoi,quelanaissancedecebébén’allaitpaschangerninotrequotidien,entreluietmoi,ninotrerapportamoureux,çanedevaitquel’embelliretpasl’écraser.Etonyestarrivé,ycomprisdanslafaçonoùnouséduquionscetenfant,trèsvitej’aiexpliquéàantoinequesilematinilseréveillait,ilattendraitqu’onseréveillepouravoirsonbiberon.Ill’afait.E.D:Etvosprincipesd’éducation,vouslestrouviezoù?N.C:Ennousmêmesijepuisdire,ilyavaitàl’époquetouscesmouvementdel’antipsychiatriequiontjouéunrôledansnotrefaçond’éduquerlesenfants,c'est‐à‐dire,deneplustroplescontraindreet ce n’est pas pour autant qu’on était permissif – Pas de contraintes, certes sauf celles de notreliberté–Jen’aipasl’impressiondel’avoiréduquémaisdeluiavoirfaitpartagernotremodedevieetnosvaleursetqueils’estéduquélui‐mêmeparl’exemple.Onseditlavérité,jen’aijamaissurveilléle travail demon fils. C’était sa responsabilité à luimais bien sur, je lui donnais un coup demainquandilavaitunproblème.Jel’aiviteconsidéréassezgrandpourseprendreenchargemoralement.E.D:Quandvousdites«assezgrand»vousvoulezdirequelâge?N.C:Dès lamaternelle. Il y avait uneatmosphère trèsbonenfant à lamaison, pasde violenceetcertainementpasdedisputesàproposdenotreéducation.Cetteharmonietrèsparticulièrequem’a

Page 20: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

20

décrite Antoine vers ses 30 ans en me disant: «vous ne m’avez pas armé contre la violence dumonde».Ilaeuuneenfancetellementheureuse…E.D:Alorspourquoiilvousl’aditalors?N.C: Parce qu’il a été confronté beaucoup, notamment dans ses premières expériencesprofessionnellesàlabêtise,àlamédisance,àlarivalité,àlarentabilité,tantdechosesdontonl’avaitépargné.Maisonexigeaitbeaucoupdecetenfant,beaucoupplusquecequelesparentsexigentduleurmaintenant, on les obligeait à s’auto‐gérer et ça c’est une arme extraordinaire quandmême,non?E.D:Oui,jen’aipasd’opinionmaisvousconsidérezquecequevousdeviezfaireétaitbien,luifairepartagervotremodedevieétaitpourvousessentiel?N.C:Oui,biensûr.Etilsetrouvequetoutel’adolescenced’Antoine,dès12ans,aététracasséeparlamaladiedesonpère. Ilsemettaitauservicedecelui‐cipourqu’ilsouffre lemoinspossibleet jepensequeonl’aarmépourça.Pourfairel’autreavantlui‐même.Etc’estbienaprèslamortdesonpèrequ’ils’esttrouvédésarmé. Ilyavaituneconfiancedans l’enfantà l’époque,qui faisaitpenserquelarépressionétaitquelquechosedesuperflu.D’ailleurs,pournous,ellen’apaséténécessaire.E.D:Unseulenfant.Pourquoi?N.C:Oui,j’aiétéenceinteunanetdemiaprèsmaisj’aiavorté,clandestinement,commebeaucoupde femmes à l’époque. C’était surtout lié à la fragilité de François, après je l’ai un peu regretté àcausedemonfilscars’ililavaiteuunfrèreouunesœur,ilauraitpeut‐êtreétémoinsseuldevantlamortdesonpère.Maisnousenavionsdiscutéavecsonpèreetc’étaitvraimentdanslamentalitéde68:«uncoupleetunenfant,ça fait toujoursuncouple;uncoupleetdeuxenfants,ça faisaitunefamille»etnousnevoulionspasd’unefamille.E.D:Pourquoi?N.C:Acausedecetteidéedupartagedontjeparlaisauparavant,nepasmettred’uncotélesenfantsetdel’autrecotélesparents.E.D:Etvousaviezcombiendefrèresetsœurs?N.C:Quatremais j’étais ladernièredontundemifrère.onnevoulaitpasdepèredefamille , trèsanti– famille.L’enfantne faisantpaspartied’une famillemaiscorrespondantenquelquesorteauprolongementamoureux.Doncilagrandidouloureusement.E.D:EtAntoineestpapadepuispeudetemps.Commentestcequ’onvousaannoncélagrossesse?N.C: Je savais que sa compagne, qui avait par ailleurs déjà une fille de 14 ans, voulait un enfantd’Antoine.Elleamêmepenséêtreenceinteplusieursfoisavantdel’êtrevraiment.Et6moisaprèsleurrencontre,ilssontarrivésdansnotremaisondusuddelaFrance,ilsnousl’onannoncéetc’étaitun moment sublime, un des plus beaux moments de ma vie. Je voulais être grand‐mère depuislongtemps mais je savais que ça ne serait pas possible de la femme avec laquelle il était car ilsn’étaientpasdanscettetrajectoirelà.J’avaisenviequ’ilsoitpèredavantagepourluiquepourmoi,jepensaisqueçalesoigneraitdelapertedusien.E.D:Trouvez‐vousacceptableleterme«grand‐mère»?

Page 21: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

21

N.C:C’estd’autantplusacceptable,pourmoidesefaireappelergrand‐mèreque,depuisquejesuisgrand‐mère jem’identifie plus volontiers àmamère, dans ce qu’elle avait demeilleur. C’est unemèreexceptionnelle,unegrand‐mèreexceptionnelle.Antoineavaitunegrandepassionpourelle.Jeme suis rendue compte que depuis que sa fille est née, j’ai des intonations avec elle, que je neconnaissaispasdemoi.DesgestesquemamèreavaitavecAntoineetquej’aiprojeté.E.D: Est‐ce que votre fils découvre en vous des choses qu’il ne connaissait à l’occasion de cettenaissance?N.C: Certainement.Mais on n’a pas besoin de se parler, on est tellement complices! Le chagrinparfoissépare lesêtres,dansnotrecas ilarenforcénotrecomplicité.Atelpointque jesuispartiequelquestempsdelamaisonafindeluilaisserlechamplibreetdenepaspeser,carilavaitdéjàsonpropre chagrin à vivre. La grand‐maternité est pourmoi une victoire sur lamort et le temps quipasse,commeunerevanche,etgrâceàcettenouvelleposturedanslaquelle jesuis, jepeuxd’unepartrevivredeschosesquej’avaisvécuesavecmonpropreenfant,d’unecertainemanière,j’enfanteànouveau,danscerapportmerveilleuxetcharnelaveccepetitbébéque jenepeuxplusavoir, jerajeunisgrâceàcela,etparailleursAntoinepeutserevivreenfantdansquelquechosequ’iln’apastotalementoublié.Jetrouvequelanatureestassezbienfaite:lafemmed’uncotésubitlaménopause,doncinterditedeféconder,puisànouveaufécondeviasonpropreenfant…C’estpeutêtrecompliquépourFreudmaisc’estquandmêmepasmal!E.D:C’estla«grandemère»…Doncvouslegardezbeaucoup?N.C:Bien,unefoisparsemaine,unenuitetunejournéedonc24h.E.D:Quiestcequiademandé?N.C:C’esteux.Enfait,j’aiditquemoij’irailavoirmaiseuxçalesarrange,c’estdoncd’uncommunaccord.E.D:C’estdubabysittingquinevousdérangepas?N.C:Non!J’ytiens.E.D:Vousl’avezgardéassezvite?N.C:Ouimaispastrèsvitenonpluscarelleallaitaitsamaman,doncmoijenepouvaispasl’allaiter.Je la regardais et je lui disais: «ma petite Salomé je suis désoléemais je ne peux rien faire pourtoi!».Un jour,uneamiequim’esttrèstrèschèreetquiabeaucoupécritsur les femmesetquiaforcémentuncotéque jenesupportaispasdanssesréunions (elle interdisait leshommes,aucunplaisiràavoirsesrègles,cesontdeschosesdelanaturequejenevaispasrevendiquercommeétantépouvantables contrairement à l’allaitement dont je parlais tout à l’heure) et que vous devezcertainementconnaîtrequiestAnnieLeclerc.Elleaditdeschosessursagrand‐maternitécomme«jenesuispasencoregrand‐mère,jesuisamoureuse»,J’étaisunpetitpeutroublée,paschoquéemaistroublée;maisaujourd’huijecomprendscequ’elleveutdire.Aujourd’huijepeuxledirejesuisamoureusedemapetitefillemais«amoureuse»c’estquoi?Quandjesaisqu’ellevavenir,j’aiuneémotionparticulière,j’aienviedememettreunpetitpeud’eaudetoilettederrièrelesoreilles,j’aienvie qu’elle sentemon odeur…vous voyez? et j’aime ce contact sensuel que j’ai avec elle. Il setrouveenplusquecettepetiteressembleétrangementàmonfilsetjerevisàtraverselle.

Page 22: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

22

E.D:Qu’estcequevousfaitesavecellequandvousl’avez?N.C:C’estencoreunpeu limitémaiselleme reconnait,elle reconnait le fauteuildans lequelvousêtescarc’est lesien,ellereconnait le lit,certainsobjetsqueje luidonnesystématiquement,elleasesrepères.J’ail’impressiondéjàavecelled’unetrèsgrandeintimité,d’unetrèsgrandecomplicité.Etc’esttrèsbiencaraumomentoùj’aisuqu’elleétaitenceinte,j’étaisprised’uneterreurdemourir,desmétamorphosesducorpsetdel’âmequivaavec.J’aifaitungrandbilandesantécarJemesuisdit:ilfautqu’elleaitunegrand‐mère,jenepeuxpasluifaireça.E.D:Etdonc,vousavezachetédeschosesaussi?N.C:Pourlebébé?biensur.D’aborddanslaruejeneregardeplusquelesbébés.Jepensesansarrêtàcequejepourraisluioffrir,elleaprisuneplacetrèsimportantedansmavie,maisaussidansmonimaginaire. Elle s’est inscritedansma trajectoiredevie, etd’une certainemanièreelleme resituedanscettetrajectoire.SurlemurilyaundessindeFrançois,etjeluifaiscaresserenluidisantquec’est son grand‐père car je trouve dommage qu’elle ne voit pas son grand‐père. Elle en a unpuisqu’elleamoncompagnon.Maisl’autreelleneleconnaîtrapas.E.D:Vouslaverrezpeut‐êtremaman?N.C: Peut‐être, j’espèremais en fait lamortme fait peur donc la vieme fait peur. J’ai calculé, ilfaudraitqu’elleaiunenfantàpeuprèsà25ansetcommemamèreestmorteilya4ans,sij’arriveàvivreassezlongtemps…E.D:Ilexistemaintenantlagénérationdes85‐110ans.Ledernierpoiluestmortà110ans!N.C: Il y a aussi quelque chose d’important au niveau de Salomé, je pense qu’elle va changer ladonneauniveaudel’écriture.

EntretienavecNicoleLapierreNicoleLapierreest sociologue,écrivainetdirectricedecollection.Elleestnéefin47,etaeudeuxenfants,Eric,néen1966etEve,néeen1982.Elleaaussiuneniècequ’elleconsidèrecommesafille,et 6 petits enfants. En mai 1968, elle avait 21 ans. Militante, étudiante à Nanterre, elle s’estimpliquédèsledépartdanslemouvementétudiant.«J’étaisétudianteenphilosophieetsociologieàNanterre.J’habitaisdansle9earrondissementdeParis.L’universitéaccueillaittoutl’ouestdeParis,c'est‐à‐direlesbeauxquartiers.Nousprenionsletrain à Saint Lazare, arrêt àNanterre, et on arrivait dans un terrain vague, plein de boue, où l’onpassaitàcôtédesbidonvillespourarriveràuncampustoutjustesortideterre.J’yanimaisuncinéclub qui était lié à la revue Positif, aux surréalistes qui s’opposaient à l’institution des Cahiers duCinéma. J’étaismilitante à l’extrême gauche, à la JCR, une des tendances trotskyste animée parAlainKrivine,pleined’unimaginaireliéeauxproscris,auxjuifspersécutés.Lacitéuniversitairen’étaitpasmixte. J’aivécu l’effervescencepréalableaudéclenchementdemai68. C’était fait de plein de petites chose. Une fois, des garçons ont fait venir des filles dans leurbâtiment, et cela avait fait un tollé. Le coup d’envoi de mai, ce fameux 22 mars, était un coup

Page 23: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

23

symbolique, avec l’occupation des bureaux du doyen Grapin toute une nuit. J’étais dans ce«mouvementdu22mars».Aprèscelaaétéunenchainement.Arrestation,répression,réaction,etc’estmontétoutseul,avecdesvaguessuccessivesquienflaient.Plus lepouvoirverrouillait,plus lemouvementenflait.Jemesouviensdelaspontanéitédumouvement,cecesgrandesmanifestationsjoyeusesetdecesréunionsoùnouspassionsbeaucoupdetemps.Cequej’enretiens?C’étaittrèsenthousiaste,trèsbeau,trèsgénéreux.Ilyavaitsansdoutedesillusions,maisilyavaitsurtoutuneformidablegénérosité.NousétionslesrelaisdesluttespourlapaixauVietnam,nousfaisionsnôtreslescausesdesfemmes,deshomosexuelsetdesfaibles.Oui,c’étaitgénéreuxetbeau,toutl’inversed’un individualismeétriqué.Bien sûr, à côtédenotre inspiration très libertaire, il y avait biendesprochinoisdogmatiques,maisl’ensembledumouvementavaitunedynamiquelibertaire.Nousportionsdéjà lepantalon,et les jupesétaientcourtes,trèscourtesmêmeavec l’arrivéede lamini‐jupe.Lesfillessepartageaiententredeuxstyles,lestyleCourrège,cheveuxcourtsetsilhouettedroite et le style proche des hippies, avec des jupons acheté aux puces et teints de toutes lescouleurs, des jupes roumaines brodées. Nous étions très élégantes. Je ne l’aurais jamais avoué àl’époque,mais nous nous faisions belles pour aller assister auxmeetings.Même si l’on disait quec’était de l’aliénation, on jouait le jeu de la séduction, les filles n’avaient pas peur des amours depassages,c’étaitunegrandeépoquedelibération.Onrefusaientdeporterdesoutiens‐gorges,parcequ’iles étaient considérés comme des harnais qui enfermaient le corps des femmes. J’ai suivi lemouvementétapeparétape.J’étaisrueGayLussac,coifféed’unechapkapourmeprotégerlatête.Maisjen’aijamaisétéarrêtéenimatraquée.Enmai1968,j’étaisdéjàmèredepuisdeuxans.J’aieumonfilsà18ans,en1966etj’aiconscienceque1968m’a,d’unecertainemanière,influencéedanslemauvaissensdansmonrôledemère,carjen’étaispasdisponiblepourEric.Jen’avaisniletemps,nil’espritàlui,etjen’avaispasnonpluslamaturité nécessaire.Heureusement, j’avais une famille bourgeoise qui assurait. J’avais le relais demes grands‐mères qui n’habitaient pas loin, une étant même dans le même immeuble que mesparents,oùjelogeais.Nousavionsaussiunejeunefilleaupair,donc,l’enfantétaitbienentouré.Onl’aimait,notrefils,mais ilauraitaussibienpuêtreunpetit frère.On lui faisaitdescâlinsquandonétaient là, c'est‐à‐direpas souvent.Avecnous, lesmodèles changeaient.Cequenousvivionsavecnotre enfant n’avait rien à voir avec ce que nous avions vécu dans notre propre enfance. Nousn’avions aucun rapport d’autorité avec notre fils, nous ne savionsmême pas ce que c’était. Nousn’avionspaslesmêmepudibonderiesnonplus,parrapportaucorpsetàlanuditéparexemple.Laparoleétait libreet lesenfantsétaient intégrés commedespersonnesdans la sphère familiale. Ilsavaientlaparole,lemondedel’enfanceetceluidesadultesn’étaientplusdeuxmondesséparés.Onavaitdesamisquisebaladaientpartoutavec leursgamins.Onavaientdesréunions,onanimaientdesréunion,c’étaitleplusimportant.En 1982, j’ai eu un autre enfant. J’avais 35 ans, c’était avec un autre père et dans un contextedifférent.Mais j’aiaussivuunegrossedifférencedans mafaçond’élevermafille,parrapportà lamanièredontj’avaisélevémonfils,quej’avaiseuseizeansavant.Jemesuisbeaucoupplusoccupéd’Evequed’Eric,j’avaisbeaucoupplusd’attention,deprésence.J’aitoujoursgardéunetrèsgrandecomplicitémère‐fille.QuandMerlin,monpremierpetitfils,etEloïsesontnés,monpèreétaitencorelà.Ilestmortàl’été2003.Depuis je sens,qu’il n’y aplusdegénérationau‐dessusdemoi, etque ce sonteux la suite.Alors, aujourd’hui, quelle grand‐mère suis‐je? Je crois que, aux yeux demes enfants, je suis unegrand‐mère très sympathique, mais pas très performante. Nous sommes très pris, nous bossonsbeaucoup et nous sommes très investis dans des tâches qui nousmobilisent complètement. Si jepeux garder un bébé et continuer à travailler pendant ce temps, ça va, mais il faut une vraiedisponibilitépourunenfantetjenesuispasprêteàaménagermonemploidutempspourl’instant.

Page 24: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

24

Heureusement, ce qui nous sauvent un peu, c’est que les belles familles, plus âgées, sont plusdisponibles. Ce sont elles qui assurent les rôles des grands‐parents, nos enfants ont des solutionsMais cela n’a pas toujours été facile pour eux. D’ailleurs, j’ai remarqué que, jusqu’à une périoderécente,mesenfantsnelisaientpasleslivresquenousavionsécrits,unpeucommes’ilslesjugeaientcommedesconcurrentsdéloyaux.J’aiaussiunenièce,quiaaujourd’hui43ans,quiestlafilledemasœurdécédéeetquejeconsidèrecommemafille.Cesonteuxquinousdemandentcedont ilsonbesoins,etnousleurrépondonsclairement,quandnouspouvonsnouspouvons,maisquandnousnepouvons pas nous ne pouvons pas. Nous avons acheté beaucoup de chose dès la naissance desenfants,nouslesaidonsàacheterleurappartementetnousleursdonnonspasdeconseilssaufs’ilsendemandent... Oui, jeme sens très prochesdemes enfants. Par exemple, avant, on louait unemaison dans un petit domaine viticole, l’été. A la demande des enfants, nous avons acheté unegrandemaisondanslesud.Etbienjemesuisvueréaménagerdetoutepièceunemaisondefamille!Quandnousnous retrouvons ensemble, parfois, j’ai l’impressiond’être le chef de cette famille detroiscouplesetdesixpetitsenfants….Durant les vacances, je profite mieux du temps avec mes petits enfants. Je mesure aussi lesdifférencesd’appréciationsquej’aiavecmesenfantspourl’éducationdespetits,maisjem’abstiensde tout commentaire, quelques soient mes désaccord, sur l’éducation notamment. Mon fils estclairementplusduravecsesenfantsquejenel’étaisaveclui.Ilveut«tenir»sesenfantsetn’hésitepasàêtreraideetexigeantaveceux,unpeu«àcheval»surlabonneéducation.Maisjenevoispascela chezma fille et chezma nièce ils seraient plutôt laxistes. Avec le temps, je constate que lesenfantsquionteuunesoi‐disant«bonneéducation»etlesautresserejoignentetseressemblent.Jemesouviensd’unescèneavecEve,mafille,quandelleétaitlycéenne,enseconde,auLycéeJulesFerry,àParis.dansle9e.J’avaistrouvélacassettedufilmDiaboloMenthe,quiaététournédanscelycéeen1977,etquiracontaitlaviedecollégiennesdesannées60.Enregardantlefilm,Evem’adit« Mais c’était horrible!...» Elle n’avait pas conscience de ce qu’était l’époque où il y avait desblouses, pas de mixité, pas de contraception, etc… Voilà un exemple qui illustre le changementd’époquereprésentéparMai68.

EntretienavecJocelynele29décembre2007,à15h. Jocelynea58ansetaunepetite‐fillede2ans.Elleavait25anslorsquesapremièrefilleestnée. Elle vit en couple avec le père de ses deux filles, âgées respectivement de 29 et 32 ans. Lapremièreest«pacsée»,tandisquelasecondevitenconcubinage.C’estcettedernièrequiaeuunenfant. Ilsviventdansun trèsgrandappartementducôtédeBelleville,dont ils sontpropriétaires.Jocelynepossèdeunevoiture. Elletravailleentantquesage‐femme(salariée). Sonprincipalpasse‐tempsest la lectureetdit«liredetout».Ellesortenvironunefoisparsemainepourassisteràdifférentsspectacles(théâtre,cinéma,etc.). Ellepossèdeunordinateuretuntéléphoneportable,sapetite‐filleétantseulementâgéededeuxans,ellesn’échangentpasdeSMSoudemails. Auniveaudelacuisine,illui«arrivedefairedespetitsplats»poursapetite‐fille,maissansplus,tandisquesafille«cuisineunpeu». SafillevitelleaussiàParis,etmêmeà«10minutes»àpieddechezJocelyne.Pourelle, ils’agitd’unevéritable«chance».

Page 25: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

25

Pourelle,mai 1968, c’est«unnouveaumodede viequi s’estouvert; plusde liberté, unenouvellefaçondevoirlavie,lechangementd’unordreétabli».Unpeugênée,elleajoute«j’aivécuencommunauté». Cependant, lorsdesévènementsdemai, âgéede19ans, elle expliquequ’elle a assezpeuparticipé,«discrètement». Sonengagement s’arrêteauxmanifestations, alorsqu’elleétudiait à laSorbonne.

Cecidit,vivantdanslesYvelines,ellesesentaitloinducœur.Pourelle,«ilsepassaitdeschosesabsolumentinattendues.A19ans,onétaitencoreunpeu

desgamines.Doncçàaplutôtétéuneprisedeconscience»,parlebiaisde«multiplesdébats».Ellerépètequ’àsonâge«j’étaisencoreunegamine.Çàachangécarc’estaussil’âgeauquelonchange.Onentredans lemondeadulteetpeut‐êtreque je suisentrédans lemondeadultedifféremmentquesiçàavaitété10ansplustôt».

C’estsurtout«d’unefaçonglobal,pasmoipersonnellement»queleschosesontchangé.Il

est possible que le mouvement féministe ait été précipité par 68, puisque «çà allaitensemble.C’étaitmûràcemomentlà». Qui plus est, avant «on était dans unmoule extrêmement rigide. Enmême temps, c’étaitl’adolescence.Touslesgensdemonâgesontentrésdansunehistoirequis’estconstruiteaufuretàmesure». Deplus,«ilyavaittoutàconstruire.Ilyavaitunespacedelibertéquis’ouvrait.Pasdesoucipourtrouverdutravail. Jetrouvaisduboulot.Siçàn’allaitpas, jepartais.Sionnem’accordaitpasmesdeuxmoisdevacances,jepartais.Deretourenseptembre,jetrouvaistoutdesuite.» «Iln’yavaitpascommel’angoissedesjeunesmaintenant». Cettepériodeachangéaussilafaçond’éduquerlesenfants.«Jevousledisais,onapartagédes maisons avec d’autres couples et il y avait plein d’enfants qui vivaient là ensemble. Ils seconnaissenttoujours.Ilssevoienttoujours,alorsqu’ilsétaientpetits.» Quantaucouple,«onétaitlibreparrapportà10ansplustôt.Ilyavaitlacontraception,cequ’iln’yavaitpasavant.L’impressionquetoutétaitpossible.(Silenceetsourire)C’estvraiqu’ilyabeaucoupdecouplesquisesontséparés.» Concernant sa petite‐fille, elle se sent très proche et a été «très étonnée» de sa propre«réactiond’amourinconditionnel».Commeellevientsouvent,«ilyaunlienquisecréé». Siellenelavoitpasdemanièrerégulière,ellelavoitfréquemment.Ladernièrefoisqu’ellel’avue?«C’étaitunpeuavantnoël.Quandonafêténoël.» Auniveaudesactivitéscommunes,«àcetâge,c’estencorepetit.Onpeutdirelalecture.On(aveclegrand‐père)luilitdeshistoires.Onparticipeàdesjeux.Onvasepromener.» Sonrôleentantquegrand‐mère?«Unrôleprotecteur.Déchargersespropresenfantsaussiquitravaillentdurement.» «Uneréférence.Oui,jepensequelesgrands‐parentspourlespetits,c’esthyperimportant.L’undespremiersmotsqu’elleadit,c’étaitpournous[appeler].C’estdusûr.Voilà,c’estsonmondeproche.» A deux ans, c’est «le début du langage. Çà ne va pas très loin. On ne lui fait pas desconversations. Elle comprend très bien, même si elle ne parle pas encore très bien. On peut luiexpliquerpleindechoses». «Dugenre:ques’est‐ilpasséàlacrèche?» Poursonrôlefutur,«onverra.Jepensequetoutçà,çàseconstruit.Etçàseconstruitbien.Jepensequec’estunepetite‐fillequivapartirenvacancesavecnous.Jenesaispas,maisjepensequ’onverraaveclesparents.Mais,apriori,çàal’airdebiensedessiner.»

Page 26: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

26

Elleconsidèresonrôlecomme«classique»,toutenétant«trèsheureuse»danscerôle. Elle intervient auprèsde sapetite‐fille « à lademandedema fille,maisonattendque çà(rires).Quandonpeut.Après,jetravailleencore.Onjongleaveclesemploisdutemps.» «Effectivement,ons’occuped’elle». «Onl’agardéepasmaldefoiscesdernierstemps,carmafilleestaussichanteuse.Elleafaitunspectacledernièrementetellead’ailleurssouventdormiàlamaison». Safilleattend«qu’onfassepartiedesavieàcettepetite‐filleet,detempsentemps,qu’ons’occuped’ellepour lui laisserplusde liberté.C’estvraiqu’avoirunesoiréesanspetitenfant,c’estmieuxpourfaireunesoiréeunpeupluspersonnelle.» Jocelyne,parcontre,n’attend«riendespécial.Çàsepassetrèsbien». Laquestiondutravaill’amèneàuneautreréflexion:«jenesuispasaussidisponiblequejepourraisl’êtreetilnefautpasnonplusquejelesoistrop(rires).Laquestion,c’estplutôtquandjene travaillerai plus. Est‐ce que ce sera différent? Est‐ce que je serai plus sollicitée? En aurai‐jeenvie?Jen’ensuispassûre.Ilnefautpasquecesoitdetrop.Chacundoittrouversaplace.» Elle‐mêmenedonnepasde conseils, car«ellem’endemande. Je lui endonnequandellem’en demande». Sur quelles choses? «Surtout quand elle était petite, vue la profession quej’exerce. Pour de petits conseils pratiques. Enmême temps, c’est sa fille. Il faut trouver la bonnedistance.Jeneluidispas:tudevraisfairececi,cela.» Concernantladifférencederapportsavecd’éventuelsautrespetits‐enfants:«c’estdifficileàdire,carj’aientendudireautourdemoi,pardescollèguesdanslamêmesituationquemoi,quelesecond,cen’estpaspareil.Çà,j’ensaisrien.Jeneveuxpassavoiràl’avance.Est‐cequ’onseblase?J’ensaisrien.» Même si elle ne pense pas revivre la naissance de ses propres enfants, «çà replonge enarrière.J’essayedemesouvenir.Çàremetunpeuenmémoire:àtelâge,commentçàsepassait?Qu’est‐cequ’onfaisait?Commentj’étais?» Avecsesgrand‐mères,«c’étaitunautremonde,jecrois.Vraiment.Quandjevoismesdeuxgrand‐mères…quoique j’avais une grand‐mère avec laquelle je parlais beaucoup mais que je nevoyaispastrèssouvent,carellevivaitàl’étranger.L’autregrand‐mère,c’étaitunegrand‐mèredelacampagne.Elleneparlaitpas.Ilyavaitlesparents, lesenfants.C’étaittrès[cloisonné].Ilyavaitdel’amour,maisjecroisqu’onétaitmoinsprochequandmême.» Pourelle,lesnouvellesconfigurationsfamilialesn’ontaucuneimportance.«Lefaitqu’onsoitprochecommeçà,c’est individuel.Est‐cequetoutes lesgrand‐mèressontprochesde leurspetits‐enfants?J’ai lachancequ’ellesoittrèsprochegéographiquementetqu’onsevoittrèssouvent.Cen’estpastoutlemonde.» Qu’a‐t‐elleapportéàsapetite‐fille?«Bendel’amour,delatendresse.Jecoirsquec’estdéjàpasmal(rires).»Auniveaudel’éveil,«jesuisquelqu’unquilitbeaucoup,parexemple.Lescadeaux,cesontsouventdeslivresqu’onlitensemble.J’adoreleschoisir.» Leschangementspersonnelsquecelaaprovoqués?«Ben,çàaétéénormequandmême.C’est tout un nouvel espace qui s’ouvrait. Il y a toute une période où on vit ensemble, on a desenfants.Puis,lesenfantss’envont.Ilyaquelquesannéesoùons’ennuie.Etlà,ilyaquelquechosedenouveau,quidémarrelà.Unnouvelintérêtdanslavie.»

Page 27: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

27

L’imagequ’ellead’elle‐mêmen’apaschangé:«non.Jenemesuispasdit,alleztuvieillis,tuesgrand‐mère.» Se rendre utile à l’avenir? «J’y ai pas pensé. Je pense que çà va se faire au jour le jour.Effectivement,utileçàvoudradireprendrecettepetiteenvacancesavecmoi,commemesparentsontfaitavecmesfilles.Ceseraunvraiplaisir,jepense.» Sonrôlefutur?«Jeserailà.J’aienviedevivreçà.J’aipleinàluidonneretaprès,jeserailàenfonctiondecequisepasse.Leslimitesnesontpasuniquementdéfiniesparmoi.Jeneveuxpasêtreunegrand‐mèreintrusive.Alors,çàsepassetrèsbien.Après, lesenfantsgrandissentqu’est‐cequeceladevient,j’ensaisrien. «C’est impossibledeseprojeter trop loin.Tous les jalonssontposéspourqueçàsepassebien.» Enfin,concernantlapetiteanecdote,elleparled’unévènementparticulier:«Ilyaquelquechose quim’a spécialementmarquée. J’étais là à la naissance de cet enfant. C’était quandmêmequelquechosede…(Silence)unritedepassage.Quelquechosequis’estpasséentremafille,moietlapetite(silence)…etlepère,biensûr.Cequim’amarqué,c’estquemafillem’aitfaitcecadeaucarellevoulaitquejesoislààl’accouchement,alorsquej’étaisprêteàm’éclipsertotalement,biensûr(blanc)…trèsémouvantetimportantpourmoi.»

EntretienavecDominiquele2janvier2007,à10heures.

Dominique habite un bel appartement, qu’elle loue, dans une tour qui surplombe la gareMontparnasse.Elleestâgéede60ansettravailleentantquesociologue«freelance».

Ellenepossèdepasdevoiture.Mêmesielleaunordinateuretuntéléphoneportable,ellen’échangeniSMS,nimailsavecsespetits‐enfants.Parcontre,illuiarriverégulièrementdelefaire.

Elleaétémariéetrèslongtempsavec«unanar»italien,maisadivorcéàlanaissancedesapremièrepetite‐fille.C’estavecluiqu’elleaeusesdeuxenfants,âgésde35et37ans.

Page 28: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

28

C’estleplusjeunedesdeuxquiestpèrededeuxfillesde9et11ans.Tandisquelepremier

estcélibataire,lepèreestséparéd’aveclamère.Celle‐civitdansunpetitvillageduLot,dunomdePrudomat,ausuddeBrive,aveclesdeux

petites‐filles de Dominique. A cause de cet éloignement géographique, la grand‐mère ne voit sespetits‐enfantsque«deuxà trois foisparan», tandisque lepèrevit actuellementàRennes, làoùviventaussil’aînéetl’ex‐marideDominique.

D’unemanière générale, «je ne vais pas les voir. Je vais plutôt les chercher pour aller envacances».

Cette sexagénaire a une vie associative très poussée dans «l’aide au développement auTchad».C’estuneassociationquis’occupeavanttoutdesenfantsdesruesenassociationavecl’Etatafricain,ainsiquede«projetsculturels».

«Jenesuispasdansuntrucassociatifmilitant.»Toutcela«prendbeaucoupdetemps.C’estl’essentieldemespasse‐temps».Commeellevoitpeusespetites‐filles,elleleurcuisinerarementdespetitsplats.Hasarddela

datedel’entretien,ellelesvoyaitcetaprès‐midilàetleuravaitpréparéungâteau.Sabelle‐fillefaitlacuisine,maisc’estsurtoutlerôledesonfilsquifaitune«formationdecuisinier»actuellement.

Pourelle,68abrouillélesrepèresetaffaiblil’autoritéparentale.«Parcequej’estimequej’aicomplètementéchouédansl’éducationavecmesenfantset,sansdoute,quele‘faiscequ’ilteplaît’,c’estpasforcémentunbontrucpouréleverdesgossesetcomme‘ilestinterditd’interdire’».

Les liens ne sont pas distendus avec ses fils. Le problème est ailleurs. «Je ne leur ai pasdonné ce qu’il fallait pour se positionner dans l’existence. Ils sont assez ‘anar’ et inadaptés à lacruautédumondeactuel.»

Lors demai 1968, elle était étudiante à la Sorbonne (en sociologie) et vivait dans le 13èmearrondissementdeParis.

Sespremierssouvenirsspontanés?«GayLussac,lapremièregrandebarricade.»Maissesparolesnes’arrêtentpaslà.Aprèsunblanc,elleparledes«amphisàlaSorbonne.»«J’étaischezlesprochinois.»Elleaétémarquéepar«lafaçondontlesgensseparlaient».«Je neme suis jamais retrouvéedans des trucs… je partais prudemment. Je partais avant

quen’arriventlestrucstrèsviolents.»«C’estunebonnequestion,carmesenfantsm’ontreprochédenepas leuravoirparlés.Et

parexemple,qu’est‐cequej’auraisàdireàmespetites‐filles?»«C’estlesouvenirdequelquechosedetrèsjoyeuxfinalement.»Lequartier latinétait l’endroitoù ilsseréunissaientpour lesamphis.«Effectivement,c’est

trèsbien.C’étaittrèsbienauprogrammed’expliquerMarx.Donc,j’ailesouvenirdemodesd’action,maisçàtravaillaitaussi(sourire)lesgrandsauteurs.»

«Puis,ilyavaitNanterreaussi.J’avaisdescopainsàNanterre.J’échangeaisdesinformationssurl’ambiance.»

«Donc moi, les ‘prochinois’, çà m’impressionnait beaucoup. Et les prochinois étaient desnormaliens.OnallaittirerlestractsàULM.»

«C’étaitlarévolution,lavictoireduprolétariatgarantie(sourireironique).»«Dansle13ème,ilrestaitencoredesusines:BéghainSay,etpuisSinger,jecrois.Etdonc,on

allaitdistribuerdestracts,discuteraveclesouvriersetlesouvrières».Etlemouvementféministe?«Oui,mais,moi,j’étaispasdedans.Ellesm’énervaientplutôt.»

Qu’en retire‐t‐elle?«Çàaétéunepériode formidable. L’impression forte,mêmesi je suis

trèscritiquesurlanaïvetéetlesdégâtsqu’ontfaitcettepensée».

Page 29: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

29

Quels dégâts? « Le dogmatisme des staliniens ‘c’est comme çà, çà se discute pas’.

Inversement,‘toutestpossible,toutestpermis’.C’estunpeuparadoxald’ailleurs.Alafois,unpeurigideetpuis,àlafois,toutsediscute.Alors,pourallierlesdeux,c’estunpeudifficile.»

Est‐ce que cela a marqué sa façon d’être mère? D’être grand‐mère? «Grand‐mère non,maismère certainement.» qu’est‐ce qui lui fait dire cela? «On est le produit de son histoire, eteffectivement,mai 68 a été un évènement tout à faitmarquant. J’étaismariée à un communisteitalien,assez‘anar’italien,prochedelotacontinua.

«C’estunmouvement…d’unecertainemanière,onadmiraitlafaçondontlesItaliensavaientunPCmoins ‘con’que lenôtre,beaucoupmoins.Après,des ‘anar’moins fous.Luiétaitunpeu là‐dessus et il est resté pro PC tout le temps. C’est un sujet qu’on abordait jamais, parce qu’on sedisputait.»

«Surl’éducation,c’estdonconrespectelaparoledesenfants,normal,maisçàveutpasdireonleslaissetoutfaire.Ilyavaitunpeudeçà.Dulaisser‐aller.

«Ilfautlescomprendre,maismaintenant,ilyadesrèglesàdonnerdefaçonfermequitteàsedisputer.Jepensequecetteéducationamarquélesenfants–quiontdoncétédanslessquats.Etje trouvais çà très bien, car c’était des squats où il y avait…ils avaient trouvé un repère: pas dedrogue.Leurhistoireàeuxn’apastournéàlacatastrophe,déjà.Ilyavaitdelapoésie,delamusique,destrucsunpeuartistiques.

«Je trouvaisçàbien,maisc’estpas très structurant»,unedifficultéà s’adapteraumonded’aujourd’hui.

Pourceluiquiestpère,«sesenfants,c’estlaseulechosequilestructurefortement»etc’estpourcetteraisonqu’ilrestedansleLot.«Ilnepeutpasresterloind’elles».

«Ilafaitsemblantdefairedesétudes,c’estjamaisarrivénullepart.ils’estdécidéàfaireuneformationdecuisinier,alorsqu’ilestassez‘intello’denature.Iltravailledansuncentredevacances,pouravoirdeshorairesadaptésàuneviefamiliale.»

«Je trouve çà désolant, car là il vient de s’inscrire à un stage d’intendant collectivitéEconomat(gestiondel’alimentation).ÇàsefaitàRennes,chezsonpère.Iln’apasdelogement.Ilvitcommeunoiseausurlabranche.»

«L’autre est à Rennes aussi, mais pas chez son père. Il va très mal. Il refuse de se fairesoigner.Iladesproblèmesd’alcool.

«L’aînéestcomplètementinadaptésocial.»«L’autre, c’est unmode de viemarginal,mais il s’occupe beaucoup et plutôt bien de ses

enfants,auniveaudelaculturealorsqu’ilsviventàlacampagne.Etçà,c’estremarquable.»

Ellesesentprochedesespetites‐filles.Ellenesesentpasplusproched’unedesdeux.«Ilyen a une qui a plus mauvais caractère. Quand elles sont avec moi, elles sont complètementfusionnelles. Et elles font front. L’aînée va toujours au secours de sa sœur qui essaye de toujoursl’emmerder. Et si j’essaye de les séparer, c’estmoi qui prends. Il n’y a pas de place pourmoi là‐dedans.»

Ladernière foisqu’elle lesa vues, c’est cetété. Ellepartenvacancesaumoisd’aoûtavecelles,àCadaquès(Espagne).Ellelesararementautéléphone,uneàdeuxfoisparmoisauminimum,maisrarementunefoisparsemaine.Quellesactivitésa‐t‐elleavecsespetites‐filles?«EnfévrierouàPâques,onfaitunvoyage.OnestalléenEgypteilyadeuxansetàDjerbal’andernier.»

«ÀDjerba,j’aichoisiunlieuoùilyavaituncentred’équitation,carellesfontdel’équitation.Etcequej’aitrouvétrèssympa,c’estqu’ellesontréussiàmemettresuruncheval.Onestalléfairedesballades trèsagréables.»Cela faisaitunequinzained’annéequ’ellen’étaitpasmontée surun

Page 30: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

30

cheval et si çà avait été quelqu’un d’autre, elle ne l’aurait pas fait. «J’aurais toute seule ou avecd’autresgens,j’auraisdit‘non,moi,jemontepas’»

Quelssontcesrôlesentantquegrand‐mère?«Leurdonnerl’enviededécouvrirlemonde,parlesvoyages.»

Parle‐t‐elleavecelles?«Pastellement.Jenesuispaslamèreconfidente.»

Avait‐elleimaginésonrôlefutur?«Aunmoment,monfilsaînéaeuuneamie.Çàaduréunpeu. Je me disais, j’aimerais bien être grand‐mère. C’était une façon de dire que j’étais prête àchangerdegénération.»

Comment voit‐elle ce nouveau rôle de grand‐mère? «Pas traditionnel, pas cocooning. Lesautresgrands‐parentssonttrèstraditionnelsavecunemaisondans lamontagne.Les fillesont leurchambreoùellesvontpasserplusdetemps,demanièretrèsstructurée.Donc,moi,c’estpartranchedehuitjours.Ilyaunpeu‘l’aventureensemble’.Enmedisantqu’ilenresteraquelquechose.

«Dans ce que je projette, mon engagement en Afrique en particulier. J’attend de lesemmener»directementsurleterrain.

«Àlafois,ellessesententgâtéesparrapportàleurscopines.Enmêmetemps,Sarah,laplusjeune,medisait‘tusais,jecroisquenousétionstropjeunespourallerenEgypte’.C’estvraiquecequilesaleplusamusé,c’estdecourirdanslescoursivesdubateau.Enfin,jemedisqu’ilenresteraquelquechose».

«Et aussi enseigner des trucs d’éducation qui permettent d’aller partout. Par exemple,«savoirquandmangerdesfritesavecsesdoigtsetquandmangerdesfritespasavecsesdoigts.Cen’estpasinterditmaisilyadesendroitsoùonnepeutpaslefaire.»

«Les parents s’en occupent extrêmement bien au niveau curiosité. Ce sont des grandeslectrices.L’aînéem’ablufféàlire20.000lieuessouslesmersdanslasemaine,avecunLewisCarrollquiasuividerrièreet jenesaisquoiaprès[…]puis lesparentssonttrèsnatures. Ilyaunéchangedanslesdeuxsens.Ellesm’apprennentdeschoses.»

Quelle contribution a‐t‐elle eu à leur naissance? «On y est allé juste après.Mais, dans legenre baba cool, elle a accouché chez elle. Donc, c’est un peu étonnant comme ambiance.C’estimportantqu’onaitétéprésent.Ellessontnéestouteslesdeuxle20décembre,àdeuxansd’écart.Ona fait lesRoisMages. Je lui aimêmedoréunecitrouille.Arriveravec les cadeauxpourvoir lesbébésquivenaientdenaître.»

Lefaitdetravailler:unfrein?Uneaide?«Oui,çàmepermetd’avoirl’argentdefairecequeje fais avec elles, ce quime coûte beaucoup d’argent. La vie à Cadaquès coûte très cher. Jusqu’àprésent, j’avaisunmodedevie luxueuxavecelles. Là, l’activité se réduit. Il va falloirpenseràdesmodesdevieplusadaptés.»

Aide‐t‐elle? Donne‐t‐elle des conseils?«Non, un jour, j’ai dit ce que je pensais, j’auraismieuxfaitdem’abstenir.Jetrouvequemonfils,quiestquasisansressource,quiestloind’êtreidiot,dans son refus de tout ce qui est lesmodes bourgeois –sans doute lié à une attitude d’échec, jetrouveque…maquestionc’est ‘quelle image les fillesaurontde leurpèreplus tard. J’avaisécritcegenredechoses.

«J’interviensfinancièrementrelativementrégulièrementetilfautdirequ’ilapasdechance.Sonpèreetsonfrèreme‘tapent’aussietqu’ilarrivaitletroisième.Alorslà…c’estluiquiatoutpris(rires).Parrapportàçà,j’aiétéextrêmementrassuréequelquestempsaprèsparlamèrequim’aditdenepasm’enfaire,quec’étaitunbonpèrepoursesenfantsetquepourtoutelapartiematérielle,elleassurait.Donc,jesuissereine(sourire).»

Page 31: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

31

Pense‐t‐elleavoir lemêmerôleavec lesdeuxpetites‐fillesà l’avenir?«J’ensaisrien.Jene

saispascequeçàvadonnertoutçà.Jesuistrèsattachéeàleurbien‐être,après…» Pourelle,iln’estpasdifficiled’êtreunejeunegrand‐mère.Ellen’apasconnuedemèreplusâgéequ’elle(ellefutlapremière)etaujourd’hui,elleestpresquelaseuleàêtregrand‐mèredanssesconnaissances. Par contre, au détour de cette question elle dit qu’elle a loué «unemaison avecplusieurs couples et avec des enfants». Il s’agit certainement des communautés dans les années1970.

A‐t‐elleeul’impressionderevivrelanaissancedesesenfants?«Pasdutout.Rienàvoir.»Quelles sont les plus grosses différences? «Je me dis que j’ai été mère trop jeune. Pas prêteaffectivement.»

«C’étaitdécidédifféremment.J’aiétéplusémueplustardparlesnouveaux‐nés, lespetits‐enfantsdemameilleursamiequecequejepeuxavoircommesouvenird’émotionavecmesproprespetites‐filles.»

Ellesesentaitplusprêted’êtregrand‐mère«jevoulaispeut‐êtreaussitournerlapagedecequej’estimeêtreunéchecavecmesenfants.Jemedisquejenepourraiplusrienfairepourmesfils.Jenesaispascequejepeuxfairepourelles,maisaumoinsêtreattentive.»Vit‐ellelamêmechosequesesgrand‐mèresavecelle?«Nonpasdutout.C’estdesiècles.Ilyenaune que j’ai beaucoup connue, car elle vivait à la maison. A la fois qui était très rigide et trèsaffectueuse,présente.L’autregrand‐mèreestmortequandj’avaissixans.»

Lesnouvellesconfigurationsontchangélerôledegrand‐mère?«Jenesuispassûrequecesoitlesnouvellesconfigurationsfamiliales.Jecroisquemamèretravaillait.Lesgrand‐mèrescommej’ai euà lamaison, çàexisteplus.Alors, si jepenseàmamèreen tantquegrand‐mère…lamêmechose. Jepensequ’elleaétéunemauvaisemèreetunebonnegrand‐mère.Peut‐êtreque j’aiétéunemauvaisemèreetonvaessayerd’êtreunepastropmauvaisegrand‐mère.»

A‐t‐elledesrelationscomplicesavecsespetites‐filles?«Pasvraiment.»ilyaunedistance?«Ellesm’aimentbien.Onadebonssouvenirsensemble.»Vousessayezdel’instaurer?«Çàviendra,si çà doit venir. Je ne cours pas du tout après ce schéma. Si un jour je peux être la personnerégulatrice,tantmieux.Ilyalesjalonsquisontposés.Onverracequeceladonnera.Jen’aimepasjoueraveclesenfantspetits.Plusçàgrandit,plusonparle.»

Cette naissance n’a pas changé l’image qu’elle a d’elle‐même. «Je crois, çà m’a permisçà…quelques tempsaprès, j’ai quittémonmari. Cen’est pasunhasard. Comme si la transmissionétaitassurée.Etquejen’avaispasbesoindemainteniruntruc.Jemefaisais ‘chier’aveclui.Donc,j’avaisplusbesoinderesterlà,àmaintenirunsemblantdefamille.

Cette naissance l’a‐t‐elle rendue heureuse? «Oui. J’attendais çà. C’est une page qui setourne,uneétape.C’est commesi çàme libéraitdupseudo rôledemère. Il n’y avaitplus lieudetenirunefigure.»

Commentveut‐elleserendreutileàl’avenir?«Untrucquej’aidanslatête.C’estimpératif:lesétudesàl’étranger.Enfin,j’espère.C’estfinancerdesétudesàl’étranger.»

Quelssontlessouhaitsqu’elleapoursespetites‐fillespourleurviefuture?«Beaucoupdebonheur (rires)etd’êtreheureusequandmême.C’estbateau,maisbon…leurmère semble toutàfait heureuse à faire du fromage de chèvre. Si c’est çà qui les rend heureuses…l’important, c’estd’arriverauboutdutruc.»

Page 32: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

32

Comment voit‐elle son rôle?«Atypique.On vaen vacances, c’estplutôt sympa. Il y adesmoments on se ‘frite’ quandmême. Je n’essaye pas obligatoirement de leur parler au téléphonequandj’aileurpère.»

«D’autrepart,cetteaprèsmidi,j’aiquandmêmeappelémesnièces,quisontlescousinesdemonfils,quiontdesenfantsàpeuprèsdumêmeâgeetproposerquetoutlemondeseretrouveetfasseconnaissance.

«Donc,quelquepart,jeseraidansunrôledemaintenirquelquechosedelafamille.»

Peut‐ellemeraconteruneanecdote?«Lespremièresvacancesque j’aipasséesavecelles.Ellesavaientunanetdemiet troisansetdemi. J’ai rien trouvédemieuxquede lesemmenerenSicile,dansuneîlequiétaituncaillou.Ilyavaitunechaleurmonstrueuse.»

«C’était aberrant. Je trouve que les parents étaient très courageux de me les avoirconfiées.»

EntretiendeMarie‐Line,le5janvierà11H30

Marie‐Linevitavecsonmariqu’elleaépouséilya35ans.Elleenestassezfière,carellemedit tout de suite en riant: «vous pouvez le noter car c’est très rare. On va avoir une médaillebientôt».

Page 33: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

33

Ilsviventdansunappartement,prèsdesButtes‐Chaumont,dont ilssont locataires.Elleest

âgéede59ans.Elleavait30ansàlanaissancedesafilleunique.Sapetite‐fille«vaavoirdeuxansle11mars»etavaitdonc57ansaumomentdelanaissance.

Ellenepossèdepasdevoiture.Elleestassistantepodologue.Elle fait de la danse dans une association qu’elle a fondée elle‐même. Il s’agit de danse

classique et jazz. «2 heures tous les lundis». Elle n’a pas spécialement de hobby, car «la petitedepuisqu’elleestnée,c’estàfondgrand‐mère.»

Ellepossèdeportableetordinateur,maissafilleestbientropjeunepourpouvoiréchangerSMSetmails.

Elleluifaitlacuisinetouslesjours,carsonmari,quiestàlaretraite,gardelapetiteCélène.«Onneluiajamaisfaitdepetitspots.»

«Disonsquec’estmonmariquiestnounou.Depuislemoisdeseptembre,ellevatroisfoisparsemaineàlagarderie,pourlesoulagerunpeu.Sauf lesamediet ledimanche, lesparentssontlà.»Parcontre,safillenefaitpaslacuisine.

Elleaassezpeudesorties,miseàpart«lesrestosaveclesamis».«Leweek‐end,onvaàlacampagnechezmamère».

Sa fille unique, Chloé, a 29 ans. Elle vit en concubinage avec le père de son enfant. Ilshabitent dans le 20ème arrondissement et sont à un quart‐d’heure les uns des autres, «quand çàroulebien».

Elleserendrarementaudomiciledesafille.C’estplutôtl’inversequiseproduitetquasimenttouslesjoursdelasemainepuisquec’estlegrand‐pèrequigardelapetite‐filletoutelajournée.

Sapropremèrea78ansetn’aplussonpère.Elle est très proche de sa mère. Quand ils vont chez elle, «elle s’occupe de tout».

Notammentpourlacuisine:«ellec’estunegrandecuisinière.Lematin,ellefaitdelacuisinepour50personnes»,dit‐elleavecunsourire ironique.Parcontre,quandsamèrevient,ellenefaitrien,notammentpournoëloùc’estMarie‐Linequis’estoccupéedetout.

Auniveaudesaffirmations,ellenesesentproched’aucunedesdeux.D’unairdubitatif,elledit:«çàm’apasséau‐dessus».

A l’époquedemai 68, elle avait 19 ans. Elle était à l’écolehôtelière à Saint‐Nazaire et y avécupendantdeuxanspourfairesesétudes.Elleacommencéàtravaillerenjanvier1969.

«Àlabase,Saint‐Nazaire,c’étaitchaud.MonfrèreafaitsacommunionenProvinceetjesuisrevenue le samedi, c’était le premier jour de grève. Je suis venue en stop. J’ai du faire 10 ou 12voitures.Bon, à l’époque, jen’avaispaspeurde fairedu stop. Etpuis après,quandonn’apaseuécole.L’écoleafermépendantunmois.»

«Après, ilyaeu lesexamens. J’étaisàBrestpourpasser lesexamens.Commeilyaeu lesgrèves,ilsn’avaientpaslespapiers.Donc,jen’étaispasinscrite.Endéfinitive,lesexamens,onlesapassésquinzejoursaprès.»

«JesuisremontéeàParisenfin68etj’aicommencéàtravaillerdébut69.Donc,moijen’aipas…àpartqueçàm’afaitdesvacances.»

Ellen’apasdutoutétémarquéeparcettepériodequecesoitentantquemèreougrand‐mère. Cela n’a pas non plus, à son avis, changé quoi que ce soit pour sa fille, sa petite‐fille et lecouple.

Se sent‐elle proche de sa petite‐fille? «Oui, parce que je l’ai souvent». Qu’est‐ce qui sepasse en la voyant souvent? Comme activité? «Je fais comme je faisais avec ma fille. Elle veutparticiperà tout,alorsonmet la lessive;onsort lavaisselle; je luidonneunpetitcouteauquinecoupe pas pour faire les patates; elle veut m’aider à faire le lit, alors elle tire d’un côté. Je faiscommejefaisaisavecsamère.»

Page 34: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

34

Quel rôlepense‐t‐elleavoiren tantquegrand‐mère?«Disonsque j’aiun rôle…elleneme

considèrepas comme samère.Vous voyez, en cemoment samère est là. Elle veut toujours alleravecmoietelleneveutpasalleravecsamère.Vousvoyez,çà,jeneveuxpas.Maisquandellerepartchezelle,ellefaitbienladifférence.Ellesaitquelà‐baselleestchezsesparents,chezelleetquandellerevientlà,elleestcontente.»

«Elleabienfait ladifférenceentresesparentsetnous.Maiselleest toujoursaccrochéeàmoi.Par contre, auboutdequatreoucinq jours,quandelle revient le lundimatin,elleme fait latronche.L’airdedire‘làtum’aslaisséquatrejours,benvas‐y’.»(Rires)

Est‐cequ’elleparlebeaucoupavecelle?«Ahouionparle!Surtoutqu’elleestbavarde.»Etdequelleschosesparlent‐elles?«Alors,elletéléphoneàmamère,carméméjaja…quandonramènedestrucsdelacampagne,ellemangebien,carc’estlepouletdeméméJaja.Onparledemonfrère,c’estonparrain»,c’est‐à‐direlespetitesanecdotesdelavie?«Oui,parcequ’elleestencorepetitepourengagerdesconversations.»(Rires)

Commentressent‐ellecetteposition?«Quandmafillem’aditqu’elleétaitenceinte,j’étaispastrèscontente.Etpuis,après,ons’yfait.Etmaintenant,c’estlaprincesse.»

Pourquoin’était‐ellepastrèscontente?«Parcequejeluidisaisqu’elleavaitletemps.Moi,jel’aieueàtrenteans.Onaétémariésixanssansavoird’enfant.Quandonestjeune,fautprofiter.Surtoutquemaintenant,onaquandmêmeplusdemoyensqu’avant.Donc,ellevoulaitunenfant,parcequ’elleavaitpeur.Plustard,onnepeutplus.C’estplusdifficile.De toutes les façons, tout le monde était content. Ma mère, mon frère. Tout le monde étaitcontent.»Pourquoicerenversement?«Jesaispas.Çàsefaitnaturellement, jepense.Quandelleestnée,oui.»Sonintervention,àsademandeouàcelledesafille?«J’interviensquandelleestlà.Maisquandelleestchezelle,moijenetéléphonepas.C’estmafillequiappelle.Leweek‐end,quandilsnesontpaslà,jen’appellepas.»

Pour quelles raisons la reçoit‐elle ici? «Là? Son copain est parti à Toulouse jeudi matin.Commec’est luiquinous l’amène lematin.Ben,elleacouché là jeudisoir,vendredisoir.Là, ilestarrivéàOrly,doncilvavenirleschercher.»

«Autrement, quand il y avait les grèves, il la laissait là coucher. Souvent faut l’amener lematin, la reprendre le soir. Çà fait quand même un peu de transfert. On fait tout pour pouvoirs’arranger.»

«Mais, jepréfèrequand il vient la chercher, carelle se réveille3ou4 fois lanuit.Moi, jetravaille,alorslematinquandilfautselever…bonjour!(Rires)»

Sa contribution depuis qu’elle est née a‐t‐elle un impact dans leur relation future? «Ben,j’espèreoui. J’espèrequesielleaunproblème,sielleadessoucis,elleviendraversmoipourmedire»,queleliencontinuedelui‐mêmeàs’entretenir.

Ellen’aidepassafilledansseschoix.Etelleneluidonnepasnonplusdeconseils.«Disonsqu’ellevoitcequejefaisetapparemment,elledoitfairepareil».

Elleneseconsidèrepascommeune jeunegrand‐mère.«Il yadesgrand‐mèresbeaucoupplus jeunes quemoi.Moi etmamaman, on a 19 ans d’écart, donc,moi j’aurais pu êtremère etgrand‐mèreavant.Ilyadesgrand‐mèresquiont40ans.Jenesuispasdanslesplusjeunes.»

Est‐cedifférentpourlesgrand‐mèresplusjeunes?«Oui,parcequecequimechoque,c’estquandonestàlaplageetquejevoisdesgrand‐mèresentraindefumerdevantleurpetite‐fille.»

Page 35: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

35

Je pense que les jeunes grand‐mères ne sont pas moins strictes, mais, elles font plus de chosescommeleurfilleplutôt.Pointdevuemodernité,ilyadeschosesquejenefaisaispasavecmafille,maisc’estaussiunequestiond’éducation.»

Pourslesplusâgés?«Çàdépendquelâge.Moi,j’aidesamiesplusâgées.Elless’investissentmoinsavecleurspetits‐enfants.Elleslesgardentunaprès‐midicommeçàetc’esttout,vousvoyez.Ellesontleurvie.Souvent,ellessontàlaretraite.Ellesfontdesvoyages.Ellesfontci.Ellesfontçà.Nous,avecmonmari,depuisqu’ilyalapetite,onamisbeaucoupdechosesdecôté.Bon,onlesaideaumaximum.Mafille,elletravaille.Luiaussi.»

«C’estcequejedisàmonmari. Ilyabeaucoupdecouplesquitravaillentetquin’ontpastoutçà.Moi,jepensequec’estunechancepoureux.Maintenant,c’estàeuxdedire.»

Ellen’apasl’impressionderevivrelanaissancedesafille.Enquoiest‐cedifférent?«Déjà,un filleetunepetite‐fille, c’estpaspareil.Ben,ma fille, c’estmoiquiaiaccouché.Célène,c’est samère.C’estlacontinuitéplutôtquelamêmechose,vousvoyez?»

Lamêmechosequ’avecsespropresgrand‐mères?«Surtoutune.J’enavaisunequihabitaitjusteàcôtédecheznousetuneautreunpeuplusloin.Ilyenavaitune,plus.Avecmagrand‐mèrematernelle,onétaitplusprochequ’avecmagrand‐mèrepaternelle.

«On se parlait quand j’étais avec elle, en province. Car, ils sont là‐bas. Autrement, ellem’écrivaitsouvent.QuandellevenaitàParis,ellevenaitcheznous.L’autreétaitdéjàunpeumalade.Autrement,jelavoyais,carquandonétaitlà‐bas,ilsavaientl’appartementjusteau‐dessusdecheznous.»

Lesnouvelles configurations familialesont‐elles changé le rôlede lagrand‐mère?«Disonsqu’ilyabeaucoupdefamillesquisesontséparées.Jetouchedubois,jen’aijamaiseudesouci,doncjenesaispascommentçàpeutsepasserdececôté‐là.Amonavis,lesgrand‐mèresnefontpasdedifférences.Entouslescas,aveclespetits.Après,quandilsont15,18ans,c’estplusdélicat.Quandcesontdespetitsenfants,cesonttoujoursdespetitsenfants.»

Que pense‐t‐elle lui avoir apporté au niveau de l’éveil? «Je lui fais faire les dessins, lesgommettes,enfintout. Je luis lisdeshistoires.Onfaitdescollages. Je l’aiamenéevoirGuignolcetété.Enfin,elleétaitunpeujeune.»

Acemoment,lapetite‐filleestentréedanslapièce,celaaquelquepeuchangélasituationdel’entretien.

L’imagequ’ellead’elle‐mêmen’apaschangéàlanaissancedesapetite‐fille.Naissancequil’arendueheureuse.

Sonutilitéàl’avenir?«Sijepeuxluiapprendredeschoses,l’amenerauspectacle,aucirque.Jeveuxdire fairecomme j’ai faitavecma fille. Je l’emmenais toujoursenvacances,pour fairedeschosesensemble.»

Quelssontsessouhaitspoursaviefuture?«J’espèretoutcequ’ilyadebienpourelle.Onpeutpasluisouhaiterautrechose»

Comment voit‐elle son rôle?« Continuer à être grand‐mère. Et puis quand je serai à laretraite,jepourraifaireplusdechosesavec.Onl’amèneraenvacances.Oniraauborddelamer;oniraauski(dernièrephraseendirectiondelapetite).»Anecdote?«Nonpasvraiment.Jen’arrêtepasdel’appelerChloé»,quiestlenomdesafille.

Page 36: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

36

EntretienavecEvelyneNakache,le14janvier2008à15h30

Page 37: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

37

EvelyneNakacheestâgéede68ans.Elleavait26ansàlanaissancedupremierenfantet52

àcelledupremierpetit‐enfant.Elleestmariéeetadeuxenfants.EllehabiteunappartementdontelleestpropriétaireàVanves,dansle92(banlieueprochedeParis).

Ellepossèdeunevoiture.Elle est retraitée,mais est aussi professeur éméritede l’universitédeCaen. Elle est professeur enchimiedespolymères.«Aprèslaretraite,onaunpériodedetroisansrenouvelablependantlaquelleon peut être enseignant, chercheur, diriger des thèses, etc. en ce quime concerne, j’ai décidé delaisser de côté l’enseignement et puis de continuer un peu la recherche et beaucoup l’interactionavec le conseil régional de Basse‐Normandie pour voir avec les responsables de la recherchecommentonpouvait,déjàl’annéedernière,monterdesassisesdelarecherchequej’aicontribuéesàmonteretpuis,êtreexpertpourjugerlesprojetsderecherche.»

«C’estuneinactivitéactive(rires)»

A‐t‐elleunevieassociative?«Oui,toutàfait.Jefaispartiedeplusieursassociations.Detypeludique,dustyleconservatoirepourunechoraleparexemple;desassociationscomme‘femmesetscience’,quiœuvrepourfavoriserlescarrièresscientifiquesauféminin.»

«Pousserlesjeunesfillesàfairedessciences.Toutcequiconcernelesétudiantsengénéral,essayer d’expliquer ce que c’est que les sciences, pour favoriser les études scientifiques, alorsqu’aujourd’hui,ellessontenpleinedégradation. Ilyaunedésaffectiondessciencescruelleenfac.C’estpourçàquel’associationàlaquellejeparticipeessayeaussi,ducôtédesgarçonsetdesfilles,delespousseràfairedesétudesscientifiques.Onfaitdescolloquespourçà.»

Fait‐elledusport?«Oui,lagymnastiquevolontaire;lamarche»Hobbys?Lecture?Télévision?«Plein,oui. La lecture. Je faisdesbijoux.Lamusiqueet les

bijoux,c’estdespassionssivousvoulez.«Lamusique,unpetitpeutousazimuts,saufletrès‘teckonik’(rires),encorequejeregarde

çà avec beaucoup de curiosité. Je n’ai pas d’a priori. Toutes les musiques sont intéressantes, lamusiqueclassique,lamusiquedevariétés,lachanson.Engénéral,lamusique.»

Elleauntéléphoneportableetunordinateur.ElleéchangemailsetSMSavecpetits‐enfants.

Fait‐elle lacuisinepoursespetits‐enfants?«Oui.Çàpeutêtreunpeun’importequand. Ilsviennentmevoir. Ilssaventquejesuischimiste.Chimiste,c’estassezprochedelacuisine.C’estcequejeleuraiexpliquéentouscaspourcomprendrecequ’estlachimieetdonc,ilsaimentbienfairedesgâteauxavecmoiparexemple.Onenafaitilyaquinzejours,àl’occasiond’unmercrediaprès‐midi.

«Jelesaiquasimenttouslesmercrediaprès‐midi,alorsavecmonmari,onlesgarde.»Et sa fille? «Alors peu. Elles en font, mais en général elles travaillent elles sont prises.

Beaucoupplusquejenepeuxl’être,doncellesnefontpaslacuisine.C’estdelacuisinedetouslesjours.Cen’estpasdelagrandecuisinetouslesjours.»

Sonenfantleplusâgéa42ans.Elleestmariée.L’aînéa16ans.Sonsecondenfanta32ans.Ilestmariéavecdeuxenfants.Sonpetit‐enfantleplusjeunea4ans.Safillehabiteparis17èmeetsonfilsàMontrouge.Ellevavoirsespetits‐enfantsentransportsencommunpourceuxquisontdansle17ème(unedemi‐heure).Etenbusouàpied,pourceuxàMontrouge(unedemi‐heureaussi).

«Ilssontassezproches,j’aicettechance.»Ellen’aplussesparents.

L’affirmationdontellesesentlaplusproche?Lapremière.En68,elleavait29ans.EnseignanteàParisVI.EllehabitaitdéjààVanves.

Page 38: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

38

Sessouvenirsspontanés?«Ilyenabeaucoup.Lesmanif,lesbarricades,j’yaipasbeaucoup

participé,car j’étaisenceintedemondeuxièmefils.Parcontre, jem’étaisplus investiedanslesAGenfacpoursavoirquelpourraitêtrel’universitéidéaleaussibienenenseignementqu’enrecherche.Donc,j’aifaitpasmald’AGetparticipéàdescommissions.»

«Dans lesmoments un peu creux, jeme baladais à l’Odéon. On était dans le quartier etc’était l’avantage. J’étais vers l’Institut Curie. Donc, je me baladais et je me souviens de séancesmémorablesoùondiscutaitdel’avenirduthéâtre,desgensassisparterreavecdescerisesàlamain(rires)»

Labohème?«C’étaitvraimentlabohème.Unenthousiasmeetunevisionàlongtermequejen’aipasretrouvéesouventdanslesréunions.

«Ladernièrechose,c’estquej’aimontéavecdescopinesunecrècheàParisVI.Lacrècheaduré cinq jours car au cinquième jour, la rubéole s’estdéclarée (rires), que j’ai attrapéed’ailleurs,enceintequej’étais.Mais,heureusement,j’allaisaccoucherunpetitpeuaprèsdonc,iln’yavaitpastropdeproblèmes.

«Mais,sivousvoulez,c’estunfoisonnement.Unfoisonnementd’initiatives.Uneconvivialitécomme on peut pas en retrouver aujourd’hui. Et puis, une très grande effervescence. J’ai unsentiment très positif demai 68, contrairement à beaucoup de gens qui pensent que c’était unepertedetempsetdudésordresurtout.Là,j’aitrouvéquec’étaitundésordrequiservaitàquelquechose, parce qu’il remettait beaucoup beaucoup en question des institutions et les idées toutesfaitesetdelafaçondontlasociétémarchait.Alafindemai68, ilyaeuunetelleremiseencausequedespostes se sont libéréset çàm’apermis, alorsque j’étaisen thèse commevous, sansêtrepayéd’avoirunposteàl’université.Pourmoi,c’esten69quetouts’estdéclenché.Voilà,doncçànepeutêtrequepositif(rires).»

Qu’est‐cequ’ilsedisaitauxAG,auxcommissionsprécisément?«Onréfléchissaitàl’avenirde l’enseignement.Parexemple,onavait concrètement remisencause lescoursmagistraux.Pournous,çàn’avaitaucuneffetàpartirdumomentoùiln’yavaitpasd’interactionentrel’enseignantetl’étudiant.EtonpréféraitdebeaucouplesTP,danslesquelsonpouvaitdiscuter,etdanslesquelsonpouvaitsentircequevoulaitl’étudiantets’ilétaitdanslemilieudanslequelildevaitêtre.

«Parcequ’ilyavaitunproblèmed’orientationqu’onatoujoursconnuenFrance.Moi,j’étaisenbiochimie,etj’étaisassezpersuadéequejecontribuaisàformerdesgénérationsdechômeur.Ilétaitdoncquestiondesavoirsil’étudiantquiétaitenfaceétaitvraimentmotivéparcequ’ilétaitentraindefaireoupas.Sivoulez,toutétaitdanslesensdel’étudiant.»Laquestiondelaprofessionnalisationétaitdéjàlepointcrucial.

Qu’est‐cequecesévènementsontchangédanssavie?«J’aieuunposte.Etjepensequejele dois à mai 68. Jusque‐là, j’avais été dans le privé, en tant qu’ingénieur au CNRS.Mon contrats’étaitarrêté. J’étaisdoncauchômage,surdiplômée,avecunethèse. Jen’arrivaispasàtrouverdeboulot,alorsqu’onditquelesannées60,c’étaitlestrenteglorieuses.Pourunefemmedansleprivé,c’étaitpassiévidentqueçà.»

«J’essayaisderepartirsurunethèsepourtrouverunjob.Despostes,iln’yenavaitpasnonplustellementenfac.L’avenirétaitassezbouché.»

«J’avais quand même trouvé un poste d’assistant en médecine, mais un contrat à mi‐temps.» Cen’étaitpaslajoie?«Donc,c’étaitpaslajoie.Avecdeuxenfants,etunenfantquiarrivait.Monmariétaitdanslemêmecasquemoi.Luiaussi,ilatrouvéunposteaprèsmai68,àl’universitéParisVIIetmoi,àl’universitéParisVI.Al’époque,c’étaitlamêmeuniversité.Pourmoi,çàachangédutoutautout(rires).»

Celaamarquésafaçond’êtremèreougrand‐mère?«Jenepensepas,parcequej’avaisdéjà29ans.J’avaisdéjàunenfant.Oui,mafilleavaittroisans.Elleétaitdéjàenécolematernelle.Doncje

Page 39: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

39

mesuisintéresséed’unpeuplusprèsàlafaçond’enseignerenmaternelle.Peut‐êtrequeoui,aprèsestvenudelàmavolontédemiliter.Auniveaudesclassesprimaires,çàsepassebien.J’aiétéàlafédérationdesparentsd’élèves.LaFCPE.»

«Donccôtémère,auniveaude l’éducationà lamaison,çàn’arienchangé.A l’école,pourmafille,unpetitpeu.Surtoutsurleprimaire.»

«Alors,commegrand‐mère,onestloin.Non,jenesaispascequecelaapuchanger.Jesuisincapable de vous le dire. Comment j’aurais pu faire autrement? J’ai toujours été comme je suis(rires).»

Etpoursesfillesetpetites‐filles?«Pourmesfilles,sûrement.Elleaétédanslespremièresgénérationsdesécolesmixtes.Donc, làçàachangépourelle.Elleapratiquementcontinuellementétédansunsystèmemixte.Elleestsortiedelamaternelle,quelquesannéesaprès,c’étaitlamixité.»

«Pour mon fils, çà n’a pas changé grand‐chose, car les crèches étaient déjà mixtes. Parcontre, ilaeuunescolaritédansuneécolepilote.Ladirectriceavaitenvied’utiliserdesméthodesquiétaientoriginalesetpositives.Etelleapulefairesanstropdeproblème.Est‐celiéà68?Jenesais pas. Il a eu des activités telles que le cheval, le patin. Des choses qui ne se faisaient pas àl’époque.Çàaétéunedespremièresécolesaemmenélesenfantsenclassedeneige.»

Etpoursoncouple?«Notrecoupleestparuunpetitpeuanachronique.Parcequ’en68, lemariageétaitconsidérécommeunecordeaucou.(rires)or,nous,onétaitmariédepuis4ans.Onaeudesremarquesdustyle:«maisqu’est‐cequetufaisavectafemme?Tupeuxalleravecpleindefemmes,qu’est‐cequetut’enquiquines?»Donc,c’étaitpasnotrefaçondevoir.Ons’aimait.Onatoujours été ensemble, en fac. Lui participait énormément à ce que je faisais et réciproquement.Dansl’éducationdesenfants.»

«Ons’entendaittrèsbien.Iln’yavaitpasderaison,maisvis‐à‐visdesautres,onapuparaîtreanachronique,dansnotremilieu,carcen’étaitpaslecasdanslesautres.»

Sesent‐elleprochedesespetits‐enfants?«Jemesenstrèsproched’eux».Yena‐t‐ilunenparticulier?«Oui,çàaétéunpetitpeuàtourderôle.»Al’heureactuelle?«J’enaideuxdontjemesenstrèsproche,maisc’estparcequ’ilssontpetits.Lesautresquisontplusgrandesontmoinsàfaire avec les grands‐parents. Çà, c’est assez connu. Ce n’est pas une désaffection, c’est qu’il y ad’autressujetsd’intérêts.»

«Pour les deux petits, j’ai d’une part un petit‐fils extrêmement curieux et c’est unscientifique.Ils’intéresseàlachimieetilveutfairedessavons.Çàrapproche.Etpuis,j’aiunepetite‐fille,ellea4ans.Doncsivousvoulezoncraquepourungaminde4ans.»

«C’estmerveilleux,quandunenfant,çàévolue,quandçàposedesquestions,quandçàvousmontrel’affection.Ledernierengénéralestquelqu’unàcôtédequionnepassepasàcôté.

«Etlesautres,jepenseêtrepoche.Ellesfontappelàleursgrands‐parents.»

Quelgenred’activitéaveclespetits?«Aveclespetits,jevousdisaislacuisine,lesgâteaux.Avecleplusgrand,cesontlesjeuxscientifiques,lesjeuxdecartes,questionpourunchampion,quiveutgagnerdesmillions(rires).Aveclatoutepetite,c’estlamusique.Toutcequiéveillel’esprit.Elleestassezendemandedeçà.»

Avec les grandes? «Quandon les avait avec nous, c’était pendant les vacances. Aller à lamer; les sports, les jeux aussi. C’est vrai, ce n’était pas du même genre. C’était beaucoup plussportif.»

Son rôle en tant que grand‐mère? «Un peu une grand‐mère traditionnelle. C’est‐à‐direquelqu’unavecquionadelacomplicité,avecquionpeutjouer,quifaitdelacuisine.Alorsilsaimentbienmangerchezmoi.Etpuis,quelqu’unàquionseconfiesionadespetitsproblèmes.Defaçontrèssporadique,maistrèsdense.Unegrand‐mèreclassique.»

Page 40: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

40

Parlez‐vousdetoutaveceux?«Oui,onpeutparlerdetout.»dessujetsprivilégiés?«Oui.Lessujetsprivilégiés,c’estengénérallamusique,lesarts.C’estlescopains.Parlerdescopainspourunpeulessituer.Eteux,quandilsmeposentdesquestions.»

Son ressenti? «De façon très positive. C’est intéressant. En même temps, çà rajeunit.Vraiment,yaquedubon.»

Ses interventions?«Engénéral, à lademandedemesenfants. Jenem’insèrepas. J’ai unprincipe:intervenirsiilyaunedemande.»

Pour quelsmotifs? «Parce qu’ils sont ennuyés au niveau de la garde. Elle travaille et sesenfants sont libres lemercredi. Elle a pris sonmercredimatin et j’ai proposé, avecmonmari deprendrelemercrediaprès‐midi.Ilyaunbesoinderrière»

«Mafille,c’était lesvacances.Pourelle, il fallaitqu’ongardesesenfants.Enmêmetemps,pourmabelle‐filleaussi,c’étaitimportantqueleursenfantsvoientleursgrands‐parents.Ilyaquandm^metoujoursl’idéederrièrequ’onvaêtreutile.C’estimportant.Oualors,c’estqu’onlesvoitavecleursparents.Lesparentsviennentmangeràlamaison,ilssontlà.»

Unattentelesunsdesautres?«Entermedesolidarité?Onn’apasvraimentbesoinlesunsdes autres.On a la chance d’être une famille où chacun travaille, où chacun a des revenus et lesquestions matérielles, sans aller jusqu’à la grande aisance, vivre tous les jours n’est pas unproblème».

«Ilpeutyavoirdesproblèmesdesanté,effectivement.Biensûr,oncomptesursesenfantsquandonn’estpasbien.Demoncôté,entous lescas.Ducôtédemesenfants ilyaunecertainesolidarité.»

«Enfait,c’esttellementnaturellasolidarité.Siilsontbesoind’argent,onfaitfaceaveceux.Cen’estpasuneattente.Çàsefaitspontanément.Çàvousparaîtpeut‐êtreidyllique(rires).Pourlemoment,onn’apasvraimentdeproblème».

Lemêmerôleavectoussespetits‐enfants?«Ahnon!Çàc’estliéàl’âge.Onneparlepasdelamêmefaçonàuneadode16ansetunegaminede4ans.Eteux,ilsnemevoientpasdelamêmefaçon.»

Lesdifférences?«Aveclesenfantsde16et14,jepeuxenvisagerdessujetstrèsdiversquivontdes sujetsde sociétéavecunéchange.Alorsque si jeparled’unproblèmede sociétéàmonpetit‐fils,c’estàsensunique.Luicequiva l’intéresser,c’estfabriquerunparfum.C’estunâgetrèscurieux.Lapetite,çàvaêtrecommentpeut‐ellealleràunendroitpoufairedumanège,sefairedescopains.Donc,ellevamesolliciter.Lesréponsesdoiventêtredanscesens.»

Différent pour les plus jeunes grands‐mères? Les plus âgées? «Si j’avais dix ans de plus,j’auraisdesproblèmesdesantéetjenepourraispasêtreautantlà.Deplus,quandonestunejeunegrand‐mère,onalaforcephysique.Touteslesgrand‐mèresvousdirontquec’estassezépuisant.Onnepeutpasleslaisserfairen’importequoietenmêmetempsdelessuivre,deleurdonnerquelquechose.

«Jevoisdesgrand‐mèresquisontbeaucoupplusâgéespourquic’estdifficile.Quandons’yconsacre,ilfauts’investirentièrementalorsquetouslesjours,onn’apasàlefaire.Onauneactivitéassezcool,mêmesionesttrèsactif.Onfaitaurythmedesenfantsetçà,c’esttrèsdifficile.»(rires)

Est‐celamêmechosequelanaissancedesespropresenfants?«Dansunecertainemesure,je retrouve dans les années qui suivent des traits de caractères communs (rires).» et le type derelations? «Mais le type de relation n’est pas du tout lemême. On retrouve le rôle des parentsquandonlesgardelongtemps.Onestobligéd’avoirunecertainediscipline,decadrer.Quandc’est

Page 41: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

41

juste une après‐midi, on gâte les petits‐enfants, comme jamais on aurait gâté les enfants. On leslaissefairedeschosesqu’onn’auraitjamaislaisséfaireànosenfants.»

Ellen’apasconnusesgrand‐mères.Lesnouvelles configurations familialesont‐elles transformé le rôledesgrand‐mères?«J’ai

desamiesquisontgrand‐mèresdefamillesrecomposées.Etlà,effectivement,lasolidarité,lebesoindel’undel’autre,toutçà,c’estextrêmementdifférent.Lagrand‐mèreaunrôleparental.Pourquelesenfantsnesoientpasdésaxés,elleintervientetsertderéférence.»

«Jeconnaisdesamieset,enparticulieruned’entreelles,dontlafilleestàToulouse,ellevatouts les quinze jours à Toulouse aider sa fille bien qu’elle soit avec quelqu’un. C’une famillerecomposéequitournetrèsbien,maiselleenressentlebesoinetsafilleaussi.»

Les changementsdans savie? L’imagevis‐à‐visd’elle‐même?«Lepremier, c’esten fait ladécouverte que son propre enfant est devenu adulte. C’est la sensation de la séparation. Avec lepremierpetit‐enfantquiarrive,c’estuneautrefamillequisecréé.Quandl’enfantétaitencouple,ilvenaitvoirassezsouvent.Nousavionsencoreletempsd’avoirdesrelations.»

«Ilsontquelquepartmoinsbesoindevous.Quelquepart,ilsontdécidéd’avoirleurfamille.C’estuneséparationassezdifficileàvivre,quetoutlemondevit.Etpuis,aufuretàmesurequelespetits‐enfantsviennent, vous retrouvezunpeu la familledans lamesureoùonvaavoirbesoindevouspourlesgarder,pourlesvacances.»

«Onpassededeuxàquatrequandonadesenfants.Aujourd’hui,onestdix.Aquatre,c’estpaslamêmechosequ’àdix,donclesrelationsnesontpaslesmêmes.Aujourd’hui,jediraiquec’estdeplusenplusagréable.»

«Vous avezmoins ce sentiment d’être à l’écart. Le passage où votre enfant a un enfant,vous, vous n’êtes plus utile. Donc il faut trouver une autre utilité. Après on se recycle. On seréinvestitdavantagedanssonmétier,parexemple.»

«Monmaripareil.»«Le temps que ma famille grandisse, on se retrouve concerné. Il faut lâcher certaines

activitéspourrevenirverslafamille.C’estunesortedecycle.»

L’imagequ’ellead’elle‐mêmeena‐t‐elleétéchangée?«Non,cequiafaitlechangementdenotrepropreimage,c’estseul,égoïstement.Non,l’imagedemoi‐même,çàaétéquandj’aiacceptédeprendreunposteenProvince.Pourpasserprofesseur, j’aiétéobligéed’alleràCaenpendant lasemaineetàParisleweek‐end.Çàcorrespondjustementautempsoùmesenfantssesontmariés,onteudesenfantsetoù jemesuis réinvesti.Et là, investissementdansunenouvellevie,dansunnouvelenseignement,dansunnouveaulaboratoire,denouveauxcollègues.»

Ce qu’elle souhaite pour ses petits‐enfants? «(rires) d’abord, je souhaite qu’il trouve leurvoie.C’estdéjàimportantetqu’entrouvantleurvoie,ilstrouventuneactivitédontilspuissentvivre.Çà,jecroisquec’estleplusimportant.Uneactivité,unmétierquileurpermettedes’assumer.»

«Etqu’ensuite,ilsaientlachancedes’épanouiravecuncompagnonouavecunecompagneetd’avoirunevieharmonieuse.[…]quandjedisharmonieuse,c’estcomptetenudesdifficultésquiseprofilent,aussibienécologiques,financières.C’estvraiquec’estunpetitpeuangoissant,quandonestgrands‐parentsquandonvoitcequ’ilsepasse.Cecidit,jesuisassezpersuadéequequelqu’unqui est bien dans sa peau et qui a été éduqué avec amour, peut traverser après n’importe quelleépreuve.Peut‐êtresuis‐jeunpeuutopique.»

Uneanecdotedesesdébutsdegrand‐mère?«Yal’anecdotedelagrand‐mèrequin’estpasencoreaucourantdesdifférentesprécautionsqu’ilfautprendreavecunenfant.Onnousaconfiésladernière,c’estuneanecdotequim’abeaucoupmarquée.Lapetiteavaitunanetdemi.Ellemarchaitet elle était avec nous dans les Alpes pendant trois jours. Et, en promenade, elle a très soif. On

Page 42: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

42

s’approched’une fontaine.Avecmesmains, je lui fais un verrepour boire.On s’amuse toutes lesdeux à çà. Je tourne ledospourouvrir sapoussette. Elle fait lamême choseet elle rouledans lafontaineglacéeàcinqdegrés(rires)etpourtantc’étaitlaquatrième.

«J’aimeautantvousdirequeçàmarque.Heureusement,onavait la voiturepas loin, avecheureusementunchange(rires).Çà,c’est typiquedecequipeutarriverauxgrand‐mèrescarvousoubliezquemesenfantssontintrépides,inconscients.»

Elleavoulurajouterceci:«jem’étonnaisquevousn’ayezpasdequestionsurla libérationsexuelledesfemmesetjepense,pourmapart,quelacontraceptionaétéuneétapeextraordinaire.Ona toutesété féministesaudépart. Il faut reconnaîtrequedesmouvements comme leplanningfamilial, commeuncertainnombredemouvements féministes,nousonténormémentapportés,àleursdébuts.Ensuite,certainsontdégénéré.C’estunecertaineconsciencedenotreféminitéetdenotreindividualitéencequiconcernaitenparticulierlesenfants.»

«C’estdeschoixdevie.Choisirlemomentoùellesallaientl’avoir,choisird’enavoiroupas.Enfait, lalibérationestlalibertédesonproprecorps.Mariéepasmariée.Lesgenspouvaientvivrecommeilsavaientenviedevivre.Ellesavaientlechoixetçà,c’estessentieldansl’apportdemoi68pourlesfemmes.Çà,c’estcertain.»

«C’est pas particulier aux grand‐mères, et les générations d’aujourd’hui, en profitentlargement.Malheureusement,ellesn’ensontpasconscientes».

EntretienavecIrèneKoch,le18janvierà15heures.

Page 43: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

43

MadameKochestâgéede70ans.Elleavait26ansàlanaissancedesonpremierenfantet59

ansàlanaissancedesonpremierpetit‐enfant.Elle estmariée. EllepossèdeunemaisonenNormandie (de façonprovisoire).Bientôt, elle

seraenappartementsurParis.Ellepossèdeunevoiture.Elleaarrêtédetravailleràlanaissancedesenfants.Parlasuite,elleaeudesactivitésassociativesetartistiques.

A‐t‐elle une vie associative? «Actuellement, je suis plus dans des activités littéraires etartistiques.» Que fait‐elle? «Je peins, je fais de la gravure et de la sculpture. J’ai été dans desassociationsquandmesenfantsétaientplus jeunes.J’aiétédans l’associationUFC‐quechoisir?Aumomentdel’avènementdel’Europeverte,j’étaisàSaint‐Germain‐en‐Laye.Nousavonsconstituéungroupe.Nousorganisionsdesdébatspublics.Nousfaisionsvenirdesconférenciersetnous‐mêmes,nousessayionsd’informerlapopulation.J’étaischargéed’expliquerlesmontantscompensatoires.»

L’Europe verte était au tout début de l’Europe. Au niveau de l’agriculture, il y a eu uneconfédération européenne. Les montants compensatoires servaient à compenser ce que certainspaysperdaientparrapportàd’autres.

Fait‐elledusport?«Encemoment,jesuistellementdébordéequejenepratiqueplusrien.J’ai beaucoup pratiqué le tennis. Je pratique la marche dans des randonnées pédestres avec desgroupes,enété.Encemoment,rien.Mais,jevaism’yremettrecarj’aitoujourspratiquéunsport.»

Quelles sont ses lectures? Les essais surtout. La philosophie. «Quand çà rentre dansl’actualité, dans le social.» «paru au niveau des élections, par exemple, un ouvrage de SégolèneRoyal,‘lafemmefatale’»,toutcommeEricOrsséna,JacquesAttali,Lederniergoncourt.

Elle a un portable mais n’a pas d’ordinateur. «Je vais seulement en posséder un, toutrécemment.Là,c’estmonpointfaible,jemesensanalphabète.Doncjevaisenposséderunetm’ymettre,malgrémesréticences.»

Ellen’apasd’échangeSMS.Encorepetits.Aînéde11ans.«Ilsn’ontpasdeportable».Ellefait lacuisinequandsespetits‐enfantssont làetc’estpareilpoursafille.«Bon,àmon

avis, les choses sont facilitées. On peut acheter des choses toutes faites. Pour les tout‐petits, ilsachètentdespetitspots.Moiaussi,jel’aifait.Déjàavecmesenfants,j’achetaisdespetitspots.Onvaverslafacilité».

La fréquence de ses sorties? Assez souvent. Suivant les périodes, souvent «quand le filmm’intéresse. Jenevaispasaucinéma, jevaisvoirun film.»Surtout l’hiver,vaauthéâtre.L’été,nil’unnil’autre.«Jesuisennormandie.Jeprofitedelanature.»

Ellea3enfants.L’aînéa43ans(célibataire,pasd’enfant).Leseconda41ans.Ilestmariéeta4enfants.Sespropresenfantsontentre2moiset11ans.Enfin,safillea38ans.Ellea3garçons.

LesenfantsdemadameKochhabitentàEnghien,ParisàLondres.Sespetits‐enfantssontàParisetàLondres.Poursespetits‐enfantsàParis,elleyvaenmétroouenvoitureetmetentre15et30minutes.PourceuxàLondres,elleprendl’Eurostar.

L’affirmation dont elle se sent la plus proche? «Je suis déjà d’un tempérament assezindividualiste. Est‐ce que mai 68 m’a apporté un surcroît d’initiative? Peut‐être. J’ai essayé deréfléchiràma68àcommentjel’aivécu,cequ’ilm’aapportéoupas.»«Au moment de 68, c’était un moment exaltant. On avait l’impression qu’on vivait un momentprivilégié.Maintenant,est‐cequeçànousaapportéplusdeliberté?Peut‐être.Peut‐êtreàd’autres.

Page 44: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

44

J’auraiprismalibertédefairedeschoses.Maismai68,d’unemanièregénéraleapeut‐êtreunpeubrouillé…là,vousmedemandezdechoisirentrelesdeuxetjenepeuxpas.»

«Parcequejevoismoncaspersonnel,lafaçondontonavéculeschosessurlemomentoùonétaitexaltéetoùonacruqu’onallaitchangerleschoses.Onrefaisaitlemonde.Lavieallaitêtred’unseulcoupextraordinaire.Onnes’estpasrenducomptedel’impactd’unephrase‘ilestinterditd’interdire’.Aujourd’hui,onserendcomptequecettephraseon l’amiseàexécution.Etpeut‐êtreque c’est pour çà que nous assistons à la désacralisation de beaucoupde choses. Je suis toujoursdansledoutedecequemai68aapportédepositifetdenégatif.»

«Sûrementdunégatif. Est‐ceque l’état de violence, la désacralisationde tout çà vient demai68,jenesaispas.Est‐cel’évolutionnormaledelasociété?Jen’ensaisrien.«Mai68auraitcontribuéàapportercettelibertéquenousconnaissonsaujourd’huietpeut‐êtrecelaxismeaussi.Sansmai68,aurait‐onconnucettetrajectoire?Jenesaispas.Jeneveuxrienaffirmer.Jenepeuxrienaffirmer.»

Elleavait30ansen68.Elleélevaitsesenfants(4ans,2ansetunbébé).EllevivaitàSaint‐Germain‐en‐Laye,«doncloindeparis.J’aiassistéàmai68impuissanteàallerparticiperàtoutessemanifestations car on n’avait pas d’essence. J’aurais fait garder les enfants. J’aurais été à lasorbonne. Je me souviens quand on avait annoncé que Cohn‐Bendit devait tenir un meeting, jevoulais y aller, mais je ne pouvais pas. Les transports ne fonctionnaient pas et il n’y avait pasd’essence.J’étaicoincée.Alors,oncommuniquaitavecmesamispartéléphone.Alors,touslesjours,on s’appelait. Les dernières nouvelles. Mon mari et moi étions entrés dans un groupe, celui duprofesseurKaufman.Ilestdécédé.»

«Ungroupede réflexion sur la société. Et là‐dessus, est arrivémai68.Çàallait tout à faitdans cettemouvance.Dans ce cénacle, il y avait toute sorte de gens, de tous lesmilieux dont unpsychiatre.»

«Jemesouviens.Quandmai68aexplosé,ilétaitdansunétatdefébrilité.Etilallésemêleraux manifestants. Il s’est pris des coups de matraque (rires). Il est venu nous raconter sesmésaventures.»Quel était cegroupede réflexion?quadri vium.Et le livre?«Quadri vium.Essai sur la civilisationpromotionnelle.Depuis,çàaétépris.C’estleprofesseurKaufmanquiaétél’initiateur.Ilatoujourstravaillé dans l’ombre. Il n’est pas connu. Très tôt, bien avant mai 68, parlait de civilisationpromotionnelleetdudondusavoir.Or,mai68,onaassistéàdesmanifestantsquirevendiquaientnonpaspourdel’argent,maispouruneautresociété.«C’étaitnouveau.Tellementnouveauqueçànousaexaltés.Çàrentraitdanslesidéesdecegroupe.LeprofesseurKaufmannparlaitdudondusavoir.Nepasfairedelarétention,lecommuniquer.Etçà,defaçongratuite.»

Elleétaitmathématicien.«Onétaitliéàluipardescongrès,deschosescommeçà.Quandilparlait, jemesouviens,unefois, jenesaisplusdansquellecapitaleeuropéenne.Onassistaitàdescongrès.Monmariétaitingénieuretonallaitàdescongrès.Onrencontraitleprofesseurkaufmann.Après, on dînait ensemble. Et quand il se mettait à parler, on aurait cru un prophète. Je mesouviendraistoujours.Ils’estmisàparler.Ilavaitunevoixquiportait.»

«Etd’unseul coup,dans le restaurant, lesgensse sontapprochéset jusqu’aucuisinierdurestaurant,ilssontvenusécouter.Ilparlaitdelasociétédufutur,etc.

«C’était en 66 ou 67, par là. J’ai eu la chance de vivre ces moments avec un hommed’exceptionquepersonneneconnaît.»

Qu’en retire‐t‐elle? «Je retiens toute cette exaltation, cette espérance d’un avenirprometteur. J’étais toujours bloquée avec les petits que j’avais eu les uns après les autres, doncj’avais unpeu cette soif de sortir de chezmoi. Je revenais toujours de ces réunions extrêmement

Page 45: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

45

excitée,maisbon,jeretombaisdansmescouches(rires).Enfait,j’aiplusréalisédeschosesquandlesenfantsontgrandi.»

Qu’a‐t‐elle accompli? «Donc, j’ai commencé à peindre de plus en plus d’ailleurs. Je peinstoujours.J’aicommencéàexplorerpleindechosesauniveaudelapeinture.Jefaisdelasculpture.Touslesétés,carj’aipasletempsd’enfairel’annéecar lapeinturemeprendbeaucoupdetemps.Maintenantilyalagravure.

«Jesuisrentréeparhasard.J’airencontréuneécrivainequidirigeaitdesateliersd’écriture.J’aipasséuntrimestretrès…quim’aapportéénormément.Maisjenepeuxpas,l’écriture,c’estuneascèse. Il faut tout laisser tomber pour écrire. Je ne peux pas laisser tomber la peinture après 25ans»

Est‐cequecelaamarquéesafaçond’êtremèreougrand‐mère?«Difficileàdire,carilfauten même temps tenir compte de ce qu’on est profondément et de ce que l’extérieur nous aapportés. C’est une combinaison des deux. Il y a mon caractère qui fait que j’ai toujours étérécalcitrante. Par exemple, les petites filles imitent souvent leurmaman.Donc, j’ai eu une fille etdeux garçons. Les garçons ne faisaient pas leur chambre et la fille la faisait. D’un seul coup, je lasurprenaisentraindefaireleslitsdesesfrères.Alors,jeluidis:’maisnon!Tun’apasàfaireleurlit.’J’aiessayéd’inculqueràmafillequ’onétaitégaux.Lerésultatimmédiatçàaétéqu’aucunlitn’aétéfait.Mais,ilyavaitcesentimentd’égalité.Est‐cequejel’aiacquisparmai68?mai68l’aconfirmé,jevaisdire.»

«Jenepensepasquej’aiétédanslalibertéquenousoffraitcettepériode.Parcequej’étaisdéjàmèredetroisenfants.Jesuisrestéedanslafamilleclassiqueentenantcomptequemonmariestplusâgéquemoi,que j’étais tributaired’uncertain conformisme.Mais ce conformisme, je l’aiprogressivementbalayé,hein?

Pourelle,cequicompte,c’estl’interactionentrecequ’onest,mai68etlapersonneavecquionavécu.«Parexemple,j’appartiensàceuxquinedivorcentpas.Parexemple,j’aiunmariquin’ajamaisintégréqu’ilfallaitfairelestâchesménagères(rires).Çà,jemesuisrebifféedixfois,centsfois.Donc,jeveuxdirequej’aivécudemai68etdel’époqueprécédente.J’évoluaisàmi‐chemin.Çàm’apeut‐êtreapportéunsouffle,çàm’apermisdeschoses.

Et les mouvements féministes? «J’étais à l’union féminine et civique, pendant plusieursannées. On se réunissait. C’est par l’UFC qu’on s’est organisé pour faire des débats publics pourl’Europeverte.»

«J’étaisdanscesmouvementsvers30,32ans.Jesuisrestéequelquesannées.Puis,aprèsjenerestepaslongtempsdanscesmouvements,carjemelassevite.»

Sesent‐elleprochedesepetits‐enfants?«Oui»Yena‐t‐ilundontellesesentplusproche?«Onvadirequelapetitedernièrequiestchez

monfils.Elleesttrèsattachéeàmoi.Lespetites‐filles…prochessurleplanfémininpeut‐être.Mais,jelesaimetousdelamêmefaçon.»

Aquellefréquence?Parpériode.EllevoitplusceuxdeLondres,caràsafille.Ceuxdeparis,àsonfils,doncbelle‐fillequiconfieàsespropresparents.«Trèsclassique»

«Maintenant,jevoissouventceuxdeparis.Ilsviennentennormandie.»Iln’yaderègle.«Jetravaillesurmapeinture,doncjenesollicitepaspourgarderlesenfants.

Jerépondstoujours.Quandilsontbesoin,jeviens,maissinon…»Ellene les sollicite jamais?«Ah si!quandçà faitunmomentque je lesaipasvus, je les

sollicite.»LeurdernièrerencontrefutpendantdixjoursàLondres,aumomentdenoël.AParis,ellea

emmenélesdeuxaînésaupalaisdeladécouverte.

Page 46: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

46

Quellesactivitésaveceux?«J’aimebien leurfairefairedesactivitéscréatives.Ondessine.On fait de la poterie. Quand en classe, l’aîné a fait un devoir sur l’Egypte, je lui ai acheté desmagazinessurl’Egypteancienne.L’aînéchezmonfilss’intéresseauxvieilleséditionsdelacomtessedeSéguretjeluiaitrouvétroislivresdelacomtessedeSégurde1927.Ah!Ilétaitravi.L’aînéchezma fille, s’intéresse à la météo, tout çà, on lit ensemble tout ce qui concerne ces choses là. EnNormandie,onpeutfaireduvéloaveclesenfantsdansledomaine.»

Elleparle assezpeuaveceux. «Je suis pasquelqu’unqui parlebeaucoup saufmaintenant(rires).Jeneparlepasbeaucoupd’unemanièregénéraleetc’estpeut‐êtremafaille.D’unautrecôté,àmadécharge,quandj’ailesenfantsrécemment.J’avaislestrois.Celuidedeux,ilfallaitlesuivreàlatrace.Quand ils viennent enNormandie, j’ai les courses, les repas à faire. Finalement, ce sont lesautresquiprofitentdesenfants.

«Moi,jesuisengluéedanslestâchesménagères.Çàmeplaîtpasbeaucoup(rirejaune).Maissinon, on peut avoir des apartés sur des sujets précis, une interrogation de leur part. on va endiscuter. Le petit à Londres, Jérémy, qui s’intéressait au problème de lamort. Alors, il posait desquestions.Commentrépondre,c’étaittrèsintéressant.

«Oualors,l’aînéàparisquimedisaitsimonactivitédepeintureétaitrémunératrice.J’aiditnon, il faudraitplusd’expositionquejenefaisetquejen’aipas letemps.Jepréfèrecontinuermarechercheplutôtquedem’impliquerdansune recherchequimeprendbeaucoupde temps, pourl’instant.»

Quelest son ressentidu rôledegrand‐mère?«Par rapportau tempsquipasse,peut‐êtrequec’estquelquechosequiestcommeunecontinuationdesoi,quipermetdepoursuivrecetemps.Ce n’est pas ce qui me vieillit. Pas du tout. Pour moi, quand je suis avec les petits, ce sont despartenaires.J’aimebienbavarderaveceux.Jerestetrèslibre.Jenesuispasenchaînée.Jegardedesactivitéstrèspersonnelles.»

«Ah!Oui.Çàm’arendueplusanxieuse.Peut‐êtrequec’estparceque j’aivieilli.Avecmesenfants,j’étaispeut‐êtreunpeuplusdétendue.Avecmespetits‐enfants,jesuisplusinquiète.»

Inquiète de quoi? «Qu’il arrive quelque chose! Si on sort ensemble: ‘vite! Pas traversersansmedonnerlamain.’(rires)voilà,jesuisplusinquiète.»

Sesautresactivitéssontun frein?Uneaide?«Jene l’envisagenicommefrein,nicommeaide.Maiscommequelquechosedepersonnel. J’espèrequeçàmevaloriseauprèsdemespetits‐enfants.Oui,sûrement.Ilyaeudesréflexions.»

Quelgenrederéflexions?«Quandilsontunequestionconcernantlescouleurs,ons’adresseàmoi. Une fois, j’avais fait une petite naturemorte qui était très classique. Le petit –elle n’étaitpas…‐lepetit,l’aînédemafillevoitetilreconnaîtpuisquec’étaitunecafetièreaveclestassesetjelesavaispeintesaveclatechniqueVanecq.Etdonc,j’avaisfaitcettenaturemorteavecunelampe,etc.etlepetitavaitreconnuleserviceàcafé.Ilm’adit‘qui?’etj’aifait‘c’estmoi’.Alors,ilm’adit‘c’estmagnifique!’. Ilm’a fait rireparceque cen’était pasmagnifiquedu tout.Mais (rires) le faitqu’ilaitreconnumonserviceàcafésurlapeinture…çà,c’étaittoutaudébut.»

Aide‐t‐ellesesenfants?Non.«Parfois,timidement,j’osedire‘moi,jefaisaiscommeçà’.Parcontre,parfoisquandjesensquequelquechoses’estmalpassée.Unjour,mongendreagrondétropsévèrementlepetit.J’airienditbiensûr.Après,enaparté,j’aiditàmafille‘tusais,tudevraisdireàFrédéricdenepasêtre si sévère. Lepetit a fait ceci, cela.C’étaitpas si grave’.Non, j’y vais sur lapointedespieds,vraiment.Ilssontabsolument[souverains].Saufsionmedemande.»

On lui demande souvent? «On peut me demander mon avis. Mais, non, on ne me ledemandepassouvent.Ilsontaussileurméthode.Jen’aipasàinterférer,jelesais.Detoutesfaçons,jen’ai pasenvied’interférer. J’interviensquandvraiment il y aquelque chosequim’a chiffonnée,maissurlapointedespieds.»

Page 47: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

47

Pense‐t‐elleavoir lamêmerelationà l’aveniravectoussespetits‐enfants?«Non, jepensepas.Chaqueenfantasoncaractèrepropre.Ilssontencorepetits.Quelseraleurdegrédeproximité?J’ensaisrien.Amonavis,jeseraisûrementplusintimeaveccertainsmoinsavecd’autres.Donc,jenemefaisaucunscénariolà‐dessus.Doncjenesaispasqueldegréderelationj’auraiquandilsaurontgrandi. Feront‐ilsappelauxgrands‐parents?En touscas,on faiten sorted’êtreprésent.Maispastrop,déjàparcequelesparentsnetiennentpasàcequel’onsoittropprésent.Ilsaimentqu’onlerendeservice,çàc’estsûr.Maisonleurrépondtoujoursprêtquandilsnousdemandent.»

Est‐ce différent pour les plus jeunes ou plus âgées? «La relation à la grandmaternité, cesontdesquestionspersonnelles.Çàdépendducaractèredelapersonne,desarelationauxenfants.C’est tout. Je sais qu’il y a des grand‐mères qui sont plus proches car elles voient beaucoup plussouvent leurs petits‐enfants. Moi, je les vois moins souvent que certaines grand‐mères. Il y aplusieurscasdefigures.Parfoisentregrand‐mèresquandonparledenosrelationsaveclesenfantsou la relationmère/fillequipeutparfoisêtre conflictuel, etc.,on retrouvedespoints communs.Apartçà,chacunfonctionneaveccequ’ilest.»

A‐t‐elle l’impression de revivre la naissance de ses propres enfants? «Je pense que c’estdifférentparcequec’estpasmoiquilesaifaitsetqu’ilsnem’appartiennentpas.C’estcequej’arrêtepasderépéteràmonmariquiselesapproprieraient.Bienquejemesentetrèsproched’eux,ilsnem’appartiennent pas. D’ailleurs, ils n’appartiennent qu’à eux‐mêmes à un moment donné. J’ai àchaquefoisqu’unenfantestnéavecunpetitpincementaucoeurparcequel’angoissedemettreunenfant au monde dans notre société. Çà toujours en tête. A chaque fois qu’on m’annonçait unenaissancepossible,j’étaisangoissée.«Quel vaêtre sonavenirdans cemondepour lemoins incertainet violent? J’essayedenepas ypenser.»

A‐t‐ellelamêmerelationqu’avecsespropresgrands‐parentsavecelle?Unegrand‐mèrepasconnue/l’autreestmortequandelleavaitsix.Gardeunsouvenirtrèsvaguetrèslointain.Serappelledecertainssoirsoùelleracontaitdeshistoires.Çàn’arienàvoir.EtaitauMaroc.Mèrequitravaillaitet donc grand‐mère qui s’occupait d’elle et de ses sœurs. Pas la même période, pas les mêmesactivités.

Les nouvelles configurations ont changé quelque chose? Sûrement. Des grand‐mèressuppléent aux parents, car familles recomposées. Elle, dans sa famille, il n’y en pas,mais partoutailleurs,famillerecomposée.Rôlequiachangé:plusdans lavieactive,dans l’actualité,dans lavieactive. Pour elle, «avant, la grand‐mère, c’était la vieille damequ’on venait voir le dimanche, quirecevait à déjeuner sa famille. Bon, ce n’est pasmoi. Je n’aime pas faire la cuisine. Je la fais parnécessité.J’aimebienavoirmespetits‐enfants,maispastropsouvent.Jesaisquemonpetit‐fils, leParisien, ilaimebienmangé.Parfois, ilmecompareà l’autregrand‐mère.Elle,c’estunecuisinière.Là,jefaispaslepoids(rires).Alors,j’évitelesconversationsautourdelanourriture.»

Toutcelaa‐t‐ilchangésapropreimage?«Jepensequel’imagequej’aidemoi‐même,est‐elleexact?D’abord, l’imageest fluctuante.Parrapportauxnaissances, jepensequeçàn’apasderapport(silence).Peut‐êtrequesijevaischercherautréfondsdemoi,demaconscience,unepetitefiertéd’avoirseptpetits‐enfants.Peut‐être.Mais,c’esttout.»

Cesnaissancesl’ontrendueheureuse:«onpeutêtreheureuxetanxieuxenmêmetemps.».

Quesouhaite‐t‐elleàsespetitsenfantspourleurviefuture?«Pleindechoses.Surtoutqu’ilsréussissentdans leursétudesdefaçonàavoiruncapitalpoursedébrouiller. Jeparsd’unprincipe.

Page 48: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

48

Moi, j’ai connu les trente glorieuses. Eux, ils sont sensibles, trop sensibles. Et surtout, ils sontsensiblespoursubircequelavievousfaitsubir.»

L’anecdotequiseproduitquandelleditqu’elleestgrand‐mère:onluidit«oh!Unesijeunegrand‐mère!»Çàluifaitplaisirdenepasavoirl’aird’unegrand‐mère.Ausensclassiqueduterme.

Page 49: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

49

EntretienavecBénédicteOudot,le19janvier2008,à11h

BénédicteOudota59ans.Elleavait21ansàlanaissancedesonpremierenfantet50ansàla naissance de son premier petit‐enfant. Elle est divorcée et héberge des jeunes filles étrangèrespourpayersonloyer.Elleaunevoiture«trèsvieille»

Elle est en préretraite à France Télécom: «on est encore actif, mais qu’on est obligé derester chez soi. J’ai desmandats syndicaux. Je suis syndicaliste depuis fort longtemps. J’accomplismesmandats».Sontravailessentiel,c’estlesyndicalisme.Elleestaussiadministrateurd’unecaissederetraite.

Ellen’apasvraimentdevieassociative,maisparticipeauconseildequartierdeBercydansle12ème.Trèsmodestement.Elleyabeaucoupparticipéaudébutpourlelancer.«J’aipasletempslesoir,doncjesuisspectateurbeaucoupplusqueacteur.»

Pratique‐t‐elleunsport?«Jesuiscenséefaireduyoga,maisencemoment,jeratetouslescours.Enfait,jeviensdereprendreunpetitboulot,troisjoursparsemaine,carjenem’ensorspasfinancièrement.J’aibeaucoupvoyagéen2007,doncj’aiunpeutirésur lesfonds.Jesuisvendeusedansunelibrairie.»

Seslectures?Journauxetlivres.Lesromansessentiellement.Multiconsommatrice,donclittoutcequiluipassedanslamain:journauxplusfacile.

Elleaunportable,unordinateur. Elle vadans les cybercaféset à laBNF.ElleéchangedesmailsetSMSpourson«boulot»,maispasavecsespetits‐enfants,troppetits.«Unepartiedemespetits‐enfantssontdéjààréclamerdejoueràl’ordinateurtoutelajournée.»

Cuisine‐t‐elle?Trèsrarementsaufquandelle lesgarde,elle leurfaitdescrêpes,deshachisparmentiers,cequ’ilsaiment.Platsassezfaciles.

Et sa fille?Et sabelle‐fille?«Non,ellesontdesmarisqui sont cuisiniers.Commemoi j’aifait, elles sontdans la reproduction. Ellesont trouvédesmarisqui cuisinent.Et çà leurpermetdefairelereste.»

Lessorties?Elleva«pasmal»auspectacle,beaucoupaucinéma.«Detempsentempsauthéâtre.Lecinépresqueunefoisparsemaine.Concerttouslesdeuxoutroismois.»

Sonenfantlaplusâgéea38ans.Elleestmariéeeta3enfants.Leseconda37ans(3enfants,marié). Dernier est en concubinage, 32 ans. Lui n’a pas d’enfant, mais sa conjointe se prépare àdevenirmère.

Lesplusâgésdesespetits‐enfantssontnés l’annéedeses50anscarelleademandépoursonanniversaired’avoirdespetits‐enfants.Ilsont8ansetdemi.Laplusjeune,3ans.

Sa fillevit à Suresnes. Ses deux filssont à 30 kmde Toulouse etAngoulême. Et ses petits‐enfantssontàSuresnesetàToulouse.«Et,mafillepartenAfriqueduSudl’étéprochainavecsesenfants,cequimecoûtebeaucoupcommeidée,pourl’instant.Bienqueçàm’offredesperspectivesde voyage dans des endroits que je n’ai pas visités.Çà va être dur. Même si je ne les vois pasbeaucoup,j’étaisbiencontentedelessavoirtoutprès.Surtoutmafille.»

Suresnesentransportencommun,estàuneheure.AToulouse,elleprendlestrainsdenuit,etdonccelaprendunenuit.

Elle a encore samère qui a 85 ans.Obligée d’être proche d’elle.Maladie d’Alzheimer.Nes’occupe pas beaucoup, «car j’ai toujours été dans une distance choisie assez importante. J’ai lachanced’avoirunesœursurparis.C’estellequis’enoccupeetquifaittoutletravail.

Page 50: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

50

«Moi,jefaisquedespetitesvisites.»

Concernant lesdeuxaffirmations:pourelle, lapremière,bienque ladeuxièmesoit«vraieaussi».

«Jechoisis lapremièreetjelarevendique.»Pourquellesraisons?«Parcequ’enfait,c’estcequejepréfèreaffirmer.L’autoritéparentaleestbiensûrtotalementremiseencause.Pourmoi,cequiaétéimportantçàaétérevendiquermaliberté.Enfait,jemesuiséchappéel’annéed’aprèssouslaformed’unmariage.»

En 68, elle avait 19 ans et était en 2ème année d’université àNanterre. «Bien placée pourm’amuser,parcequejemesuisbeaucoupamusée».Ellehabitaitdansle8èmearrondissement.

Ses souvenirs spontanés? «Bien sûr lesmanifestations. La grande liberté de parole. Pourmoi,unegrandelibertéquej’airéussiàacquériràcemomentlà.Mespremiersémoisamoureux.»

Sesengagements?«Totalementspectatrice».Cequ’elleenretire?«Çàachangébeaucoupdechosesdansmaviedepartagerçà,même

enétantessentiellementspectateur.C’estcequim’apermisdem’émancipercomplètementdemafamille.»

L’ambiance dans la famille? «Une famille extrêmement traditionnelle, catholiquepratiquante. J’étais en pleine effervescence à ce moment là, en rejet de tout ce qui était mafamille.Sauf que je n’en suis sortie qu’enmemariant. J’ai pas réussi àm’en sortir en quittant ledomicile familial et enm’installant toute seule. Çà, je ne l’ai pas fait. J’aurais aimé le faire, maisj’avaisunechapetroplourdepourmoi.»

«Lasolutionaétédememarieren1969.»

Est‐cequeçàamarquésa façond’êtremèreougrand‐mère?«Jepensepas tellementenfait. Si quand même, j’ai éduqué mes enfants d’une manière beaucoup plus libérale que j’ai étéélevée. En faisant très attention à leurs goûts et à leur individualité. Je pensequ’ils font lamêmechoseavecleurspropresenfants.Ilssontdanslareproductionsociale.»

«Biensûrqueçàachangédesquantitésdechosesdans lesmodesderelationsetdans lerapportparents/enfantsaussi.Monfondd’éducationbourgeoiseétaittoujoursbienprésent.J’aieula chance d’avoir unmari qui était une perle au foyer. Çàm’a permis d’avoir une vie de femme,d’épouse et en même temps, je travaillais loin. Donc, nos enfants ont été élevés de façon assezlibérale.»

«Mais il y avait quelqu’un à la maison.Ma fille est en train de reproduire exactement lamêmechose.Elleessayedumoins.»

«Sur le partage de tâches, on était pas du tout un couple classique. Il y avaitmême uneinversiondesrôlesmasculin/féminind’unecertainemanière.C’estluiquitenaitlamaisonetmoi,jecavalaisàl’extérieur.Jerentraistardlesoir.

«Il travaillaità lamaison. Ilétaitenseignantà l’universitéavectrèspeud’heuresdecours.C’estvraiment luiquia joué le rôlematernant.Cen’étaitpas si classiquequeçàà l’époque.C’estbeaucoupplusfréquentaujourd’hui.Etmoi,çàmeconvenaittrèsbien.»

«Çàaeubeaucoupd’inconvénientsaussi.»Quelsenétaientlesinconvénients?«C’estquejemesuisretrouvéepeuàpeudépossédée

detoutrôle.J’étaispasunhomme,maisj’étaisdépossédéedetousmesrôlestypiquementfémininsJemesuisretrouvéesansrien.Donc,j’aifinipartirermarévérence.J’aimisdutemps.»

Les conséquences sur les enfants? «Oui, je pense qu’ils ont un modèle familial où leshommes font beaucoup de tâchesménagères, où unmaximum de choses sont partagées. Ils ontépousédesgensquileurpermettentdecontinuercemodedevieenfait.Mafillen’aimepasdutoutcuisiner.»

Page 51: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

51

«Elle a rencontréunmari qui ne cuisinait pas,mais il a compris que s’il voulait bouffer, il

fallaits’ymettre.Donc,ilestdevenuunexcellentcuisinier.»«Monfilsaînéfaitunmaximumdechoseschezlui.Safemmetravaille.»

Sesent‐elleprochedesespetits‐enfants?«Pastrèsproche,non.C’estpareilquecommeje

l’aifitavecmespropresenfants.Jemaintiensunedistance.Pournepasêtretotalementenvahie.Lesenfantsdemafillesontbeaucoupplusprochesdemoiquelesenfantsdemonfils.Çà,jepensequec’estduaufaitquelesenfantsdesafilleetdesabelle‐fille,c’estpastoutàfaitlamêmechose.Mespetits‐enfantsmeconnaissentbien,parfoisjem’enoccupe.Etsouventsuruneduréeassezlongue.Engénéral,jegardelesenfantsquandlesparentsnesontpaslà.C’estbeaucoupplusfacile,quandiln’yapasdeuxpersonnesquifontlaloi.»

«En plus, il est éloigné physiquement. Ceci dit, on n’est pas du tout dans une relationcontinue. J’y vais quand on a besoin demoi pour donner un coup demain. Je vais de temps entemps,maistrèsrarement,commeçàpourrendrevisite.»Dernièrevisite?«Ceuxdemafille,jelesaigardéstrèsrécemmentchezeux.LeursparentssontallésenAfriquedusud,chercherunemaison,uneécoleettoutlebazar.Jesuisrestéeunesemainechezmafille.

«Aumomentdenoël,monfilsestrestéàParisquelques jours,mais jedirai letempsd’unrepas. Le tempsde leurdonner leurs cadeauxdenoël.Donc çà a été trèsbref.Mais, récemment,monfilsm’aappelépoursavoirsij’étaislibreleweek‐enddePâquespourvenirjouerlagrand‐mère,ceque jevais faire. J’aiacceptéencourant. J’aivérifiéque j’étais libre.Çàmefaitplaisir,maispastroplongtemps,sinonjesuistotalementdépasséeparlesévènements.»

Quelgenred’activitésa‐t‐elleavecsespetits‐enfants?«Souvent, l’objetdemesvisitesestdelesgarder,doncjelesgarde.Jetienslamaison.Jeparticipeàtouteslestâchesfamiliales.Puis,onvasepromener.Trèsrarementauspectacle,carquandj’arrive,ilsontdéjàtoutvu.»

«Je les ai amenés ici, donc ils ont joué chez moi. J’ai toute une caisse de jouets. Je lesemmènedans le parc à côté. Parfois, on va au jardind’acclimatation. Ce sontplutôt des sorties àl’extérieur.Etpuis,àlamaison,onjoueàdesjeux,desjeuxdesociété.Ontapelecarton.Etsurtout,onracontedeshistoiresavantdedormir,pourlescalmer.»

Quelestsonrôleentantquegrand‐mère?«Lerôled’aidefamiliale.»«Ilsm’accueillentàbrasouvert.Jesuisuneusévèrecar j’aipasenvied’êtredébordéepar

lesévènements.Donc,ilsmerespectentencoreunpetitpeu.Ilsessayentdedépasserlalignejaunedetempsentemps.Jelesremetsenplace.Jesuisdansunrôledegrand‐mèreclassique.»

Qu’attendez‐vouslesunsdesautres?«C’estpascommeçàqu’onavécu.Moi,jen’attendspasgrand‐chosedemesenfants.Jesuistrèsprochedemafille,maisdansunrapporttrèsdistancé.C’estpourçàqueçàm’ennuiequ’elles’enailleenAfriqueduSud,carellem’aunpetitpeuàl’œil.Ellemesurveille.Quandjenevaispastrèsbien,elleestlà.»

«Mais on n’est pas du tout dans une proximité physique réelle. On sait qu’on est là. Ladistancequivas’installerpuisqu’onpeutcommuniquerautrement,pasmalparmail.C’estunmodedecommunicationquej’aimebien.Lesautres,jepensequejen’attendspasgrand‐chosed’eux,carcesontdeshommes.Cen’estpaslamêmechose.

«Mon fils le plus jeune qui a un métier d’artisan gagner très mal sa vie, donc je l’aiénormémentsoutenuefinancièrementetmoralementparlamêmeoccasion.J’avaisdécidédansmatêtequepassétrenteans,j’arrêterai.Mais,cen’estpastoutàfaitçà.»

«Je suis dans une relation de contrôle par rapport à lui. Ce n’est pas quelqu’und’extrêmement ardu au travail. Il a choisi quelque chose de particulièrement difficile, d’êtretotalement autonome.Doncquand je vais le voir, c’est affectueusement,mais c’est aussi dansun

Page 52: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

52

rôle de contrôle. Je lui demande où il en est, comment il se débrouille, de me prouver que çàavance.»

«Etc’estpastoujoursfacile.Çàcen’estpastrèsbienpassé justeavantnoël. Jesuisallé levoir. J’ai vu que question boulot, çà n’avait pas l’air d’avancer. On a parlé argent et çà m’aénormément troublée de voir que j’allais devoir continuer à jouer les roues de secours. Çà allaitdurerencorelongtemps.»

«[…]c’estceluiquialeplussouffertdelaséparationdesesparents.Jemesuislaisséeallertroplongtempsàtitrecompensatoire,jedirai.»

Elleestvenueleplusvitepossiblepourvoirla«tronche»deceuxnésàParis.DeuxnésenGrèce,àAthènes.Elleyesttrèsvite.Familletrèsnombreuse,9frèresetsœursetbeaucoupdesesneveuxniècesonttroisenfants.

«Pourmoi,lanaissancedesenfants,c’estlavictoiredelaviecontretouteslesvicissitudes.Donc,onest toujourscontent.Enfin,moi, j’ai toujoursété trèsheureusequemespropresenfantsavaienteux‐mêmesenviedesereproduire,cetinstinctmêmedereproduction.»

Lefaitdetravailler,unfreinouuneaide?«Moi,çàm’aprotégé.Commeçà,onn’apaspuabuserdemesservices.Jemesuistoujourstenueàdescoupsdemaindetempsentemps,maispasrégulier.Paslemercrediparexemple.Paslesvacancesscolaires.Çàm’estarrivé,trèspeuenfait,deprendrelestroisenfantsdemafilleunesemainepourquemafilleaitletempsderespirerunpeu.Ilsveulents’occuperdeleursenfants.J’aitoujourstrouvéçàtrèsbien.J’applaudisdemesquatremains(rires).»

Donne‐t‐elle des conseils? «Çà m’arrive. Sur le plan de la psychologie de l’enfant. A unmoment,unoudeuxenfantsmontrentdessignessoitdesouffrance,soitd’autrechoseetavecmafille,onéchangesurunenfantquiadesdifficultés.»

Etreunejeunegrand‐mèredifficile?Différentpourlesplusâgées?«Pasdutout.Moi,jel’airevendiquée. Parce qu’en fait, je ne suis pas tout à fait représentative dema génération. Quandj’étaispetitefille,lemétierquejevoulaisfaire,c’étaitgrand‐mère.Doncj’aiditàcinquanteans,qu’ilseraittempsquandmême.Jevoisautourdemoi legensdemagénération.Ellessontgrand‐mèresbeaucoupplustard.Pasensigrandnombreetaussirapidement.Moi,j’aitrouvéçàagréabled’êtregrand‐mèrejeune.Pouvoirfairedeschosesavecmespetits‐enfants.»

«Si,ilyaunechosequej’aipasracontée,c’estquetouslesdeuxans,j’enemmènedeuxauxsportsd’hiverpourleurapprendreleski,carjepratiqueleski.Etdonc,jelesprends.J’aiemmenélesdeux aînésde chaque famille ensemble, les deuxdeuxièmeensuite. C’est tous les deux ans.Doncl’année prochaine, je ne sais pas trop ce que ce sera. Le prochain tour, les enfants sont un peudécalés question âge et un sera en Afrique du Sud. Je vais peut‐être emmener,mais pas tout desuite,lapetite‐filleenAfriqueduSudavecmoipourl’amenerchezsescousins.»

«J’ai décidé que les relations que j’aurai, ce serait des choses comme çà. Faire un petitvoyageavecmespetits‐enfantsdeuxpardeux.Pastroispartrois,caràtrois,c’estlabagarre.Adeux,c’estbeaucouppluscool(rires).Jenevaispasmecompliquerlavie.J’aidéjàfaitçàavecmesfilleuls.JelesemmenésquelquesjoursàLondres.»

Uneraisonàcela?«Legrosavantage,c’estqu’onmène labarque. Jepenseque fairedesvoyagesquandilsserontadolescents,ceseraitpasmal,siàcemomentlà,ilsenonencoreenvie.»

L’imaged’elle‐mêmechangée?«Sûrement.Parcequejesuisenfinentréedanslerôledelagrand‐mèreque j’espérais,que j’avaisbeaucoup idéaliséquineressemblepasdutoutaurôlequej’aimaintenant.Nos grand‐mèresétaientd’uneautre génération. Elles étaientdans le rôled’aide,essentiellement.Oh,si!C’estaussiunpeucequejefaisfinalement.»

Page 53: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

53

Sesgrand‐mères?«Ben,enfait,çàvaêtredumêmeordre,finalement.Quelqu’unquivientdonneruncoupdemaindetempsentempsàlamaison,quiestlàquelquepart,sionenabesoin.Ladifférence,c’estquemaintenant,onfaitautrechoseavec lesenfants.Avant,ellesnefaisaientqueveniret surtoutnousaccueillirdans leurmaison l’été.En fait,onpassait toutesnosvacancescheznosdeuxgrand‐mères,quiétaientcapabledenousaccueillirengrandnombre.Moi, jen’aipasdelieupouraccueillirmespetits‐enfants.Jenesuismêmepaspropriétairedemonappartement.C’estun truc que j’aurais bien aimé avoir, un lieu où réunir mes petits‐enfants tous ensemble, et lesenfants aussi. Et puis, en fait, je me suis rendue compte que d’une part, ce neme serait jamaismatériellementpossibleetque,d’autrepart,eux‐mêmesn’avaientpasdutoutenvie.Mesenfants,n’avaientpasdutoutenviedepasserleursvacancesensemble.J’aifaitunessaiunefoisetj’aivuqueunesemaine,çàsuffisait(rires).»

« […] Je pense que c’est une chose que je ne leur offrirai jamais.C’est un peu unrenoncement. J’aurais aimé aussi quemon ex‐mari vienne avec sa nouvelle famille. Tout çà, c’estmespetitsrêvesdesoixante‐huitardeattardée.J’auraisbienaiméquetoutçàsepassedemanièrecool,maisc’estpasdutoutcequeveulent,doncc’estloupé(rires).»

Quandonestplus jeune,elleconsidèrequec’estmieux:«onsupporteplusfacilement lesenfants,moins de pépins de santé.» Elle ne supporte pas le bruit qu’ils font, car elle vit dans lesilenceleplusgrandpossible.Trèsvitedépasséeparlesécrans(ordi,télé).Elleestsidéréeparleurcapacitéd’apprendreetparlaplacequeçàprenddansleurvie.Ellen’estpasd’accordavec.Aélevésesenfantssanstélélepluslongtempspossible.«Horrifiéeparleurattraitdesécrans.»

A‐t‐ellel’impressionderevivrenaissancedesesenfants?«Non,pasdutout.Jesuistoujoursdanscetterelationtrèsdistanciée.Cequileurappartientleurappartient.Jeresteàmaplace.»

Les changements dans sa propre vie? «Pour moi, que des gens mettent au monde desenfants,çàveutdirequeçàyestlavielesintéresseetàpeuprèslamêmechosepourmoi.Quandj’aieuma fille, c’est‐à‐dire très jeune,pourmoi, çàa signifiéque j’acceptais.Avant, j’étaisdans lerefus et là, j’acceptais. Et çà a été un bouleversement. Je suppose que, pour eux, çà a été unbouleversementdansleurmodedeviedepasserd’uneviedecoupledepasseràunevieàtrois,puisàunevieàquatre,puisunevieàcinq.Çàveutdireilssontdedans.Ilsjouentlejeu.Ilsacceptentlejeudelavie.Enmêmetemps,çàs’estaccompagnéavecmesdeuxaînésàuneautonomietotalevis‐à‐visdeleursparents.Ilsviventleurvie.»

«Ilsetrouvequej’aiuncompagnon.Jenevispasdutoutaveclui.Ilalui‐mêmedesenfants,maiseuxnesereproduisentpas.Jenepeuxpasm’empêcherdefaire,dansmatête,lacomparaison.[…]là,ladifférence,elleestpatentecarsesenfantsàluiontlemêmeâgequemesenfantseteuxnese sont pas lancés dans la vie de cette manière là. Eux, ils ne sont pas dans la reproduction.Totalementinconscient.»

Qu’est‐cequifaitcepassagedurefusàl’acceptation?«C’estpareil.C’esttotalementmoninterprétation. Je n’ai pas forcément raison. Je pense que mes enfants ont vécu dans uneatmosphère de vie, dynamique. Avec des gens dynamiques. Mon mari et moi, on vivait à 150 àl’heure.On avait une espèce de petite doctrine qui est ‘plus on en fait, plus on en fait’. Ce qui abeaucoupd’inconvénientsaussi,hein?Néanmoins,çàroulemêmevite.»

«Monami et sa fratrie, ils ont vécudans une atmosphèrebeaucoupplus protectrice. Sonépousenetravaillaitpas.Elleesttombéemaladeasseztôt.Elleaeudeuxcancerssuccessifsàdeuxansd’intervalle.Ilsontvécudansuneatmosphèrequej’estimemortifère.Jem’expliquelefaitqu’ilsnesereproduisentpasdufaitdecetteatmosphèremortifère.»

Page 54: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

54

«On n’a pas envie donner la vie quand on n’a pas cette impulsion instinctive de

reproduction. Alors si il entendait, il serait complètement horrifié que je puisse dire des trucspareils.»

«[…]jepeuxparlerdemonfilsquiseraitaussidansunepositiond’adolescentattardé.Maisilaunecompagnequiellefonce.Elleafoncédoucement,parcequ’ellealemêmeâgequelui.Ellecommenceàsedirequec’estlemomentdefairedesenfants.Elle,ellelefera.»

«L’autre grand‐mère pousse psychologiquement.Du côté demon compagnon, le fait queleurmèresoitdécédéechangebeaucoupdechoses. Iln’yapascetteprésencevitale,fémininequiestlàpourréclamerdespetits‐enfants.Jepensequecen’estpaspareilungrand‐pèrefrustréetunegrand‐mèrefrustrée.»

Quesouhaite‐t‐elleàsespetits‐enfants?«Çàc’estdur.Jesuisassezaffoléedumondedanslequelonvit,delarégressionparrapportànosambitionssoixante‐huitardes,depaixdanslemonde,écologistes.Al’époque,çàn’existaitpastrop.Deladégradationécologiquedontonaprisconsciencemaintenant. Je suis rudement contente d’avoir des petits‐enfants,mais je suis inquiète dumondedanslequelilsvontvivre.Enmêmetemps,jesuisrudementcontentequelamondialisationexiste.Ilyadescôtéséconomiquesquisontnégatifs,maisilyaaussiceformidableéchangeinterculturelquiestl’avenirdumonde.Alorsjetrouveçàassezaffolant,maisest‐ceplusaffolantquequandnous,onétaitplusjeune?Probablementpas.Jepensequetouslesconstatsdanslemondedepuisdessièclessont lesmêmes.Unefoisqu’onaacquisunecertainesagessedueà l’âge,onregardederrière,onregardecequiattendlesautres.Onestrassuré.Cen’estpasbeaucoupmieux.»

«Ils vivront leur vie. Je pense qu’ils auront une vie totalement différente de la nôtre. Jepense que l’accélération de ses moyens de communication va totalement changer la donne, ycomprisdanslesrelationspersonnellesentrelesgens.[…]Çàseraleurproblème.Enmêmetemps,jecrois que le fondde commercequ’est la vie dans la petite enfance, quelle qu’elle soit, lamise auboulotentre25et35ans,toutçà,çàvacontinuer.Ilyaquandmêmeunfonddecommercequivarester.»

Son rôlepar rapportà çà?«Aucun. Je suisvraimentunpetitgrainde sablequiessayedesurvivredanscemonde.»Ellesesentlarguéeparlenouvellestechnologies.

Parrapportàsespetits‐enfants?«J’essaieraideresterencontactaveceux,maisc’estpassûrquej’yparviendrai.Jepenseque,passéelapetiteenfance[…],dèsl’adolescence,c’estterminé.»Commeavecsesgrands‐parents,ilyauraunerelationaffectueuseetderespectdelapersonneâgée.

Uneanecdote?«Jedirailanaissancedupremier.Jesuisarrivéeventreàterrepourêtrelapremièreàvoirsatronche.C’estunmomenttrèstrèsfort.J’aiditquejen’avaispasvéculanaissancedemespetits‐enfantscommecellesdemesenfants,cen’estpastoutàfaitvrai.Surtoutcepremierpetit‐enfantquimontreleboutdesonnez.»

Page 55: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

55

EntretienavecRégine,Réginea55ans.Elleadeuxenfants,unefillede29ansqu’elleaeuà27ans,quiestprofesseuretpacsédepuis2ansetungarçonde27ansqu’elleaeuà30ansetquiestpharmacien.Depuisseptembre2007,elleestpourlapremièrefoisgrand‐mèredejumeaux:2garçons:RafaeletMarius,lesenfantsdesafille.Régineestpropriétaired’unappartementenBanlieue(dans le91).ElleavécuplusieursannéesauZaïre,auGuatemalaetauSénégal.Elleestmariée,possèdeunevoitureetestcadredansuneinstitution.Ellenefaitpasbeaucoupdesport,quelquesrandonnéesdansl’annéemaisrienderégulier.Ellen’apasnonplusd’activitésassociatives.Ellelitbeaucoup,aimealleraucinémaetsurtoutvoyager.Elleauntéléphoneportable,unordinateurmaispourl’instant,necommuniquepasdecettefaçonavecsespetitsenfants:«ilssonttropjeunes!»Régine«adorefais lacuisine»:«j’aivraimenttrèshâtedefairedespetitsplatspourmesenfants,mafillen’estpasdutoutcuisinièredoncc’estmoiquiferalesbonsplats»Réginesortbeaucoup:«je suispeuchezmoi, je travailleet le soiret leweekend, je suis toujoursoccupée»Réginehabitedansl’Essonneetsesenfantsetpetitsenfantshabitentdansle20èmearrondissementdeParis.Ellemetàpeuprès45mnenvoituredechezellemaisvientsouventaprès letravail(elletravailleàOpéra)cequifaitàpeuprès25mndemétro.Régineaencoresamère,ellevaavoir80ansenfévrier,ellevitdansle92.Elleestproched’elleetl’aidebeaucoup:«jel’appelle,jeluifaisdescoursesquandilfaut.Monmaril’aidebeaucoup,étantdonnéqu’ilnetravaillepasetqu’iln’habitepastrès loin, ilestsouventavecelle,illuifaitdescourses,illuitientcompagnie».Réginen’hésitepasàdirequ’elle se sentplusprochede lapremièreaffirmation: 68m’aoffert lapossibilitéde«produiremapropreindividualité»enréhabilitantl’initiativeindividuelle.Régineavait16ansen68,elleétaitenpremière,aulycée,ellevivaitchezsesparents,dansle92.Régineadessouvenirsdecettepériode:«J’étaisalléeàlaSorbonneavecmesparents,onavaitvudesgensquifaisaientdessettings.Jesuisalléeàdesmanifestationsmaisenmêmetemps,j’étaisunpeujeune,jenesavaispastropcequejefaisais là, mais j’y allais.Je n’étais pas engagée mais dans la famille, je sais que mes parentssoutenaientlemouvementetdonc,j’étaiscontented’yaller!».Réginen’apaseudeprisedeconscienceàcemomentlà:«J’étais vraiment jeune, c’est plus tard que jeme suis rendue compte de ce qu’il s’était vraimentpassé.Can’apaschangémaviesurlecoup,jeretiensjustequedansl’évolutiongénérale,çaaétéunpastrèsimportant.Maisça,jeledisavecdurecul.»

Page 56: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

56

Réginesesenttrèsprochedesespetits‐enfants:«Ohoui,jemesenstrèsproched’eux,jelesaimeénormément»Ellesesentautantprochedel’unquedel’autre«Jenepeuxpasmesentirplusproched’undesdeux,ce sontdes jumeauxet ilsont troismois,mêmesi chacunasonproprecaractère,mais je lesaimeautantl’unquel’autre»Régineessayede lesvoir leplusrégulièrementpossible«maispasassez»medit‐elle.Sadernièrevisiteauprèsd’euxs’estpasséeilyadeuxjours:«onafêténoëlaveceuxle23ausoir,ilsonteuunbeaucadeau,unesuperbepoussette»Pour l’instant Régine n’a pas beaucoup d’activités avec eux«à part risette, biberons et couches»mais«plustard,jepensequejeferaisbeaucoupdevoyages.Jelesinviteraiàlamaison,àsortir,àalleraucinéma.Ahjesuisravie,j’aienviedefairepleindechosesaveceux.J’aihâtequ’ilsaient12anscarj’aiprévud’allerenEgypteaveceuxetenAfriquecarj’yaivécu».Réginen’avaitpasdutout imaginésonrôledegrand‐mère«jen’yavais jamaispensé, c'estarrivétrèsvite,elleaarrêtélapiluleetmêmepasunmoisplustard,elleétaitenceintedesjumeaux,toutaété très vite, je n’ai pas eu le temps d’y penser» «mais pour l’instant ça va, je ne suis pas tropangoissée,j’aimebeaucoupcerôledegrand‐mèreetj’aihâtequ’ilsgrandissent»Régine intervient beaucoup auprès de ses petits enfants, toujours à la demande de sa fille quidemandebeaucoupdeprésencemaisenmêmetemps,Réginetrouvecela«naturelde faireçaentantquegrand‐mère»«Elleaeudumalaudébutaveclesdeux,onaététrèsprésentavecsonpèreettoutlerestedelafamille,avecmasœur,onestvenudormirchezelle,s’occuperunenuitentièredesjumeauxpendantqu’elleallaitdormirailleursavecsonami,pourqu’ilssereposent»Réginepensequesafilleattenddesamèrebeaucoupd’aide«Elleabesoindenouspours’occuperdesenfants,qu’onlesemmèneenvacances,qu’onaitdesactivitésrécréativesaveceuxetpuis,notrerôles’estaussidel’aiderfinancièrementcarellevaprendreuncongéparentalsanssoldeetpendantquelquesmois,çavaêtredurdoncons’estengagésonpèreetmoi,àl’aiderpendantcettepériode».Régine pense qu’il est important d’intervenir au moment de la naissance « c'est un momentincroyableet c'estbiend’avoirune reconnaissance immédiate, c'était importantpourmoietpourmafilleetbiensurpourlespetits».Réginetravailleestilvraiquepourelle,c'estunfrein:«Mafilleabesoindemoiensemaine,lorsquesonamitravailleetqu’elleesttouteseuletoutelajournée,maisjenepeuxjamaisvenirenjournée,etlesoir, ilsdormentetlepapaestlàdonc,c'estplusfacilepourmafillemaisjesuisrassuréecarmasœuretmaniècehabitejusteàcôtéetl’aideénormémentpuis,elleabeaucoupd’amisquipassent»Régine aide beaucoup sa fille pour habiller les petits: «j’achète énormément de vêtements,j’adore».Parcontre,encequiconcernel’alimentationet lessoins,elle«n’apasbesoindel’aider:Jen’aidepasmafillepourl’alimentation,pourleshabillerouimaispourlereste,ellesedébrouilletrèsbienetpuis,onoublicequ’onafaitpournospropresenfantset,finalement,leschosesonttellementévolué,lesconseilsqu’onnousdonnaitnesontplusdutout lesmêmes. Jepenseparexempleà lapositionpourlesfairedormir:avantonnousdisaitdelesfairedormirsurleventre,puismaintenant,c’estlecontrairedonc,mesconseilssonttropvieuxetpuis,elleadesconseilsbeaucoupplusavertisparleslivresetparsesamiesquiontdesenfantsdumêmeâgeetparlapédiatre.J’aiplusunrôled’écouteetjetrouveçabien».

Page 57: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

57

Réginenepensepasavoir lamêmerelationavecsespetitsenfantscarpourelle,«leschosesvontévoluer:jenevaispastoutletempstravaillerdoncaveclesautres,çaserasurementtrèsdifférent»Régineneconsidèrepasqu’êtrejeunegrand‐mèreestdifficilebienqu’àcausedesontravail,ellenepeutpaslesvoirtrèsrégulièrement,cependant,elleestunedespremièresdesesamiesdoncpourl’instant,elleseretrouveunpeuseulefaceàcettesituation.Elle trouvequemêmesielleamoinsdetemps,ellepeut fairedeschosesqu’unegrand‐mèreplusâgéenepourraitpas faire:«passerunenuitentièreseuleavecdeuxnourrissons, jepeuxvousdirequ’àplusde60ans,c'esttrèsdifficile,ilfautavoirlapêche».Lorsdelanaissance,Régineaeul’impressionderevivrelanaissancedesesenfants:«Ahoui.C'est‐à‐direquej’étaiscommequandmesenfantssontnés,j’étaisémerveilléedelesvoiretlà,çam’afaitlamêmechose.»Parcontre,ellenepensepasavoir lamêmerelationavecsespetitsenfantsqu’elleaeueavecsesgrands‐parents:«Jepensequeçaseradifférent.Mesgrandsparentsvivaientàcotédecheznous,onlesvoyaitconstamment,ilsnousamenaientàl’école,onpartaitenvacancesaveceuxpendantprèsd’unmois.Jepensequeçaseraquandmêmedifférent.»Depuislanaissancedesespetits‐enfants,sonemploidutempsn’apasvraimentchangésaufque«leweekend,j’essayed’êtrebeaucoupaveceuxetmoinsaucinéma…».Régine a tout de même eu «un coup de vieux» lors de la naissance des petits. «Je me sensévidementplusvieillemaintenant,çac'estsur».Mais,malgré cela, Régine est très heureuse de cette naissance et souhaite vraiment être utile etsoulagersafilledèsqu’ellelesouhaite.Sonrôle,ellelevoitcommecellequiseralàpourlesdistraire,leurapprendredeschoses,«j’aienviedeleurfairefairepleindechoses».Pour ses petits‐enfants:«J’ai envie qu’ils fassent ce qu’ils aiment, qu’ils soient bien dans leur vie,bienavecleursparents,biendansleursétudes»ANECDOTE:MesdébutsdeGrand‐mère: j’avaisMariusdanslesbras, ilétait trèsbienavecmoietsonpèreestentrédanslapièce,ilaparléetlà,Mariuss’estretournéetaregardésonpère,c’étaitextraordinaire.

Page 58: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

58

EntretienavecVéroniqueVéroniquea58ans.Elleaeusonfilsà23ansetaeusonpremierpetit‐filsà50ans.Véroniquea2petits‐enfants:deuxgarçonsde8et4ansetunautrequivaarriverenavril.Sonfilsvaavoir35ans.Ellevitencouple,dansunappartementdontelleestlocataire,àParis,dansle11ème.Elleaunevoiture.Elleestpsychanalysteettravaillechezelle.Ellefaitdusportunefoisparsemaine,delagymnastiquedansunesalle.Ellefaitpartiede3associations:

- uneassociationquiconcernesamaladied’intoléranceaugluten- uneautrequiconcernelechampdelafolie- uneautrequiestuneécoleanalytique

Hobbys:Véroniquepeintbeaucoup,ellelitaussi,ellevaunpetitpeuaucinéma.Commehobby:«jem’occupedemespetitsenfants».Ellepossèdeunportable,unordinateurmaisn’échangepasdemailsnidesmsavecsonpetitenfantde8ans«ilestencorepetitpourça».Véronique prépare des plats pour ses petits enfants lorsqu’ils viennent chez elle. Sa belle‐fille estaussicuisinière.Véronique travaille chez elle mais sort aussi régulièrement car elle travaille aussi avec deséducateurs.Ellehabitedansle11ème,sonfilsàChatenayMalabry.Ellemetentre30mnet1hpourallerchezluienvoiture.Véroniquen’aplussesparents:sonpèreestmortilya3ansetsamère,lorsqu’elleavait4ans.Sabelle‐mèreestencoreenvie,ellehabiteenBretagne,ellea80ans.Elle lavoitunpetitpeu«onafêtéses80ans, il ya15 joursmaisc'estcompliqué,c'estmabellemèreetçan’apas toujoursétésimplemaismaintenant,lesrapportssontcordiaux».Elle se sent prochede la première affirmation surmai 68.«Forcément la premièremais de façonassez marginale quand même car quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de problèmes avec mesparents,jesuispartiedechezmoietdonc68aétéuneoccasionpourmoid’êtrelibérée.Maislibéréetoutenétantassezmal»Véroniqueavait18ansen68.Ellepassaitsonbac.«Commejenem’entendaispasavecmesparents,j’ai fait des études courtes, j’ai fait des études de kinésithérapeute et à 21 ans, je suis partie, à lamajorité,j’airompuavecmafamille.»En mai 68, elle était encore chez ses parents mais était en pension chez des bonnes‐sœurs à stgermainenlayemais«ellesétaientassezprogressistespuisqu’onlesemmenaitsurlesbarricades».

Page 59: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

59

Véronique a beaucoupde souvenirs de cette période:«c'était une période assez tumultueuse, onparlaitbeaucoup,onessayaitderefairelemondemais,enfait68adurépluslongtempsque68,c'estunenébuleusequiaduréunedizained’année. Il yavaitunclimatdemettreàbas lesponcifs, lespréjugés,c'étaituneépoqueoùonavaitlesentimentqu’onallaitpouvoirvivreautrement».Véroniquene s’est pas tellement engagéeen68, plus tard, elle s’est engagéepolitiquement:«Jesuis rentrée au PC en 78, donc 10 ans plus tard parce que j’étais avec Lucien Bonnafé, qui étaitquelqu’undetrèsconnu,trèsintelligenteten81,quandMitterrandaétéélu,j’airompuaveclepartietaveclapolitiqueengénéral».Véroniquenesaitpassimai68achangésavie:«j’aieuunehistoire tellementcompliquéque j’ail’impressionqueçaaétéunnouageentrelesdeux.Jen’étaispastrèsbiendansmapeauet68m’acertainement permis de pouvoirme libérer plus facilementmais la liberté intérieur est venue plustard».Véronique pense que ça a certainement marqué sa façon d’être mère: «J’avais une belle‐mèreextrêmementrigide,catholiqueetjevoulaisl’enversdeçaet68m’adonnécettepossibilité».Véroniquesesenttrèsprochedesespetitsenfants.Ellesesentaussiprochedel’unquedel’autre.«Lepremier,çaaétéquelquechosedeformidable,onacommencéàlegarder,ilavait15jours,ons’estdécouvert,ons’estadoptémutuellement,ilyaungrandattachementquidurtoujoursd’ailleurs.Onlesprendtrèssouvent,ilsnousréclament,c'estunvraibonheuretmêmesiçamefatiguepuisquej’aiétémaladequelquesannéesetbien,çamedonnequandmêmeunecertainepêchecarilsmettentdelavie».Véroniquen’apasderythmerégulierpourgarderlespetits.Ellelesavuilyaquelquesjours,pournoël, ilsontréveillonnéchezleurfils, ilsyontmêmedormi.Sonfilsetsabelle‐fillepartentpourleréveillonet«nousallonsprobablementprendrelesenfants,maiscen’estpasencoresurcarl’ainéapeutêtreunefête,alorsparfois,ilneveutpasveniretdonconneprendquelepetit».Véroniquevoitsespetitsenfantsautantqu’elle lesouhaite:«J’aiunetrèsbonnerelationavecmabellefille».Véronique fait beaucoup de peinture avec ses petits enfants: «de l’aquarelle, de l’acrylique,beaucoupdepetiteschosesàcréer,beaucoupdespectaclecommeguignol,lethéâtre,lecinéma,lessorties,onlesemmèneàl’aquarium,aumuséumd’histoirenaturelle,onfaittoutcequ’onpeut,toutce qui peut leur ouvrir l’esprit.On les a abonnéà des livres plus intelligent queWallDisney, on litbeaucoupaveceux,ilsadorentleshistoires».Véroniqueparleavecsespetitsenfants:«maisbon,unenfantvitdansleprésent,cen’estpasuneanticipationdelapenséecommej’ail’habitudemaisonparle.Parexemple,ilyadesmomentsoùilyenaunquifaitdescauchemarsetonenparle.Onessayepasd’expliquermaisd’essayerdemontrerquefinalementlavie,cen’estpassisimplequeça,qu’onpeutavoirpeurparmoment.Parexemple,legrandapeurdunoirdonconenparle,onaachetéunelumière».Véroniquen’avait pasdu tout imaginé son rôlede grand‐mère:«Jene voulais pasd’enfantsdéjàdonc et quand je suis devenue grand‐mère jeme disais que c'était tôt, je suis jeune, c'est bizarre,qu’estcequejevaisfaireaveceuxmaisfinalement,c'estvenunaturellement,commeuneévidence.Audébut,onvoulaitqu’ilsnousappellentgrand‐pèreetgrand‐mèremaislorsquelepremierestné,ilétaittroppetitpournousappelercommeçadoncc'estpépéetmémé,cequiesttrèslaidetlejouroùonavoululefairechanger,iladitnon,doncc'estrestécommeça».

Page 60: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

60

Véronique ne pense pas avoir aidé son fils,«je pense que pour eux, c'était une évidence, que lesgrandsparentsavaientuneplace».Véroniqueatoujoursvoulucréerunerelationavecsabellefillequisoit«correcte,pastropd’intrusion,pastropd’exclusionnonplusmaisd’essayerdel’adopter.Etl’adoptions’estfaitetrèsbienetellen’aaucunproblèmepournouslaissersesenfants.Etducôtédespetits, lorsqu’elle nous les laisse, ils ne pleurent pas, il n’y a pas d’angoisse de séparation. Aucontraire,lorsquej’étaisjeune,monfilspleuraitdèsquejepartaisautantlà,çasepassebien».Véroniquepensequ’être làaumomentde lanaissanceest très important.«Jepenseque les lienssonttrèsprécoces,jesuispsychanalystedoncjecroisàça,jepensequelesliensaveclesparentsbiensurmaiségalementaveclesgrandsparentsetqu’ilyaquelquechosequipasse,larelationaucorps,la chaleur, l’ambiance, je pense que c'est extrêmement important de créer des liens le plus tôtpossible.Etjepensequequandonnelescréepas,c'estunpeucommesiaprèsçadevenaitartificiel,ilnefautpaslouperlecoche».Véronique était là pour les naissances,«c'est très important,mais tout en étant en retrait, il fautassisterlesparents,fautêtreprésent,ilyauneespècedeprésentationimplicitedesgrands‐parentsquiestnécessaireetsouhaitable».La belle‐fille de Véronique lui dit souvent qu’elle devrait arrêter de travailler pour s’occuper plussouventdesesenfantsmaiselleditçaenriant.Véroniquepensequ’ilyaquelquechosed’assezsein«onaenviedevoirlespetits,onappelle,ilsontenviedenousvoir,ilsappellent,lorsquelesparentsontbesoin,ilsnousdemandent,çam’estarrivédefairedestrucspaspossiblepourallerm’occuperdemonpetit‐filsquiavaitdelafièvre,ilfautpouvoirêtremobiledanssatêteetdanssafaçondefaire».«Je ne sais pas si mon fils et ma belle‐fille sont en demande, oui ils sont demandeurs mais ilsn’attendentpas,çasefaitetparcontre, lespetitsenfantsoui, ilssontendemande,pépéetmémé,c'estimportantpoureux».Véronique ne s’est pas tout le temps permis d’aider son fils et sa belle‐fille en ce qui concernel’alimentationetleshabillement,parcontre«ilyaunechosequiétaitpourmoiimportante,c'étaitl’homéopathie et l’ostéopathie. Ma belle‐fille n’y croyait pas du tout et mon petits‐fils a eu unaccident grave, il a sauté sur une voiture lorsqu’il avait 1 an et demi et je l’ai emmené chezl’ostéopathe.Mabelle‐filleestmaintenantàfonddedans, j’aivraimentpoussé.Pourl’alimentation,ilscuisinentmaisjevoisquelepetitmangequandmêmedesMcnuggetsetdespates.Parcontre,jesaisqu’ilssontassezvigilantaveclesbonbonsalorsquemoi,j’endonne!!»Véronique pense qu’elle aura lamême relation avec tous ses petits enfants.«Forcément, ça seradifférent,maisçaseralemêmerôledegrand‐mère.Parexemple,làj’enaideux,ilsn’ontpasdutoutlemêmecaractère,ilfautfaireautrementavecl’autre,c'estunerelationquisebricole,quis’adapte,quisecrée».Véroniquepensequec'estplusfaciled’êtreunejeunegrand‐mère.«Jesuisravie,jen’aijamaiseucetespècedenarcissismededirehoulala je suisgrand‐mère, cen’estpasbienaucontraire, j’étaistrèsfièreetqu’ilm’appelleméméà50ans,c'étaitrigolo.J’étaissuffisammentjeunepourqueçasoitrigolo.Véronique était la première à être grand‐mèredans son entourage«j’ai beaucoupd’amis qui ontencoredespetits».Véroniquen’apaseul’impressionderevivrelanaissancedesonfils«C'esttoujoursl’émotionmaisàmonépoque,iln’yavaitpasdepéridurale,c'étaitencorebalbutiantetàlanaissancedemonfils,jemesouviensquej’avaispeur,bon,j’aitoujoursunpeupeurpourmabelle‐fillemaisc'estpaslamêmechose,unenaissanceçasevitausingulier,tonenfantc'esttonenfant,l’enfantdetabelle‐fille,c'estlesien.C'estjustementimportantdenepastropfantasmer,denepasfaired’analogie».

Page 61: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

61

Véroniquen’apaslamêmerelationqu’elleavaitavecsesgrandsparents:«Monpèreétaitunenfantabandonné qui a été adopté, j’adoraismes grands‐parents qui étaient très vieux pour le coup, ilsavaientadoptémonpèrealorsqu’ilsétaientdéjàâgésmaisjelesadorais,maisjepensequecen’estpaspareil.Quandmamèreestmorte,onestrestéquelquesmoisaveceux.Cen’étaitpaspareilsaufauniveaude l’amour, je sentais l’amourdemagrand‐mèreetdemongrand‐père.Du côtédemabelle‐mère,jen’aijamaissentid’amourdesesparentsmais,c'étaitcompliquéavecelledoncaveceuxaussi.Monpèren’ajamaisfaitledeuildesafemmedoncçaaétédur».Véroniquenepensepasquelesnouvellesconfigurationsfamilialesaientchangélerôledesgrands‐parents.Eneffet,elleestactuellementmariéeavecunhommequin’estpaslepèredesonfils.Sonancienépouxestdécédélorsquesonfilsétaitencoreenfant.«Lepèredemonfilsestdécédéetmonmariaadoptémonfils,lorsdesonmariage,ças’estfaittrèstardmaismonfilsconsidéraitmonmaricommesonpère,pourtantilavait11ansquandill’aconnumaisilyaeuquelquechosequis’estfaitnaturellementdonc,monmariestquandmêmegrand‐pèreàpartentière,sesontsespetits‐enfants,iln’yaaucundoute,pasplusdedoutesurlefaitqu’ilestlepèredemonfils.Doncfinalement,beauxgrands‐parentsougrands‐parents,çanechangerien,ilestpresquemêmeplusprochecariln’apaseud’enfantdoncilaenvied’êtrelà,desavoircequec'est,ils’enoccupeénormément».Véroniqueconstatequesonainéprendtoujourssadéfense«Quandjemedisputeavecmonmari,ilprendtoujoursmadéfense,ilprendtoujoursmonpartietjesuistoujoursassezétonné,ilnesemetpas dans le clan des hommes, y’a quelque chose d’assez fort, c'est un truc que j’ai constaté il y aquelquesannéesalorsquelepetitvaplusfacilementversmonmarialorsquelegrandatoujoursététrèsprochedemoi»Véroniquenesaitpascequ’elleapuleurapporter:«Onverrasiçaportesesfruits,del’amourc'estsurmaisaprès,tusèmesdeschosesetaprèsonvoitcequ’onrécolte,jenesaispas».Elle compte se rendreutile tout le temps:«Quant ils se serontplusgrands, s’ils ontdes soucis etqu’ilsneveulentpasenparleràleursparentsmoi,jesuisprêteàenparleraveceuxetàrespecterunecertaineconfidence,j’aienvied’avoiruneplacequiévolueetquisoittoujourslà».Véroniquesouhaiteàsespetitsenfantsqu’ilssoientbiendansleurpeau:«J’aiététrèsmaldansmapeau toutemonenfanceetmonadolescence,peutêtreunepartiedemavieadulteetmaintenantquej’aitrouvéunecertainesérénité,jeleursouhaiteça,lerestepasseaprès,évidement,monfilsaunbon travail et de bons moyens, c'est toujours mieux mais je pense que ce n’est pas la valeuressentielle,jeveuxqu’ilsaientdel’humanité,c'estleplusimportant»Anecdotesdesdébutsdegrands‐mères:«Chezmongrand‐père,onavaitunestatuedeVoltaireouBeaumarchaisetmonpetitfils,quandilétaitpetit,ilavaittrèspeurdecettetête,quandilarrivait,ilavaitpeur,ill’appelaittétèteetunjour,ons’estditqu’onallaitlamettresurlebalcon.Etquandmonpetit‐filsestrentré,lapremièrechosequ’ila faite,c'estdechercher tétèteet il s’estmitàpleurerquand ilne l’apasvudoncona remistétète!!,onatrouvéçaassezdrôle».

Page 62: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

62

EntretienavecDominiqueDominiquea63ans,elleatroisenfantsFrédérique(38ans)etPierre(35ans)qu’elleaeuavecunpremiermari,David(24ans)qu’elleaeuavecsonsecondmariFrédériqueaungarçonde15ans,elleestdivorcéePierrea3enfants:2fillesde8et6ansetungarçonde2,5ans,ilestmarié.Dominiqueaeusafilleà23ansetsonpremierpetit‐filsestnélorsqu’elleavait47ans.Ellevitencouple,dansunemaisondontelleestpropriétaire,enArdèche,auxVans.Dominique tientuneboutiquedeproduitsbiologiquesdans le centre villedesVans, elle fait aussirégulièrementlesmarchés.Dominiqueaimefairedelamarche:«ilyabeaucoupdesentiersderandonnéesdansnotrerégion»,ellevarégulièrementaucinémaetlitaussibeaucoup.Elleaunevoiture,untéléphoneportableetunordinateurmaisn’échangepasdesmsnidemailavecsespetitsenfantsSafilleetsabellefillesontcuisinièresmaisellefaitlacuisineàsespetitsenfantslorsqu’ilssontlà.Ellehabiteloindesespetitsenfants:Leplusgrandvitenrégionparisienne(à700km)LesautresàcôtédeNice(à350km)Dominiquen’aplussesparentsDominiquesesentprochedelapremièreaffirmation:«68m’aoffertlapossibilitéde«produiremapropreindividualité»enréhabilitantl’initiativeindividuelle».Dominiqueavait23ansenmai68.ElleétaitsecrétaireetvivaitàNanterre.Dominique se rappelle bien de mai 68 «J’étais enceinte de ma fille, elle est née le 30 mai 68,j’écoutaisàlaradiotoutcequisepassaitetquandj’aiaccouché,ilyavaitlagrèvedonc,ilyavaittrèspeudepersonneletc'étaitunpeun’importequoi,l’accouchement,c'étaitunpeufou,çaététrèsvitefaitdansunecliniqueoùonnes’estpastellementoccupédemoi,y’avaittrèspeud’infirmière(rire)»Dominiquenes’estpasengagéepersonnellement,parcontresonmaridel’époqueoui:«L’hommeavecquij’étaisétaittrèsengagépolitiquement,trèsmilitantetjustement,ils’estfaitlicencieràcausede ça en mai 68. Etant donné qu’il était viré, on a décidé de partir dans le sud, en province, enArdèche,fairedel’artisanat».Dominique considère que ces événements on changé sa vie «d’une vie de citadine, je me suisretrouvéeàlacampagneàfairelesmarchés»

Page 63: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

63

Elle ne sait pas si ça a changé sa façon d’être mère: «Surement car être mère en ville est trèsdifférentmaisjenel’aijamaisfait»DominiquesesenttrèsprochedesespetitsenfantsElle se sent plus proche de son plus grand«c'est un ado donc j’ai plus de contacts avec luimaisj’adorelespetitsaussi»Ellevoitrégulièrementsespetitsenfants,surtoutlegrand:«Arthurvientàpeuprèstouslesmoisetil est là à chaque vacances scolaires, les petits un peu moins mais ils sont là quandmême assezsouvent»DominiqueavutoutlemondeàNoelDominiquefaitpleindechosesavecsespetitsenfants:desbalades,delalecture,desjeux,ilsvontaucinéma«etpuis,ilyalejardinetonaunepiscinedoncc'estsuperpoureux»Dominiquepensequesonrôlec'est«d’êtrepeutêtreunpeumoinssévèrequelesparents,qu’ilyaitunpeudefantaisie,delibertéavecmoi»Dominiquen’avaitpasdutoutimaginésonrôledegrand‐mère,elleétaitunedespremièresgrands‐mèresdesonentourage.Elleconsidèreques’occuperdesespetitsenfantsestàlafoisunedemandedesapartetdelapartdesesenfants.Ellepenseleurapporter«unpeudechangementdansleurvie,c'estlesvacancesquandilsviennent»Dominiqueconsidèrequetravaillerfreinesonrôledegrand‐mère«Ahçalefreine,sijenetravaillaispas, je viendrais les voir plus souvent, et en plus l’été, pour moi, c'est la haute saison dans montravaille,jefaislesmarchésnocturnes,maboutiqueestouvertetouslesjourspourlestouristesdonc,c'estplusdifficile».Dominiquepensequ’ellen’aurapaslamêmerelation«J’aiunfilsquia23ansdoncquandilauradesenfants,jeseraiplusvieille,çaneserapaspareilc'estsur,c'estbiend’êtrejeune»Dominiquen’apaseul’impressionderevivrelanaissancedessesenfants.Elleconsidèrequelesnouvellesconfigurationsfamilialesn’ontpaschangécerôle«c'esttoujourslemême rôle, pour moi c'est peut être encore plus important, quand il y a des séparations dans lecouple,onreprésentequelquechosedestablepoureux»Dominique pense avoir apporté «Une écoute, un échange, avec Arthur on parle beaucoup, je luiexpliquecommentc'étaitavant,qu’ilserendecomptedeschoses»ElleabeaucoupdecomplicitéavecsonplusgrandpetitfilsDominique ne regrette pas d’être en Ardèche loin de ses petits enfants «C'est un plus pour eux,qu’onsoitàlacampagne,c'estsympa,ilyadesespaces»Dominiquemequedit lagrossessedesafilleaététrèsdifficilepourelle«Elleétaitenceintealorsqu’elle était étudiante, sonmari était à l’armée, elle a décidé d’avoir un enfant comme on déciden’importequoid’autreetj’étaistrèschoquée,çanem’apasdutoutplus,çatombaitmal,cen’étaitpasbienpourmoi, la situationétait trop instable, finalement ça s’est trèsbienpassémaisbon, çaauraitputrèsmalsepasser»Dominiquecompteleurfairedécouvrirdeschoses«voyager,lesaider,lesouvrir,communiqueraveceux,êtreensemble».

Page 64: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

64

LemarideDominiquen’estpas legrand‐père,c'estundeuxièmemariagemaisconsidèrelespetitscommesespetitsenfants«avecArthur, ilsontpleindechoseencommun,ilss’aimentbeaucoup».Ellel’arencontréenArdèche,lorsqu’ellemilitaitcontredesminesd’uraniumquidevaitseconstruireàcôtédechezelle:«ons’estrencontrédansungroupedemilitant.»Son second mari est venu en Ardèche lorsqu’il avait une vingtaine d’année pour vivre encommunautéavecunedizainedepersonnes.

Page 65: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

65

TémoignagesrecueillissurInternetj'avais20ansenMai,etcefutuneaventurefabuleuse:lesgensseparlaient,jusqu'auboutdelanuit,la consciencepolitiquenaissait,on refaisait lemondeet surtouton apprenaientqu'ensemble toutétait possible ( à NS a bonne mine!!!!!!!!!!) et surtout le pouvoir du NONEtudiante en ARCHI ,ma vie n'a étéque choix.Choixd'avoir2enfants,choixdemonparcoursprofessionnel,choixdusuccesseurd'unmari,choixdemes amis et de mes ennemis. Aujourd'hui ,je suis grand mère , et je bosse toujours . CommeCharlotteRampling ,quandjepenseàmavie jesuisheureuseetfière ,jenepensepasavoirreniermesidéauxbienque"cenesoitpasnousquimodifionslemondemaislemondequinousmodifie".Mesgarçonsonthéritéd'unespritcrtique,d'unemorale,d'unephilosophiedelaviebaséeplussurl'être quede l'avoir. Les petits enfants ne sont là quepour le plaisir de les gater,leur transmettrel'amourdelavieetlajoie.Alorslessloganstelsqueinterditd'interdire,souslespavés...etcOUIOUImême40aprèsTémoignage2J’avais21ansen68,étudianteetbonneétudiante!Divorcée,j’aiélevéseule2enfantsquiontaussibienréussileursétudes.Jesuistoujoursrebelleetjecroisl’avoirtransmis.J’aigéréma vie , et ces libertés gagnées je pense les avoir bien utilisées. Le monde souhaité àl’époque ne correspond pas à celui qui est aujourd’hui ; nous voulions être entendus etacteursréelsdenotresouhaitdeviedesociété.Latolérance,ledroitàladifférence,ledroitàuneviedignepourtouthumaindumonde,lechoixdelafamille,travailler,étudierpourassumerunequalitédeviehonnêteetnonmatérialisteàtoutefin.Je suis encore dans le monde du travail aujourd’hui, et je pense transmettre encore cesvaleursautourdemoioulemotbonheurmalheureusementn’estliéqu’àl’argent.Jesuisautravaildepuisl’âgede24anssansjamaisunarrêtdetravail,nimêmel’aideuneseulefoisde " l’assistanat" de l’état. C’était cela 68, moins d’autorité, plus de libertés, lareconnaissancedesfemmessurleplanindividueletprofessionneletnousavonsassumé.Jepensequenousn’avonspasdéçu,maisl’évolutionverslamondialisationetlecapitalismeaété contraire ànos souhaits.Aujourd’hui, j’ai l’impressionquedenouveau tout lemondeacceptecequecertainsdécidentdecequiestbonpourlui.On peut dire tout ce que l’on veut sur les soixante huit,mais aumoins avons nous eu lecourageàunmomentdebougeretdefairechangerlecourdenosvies,cequin’estpluslecas aujourd’hui.La haine de l’autre existe partout, l’individualisme est au + haut,l’acceptationdetoutetn’importequoisefaitbéatement.Pourtant ,au fonddechacunpris individuellement, lesdésirssontencore lesmêmesqu’ànotreépoque,maisonn’ose+ledire,etonsuitlemouvement,lesouvriersarrivantmêmeàcréerdesmouvementsantigrèvescontred’autresouvriers....Larévoltemetienttoujours,carjepensequenousavonssuassumernoschoixetavonseuune vie d’adulte responsable La qualité de vie peut se faire avec une vie professionnelleréussie,etarrêtonsdenousprendrepourdesmoutons,àmoisquecelaplaise...

Page 66: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

66

L’exemple d’une femmequi n’a pas eu d’enfant, et se présente commeune «victime de68»EntretienavecVéroniques,le19janvier2008,à14h30

Elle a 52 ans et n’a pas eu d’enfants. Elle avait 13 ans aumoment demai 68 et vivait àSheffield lorsdesévénements.«J’étaisen4ème.»Paris.«Ledernier trimestre,moi je l’aipasséenangleterre.J’aisuivimai68enàlatélé.»

«Jevoyaisdeimagesavecdesautosquibrûlaient,despavés,desvoitures,desflics.Toutcemondelàquisetapaitdessus.»

68,déterminantdanssavie?«Pourmoi,c’étaitunepertetotalederepères.C’est‐à‐direquej’aiétéélevéedansunmilieutrèsstrict,doncenécoleprivée,avecunedisciplineàlamaison.Toutàcoup,mon frèreétaitensocioàNanterreavecCohn‐Bendit.Tout lemonderemettaitenquestionl’autoritépaternellequirégnaitdanslafamille.Moi,j’avais13ans.»

Marquéeparlecomportementdesesfrèresetsœurs?«Ben,surlemoment,jetrouvaisçàgénial. Jenesaismêmepassi jem’enrendais tropcompte.C’est lapremière foisqu’ilyavaituneprisedeparoleàlamaison.»

Quefaisaientsesfrèresetsœurs?«Jesaispasbien».Au niveau familial, de quelle façon s’est faite cette remise en cause? «Ben, de toutes les

manières.Ilsacceptaientplusl’autoritépaternelle.J’aiassistéàdesengueuladesentremespèresetfrère.Cequ’iln’yavaitjamaiseuauparavant.»

Ilyaeuunecoupurenetteentreavantetaprès.«Après,jesuispartiecarmonpèreaprissaretraite.J’étaisladernièredoncj’aiquittéParis,peudetempsaprès.»

Pour elle, tout cela était moins rassurant et très excitant. «C’est très double ce que jeressens.»

Enquoicelaétait‐ilangoissant?«D’entendrelesgenssequereller,quandonestenfant,onn’estpasbien.Jenecomprenaispasbien.Jesentaisqu’ilyavaituneatmosphèreélectrique.»

Ya‐t‐ileuunchangementd’attitudedesparents?«Certainement.Jecroisqu’ilsontététrèsdésemparés.J’aiétéséparéedemes9frèresetsœurs.Ilssesontretrouvéslui,65etelle,57ans.Jemesuisretrouvéeseuleaveceux.J’aiapprisplustardqu’ilsdemandaientàmesfrèresetsœurscequ’ilfallaitfaireavecmoi.»

Pourquoi?«Leschosesontétécomplètementchangées.J’étaisdansuneécolereligieuseetj’ai étédansuneécoled’Etatmixte.Moi, je trouvais çà super. Poureux, tout avait complètementchangé. Avant, ils étaient rassurés. Il y avait une bonne éducation. Là, ils savaient plus ce qu’il sepassait.»

Et vous, quand vous étiez au lycée? «Moi j’avais été habituée à un encadrement plusimportantetàunniveaud’étudespeut‐êtrepluspoussé.Etlàtoutd’uncoup,c’étaitbeaucouppluslaxiste.Mais,j’enprofite.C’estensuitequejemesuisrenducomptequecelaavaitnuiàuncertaindéveloppement.»

Enquoicelaavaitnuiàuncertaindéveloppement?«Onestpasséàunegrandepermissivitédetout.Quandvousavez13ou14,c’estimportantd’avoirdesrepères.»

Page 67: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

67

«Jefaisaisgrèveavecdesprofs.J’étaistoujoursentraindegueulercontretout.Jeremettais

encauselemariage,lesenfants.»Toutcelaétaitcomplètementinsérédansunemouvance.

Comment s’est‐elle rendue compte que tout cela avait eu des conséquences? «C’estbeaucoupplustard.J’aidiscutéavecdesamiesdemonâgeetons’estvraimentrenduecomptedes’engager dans un couple et si on s’engage de faire des enfants. Il y avait tellement de trucs quiavaient été remis en question, qu’il y avait un questionnement permanent. Je ne dis pas que lesjeunesnesontpasdansunquestionnementpermanent,maisjecroisqu’ilyavaitunpassageàl’acteextrêmementdifficile.»

«Commesionnesavaitpasoùaller.Prendredesdécisionsconcrètes,c’étaitrenierquelquechosequ’onavaitvécu.»

L’engagementdansun couple? «Le coupleparaissait figé, unhéritage ancien. Il y avait leschéma familial, celui des aînés, qui était très conventionnel. Et puis, il y avait l’envie de touttransformer. Et entre les deux, c’est difficile de faire son chemin. Surtout quand çà a débuté àl’adolescence. Je pense que çà a été un âge critique.» Différents pour les gens avant après. Sesneveuxetniècessonttousencoupleetontdesenfants.

Pourquoiàl’adolescenceétait‐ceplusdur?«Àl’adolescence,onabesoinderepères.Quandtouslesrepèresdevotreenfancesecassentlafigure,onestprojetédanslavieadultedirectement[…] dans les pensées des adultes, encore enfant, et faire le lien entre ces deux mondes, c’estdifficile.»

Cesdiscussionsquandelleétaitjeune,unpointparticulier?Politique,écoutaientJoanBaez,les films de l’époque. Elle ne parlait que de révolution. Au niveau politique, il s’agissait déjàd’«écologie»(nucléaire,Larzac,servicemilitaire),contre«toutcequireprésentaitl’autorité».

Socialement,avecdesprofssoixante‐huitards,«onvoulaitvivreencommunauté»

Après le lycée,ellevoulaitêtrephotographe,maispassonpère.Donc,elleafaituneécoled’éducateur.«Justement,jepensaisquel’éducationc’étaitlapremièrechoseàdonnerauxenfants.Libérerlesgarçons.Ilfallaitquelesmèresleséduquentcorrectement,quel’écoleleurapprennedeschoses.C’étaitlacontinuité.

«Jelisaisbeaucouptouteslesexpériencesd’alphabétisationauBrésil,danslespaysdel’est,touteslespédagogiesouvertes.»

Enmêmetemps,elleafaitpartiedespremièrescoopérativesbios,àToulouse.«C’étaitunecommunauté d’échanges. Vous faisiez partie d’un système et chacun son tour s’occupait del’échoppe.C’étaitunpeuautogéré».

A la sortie de l’école, «jeme suis heurtée entreme idéaux et la réalité. Çà je ne l’ai passupporté.Jemetrouvaisdansdesendroits,leséducateurs,c’étaitplutôtdes‘fonctionnaires’,entreguillemets.Ilyavaitdesattitudesaveclesenfants,jen’étaispasd’accord.»

Parfois,«c’étaittrèsmilitaire».

Sonpèreparrapportàses frèresetsœursa‐t‐ileu lamêmeattitude?«J’aiun frèrequiaarrêtésesétudesetquiestpartidanslescommunautés.Ilfaisaitducommercial.Unjour,ilestpartidans une communauté politique, pareil, il en est ressorti parce que finalement, c’était une secte.Donc,c’étaitchaud.»

Sonpèreparrapportàcefilslà?«Ilsenontparlésurlelitdemortdemonpère.Ilsenontparlé.Non,çàaététrèsviolent.Monpèresesentaitdépossédédesescroyances. Ilnevoulaitpasremettreencauselechoses.»

Page 68: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

68

Lesfrèresetsœursétaientprêtsàtoutremettreencause;unidéaldesociétéquelepèrene

comprenaitpas.Ils’agissaitplusdescadetsquedesaînés.

Ceuxquisesont rebellésonteudesenfants.Sasœuraeudeuxenfants, s’estmariée tard(vers30ans).Ilenvademêmepoursonfrèrequiaeutroisenfants.

Pourquoi a‐t‐elle été à ce point marquéeau niveau du couple ou des enfants? «J’ai étémariéeetj’aidivorcée.Jemesuismariéeàtrenteans,parrapportàl’époque.Jecroisquejen’étaispasfaitepourmemarier.»

Pourquoi? «C’est peut‐être à la fois une envie de construire et une exigence qui nousempêchedeconstruire.Ilyaunidéaletiln’yapasdeconcordanceaveclaréalité.»

Cet idéal à travers le mariage? «Beaucoup de communication. Beaucoup de liberté, quechacunpuissesedéveloppe,êtreautonome.»

Etcetteréalité?«Ben,quandonchoisitquelqu’unc’estpardesmotifstoutàfaitdifférentsqui fontqu’onchoisitquelqu’un. Il ya l’histoireofficielleet il ya l’histoirequiestderrière.Çà,onl’apprendbeaucoupplustard.»Cesdeuxhistoiresnecorrespondaientpas.«Çàclashe»

Etlesenfants,àcausedumariageouàl’époque?«C’estdifficile.J’airencontrédesfemmesquiétaientdanslemêmecasquemoi.Vousavezdesgensmêmesiilsonteuunmariagedifficile,ilsfontquandmêmedesenfants.Moi,jemedis‘pourquoic’étaituneimpossibilitépourmoi’?»

Et les autres femmes avaient des réponses? «Non, nous on avait discuté de çà en disantqu’enmai68,onavaitétéunegénérationunpeusacrifiée.Onnesavaitpasbienpourquoi.»

«C’estpastoutmai68,maisçàycontribue.Cen’estpasnégligeable.»Alabase,pourelle,ilyavaitintérieurementunepossibilitéet68l’arenforcée.

«Çà a démultiplié quelque chose de départ.» c’était quoi ce quelque chose de départ?«C’étaitunegrandevolontéd’indépendance,denepassesentirimpuissant.»

Leschémafamilialrendaitdifficiled’être indépendant.Grandeautoritéquiempêchaitcela.«Mai68,c’étaitunrêve.Onpouvaitchangerlemonde.»

Page 69: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

69

LetémoignagedeCarolinedeBendern,dite«l’égériede68»

Elle est anglaise et pourtant Caroline de Bendern est un symbole des évènements de mai 68 enFrance.Savieabasculélorsd’unemanifestationdanslesruesdeParis.Ellenousracontecommentun cliché a chamboulé son existence. Un témoignage sans amertume, ni regrets, simplementtouchant.Presque40ansplustardcetteminutedelibertéindividuellepèseencoresursonquotidien.Installéeaujourd’huiàManneville,unvillageducantondeGisors, cettepassionnéed’artnecherchepasàtirerunequelconqueexploitationcommercialedesonhistoire,préférantmêmeoubliercemoment.Etpourtantlacouverturedeparismatchquiafaitbousculersavietrônedanssonsalon.«C’estuneamiequimel’aofferte,elleestunpeulàparhasard».C.deBendernn’avait rienprémédité.Noussommes le13mai1968,elleprendpartàundéfilédeprotestation: «il n’y avait aucune agressivité dans le cortège, on se dirigeait vers la bastille, eninvitant lesgensànousrejoindre.Aprèsplusieurskilomètresdemarchej’aicommencéàavoirmalauxpieds».Instigateurdel’occupationdel’odéon,lepeintrejeanjacqueslebell’inviteàmontersurses épaules «j’étais tellement fatiguée que j’ai accepté. Pour le soulager, j’ai pris un de sesdrapeaux.Pasquestionpourmoidebrandir le rougedes communistesou lenoirdesanarchistes,maisceluiduVietNam,pourquoipas?C’étaitpourmoiunsignedeprotestationcontrelaguerrequise déroulait là bas!». Très vite les photographes la remarque, unehorde se presse autour d’elle.«Mannequindemétier, j’ai commencé à jouer un rôle.A cemoment là j’ai pensé à la révolutionfrançaise, jemesuis redressée, ledrapeaubienhaut,monvisages’est refermé. Jevoudraisà toutprixêtrebelleetdonnerdumouvementunereprésentationàlahauteurdecemoment.Lesflashesontcrépité,jemesuismoi‐mêmepiégée.Parcequed’uncoupl’émotionmegagne:cettefoulequiconverge, juste, ardente, lumineuse avec toutes ces bannières, et ce symbole si lourd au bout demonbras…Jedeviensexactement ceque j’essaiedeparaître. Jene joueplus aucun rôle, je suis àfond dans le mouvement et dans l’instant, et consciente, moi, l’aristo anglaise, d’uneresponsabilité».Pourtantellenemesurepasalors l’ampleurdesongeste.Cen’estqu’à la findesévènements de ce mois de mai historique qu’elle découvre ce qu’on peut appeler aujourd’huil’étenduedesdégâts.Petite filleducomtedeBendern, la jeuneanglaise fait launede l’hebdomadaireParis‐Match,puistrès vite le cliché fait le tour dumonde. Plus d’une centainemagazines reprennent la photo, elledevient une icône.Un statut d’égérie des révolutionnaires qui ne plaît pas à tout lemonde et enparticulier à son grand‐père, l’une des plus grandes fortunes d’outremanche. Comme elle l’avaittrahi,luietcettearistocratieeuropéenneauseindelaquelleillaprédestinaitàunmariageroyal!etcomme elle l’humilliait dans ce cliché que certains commentateurs comparaient au tableau deDelacroix, la liberté guidant le peuple et qui officialisait l’outrage. C’était pire qu’uneprovocation.C’était impardonnable.AlorslevieilaristocrateviennoisdontFrançoisjosephavaitfaitunbaron,lareine victoria un anglais, Churchill un ami, la chambre des communes un député et le prince deLichtenstein un comte, reprit avec furie son testament. Sans discuter il décide de la déshériter.«Mon grand‐père estmort en octobre 68, sans que j’aie eu le temps deme réconcilier avec lui.Jusqu’à samort, il décida deme voir. Tant pisme suis‐je dit. Je ne voulais pas de la vie qu’ilmepréparait;mevoilàaumoinslibredechoisircequimechante…Sij’avaishéritédesafortune,mavie

Page 70: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

70

auraitététotalementdifférente,convient‐elle.Jeneregretterienmaisêtredésignéecommel’égériedeMai 68 est selonmoi un peu exagéré».Anglaise, oui. Née àWindsor, au début de la secondeguerremondiale,d’unemèreécossaiseetd’unpèreanglais,filsdufameuxcomtedeBendern,aliasbarondeForest,qui,furibond,lerenialejouroùilcommitlafautedesemarieravecuneroturière.C’estdoncsurCaroline,sapréféréeparmisespetitsenfantsqu’ilmisapourperpétuersadynastieettransmettresafortune.Ilpritenchargesonéducation,l’inscrivitenpensiondanslescollègeslesplushuppésd’Angleterred’oùellesefitprestementrenvoyer.xiiMannequinreconnu,CdeB.acôtoyéAndyWarholetOtisReddingavantdetoutplaquer.AurevoirParis,Bonjour l’Afrique.LàBasellepartage laviedu jazzmanderenommée internationale,BarneyWillen.«Peut‐êtredevrais‐jeremerciermongrand‐père.Ilm’avaitôtétouteentrave.J’aifoncédanslejazz».Lesprisesdesonsemultiplientetlescapturesvidéoavec.QuelquesannéesplustardellerevientenEuropeàMonaco.Aujourd’hui,sonnouveaucompagnonestJacquesThollot,unbatteurluiaussireconnusurlascènedujazz.Al’aubedu40èmeanniversairedesévènementsde68,CdeB.veuttournerlapage.«C’estétranged’êtresanscesserenvoyéeàcetépisodedemavieoùuneimagemefigepourtoujours.Celafausselahiérarchieetl’ordredemamémoire,commesimajeunesse,mesrêves,mesélanstenaienttoutentierdansceclichélà.Maisilesttropétroitpourcontenirtoutça!ilditunevérité,iloublietouteslesautres.C’estmoiet cen’estpas toutmoi, justeune imagedemoipasmonmiroir…Unephotoprisequelquessecondesplustôtmemontraitjeune,rieuse,légère,insouciante.C’estl’autrequifutchoisie. Et je devins symbole»xii L’ancienne mannequin continue à construire après, notammentautourdelaréalisationdefilmsetdedocumentaires.Maispasfaciledesefaireunnomlorsquetoutlemondevouscantonneà l’imagede«Marianne68»Etpourtant, sontalentest indéniable.Pourpreuve, son film «à l’occasion de Melle issifou à Bilma» vient d’être sélectionné pour le 70èmeanniversairedelacinémathèquefrançaise.Sefaireunnomdanslemondedes«docus»estdevenusonnouveaudéfi.

Page 71: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

71

Annexe:Lequestionnaired’enquête

Enquête«LesfillesdemaisontGrand‐mèreGuided’entretienaveclagrand‐mèreN°____

Nomdel’enquêteur:Entretienréaliséà:Date Commune Département

Bonjour,Dans le cadre de la fête des grands‐mères 2008, nous réalisons une enquête sociologique sur lethème«Lesfillesdemaisontgrands‐mères».Cequestionnairevousprendravingtminutes.Bienqueenregistré, il est confidentieletanonyme. Lesbandesne serontpas conservéeset votrenomserachangélorsdelatranscription,saufaviscontraireetécritdevotrepart.1°)Questionnairepréliminaire:Age:Ageàlanaissancedupremierenfant:Ageàlanaissancedupremierpetit‐enfant:Situationdefamille:

Vitseule Encouple Veuve Divorcée

Typed’habitat(maison,appartement…):Locataire PropriétaireSite:

Centreville Périphérie Campagne

Voiture:oui non

Page 72: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

72

Profession:

Retraitée(indiquerprofessionantérieure):CadreSalariéInactif/chômageAufoyerAutre.Précisez:

Occupations:

Sport.Lequel?:VieAssociative.Laquelle?:Autre.Précisez:

Hobbys: Lecture

Télévision Autre.Précisez:

Communication:Possédez‐vousuntéléphoneportable? oui nonUnordinateur? oui nonEchangez‐vousdesmailsoudesSMSavecvospetitsenfants? oui nonCuisine:Faites‐vousdesplatspourvospetitsenfants? oui nonAquellesoccasions?Votrefilleouvotrebelle‐filleest‐ellecuisinière? oui nonSortezvoussouventdechez‐vouspourdesactivités,promenades… Aquellefréquence?Nombred’enfantsetdepetits‐enfants:Enfants Age Sexe Statutmarital Nombre

d’enfantsAge de l’aîné et du plusjeune

1

2

Page 73: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

73

3

4

Lieud’habitationdelagrand‐mère:Lieud’habitationdesenfants:Etdupremierpetit‐enfant:Distance:APied(entemps):Envoiture(entemps):Autre(entemps):Avez‐vousencorevosparents? oui nonQuelâgeont‐t‐ils?Etesvousprochesd’eux? oui nonLesaidez‐vous? oui nonSelonvous,quelleestl’affirmationdontvousvoussentezleplusproche?68 m’a offert la possibilité de « produire ma propre individualité» en réhabilitant l’initiativeindividuelle.68abrouillélesrepèresetaffaiblil’autoritéparentale.Anecdotes,divers:2°)Guided’entretien:Questionsàaborderlorsdel’entretien,suruntonneutre,sansinfluencerlesréponsesetenlaissants’exprimerlibrementlapersonnesanscraindredessilences,maisenrelançantdèsqu’ellehésitetroplonguementousetait.Touslespointsdoiventêtreabordés,cochezlespournepasenoublier.Parlez‐moidevousQuelâgeaviez‐vousen1968?Quefaisiez‐vous(étudiante,travailleuse,femmeaufoyer,etc..)Oùhabitiez‐vous?Quelssouvenirsspontanésvousviennentàl’esprit,concernantmai68?

Page 74: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

74

Quelsengagements?Qu’enretirez‐vous?Selonvous,qu’est‐cequecesévènementsontchangédansvotrevie?Est‐cequed’après‐vous,cequevousavezvécuen1968amarquévotrefaçond’êtremèreetgrand‐mère?(Relance)Etpourvosfillesetpetitesfilles?(Relance)Pourlecouple?Parlez‐moidevospetitsenfants:Voussentez‐vousproched’eux? Duqueloudesquelsvoussentez‐vousleplusproche?Pourquoi,qu’est‐cequivousfaitdireça?

Lesvoyez‐voussouvent?autantquevouslesouhaiteriez? Dequanddatevotredernièrerencontreavecl’und’entreeux?Quellesactivitésavez‐vousaveceuxouavez‐vouseupendantleurenfanceetjusqu’àmaintenant?

Quelsrôlespensez‐vousavoirentantquegrand‐mère?

Parlez‐vousbeaucoupetdetoutaveceux? Aviez‐vousimaginévotrerôlefuturdegrand‐mère? Commentressentez‐vouscenouveaurôledegrand‐mère?Sivousintervenezbeaucoupauprèsdevosenfantsdepuislanaissance:

Est‐ceàlademandedevosenfantsoudevotrepropreinitiative?Sentez‐vousquecelacorrespondàuneattentedeleurpart?Est‐cenaturelpourvousentantquegrand‐mère?

Enfindecompte,quelsrôlespensez‐vousquechacunattendmaintenantdel’autre(Votrerelationàvos enfants, votre relation future avec les petits‐enfants, leur attentes vis à vis de leurs grand‐mères…)?

Pensez‐vousquevotrecontributionaumomentde lanaissancedevospetits‐enfantscomptepourvotrerelationfutureaveceux?Est‐ceimportantd’intervenir?Pourquoi?

Lefaitdetravailler(sivoustravaillezencore)ouvosactivitésextérieuressont‐ilsunfreinàvotrerôledegrand‐mère?Ouaucontraireest‐cequecelavousaidedanscerôle?Pourquoi?

Page 75: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

75

Aidez‐vousvosenfantsdans leurchoix, leurdonnez‐vousdesconseils (pour l’alimentationdubébépar exemple, ou pour son habillement, sa garde, ses soins) ou avez‐vous uniquement un rôled’écoute?Pourquoi?Pensez‐vousavoiràl’avenirlamêmerelationetlemêmerôleavectousvospetits‐enfants?Sinon,pourquoi?Paslamêmedistance,paslemêmesexe,différenceentrelepremierpetitenfantet les autres, pas lamême filiation (enfants de votre fils, de votre fille), pas lamême relation dedépartdurantl’enfance?

Etreune«jeunegrand‐mère»voussemble‐t‐ildifficile?Pourquoi?Est‐ce que vous trouvez que c’est différent? plus facile ou plus dur pour les grands‐mères plusâgées?Pourquoi?Plusgénéralement:Avez‐vousl’impressionderevivrelanaissancedevospropresenfantsouest‐cedifférent?Larelationquevouspensezentretenirmaintenantavecvospetits‐enfantssera‐t‐elle lamêmequecellevousaviezavecvospropresgrands‐mères?

Pensez‐vous que les transformations et les nouvelles configurations familiales (famillesmonoparentales,parentsdivorcés…)ontchangécerôle?Sioui,comment?‐Sivotrepremierpetitenfantamoinsde1ans:Quelssontleschangementsintervenusdansvotreemploidutemps?Est‐ceplusoumoinsimportantquecequevousaviezimaginé?‐Sivotrepremierpetitenfantaentre1anet5ans:Quepensez‐vousluiavoirdéjàapporté?Pourl’éveil,etc.‐Sivotrepetitenfantade5à10ans?Quellecomplicitéavez‐vousavecvotrepetit‐fils/fille?Enfindecompte,commentpourriez‐vousdéfinir leschangementsquecettenaissanceaprovoquédansvotreproprevieetparrapportàl’imagequevousvousfaitesdevous?Cettenaissancevousa‐t‐ellerendueheureuse?Commentcomptez‐vousvousrendreutileàl’avenir?Quesouhaitez‐vousàvotrepetitenfantpoursaviefuture?Commentvoyez‐vousvotrerôle?Pouvez‐vousnousciteruneanecdotevécuedevosdébutsdegrand‐mère?

Page 76: Ces filles de Mai 68 Qui sont grands‐mères aujourd’huiicalendrier.fr/media/fetes/fete-des-grands-meres/filles-mai-68... · Les filles de mai 68 se révèlent être des grands‐mères

76

Fichetechniquedel’enquête

Enquêteexclusiveréaliséepourlecomptedel’association«FêtedesGrands‐Mères»Enquêtequalitative.Echantillonde30femmesayantvécumai1968

constituédeprocheenproche.

Terrainréaliséendécembre2007etjanvier2008,complétéparuntravaildocumentaire

Directeurd’étude:EricDonfu,sociologue,

assistédeLéaPanigeletMartialMezzani,sociologuesenquêteursetdeSandrineAvenel,assistantedocumentaliste

Paris,mars2008