APPARTENANCES Jean-Louis Major · position et de commentaire l’ardeur de mes jeux et de mes...

APPARTENANCES

Jean-Louis Major

Hors collection�isBn� 978-2-89597-145-0306 p. — 26,95 $

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APPARTENANCES

Essai en pièces détachées


Jean-Louis MajorJean-Louis Major décrit ici magistralement et dans le détail son cheminement complet, depuis un départ a nihilo (intellectuellement), pour un parcours imprévisible, jusqu’à sa pleine possession de l’écriture vitale. C’est donc son expérience intégrale qu’il nous livre dans ces pages. À travers une philosophie première (déjà moins « traditionnelle »), il atteint très tôt la « littérature » (française, québécoise), sous un angle professionnel, spécifiquement critique : en somme, « un mode d’être et de connaître ». Réalité, image, mythe : il découvre que, « en littérature on ment pour dire vrai ». De scribouillage en authentique écriture, il en arrive à la haute création, on peut dire, par le « plaisir d’écrire ».

Dans le présent ouvrage, Jean-Louis Major fait son tour d’horizon complet, avec grand brio et une ironie constante, amicale ou féroce, avec STYLE toujours.

Réjean Robidoux

Jean-Louis Major a publié une quinzaine d’ouvrages, dont deux recueils de contes (Mailles à l’envers et Contes par-ci par-là) et un recueil de fables (Antifables). A

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A p p a r t e n a n c e s


A P PA R T E N A N C E S

essai en pièces détachées

Jean-Louis Major


Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario et la Ville d’Ottawa. En outre, nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Les Éditions David Téléphone : 613-830-3336 335-B, rue Cumberland Télécopieur : 613-830-2819 Ottawa (Ontario) K1N 7J3 [email protected] www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 3e trimestre 2010

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Major, Jean-Louis, 1937- Appartenances : essai en pièces détachées / Jean-Louis Major.

ISBN 978-2-89597-145-0

I. Titre.

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Vous croyez qu’on écrit pour quêter votre condescendance ?

Nabe (peut-être)


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A v a n t - p r o p o s

Sont ici réunis des textes de situation qui amorcent ou prolongent, en des tonalités diverses, une réflexion à propos de pratiques de l’écriture. J’y effectue un retour sur un parcours qui fut — qui est — le mien, en ce sens que je m’y reconnais ou m’y retrouve, que j’épouse son mouvement en devenant autre : celui que je deviens le prolonge en le transformant.

Cette trajectoire, lente torsion sur soi, épurée ici à la façon du tracé d’une courbe mathématique, ne s’accomplit pourtant, au fil des ans, qu’au prix d’hésitations, d’erreurs et d’errements. « Essai en pièces détachées », ai-je ajouté en sous-titre pour en désigner l’inscrip-tion. « Jeu en étoile », disais-je ailleurs, « faisceau de divergences qui ne multiplie les points

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A p p A r t e n A n c e s

cardinaux que pour établir un centre toujours insaisissable. » Si je m’y reporte, c’est moins pour me livrer au souvenir que pour interroger des repères. En quête de quelles vérités ?

« Appartenances ». Au pluriel, pour définir un rapport avec des lieux et des temps. Et simulta-nément, dans l’inédit du langage, le singulier s’y rétablit, qui renoue avec une géographie intime. Mais singulier ou pluriel, le terme est ambigu : il évoque indifféremment ce qui m’ appartient et ce à quoi j’appartiens.


Excursions


Comment choisir, plus qu’entre des êtres individuels qui ne sont pas interchangea-bles, entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syl-labe ; Vitré dont l’accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre ; Pont-Aven, envolée blanche et rose de l’aile d’une coiffe légère qui se reflète en tremblant dans une eau verdie de canal ?

Marcel Proust


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Enfant, j’allais sans passeport d’un hémisphère à l’autre, leurs frontières n’étant que distances à franchir pour retrouver l’autre part de moi-même. Chacun s’inscrivait dans ma géographie intime comme les versants du rêve et du désir : leurs différences me paraissaient aussi nécessaires que les couleurs de l’arc-en-ciel.

L’équateur passait entre Coteau Landing et Coteau-du-Lac, où le train s’arrêtait sur une voie d’évitement pour laisser la priorité à un express qui reliait Montréal à Toronto.

*

Ma ville natale avait un nom anglais, j’en étais conscient, même si mes cousines québé-coises le prononçaient « Corne-Ouelle ».



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La majorité anglaise de Cornwall s’imposait bien avant le centre-ville, où me ramèneront chaque semaine mes incursions à la bibliothèque municipale. Nous croyions vivre en banlieue : nous n’étions que marginalisés.

Mon père avait bâti maison à l’est de l’usine Courtauld, dont le nom a figure française — je m’en rends compte avec étonnement en l’écri-vant —, mais que je n’entendis jamais prononcé qu’à l’anglaise, même par ceux et celles qui s’entortillaient la langue et l’esprit chaque fois qu’il leur fallait dire deux mots d’anglais. C’était là cependant langage de cérémonie : en français de tous les jours, on disait « la Soie ». Comme il y avait « la Coton », mais « la Pants » et « le moulin de papier ».

Encore plus à l’est, par je ne sais quelle aber-ration, se trouvait l’école anglaise — protestante, disions-nous —, alors que l’école française — catholique — se situait à l’ouest de l’usine. Nos cohortes, en se croisant, se faisaient l’honneur de quelques injures. En anglais. Par choix, du moins de notre part. Car c’était la seule façon d’atteindre nos cibles, croyions-nous. Jusqu’au


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jour où nous découvrîmes que le français portait, de soi, un outrage plus vif qu’un caillou adroitement lancé.

L’autre pôle de mon enfance était fonciè-rement français, malgré son nom.

Valleyfield — « Vallée-file », selon la pronon-ciation familiale — avait pour centre la maison de mon grand-père. S’il m’arriva de m’y égarer, perdu dans quelque rêverie ou fasciné par le spectacle de la rue, ce fut sans conséquence, les policiers me ramenèrent en auto-patrouille : mon grand-père était maire ou l’avait été. J’ai souvenance d’un soir de défaite électorale, où l’on brûla un bonhomme de paille devant la maison.

La ville s’étalait riche et belle, à mes yeux. L’hôtel de ville était de pierre ; la cathédrale aussi, qui résonnait de l’éloquence et du prestige de Mgr Paul-Émile Léger. J’admirais le prélat, familier de la maison de mon grand-père, mais n’en crus pas moins devoir le convaincre de mensonge, un matin, dès mon réveil, parce que je n’étais pas mort pendant la nuit comme il l’avait prédit dans son sermon de la veille sur



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les fins dernières. J’ignore quel avenir il entrevit pour moi dans ces dispositions précoces au doute méthodique.

De Valleyfield, le monde francophone se déployait jusqu’à Montréal et Québec, ou plu-tôt jusqu’à l’Oratoire, à Notre-Dame-du-Cap et à Sainte-Anne-de-Beaupré, où nous nous rendions sous la férule de ma grand-mère, voyageuse émérite. En passant chaque fois par Beauharnois, ville natale de Louis Dantin (où il s’appelait Eugène Seers et n’était que fils de notable), sais-je aujourd’hui, mais qui à l’époque s’illustrait par une fonderie dont on apercevait les hautes flammes par-delà d’immenses portes, toujours béantes, et que ma grand-mère signalait en nous disant : « Regardez, les enfants, c’est l’enfer. »

*

L’imagination, plus que les sens, était por-teuse du réel : le rêve aimantait les désirs. — Le monde a-t-il changé ? — J’aimais l’école et les jeux, mais plus encore les rêveries et les livres.


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Un jour, mon instituteur — un patriote qui s’appelait Angus Mackenzie mais ne parlait pas un mot d’anglais — m’annonça que je serais le candidat de l’école au Concours de français. Je ne me souviens pas si un examen quelconque ou quelque autre forme de concours avait précédé ce choix.

Le Concours de français, organisé en 1938 pour contrer une loi scolaire inique, était cha-que année l’occasion d’affirmer, comme un défi à l’histoire et à la géographie, une survivance toujours menacée. L’événement — auquel l’Académie française, si elle n’était cantonnée à Paris, attribuerait, comme à la Révolution, une majuscule de rigueur — rassemblait un peuple qui, en d’autres temps, s’ignorait, quand il ne se niait pas. C’était aussi la voie de la gloire. Sans doute moins pour nous les écoliers, qui ne la concevions que liée aux prouesses des idoles du hockey, que pour les enseignants, qui trouvaient là une occasion unique d’émulation et de recon-naissance collective.

Mon instituteur entreprit, à lui seul et aux dépens de ses loisirs, de m’y préparer.



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Premier de classe sans préméditation, par inclination naturelle en quelque sorte, je reportai sur les épreuves de dictée, de récitation, de com-position et de commentaire l’ardeur de mes jeux et de mes lectures. Les exercices préparatoires se transformèrent sans à-coups en éliminatoires entre les écoles de la ville, puis entre celles de la région. J’accédai ainsi au Concours provincial, qui se déroulait à Ottawa pendant les vacances de Pâques.

*

Hormis « Istanboultone », lieu mythique des récits d’enfance de ma mère, que je crus longtemps issu des Mille et une nuits mais que la géographie — historique, puisque l’appel-lation est aujourd’hui disparue sous l’effet répété des amalgamations municipales — situe prosaïquement dans l’Outaouais sous le nom de East Templeton, l’exotisme, pour moi, avait jusqu’alors tenu tout entier dans les livres.

Ottawa ne m’apparaissait ni française ni anglaise : j’affrontais l’inconnu. Je m’y rendis en


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compagnie de mon instituteur ; une famille de sa parenté nous hébergea.

La remise des prix, grandiose, m’éblouit comme un bal à la cour. À mon retour, on me fêta, il y eut banquet public. Un politicien, député ou ministre, je ne sais plus, emporté par la ferveur de sa propre éloquence, prophétisa que le Major d’aujourd’hui serait le général de demain. J’étais le premier lauréat du Concours de français que connût Cornwall.

La bourse attribuée en prix me conduira au collège. À Ottawa précisément, dont les conso-nances n’étaient ni françaises ni anglaises, où le partage linguistique cessait de correspondre à une répartition géographique — parce que j’ignorais tout de la ville, cantonné que j’y étais dans un espace clos, autour duquel s’étendait l’univers indifférencié de la liberté —, lieu de nulle part, auquel j’en viendrai pourtant à m’identifier de quelque façon, semble-t-il, puisque c’est moi qui représenterai la ville au Concours provincial de français des écoles secondaires, quatre ans plus tard. La voie y aura cependant été tracée par mes prédécesseurs : je n’aurai qu’à emboîter le pas.



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Je n’affronterai plus l’inconnu, les défis n’auront qu’un caractère particulier.

Lauréat de ce Concours, une autre bourse m’assurera quatre années à l’Université. À Ottawa encore. L’ailleurs, devenu familier, aura supplanté le familial, sans s’y substituer.

*

Ainsi mon univers connut-il sa répartition essentielle. Par excursions.

Sans doute ma ville natale eut-elle tôt fait d’oublier mes exploits ou de leur substituer la gloire plus durable de l’un de ses fils devenu joueur de hockey, de football, de baseball ou de basketball. Seul mon souvenir effleure encore les traces incertaines de ces parcours qu’on croyait gravés dans la mémoire collective. Un passant distrait ne lira sur la tombe de mon instituteur qu’un nom anglais surmontant deux dates anonymes.

Ma participation au Concours de français continue cependant de marquer dans mon histoire particulière le moment où j’accédai à


E x c u r s i o n s

la conscience irrécusable des exigences et des ressources de la langue. Mon amour des mots et des livres y prit figure à la fois intime et publi-que. Du même coup, j’acquis la certitude que le monde s’ouvrirait à moi par le langage, lieu et forme de mon appartenance essentielle.

Par-delà les pôles que mon enfance avait établis et que le destin allait abolir, j’habiterais désormais une terra incognita dont l’horizon me demeurerait à jamais inaccessible, mais qui, aujourd’hui encore, tout ensemble me définit, me rebute et m’émerveille.


Ta b l e

Avant-propos 9

Excursions 11

L’idée de littérature 25

Thésée à Saint-Tite 71

Contes d’ici ou d’ailleurs ? 103

Incursions 131

Pied de nez livresque 191


d u m ê m e a u t e u r

Antifables

Contes par-ci par-là

Mailles à l’envers

Québec Literature: From Collective Identity to Modernity, and Back

Ringuet, Trente arpents(édition critique, avec R. Arbour et J. Panneton)

Henriette Dessaulles, Journal (édition critique)

Entre l’écriture et la parole

Le Jeu en étoile

Paul-Marie Lapointe : la nuit incendiée

Radiguet, Cocteau, « Les joues en feu »

Anne Hébert et le miracle de la parole

Jean Cocteau, Léone (édition critique)

Saint-Exupéry, l’écriture et la pensée


Maquette : Jean-Louis MajorCouverture : Anne-Marie Berthiaume

Dépôt légal, 3e trimestre 2010ISBN 978-2-89597-145-0

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Jean-Louis MajorJean-Louis Major décrit ici magistralement et dans le détail son cheminement complet, depuis un départ a nihilo (intellectuellement), pour un parcours imprévisible, jusqu’à sa pleine possession de l’écriture vitale. C’est donc son expérience intégrale qu’il nous livre dans ces pages. À travers une philosophie première (déjà moins « traditionnelle »), il atteint très tôt la « littérature » (française, québécoise), sous un angle professionnel, spécifiquement critique : en somme, « un mode d’être et de connaître ». Réalité, image, mythe : il découvre que, « en littérature on ment pour dire vrai ». De scribouillage en authentique écriture, il en arrive à la haute création, on peut dire, par le « plaisir d’écrire ».

Dans le présent ouvrage, Jean-Louis Major fait son tour d’horizon complet, avec grand brio et une ironie constante, amicale ou féroce, avec STYLE toujours.

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Jean-Louis Major a publié une quinzaine d’ouvrages, dont deux recueils de contes (Mailles à l’envers et Contes par-ci par-là) et un recueil de fables (Antifables). A

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