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II) LES NOUVEAUX CLIVAGES A) Un national populisme ( !?) :"Le Front national : de sa nature idéologique aux causes de sa forte implantation électorale" "Il n'est pas sur que le combat politique contre le Front national soit efficace dans l'éloge de la complexité. Il l'est sans doute dans la capacité de donner un sens aux évènements" 1 . Etudier le Front National nécessite en premier lieu de cerner sa nature idéologique et d'être au clair en premier lieu sur son rapport avec le fascisme. Document n°1 D'une façon simple, on peut considérer que la nature du fascisme réside dans les caractéristiques suivantes : - un rejet de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme; - une condamnation du matérialisme, du capitalisme et du libéralisme 2 ; - une exaltation de la guerre et par conséquent une haine viscérale du pacifisme 3 ; - une vision biologiste de la nation régénérée et purifiée conduisant au racisme et à l'antisémitisme ; 1 I. Cuminal, M. Soucheter, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.215-216. 2 Document n°2 G. Gentile, B. Mussolini (1932) :"Le libéralisme met l'Etat au service de l'individu ; le fascisme réaffirme l'Etat comme la véritable réalité de l'individu. Si la liberté doit être l'attribut de l'homme réel, et non de ce pantin abstrait qu'envisageait le libéralisme individualiste, le fascisme est pour la liberté. Il est seulement pour une liberté qui puisse être une chose sérieuse, la liberté de l'Etat et de l'individu dans l'Etat. Et cela parce que pour le fasciste tout est dans l'Etat et que rien d'humain ou de spirituel, pour autant qu'il ait de la valeur, n'existe en dehors de l'Etat. Dans ce sens le fascisme est totalitaire et l'Etat fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète, développe et donne puissance à la vie toute entière du peuple " in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.21. G. Gentile, B. Mussolini (1932) "Si en disant libéralisme, on dit individu, en disant fascisme, on dit Etat" in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.135. 3 Document n°3"Le fascisme a érigé la guerre en norme de l'existence, en cessant de la considérer comme une aberration causée par une insuffisance morale ou intellectuelle, mais plutôt comme l'apogée des énergies vitales et éthiques de l'homme, ainsi révélées sous une forme épanouie". H. Kohn, "La philosophie totalitaire de la guerre" (1939) in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.338. 1

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II) LES   NOUVEAUX CLIVAGES

A) Un national populisme (   !?)   :"Le Front national : de sa nature idéologique aux causes de sa forte implantation électorale"

"Il n'est pas sur que le combat politique contre le Front national soit efficace dans l'éloge de la complexité. Il l'est sans doute dans la capacité de donner un sens aux évènements"1 .

Etudier le Front National nécessite en premier lieu de cerner sa nature idéologique et d'être au clair en premier lieu sur son rapport avec le fascisme.Document n°1D'une façon simple, on peut considérer que la nature du fascisme réside dans les caractéristiques suivantes :- un rejet de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme; - une condamnation du matérialisme, du capitalisme et du libéralisme2;- une exaltation de la guerre et par conséquent une haine viscérale du pacifisme3 ; - une vision biologiste de la nation régénérée et purifiée conduisant au racisme et à l'antisémitisme ;- un culte de la bande et du chef.

Dans cette perspective, force est de constater qu'il n'existe pas à priori, du moins en France, de force politique majeure que l'on pourrait qualifier aisément de fasciste. Le Front national présente des similitudes programmatiques mais pas une totale adéquation avec la doctrine fasciste.Document n°4Les thèmes du Front national sont les suivants : " la défense de l'identité et de la souveraineté nationale, le souci de la sécurité (physique) des personnes et de leurs biens, l'exigence d'un contrôle de l'immigration selon des critères définis, la dénonciation de la corruption politique, la critique du libre-échangisme intégral (contredisant les options lepénistes en faveur des libertés économiques), le refus de l'européisme maastrichtien et l'affirmation des valeurs dites traditionnelles (famille, travail, religion...)"4.

1 I. Cuminal, M. Soucheter, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.215-216.

2 Document n°2 G. Gentile, B. Mussolini (1932) :"Le libéralisme met l'Etat au service de l'individu ; le fascisme réaffirme l'Etat comme la véritable réalité de l'individu. Si la liberté doit être l'attribut de l'homme réel, et non de ce pantin abstrait qu'envisageait le libéralisme individualiste, le fascisme est pour la liberté. Il est seulement pour une liberté qui puisse être une chose sérieuse, la liberté de l'Etat et de l'individu dans l'Etat. Et cela parce que pour le fasciste tout est dans l'Etat et que rien d'humain ou de spirituel, pour autant qu'il ait de la valeur, n'existe en dehors de l'Etat. Dans ce sens le fascisme est totalitaire et l'Etat fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète, développe et donne puissance à la vie toute entière du peuple" in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.21.G. Gentile, B. Mussolini (1932) "Si en disant libéralisme, on dit individu, en disant fascisme, on dit Etat" in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.135.

3 Document n°3"Le fascisme a érigé la guerre en norme de l'existence, en cessant de la considérer comme une aberration causée par une insuffisance morale ou intellectuelle, mais plutôt comme l'apogée des énergies vitales et éthiques de l'homme, ainsi révélées sous une forme épanouie". H. Kohn, "La philosophie totalitaire de la guerre" (1939) in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.338.

4 P. A. Taguieff, M. Tribalat, "Face au Front national", , Ed La Découverte & Syros, 1998, p. 22.

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Le Front national ne semble donc pas tout à fait pouvoir être assimilé à l'idéologie fasciste, sauf à vouloir le diaboliser en l'absence de toute réflexion sur sa vraie nature.Dans cette même perspective, on peut également relever que le programme économique et social du FN est plus proche des néolibéraux que des orientations étatistes et corporatistes du fascisme5.

Il n'en reste pas moins un parti d'extrême droite, raciste et xénophobe, proposant une vision du monde biologique et naturaliste ou ethno-différenciée6 qui justifie ici une diabolisation, et dont on peut estimer qu'elle est absolument nécessaire aujourd'hui pour le combattre7.

Ainsi, il s'agira donc de cerner la véritable identité politique du Front national - force d’extrême droite certes mais que l’on ne peut totalement qualifier de fasciste cependant - et nous intéresser aux causes de son essor.

Dans le cadre de l'analyse de ces causes, nous aurons l'occasion de relever que l'idéologie frontiste et l'idéologie néo-libérale ont tendance à s'auto renforcer, du fait qu'elles ont tendance à poser comme enjeu central de nos sociétés industrielles modernes, le débat autour du libéralisme culturel.

Ceci pourrait expliquer pourquoi aujourd'hui la scène politique française et européenne, serait marquée par la puissance de deux grandes forces politiques une force libérale et populaire (populiste ?) et une force d’extrême droite au nationalisme exacerbé, l'alternative à gauche, étant largement en voie de décomposition (recomposition?) à l’image du champ politique dans l’Italie de Berlusconni en 2010.

5 C'est au regard de cette différence que certains auteurs, comme Alain Leroux, considèrent que le FN n'est pas d'extrême droite mais constitue une droite extrême. Il semble oublier ici que les orientations économiques et sociales de l'extrême droite sont à géométrie variable. La conversion du FN à l'ultra libéralisme remonte au début des années quatre-vingt, à un moment où les thèses ultra-libérales ont le vent en poupe. En outre, ces thèses autorisent une adjonction aisée de xénophobie et de racisme."Ne faut-il pas dit le discours néo-libéral dans ses extensions xénophobes et racistes, en finir avec des interventions étatiques ou des politiques sociales qui encouragent les populations issues de l'immigration à tout attendre de l'Etat et de la solidarité nationale, et à ne produire aucun effort ? Ne faut-il pas cesser d'offrir des garanties et des aides qui, plus encore, attireraient de l'étranger des nouveaux arrivants qui ne penseraient qu'à bénéficier indûment des fruits de l'activité et du travail des nationaux ?" in M. Wieviorka, "Le racisme, une introduction", Ed La Découverte & Syros, Paris, 1998, p.101.

6 "Si Jean-Marie Le Pen a des discours démagogiques, s'il change d'ennemi quand il le faut, passant d'un programme libéral à un programme social, il croît tout de même à une chose : il croît en une structure idéologique de la société, en une représentation biologique de la société, au naturalisme de l'organisation sociale" in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.166.

7 La diabolisation du FN est inefficace si elle correspond à une non pensée de "la bête immonde"  ; elle peut devenir efficace lorsqu'elle repose préalablement sur une analyse du discours idéologique de ce parti. Cette diabolisation doit également avoir un objectif, mettre le FN hors du champ de la démocratie, ce qui suppose également une conception claire du « cercle des égaux ».

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1°) Le Front national : l'héritier d'un certain nombre de courants idéologiques d'extrême droite

Notre propos est ici de relever que l'idéologie du Front national ne peut être assimilée aisément à l'idéologie fasciste car le Front national, créé en 1972, est le résultat d'une alliance historique de plusieurs courants d'extrême droite et le produit de différents héritages, celui des contre-révolutionnaires, des fascistes, des ultra nationalistes, qui finalement, se rejoignent sur une certaine conception de la nation.

a) La Contre-révolution : un des substrats idéologiques du Front national

L'idéologie contre-révolutionnaire constitue l'une des origines idéologiques de ce que l'on appelle l’extrême droite, notamment dans sa critique des apports de la Révolution française. Celle-ci est considérée, par les contre-révolutionnaires, comme la source de bien des maux tels que l'affirmation de l'individu et pire encore de l'égalité entre ceux-ci (du moins en droit). Elle serait également responsable de la destruction des vieilles "solidarités naturelles" au sein des familles, des villages, des provinces. Elle serait enfin et surtout source de despotisme, puisqu'elle ne laisserait face au pouvoir politique central que des individus atomisés, sommés de s'arracher de leurs enracinements particuliers, de leurs enracinements naturels8. L'enjeu des contre-révolutionnaires sera donc de rétablir les anciennes "solidarités naturelles" brisées par la révolution de 1789. Un tel programme nécessite tout d'abord de repartir de la première des cellules humaines "naturelles", c'est à dire la famille. La construction de tout l'édifice politique repose sur cette cellule, considérée comme étant naturelle :- la famille est la cellule de base - et dans ce cadre, on peut même penser à un droit de vote confié au père de famille en fonction de l'importance de la famille - (ce qui sera chose faite sous le régime de vichy, conformément aux thèses du contre révolutionnaire Louis De Bonald) ;- la commune est dans ce cadre considérée comme une somme de familles, conformément au fond à l'idéologie naturaliste des contre-révolutionnaires ;- en haut, une monarchie, qui repose sur le principe du droit d'aînesse, de la primogéniture et dans le cas de la France sur le principe des lois saliques, lois conformes à l'ordre "naturel" des choses.

8 Document n°5 "Du corps doctrinal de la Contre-Révolution, retenons les éléments constitutifs d'une vision du monde et de l'histoire. La Contre-Révolution s'est pensée essentiellement religieuse contre la prétention orgueilleuse des philosophes à fonder l'homme en individu libre et égal aux autres individus. A faire de la société le produit d'un contrat, c'est à dire d'une adhésion volontaire et réciproque de ces mêmes individus. La Révolution a décidé d'oublier l'alpha et l'oméga de la nature humaine, à jamais déchue par le pêché originel. Forte de ses abstractions, elle a voulu constituer la société sans tenir compte des hiérarchies et des liens qui en faisaient jusque-là l'unité. Elle a réduit la religion à un acte privé, quand elle n'a pas voulu carrément l'éradiquer ; elle a brisé les groupes sociaux tutélaires que sont la noblesse et le clergé ; elle s'est attaquée à la famille en instituant le divorce et en supprimant le droit d'aînesse. Elle a atomisé la société en détruisant les corps intermédiaires, laissant en définitive l'homme face à un Etat impersonnel et bureaucratique. Dans sa passion de l'unité à retrouver, la pensée contre-révolutionnaire mise moins sur des stratégies politiques, dont elle se défie, que sur le renouveau providentiel (après quelles nouvelles épreuves et quels nouveaux châtiments divins ?) des composantes de l'ancienne cohésion : après la religion catholique, la pierre angulaire, le renouveau de la famille sur le modèle patriarcal de l'économie rurale ; un système éducatif à base religieuse ; la formation des élites sur les principes de l'anti-individualisme et de l'anti-humanisme ; les différents aspects d'un corporatisme appliqué à solidariser les classes ouvrières et les patrons ; les "libertés locales" pour la commune et l'autorité d'un seul au sommet de l'Etat" in Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.38.

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Ainsi on peut concevoir, aux yeux des contre-révolutionnaires, un système qui ménage les identités "naturelles", voire même un certain nombre de libertés, mais un système qui, à un niveau global et central, reste fondamentalement antidémocratique, excluant le principe " d'un homme une voix" et imposant, au bout du compte le principe monarchique sous prétexte qu'il est conforme à "l'ordre naturel des choses" : la succession au pouvoir se déroule dans le cadre d'affaires de familles, comme il se doit à tous niveaux de la société9.

Cette façon de concevoir l'organisation politique de la société n'est pas sans trouver des échos dans les propos actuels de Jean-Marie Le Pen notamment lorsqu'il considère que les formes de solidarités dans la société doivent s'organiser selon la même logique que celle en oeuvre au sein de la famille.Document n°7"Mesdames et Messieurs, les beaux esprits et les belles âmes de Paris et d'ailleurs prétendent que la politique que nous préconisons est une politique égoïste, xénophobe et raciste. Il n'en est rien car en effet nous ne faisons qu'appliquer en politique ce qui est la règle élémentaire du bon sens et qui commence d'abord par appliquer ses propres devoirs vis-à-vis de soi-même et des siens. Je l'ai dit â plusieurs reprises, j'aime mieux mes filles que mes nièces, mes nièces que mes cousines, mes cousines que mes voisines. Il en est de même en politique, j'aime mieux les Français"10.

Par ailleurs, les contre-révolutionnaires rejettent l'individualisme au profit d'une restauration des "hiérarchies naturelles", la famille, la profession ou corporation11 et la nation,

9 Document n°6 "Le 6 mai 1899, Charles Maurras exposait le programme du mouvement contre-révolutionnaire :"- reconstruction de la famille, ce qui impliquait la liberté de tester, la fin du système successoral révolutionnaire ;- reconstruction de la commune : critique de la centralisation municipale ;- reconstruction de la province : critique du département ;- reconstruction des groupes professionnels ou corporations : critique du libéralisme économique ;- reconstruction de la liberté gouvernementale : critique du libéralisme politique".Maurras ajoutait : "Additionnez les cinq critiques : vous avez la critique de tout le système libéral, parlementaire et républicain.Additionnez les cinq libertés : vous avez les cinq libertés ou pouvoirs naturels qui fondaient la Constitution de l'ancienne France. Enfin additionnez à l'institution héréditaire de la famille, le statut permanent de la commune et de la province, l'institution professionnelle et le principe de l'autorité politique : vous avez la formule de la Monarchie" in M. Winock, art: "L'Action française", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.134.10 Discours de J.M. Le Pen à Balard, "Françaises, Français, je vous aime", 13 mai 1984, La Documentation française in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.23.

11 "Comme toutes les conquêtes libérales de la Révolution de 89, la liberté du travail n'a fait que consacrer la liberté du plus fort", dit Jean Rivain ("L'avenir du syndicalisme", L'Action française, 15 septembre 1908, p.468), et il ajoute : "le droit du propriétaire ayant été reconnu inviolable et sacré, on a supprimé les devoirs et les charges qui le diminuaient" ("Les faux dogmes de 89", L'Action française, 15 août et 1 septembre 1902). La loi de l'offre et de la demande avalisée par les principes de 89 devient ainsi un formidable moyen d'exploitation de l'ouvrier par la "bourgeoisie républicaine". Et, "du trait de plume de Chapelier, l'ouvrier devient un être isolé dans la société" ( "L'avenir social", L'Action française, 15 juillet 1905, art non signé) : cette atomisation sociale sera toujours considérée par le mouvement maurrassien comme le pêché capital de la Révolution. Elle est la cause de la "servitude économique de la classe ouvrière", de sa misère et de son impuissance face au patronat industriel (J. Rivain, "L'avenir du syndicalisme", ibid, p.470). La destruction de la propriété collective et des structures collectives de la société d'Ancien Régime et leur remplacement par une société fondée sur un individualisme extrême sont à l'origine aussi bien de la détresse ouvrière que de ses élans révolutionnaires : "De simples mesures d'assistance ou de bienfaisance ne calmeront pas les revendications de ceux qui réclament leur place à une société qui ne la leur fait pas"(idem, p.471)Ó in Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914Ó, Ed Seuil, 1978, p.356.

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contre toute idée d'égalité et contre toutes les formes de libéralisme culturel12. Cette volonté de restauration de "l'ordre naturel" se retrouve dans un discours de J.M. Le Pen en 1992 :Document n°8"Nous nous réclamons, nous, d'un ordre naturel qui respecte l'homme dans ces cadres naturels et vivants que sont la famille, la commune, le métier, la province, la nation"13.

Enfin, le Front national partage avec les contre-révolutionnaires leurs critiques à l'égard du rationalisme, source, à leurs yeux, du bolchevisme, du cosmopolitisme et de "l'antiracisme totalitaire". On retrouve ici toute la thématique de l'extrême droite traditionnelle, considérant que la révolution française et ses principes sont à l'origine de toutes les formes de totalitarismes du XXème siècle. N'est ce point H. Taine qui considérait que le jacobinisme était une idéologie fondamentalement totalisante, dans la mesure où, il se donnait pour objectif de construire un "homme nouveau". Cette dénonciation de la Révolution française est une permanence de l'extrême droite en France, nous en voulons pour preuve le discours suivant de Y. Blot en date du 26 avril 1991 :Document n°9"Avec la philosophie des Lumières et sa déification de la Raison, qui prit un aspect bénin mais chronique aux Etats-Unis et un aspect virulent en France avec la Révolution française et le jacobinisme, l'ennemi principal de l'orthodoxie, du respect du monde et de son ordre naturel, est devenu la gnose rationaliste. (..) La gnose rationaliste a dominé l'Europe pendant un bicentenaire. Les variantes les plus radicales furent le jacobinisme de la Terreur et le bolchevisme soviétique. Depuis lors, le reflux du marxisme a provoqué un retour à la forme primitive de la gnose rationaliste, celle du cosmopolitisme de la fin du XVIIIème siècle. Ce n'est pas un hasard si un idéologue du mitterrandisme comme monsieur Robert Badinter se réclame de Condorcet et si monsieur Jack Lang fait l'éloge de l'abbé Grégoire. L'antiracisme totalitaire, qui a acquis le statut d'idéologie officielle du régime de démocratie confisquée dans lequel nous vivons, est une variante de ce rationalisme gnostique : pour cette doctrine le racisme est le mal absolu. (...) C'est le grand mérite de Jean Marie Le Pen d'offrir les conditions d'une grande alternance politique.

12 "Le rejet de l'individualisme - un point fondamental - procède à la fois de l'idéologie contre-révolutionnaire et de l'esprit des années trente : l'ordre naturel impose le primat de la société sur les individus. Pour Philippe Pétain, "l'individualisme tourne inévitablement à l'anarchie, laquelle ne trouve d'autre correctif que le collectivisme, source du communisme". Il convient donc de réintégrer l'individu dans les hiérarchies naturelles" ; et René Gillouin de définir l'économie du système : "l'homme tient de la nature des droits fondamentaux, mais ils ne lui sont garantis que par les communautés qui l'entourent : sa famille qui l'élève, la profession qui le nourrit, la nation qui le protège"(...) Le refus de l'égalitarisme est une autre constante fondamentale de la droite extrême. Philippe Pétain en personne s'en prend avec vigueur à l'idée fausse de l'égalité naturelle de l'homme" et ajoute le 8 juillet 1941 : "il ne suffit plus de compter les voix, il faut peser leur valeur pour déterminer leur part de responsabilité dans la communauté .(...) Dernier point qui fait la quasi-unanimité dans les rangs de la droite extrême : la condamnation de ce qu'on peut nommer - en commettant volontairement cet anachronisme - le "libéralisme culturel". Philippe Pétain fustigeait, dès le 20 juin 1940, "l'esprit de jouissance". Au-delà de la croisade moralisatrice des discours sur le travail bien fait, les gestes désintéressés, l'esprit de sacrifice, après l'interdiction des bals (pour cause de deuil patriotique), il s'agit surtout d'en finir avec la mise en cause des codes de la sexualité et des rôles masculin et féminin. Non seulement l'adultère est plus sévèrement réprimé mais, pour l'exemple, Pétain laisse guillotiner une femme convaincue d'avoir commis un avortement. Les femmes seront remises à leur place, au foyer : nombre de femmes fonctionnaires dont le mari avait un emploi sont mises d'office à la retraite. Et il ne saurait être question de supporter les prétentions de garçonnes à la sexualité libérée"in J.P. Azéma, art :"Vichy" in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.199, 200, 203.

13 Discours de J.M. Le Pen à la Trinité in Présent, 2,3,4 septembre 1992.

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Après deux siècles de domination politique des idéaux révolutionnaires, il est temps de retrouver le bon sens de l'orthodoxie tel qu'il a été cultivé par la pensée baroque, à l'époque du Grand Siècle français"14.

Document n°9bis« Maurras n’en déplaise aux historiens du populisme, a été et est encore un auteur de référence, voire une ressource intellectuelle d’importance au sein de l’extrême droite. Il a été mobilisé pour définir le « Camp national » et le « compromis nationaliste » qui s’imposait pour le FN à un moment où une fraction de ses responsables cherchaient à se démarquer de tendance jugées trop marquantes (et trop voyantes) pour gagner une respectabilité politique ».A.Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.215.

Il n’en reste pas moins, que toutes les évolutions sont possibles, lors des régionales de mars 2010, le FN en la personnalité de Marine Le Pen est capable d’en appeler à la République laïque15 pour lutter contre « l’islamisation »  à ses yeux de la société française.Discours à géométrie variable qui est une des caractéristiques du fascisme.

b) Fascisme et Front national : quels rapports ?

Le national-populisme actuel trouve également ses inspirations idéologiques et organisationnelle dans la doctrine fasciste et dans ce que fût le Parti Populaire Français de Jacques Doriot.

En premier lieu, il convient de relever que la doctrine fasciste ou les fascismes empruntent à l'idéologie réactionnaire - celle des contre-révolutionnaires - un certain nombre de ses détestations, "les fascismes proclamant ouvertement leurs volontés de tourner la page de l'Aufklärung"16.

Toutefois, comme le souligne E. Traverso, s'ils s'opposent aux idéaux de 1789, ils ne souhaitent pas pour autant un retour à l'Ancien régime, leur projet politique repose sur l'idée de fonder sur des bases nouvelles la communauté, en employant une "rhétorique révolutionnaire si nécessaire"17.

14 Article de Y. Blot dans Présent, le 26 avril 1991 in P. Perrineau, art : "Le Front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.292.

15 Une « République laïque » qui :- n’a de républicain que le nom dans le programme du Front national au regard de sa volonté de revenir

sur toutes les naturalisations opérées après 1974, ce qui implique la remise en cause d’un grand principe républicain, le principe de non rétroactivité ;

- n’a rien de laïque au regard des références constantes du Front national aux racines chrétiennes de l’identité nationale.

16 E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.17.

17 "Les fascismes opposent le mythe à la raison, la communauté à l'individu, l'autorité à la liberté, la force au droit, la race à l'humanité, le nationalisme au cosmopolitisme mais leur irrationalisme, leur critique des Lumières, leur apologie de l'inégalité des hommes ne regardent pas vers le passé. Ils ont abandonné le pessimisme des réactionnaires, avec son culte de la tradition et son rejet de la société industrielle, pour adopter la technologie et la modernité. Ils veulent régénérer la nation, refonder la communauté sur des bases nouvelles, transformer l'Etat en une machine de guerre et de conquête. De la pensée conservatrice, ils héritent la critique des lumières, les principes d'ordre, de hiérarchie, d'autorité, mais ils les réinscrivent dans une vision du monde nouvelle où, filtrés par le darwinisme social, l'impérialisme et le racisme, ils débouchent sur un projet politique dynamique, "créateur" qui n'hésite pas, le cas échéant, à employer une rhétorique "révolutionnaire"" in E.

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Document n°10 Pour G. Gentile et B. Mussolini, "La doctrine fasciste n'a pas pris Joseph de Maistre pour prophète"18.Document n°11

Ainsi, pour G. Valois, un des premiers idéologues du fascisme, "celui-ci fusionne nationalisme et socialisme dans une réaction anti-individualiste et anti-libérale proche des idées développées par M.Barrès à la fin du XIXème siècle dans le cadre d'un socialisme nationaliste prônant un Etat fort et autoritaire dans le cadre d'une société disciplinée et hiérarchisée et dans laquelle les rapports entre capital et travail s'organisent autour des principes de la participation des ouvriers et de la solidarité sociale"19.Document n°12

M. Déat, collaborateur vichyiste, poursuivra également cette réflexion sur l'essence du fascisme en considérant que le mélange de ces deux doctrines permettrait de "faire pétarader tous les moteurs de l'histoire"20. Document n°13Selon lui, le fascisme rejette le "libéralisme économique qui est un matérialisme auquel fera pendant le matérialisme du marxisme, tous deux incontestablement fils du rationalisme"21. Document n°14Il stigmatise donc ce "rationalisme bardé de fer et chargé de catastrophes "qui est un "refus de tout aristocratisme, négation de la hiérarchie, négation de la personne, négation de l'Etat en tant qu'outil de la communauté"22.Document n°15

De son coté, l'historien Z. Sternhell considère que "c'est contre ce vieux monde des droits naturels, de l'individualisme, des menaces anarchiques, de la matière et de la raison que se lève le fascisme"23.

Dans la même perspective, on peut relever que le fascisme italien, dans sa phase d'essor, se présente volontiers comme révolutionnaire, comme une doctrine visant à rejeter à la fois le communisme et le capitalisme. Selon Pierre Milza, il est "une synthèse du nationalisme et de la tendance sorélienne du syndicalisme révolutionnaire"24.

Toutefois ce qualificatif de "révolutionnaire" lui sied mal, car il ne suffit pas de se présenter comme révolutionnaire pour l'être effectivement.

Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.17-18.18 G. Gentile, B. Mussolini (1932) : in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.13219 Cf.Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.72.

20 Cf.Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.69.

21 M. Déat, "L'évolution du socialisme", L'Effort, 25 septembre 1940, in Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.34.

22 M. Déat, "Pensée allemande et pensée française, Paris, Aux armes de la France, 1944, p.63 et 99 in Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.407.23 Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.407.24 Pierre Milza, "Les fascismes", Ed Seuil, 1985, p.28.

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Dans cette perspective, Pierre Milza et René Rémond préfèrent évoquer le terme de droite contestataire25. Cela se justifie, si l'on constate, qu'au bout du compte, l'ensemble des mouvements fascistes, une fois arrivés au pouvoir, se sont débarrassés de leurs éléments de "gauche"26 et se sont appuyés, durant la phase d'ascension vers le pouvoir et durant la phase d'exercice du pouvoir sur un certain nombre d'éléments de la bourgeoisie industrielle et financière, réalisant une sorte de compromis entre les différentes classes sociales.

"A la bourgeoisie industrielle et financière, le fascisme lui garantit le maintien et le renforcement de son pouvoir économique, aux classes moyennes et à la petite bourgeoisie frappées par les effets de la crise économique et par les concentrations industrielles et financières, le fascisme leur ouvre les portes du pouvoir politique ; aux classes populaires enfin, le fascisme cherche à les intégrer dans le cadre du développement de formes d'enrégimentement politique, qui touche, au passage, l'ensemble de la société civile"27.Document n°16

Au fond, comme l'écrivait l'anarchiste D. Guérin, "tout l'art du fascisme, consiste à se dire anticapitaliste sans s'attaquer sérieusement au capitalisme. Il s'emploie à transmuer l'anticapitalisme des masses en nationalisme"28.

Document n°17Dans le même ordre d'idée, H. Kohn, libéral de gauche, releva que "le but des dictateurs comme Mussolini et Hitler n'était pas la révolution sociale mais le pouvoir personnel par une plus grande intégration de la nation, et les moyens pour y parvenir consistaient à unir toutes les classes dans un ensemble discipliné, afin de faire de la nation, la valeur suprême de chaque individu, le fondement de sa vie, le mobile essentiel de ses actions personnelles et sociales. Le peuple doit se transformer en un instrument docile et soumis dans les mains du dictateur pour que celui-ci puisse réaliser son double objectif : le maintien de son propre pouvoir et le renforcement de la nation"29.

Document n°18Le fascisme français, version PPF, présente au fond les mêmes caractéristiques. Il se

présente volontiers comme n'étant ni de droite, ni de gauche. Il reste que si le PPF "se déclare anticapitaliste, son programme économique et social (...) ne s'aventure pas très loin dans la voie du national-socialisme. Il n'envisage ni d'étatiser les entreprises, ni de porter atteinte à la propriété et au libre profit, dès lors que celui-ci ne tend pas à la spéculation. Au réformisme corporatiste dont il se réclame très classiquement, Doriot ajoute un projet plus original de technocratisme visant à la gestion rationnelle des entreprises et associant patrons et travailleurs dans l'administration des affaires et la répartition des bénéfices. Pour le reste, le leader du PPF n'envisage pas d'établir en France un régime totalitaire. Il se contenterait d'une réforme de l'Etat républicain renforçant l'exécutif et reposant sur les bases "naturelles" que constituent la famille, la commune et la région.

25 Cf. Pierre Milza, "Les fascismes", Ed Seuil, 1985, p.56-57.

26 Cf. Pierre Milza, "Les fascismes", Ed Seuil, 1985, p.109.

27 Cf. Pierre Milza, "Les fascismes", Ed Seuil, 1985, p.162-164.

28 D. Guérin, "Fascisme et grand capital", Ed Gallimard, 1936, in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.33.29 H. Kohn, "La dictature communiste et la dictature fasciste : une étude comparative (1935-1940), in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.158-159

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Par ce biais, il revêt donc un caractère traditionaliste, voire réactionnaire, qui va peu à peu s'accentuer au fil des ans". (...)"Fasciste, le parti de Doriot l'est sans nul doute, même s'il s'agit d'un fascisme de la seconde génération, en partie télécommandé par de grands intérêts privés et dépouillés de ses aspects les plus révolutionnaires. Il l'est dans son comportement - cérémonial, drapeau, insigne, salut romain, méthodes violentes - comme dans son idéologie, axée sur l'anticommunisme et l'antiparlementarisme30". Document n°19

Du PPF de J. Doriot, le Front national a repris le slogan "Ni gauche, ni droite". En outre J.M. Le Pen reprend la thématique de condamnation du capitalisme, dans une perspective également réactionnaire, identifiant le capital anonyme à une oeuvre de promotion du mondialisme ou du cosmopolitisme destructeur à ses yeux de l'ordre naturel et des nations: "Ce sont les mêmes intérêts égoïstes, ceux du capital anonyme, ceux des transferts financiers massifs de la spéculation, ceux des grandes multinationales, qui, dans le but d'accumuler un profit illimité et donc illicite, ont mis en place et imposé dans les esprits, comme solution inéluctable, les éléments d'un véritable complot le mondialisme. (...) Ce complot vise à détruire les nations et les structures de l'ordre naturel par la promotion des structures supranationales, suppression des frontières et des préférences nationales, politiques antinatalistes, d'immigration et de naturalisation massive"31.

Sur cette question de l'anticapitalisme du frontisme, trois remarques s'imposent :- en premier lieu, il convient de relever qu'il y a une série de contradictions entre ce discours « anticapitaliste » et un discours économique général à tendance libéral voir ultra-libéral dans ses condamnations du fiscalisme, de la syndicratie et de l'assistanat. Cette série de contradictions est toutefois résolue par l'affirmation d'un "libéralisme identitaire, qui mêle au contenu libéral classique une régulation nationalitaire. (...) Libéral oui, mais surtout pas multinational"32.- en second lieu, il faut toujours avoir à l'esprit que le Front national est un front de rassemblement de plusieurs courants d'extrême droite. Comme le souligne Ch. Bourseiller, il est un "front aux objectifs ciblés, qui souhaite parvenir au pouvoir dans un cadre démocratique"33, dans lequel on ne compte pas moins de "sept familles idéologiques"34: la famille nationaliste, la famille des "nouvelles droites", la famille catholique, la famille nationale conservatrice, la famille nationaliste révolutionnaire, la famille royaliste et la famille mooniste J.M. le Pen est ainsi obligé de composer avec ces différents courants d'extrême droite, entre pour exemple les nationalistes révolutionnaires anti-libéraux et anti-Occident (au sens idéologique du terme et non géographique) et les nationaux conservateurs atlantistes et libéraux.

30 P. Milza, art : "L''Ultra droite des années trente, in M.Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994.

31 La Fête du Travail et des travailleurs, discours de J. M. Le Pen, Présent, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.74.

32 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.84.33 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.78

34 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.78-83

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Document n°20- Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu'en matière de programme économique et social, l'idéologie frontiste s'adapte aux circonstances : ultra-libérale au début des années quatre vingt, elle prend une tournure plus "sociale" à partir du mouvement de novembre-décembre 1995. De ce point de vue, on retrouve la tactique de B. Mussolini qui déclara en septembre 1920 à propos des idéaux pacifistes : "Pour mon compte, je ne crois pas trop à ces idéaux, mais je ne les exclus pas, parce que je n'exclus rien". Ce qui faisait dire en 1936 à N. Chiaromonte, libéral socialiste italien, que "toute la philosophie du fascisme italien y tient - cette philosophie qui consiste à accepter sans se gêner les hommes provenant des directions les plus différentes, pourvu qu'ils renoncent à avoir, dorénavant, une direction propre, et à trouver bonne toutes les doctrines, pourvu qu'elles ne soient plus autres choses que des moyens pour justifier l'opportunité du moment"35.

Cette adaptation aux circonstances du FN se traduit par un discours à connotation « plus sociale » dès lors que le climat économique se détériore, ce fut le cas au milieu des années 1990 lorsque le FN a souhaité constitué des structures syndicales frontistes. Plus récemment, lors des élections régionales de mars 2010, un certain nombre de politologues ont noté le partage des rôles entre :

- Jean Marie Le Pen axant son discours sur les thèmes classiques de la sécurité et de l’immigration ;

- et Marine Le Pen, candidate dans le Nord de la France insistant sur la détresse économique et sociale des travailleurs français.

Document n°20 bis

(…) Les Le Pen, père et fille, sont revenus, ensemble, au premier plan de la scène politique. Plus que jamais, le FN est une affaire de famille. (…) la vice-présidente du FN a profité de ce scrutin pour poser son empreinte. Commençant sa campagne très tôt, dès le mois d'octobre, Mme Le Pen a pris le contre-pied de son père, dans la méthode et sur le fond. Si le président du FN s'est contenté, notamment en raison de son âge, de dîners et de déjeuners avec les militants de PACA, de préférence les week-ends, sa fille a décidé d'opter pour une campagne de « terrain ». Centrant son discours sur la crise économique et l'électorat populaire, elle est allée sur tous les marchés de la région. Elle n'a négligé aucune circonscription. Elle a multiplié les « sorties d'usine ». Et a appliqué, méthodiquement, à l'échelle d'une région, la recette qui a fait son succès à Hénin-Beaumont, la ville qui est devenue sa base arrière et son laboratoire politique, où la liste FN a raté de peu l'élection lors d'une municipale partielle en 2009. Dimanche soir, elle réalisait encore quelque 40 % des voix dans cette commune et distançait l'UMP dans le Pas-de-Calais, et plus largement encore dans le bassin minier. Son père, lui aussi, a appliqué des méthodes éprouvées. PACA est une région où le FN a prospéré sur le vote des rapatriés d'Algérie ? Jean-Marie Le Pen a déposé une gerbe aux « martyrs de l'Algérie française » à Toulon, et fait siffler de Gaulle lors de la diffusion d'images d'archives. PACA compte nombre d'habitants d'origine maghrébine ? Le FNJ, le mouvement de jeunesse du FN, a collé des affiches représentant une femme en voile intégral avec, en arrière-plan, un Hexagone aux couleurs de l'Algérie hérissé de minarets. A elle le discours social sur « l'Etat-providence ». A lui les sorties sur « l'invasion migratoire ». « Il y a eu un partage des rôles entre le père et la fille qui a pu paraître calculé, mais le FN a essayé de s'adapter aux réalités du terrain, estime pour sa part Louis Aliot, secrétaire général.

35 N. Chiaromonte, "Sur le fascisme" (1936), in E. Traverso, "Le totalitarisme", Ed Seuil, 2001, p.256.

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En PACA, il y a un gros problème d'immigration et d'insécurité alors que dans le Nord-Pas-de-Calais, les problèmes sont d'ordre économique et social. »

Art : « Le front familial »Abel Mestre (envoyé spécial à Hénin-Beaumont) et Caroline Monnot, in Le Monde, 16 mars 2010.

Il résulte de cette série de remarques que la nature fasciste du Frontisme réside peut-être plus dans sa stratégie et sa tactique que dans son idéologie.

C'est ce que souligne Guy Konopnicki lorsqu'il considère que le PPF a servi de modèle de référence au Front national, plus particulièrement du point de vue de l'organisation du parti. Et sous cet angle, on ne peut que constater que le Front national présente toutes les caractéristiques d'un parti fasciste, à l'instar de ce que fût le PPF : militantisme de terrain, formation doctrinale de ses membres36. Mais ce serait oublier que le Front national partage avec le PPF son antisémitisme et sa xénophobie, qui ne peuvent tout à fait s'étaler au grand jour dans le cas du FN, et qui constituent la conclusion logique d'une certaine conception de la nation.

c) L'unité du Front national : une certaine définition de la nation

Si l'on suit les analyses de Christophe Bourseiller, l'extrême droite, malgré la diversité des courants qui la composent, n'est pas une « auberge espagnole ». Il existe un corpus idéologique commun entre les frontistes, néo-droitistes, nationalistes révolutionnaires, nationaux communistes, traditionalistes révolutionnaires, anarchistes de droite, nationalistes, néo-nazis, royalistes, intégristes catholiques et nationaux conservateurs.

Document n°21L'extrême droite revêt une relative unité idéologique :- dans la condamnation du matérialisme au profit d'une vision spirituelle de l'histoire, la conduisant à affirmer la priorité du Politique sur l'Economique ;- dans l'affirmation de l'inégalité des hommes et le rejet de la démocratie parlementaire source de désordre37 ;- et enfin dans l'attachement à l'identité nationale38.

Concernant ce dernier point commun, rappelons, pour exemple, que les contre-révolutionnaires, comme Ch. Maurras, considéraient que la nation était le résultat d'une solidarité du peuple - fidèle aux coutumes traditionnelles et organisée en familles, communes

36 Guy Konopnicki, "Les filières noires", Ed Denoël, 1996. Nombre d'auteurs considèrent qu'en la matière, le Front national est avec le parti communiste, un parti de militants, ayant vocation à être un parti de masse, avec son école de formation et une volonté d'investir tous les champs de la société : quartiers, collectivités locales, entreprises, ... ."(...) toutes les enquêtes sérieuses faites sur le mouvement lepéniste, depuis la fin des années quatre-vingt, ont mis en évidence qu'il s'agissait d'une formation politique marquée d'abord par l'exceptionnelle action de terrain de ses cadres et de ses militants, conduite sur plusieurs années, ensuite par une forte motivation idéologique de ces derniers, enfin par des pratiques de formation doctrinale et tactico-stratégique de ses adhérents et de ses cadres"in P. A. Taguieff, M. Tribalat, "Face au Front national", , Ed La Découverte & Syros, 1998, p. 20.37 Le discours du FN consiste à défendre une République plébiscitaire et autoritaire.38 "Le trait commun de toutes les idéologies arbitrairement classées à l'extrême droite, c'est l'attachement à l'identité nationale. Il peut (...) s'agir d'une identité ethnique, raciale ou culturelle. Cet attachement est vécu comme un rejet du "mondialisme" et du "cosmopolitisme". Que l'on prône l'aristocratie indo-européenne ou le socialisme "national", on se réfère de toute façon à un terreau identitaire. Les prolétaires et les autres, ont une patrie" in Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.14.

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et provinces - avec les générations passées39. On retrouve le thème cher aux contre-révolutionnaires de la famille traditionnelle base "naturelle" et essentielle de la société.

Cet attachement des contre-révolutionnaires au passé, aux coutumes traditionnelles met également au centre de la définition de l'identité nationale, la question religieuse. Pour ceux-ci, l'identité nationale se confond avec l'identité religieuse, avec la religion catholique.Document n°22

Cette définition particulière de la nation trouve plus qu'un écho dans les discours actuels du leader du Front national."Si l'Europe s'est constituée en nations pendant deux milles ans de son histoire, si elle retourne actuellement avec une vigueur et une force qui lui font affronter tous les risques et tous les dangers vers la forme nationale, c'est que cela correspond à un besoin vital (...) Respectons le patrimoine qui nous a été transmis, respectons les promesses qu'il implique"40. "Une nation qu'est ce que c'est ? C'est d'abord et avant tout un phénomène vital, c'est une volonté d'être à tout prix, car l'avoir ne vient qu'après l'être lui-même"41."La nation française, c'est un peuple donc une communauté de femmes et d'hommes unis par des liens de solidarité et de fraternité un peu comparables à un moindre degré, à ceux qui existent dans une famille"42."Il a fallu plus de mille ans pour établir la nation française, dans son homogénéité historique, dans sa culture, dans sa langue"43.

Ces positions successives de J.M. Le Pen vise sans nul doute à s'attirer l'adhésion des milieux intégristes catholiques, rappelons encore une fois que le Front national est composé de plusieurs familles idéologiques. A l'attention donc des intégristes catholiques, le leader frontiste rattache l'identité nationale à l'identité religieuse, la France reste "fille aînée de l'Eglise". Mais il doit également composer avec la nouvelle droite, avec le Groupe de Recherche et d'Etude sur la Civilisation Européenne (GRECE) et l'un de ses principaux penseurs A. de Benoist.

L'idéologie de la nouvelle droite repose sur une vision essentiellement inégalitaire du monde, pour ce courant politique, "être de droite c'est considérer la diversité du monde et par suite les inégalités relatives qui en sont nécessairement le produit comme un bien, et l'homogénéisation du monde, prônée et réalisée par le discours bimillénaire de l'idéologie égalitaire comme un mal"(A de Benoist). Un tel discours peut ici présenter des aspects « progressistes » dans sa dénonciation des impérialismes et plus particulièrement de l'impérialisme américain niveleur des différences. Il s'appuie en effet sur le nécessaire respect du droit à la différence des peuples et n'est pas sans rapport avec les thèses du relativisme 39 "La nation n'est pas l'universalité ou la majorité des individus adultes qui, à un moment donné, se trouvent dans le pays. La nation, c'est le peuple organisé en familles, en corporations, en communes, en provinces, unies conformément aux coutumes traditionnelles et se solidarisant avec les générations passées et les générations futures de façon à créer la nationalité et la patrie" in Ch. Maurras, in V. Nguyen, "Aux origines de l'Action française. Intelligence et politique à l'aube du XXème siècle", Paris, Fayard, coll, "Pour une histoire du XXème siècle", 1991, p.303.

40 Discours de J. M. Le pen à La Trinité, 2,3,4,sept 1992, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.88-89.

41 Discours de J. M. Le pen à La Trinité, 2,3,4,sept 1992, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.95-96

42 Le point sur le social, La lettre de Jean Marie Le Pen,, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.95-96.

43 Discours de la Trinité : "démarxiser la France", Présent, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.95-96.

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culturel. La nouvelle droite affirme se "situer du coté des peuples, de leur volonté d'affirmation, de différence et de destin" (A de Benoist).

Ce discours contre l'égalité présente donc un masque44, celui du nécessaire respect de la "diversité", mais un masque qui cache mal des aspects fondamentalement réactionnaires.Le respect de la diversité des peuples et de leur destin implique pour la nouvelle droite la mise en oeuvre de politiques de développement séparé justifiant ainsi les apartheids et condamnant par avance toute tentative de construction d'Etat multiculturel (Liban, Yougoslavie).Document n°23

L'idéologie frontiste reprend pleinement les postulats et les conclusions du discours de la nouvelle droite, "le retour chez eux des immigrés du tiers monde" s'inscrit dans un objectif de "défense de l'identité nationale", menacée par le "mélange des cultures sur un même sol". L'idéologie frontiste, à l'instar de la nouvelle droite, postule donc bien "une égalité des ethnies, dans la différence et l'éloignement géographique"45.Pour le dire autrement, la défense de l'identité nationale repose sur une logique ethno-différentialiste, logique d'un nouveau racisme à distance du racisme suprématiste46.

L'unité idéologique du Front national se constitue essentiellement sur cette base : défense de l'unité nationale sur la base d'un racisme ethno-différencialiste. Plus exactement, il conviendrait de relever que le nationalisme frontiste repose :- idéologiquement sur un racisme ethno-différencialiste, qui autorise les leaders frontistes à se présenter comme non raciste puisqu'ils défendent la nécessaire diversité culturelle du monde ;- et dans une perspective électoraliste sur un racisme populiste, toujours conforté dans les réunions internes, permettant de faire du Front national un parti composé de braves gens qui s'aiment de détester ensemble (Anne Tristant), en total accord avec les propos de Jean Marie Le Pen lorsqu'il présente "(...) une vision du monde qui s'articule sur deux plans : la violence et l'étranger. La violence est un mode d'explication du monde quand l'étranger est quasi la preuve de cette violence"47.Le maintien du discours raciste ordinaire n'est pas pour autant dépourvu d'enjeu idéologique. Il permet de maintenir une vision biologiste de la société, une vision reposant sur la nature, une vision "essentialiste" et racial48.44 Mais ce masque ne résiste guère au refus du "politiquement correct" dans les propos de A de Benoist lorsqu'il affirme qu' "il ne faut pas jouer avec les mots. Si les gens sont différents, ils sont profondément inégaux". La profession de foi est ici très claire. Louis Pauwels n'hésitera pas à écrire également que "l'hérédité dote chaque homme d'un certain nombre de capacités. La façon dont il s'en servira, dont il les mettra en oeuvre, dépend de lui, de l'image qu'il se fait de lui-même, de sa volonté propre, des objectifs qu'il se fixe, enfin du caractère favorable ou inhibant du milieu dans lequel il vit".45 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.84.

46 "Le "racisme suprématiste", tendant à marquer la "supériorité" de l'homme blanc sur les peuples de couleurs, a été progressivement remplacé par "l'ethno-différentialisme". Celui-ci ne prend pas tant en compte la notion de race au sens biologique, que celle de peuple, prise dans sa dimension historique. Il insiste sur l'égalité des diverses ethnies et plaide pour le "droit à la différence", en détournant un slogan jusqu'ici utilisé par les groupes d'extrême gauche et régionalistes. L'argumentaire ethno-différentialiste postule en réalité une sorte d'apartheid, chaque ethnie devant à tout prix demeurer sur son sol historique originel. Mais il permet au Front national de réfuter l'épithète de xénophobe. Les frontistes établissent d'ailleurs un distinguo entre "immigrés" et "immigration" : ils ne sont pas contre les immigrés en tant que tels, mais contre l'immigration en tant que phénomène de société" in Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.III.

47 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.47

48 "La préoccupation majeure de Jean Marie Le Pen est d'imposer "une représentation raciale de la société comme enjeu politique premier" I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.122 . Sur ce sujet, il faut par conséquent se soucier de la pertinence ou non et des effets politiques d’autoriser des statistiques ethniques. Débat qui enflamme

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Enjeu idéologique qui bien évidemment rencontre un enjeu électoral. Cette vision essentialiste satisfaisait les attentes d'individus qui, quotidiennement, dans leurs interactions avec d'autres individus, décrit la réalité sociale en ces termes49.

Ce racisme populiste permet également à nombre d'individus marqués par une "peur de l'autre" de trouver des réponses simples. Peur de l'autre, qui chez nombre d'auteurs est la résultante d'une perte d'identité, d'un sentiment d'échec et d'impasse de sa vie50.

Idéologiquement ethno-différencialiste et électoralement populiste, la défense de l'identité nationale permet donc de rassembler des hommes et des femmes, militants qui "s'aiment de détester ensemble" pour reprendre l’expression d’A. Tristan, des hommes et des femmes électeurs qui ignorent le plus souvent que ce parti est lourdement "chargé d'un arrière monde"51, mais qui s'y reconnaissent, à tel point que l'on ne peut plus parler de vote protestataire mais de vote identitaire, selon un certain nombre de politologues.

Et nous en arrivons ici à la principale explication de l'essor du Front national jusqu’en 2002, sa force réside essentiellement dans sa capacité à fournir une grille d'interprétation du monde « crédible », « efficace ».En d'autres termes, son essor et son implantation ont été le résultat d'un lent travail idéologique, d'une révolution culturelle entamée depuis le début des années soixante-dix, et non le simple produit de quelques mutations de la société française.

la communauté des chercheurs en sciences sociales depuis l’élection de M. Nicolas Sarkosy le 6 mai 2007.

49 Ce qui nous permet de préciser ici, que le racisme et la xénophobie sont rarement le fruit d'une confrontation au quotidien avec une présence étrangère ou perçue comme telle, mais bien plutôt, le résultat d'un contact fréquent et largement présent dans son entourage avec d'autres attitudes racistes et xénophobes. "Dès que l'on passe du niveau régional ou départemental à un niveau d'analyse géographique plus fin (canton, commune, quartier), la liaison entre présence d'immigrés et vote FN s'atténue ou même disparaît. (...) il n'y a aucune relation claire et nette entre les deux phénomènes. Des communes ou des quartiers à forte concentration d'immigrés accordent de faibles scores au FN alors que des communes ou des quartiers sans présence immigrée significative le soutiennent fortement. (...) La présence immigrée semble structurer le vote d'extrême droite au travers d'un effet de halo" in P. Perrineau, art : "Le Front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.264."Pour J. Dollard, (J. Dollard, "Caste and Class in a southern Town (1937)), les attitudes des blancs lui semblent en définitive principalement déterminées non par le contact avec les Noirs, mais par le contact "avec l'attitude prévalente à leur égard"".in M. Wieviorka, "Le racisme, une introduction", Ed La Découverte & Syros, Paris, 1998, p.56.50 "La peur de l'autre est d'abord due à une perte d'identité propre. Le rapport à l'autre met, pour chacun, en évidence sa propre fragilité identitaire, face à son histoire, sa culture et surtout face à son avenir. Le rapport à l'autre implique une confrontation de ce que l'on est avec l'autre. Celle-ci peut devenir une expérience violente si l'on ne sait pas précisément, soi-même, qui l'on est. Appartenir par exemple, à une famille peu structurée, ou à un foyer vécu comme un lieu commun de consommation, et être confronté à une famille structurée, construite comme un lieu d'échange et de transmission des valeurs, peuvent provoquer une violence sociale réelle, comme une preuve vivante, à domicile, de son propre échec, de son impasse" in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.56-57.

"La vie moderne, les médias, les nouvelles techniques de communication, la facilité croissante des déplacements apportent cette confrontation à domicile. Cette situation est déstabilisante pour les personnes qui ont une identité fragile, peu construite ou, pis, construite sur des malentendus. De facto, pour éviter sa propre perte culturelle, pour prouver sa propre existence, l'être humain va instinctivement chercher à "éliminer l'autre" ; symboliquement d'abord et, si ce n'est pas suffisant, réellement ensuite. Il va éliminer celui qui est la preuve vivante de son propre échec symbolique, il va éliminer celui qui donne l'impression de croire à sa culture, d'être porteur d'histoire, bref, d'avoir confiance en lui, en son devenir et en sa survivance" in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.56-5751 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.78.

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On le voit donc ici, la présentation et l'analyse de l'idéologie frontiste participent de la recherche des causes de son développement.

2°) Causes du développement du Front national

Le développement du Front national semble être lié d'une part à sa capacité à prendre en compte les phénomènes récurrents de "peur de l'autre" dans les sociétés et à faire de la présence des étrangers un argument d'explicitation des dysfonctionnements sociaux sur fond de développement d'un discours qui tend à montrer que les sociétés modernes sont frappées par la décadence, thème cher à l'extrême droite.

Plus fondamentalement, ce thème de la décadence des sociétés et par conséquent du "nécessaire redressement moral et national" forme une "parfaite" contre-idéologie face à une pensée relativement dominante - des plus "progressiste" ou des plus "libéral" sur un plan culturel -. En d'autres termes, le Libéralisme culturel dominant finit par poser comme enjeu central de notre société, des questions qui se retrouvent au centre du programme du Front national. Cela constitue, selon nous, l'explication principale, de son implantation dans le champ politique français depuis presque trente ans.

S'il n'est nullement question, quand il fait beau de dire qu'il pleut parce que le Front national dit qu'il fait beau comme le soulignait Guy Bedos ; ce nouveau positionnement du débat peut expliquer pourquoi certains hommes politiques comme Laurent Fabius ont pu, à la fin des années 1980, considérer que le Front national « posait les bonnes questions mais n'apportait pas les bonnes réponses ».

a) Le Front national, un discours qui tire sa cohérence et son efficacité d'une présentation des sociétés modernes comme étant en voie de décadence

L'extrême droite a tendance généralement à se développer dans les situations de crise. Un tel phénomène s'explique notamment par sa capacité traditionnelle à produire un discours qui idéalise le passé et qui, parallèlement, décrypte le présent et le futur des sociétés sous des aspects menaçants, imposant une vision du monde catastrophiste. L'enjeu pour l'extrême droite est au fond de se situer comme seule alternative politique possible52 face à la décadence présente du monde. Une série de discours atteste de cette volonté de présenter le monde contemporain comme en voie de décadence :Document n°24"Les piliers de la société : armée, police, justice, vacillent, annonçant le temps de l'anarchie et du désordre. La corruption empuantit la politique et même l'Etat (...). Peuple de France et vous aussi, peuples d'Europe, vous êtes tombés dans un piège" La fête du Travail et des travailleurs avec J.M. Le Pen et le Front national, Présent, 3 et 4 mai 1986" Sur le fond des mélopées moroses de la décadence, au-dessus du tintamarre des exotismes de pacotille, pour le plus grand bien de l'humanité, de la France et des français, doit s'élever à nouveau haut et clair le péan des combats antiques, le chant de guerre et de victoire, le chant d'amour et d'espoir" Entendez le chant du peuple français, Présent, 5 et 6 septembre 1996.La jeunesse de France "connaît aujourd'hui les fruits amers de la décadence économique, sociale, politique et morale, les fléaux du chômage, l'individualisme forcené qui conduit à l'isolement et au désespoir, les menaces des hégémonies étrangères, de l'immigration, de la dénatalité, de l'insécurité, de l'étatisme dirigiste et de la bureaucratie fiscaliste. L'absence

52 Cette idée que développe le Front national se traduisait dans les années 1980-2000, par une invitation à rejeter la « bande des quatre » (PS, PCF, UDF, RPR), et aujourd’hui à parler d’ « UMPS » pour qualifier les formations à vocation gouvernementale que sont le PS et l’UMP créé en 2002.

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d'idéal, le matérialisme, le retour à la barbarie des mœurs et des comportements" Discours de J.M. Le Pen, le 13 mai 1984, Balard. "Le chômage de trois millions de travailleurs est une honte nationale. Une honte nationale qui dure depuis dix ans, causée par la folle politique de l'immigration, l'excès des prélèvements publics et la dégradation du niveau de l'enseignement. (...) Les privilégiés du système pourri jusqu'à l'os sont aujourd'hui prêts à violer les droits les plus élémentaires de la démocratie et de la République" Discours de J.M. Le Pen, Présent, 4 et 5 mai 1990."La politique actuelle mène à la ruine économique et sociale. A un chômage aggravé. Une immigration étouffante. Au fiscalisme écrasant. Elle est incapable d'enrayer la perte de l'indépendance et l'insécurité publique. Elle prend le risque d'affrontements et d'agressions multiples. Et même, comme je l'ai dit, de la guerre civile" Le discours de J.M. Le Pen aux BBR, Présent, 4 et 5 octobre 1995 "Mais si vous estimez que cette politique là c'est celle du déclin, si vous estimez qu'elle conduit à une décadence irrémédiable et peut-être à la perte de notre indépendance, de nos libertés, et même à l'effacement de notre patrie, alors vous allez décider d'un changement" Déclaration de J.M. Le Pen, le 11 avril 1988 sur france-inter53.

Ce discours sur la décadence des sociétés industrielles est d'autant plus reçu qu'il trouve des échos dans les analyses du changement social contemporain54. N'est ce point le discours d'un certain nombre de "faiseurs d'opinion" qui viennent accréditer l'idée que le travail est une valeur en voie de disparition, que plus encore la famille serait en crise. N'est ce point également le discours de certains intellectuels, mélangeant le genre descriptif et prescriptif, qui, au bout du compte viennent accréditer l'idée que le monde qui se construit aujourd'hui est un monde "froid", "désenchanté" par la rationalité économique et que, d'une certaine façon, la crise que nous vivons est le résultat d'une absence de "communitas". Discours qui n'est pas sans alimenter, dans ses appels incessants au ressourcement identitaire -distinguant mal les identités électives des identités "naturelles" -, une certaine vision traditionnelle du monde.

Il nous semble, qu'il ne faut pas oublier ici, que l'extrême droite se nourrit de l'esprit des communautés, de l'esprit communautaire. Que, dans ses aspects programmatiques, l'extrême droite conçoit l'unité politique d'un pays sur la base de communautés d'individus liés par le sentiment, le pathos, à un niveau bas de la société - comme au sein des familles - et également à un niveau haut de la société - du point de vue de la relation entre le chef politique

53 Cf. I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.48-52.

54 "Le chômage ou sa menace permanente brouillent les référents sociaux et tendent à faire disparaître le travail comme valeur, sans que l'on soit en mesure de proposer un "repère de remplacement". Les repères, comme celui que constituait la famille, tendent eux aussi à s'estomper avec l'apparition de structures monoparentales de plus en plus nombreuses. Les croyances religieuses se radicalisent pour une minorité ou n'ont plus de sens et de réalité quotidienne pour la majorité. Face à cette fragilisation ressentie, Jean-Marie Le Pen réaffirme dans ses discours l'importance de ces valeurs les plus traditionnelles" in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.113.

"(...) nos activités techniques ou économiques, ce qui fait que nous appartenons au monde de la raison instrumentale, au lieu d'être commandées ou inscrites dans le cadre d'une société nationale, semblent de plus en plus se dissocier de nos identités et de notre culture. La nation, la mémoire, la langue, la religion, le patrimoine historique, les traditions, les valeurs morales ou éthiques se séparent de l'univers globalisé des marchés, des flux financiers, des réseaux d'information mondialisés, la culture et les symboles définissent des univers distincts de celui du monde économique et social" in M. Wieviorka, "Le racisme, une introduction", Ed La Découverte & Syros, Paris, 1998, p.108-109.

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et les individus. La liaison entre le leader politique et les membres du pays s'accomplit sur un registre sentimental, le leader porte un discours qui fait appel au sentiment et non à la raison.

Document n°25C'est un "discours de l'amour et de l'impossible" que porte tout leader d'extrême droite

comme le soulignait E.Enriquez dans son analyse de la personnalité des leaders charismatiques55, discours qui fait que "Bon nombre d'électeurs du Front national ne "croient" pas ce que dit Jean-Marie Le Pen, ils le "ressentent"56.

b) Un Front national ancré dans le paysage politique français du fait que son programme se trouve au centre des interrogations portées par l'affrontement entre sociaux-libéraux et libéraux sociaux.

L'enjeu est ici de relever dans un premier temps que le Front national doit son essor au déclin des identités électives, c'est à dire au déclin des syndicats et des partis politiques. Ce déclin des identités électives conduit les individus à se replier sur d'autres types d'identités plus traditionnelles et considérées comme "naturelles" par l'extrême droite.Nombre de sociologues et de politologues s'entendent donc pour considérer que le déclin des groupes intermédiaires électifs a généré un vide politique qui laisse en disponibilité un certain nombre de citoyens57.

55 E. Enriquez, art : "Personnalité et régime politique" in L'identité politique, Ed Puf, 1994.

56 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.164. A nouveau, on peut relever que la dimension pratico-fonctionnelle de l'idéologie frontiste rejoint celle du fascisme, on trouve ici les interrogations de Z. Sternhell sur la nature instinctuelle du fascisme : "Le fascisme ne sera-t-il pas, lui aussi, une réaction anti-intellectualiste, une réaction de l'affectivité contre la rationalité de la démocratie ? Ne sera-t-il pas une revanche de l'instinct?" in Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.176.

57 "L'effacement des repères idéologiques traditionnels et la décomposition des structures d'accueil séculaires (associations religieuses, syndicats, parti communiste ...) ont mis en disponibilité politique bon nombre de nos concitoyens" in Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994."Fin de l'ère industrielle et déclin du mouvement ouvrier, crise des institutions et des systèmes politiques, fragmentation culturelle : autant de changements qui apportent des conditions favorables, dont l'examen nous explique l'actualité du phénomène" in M. Wieviorka, Le racisme, une introduction, Ed La Découverte & Syros, Paris, 1998, p.7."Les vieux repères sociaux (conscience de classe, appareils syndicaux et religieux) et politiques (clivage gauche/droite, identifications partisanes) sont en crise. Les anciennes références flottent et un espace est libre pour de nouvelles identifications" in P. Perrineau, art : "Le front national", in M.Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994."A la fin du XIXème siècle, Emile Durkheim constatait dans son étude du suicide anomique que "sur certains points de la société, il y a manque de forces sociales, c'est-à-dire de groupes constitués pour réglementer la vie sociale. Le suicide était dans son esprit un des symptômes pathologiques de l'insuffisante intégration de l'individu dans des collectivités intermédiaires sociales et politiques. Toute proportion gardée, à la fin du XXème siècle, la poussée du FN et les angoisses qui la nourrissent sont aussi les symptômes pathologiques d'une désintégration sociale et politique. C'est un des éléments du diagnostic d'Hervé Le Bras quand il aborde l'explication du vote lepéniste. Il remarque que les départements qui ont voté pour le FN plus que leur proportion d'étrangers ne le laissait pressentir sont tous, ou presque, situés dans le Bassin parisien (au sens large) et sur la côte provençale. La carte qui apparaît ainsi est bien connue et donne mieux la mesure de l'ébranlement en profondeur du système politique. Carte du suicide au début du XIXème siècle, carte de la richesse et des mouvements migratoires internes, c'est à peu près le négatif de la carte de la répartition des familles complexes (...). Bassin parisien et littoral provençal ont une structure politique dramatiquement simple : toute atteinte au prestige ou à l'identité nationale se répercute sans intermédiaire au niveau local et familial. Une crise d'identité de la France est ressentie comme une crise d'identité individuelle (...) . Le vote Le Pen doit

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On peut également évoquer les explications de Zeev Sternhell à la montée du fascisme, selon lui son essor correspond toujours à des périodes de glissement de la droite et de la gauche "traditionnelle" vers le centre :"(...) un mécanisme fondamental de la vie politique française se met en marche : le processus perpétuel de glissement vers le centre est toujours compensé par la montée symétrique, à droite, d'une force nouvelle, plus jeune et plus agressive, maniant une idéologie plus radicale, qui à son tour, repart à l'assaut du libéralisme et de la démocratie"58 .

Document n°26Dans la même perspective, un certain nombre de sociologues et de politologues

insistent sur le fait que le clivage gauche/droite présente, d'un point de vue institutionnel, bien des aspects factices. Qu'au fond, les oppositions entre droite et gauche institutionnellement représentées seraient pour le moins minimes et ne porteraient que sur des questions de peu d'envergure, laissant un large espace politique à conquérir - mais qui paradoxalement n'est pas conquis sur le terrain des orientations délaissées -59 .

Plus précisément, on peut relever ici que le politique a une responsabilité évidente. Son refus d'être porteur d'un discours à vocation "universaliste" ou collectif, pour des raisons qui, en partie, tiennent à l'influence des médias sur sa façon de structurer ses campagnes électorales (population ciblée : jeunes, vieux, ménagères de moins de 50 ans, et bientôt peut-être, à l'instar de ce qui se passe au niveau de la publicité aux Etats-Unis, discours ethniciste),

donc être pris au sérieux. Il indique une dégénérescence des formes politiques intermédiaires qui filtraient jusqu'alors les impulsions immédiates". Cette analyse générale du vote d'extrême droite comme symptôme d'une certaine anomie sociale et politique se retrouve sur le plan local. Les facteurs de l'immigration et de l'insécurité qui alimentent le vote en faveur du FN semblent jouer à plein lorsque les systèmes locaux d'intégration socio-politique sont en crise" in P. Perrineau, art : "Le Front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.270-271.58 Z. Sternhell, "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme, 1885-1914", Ed Seuil, 1978, p.145.

59 "Le Front national a (...) réussi à se construire une identité politique distinctive sur fond de tendances à l'indistinction entre droite et gauche, entre conservatisme et réformisme, entre libéralisme et socialisme, convergeant vers une société de consensus" in P. A. Taguieff, M. Tribalat, "Face au Front national", Ed La Découverte & Syros, 1998, p. 21."Les grandes références de la culture politique française sont évanescentes. Pendant des décennies, celle-ci a été structurée, à gauche, autour d'un ensemble de valeurs égalitaires et de solidarité sociale, et, à droite, autour du pôle des valeurs chrétiennes d'ordre et d'harmonie sociale. Ces deux cultures trouvaient un puissant relais dans ces grandes organisations qu'étaient le parti communiste et l'Eglise catholique. L'une et l'autre sont entrées en crise" in P. Perrineau, art : "Le Front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.273."Une hypothèse explicative parfois avancée, face aux avancées électorales du parti lepéno-mégrétiste, est que le front national ne trouverait "rien en face" de lui, qu'il n'aurait cessé de se nourrir d'un "vide" environnant. C'est là bien sur le recyclage d'une interprétation judicieuse du phénomène poujadiste, ce produit de "l'appel du vide". On suppose donc que le "rien" puisse exercer une efficacité symbolique, ou engendrer des effets mécaniques. Il convient cependant de s'entendre sur ce "rien", en forçant quelque peu le trait, afin de réveiller les endormis. Il existe bien toujours des grands partis, mais qui ne sont plus guère que des machines électorales dirigées par des leaders politiques sortis du même moule et - quand ils ne sont pas corrompus- largement discrédités pour leurs promesses non tenues. C'est lorsque la prise de conscience publique de l'étendue de la corruption rencontre le sentiment diffus de l'impuissance des dirigeants politiques que l'hostilité à la classe politique dans son ensemble se constitue en motivation de vote. On sait qu'elle constitue désormais l'une des cinq principales dimensions du choix électoral en faveur du Front national, après le rejet des "autres" (ethnocentrisme), mais avant l'adhésion au libéralisme économique, la vision autoritaire de la société et le refus de l'Europe" in P. A. Taguieff, M. Tribalat, "Face au Front national", Ed La Découverte & Syros, 1998, p. 18-19.

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n'est pas sans donner une certaine caution au discours de l'extrême droite. "Le collectif disparaissant du discours comme enjeu premier, le rapport à l'autre et à l'universel perd de sa légitimité au profit de la proximité. C'est un retour à l'instinct grégaire. La "cage d'escalier" serait devenue la quintessence des possibles en politique. Face à cette situation, le Front national et les discours de Jean-Marie Le Pen, par leur capacité à redonner de l'identité aux plus fragiles, un rôle social et politique à ceux qui n'en ont pas ou plus, crédibilisent à nouveau la politique"60 .

Le discours de l’ancien Premier Ministre, J.P. Raffarin s'inscrivait dans cette même logique61 de promotion d'une démocratie de proximité avec les "gens d'en bas".Discours qui n'était pas, somme toute, simplement hautain mais qui était un véritable déni de la fonction essentielle du Politique : celle de pérenniser l'identité du groupe, l'identité démocratique de la communauté des citoyens en République. Croyait-on pouvoir réaliser cette fonction par une proxémie qui n'a de réalité que discursive. Et quand bien même pensant pouvoir la réaliser en étant plus "proche du terrain", ne finissait-on pas justement par renvoyer les individus dans "un en-bas irrémédiablement terrain", au sous-sol pour reprendre l'expression de J. Bové. Cette idéologie proxémiste me rappelait également les discussions d'un forum improvisé par les étudiants entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2002. Il ressortait de leur propos que pour lutter contre les extrêmes (sic !), il convenait de discuter avec son voisin. Il était, ce jour là, difficile de faire entendre, qu'un spontanéisme discussionnelle et désidéologisée ne résoudrait certainement pas la question de la montée en puissance du FN. Ce qui est vrai pour les citoyens, l'est également pour les élites politiques démocratiques.Leur fonction en République n'est pas de s'inviter à la table des gens d'en bas, mais d'assumer leur place, en exposant leurs idées et non celles du peuple, pour paraphraser Condorcet, loin par conséquent des appels incessants au bon sens, qui se confondent le plus souvent avec une idéologie réactionnaire et populiste. Il serait bien curieux que l'on puisse éliminer le Front national de la scène électorale par un surcroît de populisme62.

Plus fondamentalement enfin, nous avons tendance à considérer que l'opposition droite/gauche dans ses formations dominantes à vocation gouvernementale tend à se limiter désormais à des questions de société, à des divergences autour des valeurs du libéralisme culturel. Pour nous, une telle opposition évacue trop rapidement le débat sur la nature du régime politique et le débat sur la nature du régime économique, fondement de ce que fût historiquement l'opposition entre droite et gauche. Cet accent mis sur des questions attenant

60 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.58.

61 Pour être tout à fait juste, il convient de relever que l'ensemble de la classe politique, plus particulièrement, dans ses composantes socialistes et libérales, a cédé au charme discret d'une bourgeoisie sensible aux problèmes quotidien du peuple. Nos élus se présentent désormais tous comme à l'écoute de leurs électeurs et soucieux de leurs problèmes : "des bouchons dans une rivière".

62 "Le propre du populisme est de "construire une ligne de conflit entre le peuple et le bloc au pouvoir et de présenter les désidératas exprimés par les citoyens comme allant, implicitement ou explicitement, à l'encontre des opinions de la classe politique. Mais il y a plus : les revendications populaires sont nécessairement plus justes, véridiques ou pragmatiques que ce qui est proposé par le gouvernement. Le peuple est ainsi crédité d'une maturité civique extraordinaire que les dirigeants politiques ont tort de ne pas prendre en considération" in S. Kobi, "Entre pédagogie politique et démagogie populiste", in "Actes d'autorité et discours autoritaires, mots, n°43, juin 1995, p.44, in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.47.

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au libéralisme culturel (immigration, port du voile, vote des étrangers, insécurité, ….) tend à renforcer le Front national dans la vie politique française, dans la mesure où son programme est centré sur des questions qui relèvent de la place de la famille, des étrangers et des différentes communautés culturelles et sociales dans la société ou encore de la peine de mort et des questions de sécurité.

Document n°27"Quand les enjeux post-matérialistes (tels que l'environnement, le mouvement des femmes, le désarmement unilatéral, l'opposition au nucléaire) deviennent centraux, ils peuvent stimuler en contrepartie une réaction dans laquelle une partie de la classe ouvrière se rapproche de la droite, pour réaffirmer l'insistance matérialiste traditionnelle sur la croissance économique, la sécurité militaire et l'ordre intérieur"63.

Document n°28"Le développement du thème des sociétés multiculturalistes n'est pas sans influence sur le développement du racisme, contribuant "au renforcement et au renouvellement du racisme". Au renouvellement, dans la mesure où les identités culturelles ou intercommunautaires qui se prolongent aisément en racisme à dominante différencialiste. Au renforcement, dans la mesure où chacune de ces identités peut être tentée de se naturaliser et de naturaliser d'autres acteurs, contribuant à une ethnicisation de la vie collective qui peut ouvrir la voie elle aussi à une racialisation des rapports sociaux et politiques. Ces tendances sont à la fois plus visibles et mieux acceptées dans les pays anglo-saxons qu'en France, où l'idée républicaine résiste à la pénétration du thème de la différence culturelle dans le débat politique"64 .

Document n°28 bis« Les thèmes défendus par ou attachés à l’idéologie du FN sont converties en « demandes populaires ». L’opération s’accomplit avec une certitude d’autant plus grande, qu’un tel cadrage interprétatif trouve son réalisme dans l’état conjoncturel du débat intellectuel et politique, auquel les électoralistes participent et qui porte sur la réforme de la nationalité, la place de l’immigration, les mesures à adopter vis-à-vis des problèmes qu’elle est réputée soulever (intégration, multiculturalisme, communautarisme, sécurité, illégalisme de l’immigration clandestine, etc.) et sur la crise de la politique voire des idéaux républicains (retour de l’intégrisme, corruption des mœurs politiques par la succession des « affaires », nécessité de réformer la démocratie représentative grâce à de nouvelles formes du lien démocratique : démocratie de proximité, de sondages, d’opinion, etc.). C’est dire combien les spécialistes électoraux reprennent, dans l’examen du vote frontiste, les préoccupations placées en haut des agendas intellectuels et politiques présents, sans soupçonner que nombre d’entre-elles ont été impulsées par la présence d’un FN qui privilégie, à partir de 1988, les thèmes de l’immigration, de la « préférence nationale » et de la lute contre « l’establishment corrompu » et, depuis, 1992, les problèmes sociaux ; sans soupçonner ainsi qu’eux-mêmes s’alignent sur les déclarations des dirigeants frontistes (ce que précisément ils dénoncent et déplorent chez les électeurs populaires du FN).A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.165-166.63 R. Inglehart, "Value change in Industrial Societies", American Political Science Review, vol 81, n°4, déc 1987, in P. Perrineau, art : "Le Front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994, p.264.

64 M. Wieviorka, "Le racisme, une introduction", Ed La Découverte & Syros, Paris, 1998, p.104-105.

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Il reste que depuis les élections présidentielles et législatives de 2002, le paysage politique français semble se modifier. Les valeurs du libéralisme culturel sont en net recul : - le parti socialiste semble de moins en moins enclin à défendre le droit à la différence et sur les questions de sécurité a opté pour des solutions plus répressives que préventives65 . Seuls, les Verts restent attachés à ce qui reste de "l'esprit 68" et une fraction de l’extrême gauche.- La droite de son coté reste fidèle à sa croisade contre l'esprit soixante-huitard, soucieuse plus particulièrement de populariser le libéralisme économique par un durcissement de sa politique en matière de sécurité et d'immigration.

Cette évolution du paysage politique français nous conduit à penser que d'une certaine façon J.M. Le Pen a raison lorsqu'il parle de "lepénisation des esprits". Au fond, il semblait en 2002 qu’existaient que deux forces politiques majeures : le libéralisme populaire aux accents sécuritaires et l’extrême droite66. Deux forces qui sont au passage susceptibles de s'allier s'il s'agit de bloquer le retour d'un courant progressiste au pouvoir, dans la mesure où les divergences idéologiques sont des plus ténues sur un certain nombre de questions. Alliances qui se multiplient dans un certain nombre de pays européens : l'Autriche, l'Italie et les Pays-Bas.

Nous arrivons en 2002 à la conclusion logique d'une stratégie et d'un mouvement de l'histoire. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu'au milieu des années soixante-dix, la société française fût marquée par la prégnance culturelle de la gauche, dans toutes ses composantes : gauchistes, marxistes, socialistes, radicales,... Depuis, il y a recul de ces idées au profit du libéralisme économique, d’une transition d’un modèle reposant sur le « Welfare » au « Workfare », d'un renouveau du nationalisme et de la promotion d’un « Etat social pénitence » pour reprendre l’expression de Loïc Wacquant.

Mais ce mouvement n'est pas le fruit du hasard, d'un quelconque effet de vases communicants ; il est le produit d'une stratégie et d'une action politiques longuement mûries.Document n°29

Si la droite et plus particulièrement l'extrême droite s'imposent massivement dans le choix des électeurs, c'est en raison d'une utilisation des bonnes clefs pour leur ascension. Elles ont compris que la victoire politique passe par des luttes idéologiques dans toutes les sphères

65 Ce tournant idéologique du parti socialiste s'est opéré dès le début du gouvernement de Lionel Jospin, par les contributions notamment de J.P. Chevènement et Julien Dray. Tournant inquiétant, dans la mesure où il se surajoutent à maints autres tournants, notamment en matière de politique économique et sociale; inquiétant au sens où les matières à débat entre la droite et la gauche institutionnelle finissent par s'épuiser et par conséquent à vider de sens la démocratie. Si la perspective d'une démocratie apaisée et raisonnable peut être légitime, elle ne doit pas pourtant être comprise comme l'inexistence de projets politiques alternatifs proposés aux citoyens. La démocratie a tout à perdre lorsque l'offre électorale consiste à devoir choisir entre une politique de désinflation compétitive et une politique de renforcement de la compétition par la désinflation, ou encore entre une baisse de l'impôt sur le revenu de 10% proposé dans le programme de Lionel Jospin et une baisse de 33% dans le programme de Jacques Chirac lors des élections présidentielles de 2002.

66 Rappelons que depuis près de vingt ans, droite et extrême droite en France recueillent souvent 55% des suffrages exprimés, la gauche de son coté étant minoritaire sur des programmes de plus en plus centristes. Si la droite ne parvenait pas au pouvoir ou ne s'y maintenait pas, deux raisons, parmi d'autres, peuvent être retenues :- ses divisions multiples dans une lutte des places souvent acharnées ;- sa non-alliance avec le Front national (dans la grande majorité des cas).En 2007, au premier tour des élections présidentielles, avec un taux d’abstention faible, 15.4%, l’ensemble des candidats de gauche ne rassemble que 35% des suffrages exprimés. Le score de 47% au second tour de la candidate socialiste, Mme Ségolène Royal, s’explique par le report d’un certain nombre d’électeurs centristes ayant voté pour M. François Bayrou. Score de 47% qui ne constitue pas véritablement un bon score, au regard des affrontements droite/gauche aux présidentielles sous la Vème République (1974, 1981, 1988, 1995). Concédons simplement qu’il est meilleur que celui des élections de 1965, 1969 et 2002.

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de la société. L'extrême droite, en particulier, a compris, au cours des années soixante-dix, la nécessité d'opérer une "révolution culturelle" pour contrer l'emprise des idéaux progressistes dans la société67.

Cette orientation fût défendue par le GRECE, et plus particulièrement par Alain de Benoist, lorsqu'il a mis en avant la notion de méta politique qui est "l'au-delà du politique. Le lieu de la méta politique est un jardin serein, protégé des querelles du monde. Située au-dessus de la mêlée et de l'empoigne, il permet à l'extrême droite de prendre du recul pour tout remettre à plat, effacer les erreurs stratégiques et refonder une idéologie. C'est déjà beaucoup, et pourtant ce n'est pas tout. La méta politique part aussi de l'idée que le politique n'est finalement qu'une région secondaire du savoir, qui s'insère dans le vaste ensemble de l'épistémè, du champ culturel. Le militant nationaliste doit, dans cette perspective, reconquérir la culture avant de s'occuper de la cité. Ce qui implique non seulement la restructuration d'une "culture de droite", mais aussi sa dissémination"68 .

Cette orientation permit également, au début des années quatre-vingt, "de réinsérer l'extrême droite au sein du jeu politique, en offrant à la droite modérée des armes théoriques. La démarche est raffinée : partant de l'idée que la droite libérale et traditionnelle n'a plus vraiment d'idéologie ou de personnalité, qu'elle se confond avec le "centre mou", les promoteurs de la méta politique vont lui offrir tout un bagage culturel, spirituel, économique et politique, venu de la droite radicale"69 .

Enfin, cette orientation fut bien évidemment reprise par le FN :- dans sa stratégie qui vise à disséminer ses idées dans l'ensemble des sphères d'activité sociale, y compris s'il le faut en créant des syndicats acquis à sa cause ;- dans sa volonté de proposer un discours idéologique cohérent qui se soucie de se débarrasser des derniers mots de la contre-culture de gauche. Pour exemple, en 1990, l'Institut de Formation Nationale du Front national liste les mots tabous et propose le bon choix :"A la place des masses, le peuple.A la place des classes, les catégories socioprofessionnelles.A la place des travailleurs, les français.A la place des luttes, le combat.A la place du sens de l'histoire, le destin historique.A la place des forces de progrès, les forces de l'avenir.A la place des patrons, les employeurs.A la place des hommes politiques, la nomenklatura politicienne.A la place de la société, la communauté.A la place de l'universalisme, le cosmopolitisme"70 .

67 Cf.Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.39.

68 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.39.

69 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.39-40.

70 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.36. Je me permets ici une petite remarque d'ancien enseignant de sciences économiques et sociales au lycée (- désolé de céder ici sur l’idée que l’on ne fait pas de la sociologie par l’exemple -), je suis régulièrement frappé par le fait que les élèves marquent une nette réticence vis-à-vis des mots du marxisme : classe, rapports de production, aliénation, ... ou vis-à-vis des politiques régulièrement nommés politiciens. Il ne s'agit point ici de relever que la contre-culture brune a envahi l'esprit de nos élèves, mais de souligner à quel point, le discours dominant sur la société, c'est-à-dire principalement le discours médiatique travaille souvent dans le même sens que cette contre-culture brune. Cela dit, ce n'est pas une découverte, il suffit de regarder un certain nombre d'émissions "grand public" pour se convaincre que le poujadisme est signe de la dernière des « branchitudes » cathodiques et que des émissions comme "c'est mon choix" relève plus de l'école de l'indifférence que de la tolérance. "C'est mon choix et j'en ai

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Document n°29 bis« Les mots et les idées sont, pour eux, importants. Les dirigeants frontistes sont habitués, en effet, à faire « de la lutte politique une lutte sémantique » ainsi que le déclarait B. Gollnisch dans le Figaro (21 juin 1996). Celui qui impose à l’autre son vocabulaire lui impose ses valeurs, sa dialectique et l’amène sur son terrain à livrer un combat inégal ».A.Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.208.

De cette contre-révolution culturelle entamée au milieu des années soixante-dix, il ressort en 2002 un bouleversement de l'offre électorale, produit d'un changement radical de l'imaginaire de notre société. Si ce changement radical ne peut pas être considéré comme la conséquence nécessaire et obligatoire du choix pour une méta politique par l'extrême droite - d'autres facteurs pouvant l'expliquer -, il n'en reste pas moins qu'il lui a permis d'occuper le créneau de la contestation du système, de présenter un projet politique alternatif sur le terreau d'une "contre-culture brune"71.

c) Pour une méta politique de gauche face à l'extrême droite

Face à l'idéologie frontiste, il nous semble que seul un retour au Politique posera les conditions de son affaissement. De ce point de vue, nous ne pouvons qu'être en accord avec I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier lorsqu'ils énoncent que "le discours de Jean-Marie Le Pen est un discours idéologique. La réponse au Front national est dans le retour au politique"72.

Et ce retour au politique concerne au premier chef la gauche, car celle-ci n'est elle-même que sur la base d'un projet proprement politique, la droite pouvant, compte tenu de son orientation libérale, très bien s'en passer73 . Plus encore l'essor du Front national s'opère à partir du moment où la "gauche institutionnelle" se convertit au libéralisme économique et où elle devient une "gauche sans projet", si ce n'est celui de rester au pouvoir. Par conséquent, une recherche d'alternative au fascisme est en soi une recherche d'alternative au libéralisme.

Mais cette approche ne peut en aucun cas relever de réflexions plus ou moins pertinentes de quelques individus, mais plus largement de tous ceux qui sont fatigués de l'absence de réelle perspective politique à gauche. De ce point de vue, nous ne pouvons que souscrire à l'idée que face à l'extrême droite, n'existe qu'une seule alternative, l'élaboration d'un projet politique alternatif ancré à gauche, c'est à dire, au minima, contestant les logiques d'extension des rapports marchands, ce qui ne constitue pas aujourd'hui un socle idéologique partagé par tous du premier parti de gauche à vocation gouvernementale, en l’occurrence le parti socialiste.

Ce retour au politique nécessite donc tout d'abord que la gauche à vocation gouvernementale se dote d'un projet réellement et fondamentalement alternatif à celui de la

rien à foutre" comme l'écrivait B. Etienne.

71 Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.193.

72 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.226.

73 Cette idée avait été développée en 1993 par A. Touraine dans un article paru dans le journal "Le Monde" consacré au clivage droite/gauche, il évoquait le fait que la droite pourrait aisément se contenter d'une vision instrumentale du politique dans la quelle les citoyens seraient invités à réguler la lutte des places.

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droite, c'est-à-dire qu'elle opère un Bad-Godesberg à l'envers, qu'elle fasse un retour à ses idéaux contre "la culture de gouvernement et le réalisme économique".

En d'autres termes, elle doit prendre en compte le fait que l'extrême droite ne s'est finalement développée qu'à partir de 1983-1984, "année charnière où la politique ne va plus être synonyme d'idées, de projection dans l'avenir" et à la suite de laquelle "la gestion va devenir la quintessence d'une bonne politique".

Depuis ce tournant, "la politique va se résumer à la "police", c'est à dire à la gestion de l'Etat. Cette façon de penser la politique n'est pas neutre dans l'expression du politique. La politique abandonne peu à peu les principes, les valeurs, le social pour privilégier la technique, les mesures factuelles, l'intelligence des chiffres, les équilibres économiques"74 .

Cette conversion de la "gauche institutionnelle" au discours technique et gestionnaire eût au moins trois conséquences.

D'une part, elle rend inintéressant le débat politique dans la mesure où un déficit d'explication du devenir du monde s'y adjoignît, le discours gestionnaire étant trop souvent un discours du temps présent, se fondant dans l'actualité et l'immédiateté des commentaires des chiffres du jour (et des sondages au passage, figure imposée du champ politico-médiatique). "Les politiques vont faire l'apologie de la rigueur sans chercher à en expliquer les enjeux économiques et politiques. L'équilibre budgétaire devient le seul horizon, la seule explication"75 .

Or, "les personnes attendent des explications, une visibilité du devenir collectif". Cette visibilité du devenir collectif ne peut s'opérer que par un retour à l'idéologie. Le terme d'idéologie a trop souvent été galvaudé par les partisans de la fin des idéologies ; or il faut réaffirmer ici le rôle fondamental de l'idéologie en politique. Pour Paul Ricoeur, "la fonction la plus positive de l'idéologie est l'intégration, le maintien de l'identité d'une personne ou d'un groupe", le Politique est ici concerné dans la mesure où son rôle est de maintenir l'unité du groupe. L'idéologie, dans cette perspective fournit des points de repères aux individus, peuvent donner un sens à leurs activités mais également aux conflits qui traversent la société, elle assure donc également une fonction de régulation sociale. Et si le terme est par trop rejeté, on peut lui préférer la notion de « contre-utopie » 76.

D’autre part cette conversion du parti socialiste au discours technique et gestionnaire s’est accompagnée d’une absence de volonté de contester la représentation dominante de la réalité des rapports sociaux. Pour le formuler plus précisément, il convient de noter que depuis la fin des années soixante-dix, tout un courant idéologique du parti socialiste –en l’occurrence la « deuxième gauche » - travaille à une représentation de la société non plus en tant que société marquée par l’existence de classes sociales et donc d’inégalités, mais en tant

74 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.226.

75 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.226.

76 Document n°30 On rejoint ici les analyses de Ch.bourseiller selon lequel, la réponse au FN réside dans une volonté de se placer sur le même terrain que l'extrême droite, considérant que la méta politique ne peut rester "l'apanage d'un clan". Pour lui, "il devient urgent de réveiller les utopies. La réponse doit être culturelle. L'antifascisme rationnel et didactique ne suffit plus. Ce qui fait la force du discours national et identitaire, c'est qu'il est quasiment seul. Ce n'est pas normal, la France a besoin d'utopies généreuses, tolérantes, créatives et ouvertes. Rien ne serait plus dangereux ˆà terme qu'un système entièrement dominé par un socialisme libéral et une droite centriste. Il faut à tout prix éviter que les émules de l'extrême droite ne deviennent un jour les uniques rebelles au monde occidental. Une démocratie vivante a besoin de toutes sortes de contestataires. Les démocrates ont donc une tâche bien difficile. Ils doivent réinventer l'avenir : la contre-utopie en quelque sorte" in Ch. Bourseiller, "La nouvelle extrême droite", Ed du Rocher, 2002, p.193.

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que société post-industrielle, «moyennisée » traversée par une opposition entre « inclus » et exclus ». La représentation du peuple est délaissée et laisse donc des espaces en friche : une classe ouvrière dont le premier parti est celui des abstentionnistes.

Aux dernières élections régionales, lors du premier tour, selon un sondage TNS SOFRES/LOGICA opéré les 19 et 20 mars 2010, 69% des ouvriers et 64% des employés se sont abstenus.Document n°30 bis« (…) le « populaire » ne fait plus recette et se trouve sans défenseur politique reconnu depuis l’érosion du PCF et le tournant néo-libéral du PS. Leur efficacité est renforcée à un moment où les groupes populaires sont en train de s’absenter de la scène sociale et du jeu politique et où ils sont aussi relégués dans les préoccupations politiques et les espoirs messianiques des intellectuels ; ils n’apparaissent plus, dans les représentations politiques, que sous le visage de la pauvreté matérielle et intellectuelle, de l’inemployabilité, du désordre social et des coûts sociaux et électoraux du chômage et pour être disqualifiés au nom du rapport de délégation qu’ils entretiennent avec le politique, source d’archaïsme, d’obéissance obscurantiste et d’inefficacité ».A.Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.187.

Enfin, la conversion de la gauche au discours gestionnaire et technique renvoie à l'idée, qu'au fond, il existe des désaccords relativement mineures entre le parti socialiste et la droite, et par conséquent, elle laisse le champ libre à d'autres offres électorales. "Le combat contre le Front national est une question d'offre politique à proposer, à imposer"77 .

Cette offre électorale doit être bien évidemment clairement alternative et relever systématiquement à quel point le discours de l'extrême droite heurte les valeurs communes de la République , l'enjeu étant de le situer hors du champ démocratique en réaffirmant les valeurs républicaines et démocratiques, en le positionnant systématiquement en tant qu'ennemi de la démocratie.

Relever à quel point le discours de l'extrême droite heurte les valeurs communes de la République, ne consiste pas à jouer les "vierges effarouchées" lorsque le démagogue de la Trinité sur mer multiplie les calambours douteux -et ce pour attirer des médias plus voyeuristes que soucieux de représenter les différentes opinions politiques - mais bien plutôt de porter une analyse sur les présupposés de son discours78.

Ainsi, pour exemple, il fût particulièrement regrettable de constater que lorsque le leader du Front national développa l'idée de l'inégalité des races, la très grande majorité du personnel politique n'eût pour seule idée de dire qu'il n'y avait pas d'inégalité des races. Le Front national a ainsi gagné une bataille celle de la pertinence de l'utilisation de la notion de race à propos de l'espèce humaine.Document n°31

Au fond l'enjeu est ici de réaffirmer que la démocratie ne peut survivre sans l'existence "à l'intérieur du nous qui constitue la communauté politique", d'adversaires dont les existences sont légitimes et qui doivent être tolérés.

77 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.231.

78 "La pratique communicationnelle de Jean-Marie Le Pen repose (...) sur des présupposés. Il utilise des présupposés qui n'ont jamais donné lieu à une fixation de normes donc de valeurs, où l'Etat, la parole légitime, n'a pas fixé les frontières de la morale, du bien et du mal. Le discours de Jean-Marie Le Pen repose sur cette confusion devenue possible par l'absence de débats et de normes" in I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.168-169.

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Il faut donc que les citoyens aient la possibilité de choisir entre de réelles alternatives, c'est pourquoi, l'effacement du clivage gauche/droite dans leurs rapports institutionnels et médiatiques et l'essor d'une "pensée unique" peuvent détruire cette forme spécifique d'ordre politique qu'est la démocratie pluraliste. Les éléments du vivre ensemble, de la Polis, ne doivent pas conduire à l'atrophie du polémos, de l'antagonisme et du conflit, sous peine de voir émerger une nouvelle offre électorale, porteuse de nouveaux types d'identité, très éloignés des types électifs79.Document n°32« Ceux qui n'apprennent jamais rien pensent contenir la vague en supprimant la mer. Rêvant depuis toujours d'une politique privée de politique, ils veulent recommencer ce qui a échoué, recréer une "grande coalition" ou un "front républicain" contre l'extrême droite. Ou bien ces alliances entre droite et gauche sont de circonstance, et elles s'apparenteront à une défense des places; ou bien elles sont basées sur un accord de fond, et ce serait encore pire. Si l'affrontement autour de projets distincts disparaît un peu plus de notre champ politique au nom de l'urgence de contenir la "peste brune", nulle autre que cette dernière, monopolisant alors l'expression de toutes les colères, en tirera le principal profit. Pour certains, tout est bon: décréter la fin de la politique, puisqu'il n'y en aurait qu'une possible, et que le Front national la conteste; interdire la nation ou la dissoudre dans la mondialisation en espérant ainsi priver l'extrême droite de son vivier. Mais ici tout est mauvais: c'est en novembre-décembre 1995, au moment où les grèves et les manifestations arrachaient des millions de Français à la morosité et à la désespérance, que M. Jean-Marie Le Pen devint enfin aphone. Et, depuis quinze ans, plus le pouvoir des Etats recule, plus le Front national avance. Malgré ce bilan, chaque expression contestataire se heurte désormais à l'objection de faire "le lit du lepénisme" (…) Disqualifier toute critique sociale au nom des utilisations que certains adversaires pourraient en faire, c'est pourtant offrir à ces derniers un avantage inespéré en affectant de les combattre. Car depuis vingt ans, en France, ce sont d'abord les inégalités sociales, les ravages du néolibéralisme, l'étouffement du débat démocratique, les faux-semblants, les connivences, le consensus, la corruption et les prébendes qui ont "fait le jeu du Front national". Celui-ci ne reculera pas si les brasiers qui ont alimenté son expansion continuent de s'étendre.Serge Halimi, L'actualité d'un archaïsme. La pensée d'extrême droite et la crise de la modernité. Les terroirs de l’extrême droite. Revenir à la politique, in Le Monde DiplomatiqueDocument n°33

Mais ces éléments du vivre ensemble doivent également être compris comme devant être défendus. En d'autres termes, dans une démocratie pluraliste, peuvent toujours subsister des ennemis, ceux qui justement mettent en cause les éléments fondateurs du vivre ensemble, sous condition évidemment de les repréciser régulièrement. C'est d'ailleurs à cette condition que l'on peut légitimer le traitement de l'extrême droite comme ennemi de la démocratie et qu'ensuite on peut le diaboliser, ce qui peut constituer une forme de réponse et d'alternative à son essor :"Diaboliser le Front national, c'est dire que ses valeurs sont inacceptables, qu'elles ne sont ni républicaines ni démocratiques. Cette diabolisation est l'un des moyens dont nous disposons pour remettre en place les valeurs de la République"80. Cela implique de rappeler que l’extrême droite historiquement s’amuse de voir des

79 "L'affrontement politique au sein de la communauté est une condition d'existence de ce type de régime politique, si la démocratie pluraliste ne peut survivre sans certaines formes de consensus (d'où la notion de communauté politique, où on retrouve l'idée que la politique est l'expression de l'être du groupe) portant sur certaines valeurs éthiques, principes de légitimité et sur les institutions où elles s'inscrivent, elle doit cependant aussi permettre l'expression des conflits, passant par la constitution d'identités collectives autour de positions bien différenciées". in CH.Mouffe "Le Politique et ses enjeux. Pour une démocratie plurielle", Ed La Découverte, 1994, p.14.)

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démocraties donner « la liberté aux ennemis de la liberté » : « Le 30 avril 1928, le dirigeant nazi et futur maréchal Goebbels décrivait, non dans un document confidentiel mais dans un journal, l'usage cynique que le mouvement hitlérien comptait faire des procédures démocratiques:Nous entrons au Reichstag afin de nous pourvoir en armes prises dans l'arsenal même de la démocratie. Nous nous ferons députés du Reichstag afin que l'idéologie de Weimar contribue elle-même à sa propre destruction. Si la démocratie est assez stupide pour nous récompenser de ce mauvais coup par la gratuité des transports et un salaire parlementaire, cela la regarde. Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens légaux pour renverser l'actuel état de choses. Mussolini entra lui aussi au Parlement. Que l'on ne s'imagine pas que le parlementarisme sera notre chemin de Damas! Nous venons en ennemis! Comme le loup s'attaque à un troupeau de moutons, voilà comme nous venons! »Le cynisme de Goebbels , "Nous venons en ennemis!", in Le Monde Diplomatique(Cité par J.-P. Stern, Hitler, le Führer et le peuple, Flammarion, Paris, 1985, page 142.)« La nation attend, espère en nous. La nation se sent représentée par nous. Nous ne pouvons certainement pas promettre de planter l'arbre de la Liberté sur les places publiques; nous ne pouvons donner la liberté à ceux qui en profiteraient pour nous assassiner. Là est la stupidité de l'Etat libéral, de cet Etat qui donne la liberté à tous, même à ceux-là qui s'en servent pour l'abattre. Nous ne donnerons pas, nous, cette liberté, même si la demande de cette liberté est enveloppée dans un vieux papier teinté aux couleurs des immortels principes ».Discours du 20 septembre 1922, extrait de Mussolini parle, Plon, 1928.

Mais une telle stratégie nécessite l'accord de tous les adversaires, plus précisément, il faut que la droite parlementaire et républicaine n'aille pas chasser sur le terrain des électeurs du Front national avec des valeurs et un programme concurrentiel à la marge.

Ce qu’elle fit particulièrement entre 1982 et 198881 et comme elle semble être tentée de le faire aujourd'hui, au risque de contribuer au renforcement de la "lepénisation des esprits".

C’est le choix opéré par M. Nicolas Sarkosy lors de sa campagne électorale de 2007, dans l’exercice même de son pouvoir présidentiel et même bien avant lorsqu’il était ministre de l’intérieur, considérant que les électeurs frontistes pouvaient réintégrer le camp de la droite républicaine, pourvu que cette droite soit « décomplexée » sur ses valeurs impliquant entre autres :

- le retour de la valeur travail contre l’ « assistanat »;- la mise en avant d’une logique sécuritaire reposant sur la « tolérance zéro » ;- la promotion d’une « laïcité positive » qui insiste sur le rôle essentiel des religions

pour la cohésion sociale de la Nation et sur la nécessaire reconnaissance de l’héritage chrétien dans la constitution de l’identité nationale ;

- la maîtrise des flux migratoires dans une logique de « l’immigration choisie »

80 I. Cuminal, M. Souchard, S. Wanich, V. Wathier, "Le Pen, les mots, analyse d'un discours d'extrême droite", Ed La Découverte/poche, 1997, p.225.

81 "Depuis 1982, la droite classique, dans sa critique de la gauche au pouvoir, s'est radicalisée. Les leaders du RPR et de l'UDF ont diabolisé la gauche, dénoncé la "marxisation" de la société française - dont pour eux, témoignent les nationalisations, les lois Auroux, l'accroissement de la fiscalité, le recrutement des fonctionnaires - et se sont insurgés contre le "laxisme" révélé par la suppression de la peine de mort, des juridictions d'exception et de la loi anti-casseurs, la "mollesse" de la justice ou encore l'autorisation de se regrouper en association pour les étrangers. Ce discours "musclé" et l'alliance de Dreux ont contribué à légitimer les idées et les hommes de la droite extrême" in P. Perrineau, art : "Le front national", in M. Winock (ss la dir), "Histoire de l'extrême droite en France", Ed Seuil, 1994.

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Conclusion   : Extrême droite, où en est-on   ?

Le FN, un parti national-populiste   ?

Les analyses du Cevipof et d’un certain nombre d’historiens comme M. Winock ont été largement critiquées par A. Collowald82 ou par J. Le Bohec83.

Pour A. Collowald, qualifier le FN de parti populiste ou de national-populiste revient à servir les buts de l’idéologie dominante en matière de démocratie, en matière de définition des rapports de commandement à obéissance : « Il y a (…) matière à réflexion notamment sur le matériau idéologique avec lequel le « populisme du FN » a été composé. Il paraît en effet traduire, sous une forme savante, la nouvelle idéologie libérale dominante »84.

Au fond nombre de politistes ou politologues finissent par oublier, ou faire semble d’oublier que nommer, dans l’univers politique, c’est qualifier, promouvoir ou disqualifier.

Document n°34« Il ne s’agit pas ici de dire que, contrairement à ce qu’affirment les tenants du « populisme » du FN c’est du fascisme ou du poujadisme. Ce serait commettre la même erreur que ces savants qui croient que nommer c’est expliquer. Si l’on suit toute la tradition sociologique, le plus important dans une interprétation scientifique n’est pas de baptiser ou débaptiser les phénomènes observés : c’est de rendre intelligibles les processus qui ont créé et font exister les diverses institutions sociales et politiques (les partis, l’Etat, les groupes sociaux, les individus, etc.) sous la forme sous laquelle elles existent. Ces savants du monde politique oublient ainsi que l’activité de labellisation des phénomènes sociaux est partie prenante des processus de construction sociale de la réalité ; elle l’est même doublement dans le cas de l’univers politique puisque l’un des dimensions du métier politique consiste justement à nommer, classer et identifier les autres pour mieux se repérer et anticiper les actions et réactions des adversaires et des alliés ».A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.52.

Document n°35

« Si le FN est bien une menace politique qui ne peut qu’animer tous ceux qui sont attachés à la continuité de la démocratie, il sert également d’instrument de lutte entre intellectuels politiques et hommes politiques pour la refondation de la démocratie représentative donnée pour la plus légitime lorsqu’elle se fonde sur l’expertise. La dévaluation des groupes populaires qu’autorise le « populisme du FN » s’inscrit, ainsi, dans le cadre plus vaste d’une révision des anciens clivages politiques et idéologiques et constitue l’occasion chez les intellectuels politiques, savants ou non, d’une redéfinition particulière de l’acceptable et de l’inacceptable en démocratie. En faisant de l’expertise une vertu scientifique et démocratique, les intellectuels politiques auxquels appartiennent les savants mobilisés dans l’interprétation du FN délégitiment tous ceux pour qui le « peuple » est une cause à défendre au profit de la légitimation de ceux pour qui le « peuple » est un problème à résoudre ».A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.17-18.

82 A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004.83 J. Le Bohec, « Sociologie du phénomène Le Pen », éd La Découverte, coll Repères, 2005.84 A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, 13.

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Document n°36« Le « populisme » conduit ainsi les savants qui en font usage à participer, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, à la production de la légitimité politique du FN en reconstruisant son illégitimité : à la différence du « fascisme » et du « poujadisme » auxquels il succède, le « populisme » est une injure polie qui continue à discréditer, mais dans les formes de la convenance savante. Le « national-populisme » qui évoquait le « national-socialisme » mais sans le dire explicitement était une parfaite illustration de cette contention dans l’insulte. Le « populisme » prend sa suite sans en perdre la dénégation disqualifiante. Il continue à situer le danger que représente le FN non pas dans ses dérogations aux idéaux et aux pratiques démocratiques mais dans cette radicalité supposée qui consiste à en appeler au peuple contre les élites établies, suggérant sans doute incidemment que pour perdre toute dangerosité politique, il faut en appeler aux élites contre le peuple … »A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.53.

Mais A. Collowald souligne également le flou de cette notion de populisme ou de national populisme, finissant par désidéologiser un parti qui tend au contraire à se rationaliser et se radicaliser idéologiquement.

Document n °37La notion de « populisme » utilisée par un certain nombre de savants pour qualifier l’organisation frontiste « (…) « désidéologise » le populisme au moment même où le FN connaît une forte radicalisation idéologique donnant à voir dans une version de son programme rédigée par B. Mégret en 1996 la Nation focalisée sur le sang et l’ethnie (ce dont la direction frontiste s’était toujours défendue officiellement de partager), revendiquant des auteurs comme Julius Evola, notamment dans son ouvrage Le Fascisme vu de droite. Elle se substitue au label d’extrême droite au moment où, plus qu’en 1981, le FN rassemble tous les mouvements d’extrême droite en France (même les anciens réfractaires comme Nouvelle Résistance, le Parti national républicain, etc., se sont ralliés). Elle dirige l’attention vers les groupes populaires alors que s’intensifient les stratégies en direction des élites politiques et intellectuelles, que ce soit grâce aux différents postes électifs occupés au niveau municipal, cantonal, régional et européen ou par la mise en place de réseaux de relations de clubs de pensée interposés (songeons au Club de l’Horloge). Elle insiste sur la démagogie (sur les liens directs entre le leader et ses « supporters ») alors que s’amplifie un travail d’implantation systématique dans des catégories professionnelles ciblées (police, transport, santé) et sous la forme de clubs ou de syndicats ».A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.113.

Elle souligne par ailleurs, que bon nombre de politistes ou d’historiens une bien trop grande importance au discours de son chef. Que plus fondamentalement, ils ont tendance à rechercher les causes de son implantation et de ses succès électoraux, par sa nature, en ne saisissant pas, cette organisation partisane dans ses relations aux autres partis et d’une façon plus générale avec son environnement. Présenté comme un isolat, le FN finit par s’ancrer électoralement parce qu’il est.

Document n°38«  (…)le FN est compris comme un isolat politique uniquement régi par la relation entre le

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chef et ses troupes électorales. En sont absents ici toutes les institutions et les hommes qui font vivre le FN : dirigeants politiques autres que J.M. Le Pen, cadres, militants, élus frontistes ». « (…) le FN n’est jamais seul maître de ses capacités politiques. Sa force politique dépend des actions et réactions des concurrents auxquels il est confronté et il est tout aussi important d’analyser l’activité des autres acteurs politiques et des interprètes habituels du jeu politique pour comprendre les marges de manœuvre et les lignes de conduite qui lui sont possibles. En ce sens, encore, il n’existe pas « un » FN mais « des » FN dont l’identité et les pratiques de représentation varient en fonction des particularités des lieux où il est impliqué. (…) Son succès électoral n’a pas non plus de cause unique et générale (la crise sociale ou la crise politique) puisque, pour être compris, il doit être rapporté aux configurations locales et localisées des relations de coopération qui unissent le FN aux autres. (…) L’erreur méthodologique apparaît flagrante dès lors que l’on isole un acteur collectif de l’espace de compétition dans lequel il est pris.Collowald A., « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004.p.47-49.

L’ancrage du Fn dans la société française, un vote identitaire   ?

- Un électorat aux valeurs bien identifiées   ?

Selon le CEVIPOF, on peut relever que l’électorat FN présente des spécificités en termes de valeurs, nettement marquées par des attitudes répressives, une xénophobie, un anti-européanisme, un goût de l'autorité et de l'ordre, le refus des valeurs universalistes. Première motivation de leur choix en faveur du FN c'est l'immigration, ensuite vient le chômage et après l'insécurité.

La question du libéralisme culturel et du libéralisme économique permet selon Gérard Grundberg et Etienne Schweisguth (”Libéralisme culturel et libéralisme économique”, in l’électeur en question, Presses de la FNSP, 1990) de positionner les individus sur l’axe droite/gauche. Pour eux, il existe une forte liaison statistique entre libéralisme culturel et orientation à gauche d’une part, libéralisme économique et orientation à droite. Cette analyse d'Etienne Schweisguth et Gérard Grundberg a été poursuivi pour les élections présidentielles de 2002, (« Le vote de tous les refus ») définissant huit échelles d'attitude :

/ Anti-homosexualité"L'homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité""Les couples homosexuels devraient avoir le droit d'adopter des enfants""Le PACS a eu des effets négatifs"/ Valeurs traditionnelles"Le respect des traditions, préserver nos coutumes, nos manières de vivre" est important"l'ambition, travailler dur pour réussir" est important"la compétence, l'efficacité, obtenir des résultats" est important / Autorité"L'école devrait donner avant tout le sens de la discipline et de l'effort" opposé à "l'école devrait former avant des esprits éveillés et critiques"Dans une société, il faut une hiérarchie et des chefs"Le mot "autorité" évoque quelque chose de positif/ Libéralisme économique

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"Que l'Etat fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté" opposé à" que l'Etat les contrôle et les réglemente plus étroitement""Les entreprises doivent avoir le droit d'embaucher et de licencier selon leur situation" opposé à "les entreprises doivent être soumises à un contrôle de l'Etat avant de licencier"Le mot de privatisation évoque quelque chose de positif pour vous.Le mot de profit évoque quelque chose de positif pour vous/ Anti-EuropeCrainte que "la France paye pour les autres pays"Crainte que "l'on perde notre identité nationale et notre culture"Crainte "qu'il y ait une augmentation des immigrés""Le fait pour la France de faire partie de l'Union Européenne est une mauvaise chose"Sentiment d'être seulement français (plutôt que français et européen)"Vif soulagement" si l'UE était abandonnée plutôt que "grands regrets""Le remplacement du franc par l'euro a été négatif"/répression"Il faudrait rétablir la peine de mort""Pour lutter contre la délinquance, il faudrait supprimer les allocations familiales aux familles des mineurs délinquants"Moyen le plus efficace pour lutter contre l'insécurité : "une justice plus sévère"/ Xénophobie"Il ya trop d'immigrés en France""La présence d'immigrés en France est une source d'enrichissement culturel""Les maghrébins qui sont en France seront un jour des français comme les autres""Il y a des races moins doués que d'autres""Maintenant, on ne se sent plus chez soi comme avant"/ Hostilité au personnel politique"La démocratie ne fonctionne pas bien en France""Les élus et les dirigeants politiques sont plutôt corrompus""Les hommes politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pense les gens comme vous"

Profil idéologique et sociologique des électorats

Extrême gauche

Gauche modérée

Droite modérée

Extrême droite

Ensemble

Anti-homosexualité

33 32 59 68 49

Valeurs traditionnelles

50 42 71 73 63

Autorité 29 24 43 53 37Libéralisme économique

26 33 76 51 52

Anti-Europe 48 23 33 79 44Répression 44 25 48 82 47Xénophobie 46 30 56 98 58

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Hostilité au personnel politique

49 25 37 64 44

Selon le CEVIPOF, l'analyse de ce tableau permet de distinguer une tripartition de l'électorat en 2002 du fait d'une faible différenciation entre extrême gauche et gauche modérée.

Positionnement idéologique des électeurs du second tour

Electorat de J. Chirac

Electorat de JMLP

Abstentionnistes Ensemble des électeurs

"Il y a trop d'immigrés en France"

22 70 34 30

"Il faudrait rétablir la peine de mort

15 51 36 22

Les juifs ont trop de pouvoir en France

7 20 11 9

L'école devrait donner avant tout le sens de la discipline et de l'effort

54 78 62 59

La présence d'immigrés n'est pas une source d'enrichissement culturel

13 44 22 19

Il reste que bien des critiques peuvent être formulées à l’égard de ce type d’approche.

La première de ces critiques consiste à relever l’absence de prise en considération du « cens caché », pour le dire autrement, les formes organisées d’organisation et de représentation de l’incompétence politique d’une majorité de citoyens.Document n°39Très étrangement, les enquêtes actuelles sur les préférences des électeurs FN rejoignent les premières enquêtes électorales menées par Paul Lazarsfeld et son équipe sur les prédispositions sociales déterminant les orientations politiques mais sous une toute autre forme ; elles postulent une compétence universelle de l’électeur et sont, par là même, radicalement désociologisée par rapport aux conclusions de The people’s choice ou de Voting. « On pense politiquement en fonction de ce qu’on est socialement » affirment les politistes américains. « On pense politiquement en fonction de ce qu’on est idéologiquement », pourrait être la prémisse et la conclusion des analystes électoraux français. C’est qu’entre-temps s’est développée l’idée qu’il existait un « électeur mobile », rationnel et compétent (…) à laquelle tiennent les électoralistes français malgré les controverses qu’elle a suscitées. (…) Elle les

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oriente d’autant mieux qu’elle est avalisée par les responsables des instituts de sondage et les journalistes politiques avec lesquels ils sont en relation et qu’elle constitue leur identité professionnelle au sein de la science politique ».Collowald A., « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.128-129.

Document n°40« La plupart des politologues qui s’occupent de l’explication des votes ont laissé de côté les déterminants sociaux des votes et ne pratiquent pas vraiment de sociologie électorale. Ils ont recours à un modèle abstrait et irréaliste d’électeur : arbitre libre, conscient, politisé, rationnel et informé. Les corrélations entre statistiques électorales et données socio-démographiques bureau par bureau sont négligées, ils décrivent des électeurs qui se décideraient en fonction de la conjoncture (enjeux saillants, cotes des leaders, maux de société), de l’offre (choix en plusieurs programmes) et des médias (exposition à la couverture médiatique des campagnes). Cette vision suppose des électeurs très politisés et très attentifs, dotés d’un rapport à la politique en fait calqué sur celui des spécialistes, ce qui témoigne d’un biais ethnocentrique ».J. Le Bohec, « Sociologie du phénomène Le Pen », éd La Découverte, coll Repères, 2005, p.9.

Par ailleurs, il est difficile de mesurer une lepénisation des esprits ou une montée des valeurs de l’extrême droite sur longue période, dans la mesure où les échelles d’attitude ne sont pas figées, l’introduction du critère « anti-Europe » est nouvelle. Plus précisément, les techniques sondagières franchissent peu à peu les frontières de l’indicible comme le souligne A. Collowald, très directement en rapport avec l’évolution du discours politique et avec l’évolution des politiques publiques en particulier sur la question du droit d’entrée et de séjour des étrangers.

Document n°41« En 1971, un sondage SOFRES portait sur les représentations que les enquêtés se font des étrangers : « il y a actuellement en France de nombreux travailleurs étrangers ; ils occupent souvent des emplois pénibles. Pensez vous que la France fait un effort suffisant ou insuffisant pour leur permettre de se loger, leur donner une formation, les accueillir avec hospitalité, leur donner des salaires convenables ? » Aujourd’hui : « Est-il normal que les immigrés aient accès gratuitement à l’école, touchent des allocations familiales quand ils perdent leur emploi, aient des mosquées pour pratiquer leur religion ? » Comme on dit, autre temps, autre époque (mentale et morale) ».Collowald A., « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004.p.154.

L’hostilité au personnel politique est présentée comme une valeur spécifique, identifiable à l’électorat d’extrême droite, il n’est point présenté comme une forme « d’intelligence des masses », intuitive ou non . Les « ninistes » de l’électorat FN, « ni droite ni gauche », sont présentés comme étant nécessairement déficient en termes d’acquisition/accumulation de capitaux culturels, forme évoluée de l’expression, pour qualifier des individus en situation de « mal comprenance », qualification réservée bien évidemment - dans des termes souvent « euphémisés » - à des individus situés socialement dans les catégories populaires : ouvriers, employés, sans diplôme.

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Document n°42« Or, au regard des propriétés sociales de ces électeurs, ce refus a toute chance de ne pas être un refus politiquement constitué mais d’exprimer la distance sociale qui marque leur relation à l’univers politique. Le pas est alors franchi de transformer un signe de dépossession en signe de ralliement à la « cause FN » comme c’est le cas avec « l’échelle de défiance politique » ; sous cette même désignation politique, les scepticismes à l’égard de la politique sont assimilés à un rejet politiquement constitué. Des traits de la culture populaire, depuis longtemps mis en avant, comme l’indifférence aux choses intellectuelles et politiques, sont alors convertis en dispositions « anti-politiques » et « anti-intellectuelles » et mis au compte d’une adhésion à un réquisitoire qui, par la voix des dirigeants FN et dans la lignée des héritages d’extrême droite, dénonce « l’establishment » la « corruption des hommes politiques », leur « mépris pour les petits ».Collowald A., « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004.p.154.

- Un électorat situable   ?

Des analyses du CEVIPOF, en ressort nécessairement, l’idée de l’émergence d’un vote identitaire d’électeurs convaincus, donc des « salauds » pour reprendre une terminologie de B. Tapie,.

Selon le CEVIPOF (« Le vote de tous les refus »), on peut également relever que c'est un électorat qui fait preuve d'une constance dans son choix. Sur 100 électeurs du FN au premier tour de la présidentielle de 2002, 78 ont voté pour lui au second, 15 pour Jacques Chirac, 7 se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. De la même façon, on peut relever qu'il s'agit d'un électorat ancré à droite si on relève que sur 100 électeurs de JMLP au 1er tour de la présidentielle, 44 au premier tour des législatives ont choisi le candidat FN, 1 le MNR, 21 ont voté à droite, 6 à gauche et 28 se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul.

Mais de ce point de vue, A Collowald conteste l’idée qu’il existerait un électorat stable du FN.

Pour elle, reprenant les analyses de P. Lehingue, « contrairement (…) à l’idée d’un électorat unifié, permanent, cohérent, discipliné, loyal et stabilisé par paliers successivement croissants que tendent à imposer les électoralistes la reconstitution (même problématique) des itinéraires de vote des électeurs FN entre 1993 et 1997 révèle un « électorat passoire » dont le taux de renouvellement est supérieur à 55%. La proportion des électeurs qui lui sont restés systématiquement fidèles n’excède pas 3% du corps électoral inscrit alors qu’inversement le nombre de ceux ayant, au moins et ne serait-ce qu’une fois, apporté leurs suffrages au FN ou à son leader est important : « Pour la seule élection présidentielle de 2002, et compte tenu du chassé-croisé entre les deux tours, près de sept millions et sur les deux dernières décennies probablement un peu plus d’un électeur inscrit sur quatre » … La forte oscillation du vote FN qui entraîne une incessante recomposition de l’électorat frontiste réfute l’homogénéisation sociale affirmée ».A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.148

Evaluation de la pénétration électorale de JMLP et du FN de 1995 à 2002

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P19951er tour

L.19971er tour

P2002.1er tour

P20022ème tour

L.20021er tour

Ensemble 14 15.5 17 18 12homme 17 19 20 22 13Femme 11.5 12 14 15 1018-24 ans 17 16 13 12 925-34 ans 19 19 17 18 1435-49 ans 15 15 18 20 1350-64 ans 12 16 21 15 1465 ans et plus 9 12 15 18 7Agriculteurs 11 2 21 14 4Commerçants et artisans

22 18 20 17 10

Cadres sup, prof lib,

5 13 12 12 10

Enseignants 2 2 0 0 3Prof interm 17 12 10 15 6Employés 19 16 23 21 15Ouvriers 19 22 24 25 13A son compte 13 12 21 21 7Salariés du secteur public

13 15 14 15 11

Salarié du secteur privé

15 17 20 19 13

Chômeurs 26 13 20 30 22Primaire 16 17 24 25 17Primaire supérieur

18 20 21 23 12

Baccalauréat 11 9 15 15 9Bac +2 13 8 11 10 8Supérieur 4 12 7 9 9Catho pratiquant régulier

7 7 12 15 9

Catho pratiquant irrégulier

12 13 18 18 11

Catho non pratiquant

17.5 19 20 19 13

Autres religions

15 17 13 9 9

Sans religion 13 14 15 19 11Plutôt à gauche 12 6 6 8 4Plutôt à droite 15 20 25 23 19Ni gauche, ni droite

15 28 23 25 15

Source : CEVIPOF

A . Collowald souligne que ce type d’enquête n’est pas sans poser des problèmes dans la

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mesure où les catégories socio-professionnelles sont sujettes à caution.Pour n’en prendre qu’une celle des ouvriers, n’a t-on point ici, une formulation de l’idée

que les ouvriers constituent le premier réservoir de suffrage pour le FN, alors que toutes les études :

- démontrent que le premier parti des ouvriers - au fur et à mesure du déclin des organisations en charge de la représentation de leurs intérêts, en charge du maintien de leur « culture » et de leur sociabilité - est celui de l’abstention ;

Document n°43« (…) le désengagement des ouvriers à gauche ne profite pas au FN mais nourrit le retrait social et politique ; en même temps, l’affaiblissement des organisations parlant au nom de la classe ouvrière et suscitant ou renforçant des sentiments d’identification au groupe social provoque la perte du sens de leur place sociale chez les ouvriers. Plus qu’auparavant, ils sont livrés à eux-mêmes dans l’expérience de leur différence aux autres groupes sociaux sans trouver des organisations structurées ou des représentations établis pour les protéger des mécanismes de la domination (et de l’humiliation) sociale. L’éclatement de leurs orientations électorales en est le meilleur indicateur ».A.Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.144.

Document n°44« (…) si l’on s’attache à la composition sociale interne de l’électorat FN, sur la base des mêmes données, on relève 31% d’ouvriers. On peut légitimement s’interroger sur le paradoxe qu’il y a à voir dans le FN un parti ouvrier alors que dans l’électorat frontiste 69% n’appartiennent pas aux classes populaires et que d’autres catégories sociales (les petits commerçants, artisans, patrons) votent à même hauteur que les ouvriers (31%). C’est d’ailleurs sur cette hétérogénéité sociale qu’insistent certains articles de ces spécialistes électoraux pour ensuite très vite l’oublier dans leurs commentaires publics. Depuis ces résultats produits à chaud en 2002, les données ont été revues considérablement à la baisse (23% d’ouvriers toujours sur la base de sondages mais cette fois panellisés et toujours selon les suffrages exprimés) sans que le commentaire pourtant ne s’en trouve affecté : le FN reste toujours un parti ouvrier, le vote dont il bénéficie un « vote populaire » alors même que le groupe « commerçants artisans et patrons » (22%) et celui des agriculteurs (22%) offrent tout autant qu’eux leurs suffrages au FN. Alors que ce vote connaît une progression fulgurante chez les « cadres et professions intellectuelles » : 4% en 1995, 13% au premier tour de la présidentielle de 2002, ces « résultats », issus des mêmes données, ne suscitent pas la moindre remarque pas plus qu’ils n’infléchissent le discours dominant. Tout récemment, enfin, les pourcentages se sont encore affaiblis et d’autres catégories sociales dépassent les « ouvriers ». En raisonnant sur les inscrits et non plus sur les suffrages exprimés (c’est-à-dire en incluant les abstentionnistes), les votes ouvriers pour le FN tombent à 18% (pour 22% à la droite, 29% à la gauche, 31% pour l’abstention, celle-ci étant en progression de 11 points depuis 1995, alors que le vote en faveur du vote FN est en progression de 1 point. Les taux diminueraient encore si l’on prenait en compte la non inscription sur les listes électorales). Or toujours selon les mêmes sources, 26% de professions libérales votent FN ».A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.164-165.

- l’hétérogénéité des PCS.

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Document n°45« Que représente exactement la catégorie d’ouvriers quand les différents groupes qui la composent ne sont jamais répartis de façon identique selon les goûts, les attitudes, et les comportements électoraux ? Quand tout sépare les « contremaîtres » (moins dominés que les autres dans leur travail et leur vie quotidienne, plus qualifiés et votant plus à droite) des ouvriers qualifiés, des ouvriers spécialisés, des manœuvres (votant plus à gauche) ? Quand ces différents sous-groupes se subdivisent encore selon les entreprises où ils sont employés, le type de métier qui est le leur, leur statut et leur revenu ? Non seulement le rapport au travail n’est pas le même et varie selon la profession et selon les conditions d’exercice de la profession mais le type de diplôme et la valeur de celui-ci changent également. Ces situations concrètes d’existence ne sont pas sans effet sur le rapport au monde et aux autres, les sentiments de dignité ou d’indignité sociales, les perceptions de l’avenir qui se traduisent dans des rapports au politique différemment agencés. L’on peut faire les mêmes remarques sur toutes les autres catégories retenues. Qu’est-ce que le groupe des « cadres », qui réunit gens du privé et gens du public (…) »A. Collowald, « « Le populisme du FN », un dangereux contresens », éd du croquant, 2004, p.122-123.

La prise en compte du niveau d’instruction n’est également pas exempt de toute critique négative. Il y a dans cette façon d’associer niveau de diplôme obtenu et niveau de vote pour le FN, une forme de développement de l’idée que le vote FN est « soluble dans l’intelligence » entendu comme niveau de diplôme certifié obtenu.

Le fait que les enseignants votent à une infime minorité pour le FN peut très bien cacher, pour une partie d’entre-eux, une adhésion sur le fond –mais non sur la forme – à leurs thèses, mais par conséquent non repérables statistiquement.

Entre l’ouvrier qui mesure moins bien face à un enquêteur les effets de son « coming-out » et qui va formellement déclarer que les « arabes sont des « crouilles » qu’il convient de rejeter à la mer » ; et l’enseignant, toujours soucieux de l’image de soi, qui, par souci de prendre malgré tout les tribulations du jeune enquêteur et déclarant qu’entre les immigrés et les français, « il y a un problème de socio-style », quelle est la différence ?

Si ce n’est que l’enquêteur va classifier le premier dans la catégorie des xénophobes affirmés, ayant pourtant « Mohamed comme ami » et « Mouloud comme voisin » avec qui il s’entend très bien, « parce que ce n’est pas pareil », « parce que ce n’est pas la même chose » ; et le second, n’étant pas dans les catégories de l’indicible dans l’inacceptable et dans la xénophobie déclarée, ayant Linda, d’origine portugaise, comme aide à domicile.

Mais surtout, cette prise en compte du niveau de diplôme peut finalement n’avoir que peu de sens en termes de savoirs et de connaissance accumulés, en termes de capitaux culturels accumulés, de rapport aux savoirs, à l’école, etc.

Pour résumer les critiques que l’on peut adresser aux études du CEVIPOF, selon Pierre Le Hingue, il y aurait « six prénotions dans les routines du CEVIPOF : l’électeur FN existerait, se consoliderait et disposerait d’une consistance certaine ; ce vote serait fortement lié à la personnalité charismatique de son leader ; l’électorat FN puiserait dans l’ancien électorat communiste ; raciste et xénophobe, le vote FN serait un single issue vote centré sur le seul problème de l’immigration ; le vote FN resterait un vote d’extrême droite et/ou un vote populiste ; les usagers de la marque FN trahiraient des convictions politiques »85.

85 J. Le Bohec, « Sociologie du phénomène Le Pen », éd La Découverte, coll Repères, 2005, p.9-10.

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- Les leçons des élections de 2002 selon le CEVIPOF

Selon le CEVIPOF, on peut relever que l'élection de 2002 traduit une instabilité et une fragmentation du système partisan : montée en puissance des extrêmes et de listes organisées autour d'un groupe de pression telle que "Pèche, Chasse, Nature et Tradition".

Document n°46

L’irrésistible ascension des extrêmes (gauche et droite86) aux élections présidentielles

Année 1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002Suffrages en %

5.3 1.1 2.69 2.3 16.79 20.3 29.79

L’Histoire, n°275 avril 2003

Et on peut également noter que les scores additionnés des deux candidats arrivés au second tour ne cesse de diminuer depuis 1974 et ce jusqu’en 2002. 1974 : 75%, 1981 : 54%, 1988 : 54%, 1995 : 44%, 2002 : 36%.

Document n°47L’arrivée au second tour de JMLP ne peut être considérée tout à fait comme une

surprise, dans la mesure où comme le relève J. Gerstlé, il y a eu anticipation généralisée d’une présidentielle à premier tour joué, doublée d’une pression d’un agenda sécuritaire. La responsabilité des médias est difficilement niable, trois avant le premier tour, le temps consacré à l’insécurité par TF1 était égal à la couverture des activités politiques et électorales. Selon J. Gerstlé, « il est permis de penser que la couverture médiatique d’ensemble de la campagne présidentielle n’est sans doute pas très éloignée de ce que l’on a vu de pire en la matière depuis quelques décennies en France ».Dans la même perspective, Arnaud Mercier relève une raréfaction de l’espace consacré au politique dans les journaux télévisés.

Mais l’arrivée au second tour de J.M.L.P s’explique également par une campagne désastreuse de Lionel Jospin, 50% des sympathisants socialistes lui ont fait défaut, électeurs acquis au libéralisme culturel et réservé ou hostiles au libéralisme économique.Electeurs de gauche, pour qui les enjeux essentiels sont, dans l’ordre : le chômage, les inégalités sociales et la délinquance ; électeurs de droite, pour qui les enjeux sont en priorité, la délinquance, le chômage et les inégalités sociales dans une très faible mesure.

Sur ces préférences de la demande électorale, L. Jospin était concurrencé dans son électorat par son propre camp et peu crédible sur la délinquance, tandis que J. Chirac était en meilleure position, seulement concurrence sur la question de la délinquance par J.M.L.P.

Pour J. Jaffré, le candidat socialiste avait besoin d’un haut niveau de politisation pour toucher le maximum d’électeurs. Plus l’intérêt pour la politique est élevé, plus les électeurs

86 Relevons ici qu’il est très tendancieux politiquement et sociologiquement d’associer vote pour l’extrême gauche et vote pour l’extrême droite. Jusqu’à preuve du contraire, je continue à considérer que l’extrême gauche défend un projet de démocratisation de l’ensemble des sphères d’activité sociales, certes, on peut ergoter et même plus sur les distinctions entre LO, POI (ex PT) et NPA (ex LCR), mais en termes de démocratie, les programmes de ces organisations sont aux antipodes du Front national. Une telle présentation est cependant classique sur les plateaux de télévision. En outre et généralement, la plupart des commentateurs « journalistes » surajoutent les abstentionnistes pour qualifier ce « paquet électoral » (extrémistes de tous bords et abstentionnistes) comme électorat hors système, protestataire, anti-système, bref, non raisonnable, inquiétant, voir dangereux, remettant en cause la nécessité d’une démocratie non conflictuelle, pacifiée et consensuelle …..

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votent pour le candidat socialiste. En revanche, le Président se nourrit de la faible mobilisation.

Il reste enfin à mesurer l’évolution de l’électorat frontiste depuis 2002.Relevons en premier lieu, que le second tour de la présidentielle se transforme en « référendum anti-Le Pen », plus de 82% des suffrages exprimés en faveur de Jacques Chirac. A ce niveau, l’électeur frontiste est mis en situation de comprendre que son parti n’a aucune possibilité d’accéder par la voie démocratique au pouvoir. Le Front national est isolé politiquement, lorsqu’il arrive au second tour, il est dans l’incapacité d’élargir son assise. Cela se traduit par un net effondrement du vote frontiste aux législatives de 2002, 11.11% des suffrages exprimés au premier tour.

Document n°48 : Résultats du premier tour législatives 2002Famille politique

Nombre de voix obtenues

Suffrages exprimes (%)

En % des inscrits

Sièges (1er

tour)Sièges (second tour)

Extrême gauche

737 931 2.86 1.80 0 0

Dont LCR 328 620 1.27 0.80 0 0LO 303 288 1.18 0.74 0 0Total gauche 9 662 901 37.47 23.61 2 178Dont PS et PRG

6 519 691 25.28 15.93 2 141+7

PC 1 210 913 4.70 2.96 0 21Verts 1 142 723 4.43 2.79 0 3Pôle républicain

313 589 1.22 0.77 0 0

Divers gauche 475 985 1.85 1.16 0 6Divers 908 879 3.52 2.22 0 0Dont CNPT 422 851 1.64 1.03 0 0Total droite 11 259 909 43.66 27.51 56 399Dont UMP 8 826 543 34.23 21.56 48 369UDF 1 081 368 4.19 2.64 6 22Autres 1 121 296 4.35 2.74 2 8Total extrême droite

3 218 282 12.48 7.86 0 0

Dont FN 2 865 173 11.11 7.00 0 0MNR 278 524 1.08 0.68 0 0

Son résultat au second tour des législatives est non significatif dans la mesure où la plupart de ses candidats ne peuvent se maintenir.

Document n°49Résultats de l’élection législative de 2002 (deuxième tour)

Inscrits 36 788 231Votants 22 178 500Abstentions : 39.71%Blancs ou nuls : 4.36%Exprimés : 21 212 502

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Familles politiques

Nombre de voix obtenues

Suffrages exprimés (%)

En % des inscrits Nombre de sièges

Total gauche 9 613 643 45.32 26.13 178Dont PS 7 505 582 35.38 20.40 141PC 648 758 3.06 1.76 21Autres 1 489 651 7.02 4.05 16Total droite 11 206 086 52.83 30.46 399Dont UMP 10 368 555 48.88 28.18 369UDF 594 761 2.80 1.62 22Autres 212 422 1.00 0.58 8Front national 392 773 1.85 1.07 0La droite détient 70% des sièges à l’Assemblée avec 30% des inscrits, effet du scrutin majoritaire à deux tours

A partir de 2002, le climat politique change, paradoxalement, la gauche « reprend rapidement des couleurs » et ce en raison d’un changement de la nature de l’agenda politique. La question économique et sociale revient sur le devant de la scène excluant de fait le Front national du débat au regard de son improbable programme et de son caractère fondamentalement injuste envers les classes populaires. Changement qui en réalité avait commencé à se dessiner au milieu des années 90, symboliquement à travers le mouvement de novembre-décembre 1995 contre le projet de réforme de la sécurité sociale porté par le gouvernement d’Alain Juppé.

La période 2002-2007 est marquée par toute une série de contestations, rendant fort probable une victoire de la gauche aux présidentielles :

- fort mouvement de contestation de la réforme des retraites en 2003 ;- lourde défaite de la droite aux régionales en 2004 ;- fort mouvement en 2006 de contestation du « Contrat premier emploi » (CPE).

A ce stade, l’élection présidentielle est « imperdable » pour la gauche. Mais, la querelle des égo au sein du parti socialiste, la division de la gauche sur la question européenne vont remettre en selle le candidat de l’UMP, M. Nicolas Sarkosy, qui chassera, « braconnera » sur les terres du Front national avec succès. Ici, les politologues s’entendent globalement pour interpréter cette victoire en partie par ce qu’ils appellent « l’effet campagne ».

N’en déplaise aux conseillers de Mme Ségolène Royal, sa campagne ne fût point à la hauteur des enjeux, insuffisamment axée sur les questions d’ordre économique et social.

Quant au terrain des questions sociétales, défendre « l’ordre juste » finissait par donner un ton conservateur, à défendre juste un ordre si je puis me permettre de reprendre une formule de Laurent Fabius, lors de la pitoyable guerre des égo de 2007 au sein du PS.

Plus précisément, suite à une analyse simpliste des résultats des élections présidentielles de 2002, des régionales de 2004, à la non prise en compte du résultat du référendum sur le « Traité instituant une Constitution pour l’Europe »87, le parti socialiste s’est contenté de 87 A ce sujet, le parti socialiste n’a toujours pas véritablement clarifié sa position en la matière, le Traité de Lisbonne qui est une copie « ni mini, ni simplifié » du TICE a été ratifié par voie parlementaire sans que cela génère un fort courroux des parlementaires socialistes. Traité de Lisbonne qui, pour être modifié nécessite l’unanimité des actuels 27 membres de l’Union, autant dire, qu’un grand risque a été pris, d’assujettir les générations futures à nos actuelles normes, lesquelles en matière de fiscalité européenne, de politique sociale, budgétaire, économique ne présentent guère d’aspects progressistes. Il est d’ailleurs assez drôle de constater que les socialistes relèvent que le retrait de la taxe carbone annoncé par le chef de l’Etat le 23 mars 2010 jusqu’à obtention d’une position commune de l’Union, signifie à leurs yeux qu’il n’y aura jamais de taxe carbone …..

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travailler à la limitation de l’offre électorale à sa gauche. Très rapidement, le MRG et le MDC ont été invités à rejoindre - après négociation des circonscriptions pour les prochaines législatives - les rangs de la candidate socialiste. Voilà une stratégie qui allait assurer le passage du premier tour, puisque l’on évitait la dispersion des voix, et une victoire triomphale au second tour. Le PS versait dans une période « sondolatre » du « devoir de victoire » ?Sauf que ….Sauf qu’il manquait et manque toujours quelque chose dans le logiciel interprétatif des résultats de 2002 :

- le parti socialiste en la personne de son candidat Lionel Jospin ne figure pas au second tour, en raison non d’un mauvais bilan mais d’un projet aux contours pour le moins flou ;

- pire encore, les sondages sorties des urnes, selon le CEVIPOF, du premier tour, donnait en cas de duel Lionel Jospin/Jacques Chirac, la victoire de ce dernier, il y avait plus d’abstentionnistes à droite qu’à gauche au premier tour.

Ce défaut d’interprétation a, de 2002 à 2007, généré une attitude légère du parti socialiste, consistant :

- à se contenter de surfer sur les différentes vagues de mécontentement ;- à enregistrer une nette victoire aux régionales (preuve que le pouvoir est à portée de

main, reste à déterminer la distribution des « maroquins » et des responsabilités).

Deux éléments qui l’on conduit à effacer très rapidement le psycho-drame identitaire du résultat au référendum sur le traité instituant une Constitution pour l’Europe, considérant au bout du compte, que la victoire aux présidentielles serait:- d’abord et avant tout le résultat d’un vote contre le bilan de la droite ;- le résultat d’un bon casting.

C’était encore une fois oublié, que sans projet, l’électorat socialiste est flottant, la défaite de 2002 est d’abord le résultat du fait que 50% des sympathisants socialistes n’ont pas voté socialiste au premier tour mais ont préféré des candidats de la gauche de la gauche, gauche de la gauche qui a d’ailleurs disparu dès les élections législatives (preuve qu’il n’y avait pas de vote identitaire vis-à-vis des organisations d’extrême gauche ).

L’élection présidentielle de 2007 se présentait d’une façon différente certes, mais le PS a persévéré dans son erreur de 2002 :

- un projet flou, une candidate qui fustige un jour « l’Etat colbertiste jacobin » (discours de Villepinte le 11 février 2007) pour trois semaines plus tard en appeler à l’Etat pour sauver Airbus, j’arrête ici la liste … . Une absence de projet politique clairement alternatif à celui de la droite, un parti socialiste qui a quasiment réussi à dissoudre la gauche, environ 35% de l’électorat au premier tour ; à désespérer tous ceux qui se sont investis dans les mouvements sociaux depuis 2002 (et même depuis 1995 pourrait-on dire).

Il reste que l’élection présidentielle de 2007 marque une rupture dans les évolutions précédemment décrites. On note certes la confirmation d’un effondrement du score de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen obtenant 10.51% des suffrages exprimés, lié à un transfert d’électeurs vers le candidat de l’UMP ; effondrement confirmé lors des législatives (4.70% des suffrages exprimés), un seul candidat du FN a pu se maintenir au second tour, en

Mémoire gommeuse quand tu nous tiens ….

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l’occurrence une candidate Marine Le Pen.Mais la rupture réside également dans les faits  :

- que les deux candidats arrivés en tête aux présidentielles recueillent 56 .94% des suffrages exprimés, un « vote utile » à gauche comme à droite s’est exprimé ;

- d’une lourde défaite de la gauche (35% des suffrages exprimés) au premier tour, le PS ne disposant que peu de réserves à sa gauche et ne sachant que faire de l’électorat de François Bayrou, électorat qui se disloque dès les élections législatives de juin 2007.

Document n°50Résultat du premier tour, présidentielle 2007

TotalInscrits 43 651 575Votants 36 929 117Abstentions 15.40%Blancs ou nuls 1.44%Exprimés 36 395 644

Candidats Suffrages exprimésNicolas Sarkozy 31.11%Ségolène Royal 25.83%François Bayrou 18.55%Jean Marie Le Pen 10.51%Olivier Besancenot 4.11%Philippe de Villiers 2.24%Marie-George Buffet 1.94%Dominique Voynet 1.57%Arlette Laguiller 1.34%José Bové 1.32%Frédéric Nihous 1.15%Gérard Schivardi 0.34%Source : Le Monde, mardi 24 avril 2007.

Un résultat de la gauche qui est nettement minoritaire suite au premier tour des élections législatives, mais atténué suite au second tour de ces mêmes législatives.

Document n°51Résultat des principales formations politiques au premier tour Législatives 2007

Inscrits 43 888 483Votants 26 525 147Abstentions 39.56%Blancs ou nuls 1.89%Exprimés 26 022 790

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Formations politiques Nombre de voix obtenues Suffrages exprimés en %Extrême gauche 895 863 3.44%PCF et apparentés 1 202 834 4.62%PS et apparentés 7 200 572 27.67%Verts 844 581 3.25%MoDem 2 019 827 7.76%UMP et apparentés 11 844 824 45.52%Extrême droite 1 223 570 4.70%Divers 790 719 3.04%Source : Le Monde, Mardi 12 juin 2007

Document n°52Résultat du second tour des législatives (2007)

La nouvelle assemblée nationale (Scrutin majoritaire à deux tours)

Formations politiques Nombre de sièges obtenusPCF 18PS 184PRG 7Divers gauche 14Verts 4MoDem 4Divers 3Divers droite 8PSLE 20UMP 313MPF 2Source : Le Monde, Mardi 19 juin 2007

Reste à analyser les résultats des élections des régionales de 2010 pour tenter de savoir, où en est le Front National aujourd’hui.Force est de constater qu’il retrouve des scores conséquents, en particulier ceux de Jean Marie Le Pen et de Marine Le Pen respectivement en PACA et dans le Nord Pas de Calais, résultats à nuancer au regard de taux d’abstention record.

Toujours est-il que le FN enregistre en moyenne au premier tour des régionales 2010, 11.6% des suffrages exprimés. Là où le FN peut se maintenir au second tour, soit dans 12 régions sur 22 (au lieu de 17 en 2004 tout de même) en France Métropolitaine, il enregistre une progression de son score, son électorat n’a pas jugé bon de voter « utile » pour que les listes UMP passent en tête et remportent les élections.La victoire de la gauche, 20 régions remportées sur 22 en France métropolitaine n’est pas du au fait de triangulaire PS/UMP/FN, seules les régions Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Picardie, et PACA sont remportées par la gauche par une majorité relative, mais très proche de la barre des 50% des suffrages exprimés.

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L’UMP est étrillée avec 26.3% des suffrages exprimés au premier tour.Il est à noter que lorsqu’il y a eu affrontement – duel gauche/droite au second tour, la défaite est encore plus cuisante pour l’UMP ; ceci explique pourquoi le soir de la défaite la droite parlementaire et républicaine n’a pas insisté sur l’idée qu’il y aurait défaite de son camp à cause des triangulaires, à cause d’une pseudo « alliance objective » entre le FN et le PS.

Document n°53

Régionales 2010, 1er

tour

PS UMP EuropeEcologie

FN Front de gauche

MoDem NPA LO

% des SE 29.5 26.3 12.5 11.6 6.1 4.3 3.4 1.1Source : Le Monde , 16 mars 2010, Ministère de l’Intérieur

Résultats du premier tour des régionales :Inscrits : 42 426 578Votants : 19672 197Abstention : 53.63 %Blancs ou nuls : 3.72%Exprimés : 18 940 974

Résultats du premier tour des régionales en Métropole

Nombre de voix

% des suffrages exprimés

% des inscrits

Total Gauche 9 468591 49.99 22.32PS/PRG/MRC 5 595 180 29.54 13.19Europe Ecologie

2 360 655 12.46 5.56

Front de Gauche

1 156 962 6.11 2.73

Total droite 5 167 990 27.28 12.18Extrême Droite

2 432 035 12.84 5.73

Modem 816 260 4.31 1.92Extrême Gauche

672 834 3.55 1.59

Divers 383 264 2.02 0.90

Source : Le Monde , 16 mars 2010, Ministère de l’Intérieur

Le score du second tour vient amplifier la défaite de la droite parlementaire et républicaine.

Document n°54Résultats du premier tour des régionales :Inscrits : 42 434 822Votants : 21 676 467Abstention : 48.92 %Blancs ou nuls : 4.59%

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Exprimés : 20 681 574

Résultats du deuxième tour des régionales en Métropole

Nombre de voix

% des suffrages exprimés

% des inscrits

Nombre de sièges 2010

Nombre de sièges 2004

Total Gauche 11 190 789 54.11 26.37 1119 1189Total droite 7 317 087 35.38 17.24 460 527FN 1 943 463 9.40 4.58 118 156

Source : Le Monde , 23 mars 2010, Ministère de l’Intérieur

S’agissant du score du Front national, il convient de le relativiser largement, comme bien évidemment d’ailleurs l’ensemble des scores des différentes listes au regard du taux d’abstention. De le relativiser :

- au regard du fait qu’il est encore très loin de ses résultats historiques, il serait donc contre - productif pour la démocratie que de refaire du FN un épouvantail, que de le laisser ou de laisser à la droite extrême, à certains médias, le soin de fixer l’agenda politique. Comme nous avons essayé de le montrer, la « fonction d’agenda » est fondamentale, elle renvoie aux vieux enseignements d’Antonio Gramsci88 selon lesquels, la question de l’hégémonie culturelle, la question idéologique, la question de la représentation dominante de la réalité sociale sont essentielles pour celles et ceux qui veulent changer le monde. La droite et l’extrême droite l’ont compris au milieu des années 70, Tony Blair de son côté l’avait également saisi et notre actuel chef de l’Etat également, lequel continue à occuper, envahir l’espace public de débat sur des thèmes qui fleurent bon l’extrême droite ou la droite extrême ;

- au regard du fait, que les valeurs portées par l’extrême droite sont en recul, selon les études les plus récentes du CEVIPOF (appréciation portée par les citoyens sur l’abolition de la peine de mort, sur l’immigration, sur les mariages mixtes, sur l’homosexualité, etc ….) . S’il y a « lepénisation des esprits », elle ne touche qu’une fraction de l’électorat de la droite parlementaire et républicaine.

Il en résulte qu’il revient à la gauche - dans toutes ses composantes, mais en particulier le parti socialiste en tant qu’à ce jour parti dominant de la gauche - d’être déterminante sur ce qui doit faire sens dans les prochaines élections, de ne pas se laisser dicter le choix des questions essentielles. Pour lutter contre le bonapartisme ambiant, il convient de se souvenir d’un des préceptes de Napoléon Bonaparte : pour gagner une bataille, l’enjeu premier est de déterminer son lieu . Friedland en est un exemple illustre.

88 Communiste italien mort dans les prisons de Mussolini, un Mussolini que l’on réhabilite aujourd’hui en Italie, dans les actes, les idées et les urnes

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