Causette#23_Enquete

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 L 16045 - 23 - F: 4,90 CATHERINE MEURISSE, LE PASTEUR LAVIGNOTTE, ANNE ALVARO, MARC GARANGER, MELISSMELL & FLOW ÉDITH VOYAGE AUX ORIGINES D’UNE FEMME VIKASH DHORASOO PETITS TACLES & GRANDS IDÉAUX CAUET FAITES-LE T AIRE ! #23 - Avril 2012 France METRO : 4,90 ! - BEL/LUX : 5,50 ! DOM/S : 5,60 ! - CH : 7,80 FS – CAN : 7,95 $ cad E N Q U Ê T E DROIT DE CUISSAGE À LA MAIRIE

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CAUET FAITES-LE TAIRE !

E N Q U Ê T E

DROIT DECUISSAGEÀ LA MAIRIE

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38 CAUSETTE #23 CAUSETTE

Un soir d’été, à la mairie de Neuilly-sur-Marne  (93).

 Avant de partir, Martine, la gardienne, vérifie que les

portes et les volets sont bien fermés. En sept ans de

ronde, l’employée de 42 ans n’est plus surprise de croiser le

maire dans les couloirs du bâtiment. Ce soir, c’est différent.

Dans l’escalier, Jacques Mahéas lui « pince le mollet ». « C’est bizarre » , mais la gardienne ne s’« inquiète pas, il n’a peut-être

 pas fait exprès » . Bientôt, l’élu ne se contentera plus d’un geste

déplacé... La bise matinale dérape en baiser forcé sur la

bouche. Maintenant, le maire guette le passage de la gar-

dienne. Dissimulé derrière une porte, il la surprend.« Il m’attra-

 pait, raconte, haletante, Martine. Il me caressait les seins, les

fesses, et moi, j’étais tétanisée. Je me disais que si je réagis-

sais violemment, je perdrais mon logement de fonction et mes

trois enfants seraient à la rue. » Alors, Martine subit. Et subit

encore sa « séance de pelotage, vingt fois, peut-être trente ».

Elle se demande « pourquoi  ? » Quels gestes a-t-elle faits pour

« lui faire croire [qu’elle] était intéressée »? Pour le décourager,

elle porte des vêtements informes. Malgré son asthme, la gar-

dienne se met à fumer, « car il ne supporte pas le tabac ». Sa

ronde devient un cauchemar, Martine sursaute au moindre

bruit, prend des antidépresseurs. À aucun moment elle n’aura

le courage de par ler. C’est une autre qui le fer a : « Le mai res’est jeté sur Samia, la secrétaire de mairie, relate Martine. Il l’a

embrassée et lui a touché la poitrine, mais elle l’a repoussé et

 a fait un scandale. » C’est le déclic, la fonctionnaire se confie.

Les deux employées se rendent ensemble au commissariat

pour porter plainte : le début d’une longue procédure q

tira, en 2009, à la condamnation de Jacques Mahéas

teur et maire socialiste, pour agression sexuelle contre

En raison de « la personnalité du prévenu » qui est « d’un

 niveau intellectuel  [et] d’une aisance sociale certain

 juges prononceront une peine de 10 000  euros d’aC’est donc en raison de son profil, établi par un exper

bunal, que les juges renoncent au sursis.

Deux ans et demi après cette décision, l’agresseur

 jours maire. Martine, elle, a été poussée à prendre une

anticipée, a perdu son logement, changé de ville et

930 euros par mois. Justice est faite !

Des victimes poussées vers la sortMartine n’est pas la seule à avoir payé le prix fort po

dénoncé. Selon l’Association européenne contre

lences faites aux femmes au travail (AVFT), « quasimen

 les victimes de harcèlement et d’agression sexuels p

 leur emploi après avoir porté plainte. Quel que soit l

de rupture : démission, licenciement, mutation, mi

 retraite » .

Dans les collectivités, la gardienne de Neuilly-sur-Ma

l’arbre qui cache la forêt. Les cas impliquant des élusen quatrième position des dossiers traités par l’AVF

des 150 dossiers annuels). Et pour une qui parle, com

taisent ? « Personne ne sait, rétorque l’association. C

 particulièrement difficile de dénoncer des élus tout pui

1. Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail.

E N Q U Ê T E

Droit de cuissage

à la mairie « Troussage de domestique » dans les toilettes de l’hôtel de ville, pelotage de collaboradans l’ascenseur, baisers forcés dans les couloirs, selon les chiffres de l’AVFT 1, les élus sontle top 4 des auteurs de violences faites aux femmes au travail. Et que dire du maire-roi-efief qui couvre les agissements de son employé ? Rien. Dans les mairies comme dans les pl’omerta règne quand on mêle violences sexistes et politiques. Causette  est entrée dabureaux feutrés des collectivités pour chercher les victimes, leurs agresseurs « cocardésCreusot à Maubeuge, en passant par l’Assemblée, Causette  les a trouvés.

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40 CAUSETTE #23 CAUSETTE

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LE MAIRE EST UN BON VIVANT, UN GAULOIS.UNE DES PLAIGNANTES LAVAIT LES CARREAUX EN STRING

en 2004 pour agression et harcèlement sexuels sur des

employées. Julien Courdesses, l’élu divers droite est resté en

place, droit dans ses bottes, jusqu’à la fin de son mandat.

Pourquoi se gêner ? La justice ne lui a pas retiré ses droits

civiques et ses pairs minoraient : « C’est un bon vivant, un

Gaulois », « [Une des plaignantes] lavait les carreaux en

string », rigolait à l’époque son deuxième adjoint 2.

Les élus du département – un député UMP et deux séna-

teurs PRG (Parti radical de gauche) –, tous alertés, n’ont pasréagi. Et la préfecture n’a pas moufté. Pourtant, elle aurait pu.

Le Code des collectivités permet la révocation d’un maire s’il

perd son « autorité morale » 3. Un élu coupable d’« attentat à

 la pudeur » en a fait les frais, il y a vingt-cinq ans. Depuis, rien.

C’est ainsi que Jacques Mahéas, l’agresseur de Neuilly-sur-

Marne, et le maire de Puylaroque ont continué d’arborer

l’écharpe tricolore en dépit de leur condamnation. Julien

Courdesses ne s’est pas représenté en 2008. Les leçons ont-

elles été tirées ? Non, dans les communes de France, dans le

silence et l’impunité, la liste des agresseurs s’allonge...

L’omerta dans les mairiesDans les bureaux de l’hôtel de ville de Maubeuge, l’horreur

aurait duré cinq ans.

Entre 2006 et 2011, Anna 4, collaboratrice du maire, le socia-

liste Rémi Pauvros, aurait subi des viols, des agressions et du

harcèlement sexuels. Causette s’est procuré le courrier de

l’AVFT qui reprend son témoignage. Tout aurait commencé

par des remarques : « J’ai vu une actrice de cul ce midi, t’es

 habillée pareil. » Il serait quatre à avoir agressé l’employée en

CDD. Quatre membres du Parti socialiste, parmi lesquels des

élus, un directeur de cabinet et un salarié de la fédération du

Nord. L’un d’eux commence à la harceler « plus directement »,

 jusqu’à « la pousser à […] des rapports sexuels non consentis

et non protégés. » C’est l’engrenage : l’agresseur présumé

« contraint » Anna à des « rapports de même nature avec le

directeur de cabinet ». Elle « devient alors leur objet. » Un troi-

sième entre dans la danse : il l’a « contrainte à pratiquer une

fellation ». Vient un quatrième : « À plusieurs reprises, dans le

 bureau [d’Anna] ou lors de réunions, il touche sa poitrine, sesfesses. » Durant toute cette période, « Anna leur a signifié ses

 refus » , mais « ils ne sont pas acceptés : “Je sais ce que tu

veux, je sais que tu aimes ça” », auraient-ils dit. Au bout d’elle-

même, la jeune collaboratrice va trouver dans la tentative de

suicide sa seule échappatoire. L’acte désespéré « aboutit à

une hospitalisation de six semaines ». C’est là qu’Anna « prend

conscience de ce qui s’était passé ». Soutenue par le person-

nel soignant et par son mari, elle osera rompre le silence et

mettre des mots sur son enfer. Anna a fait un pas, mais le plus

long est devant elle.

 À sa sortie de l’hôpital, elle écrit un courrier à Rémi Pauvros et

prend rendez-vous, espérant qu’il usera de son pouvoir de

sanction disciplinaire 5. Elle sera déçue. Un seul des agres-

seurs présumés sera démissionné. Officiellement, pour se

consacrer à ses projets professionnels. « Il a reconnu une

 relation consentie , justifie Nathalie Montfort, première adjointe

au maire de Maubeuge interrogée par Causette. C’était sa

seconde aventure [à l’intérieur de la mairie, ndlr]. O

demandé, que ce soit consenti ou pas, de prendre s

 ponsabilités. » Et les autres ? Rien. Reçus en entretie

ont nié les faits et le dernier a reconnu « une relation c

tie » avec Anna. Pas de viol, pas d’agression. « N’oub

que ces gens sont mariés, insiste la première adjointe

 prenez, on ne peut pas porter des accusations quan

des familles derrière. » En outre, « je connais la plup

collaborateurs qu’[Anna] dénonce depuis plus de vin

c’est difficile. » Et pourtant, Nathalie Montfort le recon

 y a toujours un doute. »

 Alors, pourquoi ne pas avoir alerté la justice ? « [Anna

 précisé que son but n’était pas de déstabiliser la mairie

l’adjointe. Loin d’elle l’idée de créer un remous terr

Donc, on s’est dit qu’on allait respecter sa volonté. » Vo

ment la mairie de Maubeuge justifie son entorse à la

c’en est une : Rémi Pauvros, maire, membre du Conseil

PS et aspirant député, est tenu d’avertir « sans délai » le

reur dans les cas où il « acquiert la connaissance d’un c

d’un délit » 6. Il ne l’a pas fait.

Martine Aubry règleles affaires en famille

 Alertée par la situation, l’AVFT a envoyé un courrier à

 Aubry. Pas de réponse. Pourtant, la lettre n’a pas atterri

poubelle de la première secrétaire du PS, mais sur le buBenoît Hamon, son porte-parole. C’est là, en présence

sette, que ce dernier découvre le contenu du courrier.

 redescend pas jusqu’à moi » , explique-t-il, sans parveni

fier le silence de sa patronne sur cette affaire.

Ce n’est pas qu’elle n’aime pas écrire, simplement

Martine Aubry décide d’intervenir, elle le fait à sa faç

famille. En 2011, au Creusot, Laura 4, une employé

piscine municipale, dénonce ses collègues auprès d

PS, de la justice et de l’AVFT. Elle dit avoir été

d’agression sexuelle, de harcèlement moral et sexue

mée par l’association, la patronne du PS ne répon

Mais de passage pour un meeting, fin août, à quelqu

mètres du Creusot, elle craint d’être interpellée. D

courrier que s’est procuré Causette, sa garde rappro

conseille d’appeler le maire afin de « voir avec lui s

faire quelque chose ». Bizarrement, le principal ag

présumé de Laura est immédiatement changé de ser

Les pressions sont fortes, ils ont le bras long et le font savoir,

 les victimes se disent que personne ne va les croire. »

Même quand elles portent plainte, le plus dur reste à passer :

le procès. Leurs agresseurs sont défendus par des ténors du

barreau.  Celui de Jacques Mahéas n’est autre que Jean-

Pierre Mignard, membre du Conseil national du PS et peut-

être prochain ministre de la Justice.

Enfin, « les condamnations sont rares », observe l’AVFT et les

  juges concluent rarement à des peines d’inéligibilité. L’idéeprévaut que ce que le peuple a fait, seul le peuple peut le

défaire.

 À Puylaroque, village du Tarn-et-Garonne, on garde le souve-

nir amer d’une mobilisation vaine, face à un maire condamné

3. Art. L2122-16 du Code général des collectivités territoriales et Conseil d’État du 12   juin 1987 ; Chalvet.4. Le prénom a été modifié.5. Le maire a un pouvoir de sanction, notamment à l’encontre d’un agent en cas de harcèlement sexuel, loi  n° 83-634 du 13  juillet 1983 portant droits

obligations des fonctionnaires.6. Art. 40 du Code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiertconnaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République  [...]»2. La Dépêche du Midi, octobre 2001.

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42 CAUSETTE #23 CAUSETTE

qu’elle réclame depuis des mois). Quinze jours après, elle

reçoit un étrange coup de fil du cabinet de Martine Aubry à

Lille... qui lui demande si le nécessaire a été fait. Selon

toute vraisemblance, l’intervention de l’état-major a porté

ses fruits.

Le maire du Creusot, André Billardon, nie avoir été rappelé à

l’ordre. On l’aura compris, les histoires de violences sexistes

en politique, ça se règle, dixit l’AVFT, « selon une logique de

clan, en interne ». Et quelquefois, pour éviter le scandale ou

le tribunal, les élus vont jusqu’à dégainer le chéquier...

Le silence, ça s’achète À cinq reprises dans sa carrière, Jean-François Cassant a

reçu des assistantes parlementaires qui se plaignaient

d’être harcelées sexuellement par leur député. Ce repré-

sentant du syndicat des collaborateurs parlemen-

taires (USCP-UNSA-AN) l’a constaté : « Pour quatre d’entre

elles, cela s’est réglé par une transaction financière. »  Cau-

sette a eu copie d’une version de l’un de ces « protocoles

transactionnels », passé entre un député UMP –  toujours en

place – et sa collaboratrice. En échange de quelques mil-

liers d’euros, le député s’assure du silence de sa salariée.

Dans le compte rendu de l’entretien préalable à son licen-

ciement, celle-ci mentionne « une parure de table, un cof-

fret à cigarettes électr onique, une étole... » que lui aurait

offerts le député. Rien n’est écrit sur la contrepartie de cescadeaux, mais l’élu fait remarquer, avant de prendre cong é :

« Vous ne savez pas rester discrète sur de s éléments

d’ordre privé, c’est un mauvais point pour travailler dans

 notre univers politique. » Grillée, l’attachée qui a osé se

plaindre ? Peut-être pas, puisqu’elle a choisi de ne pas aller

devant la justice. Et comment lui en vouloir...

« Les auteurs de violences sexistes ont une conscience

 assez nette de leur impunité, commente l’AVFT. Les juges les Une socialiste, qui souhaite garder l’anonymat, va plus loin : « Quand un cas se présente,

c’est le déni. On se cache les yeux. C’est l’omerta la plus totale. » Et l’AVFT d’ajouter : « S’il 

 n’y a pas de pression médiatique ou de mobilisation de l’opinion publique, les partis ne

 réagissent pas. » Il a fallu que Benoît Hamon soit interpellé publiquement pour que

Jacques Mahéas, condamné depuis deux ans déjà, fasse l’objet d’une procédure d’ex-

clusion – une première dans l’histoire du PS. Malin, le maire s’est « mis en congé » du Parti.

Un tour de passe-passe qui lui permet de claironner, dans une lettre à ses administrés :

« Je n’ai pas démissionné du Parti socialiste. » Au fait, Dominique Strauss-Kahn non plus.

Pourtant, le parquet de Paris a estimé, dans un communiqué, que « des faits pouvant

être qualifiés d’agression sexuelle » contre Tristane Banon  avaient eu lieu. En passant,Causette a vérifié : le presque candidat est toujours membre du Parti.

Leila MINANO et J ulia PASCUAL — PHOTOS : Franck JUÉRY pour Causette

Note de la rédaction : contactés par Causette, Jacques Mahéas et Martine Aubry n’ont pas donné

suite à nos demandes d’interview.

  VOUS NE SAVEZ PAS

RESTER DISCRÈTESUR DES ÉLÉMENTS

D’ORDRE PRIVÉ, C’ESTUN MAUVAIS POINTPOUR TRAVAILLER

DANS NOTRE UNIVERSPOLITIQUE

UMP :QUAND UN ANCSECRÉTAIRE D’ÉT

SE PREND POUCOLUMBO

 À l’UMP, on préfère joules enquêteurs. Dans u

commune tenue par uancien secrétaire d’ÉtaLéa1 est venue se plaindu harcèlement sexuedu chef de la policemunicipale. L’employéa réuni les e-mails,les photos et vidéospornographiques quelui a envoyés son chefainsi que ses protestatécrites. Elle révèle ausque son supérieur luipropose une arme (de7e catégorie, non létaleen échange de ses favsexuelles. Preuvesinsuffisantes pour la

mairie, qui lui conseillde faire mine d’acceptla transaction pourrécupérer le pistolet.Une manière « de dispo

d’un élément matériel l

 permettant d’étayer un

dépôt de plainte ultérie

justifie le maire. Léas’exécute, mais le chefde police est blanchi econseil de disciplineet la plainte déposée,classée sans suite...Raison invoquée :prise d’une « sanction

alternative de nature

 non pénale » (sic) . Il y a

neuf mois, Léa a déposune nouvelle plainte, qest en cours d’instructi

1. Par peur d’éventuellesreprésailles, la victime nous demandé de modifier son pret de taire le nom de la comm

condamnent rarement à l’inéligibilité et l’État ne les révoque

 pas. » Quant aux partis politiques, ils rechignent à faire le

ménage dans leurs propres rangs. À droite et à gauche, onse défend : « Nous ne sommes pas des instances judi-

ciaires ! » On fait moins de manières quand il s’agit d’exclure

Georges Frêche du PS pour ses multiples sorties racistes, ou

quand on menace le député UMP Christian Vanneste de le

faire après qu’il ait tenu des propos homophobes.

Il faut croire qu’en politique, les violences sexistes sont un

non-sujet. « On considère ce genre de cas avec complai-

sance », se désespère la sénatrice UMP Chantal Jouanno.

ENQUÊTE

 

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44 CAUSETTE #23 CAUSETTE

ON EST PRIS EN OTAGE, CAR ON NE VEUT PAS DÉSTABILISEL’ÉQUIPE MUNICIPALE EN PLEINE CAMPAGNE PRÉSIDENTIELL

 Y acine Chaouat, maire adjoint PS du 19

e

arrondis-sement de Paris, chargé de la médiation, a été

condamné, fin 2011, à six mois de prison avec sursis

pour violences conjugales. Plusieurs mois après la décision,

des élus verts réclament sa démission, mais la mairie PS ne

lâche pas son adjoint. Dans un communiqué, elle défend « un

 jeune élu socialiste, issu de la diversité [sic] , mis en cause

 pour des faits privés » . Interrogé par Médiapart, Roger Madec,

le maire, va plus loin : « C’est pas quelqu’un de violent, […] la

 peine était disproportionnée. […] Il y a peut-être un geste

  regrettable, mais dans cette affaire, il y a deux victimes. » 

Regrettable, le geste ? Fatma Chaouat, 21 ans, a été battue

à coups de ceinture, puis retenue à son domicile  (quatorze

 jours d’incapacité temporaire de travail). « C’est horrible ! réa-

git un élu PS de l’arrondissement, les communiqués du maire

 n’ont pas été discutés. On n’est pas d’accord, mais on est

 pris en otage, car on ne veut pas déstabiliser l’équipe muni-

cipale en pleine campagne présidentielle. »Quant à EELV, qui joue les redresseurs de torts à la mairie du

19e, le Parti n’a pas de leçon à donner. Stéphane Pocrain,

membre de la garde rapprochée d’Eva Joly, a été condamné

pour violences conjugales en 2008 et, il y a deux mois, pour

abandon de famille et non-paiement de la pension alimen-

taire. Dans un courrier interne, une cinquantaine de militants

verts réclament que le collaborateur « soit écarté des cerclesofficiels et officieux de la campagne d’Eva Joly au plus vite ».

« C’est un vrai problème pour un Parti qui a un positionne-

 ment clairement féministe »,  justifie, dépitée, une des signa-

taires de la lettre. Quatre mois après le courrier, Stéphane

Pocrain est toujours dans les petits papiers d’Eva.

Quand on veut, on peutEn dépit de cette distinction vie privée/vie publique, utilisée

comme bouclier par le maire du 19e – et par d’autres élus

quand un de leurs pairs est condamné  –, il arrive pourtant

que des représentants de la nation soient démissionnés pour

des faits relevant de leur vie privée.

En avril 2011, Guy Rouveyre, conseiller général PCF et pre-

mier adjoint d’Échirolles  (38), a ainsi été contraint à démis-

sionner de ses mandats après que son maire a découvert sa

condamnation en 2010 pour deux agressions sexuelles sur

mineur de 16 ans. De même, le conseiller municipal UMP duMesnil-Saint-Denis  (78), Maurice Gutman, condamné en

2010 à deux mois avec sursis pour proposition sexuelle à une

mineure de 15 ans, a, selon la mairie, « démissionné immé-

diatement ». L’élu aurait même... « changé de ville ».

L. M. et J. P.

La vie (très) privéedes élus de la République

Le devoir d’exemplarité des élus s’arrête-t-il à la porte de la mairie, du conseil général ou de leurpermanence parlementaire ? Non, répondent en chœur les partis. Dans sa vie privée, comme

dans l’exercice de ses fonctions, le comportement d’un élu doit être conforme aux valeurs duParti. Mais il faut confronter ces déclarations à la réalité...

ENQUÊTE