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Les Cahiers nouveaux N° 86 Septembre 2013 87 Arbres à clous et arbres à loques 87-91 Annick Marchant Musée de la Vie wallonne Attachée scientifique À Gilly, un tilleul remarquable par le nombre de clous qui le recouvre a été abattu par de violents orages au mois de mars 1922. « […]Ébranché, il fut déposé dans la cour d’une ferme voisine. Et- témoignage de la persistance du culte populaire- des pèlerins continuèrent à planter des clous dans le tronc ; d’autres emportèrent, comme reliques, des parcelles de son bois, ou bien utili- sèrent l’écorce des branches pour faire une tisane ayant la propriété de guérir certaines maladies. » 01 Grâce à un courrier envoyé par le Secrétaire communal de Gilly prévenant le Musée de la Vie wallonne de la chute du tilleul cloué, un tronçon est entré en collection. Au mois d’octobre 1964, les Amis du Musée de la Vie wallonne ont remarqué avec grand intérêt, lors de leur excursion dans le Tournaisis, un jeune chêne cloué pavoisé de loques. Situé aux confins d’Herchies, à la limite d’Erbaut, celui-ci remplace un vieil arbre dont les débris cloutés reposaient auprès de son ancien emplacement. Une partie du tronçon se retrouve aussi dans les collections du Musée. L’équipe du département des archives multi- médias a programmé quant à elle, en juin 2013, une enquête dans la forêt de Stambruges, afin d’étudier le site de l’Erconpuch. L’ancien robinier à loques gît près de la chapelle, tandis qu’un chêne est partiellement couvert de linges divers. Par leurs spécificités, ces trois sites seront développés dans cet article comme témoins d’une pratique toujours d’actualité; notre propos ne s’appliquant pas à l’énumération des arbres à clous en Wallonie 02 . Comme sujet d’étude, nous présenterons également les interprétations Arbre à clous de Gilly conservé dans les collections du Musée de la Vie wallonne. Photo Vincent Haneuse, © Musée de la Vie wallonne- Province de Liège, 2008 01 E. GODEFROID, Le tilleul cloué de Gilly, dans La Vie Wallonne, T.3, Liège, 1922, p. 72. 02 Bel exemple d’une énumération récente: P. SANGLAN, L’arbre guérisseur, dans Guérisseurs d’hier et d’aujourd’hui, Musée en Piconrue, Bastogne, 2003, p. 202-213.

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Arbres à clous et arbres à loques

87-91Annick MarchantMusée de la Vie wallonneAttachée scientifique

À Gilly, un tilleul remarquable par le nombre de clous qui le recouvre a été abattu par de violents orages au mois de mars 1922. « […]Ébranché, il fut déposé dans la cour d’une ferme voisine. Et- témoignage de la persistance du culte populaire-des pèlerins continuèrent à planter des clous dans le tronc ; d’autres emportèrent, comme reliques, des parcelles de son bois, ou bien utili-sèrent l’écorce des branches pour faire une tisane ayant la propriété de guérir certaines maladies. »01 Grâce à un courrier envoyé par le Secrétaire communal de Gilly prévenant le Musée de la Vie wallonne de la chute du tilleul cloué, un tronçon est entré en collection.Au mois d’octobre 1964, les Amis du Musée de la Vie wallonne ont remarqué avec grand intérêt, lors de leur excursion dans le Tournaisis, un jeune chêne cloué pavoisé de loques. Situé aux confins d’Herchies, à la limite d’Erbaut, celui-ci remplace un vieil arbre dont les débris cloutés reposaient auprès de son ancien emplacement. Une partie du tronçon se retrouve aussi dans les collections du Musée.L’équipe du département des archives multi-médias a programmé quant à elle, en juin 2013, une enquête dans la forêt de Stambruges, afin d’étudier le site de l’Erconpuch. L’ancien robinier à loques gît près de la chapelle, tandis qu’un chêne est partiellement couvert de linges divers.

Par leurs spécificités, ces trois sites seront développés dans cet article comme témoins d’une pratique toujours d’actualité; notre propos ne s’appliquant pas à l’énumération des arbres à clous en Wallonie02. Comme sujet d’étude, nous présenterons également les interprétations

Arbre à clous de Gilly conservé dans les collections du Musée de la Vie wallonne. Photo Vincent Haneuse, © Musée de la Vie wallonne-Province de Liège, 2008

01E. GODEFROID, Le tilleul cloué de Gilly, dans La Vie Wallonne, T.3, Liège, 1922, p. 72.

02Bel exemple d’une énumération récente: P. SANGLAN, L’arbre guérisseur, dans Guérisseurs d’hier et d’aujourd’hui, Musée en Piconrue, Bastogne, 2003, p. 202-213.

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concernant cette croyance particulière et la problématique d’un lien ou d’une récupération par la religion catholique. Au vu de l’aventure de ces arbres « magiques », nous tenterons d’expliquer l’intérêt de les conserver et de les étudier dans un musée d’ethnographique et de société.

Description

Nous débuterons par le tilleul cloué de Gilly. Laissons à Jean Chalon, le soin de le décrire: « Il y avait à Gilly deux tilleuls, entre lesquels s’élevait un calvaire. Un seul persiste aujourd’hui, vieux et creux à la base. Il mesure 3 mètre 50 de circonfé-rence à 1 mètre 50 du sol. L’habitude d’y planter des clous se continue de nos jours. On peut en voir beaucoup à tête neuve et pas du tout rouil-lée. Le tronc est littéralement recouvert de clous de toutes sortes, depuis les parties visibles des racines les plus éloignées, jusqu’à la hauteur de deux mètres et même plus haut; on a dû apporter des chaises et des échelles pour ficher les plus élevés. […]Beaucoup sont disposés en forme de croix, ou figurent des dessins primitifs […]. J’évalue à 70.000 le nombre de clous actuellement visibles fichés dans le Tilleul de Soleilmont. […] »03

Après sa chute, les collections du Musée de la Vie wallonne se sont enrichies d’un tronçon de 4 mètres de hauteur et d’un mètre et demi de diamètre. Dès son premier emplacement dans une des salles des locaux provisoires du Musée, il est placé la tête en bas vu sa forme biscornue. Ensuite, l’arbre a été exposé au premier étage du Musée situé dans la cour des Mineurs à Liège, dès 1970. De 2004 à 2008, l’institution a été fermée pour rénovation. À cette occasion, il a pu profi-ter d’une restauration réalisée dans un atelier suivant un rapport d’expertise spécialisé dans la pathologie végétale04. Actuellement, il retrouve sa place au premier étage dans l’espace réservé aux croyances populaires, enveloppé par un léger voile de tulle noir, cet accessoire devant renforcer son aspect mystérieux.

En 1961, Édouard Remouchamps, Directeur, et Paul André, conservateur, ont découvert, à Herchies, le chêne à clous couché sur le sol, en morceaux et pourri. Considéré comme un arbre fétiche, il avait fortement impressionné Jean Chalon par les nombreux objets hétéroclites appendus et il le considérait déjà comme « très vieux, caduc, décrépit, en voie de disparition »05. Classé le 12 août 1919, cet arbre a subi de nom-breuses détériorations. Un tronçon a été exposé auprès du tilleul à clous dans la salle présentant la magie dans le Musée en 1970. Dès la rénova-tion, il a été mis en dépôt au Musée en Piconrue à Bastogne06.En remarquant la vétusté du chêne dès 1922, Raoul Demarbais, fermier habitant non loin du site, a planté un baliveau pour le remplacer. Ce nouveau chêne à loques est toujours flanqué d’une petite stèle en pierre millésimée 1875 sur laquelle est érigée une niche, grillagée de fer et fermée actuellement par un cadenas, abritant une statuette de saint Antoine de Padoue. À ses cotés, un cône en métal abrite des bougies peu

apprécié par Benoît Loodts en 2002, et, un petit tronc sollicite les offrandes. Lors de leur excur-sion, les Amis du Musée ont remarqué, attachée au bout d’une chaîne rivée à la boîte, un marteau permettant d’accomplir le rite du clouage07.Le 11 juin 2013, Philippe Godart, agent des eaux et forêts, a guidé l’équipe muséale dans la forêt indivise de Stambruges, constituée d’une super-ficie de 473 ha. À proximité du site dénommé Mer de Sable, au bout d’un sentier, se trouve une chapelle dédiée à la Vierge avec un abri en briques devant contenir des bougies et, à ses cotés, un arbre à loques. Auparavant, c’était un robinier faux-acacia dépérissant depuis de nombreuses années et couvert d’oripeaux. Ce dernier est tombé au travers du sentier, il y a une dizaine d’années. Pivoté perpendiculairement aux murs latéraux de la chapelle, il est remplacé non pas par des robiniers plantés expressément pour le relayer mais par un chêne situé non loin de là. Lieu accessible à tout public, il est régulièrement sujet au vandalisme ; les bancs de bois doivent être

03J. CHALON, Les arbres fétiches de la Belgique, Anvers, 1912, p. 31.

04À cet effet, l’arbre qui présentait de fortes pourritures dues à l’humidité provoquée par des champignons lignivores a été consolidé par un apport de résine liquide. Après cette consolidation, toutes les surfaces ont été pulvérisées à l’aide d’un insecticide en solution aqueuse.

05J. CHALON, op.cit. p. 19.

06Les salles permanentes étant en rénovation, l’arbre se trouve en réserve. En 2012-2014, il sera présenté dans un nouvel espace consacré aux croyances populaires et pratiques magico-religieuses.

Arbre fétiche à Herchies, (ca 1900).Photo Jean Chalon, © Musée de la Vie wallonne-Province de Liège

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Arbre à loques.Photo Claudy Raskin, © Musée en Piconrue, 11 juin 2013

refaits régulièrement, la chapelle bâtie en pierres taillées dans le grès du pays a été endommagée et taguée08. Le chêne, quant à lui doit faire face aux pyromanes qui tentent de bouter le feu aux loques.

Intervention de la religion catholique

Trait d’union entre le monde des enfers, de la terre et des cieux, l’arbre est déjà considéré comme sacré avant la christianisation. Dès l’époque de l’évangélisation, l’autorité religieuse tente de le désacraliser en le détruisant09 ou en l’intégrant dans un ensemble religieux ; une chapelle est bâtie tandis que la niche est creu-sée dans l’arbre. L’oratoire ou l’édifice religieux, impliquant d’une manière permanente l’idée d’une prière, doit attirer définitivement l’atten-tion vers le saint représenté.Selon Jean Chalon, un calvaire s’élevait entre les deux tilleuls cloués de Gilly10. De plus, dans le tronçon présenté au Musée, nous pouvons remar-quer un crampon qui aurait pu servir à attacher une croix ou une niche.

Grâce aux légendes, le clergé s’implique à la fois dans l’imaginaire et dans le merveilleux. Les apparitions nombreuses de Marie sont relatées avec une dramaturgie imposée qui repose sur la « volonté » de la statue de la Vierge à rega-gner l’arbre dans lequel elle est apparue. Ainsi à Stambruges, d’après un récit transcrit par Antoine Gosselin11, une Vierge apparue au curé et transportée à l’église de Strambruges aurait regagné son arbre et demandé à l’ecclésiastique d’édifier une « Maison » soit une petite chapelle, en son honneur.Le chêne Saint-Antoine d’Herchies a fait éga-lement l’objet d’une légende racontée par Jean Chalon12 « Il y a longtemps, le propriétaire de ce chêne, […] donna l’ordre à ses serviteurs d’aller abattre l’arbre, qui nuisait à la production de son champ. Les bûcherons partent, se mettent à l’ouvrage: mais voici qu’à chaque coup de cognée, le maître sent pousser sur son corps une gourme, un bouton, un clou. Bientôt au sup-plice, il pense à son arbre, fait bien vite seller un cheval et envoie un serviteur arrêter le travail des bûcherons. Aussitôt ses douleurs diminuèrent, les clous séchèrent bientôt et disparurent. La nouvelle du miracle se répandit rapidement, et depuis on ne cesse de venir implorer l’arbre et de lui demander la guérison des clous, bou-tons, dartres, maladies de peau. » Or, il existait autrefois, une statue de Saint-Antoine placée sur l’arbre. Selon l’hagiographie, seul Antoine l’ermite a la réputation d’un saint guérisseur ; Il était particulièrement invoqué contre le mal des ardents ou feu de Saint-Antoine, sorte de charbon phlegmoneux13. Bientôt la guérison de toutes les maladies de peau lui a été attribuée. Antoine de Padoue, représenté dans la niche auprès de l’arbre, est qualifié dans l’imagerie populaire comme l’avocat des objets égarés. Dans le cas où un lien devrait être effectué entre le pouvoir thaumaturge du saint et celui du chêne spécialisé dans les maladies de peau, il y a eu un

amalgame entre les deux Antoine ; l’iconographie de saint Antoine de Padoue ayant comme attri-but l’Enfant Jésus, très populaire.

Une corrélation peut être plus explicite entre le thaumaturge et l’arbre guérisseur avec cet exemple suivant. À Stambruges, la Vierge est spécialisée dans la guérison des maladies et de retard de développement infantiles et pour tout ce qui touche à la mobilité. Le nombre important de souliers, de bas, de vêtements d’enfants et une jambière déposés encore actuellement sur le robinier gisant ou pendu sur le chêne témoignent à la fois du lien entre la Vierge et les deux arbres ainsi que de la continuité de la pratique. Par contre, les pèlerins qui participent à la proces-sion du 15 août ne portent aucune attention à l’arbre. Ils font trois fois le tour de la chapelle dans le sens d’une aiguille d’une montre en réci-tant le chapelet.

07Ce marteau remarqué par les Amis du Musée en 1964 n’est pas décrit par Jean Pierard en 1981. B. LOODTS, Les derniers arbres fétiches de Wallonie, Weyrich Édition, Neufchâteau, 2003, p. 18.

08La chapelle a été sablée par un service spécialisé en 2012, la statue de la Vierge remplacée par une photographie.

09Pour rappel en 658, le concile de Nantes édicta dans le canon XX que « les évêques et leurs ministres doivent combattre d’un très grand zèle, afin que les arbres consacrés au démon, que le peuple honore et en a si grande vénération qu’il n’ose en couper ni une branche ni un scion, soient coupés et brulés jusqu’à la racine ».

10En 1912, le sanctuaire avait déjà disparu.

11A. GOSSELIN, La chapelle et l’arbre-fétiche de l’Erconpuch (ou du Cronpuch) à Stambruges, dans Bulletin de la Société des Naturalistes de Mons et du Borinage, t. 13, Frameries, 1933, p. 6.

12J. CHALON, op.cit., p. 18.

13Maladie causée par un parasite appelé l’ergot.

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De haut en bas :Le chêne Saint-Antoine de Herchies, 2013. Photo Vincent Haneuse, © Musée de la Vie wallonne-Province de Liège

L’arbre et la chapelle de l’Erconpuch à Stambruges, 2013.© Musée de la Vie wallonne-Province de Liège

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Interprétations

Arbre fétiche, arbre guérisseur, autant d’appella-tions usitées pour donner un sens au clouage et à la suspension de loques diverses.Déjà Oscar Colson14 fait référence à la dendrolâ-trie alliée aux croyances de la médecine popu-laire. Ainsi, il définit la guérison par transfert comme suit : « l’on peut se défaire des maladies en fixant loin du malade un objet qui l’a touché et qui est censé emporter le mal avec lui ». Il est vrai que personne ne touche aux objets et clous qui garnissent les troncs de peur d’être contaminés. Dans la forêt de Stambruges, Philippe Godart nous l’a confirmé en précisant toutefois que dans le cas où le nombre d’objets tombés et accu-mulés au pied de l’arbre devient trop important, ceux-ci sont retirés. D’après Antoine Gosselin15 le curé procédait régulièrement à l’enlèvement des loques qui recouvraient l’arbre.Paul Sanglan16 estime que la magie du trans-fert de la maladie ne pourrait concerner que le clouage tandis que l’arbre à loques serait utilisé comme support d’ex-voto. Ceux-ci seraient offerts en remerciement pour une guérison obte-nue. Jusqu’à ce jour, aucun élément ni prière ne peut étayer cette hypothèse.

«Tourments infligés au Dieu qu’on implore, ou Les mauvais traitements sont avant tout des moyens d’attirer l’attention des êtres auxquels s’adresse la prière »17, telle est l’interprétation de Jean Chalon pour le clouage de l’arbre sacré. Or selon Yves Bastin18, il n’existe aucune preuve en Europe d’un culte de l’arbre pour lui-même. De plus, la pratique individuelle va à l’encontre de celle d’un culte qui est collectif. Néanmoins, le fait de continuer à octroyer des vertus curatives à un arbre mort tenterait à prouver sa sacralisation.En outre, il semblerait que les clous serviraient plutôt à suspendre les loques. À Herchies, le linge est fixé au moyen d’un clou, le plus sou-vent enfoncé à travers une pièce de monnaie pour mieux assurer l’accrochage du pansement. Actuellement, il n’existe plus de pièces sem-blables aux 25 centimes et en l’absence de clous, les punaises remplissent les mêmes offices pour des objets moins volumineux. À Stambruges, les linges sont parfois lancés et accrochés vaille que vaille, grâce aux aspérités de l’écorce.

À Stambruges, face à la chapelle, un trou obstrué à la fin du 19e siècle indique l’emplacement d’un ancien puits19. Avec cet ajout, pourrions-nous comparer notre pratique à celle des arbres à loques (Clootie) près de Munlochy en Écosse. C’est un lieu de pèlerinage où les morceaux de tissus trempés dans l’eau du puits sacré sont attachés à une branche. Ici le rite fait appel à une des règles fondamentales de la magie qui est l’analogie où la maladie disparaît au fur et à mesure que le chiffon se désintègre. Rien ne peut infirmer cette hypothèse d’autant que l’arbre a toujours été couvert de loques malgré le comble-ment du puits.

14Oscar Colson a présenté quelques usages similaires en complétant l’article de L’usage fétichiste à Braine-L’Alleud, écrit par C.J. Schepers dans le recueil de littérature orale de Wallonia, daté de 1893.

15A. GOSSELIN, op.cit., p. 5.

16P. SANGLAN, op.cit., p. 206.

17J. CHALON, op.cit. p. 9-11.

18Y. BASTIN, Les arbres, germes de tradition, dans Géants au Pied d’Argile, Namur, 1993, p. 21-56.

19L’appellation Erconpuch rappelle qu’une ancienne fontaine avait l’apparence d’un puits que surplombait une voûte en pierre. Erconpuch ou Arconpuch signifierait dans le dialecte local : arc ou voûte où l’on puise.

20À Erbaut (Herchies), pas moins de 3 panneaux routiers indiquent le chêne à clous situés non loin de la rue des Chats.

21O. SCHMITZ, Les « arbres à clous » de Wallonie : quelques remarques concernant une pratique apparemment archaïque, dans Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, t. 20, 2005, p. 422.

Étude et conservation dans le Musée

Les trois arbres étudiés précédemment sont considérés comme des arbres fétiches qui doivent leurs vertus magiques aux forces de la nature. C’est en dernier recours que l’on s’adresse à eux pour obtenir une guérison ou pour tout autre souhait. En effet, les objets suspendus au chêne de Herchies sont très hétéroclites ; il s’agit de mouchoirs propres, de vêtements et de sacs non endommagés, de tuyaux, de Baxter contenant encore du liquide, de photo d’identité, de photos de mariage… Certains, poussiéreux sont enser-rés dans des toiles d’araignée, d’autres, neufs viennent d’être suspendus. Selon Philippe Godart, à Stambruges des nouveaux objets sont égale-ment déposés sur le robinier mort ainsi que sur le chêne clouté.

Il est vrai que des arbres disparaissent. Situés dans des zones rurales, souvent isolés, ils sont tributaires de l’évolution des mentalités et de la mobilité de leurs habitants. De plus, ce recours thérapeutique, considéré par beaucoup comme une superstition, doit être pratiqué discrètement.

Force est de constater qu’il semble anecdotique de se préoccuper d’une pratique restreinte face à d’autres lieux impressionnants situés en Écosse ou en Cornouailles. Pourtant, des réactions devant l’abandon et la détérioration d’arbres fétiches ont permis de les préserver au Musée de la Vie wallonne. De plus, des communes mettent en valeur leur chêne à clous.20 Et, l’ajout d’un banc et de fleurs témoigne de l’appropriation de cer-tains pour rendre le lieu plus convivial et paisible. Enfin, il existe en dehors de la Wallonie des arbres qui présenteraient les mêmes caractéristiques ; citons dans le Limbourg, à Val-Meer, le kwartjes-boom et en Picardie l’arbre à loques de sainte Claude situé à Senarpont.

L’étude et la collecte de témoignages ont apporté des données mais laissent encore des questions sans réponses. Cette pratique appartenant à nos traditions populaires mérite d’être à nou-veau étudiée sous des aspects sociologiques et anthropologiques. Abandonnons la condescen-dance, voire le mépris, vis-à-vis de la religiosité populaire trouvée dans les écrits d’Oscar Colson et de Jean Chalon. Rappelons que les théories évolutionnistes prônant les traditions populaires comme une survivance de la manière d’être de notre passé sont révolus.21

À la suite de nos observations, nous considérons que cette pratique tombée en désuétude il y a quelques années, serait à nouveau employée; nos contemporains de tout âge faisant encore appel aux vertus diverses de l’arbre. Il semble-rait bien que notre société, où les progrès de la biomédecine sont permanents, ne réponde pas à toutes nos attentes. C’est un bel exemple où nos connaissances des traditions populaires enri-chissent et donnent une perception différente de notre monde sociologique et culturel.