Cayenne (planche 34) - Institut de recherche pour le...

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ATLAS DES D.O.M. LA GUYANE Planche 34 Lorsque les Européens s'implantèrent en Guyane, dans la première moitié du XVII• siècle, le site particu- lier de Cayenne (le seul promontoire rocheux notable entre l'Amazone et !'Orénoque) s'imposa dès l'abord pour l'établissement de la nouvelle colonie. C'est à partir de la petite colline du Cépérou (4°56'16" N - 52°20'20" W), située sur la rive droite à l'embouchure de la Rivière de Cayenne, que la ville s'est développée sur le littoral Nord de l'//e de Cayenne, en arrière d'une série de pointes rocheuses séparées par de petites anses sableuses, mouillages commodes pour les navires. Le nom lui-même et son orthographe ancienne évoquent l'acte symbolique de relâche qui consistait à « débarquer la caïenne », c'est-à-dire à installer la cuisine à terre, pour faire meilleure pitance. Entre les pointements rocheux, la topographie est celle de terrasses relativement planes et localement cuirassées, tandis que vers l'Est, les pointes rocheuses font place à de véritables collines, comme le Montabo, qualifiées de ce fait de« montagnes ». Un tel site connaît, comme souvent en Guyane, un problème de drai- nage : la faible altitude du terrain entre les collines et l'importance du marnage (2 à 3 m) s'ajoutent aux abon- dantes précipitations pour rendre l'écoulement des eaux pluviales très difficile, d'autant plus que l'urbanisation augmente le ruissellement au fur et à mesure de son extension, puisque les bas-fonds qui collectaient une par- tie des eaux de pluie sont progressivement remblayés. Cependant, les avantages du site expliquent que Cayenne ait regroupé, dès les débuts de la colonisation, la plus grande partie des activités et de la population de la Guyane. Cette tradition s'est maintenue à travers les aléas de l'histoire, malgré les épisodes de dispersion tels que l'installation du bagne à St-Laurent du Maroni, les ruées vers l'or de l'intérieur, ou plus récemment, l'ouverture du Centre Spatial Guyanais à Kourou. A l'heure actuelle, Cayenne constitue un cas limite de macrocéphalie urbaine en pays tropical chaud et humide, puisque la ville concentre les 2/3 de la population et les 3/4 des activités du pays. Cette étonnante prédominance démographique et économique, qui va en s'accélérant depuis la départementalisation (1946), ne s'explique que par le rôle essentiel que jouent les activités tertiaires, notamment le secteur public. En fait, Cayenne n'a toujours pas d'économie réelle, elle gère un pays vide et· pourtant cette ville connaît depuis une dizaine d'années une mutation accélérée. 1 - LES PAYSAGES URBAINS La structure urbaine de Cayenne présente trois types de quartiers. Autour d'un noyau central, il s'est constitué une couronne de quartiers périphériques essentiellement résidentiels et au delà, une banlieue récente, quoiqu'encore très imbriquée dans le milieu rural, de sorte que la répartition spatiale des activités, ainsi que l'habitat des différentes catégories sociales, sont assez disparates et flous ; tout au plus peut-on dis- tinguer des tendances. A - Le centre-ville Comme dans la plupart des villes coloniales, le centre-ville s'est développé à l'intérieur d'un plan en damier, datant de la première moitié du XIX• siècle. Il s'articule autour de deux rues orthogonales, les rues Général de Gaulle et François Arago, et concentre la quasi totalité des activités commerciales et de services ; cependant il reste très résidentiel, même si une évolution dans les fonctions est en cours. 1 - Le quartier commercial et administratif Il est situé à l'Ouest de la rue François Arago, de part et d'autre de la rue Général de Gaulle qui en consti- tue l'axe. Les administrations sont localisées dans la partie Nord-Ouest en s'ordonnant sur l'ensemble Place des Palmistes - Place de Grenoble. Autour de la Préfecture et de la Mairie, se regroupent la plupart des admi- nistrations de l'Etat et du Département : Conseil Général, Chambre de Commerce, Electricité de France, Tré- sor Public, Contributions Directes, Douanes, Commissariat de Police, Palais de Justice ... Certaines sont logées dans des bâtiments neufs et fonctionnels, telles la Préfecture ou les Douanes, mais d'autres le sont dans des locaux petits et vétustes et, faute d'extension possible sur place, certains services ont dû émigrer à la périphérie de la ville (Vice-Rectorat, Services du Téléphone, Colis Postaux, Office National des Forêts). Les activités commerciales se trouvent surtout au Sud de la rue Général de Gaulle. On peut distinguer deux pôles : près de la zone portuaire, se sont concentrés le commerce de gros et les marchés (marché aux légumes et aux viandes, marché aux poissons) ; parallèlement, s'est développé au même endroit un commerce de détail (surtout la petite quincaillerie et les matériaux de construction), dans la mesure où les importateurs sont également détaillants. Le second pôle, se rassemble exclusivement le commerce de détail (habille- ment, électroménager, produits de luxe, etc ... ), est situé plus à le long de trois rues : Lieutenant Becker, Christophe Colomb, et surtout Général de Gaulle qui est la rue la plus commerçante de la ville, bien que l'on assiste actuellement à une certaine dispersion du commerce de détail sur l'ensemble du quartier. 2 - Les quartiers résidentiels Le centre-ville assume encore une part de fonction résidentielle, en particulier dans le secteur Est qui ne comporte que quelques épiceries tenues par des « Chinois » (souvent aux angles des rues). Pendant long- temps, l'habitat y a gardé en grande partie son aspect traditionnel (maisons en bois, avec remplissage de bri- ques), mais la structure est rarement visible car les murs sont le plus souvent crépis. Les maisons sont à un ou deux étages, mais celles à rez-de-chaussée ne sont pas rares. La plupart ont des toits de tôle ondulée, très inclinés et qui débordent largement. La façade offre des balustrades ouvragées, en bois ou en métal ; quelque- fois portes et fenêtres sont ornées d'un même motif décoratif, en forme de demi-soleil. Cependant, depuis plusieurs années, l'aspect du centre devient hétéroclite : des immeubles voisinent avec les maisons traditionnelles. Celles-ci, quand elles ne sont pas entièrement reconstruites. sont souvent transformées pour abriter des établissements commerciaux, avec au rez-de-chaussée, de grandes vitrines. Il est dommage que la modernisation de l'habitat dans le centre-ville ne tienne pas davantage compte du style traditionnel car Cayenne compte peu de monuments architecturaux en dehors du Palais des Jésuites qui date du XVIII• siècle et abritait la Préfecture jusqu'à une date récente. B - Les quartiers périphériques Dès la fin du XIX• siècle, Cayenne avait débordé l'actuel noyau central en suivant le même plan quadrillé, d'abord vers l'Est, au-delà du Boulevard Jubelin, puis au Sud du Canal Laussat. Cette évolution s'est poursui- vie au XX• siècle, en prenant de nouvelles formes après 1945. L'essor démographique a entraîné depuis quinze ans une poussée urbaine vers le Sud-Ouest, créant ainsi un troisième type de quartier autour du noyau central, surtout résidentiel, avec néanmoins quelques activités artisanales. 1 - Les quartiers de l'Est Situés au-delà du Boulevard Jubelin, ils regroupent deux secteurs bien distincts : - l'un, jouxtant le centre-ville, présente des affinités avec ce dernier : urbanisation relativement ancienne, plan orthogonal, existence de maisons de type traditionnel. Cependant, l'aspect est plus modeste (caractère renforcé par l'aspect négligé des voies) et surtout plus hétérogène (maisons anciennes, immeubles en dur et baraques s'y mêlent intimement). En outre, la partie Nord et surtout la partie Sud de ce quartier sont occupées par des services publics à assiette importante : Collège d'Enseignement Technique, Institut Pasteur, Gendarmerie vers le bord de mer, Cimetière, Stade scolaire, Hôpital St-Denis, parc municipal de voirie vers le Canal Laussat. Ainsi, la partie effectivement habitée se réduit à une bande intermédiaire. Enfin, ce quartier a accueilli de nombreuses activités artisanales : mécanique, ferronnerie, ébénisterie ; - plus à l'Est, se trouve un quartier d'habitat aisé mais sous des formes très diverses. En bordure de mer, on distingue un certain nombre de villas anciennes de type colonial, plus ou moins restaurées, puis, vers l'inté- rieur, des immeubles collectifs privés (Petit Châtelet) ou construits par la Société Immobilière de Guyane (SIGUY), comme« Les Alizés n ou la« Cité Rebard »au milieu d'espaces verts importants; ils sont occupés surtout par des fonctionnaires. Enfin, plus récemment, l'espace compris entre l'Avenuue Gustave Charlery et le Canal Laussat a été loti et comporte maintenant des villas modernes. 2 - Les quartiers Sud Les quartiers au Sud du Canal Laussat - familièrement appelés « La Crique » - sont encore plus modes- tes. Ils ont été gagnés sur des marécages et certaines parties sont régulièrement inondées à la saison des pluies ou lors de fortes marées. On y distingue en fait 3 secteurs : la zone en bordure du Canal Laussat est la plus anciennement urbanisée ; elle s'est établie entre les digues construites à la fin du XIX• siècle et au début du XX• siècle. Les maisons sont en général en dur mais l'aspect d'ensemble souffre de ce que les terrains vagues non assainis sont nombreux à l'intérieur des îlots construits ; une partie de ce quartier a fait l'objet d'un programme de rénovation et constitue un secteur à part qui comporte plus de 300 logements, soit en collectifs soit en bandes de villas. Réalisé dans le cadre de la lutte anti-bidonville, ce quartier dit de« rénovation urbaine » était destiné à reloger les habitants du secteur Ouest, le plus insalubre ; - celui-ci appelé (improprement d'ailleurs) « Village Chinois » est une sorte de bidonville situé dans le Sud-Ouest de la ville sur un terrain instable et inondable par la marée. Limité traditionnellement à l'Ouest et au Sud par le Canal Leblond, ce quartier se développe depuis quelques années au delà, aux dépens de la man- grove. Ce sont les immigrants indochinois qui, vers 1925, créèrent à cet endroit une sorte de cité lacustre, pour s'adonner à la pêche. Depuis, ils se sont installés ailleurs ou sont retournés chez eux, laissant la place libre à une population créole ou immigrée qui, ne pouvant se loger aux tarifs de la ville, a occupé les lieux et agrandi le village jusqu'à ses limites actuelles. Un millier d'habitants y logent dans des constructions généralement en bois, pour la plupart sur pilotis, surtout dans la partie contiguë à la mangrove ; il n'est pas rare, à haute mer, que l'eau atteigne les planchers. C'est avant tout un quartier de pêcheurs : les deux voies d'eau qui le longent permettent un accès facile à la mer, et le marché aux poissons est tout près. Ce« Village Chinois n est le siège d'un important commerce illicite (alcools, jeu, prostitution ... ) 3 - Les quartiers du Sud-Est Zone du plus récent développement urbain, elle est déjà très peuplée et, surtout, elle présente des contrastes saisissants : à côté de secteurs très modernes, avec une urbanisation plus ou moins réussie, on trouve la les plus grands îlots d'habitat pauvre. Cet ensemble est nettement cerné par la route de la Madeleine, la nouvelle route vers le Pont Jubelin, le Boulevard de la République et la boucle du Canal Laussat; mais vers le Sud, la limite est imprécise, car les constructions urbaines se diluent dans le paysage rural ; aussi l'avons - nous fixée le long de I'Allée Lavallière, qui rejoint la route de la Madeleine, en englobant la cité Césaire. Les zones d'habitat spontané se sont développées au fur et à mesure que les migrants pauvres arrivaient de communes rurales ou de l'extérieur (Haïti et Ste-Lucie notamment) ; leurs moyens financiers limités les inci- tent à s'installer sur des terrains libres en apparence, mais appropriés en fait. Le plan général de ces quartiers (appelés ici« cités »)présente une grande diversité : certains sont bien ordonnés autour d'un axe principal, comme la cité Thémire ; d'autres ont des plans qui défient toute systéma- tisation (cité Anatole, cité Brutus) ; d'autres enfin, comme la cité N'Zilla, n'ont même pas de voies et offrent un entassement anarchique de cases. L'habitat, assez hétéroclite, présente un mélange de baraques, de mai- sons en bois et de constructions en dur ; ces dernières généralement au rez-de-chaussée sont beaucoup plus nombreuses qu'au "Village Chinois". On compte une vingtaine de petits commerces tenus par quelques Chinois et surtout des originaires de Ste-Lucie. Certains endroits sont localement animés le soir. CAYENNE La voirie y est généralement absente. Les rues, pourtant larges dans certains cas, sont le plus souvent non revêtues ; ce ne sont que des pistes en latérite, poussiéreuses pendant la saison sèche, boueuses par temps de pluie, car il n'existe aucun système de drainage organisé. Beaucoup de ces quartiers ne sont pas rac- cordés au réseau d'électricité, ni surtout au réseau d'adduction d'eau potable. Un gros effort a cependant été accompli par la municipalité (cité Thémire notamment). Pour faire face aux implantations anarchiques et à la crise du logement, le grand ensemble de Mirza a été réalisé par étapes (de 1963 à 1976). par deux sociétés immobilières : la SIGUY (anciennement SIMAGJ et la société HLM de Guyane. On compte au total plus de 600 logements, comprenant à la fois des villas individuel- les, des collectifs de 3 ou 4 étages, et 2 tours à 8 étages. La voie principale de ce quartier est orientée Ouest - Est, mais l'ensemble de Mirza reste enclavé et tourne le dos au centre, car cette voie ne débouche commodé- ment ni sur les autres quartiers, ni sur le centre-ville pourtant tout proche. On y trouve quelques services (éco- les, bureau de poste ... ) mais les commerces y sont peu nombreux. Au total, Mirza manque d'animation, spé- cialement des équipements de loisirs souhaitables pour un quartier résidentiel. C - Les banlieues La pression urbaine récente pousse la ville à s'étendre sur l'ensemble du territoire communal. De deux tendances particulièrement nettes résultent deux types distincts de banlieue. 1 - Les banlieues pauvres et semi-rurales du Sud et du Sud-Est Entre la route de Baduel et la route de la Madeleine, l'extension urbaine se poursuit en prolongeant le quartier Sud-Est par un habitat spontané encore plus dilué, étant donné que les activités agricoles y jouent un rôle important. Ce type de banlieue, en grande partie développé sur des parcelles louées, est totalement anar- chique ; en fait de voirie, il n'y a qu'un lacis de pistes entre Baduel et la Madeleine. Les constructions en bois sont nombreuses, sans pour autant dominer nettement. Il n'y a pas toujours le confort, mais les maisons sont moins serrées que dans les secteurs pauvres du quartier Sud-Est et ont un aspect plus avenant. 2 - La banlieue multisociale de l'Est Le développement résidentiel vers l'Est et les plages (route de Montabo) semble plus diversifié tant du point de vue social que de l'habitat. De caractère multisocial, mais avec des îlots d'habitat aisé, il multiplie les formes d'urbanisation : quartiers de villas individuelles, lotissements privés aisés, cités nouvelles à résidents plus variés comme les cités « Zéphir » (plus de 300 logements), « Coulée d'Or », ou « Chatenay Robin ». Outre sa fonction résidentielle, cette banlieue ravitaille en partie la ville en produits maraîchers et avicoles. Au total, les banlieues de Cayenne se développent à un rythme de plus en plus rapide et hébergent déjà 40 o/o de la population de l'agglomération. Cette proportion continuera d'augmenter ; aux Pouvoirs Publics de mieux contrôler cette poussée urbaine, ne serait-ce que par le biais d'équipements ! D'ailleurs, ces banlieues ne représentent qu'une partie de l'essor de l'urbanisation de Cayenne. En effet, des banlieues plus lointaines se forment et s'amplifient à partir des bourgs ruraux de l'ile de Cayenne. Il - LE DEVELOPPEMENT URBAIN A - L'Héritage historique La date de fondation de Cayenne (1635 ou 1643) est controversée et varie selon les documents. Au début, la ville ne comptait que quelques maisons groupées sur la colline de Cépérou, dominée par son fort. C'est seulement en 1664, avec l'arrivée de l'expédition du Chevalier de la Barre qu'elle prit un aspect urbain avec quelques centaines d'habitants. Bien que fortifiée dès 1690, la ville dut subir pendant tout le XVIII• siècle les aléas de la politique internationale et des compétitions entre les puissances coloniales européennes. C'est ainsi que la Guyane fut occupée par les Portugais de 1809 à 1817. Pendant toute cette période, Cayenne n'a fait que vivoter et la population a stagné, si bien qu'au début du XIX• siècle, elle n'était toujours qu'une petite ville de 2 000 à 3 000 habitants, blottie au pied du Cépérou. Après l'intermède portugais, la ville fortifiée fit place à la ville de type colonial dont le plan à maille ortho- gonale, choisi par le Gouverneur Laussat, sera progressivement réalisé tout au long du XIX• siècle. Par ailleurs, pour assainir la ville, le Gouverneur fit achever le Canal Sartines, commencé à la fin du XVIII• siècle sous l'intendant Malouet (il fut désormais appelé« Canal Laussat »). Dans le deuxième quart du XIX• siècle, la ville a connu une certaine prospérité liée au développement de l'économie agricole du pays depuis 1820; Cayenne devenait ainsi un port exportateur de denrées agricoles (sucre, maïs, épices, roucou et coton). De sorte que, dans la première moitié du XIX• siècle, la ville s'est développée comme l'attestent les statistiques de l'époque : 3 764 habitants en 1820, 5 220 en 1836, 6 347 en 1840. Un jardin botanique fut créé ; la construction d'une nouvelle cathédrale fut achevée en 1833 et quatre ans plus tard, celle du Palais de Justice. C'est aussi, en 1837, que furent plantés les Palmiers royaux de la Place de !'Esplanade, désormais« Place des Palmistes ». Parallèle- ment, l'équipement de la ville faisait des progrès : éclairage des rues en 1854, alimentation en eau potable en 1867. Mais dès la deuxième moitié du XIX• siècle, des événements allaient désorganiser la vie économique (abolition de l'esclavage, installation du bagne, découverte de l'or) et la Guyane ne devait plus retrouver cette prospérité. En effet, jusqu'en 1948, la ville de Cayenne allait connaître une très longue stagnation démographi- que, passant de 6 000 habitants en 1850 à 10 000 habitants environ en 1948, soit un accroissement inférieur à 1 % par an (supérieur toutefois à celui de l'ensemble de la colonie). 1

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ATLAS DES D.O.M. LA GUYANE Planche 34

Lorsque les Européens s'implantèrent en Guyane, dans la première moitié du XVII• siècle, le site particu­lier de Cayenne (le seul promontoire rocheux notable entre l'Amazone et !'Orénoque) s'imposa dès l'abord pour l'établissement de la nouvelle colonie. C'est à partir de la petite colline du Cépérou (4°56'16" N -52°20'20" W), située sur la rive droite à l'embouchure de la Rivière de Cayenne, que la ville s'est développée sur le littoral Nord de l'//e de Cayenne, en arrière d'une série de pointes rocheuses séparées par de petites anses sableuses, mouillages commodes pour les navires. Le nom lui-même et son orthographe ancienne évoquent l'acte symbolique de relâche qui consistait à « débarquer la caïenne », c'est-à-dire à installer la cuisine à terre, pour faire meilleure pitance.

Entre les pointements rocheux, la topographie est celle de terrasses relativement planes et localement cuirassées, tandis que vers l'Est, les pointes rocheuses font place à de véritables collines, comme le Montabo, qualifiées de ce fait de« montagnes ». Un tel site connaît, comme souvent en Guyane, un problème de drai­nage : la faible altitude du terrain entre les collines et l'importance du marnage (2 à 3 m) s'ajoutent aux abon­dantes précipitations pour rendre l'écoulement des eaux pluviales très difficile, d'autant plus que l'urbanisation augmente le ruissellement au fur et à mesure de son extension, puisque les bas-fonds qui collectaient une par­tie des eaux de pluie sont progressivement remblayés.

Cependant, les avantages du site expliquent que Cayenne ait regroupé, dès les débuts de la colonisation, la plus grande partie des activités et de la population de la Guyane. Cette tradition s'est maintenue à travers les aléas de l'histoire, malgré les épisodes de dispersion tels que l'installation du bagne à St-Laurent du Maroni, les ruées vers l'or de l'intérieur, ou plus récemment, l'ouverture du Centre Spatial Guyanais à Kourou. A l'heure actuelle, Cayenne constitue un cas limite de macrocéphalie urbaine en pays tropical chaud et humide, puisque la ville concentre les 2/3 de la population et les 3/4 des activités du pays. Cette étonnante prédominance démographique et économique, qui va en s'accélérant depuis la départementalisation (1946), ne s'explique que par le rôle essentiel que jouent les activités tertiaires, notamment le secteur public. En fait, Cayenne n'a toujours pas d'économie réelle, elle gère un pays vide et· pourtant cette ville connaît depuis une dizaine d'années une mutation accélérée.

1 - LES PAYSAGES URBAINS

La structure urbaine de Cayenne présente trois types de quartiers. Autour d'un noyau central, il s'est constitué une couronne de quartiers périphériques essentiellement résidentiels et au delà, une banlieue récente, quoiqu'encore très imbriquée dans le milieu rural, de sorte que la répartition spatiale des activités, ainsi que l'habitat des différentes catégories sociales, sont assez disparates et flous ; tout au plus peut-on dis­tinguer des tendances.

A - Le centre-ville

Comme dans la plupart des villes coloniales, le centre-ville s'est développé à l'intérieur d'un plan en damier, datant de la première moitié du XIX• siècle. Il s'articule autour de deux rues orthogonales, les rues Général de Gaulle et François Arago, et concentre la quasi totalité des activités commerciales et de services ; cependant il reste très résidentiel, même si une évolution dans les fonctions est en cours.

1 - Le quartier commercial et administratif

Il est situé à l'Ouest de la rue François Arago, de part et d'autre de la rue Général de Gaulle qui en consti­tue l'axe. Les administrations sont localisées dans la partie Nord-Ouest en s'ordonnant sur l'ensemble Place des Palmistes - Place de Grenoble. Autour de la Préfecture et de la Mairie, se regroupent la plupart des admi­nistrations de l'Etat et du Département : Conseil Général, Chambre de Commerce, Electricité de France, Tré­sor Public, Contributions Directes, Douanes, Commissariat de Police, Palais de Justice ... Certaines sont logées dans des bâtiments neufs et fonctionnels, telles la Préfecture ou les Douanes, mais d'autres le sont dans des locaux petits et vétustes et, faute d'extension possible sur place, certains services ont dû émigrer à la périphérie de la ville (Vice-Rectorat, Services du Téléphone, Colis Postaux, Office National des Forêts).

Les activités commerciales se trouvent surtout au Sud de la rue Général de Gaulle. On peut distinguer deux pôles : près de la zone portuaire, se sont concentrés le commerce de gros et les marchés (marché aux légumes et aux viandes, marché aux poissons) ; parallèlement, s'est développé au même endroit un commerce de détail (surtout la petite quincaillerie et les matériaux de construction), dans la mesure où les importateurs sont également détaillants. Le second pôle, où se rassemble exclusivement le commerce de détail (habille­ment, électroménager, produits de luxe, etc ... ), est situé plus à l'E~t. le long de trois rues : Lieutenant Becker, Christophe Colomb, et surtout Général de Gaulle qui est la rue la plus commerçante de la ville, bien que l'on assiste actuellement à une certaine dispersion du commerce de détail sur l'ensemble du quartier.

2 - Les quartiers résidentiels

Le centre-ville assume encore une part de fonction résidentielle, en particulier dans le secteur Est qui ne comporte que quelques épiceries tenues par des « Chinois » (souvent aux angles des rues). Pendant long­temps, l'habitat y a gardé en grande partie son aspect traditionnel (maisons en bois, avec remplissage de bri­ques), mais la structure est rarement visible car les murs sont le plus souvent crépis. Les maisons sont à un ou deux étages, mais celles à rez-de-chaussée ne sont pas rares. La plupart ont des toits de tôle ondulée, très inclinés et qui débordent largement. La façade offre des balustrades ouvragées, en bois ou en métal ; quelque­fois portes et fenêtres sont ornées d'un même motif décoratif, en forme de demi-soleil.

Cependant, depuis plusieurs années, l'aspect du centre devient hétéroclite : des immeubles voisinent avec les maisons traditionnelles. Celles-ci, quand elles ne sont pas entièrement reconstruites. sont souvent

transformées pour abriter des établissements commerciaux, avec au rez-de-chaussée, de grandes vitrines. Il est dommage que la modernisation de l'habitat dans le centre-ville ne tienne pas davantage compte du style traditionnel car Cayenne compte peu de monuments architecturaux en dehors du Palais des Jésuites qui date du XVIII• siècle et abritait la Préfecture jusqu'à une date récente.

B - Les quartiers périphériques

Dès la fin du XIX• siècle, Cayenne avait débordé l'actuel noyau central en suivant le même plan quadrillé, d'abord vers l'Est, au-delà du Boulevard Jubelin, puis au Sud du Canal Laussat. Cette évolution s'est poursui­vie au XX• siècle, en prenant de nouvelles formes après 1945. L'essor démographique a entraîné depuis quinze ans une poussée urbaine vers le Sud-Ouest, créant ainsi un troisième type de quartier autour du noyau central, surtout résidentiel, avec néanmoins quelques activités artisanales.

1 - Les quartiers de l'Est

Situés au-delà du Boulevard Jubelin, ils regroupent deux secteurs bien distincts :

- l'un, jouxtant le centre-ville, présente des affinités avec ce dernier : urbanisation relativement ancienne, plan orthogonal, existence de maisons de type traditionnel. Cependant, l'aspect est plus modeste (caractère renforcé par l'aspect négligé des voies) et surtout plus hétérogène (maisons anciennes, immeubles en dur et baraques s'y mêlent intimement). En outre, la partie Nord et surtout la partie Sud de ce quartier sont occupées par des services publics à assiette importante : Collège d'Enseignement Technique, Institut Pasteur, Gendarmerie vers le bord de mer, Cimetière, Stade scolaire, Hôpital St-Denis, parc municipal de voirie vers le Canal Laussat. Ainsi, la partie effectivement habitée se réduit à une bande intermédiaire. Enfin, ce quartier a accueilli de nombreuses activités artisanales : mécanique, ferronnerie, ébénisterie ;

- plus à l'Est, se trouve un quartier d'habitat aisé mais sous des formes très diverses. En bordure de mer, on distingue un certain nombre de villas anciennes de type colonial, plus ou moins restaurées, puis, vers l'inté­rieur, des immeubles collectifs privés (Petit Châtelet) ou construits par la Société Immobilière de Guyane (SIGUY), comme« Les Alizés n ou la« Cité Rebard »au milieu d'espaces verts importants; ils sont occupés surtout par des fonctionnaires. Enfin, plus récemment, l'espace compris entre l'Avenuue Gustave Charlery et le Canal Laussat a été loti et comporte maintenant des villas modernes.

2 - Les quartiers Sud

Les quartiers au Sud du Canal Laussat - familièrement appelés « La Crique » - sont encore plus modes­tes. Ils ont été gagnés sur des marécages et certaines parties sont régulièrement inondées à la saison des pluies ou lors de fortes marées. On y distingue en fait 3 secteurs :

la zone en bordure du Canal Laussat est la plus anciennement urbanisée ; elle s'est établie entre les digues construites à la fin du XIX• siècle et au début du XX• siècle. Les maisons sont en général en dur mais l'aspect d'ensemble souffre de ce que les terrains vagues non assainis sont nombreux à l'intérieur des îlots construits ;

une partie de ce quartier a fait l'objet d'un programme de rénovation et constitue un secteur à part qui comporte plus de 300 logements, soit en collectifs soit en bandes de villas. Réalisé dans le cadre de la lutte anti-bidonville, ce quartier dit de« rénovation urbaine » était destiné à reloger les habitants du secteur Ouest, le plus insalubre ;

- celui-ci appelé (improprement d'ailleurs) « Village Chinois » est une sorte de bidonville situé dans le Sud-Ouest de la ville sur un terrain instable et inondable par la marée. Limité traditionnellement à l'Ouest et au Sud par le Canal Leblond, ce quartier se développe depuis quelques années au delà, aux dépens de la man­grove. Ce sont les immigrants indochinois qui, vers 1925, créèrent à cet endroit une sorte de cité lacustre, pour s'adonner à la pêche. Depuis, ils se sont installés ailleurs ou sont retournés chez eux, laissant la place libre à une population créole ou immigrée qui, ne pouvant se loger aux tarifs de la ville, a occupé les lieux et agrandi le village jusqu'à ses limites actuelles.

Un millier d'habitants y logent dans des constructions généralement en bois, pour la plupart sur pilotis, surtout dans la partie contiguë à la mangrove ; il n'est pas rare, à haute mer, que l'eau atteigne les planchers. C'est avant tout un quartier de pêcheurs : les deux voies d'eau qui le longent permettent un accès facile à la mer, et le marché aux poissons est tout près. Ce« Village Chinois n est le siège d'un important commerce illicite (alcools, jeu, prostitution ... )

3 - Les quartiers du Sud-Est

Zone du plus récent développement urbain, elle est déjà très peuplée et, surtout, elle présente des contrastes saisissants : à côté de secteurs très modernes, avec une urbanisation plus ou moins réussie, on trouve la les plus grands îlots d'habitat pauvre. Cet ensemble est nettement cerné par la route de la Madeleine, la nouvelle route vers le Pont Jubelin, le Boulevard de la République et la boucle du Canal Laussat; mais vers le Sud, la limite est imprécise, car les constructions urbaines se diluent dans le paysage rural ; aussi l'avons -nous fixée le long de I' Allée Lavallière, qui rejoint la route de la Madeleine, en englobant la cité Césaire.

Les zones d'habitat spontané se sont développées au fur et à mesure que les migrants pauvres arrivaient de communes rurales ou de l'extérieur (Haïti et Ste-Lucie notamment) ; leurs moyens financiers limités les inci­tent à s'installer sur des terrains libres en apparence, mais appropriés en fait.

Le plan général de ces quartiers (appelés ici« cités »)présente une grande diversité : certains sont bien ordonnés autour d'un axe principal, comme la cité Thémire ; d'autres ont des plans qui défient toute systéma­tisation (cité Anatole, cité Brutus) ; d'autres enfin, comme la cité N'Zilla, n'ont même pas de voies et offrent un entassement anarchique de cases. L'habitat, assez hétéroclite, présente un mélange de baraques, de mai­sons en bois et de constructions en dur ; ces dernières généralement au rez-de-chaussée sont beaucoup plus nombreuses qu'au "Village Chinois". On compte une vingtaine de petits commerces tenus par quelques Chinois et surtout des originaires de Ste-Lucie. Certains endroits sont localement animés le soir.

CAYENNE

La voirie y est généralement absente. Les rues, pourtant larges dans certains cas, sont le plus souvent non revêtues ; ce ne sont que des pistes en latérite, poussiéreuses pendant la saison sèche, boueuses par temps de pluie, car il n'existe aucun système de drainage organisé. Beaucoup de ces quartiers ne sont pas rac­cordés au réseau d'électricité, ni surtout au réseau d'adduction d'eau potable. Un gros effort a cependant été accompli par la municipalité (cité Thémire notamment).

Pour faire face aux implantations anarchiques et à la crise du logement, le grand ensemble de Mirza a été réalisé par étapes (de 1963 à 1976). par deux sociétés immobilières : la SIGUY (anciennement SIMAGJ et la société HLM de Guyane. On compte au total plus de 600 logements, comprenant à la fois des villas individuel­les, des collectifs de 3 ou 4 étages, et 2 tours à 8 étages. La voie principale de ce quartier est orientée Ouest -Est, mais l'ensemble de Mirza reste enclavé et tourne le dos au centre, car cette voie ne débouche commodé­ment ni sur les autres quartiers, ni sur le centre-ville pourtant tout proche. On y trouve quelques services (éco­les, bureau de poste ... ) mais les commerces y sont peu nombreux. Au total, Mirza manque d'animation, spé­cialement des équipements de loisirs souhaitables pour un quartier résidentiel.

C - Les banlieues

La pression urbaine récente pousse la ville à s'étendre sur l'ensemble du territoire communal. De deux tendances particulièrement nettes résultent deux types distincts de banlieue.

1 - Les banlieues pauvres et semi-rurales du Sud et du Sud-Est

Entre la route de Baduel et la route de la Madeleine, l'extension urbaine se poursuit en prolongeant le quartier Sud-Est par un habitat spontané encore plus dilué, étant donné que les activités agricoles y jouent un rôle important. Ce type de banlieue, en grande partie développé sur des parcelles louées, est totalement anar­chique ; en fait de voirie, il n'y a qu'un lacis de pistes entre Baduel et la Madeleine. Les constructions en bois sont nombreuses, sans pour autant dominer nettement. Il n'y a pas toujours le confort, mais les maisons sont moins serrées que dans les secteurs pauvres du quartier Sud-Est et ont un aspect plus avenant.

2 - La banlieue multisociale de l'Est

Le développement résidentiel vers l'Est et les plages (route de Montabo) semble plus diversifié tant du point de vue social que de l'habitat. De caractère multisocial, mais avec des îlots d'habitat aisé, il multiplie les formes d'urbanisation : quartiers de villas individuelles, lotissements privés aisés, cités nouvelles à résidents plus variés comme les cités « Zéphir » (plus de 300 logements), « Coulée d'Or », ou « Chatenay Robin ». Outre sa fonction résidentielle, cette banlieue ravitaille en partie la ville en produits maraîchers et avicoles.

Au total, les banlieues de Cayenne se développent à un rythme de plus en plus rapide et hébergent déjà 40 o/o de la population de l'agglomération. Cette proportion continuera d'augmenter ; aux Pouvoirs Publics de mieux contrôler cette poussée urbaine, ne serait-ce que par le biais d'équipements ! D'ailleurs, ces banlieues ne représentent qu'une partie de l'essor de l'urbanisation de Cayenne. En effet, des banlieues plus lointaines se forment et s'amplifient à partir des bourgs ruraux de l'ile de Cayenne.

Il - LE DEVELOPPEMENT URBAIN

A - L'Héritage historique

La date de fondation de Cayenne (1635 ou 1643) est controversée et varie selon les documents. Au début, la ville ne comptait que quelques maisons groupées sur la colline de Cépérou, dominée par son fort. C'est seulement en 1664, avec l'arrivée de l'expédition du Chevalier de la Barre qu'elle prit un aspect urbain avec quelques centaines d'habitants. Bien que fortifiée dès 1690, la ville dut subir pendant tout le XVIII• siècle les aléas de la politique internationale et des compétitions entre les puissances coloniales européennes. C'est ainsi que la Guyane fut occupée par les Portugais de 1809 à 1817. Pendant toute cette période, Cayenne n'a fait que vivoter et la population a stagné, si bien qu'au début du XIX• siècle, elle n'était toujours qu'une petite ville de 2 000 à 3 000 habitants, blottie au pied du Cépérou.

Après l'intermède portugais, la ville fortifiée fit place à la ville de type colonial dont le plan à maille ortho­gonale, choisi par le Gouverneur Laussat, sera progressivement réalisé tout au long du XIX• siècle. Par ailleurs, pour assainir la ville, le Gouverneur fit achever le Canal Sartines, commencé à la fin du XVIII• siècle sous l'intendant Malouet (il fut désormais appelé« Canal Laussat »). Dans le deuxième quart du XIX• siècle, la ville a connu une certaine prospérité liée au développement de l'économie agricole du pays depuis 1820; Cayenne devenait ainsi un port exportateur de denrées agricoles (sucre, maïs, épices, roucou et coton). De sorte que, dans la première moitié du XIX• siècle, la ville s'est développée comme l'attestent les statistiques de l'époque : 3 764 habitants en 1820, 5 220 en 1836, 6 347 en 1840. Un jardin botanique fut créé ; la construction d'une nouvelle cathédrale fut achevée en 1833 et quatre ans plus tard, celle du Palais de Justice. C'est aussi, en 1837, que furent plantés les Palmiers royaux de la Place de !'Esplanade, désormais« Place des Palmistes ». Parallèle­ment, l'équipement de la ville faisait des progrès : éclairage des rues en 1854, alimentation en eau potable en 1867.

Mais dès la deuxième moitié du XIX• siècle, des événements allaient désorganiser la vie économique (abolition de l'esclavage, installation du bagne, découverte de l'or) et la Guyane ne devait plus retrouver cette prospérité. En effet, jusqu'en 1948, la ville de Cayenne allait connaître une très longue stagnation démographi­que, passant de 6 000 habitants en 1850 à 10 000 habitants environ en 1948, soit un accroissement inférieur à 1 % par an (supérieur toutefois à celui de l'ensemble de la colonie).

1

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ATLAS DES D.0.M. LA GUYANE Planche 34

B - Le développement urbain depuis la départementalisation

Deux ans après la départementalisation, on constate un renversement de la tendance : la croissance démographique se fait à un rythme tel qu'en 25 ans, la population de Cayenne est passée de 10 000 habitants en 1948 à plus de 30 000 en 1974, soit un accroissement global de 8 % par an.

Tableau 1 - EVOLUTION DEMOGRAPHIQUE DE LA REGION DE CAYENNE.

~ 1948 1954 1961 1967 1974 e

Cayenne ... ' ................ ' .... 10 000 13 000 18 000 24 500 31 000 lie de Cayenne . . . . . . . ........ ' .... 10 600 14 400 20 300 27 000 35 000 Guyane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..... 22 000 27 900 33 500 44 400 56 000

Rapport Cayenne/Guyane .......... 45 % 47 % 54% 55 % 55 % Rapport lie de Cayenne/Guyane ..... 48% 52 % 61 % 61 % 63 %

Le tableau 1 permet de constater que l'importance du poids démographique de Cayenne par rapport à la population guyanaise ne cesse d'augmenter : déjà 45 % juste après la ~uerre, aujourd'hui 55 %. Si l'on tient compte de l'ile de Cayenne comme cadre géographique de l'agglomération, ce sont près des 2/3 de la popula­tion guyanaise qui y sont concentrés. On ne peut trouver un tel cas de macr_océphalie urbain~ dans aucun autre département français. Il est significatif qu'une grande partie de la population confonde la ville et le pays, souvent désignés par le même vocable : Cayenne.

D'autre part, ce tableau montre que le rythme d'accroissement de l'ile de Cayenne e~t plus rapide que celui de la ville proprement dite, ce qui correspond à un phénomène de redéversement urbain et à une subur­banisation des campagnes environnantes.

1 - Les facteurs de la croissance urbaine

L'accroissement démographique naturel s'est considérablement amplifié depuis 1948, passant de O 1 % en 1948 à 2 3 % en 1974. Pour partie dû à la baisse de la mortalité, grâce à l'amélioration des conditions s~nitaires et à la li~uidation du bagne (qui a singulièrement allégé la courbe des décès), il est surtout relatif à un spectaculaire développement de la natalité qui a dépassé 40 %o. Depuis quelques années, ce taux a diminué, tout en restant très élevé : de 30 à 35 %0.Alors que dans le passé, c'était l'immigration qui périodiquement enrayait la dépopulation, depuis 25 ans, c'est l'excédent naturel qui joue_ le rôle fond~mental puisqu'il particjJ>e pour un peu plus de la moitié à l'accroissement de la population de la ville. Toutefois, l'exode rural et surtout l'immigration restent importants en Guyane.

Tableau 11 - EVOLUTION COMPAREE OE LA POPULATION SELON LE LIEU OE NAISSANCE IEN %).

Année

Lieu de naissance

Cayenne ..................... . Autres communes ...................... . Hors de Guyane

TOTAL

1961

56,9 17,6 25,5

100,0

1967

52,6 17,6 29,8

100,0

1974

52,8 15,6 31,6

100,0

L'exode rural est un phénomène assez ancien : ayant débuté dans les années 1930-1935 avec le reflux des orpailleurs, qui avaient perdu l'espoir de faire fortune, il s'est accéléré après la départementalisati_on. (à cause de l'accroissement du secteur administratif, devenu le moteur du développement) concentrant ainsi la population guyanaise sur le chef-lieu. Cette migration est également liée au puissant attrait qu'exerce désor­mais la ville et le mieux-être qu'elle semble offrir : le mythe de la ville se substitue à celui de 1' or.

La faiblesse des effectifs démographiques et le vieillissement relatif de la population rurale entraînent l'impossibilité pour la campagne d'envoyer plus de migrants à la ville. Ainsi s'accentue le.déséquilibre démo­graphique au profit du chef-lieu et s'accentue un des problèmes du monde rural guyanais.

Les migrations externes sont beaucoup plus importantes et plus complexes (voir Planche iyiigration.s). Cayenne compte plus de 10 000 personnes nées hors de la Guyane, soit le 1 /3 de la population urbaine (Tableau Il), et la ville et sa région regroupent les 2/3 de la population immigrée en Guyane.

Cette immigration est de provenances très diverses : depuis le XIX• siècle, Cayenne et la Guyane avaient attiré des migrants venant de France (Administration coloniale) et surtout des Antilles francophones ou anglo­phones (découverte de l'or). S'y sont ajoutés à la fin du XIX• siècle une immigration chinoise et au XX' siècle une immigration syro-libanaise, surtout des commerçants, mais en nombre faible. Avec la départementalisa­tion, on observe une relance de l'immigration provenant de France (Administrations départementales) et des Antilles +surpeuplement de ces îles). Mais la grande reprise de l'immigration se situe dans les années 1965-1968 avec la construction de la base spatiale de Kourou qui a attiré en Guyane plusieurs milliers d'étrangers venant de tous les horizons : de France et des Antilles françaises (surtout de la Martinique) et fait nouveau, des pays frontaliers ou proches (Surinam et surtout Brésil, puis Haïti et Guyana) où les salaires sont infiniment plus bas.

Le résultat de toutes ces immigrations est que la population cayennaise est d'une rare diversité, mais sans que cela ait donné lieu à un compartimentage ethnique. Les groupes les plus nombreux - en de~ors des Créoles guyanais - sont les Français de Métropole, les Antillais francop_hones et angloph9~es, ces tr?1~ grou­pes dépassant chacun 3 000 habitants. Puis viennent les Brésiliens (environ 2 000), les Ha1t1ens (un millier), les Chinois et les Surinamiens (quelques centaines pour chacun de ces deux groupes).

2 - Les aspects de l'extension urbaine

Quelles que soient les causes de la forte augmentation de la population cayennaise, elle s'est accompa­gnée d'une vive extension urbaine. Dès la départementalisation, l'urbanisation des quartiers Est et Sud, déjà amorcée avant 1946, s'était développée progressivement, tandis que dans les années 1950, se formaient dans le Sud-Est des quartiers tels que Faubourg I' Abri, le quartier Anatole, juxtaposés à la ville mais sans Y être encore totalement intégrés. Parallèlement, le phénomène de banlieue s'amorçait vers l'Est, avec les premières installations le long de la route Montabo;Bourda.

A partir des années 1960, l'occupation des quartiers périphériques est en voie d'achèvement: _Y C?mpris celle du quartier Sud-Est, même si c'est parfois d'une manière anarchique. D'autre part, la dens1f1cat1on du tissu urbain se poursuit dans la banlieue Est, le long de la route de Montabo, tandis que la banlieue Sud et Sud-Est prend naissance, d'abord le long de la route de Baduel, puis le long de la route de la Madeleine, avec un début de comblement des vides entre ces deux axes routiers (quartier Bonhomme, route Mango, route Raban, etc ... )

A l'heure actuelle, l'agglomération compte plus de 30 000 habitants et s'étend sur 300 ha, sans compter les banlieues lointaines qui se développent aussi rapidement. Pourtant, les densités d'occupation restent peu élevées, aussi bien au cœur de la ville qu'à la périphérie de l'agglomération.

Une telle extension spatiale découle de plusieurs facteurs : le développement de la motorisation (on compte à Cayenne une voiture pour 5 habitants et plusieurs milliers de cyclomoteurs) qui perm.et d'h_abiter loi_n du centre, une conception individualiste de l'habitat, l'apparition et le développement de la speculat1on depuis une dizaine d'années.

Dans ces conditions, les densités dans le centre ne dépassent guère 100 hab/ha ; on y note déjà un déplacement de la population vers la périphérie, dû à l'envahissement du centre-ville par les ?ommerces ~t les services. L'accélération de la spéculation gêne la rénovation du centre dont beaucoup de maisons sont vetus­tes. Cette évolution régressive du centre-ville est è nuancer, car elle ne concerne pratiquement que les secteurs occidentaux de la ville, ceux de l'Est maintiennent encore leur population (140 hab/ha).

Pendant que le centre-ville stagne avec ses 8 000 habitants, les trois quartiers périphériques, qui totali­sent 1O000 habitants, ont augmenté globalement de 1 /3 dans la dernière décennie, à cause du développement des secteurs Sud-Est et Sud, concernés par les projets de rénovation urbaine. Mention à part pour le« Village Chinois >> : sa population (sans doute sous-estimée dans le recensement de 1974) doit dépasser largement un millier de personnes, soit une densité proche de 150 hab/ha. Il n'y a pas vraiment surpeuplement, mais les con ditions déplorables de logement y constituent le problème particulier.

2

Ce sont les deux banlieues orientale et méridionale qui connaissent les rythmes d'accroissement les plus rapides (plus de 100--o/o entre 1967 et 1974 pour l'ensemble). Leurs populations sont sensiblement équivalen­tes : entre 6 000 et 7 000 habitants pour chacune d'elles. Pourtant, la banlieue Est, mieux située, a tendance à se développer plus rapidement ; la population n'y est pas répartie d'une façon uniforme, mais en secteurs for­tement peuplés, séparés par des zones presque vides. Cette occupation par taches s'explique à la fois par des conditions géographiques répulsives (existence de massifs boisés ou de bas-fonds humides), par la présence ou l'absence de voies de désenclavement, et surtout par le système d'urbanisation qui se fait par lotissements, privés ou publics, autorisés ou non. Le même phénomène se retrouve dans les banlieues méridionales, mais à un degré moindre, car les implantations sont encore diffuses.

Ill - LES ACTIVITES URBAINES

L'économie de la ville, comme celle de l'ensemble du pays, est très déséquilibrée et repose essentielle­ment sur le secteur tertiaire, les activités administratives en particulier (Fig. 1). En effet, depuis 1946, malgré l'importance réduite de la population, l'organisation de la Guyane est semblable à celle des départements métropolitains et c'est évidemment Cayenne, le chef-lieu, qui a été le principal, sinon le seul bénéficiaire, de l'extension de !'Administration. Cette extension est le moteur du développement urbain: l'existence d'une classe aisée, constituée de fonctionnaires à revenus importants, a stimulé l'essor des autres activités tertiaires telles que le commerce et les services, ainsi que le développement du bâtiment (activité qui tient davantage du secteur tertiaire que du secondaire proprement dit). Ainsi, l'impact sur les activités directement productives est resté insignifiant.

Cependant, en dépit de ce grave déséquilibre et d'un chômage relativement important, le niveau de vie, grâce essentiellement aux transferts publics en provenance de la Métropole, se maintient et a même tendance à augmenter.

Commerce

111 Armée, Police

Secteur primaire

-~ 1

' ' 1

~: <,

~:

Il

~,~ ,

Secteur secondaire

11

Artisanat

--- - "' 1

111

Secteur tertiaire

Fig. 1 - Répartition de la population active par branche d'activités

A - Le secteur administratif et les services

La ville regroupe la totalité des administrations de l'Etat et du Département ainsi que les nombreux insti­tuts ou services para-administratifs de développement et d'assistance technique. L'enseignement est particu­lièrement développé : il compte, en 1974, 13 000 scolarisés, soit plus du 1 /3 de la population de l'aggloméra­tion, et emploie plus d'un millier de personnes (enseignants, personnels administratifs, de service et d'entre­tien). Aussi est-ce l'une des activités principales qui rythment la vie de la cité.

Le secteur public occupe à Cayenne 40 % de la population active, ce qui contribue à la stagnation des secteurs productifs puisque dans I' Administration, la promotion sociale est plus rapide, les emplois plus sta­bles et surtout les salaires plus élevés. Ainsi, les 3/4 des emplois du secteur public en Guyane se situent à Cayenne. Cette concentration excessive se fait au détriment de l'encadrement des communes rurales, très insuffisant.

B - Les activités commerciales

Avec I' Administration, le commerce constitue l'autre grande activité, celle-ci ne vivant que grâce à celle -là. Son rôle est primordial puisque pratiquement tout est importé. On compte à Cayenne plus de 500 commer­ces (soit 1 pour 60 habitants) employant environ 2 000 personnes.

1 - Le commerce d'importation

Il est dominé par quelques grosses maisons qu'on trouve dans les quatre principales branches : produits alimentaires, matériaux de construction, automobiles et cycles, électroménager et meubles. L'importation des produits agricoles et alimentaires est le poste essentiel ; par exemple, en 1973, elle a porté sur plus de 27 000 t pour une valeur de 86 millions de francs et l'on compte une dizaine d'importateurs, dont la moitié d'origine chi­noise. Les fonctions d'importateur, de grossiste et de détaillant se trouvent en général réunies dans la même entreprise. Outre ces maisons, il existe des importateurs de produits alimentaires spécialisés : produits frais, congelés ou surgelés (entreprise SOFRIGU) et viande, dont une partie arrive sur pied par tapouyes, ces goëlet­tes venant du Brésil. Pour les matériaux de construction, il y a quatre affaires importantes et pour les véhicules automobiles, une dizaine d'importateurs.

D'une façon générale, le commerce d'importation ne présente aucune organisation d'ensemble à une exception près : le regroupement récent (1974) de trois des principaux importateurs de matériaux de construc­tions en vue d'achats groupés auprès des fournisseurs.

Un autre fait nouveau dans la structure du commerce d'importation est la découverte du marché de Cayenne par les commerçants camionneurs Surinamiens, qui franchissent le Maroni pour apporter du riz, des fruits et légumes (agrumes en particulier). des aliments pour le bétail, ainsi que des contreplaqués. Ce trafic récent (le bac sur le Maroni a été mis en service en 1967) a porté en 1974 sur plus de 3 200 t pour une valeur de 4 millions de francs. Ces produits sont vendus en demi-gros à proximité du marché aux légumes ou directe­ment chez les détaillants Chinois, sauf les aliments pour le bétail et les contreplaqués, livrés à des grossistes.

2 - Le commerce de détail

Comme indiqué sur la carte, ce commerce est géographiquement très concentré dans le Sud-Ouest du centre-ville, malheureusement au détriment des autres quartiers, réellement sous-équipés à cet égard.

La répartition par branche de l'équipement commercial reflète assez bien les habitudes des diverses cou­ches de la population. L'alimentation est tenue presque exclusivement par les Chinois, soit une centaine de commerces très dispersés pour se mettre à la portée immédiate des clients. Chaque coin de rue a littéralement son magasin chinois, si bien que l'expression {{ le chinois >> est utilisée à Cayenne pour signifier {{ l'épicier du coin ». En fait, la plupart offrent également à la ~lientèle des produits diversifiés : horlogerie, produits de toi­lette, articles de ménage, voire des vêtements.

CAYENNE

Toutefois, le commerce de l'habillement est dominé par des familles d'origine libanaise qui possèuent une trentaine de magasins très regroupés ; outre les tissus et vêtements, ils offrent d'autres articles : chaussu­res, cadeaux, bimbeloterie, articles de voyage, etc ...

Une des caractéristiques fondamentales du commerce de détail est qu'il est fondé sur l'utilisation du cré­dit, aussi bien dans l'alimentation que dans les nouveautés, la parfumerie, la librairie, etc ... C'est le système généralisé du carnet. Les produits vendus à crédit sont consignés sur un carnet au fur et à mesure des achats et les règlements sont faits en général en fin de mois. La plupart des consommateurs vivent ainsi dans un endettement permanent, c'est-à-dire au-dessus de leurs moyens.

Depuis quelques années, on assiste à une double évolution : c'est d'abord un net accroissement, depuis 1965, des magasins spécialisés et de luxe, souvent tenus par des Métropolitains et, parallèlement, l'apparition du commerce intégré avec magasin à grande surface qui s'est installé en 1970 dans l'Est de la ville. L'aspect traditionnel du commerce de détail, en est modifié, car il est fait plus de place à la concurrence et à la publicité.

Enfin, le marché couvert aux légumes et aux viandes, situé entre le port et« La Crique », compte une soixantaine de vendeuses et 13 étals de boucherie (dont la moitié seulement est utilisée quotidiennement), ainsi que quelques étalages installés à la porte de la halle. Ces vendeuses, le plus souvent, revendent des pro­duits achetés aux camionneurs Surinamiens ou aux agriculteurs de la région de Cayenne. En dehors de ce grand marché, il existe un certain nombre de petits marchés « roulants » de 2 à 3 vendeurs, plus ou moins réguliers, installés sur le trottoir, surtout le long du Canal Laussat. De l'autre côté de« La Crique », le marché aux poissons est situé au point d'arrivée des barques de pêche ; en face, sur la rue, se trouvent les quelques étalages du marché au gibier, où les chasseurs viennent vendre, à l'occasion, les produits de leur chasse.

C - La faiblesse du secteur secondaire

Les activités industrielles sont très réduites, et en dehors des industries de services (bâtiment, travaux publics, ateliers de réparation de véhicules) et de l'artisanat (ébénisterie, ferronnerie), on compte une vingtaine d'entreprises employant plus de 5 personnes et exerçant effectivement une activité de production. Ces établis­sements sont de petite taille ; 2 seulement dépassent 50 employés, alors que 8 autres ont moins de 10 salariés.

Si l'on met à part la centrale thermique qui fournit l'énergie électrique à l'agglomération, le secteur indus­triel regroupe d'une part les industries alimentaires travaillant pour l'exportation (congélation des produits de la mer à la PIDEG, à la SOFRIGU et plus récemment, à la KALEMBO) ou pour le marché local (fabriques de bois­sons gazeuses ou de produits laitiers), et d'autre part, les industries liées au bâtiment : une carrière de granite, 4 ou 5 fabriques de parpaings et d'éléments préfabriqués en béton et 2 entreprises construisant des portes et fenêtres en aluminium et en verre. Ensemble, ces entreprises emploient environ 500 salariés, soit moins de 5 % de la population active.

Les industries de services procurent plus d'emplois. Le secteur du bâtiment et des travaux publics- l'acti­vité la plus importante - emploie plus d'un millier de salariés. A côté de quelques grandes entreprises de cons­truction polyvalentes (comme la SOCAL TRA, la Société Maine), qui comptent plusieurs dizaines de salariés, on trouve une quarantaine de petites entreprises de quelques ouvriers chacune. De même, à côté des ateliers de réparation des importateurs de véhicules, sur une vingtaine ou plus de petits ateliers artisanaux qui se sont multipliés en fonction du parc automobile (près de 8 000 voitures), les plus importants ont 3 ou 4 salariés, mais la plupart n'emploient qu'un apprenti.

Les autres activités du secteur secondaire relèvent exclusivement de l'artisanat, notamment le travail du bois (ébénisteries et menuiseries). Ces ateliers sont nombreux, plus d'une trentaine, mais en dépit de la facilité de se procurer la matière première sur le marché local, leur activité reste faible en raison des techniques de fabrication peu modernisées et de la concurrence des meubles importés : la Guyane importe chaque année pour environ 8 millions de francs de meubles.

Mentionnons également une demi-douzaine de boulangeries, une dizaine d'ateliers textiles (phénomène récent qui est surtout le fait de tailleurs javanais), enfin, une quinzaine de bijouteries-orfèvreries, artisanat tra­ditionnel qui remonte aux beaux jours de l'orpaillage en Guyane.

IV - LE PROBLEME DE L'EMPLOI ET DU CHÔMAGE

C'est un problème difficile à circonscrire dans son ensemble, car d'une part, les données et statistiques sont incomplètes ou partielles, et d'autre part, les notions même de travail et de chômage sont ici délicates à définir. Il en est ainsi de certaines activités, de personnes au foyer ou des« travailleurs familiaux »dans les épi­ceries chinoises. Dans le premier cas, il s'agit de chômage déguisé, dans le second cas, d'activités non comp­tabilisées. On peut cependant avancer un certain nombre d'éléments d'appréciation.

Le taux d'activité, c'est-à-dire le nombre d'actifs par rapport à la population de 15 à 60 ans, est bas (50 % en moyenne) et il est plus bas chez les femmes (40 % environ) que chez les hommes (55 % ). Ce fait est lié en partie au nombre important d'inactifs qui comprend à la fois les jeunes de plus de 15 ans qui fréquentent les établissements scolaires (et ils sont nombreux) et les véritables inactifs, c'est-à-dire ceux qui déclarent n'exer­cer ni chercher un emploi. Un certain nombre d'entre eux exercent une activité qui n'a rien de permanent ni de systématique. Il s'agit chez les hommes de chômeurs sans qualification qui effectuent des travaux occasion­nels, ou« jobs »et ne cherchent pas d'emploi particulier. Le cas des femmes est différent en raison du marché de l'emploi féminin encore plus restreint, et aussi du nombre souvent élevé d'enfants ; beaucoup de femmes restent au foyer, surtout si le conjoint peut assurer les ressources du ménage. Si l'occasion se présente, elles exercent à la maison, voire à l'extérieur, une activité d'appoint : garderie d'enfant, couture pour le voisinage ; c'est également le cas des femmes chez qui on place éventuellement des produits vivriers à écouler. Beaucoup de gens classés statistiquement inactifs sont en fait des semi-actifs.

Pourtant, le chômage reste très important. En décomptant les inactifs (scolaires de plus de 15 ans, fem­mes au foyer). le chômage et le sous-emploi doit atteindre 3 000 à 4 000 personnes (chômeurs partiels ou non, déguisés ou non), ce qui correspond à un taux de 15 à 20 % de la population en âge d'exercer une activité. Cela paraît énorme quand on sait que la Guyane est un pays sous-peuplé. Il semble même que le déséquilibre entre demandes et offres d'emplois ait tendance à s'accentuer sous l'effet de divers facteurs : par exemple, la phase de construction de la base spatiale de Kourou a réclamé beaucoup plus de main dœuvre que n'an a besoin son fonctionnement. Ce ne sont d'ailleurs pas les mêmes types d'emplois qui sont offerts, et une partie des salariés libérés à la fin des travaux, ne trouvant rien sur place, s'est repliée sur Cayenne, augmentant le nombre des demandeurs. Les possibilités de travail entrevues dans le« Plan Guyane », présenté par le Minis­tre des DOM en août 1975, ont par ailleurs déclenché une vague de migrants vers Cayenne, d'un effectif modeste et pourtant sans mesure avec le niveau actuel de l'offre d'emplois.

Y-a-t-il possibilité d'augmenter cette offre ? On constate que le secteur tertiaire est déjà hypertrophié (3/4 de la population active) et que si le secteur secondaire représente globalement 20 % (surtout des indus­tries de services) les véritables activités de production ne font travailler que 5 % des actifs totaux. Cela montre que le chômage est lié pour l'essentiel à l'insuffisance des activités industrielles.

* * *

Une telle observation économique illustre ce double paradoxe très original qui caractérise Cayenne, chef -lieu d'un département d'Outre-Mer lointain, très peu peuplé, et périodiquement oublié, au long de son histoire, par la Métropole :

- une récente et considérable expansion urbaine, au point de déborder sur l'ile de Cayenne (voir planche suivante) et de commencer à organiser une région urbaine, mais sans développement réel d'un secteur d'acti­vités productrices qui soutiendraient son évident dynamisme ;

- un niveau de vie moyen étrangement élevé par le fait d'un suréquipement administratif et social, qui ne règle pas les problèmes de chômage, tout en favorisant l'essor démographique, mais assiste tous ceux qui ne sont pas des fonctionnaires ou commerçants.

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

AGENCE D'URBANISME ET D'AMENAGEMENT DE LA GUYANE. Cayenne. Schéma Directeurd'Aménage­ment et d'Urbanisme de /'Ife de Cayenne. Cayenne, 1973, 75 pages.

AGENCE D'URBANISME ET D'AMENAGEMENT DE LA GUYANE. Cayenne. Plan d'occupation des sols. Commune de Cayenne. Cayenne, 1974, 30 pages, 34 cartes h.t.

CALMONT, A. Cayenne (Guyane française), ta ville et sa région. Talence, Centre d'Etudes de Géographie Tro­picale, 1978. !Travaux et Documents de Géographie Tropicale. 32).

André CALMONT - 1977

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Espaces verts et équ ipements sportifs

Quartier résidentiel (cadres , fonctionnaires)

Résidence modeste

COM MERC E

fil[]] Corr1merce de gros et d ' import-export

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ACTIVITÉS PO RT UAIRES

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Forêt

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Résidence pauvre

Résidence pauvre à caractère semi -rura l

Hab itat insalubre du •Village Chinois••

Centre commercial et de services

Complexe hôtelier

Enseignement

Santé

••••••• Port de tapouyes

AC TIVITÉS INDUSTRIELLES ET ARTI SANALES

Zone industrielle 1111111111 11 Établissement industriel

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Zone artisanale l_ l_l_l_ I Ate l ier de ferronnerie

EtJ Cathédrale @ Banque de la Guyane

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Monument de L::,. Temple protestant " Félix Éboué

CITE

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Résidences multisocia les

Lotissement S IGUY ou HL M (immeubles collectifs et villas)

Lotissement S IGUY à caractère modeste

Lotissement en projet

M a rché de détail

M agasin à grande surface

C imetiè re

Éta b lissement de Recherche

Port de pêche artisanale

P rincipaux at~lie r s de réparation de véhicules

Atel ier de travail du bois

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Il

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-

la Guadeloupe

~ la Martinique

la Guyane Francaise

OUTRE-MER

D

• la Réunion

avec le concours des départements de géographie des Universités d'Aix-Marseille Il,

de Bordeaux 111, des Centres universitaires des Antilles-Guyane et de la Réunion;

de l'ORSTOM pour l'Atlas de la Guyane.

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comité de direction

des Atlas des Départements d'Outre-Mer

Directeur de la publication

Guy LASSERRE, Professeur à l'Université de Bordeaux Ill, Directeur du Centre d'Études de Géographie Tropicale du C.N.R.S.

Conseillers Scientifiques permanents

Jean DEFOS du RAU, Professeur Honoraire à l'Université d'Aix-Marseille Il Jean-François DUPON, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille Il Marc BOYÉ, Maître-assistant à l'Université de Bordeaux Ill Jean-Claude GIACOTTINO, Chargé de Recherche du C.N.R.S. (CEGET) Christian GIRAULT, Attaché de Recherche du C.N.R.S. (CEGET) Jean-Claude MAILLARD, Maître-Assistant à l'Université de Bordeaux Ill Jean MARIEU, Maître-Assistant à l'Université de Bordeaux Ill

Secrétaire Générale des Atlas des Départements d'Outre-Mer

Guilène RÉAUD, Ingénieur du C.N.R.S. au Centre d'Études de Géographie Tropicale

Conseillers techniques principaux

Gilbert CABAUSSEL, Ingénieur du C.N.R.S., Biogéographe au Centre d'Études de Géographie Tropicale

Jean MENAULT, Ingénieur du C.N.R.S., Chef du Bureau de Dessin de l'Institut de Géographie de l'Université de Bordeaux Ill

Jean-Pierre VIDAL, Photographe, Chef du Service de Reprographie du Centre d'Études de Géographie Tropicale

Ëdi1ions du Ce11tre National de la Recherche Scientifique, 15, quai Anatole-France, 75700 PARIS Centre d'ËtudRs de Géographie Troriicille iCNRSI; Domaine Universitaire de Bordeaux, 33405 TALENCE.

Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer: 24, rue Bayard, 75008 PARIS.

(c) - Centre d'Etudes de Géographie Tropicale !C.N.R.S.) - Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer - 1979 N° ISBN 2-222-02501-X

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Patronage scientifique

Guy LASSERRE Professeur à

l'Université Bordeaux Ill Directeur du Centre

d'Études de Géographie Tropicale du CNRS

Gilles SAUTTER Professeur à

l'Université Paris 1 Membre du Comité Technique de Géographie de l'ORSTOM

ABONNENC Émile

BELLOT Jean-Marc

BELLOT-COUDERC Béatrice

BERNARD Danièle

BLANCANEAUX Philippe

BOYÉ Marc

BRASSEUR Gérard

CABAUSSEL Gilbert

CALMONT André

CALMONT Régine

CAROFF Danièle

CHARDON Jean-Pierre

CHARDONNAUD Monique

CHEUNG Hung-Ning

CHOUBERT Boris

CLÉMENT Jean

Ingénieur de l'ORSTOM, en retraite.

Diplômé d'Études Approfondies de Géographie, Allocataire de Recherche DGRST, Université de Bordeaux Ill.

Diplômée d'Études Approfondies de Géographie, Université de Bordeaux Ill.

Maître en Géographie, Université de Bordeaux Ill.

Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Maître-Assistant à l'Université Bordeaux Ill, Responsable du Laboratoire de Géomorphologie du CEGET.

Directeur de Recherche à l'ORSTOM.

Ingénieur du CNRS, Biogéographe au CEGET.

Docteur en Géographie, Professeur au Collège Zéphir ; Cayenne.

Maître en Géographie, Professeur au Collège Madeleine ; Cayenne.

Maître en Géographie, Université de Bordeaux Ill.

Maître-Assistant au Centre Universitaire Antilles-Guyane ; Martinique.

Maître en Géographie, Professeur au Lycée de Barbezieux.

Diplômé d'Études Approfondies de Géographie, Université de Bordeaux 111.

Géologue, Directeur de Recherche honoraire au CNRS, ancien Directeur de l'Institut Français d'Amérique Tropicale (Centre ORSTOM de Cayenne).

Chef de division des inventaires du CTFT ; Nogent-sur­Marne.

rédaction de l'atlas

Coordination générale

Marc BOYÉ

Guilène RÉAUD et

Gilbert CABAUSSEL

Jean MENAULT

Ingénieur du CNRS Chef du bureau de dessin de l'Institut de Géographie

de l'Université Bordeaux Ill

Équipe de rédaction

CONDAMIN Michel

DECOUDRAS Pierre-Marie

DEGALLIER Nicolas

DEMOLLIENS Henri

Docteur de l'Université de Paris, Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Docteur en Géographie, Assistant à l'Université Jean-Bedel BOKASSA, Bangui (Empire Centrafricain).

Diplômé d'Études Approfondies de Biologie, Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Conseiller de la Jeunesse et des Sports ; Cayenne.

DIGOUTTE Jean-Pierre Docteur en Médecine, ancien Directeur de l'Institut Pasteur de Cayenne.

FAUQUENOY SAINT JACQUES Professeur associée à l'Université Simon Fraser, Burnaby Marguerite (Canada).

FLEURY Marie-France

GRANVILLE Jean-Jacques de

GRENAND Françoise

GRENAND Pierre

GAZEL Marc

HAXAIRE Claudie

HOEPPFNER Laurence

HOEPPFNER Michel

JOLIVET Marie-José

Dr. LAC

LÉGER Nicole

Diplômée d'Études Approfondies de Géographie, Alloca­taire de Recherche DGRST.

Docteur ès Sciences, Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Attaché de Recherche au CNRS.

Diplômé de l'EHESS, Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Ingénieur du GREF, Adjoint au Directeur régional de l'ONF pour la Guyane.

Botaniste, Faculté de Montpellier.

Ancien professeur au CES Zéphyr, à Cayenne.

Ingénieur ENSEIH, Toulouse, Chargé de Recherche à l'ORSTOM.

Docteur en Sociologie, Maître de Recherche à l'ORSTOM.

Directeur de la DDASS ; Cayenne.

Professeur à la Faculté de Pharmacie, Paris.

Direction scientifique

Marc BOYÉ Maître-Assistant à

l'Université Bordeaux Ill Chef du Laboratoire

de Géomorphologie du CEGET

LE PONT François

MONSORO Alain

MOREAU Jean-Michel

OTHILY Arthur

PAJOT François-Xavier

PAPY Geneviève

PERROT Yannick

PETIN Gérard

PRADINAUD Roger

PRÉ-AYMARD Pascal

RADAMONTHE Adèle

RÉAUD Guilène

ROBO Rodolphe

RODIER Jean

ROSSIGNOL Martial

SEURIN Maggy

TURENNE Jean-François

Gérard BRASSEUR Directeur de

Recherche à l'ORSTOM

Technicien (supérieur) de l'ORSTOM.

Maître en Géographie, Université de Bordeaux Ill.

Architecte des bâtiments de France, Directeur de I' Associa­tion Départementale d'Urbanisme et d'Aménagement de la Guyane.

Maître de Recherche à l'ORSTOM.

Docteur ès Sciences, Maître de Recherche principal à l'ORSTOM.

Diplômée d'Études Approfondies d'Océanographie, Physi­cienne au CEGET.

Maître en Géographie, Université de Bordeaux Ill.

Ingénieur au Département des Études Minières, BRGM ; La Source.

Docteur en Médecine, Dermatologue ; Cayenne.

Géographe, Certifié de Cartographie, Université de Bor­deaux Ill.

Centre ORSTOM ; Cayenne.

Ingénieur du CNRS, Géographe au CEGET.

Directeur du Service Culturel Départemental de la Guyane.

Président du Comité Technique d'Hydrologie de l'ORSTOM, Ingénieur chef de l'EDF.

Docteur ès Sciences, Directeur de Recherche à l'ORSTOM.

Ingénieur du CNRS, Géologue au CEGET.

Docteur ès Sciences, Ingénieur agronome INA, Maître de Recherche à l'ORSTOM.