Apex2 Le Christ Rouge de La Revolution

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Transcript of Apex2 Le Christ Rouge de La Revolution

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    La Russie lassaut du Ciel

  • SOMMAIRE

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    e Stphane Vibert

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    Revue dite par ARS REGIA [[email protected]]

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  • Dans le ciboire fondront les diffrents mtauxPour que gotent au soleil les peuples-Christs.

    (Nicolas Kliouev, Le chant de l'hliophore, 1918)

    La Transfiguration mrit,Lhte radieux va dvaler,De la patience crucifie

    Il tera les clous rouills.

    (Sergue Essenine, Transfiguration)

    Les temps sont proches : lve l'pe sur les serviteurs de Belzbuth, au premier rang des-quels figurent les nobles : traverse la terre russe comme un feu ardent ; [...] enflamme lesdomaines de l'engeance des dmons, car la terre est toi, et l'Esprit aussi.

    Nous disposons de faits qui montrent clairement que des lgendes, selon lesquelles ce n'estpas le vrai tsar qui trne, et que le vrai tsar, lui, se trouve l'tranger et 'soulve lepeuple' pour 'renverser Satan' et tous les ordres 'sataniques' de la Russie, se propagent main-tenant dans les coins les plus reculs du pays et connaissent un vif succs.

    (Bonc- Bruevic, prface 'L'affaire des paysans de Pavlovka')

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    (Georges Nivat, Vers la fin du mythe russe Essais sur la culture russe de Gogol nos jours.)

  • Fresque de Nestor Basterretxea, crypte du sanctuaire d'Arantzazu

  • 7AMOUR ET EXTASE, LE GNOSTICISME CLANDESTIN DE LA RUSSIE

    Anatoli Filipov

    Et ils ajoutent que Jsus enseigna ses aptres une doctrine secrte et quil leschargea de la transmettre ceux qui seraient capables de la comprendre. Ce sont la foiet lamour qui sauvent. Tout le reste est indiffrent.

    Saint Irne (parlant des gnostiques)

    Voici un motif trs rpandu : la croyance quon peut veiller lnergie spirituellepar le mystre du sexe. Elle fascina des penseurs russes comme Fedorov, Soloviev et Ber-diaev. Nietzsche dcrivit lascte comme brlant de volont de puissance, ce quisapplique aux Khlysty russes qui pensaient quen matrisant leur nature charnelle, ilstranscenderaient les lois humaines. Nous connaissons bien ce type de gens, les dnommsantinomiens trange descendance, je suppose, de Jsus qui exerait ses talents de gu-risseur durant le shabbat, contrairement la Loi juive.

    Michael Grosso, Millennium Myth

    La tradition gnostique fut reprsente durant les premiers sicles chrtiens par unemultitude dcoles secrtes, de communauts et de matres. Le spcialiste des religions,W.H.C. Frend, crit qu au second sicle le gnosticisme tait un mouvement mondial .Il y avait des communauts gnostiques en Syrie, en Grce, en Palestine, Rome, engypte, en A frique du Nord et en Europe de lOuest. A vec la monte de lglise de Romeet la perscution gnrale dchane contre les chrtiens dissidents , les gnostiquestrouvrent refuge dans les ermitages des dserts dgypte, de Syrie et dA sie Mineure.Les vrits gnostiques furent prserves dans la tradition asctique de lglise byzan-tine. A prs la conversion de la Russie au christianisme byzantin, les doctrinesgnostiques influencrent fortement lglise orthodoxe russe. Lancienne sagesse sen-racina dans les communauts religieuses asctiques de la Russie orthodoxe. Selon lesparoles de G.P. Fedotov : Les pays de lOrient furent les foyers non seulement degrandes cultures religieuses et artistiques, mais dune pense profonde . Le chris-tianisme orthodoxe, fidle son origine orientale, se dveloppa dune manirecompltement diffrente de celle de la Chrtient occidentale.

    Les Vieux-croyants

    Les Vieux-croyants russes (Raskolniki) taient issus de la rsistance trs rpandueau XVIIme sicle face la centralisation et aux rformes du patriarche orthodoxerusse, Nikon. Ce dernier tait un tyran qui torturait et emprisonnait les croyantsopposs sa rvision du service religieux et du livre de prires de lglise russe.A vant lpoque de Nikon, qui devint patriarche orthodoxe grce son amiti avec le tsarA lexis, lglise russe tait largement dcentralise, une caractristique des premirescommunauts chrtiennes qui prospraient durant les trois premiers sicles aprs J.C.,le prtre ntant pas plus quun berger ou un serviteur de la communaut. Croyant quela gat tait diabolique, le puritain Nikon persuada le tsar dinterdire les instru-ments de musique et de rendre obligatoire la participation au service du dimanche. Lesrformes de Nikon sen prirent aussi la qute mystique du Royaume de Justice . Beau-coup de Russes pensaient que les actions de Nikon taient luvre du Prince de ce monde,et que lA ntchrist avait pris le contrle de lglise et de ltat. Le Vrai Dieu avaitabandonn le tsar et la foi orthodoxe officielle.

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    Dsertant lglise majoritaire, les dissidents russes, selon le philosophe russeNicolas Berdiaev, commencrent vivre dans le pass et dans le futur mais pas dansle prsent . Les Vieux-croyants, comme les premiers chrtiens, taient en fait divissen de nombreuses branches ou coles. Beaucoup taient convaincus quils vivaient main-tenant une nouvelle poque compltement gouverne par lA ntchrist.

    La conscration des prtres et la clbration de tous les sacrements, incluant lemariage, taient donc impossibles. De telles ides visaient transformer chaque hommeet chaque femme en ascte clibataire luttant pour leur salut personnel dans un mondemauvais et abandonn de Dieu. Rejetant lautorit des prtres, ces Vieux-croyants ins-pirrent un communautarisme radical, la formation de petites communauts homognes,troitement lies. Dautres, croyant que lglise tait le Corps Mystique du Christ pr-sent pour toujours dans le monde, continurent ordonner leurs propres prtres.

    Les Vieux-croyants taient totalement diffrents des protestants europens, qui vou-laient revenir un fondamentalisme vanglique imaginaire. Les Vieux-croyants sevoyaient comme des gardiens de la tradition chrtienne orientale telle quelle avait tamene de Rome Constantinople puis Moscou la Troisime Rome. La Russie tait ledernier dpositaire de la Vrit sans tache. Ils taient expulss et traqus par uneglise orthodoxe rformiste qui abandonnait sa vocation cleste en embrassant lh-rsie. A lbert F. Heard, dans The Russian Church and Russian Dissent, dit : Ici setrouve la diffrence essentielle entre le Raskol russe [les Vieux-croyants] et le pro-testantisme allemand : lun est fractionnel, troit desprit, fanatique, jaloux etpharisaque ; lautre est universel, large desprit, libral, gnreux et tolrant.

    Ces Vieux-croyants, prtendant descendre des disciples du Christ, dnonaient leschrtiens orthodoxes formels comme terre--terre et spirituellement striles. lamanire des communauts apostoliques, ils insistaient sur la prsence constante du SaintEsprit. Le talentueux et rudit archiprtre A vvakoum, le plus important dirigeant desVieux-croyants, tait considr comme possdant une part exceptionnelle du Saint Esprit.Pour A vvakoum et les Vieux-croyants, cest lEsprit de Vrit et non les hirarchieshumaines qui conduisait les vrais croyants dans leur vie quotidienne, leur rvlant nouveau les secrets du Royaume de Dieu. Renomm pour sa saintet et ses pouvoirs de gu-risseur, A vvakoum, daprs certains de ses fidles, avait ralis lunit avec le Christ.Dans cet tat divresse divine, il avait parat-il crit : Le ciel est mien et la terreest mienne, la lumire est mienne et mienne est chaque chose cre .

    Deux sicles plus tt, le mystique soufi perse al-Hallaj, dans un tat dunion exta-tique avec Dieu, avait dclar de faon similaire : Je suis lA bsolu . Ce vnrablesaint soufi fut excut en public par les musulmans orthodoxes. Il fut fouett, penduet finalement dcapit par les fidles musulmans. Nicolas Berdiaev dit dA vvakoum : Les tortures et les souffrances de lesprit et du corps quA vvakoum supporta taientau-del de toute endurance humaine .

    Les Vieux-croyants subirent une perscution impitoyable de la part de ltat tsaristeet du clerg officiellement approuv. Cependant, ils continurent tre respects commeles gardiens dun antique hritage spirituel qui avait pris une forme russe indigne.

    Le monachisme tait essentiel dans la pratique spirituelle des Vieux-croyants. Un his-torien amricain donne la description suivante dun monastre des Vieux-croyants danslextrme nord de la Russie : A nti-occidental, antimilitariste, et anti-expansion-niste. Il pratiquait le partage communautaire des biens, le travail collectif, et laidemutuelle dans un environnement religieux, loin du centre du pouvoir dEtat. Il taitaussi hirarchique et trs strict : discipline, obissance, loyaut et chastet taientrequis .

    De cette rbellion religieuse largement clandestine sortirent les stranniki, ou errants , qui pensaient que puisque ce monde ne pourra jamais tre la demeure des lus,ils devaient parcourir la terre sans rsidence permanente. Une telle errance taitessentielle pour celui qui recherchait la rdemption et lillumination. Ils adoptaientune vie errante de prdicateurs et de gurisseurs afin de subir certaines preuves ini-tiatiques. Ces saints errants devinrent clbres pour leurs remarquables pouvoirs de

  • 9prophtie et de gurison. Ils dcourageaient le mariage, et leur style de vie asctiqueet leur orientation intrieure les libraient des conventions sociales. Ils coupaienttous les liens avec la socit (incluant largent, les passeports et les documents offi-ciels) comme tant des signes de lA ntchrist. A yant renonc la vie fugitive de cemonde, les stranniki prohibaient tous les attachements, en particulier la reproductionqui lie lhomme la socit.

    Dans son livre Gnosticism: Its History and Influence, Benjamin Walker explique : Toutes ces sectes opraient sous la menace constante des perscutions, et ds que leursactivits plus extrmes taient mises jour ils taient traits avec la plus rigou-reuse svrit, tant soumis la confiscation des biens, lexil en Sibrie, au fouet, la torture, et parfois la dcapitation. Pour la plupart, ils vivaient simplement etvitaient de se mler des affaires de lglise ou de ltat. Comme dautres sectes dece genre, ils tendaient considrer le mariage comme un lien maudit.

    Lun des fidles de lA rchiprtre A vvakoum, Danila Filippov, un paysan pieux, connutaussi lunion avec le Christ. A prs beaucoup de prires, de pnitences et de contem-plation mystique, Filippov eut une vision extatique durant laquelle il vit Dieu descendreavec une foule danges et entrer dans son corps. Comme pour Jsus lors de son baptmeen Jordanie, lesprit de Dieu descendit sur Filippov et il ralisa lunit avec leChrist. A partir de ce moment, Danila Filippov, vivante incarnation du Christ, commena enseigner, se faisant un grand nombre dadeptes parmi les dissidents religieux de laRussie.

    On admet que Danila Fillipov popularisa des vrits sotriques et des mystresanciens qui faisaient partie intgrante de lglise russe avant les rvisions hrtiquesdu patriarche Nikon. Cela aide expliquer pourquoi son message fut populaire chez ungrand nombre de Russes. Certains Vieux-croyants pensaient que lA rchiprtre A vvakoumstait uni au Christ de son vivant. Un certain nombre de croyants russes vnraient lalgende dA verzhan, un Christ vivant, que Dimitri Donsko crucifia sur le champ debataille de Koulikovo en 1380. Un autre Christ, Yemeljan, souffrit terriblement sous letsar Ivan le Terrible.

    En dclarant publiquement que lhomme pouvait sunir au Christ, Filippov ne faisaitque raffirmer un grand mystre de la thologie orthodoxe orientale, la doctrine de latheosis.

    Maxime le Confesseur, le plus important thologien byzantin du VIIme sicle, crivitque le vrai but du chrtien nest rien de moins que la dification. Tout en restantdans son me et son corps entirement homme par la nature, il devient dans son me etson corps entirement dieu par la grce . Maxime tirait ses ides principalement delvangile de Jean et des traditions gnostiques secrtes associes aux premiers disci-ples. Daprs Maxime, lorigine Dieu cra lhomme en le dotant dun mode de propagationdivin et immatriel. La reproduction sexuelle, comme la mort, est une consquence de laChute dA dam. Lincarnation historique du logos le Christ cosmique en Jsus le Naza-ren avait rendu possible lunion avec Dieu, mais cest toujours la grce de Dieu quila ralise. Cette illumination divine doit tre recherche. La prire intrieure, lin-trospection, la contemplation mystique, la vie errante ou monastique, et le renoncementau monde phmre, ntaient que des portes menant la recherche de Dieu. Lasctisme,compris comme matrise de soi, tait la voie de la transfiguration individuelle. Le sp-cialiste moderne des religions, Mircea Eliade commente : La dification est prcdeou accompagne par une exprience de lumire mystique. Dj parmi les Pres du dsert,lextase se manifestait par des phnomnes lumineux. Les moines rayonnaient de lalumire de la Grce. Quand le reclus tait absorb dans sa prire, sa cellule taitentirement illumine. La mme tradition (prire, lumire mystique, theosis) se retrouveparmi les moines hsychastes du Mont A thos. Dans lglise orientale, on trouve deux ten-dances complmentaires, apparemment opposes, qui saccentuent avec le temps : dunepart, le rle et la valeur ecclsiale de la communaut des fidles ; dautre part, lau-torit prestigieuse des moines et des contemplatifs asctiques. [1]

    Denis lA ropagite, un moine syrien du Vme sicle souvent assimil un des premiersadeptes de Saint Paul, crivit quil stait approch de Dieu et quil tait entr en

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    union avec lui. Sa thologie, inspire en partie du noplatonisme et du gnosticisme,eut une immense influence sur lglise orientale. Pour Denis, Dieu est au-del de toutce que nous pouvons comprendre. Dieu est la Cause Universelle de lexistence tout ennexistant pas Lui-mme, car Il est au-del de tout tre . Dieu se fait connatre dumonde visible par une hirarchie dtres divins. Le logos, ou Premire Emanation de Dieule Pre, se manifesta dans lHomme Jsus en tant que Christ. Lvangile de Jsus rvlacomment lhomme pouvait sunir Dieu par le logos. La theosis, lunion avec Dieu,expliquait Denis, ne peut tre atteinte quen slevant au-dessus de toute perceptiondes sens et de tout raisonnement de lesprit : Je conseille que, dans le fervent exer-cice de la contemplation mystique, vous abandonniez les sens et les activits delintelligence et tout ce que les sens de lintelligence peuvent percevoir, et tout dansce monde de nant ou dans cette monde dtre. A yant laiss votre entendement en repos,tendez autant que vous le pouvez vers une union avec Celui que ni tre ni comprhensionne peuvent concevoir. Car, par le renoncement incessant et absolu vous-mmes et toutes choses, vous vous purifierez et rejetterez toutes les choses et serez librdelles toutes. A insi vous serez conduit en haut vers le Rayon de cette divine Obscu-rit qui dpasse toute existence. [2]

    A u Xme sicle, Simon (949-1022), abb du monastre de Saint Macras Constantinople,crivit quau lieu de tenter rationnellement de dfinir Dieu, on devrait compter sur uneexprience personnelle directe du divin. Comme Karen A rmstrong lexplique dans son excel-lente tude A History of Religion : Il tait impossible de connatre Dieu en termesconceptuels, comme sil tait simplement un autre tre sur lequel nous pourrions formerdes ides. Dieu tait un mystre. Un vrai chrtien tait celui qui avait une exprienceconsciente de Dieu qui stait rvl dans lhumanit transfigure du Christ. Simonavait lui-mme t converti dune vie terrestre la contemplation, par une expriencequi semblait tre tombe du ciel. Comme Dieu lavait dit Simon durant lune de sesvisions : Oui, je suis Dieu, celui qui devint homme pour vous. Et regarde, je vous aicrs, comme tu le vois, et je vous transformerai en Dieu. Dieu ntait pas un faitobjectif externe, mais une illumination essentiellement subjective et personnelle.

    Le Pre de lglise, Clment dA lexandrie, avait dit : Cet homme qui est habit parle logos [la Parole Divine ou le Christ] devient comme Dieu et devient beau. Cet hommedevient Dieu, car Dieu le veut. Le logos de Dieu devint homme pour que de lhomme vouspuissiez apprendre comment lhomme peut devenir Dieu .

    Les hommes de Dieu

    Les mouvements spirituels radicaux qui naquirent la suite du schisme dans lOrtho-doxie russe au XVIIme sicle sinspiraient de cette riche tradition mystique duchristianisme oriental, qui tait imprgne de gnosticisme.

    Les dissidents russes reprsentaient la fois une rvolte contre la tyrannie eccl-siastique et un renouveau profond de doctrines sotriques prserves dans lessanctuaires intrieurs de lglise orientale. Le mysticisme chrtien oriental fusionnaavec la spiritualit native de lme slave. Cela nest nulle part plus apparent que chezles dissidents qui suivaient Danila Filippov et qui taient connus sous le nom deKhlysty, un nom driv de Khylstovschchina, la Foi du Christ . Ils taient aussiappels les Hommes de Dieu , cause de leur asctisme bien-connu, de leurs jenes,de leurs actes de pnitence et des souffrances incroyables quils enduraient.

    Les Khlysty, comme beaucoup de mystiques orientaux et comme les bogomiles gnostiquesdu XXme sicle, divisaient le monde entre lesprit et la chair, le bien et le mal.Lhomme primordial tait originellement un tre spirituel androgyne, mais le Malin causasa chute, le faisant devenir physique, mortel et sexu. De mme, cause de la chute,la Terre originellement spirituelle devint dense, matrielle et corrompue, soumise audclin et la mort. Un vieux texte religieux slave apocryphe raconte comment Satan fitsigner un pacte A dam, puisque la Terre est le domaine du Malin, et daprs ce contratA dam et ses descendants lui appartiennent jusqu la venue du Christ. Les symboles de

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    lHomme androgyne et de la Terre vierge, tous deux dchus pour tre restaurs, sontessentiels dans le rituel et la doctrine des Khlysty, comme nous le verrons plus loin.

    Lidentification par les Khlysty de la Terre-Mre avec la Sainte Vierge Marie estaussi inspire de la relation mystique des Russes avec la terre. Les Slaves orientauxvoyaient la Terre non tant dans sa condition matrielle (dchue), mais comme le mondecleste qui se refltait en elle ou travers elle. Comme lexplique un auteur : Lesecret de la gographie russe consiste dans le fait que ce que le Russe reoit de laterre, cest la lumire qui a dabord t transmise la terre et qui sen reflteensuite. A insi le Russe reoit vraiment de la terre ce qui scoule sur elle partirde rgions extrieures. Le Russe aime sa terre, mais il laime parce que pour lui elleest un reflet des cieux. [3]

    la manire des mystiques orientaux, Danila Filippov prchait la pauvret, lhumi-lit, la pnitence et la prire, comme faisant partie du chemin vers la theosis. Toutcomme les bogomiles ( bien-aims de Dieu ), il dconseillait le mariage et appelaitses adeptes sabstenir de toute viande, cause de son origine par la copulation. Lal-cool devait aussi tre vit. Si lun de ses convertis se trouvait tre mari, il devaitse sparer de sa femme incroyante, et ses enfants devaient tre appels des pchs .Les femmes acquises avant de rejoindre la communaut khlysty taient appeles cadeauxdu diable . Les nouveaux convertis se voyaient assigns des partenaires spirituels etsils pouvaient dormir ensemble, il ne devait y avoir aucune relation charnelle. Filippovtablit un livre dinstruction appel le Livre de la Colombe, la colombe tant le sym-bole dans lvangile de la descente du Christ sur Jsus lors de son baptme.

    A ujourdhui les Khlysty sont surtout clbres pour la manire dont ils clbrent leurculte. En tant que mouvement clandestin perscut, ils se runissaient surtout la nuitet dans le plus grand secret. Ils se rassemblaient dans de grandes pices simples dotesde grands bancs de chaque cot. A u centre se trouvait une table de bois sur laquelletaient places des tranches de pain et des cruches deau. Ils se rencontraient parfoisdans une clairire claire par des centaines de bougies. A prs que tous les membres sesoient rassembls et que les portes aient t fermes, ils enlevaient leurs chaussureset leurs manteaux pour rester en robes blanches flottantes. Chaque membre portait unsimple mouchoir blanc.

    Les runions taient prsides par un Christ ou une Mre de Dieu . Certainsspcialistes se demandent si ces titres ne viennent pas de ceux qui taient utilisspar les adeptes essniens et nazarens de Jsus. Des noms comme Christ, Marie et Josephtaient souvent utiliss par les membres pour reprsenter les personnages des commu-nauts essniennes et nazarennes. Lusage du terme Christ par les Khlysty tmoignaitaussi de leur croyance que lesprit du Christ navait pas quitt la terre aprs la cru-cifixion de Jsus, mais quil stait incarn dans divers individus ayant ralis Dieuen eux-mmes. Mre de Dieu correspondait la Terre-Mre qui, comme A dam, avait chutdans la matire. La vierge primordiale tait suppose avoir t spirituelle et threavant lattaque de Satan.

    Habituellement, la runion souvrait avec la prire suivante, appele Prirede Jsus :

    Donne-nous, Seigneur,Jsus-Christ !Donne-nous, Fils de Dieu,La Lumire : aie piti de nous !Souverain, Saint Esprit,A ie piti de nous.Souveraine, notre petite Mre !A ppelle la Lumire pour nous,La Lumire, ton Fils,LEsprit de Dieu, le Saint !Lumire, par toi sont rachets

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    Beaucoup de pcheurs sur la Terre,Sur la petite Mre, sur notre Reine,Lumire, sur elle qui nous chrit.

    A prs un bref sermon, les membres commenaient chanter des hymnes. Un baquet deautait gnralement chauff sur un feu. Quand leau commenait bouillir, ceux qui sou-haitaient recevoir les dons du Saint Esprit et incarner le Christ les porteurs deChrist joignaient les mains et dansaient en cercle. Quand le service atteignait sonapoge, les hymnes devenaient de plus en plus forts et la danse de plus en plus exta-tique. Certains auteurs disent que de jeunes vierges vtues de robes blanches fouettaientles danseurs avec des branchages. Les clbrants atteignaient un tat divresse spiri-tuelle. Ils se dtachaient du cercle et tombaient en transe. Dans cet tat d ivressedivine , les gens tombaient souvent sur le sol, parlaient dans des langues inconnues,et atteignaient lextase corporelle. A prs la crmonie, les clbrants avaient le pou-voir de gurir les malades, de prophtiser, et de chasser les dmons.

    Le mtaphysicien italien Julius Evola donne la description suivante, lgrement dif-frente, dune crmonie khlysty : La prmisse dogmatique de la secte est que lhommeest potentiellement Dieu. En dveloppant la conscience de cela, il peut tre Dieu defait, prenant en lui-mme la nature du Christ (do vient le nom de la secte) si cestun homme, ou celle de la Vierge si cest une femme, par la descente transfigurante duSaint Esprit, provoque par la clbration dun rite de minuit secret. Les participants,hommes et femmes, ne portent quun vtement blanc sur une nudit rituelle complte. Enprononant des invocations, ils commencent danser en cercle. Les hommes forment uncercle au milieu qui tourne avec rapidit dans le sens de la marche du soleil, pendantque les femmes forment dabord un cercle extrieur et tournent dans le sens oppos dela marche du soleil (une rfrence rituelle la polarit cosmique observe par lessexes). Le mouvement devient de plus en plus sauvage et tourdissant jusqu ce que cer-tains des participants quittent le cercle et commencent danser seuls, comme lesvertiginatores antiques et les derviches arabes, si rapidement, dit-on, que parfoisleurs figures ne peuvent plus tre distingues pendant quils tombent et se relvent(la danse comme technique dextase). Leur frnsie devient contagieuse. Pour accrotreleur exaltation, les hommes et les femmes se fouettent les uns les autres (la douleurtant un facteur rotique et extatique). A u sommet de cette exaltation, la transforma-tion intrieure, la descente immanente invoque du Saint Esprit commence sannoncer.A ce moment, les hommes et les femmes se dbarrassent de leurs vtements rituels blancset copulent dune manire immorale ; la conduite de lexprience sexuelle et le trau-matisme du cot portent le rite sa plus extrme intensit. [4]

    Evola relate laccusation souvent rpte, faite par leurs ennemis orthodoxes, queces crmonies secrtes sachevaient toujours par une orgie sexuelle effrne. Ou commele dit un auteur, les Khlysty sengageaient dans une sorte de rite des lucerna extincta[extinction des feux], au cours duquel les hommes et les femmes avaient des relations,[incluant] des relations homosexuelles , pour atteindre un tat de conscience altre.Un rcit plus fiable et moins sensationnel est donn par le spcialiste de Cambridge,Frederick Conybeare, dans son livre Russian Dissenters. Conybeare, en fait, dcouvritpeu de preuves dorgies sexuelles sauvages parmi les Khlysty. James Webb, un chercheurmticuleux, conclut : les Khlysty taient supposs se livrer une licence sexuelledbride ; pourtant il y a peu de preuves quils le faisaient rellement, en-dehors desaccusations de leurs ennemis [5].

    Cependant, il peut tre utile ce moment dexplorer la base de ces accusations. Noussavons que les Khlysty rpudiaient le mariage, ddaignant ouvertement la vie familialeconventionnelle. Evola admet que dans cette secte, le sexe est svrement restreint cet usage rituel et extatique ; tous autres gards la secte professe un asctismerigide et condamne lamour charnel et mme le mariage lui-mme [6]. Comment naquirentdonc les rumeurs dorgies sauvages ?

    Les relations sexuelles, pour la majorit des gens, sont lies au besoin biologiquede se reproduire, ainsi quau dsir humain dintimit. Le mariage est une institution

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    sociale. Lascte, qui abandonne lappartenance au monde normal, renonce la familleet aux liens sociaux par respect envers le transcendant Royaume de Dieu. Le besoinnaturel de procrer est, comme la mort, un rsultat de la Chute. Le vritable ascte nesupprime pas ce besoin biologique mais le matrise et le transmute. Il ou elle redirigelnergie sexuelle loin des plaisirs fugaces et de la procration, et loriente vers laqute mystique de lunion avec Dieu. La recherche de lamour humain et de lintimitest annihile dans lamour consumant tout du mystique pour lEternel. Cest pourquoi ondit que le vrai mystique est toujours lamant la recherche de la Bien-aime.

    A yant atteint ltat de Christ, lunit avec la Bien-aime divine, lascte khlysttait libr des lois morales et des conventions sociales. Ils taient comme Jsus-Christqui contrevenait ouvertement la loi mosaque du shabbat et qui montrait son ddain delautorit pharisaque. Celui qui sunit au Christ infini na pas besoin de lois puri-taines rglementant des actions humaines dtermines. La ralisation de Dieu,lillumination divine, emmne celui qui ne vit pas dans le monde terrestre au-del detoutes les normes acceptes. Ceci est illustr par le rsultat dune enqute mene auXVIIIme sicle sur un scandale li un couvent dominicain.

    Les nonnes de Sainte Catherine de Prato connurent une telle irruption du Saint Espritquelles dclarrent ouvertement leur unit essentielle avec Dieu. Lors de lenqutepapale officielle, lune des nonnes expliqua sa ralisation intrieure du divin : Ilsuffit dlever son esprit vers Dieu et ensuite aucune action, quelle quelle soit, nestun pch. Lamour de Dieu et de son prochain sont les seuls commandements. Lhomme quisunit Dieu au moyen des femmes satisfait les deux commandements. Le fait aussi celuiqui, levant son esprit vers Dieu, a du plaisir avec une personne du mme sexe ou bientout seul. En faisant cela, ce que nous appelons erronment impur est en fait de lapuret ordonne par Dieu, sans laquelle lhomme ne peut parvenir la connaissance deLui. [7]

    Il nest pas difficile de voir que les relations sexuelles vitant le risque deconception pouvaient devenir des actes sacrs dans les communauts khlysty. En effet, toutes les poques, dans toutes les cultures et toutes les religions, nous rencon-trons lide mystique selon laquelle lidentification et lunion avec la dit librelascte des rgles qui simposent aux hommes charnels ordinaires. Remplis par le SaintEsprit, leurs corps de chair transforms, ils ne peuvent commettre aucun pch corporel.La rpression sexuelle est hors de question puisquelle ne sert qu nourrir un ds-quilibre dangereux et une nvrose. A insi le sexe non-reproductif strictement contrlpeut tre approuv par le rituel, purifi et transform en une intense treinte de Dieu.Dans lEurope occidentale du Moyen-ge, les Frres du Saint Esprit dmontrrent lesvertus transcendantes de ce sexe sacr, de la nudit, et mprisaient toutes les conven-tions humaines.

    Lallgation dorgies homosexuelles porte contre les Khlysty par leurs ennemis igno-rants peut aussi tre comprise la lumire de la sanctification et de la transmutationde la sexualit. Lhomosexualit est strictement interdite par la loi religieuse danslislam, de mme que dans le judo-christianisme orthodoxe. Pourtant on dit que le soufimusulman, Sheikh A bou Khulman al-Dimechki, approuvait lhomosexualit pour raisons spi-rituelles. Le clbre orientaliste A lain Danilou dit que pour les moines shivates, quicomme les Khlysty, renoncent au mariage et aux enfants, les relations entre personnesdu mme sexe sont toujours prfrables et trs largement pratiques .

    Danilou continue en expliquant : Ce lien entre lhomosexualit et la vie monas-tique et spirituelle, comme la valeur sacre de ce genre de relations, est connu detoutes les religions. La psychose anti-homosexuelle du monde judo-chrtien, sous lecouvert dune conception arbitraire de la morale, a servi de prtexte la perscutionde nombreux mouvements de caractre mystique qui gnaient les ambitions matrielles desglises. Une relation sexuelle permet cette plnitude dans les rapports du matre et dudisciple grce laquelle lpanouissement du corps mne lennoblissement de lme etaux plus hautes vertus morales. Labstinence sexuelle, qui fait partie des techniquesdu yoga, na de valeur que si lnergie vitale est rellement employe, laide dexer-

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    cices physiques et mentaux complexes, pour dvelopper les pouvoirs intellectuels etspirituels de lhomme. [8]

    Les observations de Danilou sur les asctes shivates peuvent expliquer les suppo-ses relations homosexuelles entre les anciens et les initis chez les Khlysty. Ce quiest punissable de mort dans la vieille Loi Mosaque et interdit par lglise tablieconcerne exclusivement le niveau humain terrestre. De telles actions peuvent tre sanc-tifies par llvation vers le niveau mtaphysique sublime. Ce qui est interdit dansle monde dchu de la chair dans le Temps est permis au ciel, le monde de lesprit,le royaume au-dessus du Temps. La seule vraie union damour a lieu, non pas entre destres mortels dans ce monde matriel dillusion, mais sur le plan spirituel, entre lmehumaine (lamant) et le divin (la Bien-aime). Vu depuis cette position dasctismeradical, tout amour sexuel goste et prohibitif, si clairement manifeste dans le mariageterrestre et le couple humain, est en ralit de la fornication spirituelle, de ladul-tre, et mme de lidoltrie ! Quant rpression et la chastet simule, elles nepeuvent constituer que le pire pch dorgueil .

    Le moine fou Raspoutine

    La vie extraordinaire de Grigori Efimovich Raspoutine (1871-1916), qui avait t untudiant des Khlysty mais qui navait jamais t initi, est digne dintrt en ce quiconcerne ce courant mystique clandestin. Ctait une tradition spirituelle radicaletotalement subversive vis--vis des sacro-saintes institutions de la socit, et pour-tant compltement irrfutable et libratrice. Le moine fou russe Raspoutine rencontrapour la premire fois des membres des Khlysty au monastre orthodoxe de Verkhotourye,o ils avaient trouv refuge. De ces hommes de Dieu, il apprit quaprs une priode das-ctisme, dtude, de pnitence et de prire, il tait possible de sunir la naturemme du Christ.

    Raspoutine fut probablement initi la croyance selon laquelle le pch, en parti-culier ce que lglise considrait comme des pchs sexuels , pouvait en fait treutilis pour chasser le pch. On dit quil avait fait de cette doctrine le fondementde ce quil appelait la sainte absence de passion , un tat dunion avec Dieu quitait atteint par lpuisement sexuel qui survenait aprs des rencontres sexuelles pro-longes.

    Raspoutine disait, parat-il, que sa mission tait de vous apporter la voix de notresainte Terre Mre et de vous enseigner le secret bni quelle ma transmis concernantla sanctification par le pch . Dans son essence, cela signifiait que lexpriencedbride du sexe dpourvu de luxure, de dsir et dattachement tait un type de mortification asctique capable de favoriser la recherche de la mort mystique duMoi infrieur ou ego. En crucifiant la chair par lpuisement sexuel, lesprit sunis-sait la Bien-aime divine. Le pch apparent de lacte tait aboli dans latransformation de lindividu. ce niveau, de simples actes sexuels se transformaienten rituel sacr quand le clbrant tait sanctifi par le pch , libr du faux mora-lisme. Une telle sainte absence de passion est aussi une technique prcise poursacrifier le Moi infrieur et dtruire la fiert de lego individuel. Dans une socitpharisaque, hypocrite et moraliste, cela sert attirer lopprobre public, instillantainsi une profonde humilit. Il ny a pas de doute que le comportement de Raspoutine rel ou imaginaire choquait et outrageait la bourgeoisie de la Russie. Mais mme entant conscient de la doctrine de Raspoutine, on ne peut pas attacher trop dimportance ses orgies sauvages allgues, puisque les preuves manquent, et que la plupart desaccusations venaient de ses ennemis.

    A prs son passage dans les Khlysty, Raspoutine revint dans son village pour annoncerquil avait subi une renaissance spirituelle. A ttirant quelques adeptes locaux, ilconstruisit une petite chapelle pour les dvotions religieuses. Un jour Raspoutine eutune vision de la Vierge Marie qui lui dit dadopter la vie dun saint homme errant. Quit-tant son village natal, il parcourut plus de trois mille kilomtres, terminant son

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    plerinage en Grce, au monastre du Mont A thos. Lorsquil revint finalement chez lui,deux ans plus tard, ctait un autre homme, mettant un puissant magntisme.

    Quand Raspoutine arriva dans la ville russe de Saint-Ptersbourg en 1903, il avaitdj la rputation dtre un gurisseur par la foi, manifestant les dons du Saint Esprit.Il sagenouillait cot du lit des malades et priait. Souvent, aprs quil ait pos samain sur lendroit malade, ils recouvraient la sant. Grigori Raspoutine, le paysandevenu gurisseur errant, disait toujours quil ntait quun instrument du Christ. A ucours de son errance, Raspoutine reut la bndiction du Pre Jean de Kronstadt, un saintorthodoxe vivant. A prs avoir rencontr Raspoutine, plusieurs vques de lglise ortho-doxe furent impressionns par son vidente spiritualit. Lune de ses biographiesimpartiales note que Raspoutine navait vraiment rien dun charlatan. Ctait un mys-tique religieux du mme type que Boehme ou Saint-Martin. Durant toute sa vie ilredistribua les considrables sommes dargent qui lui avaient t donnes par des admi-rateurs [9].

    Larchimandrite orthodoxe Thophane, un confesseur personnel de la famille royalerusse, dit au tsar Nicolas et la tsarine A lexandra : Grigori Efimovich est un paysan,un homme du peuple. Vos Majests feront bien de lentendre, car cest la voix du solrusse qui parle travers lui. Je connais ses pchs, qui sont innombrables, et la plu-part dentre eux sont odieux. Mais il y a en lui une passion de repentance si profondeet une confiance si absolue dans la piti divine que je garantirais presque son salutternel. Chaque fois quil se repend, il est pur comme lenfant lav dans les eaux dubaptme. Manifestement, Dieu la appel pour tre lun de Ses lus.

    En octobre 1905, le tsar Nicolas crivit dans son journal : A ujourdhui nous avonsfait la connaissance de Grigori, un homme de Dieu, venu de la Province de Tobolsk .Raspoutine devint bientt troitement associ la famille impriale russe, utilisantses pouvoirs de gurisseur pour soigner le fils hmophile du tsar. Les dons de gurisonde Raspoutine convainquirent la tsarine A lexandra quil tait un vrai saint homme et larponse ses prires. Son proche engagement auprs du tsar valut Raspoutine de nom-breux ennemis, qui attribuaient les maux de la Russie au Fou de Dieu . Ils accusaientRaspoutine dtre un comploteur politique diabolique, qui utilisait son patronage royalau profit de ses amis sans scrupules. Mais il ny a pas dindications ou de preuves tan-gibles, comme pour la plupart des rumeurs et des accusations scandaleuses qui sontaujourdhui presque synonymes du nom de Raspoutine.

    Leonard George raconte les tranges circonstances du meurtre de Raspoutine : La mortde Raspoutine fut aussi remarquable que sa vie. En 1916, le prince Flix Youssoupovdcida de dbarrasser la Russie du moine fou. Une nuit, le prince Youssoupov invitaRaspoutine son palais pour une fte prive. On servit Raspoutine des gteaux au cya-nure et du vin empoisonn, mais, la stupfaction de son hte, il nen fut pas affect,et suggra de sortir et daller inviter quelques tziganes pour la fte. Youssoupov tiraalors une balle dans la nuque de Raspoutine, qui seffondra. Quand le prince revint uneminute plus tard avec des complices pour emmener le corps, Raspoutine tait en train decourir autour du palais, essayant de trouver une porte non-verrouille pour pouvoir sen-fuir. A prs avoir reu plusieurs autres balles, Raspoutine enfona une porte ferme etsenfuit du palais. Il fallut encore un autre coup de feu pour labattre. Il fut attachpuis jet dans une rivire gele, par un trou dans la glace. Plus tard, quand le corpsfut retrouv, on dcouvrit que Raspoutine tait encore vivant lorsquil avait t jetdans la rivire ; il avait russi librer lune de ses mains et tait mort gel enfaisant le signe de la croix. [10]

    Peu avant sa mort, Raspoutine avait crit au tsar, disant quil pensait quil pou-vait tre tu avant le 1er janvier 1917. Sil devait tre assassin par des aristocrates ce qui advint alors aucun des enfants ou relations du tsar ne resterait vivantpendant plus de deux ans . Raspoutine ne se trompait pas. Le tsar et toute sa famillefurent massacrs en 1918 : un autre exemple des dons prophtiques de Raspoutine. Lmi-nent matre spirituel Rudolf Steiner confia un ami en 1916, avant le meurtre deRaspoutine : Le monde de lesprit, lesprit du peuple russe, ne peut aujourdhui

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    uvrer qu travers lui [Raspoutine] et travers personne dautre . Encore aujourdhui,prs de cents ans aprs sa mort, il y a des croyants qui considrent Raspoutine commeun saint, et mme comme un Christ incarn, crucifi par les forces obscures .

    En 1880, les Vieux-croyants russes taient peut-tre au nombre de 1,3 ou 1,4 million,et au dbut de la Rvolution, de quelque 2,5 millions. Le nombre des membres des Skoptsy,une scission des Khlysty, tait estim au moins cent mille. Tous taient les produitsde la tradition mystique clandestine de la Russie, un courant spirituel aussi loigndu matrialisme et du rationalisme de lOccident que de lintellectualisme et du dog-matisme thologiques troits. Pour un esprit occidental imprgn de dogmatisme et defroid rationalisme, ce qui peut apparatre comme une divergence dconcertante vis--visde la spculation spirituelle russe est vu comme une vertu par ceux qui sont accoutums lhistoire du christianisme byzantin. Comme Sergius Boulgakov lobserve dans son tudeLglise orthodoxe : On peut dire que dans la vie spirituelle, cette varit est laplus utile lorsquelle est la plus grande .

    Une telle attitude vient de ce que lglise orthodoxe est profondment conscientedtre issue de lglise apostolique de Jsus-Christ. Boulgakov dit : LOrthodoxienest pas lune des confessions historiques, cest lglise elle-mme, dans sa vrit.On peut mme ajouter quen devenant une confession, lOrthodoxie manque de manifestertoute sa force et toute sa gloire universelle ; elles se cachent, pourrait-on dire, dansles catacombes. [11]

    Les rformes hrtiques de Nikon, disent les Vieux-croyants, ont en fait trahi lerayonnement apostolique de lglise et ont transform celle-ci en une simple confessionchrtienne de plus.

    La spiritualit paenne slave se fondit lentement dans les mystres sotriques delglise orientale, modele par le gnosticisme, et fortement influence par limmmo-riale sagesse de la Grce, de la Perse et de lgypte. Voici une tradition spirituelledfinissable, issue des anciennes terres dgypte, de Perse, de Grce et de Palestine,qui spanouit dans le mysticisme asctique du christianisme byzantin, et qui en pas-sant en Russie senracina dans lme paenne des Slaves de lEst. Les monastresorthodoxes de la Russie devinrent son refuge, jusqu ce quelle ressorte plus tard dansles sectes dissidentes des Vieux-croyants, des Khlysty, des Skoptsy, et des innombra-bles saints hommes errants, les moines fous , les fous de Dieu .

    Ces dissidents radicaux forment les vrais Hommes de Dieu, ceux qui parcourent lemonde en suivant les traces du grand dissident Jsus le Christ et de ses douzeadeptes. En Russie, les saints hommes de lInde et les sages soufis musulmans rencon-traient la mme sensibilit envers la divine Bien-aime. Le matre soufi Inayat Khancrivit dans ses Confessions que durant sa visite en Russie il dcouvrit ce typeoriental de pratique qui est naturel la nation .

    A mour et extase

    Le Chemin du Christ est encore cach et ne peut pas tre trouv dans les limitestroites de la science rationaliste ou des dbats thologiques modernes. Il ne peut pasnon plus tre dcouvert dans une terne relecture littrale des anciens livres sacrs,ni dans le puritanisme rempli de vanit. Le Christ rvler doit dabord tre connudans les profondeurs de ltre intrieur de chacun. La voie du Christ est toujours lamme. veil, discipline, illumination, abandon de soi, et union, voil ses mots de passeuniversels. Cest seulement travers la vraie recherche quon peut le trouver. Cetterecherche exige labandon des attachements et des dsirs de la vie temporelle, et trans-cende les illusions de lexistence matrielle. Le christianisme exotrique, quil soitorthodoxe ou catholique romain, a perdu de vue le vrai Christ. En prfrant lodieuxdogmatisme et le pouvoir linitiation, au mystre, au rituel et lexprience derecherche de Dieu, ils ont abandonn la Sagesse Divine. Pour citer le philosophe russeNicolas Berdiaev : Qui croit en la force de lesprit ? Les chrtiens ? La vrit doittre dite : lcrasante majorit des gens, et parmi eux les chrtiens, sont des mat-

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    rialistes. Des matrialistes, remarquez bien, non pas dans leur doctrine, mais dans leurvie [12].

    Dans notre ge moderne clair , toute discussion sur la spiritualit authentiqueest vue par les gens comme, au mieux, de la btise nave ou, au pire, de la folie extr-mement dangereuse. Sil y a encore largement assez de place dans le monde pour lecharlatanisme grossier, le fondamentalisme ignorant et la spculation sans fin sur lesvnements paranormaux, la Tradition Gnostique radicale comme elle est ne peut pastre accepte. Parler de matrise de soi et pratiquer un parfait asctisme est ridicu-lis comme quelque chose de dsesprment dmod . Le monde capitaliste, se vantantde sa technologie odieuse, demande des fast-foods spirituels et un salut instantan. Lestats-Unis, un hybride perturb dhumanisme franc-maon et de fondamentalisme puritain,bti sur le gnocide gratuit de la spiritualit indigne, forment maintenant un vri-table supermarch du salut. Un supermarch vendant tous les acheteurs ses mauvaisproduits avec la promesse dun salut facile et immdiat, et donc dpourvu de sens. Est-ce une surprise que le capitalisme fasse alliance avec le ressentiment spirituellementstrile, connu sous le nom de protestantisme vanglique ?

    Le prophte, pote et martyr russe Nikola Kliuev (1887-1937) incorpora les ides desKhlysty dans sa posie visionnaire. Sinspirant de limagerie paysanne russe indigne,il crivit dans une lettre une amie : Chaque jour je vais dans les bois et jemassois cot dune petite chapelle, et dun pin vnrable, juste devant moi et jepense toi. Jembrasse tes yeux et ton cur. O, Mre Nature ! Paradis de lesprit. Com-bien haineux et sombre semble tre le soi-disant monde civilis et que ne donnerais-jepas, quel Golgotha ne supporterais-je pas, pour que lA mrique nempite pas sur laubeaux plumes bleues au-dessus de la cabane de conte de fes.

    Le christianisme occidental, qui a fait tourdiment cadeau toute la plante durationalisme, du matrialisme, dun vain humanisme sentimental, et de la civilisationtechnologique, a toujours vnr la force matrielle. Toute lhistoire de la chrtientoccidentale est une lutte pour le pouvoir politique et la domination. Les mes hroquesqui se levrent pour porter la bannire du Christ gnostique furent impitoyablement tra-ques et extermines. Le Vrai Dieu ne contraint personne, accordant lhomme la libertde le nier. Il dsire seulement une rponse libre. Le Christ gnostique prche la libertpour chaque individu de saccomplir en accord avec sa propre nature intrieure. Dans lemonde moderne, la religion sert les intrts de gens assoiffs de pouvoir qui cherchent imposer des dogmes absurdes et des commandements inhumains pour perptuer leurcontrle.

    la fin du XXme sicle, la chrtient est une simple coquille, habite par les plushorribles dmons de lA ntchrist. Cest pourquoi lhomme moderne lhomme occidental est tromp par son abondance et son progrs et confond ses moyens dexistence avecses fins. Il ne recherche plus les choses de lesprit. Son travail na pas de sens en-dehors de lacquisition dun gain matriel. La sparation de la pense davec le travail, crit le grand penseur russe Nicola Fedorovitch Fedorov, est le plus grand de tousles malheurs, incomparablement pire que la sparation entre riches et pauvres .

    Vassili Rozanov (1856-1919), le philosophe russe dont les crits explorent les liensentre la spiritualit chrtienne et la sexualit, dclara : Savez-vous, Europens, quelUnivers est dj transfigur ? Vos catgories dfinitives nexistent plus. O est lor-gueil ? LEurope est entirement faite dorgueil, lEurope est orgueilleuse, tout cequelle a cr vient de lorgueil. Ce nest pas ncessaire ! a ne lest plus. Le Ciel! Donnez-nous le ciel !

    Les mystiques et les gnostiques, les Templiers de toutes les poques, sont lavant-garde de la venue du millnaire Royaume de Dieu, o ils entrent dj lors de certainsmoments fugitifs. Le Chemin du Christ gnostique est toujours aventure et danger, paropposition au christianisme terne et suprmement terrestre. Dans cet ge moderne, lesHommes de Dieu appartiennent au pass et lavenir, mais pas au prsent ge sombre deconflits. Derrire nous se trouve le magnifique ge dor. Devant nous, un nouveau cycle,lge de vrit et de justice. Le paradis terrestre venir, ce que les Vieux-croyants

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    appellent Bielovodia. Le vrai royaume millnaire que les Slaves dvots connaissaientsous le nom de la cit mystique de Kitezh, qui comme Shambhala est dissimule aux yeuxde lhumanit vivant dans lge sombre. Mais lge dor ne peut venir quaprs la des-truction apocalyptique totale du prsent ge de chaos.

    Quest-ce que le chemin du Christ dans cet ge sombre de confusion ? Cest la raf-firmation des anciennes croyances et pratiques qui soulignent que les vrais hommes etfemmes sont potentiellement capables dincarner le Christ. Il ne recherche rien de moinsque la ralisation du Christ par la transfiguration du moi individuel, du Christ lui-mme, non par des commandements humains mis en son nom. Il ne contraint personne etveut que lhomme ait la libert de saccomplir selon sa nature. Cest une rvolte clan-destine contre la soi-disant civilisation, la pense rationnelle venimeuse, et ledogmatisme conformiste touffant. Cest la joyeuse clbration asctique de la recherchede Dieu, car le dsir est esclavage mais la joie est libration. Cest la sre certi-tude que cest seulement aprs lA pocalypse, avec la fin de la civilisation oppressivede lA ntchrist, que la Terre-Mre sera libre et que nous entrerons dans la cit deKitezh. Le chemin est tout cela, et rien de cela. Car il est au-dessus et contre letemps.

    Quelle est la relation entre le chemin du Christ gnostique et la chrtient, pour-rait-on se demander ? Ce chemin est la sagesse sotrique sans ge, ddaigne par ceuxqui sont tromps par le terrestre et le matriel, sagesse qui est au cur de toutes lesgrandes traditions spirituelles. Cest la chrtient qui sest loigne du message deJsus. Le chemin du Christ gnostique concerne la connaissance-exprience-union avec ladivine Bien-aime, au lieu dapprendre sur Dieu partir de sources de seconde main.Dans cet ge sombre de lA ntchrist, les prires, les rites et les disciplines spiri-tuelles dautres temps ne peuvent plus tre efficaces. La seule porte ouverte nousest celle de la recherche mystique de Dieu, par lamour et lextase. Par lannihilationdu Moi personnel limit dans la plus sublime union avec une ralit illimite plus pro-fonde. Le matre soufi Sheikh A bdullah A nsari crivit :

    O Seigneur, enivre-moi avec le vinDe ton A mour.Place les chanes de ton esclavageSur mes pieds ;Vide-moi de tout sauf de ton amour,Et en lui dtruis-moi et ramne-moi la vie.La faim que tu as veilleCulmine dans laccomplissement.

    notes1 - Mircea Eliade, Une histoire des ides religieuses, volume 3.2 - Denis lA ropagite, Thologie mystique I.3 - Sergei O. Prokofieff, The Spiritual Origins of Eastern Europe.4 - Julius Evola, Mtaphysique du sexe.5 - James Webb, The Occult Establishment.6 - Julius Evola, ibid.7 - A rthur A valon, Shakti and Shakta.8 - A lain Danilou, Le Btail des dieux (prface).9 - Colin Wilson, The Occult.10 - Leonard George, The Encyclopedia of Heresies and Heretics.11 - Sergius Bulgakov, The Orthodox Church.12 - Nicolas Berdiaev, Vers une Nouvelle Epoque.

    source : www.voxnr.com

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    LA METAPHYSIQUE DU NATIONAL-BOLCHEVISMEAlexandre Douguine

    1. Les ennemis de la socit ouverte

    Pour comprendre la cohrence philosophique de lidologie national-bolchevique quiexerce de plus en plus dinfluence sur la jeunesse contestataire et non-conformiste enEurope et surtout en Europe de lEst et en Russie, il faut absolument lire le livre fon-damental de Karl Popper La socit ouverte et ses ennemis . Cest ce livre et nonpas les crits de Niekisch, Oustryalov ou Thiriart qui aide le plus dgager les traitsessentiels de la thorie mtaphysique du courant en question.

    Les intrts des thoriciens mmes du national-bolchevisme historique se situaientplutt dans le domaine de la politique concrte, et les doctrines purement philosophiquesntaient pas suffisamment labores par eux.

    Popper a dvelopp de son cot la typologie fondamentale pour notre sujet. Selon lui,lhistoire de lhumanit et lhistoire des ides se divisent en deux moitis (ingales,dailleurs). Dun cot, il y a les partisans de la socit ouverte , qui reprsentepour lui la forme dexistence normale des individus rationnels (tels sont pour lui tousles hommes) qui basent leur comportement sur le calcul et la volont personnelle sup-pose libre. Lensemble de tels individus doit logiquement former la socit ouverte essentiellement non-totalitaire , tant donn quici manque dfinitivement lideunificatrice quelle quelle soit ou le systme de valeurs caractre collectiviste,supra-individuel ou non-individuel. La socit ouverte est ouverte prcisment parcette raison quelle ignore toutes les tlologies , tous les absolus , toutesles diffrences typologiques tablies, donc elle ignore toutes les limites qui relventdu domaine non-individuel et non-rationnel (supra-rationnel, a-rationnel ou irrationnel,ce dernier terme tant plus frquent chez Popper).

    Konstantin Yuon - A new planet - 1920

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    De lautre cot, il y a le camp idologique des ennemis de la socit ouverte oPopper inclut Hraclite, Platon, A ristote, les scolastiques, aussi que la philosophieallemande de Schlegel, Fichte, mais surtout Hegel et Marx. Karl Popper trace litin-raire de la pense de ces ennemis de la socit ouverte , montre lunit essentiellede leurs approches des problmes principaux et dgage la structure de leur Weltan-schauung commune dont les traits caractristiques sont la ngation de la valeurintrinsque de lindividu, do dcoule le mpris pour la rationalit autonome et latendance la soumission de lindividu et de sa raison aux valeurs non-individuelleset non-rationnelles , ce qui aboutit toujours et invitablement selon Popper lapo-logie de la dictature et du totalitarisme politiques. Popper arrive la conclusion queles ennemis de la socit ouverte dans le domaine philosophique ne sont que des cer-veaux mdiocres achets par les tyrans politiques et dont la clbrit est due lamanipulation par les responsables des rgimes totalitaires.

    Karl Popper dans son expos met les points sur les i , montrant clairement lunitmtaphysique profonde didologies apparemment contraires -- par exemple, le commu-nisme, le fascisme, le racisme, le conservatisme centraliste. Toutes sont unies par lerejet radical de la socit ouverte et des fondements anthropologiques et philoso-phiques sur lesquels celle-ci se base. Pour Popper, le totalitarisme de Stalinesexplique parfaitement par la doctrine de Marx qui est venue directement de Hegel qui son tour tait lhritier dA ristote, Platon et Hraclite, les fondateurs idologiques du parti de la guerre ternel. La mme voie est trace pour la gense du fascismeeuropen -- les mmes Hraclite, Platon, A ristote et Hegel. De Hegel, la ligne magis-trale passe non pas par Marx, mais par des hgliens de droite jusqu Stapel, Spengler,Gentile et le raciste Rosenberg.

    Evidemment, les communistes orthodoxes comme les reprsentants de lextrme-droiteconventionnelle (fasciste ou pas) sont toujours prts nier lanalyse de Popper en reje-tant ddaigneusement des rapprochements si scandaleux pour eux. Les marxistesconsidrent les hgliens de droite comme des ringards et des rcuprs par lesractionnaires. La droite rejette le marxisme comme un produit du complot subversif.

    Les nationaux-bolcheviques de leur cot acceptent absolument et sans rserve la visiondualiste de Popper et sont totalement daccord avec sa classification. Mais en revancheils se considrent eux-mmes comme les ennemis convaincus, conscients et rsolus de la socit ouverte . Toute la gnalogie de la pense du parti de la guerre , de Hra-clite Hegel et de lui directement Marx et Spengler, est lhritage lgitime desNB. Ils sont les no-hgliens qui refusent en mme temps la division entre hgliensde droite et de gauche. Ils rejettent dune manire absolue la socit ouverte etses fondements philosophiques -- cest--dire la primaut de lindividu, la valeur dela pense rationnelle, le libralisme progressif social, la dmocratie galitaristenumrique atomique, la critique libre, la Weltanschauung cartsienne / kantienne, breftoute la sparation insurmontable entre le sujet et lobjet -- ce fondement gnral phi-losophique de tous les humanistes et rationalistes.

    Ils revendiquent en revanche tout le contraire. Contre lidalisme subjectif (moralet irresponsable) et le matrialisme tout aussi subjectif (positiviste dans la science,pratique dans la vie quotidienne) qui sont les deux bases de la socit moderne laqueenracine dans les Lumires et la Rvolution Franaise, les NB affirment lidalismeobjectif (tatique, national, rvolutionnaire, communautaire) et le matrialismeobjectif (mobilisateur et raliste), en refusant en mme temps de faire un choix entreces derniers (surtout au niveau politique).

    Le principe philosophique premier des NB est le refus de Kant. Leur identit idolo-gique se dfinit par cette pierre dachoppement. Celui qui accepte la Weltanschauungcartsienne / kantienne, est par ce fait mme un ami de la socit ouverte . Tousles autres sont ses ennemis. Mais pour le NB, la grande erreur des droites et des gaucheshistoriques consiste tomber dans le pige du sectarisme, o lidentit vritable desennemis de la socit ouverte sexprime sous une forme aline et fracture, dans une

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    version sectaire qui provoque toujours la guerre civile fratricide entre les repr-sentants des deux branches de la mme Weltanschauung. Cest cause de cette ignorance, cause de limperfection de la conscience claire des racines profondes de leur proprepense, que les ennemis de gauche de la socit ouverte salliaient si souventavec les dfenseurs de cette socit, sous le prtexte superficiel du front communcontre la Droite . La mme remarque vaut pour les ennemis de droite de la socitouverte -- lidalisme subjectif de certains conservateurs (toujours libraux) lespoussait conclure des alliances contre-nature avec ces derniers [les dfenseurs de la socit ouverte ], se coupant ainsi de leurs racines vritables.

    2. Le Non-humain, lIrrationel, le Destin

    Popper montre dune manire convaincante que toutes les formes des doctrines idolo-giques des ennemis de la socit ouverte ont pour axe lide de lIrrationnel, cequi quivaut pour Popper au refus de considrer comme ralit primordiale la Raisonhumaine critique et les consquences humanistes de la doctrine philosophique kantienne.LIrrationnel est aussi lEssence, le But, le Destin. C'est quelque chose qui va contrela libert de chaque homme dtre un homme et rien d'autre. Pour Popper, cette libertconcentre en elle-mme toute la rationalit et sert de base la construction de la vri-table socit ouverte o il n'y aura aucune autre mesure que lHomme.

    Si les marxistes ou les conservateurs, pour justifier leurs positions idologiques,insistent sur la rationalit et lhumanisme de leurs ides, en essayant de rfuter lesaccusations des libraux positivistes comme Karl Popper, les NB cette fois encore accep-tent ses conclusions et reconnaissent volontiers lorientation a-rationnelle et mmenon-humaine de leur propre doctrine. Ici les ouvrages des traditionalistes comme JuliusEvola et Ren Gunon sont dune grande aide, parce que leurs tudes sur lessence non-humaine et supra-rationnelle de la Tradition dvoilent la vritable structure du Sacrqui inspire finalement toutes les tendances contraires la socit ouverte . Gunonest le point final du dveloppement historique de lidologie anti-humaniste et anti-moderne qui inspira toujours les conservateurs (ou plutt les rvolutionnairesconservateurs ) historiques partir de Platon. On ne peut tre plus droite queGunon qui rejette toute lpoque moderne comme une dviation totale et prvoit lebouleversement eschatologique et la fin du monde pour toute lhumanit, qui en construi-sant sa socit ouverte na construit en vrit rien dautre que lEnfer terrestre. Ce que Popper voulait extirper des textes de Hegel pour dmasquer son anti-humanismelatent, Gunon et Evola lcrivaient ouvertement noir sur blanc. Tout est l : lappelau facteur non-humain, le rejet total de la valeur de la raison et de lindividu, laf-firmation de lingalit naturelle des hommes, lappel la socit hirarchique, lareconnaissance du Destin invitable de la civilisation et du cours prdestin de lHis-toire, etc.

    Il est intressant dans ce contexte de mentionner le fait quEvola a influenc dansune certaine mesure le fascisme italien et quelque peu le national-socialisme allemand,tout en tant dans sa jeunesse lui-mme trs influenc par Hegel dont les traces seretrouvent facilement dans ses premiers livres philosophiques. Hglien tait aussiGentile, lautre thoricien du fascisme. Mais en suivant Gunon, Evola est all plusloin que Gentile ou les autres hgliens de droite, et est arriv aux formulationsextrmes des maximes traditionalistes.

    Quoiquil en soit, que les fascistes soient des ennemis de la socit ouverte est horsde doute, et le fait que leurs ides proviennent de la philosophie non-humaniste --classe ( juste titre) par Popper non-rationaliste (Hraclite, Platon, Hegel, Spen-gler etc.) -- est certain. Leur idalisme est toujours objectif -- chez eux lA tmanconcide toujours avec le Brahman , et le moi individuel se dissout dans le Soi non-individuel sous une forme ou une autre -- le mythe de la Nation, de lEglise, de lEtat,de la Race, de lEmpire, du Surhomme et de la Tradition. Le Noumne , le Ding-an-sich , est pour les fascistes le facteur concret et central de leur existence qui

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    sidentifie avec lessence noumnale par le fait hroque de laccomplissement du Destino lindividuel se fond dans lA bsolu. Lopration de transformation thurgique du Ding-an-sich en Ding-fr-sich , qui reprsente pour Hegel lessence du passagede la raison discursive lIntellect dialectique, est au centre de la praxis sp-cifiquement fasciste. Cette idalisme objectif et extrmiste crase, bien sr, le petit idalisme modr et subjectif des personnages de la socit ouverte dePopper, parce que la dynamique de la ralisation du Destin par chacun fait apparatreles diffrences hirarchiques ce qui provoque son tour la domination des forts surles faibles et des braves sur les timides, en limitant considrablement les libertsindividuelles et la porte des conclusions rationnelles des citoyens moyens .

    Le cas des communistes et des marxistes est un peu diffrent. La version marxiste dela doctrine hglienne propose une forme didalisme quelque peu particulier -- ayantpour axe la classe proltarienne et affirmant la Weltanschauung matrialiste. SelonPopper il s'agit de la mme tendance totalitaire, visible dj dans Hraclite et Platon,mais revtue dune nouvelle forme conceptuelle: le Destin universel (donc lessence)sidentifie au communisme, la dialectique du processus historique sexprime par lesrapports productifs, le sujet central de laccomplissement du Destin est le Soicollectif de la classe ouvrire, etc. En dautres termes, la structure de la doctrinenon-humaniste reste la mme, et derrire la diffrence du langage et la particularitdes accents transparaissent les traits du mme ennemi de la socit ouverte parce quele Soi collectif de la classe nest rien dautre que la nouvelle version de la castedominante ou de la contre-lite (selon Pareto) arrive au pouvoir par la voie rvolu-tionnaire et aussi parce que le matrialisme objectif totalitaire et universelcrase le petit matrialisme subjectif de lhomme moyen ( lhomme humanitaire ),en lobligeant renoncer ses intrts individuels au nom de lintrt collectif, aunom du Destin, au nom de la Cause (irrationnelle pour Popper). Lexprience de lURSSmontre que Popper avait absolument raison en considrant la doctrine communiste commeune doctrine irrationnelle et non-humaniste, parce que lEtat sovitique tait enralit une socit totalitaire totalement prive des aspects propres la socitouverte. Cette ressemblance du communisme marxiste avec le modle conu par le partide la guerre mta-historique ( la guerre -- selon Hraclite -- est la mre de touteschoses ) nest pas due seulement linfluence que Hegel a exerce sur le jeune Marx.Si on regarde de plus prs les doctrines des prdcesseurs de Marx -- les socialistesutopistes (Saint-Simon, Fourrier, Leroux, Cabet -- linventeur du terme communisme --, etc.), mais aussi ses parents lointains Tomaso Campanella, Giordano Bruno, ThomasMoore etc., on voit que les motifs purement irrationalistes, pleins de rminiscencesplatoniciennes et dappels eschatologiques / tlologiques sont abondants chez eux.Finalement le courant socialiste des origines tait un mouvement fortement spiritualisteet mme occultiste, et ce nest pas par hasard quon retrouve chez les penseursde lcole socialiste des noms comme Eliphas Levi, Fabre dOlivet, Saint-Yves dA l-veydre, etc.

    Les sources idologiques communes des fascistes et des communistes du XX sicle nese retrouvent pas seulement dans le cas de Hegel. Georges Sorel, Theodor Reuss, Vil-fredo Pareto, Proudhon, les illumins et les occultistes europens sont des noms quipeuvent tre revendiqus par les deux camps des ennemis de la socit ouverte . Cenest pas par hasard non plus que le matre spirituel de Ren Gunon tait Ivan A gueli,le socialiste sudois, et que son initiateur maonnique tait Theodor Reuss lui-mme,occultiste, Franc-maon, agent des services secrets allemands et idologue de lanar-chisme.

    Finalement la nature vritable du communisme -- mystique, irrationnelle et hroque-- tait mieux comprise par Popper que par les autres esprits occidentaux qui taienthypnotiss par le langage pseudo-humaniste de certains marxistes et par leurs appels lhritage de la Rvolution Franaise et des Lumires qui doivent tre compris dia-lectiquement comme la ngation de la ngation .

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    La nature de cette ralit non-humaine qui se trouve au centre des doctrines des ennemis de la socit ouverte et qui pousse les hommes raliser leur Destin mys-tique peut varier selon le cas. Parfois cest la Nation, parfois lEtat, parfoislEmpire, parfois la Justice, parfois la Classe, parfois la Foi. Les diffrences dansce camp-l peuvent tre trs grandes. Mais le fait reste quelles sont en mme tempsnulles par rapport la Grande Diffrence qui spare les ennemis de la socit ouverteen gnral de ses dfenseurs. On peut affirmer que on est prsent ici devant deux formesde la diffrence. Dun cot les idovariations , et de lautre cot les mixova-riations . Les doctrines des ennemis de la socit ouverte sont homognes sur le fondet proviennent toutes dune seule et mme source, tout en tant extrmement diffrentesentre elles. Les doctrines des dfenseurs de la socit ouverte , quelles quellessoient, restent pour eux toujours profondment trangres. Et cette dernire consid-ration explique pourquoi il y a des querelles si brutales et si puissantes au sein dunemme famille politique -- gauche ou droite. Sous les dnominations de Gauche et de Droite se cachent invariablement deux ralits idologiques htrognes et irr-conciliables -- celle provenant des amis de la socit ouverte ( gauche ce sontles sociaux-dmocrates, les dmocrates-chrtiens, les progressistes , les rfor-mistes, etc. ; droite ce sont les conservateurs classiques, les libraux, lesrpublicains, etc.) et celle provenant de ses ennemis ( gauche ce sont les anarchistes,les communistes et lextrme gauche; droite -- les fascistes, une certaine extrmedroite traditionaliste, etc.)

    Cela, Popper le comprend parfaitement quand il cite pour soutenir sa thse la cri-tique de Hegel par Schopenhauer qui, tout en tant droite politiquement peut quandmme tre inscrit dans le camp des dfenseurs de la socit ouverte tant son idalismeest subjectif et en cela, humain .

    3. La mtaphysique de la Nation

    La Nation est certes une ide moderne et il suffit de renvoyer le lecteur ce proposaux oeuvres de Julius Evola o cette thse est amplement dveloppe. Mais en mme temps,la conception de la Nation possde en soi une certaine dimension quEvola (et lestraditionalistes qui le suivaient) a mconnue. On peut dire que dans la Nation se sontconserves les dernires traces de ce que Ferdinand Tnnies appelait la Gemeins-chaft , cest--dire la communaut organique par opposition la socit atomique pure-ment numrique et profane. On peut affirmer que la Nation est la dernire forteresse dela communaut devant lexpansion progressive de la socit ( Gesellschaft ). On peutregarder lapparition des nations historiques de la gauche comme la transition de lordretraditionnel fodal et imprial lEtat bourgeois et profane. Mais en mme temps, vuede droite la Nation est la dernire limite qui spare la forme dexistence collectivequalitative de celle purement quantitative, dont la conception acheve est prsentedans le modle de lEtat Mondial et essentiellement supranational. La nation nest pasla communaut ethnique ou religieuse homogne et ne se fonde pas sur le systme descastes traditionnelles chres aux traditionalistes radicaux et aux ethnistes . Maiselle nest pas non plus un conglomrat dunits quantitatives qui se rassemblent dansun espace artificiellement construit et priv de toute direction intgrante --de toutDestin sauf lconomie fonde sur lidologie marchande et radicalement individualiste.

    A ujourd'hui il est vident que lEtat Mondial conu comme un March Mondial nest pasune perspective lointaine ou chimrique parce que cette doctrine librale devient peu peu lide gouvernante de notre civilisation. Et cela prsuppose la destruction finaledes nations comme tant des restes de lpoque passe, comme le dernier obstacle lex-pansion irrsistible du mondialisme. Mais la doctrine mondialiste est la forme parfaiteet acheve du modle de la socit ouverte . Pour les ennemis de cette socit, cestune raison pour soutenir tout ce qui va contre elle, en essayant paralllement de ramenerla conception utilise un niveau plus lev et plus radical, vers les cimes vertigi-neuses de lIrrationnel. La mtaphysique de la nation se fonde sur ce raisonnement.

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    Le nationalisme des NB est le nationalisme mystique qui affirme lexistence dun cer-tain tre non-individuel qui reprsente lessence du collectif national par del lestemps profanes. Herder crivait que les peuples sont les penses du Dieu . La doc-trine chrtienne des sources judaques affirme de son cot que tous les peuples ont unA nge pour centre, qui les guide et qui les illumine, dont les contours apparaissent dansle cours de lhistoire nationale. Pour justifier lidentification du peuple avec lanation on doit faire abstraction de la conception jacobine de lEtat-Nation dont lastructure est beaucoup plus profane que lide du peuple. Donc au niveau mtaphysiqueil est lgitime de considrer ltre de la nation comme lidentit de son A nge qui faitpartie de la hirarchie des pouvoirs clestes et ontologiques. De cela sensuit que laparticipation ltre de la nation pour chacun de ses membres quivaut son identi-fication effective (partielle, ou complte dans les cas extrmes) avec sa ralitontologique. En sunissant son peuple lhomme devient la pense de Dieu , sort desconditions individuelles, passe un nouveau degr de lexistence.

    LA nge du peuple, tant supra-rationnel, nest pas quelque chose de vague, de confus,dmotionnel. Cest la ralit intellectuelle qui montre ses traits sous lapparence dupass national, en se refltant dans les changements religieux, politiques, spatiaux etculturels dun et mme collectif organique. Mais sIl se montre travers tout cela, Ilne concide avec rien de tout cela. Ltre de la nation possde sa propre histoiresupra-rationnelle o cet tre ralise ses aspects diffrents dans des domaines sociauxdiffrents, ne sidentifiant jamais avec aucun institut religieux, politique ou culturelqui dailleurs proviennent de cet tre ou sont au moins profondment transforms parlui. Cest pourquoi on peut rationaliser cet A nge, obtenir une ide approximativede lui et non seulement sentir sa prsence dans lambiance nationale actuelle, passeou historique, mais essayer de le saisir intellectuellement.

    Jusqu une certaine priode la figure humaine et sociale la plus proche de la naturede cet Etre national tait le Roi , qui reprsentait la concentration ontologique deltre national dans lapparence dun homme qui tait en mme temps plus quun homme.Cet aspect se traduisait par le sacre du Roi dans les socits traditionnelles. Le Roiseul sidentifiait lA nge de la Nation dune manire personnelle et en quelque sorteindividuelle, le reste du peuple participait la mme ralit par lintermdiairedinstitutions diffrentes -- religieuses, politiques, juridiques, etc. Or, mme pourle citoyen moyen la possibilit de participation directe ltre de la Nation taitparfois ouverte dans les priodes critiques -- les hros nationaux de guerre -- ou parles voies de lascse personnelle -- les saints nationaux. A partir dun certain momentla structure sacre de la socit a t abolie et lidentification personnelle du Roiest devenu impossible. Mais ce fait na pas ananti ltre de la Nation, parce quilna pas dtruit la nation elle-mme. Cest la forme de la participation et de la ratio-nalisation qui a chang. Et quand lide de la nation devenait puissante et oprative,mme dans les socits laques et non-monarchiques la figure symbolique du PersonnageCentral de la nation, du Prince-A nge rapparaissait invariablement.

    La mtaphysique de la nation ne dpend pas des conditions historiques de tel ou telpeuple. Elle reste toujours prsente et inchangeable. Cest sur cette ide que les NBconstruisent leurs doctrines idologiques, par contraste avec les traditionalistes acadmiques ou pessimistes . La Rvolution nationale reste toujours possible jusqula mort dfinitive de la nation, jusqu lanantissement total du peuple. Et le fon-dement de cette Rvolution est la possibilit (thoriquement toujours ouverte) deraliser la nature ontologique de la nation dans lavant-garde nationale -- spirituelle,politique, idologique. Il ne sagit pas defforts purement humains, il sagit de la rsurrection de lA nge , du rveil de la force supra-humaine qui dort lintrieurdes peuples. Cest le rveil thurgique des puissances den haut par les puissances den bas . Cest la raison pour laquelle des milieux sotriques se trouvent inva-riablement au centre des mouvements nationalistes. Il suffit de rappeler le groupe URdEvola lui-mme ou les loges aryosophistes dans lA llemagne pr-nationale-socialiste.

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    La Rvolution Nationale prsuppose la ralisation de langlomorphose virtuelledont le porteur est chaque homme en tant que membre de la communaut organique. Donc onpeut parler ici de vritable mtaphysique, autant au niveau collectif quau niveau dela ralisation individuelle.

    4. La mtaphysique du bolchevisme

    Si la Nation est une ide seulement moderne , lide du bolchevisme doit treperue comme essentiellement anti-traditionnelle. Ctait d'ailleurs lavis de la majo-rit des traditionalistes. Mais malgr tout lopposition claire de la doctrinecommuniste par rapport la socit ouverte et lirrductibilit historique du commu-nisme sovitique au capitalisme (lchec reconnu des partisans de la thorie deconvergence) nous oblige faire une rvision svre de cette attitude anticommunisteclassique propre aux auteurs anti-modernes et anti-humanistes.

    Lexplication la plus simple de lutilisation du terme bolchevisme dans lappel-lation NB voque linfluence concrte du nationalisme russe exerce sur les idesmarxistes au cours de la Rvolution dOctobre. Grce aux tudes dA gursky ( Lido-logie du national-bolchevisme ), cette thse est aujourdhui hors de doute. Les mmesides taient dailleurs lances par laile gauche de la Rvolution Conservatrice alle-mande -- surtout Moeller van den Bruck et Niekisch. Mais cette considration historique(tout en tant vraie et juste) explique peu et rduit toute la valeur du terme bol-chevique la ralit du terme nation avec lattnuation rvolutionnaire etlapparence du radicalisme. Peut tre certaines gens se rclamant du NB sarrtent-ilseffectivement l. Mais tout cela na rien voir avec la vritable nature idologiqueet mtaphysique de la synthse nationale-bolchevique.

    On pose souvent la question: Le fascisme est-il de droite ou de gauche ? . Maispersonne notre connaissance na pos cette question: Le communisme est-il vraimentde gauche ? Cest tort quon ne le fait pas, car tout le monde reste sous lhypnosede la rhtorique des communistes eux-mmes. Lidal des marxistes de la branche hg-lienne ou marxistes-lninistes authentiques (non-rvisionnistes ou bernsteiniens) narien voir avec les valeurs humanistes et librales qui sont comme la marque caract-ristique de la gauche. La philosophie marxiste par ses origines hgliennes reste irrationnelle , totalitaire et se fonde sur la ngation totale (quoique dialec-tique) de ltat normal de lhumanit actuelle, dont la mentalit est juge (trs laHegel) quotidienne , fausse et destine tre anantie dans le processus de laRvolution Totale. Dans le communisme (sovitique ou non), le facteur non-humain se mani-feste dans une mesure mille fois plus grande que dans les expriences modestes dufascisme -- dans le domaine de la culture et dans le domaine social. Si on compare entreelles la socit fasciste et la socit communiste en essayant de mesurer o le degrmaximum dantithse par rapport la socit ouverte fut atteint, on arrive la conclu-sion que les communistes ont eu dans ce sens des succs incommensurablement plus grands.

    On doit chercher cette particularit du communisme dans les doctrines mmes de sesidologues -- Marx, Engels, Lnine, Trotsky, Luckacz, etc. Si on ignore le style pseudo-progressiste et pseudo-humaniste des discours des pres fondateurs du communisme, onaperoit clairement que leur Weltanschauung possdait toujours une dimension mystiquetrs forte, parce quils prvoyaient tous le changement radical de toutes les propor-tions anthropologiques, gnosologiques, et mme ontologiques au cours de la ralisationde ses projets rvolutionnaires. Derrire les calculs conomiques et les slogans prag-matiques se cache une doctrine purement eschatologique qui a pour centre laction globalethurgique comme accomplissement final de lhistoire humaine avec lavnement de lHommeNouveau (ce terme est essentiellement initiatique). Cette eschatologie communiste taittransparente chez les socialistes-utopistes, mais elle imprgne aussi fortement le rai-sonnement de Marx et de Lnine eux-mmes, quoique enveloppe dans le discourspseudo-scientifique et social. Donc on peut parler sans guillemets dune mtaphysiquecommuniste ou bolchevique.

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    Cette mtaphysique provient de lapplication de la doctrine de Hegel (qui est une doc-trine eschatologique lie cette fois lEtat et la Nation) au domaine de la pratiquematrielle et sociale. Mais lchange dun idalisme absolu et objectif contre un mat-rialisme tout aussi absolu et objectif ne touche pas le sens du systme idologique parceque lEsprit et la Matire sont deux concepts qui dans la philosophie moderne sontinterchangeables, surtout aprs la prcision apporte par Hegel au dbut de sa GrandeLogique que LEtre et le Nant ne font quune seule et mme chose . On peut consi-drer la matire comme lantithse de lEsprit, mais pour la dialectique la ngationest une action positive parce quelle complte la thse jusqu la plnitude parfaiteet synthtique. Dans cette optique, passer de la Matire lEsprit est trs facile,ayant en vue non les noms vulgaires utiliss par la conscience quotidienne , maisles conceptions mtaphysiques correspondantes. Pour ceux qui auront peut tre de la dif-ficult reconnatre ce fait on peut rappeler le cas de la Prakriti hindoue, uneconception quivalente lide de Premire Matire, mais dans lcole sotrique, ini-tiatique et yogique (donc authentiquement traditionnelle) de la Sankhya, cette Prakritiest considre comme le niveau le plus haut de la ralisation spirituelle en tant audel des trois mondes manifests, appartenant au domaine des Principes mtaphysiquesnon-manifests.

    La dialectique de Hegel, pleinement accepte par Marx et Lnine, reflte dans un lan-gage profane et trs souvent incorrect la structure de la doctrine initiatiquetraditionnelle.

    Cette doctrine qui se retrouve dans toutes les traditions sotriques affirme quaucommencement du monde se trouve le processus de lalination de lEtre Pur ou du Prin-cipe qui sort de son Unit. De cette alination naissent les tres secondaires dousde la conscience souffrante et de la nostalgie des origines. Grce au processus ini-tiatique, ces tres secondaires et spars du Principe, (alins, humilis et exploitspar le gouffre les sparant entre de lEtre Pur) restaurent leur condition primordiale,vainquent lalination, en niant la ngation, et arrivent ltat de plnitude escha-tologique tout en gardant conscience de lhistoire de leurs preuves dans le labyrinthede lalination. A partir de ce moment ils appartiennent au monde nouveau et sont eux-mmes les Hommes Nouveaux chez lesquels lobjectif et le subjectif concident.

    Ce scnario tait appliqu par Hegel aux ralits historiques en conformit avec lelangage habituel de son poque et de son milieu. Pour Hegel LIde A bsolue salineet devient lhistoire, en sidentifiant lEsprit du Monde (Weltgeist). Cest laphase qui correspond la chute des nergies divines dans les doctrines initiatiques.Par une opration dialectique (dont la phnomnologie -- dcrite par Hegel dans sa Phnomnologie de lEsprit -- rappelle trs vivement celle du changement de niveau,propre toute initiation, la sortie de la dualit de la conscience quotidienne ,donc essentiellement profane), les hommes arrivs une certaine priode historiquefinale changent le cours de lalination originale et transforment le Weltgeist (lEsprit du Monde) en Neue Geist (lEsprit Neuf -- ce terme est typique de la dsi-gnation de liniti), ce qui se reflte par lapparition du Regnum eschatologique,lEmpire des initis dont les conditions de vie ne seront plus celles du monde sparde la Source. Cest lide de la communaut anglique. Hegel voyait le germe de cetEmpire de la Fin dans lEtat Prussien, lEtat eschatologique par excellence, une sortede Troisime Rome ou de Troisime Reich .

    Les marxistes ont largi cette doctrine de lEtat Prussien eschatologique lhuma-nit toute entire, prnant la Rvolution Mondiale et identifiant la forme substantiellede lalination au systme capitaliste. Le processus initiatique qui chez Hegeldevait se drouler au niveau des intellectuels scientifiques prussiens au servicede la monarchie, tait dans le cas des marxistes transpos dans la politique activisteet a choisi pour instrument central la classe proltarienne identifie ltat-limitede lalination des tres secondaires (les nergies sorties de lA bsolu au commen-cement) qui logiquement devraient dornavant tre lavant-garde de la restaurationinitiatique des derniers qui deviennent les premiers . Llimination des bourgeois

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    et des autres classes exploiteuses avait ici une fonction de destruction des forces mys-tiques-sataniques qui servent souvent dobstacles linitiation par le fait mmequelles nient lalination, veulent tromper la conscience malheureuse par loc-cultation de la vrit de la Chute Originelle. Les idalistes subjectifs taientconsidrs par les marxistes-lninistes comme des ennemis gnosologiques encore piresque les capitalistes ou les gendarmes. Lacharnement mme des communistes contre cer-tains types de la philosophie -- surtout contre les no-kantiens -- montre parfaitement quel point ils taient conscients des fondements mtaphysiques de leur Weltanschauung.

    On peut citer ici aussi la vnration des communistes pour les cathares, GiordanoBruno, Campanella et les autres courants initiatiques et eschatologiques, une vnra-tion qui ne contredisait en rien leur matrialisme et leur athisme proclams. (Sur toutcela voire Norman Cohn, Les fanatiques de lA pocalypse et I. Schavarevitch, Lesocialisme comme phnomne de lhistoire mondiale -- deux auteurs se situant sur uneposition oppose celle du NB, mais donnant une analyse correcte du sujet en question.)

    Les NB revendiquent donc cet aspect du communisme, cette ncessit de linitiationradicale, en reconnaissant surtout chez les marxistes la volont de donner ce pro-cessus une dimension pratique totale et absolue dont les rsultats seront rels seulementdans la transfiguration de la matire elle-mme et des conditions cosmiques.

    Les hgliens de droite tombent souvent dans le pige de labstraction, du verbalisme,de limpuissance pratique. Plus que cela, chez Hegel lui-mme il y a des aspects sinis-tres o il prtend rsoudre certains problmes de nature initiatique dans des termesthiques, esthtiques ou culturels. Tout cela est le cot parodique de la doctrine hg-lienne, le cot qui a pouss Gunon appeler cette philosophie du satanismeinconscient . Les marxistes vitent cette forme de parodie, en sentant trs vivementla fausset de cette solution culturelle ou acadmique dun problme si primordial.Ils insistent sur la transfiguration concrte et palpable de la ralit par linterm-diaire des changements sociaux et le choix du facteur social dans leurs doctrines montreleur intuition profonde de la nature magique et sacre du pouvoir politique quiest intimement lie la qualit de lambiance cosmique elle-mme.

    De plus, les communistes ont identifi au systme capitaliste les agents duDmiurge , les forces rsistant laccomplissement de lutopie tlologique, et cestlidologie capitaliste fonde sur le principe de lindividualisme qui est pour lesauteurs traditionalistes eux aussi (pour Gunon notamment dans sa Crise du mondemoderne ) la forme extrme de la rgression cyclique de lhumanit.

    Evidemment les marxistes-lninistes ont eux aussi des aspects parodiques dans leurdiscours qui sajoutent aux slogans purement pragmatiques de leur lutte pour le pou-voir. Cela se manifeste surtout dans les phases qui suivent la prise du pouvoir o laferveur rvolutionnaire cde la place la bureaucratisation et lalination delidologie. Quand les communistes oprent dans les cadres lgitimes des socits bour-geoises ils courent le danger dtre imprgns par les lments de la Gauche progressisteet kantienne . De plus, les textes de Marx lui-mme prsentent des traces lamenta-bles de son contexte historique, bourrs de clichs humanistes et dexclamationspathtiques abusives.

    La mtaphysique du bolchevisme nest pas le communisme ou le marxisme dans leur formehistorique. Cest lhorizon transcendant de cette doctrine, la dimension cache et nonvidente pour la majorit. Plus que cela, cest dans le cadre des idologies extra-com-munistes que la prise de conscience de cette dimension est la plus facile et la plusprobable. Lidologie du NB est dans ce cas la seule qui non seulement cerne cet aspect,mais lassimile, le dveloppe et sidentifie avec lui dans toute sa plnitude mtaphy-sique, tandis que la comprhension de la nature profonde du communisme jusquelapparition du NB etait presque exclusivement laffaire des anticommunistes et seule-ment rarement de quelques communistes marginaux.

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    5. La trinit dialectique

    Lidologie NB a pour enjeu de purifier les doctrines historiques des nationalisteset des communistes des restes des prjugs htrognes provenant des confusions avec leslments subjectifs dus aux alliances contre-nature sous le signe de la Droite oude la Gauche. Le communisme des NB est absolument libre de connotations antifascistes et leur nationalisme est libre de connotations anticommunistes .

    Lide de la Rvolution proltaire se place dans lensemble concret de la Nation etlavnement de la formation communiste se concrtise par le retour des paradigmes duSacr, avec le rveil de lA nge national qui se cristallise dans la figure du Roi-Guide,Fhrer / Vojd / Duce, lHomme Nouveau par excellence. La transfiguration de la ralitsociale puis cosmique sera faite sans labolition des entits nationales sacres, maisen harmonie parfaite avec ses traits mtaphysiques particuliers. Leschatologie socialeet conomique des marxistes sera unie aux autres sortes deschatologie -- religieuse,raciale, gnosologique, tatique, nationale, etc., et le tout deviendra la synthseidologique universelle.

    Les seuls qui vont invitablement souffrir au cours de la ralisation du projet NBsont les amis de la socit ouverte , les hritiers de Descartes et de Kant, les poppriens de droite et de gauche, les libraux, les rationalistes, les hommes vieux tout court qui ne sont que les exploiteurs ontologiques et les valets du Dmiurge. Entant quhritiers vritables dHraclite, les NB apporteront le FEU sur la terre, etleur Cause irrationnelle humiliera la sagesse de ce monde, de la socit ouverte de cestres qui ne ressentent aucune nostalgie des Origines, aucune douleur existentielledtre spar de lEtre Pur, aucune soif dinitiation et de ralisation spirituelle.

    A u del de la gauche et de la droite, la Rvolution une et indivisible dans la tri-nit impossible qui unit dialectiquement Troisime Rome, Troisime Reich et TroisimeInternationale.

    Le Regnum des NB, leur Empire de la Fin, ces