Article J.M BARRIE

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JAMES M. BARE Genèse de Peter Pan Par Jean-Daniel Brèque

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par Jean-Daniel Brèque, article définitif ! La mise en forme peut être sujet à changement avant la sortie de la nouvelle édition du Panorama de la Fantasy & du merveilleux.

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JAMES M. BARRIE Genèse de Peter Pan

Par Jean-Daniel Brèque

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JAMES M. BARRIE Genèse de Peter Pan

Il est difficile aujourd’hui d’imaginer à quoi ressemblait le jardin public de Kensington en 1897 : est-il possible que ce parc impeccablement entretenu ait

été jadis un morceau de nature sauvage transplanté en plein cœur de Londres ? Si Kensington Gardens était déjà le lieu de promenade que nous connaissons,

c’était aussi un peu une forêt vierge, avec des moutons paissant dans les prés et des oiseaux nichant dans les arbres. Parmi les habitués de Kensington Gardens en

cette fin de siècle, on comptait un petit homme à l’allure comique, qui avait le chic pour charmer les enfants grâce à son gigantesque saint-bernard, à son habileté

à remuer les oreilles et, surtout, aux histoires extraordinaires qu’il racontait.

L’habitué de Kensington Gardens fit un jour la connaissance de deux petits garçons à la tenue fort excentrique, coiffés de bérets écossais que leur mère

avait taillés dans une robe de juge. George, âgé de quatre ans, et son frère Jack, d’un an son cadet, se lièrent vite d’amitié avec le petit homme à la grosse moustache qui ne les traitait en aucune façon comme le faisaient les autres adultes, tandis que Peter observait les événements depuis son landau, le tout sous l’œil réprobateur de la nurse Mary Hodgson…

À la fin de l’année, le petit homme, qui était fort célèbre, fut invité à un dîner de nouvel an par lord Lewis. Il se retrouva assis à côté d’une femme d’une grande beauté, au nez retroussé et au sourire en coin, qui glissait subrepticement dans son sac à main les bonbons offerts aux convives. « C’est pour Peter », dit-elle à son voisin de table. Au fil de la conversation, le petit homme comprit peu à peu qu’il avait à côté de lui la mère de George, de Jack et de Peter. Elle s’appelait Sylvia Llewelyn-Da-vies et était née Sylvia Du Maurier, c’était la fille du célèbre écrivain George Du Maurier, l’auteur de Trilby et de Peter Ibbetson, décédé quelques années plus tôt, et la sœur de l’acteur Gerald Du Maurier.

Quant à notre petit homme, il s’appelait James Matthew Barrie et c’était l’un des auteurs dra-matiques les plus populaires de son époque. Sa rencontre avec la famille Llewelyn-Davies allait le conduire à composer son chef-d’œuvre.

Qui était James Barrie ? La question a été maintes fois posée et n’a jamais reçu de réponse plei-nement satisfaisante. Il semblerait pourtant facile d’en donner une, car JMB n’a jamais fait mystère du caractère autobiographique de ses écrits, mais cette transparence avouée de la fiction est en fait un piège, car, en écrivant sur lui et sur les siens, Barrie s’est peu à peu façonné un personnage et a fini par devenir ce qu’il écrivait.

Lui-même aimait citer cet épisode de son enfance : un de ses camarades de jeu s’étant trouvé en deuil et ne pouvant jouer de peur d’abîmer ses vêtements, JMB lui proposa d’échanger leurs habits. Tandis que son ami pouvait s’en donner à cœur joie, le jeune Jamie se lamentait à sa place et pleurait à chaudes larmes. Barrie utilisa ainsi l’adjectif « sentimental » pour désigner cette capacité à endosser non seulement l’apparence mais aussi les émotions d’autrui : ce « sentimentalisme » ne dissimulait-il pas en réalité une profonde incapacité à éprouver de vrais sentiments et une certaine prédisposition à l’ironie et au détachement, voire à la cruauté ? On peut s’aventurer à le croire… Quoi qu’il en soit, Barrie allait trouver très tôt l’occasion d’exercer cette aptitude.

Image ci-contre tirée de Le

Prince vert de Gilles Saint Cérère, illustration de Paul Durand, 1962.

Jean-Daniel Brèque

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Né le 9 mai 1860 à Kirriemuir, Écosse, James Barrie connut une enfance heureuse jusqu’à l’âge de sept ans. En janvier 1867, son frère aîné David périt accidentellement à la veille de son quatorzième anniversaire. Sa mère, Margaret Ogilvy (elle avait conservé son nom de jeune fille en accord avec une vieille coutume écossaise), resta inconsolable. JMB fit bien des efforts pour prendre la place de David auprès d’elle (avec quelle inconsciente cruauté !), mais elle allait toujours garder dans son cœur l’image de cet éternel enfant, l’image de celui qui était son préféré, l’image de David, qui ne pourrait plus jamais grandir.

Cette tragédie n’en rapprocha pas moins Jamie de sa mère, et l’enfance de Barrie s’écoula au rythme des histoires que lui racontait Margaret Ogilvy, anecdotes sur la vie du village au temps de sa jeunesse, sur ce petit peuple écossais avant l’avènement de la révolution industrielle.

Mais, au fur et à mesure qu’il grandissait, JMB se sentait de plus en plus résolu à écrire. Il avait aménagé un petit théâtre dans une vieille buanderie, et ce fut là qu’il joua ses premières pièces, inspirées des romans d’aventures qu’il dévorait avec avidité.

Ses débuts furent difficiles. Après une première percée dans le journalisme qui l’amena à s’établir à Nottingham, il revint à Kirriemuir, d’où il inonda la presse londonienne d’articles non sollicités. Certains furent publiés, et ce fut Frederik Greenwood, l’éditeur de la St James’s Gazette, qui le poussa à écrire des contes basés sur les histoires que lui avait racontées sa mère. Quand il les réunit en volume (Auld Licht Idylls, A Window in Thrums), le succès fut immédiat, et ce succès se transforma en triomphe en 1891, date de publication de son roman The Little Minister.

Kirriemuir, que JMB avait rebaptisé Thrums, devint alors connu de toute l’Angleterre, puis de l’Amérique et du Commonwealth tout entier. Durant les années qui suivirent, Barrie connut également le succès comme auteur dramatique et épousa une actrice, Mary Ansell. L’évolution de son mariage allait lui inspirer certains des épisodes les plus amers de ses romans et de ses pièces.

En 1895, Margaret Ogilvy mourut et Barrie, qui avait projeté de lui rendre hommage dans une introduction à Sentimental Tommy, lui consacra finalement un livre entier  : Margaret Ogilvy, by Her Son J. M. Barrie, qui connut un succès extraordinaire dès sa parution en décembre 1896. Peu de temps auparavant, Barrie s’était rendu en Amérique afin de rencontrer Charles Frohman, un des plus grands producteurs de Broadway, à qui il comptait proposer de monter l’adaptation théâtrale de The Little Minister. Les deux hommes s’entendirent à merveille dès leur rencontre et il fut décidé que Maude Adams, l’actrice fétiche de Frohman, tiendrait le rôle de Babbie dans la pièce de JMB.

Un an plus tard, au moment où Barrie faisait la connaissance de Sylvia Llewelyn-Davies, Maude Adams triomphait dans The Little Minister, qui allait tenir plus de trois cents représentations, un record pour Broadway à l’époque. Le trio Barrie-Frohman-Adams était destiné à dominer le théâtre de son temps.

Les illustrations de cette page sont de Maraja, extraites du cartonné Peter Pan de James M. Barrie, 1958, Children’s HC.

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La nature exacte des relations entre Barrie et la famille Llewelyn-Davies n’a pas manqué de susciter nombre de commentaires, voire d’insinuations perfides. Signe des temps, la nature de ces insinuations s’est déplacée au fil des décennies : certains des contemporains de Barrie pensaient qu’il était surtout attiré par la beauté de Sylvia, alors que des accusations de pédophilie ont été lancées contre lui à une époque plus récente. La vérité est peut-être plus inoffensive et plus perverse à la fois. Il ne fait en effet aucun doute que Barrie a été attiré par l’image de maternité resplendissante qu’offrait Sylvia Llewelyn-Davies, et il est également certain qu’il tomba sous le charme de la beauté de George, mais il est clair qu’il était surtout motivé par le désir de trouver matière à nourrir ses fictions. Grâce aux enfants Llewelyn-Davies, il allait produire deux livres. Le premier ne serait tiré qu’à deux exemplaires, le second allait devenir un succès de librairie et c’est dans ses pages que naîtrait le mythe de Peter Pan.

Barrie prit l’habitude de se promener avec les enfants Llewelyn-Davies, mais aussi celle de les retrouver chez eux et d’aller passer des vacances en leur compagnie. Ce fut lors de ces promenades dans Kensington Gardens que fut élaboré tout un cycle d’histoires dont le héros était Peter, le petit frère de George et de Jack. Comme tous les bébés, racontait JMB, Peter avait été un oiseau avant sa naissance, et il se souvenait de l’époque où il faisait son nid sur l’île de la Serpentine, cette rivière qui sépare Kensington Gardens de Hyde Park. Comme sa mère avait oublié de le peser à sa naissance, Peter était capable de voler et il s’envola un jour vers Kensington Gardens pour aller vivre au milieu des oiseaux et des fées.

Mais, objectèrent George et Jack, comment a-t-il pu accomplir tout ceci alors qu’il est ici, sous nos yeux, dans son landau ?

Peu à peu, un autre personnage se substitua à Peter Llewelyn-Davies. Le bébé qui s’était envolé hors de son berceau pour rejoindre les fées et les oiseaux, le bébé qui vivait sur l’île de la Serpentine, le bébé qui ne devait jamais plus grandir, fut baptisé Peter Pan…

Ainsi naquit une véritable légende, bien propre à enflammer l’imagination des enfants Llewelyn-Davies qui, encouragés par leur mentor, inventèrent bientôt tout un cycle d’aventures merveilleuses centrées sur Peter Pan, mais aussi tout à fait susceptible de servir de cœur au livre que Barrie était en train d’écrire, un livre rédigé à la première personne et décrivant la façon dont un vieux célibataire bourru se prend d’amitié pour un jeune garçon nommé David et le séduit en lui racontant des histoires.

Le récit de la naissance de David dans The Little White Bird s’inspire en grande partie, il faut le noter, de la naissance de Michael Llewelyn-Davies, qui eut lieu en 1900. Au fil des ans, Michael allait devenir le préféré de JMB, celui des cinq enfants (Nico ne verrait le jour qu’en 1903) avec qui ses relations seraient les plus riches.

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Ce fut Michael qui prit la place de Peter dans le landau pour assister aux aventures de ses frères quand, lors de cet « étrange et terrible été » de 1901, JMB et les enfants se retrouvèrent à Black Lake Cottage, la maison de campagne que Barrie avait achetée dans le Sussex. JMB avait élaboré à leur intention quantité d’aventures, leur avait fourni un ennemi des plus sinistres en la personne du pirate Captain Swarthy et un gardien fidèle qui n’était autre que le saint-bernard Porthos, lequel pouvait également faire office de tigre sanguinaire suivant les besoins de l’intrigue. Depuis qu’il avait fait la connaissance des enfants, Barrie n’avait pas cessé de les photographier, et il prit quantité de photographies cet été-là. Il en sélectionna une trentaine, chaque image reçut un bref commentaire, et l’ensemble forma un livre : The Boy Castaways, attribué à Peter Llewelyn-Davies. Barrie en finança la fabrication et l’impression à deux exemplaires, en garda un pour lui-même et offrit l’autre à Arthur Llewelyn-Davies, le père des « garçons naufragés », qui s’empressa de l’égarer lors d’un voyage en train : la façon dont JMB s’immisçait dans sa famille ne lui agréait sans doute pas totalement…

Qu’allait-il donc penser de l’œuvre suivante de Barrie ? The Little White Bird connut un succès immédiat, surtout grâce à ses chapitres XIII à XVIII, situés au cœur de l’ouvrage, qui firent découvrir au monde entier Kensington Gardens et la légende de Peter Pan. Soudain, tout le monde s’enticha de fées et de jardins publics et, hélas, tout le monde apprit à reconnaître JMB quand il se promenait avec un ou plusieurs enfants Llewelyn-Davies.

Mais James Barrie n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Alors même qu’Arthur Llewelyn-Davies se préparait à déménager loin de Londres avec sa famille, JMB, qui venait de triompher au théâtre grâce à un drame social (non dénué d’humour) intitulé The Admirable Crichton – dans lequel Gerald Du Maurier tenait l’un des rôles principaux –, commencer à composer une pièce de théâtre à laquelle il n’avait pas encore trouvé de titre mais où les fées tiendraient une place prépondérante.

Quand la transcription de Peter Pan fut finalement publiée en 1928, JMB la fit précéder d’une dédicace « Aux Cinq », dans laquelle il prétendait ne pas se souvenir d’avoir écrit cette pièce. Mais de quelle autre imagination aurait-elle pu être le fruit ?

Image ci contre : « Peter’s nest boat » et image de la page suivante : « Peter and his reed pipe », toutes deux par Arthur Rackham, tirées de Peter Pan

in Kensington Gardens, 1906, Hodder & Stoughton.

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Il est sans doute inutile de raconter ici l’intrigue de Peter Pan, bien que l’on n’en ait longtemps connu, en France, que des adaptations ou des trahisons. Mais la construction de cette œuvre est si rigoureuse que même le plus acharné et le plus mièvre des adaptateurs ne pourrait guère la réviser sans l’anéantir. Bornons-nous à signaler que ce fut contre l’avis des enfants Llewelyn-Davies que JMB y introduisit le personnage de Wendy. Ce prénom (dont il est l’inventeur) lui avait été inspiré par la petite Margaret, la fille du poète W. E. Henley, qui appelait ainsi son ami Barrie (« My wendy ») parce qu’elle ne savait pas prononcer les r et ne pouvait pas lui dire « My friendly ». Margaret Henley mou-rut à l’âge de six ans et Barrie la fit figurer parmi les personnages de son roman Sentimental Tommy.

Une fois la pièce achevée, Barrie fut pris de doutes : qui donc accepterait de monter un tel délire sur une scène de théâtre ? Quand Frohman vint en visite à Londres, il lui proposa deux pièces : sa « folie » (qui s’appelait alors The Great White Father après qu’il eut pensé l’intituler Peter and Wendy) et une autre pièce plus « acceptable » et plus facile à monter, Alice-Sit-by-the-Fire. Frohman décida de produire les deux, tant il était enthousiasmé par l’œuvre de Barrie, auquel il suggéra le titre, plus simple, de Peter Pan.

Suivit alors une intense période de préparations et de répétitions, Frohman ayant décidé que la pièce serait montée à Londres pour le Noël suivant. Une troupe fut assemblée (Gerald Du Maurier jouerait les deux rôles de Mr Darling et du Captain Hook) et on fit appel à des acrobates aériens pour les « effets spéciaux » de vol.

Pendant que tous ces préparatifs se déroulaient dans le secret le plus absolu, Barrie devait faire face à la solitude, loin des enfants Llewelyn-Davies exilés à la campagne. Eu égard à la notoriété qu’il avait apportée à Kensington Gardens, Barrie s’était vu offrir les clés du parc, mais à quoi pouvaient-elles lui servir en l’absence de George ? Il eut la consolation de faire visiter le théâtre aux enfants lors des répétitions, quelques semaines avant la première de Peter Pan.

Si Barrie et Frohman ne s’étaient que rarement départis de leur enthousiasme, la plupart des membres de la troupe s’attendaient à un désastre : comment s’imaginer un instant que les habitués des premières, public sophistiqué par excellence, accueilleraient Peter Pan avec autre chose que du mépris ? Des difficultés de dernière minute retardèrent encore la date fatidique et JMB fut obligé de réécrire la fin de la pièce pour tenir compte de la défaillance de certains accessoires.

La première de Peter Pan eut lieu le mardi 27 décembre 1904.

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Illustrations en haut de cette page et en bas de la page suivante : réalisées par Maraja, extraites du cartonné Peter Pan de James M. Barrie, 1958, Children’s HC.

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Le lecteur familier avec l’intrigue se rappellera qu’à moment donné, Peter Pan sauve la fée Tinker Bell qui a bu un poison à lui destiné :

« Sa lumière diminue et, si elle s’éteint, cela voudra dire qu’elle est morte ! Sa voix est si faible que j’entends à peine ce qu’elle dit… elle dit qu’elle pense pouvoir guérir si les enfants se remettent à croire aux fées ! (Peter se lève et tend les bras vers il ne sait qui, peut-être vers les garçons et les filles dont il ne fera jamais partie.) Croyez-vous aux fées ? Dites-moi vite que vous y croyez ! Si vous y croyez, tapez dans vos mains ! »

Les musiciens de l’orchestre avaient reçu des instructions pour cesser de jouer à ce moment-là et applaudir de peur que le public se montrât trop sceptique. Ils n’eurent pas besoin de les appliquer : la salle tout entière applaudit avec tant d’enthousiasme que Nina Boucicaut, l’actrice qui interprétait Peter Pan, éclata en sanglots.

Le succès n’allait pas se démentir, et l’un des assistants de Frohman, qui se morfondait à New York, allait pouvoir lui envoyer ce télégramme : peter pan all right. looks like a big success.

La pièce ne fit pas l’unanimité, bien sûr, et il se trouva quelques voix discordantes dans le concert de louanges qui s’ensuivit  : Anthony Hope, l’auteur du Prisonnier de Zenda, alla même jusqu’à invoquer l’esprit d’Hérode, et Bernard Shaw (qui avait jadis fait à Barrie l’injure suprême – dans sa bouche – de le trouver « pire que Shakespeare ») affirma avec aplomb que Peter Pan démontrait de la part de son auteur une totale incompréhension de l’âme enfantine.

Le succès de la pièce jusqu’à nos jours suffit à démontrer l’inanité de ces jugements.

Si, comme cela a été suggéré plus haut, Barrie a fini par devenir l’auteur du roman de sa vie, c’est peut-être après le triomphe de Peter Pan que l’artiste a commencé à perdre le contrôle de sa création.

Parallèlement au triomphe de Peter Pan aux États-Unis (avec Maude Adams dans le rôle prin-cipal), une représentation fort spéciale eut lieu le 20 février 1906… dans la nursery de Michael Llewelyn-Davies qui, malade et alité, n’avait jamais pu aller voir la pièce à Londres. Quelques mois plus tard, Arthur Llewelyn-Davies apprenait qu’il était atteint d’un sarcome au visage.

Son agonie allait durer presque une année, au cours de laquelle Barrie devait faire preuve d’une dévotion exemplaire, tant et si bien que l’attitude d’Arthur à son égard évolua brusquement vers la confiance totale et la reconnaissance : il demanda même à ce qu’on lui prête le seul exemplaire survivant de The Boy Castaways à un moment où il était séparé de ses fils.

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Illustration ci-dessus : « Feeling dancey all of a sudden », par

Arthur Rackham, tirée de Peter

Pan in Kensington Gardens, 1906, Hodder & Stoughton.

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Quand il ne se trouvait pas au chevet de leur père, JMB faisait de son mieux pour distraire les en-fants Llewelyn-Davies, et ce fut lors d’un séjour à la campagne qu’il prit de nombreuses photographies de Michael en costume de Peter Pan, en vue de la confection d’une statue. Peter Pan fit d’ailleurs une nouvelle apparition en librairie cette même année 1906 : les chapitres de The Little White Bird qui lui étaient consacrés firent l’objet d’une édition séparée sous le titre Peter Pan in Kensington Gardens, dans un superbe volume abondamment illustré par Arthur Rackham, dont la dédicace était la suivante :

to sylvia and arthur llewelyn-daviesand their boys (my boys)

Après la mort d’Arthur, les relations entre JMB et Michael devinrent plus étroites, alors même que George entrait à Eton et que Jack était dirigé vers une carrière dans la marine. Et, bien sûr, on reprenait Peter Pan tous les ans à l’époque de Noël. Le soir de la dernière représentation de la saison, le 22 février 1908, les spectateurs eurent la surprise de découvrir un épilogue inédit dans lequel apparaissait Wendy, à présent adulte et mère de famille, qui retrouvait Peter et le laissait emmener sa fille Jane visiter Never Land. Cet épilogue ne fut joué qu’une fois, et ce fut également la seule fois que JMB apparut sur scène pour s’incliner brièvement devant les ovations du public.

Pendant que JMB rédigeait une version romancée de sa pièce, il devenait évident que Sylvia Llewelyn-Davies était gravement malade. Elle s’éteignit en 1910, victime d’un cancer tout comme son époux, et Barrie devint alors le tuteur légal des enfants Llewelyn-Davies (il avait divorcé en 1909 après que Mary Ansell eut été prise en flagrant délit d’adultère).

Les années qui suivirent furent pour JMB une succession de triomphes au théâtre et de tragé-dies dans sa vie personnelle : Peter and Wendy, l’adaptation romanesque de sa pièce, parut en 1911 et connut le succès que l’on devine ; George Llewelyn-Davies fit partie des millions de jeunes hommes qui périrent lors de la Grande Guerre (il avait emporté dans les tranchées un exemplaire de The Little White Bird) ; Dear Brutus, une pièce de théâtre dans laquelle apparaît une enfant fantôme, connut un énorme succès en 1917 (mais ce ne fut pas Frohman qui la produisit : le « Bouddha de Broadway » avait péri lors du torpillage du Lusitania) ; en 1921, Mary Rose, où apparaît le fantôme d’une mère jadis enlevée par les fées, apporta de nouveaux lauriers au dramaturge Barrie ; cette même année, Michael, l’enfant chéri, celui en qui Barrie mettait le plus d’espoirs, celui qui semblait se diriger vers une carrière littéraire ou artistique dans laquelle son tuteur, son « Oncle Jim », aurait pu lui servir de guide, Michael se noya lors d’une promenade en bateau.

La carrière de Peter Pan devait elle aussi connaître un épilogue doux-amer. En 1934, Barrie fit la connaissance de l’actrice Elisabeth Bergner, qui avait fui les persécutions du nazisme. Séduit par son talent, il lui proposa d’écrire une pièce pour elle. L’actrice, qui ne connaissait de Barrie que ses œuvres, lui demanda une pièce sur la jeunesse du Roi David. The Boy David fut un échec retentissant auquel son auteur ne survécut pas.

James Matthew Barrie s’éteignit le 21 juin 1937. Aujourd’hui, la quasi-totalité de ses œuvres est introuvable et on ne joue plus guère ses pièces, sauf bien entendu Peter Pan, la fabuleuse histoire de ce petit garçon qui ne voulait pas grandir afin de pouvoir toujours jouer et d’enlever les enfants sages pour, l’espace d’une nuit, leur faire visiter le pays de leurs rêves et partager ses aventures avec eux…

Illustration en bas de cette page : « They just went straight on, following their noses » par Arthur Rackham, tirée de Peter

Pan in Kensington Gardens, 1906, Hodder & Stoughton.

Illustrations en bas de la page suivante : réalisées par Maraja, extraites du cartonné Peter

Pan de James M. Barrie, 1958, Children’s HC.

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CONSEIL DE LECTURE

Ouvrages de J. M. Barrie dans lesquels apparaît Peter Pan :

❥ The Little White Bird, roman, Hodder & Stoughton, 1902. ❥ Peter Pan in Kensington Gardens (extrait du précédent), Hodder &

Stoughton, 1906. ❥ Peter and Wendy, roman, Hodder & Stoughton, 1911. ❥ Peter Pan, théâtre, Hodder & Stoughton, 1928. ❥ When Wendy Grew Up : An Afterthought, théâtre (épilogue de

Peter Pan), Thomas Nelson, 1957.

PostfaceDepuis la sortie de la première édition

de cet ouvrage, J. M. Barrie et Peter Pan sont revenus au premier plan de l’actualité, pas toujours hélas pour des raisons littéraires. En 2004 est sorti Neverland, un film de Marc Foster inspiré par la vie de J.M.B. (incarné par Johnny Depp), qui prenait à notre goût un peu trop de libertés avec la vérité histo-rique. Mais à quelque chose malheur est bon, puisque Calmann-Lévy a profité de l’occasion pour rééditer l’excellent ouvrage de François Rivière, J. M. Barrie, L’Enfant qui ne voulait pas grandir, initialement paru en 1991.

Autre initiative à signaler, celle de Terre de Brume, qui a publié la même année – et pour la première fois dans notre pays – une traduction de la pièce de théâtre de Barrie, signée Franck Thibault et intitulée Peter Pan ou l’Enfant qui ne voulait pas grandir. Deux ans plus tard, l’éditeur breton récidivait en sortant Le Petit Oiseau blanc, une traduction de The Little White Bird signée Céline-Albin Faivre. Ces deux ouvrages viennent s’ajouter à Peter Pan, alias Peter and Wendy, dont la traduction d’Yvette Métral est toujours dis-ponible, pour compléter la bibliographie de Peter Pan en France.

Signalons pour mémoire L’Habit rouge de Peter Pan (Peter Pan in Scarlet, 2006), par Geraldine McCaughrean, suite officielle de Peter and Wendy commanditée par le Royal Osmond Street Hospital, détenteur des droits de l’ouvrage, pour compenser la tombée de celui-ci dans le domaine public.

Enfin, le lecteur curieux consultera avec profit le site très complet que Cé-line-Albin Faivre a consacré à J.M.B.  : http://www.sirjmbarrie.com.

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