Camouflage128CamouflageCamouflages Ni vu ni connu L’art …

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Camouflage Camouflages Camouflage L’art de disparaître 129 Camouflage Camouflages Camouflage Ni vu ni connu 128 L’art de disparaître de l’invisible au furtif L’histoire du camouflage scientifique ou du moins systématique débute avec la Première Guerre mondiale. Ce massacre industriel suscite des industries de l’invisibilité. On fabrique d’abord des tissus d’uni- formes qui se voient le moins possible. Puis, l’armée emploie des motifs qui « cassent » les formes reconnaissables, variante paradoxale du principe du trompe-l’œil. La même méthode s’applique bientôt aux véhicules, navires, camions, chars ou avions. La peinture camouflage est censée les rendre imperceptibles jusqu’à ce qu’ils puissent fuir ou frapper. À ce jeu, gagne celui qui a les meilleurs peintres, puisque tout est affaire de vision. Le camouflage devenu portable confère un avantage tactique : gain de protection, chances d’échapper au feu adverse, avantage de la surprise... Il garantit surtout un gain de distance et de temps sur l’ennemi : celui-ci ne pourra repérer le soldat ou l’engin camouflé que lorsqu’il sera trop tard. Le principe n’est pas très différent de celui qu’applique le chasseur moderne qui se recouvre d’un filet synthétique et de branchages jusqu’à être à bonne distance pour tirer un animal 1 . Et il n’y a guère de perfectionnement que l’on puisse imaginer en ce domaine. Même la technologie numérique ne permet pas encore de rendre un ont récemment produit un « manteau transparent 2 ». C’est un tissu sur lequel sont projetées les images d’éléments du décor qui sont en réalité derrière le corps ou l’objet à dissimuler. Mais la méthode est imparfaite, tant sont variés les angles sous lesquels ledit objet peut être observé. Dans tous les cas, le procédé n’est pas encore applicable François-Bernard Huyghe NA OKI K A W AK AMI faisant une démonstration de camouflage optique à l’Université de Tokyo, le 14 mai 2 004. Doc Camouflage 20/09/05 9:42 Page 128

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L’art de disparaître 129CamouflageCamouflagesCamouflageNi vu ni connu128

L’art de disparaître

de l’invisible au furtif

L’histoire du camouflage scientifique ou du moins systématique

débute avec la Pre m i è re Guerre mondiale. Ce massacre industriel suscite

des industries de l’invisibilité. On fabrique d’abord des tissus d’uni-

formes qui se voient le moins possible. Puis, l’armée emploie des

motifs qui « cassent » les formes reconnaissables, variante paradoxale

du principe du trompe-l’œil. La même méthode s’applique bientôt aux

véhicules, navires, camions, chars ou avions. La peinture camouflage

est censée les rendre imperceptibles jusqu’à ce qu’ils puissent fuir ou

frapper. À ce jeu, gagne celui qui a les meilleurs peintres, puisque

tout est affaire de vision. Le camouflage devenu portable confère un

avantage tactique : gain de protection, chances d’échapper au feu

adverse, avantage de la surprise... Il garantit surtout un gain de

distance et de temps sur l’ennemi : celui-ci ne pourra repérer le soldat

ou l’engin camouflé que lorsqu’il sera trop tard. Le principe n’est pas

très diff é rent de celui qu’applique le chasseur moderne qui se re c o u v re

d’un filet synthétique et de branchages jusqu’à être à bonne distance

pour tirer un animal1. Et il n’y a guère de perfectionnement que l’on

puisse imaginer en ce domaine.

Même la technologie numérique ne permet pas encore de re n d re un

ont récemment produit un « manteau transparent2 ». C’est un tissu

sur lequel sont projetées les images d’éléments du décor qui sont en

réalité derrière le corps ou l’objet à dissimuler. Mais la méthode est

imparfaite, tant sont variés les angles sous lesquels ledit objet peut

être observé. Dans tous les cas, le procédé n’est pas encore applicable

François-Bernard

Huyghe

NAOKI KAWAKAMI

faisant une

démonstration de

camouflage optique

à l’Université

de Tokyo,

le 14 mai 2 004.

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Cette révolution commence avec l’invention du radar au cours de la

Seconde Guerre mondiale. Celui-ci émet des ondes électro m a g n é t i q u e s

et capte leur réflexion sur des corps en mouvement, avions ou bateaux,

pour en calculer la distance et la dimension. Dans les années 40 eure n t

lieu diverses tentatives pour leurrer les radars en répandant des nuages

de paillettes d’aluminium. Puis les chercheurs des années 70 imaginent

des solutions qui permettent à la fois de renvoyer les ondes ailleurs que

sur le radar et de les absorber. Ce sont les fondements de la furtivité.

des ondes aux données

Le premier résultat – disperser les ondes – s’obtient par les formes de

l’objet à dissimuler : de là, les fameuses silhouettes des avions discrets

dits stealth à multiples facettes comme le B2 et le F117 américains. Ils

semblent tout droit sortis de la bande dessinée B a t m a n. Chacune de ces

facettes « piège » les ondes qu’elle reçoit pour les disperser et rendre

ainsi impossible l’identification du signal radar.

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à chaque soldat d’une armée. Sur le terrain GI Joe ne se transformera

pas en homme invisible à la H.G. Wells.

Vu d’un peu plus haut, donc considéré du point de vue stratégique,

le camouflage apparaît certes comme indispensable – plus personne

ne songerait à vêtir son armée d’un pantalon garance – mais aussi

comme relativement fruste.

Partant du principe que la guerre ne consiste pas seulement à

employer des forces mais aussi des langages, des symboles et des images,

nous c o n s i d é rons qu’elle fait appel à quatre usages de l’inform a t i o n3,

c o m p arables à quatre arts martiaux. Ils sont applicables à toutes sort e s

de stratégies non militaires, diplomatiques, politiques ou économiques :

• L’art de paraître (il consiste à encourager les siens, mobiliser les

soutiens, impressionner).

• L’art de tromper (amener l’ennemi ou l’adversaire à des décisions

erronées, lui faire perdre des appuis, éventuellement l’affaiblir par

intoxication et stratagème).

• L’ a rt de voir (au sens général : surveiller le terrain, les forces en p r é s e n c e,

l ’ a u t re, anticiper ses intentions, disposer du meilleur re n s e i g n e m e n t ) .

• L’art de cacher (se rendre invisible, conserver ses secrets et savoir

surprendre).

Dans ce classement, le camouflage apparaîtrait comme la forme la

plus élémentaire du quatrième art. Elle semble très rustique comparée

à des pratiques du secret indirectes et raffinées comme la cry p t o l o g i e,

discipline qui vise à produire des messages codés que seul leur desti-

nataire véritable sera capable de comprendre grâce à une clé. Or la

technologie va changer tout cela.

Le vieux camouflage prend une importance et une complexité inédites

avec la prolifération des capteurs non humains dont le radar est

l ’ a rchétype. Ces machines à percevoir ne se contentent pas d’augmenter

la portée de nos sens – cela, la longue-vue le faisait déjà – mais elles

tendent à les remplacer. Elles détectent et analysent des signaux :

ondes, infrarouges, variations de chaleur corporelle. Elles en déduisent

la position ou la forme d’un corps. Face à elles, au lieu de se dissimuler

et de poursuivre le vieux rêve du manteau d’invisibilité, il s’agira

d é s o rmais d’empêcher l’adversaire d’acquérir ou d’interpréter

certaines données.

Les B52 décollent

de la base de la RAF

de Fairfod.

Mission contre

les positions serbes,

le 24 mars 1999.

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Bien sûr, ces promesses d’ubiquité, d’invisibilité et d’omniscience de

la Revolution in Military Affairs ne se sont pas davantage réalisées

que les espérances d’une « société de l’information » heureuse, pacifiée

et démocratique. L’idée que celui qui possède la technologie peut

tout savoir de son adversaire sans être vu est tout simplement fausse.

La guerre du Kosovo en 1999 a démontré comment des satellites ou

des capteurs qui coûtent des millions de dollars peuvent être abusés

par des leurres rustiques comme des chars gonflables ou des foyers

imitant la chaleur de moteur. Quant à la guerre d’Irak, elle a confirm é

que le problème de l’armée américaine n’est pas de tirer les chars

ennemis comme dans un jeu vidéo, ni de tromper des radars. Il est de

repérer des guérilleros ou des volontaires de la mort qui se fondent

dans la foule. Aucun senseur numérique ne repère un corps de kami-

kaze décidé à se transformer en arme, lumière et chaleur.

Les stratèges analysent désormais les guerres menées par les États-

Unis comme un duel entre le Système Global de Surveillance et de Frappe

(Surveillance Strike Complex) et tous ses ennemis. Ces derniers, les

« faibles », dépendent de leur capacité de tromper ce système, de lui

échapper et d’amener l’adversaire au sol, si possible en milieu urbain.

À ce moment, il redeviendra vulnérable aux attentats, aux manifesta-

t i o n s relayées par les médias, aux bavures et à toutes les formes de la

guerre dite asymétrique4. La première puissance militaire tendrait à

devenir un Globocop surarmé, poursuivant sur toute la planète un

ennemi qui se cache avant de frapper là où il trouve des cibles « molles ».

Tout ceci est encore plus vrai depuis que les États-Unis ont proclamé

la Global War on Terror (GWOT), abolissant la différence entre sur-

veillance policière et surveillance militaire. Un récent projet américain

visait à obtenir la Total Information Awareness5, une surveillance

sans faille qui permettrait d’anticiper les actions terroristes. Ce projet

lancé par l’amiral Pointdexter est aujourd’hui largement compromis

du fait des protestations qu’il a suscitées. Initialement, il reposait sur

la notion que les terroristes deviennent repérables, au même titre

que les citoyens ordinaires, lorsqu’ils pénètrent dans « l’espace des

transactions ».

L’amiral en déduisait la nécessité de gigantesques bases de données

et d’un système croisant toutes ces informations pour détecter des

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Quant à l’absorption des ondes du radar, cette performance est en

p a rtie réalisée par la composition chimique des couleurs sombres : elles

donnent au fuselage des avions furtifs leur teinte noire et leur esthé-

tique futuriste. Les mêmes principes ont été appliqués à des frégates,

à des porte-avions et bientôt à des drones sans pilotes. Sur le plan

militaire, la « furtivité » n’est pas une panacée. Les engins furtifs sont

extrêmement coûteux, peu aérodynamiques, patauds, d’entretien

compliqué, sensibles aux conditions météorologiques. Ils ne sont même

pas si invisibles que cela puisque les Serbes ont pu abattre un avion

de ce type pendant le conflit du Kosovo. Par ailleurs, il faut résoudre

d’autres problèmes comme celui de la « signature » infrarouge ou

thermique des réacteurs. Malgré tous ces inconvénients, la furtivité

est une des priorités de la re c h e rche militaire, du moins aux États-Unis.

Elle conforte surtout un mythe : celui de la technologie conférant

une quasi-invulnérabilité. Le vocabulaire stratégique reflète cette

mentalité : il est désormais question d’avions indétectables, à haute

s u rvivabilité, impunissables, ou de « dominance » aérienne. Toutes ces

notions s’éclairent dans le cadre conceptuel d’une « Révolution dans

les Affaires Militaires » (RMA) chère aux généraux américains et

parall è l e au discours « civil » des années 90 qui célébrait les merv e i l l e s

d ’ I n t e rn e t et l’avènement de la société du savoir.

La RMA est la version guerrière d’un imaginaire qui sacralise les

Technologies de l’Information et de la Communication. En l’occur-

rence, cette utopie peut sommairement se résumer ainsi : l’armée qui

disposera des techniques les plus récentes – projectiles intelligents,

c o o rdination en réseaux, détection et surveillance, furtivité, satellites,

ordinateurs, ou autres – mènera une guerre victorieuse par écrans

interposés, depuis une chambre de guerre et à travers des relais

numériques. La puissance « infodominante » verra tout et frappera où

elle voudra quasiment sans risque. Certains stratèges recourent à la

métaphore de « l’œil de Dieu » : percevant tout ce que fait l’autre et

utilisant des armes que ne peut détecter son adversaire, l’US Army

déchaînera à son gré un châtiment céleste sur lui. Les missiles tombe-

ront avec une précision absolue, sur un ennemi lourdaud, cloué au

sol. Il sera tout aussi incapable d’échapper à la punition que, au fond

de sa tombe, Caïn ne peut échapper à l’œil de Yahweh .

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profils terroristes, et pour pouvoir intervenir avant l’attentat. Dans

cette optique, les terroristes sont « traçables » lorsqu’ils payent avec

leurs cartes bancaires, réservent des avions, visitent certains sites, lisent

certains livres, s’inscrivent à certains cours : en rapprochant tous ces

éléments significatifs, on devait obtenir un « profilage » du terroriste

type. Donc l’anticiper.

Beaucoup de critiques ont comparé l’univers de la TI. à celui du

roman de Philip K. Dick, qui a inspiré un film de Spielberg, Minority

Report. Dans cet univers futuriste, le citoyen est identifiable à chaque

minute de sa vie : ainsi, lorsqu’un individu pénètre dans un magasin,

des ordinateurs l’identifient en filmant et lui font des propositions

commerciales en l’interpellant par son nom. Dans le roman, la police

a rrête les suspects juste avant qu’ils ne passent à l’acte : le système est

si au point qu’il n’y a pas besoin d’attendre le commencement d’exé-

cution pour réprimer. Les criminels arrêtés sont considérés comme tout

aussi coupables que s’ils avaient accompli leurs crimes.

du militaire au militant

Camouflage, leurre, furtivité, chasse à l’homme, terrorisme, tout cela

évoque un univers de la survie et de la mort. Il semble à l’opposé des

valeurs pacifiques de nos sociétés civiles. Pourtant, même ceux d’entre

nous qui ne tirent pas le daim le dimanche, qui ne font pas le jihad dans

les montagnes du Pakistan ou qui ne développent pas de fantasmes

sur Rambo doivent apprendre à intégrer ces nouvelles notions. Le

citoyen se sent victime potentielle non seulement d’un fichage bure a u-

cratique mais aussi de manipulations commerciales, ou de délinquance

astucieuse : l’homme ordinaire aussi est devenu « traçable » à son

tour. Sur le champ de bataille, on dit de l’adversaire observé qu’il

laisse une «signature», mais dans la vie civile, chacun de nous laisse

sa signature : notre passé nous poursuit sous forme numérique. Un

citoyen ord i n a i re est rattrapé par ses fiches médicales, pro f e s s i o n n e l l e s ,

f i n a n c i è res, fiscales et pénales permettant de le suivre, de re c o n s t i t u e r

ses faits et gestes, et par là son identité. Les nouvelles technologies

permettent de comparer de multiples bases de données, et d’enre-

gistrer une foule d’actions ou de transactions qui autrefois étaient

anonymes. Cela va du paiement par carte bancaire aux navigations

Louise Merzeau (1963- ) : SANS TITRE, 2005.

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l i b re de trouver cela scandaleux, ou d’estimer au contraire qu’un dro i t

minimal à l’anonymat et à l’intimité justifie le risque de petits trafics.

Mais, dans tous les cas, c’est une tendance lourde de nos sociétés.

Au nom de la transparence démocratique, du principe de publicité,

ou de précaution du droit de savoir, nous voulons tout voir. Qu’on ne

nous cache rien, ni des mécanismes de l’État, ni sur le comportement

privé des hommes publics. Que tout ce que nous consommons soit

traçable et certifié. Mais en même temps, jamais nous n’avons autant

craint d’être fichés, surveillés, écoutés. Jamais nous n’avons tant

réclamé le droit ne pas être identifiés, nous que l’on disait menacés

par l’anonymat de masse. Exigence de sécurité et individualisme se

conjuguent pour en faire un enjeu politique.

Il faut donc sérieusement envisager l’hypothèse où le camouflage

apparaîtrait comme un ultime recours face aux grandes machines de

surveillance, non pas le camouflage du corps, mais celui de nos actes

et de nos choix.

Le développement des transactions à distance comme celui de la lutte

antiterroriste favorisent le développement de la biométrie, cette

technique qui permet d’identifier un individu par l’iris de son œil,

l’enregistrement électronique de ses empreintes ou en mesurant la

spécificité de ses impulsions nerveuses, bref par tout ce qui nous rend

uniques... Finalement, la biométrie consiste à traduire en données

numériques, donc stockables, transportables et traitables à volonté,

des données biologiques, reflet de ce qu’il y a de plus intime et de

plus individuel au cœur de l’ADN de chaque individu. Verrons-nous

alors apparaître de nouvelles techniques de camouflage adaptées aux

techniques de fichage ? Faudra-t-il appre n d re à dissimuler à ces capteurs

raffinés l’identifiant absolu : notre propre code génétique ?

François-Bernard Huyghe est directeur de recherches en sciences

de l’information et de la communication.

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ou messageries sur Internet en passant par nos coups de téléphone

ou par l’utilisation de transports collectifs. Du coup, des enjeux comme

la protection de l’anonymat ou la liberté de la cryptologie deviennent

des thèmes militants et non plus des problèmes militaires.

Ils deviennent même la source d’un véritable commerce. Il est main-

t e n a n t possible de passer par des sites Internet dits « anonymiseurs »

pour s’assurer que personne ne remonte à la source des courriels que

l’on envoie. Les spécialistes savent comment créer un site qui change

constamment d’adresse sur la Toile de telle façon que personne ne

puisse l’interrompre si bien que seuls les initiés sauront toujours le

retrouver.

Tantôt en profitant des trous des législations nationales (les États-

Unis offrent quelques possibilités aux amateurs de seconde identité),

tantôt en se domiciliant hors de portée des systèmes répressifs, tantôt

enfin avec la complicité de pays peu regardants, des sociétés offrent

ouvertement de faux passeports sur la Toile. D’autres proposent de

vrais passeports diplomatiques, un titre de consul ou de conseiller hono-

raire, des cartes de crédit imitées, des cartes de crédit renvoyant à des

sociétés écrans, des comptes dans des paradis fiscaux comme le Dela-

ware ou Belize...

Et ne parlons ni des sociétés offshore, ni des titres universitaires, ni

des permis de conduire. Certaines de ces propositions frisent le canular :

carte « Fisa » sans puce ou citoyenneté conférée par un cyber-État.

Mais il existe aussi des publicités plus inquiétantes du type « comment

disparaître et n’être jamais retrouvé... ». Internet est le paradis de ce

petit négoce.

D ’ a u t re part, les statistiques policières montrent que l’identification

des individus est tout sauf une science exacte. Le nombre de dispari-

tions volontaires, mais aussi celui des emprunts d’identité est en pleine

croissance6. Et tout cela n’est pas le seul fait d’internautes en quête

de frissons. Fraudes à l’examen, petites escroqueries aux prestations

sociales, permis de conduire ou titres de séjour répertoriés sous une

fausse identité, délinquants emprisonnés sous un patronyme invéri-

fiable, sans parler du très riche domaine du travail clandestin... Tout

cela prouve que l’État ne sait pas encore qui est qui à chaque

seconde. Si Big Brother nous regarde, il est parfois myope. Chacun est

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