Brunschwicg:Les Étapes

656

Click here to load reader

Transcript of Brunschwicg:Les Étapes

Digitized by the Internet Archivein

2011 with funding fromUniversity of Toronto

iittpV/www.archive.org/detaiis/iestapesdeiaphOObrun

LES TAPES

L4 PHILOSOPHIE MATHMATIOUE

A LA

MME LIBRAIRIE

DU MME AUTEUR

BIBLIOTHQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

La Modalit du Jugement;Spinoza;2'

1

vol. in-S"

^^

fr.

dition.

1

vol. in-8"

3 fr. 12 dit. 1 vol. in-16

Introduction la

Vie de

l'Esprit;1

2

fr.

5

L'Idalisme contemporain;

vol.

in-16

2 fr. 5

ir/9-ll.

-

Coulommiers. Imp. Paul

BRODARD.

-

6-12.

LES TAPESDE

LA PHILOSOPHIEMATHMATIOUEPAR

LEON BRUNSCHVICGDocteur eslettres.

Professeur de philosophie au lyce Ilenri-IV.

PARISLIBRAIRIE FLIX ALCANi08,

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

1912Tous droits de traductionet

de reproduction rservs.

AVANT-PROPOS

Les difficults quesont lies, pour une

la

philosophie rencontre aujourd'hui

bonneles

Elles s'expliquent sans doute par ce fait

temps professes surs

au problme de la vrit. que les ides longmthodes et sur les rsultats de lapart,

mesure que le contact La rupture est fait ili' l'quilibre traditionnel a pris la gravit d'une crise, du jour o elle s'est manifeste dans les mathmatiques dont l'humascience sont devenues hors d'usage

plus troit entre savants et philosophes.

nit avait tir le typeIl

de

la certitude inbranlable.

yil

a vingt-cinq ans, lorsque Jules

Tannery publiait

la

magistrale Introduction la thorie des fonctions d'une varia'/ih,

semblait que, pour rendre compte des mathmatiquesil

modernes,tincte

suffisait

de faire appel entier.

la

notion clairel'entre

et dis-

du

nombre

Dans

les

premires annes du

xx" sicle,la

une rvolution s'annonce par

en scne de

logique symbolique. Le concept aristotlicien de classe (ou

de fonction propositionnelle) devient la cl de vote d'undifice

dont

les vastes

proportions contrastaient avec

les

bornes de l'arithmtisme,

jamprunter sagnral.

solidit

et qui en mme temps paraissait aux lments du discours pris en

.avait raliser l'univers

Mais, sous la pression de la contradiction qu'il y du discours, classe de la totalit des

^classes, l'difice s'est croul.

La

logistique, subsistant sans

;nul doute titre de technique formelle, s'avoue impuissante justifier la

mathmatique en tant que matresse de

vrit.

VI

AVAXT-PROPOS

Ds lors, par une raction invitable, la philosophie mathmatique s'est fie et abandonne l'intuition, sans russir pourtant se frayer une voie certaine travers la richesse et la diversit des formes de l'intuition, depuis cette formeraliste qui, la base de toute thorie

comme

tout

moment

cette

dmonstration, exigerait une image, un donn, jusqu' forme mystique, qui dispenserait, non seulement de la reprsentation sensible, mais encore de la preuve rationdela

nelle.

D'aussi

tranges;

vicissitudes

ont

dconcert plusles

d'un

esprit cultiv

elles

ont

strilis,

au point de

transformer

en leons de scepticisme, les enseignement substantiels, et profonds dont des savants hors de pair avaient pris l'initiative. Et si la mathmatique n'a pas su conserver le sentiment de la vrit qui lui appartient, tout au moins si elle ne peutplus en produire au dehors les caractres essentiels, il est fort craindre que les philosophes de profession n'aient plusrien dire; ou, ce qui reviendrait

au mme,

ils

pourront

tout dire, avec une chance gale de se mouvoir dans le spcieux et dans le probable, mais sans espoir de rencontrer la

raison capable de fixer et d'imposer une solution dtermine. Dans cet tat de choses, une seule ressource nous a paru

demeurer ce serait, au lieu de s'engager dans le tourbillon form par tant de courants contraires, de considrer ce tour-_ billon pour lui-mme, de rechercher les conditions de sa|| formation et de son dveloppement. La base de la critique philosophique serait alors dans l'histoire de la pense math:

matique.

Spinoza et sur Pascal nous avaient dj conduit nous proccuper de cet aspect de l'hisles positions que l'un et l'autre penseur ont prises toire l'gard de la gomtrie cartsienne, nous avaient paru com

Nos travaux:

antrieurs sur

mander en partie leurs conceptions respectives de la raison humaine et de l'exgse mme. Il fallait maintenant tendre si on prtend tirer de l'histoire des le champ de ces tudes leons utiles, il importe que l'on ne commence pas pai choisir celles que l'on voudrait recevoir. Pour avoir quelqu:

chance de voir

clair

dans

le

problme de

la vrit, tel dii

AVANT-PROPOS

VIT

moins qu'il se prsente sur ce terrain privilgi de la mathmatique, il tait dsirable que l'on put se rendre le tmoignag'e de n'avoir de parti pris nglig aucun ordre de faits. Ainsi l'enqute sur la philosophie mathmatique devait se prolonger travers le cours entier de la civilisation, sans que l'on suppost au point de dpart une dfinition d'une telle philosophie, sans que l'on prjuget la forme normalequ'elletait destine recevoir.

Concurremment avec

les

penseurs qui se sont levs une conception systmatique de

mathmatique, de son rle dans l'ensemble du savoir humain, il convenait d'interroger les savants qui sont dues les mthodes de dcouverte ou d'exposition, de faire tat des procds rudimentaires que les peuples non civiliss emploient pour les oprations les plus simples du calcul. Quelle qu'en doive tre la conclusion, une telle tude a un intrt intrinsque. Il vaut la peine de suivre, chez ceux qui ont associ le gnie du philosophe au gnie du savant, l'effort tant de fois interrompu, tant de fois renou, pour parvenir la pleine conscience de la vrit mathmatique, de faire voir sur quelles conqutes du savoir positif se fonla

daient les doctrines qui se sont disput l'empire des esprits,

comment chacune

d'elles est

venue son rang, son heure,

de contribuer ainsi mettre plus d'ordre et plus de lumire

dans notre connaissance de l'humanit. Htons-nous d'ajouter que, depuis les publications de M. Moritz Cantor et de

mathmatiques est une matire qui dj labore la rflexion du philosophe; et, pour rappeler de combien de points d'appui disposait une entreprise comme la ntre, il suffirait de mentionner quelquesuns de ceux qui, dans ces trente dernires annes, ont refaitl'histoire dess'offre

M. Zeuthen,

l'accord de la science positive et de la spculation philoso-

Paul du Bois-Reymond, Georg Cantor, Flix Klein, Hilbert, Henri Poincar, Paul et Jules Tannery, Milhaud. Lechalas, Mansion, Couturat, Borel, Maximilien Winter, Pierre Boutroux. En outre, au cours de notre travail, nous avons pu recueillir le bnfice d'tudes originales qui venaient

phique

:

clairer certaines parties difficiles de notre recherche.

Ainsi,

M.

Lvy-Bruhl, qui nous avait

fait

connatre

le

livre

de

VIII

AVANT-PROPOS

M. Conanttait,

relatif aux modes primitifs de numration, apporau chapitre v de son ouvrage Les Fonctions mentales dans les socits infrieures, des documents d'un intrt exceptionnel sur les rudiments du calcul. Dans l'tude historique et critique de M. Robin La thorie platonicienne des Ides et:

:

des

Nombres d'aprs

Aristote,

nous trouvions une analyse

exhaustive des tmoignages d'origine aristotlicienne parlesquels on peut avoir accs l'enseignement de l'Ancienne

Acadmie. Enfin nous ne saurions dire de combien d'amliorations importantes dans notre expos nous sommes redevables aux conseils, les plus prcieux que nous a3'^ons pusouhaiter, de deux savants dont les

noms ont

t cits plus

haut

:

MM.

Maximilien Winterindiquer

et Pierre

Boutroux'.notre

Nous

voudrions

maintenant comment

enqute historique nous a guid vers les conclusions que nous avons soutenues dans les dernires pages de notretravail.

Chaque

fois

qu'une des grandes disciplines dela

la

math-

matique, l'arithmtique,

gomtrie, l'analyse infinitsisoi,

male, a pris dfinitivement conscience de

nous avons

vu

se constituer

un systme qui appuyait sur:

cette discipline

une conception universelle des choses le pythagorisme, le spinozisme, le leibnizianisme. Pour des causes que le recul du temps permet aujourd'hui de discerner, aucun n'est parvenu fixer l'quilibre mobile de la pense. A plus forte raison, les tentatives de l'arithmtisme ou de la logistique pour rattacher la mathmatique une forme qui exprimerait une ncessit permanente, une vrit ternelle, taient-elles destines chouer. L'histoire rend compte du dtour de pense qui a ramen les philosophes vers l'ontologie de Pythagore ou d'Aristote mais elle explique aussi, en nous;

faisant assister l'volution des doctrines qui ont

eu leur

point de dpart dans l'interprtation arithmtiste ou logisi. Nous tenons cur d'associer, dans l'expression de notre gratitude, M. Jean Wahl, agrg de philosophie, et M. Paul Wahl, ingnieur des ponts et chausses, qui ont bien voulu nous seconder, de tout leur dvoment clairvoyant, dans la correction des preuves.

AVANT-IMIOPOStique des ni;illiniati(|ue.s, pourquoi elles(le

rx

taient

in aiJiihles

rpondi'c l'intention dogmatique de leurs fondateurs.

D'autre part,

le

dvelo|)pement de

la science

au

xix' sicle

pour en justifier plus aisment les principes, on subordonne la mathmatique aux tudes mcaniques et ph3'siques dont elle deviendrait un simple instrument. La position d'un Kant ou d'un Auguste Comte refltene permet pas([ue,

sans doute les caractres de la priode qui, ouverte avec lessuccesseurs de Newton, s'tend jusqu' Lagrange et Laplace;elle

ne se comprendrait plus en face de la transformation depuis Cauchy et depuis

qui s'est accomplie dans l'ide de science exprimentale, enface de la rnovation de l'analyse:

Abel, la mathmatique

modernele

a fait la preuve d'une auto-

nomie qui Ds

lui a

donn

moyen

de frayer, dans

le

domaine

des recherches naturelles, des voies inattendues.lors,

l'enqute que

nous avons entreprise pourraitle

paratre

se terminer elle-mme, sans laisser subsister de

rponse au problme del vrit, sans apporterdes systmes mtaphysiques qui ont

remde aula science

dsarroi de la spculation contemporaine. Mais la successionfait

dpendre

tout entire de formes dtermines de l'intelligence n'est quela

moiti de l'histoire. L'autre moiti, c'est la croissance consa richesse a faite

tinue d'une pense que

toujours

plus

assure d'elle-mme.

nous refuse la formule explicite, il ne se peut pas qu'elle ne la porte dans ses flancs; et nous apercevons mme qu'elle tait prsente chez les crateurs des doctrines classiques, du jour o nous la dgageons de l'apparence de dogme universel et immuable dont ils s'taient plu la revtir, lguant leurs successeurs la superstition des formes a 'priori et des faits gnraux qui, au xw" sicle, a paralys la critique philosophique.

La solution

positive dont l'histoire

Nous

le

savons aujourd'hui

:

c'tait

une

illusion

de prla

tendre trouver, par une sorte de divination^ les sources oscience devait s'alimenter, et d'o les eaux iraient

dans un canal artificiellement creus pourcours de la mathmatique a la spontanit,accidents d'un fleuve naturel.

lesil

tomber recevoir. Le

offre les mille

Pour avoir quelque chance de

X

AVANT-PROPOS

reconstituer celles de ses parties que drobe le brouillard del'inconscience ou de la prhistoire,ilil

faut l'avoir suivi l oil

est

permis dele

le

voir se drouler sous nos yeux,

faut en

rythme habituel. L'analyse critique peut servir d'introduction l'histoire; mais elle procde de l'histoire. Elle prolonge, pour la faire remonter aussi loin que possible dans le pass, l'attitude qui caractrise la recherche; et elleavoir perus'efforce

de refondre

les

notions lmentaires, de faon lesle

rendre capables de couvrir, dans toute son tendue,scientifique

savoir

actuellement acquis. Rien ne ressemble moins l'exprience

que

la

constatation d'un donn immdiatement

fourni par les

moins aux oprations effectives du savant que le droulement d'un discours purement logique. En fait, ds les dmarches les plus simples de l'arithmtique ou de la gomtrie, une conobjets extrieurs; rien ne ressemble

nexions'ouvre

s'tablitla

entre l'exprience et la raison; etl'intelligence

de

l

voie o

s'mancipe

de l'horizon

born des reprsentations sensibles, o elle acquiert la capade pntrer une profondeur inespre les relations constitutiA^^es du rel. C'est cette voie que nous avions parcourir, mais dans la mesure seulement o cela pouvait tre utile pour voir s'laborer une conception de la vrit qui romprait avec les formules unilatrales du dogmatisme ou du positivisme sans rien sacrifier pourtant de l'exactitude et de la prcision ducit

savoir.

Nous avionsle rle

aussi indiquer

comme cette

conception

modifie

qui en gnral est attribu

aux mathmati-

ques dans l'ensemble des sciences humaines,tient de rvlerla libert

A

la

mathmail

tique considre dans sa physionomie authentique,

appar-

des inventions dont les donnes

intuitives ont t seulement l'occasion, la diversit, l'infinit

des ressources que l'esprit accumule pour l'organisation del'univers.

Par

l elle affranchira la ph3^sique

de l'assujettisse-

ment dont une

interprtation trop troite des relations

numunela

riques ou spatiales avait paru la

menacer

;

elle offrira

base nouvelle la psychologie de l'intelligence que, depuis

Logique de Port-Royal, on s'obstine modeler sur l'appareil extrieur du discours; elle permettra enfin que la philosophie

AVANT-PROPOS

XI

scientifique fasse ressortir la solidarit ncessaire, la coop-

du savoir, au lieu de pour dlimiter desfrontires que toute dcouverte importante de la science est appele dplacer ou supprimer. Bref, et pour autant que nous aurons su remplir le programme que nous nous sommes propos, la mditation de la discipline qui a mis dans la recherche du vrai le plus deration constante des diverses brandies

s'puiser dans

un vain

cITort

scrupule et de subtilit, ne risquera plus d'accrotre l'incerti-

tude

et l'instabilit

de

la

pense philosophique

;

elle raffer-

mira, en l'clairant, notre confiance dans la sagesse humaine.

Suivant

la

parole que Cournot a prise pour pigraphe duet

Trait lmentaire de la Thorie des fonctionsinfinitsimal, Sophi.e

du Calcul

germana Mathesis.

PREMIRE PARTIE

PRIODES DE CONSTITUTION

Brunschvicg.

Les tapes.

LIVRE PREMIER

ARITHMTIQUE

un prjug de croire que les notions simples et les plus anciennement conquises par l'humanit soient aussi celles dont il est le plus facile de reconstituer la gense et de dterminer la nature. En fait, il n'est gure de notion qui, de nos jours, ait soulev plus de discussions, qui ait prt plus d'interprtations diverses, que la notion de nombre, principe de la science lmentaire par excellence, de1.

C'est sans doute

les plus

l'arithmtique.

La mthodecissement dela

historique, dont nous voudrions faire

un usage

constant, peut-elle

mme

tre directement applique Tclair-

notion de nombre?

mathmatique s'ouvre avec le pythagorisme, qui est Tune des doctrines les plus clatantes, mais aussi l'une des plus mal connues, de l'antiquit. Si nous laissons de ct les conjectures sur la part qui revient aux reprsentants successifs de l'cole dans la constitution de la doctrine, ou les connexions souvent tranges et mystrieuses par lesquelles les donnes purement scientifiques se reliaient la tradition des prescriptions morales ou des croyances reliL'histoire de la philosophie

gieuses,l'appui

un problme subsiste o

il

serait essentiel

d'avoir

d'une documentation positive. Nous aurions dterminer le progrs d'ordre technique auquel correspond la philosophie du pythagorisme; pour cela nous devrions pouvoir suivre la culture hellnique dans la continuit de sa croissance, savoir ce qu'elle a emprunt aux civilisations de l'Asie ou de l'Egypte. Plus encore, partant du premier systme qui

4

LES TAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUEI

confre une valeur absolue aux objets de la science mathmatique, nous aurions besoin de remonter jusqu'aux premires lueurs qui manifestent dans l'humanit l'veil de la penseici, l'histoire est presque silencieuse. Nous ne trouvons d'indications suffisamment prcises que dans quelques documents gyptiens d'une antiquit recule, dont le papyrus Rhind demeure le plus important. Notre seule ressource est de tourner la difficult, de substituer aux recherches sur l're primitive de nos civilisations, les observations que, de nos jours, on fait directement sur les socits infrieures. L'ethnographie, exerant une sorte de fonction vicariante, permet de combler en une large mesure les lacunes de la prhistoire, et, par une hypothse qui est assurment invrifiable, mais qui du moins a pour elle la vraisemblance, de rtablir dans ses grandes lignes le cours naturel de l'volution humaine. Ainsi l'tude de la constitution de l'arithmtique comportera Texamen de trois questions distinctes 1 De quelle manire les hommes elTectuent-ils les premires oprations du calcul? 2 Quels rsultats taient obtenus dans la pratique au moment de la rdaction du papyrus Rhind? 3 Comment la science des nombres a-t-elle conduit, dans l'Ecole pythagoricienne, une reprsentation intgrale et une explication de l'univers? 2. Ces trois ordres de recherches, dans l'tat actuel de noire information, ne se font pas suite l'un l'autre, non seulement parce qu'ils n'appartiennent pas une mme histoire, mais aussi parce que logiquement ils se droulent dans des plans diffrents. Lorsque nous tudions le pythagorisme, nous avons pour tche de dterminer la conception que les Pythagoriciens se faisaient de la science, la porte qu'ils attribuaient la notion de nombre et aux relations numriques notre expos doit concider avec la rflexion consciente des penseurs du vi* ou du v^ sicle avant Jsus-Christ. Au contraire, lorsque nous tudions les procds de calcul ou de numration dont les peuplades de rOcanie ou du Brsil central font usage, nous avons affaire des phnomnes dont les esprits humains sont le sige, mais qui ne sont pas pour ces mmes esprits l'objet d'une rflexion consciente. Les non civiliss se livrent des actes d'change, des oprations de calcul, sans avoir aucune ide des rgles d'galit, des lois d'addition ou de multiplication qui confrent leurs pratiques un caractre de vrit le sociologue est plac devant

scientifique. Or,

:

;

;

ARITHMETIQUE!a

5

pense primitive donl

ahysicienessaie

ou

le

essaie de saisir l'volution, comme le physiologiste devant la nature extrieure dont ilil

de fixer les lois. ,.Les ludes qui constituent ce premier livre seront donc faites de deux points de vue diflerents. Nous examinerons les premires manifestations de lart de compter du point de vue critique o la science se place aujourd'hui afin de rtablir le dternainisme mental dont ces manifestations soni le produit, tandis que l'analyse des spculations pythagoriciennes nous reporte acessairement dans le cadre du dogmatisme antique. Une semblable duaht parat invitable; elle est lie au progrs mme de la science, qui montre la disproportion entre la sroissance spontane des phnomnes sociaux et la reprsentation

que les socits s'en font. L'tude compare des religions lonne, par exemple, de l'origine effective des croyances chriennes une ide qui n'a aucune commune mesure avec les sysrines de thologie que les docteurs des glises chrtiennes ont1.;

dilTrenles poques. Gomme le dit fort bien Lvy-Bruhl Les Australiens connaissent admirablement os rites, crmonies et pratiques de leur rehgion si complique serait ridicule de leur en attribuer la science. Mais cette science [uil leur est impossible mme de concevoir, les sociologues'Mistruits:I

tablissentnstructive.

'.

il

y a des raisons de croire que cette dualit sera le passage de la langue latine a langue franaise, on a t amen distinguer deux modes le formation le mode populaire, obissant des lois aussi lalurelles, aussi spontanes, aussi ncessaires que les lois de "univers physique, et qui rgissaient le langage des foules du noyen ge, comme les formules de Galile rgissent la chute les corps, le mode savant, man de la rtlexion ultrieure, le la volont systmatique des grammairiens qui ont dict une orte de code pour la naturalisation du vocabulaire latin. Peut'tre les ambiguts auxquelles donnent lieu les problmes, et 'ide mme, de la philosophie mathmatique, commenceront;lles se dissiper si en tudiant la formation des principes nathmatiques nous pratiquons une distinction analogue. En l'autres termes, nous ne devrons pas nous borner enregistrer 3s notions d'ordre philosophique qui se sont greffes tel ou tel loment sur les propositions positives de la science et qui ont fini le cadre que la tradition dogmatique impose la justifi-

D'autre part

Pour comprendre:

t.

La Morale

et la

Science des Murs, 1903, p. 196 (Paris, F. Alcan).

ft-

LES TAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHMATIQUEla

cation mtaphysique de chercherons dgager

science.

Par del ces notions nous

spontane dont cette tradition dogmatique risquait d'altrer l'accent et de mconnatre la fcondit, mais qui, en dpit des interdictions a priori et des limitations dfinitives, a poursuivi travers l'histoire le cours de ses conqutes. Et il nous sera d'autant moins malais de suivre ces deux courants de pense dans la multitude de leurs transformations et de leurs drivations, que la constitution de l'arithmtique nous aura d'abord donn l'occasion de les saisir au point le plus rapproch de leur origine, qui est aussi le point de leur cart extrme.l'activit

CHAPITRE PREMIERL'KTIINOGUAPIIIE KT LES FHEiMIRES

OPRATIONS NUMRIQUESdu philosophe qui cherche comment dans Thumanit l'usage du calcul et des termes numriques, une ample matire est offerte par les observalions ethnographiques. Aprs l'ouvrage classique de Tylor Primitive cultive \ dont la premire dition remonte 1871, M. Lvi-Lonard Conant a publi une monographie extrmei.

A

la

curiosit

s'est introduit

:

The mimber concept, ils origin and developmenl, Tout rcemment enfin le sujet a t renouvel par M, Lvy-Bruhl dans le chapitre v de son ouvrage sur Les Fonctions mentales dans les Socits infrieures (1910), chapitre intitul La Mentalit prlogique dans ses Rapports avec la:

ment riche

New- York,

189G.

:

Numration. Nous mettrons contribution la moisson de faits qui est recueillie dans ces trois ouvrages; mais nous sommes particulirement redevable I\I. Lvy-Bruhl qui a fourni l'indication initiale dont toute tude ethnographique doit procder, en insistant sur l'opposition entre nos habitudes logiques et la mentalit primitive. Dans les naiions civilises, la numration prcde le calcul; les enfants y apprennent les noms des nombres avant d'tre en tat de distinguer les valeurs numriques. Si pendant cette phase transitoire on leur demande combien il y a devant eux de bonbons ou de fruits, ils disent au hasard tous les noms de nombre qu'ils connaissent. Il est remarquer qu'une observation analogue a t faite par les missionnaires qui ont enseign l'arithmtique aux indignes suivant l'usage europen, en commenant par la gnralit de l'ide abstraite. Ainsi, au tmoignage du P. Dobrizhoffer, les Guaranis du Paraguay qui

1.

Traduit on franais par

Mme

Bninct, La cwilisalion primitive, 2 vol., 1876.

8

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

dans leur langue ne vont pas plus loin que 4 savent tous noncer les nombres en espagnol; mais en comptant ils se trompent si facilement et si frquemment qu'on ne peut tre trop dfiant leur gard en pareille matire* . Les Abipones galement ne peuvent pas supporter d'avoir compter cela les ennuie; par suite, pour se dbarrasser des questions qu'on leur fait, ils montrent nmporte quel nombre de doigts^ . Or Aoici qui est caractristique ces mmes Abipones ne se tromperont plus quand leur pense, au lieu d'tre surplombe et comprime par un langage qui lui est tranger, redeviendra libre de suivre son cours originel, quand elle pourra s'appuyer::

la reprsentation du lieu masse spciale qu'elles constituent par leur ensemble. Quand ils marchent en troupes, entours de

sur

la vision directe

des choses, sur

qu'elles occupent, de la

chiens de tous cts,hofer,

j'ai

comment sans

savoir compter,

souvent admir, dit le P, Dobrizils pouvaient s'aperce-

immdiatement qu'un chien manquait l'appel sur une meute si considrable^. Assurment, si l'on convenait de rserv^er le nom de calcul aux combinaisons qui impliquent unvoir

systme rgulier de numration, il faudrait, avec le P. Dobrizhofl'er, dire que les Abipones ne comptent pas. Mais ce ne en fait, puisque les Abipones serait qu'une faon de parler sont capables d'oprations dont les rsultats quivalent ceux de notre calcul, ils savent compter leur manire il y a un calcul qui est indpendant dos systmes rguliers de numration, qui le prcde et le rend possible. Pour saisir l'veil de la pense mathmatique, nous relverons, dans les recueils que nous avons cits, les procds les plus lmentaires de ce calcul. Nous les prsenterons pour la clart de l'analyse dans l'ordre de complexit croissante, mais sans prtendre, loin de l, qu'une exprience emprunte des peuples de rgions trs loignes et de niveaux intellectuels forts diffrents, doive se disposer dans un ordre unilinaire.:

;

SER lATION ET CORRESPONDANCE4. Le plus simple, le plus primitif, des procds qui peuvent fournir l'quivalent du calcul, nous parat tre celui

1.

Historia de Abiponibus, equestri bellicosaque Paraquarix nalione. Vienne,II, p.

1784, P.

174, cit

par M. Lvy-Bruhl, op.

cit., p.

207.

2. Ibid, p. 173.

3. Ibid.,

p. 123.

SERIATION KT GORRESPONDANCK

9

(Joui Tvlor a signal l'emploi en Australie, en Malaisie, Madagascar' on donne aux enfants des noms qui sont fixs suivant Tordre de la naissance de telle sorte que chacun de ces noms devient comme un numro. Voici un tableau emprunt la:

relation d'Eyre, l'explorateur de l'Australie Dans le district d'Adlade et chez les tribus du Nord, Moorhouse a trouv que des enfants qui viennent au monde reoivent, dans l'ordre de leur naissance, des noms numriques, une variation dans la terminaison constituant la dilTrence du nom pour les garons:

(

et

pour

les filles.

Le 1" enfant serait appel ou Kerlaineru (garon) ou Kertanya (fille) Le 2" ou Warritya ou Warriarto Le 'i'^ ou Kudnarto ou Kudnutya Le 4'^ ou Monaitya ou Monarto Le 5"" ou Milaitya ou Milarto Le 0" ou Marrutya ou Marruarlo

l^e

7''S''

Lei,e

9*^

ou Wangutya ou Agarlaitya ou Pouarnn- .

ou Wangwarto ou Ngarlarto

Les Australiens n'ont pas de nombre cardinal au del de pre de neuf enfants saura dire si sa famille est au complet sans qu'il ait cependant la reprsentation duIrois^; l'Australien

nombre

neuf, sans qu'il ait l'ide abstraite

du nombre cardinal

ou mme du nombre ordinal; il ne compte pas jusqu' neuf; mais il pousse jusqu' ce terme que nous disons tre le neuvime, la distinction qualitative des termes qui composeraient nos yeux une srie ordonne. En un mot il supple la numration par le moyen de Vnumration. 5. A ce premier stade, la pense numrique semble contenue dans les choses, plutt qu'elle n'est prsente l'esprit de l'homme. Ce sont les circonstances biologiques qui font que chaque enfant apparat dou d'une sorte de signe temporel, et que l'ensemble des enfants forme une srie ordonne. C'est alors un progrs important que de gnraliser l'ide de Vordre qui est sous-entendue dans la distinction qualitative des termes de la srie de telle sorte qu'au lieu de s'appliquer un groupe

;

d'individus toujours les

mmes, cette distinction devient point de repre pour l'ordination d'objets quelconques.1.

un

Trad. Brunet,

I,

292.

Journals of expditions of discovery into Central Australia and Overland from Adelad to King George's Sound (1840-1841), par Edward John Eyre, t. II, Londres,2.

1845, p. 324.3. Ibid., p.

392.

10

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

il n'y a pas encore de noms de nombre y a des quivalents concrets de la numration. Les observations concordantes que M. Lvy-Bruhl a runies, font voir avec clart les pratiques encore complexes de cette pense Ttat naissant. Nous citerons seulement Tune de celles qui ont trait aux les Murray, dans le dtroit de Torrs. Ici, les seuls nombres des indignes sont netat 1 et neis Au-dessus, ils procdent par rduplication, par exemple neis Jieai=i'i, i:=:'6: neis neis^=','^= A, etc., ou en se rapportant quelque partie du corps. Par cette dernire mthode ils peuvent compter jusqu' 31. On commence par le petit doigt de la main gauche, puis on passe par les doigts, le poignet, le coude, l'aisselle, l'paule, le creux au-dessus de la clavicule, le thorax, ensuite dans l'ordre inverse le long du bras droit, pour finir par le petit doigt de la main droite' . Ainsi, dans une question d'affaires, dit un observateur particulirement pntrant des tribus occidentales du dtroit de Torrs, un homme se rappellera jusqu' quel point de sa personne un nombre d'objets tait all, et en recommenant par son petit doigt gauche, il retrouvera le nombre cherch - . Une telle opration est videmment un procd de correspondance; il importe seulement, en introduisant cette expression devenue si lamilire aux savants contemporains, de lui con-

A

ce nouveau stadeil

;

mais

=

=

'2,.

server sa signification originelle, qui est toute qualitative la porte de la correspondance s'puise dans la relation d'un signe une chose signifie, d'une srie de signes une srie de choses:

que comporte cet emploi de signes et de correspondances est mise en lumire dans une observation de Brooke, faite sur les Dayaks de Borno, que M. Lvy-Bruhl nous a fait connatre et qui est trop remarquable pour que nous ne la reproduisions pas en entier Il s'agit d'aller faire savoir un certain nombre de villages, qui s'taient insurgs, puis soumis, le montant des amendes qu'ils auront Il payer. Comment le messager indigne s'y prendra-t-il? apporta quelques feuilles sches, qu'il spara en morceaux mais je les lui changeai pour du papier, plus commode. Il disposa les morceaux un un sur une table, et se servit en mme temps de ses doigts pour compter, jusqu' dix; il mit alors sonsignifies. L'extension et la prcision:

;

Murray Islands (Torrs Straits), Journal of Great-Britain (par abrviation J. A. 1.), vol. XXVIII, anne 1899, p. 13 (Lvy-Bruhl, p. 29). 2. Haddon, The Elhnography of the Western Tribes of the Torrs Straits, Ibid.,1.

Ilunl, Ethnograpliical noies on the

the Anthropological

Institute

of

t.

XIX, anne 1889,

p.

304 (Lvy-Bruhl, p. 210).

LA NOTION DEpied surla

DEUX

H

on compta chacpio doigt on mme temps au nom d'un village, avec lo nom de son chef, le nombre de ses guerriers et le montant de l'amende. Quand il out puis les doigts de pieds, il revint ceux des mains. A la (in do ma liste, il y avait quaranto-cinq bouts de papier, arrangs sur la table. Il me demanda alors de rpter nouveau mon message, ce que je fis, pendant que luimme parcourait ses morceaux de papier, et ses doigts des pieds et dos mains, comnio auparavant. Voil, dit-il, nos lettres nous; vous autres blancs, vous ne lisez pas comme nous. Tard dans la soire, il rpta le tout correctement, en mettant le doigt sur chaque bout do papier successivement, et Allons, si je m'en souviens domain matin, tout ira il dit bien; laissons ces papiers sur la table, aprs quoi il les mola, et il en fit un tas. Aussitt lovs le lendemain matin, lui et moi nous tions cette table; il rangea les bouts de papier dans l'ordre o ils taient la veille, et rpta tous les dtails avec une parfaite exactitude. Pendant prs d'un mois, allant de village en village, loin dans l'intrieur, il n'oublia jamais les diffrenteslablo, et

(ju'un bout do papier, correspondant

:

sommes,

etc.

'

L'usage de ces morceaux de feuilles sches ou de papier extriorise l'opration do correspondance qui permet l'indigne de suppler au calcul numrique des peuples civiliss. Les nombres qui lui sont proposs sous la forme cardinale sont traduits on une srie dont les termes successifs sont rapports au systme ordinal form par les doigts des mains ou dos pieds. La fixit dos signes locaux qui composent ce systme permet do se reconnatre avec aisance et exactitude au milieu de comptes assez compliqus; et cependant l'expression du concept numrique n'est pas encore constitue. Par exemple, JMuralug, le nombre 5 se dsigne d'un mot, nabiget, qui drive de get, main; mais on ne saurait dire que nabiget soit le nom du nombre 5; il veut dire seulement qu'il y a autant d'objets en question, qu'il y a de doigts dans la main - .

LA NOTION DE6.

DEUX

))

nombre apparaisse?le

pour que le concept propre du ne sera pas ncessaire assurment que langage s'enrichisse d'un vocabulaire nouveau, form par desfaudra-t-il alorsIl

Que

1.

Ten years

iti

Sarawak,

I,

1.39 et

suiv., apiid

Lvy-Bruhl

p.

214 et suiv.

2.

Haddon,

op. cil., p. 303 (Lvy-Bruhl, p. 217).

12

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

signes purement abstraits; car il n'y a pas d'expression abstraite qui n'ait commenc par tre une dnomination concrte. A proprement parler, il n'est mme pas besoin d'une nouvelle oprala pense arithmtique ne peut tre ni plus assure d'elle-mme, que dans la supputation telle que nous venons de la dcrire. Seulement l'habitude accomplira son uvre ordinaire de tassement et d'conomie force de parcourir, pour chaque problme rsoudre, les diffrents doigts des mains et des pieds, ou les diffrentes parties du corps qui sont les termes de la srie de rfrence, on n"a plus la peine de refaire ce travail prliminaire. La mmoire en fixe le rsultat, elle retient le rang de chacun des termes comme exprimant le rsultat d'un calcul antrieur, comme tant donn l'avance pour le calcul futur. Il est possible alors, en nommant ce terme, d'voquer en une seule image, en une collection simultane, ce qu'il avait fallu se donner d'abord par une srie de mouA^ements successifs dans renonciation du mot qui signifiera main, se trouvera impliqu le souvenir de tous les doigts

tion psychologique

;

complexe,

ni plus

:

;

qui ont t touchs ou levs au pralable. Le mot s'enrichit ainsi d'un sens numrique cardinal qui finit, dans les langues des peuples civiliss, par effacer la reprsentation originaire. Autrement dit, la notion abstraite du nombre est forme quand l'image sonore, quelque intuition concrte qu'elle se rattache, est capable de jouer elle seule le rle que les morceaux dele calcul de l'indigne de Borno. Seulement, tandis que ces morceaux de papier tenaient leur capacit numrative dune association toute passagre par laquelle l'indigne les avait relis des oprations particulires, l'association qui fait la signification de ces images sonores est une association rendue constante par l'usage, par la transmission hrditaire; elle dispense l'individu de refaire les oprations gnratrices du calcul et, ainsi, s'accomplit le passage de la pense spontane qui a permis de constituer un systme de numration, la pense de forme logique qui s'appuie sur les rgles de la numration. 7. En insistant sur les oprations qui ont pour centre la notion de deux, nous aurons l'occasion de marquer les traits les plus significatifs de ce passage. Z)ea; fournit naturellement la numration la base la plus simple. La premire reprsentation numrique est le couple. Certains indignes d'Australie savent seulement rpartir un ensemble d'objets en tas rguliers de deux units, sans arriver poser propos de ces las la question de nombre. Il arrive alors que s'ils

papier jouaient dans

LA NOTION DE

DKL'X

13

ont se|)l objets placs devant eux sur niic table, par oxcmpU; des pingles, ils verront bien qu'ils nont plus leur compte lorsqu'on en enlve un mais qu'on en enlve deux, ils ne s'apercevront plus de la soustraction parce qu'en fait ils ne sont;

capables de distinf^ucr (jne les nombres pairs et les nombres impairs'. Ce procd rudimentaire explique assez bien commentles

couples arrivent jouer le rlr d'units numriques. Ainsi l'le du duc d'York, on compte par couples, et l'on donne aux couples des noms diflerents suivant le nombre qu'il y en a. La manire polynsienne tait d'employer les nombres en sousqu'il s'agissait

entendantd'objets.

de tant de couples,dir.""

Hokorua.

(50) voulait

et non de tant quarante, c'est--dire vingt

paires

^

devient une opration primitive qui est capable de contribuer, comme l'addition, la formation des quantits numriques. De fait, une curieuse observation du D'^ Stephan", qu'a releve galement M. Lvy-Bruhl, montre les indignes de la Nouvelle-Pomranie se servant de la mme combinaison linguistique sanaul lua, c'est--dire 10 et 2, pour exprimer, suivant le groupement habituel des objets auxquels ils l'appliquent, ou 10 2, ou 10x2. Manifestement, dit le D"" Stephan, ils n'prouvent pas le besoin de distinguer dans le langage, parce qu'ils ne comptent jamais abstraitement et ne se servent que de nombres accompagns de substantifs, par exemple 12 noix de coco, 20 tubercules de taro, un tas de 10 servant d'unit dans ce dernier cas. Alors on voit bien s'il s'agit de 10 noix de coco plus 2, ou bien de 2 tas de 10*.

La duplication

+

:

Gurr, The Australiait races, t. I, Melbourne, 188G, p. 32 (Conant, p. 104). Codrington, Mlansien languages, Oxford, 188o, p. 241 (Lvy-Bruhl, p. 220). 3. Beilrge zur Psychologie der Bewohner von Neu-Pommern, Globus, Braunschweig, 1905, t. LXXXVIII, p. 206 (Lvy-Bruhl, p. 221). 4. Il est intressant de retrouver la mme dualit de combinaison un stade beaucoup plus avanc de la culture mathmatique. Pour la formation des puissances successives de la quantit inconnue, la terminologie de Diophante, qui s'explique tout naturellement par l'analogie des dimensions spatiales, consiste dans l'addition des exposants la puissance cinquime se dsigne par Tjva[ji-/.-j3ov, la puissance sixime par /.jpy.^jpov (Ariih., liv. I,1.

2.

:

Leipzig, 1893, p. 8). Au contraire, les Hindous conviennent yarga signifiant la seconde puissance et g'hanala troisime, varga-g'hana est la puissance sixime, (/Viana-g'Aana, la puissance neuvime.(Colebrooke Algebra with arithmetic and mensuration from the Sanscrit of Brahmegupta and Bhascara translated, Londres, 1817, Lilavati, 23, p. 10, n. 3). Les mathmaticiens arabes ont puis aux deux sources (Ibid., Dissertation prliminaire, p. xni). De l, les quivoques que les historiens signalent dans les ouvrages latins du moyen ge, la mme expression quadratocubus signifiant ou la cinquime ou la sixime puissance suivant que l'auteur se rfrait desd. P. Tannery,t. I,

de multiplier les exposants

:

14

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

Ailleurs, enfin, la diffrenciation

diffrenciationNil, ont la

du langage accompagne la Dinka, dans la rgion du Hautterminologie suivante du nombre:

les

:

3

= wdyetsdeux com-

d'o

ils

disent pour

7,

wderoii; pour 10, wlyer ou wtyar, c'est-

-dire, suivant Friedrich Mller', qu'ils forment les

^. binaisons 5 H- 2 et 5 Ainsi donc deux types de combinaison rgulire peuvent se trouver o le nombre deux joue le rle fondamental. L'un est purement additif, c'est celui qu'Haddon a trouv chez les il n'y a en fait que deux indignes du dtroit de Torrs nombres, urapiin et okosa, qui sont respectivement un et deux dans le langage de l'Occident. Trois est okosa urapun, quatre est okosa okosa, cinq est okosa okosa urapun, six est okosa okosa okosa, aprs quoi on dit habituellement ras ou un tas- . Dans l'autre deux se trouve un multiplicateur ce systme a laiss des traces dans la numration des Karens de l'Inde o le Rev. F. Mason' a trouv la terminologie suivante (chelle des Bghai).:

X

:

1

= Kie 3 := Theu A = Lwie 3 = Yay 6=Theut/io (3x2) = T/ieuihota (3x2) + S=zLwietho (4x2) 9 = Lwieihota x h2l(4 2)

=: Ta

l

1

10=textes d'origine1.

Tashie

grecque ou d'origine hindoue. (Tropfke, Geschichte der Ele-

mentar-Mathematik

in syslematischer DarsieUung, Leipzig, t. I, 1902, p. 186.) Grundriss der Sprachwissenschaft, t. I, p. ii. Vienne 1877, p. 55 (Gonant, p. 147). L'interprtation du savant linguiste est d'ailleurs confirme par la suite de l'chelle 11 == wtyer ko tok, c'est--dire 10 -|- 1 20 wtyer-rou, c'est-dire 10x2. 2. Op. cit., p. 303 (Lvy-Bruhi, p. 217). 3. Journal of the Asiaiic Society of Bcngal, anne 1865, t. II, vol. XXXIV, Calcutta, 1866, p. 245 (Gonant, p. 112).: ;

=

LE CALCUL DIGITAL

LE CALCUL DIGITAL

numriques auxquels donne de deux se rencontre galement, et un degr plus haul, dans l'emploi du systme quinaire. Tout d'abord c'est un problme rsoudre que d'arriver jus(ju' la supputation de tous les doigts de la main, jusqu' la reprsentation du nombre cinrj. L'exemple des Bakaris, dont M. Karl von Steinen a donn une observation trs complte*, montre combien le problme est ardu, et quelle distance spare l'usage des doigts pour le calcul et la connaissance du nombre des doigts. Le mouvement des doigts intervient d'une faon constante dans le calcul des Bakaris. Pour compter un petit tas de grains de mas, le Bakari commence par rpartir les tas en groupes rguliers de deux grains; le premier groupe, est facile valuer pour lui, car il dispose de deux noms de nombre lokale et ahage. Il lve le petit doigt de la main gauche en prononant le premier nom, le doigt voisin en prononant le second. Puis il continue en juxtaposant les noms un et deux en mme temps qu'il lve les doigts suivants; mais partir du second groupe la main droite entre en scne, le Bakari touche le nouveau grain de mas, et le reprsente par le nouveau doigt qu'il lve. Comme le dit M. Karl von der Steinen, la main droite touchait, la main gauche comptait- . Le procd de calcul ne va pas au del de 6. Au moment o le Bakari arrive 6, il intervertit les mains, il lve les doigts de la main droite dans l'ordre o il a lev les doigts de la main gauche; mais il cesse de combiner les termes lmentaires qui dsignent un ou deux, il n'efl'ectue plus d'valuation nouvelle, il se borne rpter le mme mot merci, c'est--dire celui-ci. La pense arithmtique ne se manifeste plus que par une mimique tablissant une correspondance entre les objets et les doigts. Si lestas de grains que l'on prsente au Bakari dpassent dix, il a recours aux doigts de pieds; s'ils dpassent vingt, il se prend les cheveux et il les tire dans toutes les directions'. Mais dans les limites mme o il est capableH.

La

diversit des procds

lieu l'usage de la notion

:

:

:

1. Vnler den Nalurvlkern Zentral-Brasiliens Reiseschilderung iind Ergebiiisse der zweiten Schingu- Expdition (1887-1888), lprlin 1894, p. 406 et suiv. Cf., du iniiie auteur, Die Bakari-Sprache, Leipzig, 1802, p. 7U.

2. P. 408. 3.

Indiaits

p.

aux cheveux de la tte a t signal par Ilawlrey, The Lengua of Ihe Paraguayan Chaco, J. A. I., XXXI, anne 1901, p. 296 (Lvy-Bruhl, 219). Les Lenguas peuvent compter sans trop de difficults jusqu' vingt,L';ippol'.v|icva. Essai sur

notion de tliorie

292; cf. Duhem, physique de Platon Galile,p.

Anaales de philosophie chrtienne, mai

l'JOS, p. 122.

\

CHAPITRELA GOMTRIE

VII

ANALYTIOUE

franchissant des sicles qui sont demeurs striles, la science elle-mme, mais pour les ides constitutives d'une philosophie mathmatique, en abordant la rvolution de pense qui se rattache au nom de Descartes,08.

En

non certes pour

nous devons marquer

le caractre nouveau que nos tudes vont prendre. L'historien n'est plus en prsence de documents fragmentaires qui servent de matire pour reconstituer la physionomie des uvres, la filiation des ides, l'influence rciproque des philosophes et des savants. Dsormais les crits originaux lui sont directement accessibles; il connat les dates des publications, souvent les dates des dcouvertes; il est inform des communications de travaux et des influences d'ides qui expliquent la succession des uvres. Les recherches destines claircir les problmes de la philosophie mathmatique sont susceptibles d'une prcision et d'une objectivit auxquelles nous navions pu viser dans nos chapitres prcdents; et, si nous ne nous faisons illusion, c'est ce qui commencera d'apparatre dans l'tude de la priode qui se rattache l'tablissement de la gomtrie analytique. Voici tout d'abord une rencontre d'un intrt singulier pour notre objet: le systme de traduction qui permet de ramener les questions de la gomtrie la solution d'quations algbriques a t systmatiquement employ par Fermt dans un crit qui est antrieur la publication de la Gomtrie de Descartes. Nous devons chercher dgager l'enseignement que comporte la simultanit de ces dcouvertes, toutes voisines par leur contenu technique, aussi diffrentes qu'il est possible si l'on considre l'orientation gnrale de l'esprit des inventeurs.

100

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

Section A.L'

Fermt.

ISAGOGE AD LOCOS PLANOS ET SOLIDOS

L'auteur (sans cloute Carcavi) de VEloge qui parut au 59. lendemain de la mort de Fermt, signalait parmi ses uvres une introduction aux lieux, plans et solides, qui est un trait analytique concernant la solution des problmes plans et solides qui avait t vu devant que M. Descaries et rien publi sur ce sujet . Et, en effet, lsagoge ad locos pianos et solidos contient le principe de la gomtrie analytique, nonc sous la forme la^

titui

plus nette qui puisse tre souhaite - Commode autem inspossunt quationes, si duas quantitates ignolas ad datum:

angulum constituamus(quem

alterius exillis positione datas terminus

trouve, non seulement la second degr, mais encore l'quation de la ligne droite *, qu'on chercherait vainement dans le Gomtrie de 1637 et dans les crits de ses premiers commentateurs, juqu'aux Elementa curvariim lineariim de Jean de W'itt^ De mme qu'il remonte jus1. loijc de M. de Fermt, conseiller au Parlement de Toulouse, Journal des savants, lundi 9 fvrier 166.5. Le passaj^o est conllrm par une lettre Mer Je serai bien aise de savoir le senne, de fvrier 1638, o Fermt crit jugement de MM. de Roberval et de Pascal sur mon Isagoge topique et sur Appendix, s'ils ont vu l'un et l'autre. uvres de Fermt, dit. Paul Tannery:

plurimum rectum sumemus), et unus sit datus-'. On y dfinition des courbes principales duut

Charles Henry, que nous dsignons dans la suite par TH, t. II, p. 134. 2. Nulle part, dit Cantor, Descartes n'a dcrit l'tablissement de l'quation

d'un lieu gomtrique avec autant de clart que Fermt au commencement de son Isagoge (II-, p. 817). Cf. Milhaud Descartes et la gomtrie analytique. Revue gnrale des sciences, 1906, t. I. p. 73 et Nouvelles tudes, 1911, p. I.i7. 3. TH, t. I, 1891. p. 92. 4. Ibid., p. 9o. Fermt, crit Brassine (Prcis des uvres mathmatiques de Pierre Fermt et de l'Arithmtique de Diophante. Toulouse, 1843, p. 11), considre une droite indtinie sur laquelle il prend un point fixe N. (fig. 4). Il suppose qu'un point I est dtermin de position par la relation constante d. x b. y; les quantits d, b sont des lignes donnes; le segment NZ reprsent para:, et la perpendiculaire IZ NM reprsente par y sont des quantits variables. Or, si on joint Pi?- '* IN, comme d'aprs la relation tablie le rapport yjx est constant pour toutes les positions du point I, il eu rsultera que l'angle N ne variant pas, le lieu du point I sera la droite NI. (Cf. Bordas-Demoulin, Le Cartsianisme ou la vritable rnovation

=

'

des sciences,5.

t.

II,

1843, p. 13.)t.

P. Cartesii Geometria, 2" dit.

II,

1639, p. 244, et suiv.

LKS OniOINF.S

DF,

L

ISAGOOK

101

quii rcxprcssion

la

plus simple dola

de corriger) l'uvre de de rduire les problmes du septime ou huitime degr des courbes du quatrime, les problmes du neuvime ou du dixime des courbes du sixime, tandis que Descartes exigeait des courbes du cinquime ou du sixime pour le premier problme, du septimeil

forme algt'bri(|ue et de complter (sinon,Descaries.

la correspondance entre la forme gomtrique, Fermt est capable

commea

crit,

En

!(>()(),

il

montr

la possibilit

ou du huitime pour

le

second'.

LES ORIGINES DE LGO.

ISAGOGE

Si donc on fait cette hypothse que Descartes n'a pas crit Gomtrie, on peut conjecturer que selon toute vraisemblance l'volution de la mathmatique n'en aurait pas t profondmentla

mais il est difficile do croire que le dveloppement de philosophie au xvii" sicle n'en et pas t affect, qu'en particulier les doctrines de Malebranche et de Spinoza eussent prsent la rigueur systmatique que nous y retrouverons. C'est que la Gomtrie est l'uvre d'un mthodique, qui procde d'une conception universelle de la science et qui lgue sesmodifie;

la

successeurs une notion originale de la vrit scientifique. Vlsagoge, par contre, est l'uvre d'un technicien, qui est en mme temps un rudit, qui reprend et qui approfondit les procds pratiqus avant lui pour les porter leur plus haut point d'lgance et de simplicit. Fermt a t en particulier le commentateur, l'exgte d'Apollonius de Perga et de Diophante d'Alexandrie. 61. Lorsque, instruit des procds analytiques des modernes, l'historien considre les travaux d'Apollonius sur les sections coniques, il est frapp d'y retrouver les traits constitutifs d'une algbre gomtrique qui, l'aide de formes diffrentes de langage et de reprsentation, suit un cours parallle celui de la gomtrie analytique -. Voici, pour prendre l'exemple le plus simple, l'ordre de considration auquel Apollonius a recours pour introduire les diffrentes espces de sections coniques,

dans

le

thorme fondamental du premier(fig. 5);

livre (prop. XIII).

Soit une ellipse

soit

un segment1.

AG129.

pris sur

2 a, ce diamtre, et une corde conju-

un diamtre AB de longueur

TH,

t.

I,

p.

Chasles, Aperu historique sur l'origine et la dveloppement des mthodes en gomtrie, Bruxelles (1837) 2' dit. 1873, p. 18.2.

102

LES TAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHMATIQUEla

gue CD;a

caraclristique de la figure, ce serale

le

rapport

con^itant^ entre

carr de la corde

CD,

et le

produit des deux

segmentsconsiste

AC

et

CB du

diamtre ^ La mthode d'Apolloniuscette

relation, que nous traduirons termes algbriques, par la construction d'une aujourd'hui en figure auxiliaire. J'lve en A et en C les perpendiculaires au diamtre, je donne AE la longueur 2 p, je joins E B; EB coupe en F la perpendiculaire leve en C. La similitude des deux triangles AEB, CFB me donne la proportion

reprsenter

:

CF_AE_2CB~AB~"2ad'o:

CF = ^CB.a

L'quation

cd2=ac.cb ala

prendra donc

forme

:

CD-=: AC CF.

On

voit

immdiatement queles

la

corde

CD

et le

segment

AC

qu'elle dtermine sur le diamtre sont

lments variables d'une relation qui

est gnrale et qui s'exprime par l'qui-

valence du rectangle AC. CF au carr ayant pour ct la corde CD. Or, comme Apollonius applique cette relation, mulaiis mutandis, l'hyperbole et la parabole, on est autoris dire qu'il a trac la figure convenant la reprsentation et la solution de l'quation du second degr; nous pouvons attribuer aux lFig. 5. ments qui servent de point de dpart cette relation, corde conjugue et segment pris sur le diamtre, le rle de vritables coordonnes. Seulement, si la gnralitdecette relation est aperue 62. aussi nettement qu'il est possible, elle n'est pas dgage sous une forme explicite; la construction auxiliaire, le rectangle de rfrence, demeurent des parties intgrantes de la solution; de sorte qu'il faut un thorme distinct pour chaque cas particulier, et que d'autre part des combinaisons multiples s'tablissent suivant lesexpressionsde Zeulhen -, entre le moyen et Vobjel de

1.

Voir Zeulhen.

Ir.

Mascarl.,

p.

IG7 el flg. 20.

2. Ihid., p. 169.

Li:S

OniGINKS DK L

ISAGOGEla

103la diffi-

la repiH'^senlalion

gomtrique; d'o'.

complication et

cult de la science apollonicnne

Aussi ce ful-il un trait de gnie que de donner l'usage des coordonnes la forme la plus simple possible en n'employant que des coordonnes rectangulaires, et d'autre part de mettre en vidence la nature auxiliaire et mlhoditjue de ces coordonnes en les appliquant des sortes de grandeurs qui ne pouvaient se confondre avec leur reprsentation gomtrique, telle que par exemple la chaleur. L'honneur en parait appartenir un savant franais du xiv*^ sicle, Nicolas Oresme. Le Tractatus de latitiidinibus formariim (dont rinfluence fut grande et durable ce point que, ds la dcouverte de Timprimerie, quatre ditions s'en succdrent, de 1442 iolo), enseigne reprsenter les varialions de quelque grandeur que ce soit en transportant sur une surface plane les lignes de repre qui avaient t jusque-l traces sur une sphre. Les degrs du phnomne naturel se figurent par l'ordonne, et constituent ainsi ce que Nicolas Oresme appelle latitude de la forme; la longitude, c'est--dire la ligne des abscisses, figure les temps correspondants. La courbe dtermine par les points d'intersection est le graphique des varialions d'intensit que le phnomne a subies en fonction du temps -. 63. De mme, nous qui sommes avertis par la constitution de l'algbre, nous reconnaissons dans l'arithmtique de Diophante d'Alexandrie quelques-uns des traits essentiels du symbolisme opratoire. Les abrviations utilises pour la dsignation de l'inconnue et de ses puissances, la mise en quation de la relation entre cette inconnue et les quantits dtermines du problme, l'indpendance l'gard des reprsentations gomtriques, l'emploi systmatique de ce qu'on appellera la rgle de fausse position ', suggrent l'ide d'une science qui se constitue sous une forme abstraite et tend des solutions gnrales.

1. Ce qui manque aux Mathmatiques grecques, dit Paul Tannery (dans une remarque sur l'Arithmtique pythagoricienne, que Zeutheu a prise pour pigraphe de son ouvrage Die Lehre von den Kegelschnitten im Altertum. (d. allemande. Copenhague 1886), ce sont moins les mthodes... que des formules propres l'exposiliou des mthodes. - Bulletin des sciences mathmatiques, 1885, p. 86. 2. Canlor, II-, p. 130. Voir les premires lignes du manuscrit de Thorn De latitudine forniarum magistri Nicholai Horen, tudi par Maximilian Curtze, Quia formaZeitschrift fur Mathematik und Physik, t. XIII, SuppL, p. 92: :

rum

latitudines multipliciter variantur et multiplicitas difficillime discernitur aisi ad figuras geometricas consideratio referatur. Ideo premissis quibusdam latitudinum divisionibus cum suis diffltionibus infinitas species earundem demum ad inflnitas species flgurarum applicatio ... clarius apparebit. 3. Vide supra, 17, et Zeuthen, op. cit., Ir. Mascart, p. 206, et suiv.

104

LES TAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHMATIQUE:

Mais il restait un pas dcisif franchir il fallait dbarrasser ces procds opratoires de la restriction qui leur tait impose par la ncessit de l'application numrique. Et c'est quoi onparvient grce l'usage des signes littraux pour dsigner les notions indtermines sur lesquelles porte le raisonnement. On retrouve ainsi, avec le procd qui tait constant dans les Analytiques d'Arisloie^, la conception philosophique qui s'y trouveassocie. L'arithmtique, dit Vite, est une mthode opratoire sur les nombres Logislica numerosa V Algbre est une mthode opratoire sur les espces ou formes des choses Logistica spe^ ciosa^. Seulement, tandis que dans la logique formelle, dans la logique des espces, cet usage demeurait passif et inerte, puisque les choses signifies, individus ou substances, possdent en propre des qualits qui ne peuvent passer dans les signes pour les reprsenter, il devient dynamique et fcond dans la logistique des espces les lettres expriment des quantits dont la nature ne consiste qu' se combiner suivant les lois de la mathmatique. Tous les procds dus aux algbristes du moyen ge et du xvi"" sicle, recueillis et tendus par Vite, viendront se ranger sous les lois de Vanalyse spcieuse, sans que Vite pourtant ait dispos d'un langage suffisamment gnral pour rduire les diffrentes particularits d'une quation d'un mme degr la forme d'une quation type^, sans qu'il ait tir de ses dcouvertes et de ses thories un corps par:

;

:

;

fait* .

Assurment la dcouverte de la gomtrie analytique Oresme ni V^ite, bien que le premier ait invent la mthode des graphiques, bien que le second se soit perptuellement servi de son algbre pour rsoudre des problmes de gomtrie et qu'il ait ainsi pratiqu ce qui littralement mriterait mieux que lsagoge ad locos, ou que la Gomtrie de 1637, le nom de gomtrie analytique. Du moins64.

n'appartient ni

Sur l'Arithmtique pythagoricienne, art. cit., Bulletin des Quand on tudie dans Aristote le symbolisme des lettres employes pour reprsenter des objets de la pense, on doit se dire qu'il ne fallait alors qu'un pas aux Grecs pour arriver l'algorithme de Vite . 2. In artem analyticam Isagoge, 1391, 4, Ed. Schooten, Leyde 1646, p. 4. 3. Cf. Liard, Descartes, 1882, p. 58, et Pierre Boutroux, L'imagination et les mathmatiques selon Descartes, Bibliothque de la Facult des lettres de l'universit de Paris, X, 190. App. I. L'analyse de Vite et celle de Descartes au point1.

Cf.

Paul Tannery

:

sciences nialhaialiques, 1885, p. 86

:

de vue du rle de l'imagination, p. 37 et suiv. 4. Descartes, Lettre de juin 1643, Edit. Charles

Adam

et

Paul Tannery (que

nous dsignerons dans

la suite

par AT),

t.

IV, p. 228.

l'idkk dk laont-ils port les

mathkmatiquk universelle

105

matriaux de la science nouvelle un tel degr de p(M lection que ravnement en a pris un caractre de ncessit iotJiquo. Du moment que les (irecs avaient su se servir de la g-omtrie mtrique pour dterminer des types de relations gnrales entre les grandeurs, la dcouverte de Fermt devait se produire, comme les pratiques des astronomes grecs devaientconduire l'emploi sysfmaliquc de la Irigonomtrie, comme l'tude simultane de la progression arithmtique et de la progression gomtrique impliquait le calcul logarithmique. El elles auront peu prs la mme porte apparatront comme le complment, comme la dfinitive mise au point, de procds lentement labors. En terminant Vlsales trois disciplines:

goge, Fermt qui avait rtabli et dmontr les deux livres d'Apollonius Perganis des lieux plans exprime le regret de n'avoir pas dispos ce moment d'une mthode qui lui et donn sans doute le moyen de rendre plus lgantes les constructions de ces lieux gomtriques '. En fait la gomtrie analytique a servi surtout perfectionner la thorie des sections coniques jusqu'au moment o le progrs des recherchesinfinitsimales a permis de transporter surle

un nouveau terrain

principe de la correspondance entre les courbes et les qua-

tions, et d'en tendre ainsi la fcondit.

Section B.

La mathmatique universelle de Descartes et la Physique.mathmatique universelle

l'ide de la

65. La gense de la gomtrie analytique de Fermai claire dans une certaine mesure la philosophie mathmatique de Descartes. Suivant, en effet, la quatrime des liegulse ad directionem ingenii^ et la seconde partie du Discours de la Mthode^, deux disciplines sont exceptes de la fin de non-recevoir que Descartes oppose systmatiquement la philosophie et la science telles qu'elles lui avaient t enseignes; c'est l'arithmarithmtique et la gomtrie. Sous leur forme lmentaire tique de Pythagore et gomtrie d'Euclide, ces sciences sont les:

1.

Paragraphenobis

final

planis a2.

dudum

localium theorematum3.

Haec inventio si libres duos de locis prcessissot, elegantiores sane evasisseut constructiones. TH, t. I, p. 103.

de lsagoge

:

restitutos

AT, X, .373. AT, VI, 17 et

suiv.

106

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE:

modles de la logique vritable Arithmetica et Geometria... circa objeclum ila purum et simplex versantur, ut nihil plane supponant, quod experientia reddiderit incerlum, sed toise consistunt in consequentiis rationabiliter deducendis* . Sous la forme suprieure que leur ont donne Apollonius et Vite (Descartes dit Pappus et Diophante-) elles manifestent leur fcondit en engendrant, celle-ci, une certaine analyse que les Gomtres anciens avaient pratique quoiqu'ils eussent refus d'en livrer le secret, celle-l un certain genre d'arithmtique qu'on appelle algbre et qui permet d'oprer sur les nombres comme les anciens faisaient sur les figures^. Mais l'analyse des anciens et l'algbre des modernes avaient sacrifi l'ampleurdes rsultais la simplicit et la puret des principes; elles doivent se rorganiser, elles se fondront de manire constituer une mthode universelle. Le principe de cette mthode consiste s'lever au-dessus de la reprsentation des figures, et dgager ce qui est commun toutes ces sciences particulires qu'on nomme communment Mathmatiques... Encore que leurs objets soient difterents, elles ne laissent pas de s'accorder toutes, en ce quelles n'y considrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s'y trouvent^ . Dans une telle conception la gomtrie conserve un rle pour examiner ces proportions en gnral , il convient de les supposer... dans les sujets qui serviraient en rendre la connaissance plus aise ces sujets, c'est--dire les termes particuliers destins tre le support des relations gnrales, devront, remarque Descartes, tre des lignes parce qu'il n'y: ;

aurait rien de plus simple ni

que je pusse plus distinctement reprsenter mon imagination et mes sens . Mais la relation qui s'ajoute aux termes pour les retenir ou les comprendre plusieurs ensemble , et qui est l'objet propre de la mathmatique universelle, n'est pas assujettie la nature gomtrique

des lignes; elle s'explique par quelques chiffres, les plus courts qu'il serait possible. Par ce moyen, conclut Descartes, j'emprunterais tout le meilleur de l'Analyse gomtrique et del'Algbre, et corrigerais tous les dfauts de l'une par l'autre^.66.

suivant le Discours de la Mthode, une inspiration, qui rappelle de prs VIsagoge de Fermt, expliquerait la1.

Ainsi,II,

Reg.,

2. Ibid., 3. Ibid.,4.

IV,

AT, X, .365. AT, X, 376.

X, 373.19.

^r, VI,

0. Ibid.,

VI, 20.

LKS DIVKIISF.S FONCTIONS

I)K

l'rSPAGK DANS LKS

RKGUL/K

107

gense de la malfimalirjue universelle. Il reste savoir quelle est exactement, .^ la prendre en elle-mme, la porte de celteniathinali((\ie universelle.

A cette (jueslion la rponse sera dillerente, suivant que Ton considrera l'uvre de Descartes dans la philosophie gnrale, c'est--dire l'extension de la mthode mathmatique l'universalit

des problmes cosmolog-i(|ues, ou (pie l'on s'attachera seulement luvre (pie Descartes accoinplit dans le domaine |)ropre de la mathmatique par la rduction des problmes de la gomtrie aux problmes de l'algbre. Que les deux entreprises procdent d'un mme esprit, la chose n'est, certes, pas douteuse; elles sont connexes, il serait pourtant inexact d'en conclure qu'elles puissent se ramener l'une l'autre, La premire est une rforme de la physique par les mathmatiques, mais qui n'emprunte rien la technique de la gomtrie nouvelle, tandis que la seconde est une rforme de la mathmatique elle-mme. Ce qui a donn occasion de les confondre, et (|ui a rendu parfois inextricable l'interprtation de la pense cartsienne, c'est que l'une et l'autre uvre ont pour base la notion de l'espace. Or, il importe de le dire tout de suite, afin l'espace joue d'orienter le lecteur dans notre doul)le expos dans la physique de Descartes et dans la gomtrie de Descartes deux personnages bien diffrents. Dans la physique la rduction de la qualit la quantit consiste ne retenir des phnomnes sensibles que des dterminations mesurables l'aide des dimensions de l'tendue. Dans la gomtrie au contraire les figures spatiales apparaissent comme des sortes de ([ualits, qui seront ramenes aux formes purement abstraites et intellectuelles de la quantit, aux degrs de l'quation. Bref les Principes de la Philosophie sont une physique de gomtre la Gomtrie est une gomtrie d'analyste. Ainsi s'explique qu'en suivant les directions que dessinent l'un et l'autre ouvrage on arrive deux conceptions nettement distinctes de la philosophie mathmatique.:

;

LKS DIVERSES FONCTIONS DE L'ESPACE DANS LES

u

REGUL.E

G7. La premire de ces conceptions apparat ds les RegnLv, qui probablement remontent aux environs de l'anne 1628'. L'ide fondamentale est que la science est essen-

1.

Note de l'ditiou Adara-Taanery, X, 485, et suiv.

108

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

liellement unit, parce qu'elle est Fintelligence humaine l'uvre et qu'il n'y a qu'une faon de comprendre ^ La mthode est unique pour disposer les donnes complexes dun problme suivant un ordre intelligible, de faon ne plus avoir qu'une Soit par chane de relations simples entre lments simples exemple 3 et 6 les deux premiers termes d'une progression gomtrique; rien n'est plus simple que d'en dterminer le troisime par dduction il suffit de noter que 6 est le double de 3 et de trouver le double de 6 qui est 12^ . Une srie de relations se constitue qui fournira autant de termes que l'on voudra. La:

;

solution

c'est--dire

du problme est parfaite quand la srie a un ordre, quand on peut, comme dans le cas de la progression

gomtrique, passer d'un clment l'autre grce un mouvement continu et ininterrompu de l'esprit , en se fondant sur une relation initiale qui peut tre saisie dans l'acte un et indivisible de l'intuition, en partant du simple ou, comme dit Descartes, de Vabsolu. On le voit par cet exemple, la mathmatique est la science de Vordre aussi bien que la science de la mesure; et elle comprend, en outre de l'arithmtique (ou algbre) et de la gomtrie, l'astronomie, la musique, l'optique, la mcanique ^ 68. Pour la constitution de l'ordre, Descartes, d'une faon gnrale, recommande de mettre profit la simplicit des images spatiales Mais la porte de cette prescription varie du tout au tout suivant l'application qu'on en fera. Ainsi, les Regulse envisagent le cas o la reprsentation gomtrique n'est gure plus qu'un schme conventionnel. On peut supposer que la couleur est tout ce qu'on voudra, on ne niera pourtant pas qu'elle soit tendue et par consquent qu'elle ait une figure. Quel inconvnient y aurait-il donc procder de la faon suivante? sans admettre inutilement ou forger la lgre une nouvelle essence, sans rien nier non plus des opinions des autres, nous nous contenterons de ne retenir que ce qui a la nature de la figure, et nous concevrons la diversit qui est entre

''.

le

blanc, le bleu, le rouge, etc.,

comme

celle qui existe entre

telles figures

que

celles-ci [Voir ci-contre, fig. 6].

Et on peut en dire autant de toutes choses puisqu'il1.

est cer-

2.

Reg.,\. AT, X, 360. Hannequin, La mthodela philosophie,t.

de Descartes, Etudes d'histoire des sciences et d'his1908, p. 222 (Paris, F. Alcan), d'aprs la Reg. VI,

toire de

I,

AT, X,

p. 384 et suiv. ^.Reg., IV, AT, X, 377 et suiv. 4. Reg., XIV, AT, X, 441.

LKS DIVERSES FONCTIONS DK L ESI'Ar.K DANS LKSlairi

REGUL/K

109

que

l.i

multitudo infinie des ligures'.

siiHit

pour exprimer

toutes les ilillrences sensibles

Sous|)(ini'

cette forme, linLroduction de la notion d'espace n'auraitet distinctement les diffrences qui

([iiune valeur mthodologique-. Elle signifierait seulement que,

imaginer clairement

lui

sont donnes

comme

qualitatives, le savant a besoin de leur

Flir.

6.

faire correspondre des graphiques suivant la mthode pratique que Nicolas Oresme avait invente et rendue populaire. Si on oprait sur ces symboles, comme on oprerait sur les couleurs elles-mmes, afin de saisir les consquences qu'entrane leur diversit, on n'aurait qu'une srie d'hypothses, dpourvues de

les

consistance intrinsque, destines surtout, comme le voulaient astronomes grecs, mainlenir les phnomnes, coordonnerG9.

apparences '\ Mais si Descartes a nettement marqu le rle que l'espace serait capable de remplir comme schme arbitraire qui supplerait aux connexions vritables des phnomnes, il n'est pas douteux que le mcanisme cartsien a une tout autre ambition. Descartes ne critique-t-il pas le mathmatisme exprimental de Galile, prcisment parce que Galile se borne, ainsi que fera plus tard Newton, rechercher par induction la formule des lois naturelles? Ce n'est pas assez de connatre les raisons de quelques effets particuliers on btit sans fondement , tant que l'on n'a point considr les premires causes de la nature''. En d'autres termes, comme Descartesles

;

1. Reg., XII, AT, X, 413. Cf. Berthet, La mthode de Descartes avant le Discours, Revue de Mtaphysique, 1896, p. 409 et suiv. 2. Il est noter que dans le Valerius Terminus of tlie Interprtation of Nature, (qui n'a t, il est vrai, publi qu'en 17-34), Bacon employait des symboles analogues. (Lalande, Sur quelques textes de Bacon et de Descaries, Revue de Mtaphysique, 1911, p. 309 et 311, avec rfrence Bacon. Ed. Ellis, Spedding el

Healh,

Londres, 1876, p. 2.37.) Note de M. Mentr La thorie physique d'aprs Descartes. Revue de Philosophie, aot 1904, p. 218 et suiv. 4. Cf. lettre Mersenne du 11 octobre 16-38, AT, II, 380.t.

III,

3. ^'oi^ la

:

I

HOaurait,

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

W

lui-mme a distingu une morale par provision de ce qui au terme de sa philosophie, constitu sa morale dfinitive, il y a lieu de distinguer une mthode par provision^ c'est--dire un artifice destin transposer les problmes quels qu'ils soient dans un cadre adapt aux fonctions de Tesprit, et une mthode dfinitive, appuye sur la relation gnrale de l'esprit avec les choses, et qui implique suivant Descartes unethorie exacte de Dieu.

Cette mthode dfinitive se fonde sur l'espace en tant quel'espace est adquat la ralit des choses.

Or

celte adquation

sera obtenue effectivement, la condition que l'espace ait subi une laboration qui en simplifie et en gnralise la notion.

gomtres anciens, est mesures suivant trois dimensions; grce l'numralion de ces dimensions les problmes de la gomtrie sont aiss dterminer facilement. D'autre part, les grandeurs dans l'espace reprsentent les trois premiers degrs des grandeurs arithmtiques ou algbriques la quantit simple [dite du premier degr dans Talgbre moderne] s'appelle racine; la seconde s'appelle carr\ la troisime c6e, la quatrime bi-carr, etc. La simplicit imaginative de cette correspondance est sduisante, et Descartes avoue en avoir t lui-mme dupe pendant longtemps. Pourtant elle est trompeuse. En effet les degrs des grandeurs ne sont jamais que des relations une unit donne; la quantit du premier degr, la racine, est une premire proportionnelle; le carr est une seconde proportionnelle, etc. Or, suivant la Rgle XV, l'unit peut tre volont ou surface ou longueur ou point. L'essentiel, c'est la reprsentation d'un lment tendu qui se prte dans tous les sens une extension illimite-. Descartes, il est vrai, n'ajoute pas ici, ce qu'on attend qu'il dise, et ce qu'il dit de fait dans la Gomtrie^ que la composiL'espace,tel

que l'avaient envisag

les

un systme dfigures susceptibles

d'tre

:

*

Reg. XVI, AT, X, 436. AT, X, 453 primo unilatem pingenius Iribus modis, uempe per (juadratum, Q, si attendamus ad illam ut longani et latam, vel per lineam, si coQsidereinus tanluni ut longain, vel denique per punctum, , si non aliud spectemus quam quod ex illa componatur niultitudo; at quocumque modo pingatur et concipiatur, intelligemus seniper eamdem esse suhjectum omnimode extensum et infinitarum dimensionum capax. Ce passage permet d'expliquer le dbut de la Reg. XVI, o Descartes recommande de remplacer les figures entires par des signes trs courts, per brevissimas notas. Ces signes ne sont pas ncessairement des chiffres , comme dans le passage correspondant du Discours de la Mthode (Cf. Hamelin Le systme de Descartes, 1910, ils peuvent tre des points. p. 68, n. 2)1.

2.

:

,

:

;

LKS DIVKRSIS FONCTIONS DK L ESPACK DANS LKS

IlKGULiE

lit

lion de ces degrs peut se Taire rintricur d'une seule dimension spatiale, que le j)roduil de deux ou plusieurs longueurs

peut encore (Mre rcprrscnli'' par une longueur. Ne faul-il voir dans cette rserve que sou ternel parti [)ris de prudence et de mfiance? ou iaut-il croire que dans les Reyiil^ il n'avait pas encore amen les principes de la gomtrie analytique l'tat de mthode claire et distincte? En tout cas, ce qu'on doit retenir de ces Rgles XIV et XVI, c'est que la pense de Descartes tourne autour de la dimension spatiale. L'lment de dimension spatiale est la longueur; on peut partir de la longueur pour reconstituer la ralit spatiale, comme multiplicit trois dimensions. Mais ce mode de composition n'est, aux yeux de Descartes, qu'un cas particulier dans le mode de composition des grandeurs; tout lment analogue la longueur peut tre considr comme une dimension, et on introduira dans un problme autant de dimensions qu'on voudra. Ds lors la reprsentation spatiale de la dimension ne dpend plus de la nature spatiale de la dimension non seulement, dit Descartes, la longueur, la largeur et la profondeur sont des dimensions, mais en outre la pesanteur est la dimension suivant laquelle les choses sont j)eses; la vitesse est la dimension du mouvement, et ainsi pour une infinit de dimensions semblables. Tout mode de division en parties gales, qu'il soit effectif ou intellectuel, constitue une dimension suivant laquelle se fait la numration' . Autant de dimensions dans un problme, autant d'lments quantitatifs dont la mesure peut tre naturellement indique par une reprsentation spatiale. 70. Cette gnralisation de la notion de dimension est le point capital des Regul\ elle explique comment la reprsentation spatiale peut acqurir une valeur tout autre que celle d'un symbolisme arbitraire, et conduire une science elective de:

l'univers. En effet entre la diversit des couleurs et la diversit des schmes spatiaux que l'on convenait de leur faire correspondre, il n'y avait qu'une analogie extrieure; les raisons hypothtiques que l'on enchanait en thorie simplement parce que la mthode enjoint de supposer mme de l'ordre entre

qui ne se prcdent point naturellement les uns les autres'^ , taient propres h recouvrir plutt qu' manifester la ralit vritable des phnomnes. La notion de dimension gnralise permet de substituer l'analogie extrieure la rso[les objets]

1.

Reg. XIV,

AT,X,

447.

2.

AT, VI,

18.

112

LES ETAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

un problme suivant l'ordre de la raison nature des choses, ainsi que l'a fait Descartes dans la dcouverte fondamentale des lois de la rfraction, c'est le ramener un nombre dtermin de dimensions lmentaires, c'est rechercher les relations qui correspondent ces diverses dimensions et leurs rapports rciproques, jusqu' ce que le systme de ces relations soit compris dans une numration exhaustive, et que l'on puisse conclure de la solution particulire de chacune des difficults la solution totale du problme. La rforme de la philosophie par les mathmatiques sera donc accomplie si l'tude de tous les phnomnes peut tre rduite des mesures de dimensions. Ce but, Descartes l'atteint par la refonte de la notion du mouvement. Pour Aristote, le mouvement est Vacte d'un tre en puissance en tant qu'il est en puissance; sous cette dfinition gnrale les Philosophes conoivent plusieurs mouvements qu'ils pensent pouvoir tre faits sans qu'aucun corps change de place, comme ceux qu'ils appellent motus ad formam, motus ad calorem, motus ad quantitatem. Et moi, continue Descartes au chapitre VII du Monde, ie n'en connais aucun que celui... qui fait que les corps passent d'un lieu en un autre, et occupent successivement tous les espaces qui sont entre deux . La notion d'un tel mouvement rentre dans le cadre des notions gomtriques on pourrait mme dire qu'elle est la base de la gomtrie. La nature du mouvement duquel j'entends ici parler, est si facile connatre que les Gomtres mmes, qui entre tous les hommes se sont le plus tudi concevoir bien distinctement les choses qu'ils ont considres, l'ont juge plus simple et plus intelligible que celle de leurs superficies et de leurs lignes ainsi qu'il parat en ce qu'ils ont expliqu la ligne par le mouvement d'un point, et la superficie par celui d'une ligne -. Seules les notions des figures, des grandeurs et des mouvements constituent les ides claires et distinctes qui peuvent tre en notre entendement touchant ^ La science de l'univers devra donc se les choses matrielles traiter uniquement en termes d'tendue et de mouvement., suivant les principes de la Gomtrie et des Mcaniques; leslution interne. Traiteret suivant la' ;;

>>

.

AT, XI,

.39.

2. Ibid.

Cf.

Arist.

de An., 409^TriiSov

4.

(Ed.(TttY(j.-r,v

Rodier,i

t.

1,

p. 44.)

...

'End aT-

x;vr,Tav Ypajx|jirivop.cit.,

itoi'v,

p. 97

:

01 ijlv [ty-iV ypa[jLfj.r,v]:

XIV, AT., X, 4o0 idem erit cum lineam compoiiunl. 3. Pr. Phil. IV, 203, AT, VIII, (1), 326,

Voir aussi Proclus, pj:

:

:

;

l.AT, VI. 444.2.

Liard, op.

cit.,

p. 48.

LA

POIlTKi: I)K

LA GKOMKTRIK CAIITKSIENNE

121

qui constitue la grandeur; elle est Taso/u. Traiter des quations algbriques suivant la mthode de l'analyse, c'est assister la gnration dos quations laide de leurs formes les plus

simples; c'est faire voir comment la notion de racine procde de l'qiiation, mise sous une forme telle que le second membre soit nul, et pourquoi la dcouverte des racines est une rso Sachez donc qu'en chaque Equation, lution de l'quation autant que la quantit inconnue a de dimensions, autant peut-il y avoir de diverses racines, c'est--dire de valeurs de cette car, par exemple, si on suppose x gal 2 ou bien quantit 3 0; en 2 gal rien, et derechef, cc=:3, ou bien x X multipliant ces deux quations,:

:

=

ce

2=

et

a-

3=

0,

lune par

l'autre,ce-

on aura-h 6

Sa;

^

0,

ou bien

x^ := occ

6

qui est une quation en laquelle la quantit x vaut 2, et tout ensemble vaut 3 . 77. Sans avoir besoin de rappeler le dtail des lois qui concernent les oprations sur les racines et la transformation des quations, nous pouvons apercevoir comment cette thorie de la nature des quations accomplit un tel progrs dans la rduction des difficults , qu'elle transforme la conception de la mathmatique pure et la notion fondamentale de quantit.'

Les Regul partaient de la mathmatique proprement dite pour tendre l'ensemble des problmes ([ui pouvaient se poser l'homme la mthode de la rsolution dont cette science avait, seule jusqu'ici, donn lexemple. L'arithmtique et la gomtrie y sont juxtaposes comme satisfaisant galement aux exigences de l'ordre et de la mesure. Avec la Gomtrie, la juxtaposition se change en hirarchie; la quantit soumise la restriction que lui impose la reprsentation spatiale devient quelque chose de compos par rapport la quantit dfinie uniquement au moyen des oprations de l'arithmtique, exprime l'aide des systmes symboliques de l'algbre. De l cette consquence que les limites de la science algbrique dterminent les limites de la science gomtrique. Vers la fin du troisime livre, aprs avoir indiqu la mthode pour la rsolution des quations du quatrime degr. Descartes ajoute Il est qu'il ne sait rien de plus dsirer, en cette matire...:

1.

Livre

III,

AT, VI,

444.

k

122vrai

LES TAPES DE L\ PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE

que je n'ai pas encore dit sur quelles raisons je me fonde, pour oser ainsi assurer si une chose est possible ou ne l'est pas. Mais, si on prend garde comment, par la mthode dont je me sers, tout ce qui tombe sous la considration des Gomtres se rduit un mme genre de Problmes, qui est de chercher la valeur des racines de quelque quation, on jugera bien qu'il n'est pas malais de faire un dnombrement de toutes les voies par lesquelles on les peut trouver, qui soit suffisant pour dmontrer qu'on a choisi la plus gnrale et le plus simplet 78. La conclusion del Gomtrie est donc analogue la conclusion des Principes de la Philosophie; toutes deux s'inspirent du mme principe formul ds les Begiil. La Rgle VII prescrit, pour Tachvement de la science, de prendre un un les lments du problme et de les parcourir tous d'un mouvement continu, nulle part interrompu, de la pense, de faon pouvoir les comprendre dans une numration suffisante et mthodique. Or l'application de cette rgle permet souvent cette audacieuse conclusion, que si aucune des voies accessibles aux hommes ne conduit la dcouverte de la solution, la connaissance en est place au-dessus de la porte de l'intelligence humaine^ . La doctrine s'applique naturellement la gomtrie le mouvement non interrompu de l'esprit, tel quil apparat dans l'algbre, trouve une matire pour s'exercer sur les lignes gomtriques pourvu qu'on les puisse imaginer tre dcrites par un mouvement continu, ou par plusieurs qui s'en tre-sui vent et dont les derniers soient entirement rgls par ceux qui les prcdent* . Les lignes qui ne satisfont pas cette condition sont au del du domaine de la rsolution algbrique et, par l-mme, au del de la connaissance humaine les lignes gomtriques sont par dfinition celles qui tombent sous quelque mesure bien dtermine*. Descartes carte les lignes qui semblent des cordes, c'est--dire qui deviennent tantt droites et tantt courbes, cause que la proportion qui est entre les droites et les courbes n'tant pas connue et mme, je crois, ne le pouvant tre par les hommes, on ne pourrait rien conclure de l qui fut exact et assur" . De telles paroles ont t juges svrement Leibniz ne manquera gure l'occasion de rappeler qu'en dclarant impossible la rectification dune courbe. Descartes s'est tromp par

:

:

:

1.

2.

3.4. 5.

^r. AT. AT, AT, AT.

VI, 475. X, 389; cf. X, YI, 390. YI, 392.VI, 412.

39-3.

LA PORTKK

I)i:

LA (JEOMKTRIK CARTESIKNNK

123

une trop grande prsomption... mesurant les forces de toute postrit par les siennes* . Mais il faut voir l des paroles de philosophe plutt que de technicien; et c'est ce qui en fait pour nous Tintrt. La constitution de la gomtrie cartsienne est comme subsume sous une certaine philosophie, et h cette philosophie elle a d de marquer une date dcisive dans l'histoire de la pense. Cela mme qui est pour Fermt un procd admirable d' lgance et de commodit , devient aux yeux de Descartes une mthode fonde dans la nature des choses. La facilit et la simplicit des solutions ne sont plus des avantages qui mettent en lumire l'invention heureuse d'un savant ce sont les marques et les consquences de la pntration du penseur dont la mditation est capable d'atteindre la dernire profondeur de la ralit. Parla se dgage sous un jour tout nouveau la notion d'quation algbrique. Elle tait un moyen appropri la rsolution des problmes gomtriques; elle apparat dsormais comme la raison des dterminations de l'tendue. Avec la Gomtrie, l'ide cartsienne de la mathmatique acquiert une porte que le reste de l'uvre cartsienne ne permettait gure de prciser. Dans sa forme initiale, la mathmatique universelle paraissait avoir surtout en vue l'extension de la gomtrie l'univers; l'lment tait la dimension spatiale, qui servait de modle toute mesure et toute combinaison des lments du monde physique. La Gomtrie donne pour base la mathmatique la rsolution intellectuelle del donne gomtrique; la dimension spatiale, fournie par une sorte d'imagination a priori, n'est plus qu'un appui extrieur pour une conception dont la valeur essentielle est indpendante de toute reprsentation Imaginative. Ds lors, l'ide de la science mathmatique est transforme la quantit n'est plus, comme chez Euclide, une dtermination tire par abstraction de l'observation des objets; la science de la quantit n'est plus comparable une science naturelle. La notion de quantit est purementla:':

elle s'tablit a priori par la seule capacit qu'a de conduire et de poursuivre l'infini de longues chanes de raisons . Cette conception nouvelle de la mathmatique entranait une conception nouvelle de la philosophie, qui devait prendre corps dans les systmes de Malebranche et de Spinoza et dterminer une tape essentielle dans le dveloppement de la philosophie mathmatique.

intellectuellel'esprit

;

1.

Lettre Philippi, de janvier 1680, Gerhardt. Ph. Schr., IV, 285.

CHAPITRELA

VIII

PHILOSOPHIE MATHMATIQUE DES CARTSIENS

Section A.LA

Les problmes du cartsianisme.

PLACE DE LA79.

GOMTRIE

DANS l'CEUVRE DE DESGARTES

l'avons bien interprte, est

La philosophie mathmatique de Descartes, si nous une philosophie de gomtre , mais qui partant de la gomtrie s'avance dans deux directions difrentes. tendre la gomtrie proprement dite aux problmesdela

cosmologie, et rduire les problmes de

la

gomtrie

l'algbre; gnraliser la science d'Euclide de faon y ramener la mcanique, la physique, la biologie mme, et intellectualiser

science d'Euclide de faon la ramener l'algbre les deux tches non seulement ne se confondent pas, mais elles paraissent inverses l'une de l'autre. Il est vrai, pourtant, qu'elles sont issuesla

s'tablir entre ces

Logiquement l'unit doit mathmatique mathmatique pure qui procde de l'analyse proprement algbrique, mathmatique universelle qui procde de la synthse proprementd'uneinspiration mthodique.

mme

deux parties de

la

:

gomtrique. Et l'unit s'tablit en effet; seulement ce ne fut pas dans l'uvre de Descartes lui-mme, ce fut grce aux commentateurs de la Gomtrie, et par les systmes des philosophes qui les commentateurs livraient sous leur forme explicite les principes de la science nouvelle. En effet la Gomtrie ne fut qu'un pisode dans la carrire philosophique de Descartes. Au lendemain de la publication de ces trois livres dont l'excellence lui arrachait un cri d'orgueil % il renouvelle les dclarations qu'il faisait au lendemain des1.

Lettre Mersenne, de la fin de 1637,

AT,

I,

478.