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Au nom de Dieu
Revue des Études de la Langue Française
Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan
Sixième année, N° 10 Printemps-Été 2014, ISSN 2008- 6571
ISSN électronique 2322-469X
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Revue des Études de la Langue Française Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan
Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014 ISSN 2008- 6571
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TTaabbllee ddeess mmaattiièèrreess
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe du FLE en Iran A. Assadnejad, R. Letafati, H. Foroughi & H-R. Shairi
1 - 16
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne de la guerre dans Les Enfants du nouveau monde F. Alavi & Z. Rezvantalab
17 - 36
L’incipit dans les contes philosophiques de François Voltaire: Etude sélective de Candide et Micromégas N. Azimi-Meibodi & M. Ziaee
37 - 48
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace de rencontre A. Ghiasizarch & F.Yecta Mard
49 - 60
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire J. F. R. Gnayoro
61 - 74
Étude comparative du "Perfectionnisme", chezMowlânâet Alfred de Vigny M. MahdaviZadeh
75 - 90
Abstracts Résumés en persan
91
_____________________________________
**** [email protected]
Enseignement explicite des stratégies de lecture
en classe du FLE en Iran
Assadnejad, Azam*
Doctorante à l'université TarbiatModares, Téhéran, Iran
Letafati, Roya**
Maître de conférences, Université TarbiatModares, Téhéran, Iran
Foroughi, Hassan***
Professeur, Université ShahidChamran, Ahvaz, Iran
Shairi, Hamid Reza****
Maître de conférences, Université TarbiatModares, Téhéran, Iran
Reçu: 04.03.2013 Accepté: 26.10.2013
Résumé
En didactique du FLE, la lecture est considérée comme l’une des compétences majeures à acquérir par
les apprenants. Les cours de lecture ont pour objectif de développer les stratégies de lecture des apprenants
et à les rendre capables d’établir une communication écrite à partir d’un texte. Cependant les expériences
nous montrent que la plupart du temps l’enseignement de la lecture en langue étrangère en Iran est mis au
service d’autres compétences et il ne met pas à la disposition des apprenants les outils nécessaires pour
mieux explorer le texte. Cet article s’intéresse à l’enseignement des stratégies de lecture d’une façon
explicite au cours du FLE en Iran. Notre recherche montre que l’enseignement explicite des stratégies de
lecture peut aider les apprenants iraniens du FLE à surmonter leurs difficultés de compréhension et les
orienter vers l’autonomie. Il est à noter que, dans un tel enseignement, l’enseignant joue un rôle
significatif.
Mots clés: didactique du FLE, compétences, stratégies de lecture, enseignement explicite, cours de
lecture.
Introduction
Selon Chauveau (1990: 31), Giasson
(1995:152), Pierre (2003:12) "Lire, c’est
comprendre" et la lecture constitue l’une des
compétences principales vers lesquelles est
orienté tout l’enseignement du FLE. De ce
fait, il faut considérer le cours de lecture
comme l’un des cours fondamentaux en
didactique de langue étrangère pour les
apprenants et également pour les enseignants
du FLE. C’est grâce à ce cours que les
apprenants peuvent apprendre plusieurs
choses: les genres et les types de textes, les
formes d’écrit et d’expression, les règles
grammaticales, les différents emplois des
mots et leurs sens dans le contexte. C’est
dans ce cours qu’ils doivent apprendre
comment activer et mobiliser leurs
connaissances antérieures concernant un
sujet et faire un bon choix parmi les
2/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
stratégies de lecture afin d’arriver au sens du
texte.
Les expériences sur le processus de lecture
montrent que les étudiants ne savent pas
comment se tirer d’affaire quand ils
rencontrent un problème en lecture. Certains
manquent de stratégies de lecture, d’autres
utilisent des stratégies dysfonctionnelles ou
s’en tiennent à une seule stratégie. Malgré
cette situation, les pratiques des enseignants
demeurent largement traditionnelles en se
préoccupant essentiellement de
l’enseignement des connaissances
déclaratives.
Dans cet article, nous nous proposons de
répondre à la question suivante:
l’enseignement systématique et explicite des
stratégies de lecture peut-il aider le lecteur
débutant en classe du FLE à surmonter ses
difficultés de compréhension en lecture?
Nous partons de cette hypothèse que cet
enseignement explicite des stratégies de
lecture permet aux apprenants iraniens du
FLE de mieux saisir le sens du texte et les
conduit vers une sorte d’autonomie. Notre
objectif est de démontrer la nécessité de
l’enseignement systématique des stratégies
de lecture en classe du FLE et de préciser la
manière dont les stratégies de lecture
devraient être enseignées.
Pour cerner le cadre théorique de cette
recherche, nous commencerons par définir
ce qu’est une stratégie. Nous établirons
ensuite la distinction entre les stratégies
d’apprentissage et les stratégies
d’enseignement. Nous soulignerons la
pertinence de l’enseignement des stratégies
de lecture et finalement nous énumérerons
les différentes caractéristiques du bon et
mauvais lecteur et nous parlerons du rôle de
l’enseignant dans un cours de lecture.
Dans cette étude, nous avons donné
également place à une recherche
expérimentale. Celle-ci a été effectuée dans
les cours de lecture de textes simples avec
les étudiants en première année du
département français de la faculté des
Sciences Humaines de l’Université
ShahidBeheshti à Téhéran1.
1. Qu’est-ce qu’une stratégie?
Depuis une trentaine d’années, les
recherches dans le domaine de la
compréhension en lecture ont connu un essor
remarquable. Durant ces années, la
définition de stratégie a beaucoup évolué.
Pressely et Harris la définissent comme une
opération cognitive ou métacognitive
complexe qui permet d’atteindre un but
1. Ici, nous tenons à remercier notre collègue
Monsieur le Docteur Abassi qui nous a permis de
réaliser cette enquête dans ce département.
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 3
déterminé à l’aide d’une suite d’actions
réalisées de manière consciente ou non
(2006:268). Pour Legendre, la stratégie, au
sens plus général, signifie une «manière de
procéder pour atteindre un but spécifique»
(1993:1184). Au sens spécialisé, il s’agit
d’un«plan général et bien établi, composé
d’un ensemble d’opérations ingénieuses et
agencées habilement, en vue de favoriser au
mieux l’atteinte d’un but compte tenu d’une
situation dont les principaux paramètres sont
connus» (Legendre, 1993:1184). Tardif
pense que les stratégies sont des
connaissances. Elles peuvent donc être
apprises et emmagasinées dans la mémoire à
long terme des apprenants. En didactique des
langues, on peut, selon Tardif, parler de deux
types de stratégies: les stratégies
d’apprentissage et les stratégies
d’enseignement. Les premières sont
appliquées par les apprenants et les secondes
par les enseignants (1992: 50).
1.1 Les stratégies d’apprentissage
Selon Legendre, une stratégie
d’apprentissage est un «ensemble
d’opérations et de ressources pédagogiques,
planifié par le sujet dans le but de favoriser
au mieux l’atteinte d’objectifs dans une
situation pédagogique» (1993:1185). Paul
Cyr répartit les stratégies d’apprentissage en
trois grandes catégories: les stratégies
métacognitives, les stratégies cognitives et
les stratégies socio-affectives. «Les
stratégies métacognitives consistent
essentiellement à réfléchir sur le processus
d’apprentissage, à comprendre les conditions
qui le favorisent(…). Les stratégies
cognitives impliquent une interaction entre
l’apprenant et la matière à l’étude(…). Les
stratégies socio-affectives impliquent une
interaction avec les autres (locuteurs natifs
ou pairs)» (1998:42-55). Chacune de ces
stratégies se subdivisent en plusieurs sous-
catégories. Les stratégies d’apprentissage
sont généralement conscientes, automatisées
et observables à travers le comportement
scolaire des apprenants, Ces stratégies sont
modifiables et peuvent donc être
parfaitement enseignées.
1.2 Les stratégies d’enseignement
Les stratégies d’apprentissage et les
stratégies d’enseignement sont considérées
comme des stratégies pédagogiques;
cependant il ne faut pas les confondre.
Legendre définit les stratégies
d’enseignement comme un «ensemble
d’opérations et de ressources pédagogiques,
planifié par l’éducateur pour un sujet autre
que lui-même» (1993:1185). Pour que les
stratégies d’enseignement soient efficaces, il
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faut les adapter aux besoins, aux styles
d’apprentissage et aux caractéristiques des
apprenants. Il est aussi indispensable que ces
stratégies soient variées pour éviter tout effet
de saturation. Elles doivent enfin
progressivement céder le pas aux stratégies
d’apprentissage afin de permettre aux
apprenants de devenir plus autonomes.
2. L’enseignement explicite des stratégies
Pour Cyr, l’enseignement d’une stratégie
doit se composer de trois phases: phase
cognitive (acquisition de la stratégie), phase
associative (intégration de la stratégie) et
phase de l’autonomisation (réutilisation de la
stratégie). La démarche de cet enseignement
comprend plusieurs étapes: la détermination
des stratégies utilisées, la présentation de la
stratégie à enseigner, le modelage de cette
stratégie par l’enseignant, l’application de la
stratégie par les apprenants avec l’aide de
l’enseignant puis de façon autonome et
l’établissement du lien entre l’utilisation des
stratégies et la motivation (1996:108-110).
En ce qui concerne l’enseignement des
stratégies, Chamot, Barnhardt, El-Dinary et
Robbins proposent un modèle appelé
CALLA(Cognitive AcademicLanguage
Learning Approach)se composant de cinq
étapes: la préparation, la présentation, la
pratique, l’évaluation et l’expansion (1999:
43-44).
Au cours de la phase de préparation, les
apprenants sont amenés à identifier les
stratégies qu’ils utilisent. Pendant la phase
de présentation, l’enseignant nomme la
stratégie d’apprentissage, en explique les
caractéristiques et l’utilité, indique quand,
comment et pourquoi il faut l’utiliser. Durant
la phase de pratique, les apprenants
s’exercent à l’utilisation de la stratégie en
accomplissant une tâche d’apprentissage
authentique le plus souvent en petits
groupes. Pendant ce temps, l’enseignant
circule entre les groupes, fait des suggestions
et donne des rétroactions. Au cours de la
phase d’évaluation, l’enseignant incite les
apprenants à développer leur conscience
métacognitive en leur offrant l’occasion
d’autoévaluer le degré d’efficacité de
l’utilisation qu’ils viennent de faire de la
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 5
stratégie. Durant la phase d’expansion, les
apprenants appliquent la stratégie
d’apprentissage de façon autonome et sont
encouragés à l’utiliser dans d’autres tâches
scolaires ainsi que dans leur vie quotidienne.
Dans cette démarche, l’enseignant et
l’apprenant doivent assumer des tâches et
des responsabilités tout au long de
l’enseignement stratégique.
3. Stratégies de lecture
Avant de parler des stratégies de lecture, il
nous semble indispensable de définir l’acte
de lire et d’en présenter très brièvement ses
principales caractéristiques.
Il existe une multiple définition de la
lecture. Legendre définit la lecture comme
une «activité perceptivo-visuelle et
intellectuelle qui permet de décoder le sens
d’un texte par la reconstruction du message
encodé sous forme d’informations
graphiques» (1993:787). Pour Perfetti, la
lecture est «un ensemble de processus
permettant d’extraire la signification du
texte». Et cet ensemble inclut «aussi bien
l’identification des mots que la
compréhension» (1989:62). «L’intérêt des
chercheurs, comme U. Eco souligne, est
progressivement passé du texte au lecteur
comme jadis de l’auteur au texte» (Picard,
1987:10).
Wolfgang Iser, dans son Acte de lecture
met en œuvre la notion du lecteur virtuel et
implicite qui coopère avec l’auteur dans la
création d’œuvre littéraire. Iser se concentre
sur cette instance lectrice et le rapport
qu’elle entretient avec le texte. Pour lui,
c’est l’acte de lecture qui compte et non le
texte. La lecture est considérée comme la
création même; c’est-à-dire le fruit des
processus cognitifs mobilisés par le lecteur
(1985:49).
Mais quelle que soit la définition, l’acte de
lire ne peut être considéré comme accompli
que lorsque la compréhension du texte à lire
est atteinte. Cette compréhension dépend des
informations stockées dans la mémoire du
lecteur et celles qui figurent dans le texte à
lire. Pour Goodman, « [...] le but de la
lecture est la construction du sens en réponse
au texte. [...] Cela requiert l’utilisation
interactive des indices grapho-phonétiques,
syntaxiques et sémantiques [...]» (1981:477).
La lecture est un acte discontinu et
solitaire. Discontinu car le lecteur peut
s’arrêter et continuer sa lecture quand il veut,
solitaire parce que l’émetteur est absent.
Cependant selon Annie Rouxel, cet acte peut
devenir une activité collective "dans laquelle
le dialogue avec le texte se nourrit des
échanges entre élèves" (1996:54).
6/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
La majorité des définitions actuelles de la
lecture s’accordent sur le fait que la lecture
est un processus à la fois actif, interactif et
stratégique. Ainsi, pour être efficace, la
stratégie de lecture ne doit pas être la même
selon qu’on lit un texte pour son propre
plaisir, pour chercher une information
précise, pour répondre à une tâche scolaire,
qu’on parcourt une liste d’épicerie ou qu’on
cherche un mot dans le dictionnaire.
En ce qui concerne les stratégies de
lecture, plusieurs auteurs et didacticiens
(Moirand:1979, Giasson:1998, artinez:2004,
Van Grunderbeek:1994) en ont parlé.
«Comment le lecteur lit ce qu’il lit.» est la
définition que Sophie Moirand donne de la
stratégie (1979:19). Selon Giasson, une
stratégie de lecture est "un moyen ou une
combinaison de moyens que le lecteur met
en œuvre consciemment pour comprendre un
texte" (1998:12).
Pour Van Grunderbeek, les stratégies de
lecture peuvent se diviser en trois ensembles:
celles qui servent à l’identification des mots,
celles qui sont utilisées lors de la
compréhension du texte et celles dont le bon
lecteur se sert pour répondre à un but et qui
montrent sa capacité d’adaptation en tant que
lecteur à la situation (1994:35).
Il est évident que la stratégie de lecture
diffère, chez le lecteur habile, en fonction du
support utilisé et du but recherché. On n’a
pas la même façon de lire lorsqu’on cherche
un numéro de téléphone dans un annuaire ou
lorsqu’on lit un roman. Notre connaissance
des genres littéraires, des modes
d’énonciation et des différents supports nous
permet d’adapter notre stratégie de lecture au
but recherché. Il y a en quelque sorte une
interaction entre le lecteur et le texte. Le
choix de telle stratégie ou une autre dépend
fortement de notre objectif de lecture. En
effet, les stratégies peuvent être utilisées
avant, au cours et après la lecture.
Il est à noter que Claudine Lachapelle
(2006) a recueilli cinquante-huit stratégies
de lecture dans un livre intitulé les stratégies
de compréhension en lecture dans lequel elle
explique le temps et la manière et la raison
de l’utilisation de chaque stratégie.
4. Enseignement explicite des stratégies de
lecture
L’enseignement explicite est considéré
comme un moyen de montrer aux étudiants
comment utiliser les stratégies de lecture.
Les stratégies de lecture doivent être
enseignées, car elles ne se développent pas
spontanément chez tous les lecteurs
débutants. Même lorsqu’ils disposent des
connaissances linguistiques et textuelles
nécessaires, les lecteurs débutants démunis
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 7
de stratégies de lecture ou recourant à des
stratégies dysfonctionnelles ne réussiront
sans doute pas à améliorer efficacement la
qualité de leur compréhension. Beaucoup de
lecteurs débutants ne pourront utiliser des
stratégies de lecture que si on les leur
enseigne explicitement et systématiquement.
Giasson pense que l’objectif d’un
enseignement explicite des stratégies
est«d’aider les élèves à développer des
ressources cognitives, affectives et
métacognitives pour approcher la lecture
d’une façon plus articulée. Il s’agit
d’enseigner aux élèves non seulement
COMMENT utiliser une stratégie, mais
également POURQUOI et QUAND
l’utiliser» (1998:12).
Van Grunderbeeck a montré que lorsqu’on
privilégie l’enseignement d’une seule
stratégie, non seulement cela rend l’élève
dépendant de l’enseignant, mais contribue
aussi à l’enfermer dans une définition
étriquée et erronée de ce que lire veut dire.
Lire, ce n’est pas seulement «dire les sons
qui correspondent aux lettres» (stratégie
axée sur le déchiffrage), «dire une histoire»
(stratégie axée sur le sens), ni «dire des mots
qui ne présentent pas forcément de lien»
(stratégie axée sur la reconnaissance
globale). L’enseignement d’une variété de
stratégies est alors conseillé (1994:29).
5. Caractéristiques des bons et mauvais
lecteurs
Après avoir défini la notion de "stratégie
de lecture", voyons ce qui distingue les
lecteurs stratégiques de non stratégiques.
Le lecteur stratégique est un lecteur
flexible et actif dans son processus de lecture
car il est capable de varier les stratégies en
fonction de son but, des difficultés
rencontrées et du degré de difficulté du texte.
Tandis que le lecteur non stratégique se
caractérise par son manque de clarté
cognitive, sa tendance à n’utiliser qu’une
stratégie en situation de lecture, sa rigidité
cognitive et sa dépendance à l’égard de
l’enseignant.
Le lecteur stratégique se pose
continuellement des questions, planifie sa
lecture. Lorsqu’il rencontre un problème en
cours de sa lecture, il est capable de
reconnaître qu’il y a une perte de
compréhension et de choisir le moyen qui
convient le mieux pour récupérer le sens du
texte. Au contraire, le lecteur non stratégique
ne réalise pas qu’il vient de perdre le fil du
texte; quand il s’en tient compte, il ne
connaît pas les stratégies susceptibles de
l’aider à solutionner son problème; même
s’il connaît une stratégie convenable, il ne
sait pas toujours s’en servir correctement.
8/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Le résultat d’une étude menée par J.P.
Martinez au niveau secondaire montre que
les mauvais lecteurs sont ceux qui ont aussi
le plus de difficultés à s’autoquestionner et à
expliciter leur démarche cognitive. En ce qui
concerne, l’utilisation des stratégies de
lecture en fonction de l’intention de lecture
et des différents types de discours, ils
utilisent presque toujours la même stratégie
sans tenir compte de l’intention de lecture ni
du traitement des informations que celle-ci
requiert. Ils ont de la difficulté à activer leurs
connaissances antérieures par manque ou
méconnaissance de leur utilité. Ils éprouvent
des difficultés d’anticipation, d’inférence,
d’interprétation et de compréhension de
différentes structures de textes (2004:1).
Selon Martinez, une des principales
caractéristiques du lecteur accompli
est«l’utilisation d’une variété de stratégies
en fonction de son intention et du type de
discours. Il se reconnaît aussi par sa
conscience explicite des stratégies, à sa
capacité à les verbaliser et à son habileté à
activer ses connaissances antérieures» (2004:
2).
Romainville pense que «L’apprenant
efficace ne serait donc pas nécessairement
celui qui dispose de telle ou telle stratégie
mais bien celui qui exerce sur ces propres
manières d’apprendre une réflexion lui
permettant de les adapter» (1993:62).
Il semble que la différence majeure entre
ces différents lecteurs serait dans la capacité
plus ou moins grande d’activation des
connaissances antérieures et de leur
adaptation à la situation (Cyr, 1998: 110-
112).
6. Le rôle de l’enseignant dans un
enseignement stratégique
Le rôle de l’enseignant est très important.
Selon Giasson, l’enseignant joue le rôle de «
lecteur accompli pouvant servir de modèle et
de guide pour ses élèves » (1990:27). C’est
celui qui doit encourager les
étudiants/apprenants à construire le sens en
se servant des stratégies qui rendent facile
l’accès au sens. Parmi les différents rôles
que Tardif attribue à l’enseignant
stratégique, il conviendrait de souligner
particulièrement celui de modèle.
L’enseignant est censé être le seul lecteur
expert en classe, il se doit donc de jouer son
rôle de modèle afin d’amener ses apprenants
à acquérir des stratégies de lecture efficaces
et favoriser leur autonomie (Tardif, 1992,
cité par Cyr, 1998:116).
Les enseignants devraient enseigner les
stratégies d’apprentissage en adoptant une
démarche pertinente et efficace.
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 9
L’enseignant en classe de lecture«doit aller
plus loin que le simple fait de poser des
questions ou de faire répéter des tâches de
lecture par les élèves. Il [doit] ajouter une
fonction explicative [à ses pratiques, celle
de] dire aux élèves pourquoi une réponse
n’est pas adéquate et comment on peut
utiliser des stratégies pour arriver à des
réponses meilleures» (Giasson, 1990: 27).
Selon Van Grunderbeeck, au début de la
leçon, l’enseignant doit offrir un soutien
maximal aux apprenants mais au fur et à
mesure il doit partager la responsabilité avec
eux; pour arriver à transmettre la complète
responsabilité de lecture. Cela signifie que
les apprenants maîtrisent les stratégies de
lecture et les utilisent de façon autonome
(2004:129-130).
7. Le cours de lecture en FLE en Iran
Constituant une des compétences
principales dans l’apprentissage et
l’enseignement du FLE, «la lecture permet
aux élèves d’enrichir leurs connaissances
lexicales, en leur offrant la possibilité
d’utiliser spontanément le français et en leur
permettant, en même temps, de s’habituer à
une nouvelle manière de penser et de
s’exprimer en français» (Cornea, 2010: 112).
Le but du cours de lecture est alors de
développer les stratégies de lecture des
apprenants et de les rendre capables de
réaliser une situation de communication
écrite à partir d’un texte et de leur assurer
une autonomie progressive en matière de
lecture. «L’essentiel est surtout que les
élèves soient devenus, de temps à autre, des
lecteurs critiques, acteurs et producteurs de
sens, et qu’ils y aient trouvé du plaisir»
(Barjolle, 2002:47-48).
Afin d’avoir une vision plus nette du
déroulement des cours de lecture et de la
compréhension en FLE en Iran, on a fait des
observations dans les différentes universités
de Téhéran comme ShahidBefeshti, Azad,
Allameh et Téhéran. Suite à ces
observations, on a pu constater que la lecture
en langue étrangère est très souvent mise au
service d’autres compétences. Ces cours se
transforment en général en cours de
grammaire, de lexique et même de
traduction et l’enseignement des stratégies
de lecture n’est jamais abordé en classe de
lecture. La plupart du temps, les
étudiants/apprenants sont invités à lire un
texte, à chercher le sens desmots nouveaux,
à traduire le texte en persan et quelquefois de
répondre aux questions de l’enseignant. Les
enseignants lisent le texte eux-mêmes,
corrigent la prononciation des étudiants. Ils
ne mettent pas à la disposition des étudiants
des stratégies de lecture afin de les aider à
10/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
saisir le sens du texte d’une façon autre que
la traduction mot à mot.
8. La partie expérimentale
Afin d’examiner notre problématique, on a
essayé de choisir trois textes intéressants et
identiques au niveau linguistique et
sémantique (annexe 1,2 et 3). On a abordé le
premier texte d’une façon traditionnelle en
classe et les deux autres en utilisant les
stratégies de lecture.
Pour cette recherche, on a sélectionné ces
quatre stratégies de lecture:
Faire un survol du texte
Faire des prédictions
Poser des questions
Résumer un texte
Il est à noter que les 23
étudiants/apprenants du FLE participant dans
cette recherche étaient en première année de
leurs études universitaires et ont déjà passé à
peu près 220 heures de français.
8.1 Le déroulement du cours de lecture en
FLE d’une façon traditionnelle
L’enseignante distribue le texte et
demande aux étudiants de le lire
silencieusement. Dans la deuxième étape,
l’enseignante, elle-même, lit le texte et
explique les mots et en donne des
synonymes et des contraires. Ensuite, elle
fait lire le texte à quelques étudiants et
corrige leur prononciation. Dans la dernière
étape, l’enseignante demande à tous les
étudiants de répondre aux questions du texte.
L’enseignante demande aux étudiants de
résumer le texte.
Après avoir analysé et vérifié les réponses
des étudiants, nous avons constaté que seule
la quasi moitié des étudiants ont réussi à
répondre correctement à toutes les questions.
La majorité d’entre eux n’ont pas utilisé
leurs propres phrases et ont copié les phrases
du texte.
8.2 Le déroulement du cours de lecture
basé sur l’enseignement des stratégies
Le modèle de l’enseignement des
stratégies de lecture que nous avons adopté
pour notre recherche résulte d’une synthèse
des modèles proposés par Cyr (1996:149) et
Chamotet al. (1999:43-44). Nous avons ainsi
retenu cinq phases principales: présentation
de la stratégie, démonstration de la stratégie
par modelage, application de la stratégie par
les apprenants guidés par l’enseignant, puis
sans l’aide de celui-ci et enfin l’évaluation
de la stratégie accompagnée d’une
rétroaction positive. Cette démarche respecte
les trois phases principales de la construction
du savoir: la phase cognitive (acquisition), la
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 11
phase associative (intégration) et la phase de
l’autonomisation (réutilisation).
Présentation des stratégies
L’enseignante note au tableau les
stratégies, explique leur utilité d’une façon
explicite, indique quand, comment et
pourquoi il faut les utiliser.
Modelage des stratégies
C’est au cours de cette phase que
l’enseignante joue son rôle de modèle et de
lecteur expert. Après avoir distribué le texte,
elle écrit un paragraphe du texte au tableau,
puis procède à sa lecture en montrant de
façon précise et détaillée comment elle
utilise les stratégies présentées pour accéder
au sens de ce texte.
Application des stratégies par les
étudiants avec l’aide de l’enseignante
L’expérimentation des stratégies par les
étudiants se fait en deux étapes: d’abord
avec l’aide de l’enseignante, puis sans l’aide
directe de celle-ci. Au cours de la première
étape, l’application des stratégies se fait de
façon collective. Tous les étudiants
participent à la lecture du texte.
L’enseignante confirme ou refuse les
réponses et donne de plus amples
explications ou clarifications sur l’utilisation
de la stratégie par les étudiants.
Application des stratégies par les
étudiants sans l’aide directe de
l’enseignant
Au cours de cette phase, un troisième texte
est donné aux étudiants et ceux-ci doivent
appliquer individuellement les mêmes
stratégies travaillés avec les deux autres
textes. Dans cette phase, l’enseignante
préfère ne pas intervenir directement mais
elle aide les étudiants s’ils rencontrent des
problèmes.
Évaluation des stratégies
Pendant cette dernière phase, l’enseignante
vérifie les réponses des étudiants afin de
s’informer sur le degré d’efficacité des
stratégies travaillées dans la classe.
9. L’analyse des résultats
Après avoir analysé et vérifié les copies
des étudiants, on a constaté que80% de ces
étudiants ont répondu correctement aux
questions et presque tous se sont servis des
stratégies. Alors, nous nous sommes rendu
compte que cette démarche a apporté des
changements chez les étudiantsdu point de
vue cognitif, métacognitif, personnel et
social:
12/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Dimensions cognitive etmétacognitive
Les étudiants travaillent davantage
sur le texte à lire;
Les étudiants sont capables de
nommer les stratégies utilisées;
Certains sont plus autonomes dans
l’utilisation des stratégies de lecture.
Dimensions personnelleetsociale
Les étudiants sont plus motivés à lire
et ils sont plus fiers de ce qu’ils font;
Les étudiants ont le sentiment que
leur opinion est important;
Il y a amélioration de leur estime et
de leur confiance en soi;
Cette démarche permet une bonne
collaboration entre les étudiants.
Les résultats obtenus montrent l’efficacité
de cette démarche dans les cours de lecture
en FLE. On peut conclure que
l’enseignement explicite des stratégies de
lecture permet aux apprenants iraniens de
mieux explorer le texte.
Conclusion
L’enseignement explicite et systématique
des stratégies de lecture est incontournable,
car les stratégies ne se développent pas
spontanément chez tous les apprenants.
Notre recherche qui avait pour but de doter
les lecteurs débutants de stratégies de lecture
a vérifié l’efficacité de l’enseignement des
stratégies de lecture quant à l’amélioration
des résultats des sujets. Les résultats obtenus
nous permettent donc de répondre par
l’affirmative à notre question de recherche:
oui, l’enseignement des stratégies de lecture
peut aider les apprentis lecteurs à surmonter
leurs difficultés en lecture.
L’enseignement de stratégies de lecture,
c’est-à-dire, les moyens dont le lecteur se
sert consciemment pour mieux comprendre
un texte, est la clé dans l’interaction entre
enseignant et apprenant pour que ce dernier
puisse, progressivement, devenir un lecteur
autonome et pour goûter le plaisir du texte.
Cependant, il faut savoir que les stratégies
ne sont qu’un outil dans la poursuite des
objectifs de lecture. Si on enseigne des
stratégies aux apprenants, c’est
essentiellement pour qu’ils les utilisent dans
leurs lectures personnelles: il faut donc en
parallèle s’assurer que les apprenants lisent
régulièrement et développer chez eux le goût
de lire. Dans cette situation, le rôle de
l’enseignant est très important dans la
mesure où il devrait non seulement procéder
à un enseignement systématique du
processus de lecture, mais aussi jouer le rôle
du lecteur expert et donc de modèle dans sa
classe.
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 13
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Annexe1
Le crayon et la feuille de papier
Une feuille de papier était amoureuse d’un
crayon.
- Ecris-moi quelque chose de gentil, lui
demandait-elle souvent d’une voix
suppliante.
14/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Le crayon, apitoyé par cette mine de papier
mâché, était fort ennuyé. Qu’écrire ? Il
l’ignorait. Lui qui ne savait même pas
lire…
La feuille de papier lui suggéra de faire un
dessin.
Mais la gomme qui passait par là entendit la
conversation. Elle aussi était amoureuse du
crayon et n’entendait pas s’effacer devant
sa rivale. Elle ne dit rien. Le crayon, après
s’être passablement creusé la tête – et taillé
la mine –, fit un beau dessin en
s’appliquant beaucoup et en tirant la
langue.
La gomme l’effaça aussitôt.
La feuille de papier demanda au crayon ce
qu’il avait dessiné. La gomme n’était pas
très fière. Il commença :
- J’avais dessiné…
Mais, déjà, la gomme effaçait le mot que le
crayon s’employait à tracer. Celui-ci en fut
si fâché qu’il recommença et recommença
encore. A tel point que son chapeau taille-
crayon n’en finissait pas de tourner sur sa
tête. Et la gomme effaçait, effaçait sans
relâche…
Elle effaça si bien que le crayon fut vite usé.
C’est depuis cette époque que la feuille de
papier et la gomme ne s’échangent plus un
mot.
1. Quels sont les personnages du récit?
2. Quels personnages s’opposent? Pourquoi?
3. Que devient le crayon?
Annexe 2
PARAPLUIE
Grand-mère a perdu son parapluie. Elle
part à sa recherche. Son petit - fils la suit
Je propose de la suivre. Perdre un parapluie, ça
n’est pas la fin du monde, mais perdre
une grand-mère, c’est déjà plus ennuyeux.
Elle est dans la rue. Un taxi passe. Elle lève le
bras. Il s’arrête.
— C’est pour où ? demande le chauffeur.
— Mon parapluie.
— Pardon ?
— Mon parapluie.
— Montparapluie ? Voyons, Montparnasse,
Montmartre, d’accord. Mais Montparapluie ?
Où ça se trouve, ça ?
Grand-mère s’explique. Alors le chauffeur
rouspète, se fâche, et la voiture s’enfuit.
— Il n’est pas gracieux, constate Grand-mère.
J'essaie de lui expliquer :
— Paris est trop grand.
— Tu es comme ton père, toi, tout de suite
découragé.
Pierre Louki, Papa brûle les planches, Bordas
1. Quels sont les personnages du récit?
2. Posez trois questions au texte?
Annexe 3
Le survêtement
Depuis ce matin, Julie a un nouveau
survêtement. Il est bleu comme la mer, avec
une dizaine de poissons multicolores qui
semblent nager dans le tissu. Julie l’aime
tellement qu’elle ne l’a pas quitté de la
journée ! Le soir venu, la demoiselle dépose
le beau vêtement sur une chaise puis elle se
couche et s’endort. Tout à coup, un petit
bruit discret. Quelqu’un pousse la porte et
pénètre dans la chambre de la fillette. C’est
Grobêta, le chat. Il a réussi à s’échapper de
la cuisine où il dort habituellement. Soudain,
ses grands yeux verts tombent sur les
appétissants poissons immobilisés dans le
tissu bleu.
– Quelle chance, pense Grobêta. Voici un bel
aquarium pour moi tout seul ! Je vais me
régaler.
Le matou bondit et plante ses griffes dans un
beau saumon.
Horreur ! La bête se débat et Grobêta s’empêtre
dans les manches du survêtement. Il tombe
de la chaise et roule jusqu'au pied du lit de
Julie. Celle-ci se réveille en sursaut et allume
la lumière.
– Va-t-en, gros bêta ! crie la jeune maîtresse,
furieuse. S’il y a un chat qui porte bien son
nom, c’est toi !
Le chat s’en va et Julie décide de changer ses
habitudes. Désormais, elle rangera sa
chambre. Son survêtement bien sûr, mais
Enseignement explicite des stratégies de lecture en classe … / 15
aussi ses chaussons en forme de souris et son
cartable parce qu’il y a des oiseaux dessinés
dessus. On n’est jamais assez prudent avec
un gros bêta à la maison !
1. Quels sont les personnages du récit?
2. Trouvez tous les mots qui désignent Julie?
3. Trouvez le nom de quelques animaux?
4. Posez trois questions au texte?
16/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne de la guerre dans Les Enfants du
nouveau monde
Alavi, Farideh
*
Maître de conférences, Université de Téhéran, Téhéran, Iran
Rezvantalab, Zeinab**
Doctorante, Université de Téhéran, Téhéran, Iran
Reçu: 03.10.2013 Accepté: 01.03.2014
Résumé:
Le contexte de la guerre d'indépendance en Algérie a créé une thématique nouvelle dans la littérature
maghrébine de langue française. Les images de la guerre paraissent comme le support de cette thématique
que nous essaierons d'analyser dans cet article, à travers l'étude d'un des plus édifiants romans de guerre,
soit Les Enfants du nouveau monde. Assia Djebar dessine dans cette œuvre un tableau saisissant de la vie
quotidienne du peuple algérien durant la guerre, et les conséquences qu'elle a eues sur le destin des gens
issus de différentes couches sociales. Son récit est apte à refléter la diversité des points de vue sur la
guerre, par la multitude de personnages présentés. Cependant, l’importance que Djebar donne aux détails
n’obéit pas à un souci d’objectivité, car ce roman n’est pas à identifier à un véritable document historique ;
sa représentation n’obéit pas non plus à une esthétique expressive ou à une forme gratuite de l’art de
l’écrit; sa véritable portée consiste à avoir trouvé un cadre littéraire idéal pour l’évocation de la réalité de
la guerre dans un de ses multiples visages. Conformément à la perspective sociocritique, adoptée, l’on
s’attachera à percevoir l’idéologie qui découle de cette représentation poétique de la réalité guerrière.
Mots-clés: Assia Djebar, Les Enfants du nouveau monde, guerre, spectacle, réalisme poétique, réalisme
psychologique, idéologie, sociocritique.
Introduction:
Depuis 1958, où Malek Haddad a écrit le
premier roman inspiré par la guerre
d'indépendance algérienne1 (1954-1962), la
critique littéraire n’a de cesse de saluer
l’originalité des romanciers qui feraient de
cette guerre et de sa mémoire le cadre ou
l’objet de leur fiction. Alors que certains
critiques se plaisent à relever l’absence
d’œuvre majeur qui- « à l’égale d’À l’ouest
rien de nouveau, Le Feu ou Voyage au bout
1 Ce roman est intitulé La Dernière impression ; il est
publié aux éditions Julliard à Paris.
de la nuit pour la Grande Guerre »
(Milkovitch-Rioux, 2012:12) - porterait la
postérité de la guerre de libération, d’autres
se disent frappés par la permanence et la
vitalité des représentations du conflit
qu’offre la littérature algérienne de langue
française. En 1996, Benjamin Stora recensait
en Algérie et en France plus de deux mille
œuvres relatives à la guerre d’Algérie2,
auxquelles s’ajoutent des titres dans
l’actualité éditoriale la plus récente. L’œuvre
des plus grands écrivains algériens s’est ainsi
2
Voir: Stora, Benjamin, Imaginaires de guerre,
Algérie-Viêt Nam en France et aux États-Unis, Paris,
La Découverte, 1997.
18/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
construite en référence à cet événement
majeur de l’histoire nationale, des fondateurs
à la génération contemporaine, « la guerre
de libération ayant habité, d’une manière ou
d’une autre, l’imaginaire de tous.» (Chaulet-
Achour, 1990: 110)
Dans ce travail, nous allons analyser
l’image de cette guerre, telle qu’elle a été
abordée par la célèbre écrivaine algérienne
d’expression française, Assia Djebar3. Les
Enfants du nouveau monde est un roman qui
suscite un intérêt artistique particulier, car il
a pu créer l’image d’une guerre/spectacle par
une théâtralité, qui au-delà de son originalité,
est une représentation de la guerre dans ses
conséquences les plus immédiates sur la vie
sociale dans le conditionnement qu’elle
instaure et dans le sentiment d’absurdité
qu’elle développe.
Une vision ludique du monde pourrait
interpréter la guerre comme un jeu,
autrement dit un effacement des limites du
paradoxe entre les liens de cette réalité avec
la théâtralité. Mais cette conception
philosophique ne semble pas être celle
d’Assia Djebar, car il nous apparaît que sa
notion de guerre/spectacle a surtout une
3
Assia Djebar est considérée comme l’une des
auteures les plus influentes du Maghreb. Elle est élue
à l’Académie française en 2005. Ses œuvres ont été
traduites dans 21 langues. Assia Djebar vit en France
et aux États-Unis, où elle enseigne la littérature
française.
dimension psychologique; elle est en effet la
manifestation littéraire d’une profonde
analyse de la psychologie de la guerre qui se
concrétise dans ses plus infimes nuances :
attente et angoisse, ou enthousiasme et
espoir. La vision d’Assia Djebar peut
s’insérer dans le cadre d’une analyse psycho-
sociale puisque la psychologie de la guerre
s’exerce sur la société.
Dans le sens d’un souci méthodologique, il
serait nécessaire de préciser que selon Pierre
V. Zima, l’une des figures phares de la
sociocritique moderne :« aucune théorie de
la littérature, qu’elle soit psychanalytique,
sémiotique, féministe ou marxiste, ne saurait
se passer d’un certain engagement
idéologique, d’une certaine motivation
politique.» (Zima, 1999: 17) De même, toute
œuvre littéraire a « partie liée avec un
système de valeurs, une vision du monde »
(Sapiro, 2007: article consulté en ligne), et
peut « exprimer le point de vue des
dominants ou celui des dominés dans la
société » (Sapiro, 2007: article consulté en
ligne). On considère donc qu’une tendance
idéologique déterminante constitue le ressort
de la création littéraire chez Assia Djebar, et
la motive pour s’engager dans la littérature
de combat, dont Les Enfants du nouveau
monde est un exemple édifiant. Or, l’œuvre
djebarienne se présente à la fois comme un
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 19
reflet et une critique consciente du discours
idéologique dominant de l’époque. L'analyse
du texte littéraire, dans la perspective
sociocritique de Zima, comprend deux
opérations majeures: Situer d’abord le texte
dans la situation sociolinguistique qui l’a vu
naître, puis l’identifier, pour que l’analyse
soit concrète, l’idéologie que le roman
absorbe sous forme d’un discours littéraire
pour en faire la critique. Zima pense
l’idéologie sur le plan discursif en tant que
structure sémantique et narrative. Sous cette
forme, elle pourra enfin être reliée aux
mécanismes du texte littéraire. Donc,
conformément à une définition opératoire, «
l’idéologie […] doit être conçue comme un
discours issu d’un sociolecte4 particulier »
(Zima, 1985: 147). Notons que le discours
est entendu dans le sens d’un ensemble de
manifestations textuelles. La perspective
sociocritique adoptée par cette recherche
s’intéresse donc à décrire les manifestations
de l’idéologie inscrite dans les différents
phénomènes textuels. Rappelons que d’après
Pierre V. Zima, « la question de savoir ce
que l’œuvre exprime au niveau idéel est
stérile, vu que l’aspect essentiel de la
4 Le sociolecte peut être défini comme «un langage
collectif marqué par un lexique, une sémantique et un
faire taxinomique particuliers qui peuvent engendrer
des parcours narratifs ou discours plus ou moins
cohérents.», (Popvic, 2011: 21).
production littéraire est le comment,
l’écriture » (Zima, 1978: 13).
Cet article essaie donc, dans un premier
temps, de comprendre comment l’image de
la guerre est présentée dans cette œuvre dite
littéraire? Et si l’on prétend que ce roman
adopte pour une vision réaliste de la guerre,
il faudrait montrer en quoi se distingue-t-il
d’un document historique s’attachant à
l’exactitude des faits réels? Dans un second
temps, il serait intéressant de savoir quelle
idéologie est-elle véhiculée à travers cette
image de la guerre?
Spectacle de la guerre
Dans Les Enfants du nouveau monde, un
narrateur extra-hétéréodiégétique nous
raconte les évènements de la vie des
habitants d’une petite ville algérienne5, au
pied de la montagne, pendant une journée du
printemps 1956. Ce texte romanesque, qui se
construit sur l’entrecroisement de plusieurs
existences, intègre de nombreuses analepses
emboîtées, éclairant le passé des
personnages et permettant de constater leur
évolution. Le roman offre donc une vaste
fresque de la société algérienne de l’époque,
où la diversité des tableaux et la multiplicité
5 Lors d’un entretien avec Wadi Bouzar, publié en
1984 dans Lectures maghrébines, Assia Djebar révèle
qu’elle a créé cette ville à l’image de Blida, où elle
avait passé le collège.
20/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
des acteurs permettent d’éviter le
schématisme sur le plan politique, et de
refléter les différents opinions et prises de
position des couches sociales variées vis-à-
vis de la guerre.
Notons que parmi les sociocriticiens, Zima
est celui qui attache la plus grande
importance à la qualité littéraire du texte,
autrement dit à la notion de littérarité, tout en
la mettant en rapport avec la socialité. En
effet, Zima souligne que «le texte est à la
fois autonome et fait social» (Zima, 1978:
297). Or, l’on ne trouve pas ce caractère
double du texte dans le soi-disant contenu
des œuvres littéraires, mais justement dans
l’écriture : «Ce n’est pas la question: Que dit
le texte? Que devrait se poser le sociologue,
mais la question: Comment dit le texte? (au
niveau narratif, syntaxique, etc.). C’est sur le
plan du comment de l’écriture que se
manifeste le sens social » (Djebar, 1962: 56)
En effet, pour dégager le sens social de ce
roman de guerre et découvrir l’idéologie
mise en valeur par l’écrivaine, nous devrions
nous attacher à l’étude de cette œuvre sur
trois plans: lexical, sémantique et narratif.
Assia Djebar situe l’intrigue de son roman
à un moment, où la guerre d’Algérie a pris
des dimensions sérieuses. La fin des années
cinquante et le début des années soixante
correspondent, en effet, à une période où
combattants algériens et colonialistes
français sont engagés à fond dans la guerre.
Ainsi, le narrateur parle d’emblée de «ces
jours de grande opération » (Djebar, 1962:
14)6. La bataille, pourtant si lointaine, a ses
retombées sur les habitants de la ville, car
bien que les attaques aériennes des
parachutistes sur la montagne aient pour
objectif les maquisards en premier lieu, un
incident peut survenir à tout moment en
ville, par l’éclat d’un obus ou le jet de ses
restes sur la terrasse ou dans la cour d’une
maison. Un obus tout entier peut tomber7 et
causer des victimes parmi les habitants de la
ville: les enfants, les vieux, ou les femmes
sans défense: «Cela s’est produit à maintes
reprises, la dernière fois, en tuant la vieille
Aicha qui était accroupie dans la cour, à la
porte de sa chambre…» (Djebar, 1962: 15)
L’image de la guerre se dessine alors sur la
terre et sur le ciel algérien:
«Les avions, points noirs dont on distingue de là les
courbes et le sillage blanc du vol, arabesques
éphémères que le hasard semble tracer, comme une
écriture mystérieuse mais qui tue.» (Djebar, 1962: 14)
6 Ce roman a été publié pour la première fois en 1962,
aux éditions Julliard, à Paris; mais faute d’accès à
cette édition originale, nous nous rapportons à une
réédition récente du livre; ainsi nos références seront-
elles conformes à la publication présentée en 2012, à
Paris, par les éditions Points, Collection «Signature»,
N°P2781. 7 «L’obus était tombé», (Djebar, 1962:15).
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 21
La réponse des canons, ajoutée à
l’intervention des avions, dessine des
mouvements verticaux de va-et-vient, mais
toutes ces attaques se répercutent sur les
gens, donc sur la position horizontale qui
s’ébranle et se brise en multiples
mouvements créés par la fuite des habitants
paniqués à la recherche d’un abri, par le
cloisonnement des portes, ou une nouvelle
réaction des habitants à la vue d’un avion
ennemi abattu.
Les habitants de la ville assistent
impuissants au déroulement de la guerre sur
la montagne, si bien que celle-ci devient
pour eux une sorte de «spectacle». La
terminologie du «spectacle de la guerre»
n’est pas une invention de notre part, car
Assia Djebar, elle-même, l’utilise de façon
presque permanente. Tout au début du
roman, le narrateur dit que les femmes se
mettent à: «contempler avec calme le
spectacle qu’avait annoncé la garde, et qui
commence: la montagne dans les feux de la
lutte» (Djebar, 1962: 13)
Elles voient la scène «par la porte au rideau
soulevé» (Djebar, 1962: 14) ; à la même
page, le narrateur parle de l'attaque aérienne
qui se serait cachée «sous son masque de jeu
immense dessiné dans l’espace» (Djebar,
1962: 14): ce sont autant d’expressions qui
font partie du champ lexical du «spectacle»
et qui inspirent l’idée d’assimilation de la
guerre au «théâtre». D’autre part, le
narrateur nous avertit que «Le spectacle peut
durer une journée entière» (Djebar, 1962:
14).
Assia Djebar renforce cette idée de la
guerre/spectacle ou de la guerre/théâtre à
travers la répétition de ces termes dans
plusieurs autres passages: à la page 15: « ces
jours de spectacle qui surviennent assez
régulièrement», à la page 18: «au théâtre de
feu qui se déploie», à la page 20: « quand ce
jour-là le spectacle commence », à la page
22: «les femmes […] fascinés par les
dernières fusées du spectacle», à la page 60:
«elle assistait au spectacle sans curiosité
excessive», etc. D’autres éléments du
spectacle et du jeu sont ajoutés à la page 69:
«[…] le spectacle commence, comme dans
un cirque immense devant le public féminin
du quartier ». (Djebar, 1962: 69)
Comme des spectateurs attentionnés qui
assistent au déroulement d’une pièce de
théâtre ou au défilement des images d’un
film, les habitants de la ville s’émeuvent
pour leurs héros. Ils nous offrent l’esquisse
d’une psychologie du spectacle, bien que ce
spectacle soit d’un genre assez particulier.
La scène de ce théâtre de la guerre, c’est la
montagne, qui «devient le front de l’ennemi
caché» (Djebar, 1962: 19). Le public de la
22/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
guerre/spectacle est surtout composé
de femmes. Les femmes, qui donnent
l’impression au premier abord d’être
enfermées dans un monde clos, réagissent - à
leur manière bien sûr - pourtant rapidement
au spectacle si motivant que leur offre la
montagne. Bien que la scène soit assez loin
d’elle, les réactions des femmes sont vives et
presque instinctives. Ainsi, les femmes
apparaissent comme des spectatrices qui
participent activement à l’ébauche d’une
atmosphère de guerre/spectacle créée par un
geste, une parole, ou une interjection, telle
que l’expression «Ah Dieu!» (Djebar, 1962:
14), criée par une femme au passage d’un
avion, se préparant à larguer des
bombes dans les rangs des maquisards ; ou
encore, la phrase traduisant le désespoir et la
douleur d’une femme : «La mort, il a apporté
la mort, le maudit! » (Djebar, 1962: 14) .
De même, lors des ratissages fréquents, les
femmes commentent les hostilités dehors,
soutiennent et encouragent les leurs,
quoiqu’à distance. Il s’agit selon l’auteure
d’un «chœur», encore un terme propre à la
représentation théâtrale:
«Dans chaque maison où vivent ordinairement
quatre à cinq familles, une famille par chambre, il se
trouve toujours une femme, jeune, vieille, peu
importe, qui prend la direction du choeur:
exclamations, soupirs, silences gémissants quand la
montagne saigne et fume, couplets passionnés: - «
Cette fois, ils ne les auront pas! – «Quand il y a tant
d’avions et qu’ils sont tous massés ainsi sur un même
lieu, c’est un douar qu’ils bombardent! » (Djebar,
1962: 14)
Le lecteur/spectateur imagine plutôt,
intercepte les faits, et les observe à travers le
comportement des femmes dans le
déroulement de la guerre; si bien qu’au point
de vue formel du roman, les femmes elles-
mêmes s’offrent à leur tour au spectacle,
puisqu’elles sont un miroir de la guerre qui a
lieu sur la montagne, et à défaut de
descriptions concrètes sur la guerre, le
lecteur/spectateur saisit une image, qui n’est
peut-être pas complète, mais qui lui donne
quand même une idée générale de ce qui se
passe sur la scène de la montagne, et cela
uniquement par les paroles ou les gestes des
femmes. Les réactions des femmes sont
immédiates et se déclenchent dès l’annonce
de l’évènement/spectacle. Le spectacle se
déroule une ou deux fois par mois, mais il
est régulier, il crée donc une certaine
habitude, laquelle devient un
conditionnement pour les femmes cloîtrées
dans leurs maisons. Les femmes baignent
dans une sorte de psychologie astreignante,
et réagissent presque mécaniquement à
l’évènement.
En effet, la scène se répète inlassablement
de la façon suivante: l’annonce de
l’évènement, la panique, les femmes
réalisent ce qui se passe, s’enferment dans
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 23
leurs maisons et assistent de loin au
spectacle…, ainsi de suite. Une certaine
psychose de guerre agit même au niveau de
leur affectivité et c’est tantôt l’attente
angoissée puis l’espoir, la joie,
l’enthousiasme quand un avion ennemi est
abattu:
«Regardez, les nôtres répondent! (un hourra) Oui,
vous avez vu, vous avez bien vu n’est-ce pas, ils
viennent d’abattre un avion. Un avion, vous avez bien
vu! (et l’une d’elles oublie toute prudence, sort dans
la cour, danse d’allégresse.) Un avion abattu par nos
combattants! Faut-il qu’ils visent bien!» (Djebar,
1962: 14)
D’ailleurs, cette scène pourrait être
interprétée comme une sorte de mise en
abîme où Djebar met en scène la distance
géographique qui la séparait elle-même du
théâtre des combats. C’est comme si en
écrivant, Assia Djebar- qui se trouvait à
Casablanca au moment de la rédaction du
roman-, avait essayé de faire la même chose:
soutenir son peuple dans la lutte pour
l’indépendance, sans accomplir elle-même
pour autant des actes révolutionnaires. De
cette façon, la littérature peut soutenir le
courage des autres, comme le font ces
femmes cloîtrées.
Dans une atmosphère de psychose et de
peur continuelle, la joie et l’enthousiasme
sont des soulagements pour ces femmes, car
aussitôt la terreur de la guerre, même dans
les moments de répit, va reprendre.
L’analyse de la psychologie des femmes face
au spectacle de la guerre est fine, cela
pourrait être comparé- toute proportion
gardée- aux effets que pourrait avoir une
pièce de théâtre passionnante ou un film à
suspens sur des spectateurs attentifs au
déroulement de chaque scène ou de chaque
image.
Le spectacle n’est pas toujours de tout
repos car les pauvres spectatrices, dans
l’imprudence d’un moment, par un mauvais
coup du sort peuvent être à la merci de coups
de feu, d’obus atteignant les demeures, on ne
sait trop comment. Nous avons déjà cité
l’exemple d’Aicha, qui meurt sous un obus
tombé soudainement dans cour de la maison.
Cette tragédie a même conditionné les
femmes et entraîné, à chaque fois où une
nouvelle imprudence est commise, la
remémorisation de la mort de la vieille.
La guerre/spectacle conditionne la
psychologie des femmes, mais celle des
hommes aussi, non pas ceux qui sont sur la
montagne, plutôt véritables acteurs du drame
et donc se donnant réellement au spectacle,
mais ceux qui sont restés en ville. Ceux-là
subissent aussi les retombées de la guerre, au
même titre que les femmes ou beaucoup plus
intensément; les arrestations, les
interpellations, les interrogatoires, les
humiliations quotidiennes, ce sont eux qui
les subissent le plus souvent. Nous en avons
24/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
un exemple, lors d’une opération de
vérification d’identité:
«Un officier s’approche, fait un choix parmi les
suspects d’être suspects; derrière lui, un soldat, la face
durcie de haine («trois des nôtres sont morts
aujourd’hui dans cette sale guerre, pense-t-il, trois, ce
matin encore») s’arrête: il a envie lui aussi de tuer, là,
en plein midi, ces vieux qui tremblent, silhouettes
dérisoires.» (Djebar, 1962: 18)
Pour ainsi dire, les hommes qui sont restés
en ville portent en eux-mêmes les empreintes
de la guerre: la peur les saisit tous les jours,
ils subissent les pires sévices de la part des
soldats qui forment des barrages partout. Tel
cet homme humilié par un soldat: «Debout!
Chien! Fils de chien!, gronde le soldat qui,
de ce pays, a pris les insultes et la passion.»
(Djebar, 1962: 19)
Comme les femmes qui réagissent au
spectacle que leur offre la montagne, les
hommes représentent à leur tour, une sorte
de miroir de la guerre. Ils sont un miroir à
travers lequel on est forcé de croire à la
terrifiante présence de la guerre. A travers
les hommes, les femmes saisissent toute la
peur que la guerre engendre dans la
psychologie de tout être humain désarmé:
«[Leur mari]… secoué sans doute d’une peur
qu’il doit s’efforcer de ne point révéler, mais
que l’épouse retrouve en lui, le soir»
(Djebar, 1962: 16).
La peur, image/sentiment qui se dévoile,
cache néanmoins «la conscience farouche
des jours présents, la solidarité avec ceux de
la montagne, l’espoir de la victoire», «la
haine et le désir de revanche» (Djebar, 1962:
16).
L’idée de guerre/spectacle, ne s’arrête pas
d’ailleurs à ce niveau, car des éléments
visuels qui se trouvent dans le roman la
consolident, en l’occurrence le regard, la
manifestation la plus évidente du visuel, est
condition nécessaire pour l’achèvement d’un
spectacle. L’on peut ainsi relever dans le
texte des expressions ou des mots qui
évoquent ce regard: «les yeux éblouis par le
soleil», «sa femme […] ne fait plus rien
d’autre que regarder» (Djebar, 1962: 16),
«l’homme ne lui rend pas son regard», «elle
regarde, elle voit tout… autrefois, elle ne
voyait rien » (Djebar, 1962: 19). En parlant
des premières fumées sur la montagne, le
narrateur nous dit que Chérifa «n’a même
pas besoin de monter sur la terrasse pour les
voir» (Djebar, 1962: 20). Les chambres,
elles-mêmes ont des yeux par leurs portes
entrouvertes, leurs rideaux soulevés.
Le regard est l’élément qui enregistre
l’image, cependant le regard, humain par
surcroît, n’est pas une simple mécanique
dénuée de toute vie ; comme pour tout
spectacle, le regard exige l’aide d’autres
éléments sensitifs ou imaginatifs ; c'est
pourquoi les femmes tout en ayant «les yeux
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 25
grands ouverts, le regard fixe» (Djebar,
1962: 16) imaginent la peur de leurs maris.
Cette peur, imaginée et sentie, qui se traduit
chez l’homme par un «bref tressaillement de
surface» (Djebar, 1962: 16), ne peut pour
autant échapper à personne, puisque «chaque
membre de la famille, au dîner où l’on se
regroupe, le sent sans avoir besoin de
l’expliquer» (Djebar, 1962: 16).
L’imagination et le sens agissent
harmonieusement, lorsque les femmes
veillent sur le corps de la vieille défunte, et
ainsi «le parfum [qui] envahit la chambre,
chasse les odeurs qu’elles peuvent toutes
imaginer de la guerre : de sa poudre, de ses
cris, du sang qui sèche» (Djebar, 1962: 23).
Dans un autre passage, l’élément du rêve
entre également en jeu, et l’homme face au
soldat «s’applique à oublier sa peur en
rêvant, yeux bien ouverts malgré la vive
lumière, au théâtre de feu qui se déploie»
(Djebar, 1962: 18)
I. Vision réaliste et poétique de la guerre
«[…] il me semble possible de trouver le
commun dénominateur des «réalismes»: à
savoir l’idée (ou le préjugé) que la littérature
réaliste contribue à mieux comprendre le
réel, qu’elle a donc une valeur cognitive
(théorique, scientifique, critique ou
didactique).» (Zima, 1985: 88)
1. Réalisme poétique
Le spectacle que nous offre Assia Djebar
de la guerre est en fait le drame réel que les
Algériens vivent quotidiennement tant dans
la ville que dans la campagne. Les
interventions de la garde, les attaques
aériennes, les ripostes des maquisards, la
classique vérification d’identité,
l’encerclement des quartiers, les rafles, les
couvre-feux sont les éléments réels d’un
spectacle quotidien que Djebar a essayé de
rendre dans ses moindres détails.
Le fait de retrouver les éléments de la
réalité de la guerre importe peu en lui-même,
et ce niveau de réalisme ne peut être pris en
considération que par la manière avec
laquelle il est exprimé, car la lecture d’un
roman sur la guerre diffère d’un livre
d’histoire ou d’un document sur le même
thème, où l’on s’attende normalement à se
trouver face à des détails qui ont eu
réellement lieu. Le roman, tout en intégrant
la réalité dans son texte, est appelé à décrire
cette réalité et à l’interpréter d’un point de
vue littéraire avec tout ce qu’il comporte de
subjectivité et de parti-pris de la part de
l’auteur. Ainsi, les éléments de la réalité,
tout en étant intégrés au roman, comme des
détails dont on ne peut douter, subissent les
contraintes psycho-littéraires de l’auteur, qui
s’applique à présenter une vision poétique de
26/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
la guerre à travers la métaphorisation, la
personnification, l’identification, la présence
de sons, de lumières et de couleurs. Par
exemple, dans le passage «[…] ces demeures
qu’on croit toujours aveugles mais qui
bâillent désormais à la guerre» (Djebar,
1962: 14), les demeures occupées par les
habitants sont personnifiées et sont
représentées comme des spectateurs
concernés par le théâtre de la guerre. En
effet, Djebar a choisi de recourir à la
rhétorique pour parler des habitants, elle a
donc remplacé le contenu par le contenant;
les demeures qui donnent l’impression de
l’ouverture expriment en réalité l’attention
des habitants à l’intervention des avions.
Un autre élément qui est personnifié à
plusieurs reprises dans le roman, et qui
apparaît à l’instar d’un être doué de vie et de
sens, c’est la montagne: «la montagne saigne
et fume » (Djebar, 1962: 14), « la montagne
qui souffre» (Djebar, 1962: 119), «la
montagne reprend sa nudité orgueilleuse »
(Djebar, 1962: 16). La montagne se
distingue par la réalité historique qu’elle
évoque, par son importance en tant que
centre stratégique et refuge pour les
maquisards et les Algériens proches de la
lutte.
Tout au long du roman, nous pouvons
constater que la tendance au niveau de la
personnification de la montagne est forte, si
bien que ses caractéristiques premières,
c’est-à-dire la montagne en tant que présence
physique, en tant que forme de relief
exploité à bon escient par les maquisards
«s’éclipse» au profit d’une humanisation qui
la confond à un être pourvu de sentiments.
La montagne qui est proche de la ville
s’offre comme une scène où se déroule la
lutte ; de loin les habitants ne peuvent voir
que les effets (fumées, feux), alors que les
occupants de la montagne sont invisibles:
«les combattants de la montagne» (Djebar,
1962: 15), expression qui particularise les
combattants et qui les différencie des autres.
Les combattants de la montagne sont
entourés d’un certain mystère: «ceux de la
montagne» (Djebar, 1962: 16) D’ailleurs, ce
mystère se confirme par le secret qui entoure
tout départ à la montagne, sorte de passage à
un autre monde: «Il y a un autre départ pour
le maquis cette nuit, sans doute» (Djebar,
1962: 203).
La montagne est l’image même de la
guerre («la guerre, la montagne»); elle
s’identifie au maquis, ainsi « monter au
maquis » signifie monter à la montagne. Aux
yeux d’un soldat français, la montagne est un
signe d’hostilité: «la montagne, en face de
lui, striée de temps en temps d’éclairs, de
fumées blanchâtres devient le front de
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 27
l’ennemi caché» (Djebar, 1962: 19). Elle
devient complice de l’ennemi, et se confond
avec lui. C’est une identification née d’une
confusion des sentiments et de la vue, une
forme de rhétorique de l’esprit qui prend le
contenu (c’est-à-dire les combattants) pour le
contenant (c’est-à-dire la montagne).
La personnification de la montagne peut
être aussi saisie à travers les sentiments de
Lila. En effet, Lila la femme entretient des
rapports de jalousie avec la montagne/
femme qui lui a «pris» Ali, et qui est
possessive et exigeante car elle pose ses
conditions ; celui qu’elle accepte doit avoir
des qualités: «[…] les yeux d’un Ali mûri et
grave, un homme véritable tel que la
montagne qui le lui avait ensuite pris,
l’exigeait.» (Djebar, 1962: 153)
La montagne est entourée d’une enveloppe
de mystères et de secrets qui l’élèvent au
mythe, d’une richesse de sentiments qui la
rapproche des êtres, mais c’est sans doute sa
symbolique révolutionnaire qui est la plus
édifiante, car le combat de la montagne, c’est
le combat de l’Algérie toute entière.
La guerre implique la violence, or la
violence (physique) fait souvent couler le
sang; celui-ci outre sa couleur rouge,
inspirant la mort ou la blessure mortelle, est
intégré dans plusieurs images sans doute
classiques: «cette journée de sang » (Djebar,
1962: 171) ou «du sang qui sèche» (Djebar,
1962: 23). Ces images sont accentuées chez
Djebar par une tendance à la représentation
de l’horreur.
L’horreur fait jour dans l’expression de la
mort qui s’infiltre progressivement: «[…] la
guerre tissait pernicieusement ses fils: ceux
du piège et de la mort» (Djebar, 1962: 63).
Le fil tissé inspire l’idée d’une progression
lente, mais sûre et malfaisante. L’univers de
violence prend des caractéristiques
particulières, et l’on peut remarquer
l’assimilation de la violence au feu, dans des
expressions telles que «l’enfer» et «le
brasier», annoncée et confirmée dès le début
du roman par l’image de «la montagne dans
les feux de la lutte» (Djebar, 1962: 13).
Ainsi, la réalité se trouve remaniée, du
moins dans sa forme, par les images et les
expressions métaphoriques de l’auteur.
Djebar crée donc une sorte d’enveloppe
littéraire qu’il faut dépouiller pour retrouver
le fait réel brut.
Il est à souligner que si nous retrouvons les
éléments d’une vision poétique sur la guerre
dans Les Enfants du nouveau monde, ceci ne
peut pas être expliqué uniquement par les
techniques de la poétique française, car
Assia Djebar, bien qu’elle soit écrivain
francophone, appartient à une double culture
et s’inspire largement de la rhétorique arabo-
28/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
musulmane, où la poésie est une tradition
séculaire. En outre, nous ne pouvons
négliger l’importance de la littérature orale8.
Ces deux éléments culturels ont sans doute
été d’un grand apport pour Assia Djebar, car
ils autorisent l’interaction du propre et du
figuré et la variation des rapports de sens.
Les images poétiques de la guerre chez
Djebar peuvent donc être expliquées par
l’influence de la poésie orale kabyle où
l’imagination et le sens de l’exagération
proviennent d’une nécessité culturelle.
En outre, le réalisme poétique justifie la
question du rapport entre la culture et la
littérature. Conçue dans ce rapport, la
littérature développée chez Djebar est une
revalorisation des formes d’expression
artistique populaire de l’Algérie
combattante. La question du rapport entre la
culture et littérature nous amène à penser à
l’idée d'une littérature politique où l’on peut
lire la volonté de l’affirmation d’une identité,
et donc dans le contexte historique de
l’Algérie, de schémas culturels et artistiques
qui veulent s’imposer en participant d’une
8 Cette question a bien été soulignée par Jean Déjeux,
dans sa recherche sur la littérature algérienne: «Dans
un pays où la culture orale est encore développée, où
l’on boit la parole et où le plaisir d’entendre ce qui
coule de source est toujours apprécié, on ne peut
passer sous silence la grande tradition de poésie orale,
en arabe, et en berbère qui demeure vivante.» (Déjeux,
1975: 117)
certaine façon au rejet de la domination de
l’autre.
2. Réalisme dans la description des mœurs
et de la vie quotidienne
Ce réalisme se manifeste par la tendance
de l’auteur à décrire les évènements avec
force détails, comme par exemple l’agitation
que Djebar peint de la façon suivante : «[…]
l’agitation des jours qui avaient suivi: un
attentat en plein centre, deux rafles, une
vaste opération de contrôle» (Djebar, 1962:
21)
Ces descriptions précises des évènements
sont menées dans le but de présenter une
atmosphère de guerre, car l’auteure entend
installer une sorte de décor pour préciser que
la vie de tous les jours continue, et que les
traditions sont plus ou moins respectées
malgré la situation de guerre qui règne dans
la ville.
Ainsi, à la mort d’une parente, l’obligation
est d’appliquer les rites funéraires: « les plats
de couscous à offrir aux pauvres» (Djebar,
1962: 21), l’enterrement avec tout ce qu’il
comporte comme cérémonies (le cortège
dans la rue) et qu’un gendarme critique:
«Tas de cérémonies inutiles… on devrait
interdire tout attroupement de nos jours,
même pour leurs morts.» (Djebar, 1962: 49)
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 29
Assia Djebar décrit la vie quotidienne et
les mœurs des Algériens dans «le vieux
quartier arabe» (Djebar, 1962: 121), ses
«cafés maures» (Djebar, 1962: 121),
l’ambiance qui s’empare d’eux, le
comportement des gens qui les fréquentent.
Elle nous parle également de la vie dans la
partie européenne de la ville, les rapports
entre musulmans et européens, l’atmosphère
qui domine dans les «cafés européens»
(Djebar, 1962: 127): « Quelques musulmans
les fréquentent- la ville les distingue, parce
qu’ils boivent de l’alcool- mais ils ne restent
alors que devant le bar, et seuls.» (Djebar,
1962: 127)
L’auteure donne à son lecteur l’occasion
de découvrir les problèmes des appelés
européens pendant la guerre, en insérant au
sein de son roman le récit du soldat français
trompé par sa femme. En outre, nous
pouvons remarquer d’autres histoires
individuelles concernant d’autres
personnages, qui reflètent une vie sociale
influencée par le contexte de la guerre. Par
exemple, l’enrichissement de certains
Algériens opportunistes pendant la période
du combat, est évoqué à travers le portrait de
l’ancien mari de Chérifa:
«[…] ces années de lutte où il avait volé, nargué,
triché avec ses concitoyens, y compris les Européens
qu’il connaissait : son avocat, le fondé de pouvoir de
la banque, le petit colon espagnol dont il achetait
chaque année la récolte d’olives.» (Djebar, 1962: 26)
Un autre trait caractéristique des sociétés
en difficulté, soit une certaine mentalité
obsédée par la réussite, est illustrée par
l’avenir que la famille de Bachir envisage
pour lui: «Son père, depuis le début des
troubles et des répressions, l’a éloigné par
prudence. C’est son seul fils; il s’est mis en
tête d’en faire un médecin.» (Djebar, 1962:
50)
Parler de la vie quotidienne et des mœurs
pendant la guerre, c’est aussi parler de
l’interaction qui existe entre la situation
sociale et la conjoncture, c’est-à-dire parler
du conditionnement de la vie de la
population. Dans Les Enfants du nouveau
monde, la vie est déterminée par la guerre
presque fatalement; c’est le cas de l’amour
inachevé entre Ali et Lila, le cas de Bachir
qui pense à l’engagement et forcément à
l’interruption de ses études, mais l’exemple
le plus édifiant est exprimé par les pensées
rapportées au style indirect libre de l'homme
dont les enfants grandissent dans la guerre et
existent par la guerre: «Et ses enfants: l’aîné
grandit si vite; treize ans maintenant ; encore
deux ans, encore trois, puis la montagne
l’appellera» (Djebar, 1962: 19)
30/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
3. Réalisme psychologique
La guerre crée des rapports nouveaux,
encourage les arrivistes et les fonctions
parasitaires, dégrade les mœurs; et d’autre
part, elle conditionne les gens sur le plan
psychologique. Le passage suivant reflète
assez bien la psychologie de la guerre, telle
qu’elle a été soigneusement peinte par Assia
Djebar dans son roman:
«Les attentats, les arrestations se multipliaient, ces
derniers mois, dans la capitale. Ainsi commençait une
ère nouvelle: tout le monde dehors se surprenait à
marcher avec plus de hâte, mais en veillant à n’en rien
laisser paraître. Les rues de la vielle devenaient, en
plein jour, des tunnels ; un étranger, dans la foule
prenait le visage de l’ennemi […] En dépit de
quelques entractes de la vie ordinaire, partout la
guerre tissait pernicieusement ses fils : ceux du piège
et de la mort, craignaient les uns, et les autres?... Les
autres tremblaient aussi, mais osaient espérer quand
ils percevaient quelque fois comme un vent de
l’avenir.» (Djebar, 1962: 63)
Les réactions des femmes illustrent
également cette psychologie de la guerre.
Les femmes, tout en vivant dans le monde
clos de leurs maisons, réagissent à la guerre
comme si elles étaient ses véritables acteurs
par un processus d’identification. Elles
construisent ainsi l’écran d’une psychologie
concrétisée. A force de l’habitude, leurs
réactions deviennent instinctives,
mécaniques à l’annonce de l’évènement,
tantôt c’est la peur, tantôt la colère contre
l’ennemi, tantôt l’attente angoissante puis
l’espoir, l’enthousiasme ou la joie à la vue
d’une quelconque réussite de leurs
compatriotes.
Par ailleurs, le réalisme psychologique
apparaît dans le comportement de certains
personnages, telle Lila qui veut «faire»
comme Ali, c’est-à-dire s’engager, tel Bachir
qui se pose des questions sur la finalité de
ses études en cette période cruciale de la
guerre. Les monologues qu’entretiennent ces
deux personnages, chacun de son côté, sont
particulièrement éclairants quant à la
psychologie qui les conditionne. Bachir,
c’est l’adolescent qui ne résiste pas à
l’ambiance psycho-sociale régnant dans son
pays en guerre ; il se demande:
«Maintenant, que signifient pour moi les
études et le reste? Rien… Je veux agir comme
les autres, comme les frères (c’est la première
fois qu’il emploie le langage des militants, il
rougit légèrement, en espérant que l’autre n’a
rien remarqué.)» (Djebar, 1962: 177)
L’on peut comprendre que sa personnalité
est troublée car l’engagement est pour lui
une dure épreuve; la nouvelle voie qu’il s’est
tracée est difficile, aussi passe-t-il par des
étapes de mutation psychologique
nécessaire. « (Il bafouille, hésite- impuissant
et le ressentant douloureusement- de ne
savoir exprimer l’acheminement de sa
certitude neuve) » (Djebar, 1962: 178), enfin
il prend sa décision: «Je monterai au maquis,
[…] c’est cela, je monterai! Pour certains,
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 31
aller à la guerre est un devoir, et pour
d’autres, un départ héroïque. Pour moi, c’est
un besoin… une chance…» (Djebar, 1962:
255)
Lila montre, elle aussi, dans ses
monologues, une mutation psychologique
causée par la guerre. Cette évolution se fait
progressivement, à commencer par ses
doutes: « La philosophie! A quoi pourrait-
elle servir, à présent? Bien plus, elle avait en
horreur maintenant cette science à
apprendre. » (Djebar, 1962: 65)
Elle passe par une période très critique, en
pensant à l’absence d’Ali : « Il faut que je lui
parle ! Je veux partir, s’il doit partir. Je veux
participer […] Cela ne peut durer» (Djebar,
1962: 66).
Mais c’est le départ d’Ali, et Lila de penser
avec tristesse par l’intermédiaire du
narrateur: « Pourquoi n’avait-elle pas été
près de lui, en lui, quand il avait dû se parler
ainsi? » (Djebar, 1962: 256)
Finalement, c’est la révolution qui prend le
dessus sur l’amour ; Ali est au maquis et Lila
est en prison, et c’est paradoxalement là,
qu’elle sent enfin la quiétude et le bonheur,
puisque l’engagement lui donne le sentiment
d’une pleine existence: «Quelle chance!, se
dira-t-elle ensuite, bien plus tard, dans la
cellule qu’elle partagera avec Salima»
(Djebar, 1962: 271)
Idéologie de la guerre
Si nous nous sommes concentrés jusque-là
sur le texte même du roman djebarien, c’est
parce la perspective sociocritique de Pierre
V. Zima s’attache surtout à décrire les
manifestations de l’idéologie inscrite dans
les différents phénomènes textuels.
Rappelons que conformément à cette
méthodologie, la notion de l’idéologie doit
être conçue comme une pratique discursive,
et doit donc être examinée en s’appuyant sur
un support textuel. En effet, la sociologie du
texte tente de représenter les différents
niveaux textuels comme des structures à la
fois linguistiques et sociales. Après avoir
abordé les niveaux sémantiques et
syntaxiques (narratifs), et examiné leurs
rapports dialectiques, nous pouvons nous
attacher à déceler l’idéologie que ces
éléments textuels soutiennent et mettent en
valeur.
La guerre de libération algérienne, telle
qu’elle a été décrite par Assia Djebar dans ce
roman, entraîne des séparations de couples et
des changements soudains dans la vie des
personnages, ce qui fait penser à la dureté
que la guerre inspire et à ses inévitables
conséquences sur l’existence. Considéré
dans ce contexte, la guerre d’Algérie suscite
une réflexion sur la notion de guerre dans
l’absolu. Si une guerre dont l’objectif est
32/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
noble n’a pas besoin d’être justifiée,
puisqu’elle ne pose pas de dilemme au
niveau de l’engagement vu qu’elle s’impose
comme un impératif; sa nécessité d’un point
de vue absolu peut toujours devenir
problématique. L’adhésion à un projet
n’exige pas nécessairement sa sacralisation.
Nous pouvons remarquer dans ce sens une
certaine particularité dans la présentation de
l’image de la guerre dans Les Enfants du
nouveau monde, dont l’auteur malgré le fait
d’insister sur l’engagement de ses
personnages, a gardé un œil critique sur la
guerre, en l’insérant dans le cadre combien
trompeur du spectacle. La notion de
guerre/spectacle offre en effet une horrible
vision du déroulement des événements. La
guerre provoque la peur, la terreur, et
l’aversion tant du côté des spectateurs que du
côté des acteurs de cette tragédie. Notons par
exemple, d'un point de vue lexical, que le
mot «peur» est répété maintes fois; l’on peut
retenir les phrases suivantes où figure ce
terme:
«Il s’applique à oublier sa peur.» (Djebar,
1962: 18)
«La peur s’infiltrait partout.» (Djebar,
1962: 63)
«[…] Reste, j’ai peur!» (Djebar, 1962: 71)
Même, du côté des combattants qui veulent
défendre l’intégrité territoriale de leur pays
et l’indépendance de leur peuple, la
participation à la guerre ou son spectacle
n’implique pas une entière approbation, ainsi
ils l’évoquent en terme de la «sale guerre»
ou de la «maudite guerre». Le dualisme que
suscite toute guerre juste n'est pas
schématique, ainsi nous ne pouvons pas
relever avec évidence une distinction
stéréotypée entre les bons et les mauvais, ou
entre les «pacifiques» qui n’aiment pas la
guerre, et les «méchants» assoiffés de
violence.
Ceci pour dire que la vision de Djebar
porte en elle des symptômes d’aversion pour
la guerre qui ne sont sans doute pas exposés
clairement mais que nous pouvons déduire
de ses tendances à la nuance. Les héros
existent dans le camp des opprimés, mais il
faut également noter la présence d’Algériens
corrompus par le pouvoir des colonisateurs,
prenons à cet égard l’exemple du harki
Hakim, qui étant lui-même d’origine
algérienne collabore pourtant avec les
Français en torturant ses compatriotes
résistants. Ces nuances ne sont pas le fruit de
l’imagination, car les types de personnages
d’Assia Djebar reflètent la réalité, et le
paradoxe dans leur engagement pour l'un ou
l’autre camp n’a pour but que de respecter
cette réalité. C’est la situation propre de la
guerre qui a fait que des individus d’une
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 33
même nation se retrouvent ennemis; autant
dire que Djebar dévoile peut-être
intentionnellement les contradictions
inhumaines nées de la guerre. C’est donc à
une sorte de démystification de la guerre que
Djebar s’est attelée sans pourtant
transgresser le sens de son engagement dans
la lutte de ses compatriotes.
En effet, la vision d’Assia Djebar,
exprimée à travers son roman, porte
implicitement ou explicitement selon les
divers passages, une condamnation de la
guerre dans sa signification la plus absolue.
D’ailleurs, la guerre d’Algérie elle-même,
malgré sa nécessité impérative est
douloureusement ressentie par cette
écrivaine, de par ses aspects négatifs. A
certains égards, cette douleur peut paraître
affective, par exemple au niveau de
l’expérience amoureuse, où la guerre
entraîne des ruptures intimes comme celle
entre Ali et Lila, ou au niveau de l’instinct
de conservation qui se manifeste devant la
menace et qui se traduit par les images de la
mort et de la destruction. La guerre de
libération interprétée comme une entreprise
légitime est elle aussi chargée d’un poids
émotionnel illustré par les images de l’auto-
satisfaction ou de la compensation:
l’héroïsme, le sacrifice, sublimés, sacrifiés,
etc., par exemple dans le cas du personnage
de Mahmoud; l’engagement de certains
personnages dans la guerre de libération par
exemple est accompli au détriment des
intérêts individuels.
Cependant, cette douleur ne peut se situer
en aucun cas dans le cadre d’un humanisme
pur. Accordant une importance primordiale à
l’idéologie dans sa sociocritique, Zima
précise que «l’idéologie […] doit être
conçue comme un discours issu d’un
sociolecte particulier» (Zima, 1985: 147). Il
constate qu’il ne s’agit pas de considérer la
totalité d’une situation linguistique, mais de
rendre compte de la situation «telle qu’elle a
été vécue par l’auteur en question et par les
écrivains qu’il connaissait, critiquait ou
appuyait» (Djebar, 1962: 143). Tenant
compte du modèle de Zima, on remarque
que la vision de ces écrivains est
nécessairement politique, car toute guerre de
libération symbolise un idéal, et cet idéal
peut s’élargir, devenir institutionnel, ou
même évoluer vers une idéologie complète
fonctionnant comme un support à une
politique bien définie. Toute guerre de
libération exige une idéologie de combat: en
principe une idéologie nationaliste qui
consolide ou rénove les valeurs et d’ailleurs
toute guerre légitime ou non appelle à la
justification.
34/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Du côté français, les intellectuels
favorables à la consolidation du colonialisme
par la force parlaient au nom des droits
légitimes comme l’ont déjà fait les
prometteurs des expéditions coloniales du
XIXe siècle. L’expédition coloniale a eu sa
propre idéologie pour se justifier: le
colonialisme se référait à un prétexte
civilisateur et humanitaire pour dominer les
autres peuples dits «arriérés».
Du côté algérien, nous pouvons considérer
les écrivains favorables à la guerre de
libération comme les porte-paroles de
l’idéologie nationaliste née en faveur de
l’éveil des sentiments patriotiques et par
réaction à l’idéologie de «l’Algérie
française». La conscience de l’appartenance
à une nation autre que celle imposée par le
colonialisme se manifeste dans la quasi-
totalité des œuvres d’écrivains algériens,
entre autres celles d’Assia Djebar. La
revalorisation des valeurs de cette nation se
lit à travers la tentative djebarienne de
donner une image saisissante du passé de
l’Algérie, signe de l’authenticité.
L’importance qu’elle accorde à la culture
populaire va aussi dans le sens d’une
sensibilisation aux valeurs réelles de la
nation, issue du fin fond de la patrie.
D’ailleurs, l’écrivaine dévoilera plus tard, de
façon explicite son intention de «faire
réaffleurer les cultures traditionnelles mises
au ban, maltraiteés, longtemps méprisées, les
inscrire, elles, dans un texte nouveau »
(Djebar, 1999: 29). La même tendance se
retrouve dans la recherche d’une identité,
illustrée dans Les Enfants du nouveau monde
notamment à travers cette réflexion de
Khaled: «Dans notre histoire […] nous
avons toujours eu à résister ; ce peuple s’est
toujours formé en se jetant dans le combat,
ou en se formant dans l’orgueil…» (Djebar,
1962: 217)
D’autre part, l’idéologie nationaliste
s’exprime dans Les Enfants du nouveau
monde, également à travers les actes de
plusieurs personnages qui s’engagent dans la
guerre de libération, au détriment de leurs
intérêts individuels. Ils sont convaincus que
la cause défendue par la Révolution est juste
et qu’il faut faire des sacrifices pour sauver
l’avenir du pays. Tout ceci nous mène à
déduire que cette œuvre sur la guerre n’est
pas une simple description de la guerre, car
Djebar ne prend pas celle-ci que comme un
prétexte favorable pour écrire. Ce qu’elle a
écrit est surtout le résultat logique de ses
préoccupations patriotiques. Par là même,
nous pouvons constater que dans une
certaine mesure la littérature maghrébine
d’expression française a une fondation
idéologique qui s’inscrit dans un réel parti
Réalité et poéticité à travers l’écriture djebarienne …/ 35
pris des objectifs de la guerre de libération.9
Retenons à ce propos cette interprétation de
Ghani Merad:
«La littérature algérienne est un hymne profond à la
gloire de l’Algérie martyre, de l’Algérie en lutte pour
se retrouver et se reconstruire, pour former un tout uni
et libre, c’est une vaste quête de la personnalité, la
recherche d’un "moi" enraciné dans l’Histoire et
projeté vers un avenir, l’espoir d'un "nous" national. »
(Merad, 1976:105)
Conclusion:
Assia Djebar a contribué à contourner la
guerre d’Algérie dans ses nuances. L’image
de la guerre reflétée par Les Enfants du
nouveau monde est teintée d’une vision
poétique et porteuse d’une charge
psychologique. Dans sa description réaliste
des plus infimes détails du spectacle de la
guerre, Assia Djebar a dépassé le seuil du
réalisme et atteint l’originalité en adoptant
les notions de réalisme psychologique et de
réalisme poétique. Sa tentative s’inscrit dans
une progression vers l’harmonisation de
l’écrit et du social, ainsi que vers
l’établissement d’un rapport équilibré entre
la part de fiction et celle de réalité au sein de
l’œuvre littéraire.
L’image de la guerre qu’Assia Djebar
exprime dans son roman est également
teintée d’une idéologie nationaliste, dans le
9 Voir à ce propos l’approche socio-historique de Jean
Déjeux dans Littérature maghrébine de langue
française: introduction générale et auteurs, chapitre I,
panorama rétrospectif.
sens où les interprétations de l’auteur sont
dirigées vers la dénonciation du colonialisme
et de la violence qu’elle a engendrée par la
guerre, ainsi que le rejet de la culture
étrangère pour et par l’affirmation de valeurs
authentiquement algériennes. Pourtant,
Djebar ne se lance pas dans une ample
justification, ni une entière légitimation de la
lutte pour la libération. Elle procède même à
une démystification et une désacralisation de
la guerre, en dénonçant les conséquences
néfastes d’une telle situation sur l’existence
des hommes et des femmes qui la subissent.
Nous pouvons donc dire que Les Enfants du
nouveau monde offre un véritable miroir
réflexif, car en plus d’un événement qu’elle
perpétue, elle enrichit considérablement la
signification philosophique de la guerre.
Bibliographie: Bouzar, W (1984). Lectures maghrébines. Paris:
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________ (1978). Pour une sociologie du texte
littéraire. Paris: Union générale d’Editions.
_______________________________________________
L’incipit dans les contes philosophiques de François Voltaire:
Etude sélective de Candide et Micromégas
Azimi-Meibodi, Nazita*
Maître assistante, Université d’Ispahan, Ispahan, Iran
Ziaee, Malihe **
Etudiante en Master II, Université d’Ispahan, Ispahan, Iran
Reçu: 29.11.2013 Accepté: 26.10.2014
Résumé
Comment les premiers mots d’un roman conduisent le lecteur vers son contenu? Comment l’écrivain
enchaine l’esprit du lecteur avec l’inattendu auquel il serait confronté dans sa lecture? C’est l’incipit qui
assume ce rôle inévitable pour diriger le lecteur. L’objectif du présent article est de répondre à ces
questions et ainsi de démontrer à travers les contes Micromégas et Candide de quelle façon Voltaire,
comme un conteur, grâce à l’incipit, répond aux différentes questions posées par le lecteur. Il peut ainsi
découvrir déjà au début de l’histoire un événement ou un sujet important qui va éclairer un ensemble plus
grand d’événements ou de sujets formant le nœud du conte. Le présent travail envisage d’étudier par quels
procédés techniques, grammaticaux ou autres, Voltaire évoque sa philosophie ainsi que les thèmes
ironique et satirique lorsqu’il conduit le lecteur sur terre ou quand il l’amène dans la fantaisie des univers
imaginaires des planètes, par exemple, et ceci à travers les incipit des récits de voyage extraordinaires.
Mots clés: Incipit, conte, ironie, Voltaire, Micromégas, Candide.
Introduction
À lire la toute première phrase, l’«incipit»,
des contes de Voltaire on a ce sentiment de
pouvoir tout deviner. Mais est-ce vraiment
de la sorte? Est-ce vraiment de la sorte en ce
qui concerne tous les contes de Voltaire? Ou
bien encore est-ce de la sorte en ce qui
concerne tous les écrits constituant une étude
plus vaste sur le sujet posé plus haut. Voici
ce qui constitue l’objet de cet article.
À travers deux des contes philosophiques
de Voltaire; Micromégas et Candide, le
présent travail s’occupe donc de l’étude des
incipit et prend en considération comment se
présentent ces incipit pour trouver
éventuellement des points communs et des
croisements. Il cherche à étudier si l’auteur
vise dès le début le contenu et la fin de son
œuvre, si dès le début, les mots de l’incipit
ont l’intention de nous conduire vers le sens
et le contenu de ce qui va suivre ou bien
faudrait-il attendre la fin de la lecture de
l’œuvre pour en comprendre le sens.
Plusieurs fonctions peuvent se dégager
d’après la lecture d’un incipit; ce dernier a
également une valeur d’annonce et
programme la suite du texte. En effet, il
définit le genre du texte littéraire que nous
avons en mains (roman épistolaire, roman
réaliste, etc) et les choix de narration (point
de vue, vocabulaire, registre de langue, etc)
de l’auteur ; il accroche et séduit le lecteur ;
38/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
attire son attention en s’adressant
directement à lui. Différents signes
annonciateurs du genre littéraire aussi, tel «Il
était une fois», apparaissent en général, dans
l’incipit.
Définitions
Le terme «incipit» vient du verbe latin
incipire = commencer, premier mot d’une
œuvre, ou d’un manuscrit. L’incipit sert à
désigner le commencement d’un roman par
les premiers mots à la première unité voire
même premier paragraphe. (Goelzer, 1966:
125)
Andrea Del Lungo à propos de l’incipit
écrit: « cette frontière-seuil est également
l’espace d’une rencontre entre auteur et
lecteur, lieu de concentration du désir et de
l’attente, endroit stratégique où les actants de
la communication se définissent» (2005: 10).
Dans le seul domaine du roman, Del lungo a
désigné, par ce terme, la première phrase du
texte, aussi nommée «phrase-seuil» ».
Hamon, dans son article, cite Aragon qui,
dans son ouvrage intitulé Je n’ai pas appris
à écrire, ou les incipit1 (1969), considère la
première phrase comme étant le fil
conducteur de tout le roman et fait
remarquer que tout le texte est en fait,
l’exploration et la découverte des moyens
1 Incipit au pluriel peut s'écrire avec ou sans "s".
linguistiques qui se représentent dans les
phrases seuils. Par élargissement du sens, il
désigne aujourd’hui le plus souvent le début
de l’ouvrage, de longueur variable selon les
nécessités de composition qui le découpent.
Selon différents chercheurs, il peut ne durer
que quelques phrases, mais peut aussi
comprendre plusieurs pages comme chez
Balzac. C’est donc une mise en relief de la
difficulté à aborder. Il donne des
informations sur le lieu et l’époque du récit,
les personnages et l’intrigue. Ainsi, selon
Peyroutet «le début d’un récit doit être une
véritable accroche» (Peyroutet, 2005: 5).
Pierre Simonet définit l’incipit de la façon
qui suit: l’incipit est le début d’un texte
comme un apéritif qui ouvre l’appétit et qui
donne l’envie de continuer la lecture, la
dégustation, de poursuivre jusqu’à la
dernière ligne. (Anthologie des premières
phrases: 2009: 73).
L’incipit d’un récit répond généralement à
trois caractéristiques: - il informe, intéresse
et noue le pacte ou le contrat de lecture ; -
l’incipit avance par divers procédés
techniques. Par exemple dans le cas de
Micromégas, on peut noter l’utilisation
d’une des figures de style telle l’oxymore
qui revient au choix du titre-même, c’est-à-
dire Micromégas ; - l’incipit crée un monde
fictif en donnant des informations sur les
L’incipit dans les contes philosophiques de François … / 39
personnages, le lieu et le temps. Des
descriptions mêlées à la narration répondent
aux différentes questions permettant au
lecteur de découvrir dans l’histoire un
événement important qui va éclairer un
ensemble d’événements formant le nœud
d’un conte ou d’un roman. Il existe quatre
types d’incipit:
1- statique: informatif et très fréquent.
Informatif parce que par exemple Balzac
dans ses romans réalistes décrit avec une très
grande précision le décor de l’histoire, les
personnages mais aussi le contexte
historique, social, politique et économique
de l’action. La multitude des détails suspend
l’action et met le lecteur en état d’attente.
2- progressif: épanche petit à petit des
informations mais ne répond pas à toutes les
questions que peut se poser le lecteur mais
lui donne le goût de continuer, ce qui est le
cas dans les contes que nous avons choisis.
3- dynamique: jette le lecteur dans une
histoire qui a déjà commencée, sans
explication préalable sur la situation, ni les
personnages, ni le lieu ni le moment de
l’action.
4- suspensif: donne peu d’informations
et cherche à dérouter le lecteur. (Del Lungo,
2003: 139).
Fonctions de conte
Ainsi, en évoquant les fonctions que
l’incipit remplit dans une œuvre et en les
étudiant particulièrement dans les deux
contes philosophiques de François Voltaire,
nous avons comme objectif de répondre,
dans cet article, aux questions posées plus
haut. Nous essayerons d’expliquer comment
l’incipit est formé et représenté dans ces
deux contes? Quelles fonctions a-t-il dans la
formation et la représentation d’un conte
philosophique, ainsi que sa forme critique et
satirique?
Cette dernière question est directement liée
à la définition du conte philosophique qui est
une histoire fictive, produite par l’auteur
dans le but de peindre une critique de la
société et du pouvoir, le plus souvent
fustigée dans toutes ses dimensions (mœurs
de vie mondaine et rurale, pouvoir politique,
arts, intolérance religieuse et étude du
lexique). Étant également une manière pour
les philosophes de défendre leurs idées, ce
genre a été particulièrement utilisé par les
philosophes des Lumières, notamment
Voltaire, dans Candide.
Voltaire invite le lecteur à prendre
conscience des vices humaines et de la
possibilité de présence du mal sur la terre
dans Candide, ce qui donne aussi une
dimension satirique à l’œuvre déjà évident
40/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
dans l’incipit. Le conte devient un moyen
plaisant pour faire réfléchir le lecteur sur la
place de l’homme dans l’univers, en
réunissant la fiction et les morales
philosophiques des Lumières. Les héros de
Voltaire tels Candide, Zadig, Micromégas,
l’Ingénu sont parés de traits de caractères
enviables. On pourra donc lire ce texte à
plusieurs degrés en fonction desquels
l’histoire sera plus ou moins significative et
profonde. Mais qui dit philosophie dit
normalement haut degré d’abstraction
introduit par un incipit envisageant une
critique et de dénoncer le dysfonctionnement
de la société. Les visées des contes
voltairiens sont donc doubles:
philosophiques et satiriques avec toujours
une dimension critique.
Le lecteur ne sachant rien à l’avance de
l’histoire qu’il entreprend ne dispose que du
tremplin des premiers mots de l’incipit. À la
place de l’auteur, la phrase-seuil va orienter
le lecteur vers le déroulement du texte. Une
série de métaphores tout au long du texte,
suivant la fonction générative de l’incipit
oriente le lecteur sur une route qui conduit
l’esprit à une attente sur la suite du récit. «Il
est le point de départ […]. La fonction de
l’incipit est d’indiquer que le texte n’existe
que par la lecture qu’on en fait». (Béguin,
2002: 5). Il est claire qu’une seule et unique
lecture ne découle pas d’un texte précis mais
au contraire il y en a des bornes basées,
selon Andrea Del Lungo, sur «la recherche
d’un effet de clôture ou d’une fracture dans
le texte, soit formelle soit thématique, isolant
la première unité.» (Del Lungo, 1993: 135-
136).
Analyse des données:
Le premier conte étudié, ayant pour titre
Micromégas et pour sous-titre histoire
philosophique, désigne bien le genre du
texte. Tandis qu’au premier regard,
Micromégas est un conte court dont l’action,
toujours relatée au passé, se situe sur la
Terre, le conte est d’abord un mélange
étonnant d’astronomie, de réflexion
philosophique, scientifique, littéraire et
mondaine avec un caractère impulsif.
Micromégas est un géant savant habitant la
planète Sirius. À la suite des travaux
scientifiques contestés par le clergé de sa
planète, il est contraint à l’exil. Il voyage sur
la Terre et entre en relation avec les
hommes. Il écoute les partisans de différents
philosophes exposer leurs systèmes. Il les
considère comme des petites mites qui
décident de tout avec assurance. Micromégas
les quitte, un peu fâché de voir que les
infiniments petits ont un orgueil presque
infiniment grand.
L’incipit dans les contes philosophiques de François … / 41
Voici l’incipit de Micromégas: «Dans une
de ces planètes qui tournent autour de
l’étoile nommée Sirius, il y avait un jeune
homme de beaucoup d’esprit, que j’ai
l’honneur de connaître dans le dernier
voyage qu’il fit sur notre petit fourmilière; il
s’appelait Micromégas, nom qui convient
fort à tous les grands» (2000: 2). Il s’étend
presque sur cinq lignes dans l’édition citée
dans la bibliographie de cet article. Cet
incipit contient des éléments qui, comme
dans les définitions, se terminent par la
présentation du héros, de l’endroit, et un peu
plus loin de l’époque de notre conte.
Pour l’analyse de l’incipit de notre premier
conte «Micromégas» commençons déjà par
le titre: Une des leçons de ce conte est que
tout être existe toujours entre deux infinis.
Même le géant Micromégas est un «grand-
petit». Peu importe alors la taille apparente,
toute créature est un milieu entre le tout et le
rien. C’est un nom composé de deux mots
antonymes opposés directement par le sens ;
Micro-mégas; petit-grand, c’est donc un
oxymore. Comme beaucoup de personnages
imaginés par Voltaire, Micromégas est doté
d’un nom fantaisiste, destiné à produire
quelque effet comique. Précisons sur
l’étymologie du mot qui est un nom propre
concluant le thème du conte philosophique.
Micromégas se compose de deux éléments
d’origines grecques ; «micros» qui signifie
petit et «mégas» qui signifie grand où en
somme on voit un paradoxe. Leur
association fait une comparaison fondée sur
la relativité des dimensions. Un nom propre
aux sens scientifiques dans lequel est inscrite
l’idée de cette histoire que chaque être et
chaque idée dans l’univers, qu’il soit Sirien,
Saturnien ou Terrien, apparaît comme une
balance entre le micron et le méga.
(Debailly, 1992: 16)
Rappelons que Voltaire a pour but premier
de critiquer et banaliser la société de son
temps et dans cet objectif il adopte un ton
ironique. C’est pourquoi il se sert aussi d’un
datif éthique tel «ces», adjectif démonstratif
dans «ces planètes» (Maingueneau, 1999:
27). Ainsi, sachant qu’un adjectif
démonstratif avec un rôle de déictique sert à
montrer ce qui est présent dans l’espace et le
temps ainsi que son omniprésence. L’intérêt
de ce datif est dans le fait que cette planète
n’existe pas dans le présent de la lecture ni
dans la réalité mais de cette façon Voltaire se
sert de ce démonstratif pour créer un effet de
réel dans son conte. Voltaire montre ainsi sa
propre pensé à l’aide de la critique et de
l’ironie continuelle qu’il adopte envers la
société de l’époque.
Quant à l’emploi de «il y a», il est à penser
que c’est pour insister sur le caractère fort et
42/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
fictionnel du conte, que l’auteur emploie
dans l’incipit. L’expression «il y avait» est
un marque de rupture avec le monde
ordinaire, actuel ainsi que le temps du
narrateur «je» qui vient deux lignes plus
loin. Il faut signaler cependant que
l’affirmation de la réalité est quelquefois
utilisée, au cours du conte, en tant que
moyen de fixer l’attention du lecteur et lui
donner l’impression de rencontrer la vérité
au milieu des inventions les plus
fantastiques. Le conteur se présente alors
comme un défendeur ironique entre le
monde réel qui ramène le lecteur sur Terre et
l’univers imaginaire qui est un récit de
voyage extraordinaire inventé. L’époque est
un temps du passé mais pas définissable et le
temps du récit est à l’imparfait, au passé
simple et au passé composé.
Micromégas est aussi présenté comme un
savant qui était «un jeune homme avec
beaucoup d’esprit.» Le début du chapitre
présente le héros Micromégas qui est, en
même temps, un géant et un savant habitant
de Sirius. Cet extrait relate la cause de l’exil
de Micromégas qui va être à l’origine de son
voyage interplanétaire. Il est exilé et en
voyage. C’est en lisant le reste du conte
qu’on s’aperçoit qu’il est en exil pour avoir
écrit un livre scientifique. L’évolution
d’exclusion dont il est victime, ainsi que le
désir de compléter son éducation par lui-
même, font de Micromégas un voyageur
actif d'une curiosité infinie et ayant la
volonté de se faire une idée aussi juste et
lucide que possible de la vie. L’idée de
relativité de ce conte est exprimée par une
périphrase péjorative d’une façon très
frappante et très signifiante dans l’incipit
«sur notre petite fourmilière» qui désigne la
Terre. Déjà «petite» exprime l’idée de
relativité et ce qui est plus important
demeure dans l’emploi du terme
«fourmilière». Petit Robert définit
fourmilière de deux façons suivantes: (Petit
Robert: 2009, 665)
1- Habitation commune, souvent de
plusieurs étages, pourvus de galeries, de
loges, etc., où vivent les fourmis. 2- Lieu où
vit et s’agite une multitude de personnes.
L’une et l’autre de ces deux définitions
nous conduisent à l’idée de Voltaire qui étale
un ensemble de gens ressemblant à des
fourmis qui font jours et nuits la même chose
sans grande réflexion. Les philosophes
participant à la conversation avec
Micromégas ne peuvent le satisfaire et lui
donner de réponse raisonnable aux notionss
demandées. Il reprend encore une fois l’idée
de «fourmilière» et des fourmis qui font sans
cesse la même chose sans réfléchir et sans
arrêt. Remarquons que la fourmi est
L’incipit dans les contes philosophiques de François … / 43
également le symbole de petitesse. L’auteur
nous dirige déjà vers les chapitres qui
suivent, où le héros se met à rire à cause de
cet excès de petitesse des habitants de notre
planète, où il ressent de la pitié pour la
petitesse de la race humaine. Cette
métaphore employée par Voltaire dans
Micromégas à côté de château de monsieur
baron Thunder-ten-tronckh dans Candide
revient à la même idée. Ainsi Voltaire se sert
de cette occasion pour se moquer de tous les
habitants prétentieux et surtout les dirigeants
de la terre.
Avant toute chose, l’incipit met en avant
un univers de conte traditionnel, illustré
dans le texte par les formules du conte, les
éléments spatio-temporels et les poncifs,
ainsi que des personnages représentatifs de
ce genre très codé, qui fait partie des
références culturelles du lecteur. C’est
pourquoi la réception et l’interprétation du
texte seraient différentes selon le lecteur et
l’époque. Plusieurs lecteurs appellent donc
plusieurs lectures.
Passons maintenant à Candide autre conte
philosophique de Voltaire qui dépeint un
monde où le mal est une réalité qui nous
accompagne partout. «Candide est un jeune
garçon à qui la nature avait donné les mœurs
les plus douces», sans expérience comme il
est, pense qu’ailleurs la vie est meilleure.
Notre héros va en fait être détrompé par
Pangloss (pan, «tout» ; gloss, «gloser») qui
est un philosophe, maître de Candide. Dans
ce conte, le monde n’est pas fait pour les
idéalistes, la réalité est détestable, la bonne
volonté et l’honnêteté sont méprisées.
Candide va en fait connaître l’amère
expérience de n’être qu’un jeune
métaphysicien analphabète des événements
de ce monde. (Gaillard, 1992: 25)
L’incipit est ce qui suit Candide, le titre:
«Il y avait en Vestphalie, dans le château de
monsieur baron Thunder-ten-tronckh, un
jeune garçon à qui la nature avait donné les
mœurs les plus douces» (1991: 2).
De même que pour Micromégas, pour
démarrer le récit, dans Candide, Voltaire à
recours tout d’abord à la formule
traditionnelle du conte: «Il y avait en
Vestphalie». La description du lieu en fait
une petite société, un endroit merveilleux,
coupé du monde et de la réalité. Les
personnages sont mis en scène dans un lieu
imprécis: «Vestphalie», qui, dans le conte,
est un pays peu connu et considéré comme
un lieu digne de conte de fée. .Quant au nom
du château: « Thunder-ten-tronckh», c’est un
nom fantaisie inventé par Voltaire pour se
moquer de la langue allemande dont il
trouvait les sonorités trop dures et peu
élégantes, inharmoniques et ironiques
44/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
relevant de l’imagination. On se situe donc
dans un monde qui semble lointain, voire
imaginaire: monde d’un conte. Le récit
débute en Vestphalie pour se dérouler
ensuite dans un château, le château de
monsieur baron Thunder-ten-tronckh. Avec
ce choix de la ville de Vestphalie et le nom
de château et de son propriétaire, Voltaire
choisit l’intemporalité propre à l’univers du
conte et l’absence de toute précision pour
créer plus d’irréalité. L’univers qu’il
construit est fantasmatique et permet de
placer une philosophie au centre de ce petit
monde.
La présence d’un certain nombre de
grincements à l’oreille tel le nom du château
invite à une lecture ironique du texte pour
montrer que derrière cette façade idyllique le
monde du baron n’est pas ce qu’il semble
être. Cet incipit dévoile donc plus encore cet
univers merveilleux et l’ironise de plus en
plus. L’allitération en « t » du nom Thunder-
ten-tronckh montre la dureté du nom du
baron qui annonce déjà sa cruauté puisque
plus tard il va chasser Candide de son
château. « Thunder »= le foudre.
Le baron de Thunder-ten-tronkh, évoqué
en premier lieu par son nom et son château
quatre lignes plus loin, apparaît comme
maître de maison et digne de respect dont il
profite. Le château, symbole du bonheur
pour Candide, servira de référence pour son
apprentissage
Le conte est présenté sous forme d’une
description à l’imparfait, avec par exemple:
«avait» comme forme verbale dans l’incipit.
L’incipit est dominé par l’imparfait ce qui
souligne la vocation de tout incipit, c’est-à-
dire la continuité ainsi que l’annonce du
reste du récit. Il s’agit de présenter la
situation initiale l’élément perturbateur et la
succession des actions viendra ensuite avec
l’utilisation du passé simple. (Grevisse,
2011: 185)
Les interventions directes du narrateur se
voient lorsqu’il dit «je croix», pour cette
raison qu’on le nommait Candide. De l’autre
côté il insiste sur sa simplicité et sa douceur
avec l’utilisation du superlatif «le plus
simple».Ainsi les phénomènes de
renchérissement et d’insistance vont dans ce
sens et donnent à l’ironie un ton bien plus
fort déjà dans l’incipit. Du point de vue
grammaticale, l’expression: «les plus
douces» est un descriptif comparatif. De
même, l’incipit est littéralement envahi par
une caractérisation positive passant par une
description qui présente sous un aspect
favorable et sa version méliorative envers
son personnage principal Candide: «un jeune
garçon à qui la nature avait donné les mœurs
les plus douces» comme vient dans l’incipit.
L’incipit dans les contes philosophiques de François … / 45
Voltaire présente Candide par une
périphrase tel qu’un jeune homme à qui la
nature avait donné les mœurs les plus
douces. De plus, on note une complète
coïncidence entre son apparence et son
caractère sans complexité et que sa
physionomie annonçait son âme.
Contrairement au Candide les autres
personnages de Voltaire sont assez peu
décrits. Il les résume en général à une
caractéristique principale et les rapproche à
des types réduits sans aucune nuance et
complexité.
L’intervention du narrateur et le fait qu’il
«croit» qu’on le nommait Candide conduit le
lecteur à l’idée que le monde présenté n’est
peut-être pas aussi simple et caricaturale
qu’une lecture au premier degré le laisse
entendre.
Quant à la présentation du baron, elle se
fait deux phrases plus loin que l’incipit; la
phrase décrit tout son bien. Son pouvoir est
mis en relief et lui donne une apparence de
richesse qui fait de lui un personnage
important. Monsieur le baron «était un des
plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car
son château avait une porte et des fenêtres.
Sa grande salle même était ornée d’une
tapisserie.» Le lecteur est donc entraîné dans
un univers merveilleux où tout va pour le
mieux ; mais quelques éléments inattendus
comme guerre et tremblent de terre le
mettent sur la voie d’une distorsion dans
l’harmonie générale.
Alors, peut-on dire que l’incipit de
Candide, est effectivement l’image du reste
de l’œuvre, reprend de nombreux éléments
du conte traditionnel tels le merveilleux, le
dépassement spatial et temporel, la fiction et
le langage du conte ; (il y avait, il était une
fois, dans un château, …) pour mieux les
subvertir. En effet, le langage du conte, avec
ses formules, ses superlatifs et son
vocabulaire mélioratif, un contexte irréel et
indéfini ou des personnages caricaturaux qui
ne sont que des types, est surtout le lieu de la
dénonciation des apparences trompeuses. La
dénonciation se fait par le choix d’un ton
ironique dont les noms, et les interventions
du narrateur sont des d’indices. L’ouverture
de ce conte nous dirige vers l’aventure d’un
jeune homme lucide mais intelligent. (Ziaee,
2011).
Conclusion:
L’incipit constitue ainsi la cohérence de
l’ensemble du texte par un glissement qui est
en même temps un recommencement et un
déplacement, un mouvement à la fois du
temps et de l’espace. Si l’incipit se maintient
tout au long du texte, et garantit le maintien
du texte, ce n’est plus un thème ou un cadre
46/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
immuable, mais comme l’exigence de
l’ouverture de chaque thème et de chacun
des cadrages successifs sur le devenir qui les
transforme et les absorbe dans la continuité
d’un sens en procès.
Nous avons essayé, d’aborder la question
dans l’écriture philosophique de Voltaire et
d’examiner particulièrement, le rôle de
l’incipit dans la structure des contes
fantastiques et philosophiques de cet auteur.
Cette étude affirme bien que l’incipit en tant
qu’un lieu spécifique du récit possède une
place déterminante dans la mesure où
l’histoire reprend l’existence, mais aussi et
surtout comme une note indiquant l’essentiel
de cette œuvre littéraire, un extrait résumé de
ce qui suit. L’incipit élabore les éléments
caractéristiques du discours et reflète ainsi ce
que le lecteur doit attendre du récit. Dans le
cas des deux contes étudiés, c’est en effet
dans l’incipit que se manifestent l’ironie et la
philosophie de Voltaire et se déploie son
souci pour l’élaboration de sa critique par
l’ironie. C’est à partir de l’analyse des
éléments du cadre spatio-temporel et celle de
l’apparition des personnages exposés dans
l’incipit qu’on connaît la particularité de
l’univers parodique de Voltaire.
Dans les deux contes étudiés l’incipit est
dominé par l’imparfait élément qui souligne
sa vocation et l’annonce du reste du récit
ainsi que la description d’un monde figé.
Les incipit de ces deux contes voltairiens
ainsi qu’Ingénu, Zadig et autres, nous
permettent de démontrer comment dans les
contes voltairiens l’incipit est l’image du
reste du conte. La formule d’ouverture « un
jour», donne à la rêverie, ouvre le récit,
entraîne le lecteur dans un pays lointain et
imaginaire. On trouve le caractère
merveilleux du récit dans l’ouverture.
Candide, et Micromégas, sont tous les deux
des personnages stéréotypés. Mauvais, ou
bon exprimée clairement parfois par l’ironie
dans l’incipit. On voit bien que, pour inspirer
sa philosophie, partout Voltaire se moque
gentiment de ses personnages.
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29/06/1390; 100 pages.
48/ Revue des Études de la Langue Française , Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
______________________________________________
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace de rencontre
Ghiasizarch, Abolghasem
*
Maître-Assistant, Université Internationale d’Imam Khomeini, Qazvin, Iran
Yecta Mard, Fatemeh**
Master II en littérature française, Université Ferdowsi de Mashhad, Mashhad, Iran
Reçu: 12.09.2013 Accepté: 23.08.2014
Résumé:
La rencontre comme tout acte humain se réalise au sein de l'espace. L’espace de rencontre en
tant qu’un espace social influence les gens et guide leurs sentiments et leurs actions. Cet espace
qui a une présence remarquable dans la littérature, suscite un comportement particulier
comparable au comportement dans «l’espace sacré». Ce travail de recherche a pour objectif de
vérifier l’espace de rencontre dans Le Lac de Lamartine, afin de montrer le comportement de
l’homme dans cet espace. En une première étape, la théorie de «l’espace social» de Di Méo &
Buléon, nous permet d’étudier la manière dont l’espace de rencontre influence les gens. Puis, en
vue de saisir ce comportement dans Le Lac de Lamartine, nous faisons appel à la mythocritique.
Mots-clés: Espace social, espace de rencontre, le Lac de Lamartine, l’éternel retour,
mythocritique.
Introduction
La rencontre est le commencement d’une
relation interpersonnelle qui débouche
généralement sur une relation durable
comme le mariage. Dans ce sens, c’est un
événement capable de «provoquer le
changement» (Duteille, 2002: 83) et
d’influencer la destiné des gens. Étant un
acte social, elle a une présence remarquable
dans la littérature.
Dans le monde littéraire, la rencontre est
un élément important dans le processus du
récit. Le caractère «destinal» (Duteille,
2002: 84) de la rencontre s’implique
également dans la littérature. La rencontre
avec la rose donne à la vie monotone du
Petit Prince une nouvelle direction elle est à
l’origine de son voyage initiatique. Dans
L’Amant de Duras, la rencontre avec le
Chinois permet à la petite fille de se séparer
de sa famille. Elle est à l’origine de sa
libération familiale. Dans ce sens, il n’est
pas étonnant que «l’espace de rencontre», là
où cet événement s’est manifesté pour la
première fois, soit un lieu spécial dans la
pensée de ceux qui se rencontrent. Dans la
littérature, «l’espace de rencontre» n’est pas
proprement un espace géographique. C’est
un espace fonctionnant qui exige un
comportement particulier.
50/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Les sociologues comme Bozon et Héran en
considérant l’espace comme un simple
espace social (Bozon & Héran, 1988: 121-
150), ont consacré leurs travaux à la
possibilité de se rencontrer au sein des
espaces (Bozon & Héran, 2006) et non pas
au comportement dans l’espace de rencontre.
Mircea Eliade, dans son livre Le sacré et le
profane en décrivant «l’espace sacré»
mentionne les endroits comme« le paysage
natal [ou] le site des premières amours»
(Eliade, 1965: 27-28) qui ont le même statut
qu’un « espace sacré » et qui sont considérés
comme «les "lieux saints" de [l’] Univers
privé» (Eliade, 1965: 27-28). Pourtant, les
œuvres d’Eliade appartiennent au domaine
de l’anthropologie et ne s’intéressent pas à la
littérature.
Ce travail est une étude littéraire qui en
s’appuyant sur la théorie d’Eliade cherche à
répondre à une question principale: le
comportement dans un «espace de
rencontre» ressemble-t-il à celui du primitif
dans un «espace sacré»? Tout comme un
espace sacré, l’espace de rencontre a-t-il un
rôle dans la répétition de la rencontre?
Pour répondre aux questions proposées, en
nous référant à la théorie de «l’espace
social» de Guy Di Méo & Pascal Buléon,
nous nous efforcerons tout d’abord de définir
l’espace de rencontre et de montrer la
manière dont cet espace influence les gens et
guide leurs sentiments et leurs actions. Puis,
en vue de saisir le comportement dans
l’espace sacré, nous allons faire appel au
mythe de l’éternel retour d’Eliade. Enfin,
nous tâcherons, d’appliquer les théories
d’Eliade à notre corpus, afin de montrer le
même comportement dans l’espace de
rencontre.
Espace de rencontre: un espace social
L’espace se trouve parmi des réalités
indéniables d’ici-bas. Tout ce qui existe dans
le monde, se trouve dans l’espace. Du latin
spatium, l’espace représente une «étendue
indéfinie qui contient et entoure tous les
objets » (Nouveau Larousse encyclopédique,
2001). Pourtant, le mot espace appartient à
plusieurs domaines de définition. La
physique, la philosophie, les sciences
géographiques et sociales etc., présente
chacun une définition de l’espace.
«L’espace de rencontre» est à la base, un
espace géographique. L’espace
géographique représente une réalité qui
«donne place et forme aux choses, établit des
distances séparatives entre elles et les relie»
(Di Méo & Buléon, 2005: 22). Il est là où
nous existons. Un continent et même un pays
sont considérés comme des espaces
géographiques. Chaque espace possède ses
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace … / 51
propres caractéristiques climatiques,
naturelles etc., qui le caractérisent et le
distinguent des autres espaces. Ces
caractéristiques qui forment l’identité1 de
chaque espace guident le comportement
d’une société: « […] l’espace géographique
est sollicité en tant que véritable ressource. Il
confère une tonalité spécifique aux pratiques
sociales» (Di Méo & Buléon, 2005: 36).
Les groupes humains appartenant à un
espace désertique ne possèdent ni la même
culture, ni les mêmes rites ou
comportements que ceux qui appartiennent
au pôle sud. Les particularités géographiques
d’un espace de rencontre, par exemple celles
d’un lac ou d’une rue, exercent également
leurs propres influences. Pourtant, ce n’est
pas seulement l’espace qui nous influence.
L’homme par ses pratiques sociales et par
ses relations change à son tour l’image de
l’espace géographique. La rencontre est l’un
de ces actions.
La rencontre est le fait de «se trouver pour
la première fois en présence de quelqu’un,
débouchant généralement sur une relation
1 Selon Di Méo & Buléon, l’identité «renvoie la
personne qu’elle désigne à un monde géographique
particulier, fort de ses caractéristiques ethniques,
régionales, nationales ou locales, physiques et
humaines, etc.» (Di Méo & Buléon, 2005: 42) Dans
ce sens, l’identité en tant qu’«un facteur explicatif
majeur des conduites et des représentations de
chacun» (Ibid: 42), a une dimension géographique et
elle semble ainsi intimement liée à l’espace.
durable, fructueuse, amicale, amoureuse»2.
Cette définition met l’accent sur une relation
avec autrui, avec quelqu’un d’autre. En
créant la communication, la rencontre se
charge d’un sens social. La réalisation d’une
pratique sociale3 transforme l’espace
géographique à un espace social.
Les individus et les groupes humains se
situant dans l’espace, tissent des liens
affectifs, fonctionnels, économiques,
politiques ou même imaginaires avec les
espaces. D’une part, ils font apparaître des
rapports spatiaux (d’usage, affectifs ou
stratégique, etc.) et d’autre part ils
produisent leurs rapports sociaux (de travail,
ou d’amitié, etc.). Ainsi ces « rapports de
rapports », sociaux et spatiaux au sens utilisé
par Di Méo et Buléon mènent à la formation
de l’espace social:
« […] au total, ce sont ces "rapports de rapports",
sociaux et spatiaux, qui définissent une grande variété
de "combinaisons spatiales". Ces dernières, riches de
leurs productions matérielles et paysagères, décrivent
l’espace social dans sa forme générique comme dans
ses déclinaisons plus singulières (les espaces
sociaux), lieux et territoires» (Di Méo & Buléon,
2005: 4).
2 Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales disponible sur:
<http://www.cnrtl.fr/definition.> (consulté le
12/8/2012). 3 Di Méo & Buléon considèrent «tous les
déplacements, toutes les fréquentations concrètes de
lieux, tous les actes spatialisés que l’individu mène
dans son milieu» comme les pratiques sociales. Selon
eux « […] les pratiques sociales créent une
communication, mais aussi une médiation
interindividuelle» (Di Méo & Buléon, 2005: 40).
52/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
L’espace social, «expression du rapport
des hommes aux lieux» (Bailly, 2009: 430),
se forme lorsque les pratiques humaines
conduisent à l’apparition d’un lien entre
l’homme et l’espace. Ce lien charge l’espace
d’une nouvelle identité et rend capable les
espaces sociaux, d’agir sur les
comportements humains. La manière dont
l’homme agit dans une bibliothèque est bien
différente de celle dont il agit dans un
sanctuaire. Le comportement change selon
ce que l’on trouve dans un espace de
rencontre, un espace chargé de souvenirs ou
un «nulle part»4 d’après Marc Augé.
«L’espace de rencontre» est l’expression
d’un rapport (affectif) à l’espace. L’espace
où l’on a rencontré un ami ou un amour est
un lieu plein de souvenirs qui pourrait
donner l’opportunité de vivre un passé. Il est
important de savoir qu’un lac, une rue ou
n’importe quel espace, dès le moment où s’y
réalise l’événement de rencontre, change son
image primaire pour les gens qui s’y
rencontrent. Le lac devient un «espace de
rencontre». Il se sépare des autres espaces
quotidiens et devient chargé de l’identité et
«qualitativement différent» (Eliade, 1957:
4 Pour Marc Augé un « non-lieu » est un espace «
où la relation de l’homme au lieu est réduite à
minima, à l’expérience du seul regard. C’est un 'nulle
part' codifié, sans lien à l’histoire, sans pratiques
possibles entre les hommes, sans identité […] il n’y a
plus ni pratique sociale ni expérience d’habiter la
terre » (Bailly, 2009: 426).
25) pour celui qui noue ce lien avec l’espace,
autrement dit, il devient une réserve des
images et des souvenirs privés. Dès lors, il
est capable de provoquer le sentiment et de
susciter un comportement particulier.
L’espace a une place importante dans
l’imaginaire de l’homme. Les églises, les
cafés, etc., se reflètent dans les peintures. La
littérature aussi comme l’image du monde
psychique et sociale des êtres humains, est
remplie d’espaces sociaux. À propos de
processus «vectorielle» du récit Philippe
Walter explique les quatre vecteurs: le
temps, l’espace, le personnage et
l’événement comme la base d’un récit
narratif. Selon lui, les indices spatio-
temporels «encadrent l’action elle-même et
servent de décor aux personnages» (Walter,
2008: 8). Tout événement se réalise au sein
de l’espace. Sans espace, on n’est ni capable
d’imaginer ni de raconter un événement ou
un souvenir.
«L’espace de rencontre» a toujours eu une
présence remarquable dans les œuvres
littéraires. Cet espace existe depuis des récits
mythiques très anciens tels que Psyché ou
Narcisse. Ainsi est-il présent dans la pensée
et l’imagination de l’homme. C’est bien le
fait d’imaginer un «espace de rencontre» qui
conduit à l’apparition du Pont Mirabeau
d’Apollinaire :
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace … / 53
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine »
(Apollinaire, 1920: 16)
Apollinaire y dessine une rencontre sur le
pont. Dans le monde réel, il y recourrait à
plusieurs reprises pour rencontrer l’être
aimé. Dans ce poème, cet espace se
manifeste chez lui. Donc, ne pourrait-il pas
être considéré comme un autre retour à cet
espace?
En étudiant l’espace de rencontre dans les
mythes ainsi que dans les différentes œuvres
littéraires, nous avons observé que le
comportement de l’homme envers cet espace
est invariable. Tout comme un «espace
sacré» (Eliade, 1965), l’homme fait un
«éternel retour» (Eliade, 1969) vers
«l’espace de rencontre» afin de réaliser une
autre rencontre. Avant de repérer ce
comportement dans Le Lac de Lamartine, il
nous semble nécessaire de définir ce qui est
un éternel retour.
Le mythe de l’éternel retour
Le mythe de l’éternel retour qui se définit
par la répétition éternel d’un geste ou d’un
événement est considéré selon Eliade
comme la tentation de l’homme archaïque
pour annuler le temps et «ancrer» dans un
temps «glorieux, primordial» (Eliade, 1957:
34).
Selon Eliade, les mythes vu qu’ils
constituent «l’Histoire des actes des Etres
surnaturels» (Eliade, 1963: 32) se réalisent
dans un «espace sacré»5 c’est-à-dire
«sanctifié» (Eliade, 1965: 55) par la
présence des dieux. Désireux d’être «tout
près de ses dieux» (Eliade, 1965: 81), le
primitif essaie de se situer toujours dans cet
espace, par un «éternel retour» vers l’espace
sacré où l’événement s’est manifesté par les
êtres surnaturels. Pour ce faire, le souvenir
de l’événement joue un rôle considérable. Ils
répètent périodiquement les événements
mythiques.
Les mythes selon Eliade, sont des
événements primordiaux qui se sont passés
«au commencement du Temps» (Eliade,
1957: 22). Ils racontent la création du monde
et l’histoire de toute création (comme la
création d’un amour). De la première danse à
la première chasse, les mythes s’occupent
5 Selon Eliade l’espace sacré se crée par
l’apparition d’une «hiérophanie», par la réalisation
d’un événement spécial: «tout espace sacré implique
une hiérophanie, une irruption du sacré qui a pour
effet de détacher un territoire du milieu cosmique
environnant et de le rendre qualitativement différent.
[…] D’après la légende, le marabout qui fonda El-
Hemel à la fin du XVIe
siècle s’arrêta pour passer la
nuit près de la source et planta un bâton en terre. Le
lendemain, voulant la reprendre pour continuer sa
route, il trouva qu’il avait pris racine et que des
bourgeons avaient poussé. Il y vit l’indice de la
volonté de Dieu et fixa sa demeure en cet endroit»
(Eliade, 1965: 29-30).
54/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
des commencements et ainsi se déroulent
selon Eliade dans le «temps fabuleux» des
commencements, dans un temps précis, « in
illo tempore » (Eliade, 1957: 21). Ce temps
mythique qui «ne coule pas», qui ne
constitue pas comme un temps fléché et une
durée «irréversible» (Di Méo & Buléon,
2005: 17-18) est infiniment «récupérable»
(Eliade, 1965: 64) par la répétition de
l’événement.
Par la répétition rituelle du mythe ou
simplement en le racontant dans un espace,
le primitif arrive en première étape à le «
transformer symboliquement » (Eliade,
1965: 33) en espace «sacré» : l’endroit où
l’événement mythique s’est réalisée par les
dieux. Pourtant, par ce retour à l’espace, le
primitif arrive également à «épuiser»
(Eliade, 1957: 53) la durée en « la
parcourant à rebours» (Eliade, 1957: 53) et à
rejoindre «l’instant mythique a-temporel »
(Eliade, 1969: 93) du commencement où a
eu lieu la révélation de l’événement:
«Par la répétition de l’acte cosmogonique, le temps
concret, dans lequel s’effectue la construction, est
projeté dans le temps mythique, in illo tempore où la
fondation du monde a eu lieu. Ainsi sont assurées la
réalité et la durée d’une construction, non seulement
par la transformation de l’espace profane en un
espace transcendant («le Centre»), mais aussi par la
transformation du temps concret en temps mythique»
(Eliade, 1957: 33-34).
En fait, le souvenir de l’événement a un
rôle important. Par la répétition du mythe le
primitif «réactualise» (Eliade, 1957:47) le
souvenir et devient «contemporain de
l’événement» (Eliade, 1957: 50). Il se trouve
dans l’espace-temps où a lieu la révélation
de l’événement mythique. Cela lui permet de
retrouver «la présence des dieux» (Eliade,
1965: 94) et de les rencontrer.
La rencontre comme tout acte humain a
besoin d’un espace pour se réaliser. Par
exemple, on ne peut pas rencontrer un ami
n’importe où. Lorsqu’il se trouve à
l’université et quand on est chez soi, la
rencontre ne va pas se réaliser. Selon Henri
Bergson, la transition dans l’espace est
toujours liée à la durée et au temps (Bergson,
1968: 41). La rencontre ne se réalise que
dans un espace-temps précis.
Eliade tout en définissant l’espace sacré
indique que la réalisation d’un événement
spécial peut transformer un espace ordinaire
à un lieu spécial. Pour lui l’apparition d’un
signe quelconque suffit pour indiquer cette
spécialité. À l’échelle collective, on peut
trouver bien des espaces qui sont considérés
comme spéciaux: les mosquées, les
sanctuaires etc., qui se détachent des autres
espaces quotidiens et exigent un
comportement particulier et respectueux.
À l’échelle individuelle, la première
rencontre est capable de rendre spécial un
lieu ou un espace ordinaire dans la tête ou
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace … / 55
dans les souvenirs de quelqu’un. Selon
Eliade:
«Il subsiste des endroits privilégiés, qualitativement
différents des autres: le paysage natal, le site des
premières amours, ou une rue ou un coin de la
première ville étrangère visitée dans la jeunesse. Tous
ces lieux gardent, même pour l’homme le plus
franchement non-religieux, une qualité
exceptionnelle, "unique": ce sont les "lieux saints" de
son Univers privé, comme si cet être non-religieux
avait eu la révélation d’une autre réalité que celle à
laquelle il participe par son existence quotidienne»
(Eliade, 1965: 27-28).
Selon notre hypothèse, l’espace de
rencontre fonctionne de la même façon
qu’un espace «sacré». L’étude de cet espace
dans les œuvres littéraires montre que dans
les cas différents, les gens, pour réaliser une
autre rencontre, retournent au même espace
dans lequel ils se sont rencontrés pour la
première fois.
Pour bien préciser notre point de vue, nous
étudions l’espace de rencontre dans Le Lac
de Lamartine, un poème inspiré de
l’expérience personnelle du poète, dans
lequel la femme aimée est morte. Ce poème
est, nous semble-il, un exemple assez clair
du retour vers «l’espace de rencontre».
Etude de l’espace de rencontre dans Le
Lac de Lamartine
Alphonse de Lamartine est le poète
romantique du dix-neuvième siècle. Sa vie
est marquée par l’amour qu’il éprouve pour
«Julie Charles» (Berveiller, 1951: 22), qu’il
nomme «Elvire» (Doumic, 1912: 40), une
jeune femme mariée gravement malade qu’il
rencontre à «Aix-les-Bains» (Doumic, 1912:
39). Lamartine rencontre encore la femme
aimée en hiver à Paris, mais l’attend en vain
à Aix l’année suivante. Elvire meurt à Paris
en décembre. La souffrance qu’il éprouve à
la suite de sa mort est immense et la douleur
de cette expérience est la source
d’inspiration de son recueil le plus célèbre:
les méditations poétiques (1820). Le Lac est
le dixième poème et «la merveille»
(Doumic, 1912: 119) de ce recueil.
Ne pouvant vivre que dans la présence
d’Elvire, Lamartine retourne au lac, un
espace qui lui est cher parce que l’année
précédent il y a fait la connaissance de la
femme aimée. Le lac participe ainsi à la
présence d’Elvire. Il écrit les premières
strophes de ce poème «sur le rocher même
qui domine L’abbaye d’Hautecombe et le
lac» (Berveiller, 1951: 22). Son apostrophe
au lac «regarde! Je viens seul m’asseoir»
(vers 7) montre bien que Lamartine comme
Moshiri6 «passe de nouveau» par cet espace
de rencontre: «Sans toi, dans une nuit claire,
j’ai de nouveau passé par cette rue-là7»
(Mochiri, 1990: 104).
6 Faraydoun Mochiri, poète contemporain iranien.
7 ]...[بی تو، مهتاب شبی، باز از آن کوچه گذشتم
56/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Par le retour au lac le poète se sent tout
d’abord «angoissé» (Eliade, 1957: 39)
devant l’irréversibilité du temps. «À la
recherche du temps perdu», il aspire dès la
première strophe, de pouvoir «ancrer» sur
ses moments de bonheurs:
« Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ? »
Par ce désir de «récupérer» un temps
«glorieux, primordial», Lamartine ne
cherche qu’une autre rencontre avec la bien
aimée. Voilà pourquoi, il répète sans se
rendre compte, le comportement du primitif:
il retourne à l’espace de rencontre où a lieu
la révélation de l’événement.
Ce lac n’est plus le même espace où il a
rencontré sa bien-aimée. Par le passage du
temps. Lamartine se trouve maintenant dans
un autre espace-temps où la bien-aimée
n’existe plus. la fuite du temps «efface» les
«moments d’ivresse». Elvire est morte et des
merveilleux moments de leur vie, il ne reste
dans cet espace que les souvenirs et les
images.
Ses «extases sublimes» ne disparaissent
pas tout entières: «elles prêtent à la nature
une âme, reflet de la nôtre» (Doumic, 1912:
121). La trace de souvenir reste encore sur la
«pierre» où Elvire s’est assise, sur les «flots»
du lac, sur «l’écume» de ses «ondes» et sur
tous les éléments de la nature qui sont les
témoins de leur présence dans le lac. Le lac
est «miroir d’un passé à la fois heureux et
douloureux» (Benet, 2000: 62). Il est celui
qui a «regardé» l’événement, de ce fait, lui
seul peut en rappeler le souvenir et le
restituer. C’est en traversant la rue que pour
Moshiri:
« Le jardin de mille souvenirs sourit,
Le parfum de mille souvenirs se fit sentir »8
Lamartine se situe aux mêmes endroits
qu’il a visités autrefois avec Elvire. Tout
comme le primitif qui répète par un rituel
«l’œuvre exemplaire des dieux» (Eliade,
1965: 35), et se faisant se situe
symboliquement dans l’espace sacré,
Lamartine refait «les gestes» d’Elvire: il se
trouve près des mêmes «flots chéris», s’assit
sur la même «pierre» où Elvire s’était assis
l’année précédente et tout comme un rituel il
«reconstruit» (Eliade, 1965: 26) l’espace de
rencontre:
« Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés. »
l’événement revient avec force et le poète
L’utilisation de l’imparfait (vers 9-12) qui
sert à décrire la scène de rencontre et la
répétition de l’adverbe «ainsi» qui signale la
8 ]...[باغ صد خاطره خندید، عطر صد خاطره پیچید
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace … / 57
similarité des situations spatiales montrent la
tentation de Lamartine d’«homologuer»
(Eliade, 1965: 51) le lac à l’espace de
rencontre de se situer dans un espace
«sanctifié» par la présence d’Elvire:
Lamartine se souvient de la femme aimée
lorsque «le vent» jette «l’écume sur ses
pied».
La présence au cadre de l’événement et la
répétition des «gestes» d’Elvire n’ont pour le
fonctionnement que «remémorer» (Eliade,
1963: 33) la rencontre. Au vers 13 à 20, le
souvenir de s’adressant au lac, lui raconte le
récit de la nuit de la rencontre:
« un soir, t’en souvient-il? Nous voguions en
silence; On n’entendait au loin, sur l’onde et sous
les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux. »
Cependant, par la «reproduction» (Eliade,
1965: 32) des gestes d’Elvire et par la
narration de l’événement le poète ne se situe
seulement dans l’espace où l’événement
s’est manifesté pour la première fois. Cette
remémoration constitue une répétition et
donc «une réactualisation de "ce temps-là"»
(Eliade, 1969: 42).
C’est en racontant ce récit que Lamartine
entend «tout à coup» «la voix» d’Elvire. La
«remémoration» de la rencontre réactualise
le souvenir de la femme aimée et le poète
«vit» (Eliade, 1963: 33) l’événement. Dans
les vers 21 à 36 c’est le présent qui fait naître
le souvenir. La prière d’Elvire semble en
train de se réaliser dans le présent.
L’utilisation du temps présent pour réciter la
nuit de la rencontre montre bien que
l’événement se déroule dans un temps qui
n’est ni passé ni présent mais un temps
mythique primordial rendu présent: un
continuel présent «récupérable» dès que
Lamartine revient au lac, à l’espace de
rencontre.
La fonction de l’espace de rencontre n’est
pas de conserver le souvenir mais de projeter
Lamartine là où la rencontre est en train de
s’effectuer, au temps «fabuleux du
commencement» d’un amour. La rencontre
sera ainsi réactualisée voire revécu et
Lamartine «retrouve la présence» de la
femme aimée et vivre tout près d’elle. On
peut le considérer comme une autre
rencontre, ou bien un éternel retourne à
l’espace de rencontre.
Lamartine souhaite délivrer son amour du
temps et le rendre éternel. Le rôle de
l’espace semble être bien décisif dans ce
sens. Les événements s’attachent aux
espaces pour assurer leurs répétitions voire
leurs résistances. C’est pourquoi il confie
son souvenir au lac et tous les éléments de la
nature. Dans les vers 49 à 52 il apostrophe le
58/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
lac et les éléments qui l’entoure de garder
«au moins le souvenir» de la nuit de la
rencontre. Il désire que les «orages», les
«coteaux», «les sapins» le «zéphyr» et «le
vent» soient marqué par l’histoire de son
amour que tout rappelle leur histoire.
C’est la nature que le temps « épargne ».
En confiant le souvenir au lac, le fait d’avoir
aimé puisse être répété et réactualisé
éternellement. Le poète réussit de cette
manière, dans sa lutte contre le temps.
Lamartine retourne physiquement vers
l’espace de rencontre où les souvenirs
d’amour y «flottent et s’y éternisent»
(Doumic, 1912: 121). La présence dans
l’espace restitue le souvenir et lui permet de
reconstruire la rencontre. Il se projette ainsi
dans le temps où l’événement s’est manifesté
pour la première fois. Il devient
«contemporain de l’événement» et une autre
rencontre se réalise.
Conclusion
L’espace de rencontre est un «espace
social» qui se crée par l’apparition d’un lien
(affectif) entre l’homme et l’espace. La
réalisation de l’événement de rencontre le
charge d’une identité pour celui qui a noué
ce lien avec l’espace. Dès lors, il participe
comme une église à un autre espace que les
espaces quotidiens où il vit. L’étude de
l’espace de rencontre dans Le Lac de
Lamartine nous a montré que la structure de
cet espace ressemble à celle de l’espace
sacré. La réalisation d’un événement spécial,
l’apparition d’un espace qualitativement
différent des autres et la tentation du poète
de se mouvoir dans cet espace constituent les
notes essentielles de l’expérience de l’espace
sacré.
L’espace de rencontre a un rôle décisif
dans la répétition de rencontre. La rencontre
se déroule dans un éternel présent. Cela lui
permet d’être vécue infiniment. Pour
rejoindre ce temps mythique, pour vivre
l’événement et afin de réaliser une autre
rencontre il suffit de retourner vers l’espace
de rencontre. Cet «éternel retour» se fait par
la réactualisation de souvenir de la
rencontre.
Tout comme un «espace sacré», l’homme
fait «un éternel retour» vers cet espace afin
de réaliser une autre rencontre. Comme le
primitif qui par la répétition rituelle des
mythes arrive à «réactualiser» l’événement
et ce faisant, il participe à «la présence des
dieux» et des êtres surnaturels, le retour du
Lamartine vers «l’espace de rencontre»,
réactualise le souvenir d’Elvire et réalise une
autre rencontre.
Dans tous ces cas, l’être aimé ainsi que son
image restent encore dans l’espace de
Le Lac de Lamartine: un éternel retour vers l’espace … / 59
rencontre.9 Ainsi, en se trouvant
physiquement ou mentalement dans l’espace
de rencontre, cette image traverse la pensé et
une autre rencontre se réalise: la rencontre se
fait avec l’image de l’être aimé. En tout cas,
pour réaliser une autre rencontre, il faut
retourner physiquement ou mentalement à la
source, à la première place, à l’espace de
rencontre.
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60/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
______________________________
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire
Gnayoro, Jean Florent Romaric*
Maître assistante,UniversitéPeleforo GonCoulibaly
Reçu: 10.12.2013 Accepté:23.06.2014
Résumé:
La trace du réel dans l’imitation littéraire se perçoit dans l’acte d’écriture où s’exprime la possibilité
qu’a l’auteur de créer un monde fictif. À ce sujet, l’imagination qui est, ici, sollicitée, devient intéressante
à explorer. À ce titre, la méthode utilisée pour construire cet imaginaire, bien souvent, fait appel à certains
fragments présents dans la réalité. D’où la question de la trace de cette dernière qui se présente en
littérature, telle une imitation. Le langage, mis en action dans l’imitation littéraire provoque le sens à
découvrir. C’est comme un décryptage à faire en psychanalyse. La portée linguistique chez les artistes
concourent, à revisiter le monde en établissant un rapport avec un univers interne à eux-mêmes et sous-
tendu par une pensée soutenue par l’imaginaire. La trace, au sens de Pierce, ramène à l’idée d’indice,
d’empreinte. Mais quelle est la limite entre l’objet naturel «réel» et l’imitation qui en est la trace? Quelles
techniques stylistiques sont utilisées dans l’imitation?
Mots-clés: Trace, imitation, réel, imaginaire, littéraire, écriture, langage, subjectivité.
Introduction
L’acte d’écriture passe invariablement par
une volonté d’exprimer l’intériorité selon
l’inspiration créatrice qui domine selon
l’expression heureuse de Gaston Bachelard:
«La manière dont on imagine est souvent
plus instructive que ce qu’on imagine ».
(Bachelard, 1949: 58). C’est à ce niveau
qu’intervient encore l’inspiration sur laquelle
Claude Roy insiste quant à sa manifestation
dans l’œuvre et dans son apport des plus
essentiels. «Mais l’essentiel, ce n’est pas ce
qu’elle est, non plus que ce qu’est celui qui
l’aime: c’est cette expérience de bonheur
que sa rencontre suscite». (Roy, 1993: 162).
L’inspiration, de surcroît, chez Jérôme
Duhamel attire l’attention sur la causalité
inhérente à un tel phénomène nécessaire bien
souvent dans l’imitation. «L’écrivain se
prend alors pour matière de son œuvre dont
il est en quelque sorte le sujet unique ».
(Glaudes, Reuter, 1998: 83). Cela étant, pour
Duhamel,
« Aussitôt, les idées se bousculent, qui sont autant
de pistes à suivre, de domaines à explorer: parler de la
littérature, bien sûr, de ce qu’elle est ou fut, de ses
moyens et de ses buts, de ses errances ou de ses
fulgurances, mais évoquer aussi les douleurs et joies
de l’écriture, mais s’attarder sur les bonheurs de la
lecture…(Duhamel, 2003: 8). »
De plus, Philippe Ortel relève également
l’imitation littéraire comme participant d’un
dispositif. Il ramène la situation à une
procédure pour présenter d’une certaine
manière les choses. En fait, l’imitation sur
62/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
laquelle il se penche, ici, est le lieu d’une
récupération d’éléments donnés en spectacle,
d’une certaine façon. Cependant, là où le
dispositif semble s’inscrire dans cette
manifestation, il y a ancrage au niveau de
l’objectif visé par l’imitation qui,
foncièrement, découle d’un désir de
communiquer ou d’informer. À ce titre, pour
Philippe Ortel,
« De même, conçue comme dispositif, la
représentation, qu’elle soit textuelle ou visuelle,
manifeste sa capacité à nous informer, à nous
émouvoir ou à nous séduire, comme la rhétorique
avec laquelle elle partage ces fonctions, même si elle
ne s’y réduit pas. (Ortel, 2008: 35). »
On comprend ainsi que la représentation
imitative est en réalité un dispositif destiné à
informer, ce, plus ou moins subjectivement
dans la mesure où elle, bien que plus vaste, à
des traits communs avec la rhétorique qui la
sous-tend par le souci de convaincre et de
séduire. Tel que présenté par Philippe Ortel,
le dispositif qui entre dans le cadre de
l’imitation, va dans le sens spécifiquement
littéraire que lui attribue Philippe Hamon
pour qui,
« La littérature définit donc une sorte d’aire de jeu
pour des partenaires disjoints, mais un jeu non
«gratuit» dans la mesure à la fois où il reformule
règles et normes, où il les suit tout en les réélaborant,
et où il informe et remodèle perpétuellement notre
référence au réel. (Hamon, 1994: 9). »
Partant, l’auteur qui arrive à sentir ce qu’il
dit, s’aventure au cœur de cette conception
de Henri Lefebvre selon laquelle «plus on
examine l’espace et mieux on le considère,
pas seulement avec les yeux et l’intellect,
mais avec tous les sens et le corps total».
(Lefebvre, 1986: 450). Ainsi, «le plaisir
s’accroît d’un environnement naturel et les
éléments du paysage ou du décor contribuent
à fixer de tel moment dans «la mémoire»
poétique des héros». (Salles, 2007: 272).
On ne saurait également éluder la
dimension subjective de l’imitation qui
lorsqu’elle s’applique à un sujet montre
inévitablement une certaine dissemblance
avec son pendant ou son répondant réel.
Aussi, par ricochet, en plus de l’imitation, se
dévoilerait-il la personnalité de l’auteur.
Tout comme l’indique Maurice Blanchot,
« Rien ne commence plus aisément. On écrit pour
faire la leçon au monde tout en recevant l’agréable
renommée. Puis on se prend au jeu, on renonce un
peu au monde, car il faut écrire et l’on ne peut écrire
qu’en se cachant et en s’écartant. (Blanchot, 1959: 62,
63). »
L’écrivain concentre, de ce fait, son
attention sur la transcription de ce qu’il a à
dire au point de se mettre à l’écart, pour
paradoxalement faire une imitation plus ou
moins juste de la société réelle quand bien
même romancée. Pour Blanchot, notamment,
« parler, c’est essentiellement transformer le
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire / 63
visible en invisible, c’est entrer dans un
espace qui n’est pas divisible, dans une
intimité qui existe pourtant hors de soi ».
(Blanchot, 1955: 183). Mais selon Todorov,
« on oublie trop souvent une vérité
élémentaire de toute activité de
connaissance, à savoir que le point de vue
choisi par l’observateur redécoupe et
redéfinit son objet ». (Todorov, 1978: 48).
De plus, les auteurs ne manquent pas
d’impliquer la donnée spatiale au fait de
décrire. À ce titre, c’est encore le sujet
percevant qui impose la droite ligne ou le
champ de vision applicable à l’objet. À ce
propos, Vandeloise estime que
Lorsqu’un locuteur situe un objet par rapport à lui-
même, il est l’origine de référence et trois axes
transversaux sont faciles à trouver. L’axe vertical et
les directions frontale et latérale du locuteur
remplissent généralement ce rôle. (Vandeloise, 1986:
12).
S’ajoute également «une certaine logique
culturelle [qui] implique en effet qu’on
repère ce qu’est ou devient quelque chose
par rapport à la chose déterminée et non
l’inverse ». (Tamba-Mecz, 1981: 126). Il se
trouve d’ores et déjà que le fait d’imiter
implique en plus des dimensions spatiales,
une donnée idéologique qui aurait tendance à
la soutenir. Derrière tout ceci une évidence
est que lorsque l’artiste entreprend cet
exercice d’imitation, il a également l’objectif
de présenter comment est-ce qu’il perçoit le
monde. À ce titre, il soumet à l’intention du
lecteur, pour ainsi dire, son idéologie propre
; ce qui arrive bien souvent à influencer la
manière de voir de l’autre ou de l’Autre au
sens lacanien du terme. On retrouve
notamment cet aspect des choses chez le
romancier, le dramaturge ou le poète qui
réussit tant bien que mal à s’exprimer à
travers la représentation qu’il donne de la
société selon sa conviction personnelle.
Ainsi, l’imitation en elle-même n’est pas
fortuite mais foncièrement significative.
Toutefois, puisqu’il est question de
l’imitation littéraire, il se trouve qu’elle n’est
pas ex nihilo ou créatrice mais bien souvent
liée à une source qu’elle soit réelle ou
imaginaire. Mais avec l’implication de
l’imaginaire, on comprend que l’imitation
littéraire n’est pas une simple reproduction.
Elle n’est pas non plus la re-présentation
sous forme littéraire mais plus un jeu
d’écriture qu’autre chose.
En effet, l’auteur, producteur de fiction, de
dramaturgie ou de poésie, jouerait avec ses
fantasmes en vue de les inscrire dans un
monde imaginaire qui procède ici de
l’imitation littéraire. Nous comprenons ainsi
le terme de l’imitation littéraire sous
l’acception d’un jeu, d’une organisation
imaginaire où l’auteur s’emploie à donner
64/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
forme et corps à quelque chose ayant un
correspondant réel ou non. À ce titre,
l’analyse du jeu consistera, pour le lecteur, à
mesurer l’écart entre la forme source que
nous pourrons situer dans le «réel» ou dans
«l’imaginaire» - c’est selon - et la forme
dérivée produite par l’écrivain. Bien sûr,
certaines formes sources ne sont pas toutes
prélevées dans le «réel» pragmatique ; elles
peuvent procéder, de ce fait, d’un imaginaire
collectif ou individuel. Au sens
étymologique, l’imagination dérive du latin
imago, qui signifie «image». L’imagination
est donc la faculté de se représenter des
images. Mais l’image se différentie de la
chose réelle quand bien même il y ait une
ressemblance. De ce point de vue, l’image
peut induire en erreur, puisqu’elle se fait
passer pour une chose qui n’est pas elle.
Par ailleurs, il ne faut pas croire que
l’imagination soit une simple image plus ou
moins modifiée du réel. Elle est également
du ressort d’une représentation qui fait
intervenir l’intellect. Il peut s’agir selon les
cas de reproduire la réalité comme telle, de
la modifier largement ou d’aider à s’y
retrouver. Concernant le monde imaginaire,
il est en rapport avec la manière dont se
présentent certaines représentations qui en
donnent un aperçu. Mais, le monde
imaginaire peut se scinder en plusieurs
autres types d’imaginaires dotés d’une
organisation interne. La capacité à imaginer
qu’elle soit collective ou individuelle
s’appuie, bien souvent, sur une forme source
qui à son tour peut, également, relever d’un
monde imaginaire initial. L’imaginaire se
présente alors comme pouvant générer
d’autres mondes imaginaires, si tant est qu’il
ne fait que les modifier, à profusion – c’est
selon – comme il le fait pour la perception
première de l’image source. De plus,
l’imaginaire s’apparente à l’organe moteur
de l’imagination au point d’être comparable
à la langue quand le second se rapporterait à
la parole. L’imaginaire est donc l’élément
architectural sur lequel repose la faculté de
l’imagination. Voilà pourquoi, il revient
souvent qu’on perçoive le monde imaginaire
à partir d’une structure modifiée de la réalité.
Mais, l’imaginaire va bien au-delà d’une
réalité transformée, dans la mesure où il est
avant tout une puissance de création. À ce
titre, l’imaginaire serait foncièrement
inhérent à la nature créatrice de l’homme. Le
monde s’appréhenderait, dès lors, à partir
d’un imaginaire qui répondrait au besoin de
créativité de l’homme, dans son rapport à la
réalité.
Partant, une forme source relèvera soit du
«réel», soit de l’«imaginaire», soit des deux
à la fois ; elle est en tout cas un moyen de
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire / 65
converger de l’espace et du temps «réels» ou
«imaginaires» vers d’autres imaginaires.
Avec Kant, on a
« En conséquence, [que] toute synthèse par laquelle
la perception elle-même devient possible est soumise
aux catégories [ temps et espace ] ; et dans la mesure
où l’expérience est une connaissance s’accomplissant
par l’intermédiaire de perceptions liées entre elles, les
catégories sont les conditions de la possibilité de
l’expérience et elles valent donc aussi a priori pour
tous les objets de l’expérience. » (Kant, 1997: 215).
Il est alors loisible de concevoir que
l’inspiration en elle-même fût liée
intimement aux catégories imitatives que
représentent l’espace et le temps, ce, selon
l’entendement d’Emmanuel Kant. Ainsi,
« Nous avons a priori, dans les représentations de
l’espace et du temps, des formes de l’intuition
sensible, aussi bien externe qu’interne, et la synthèse
de l’appréhension du divers phénoménal doit toujours
s’y conformer, puisqu’elle ne peut elle-même s’opérer
que suivant cette condition formelle. » (Kant, 1997:
215).
En effet, il ressort que temps et espace
interviennent dans «la perception droite, ou,
si l’on veut, la science, [qui] consiste à se
faire une idée exacte de la chose, d’après
laquelle idée on pourra expliquer toutes les
apparences ». (Alain, 2003: 83). Mais pour
Pierce,
« Le travail du poète ou du romancier n’est pas
tellement différent de celui de l’homme de science.
L’artiste introduit une fiction, mais ce n’est pas une
fiction arbitraire, elle exhibe des affinités que l’esprit
approuve en déclarant qu’elles sont belles, ce qui,
sans être exactement la même chose que de dire que
la synthèse est vraie, relève de la même espèce
générale. » (Pierce, 1931: 383).
Voilà pourquoi, dans l’imitation littéraire,
on constate qu’elle intègre bien un jeu, une
mise en scène, cette fiction dont parle Pierce
et qui «n’est pas arbitraire» mais qui procède
d’une certaine logique, quand bien même
imaginaire. Abondant dans le même sens
que Pierce, Michel Roux rappelle que
l’imaginaire ne se soustrait pas du langage et
contribue, paradoxalement, à une
conformation aux réalités quotidiennes. À
cet effet, il remarque que
« Poussé à l’extrême on se rend bien compte que
c’est la soumission de l’expérience quotidienne à une
pensée rationnelle trop épurée, disjonctive et
exclusive, qui déforme le champ des représentations
en lui retirant une part fondamentale. » (Roux, 1999:
48).
On a à peu près la même approche avec
Jérôme Dokic pour qui la représentation
imitative de l’espace dépend de la faculté de
l’imaginer. Il en vient ainsi au fait
« [qu’] il s’agit de déterminer en quel sens notre
représentation des régions dans l’espace, des objets
physiques, de leurs relations spatiales ou encore de
leur forme apparente est redevable à notre faculté de
les apercevoir ou de les imaginer. » (Dokic, 2003:
77).
Selon ce constat, l’appréhension de
l’espace se ferait à la fois à partir de la
perception et de l’imagination. Ainsi, pour
ce philosophe de la perception «nous
66/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
concevons l’espace non pas tel qu’il est
indépendamment de notre expérience, mais
tel qu’il nous apparaît dans la perception et
dans l’imagination». (Dokic, 2003: 79).
Davantage, pour montrer la subtile présence
de l’imaginaire, tout en évoquant Kant,
Dokic relève qu’«un système de
coordonnées [est] contenu de façon invisible
dans l’essence de l’espace». (Dokic, 2003:
79). Ceci étant, la perception de l’espace est
rattachée à l’idée qui en est faite. Dès lors,
«cette interprétation prépare le terrain de la
doctrine kantienne de l’idéalisme
transcendantal, plus précisément, de la thèse
selon laquelle l’espace n’est rien d’autre
qu’une forme de notre sensibilité». (Dokic,
2003: 79)L’artiste qui entreprend cet
exercice d’imitation représentative
n’hésiterait donc pas à lui accorder une
certaine volonté intrinsèque à ce même
monde qui lui « parle ». Schopenhauer
indique à ce propos, que « tout ce que le
monde renferme ou peut renfermer est dans
cette dépendance nécessaire vis-à-vis du
sujet et n’existe que pour le sujet. Le monde
est donc représentation ». (Schopenhauer,
2006: 25, 26). Si l’on en vient au domaine
littéraire, il ressortit à ce titre pour Kerbrat-
Orecchioni qu’il est évident
« Que les contenus implicites (ces choses dites à
mots couverts, ces arrière-pensées sous-entendues
entre les lignes) pèsent lourd dans les énoncés, et
qu’ils jouent un rôle crucial dans le fonctionnement
de la machine interactionnelle, c’est certain. »
(Kerbrat-Orecchioni, 1986: 126).
En effet, l’imitation en littérature intègre,
entre autres, des techniques stylistiques dont
la métaphore qui en tant qu’analogie
provoque le rapprochement tant attendu qui
suggère alors une réalité nouvelle faisant
office d’image. Partant, le comparé, mis en
relation avec son comparant pourra toutefois
s’effacer derrière celui-ci pour offrir en
entièreté la primauté du phénomène plus
frappant qui obtient ainsi son sens du
contexte où selon Alain, «il faut toujours
remonter de l’apparence à la chose ; il n’y a
point au monde de lunette ni d’observatoire
d’où l’on voit autre chose que des
apparences ». (Alain, 2003: 83).
On conviendra que l’auteur pourrait même
faire intervenir ici l’imagination pour aider à
la description comme s’il s’agissait d’une
réalité possible. On en arrive, par Ricochet, à
se trouver dans un monde des plus
imaginaire, «de même, il apparaît vite très
clair que le fait que l’espace soit désorganisé
et que le regard ne sait où se poser conduit à
un monde des apparences». (Ferrier, 2010:
238). Pour Todorov, «le fait est que
l’importance des visions est de tout premier
ordre. Nous n’avons jamais affaire, en
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire / 67
littérature, à des événements ou à des faits
bruts, mais à des événements présentés
d’une certaine façon». (Todorov, 1968: 57).
Notamment avec Freud,
« Je croirai plutôt que l’homme, quand il
personnifie les forces de la nature, suit une fois de
plus un modèle infantile. Il a appris, des personnes
qui constituaient son premier entourage, que, pour les
influencer, il fallait établir avec elles une relation ;
c’est pourquoi plus tard il agit de même, dans une
même intention, avec tout ce qu’il rencontre sur son
chemin. » (Freud, 1976: 31).
Toutefois, pour Bachelard, «la métaphore
vient donner un corps concret à une
impression difficile à exprimer. La
métaphore est relative à un être psychique
différent d’elle». (Bachelard, 2005: 79). À ce
propos, Jacques Lacan pour qui l’imitation
entretient cette possibilité d’évocation de
l’événement entend plutôt exposer le jeu de
la création métaphorique. Il dit alors que
« L’étincelle créatrice de la métaphore ne jaillit pas
de la mise en présence de deux images, c’est-à-dire de
deux signifiants également actualisés. Elle jaillit entre
deux signifiants dont l’un s’est substitué à l’autre en
prenant sa place dans la chaîne signifiante, le
signifiant occulté restant présent de sa connexion
(métonymique) au reste de la chaîne. » (Lacan, 1966:
504).
Quoiqu’encore la condition expressive de
la métaphore chez Jean Ricardou ait un lien
étroit avec l’exotisme. Selon ce critique
littéraire,
« Dans sa dimension expressive, déjà, elle est une
pratique de l’exotisme: toujours, dans le lieu où elle
s’accomplit, l’ici du texte, elle fait intervenir un
ailleurs en s’appuyant sur tel de leurs points
communs. La métaphore peut s’entendre ainsi, nous
le savons, comme la rencontre de deux espaces, leur
soudaine coïncidence partielle, quelque éloignés
qu’ils fussent auparavant. » (Ricardou, 1978: 91).
Justement, la métaphore et notamment la
comparaison posent, de ce fait, à partir d’une
imitation imagée, le détail par le biais des
mots agencés dans la combinatoire textuelle.
Tout compte fait, faudra-il encore le rappeler
avec Sigmund Freud que l’imitation de
même que le fantasme, est une activité qui
touche au domaine cette même combinaison
; ce qui pour ainsi dire, contribuera à établir
la chose entendue par la suite. C’est ainsi
que pour Ricardou,
« Puisque la description est astreinte à inscrire tout
détail choisi selon la succession de la ligne d’écriture,
la lecture se trouve contrainte de passer par chacun.
Quelque précaution qu’on prenne, décrire un détail
c’est donc toujours le porter au premier plan. Offert
un instant à toute l’attention, le détail subit un
grossissement absolu par lequel surgit la possibilité
de ses propres détails. » (Ricardou, 1971: 111).
Le détail, comme le souligne Jean
Ricardou, invite le lecteur à se pencher
davantage sur ce qui en est dit et plus
précisément sur les idées qu’on pourrait
découvrir dans la signification, ou «la
passion du signifiant» au sens lacanien du
terme. Ainsi dans un prolongement,
l’imitation littéraire comme Lacan l’indique
passe par
68/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
« Cette passion du signifiant [qui] dès lors devient
une dimension nouvelle de la condition humaine en
tant que ce n’est pas seulement l’homme qui parle,
mais que dans l’homme et par l’homme ça parle, que
sa nature devient tissée par des effets où se retrouvent
la structure du langage dont il devient la matière et
que par-là résonne en lui, au-delà de tout ce qu’a pu
concevoir la psychologie des idées, la relations de la
parole. » (Lacan, 1966: 166, 167).
Il n’en demeure pas moins que «l’aptitude
productrice d’un mot joue certes au plan du
signifié comme du signifiant. Dans le
premier cas, il suffit d’admettre les diverses
occurrences de sa polysémie comme base de
la fiction». (Ricardou, 1971: 123). Le mot
conduit donc à la question du sens qui
participe en grande partie à l’appréhension
du lecteur qui est avant tout celui qui prend
le relais de l’imitation littéraire. Tout comme
l’expose Lacan, «le sujet, c’est tout le
système, et peut-être quelque chose qui
s’achève dans ce système. L’Autre est pareil,
il est construit de la même façon, et c’est
bien pour cela qu’il peut prendre le relais de
mon discours». (Lacan, 1998: 122). Le sujet
laisse alors voir ou entrevoir la place
qu’occupe l’autre ou l’Autre au sens
lacanien du terme pour en venir à Sartre qui
projette, pour ainsi dire, la liberté
d’appréciation du lecteur devenu sujet
second et de son intériorité à qui est destinée
l’œuvre, l’objet médiat. Voilà sans doute
pourquoi Julia Kristeva estime que «la
psychanalyse a tendance à considérer
l’espace psychique comme une intériorité
dans laquelle, par un mouvement involutif se
recueillent les expériences du sujet ».
(Kristeva, 1993: 214). Avec Sartre, «par
conséquent, vous le voyez, un livre conçu sur
le plan esthétique, c’est vraiment un appel
d’une liberté à une liberté, et le plaisir
esthétique c’est la prise de conscience de la
liberté devant l’objet». (Sartre, 1998: 27).
Ricardou, pour sa part, mettra l’accent sur le
sens se dégageant du texte et, de ce fait, sur
son approche de la part du lecteur. Il en vient
alors à conclure que «la contradiction, c’est
celle qui oppose un texte à ses propres effets
de sens. Nous le savons: en l’absence du
sens, point de texte ; en la présence du sens,
plus de texte ». (Ricardou, 1978: 43).
Le sens qui se laisse deviner, déroute donc
le lecteur. En accord avec Jean Ricardou, le
lecteur cherchera à percer le mystère du sens
devant la contradiction évidente des mots
mis en présence. Le langage cependant, mis
en action dans l’imitation littéraire provoque
bien souvent du sens à découvrir. Il s’agira
alors d’un décryptage à faire comme il est de
coutume en psychanalyse. Et pour Lacan,
même «si la psychanalyse doit se constituer
comme science de l’inconscient, il convient
de partir de ce que l’inconscient est
structuré comme un langage ».(Lacan, 1973:
227). Toutefois, comme le conçoit fort bien
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire / 69
Ricardou, «en ce qu’il est œuvre de langage,
le texte provoque du sens; en ce qu’il est
facteur de transparence, le sens estompe le
texte ».(Ricardou, 1978: 43).
Si l’on convient que le sens permet aux
artistes d’asseoir leur style propre d’une
imitation du monde, perçue selon une
sensibilité d’écriture, il importe alors
d’apprécier à juste titre la position de Jean
Ricardou sur l’effet produit par le texte. Il
indique de ce fait que «l’effet de texte, c’est
la proposition du sens ; l’effet du sens, c’est
l’effacement du texte. Là où le sens domine,
le texte tend à l’évanescence ; là où le texte
domine, le sens tend au problématique».
(Ricardou, 1978: 43). Encore que selon
Nathalie Heinich,
« La critique des représentations singularisantes de
l’écrivain constitue, nous venons de le voir, une
forme de relativisation. S’opposer à une
représentation, ou lui en opposer une autre c’est,
toujours, l’inscrire dans un univers élargi, où elle perd
son caractère absolu pour devenir, au mieux, un
possible parmi d’autres et, au pire, une impossibilité,
ne relevant pas du réel: fiction, illusion, idéologie ou,
dans un langage plus savant et moderne à la fois,
«mythe». » (Heinich, 2000: 307).
Une représentation imitative où le sens
domine comme on le constate lorsque les
événements sont décrits sans autres artifices,
concourt à enlever au texte sa magie et son
extraordinaire. Cependant, la question du
sens ne va pas sans cette disposition d’esprit
d’une part de l’écrivain et d’autre part du
lecteur qui prolonge la représentation
imitative par la médiation du livre et de sa
propre activité cérébrale. À ce propos
Schopenhauer estime que «les sens ne sont
que des prolongements du cerveau; c’est par
eux qu’il reçoit du dehors, sous forme de
sensation, la matière dont il va se servir
pour élaborer la représentation intuitive ».
(Schopenhauer, 2006: 698).
C’est à ce niveau que surgit la signification
attribuée aux textes en présence de la
diversité des positions intrinsèques à chaque
lecteur susceptible d’ajouter également
l’aperception de sa conception des choses au
monde. Maurice Blanchot en vient alors à
écrire que «ce que nous appelons sentiment
de la nature est une réaction complexe ou
notre sensibilité organique tout entière fait
écho à une sorte d’arrêt devant l’infini ».
(Blanchot, 1955: 164). A son tour, Yves
Thierry perçoit la complexité comme
« (…) une signification [qui] n’est pas ‘‘ quelque
chose ’’ qu’on signifie ou comprend, tel mode de
référence ou de représentation d’une idée ; il faut
plutôt la concevoir comme un dynamisme, mettant en
jeu la réalité externe et l’activité de penser, les
entrelaçant par une mise en situation pratique plus
que par des références déjà données. » (Thierry, 1983:
101).
En effet, l’acte de langage, plus encore
favorise cette propension du signifiant à
signifier dans la chaîne parlée selon un ordre
établi par la culture productrice de sens qui
70/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
lui sont alors sous-jacents. Pour Thierry
donc «un acte de langage engendre une
signification. La signification apparaît
justement comme ce qui est produit par cet
engendrement ».(Thierry, 1983: 60). Mais,
en dépit de la prégnance de la polysémie, le
contexte, fruit de l’apport langagier prépare
le terrain en vue de l’optimalisation de la
signification qui prend alors à son compte le
sens convenable devant la pluralité des sens.
C’est anisi que pour Joël Pynte,
« Plus un mot peut recevoir de significations
différentes, plus il est facile de lui en donner une
quelconque. La dégradation de la performance
observée en contexte s’expliquerait par le fait que,
dans ce cas, le sujet devrait choisir une interprétation
déterminée, compatible avec le contexte. » (Pynte,
1983: 167-8).
Les œuvres littéraires entendent alors
favoriser l’outil linguistique, qui à travers la
polysémie du signe, entraîne dans une
découverte du monde selon une touche
personnelle des auteurs qui imiteraient des
qualités particulières presque invisibles dans
la réalité visible. François Rastier comprend
alors pourquoi
« On constate en revanche que la polysémie des
signes, l’ambiguïté des phrases, la pluviosité des
textes sont des phénomènes – peut-être fondamentaux
– de la sémantique des langues naturelles. Sans qu’ils
soient jamais tout à fait éliminés, leur importance est
réduite, dans la communication quotidienne, par le
recours au contexte pragmatique ; et dans les discours
qui visent à l’univocité, comme le discours
scientifique, par des normes particulières. » (Rastier,
1987: 210, 211).
La faculté qu’ont les mots à pouvoir
receler plusieurs sens, peut donner lieu à
diverses interprétations. Aussi, est-il
necessaire de prendre en compte le contexte
dans lequel les mots s’entourent, afin
d’éviter autant que faire se peut, les contre-
sens. À cela s’ajoutent les représentations
collectives, clichés, stéréotypes et mythes
qui viennent compliquer la possibilité d’une
compréhension unidirectionnelle. On peut en
ce cas penser à Carl Gustave Jung pour qui,
« Les représentations collectives ont un pouvoir
dominant et il n’est donc pas étonnant qu’elles soient
réprimées au moyen de la résistance la plus forte.
Dans leur état refoulé, elles ne se dissimulent pas
derrière une banalité quelconque, mais derrière ces
représentations et ces figures qui posent déjà des
problèmes pour d’autres raisons et qui augmentent et
accentuent leur complexité. » (Jung, 1971: 74).
La parole étant donnée à la libre
appréciation du lecteur, il lui revient alors
des œuvres de dégager intuitivement la
signification du message véhiculé par une
représentation imitative extraordinaire.
Justement, pour Georges Noizet,
« En rappelant la dimension relationnelle de la
signification, nous mettons l’accent sur le fait que la
signification est construite. Cette construction, c’est le
travail qu’effectue le locuteur lorsqu’il donne un sens
à une phrase en pensant quelque chose de ce qu’il
entend ou lit. » (Noizet, 1980: 130).
La signification est le produit d’un
processus de combinaisons et
d’enchevêtrement de sens possibles, en face
De l’imaginaire dans l’imitation littéraire / 71
de plusieurs options. A cet effet, pour que le
lecteur puisse saisir la pensée du locuteur ou
du scripteur, un appel à une hypothétique
logique s’impose. Cela se conçoit également
chez Kant pour qui,
« Tous les phénomènes, comme expériences
possibles, résident donc aussi a priori dans
l’entendement, et en reçoivent leur possibilité
formelle, de même que, comme simples intuitions, ils
résident dans la sensibilité et ne sont possibles quant à
la forme que par elle. » (Kant, 1987: 652).
On retrouve bien évidemment, cet aspect
des choses dans le domaine littéraire où il
s’agit d’imitations plus que tout autre chose.
En procédant ainsi à une présentation,
l’artiste en vient à imiter, pour ainsi dire, le
monde réel. À ce titre, l’imitation par
l’artiste revient à donner une image qu’il a
ou qu’il se fait du monde. De là découle
l’antériorité d’un rapport au monde en ce qui
concerne l’imitation littéraire. Mais en plus
de ce rapport au monde, il faut aussi compter
avec la personnalité et la sensibilité de
l’auteur. En guise d’illustration, les fictions,
les dramaturgies ou les poèmes qui sont le
fruit d’une imagination, relèveraient plus ou
moins du fantasme de l’auteur qui arriverait
à son tour à produire l’imitation qu’il se fait
du monde. En d’autres termes, l’imitation
littéraire est le substitut, la fonction à partir
de laquelle dérive le sens mais non pas,
comme on aurait pu le croire, une simple
reproduction ou une triviale copie conforme
à la réalité.
Conclusion:
L’imitation littéraire se mêle ainsi à la
récurrence d’une certaine position de
l’auteur où le réel laisserait place à une
présentation qui parlerait au cœur et à
l’esprit des lecteurs. L’on se souvient
notamment de Lacan qui voyait dans le
langage un véhicule de la réalité
inconsciente. À ce titre, les œuvres littéraires
développent une vaste tentative de donner au
langage une structure ludique sinon plus ou
moins évocatrice d’un monde désarticulé,
mystérieux, souvent plus qu’autre chose. En
fait, l’artiste s’arrange à satisfaire un soi-
disant rapport entre la réalité et une
personnalité qui lui serait intrinsèque mais
dissimulée au commun des mortels à
l’exception bien entendu de quelques
privilégiés ou initiés. On se posera alors la
question de savoir si avec les auteurs le
langage n’aurait pas pour fin de révéler un
réel qui se blottirait insidieusement derrière
un autre plus trivial à profusion. En effet,
avec les auteurs, le langage est mis à rude
épreuve pour justement signifier, du moins
sur ce qui a trait à un écho favorable vers un
monde imaginaire, les profondeurs où
habiterait une part inconsciente.
72/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
La particularité tient ici au fait que l’auteur
tout en s’inspirant du monde en arrive à
superposer réel et imaginaire dans un
langage mêlé d’analogie au monde
référentiel et à la poésie de la dérision ou
même de la rêverie. On le voit donc cette
imbrication manifeste d’un visible devant un
invisible, d’un réel en avant d’un surréel
chez les auteurs au point, pour ainsi dire,
d’asseoir une image transfigurée du monde.
On ne se trompe nullement en insistant sur la
portée linguistique chez les artistes qui
concourent, de ce fait, à revisiter le monde
sous le prisme de leur rapport à un autre
univers cette fois-ci interne à eux-mêmes et
sous-tendu par une pensée soutenue par
l’imaginaire. Libre de fantaisies diverses
auxquelles ils s’adonnent volontiers et
allégrement, le constat est que le monde
décrit par ces artistes se place dès lors sur
une scène littéraire qui, dans le même élan,
se voit dotée de pouvoirs surnaturels. En ce
sens, l’on s’oriente vers la vision d’un
monde qui serait dominé par le «mythe»
c’est-à-dire, sans véritable ancrage avec la
vie réelle. C’est à niveau que le jeu du
langage des auteurs trahit cette perspective
inconsciente dans leurs rapports au monde
réel. Même si cette confusion entre réel et
imaginaire semble persister, il n’en demeure
pas moins que l’inconscient de l’auteur sur
le sujet inspiré du réel rejaillit dans une part
belle. En fin de compte, ne serait-ce pas
plutôt vers une aventure poétique du langage
que nous entraînerait les auteurs lorsqu’ils
n’y manqueraient pas d’associer dans une
imitation littéraire les tréfonds ou les
méandres d’une pensée bien souvent perçue
comme désentravée, démentielle ou à plus
forte raison comme inconsciente. D’où
l’apport prépondérant dans leurs œuvres, du
jeu langagier et donc de l’imaginaire. Dès
lors, ce dernier devient l’objet d’une
imitation littéraire, à tout le moins, par le
biais d’un délire artistique donc ludique
sinon, à plus forte tendance, désaxé ou non
du réel.
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________________________________________
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâ et Alfred de Vigny
MahdaviZadeh, Mojgan
Maître assistante, Université d’Ispahan, Ispahan, Iran
Reçu: 18.06.2013 Accepté: 15.07.2014
Résumé:
Parcourir la voie intérieure, nous mène à dominer le cercle de la connaissance et à atteindre le Sublime.
En ce qui concerne l’étude comparative du"perfectionnisme" chez Mowlânâ, poète mystique iranien du
XIIIe siècle et Vigny, poète stoïcien, romantique et mystique français du XIX
e siècle, il est tout à fait
normal que le chemin à parcourir pour un Occidental, soit différent de ce qu’il est pour un
Oriental.Pourtant, étant donné que les caractères humbles de tout être humain, tels la franchise, la
sincérité, l’honnêteté, la justesse, la gentillesse, le silence, etc.ne se limitent point dans des dimensions
spatiotemporelles, et qu’il ne faut point être de la même idéologie pour avoir des points communs de
caractère et de pensée, nous avons mis de côté les diplopies. Considérant l’unicité divine, nous nous
sommes concentrés sur «la pièce» plutôt que sur ses «deux côtés». Mais comment d’après nos deux
poètes, nous pourrions parcourir cette voie tout en gardant le cœur, intact des évènements qui pourraient
être sources de son affection et de purifier notre âme de toute impureté? Quels sont les conseils pratiques
qui nous proposent l’un et l’autre? Ce sont les questions que nous allons aborder, et auxquelles nous avons
essayé d’apporter des réponses translucides.
Mots-clés: Mowlânâ, Vigny, stoïcisme, romantisme, mysticisme islamique, Étude comparative du
"perfectionnisme" chez Mowlânâ et Vigny.
Introduction:
Au seuil de cette étude, il serait convenable
de noter que le champ sémantique du
"perfectionnisme" étant assez vaste, nous
nous sommes focalisés plutôt sur la
désignation philosophique de ce terme,
prouvant la quête de l’absolue et le
cheminement vers le Tout Puissant, pour
pouvoir acquérir une place sublime et des
caractères divins. En quête de la Vérité
Absolue, quelle que soit notre vision et notre
conception, il est fort certain que nous allons
être imprégnés, d’une manière implicite ou
explicite, d’un ensemble de principes
moraux, qui pourraient nous guider dans la
voie du Sublime.Mais en fait, comment est-
ce que d’après nos deux poètes, nous
pourrions parvenir à parcourir cette voie tout
en gardant le cœur, intact des évènements
qui pourraient être sources de son affection
et de purifier notre âme de toute impureté?
Quels sont les conseils pratiques qui nous
ont proposés l’un et l’autre?
Les mystiques islamiques croient que
l’Essence Divine est à la fois plus évidente et
plus latente que celle de toutes les créatures.
Pour montrer cette évidence Mowlânâdit:
«Dieu est manifeste parmi les autres comme
76/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
la lune entre les étoiles»1(Rûmî a, 2004: vers
1400). Pour indiquer le sens caché de cette
essence et cette existence, il déclare:
«Qu’existe-t-il de plus éloigné de la
compréhension et de la perception mentale
que la conscience et l’essence de Dieu?»2
(Rûmî c, 2004: vers 3652).En effet,
Mowlânâ veut nous démontrer que
l’imperceptibilité de Dieu résulte de son
évidence extrême.Pour lui, le monde tout
entier est rempli de la Générosité Divine. Sa
Manifestation est la raison principale de la
manifestation du monde entier. En effet,
pour le vrai mystique, chaque
sonreprésenteun signe ou plutôt un message
de la part de Dieu. Il ne voit quela
manifestation de la beauté divine et n’entend
que les sons harmonieux du Bien-aimé,
n’importe où et dans n’importe quel état.
Mais cela ne serait possible qu’au moment
où il se sera libéré de son moi (nafs, égo), et
se sera anéanti dans l’Océan de la
Vérité(Schimmel,2004: 34).
Quant à l’étude de la pensée religieuse de
Vigny, elle est en fait, l’étude de ses
oscillations successives. Ces doutes sont
. موالنا) "حق پدید است از میان دیگران همچو ماه اندر میان اختران"
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمیمثنوی دفتر اول(.9731)
(9191،بیت951سخن، . موالنا) "در وجود از سر حق و ذات او دورتر، از فهم و استبصار، کو؟"
سخن، : تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفترسوم(. 9731)
( 7651، بیت 961
bien entendu déterminés, partiellement, par
les évènements de sa vie personnelle, par les
évènements de la société dans laquelle il
vivait, et enfin, par les lectures, qui,
certainement, pouvaient être considérées
comme les plus grands évènements.
L’évolution religieuse de Vigny, n’est à
retrouver que vers la deuxième moitié de sa
vie. La véritable religion pour lui consiste
dans la seule pratique de la vertu et de la
philosophie.
Atteinte du seuil de la Résidence Divine
chez Rûmî:
Nous savons que jusqu’aux dernières
minutes de sa vie,Bahâ-od-DînWalad,
Mowlânâétait sous l’influence directe de cet
éminent théologien qui fut son père.
(Forûzânfar, 1997: 34-37).En effet, la
conception mystique de Mowlânâ, était un
amalgame des conceptions mystiques de
plusieurs Maîtres, tels Šams, Borhân-od-
DînMohaghègh-é- Tarmazi, Mohyî-od-Dîn
Ibn- ol-«Arabî, Salâh-od-DînFereydûn-é
Zarkûb-é Ghûnavî, Hessâm-odDîn-
éTchalapîet de plusieurs œuvres telles celles
de Sanaei»Attâr, etc.
Pour lui, la franchise est munie d’une force
extrême et les miracles, les faits surnaturels,
prodigieux et extraordinaires, attribués à la
puissance divine des Prophètes et des Guides
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 77
proviennent de la sincérité et de la pureté de
leur cœur.Du moment où le serviteur décide
de parcourir cette voie, Dieu le Tout Puissant
l’aidera. Il l’affirme:
«Si la protection de Dieu est sur la tête de Son
serviteur, à la fin celui qui cherche trouvera. / Le
Prophète a dit que lorsqu’on frappe à une porte, à la
fin une tête sortira de cette porte»3 (Rûmî c: 2004,
vers 4781-4784).
La façon la plus adéquate d’approfondir
cette voie est celle qui contribue à la
découverte des signes de l’existence du plus
Sublime à l’intérieur de nous-mêmes: «Le
désir du bien et la bonne action elle-même
proviennent tous deux de Toi: qui sommes-
nous? Tu es le Premier, Tu es le Dernier»4
(Rûmî f, 2004: vers 1438). Mais, on attend
de celui qui s’imprègne dans la source de
l’existence, d’être humide; de même que
pour Mowlânâ, celui qui sort de la salle de
bain, ne doit point avoir les genoux, aussi
sales que ceux d’un chameau (Sorouš, 1980:
18).
: گفت پیغمبر که/ سایه حق بر سر بنده بود عاقبت جوینده یابنده بود "
چون نشینی بر سر / "ت زان در برون آید سریچون کوبی دری عاقب"
چون ز چاهی می کنی هر / کوی کسی عاقبت بینی تو هم روی کسی
مثنوی . (9731. )موالنا)"روز خاک عاقبت اندر رسی در آب پاک، ابیات 891سخن، : تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی دفترسوم
1313-1311.) ست وهم آن نیکویی ما که ایم؟ اول تویی، آخرهم طلب از تو ا"
. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفترششم(. 9731. )موالنا)"تویی
(.9115، بیت 38سخن،: تهران
Il est à rappeler que pour Mowlânâ, tous
nos actes sont des réflexions des actes du
Tout Puissant. C’est pourquoi, du moment
où nous nous voyons en quête de son
existence, c’est en faitLui-même qui est en
quête de Soi. Il le montre dans son Livre
troisième du Mathnavî, à travers la question
que posa Buhlul à un certain derviche et la
réponse de ce dernier qui contribua à une
discussion fort intéressante5 (Rûmî c, 2004:
vers 1885-1890).
Quant aux degrés de perfectionnement,
quoique la plupart des mystiques islamiques
pensent que dans la voie du Sublime, il
existe sept piliers à franchir, Mowlânâ se
focalise sur quatre grades, qui sont: le corps,
l’esprit (l’âme), l’intellect et l’esprit de
l’inspiration6 (Rûmî b, 2004: vers 3253-
3254).Il existe évidemment plusieurs
چو نی ای درویش؟ واقف کن ": گفت بهلول آن یکی درویش را"
/ ود کار جهان؟ چون باشد کسی که جاودان بر مراد او ر": گفت/ "مرا
/ سیل و جو ها بر مراد او روند اختران زآن سان که خواهد، آن شوند
هر کجا / زندگی و مرگ، سرهنگان او بر مراد او روانه کو به کو
سالکان راه هم / خواهد، فرستد تعزیت هر کجا خواهد، ببخشد تهنیت
چ دندانی نخندد در جهان هی/ بر کام او ماندگان از راه هم در دام او
، با الحاقات مثنوی دفترسوم. (9731. )موالنا) "بی رضا و امر آن فرمان روان
(.9116-9118، ابیات 19سخن،: تهران. دکتر محمد استعالمی
جسم ظاهر، روح مخفی آمده است جسم همچون آستین، جان همچو "
/ حس سوی روح زودتر ره برد باز، عقل از روح مخفی تر پرد / دست
روح وحی از عقل پنهان تر بود زآن که او غیبی است، او زآن سر / [...]
. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفتردوم. (9731. )موالنا) "بود
(.7861-7861، ابیات 911سخن،: تهران
78/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
niveaux de perfectionnement.
AbolqâssemGhaširi, mystique connu du 5e
siècle d’Hégire Lunaire, a écrit dans son
livre intitulé RessaleyehQashiryehque ceux
qui pensent que le terme Mystique, désigne
ceux qui se sont vêtus d’un sûfet rien
d’autre, ont tort, puisque ces gens-là sont
beaucoup plus avancés que le simple fait de
la manière de se vêtir puisse les
grouper(Qashiri, 1966:467-468).Mowlânâ
étant parmi les plus avancés, dit et a
d’ailleurs raison de dire:
«Je m’envole comme une lune et un soleil, je
déchire les voiles des cieux. / La lumière des
intelligences provient de ma pensée; le ciel a été créé
à cause de ma nature originelle. / […] / Attachez-vous
à moi, afin de connaître la béatitude, et de devenir des
faucons royaux, bien que vous soyez des hiboux!»7
(Rûmî b: 2004: vers 1159- 1165).
Il ne faut surtout pas oublier que la
capacité des personnes susmentionnées
diffère l’une de l’autre, de même que le
raisin qui n’est pas mûr et dont le jus est
acide, peut être abimé par un vent qui est
trop froid, alors qu’un raisin mûr dont le jus
est doux et bon, résistera beaucoup mieux.
-روشنی عقل/ درم مان ها میهای آسپرم پردههمچو ماه و آفتابی می"
بازم و حیران شود در من هما / ها از فکرتم انفطار آسمان از فطرتم
شه برای من ز زندان یاد کرد صد هزاران / ود تا بداند سر ما؟ جغد که ب
ا ها رها دمساز کرد از دم من جغدیک دمم با جغد/ بسته را آزاد کرد
ای خنک جغدی که در پرواز من فهم کرد از نیکبختی راز / کرد "باز"
"در من آویزید تا نازان شوید گر چه جغدانید، شهبازان شوید/ من
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفتردوم. (9731. )موالنا)
(. 9967-9961، ابیات 53سخن،
Également, la personne qui tend à être
parfaite ne sera jamais bien comprise par les
autres. Pour mieux saisir cette histoire,
Mowlânâ fait allusion à un éléphant, qui
dans la nuit, peut être perçu de différentes
manières (Jafari, 1999: 19)
Chez Mowlânâ, le secret du
perfectionnement dans la voie du sublime est
l’annihilation: «Il n’y a pas d’admission dans
la salle d’audience de la Majesté divine pour
quiconque, s’il n’est mort à lui-même. Quel
est le moyen de l’ascension vers le ciel?
Cette non-existence. La non-existence est la
foi et la religion des amoureux de Dieu»8
(Rûmî f, 2004: vers 232-233).
Quant aux moments où l’on est fermé ou
au contraire réceptif à la spiritualité,
Mowlânâ nous explique qu’il ne faut jamais
se contenter de cet état d’ouverture
spirituelle, tout comme il ne faut jamais
s’inquiéter et perdre espoir lorsqu’on se sent
contracté et fermé face à la spiritualité9
(Rûmî c, 2004: vers 3734-3735).
چیست معراج / چکس را تا نگردد او فنا نیست ره در بارگاه کبریا هی "
(. 9731. )موالنا) "فلک؟ این نیستی عاشقان را مذهب و دین نیستی
، 91سخن، : تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفترششم
(.876-873ابیات
/ توست، آتش دل مشو آن صالح ! چون که قبضی آیدت، ای راه رو "
"زآن که در خرجی در آن بسط و گشاد خرج را دخلی بباید زاعتداد
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفترسوم(. 9731. )موالنا)
(.7376-7373، ابیات 937سخن،
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 79
Pour progresser sur cette voie comme toute
autre voie d’ailleurs, il faut s’astreindre à
une certaine discipline et ne pas agir de
manière désordonnée10
(Rûmî d, 2004: vers
2899-2900). Il n’y a pas de temps à perdre
dans ce monde: «Le soufi est le fils de
l’instant, ô mon ami: ce n’est pas la règle de
la voie que de dire: "demain". N’es-tu donc
pas un soufi, en vérité? Ce qui est dans ta
main est réduit à néant si tu regardes le
paiement»11
(Rûmî a, 2004: vers 133-134).
Le mal majeur qui pourrait atteindre la
voie est le fait de se croire parfait. Mowlânâ
pense que pour ne pas être atteint de ce mal,
il faut travailler en groupe, puisque non
seulement avec le groupe vous n’allez pas
être trompé par le Satan, mais aussi la joie
du voyage en groupe est beaucoup plus
grande que celle de l’individu isolé: «Celui
qui s’en va gaiement en voyage, s’il s’en va
avec des compagnons, avance cent fois plus
vite. […]»12
(Rûmî f, 2004: vers 512-
/ گام ، می راند چو عام بر توکل، می نهد چون کورچون ندارد سیر "
. موالنا) "بر توکل، تا چه آید در نبرد چون توکل کردن اصحاب نرد
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفتر چهارم(. 9731)
(.8111-8119، ابیات 917سخن ،
/ نیست فردا گفتن از شرط طریق ! صوفی ابن الوقت باشد ای رفیق"
. موالنا) "تو مگر خود مرد صوفی نیستی؟ هست را، از نسیه خیزد نیستی
سخن، : تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفتر اول. (9731)
(. 977-971، ابیات919
/ رود با رفیقان سیر او صد تو شود آن که تنها در رهی او خوش "
/ بر وی آن راه، از تعب صد تو شود هر خری کز کاروان تنها رود/ [...]
516).C’est pourquoi, il annonce que c’est
Dieu qui a voulu savoir exposer des choses
précieuses, étranges et subtiles aux savants,
chercheurs, gens intelligents et à tous ceux
qui réfléchissent profondément (Rûmî,
1378/1999: 121).
Il est remarquable qu’au XIIIe siècle,
Mowlânâ donnait beaucoupd’importance au
Soi et à l’autre, ou plutôt à l’identité et à
l’altérité, très à la mode de nos jours. Il faut
s’entraider pour qu’on soit l’élan l’un de
l’autre dans la voie de perfectionnement vers
le plus Sublime:«Si ce n’était l’appui apporté
par les murs, comment les maisons et les
boutiques seraient-elles construites? Si
chaque mur est séparé des autres, comment
le toit resterait-il suspendu en l’air?»13
(Rûmî f, 2004: vers 518-523).
Il est connu comme l’un des plus célèbres
humanistes du monde entier. Il a su si bien
déchiffrer les vices et les imperfections de
l’âme, ainsi que les qualités de celle-ci,
مر تو را / چند سیخ و چند چوب افزون خورد تا که تنها آن بیابان را برد
"گر نه ای خر، همچنین تنها مرو !می گوید آن خر، خوش شنو
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمیمثنوی دفترششم(. 9731. )موالنا)
(.593-589، ابیات 78سخن،
گر / هر نبیی اندر این راه درست معجزه بنمود، و همراهان بجست "-
هر یکی دیوار اگر باشد / نباشد یاری دیوارها کی بر آید خانه و انبارها؟
گر نباشد یاری حبر و قلم کی / چون باشد معلق در هوا؟ جدا سقف
این حصیری که کسی می گسترد گر / فتد بر روی کاغذ ها رقم؟
حق ز هر جنسی چو زو جین آفرید پس نتایج، / نپیوندد به هم، بادش برد
لحاقات دکتر ، با امثنوی دفترششم(. 9731. )موالنا) "شد ز جمعیت پدید
(.587-581، ابیات 78سخن، : تهران. محمد استعالمی
80/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
qu’on se demande s’il n’a pas été un
psychologue; mais ce qui le transcende, et le
différencie du simple psychologue, c’est
qu’il accorde trop d’importance à la morale.
Pour démontrer les qualités chères à
Mowlânâ, qui mèneraient au
perfectionnement, il est à signaler que pour
lui, le vrai mystique transcende même les
anges14
(Rûmî b, 2004: vers 3328-3329). Il
savait très bien que l’exotérisme nous
concerne tous, car tout le monde est appelé
au salut et à vivre en conformité avec Dieu,
alors que l’ésotérisme est une vocation tout à
fait individuelle, que n’importe qui n’aurait
pas la capacité d’expérimenter.
BâyazîdBastâmî le mystique persan le
confirme: «cette chose dont nous parlons ne
peut être trouvée par la recherche, et
pourtant seuls ceux qui cherchent la
trouvent» (Aflâkî, 1385/2006: 309).
En ce qui concerne l’amour spirituel,
Mowlânâ nous a offert son Dîvân-E Shams-
E Tabrîzî, qui est un recueil d’admirables
chants, consacré à un amour, terrestre en
apparence, mais qui est en réalité une
hypostase de l’amour divin. La douleur
toujours présente, ainsi que l’écho de la
وز / پس فزون از جان ما جان ملک کو منزه شد ز حس مشترک "
جان، چو / [...]/ملک جان خداوندان دل باشد افزون، تو تحیر را بحل
"[...]: / جان جمله چیز ها افزون شد، گذشت از انتها شد مطیعش
: تهران. ، با الحاقات دکتر محمد استعالمی مثنوی دفتردوم. (9731. )موالنا)
(.7717-7711، ابیات 959سخن ،
souffrance causée par la première séparation
de Mowlânâ, de Šams de Tabriz, est bien
discernable tout au long de cette œuvre
immense15
(Rûmî,2003: 13, Ode 36).
Cheminement spirituel de la voie de
l’honneur chez Vigny:
Il nous paraît claire pour quelles
raisonsayant lu Victor Hugo qui a parlé du
dualisme de Zoroastre, reposant sur le Bien
et le Mal, sur la Lumière et les Ténèbres,
Vigny croit lui aussi qu’il existe un esprit
saint, source de vertus, et un esprit mauvais,
signe de vices. Ces deux esprits coexistent
dans chacun des êtres vivants.«Toute
l’œuvre juvénile de Vigny, tendue de
draperies bibliques ou évangéliques,
dissimule avec adresse la flamme païenne
qui brûle sous ses voiles et va bientôt les
consommer. Une partie de la jeunesse
applaudit, les voltairiens s’amusent, des
catholiques s’inquiètent» (Flottes, 1970: 8).
Élevé dans la religion catholique, il avait
traduit la Bible en anglais et savait par cœur
l’Imitation de Jésus-Christ. Il se voyait
entouré d’anges dès les jeunes âges16
(Vigny
بار بیا دفع مده، دفع مده، ای مه خواجه بیا، خواجه بیا، خواجه دگر"-
انتشارات :تهران. کلیات شمس تبریزی (.9718). موالنا) "[...]عیار بیا
(76، غزل شماره 97دوستان، 16
Vigny,A. de, (1952). Mémoires inédits. Éditions
jean Sangnier, Paris: Gallimard., p.52: «Les premiers
tableaux que virent mes yeux furent la Sainte famille
de Raphaël et l’une surtout où on voit un jeune ange
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 81
1952: 52), et le jour de sa première
communion, il était plein d’une véritable foi
(Vigny,1952:70) lorsqu’il s’approchait de la
Sainte Table. Mais le prêtre l’a déçu; il a
trouvé en lui, une sorte de vulgarité et
d’indifférence si bien qu’à propos de ce jour,
il avoua ainsi dans l’une de ses œuvres: «Je
ne vis plus dans la chapelle qu’une salle de
spectacle d’un village où l’on avait joué une
indigne comédie à mes dépens» (Vigny,
1952: 3).
Maintes fois il fait allusion aux anges, en
introduisant des termes comme «Séraphins»,
«Gardiens», «Satan», «Lilith», etc. pensant
que «les anges ont au cœur des sources de
lumière» (Vigny, 1965: 47, Éloa, vers 632).
Quand il écrit dans le journal d’un poète,
«Les formes religieuses ne peuvent absorber
ni une tête puissante ni un cœur
passionné»(Vigny 1948: 890), cela pourrait
apparemment désigner le caractère
antireligieux de l’auteur, et «mettre en relief,
comme le dit Robert Dénommé (1993: 198),
les graves doutes que Vigny entretient au
sujet de la fonction de toutes les formes de
religion organisées dans la civilisation
moderne». Mais en fait, les reproches de
Vigny s’adressent aux religieux de son
aux cheveux bruns se pencher sur le berceau du
sauveur…cet ange m’était toujours présent, et, dès
que je pris un crayon je le voulu dessiner, le «Saint
Michel Archange» était «suspendu près de son
chevet».
époque; il est contre «les formes religieuses»
existantes mais non pas contre la Religion
elle-même.
Dans son livre intitulé Stello, au moment
où «Le Docteur Noir» s’adresse à «Stello»,
en lui demandant s’il se sent intérieurement
Poète. Stello, justifiant le titre du chapitre,
lui répond qu’il croit en lui, parce qu’il sent
au fond de son cœur, une puissance secrète,
invisible et indéfinissable, pareille à un
pressentiment de l’avenir et à une révélation
des causes mystérieuses du temps présent,
car la nature entière porte une émotion
profonde dans ses entrailles et gonfle ses
paupières par des larmes divines et
inexplicables (Voir Jodry, 1951: 19).
La vie religieuse de Vigny avait bien
changée durant l’époque où il était sous la
domination de ses voluptés. À travers ses
poèmes, trois périodes seront reconnues: une
période où la volupté s’exprime tout
doucement sans faire du bruit; une période
où la volupté du poète est inquiétante,
pendant laquelle il trouve que Dieu est
jaloux, injuste et que le mal vient de notre
incarnation permise par Dieu ; enfin une
période où la volupté n’est plus condamnée.
C’est à cette dernière époque où il existait
pour Vigny, la volupté des larmes, de la
souffrance, de l’honneur, et celle de la
misère humaine. Son évolution religieuse,
82/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
n’est à retrouver que vers la deuxième moitié
de sa vie.
Pour déchiffrer les caractères de celui qui a
l’intention de se perfectionner selon la
conception de Vigny, jetons un coup d’œil
sur son cercle vicieux à propos de la
Raison:«La Raison ne se soumettrait jamais
si elle ne jugeait qu’elle doit se soumettre. Il
est donc juste qu’elle se soumette quand elle
juge qu’elle le doit. […]»(Jodry, 1951:
21).Cette manière de penser nous rappelle
Descartes et Pascal. En effet, jusqu’au XIXe
siècle, pour la majorité des philosophes, à
part des génies comme Montaigne, l’homme
était une âme sans corps.
Pour les stoïciens, la prénotion du divin se
justifiait de quatre manières: il y avait tout
d’abord les événements terribles tels la
foudre, les ouragans, les séismes, les
comètes, les éclairs,etc.qui conduisaient
l’homme à supposer qu’une force le
dépassait; il y avait aussi les prédictions
concernant l’avenir qui pouvaient forcer les
gens à croire que tout était programmé par
une force suprême. Le fait que la nature
fournissait à l’homme tout ce dont il avait
besoin pour vivre heureux, pouvait justifier
aux yeux de l’homme l’existence d’un
support surnaturel. Enfin, l’ordre existant
dans le monde, conduisait à inférer qu’il y
avait un dieu vivant, rationnel, bon et sage,
qui avait pour corps, le monde entier, la
cosmologie stoïcienne croyant fermement
que le monde est animé, et que dieu
administre l’univers avec
sagesse(Laurand,2002: 31).
En effet, Vigny sentait en lui le désir de
produire quelque chose de grand, sans perdre
un instant. Ici on le voit proche de Mowlânâ
qui, lui non plus, ne voulait perdre ne serait-
ce qu’un instant. Le temps lui paraissait
perdu s’il n’amenait pas une idée neuve et
féconde. N’hésitant pas à se jeter dans les
extrêmes, ainsi qu’il l’a fait toute sa vie, il
voulut être officier et pressa tellement son
père de lui donner cet état, qu’il entreprit le
jour même les démarches nécessaires pour
ce faire (Vigny, 1940: 221). À cette époque,
le perfectionnement pour lui était d’entrer
dans l’Armée et de faire de son mieux pour
être un parfait homme d’honneur (Vigny,
1949: 17).
Il nous annonce que pour lui, le Poète et le
Soldat sont tous deux des parias: «Après
avoir sous plusieurs formes, expliqué la
nature et plaint la condition du Poète [dans
Moïse (poème, 1822), Stello (roman, 1832),
Chatterton (drame, 1835)] dans notre
société, j’ai voulu montrer ici celle du
Soldat, autre paria moderne…» (Vigny,
1949: 80). Pour notre génie, dans la voie du
perfectionnement, il ne faut point considérer
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 83
les côtés négatifs, mais plutôt se concentrer
sur les points forts(Vigny, 1951: 18). Cela
signifie que pour lui, même une pécheresse
peut être naïve et innocente. L’Amour-
propre aussi est un terme cher à Vigny. Dans
Stello par exemple, «Stello reproche au
Docteur Noir d’avoir mendié auprès du roi
sans souci de la fierté du jeune poète»
(Vigny, 1951: 25).
Vigny accorde une grande place à Moïse et
lui consacre même un de ses poèmes. Pour
lui, la grandeur de l’esprit est une chose
innée. Cette grandeur est saisissable par le
monde entier, il n’est pas besoin de le
certifier. Dans son poème intitulé Moïse, il
parle de la bouche de ce Prophète(Régnier,
1928: 7).
Dans son poème intitulé Eloa, Vigny
confirme qu’il n’est pas facile de vivre
comme un ange. Il considère qu’à partir du
moment où nous prenons conscience du soi
et de l’autre, la tâche devient beaucoup plus
difficile à accomplir: «C’est pour avoir aimé,
c’est pour avoir sauvé, Que je suis
malheureux, que je suis réprouvé» (Régnier,
1928,:27).Certains de ses poèmes révèlent
son doute envers Dieu et l’Univers: il ne
comprenait pourquoi le juste doit être tué par
le méchant (le Déluge), l’ange séduit par son
ennemi, doit être puni et le mal doit
triompher le bien (Éloa). Par contre, certains
d’autres de ses poèmes manifestent son
inspiration chrétienne (La Sauvage, Le Mont
des Oliviers, La Bouteille à la Mer, L’Esprit
pur).
Vigny put faire paraître un poème
quimultiplie les affirmations rassurantes de
son cœur pur et simple qui croyait au
catholicisme: «Car tout vient du Seigneur, et
tout retourne à lui. / Dieu seul est juste,
enfants; sans lui tout est mensonge, / Sans
lui le mourant dit "la vertu n’est qu’un
songe"» (Bonnefoy, 1940: 28).
En ce qui concerne la mort, Vigny
l’accepte d’une manière stoïque et ne cesse
pas d’écrire sur ce sujet dans ses œuvres ; La
Mort du Loup en est l’exemple le plus
célèbre. Il s’inspire assurément du propos de
Lord Byron qui écrit dans Child
Harold’sPilgrimage:«Le loup meurt en
silence… Si des animaux d’une nature
inférieure et sauvage savent souffrir sans se
plaindre, nous qui sommes formés d’une
argile plus noble, sachons souffrir comme
eux» (Vigny, 1965: 100).
Pour les stoïciens, seul le sage est un
surhomme. Qui dit sage, dit raison. Ce qui
fait que dans une première étape, nous allons
conclure que Mowlânâ est en quête d’un
surhomme spirituel alors qu’Alfred de
Vigny, considéré comme un stoïcien, nous
parle d’un surhomme plutôt matériel.
84/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Il arriva que les parias de Vigny, et parmi
eux les Prophètes, tombent aux pieds de leur
créateur en le suppliant de mettre fin à ce
silence.«Les Stoïciens croient en général que
la vertu est le seul bien, le vice le seul mal,
et que tout le reste est indifférent» (Gourinat,
2007: 29). Ils pensent que «L’être humain
découvre peu à peu que la nature l’appelle à
s’accomplir comme être rationnel et à
découvrir le seul bien»(Laurand, 2007: 40).
Le perfectionnement pour Vigny réside
plutôt dans un honneur qui n’est point
terrestre, mais plutôt céleste. Tous ceux qui
ont été considérés commeParias, la société
voyait en eux des êtres différents. Ses Parias
sont soit des prophètes, tels Adam, Moïse,
Jésus et Mohammad, soit des poètes déçus
par la société matérielle, tels Stello et
Chatterton, soit des officiers de guerre, tels
les officiers cités dans Servitude et Grandeur
Militaires, soit des génies et des sages, tels
Platon. Sa pensée est avant tout une défense
de l’homme. Pour lui, la terre est révoltée
des injustices de la création.
Étude comparative:
La comparabilité à la manière des anglo-
saxons, résulte du fait que l’auteur constate
une quantité suffisante de points de
convergence et un nombre assez limité de
points de divergence entre les cas
mentionnés, pour établir une comparaison.
Cette méthode, dépourvue de la partie
transitoire qui paraît assez indispensable
pour les français et tous ceux qui donnent
beaucoup d’importance à l’influence de l’un
des personnages comparés sur l’autre, vise à
déchiffrer le premier et le second cas d’une
manière distincte, pour pouvoir discerner, les
points de convergence et ceux de divergence
qui rapprochent ou séparent les cas en
question, et ce, lors d’une troisième étape.
De plus que dans les domaines spirituels,
une focalisation zéro sur les caractères
humbles de l’être humain, ne demande point
que le sujet à traiter soit influencé par une
personne quelconque.
En ce qui concerne l’analyse comparative
du perfectionnismechez nos deux génies
créateurs, il convient de rajouter que pour
Mowlânâ, qui est musulman, l’Origine de
tout être remonte à Dieu et de même, après
être créé, tout être finira par rejoindre l’être
suprême. Chez Vigny, les êtres humains
doivent prendre la Nature et les Sages pour
symboles et essayer de se perfectionner
seconde par seconde en s’inspirant des
Poètes, des Prophètes, des Soldats et des
êtres humains les plus sages, les plus
stoïques et stoïciens. Il pense également que
les êtres humains doivent essayer d’être
forts, silencieux, patients, et doués de tous
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 85
les caractères humbles. Les idées
contradictoires de Vigny, sont assimilables
aux deux côtés d’une pièce. Il ne faut guère
voir les deux côtés, mais la pièce. C’est ainsi
pour Mowlânâ. L’originalité de cette
manière de pensée trouve ses sources dans la
doctrine de Zaratoustra (Zoroastre) qui
croyait fermement à une dualité des forces
existantes. En effet, selon certains
chercheurs tels Tholuck, Gobineau,
Delitzsch, Renan, Blochet et Palmer, les
origines du mysticisme persan se trouvent
dans la pensée de Zoroastre et sont donc
antérieures à l’Islam (Dehbashi &
Mirbagherifard, 2005: 33).Vigny, en était
inspiré par les œuvres de Victor Hugo,
André Chénier, Lord Byron et de Goethe, et
Mowlânâ, par les œuvres littéraires et
mystiques de son pays natal.
Les héros-parias des ouvrages de Vigny se
dirigent vers une mort volontaire, le suicide,
qui reste leur refuge et leur gage de liberté.
Par conséquent, Vigny et Mowlânâ
choisissent tous deux de mourir avant que le
moment de la mort soit arrivé. Mais il y a
tant de différence entre la mort choisie par
Vigny, qui n’est qu’une suicide pour se
libérer des souffrances et des malheurs de la
vie, et la mort spirituelle choisie par
Mowlânâ, afin de créer sa propre éternité.
Pour Mowlânâ, il faut tuer son âme charnelle
dans la voie du sublime, alors que pour
Vigny, c’est d’écouter l’âme charnelle qui
désire ne plus supporter les maux de la vie,
qui contribuerait au suicide.
L’un des plus grands mérites de
MowlânâJalâl-ol-dînRûmî réside dans le fait
qu’il a su déchiffrer les caractères humbles,
ainsi que les défaits caractéristiques de l’être
humain. Cela signifie qu’en se basant sur des
données psychologiques, il a su déchiffrer
les intentions de l’homme et grâce à des
données socioculturels et mystiques il nous a
présenté le trajet à parcourir pour être celui
ou celle que nous devons être. Il distingue en
l’homme des degrés à gravir pour atteindre
la dimension d’intériorité qui lui révélera son
moi véritable. Pour lui, le monde entier est
comme un miroir de l’Unicité divine, et voit
y apparaître la diversité des phénomènes. En
se trouvant lui-même, l’homme retrouve
l’univers (Rûmî d, 2004: vers 237). Il nous
apprend que l’univers entier est sous le
commandement de l’homme, qui s’est
purifié le cœur et l’esprit de toute impureté.
Pour Mowlânâ, le bavardage contribuerait
à une sorte de dépression mentale et
attristerait le cœur et l’âme, alors que le
silence, surtout au moment où nous sommes
assoiffés de commenter et de bavarder, nous
mènerait à une sorte de quiétude sans
pareille. Garder le silence et ne point se hâter
86/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
à poser des questions, nous aide également à
obtenir une meilleure réponse de la part de
l’Univers.
Pour Vigny, étant donné que la philosophie
Stoïcienne n’apprécie point le bavardage, les
poèmes devraient être composés de
sentences, de fragments, de courtes
paraboles et de conseils de vie, certes courts
mais profonds. Lui aussi a insisté à maintes
reprises sur le fait de garder le silence, de
sorte qu’il annonce même que «seul le
silence est grand». En effet, le silence de
Vigny prend ses sources dans son stoïcisme,
puisque la pire des tortures ne pouvait causer
un seul gémissement du sage.
Pour Mowlânâ, la franchise est munie
d’une force extrême et les miracles, les faits
surnaturels, prodigieux et extraordinaires,
attribués à la puissance divine des Prophètes
et des Guides proviennent de la sincérité et
de la pureté de leur cœur. Vigny, étant du
même avis, rajoute que l’honnêteté, la
sincérité et le sacrifice, sont des qualités dont
les traces du germe, du bourgeonnement et
de l’épanouissement, remontent à l’enfance
d’une personnalité quelconque.
La dualité de conception de Vigny sur la
solitude et l’isolement nous montre que d’un
côté le pessimisme de Vigny réside dans le
fait qu’il se voit comme un paria, méprisé
par la société, d’où son sentiment amer de la
solitude, d’un autre côté, il fait constamment
l’éloge du savoir souverain qui atteint la
perfection dans la solitude et l’isolement du
poète. Alors que pour Mowlânâ, que son
entourage le méprise ou pas, n’a aucune
importance; il est en quête de l’Absolu.
Mowlânâ choisit expressivement de s’isoler
pendant des jours entiers pour mieux pouvoir
contrôler ses passions et se sentir auprès de
Dieu; il ne se sent pas seul. Il ne s’isole pas
comme Vigny juste parce qu’il n’est pas
accepté par une société quelconque. Le fait
qu’ils ont migré avec son père, n’était pas dû
au fait qu’ils n’étaient plus acceptés à
Balkh, ou qu’ils ne supportaient pas les
échecs, mais plutôt de peur d’être tués par
les Mongols. Il ne faut surtout pas oublier
que dans la solitude, il y a une sorte de
pessimisme latent, qu’on ne trouve pas dans
l’isolement, pourvu d’une constatation
divine. L’isolement du soufisme provient de
l’ascétisme alors que celui du romantisme
trouve ses racines dans le Mal du siècle.
L’Amour, sans lequel le mysticisme
islamique serait incompréhensible, occupe
une place prépondérante chez Mowlânâ. Il
assimile l’amour à un océan dont la
profondeur est invisible et croit vraiment que
le seul être, digne d’être l’amant, reste
toujours Dieu. Vigny, quant à lui, comme
tout stoïcien, insiste beaucoup sur la qualité
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 87
pédagogique de l’amour lorsqu’il est vécu
par le sage. L’amour pour un stoïcien ne
serait qu’une transition pédagogique vers la
sagesse, et cet amour se mue en amitié des
sages.
Nos deux génies nous montrent ainsi que,
du moment où l’homme est tenté de se
perfectionner vers le plus Sublime, il va être
silencieux, tranquille et ferme devant la
souffrance et la mort, avec une indifférence
remarquable vis-à-vis de son propre sort,
quelles que puissent être les circonstances,
indifférents aux plaisirs, aux richesses et au
bonheur, d’une fermeté proche de
l’insensibilité, impavide face à des avanies
de toutes sortes telles la douleur, les insultes,
les infortunes du destin, la mort. Les
évènements destructeurs, les maladies, les
incendies, les bêtes sauvages, l’exil, la
pauvreté et la perte des proches, paraîtront à
cet Homme, comme des épreuves spirituelles
de la part de Dieu et c’est pourquoi, ils
seront tous convertis en une cure de l’âme. À
ce moment-là, il ne regardera que ce que
Lui, aura l’intention de regarder, n’écoutera
que ce qu’Il aimera entendre, ne sentira que
ce que Celui-ci aura l’intention de sentir, ne
touchera que ce qui est permis, et ne goûtera
que ce qui aura été préparé par le plus
Sublime.
Simplement pour Mowlânâ, c’est la foi
religieuse et la religion de l’amour qui
dominaient son existence, alors que pour
Vigny, c’était plutôt une religion d’honneur
et d’amour-propre qui importait.
Conclusion:
Étant donné que Mowlânâ DjalâlOd-Dîn
Mohammad Balkhî-é Rûmi et Alfred de
Vigny, étaient de deux époques différentes,
croyaient à deux doctrines assez distinctes,
et que celui qui précédait l’autre n’a point
influencé ce dernier, il est assez délicat de
mettre leur idéologie en parallèle l’une et
l’autre, pour pouvoir en déchiffrer les points
de convergence et de divergence. Ils
affirment tous les deux que libérés de notre
«moi» matériel, nous pourrions nous
transformer en un pur reflet d’un «moi»
divin, qui adore tous les êtres, qui met
l’amour là où est la haine, qui se sacrifie, qui
pardonne là où est l’offense, qui met l’union
là où est la discorde, qui prouve la vérité là
où il y a l'erreur, qui est preuve de la foi, là
où est le doute, qui met l’espérance là où il y
a le désespoir, qui illumine là où existent les
ténèbres, qui rend joyeux là où il existe une
tristesse, qui console au lieu de s’attendre à
être consolé, qui comprend au lieu de
s’attendre à la compréhension d’autrui, et
enfin qui aime au lieu de s’attendre à être
88/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
aimé. L’œuvre de Mowlânâ est d’inspiration
coranique et celle de Vigny, d’inspiration
biblique. Le premier fait allusion à Dieu, à
l’amour, au silence, et aux degrés de
cheminement, le second n’oublie pas de
colorer ses œuvres par des thèmes
jansénistes comme la prédestination, le Dieu
caché, la misère de l’homme, la dignité de la
pensée,etc. Selon le mysticisme de Mowlânâ
et le stoïcisme romantique de Vigny, l’être
humain veut garder son honneur, veut être le
symbole des caractères humbles et devancer
les autres dans la possession des
caractéristiques propres à Dieu. Vigny
considère l’homme comme étant responsable
de ce qui lui arrive, car c’est la nature et
l’âme humaine qui le poussent à agir et à
réagir de telle ou telle façon. Selon sa
conception, il faut être sensible vis-à-vis de
toutes les créatures.Tout comme Mowlânâ, il
indique que les hommes lui inspirent une
pitié sans borne, et il a le désir de leur tendre
la main et de les élever sans cesse par des
paroles de commisération et
d’amour.Mowlânâ a vécu une vie d’ascète
pour arriver à l’annihilation dans sa Majesté
tout en souffrant de cette séparation; Vigny
souffre et se lamente de cette séparation
provenant de la part de Dieu. Certains de ses
poèmes révèlent son doute envers Dieu et
l’Univers: il ne comprend pas pourquoi le
juste doit être tué par le méchant (le Déluge),
ni pourquoi l’ange séduit par son ennemi
doit être puni et le mal doit triompher du
bien (Éloa). Par contre, certains parmi les
autres poèmes traduisent son inspiration
chrétienne (La Sauvage, Le Mont des
Oliviers, La Bouteille à la Mer, L’Esprit
pur).Ilsconsidéraient tous deux qu’il nous
convient d’être franc, honnête, sincère et
symbole de sacrifice.On constate ainsi que
pour avoir les mêmes idées et conceptions
sur les thèmes qui prennent leur source de la
profondeur de l’existence d’un être humain,
et qui représentent les qualités attribuées à
Dieu ou à des créatures sacrées avec un
esprit divin, il n’est point nécessaire d’être
influencé par telle ou telle personne, d’être
contemporains, de croire à une même
doctrine ou d’être des compatriotes. En ce
qui concerne la bonté, la grâce, l’amour-
propre, la sobriété, la patience,etc.,la source
unique est Dieu, Il est le seul inspirateur des
hommes.Il faut simplement envisager les
points communs entre les sujets en question
et en tenant compte des notions d’identité et
d’altérité, se focaliser sur une paix
universelle.Plus nous restons attachés à notre
moi individuel, plus nous sommes captifs du
monde de la multiplicité. Le seul moyen d’y
échapper, c’est d’avoir un cœur pur et poli
comme un miroir. Il nous faut donc savoir
Étude comparative du "Perfectionnisme", chez Mowlânâet … / 89
comment combattre notre moi, en apparence
intelligent et conscient, et comment éveiller
la partie divine de nous-mêmes de son
sommeil de ce monde.
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90/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Abstract
Explicit Teaching of Reading Strategies in French Language Classrooms as a Foreign Language
Assadnejad, Azam * Phd student tarbiat Modares, Tarbiat Modares University, Tehran, Iran Letafati, Roya **
Associate Professor, Tarbiat Modares University, Tehran, Iran Foroughi, Hassan***
Professor, Shahid Chamran University, Ahvaz , Iran Shairi, Hamid Reza****
Associate Professor, Tarbiat Modares University, Tehran, Iran
Received: 04.03.2013 Accepted: 26.10.2013 Abstract
In teaching French language, reading is one of the most important skills to be learned. To develop reading strategies and to acquire how to make written relationship are some of its objectives. In Iran, teaching reading skills is often applied for other skills. So, language learners do not acquire this skill appropriately. This article aims to deal with effective strategies in developing reading skills in French as a foreign language. Acquiring reading skills makes language learners independent in comprehending texts.
Key words: Teaching French as a Foreign Language, Reading Strategies, Explicit Teaching, Reading Classroom
* [email protected] ** [email protected] *** [email protected] **** [email protected]
92/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
Reality and poetry through Assia Djebar's writing of the war in the novel Children of the New World
Alavi, Farideh* Associate Professor, University of Tehran, Tehran, Iran Rezvantalab, Zeinab** Ph. D. Candidate in French Literature–Comparative Literature, University of Tehran, Tehran , Iran
Received: 30.10.2013 Accepted:01.03.2014
Abstract:
One of the most influential novels the Algerian war of independence is the Children of the New World written by Assia Djebar. In this literary work, she illustrates a truly tangible and vivid picture of Algerian community during the war, and tries to demonstrate the profound consequences of the war on people's lives through describing the fate of multiple male and female characters in the story. Moreover, the author reflects the people's diverse and sometimes contradictory opinions about this war by exhibiting a variety of personalities and clearly elucidating the dialogue that goes on between them. This article is aimed to adopt a narrative approach in describing and analyzing the emergence of the war issue in Assia Djebar's literary text. We show that she can be considered as the inventor of a special type of war writing featuring a theme that combines realism and factionalism. We then take a sociological critical approach to represent Djebar's ideology about the war, and conclude that she believes in inevitability of defense and struggling for independence, without legitimating any kind of war and assassination, or treating the Algerian's liberation war as a sacred and mythical phenomena.
Keywords: Assia Djebar, Children of the New World, war, spectacle, poetic realism, psychological realism, ideology, society
English Abstracts /93
Investigating Incipits in Voltaire’s Short Stories (Case Study: Micromégas and Candide)
Azimi-Meibodi, Nazita* Assistant professor, University of Isfahan, Isfahan, Iran Malihe Ziaee** Master II in French Literature, University of Isfahan, Isfahan, Iran
Received: 29.11.2013 Accepted: 26.10.2014
Abstract How do the first words of a story lead readers to its theme? How does the writer lead readers’
mind to a distant horizon with which he or she face? This undeniable role is played by incipits. The aim of the present study is to indicate how Voltaire, as a deft storyteller, answers readers’ multiple questions during short stories “Candide” and “Micromégas”, and using their incipits, in such a way that these readers, from the beginning of the stories, can infer the theme of narratives by exploring their main stories. The present study is to investigate which grammatical and ungrammatical techniques Voltaire has used for presenting his own satirical ideas in order to attract his own audience to real and imaginative world such as planets or extraordinary travelogues. This important issue is feasible via incipits of short stories.
Key words: incipit, short story, satire, Voltaire, Micromégas, Candide.
94/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
The Lake of Lamartine: an eternal return to the space of meeting
Ghiasi zarch, Abolghasem
*
Assistant professor, International University of Imam Khomeini, Qazvin, Iran
Yeckta Mard, Fatemeh**
Master II in French Literature, University of Ferdowsi Mashhad, Mashhad, Iran
Received: 12.09.2013 Accepted: 23.08.2014
Abstract Literature is the mirror of society. In society, men meet in space. The meeting space as a social
space influences people and guide their feelings and actions. This space has a remarkable
presence in the literature and raises a particular behavior that is identical in every literary work.
This research has the objective of verifying the meeting space in The Lake of Lamartine to show
the mythic structure of this space. First, the theory of "social space" of Di Meo & Buléon, allows
us to study how the meeting space influences people. Then, to prove the mythical structure of the
meeting space, we use the myth criticism.
Keywords: The Social space, The meeting, The space of meeting, The Lake, myth criticism.
English Abstracts /95
Exploration in Literary Imitation Gnayoro, Jean Florent Romaric
*
Assistant professor, University of Peleforo Gon Coulibaly, Côte d’Ivoire
Received: 10.12.2013 Accepted:23.06.2014
Abstract The trace of reality in literary imitation (simulation) is perceived in the act of writing that
represents the ability of the author to create a fictional world. In the same line, the fictional world
in a literary text could be viewed as an appealing topic which would be worth exploring. In
common methods used to explore this fictional world, the authors often draw on some fragments
present in reality which can be considered as the source of imitation or simulation in literature. In
Pierce’s view, literary trace implicates a sign, a fingerprint, or an indication of its original literary
work. Now the question raised here is concerned with the characteristics of the boundary
between the natural (real) fragments and imitative (simulative) fragments.
Keywords: trace, imitation, real, fictional, literature, writing, language
96/ Revue des Études de la Langue Française, Sixième année, N° 10, Printemps-Été 2014
A comparative study on "perfectionism" of
Mowlânâ Jalâl Od-Dîn Rûmî, and that of Alfred de Vigny
Mahdavi Zadeh, Mojgan
*
Assistant professor, University of Isfahan, Isfahan, Iran
Received: 18.06.2013 Accepted: 15.07.2014
Abstract The experience shows that diving into man within, leads us to dominate the circle of
knowledge and approach the almighty God. In this respect, the comparative study on
perfectionist nature of Mowlana Jalaluddin Rumi (Mowlavi), a 13th-century Persian mystic poet,
and that of Alfred de Vigny, French Stoic, romantic and mystic poet of the 19th
century, is
completely normal in which the path of being perfectionist for a westerner is thoroughly distinct
from that adopted by an oriental. Nevertheless, given that the humble characters of every human
being, such as honesty, sincerity, integrity, affection and remaining silent are popular all over the
world and are something of no spatiotemporal dimensions, and given that the individuals should
not be of the same ideology to have common moral and spiritual aspects, we sought to put aside
diplopias and, while considering the divine uniqueness, focusing more on the "coin itself" rather
than on the "both sides of it".
But, indeed, not having been affected by inhibiting and destructive obstacles in our path, how
can we take step forward while protecting our soul and spirit and cleanse our soul from all
impurity? By which practical way do these two poets lead us towards perfectionism? These are
questions that we will encounter in the present paper and will try to give convincing answers to
each.
Keywords: Mowlânâ, Vigny, Stoicism, Romanticism, Islamic Mysticism, Perfectionism.
6 1393، بهار و تابستان 10مجله مطالعات زبان فرانسه، سال ششم، شماره
وینیی دو آلفردموالنا و "گراییکمال"اي مقایسهبررسی
*زادهمژگان مهدوي استادیار دانشگاه اصفهان
24/04/1393تاریخ پذیرش: 29/03/1392 تاریخ دریافت:
گرایی ي تطبیقی کماله خداوند واالي مطلق خواهد انجامید. در باب مطالعهبدایره آگاهی و وصل غور در درون، به تسلط بر
فرانسه، کامال 19گراي رمانتیک و عارف قرن وینیی، شاعر رواقی دو آلفردگرایی میالدي و کمال 13موالنا، شاعر و عارف ایرانی قرن کند. با این حال، با توجه غربی اتخاذ می رقی، کامال متمایز از مسیري است که یک نفرطبیعی است که مسیر کمال براي یک نفر ش
گویی، صداقت، درستی، عطوفت، اختیار به آن که مضامین مربوط به وجود و صفات برجسته و عالیه انسانی، به مانند راستگنجند، و با در نظر گرفتن اینکه داشتن نقاط مشترك فکري و سکوت،... در پهنه گیتی مشترك هستند، و در ابعاد فضا و زمان نمی
ها را کنار بگذاریم و با در نظر آن شدیم که دوبینیاخالقی مستلزم آن نیست که افراد از یک ایدئولوژي خاص تبعیت کنند، برتوانیم بدون راستی چگونه می. ولی به "دو طرف سکه"متمرکز شویم تا بر روي "خود سکه"گرفتن وحدت وجود، بیشتر بر روي
تأثر از عوامل بازدارنده و مخربی که بر سر راهمان قرار خواهند گرفت، با حفاظت کامل دل و روح خود، در این مسیر گام برداریم و سوق می دهند؟ ما را به کدامین روش عملی نیل به سوي کمال ، این دو شاعر ي دل خود را بزداییم ؟ هر یک ازهاخالصیناتمامی
هایی قانع کننده براي ها سؤاالتی هستند که در حین این مقاله به آنها خواهیم پرداخت و سعی بر آن خواهیم داشت که پاسخاین تک آنها ارائه دهیم.تک
وینیی. گرایی موالنا وکمالگرایی، رمانتیسم، عرفان اسالمی، مقایسه رواقیموالنا، وینیی، واژگان کلیدي:
چکیده هاي فارسی 5
تخیل در تقلید ادبی *وریگانا سیرومار فلورنت ژان
عاج ساحل ،یبال یکول گون پلفور دانشگاه اریاستاد
02/04/1393تاریخ پذیرش: 20/09/1392 تاریخ دریافت:
یابد، می کان خلق یک دنیاي تخیلینویسنده ام هپاي واقعیت در عمل نوشتن، یعنی جایی کردسازي ادبی، شبیهدر تقلید یا شود. درحص میفمشهود است. در همین رابطه، تخیل مورد استناد در نوشتار ادبی، خود تبدیل به موضوع جالبی براي تحقیق و ت
پاي ردي مسئله شوند.، نویسندگان اغلب مواقع به اجزاي خاصی از واقعیت متوسل میایج براي تحقق این فرایند تخیلیهاي رروشپاي ادبی بر عالمت ردگیرد. از دیدگاه پیرس، کند، از همین جا نشأت میسازي بروز میشبیه ادبیات به شکل تقلید وواقعیت که در
پاي آن بشمار و تقلید که اثر و رد "واقعی"طبیعی جاست: حد و مرز میان عنصرو نشان و اثر داللت دارد. اکنون سوال واقعی در این دارد.هایی رود، چه ویژگیمی
زبان نوشتار، ادبیات، تخیلی، ،، تقلید، واقعیپارد واژگان کلیدي:
4 1393، بهار و تابستان 10ششم، شماره مجله مطالعات زبان فرانسه، سال
شعر دریاچه المارتین: بازگشتی جاودانه به مکان مالقات
*ابوالقاسم غیاثی زارچ المللی امام خمینیبیناستادیار دانشگاه
**مردفاطمه یکتا دانشجوي کارشناسی ارشد دانشگاه فردوسی مشهد
01/06/1393تاریخ پذیرش: 21/06/1392تاریخ دریافت:
ها را پیوندد. مکان مالقات به عنوان مکانی اجتماعی انسانها به وقوع میمالقات همچون هر عمل انسانی در بستر مکان
کند. این مکان که حضور قابل توجهی در دنیاي ادبیات دارد، احساسات آنها را کنترل میتحت تاثیر قرار داده و اعمال و آن است تا با بررسی مکان بردارد. این پژوهش »مکان مقدس «انگیزد که شباهت بسیاري به رفتار در رفتار خاصی را بر می
مئو و دي »مکان اجتماعی «ي در ابتدا، نظریه مکان بپردازد.ي المارتین، ساختار به بررسی رفتار در این دریاچهمالقات در کند. سپس به منظور تحلیل رفتار در این مکان گذاري مکان مالقات را براي ما فراهم میي تاثیربولئون، امکان بررسی نحوه
جوییم.اي بهره میاز نقد اسطوره
.اياسطوره نقدالمارتین، بازگشت جاودانه، دریاچهمکان مالقات، شعر ،اجتماعی مکان : کلیديواژگان
چکیده هاي فارسی 3
مگامیکروکاندید و هاي کوتاه ولتر مورد مطالعهستانبررسی پیشگویه در دا
*نازیتا عظیمی میبدي
استادیار دانشگاه اصفهان
*ملیحه ضیایی دانشجوي کارشناسی ارشد دانشگاه اصفهان
04/08/1393تاریخ پذیرش: 08/08/1392 تاریخ دریافت:
مگا چگونه کلمات نخستین یک داستان، خواننده را به میکروکاندید و کوتاه ولتر مورد مطالعههاي بررسی پیشگویه در داستان
شود، سوق میکند؟ چگونه نویسنده ذهن خواننده را به افق دوردستی که در حین خواندن با آن مواجه میمضمون آن هدایت میاین است که نشان دهد چگونه ولتربه عنوان داستان سراي بالقوه، از برکند. این مقاله ناپذیر را پیشگویه ایفا میانکاردهد؟ این نقش
که ها جوابگوي سواالت متعدد خوانندگان خواهد بود. بدین ترتیب آنهاي هاي ،کاندید و میکرومگا، و به کمک پیشگویهخالل قصهبتوانند دورنمایه داستان را استنباط کنند. مقاله حاضر در نظر دارد بررسی کند آنها از همان ابتداي داستان، با کشف ماجراي اصلی
تا خواننده خود را مجذوب گونه خود استفاده کرده است.آمیز و طنزغیره براي طرح نظرات هجو که ولتر از کدام تکنیک گرامري وهاي داستان کوتاه، لعاده کند و این مهم را از طریق پیشگویهااي خارقهاي سفرنامهها یا حکایتدنیاي واقعی یا تخیلی مثال سیاره
کند. میسر می
میکرومگا.پیشگویه، داستان کوتاه، فرانسوا ولتر،کاندید، واژگان کلیدي:
2 1393، بهار و تابستان 10، شماره ششم مجله مطالعات زبان فرانسه، سال
دان رمان در جنگ از جبار هیآس نوشتار در یشاعرانگ و ییگراواقع دیجد جهان فرزن
*يعلو دهیفر تهران دانشگاه اریدانش
**طلبرضوان نبیز تهران دانشگاه يدکترا يدانشجو
10/12/1392پذیرش: تاریخ 08/08/1392دریافت: تاریخ
هیآس. است درآمده ریتحر رشته به جبار هیآس توسط که باشدیم دیجد جهان فرزندان ریالجزا جنگ يهارمان نیمؤثرتر از یکی قیعم راتیتأث دارد تالش نیهمچن و کند،یم ارائه جنگ دوران طول در ریالجزا ملت یزندگ از ملموس يریتصو اثر نیا در جبار
يهاتیشخص سرنوشت حیتشر ضمن رمان، ةسندینو ن،یا بر عالوه. دهد نشان ریالجزا جامعه مختلف اقشار یزندگ بر را جنگ جنگ نیا خصوص در را مردم يهادگاهید تقابل بعضا و تنوع دارد، انیجر آنان نیب که ییگفتگوها نگارش و داستان، متعدد
نگارش در جنگ مسئله شدن نمودار یچگونگ لیتحل و فیتوص به ،ییروا يکردیرو اتخاذ ضمن ابتدا مقاله نیا. کندیم منعکس و سمیرئال نیب یتیخاص که بوده، جنگ نوشتار از یخاص سبک مبدع سندهینو نیا دهدیم نشان و پردازد،یم جبار هیآس ،یادب نگونهیا و پرداخته جنگ خصوص در جبار هیآس يدئولوژیا حیتشر به ،یشناختجامعه نقد کردیرو با سپس،. دارد سمیونالیکسیف
جنگ دانستن يااسطوره و مقدس ای و ،يزیخونر و جنگ هرگونه به دنیبخش تیمشروع از دور به سندهینو که کندیم استنباط نیچن محصول و انعکاس زین يو رمان يمحتوا و ساختار و است بوده معتقد استقالل يبرا مبارزه و دفاع لزوم به ر،یالجزا يآزادساز
.باشدیم ینشیب
جامعه ،يدئولوژیا ،یشناختروان ییگراواقع شاعرانه، ییگراواقع ش،ینما جنگ، ،دیجد جهان فرزندان جبار، هیآس :واژگان کلیدي
چکیده هاي فارسی 1
ایران در یخارج زبان عنوان به فرانسه زبان کالس در خواندن يها ياستراتژ صریح آموزش
*اعظم اسدنژاد تهران تربیت مدرسدانشگاه دانشجوي دکتري
**رویا لطافتی تهران تربیت مدرسدانشگاه دانشیار
***فروغی حسن شهید چمران اهوازدانشگاه استاد
****شعیري حمیدرضا تهران تربیت مدرس دانشگاه دانشیار
04/08/1392تاریخ پذیرش: 14/12/1391تاریخ دریافت:
گسترش باید فراگرفته شود، مهارت خواندن است. توسعه و هایی که میترین مهارتدر فرایند آموزش زبان فرانسه، یکی از اساسیباشد. آموزش مهارت خواندن در ایران در بیشتر هاي خواندن و فراگیري برقراري ارتباط نوشتاري از اهداف این مهم میاستراتژي
آموزان چنین مهارتی را به درستی فرا زبانشود. بنابراین، ها به کار گرفته میاي است که در خدمت دیگر مهارتمواقع به گونهپردازیم. هاي اثربخش در ارتقا مهارت خواندن زبان فرانسه به عنوان زبان خارجی میگیرند. در این مقاله به ترسیم استراتژي نمی
شود.کسب مهارت خواندن از سوي زبان آموزان موجب استقالل آنها در دریافت مفاهیم متن می
هاي یادگیري، استراتژي خواندن، آموزش صریح، کالس خواندن. خارجی، مهارتزبانآموزش زبان فرانسه به عنوان واژگان کلیدي:
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مجله مطالعات زبان فرانسه 1393بهار و تابستان ، 10، شماره ششمسال
فهرست مطالب
1 - 16 هاي خواندن در کالس زبان فرانسه به عنوان زبان خارجی در ایران آموزش صریح استراتژي ■ شعیري حمیدرضا، حسن فروغی، رویا لطافتی، اعظم اسدنژاد
دان رمان در جنگ از جبار هیآس نوشتار در یشاعرانگ و ییگرا واقع ■ 17 - 36 دیجد جهان فرزن طلبرضوان نبیزي، علو دهیفر
37 - 48 مگاکاندید و میکرو هاي کوتاه ولتر مورد مطالعهبررسی پیشگویه در داستان ■
نازیتا عظیمی میبدي، ملیحه ضیایی
49 - 60 شعر دریاچه المارتین: بازگشتی جاودانه به مکان مالقات ■
مردفاطمه یکتا، ابوالقاسم غیاثی زارچ
61 - 74 تخیل در تقلید ادبی ■ وریگانا سیرومار فلورنت ژان
75 - 90 وینیی دو موالنا و آلفرد "کمال گرایی"بررسی مقایسه اي ■
زادهمژگان مهدوي
91 چکیدة انگلیسی مقاالت
چکیدة فارسی مقاالت
مطالعات زبان فرانسه مجـلــــــــه اصفهانهاي خارجی دانشگاه زبان فرانسه دانشکده زبان علمی ـ پژوهشیدو فصلنامۀ
2008-6571، شاپا: 1393 بهار و تابستان، 10، شمارة ششمسال X469-2322شاپاي الکترونیکی:
ینیز یانمحمدجواد شکردکتر مدیر مسؤول: استادیار گروه فرانسه دانشگاه اصفهان
يدکتر محمود رضا گشمردسردبیر: دانشگاه اصفهان گروه فرانسهدانشیار
کوچی سلیمی ابراهیم: دکتر داخلی مدیر دانشگاه اصفهان گروه فرانسهاستادیار
محمودرضا علیمی: اجرایی مدیر 031 -37932115تلفن:
عظیمی نازیتاویراستار فرانسه: دکتر استادیار گروه فرانسه دانشگاه اصفهان
نظريشاه محمدتقی: دکتر انگلیسی ویراستار استادیار گروه انگلیسی دانشگاه اصفهان
آرایی: طیبه ابراريصفحه
هیأت تحریریه اعضاي
گروه زبان و ادبیــــات فرانســـه دانشگـاه اصفهــان استاد اصغري تبریزي دکتر اکبر باغبانبیک دکتر حسین
استاد
گروه خاورشناسی دانشگاه مارك بلوك استـراسبــورگ
جواري دکتر محمدحسین
استاد
فرانســـه دانشگـاه تبریزگروه زبان و ادبیـــات
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استاد
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استادیار
گروه زبان و ادبیات فرانسه دانشگاه اصفهان
شعیري دکتر حمیدرضا
دانشیار
مدرس تهران گروه زبان و ادبیات فرانسه دانشگاه تربیت
عباسی دکتر علی
اردانشیـ
گروه زبان و ادبیات فرانسـه دانشگاه شهید بهشتـی تهران
فروغی دکتر حسن
استاد
گروه زبان و ادبیــات فرانسه دانشگــاه شهید چمـران اهـواز
گروه زبان و ادبیات فرانسه دانشگاه اصفهان دانشیار دکتر محمودرضا گشمردي
دانشگاه اصفهان ۀچاپخان :صحافی چاپ و ریال 30000قیمت :
81744-73441هاي خارجی، دفتر مجلۀ زبان. کدپستی : اصفهان، دانشگاه اصفهان، دانشکدة زبان: آدرس )03136687391دورنگار : 03137932115(تلفن :
www.uijs.ui.ac.irسامانۀ نشریۀ مطالعات زبان فرانسۀ دانشگاه اصفهان
کمیسـیون «دبیرخانـۀ 7/5/1391مـورخ 99503/3، طبق مجـوز شـمارة مطالعات زبان فرانسه مجلۀ ـ پژوهشیعلمی درجۀ وزارت علوم، تحقیقات و فناوري ابالغ گردیده است. » نشریات علمی
هنماي تدوین مقالهار
هاي ادبی و هاي خارجی، نظریهآموزش زبانشناسی، در حوزة ادبیات، زبانمطالعات زبان فرانسه فصلنامۀ علمی ـ پژوهشی .1 پذیرد.شناسی، مقاله به زبان فرانسه میترجمه
به صورت دو فصلنامه منتشر می شود. مطالعات زبان فرانسهمجله .2
مقاالت ارسالی نباید به هیچ مجلۀ دیگر ارسال و یا در جایی دیگر منتشر شده باشند. .3
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گیري و اصلی، نتیجه ها باشد: چکیده (به فرانسه، فارسی و انگلیسی)، واژگان کلیدي، مقدمه، متند شامل این بخشیمقاله با .5 کتابنامه.
کلیدواژه و 7تا 5کلمه) همراه با 200تا 150کلمه باشد. چکیده (بین 7000تا 4500تعداد کلمات مقاالت ارسالی باید بین .6 هاي فارسی و انگلیسی الزامی است.ترجمۀ آن به زبان
.شوندهمۀ مقاالت دریافت شده داوري و ارزیابی می .7بین خطوط نگاشته شده cm 1,5و فاصلۀ 12، اندازة Times New Romanبا فونت Wordتحت برنامۀ متن مقاالت باید .8
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فرورفته از سمت cm 1سطر در قالب پاراگراف جداگانه با یک فاصله از خطوط متن اصلی و به صورت 4هاي بیش از نقل قول .9 بین خطوط نوشته شوند. 1و فاصلۀ 10قلم ها باید با قولشوند. این نقلچپ در بین گیومه نوشته می
اسامی آثار در متن اصلی باید به صورت کج (ایتالیک) نوشته شوند. .10
گردند.مشخص می» کتابنامه«فهرست منابع و مآخذ در پایان متن مقاله و با عنوان .11
نامه را رعایت نکرده این شیوهتدوین شود. مقاالتی که APAفهرست منابع مقاله باید مطابق مثال زیر منحصرا طبق شیوة .12 باشند در بررسی اولیه برگردانده خواهند شد.
Livres: Mounin, G. (2008). Les problèmes théoriques de la traduction. Paris: Gallimard. Articles: Thoiron, Ph. & Béjoint, H. (2010). La terminologie, une question de termes?. Meta, 55/1: 105-118. Sitographie: Rheaume, J. (1998). Apprivoiser la technologie éducative, éléments de cours. http://www.fse.ulaval.ca/fac/ten/tv/plxx135.html#bib. Consulté le 20 mai 2001.
و هم در فهرست منابع، اي مربوط به یک سال ارجاع داده شده است، هم در ارجاعات داخل متن اگر به چند اثر از نویسنده .13 مشخص گردد. a, b, cبالفاصله پس از سال انتشار با حروف
صفحه) مطابق مثال زیر است:ارجاعات در متن مقاله در میان دو کمان (شامل نام خانوادگی نویسنده، سال انتشار مجله: شماره .14«Chaque langue structure la réalité à sa façon et, par là même, établit les éléments de la réalité qui sont particuliers à cette langue donnée» (Mounin, 2008: 44).
. شمارة این توضیحات باید بالفاصله پس از آیدمالحظات و نکات توضیحی فقط به صورت پانوشت در پایین همان صفحه می .15ها باید تنها در ها با عدد نشان داده شود. پانوشتگذاري بیاید و ترتیب پانوشتمطالب مربوط با پانوشت و قبل از عالیم نقطه
اي.مواقع ضرورت براي روشن شدن یک موضوع مرتبط به کار بروند و نه براي یادآوري ارجاعات کتابنامه
گیرند.مقاالت به وسیله ي دو داور به طور محرمانه مورد داوري قرار میي همه .16
داند.مجله حق رد یا ویرایش مقاالت را براي خود محفوظ می .17
بسم اهللا الرحمن الرحیم
مجلۀ مطالعات زبان فرانسه
اصفهانهاي خارجی دانشگاه زبان فرانسۀ دانشکدة زبان علمی ـ پژوهشیدو فصلنامۀ
10، شمارة ششمسال 2008-6571: ، شاپا1393تابستان بهار و
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http://ulrichsweb.serialssolutions.com المللی نشریات ادوارياولریخ: راهنماي بین http://www.doaj.org دوآج: فهرست مجالت پژوهشی با دسترسی آزاد
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