BACCALAURÉAT : Épreuve Anticipée de Français · 2019. 6. 6. · Victor Hugo, Les Châtiments,...

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____________ 9 rue de Turenne BP 10159 24007 PERIGUEUX CEDEX Tél. 05.53.02.75.00 FAX 05.53.02.75.16 ___________ [email protected] 1 Année scolaire 2018-2019 BACCALAURÉAT : Épreuve Anticipée de Français TEXTES CLASSES : Première STL B (Professeur : Mme Pasquet Sylvie) OBJET DETUDE : ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS, DU MOYEN AGE A NOS JOURS. SEQUENCE N°1 : « FIAT LUX ! ». (G.T) OBJET DETUDE : LA QUESTION DE LHOMME DANS LES GENRES DE LARGUMENTATION DU XVIEME SIECLE A NOS JOURS. SEQUENCE N°2 : Mots de Voyageurs. (G.T.) OBJET DETUDE : LE TEXTE THEATRAL ET SA REPRESENTATION DU XVIIEME SIECLE A NOS JOURS. SEQUENCE N°3 : Art, Yasmina REZA(O.I) OBJET DETUDE : LE PERSONNAGE DE ROMAN DU XVIIEME SIECLE A NOS JOURS. SEQUENCE N°5 : L’Étranger, Albert CAMUS (O.I.)

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Année scolaire 2018-2019

BACCALAURÉAT : Épreuve Anticipée de Français

TEXTES CLASSES : Première STL B

(Professeur : Mme Pasquet Sylvie)

OBJET D’ETUDE : ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS, DU MOYEN AGE A NOS JOURS.

SSEEQQUUEENNCCEE NN°°11 : « FIAT LUX ! ». (G.T)

OBJET D’ETUDE : LA QUESTION DE L’HOMME DANS LES GENRES DE L’ARGUMENTATION DU

XVIEME SIECLE A NOS JOURS.

SSEEQQUUEENNCCEE NN°°22 : Mots de Voyageurs. (G.T.)

OBJET D’ETUDE : LE TEXTE THEATRAL ET SA REPRESENTATION DU XVIIEME SIECLE A NOS

JOURS.

SSEEQQUUEENNCCEE NN°°33 :: Art, Yasmina REZA(O.I)

OBJET D’ETUDE : LE PERSONNAGE DE ROMAN DU XVIIEME SIECLE A NOS JOURS.

SSEEQQUUEENNCCEE NN°°55 : L’Étranger, Albert CAMUS (O.I.)

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OOBBJJEETT DD’’EETTUUDDEE :: EECCRRIITTUURREE PPOOEETTIIQQUUEE EETT QQUUEETTEE DDUU SSEENNSS DDUU MMOOYYEENN AAGGEE AA NNOOSS JJOOUURRSS.. SEQUENCE N°1 : « FIAT LUX ». Problématiques :

Comment les poètes disent la lumière ?

Éclairer le monde par l’alchimie des mots.

TTEEXXTTEE NN°°11 ::

Vincent Voiture, Sonnets, « La Belle matineuse », 1635.

Des portes du matin l'Amante de Céphale1

Ses roses épandait dans le milieu des airs 2

Et jetait sur les Cieux nouvellement ouverts

Ses traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale 4

Quand la Nymphe2 divine, à mon repos fatale

3,

Apparut, et brilla de tant d'attraits divers, 6

Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'Univers,

Et remplissait de feux la rive orientale. 8

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux,

Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux, 10

Et prit tous les rayons dont l'Olympe4 se dore ;

L'onde5, la terre, et l'air s'allumaient à l'entour : 12

Mais auprès de Philis6 on le prit pour l'Aurore,

Et l'on crut que Philis était l'Astre du jour.14

1 La déesse de l’aurore, amoureuse du Grec Céphale 2 Nymphe : divinité de la nature 3 « A mon repos fatale » : Fatale à mon repos 4 Olympe : montagne où demeurent les Dieux (dans la mythologie grecque). 5 L’onde : nom poétique pour désigner l’eau (la mer, la rivière…) 6 Philis : Nom donné à la femme aimée dans la poésie précieuse à cause de la racine grecque « phil » qui exprime l’idée d’amour.

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TTEEXXTTEE NN°°22 :: Victor Hugo, Les Châtiments, « Lux », 1853.

Lux

Temps futurs ! vision sublime ! Les peuples sont hors de l’abîme. Le désert morne est traversé. Après les sables, la pelouse ; Et la terre est comme une épouse, 5 Et l’homme est comme un fiancé !

Dès à présent l’œil qui s’élève Voit distinctement ce beau rêve Qui sera le réel un jour ; Car Dieu dénoûra toute chaîne, 10 Car le passé se nomme haine Et l’avenir s’appelle amour !

Dès à présent dans nos misères Germe l’hymen des peuples frères ; Volant sur nos sombres rameaux, 15 Comme un frelon que l’aube éveille, Le progrès, ténébreuse abeille, Fait du bonheur avec nos maux.

Oh ! voyez ! la nuit se dissipe ; Sur le monde qui s’émancipe, 20 Oubliant Césars et Capets, Et sur les nations nubiles, S’ouvrent dans l’azur, immobiles, Les vastes ailes de la paix !

Ô libre France enfin surgie ! 25 Ô robe blanche après l’orgie ! Ô triomphe après les douleurs ! Le travail bruit dans les forges, Le ciel rit, et les rouges-gorges Chantent dans l’aubépine en fleurs ! 30

La rouille mord les hallebardes. De vos canons, de vos bombardes, Il ne reste pas un morceau Qui soit assez grand, capitaines, Pour qu’on puisse prendre aux fontaines 35 De quoi faire boire un oiseau.

Les rancunes sont effacées ; Tous les cœurs, toutes les pensées, Qu’anime le même dessein, Ne font plus qu’un faisceau superbe ; 40 Dieu prend pour lier cette gerbe La vieille corde du tocsin.

Au fond des cieux un point scintille. Regardez, il grandit, il brille, Il approche, énorme et vermeil. 45 Ô République universelle, Tu n’es encore que l’étincelle, Demain tu seras le soleil !

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TTEEXXTTEE NN°°33 :: Francis Ponge, Le Parti pris des choses, « La Bougie », 1942.

LLAA BBOOUUGGIIEE La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées

en massifs d'ombres. 2 Sa feuille d'or tient impassible au creux d'une colonnette d'albâtre par un pédoncule très

noir. 4 Les papillons miteux l'assaillent de préférence à la lune trop haute, qui vaporise les bois.

Mais brûlés aussitôt ou vannés dans la bagarre, tous frémissent aux bords d'une frénésie voisine 6 de la stupeur.

Cependant la bougie, par le vacillement des clartés sur le livre au brusque dégagement des 8 fumées originales encourage le lecteur, — puis s'incline sur son assiette et se noie dans son aliment.10

TTEEXXTTEE NN°°44 :: Jacques Réda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989. Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain, Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange, 2 On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches Et se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin, 4 Avec des éclats palpitants au milieu du pavage Et des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo. 6 C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites, Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bête 8 En éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau. La rue est vide. Le jardin continue en silence 10 De déverser à flots ce feu vert et doré qui danse Pieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau. 12 Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village. On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs. 14 La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend. Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave, 16 On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidon Éblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bond 18 À travers le vitrage à demi noyé qui chancelle, Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincelles 20 Qui font à présent de ses roues deux astres en fusion.

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SEQUENCE N 2: MOTS DE VOYAGEURS Problématiques : Comment le voyage permet-il d’interroger les notions d’identité et de diversité ? Le voyage et son récit peuvent-ils contribuer à former l'homme ?

TEXTE N°5 : Michel de MONTAIGNE, Essais, « De la vanité », 1588.

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TEXTE N°6 : Jean de LA FONTAINE, Fables, VI, 5, 1668.

Le Cochet, le Chat, et le Souriceau Un Souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu, Fut presque pris au dépourvu. Voici comme il conta l'aventure à sa mère : J'avais franchi les Monts qui bornent cet Etat, Et trottais comme un jeune Rat 5 Qui cherche à se donner carrière, Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux : L'un doux, bénin et gracieux, Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude. Il a la voix perçante et rude, 10 Sur la tête un morceau de chair, Une sorte de bras dont il s'élève en l'air Comme pour prendre sa volée, La queue en panache étalée. Or c'était un Cochet dont notre Souriceau 15 Fit à sa mère le tableau, Comme d'un animal venu de l'Amérique. Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras, Faisant tel bruit et tel fracas, Que moi, qui grâce aux Dieux, de courage me pique, 20 En ai pris la fuite de peur, Le maudissant de très bon cœur. Sans lui j'aurais fait connaissance Avec cet animal qui m'a semblé si doux. Il est velouté comme nous, 25 Marqueté, longue queue, une humble contenance ; Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant : Je le crois fort sympathisant Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles En figure aux nôtres pareilles. 30 Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat L'autre m'a fait prendre la fuite. - Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat, Qui sous son minois hypocrite Contre toute ta parenté 35 D'un malin vouloir est porté. L'autre animal tout au contraire Bien éloigné de nous mal faire, Servira quelque jour peut-être à nos repas. Quant au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. 40 Garde-toi, tant que tu vivras, De juger des gens sur la mine.

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TEXTE N°7 : Denis DIDEROT, Supplément au voyage de Bougainville, 1772.

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TEXTE N°8 : Jean-Jacques Rousseau, Confessions, Livre IV, 1782

La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j'ai perdu la mémoire est de n'avoir pas fait des journaux de mes voyages. Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans ceux que j'ai faits seul et à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle1 pour y mettre mon esprit. La vue de 5

la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant, la liberté du cabaret, l'éloignement de tout ce qui me fait sentir ma dépendance, de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser, me jette en quelque sorte dans l'immensité des êtres pour les combiner, les choisir, me les approprier à mon gré, sans 10

gêne et sans crainte. Je dispose en maître de la nature entière ; mon cœur, errant d'objet en objet, s'unit, s'identifie à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes, s'enivre de sentiments délicieux. Si pour les fixer je m'amuse à les décrire en moi-même, quelle vigueur de pinceau, quelle fraîcheur de coloris, quelle énergie d'expression je leur donne ! On a, dit-on, trouvé de tout cela dans mes ouvrages, quoique écrits vers le déclin de mes 15

ans. Oh ? si l'on eût vu ceux de ma première jeunesse, ceux que j'ai faits durant mes voyages, ceux que j'ai composés et que je n'ai jamais écrits... Pourquoi, direz-vous, ne les pas écrire ? Et pourquoi les écrire ? vous répondrai-je : pourquoi m'ôter le charme actuel de la jouissance, pour dire à d'autres que j'avais joui ? Que m'importaient des lecteurs, un public, et toute la terre, tandis que je planais dans le ciel ? D'ailleurs, portais-je avec moi 20

du papier, des plumes ? Si j'avais pensé à tout cela, rien ne me serait venu. Je ne prévoyais pas que j'aurais des idées ; elles viennent quand il leur plaît, non quand il me plaît. Elles ne viennent point, ou elles viennent en foule, elles m'accablent de leur nombre et de leur force. Dix volumes par jour n'auraient pas suffi. Où prendre du temps pour les écrire ? En arrivant je ne songeais qu'à bien dîner. En partant je ne songeais qu'à bien marcher. Je 25

sentais qu'un nouveau paradis m'attendait à la porte. Je ne songeais qu'à l'aller chercher.

1. En mouvement.

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Texte n°9 : Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXX, 1721.

Les Lettres Persanes est un roman épistolaire qui présente la correspondance de

deux Persans et leurs compatriotes restés en Perse. Ils font part de leurs étonnements

devant le comportement des Parisiens et devant leurs découvertes. Ce procédé permet de

faire passer critique, satire et réflexion philosophique sous une forme agréable. Dans cette

lettre 30, l'un des Persans Rica, raconte une aventure personnelle.

Rica à Ibben, à Smyrne.

Les habitants de Paris sont d’une curiosité qui va jusqu’à l’extravagance. Lorsque

j’arrivai, je fus regardé comme si j’avais été envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes,

enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres ; si j’étais

aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi ; les femmes mêmes 5

faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m’entourait. Si j’étais aux spectacles, je

voyais aussitôt cent lorgnettes1 dressées contre ma figure : enfin jamais homme n’a tant été

vu que moi. Je souriais quelquefois d’entendre des gens qui n’étaient presque jamais sortis

de leur chambre, qui disaient entre eux : « Il faut avouer qu’il a l’air bien persan ». Chose

admirable ! Je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les 10

boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m’avoir pas assez vu.

Tant d’honneurs ne laissent pas d’être à la charge : je ne me croyais pas un homme si

curieux et si rare ; et quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais

imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me

fit résoudre à quitter l’habit persan, et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il 15

resterait encore dans ma physionomie quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître

ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus

juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre en un instant

l’attention et l’estime publique ; car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais

quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis 20

en occasion d’ouvrir la bouche ; mais, si quelqu’un par hasard apprenait à la compagnie que

j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! monsieur

est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »

De Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712.

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SEQUENCE N 2: MOTS DE VOYAGEURS Problématiques : Comment le voyage permet-il d’interroger les notions d’identité et de diversité ? Le voyage et son récit peuvent-ils contribuer à former l'homme ?

DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES

Martin PARR, Touristes à l’Acropole, 1991.

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SSÉÉQQUUEENNCCEE NN°°44:: AARRTT,, YYAASSMMIINNAA RREEZZAA ((ŒŒUUVVRREE IINNTTÉÉGGRRAALLEE))

PPRROOBBLLEEMMAATTIIQQUUEE : Comment cette pièce reflète-t-elle la complexité des relations humaines à travers un objet scénique ?

TEXTE n°10 : Présentation des personnages et

début de la pièce, scène d’exposition.

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TEXTE n°11: Une scène de conflit.

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TEXTE n°12: Tirade (monologue d’Yavan).

Serge va ouvrir. Yvan pénètre dans la pièce en parlant.

YVAN : « Alors dramatique, problème insoluble, dramatique, les deux belles-mères veulent figurer sur le carton d’invitation. Catherine adore sa belle-mère qui l’a quasiment élevé, elle la veut sur le carton, elle la veut, la belle-mère n’envisage pas, et c’est normal la mère est morte, de ne pas figurer à côté du père, moi je hais la mienne, il est hors de question que ma belle-mère figure sur le carton, mon père ne veut pas y être si elle n’y est pas, à moins que la belle-mère de Catherine n’y soit pas non plus, ce qui est 5 rigoureusement impossible, j’ai suggéré qu’aucun parent n’y soit, après tout, nous n’avons plus vingt ans, nous pouvons présenter notre union et inviter les gens nous-mêmes, Catherine a hurlé, arguant que c’était une gifle pour ses parents qui payaient, prix d’or, la réception, et spécifiquement pour sa belle-mère qui s’était donné tant de mal alors qu’elle n’était même pas sa fille, je finis par me laisser convaincre, totalement contre mon gré mais par épuisement, j’accepte donc que ma belle-mère que je hais, qui est 10 une salope, figure sur le carton, je téléphone à ma mère pour la prévenir, je lui dis maman, j’ai tout fait pour éviter ça mais nous ne pouvons pas faire autrement, Yvonne doit figurer sur le carton, elle me répond si Yvonne figure sur le carton, je ne veux pas y être, je lui dis maman, je t’en supplie, n’envenime pas les choses, elle me dit comment oses-tu me proposer que mon nom flotte, solitaire, sur le papier, comme celui d’une femme abandonnée, au-dessous de celui d’Yvonne solidement amarré au patronyme 15 de ton père, je lui dis maman, mes amis m’attendent, je vais raccrocher, nous parlerons de tout ça demain à tête reposé, elle me dit et pourquoi je suis toujours la dernière roue du carrosse, comment ça maman, tu n’es pas la dernière roue du carrosse, bien sûr que si, quand tu me dis n’envenime pas les choses, ça veut dire que les choses sont déjà là, tout s’organise sans moi, tout se trame derrière mon dos, la brave Huguette doit dire amen à tout et j’ajoute, me dit-elle – le clou - , pour un évènement dont je n’ai pas 20 encore saisi l’urgence, maman, des amis m’attendent, oui, oui, tu as toujours mieux à faire tout est plus important que moi, au revoir, elle raccroche, Catherine, qui était à côté de moi, mais qui ne l’avait pas entendue, me dit, qu’est-ce qu’elle a dit, je lui dit elle ne veut pas être sur le carton avec Yvonne, et c’est normal, je ne parle pas de ça, qu’est-ce qu’elle a dit sur le mariage, rien, tu mens, mais non Cathy je te jure, elle ne veut pas être sur le carton avec Yvonne, rappelle-la et dis-lui que quand on marie son fils, on 25 met son amour-propre de côté, tu pourrais dire la même chose à ta belle-mère, ça n’a rien à voir, s’écrie Catherine, c’est moi, moi qui tiens absolument à sa présence, pas elle, la pauvre, la délicatesse même, si elle savait les problèmes que ça engendre, elle me supplierait de ne pas être sur le carton, rappelle ta mère, je la rappelle, en surtension, Catherine à l’écouteur, Yvan, me dit ma mère, tu as jusqu’à présent mené ta barque de la manière la plus chaotique qui soit et parce que, subitement, tu entreprends de 30 développer une activité conjugale, je me trouve dans l’obligation de passer un après-midi et une soirée avec ton père, un homme que je n’ai pas revu depuis dix-sept ans et à qui je ne comptais pas exposer mes bajoues et mon embonpoint, et avec Yvonne qui, je te le signale en passant, a trouvé le moyen, je l’ai su par Félix Perolari, de se mettre au bridge – ma mère aussi joue au bridge – tout ça je ne peux pas l’éviter, mais le carton, l’objet par excellence que tout le monde va recevoir et étudier, j’entends m’y pavaner 35 seule, à l’écouteur, Catherine secoue la tête avec un rictus de dégoût, je dis maman, pourquoi es-tu aussi égoïste, je ne suis pas égoïste, je ne suis pas égoïste Yvan, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi et me dire comme madame Roméro ce matin que j’ai un cœur de pierre, que dans la famille nous avons tous une pierre à la place du cœur, dixit madame Roméro ce matin parce que j’ai refusé – elle est devenue complètement folle – de la passer à soixante francs de l’heure non déclarée, et qui trouve le moyen de me 40 dire que nous avons tous une pierre à la place du cœur dans la famille, quand on vient de mettre un pacemaker au pauvre André, à qui tu n’as même pas envoyé un petit mot, oui bien sûr c’est drôle, toi tout te fait rire, ce n’est pas moi qui suis égoïste Yvan, tu as encore beaucoup de choses à apprendre de la vie, allez mon petit, file, file rejoindre tes chers amis, va, va… Silence.

SERGE. Et alors ? 45

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TEXTE n°13 : Le dénouement.

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OOBBJJEETT DD’’EETTUUDDEE :: LLEE PPEERRSSOONNNNAAGGEE DDEE RROOMMAANN DDUU XXVVIIIIEEMMEE SSIIEECCLLEE AA NNOOSS JJOOUURRSS.. SEQUENCE N°4 : L’ETRANGER, ALBERT CAMUS PROBLEMATIQUES : Comment le roman met en scène un personnage déconcertant

Un personnage nous invitant à nous interroger sur le sens de l’existence

TEXTE n°14 : Incipit

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de

l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.» Cela ne veut rien dire. C'était

peut-être hier.

L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus

à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. 5

J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une

excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : "Ce n'est pas de ma faute." II

n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à

m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-

demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas 10

morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure

plus officielle.

J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste,

comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a

qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce 15

qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il

a perdu son oncle, il y a quelques mois.

J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela

sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je

me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé 20

contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour

n’avoir plus à parler.

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TEXTE n°15 : Un dimanche après-midi

Ma chambre donne sur la rue principale du faubourg. L'après-midi était beau. Cependant, le pavé était gras, les gens rares et pressés encore. C'étaient d'abord des familles allant en promenade, deux petits garçons en costume marin, la culotte au-dessous du genou, un peu empêtrés dans leurs vêtements raides, et une petite fille avec un gros nœud rose et des souliers noirs vernis. Derrière eux, une mère énorme, en robe de soie marron, et le père, un petit homme assez frêle que je connais de vue. Il avait un canotier, un 5 nœud papillon et une canne à la main. En le voyant avec sa femme, j'ai compris pourquoi dans le quartier on disait de lui qu'il était distingué. Un peu plus tard passèrent les jeunes gens du faubourg, cheveux laqués et cravate rouge, le veston très cintré, avec une pochette brodée et des souliers à bouts carrés. J'ai pensé qu'ils allaient aux cinémas du centre. C'était pourquoi ils partaient si tôt et se dépêchaient vers le tram en riant très fort. 10

Après eux, la rue peu à peu est devenue déserte. Les spectacles étaient partout commencés, je crois. Il n'y avait plus dans la rue que les boutiquiers et les chats. Le ciel était pur mais sans éclat au-dessus des ficus qui bordent la rue. Sur le trottoir d'en face, le marchand de tabac a sorti une chaise, l'a installée devant sa porte et l'a enfourchée en s'appuyant des deux bras sur le dossier. Les trams tout à l'heure bondés étaient presque vides. Dans le petit café : « Chez Pierrot », à côté du marchand de tabac, le garçon 15 balayait de la sciure dans la salle déserte. C'était vraiment dimanche.

J'ai retourné ma chaise et je l'ai placée comme celle du marchand de tabac parce que j'ai trouvé que c'était plus commode. J'ai fumé deux cigarettes, je suis rentré pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger à la fenêtre. Peu après, le ciel s'est assombri et j'ai cru que nous allions avoir un orage d'été. Il s'est découvert peu à peu cependant. Mais le passage des nuées avait laissé sur la rue 20 comme une promesse de pluie qui l'a rendue plus sombre. Je suis resté longtemps à regarder le ciel.

À cinq heures, des tramways sont arrivés dans le bruit. Ils ramenaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs perchés sur les marchepieds et, les rambardes. Les tramways suivants ont ramené les joueurs que j'ai reconnus à leurs petites valises. Ils hurlaient et chantaient à pleins poumons que leur club ne périrait pas. Plusieurs m'ont fait des signes. L'un m'a même crié : « On les a eus. » Et j'ai fait : « 25 Oui », en secouant la tête. À partir de ce moment, les autos ont commencé à affluer.

La journée a tourné encore un peu. Au-dessus des toits, le ciel est devenu rougeâtre et, avec le soir naissant, les rues se sont animées. Les promeneurs revenaient peu à peu. J'ai reconnu le monsieur distingué au milieu d'autres. Les enfants pleuraient ou se laissaient traîner. Presque aussitôt, les cinémas du quartier ont déversé dans la rue un flot de spectateurs. Parmi eux, les jeunes gens avaient des gestes 30 plus décidés que d'habitude et j'ai pensé qu'ils avaient vu un film d'aventures. Ceux qui revenaient des cinémas de la ville arrivèrent un peu plus tard. Ils semblaient plus graves. Ils riaient encore, mais de temps en temps, ils paraissaient fatigués et songeurs. Ils sont restés dans la rue, allant et venant sur le trottoir d'en face. Les jeunes filles du quartier, en cheveux, se tenaient par le bras. Les jeunes gens s'étaient arrangés pour les croiser et ils lançaient des plaisanteries dont elles riaient en détournant la tête. 35 Plusieurs d'entre elles, que je connaissais, m'ont fait des signes.

Les lampes de la rue se sont alors allumées brusquement et elles ont fait pâlir les premières étoiles qui montaient dans la nuit. J'ai senti mes yeux se fatiguer à regarder ainsi les trottoirs avec leur chargement d'hommes et de lumières. Les lampes faisaient luire le pavé mouille, et les tramways, à intervalles réguliers, mettaient leurs reflets sur des cheveux brillants, un sourire ou un bracelet d'argent. 40 Peu après, avec les tramways plus rares et la nuit déjà noire au-dessus des arbres et des lampes, le quartier s'est vidé insensiblement, jusqu'à ce que le premier chat traverse lentement la rue de nouveau déserte. J'ai pensé alors qu'il fallait dîner. J'avais un peu mal au cou d'être resté longtemps appuyé sur le dos de ma chaise. Je suis descendu acheter du pain et des pâtes, j'ai fait ma cuisine et j'ai mangé debout. J'ai voulu fumer une cigarette à la fenêtre, [39] mais l'air avait fraîchi et j'ai eu un peu froid. J'ai fermé mes fenêtres 45 et en revenant j'ai vu dans la glace un bout de table ou ma lampe à alcool voisinait avec des morceaux de pain. J'ai pensé que c'était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j'allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n'y avait rien de changé.

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TEXTE n°15 : Le procès

Même sur un banc d'accusé, il est toujours intéressant d'entendre parler de soi. Pendant les plaidoiries du procureur et de mon avocat, je peux dire qu'on a beaucoup parlé de moi et peut-être plus de moi que de mon crime. Étaient-elles si différentes, d'ailleurs, ces plaidoiries ? L'avocat levait les bras et plaidait coupable, mais avec excuses. Le procureur tendait ses mains et dénonçait la culpabilité, mais sans excuses. Une chose pourtant me gênait 5

vaguement. Malgré mes préoccupations, j'étais parfois tenté d'intervenir et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. » En quelque sorte, on avait l'air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu'on prenne mon avis. De temps en temps, j'avais envie d'interrompre tout le monde et de dire : « Mais tout de même, qui est l'accusé ? C'est important d'être 10

l'accusé. Et j'ai quelque chose à dire ! » Mais réflexion faite, je n'avais rien à dire. D'ailleurs, je dois reconnaître que l'intérêt qu'on trouve à occuper les gens ne dure pas longtemps. Par exemple, la plaidoirie du procureur m'a très vite lassé. Ce sont seule- ment des fragments, des gestes ou des tirades entières, mais détachées de l'ensemble, qui m'ont frappé ou ont éveillé mon intérêt. 15

Le fond de sa pensée, si j'ai bien compris, c'est que j'avais prémédité mon crime. Du moins, il a essayé de le démontrer. Comme il le disait lui-même : « J'en ferai la preuve, Messieurs, et je la ferai doublement. Sous l'aveuglante clarté des faits d'abord et ensuite dans l'éclairage sombre que me fournira la psychologie de cette âme criminelle.» Il a résumé les faits à partir de la mort de maman. Il a rappelé mon insensibilité, l'ignorance où j'étais de l'âge 20

de maman, mon bain du lendemain, avec une femme, le cinéma, Fernandel et enfin la rentrée avec Marie. J'ai mis du temps à le comprendre, à ce moment, parce qu'il disait « sa maîtresse » et pour moi, elle était Marie. Ensuite, il en est venu à l'histoire de Raymond. J'ai trouvé que sa façon de voir les événements ne manquait pas de clarté. Ce qu'il disait était plausible. J'avais écrit la lettre d'accord avec Raymond pour attirer sa maîtresse et la livrer aux mauvais 25

traitements d'un homme « de moralité douteuse ». J'avais provoqué sur la plage les adversaires de Raymond. Celui-ci avait été blessé. Je lui avais demandé son revolver. J'étais revenu seul pour m'en servir. J'avais abattu l'Arabe comme je le projetais. J'avais attendu. Et « pour être sûr que la besogne était bien faite », j'avais tiré encore quatre balles, posément, à coup sûr, d'une façon réfléchie en quelque sorte. 30

« Et voilà, Messieurs, a dit l'avocat général. J'ai retracé devant vous le fil d'événements qui a conduit cet homme à tuer en pleine connaissance de cause. J'insiste là-dessus, a-t-il dit. Car il ne s'agit pas d'un assassinat ordinaire, d'un acte irréfléchi que vous pourriez estimer atténué par les circonstances. Cet homme, Messieurs, cet homme est intelligent. Vous l'avez entendu, n'est-ce pas ? Il sait répondre. Il connaît la valeur des mots. Et l'on ne peut pas dire 35

qu'il a agi sans se rendre compte de ce qu'il faisait. » Moi j'écoutais et j'entendais qu'on me jugeait intelligent. Mais je ne comprenais pas bien

comment les qualités d'un homme ordinaire pouvaient devenir des charges écrasantes contre un coupable.