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An Early Lace Workbook PREMIERES DENTELLES AUX FUSEAUX, UNE ETUDE Bobbin Lace Techniques before the Baroque TECHNIQUES DE DENTELLE AUX FUSEAUX AVANT LA PERIODE BAROQUE Rosemary Shepherd Traduction de la Partie I Réalisée par Josette Martin Favelier A la mémoire de notre amie Vibeke Ervø Lace Press Australia

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An Early Lace Workbook

PREMIERES DENTELLES AUX FUSEAUX, UNE ETUDE

Bobbin Lace Techniques before the Baroque

TECHNIQUES DE DENTELLE AUX FUSEAUX AVANT LA PERIODE BAROQUE

Rosemary Shepherd

Traduction de la Partie I

Réalisée par Josette Martin Favelier A la mémoire de notre amie Vibeke Ervø

Lace Press Australia

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Préface

Ce livre est le compte- rendu de mon voyage de dentellière, qui aura duré

presque 40 ans. Pendant toutes ces années, j’ai étudié les premières dentelles dans un grand nombre de collections en Australie et à l’étranger, et réalisé de nombreuses reconstructions. L’identification, dans les portraits, des passements qui pouvaient être soit de la dentelle aux fuseaux soit une des techniques antérieures, a ajouté une autre dimension à ma recherche et fourni des preuves par l’image de l’utilisation de la dentelle dans le costume. En outre, l’étude de livres de modèles du 16ème siècle m’a permis de faire la distinction entre les premières dentelles à usage domestique et les dentelles plus élaborées à la mode dans les années ultérieures.

Parce que l’accent a été mis sur la dentelle et sa fabrication, il n’est fait référence qu’en passant à de nombreux autres aspects de l’histoire de la dentelle, quand bien même ils m’ont apporté les données nécessaires à la recherche. Par exemple, la mode ne fait pas l’objet d’une étude spécifique, et il n’y a pas de référence directe aux premiers inventaires, aux contenus des trousseaux ni aux testaments. De même, je fais peu référence aux hommes et femmes du monde de la soie, qui, pourtant, jouèrent un rôle majeur dans la manufacture de toutes sortes de parements de soie et de fils métalliques, y compris ceux qui pouvaient préexister à la dentelle aux fuseaux. D’autres auteurs ont brillamment traité de tous ces sujets et certains sont référencés dans la bibliographie.

L’éloignement des sources d’information, la difficulté et le coût liés à l’obtention de matériau de référence depuis l’étranger, sont des handicaps évidents pour une historienne de la dentelle de ce côté-ci du monde, en particulier lorsqu’elle ne parle que l’Anglais. D’un autre côté, l’étude de la dentelle dans les nombreuses collections disponibles a développé mon attention pour le détail, ce qui ne serait pas arrivé si j’avais eu plus facilement accès aux informations écrites. Le fait que la recherche personnelle soit devenue une démarche nécessaire bien avant l’avènement d’Internet présentait un avantage supplémentaire.

Je sais surtout que cet ouvrage ne représente qu’une petite partie de l’histoire de la dentelle aux fuseaux. Il a été rédigé avec l’espoir que d’autres personnes seront encouragées à poursuivre leur propre recherche et participeront à la discussion sur les origines de la dentelle aux fuseaux et le développement des techniques. J’attends avec impatience des nouvelles de mes lectrices, ou lecteurs, tout particulièrement ceux qui détiennent des informations dans une autre langue que l’Anglais.

Rosemary Shepherd OAM Leura, Australia March 2009

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Introduction

Peu de temps après mes premiers cours de dentelle aux fuseaux en Angleterre en 1970, nous avons déménagé et je cessai d’avoir accès à l’enseignement. Quand nous avons ré-emménagé en Australie en 1975, j’avais encore de nombreuses questions restées sans réponses et plus personne à consulter. Puis je perçus mon isolement comme un avantage, en dépit des frustrations rencontrées. Ayant une expérience des différents textiles, dont le tissage, le sprang, la broderie et d’autres formes de dentelle, j’avais l’habitude de chercher des informations dans les livres et dans les musées, si bien que j’utilisai la même stratégie pour la dentelle aux fuseaux.

Mes questions les plus pressantes portaient sur le fil que j’utilisais ; mon professeur avait conseillé du fil à crocheter pour les premiers exercices mais le résultat ne me plaisait pas. Ma dentelle était lourde et le fil semblait dominer au lieu de se fondre dans le motif comme dans la dentelle ancienne.

Comme je voulais également comprendre ce qu’il advenait de chaque fil, je fis l’expérience avec les couleurs. Les résultats furent une révélation ; je comprenais mieux le processus et j’étais fascinée par les motifs que les fils de couleur faisaient dans la dentelle. Cette expérience influença ma façon d’enseigner aux débutantes et a eu un rôle majeur lorsque je faisais de la dentelle et aussi pour ma recherche. Depuis, bien entendu, j’ai appris que l’usage de la couleur dans l’enseignement était courant dans les écoles de dentelle européennes, il y a beaucoup à dire sur le fait qu’il faut faire ses propres découvertes.

Comme je disposais de fils à broder, j’eus recours au coton perlé pour mes premières expériences avec la couleur. Il était plaisant à travailler et j’avais remarqué que la torsion était différente de celle du fil à crocheter. C’est à ce moment que je pus acquérir un peu de fil de lin pour dentelle, et découvris qu’il avait la même torsion que le coton perlé, bien qu’il fût filé plus serré, et qu’il était merveilleux à travailler.

Lorsque je me mis au filage à la main, je compris ce qu’était la torsion du fil quand on en vient à la dentelle. Le fil tordu en S (coton perlé, lin, etc.) donne un meilleur résultat que le Z (par exemple les fils à crocheter ou à coudre), parce que le mouvement de torsion de la dentelle est dans la direction Z, pour tous les points sauf le mat. Par conséquent, au bout d’un moment, le fil est trop tordu et tend à se retordre sur lui-même, si bien que la dentelle n’a pas un

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aspect régulier. J’ai déjà parlé de ce sujet en 19811, et ce sujet, qui me préoccupe depuis, est le thème de la discussion sur le fil dans la Partie I.

Les premières expériences avec la couleur m’amenèrent à souhaiter en apprendre plus sur la structure des différentes dentelles aux fuseaux. J’empruntai tous les livres que je pouvais trouver à la bibliothèque locale (au début des années 1970, il n’y avait pas de nouveaux livres) et essayai de reproduire les dentelles anciennes-du moins des morceaux- à partir d’échantillons trouvés dans les ventes de charité. Lorsque je me mis à l’enseignement de la dentelle, j’encourageai mes élèves à faire la même chose pour apprendre la technique et le dessin. Ce procédé développa mes capacités d’analyse ; l’habitude que j’avais prise depuis longtemps de noter la construction, et l’aspect du fil me furent d’une grande utilité quand j’entrepris le catalogue de la collection de dentelles du Powerhouse Museum.

Je m’intéressai à la recherche historique pour la première fois en

découvrant l’ouvrage du Baron Alfred von Henneberg Art and Craft of Old Lace2 à la fin des années 1970. L’analyse de la structure de la dentelle de Von Henneberg et la qualité de ses diagrammes, étaient très en avance sur leur temps et m’apportaient tout particulièrement une connaissance de fond pour l’étude des techniques dentellières du 18ème siècle.

A mesure qu’augmentait ma curiosité pour la dentelle aux fuseaux, je tentais des reconstructions de dentelles de plus en plus anciennes. La période avant les années 1650 est dorénavant l’objet de ma recherche. Inutile de dire qu’il se trouve un nombre limité de ce type de dentelles en Australie, mais, au cours de la dernière décade, grâce à la générosité de collègues conservateurs ou chercheurs du monde entier, j’ai pu examiner et photographier plusieurs centaines de dentelles anciennes.

1 Parkin (now Shepherd) Rosemary; ‘Linen thread and Lacemaking’, Textile Fibre Forum,The Australian Forum for Textile Arts, Australia, Vol 1, no 2, 1981. 2 Batsford, London, 1931. Réimprimé par Lacis Publications, Berleley, California, in 1999.

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PARTIE I: DENTELLE AUX FUSEAUX- LES PREMIERES ANNEES

I - 1: L’apparition de la dentelle.

Il est généralement admis que la dentelle apparut pour la première fois comme article de haute mode au début du 16ème siècle, évoluant des simples techniques utilisées pour le décor du linge de maison et du mobilier. Le port de sous-vêtements de lin fin comme la chemise ou la camisole devint un indicateur de la richesse et du statut d’une personne, et à mesure qu’avançait le siècle, la décoration des parties visibles de ces vêtements devint de plus en plus importante. Assez rapidement, les cols, en particulier, devinrent si élaborés qu’ils furent conçus comme des vêtements à part entière. Au cours du règne d’Elizabeth I, ceux-ci se développèrent jusqu’à cet extraordinaire accessoire de mode que l’on appelle la fraise. La plupart des fraises étaient bordées de dentelle, parfois des dizaines de mètres, et si lourdement empesées qu’il semblait que la tête de celui qui l’arborait était présentée sur un plat. C’est sans doute cet accessoire spectaculaire qui contribua à faire de la dentelle l’embellissement indispensable à toute garde-robe à la mode.

Le développement de la dentelle à l’aiguille est relativement facile à suivre à partir des différents points de broderie découpée qui apparurent au début du 16ème siècle comme décoration des vêtements et accessoires de lin devenus à la mode.

Les savoir-faire féminins, depuis des siècles, ont inclus le filage, le tissage et la couture des textiles domestiques. Comme le lin, à cette époque, était souvent tissé en

petites largeurs, la plupart des femmes étaient capables d’assembler les lés de façon décorative afin d’obtenir des pièces plus larges comme des draps et des tentures de lits. Quand la mode exigeait quelque chose de plus élaboré, il suffisait de développer les savoir-faire existants. Les portraits et les journaux intimes de l’époque, les nombreux livres de modèles de travaux d’aiguille, à partir des années 1520, indiquent clairement que la broderie et la dentelle à l’aiguille étaient des passe-temps appréciés, voire essentiels pour les femmes bien éduquées. Le développement de la dentelle aux fuseaux n’est pas aussi connu, ni aussi documenté, mais elle a probablement été utilisée sur le linge de maison bien avant que la dentelle à l’aiguille ait émergé de la broderie. Les bordures qui peuvent être indéniablement identifiées comme dentelles aux fuseaux apparaissent dans les tableaux du milieu du 15ème siècle, mais les techniques avaient probablement apparu un peu avant. Les tresses, les franges et les « boucles » faits de soies de couleur et de fils de métal (qui apparaissaient sous le vocable général de passementerie) décoraient communément les coutures et les bords des lourdes robes au Moyen Age. Il y a peu de doute que nombre de ces bordures étaient tressées de manières variées, comme l’étaient les premières dentelles aux fuseaux. La possibilité qu’une forme de dentelle aux fuseaux ait existé dès le 15ème siècle

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soulève des questions sur la technique dont elle est issue, les matériaux et équipements utilisés et on peut se demander si les techniques étaient les mêmes que celles que nous utilisons aujourd’hui. En particulier, les mouvements de base étaient-ils exécutés de la même manière ? Si c’est le cas, est ce que cela désigne un seul lieu d’origine, étant donné que la direction des mouvements est identique dans tous les exemplaires qui ont survécu ? Une autre question est de savoir si la dentelle s’est développée directement à partir de la passementerie, ce qui est évident dans des tableaux aussi anciens que le milieu du 15ème siècle, ou si elle a subi une évolution complètement à part, à partir des entre- deux entre les coutures qui se sont développés à cette période ? Il existait des méthodes variées pour réaliser des tresses décoratives, ou des dentelles pour faire des liens, bien avant l’avènement de la dentelle aux fuseaux, telle que nous la connaissons. Pour bon nombre d’entre elles, on utilisait des fuseaux pour organiser et lester les fils, et ces méthodes sont toujours utilisées dans un grand nombre de pays européens, et bien entendu pour le kumihimo au Japon. D’autres méthodes de tressage, ainsi que la dentelle à l’aiguille, requéraient un coussin lourd, comme le coussin à dentelle pour ancrer l’ouvrage et faciliter la manipulation. Nombre de ces techniques anciennes partagent des caractéristiques structurelles avec la dentelle aux fuseaux.

Les connections anciennes possibles.

Alors que l’on peut se laisser tenter par de possibles connections entrevues entre la dentelle aux fuseaux et d’autres structures textiles, aucun antécédent direct satisfaisant n’a été encore identifié. Cependant, je traite ici de celles qui méritent d’être étudiées de plus près, dans l’espoir que mes lecteurs ou lectrices partageront leurs idées et recherches.

Tresse nouée aux doigts Le tressage noué aux doigts ne requiert aucun équipement, sinon les mains et les doigts et est probablement une technique très primitive. Dans une conférence donnée en 1881, A.S. Cole,3 enseignant et historien de la dentelle reconnu au 19ème siècle, a parlé d’un manuscrit Harleien4 de 1471 environ, dans lequel des instructions étaient données « Pour la réalisation d’une dentelle Bascon, d’une dentelle dentée, une dentelle bordée, de la dentelle voilée, une dentelle ronde, une dentelle fine, une dentelle à trous, de la dentelle pour Hattys, et autres » Le manuscrit commence par une majuscule enluminée, dans laquelle on voit la silhouette d’une femme occupée à réaliser ces ouvrages. Mais ses outils ne sont pas ceux avec lesquels la dentelle de qualité ornementale a été réalisée depuis le 16ème siècle. Une description claire est donnée pour des fils organisés par deux, trois, quatre, cinq, jusqu’à quinze, qui étaient tordus et tressés ensemble. Au lieu du coussin que l’on connaît bien, des fuseaux et des 3 Cole, Alan S; Cantor Lectures, Proceedings of the Royal Society, 1881, p 790 ff. 4 Manuscrits collectés par la famille Harley et maintenant conservés à la British Library. La citation de Cole provient probablement de Harley 2320, ff. 52-70v, qui est le sujet de l’article de E G Stanley “Informations pour réaliser de nombreuses sortes de dentelle” in Chaucer and Middle English Studies in Honour of Rossell Hope Robbins, Allen and Unwin 1974, pp 89-103.

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épingles avec lesquels on fabrique actuellement la dentelle, on utilisait la main. » Selon Cole, chaque doigt servait de fiche ou d’ancrage pour une petite pelote de fil. Une seule personne pouvait réaliser une tresse simple, mais pour des réalisations plus élaborées, on pouvait avoir besoin des mains de plusieurs personnes. Après avoir lu le chapitre sur la tresse nouée a ux doigts dans Speiser5 il semble que l’on manipulait probablement des boucles, non des pelotes de fils : Cole peut avoir mal interprété le manuscrit. Sans doute, il vint un moment dans le développement des tresses nouées où l’utilisation de plus de paires de mains devint plus lourde à gérer, ou bien on avait besoin d’une tresse plus longue : c’est alors que d’autres moyens de manipulation et d’organisation des fils devinrent nécessaires, mais pour ce qui est du moment exact, et de la technique, on ne peut que faire des supputations. Speiser a, depuis, consacré une publication entière à la tresse nouée, et nombre d’autres chercheurs sont maintenant impliqués dans l’étude de cette technique fascinante. Un des modèles du livre de Speiser- la recette de Lady Bindloss- informe le lecteur de la nécessité de 6 (prendre vingt fuseaux comme ceux utilisés pour la « bone lase ») Cela peut vouloir indiquer une transition de la tresse nouée aux doigts à la dentelle aux fuseaux, mais comme il s’agit d’une référence du 17ème siècle, elle est trop tardive pour pouvoir confirmer un lien assuré avec les origines de la dentelle aux fuseaux.

5 Speiser, Noemi Manual of Braiding, publié par l’auteur, 1983 6 Speiser, Noemi, Old English Pattern Books for Loop Braiding, publié par l’auteur, 2000, p 130

Cependant, le lien avec certaines dentelles anciennes de métal est intéressant, si l’on considère celles qui ont été réalisées avec des fils doublés, telle la dentelle d’ameublement en fil d’argent de la collection7 de Hardwick Hall, et la dentelle qui orne la boîte brodée au Victoria and Albert Museum.8

Le lien avec le sprang L’ancienne technique du sprang est probablement la technique la plus ancienne connue dans le textile, datant probablement au moins de l’Age de Bronze9. Elle utilise un ensemble de fils de chaîne fixés aux deux extrémités, et pas de trame. Le tressage et la torsion de fils adjacents à une extrémité, produisent les mouvements inverses à l’autre extrémité. Chaque rang de torsions doit être fixé en insérant un bâton entre deux couches de la chaîne à chaque bout pour repousser les torsions et les tenir en place jusqu’à ce que le rang suivant de torsions soit terminé.

En fin de compte les deux extrémités de tissu se rejoignent au milieu de la chaîne et la jointure doit être arrêtée d’une manière ou d’une autre pour empêcher l’ensemble de se défaire. On peut produire un tissu assez large, avec toutes sortes d’épaisseurs de fils, et lorsqu’on l’étire, il a un aspect de dentelle à jours. Le sprang semble s’être développé indépendamment dans des régions très éloignées les unes des autres et était utilisé dans les vêtements et pour des sacs. La technique était toujours utilisée à la fin du 20ème siècle

7 Levey, Santina M, An Elizabethan Inheritance; the Hardwick Hall Textiles, National Trust, 1998, p 31. 8 Browne, Clare, Lace from the Victoria and Albert Museum, V&A Publications, 2004, p 28, Planche 1 (reconstruite page 45). 9 Hald, Margarethe, Ancient Danish Textiles from Bogs and Burials, National Museum of Denmark, [1980] p 245 ff.

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dans certaines régions d’Europe, dans le subcontinent indien et les Iles Salomon.

De nombreux historiens de la dentelle ancienne affirment qu’il y a un lien entre le sprang et le développement de la dentelle aux fuseaux.10 Comme j’avais expérimenté le sprang avant de découvrir la dentelle aux fuseaux, je fus tentée de suivre cette idée en utilisant la méthode d’entrelacs du sprang11. Comme les autres chercheurs dans ce domaine, je trouvai que, bien qu’il soit possible de reproduire tous les fonds de dentelle aux fuseaux, ainsi que le point de toile travaillé en diagonale, cela me semblait limité. Le sprang entrelacé est le plus rare des trois structures existantes de sprang, et aucun des exemplaires qui nous sont parvenus ne permet d’établir un lien avec la dentelle aux fuseaux.

La tresse à trois brins. Un autre lien peut être établi avec la

forme la plus simple de la tresse, c’est-à-dire la tresse à trois brins, dans laquelle l’entrelacement en diagonale est réalisé en alternant des mouvements en S et en Z avec les fils adjacents. Il s’agit probablement de l’une des manipulations les plus anciennes de la fibre textile, qui peut même avoir précédé le filage pour la production de cordes et cordages. (Il est possible également qu’elle ait conduit au sprang quand on a constaté que l’enchevêtrement aux extrémités avait en fait une structure que l’on pouvait utiliser si les extrémités étaient arrêtées) 10 De nombreux auteurs ont perpétué cette notion, sans doute parce qu’elle semble bien plausible à une époque où peu d’ historiens de la dentelle avaient une expérience personnelle de la technique. 11Collingwood, Peter; The Technique of Sprang, Faber and Faber pp 184 ff. Dans ce travail fructueux Collingwood a identifié trois structures différentes de sprang s; lier, entremêléer et entrelacer. Seule la dernière a le genre d’entrelacement que l’on trouve dans les premières dentelles.

La technique « vers l’intérieur » pour faire une tresse à trois brins est probablement celle qui vient tout naturellement à celles d’entre nous qui ont tressé leurs cheveux ou ceux de leurs enfants. En d’autres termes, les deux fils de gauche sont croisés gauche par-dessus droite (S), et les deux fils de droite sont tordus droite par-dessus gauche (Z). Si un fil supplémentaire est ajouté et que l’on continue à tresser avec le même mouvement d’entrelacement par-dessus –un-par-dessous-un, cela ne nécessite de répéter que le mouvement S ou le mouvement Z avec la seconde paire de fuseaux, selon le côté de la tresse où se trouve le fil supplémentaire. Si le fil supplémentaire est ajouté à gauche de la tresse, c’est le mouvement en Z qui sera répété, s’il est ajouté sur la droite, c’est le mouvement en S qui sera répété. Le premier donnera une tresse à quatre ressemblant à celle des dentellières, alors que le second aura des mouvements inversés

La technique “vers l’extérieur” pour tresser trois éléments (tordre la paire de gauche et croiser la paire de droite) est également citée en archéologie textile et peut rester la manière instinctive de tresser dans certaines cultures de nos jours. Les images ci-dessous montrent qu’en

Tresse vers l’intérieur

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ajoutant un élément supplémentaire sur un côté ou sur un autre d’une tresse « vers l’extérieur » on arrive de façon évidente à l’inverse de ce qui se produit pour la tresse « vers l’intérieur ».

On verra plus loin que au moins un, peut être deux, des modèles du Nüw Modelbuch indique l’usage de la tresse à trois brins, et on retrouve de petites portions de cette technique dans nombre de dentelles de métal anciennes. La dentelle au Musée Juif, page 51, en est un exemple. Bien plus tard, on la remarque aussi dans le fond de certaines dentelles de Valenciennes .12 Au Danemark, certaines bordures décoratives des serviettes du 18ème et 19ème siècles comportent également des réseaux faits avec des tresses à trois brins. Parmi les découvertes archéologiques, il y a également des exemples de tresses à trois brins. Walton décrit deux fragments textiles dans lesquels le tressage forme un réseau en losange au dessus d’une bordure tissée mouchetée. Ils ont été découverts dans une strate Anglo-Scandinave du 10ème siècle lors de fouilles à York. La combinaison du tissage moucheté avec le réseau en losange, 1327 (ill. 147) n’a pas de parallèle connu actuellement et sa méthode de fabrication est difficile à concevoir . Il est possible que les 12 Cook, Bridget and Geraldine Stott; The Book of Bobbin Lace Stitches, Batsford/Reed 1980, p 117.

fragments qui subsistent représentent deux grandes franges tressées découpées à la base d’un tissu moucheté. Autre hypothèse, l’objet peut avoir été un réseau en losange avec des bordures tissées. Dans ce cas, il a probablement été réalisé avec une méthode similaire au sprang. 13

Walton rapporte qu’elle n’a eu aucun mal à reproduire l’un des fragments avec la

technique du sprang mais reconnaît qu’il n’y a pas d’autre exemple connu de ce genre de tissu en sprang.

Dans ces trouvailles de York (objets

1447 à 1455) il se trouve également des fragments Anglo-Scandinaves médiévaux de tresses à trois brins faites avec des paquets de fibres de mousse14 (du polytric commun). Elles font entre 15 et 40 mm de largeur. On considère que ces tresses de mousse servaient de cordes, si l’on se base sur une comparaison faite avec des exemplaires plus longs issus d’autres sites en Europe.

13 Walton, Penelope; Textiles, Cordage and Raw Fibre from 16-22 Coppergate; the Small Finds, York Archaeological Trust, 1989, fig. 147. 14 Walton, Penelope; op. cit. , p 395, ill. 166.

Tresse vers l’extérieur

Fragment d’une tresse en polytric commun (=une mousse), 1448, fouilles de York

Reproduit avec la permission de York Archaeological Trust

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Tresse à quatre brins Parmi les autres réseaux tressés qui n’ont pas de lien apparent avec la dentelle aux fuseaux, il se trouve un sac Afghan qui a été analysé par Collingwood.15 La technique de base du sac est semblable au réseau en losange de la dentelle aux fuseaux : des groupes de quatre fils sont tressés le long de diagonales opposées, mais les mouvements sont inverses de ceux de la dentelle.

Le sac est fait de laine brute qui semble être filée en S et il n’est pas daté. Il serait intéressant de savoir s’il s’agit d’une pièce courante parmi les textiles afghans et si les mouvements sont faits dans la même direction que la dentelle aux fuseaux.

Détail du tressage du sac Afghan de Collingwood

15 Collingwood, Peter; Textile and Weaving Structures, Batsford, 1987, p 51, figure 47.

Les fragments de York de réseau en losange en chanvre carbonise, avec une bordure mouchetée, 1327, analyse

réalisée par Walton (le dessin n’est pas à l’échelle)

Reproduit avec la permission de York Archaeological Trust

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I - 2: Les origines des dessins et les livres de modèles

Avant l’apparition des livres de modèle. Comme Abegg l’a signalé,

l’impression à la planche sur les textiles était pratiquée en Egypte au 6ème siècle et était bien connue en Europe au Moyen Age ; ce savoir-faire fut repris pour l’impression sur papier quand elle devint plus courante. Au 15ème siècle, les presses d’imprimerie furent installées partout en Europe et la dissémination des savoirs de toutes sortes devint possible, y compris les dessins pour la broderie et le tissage. Auparavant…

… Les précurseurs immédiats des livres de modèles imprimés…étaient indubitablement les cahiers dans lesquels les brodeurs et les tisserands dessinaient leurs propres inventions et celles qu’ils empruntaient. 16

Les hommes et les femmes du monde de la soie qui faisaient de la passementerie et autres bordures (avant et après l’avènement de la dentelle aux fuseaux) travaillaient certainement à partir de livres d’échantillons et d’instructions consignées à la main. Il est évident que les influences dans le domaine du dessin étaient les mêmes pour tous les artisans, et évidemment modifiées pour chaque corps de métier. Le dessin des premières dentelles aux fuseaux, sinon la structure, était clairement influencé par l’ancien nouage celtique.17 Le commerce et les conquêtes attirèrent également l’attention de l’Europe

16 Abegg, Margaret; Apropos Patterns for Embroidery, Lace and Woven Textiles, Abegg –Stifftung, Bern, 1978; p 17. 17 On dit qu’il a son origine en Chine bien avant qu’il soit utilisé par les peuples celtes.

occidentale sur les motifs géométriques islamiques. Les motifs celtiques et islamiques influencèrent la décoration de toutes sortes de textiles du Moyen Age et de la Renaissance, ainsi que le mobilier, la céramique et l’architecture. Il reste des exemples des deux influences dans l’Europe entière. Il n’est pas surprenant alors que nombre de dessins des premiers livres de modèles- pour la broderie comme pour la dentelle- en témoignent. Le point coupé géométrique communément appelé Reticella convenait parfaitement à l’interprétation des dessins islamiques et celtiques. Par exemple dans le livre de modèles de Matio Pagano, vers 1550, les motifs angulaires en S et en Z, ainsi que les losanges, les étoiles et les entrelacs sont tous représentés, et modifiés un peu plus tard pour la dentelle aux fuseaux. De tels dessins furent appréciés par tous pendant tout le 16ème siècle, et sont toujours populaires auprès d’artisans de toutes sortes de nos jours. Le nœud celtique du genre de celui que l’on voit sur les pierres gravées monumentales et les bordures des manuscrits enluminés ont longtemps intrigué les historiens de la dentelle. Il est difficile de croire qu’il n’a pas été basé sur de vraies structures de cordes. Quelques exemples comme la grande croix (à gauche) sont exactement l’entrelacement de la tresse à quatre, faite par la dentellière. D’autres sont comme les tresses à trois, ou à quatre avec les directions inversées.

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Haut de la réplique de plâtre d’une grande croix

Anglo Danoise dans le cimetière de Gosford, Cumbria, fin

Du 9ème siècle. L’envers de la croix a la même décoration

« tressée »

. Victoria and Albert Museum Plaster Court, 1882-258.

Les célèbres fûts de cheminées du château de Hampton Court sont des vestiges du genre de tesselles islamiques qui abondent dans les premiers livres de modèles, en particulier le Nüw Modelbuch.

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Les premiers livres de modèles.

Comme Levey le souligne, la

séparation entre le dessin et la réalisation pour tous les arts décoratifs, fut facilitée par l’invention des presses à imprimer au 15èmesiècle. 18 Pour les dessinateurs professionnels d’ornementations il fut possible de faire imprimer leur travail et le faire circuler dans toute l’Europe, probablement sans avoir à se déplacer personnellement.

La plupart des historiens sont d’accord : les premières dentelles aux fuseaux furent exécutées en Italie, soit à Milan qui était un centre de manufactures de passementerie, soit à Venise où toutes

sortes de textiles étaient échangées entre l’Orient et l’Occident. Malgré la conviction d’autres chercheurs que son origine est en Flandres, la piste italienne est soutenue par la publication à Venise du premier livre de modèles pour la dentelle aux fuseaux, Livre I de Le Pompe - en 1557 suivi de Livre II en 1559. 19 L’usage des fuseaux et

18 Levey, Santina M; dans le facsimile de Richard Shorleyker’s Scholehouse for the Needle, R J L Smith and Associates for John and Elizabeth Mason, 1998. 19 La page titre du livre I est traduite par Angharad Rixon comme cidessous Le Pompe Un nouvel ouvrage dans lequel on trouve de nombreuses et divers es sortes de représentations/modèles /pour permettre la réalisation de petites cordes ou de tresses d’or, de soie, de fils ou autres. Où les belles et vertueuses femmes pourront faire toutes sortes de travaux…… et toutes autres choses qu’elles aimeront. Technique qui n’est pas moins belle qu’elle est utile et nécessaire, et pas encore bien connue.

du coussin pour faire la dentelle à la mode devait être bien établi au moment où les livres furent publiés, sinon, ils n’auraient pas eu de clientèle. En Italie au moins, la dentelle aux fuseaux devait avoir acquis un meilleur statut que lorsqu’elle n’avait qu’un usage domestique, puisque Le Pompe s’adresse aux « belles femmes virtuoses » et suggère que les dessins peuvent être réalisés avec de luxueux fils de soie, métal ou lin. Il semblerait indiquer que la dentelle était devenue un passe-temps acceptable pour les femmes de statut social supérieur à celui des décennies précédentes.

Nuw Modelbuch, allerley Gattungen

Dantelschnur20 fut publié à Zürich vers 1561. Ce livre de modèles est l’œuvre d’une dentellière inconnue aux initiales de R.M. qui affirmait dans la préface que ce savoir-faire nous était venu de Venise en 1536, et était devenu extrêmement populaire en Suisse parce qu’il s’apprenait très rapidement, et que les matériaux et le matériel étaient relativement bon marché. Quand elle était réalisée en fil de lin (plutôt qu’en fil de métal ou en soie) la dentelle remplaça bientôt les bordures brodées parce qu’elle était réalisée plus rapidement et coûtait donc moins cher. De nombreuses femmes en Suisse, disait-elle, pouvaient gagner un bon salaire avec

20 Publié par Christopher Froschauer, Zurich, en 1561Il s’agit du premier livre de modèles de dentelle aux fuseaux publié en langue allemande.

Page titre de Le Pompe, Book I, publié

pour la première fois par les Frères Sessa brothersià Venise en 1557.

Couverture de Nüw Modelbuch, allerley

gattungen Dantelschnur publié à Zurich vers 1561 par Christopher Froschauer.

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leurs fuseaux (et sans doute des femmes d’autres pays). En accord avec l’éthique protestante de Zürich, les modèles sont plus discrets que ceux de Le Pompe et un seul modèle indique l’utilisation de fil d’or. Cela peut avoir été un ajout apporté à contre cœur, si l’on en croit le commentaire de RM.

Hélas, il n’y a rien sous le soleil, qui soit utile et bon, qui ne soit détourné. Certaines dentelles sont déjà devenues luxueuses, faites d’or et de soie richement agrémentées de paillettes d’or. Cependant il n’y a pas de raison de condamner cet art de la dentelle, ni cesser de l’enseigner. De la même manière, le vigneron continuera à cultiver sa vigne, même si de nombreux dommages sont causés quotidiennement par le mauvais usage du vin.21

Plus de cent livres de modèles furent publiés en Europe au 16ème siècle, mais seuls Nüw Modelbuch et Le Pompe comportaient des dessins exclusivement créés pour la dentelle aux fuseaux. Comme l’écrit Levey Ce déséquilibre est révélateur : il n’est pas le résultat de vestiges fortuits d’un groupe de publications éphémères mais reflète les réelles différences entre deux groupes majeurs de dentelle et l’attitude de la société à leur endroit.22 Il semble que la dentelle aux fuseaux, au tout début de son développement, était essentiellement une activité domestique, ou une activité des femmes qui contribuaient à leur subsistance dans les couvents, orphelinats ou hospices. Des tâches autres que la dentelle auraient aussi été requises de la part des femmes dans ces circonstances. Le fait que le fil était 21 Burkhard, Claire; Fascinating Bobbin Lace, Paul Haupt, Berne, 1986, p 21. (Traduction en Anglais de la préface en Allemand de Nüw Modelbuch.) 22 Levey, Santina, and Patricia Payne; Le Pompe, patterns for Venetian bobbin lace, Ruth Bean, Bedford, 1983 p 7 (comprenant un facsimile de l’original de la Partie I et d’un partie de la Partie II, qui furent publiés à Venise par les Frères Sessa en 1557-9).

manipulé avec des « poignées » en fuseau signifiait que la douceur de la peau n’était pas aussi essentielle que pour les dentellières à l’aiguille et les brodeuses. Les dentellières pauvres et dépendantes pouvaient ne pas représenter une clientèle intéressante pour les livres de modèles imprimés, mais les livres pouvaient être des ressources utiles pour ceux qui s’occupaient d’organiser leur travail ou leur enseigner le savoir-faire. Les premières dentelles suisses étaient géométriques et plus adaptées pour border le linge de maison en lin, alors que de nombreux modèles des Livres I et II de Le Pompe étaient des dentelles librement créées et plus élaborées, qui pouvaient être réalisées en fil de métal ou de soie. Bien que de telles bordures ne soient pas facilement identifiables comme de la dentelle aux fuseaux dans les portraits, la tresse d’or qui orne le col de la chemise d’Henri VII dans le tableau de Holbein en 1536, est presque certainement une dentelle de ce type. 23 Bien que la fabrication de dentelle ait probablement perduré en tant qu’ industrie artisanale, elle fit l’objet de l’attention et de l’appui des femmes de la haute société du 16ème siècle, parce qu’elle pouvait être réalisée plus rapidement et par conséquent était moins coûteuse que les dentelles géométriques à l’aiguille qui avaient alors atteint leur apogée. De nombreux livres de modèles de cette époque annonçaient que leurs dessins pouvaient être utilisés à la fois aux fuseaux et à l’aiguille, et on en retrouve des exemples, par exemple les Dentelles 23 Henry VIII, Hans Holbein Le Jeune, vers 1536. Thyssen Bornemisza Collection, Madrid. La National Portrait Gallery, London, possède une copie du tableau ainsi que le dessin du Roi par Holbein qui avait été préparé pour une fresque de la dynastie Tudor.

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Triangles, page 71. Et il est certain que la dentelle aux fuseaux fit de son mieux pour suivre ou compléter les modèles de broderie et de dentelle à l’aiguille pour la raison très pragmatique qu’il y en eut une plus grande demande, dans une bonne partie du 17ème siècle.

Pourquoi l’accent a-t’il été mis sur Nüw Modelbuch?

Les modèles du Nüw Modelbuch semblent indiquer un stade du développement de la dentelle aux fuseaux antérieur à de nombreux modèles de Le Pompe et par conséquent représente plus d’intérêt pour une discussion sur les techniques anciennes.

L’auteur R.M. écrit que les patrons sont déjà une évolution de ceux de 1536, lorsque la technique est arrivée de Venise. Cela pourrait suggérer que même les modèles les plus basiques étaient disponibles à cette date, ou plus simplement, qu’elle a ajouté les développements les plus récents aux modèles anciens.

Les modèles choisis pour la reproduction dans ce livre sont donc ceux qui ont des dessins très simples, et qui pourraient illustrer les premiers pas du développement de la dentelle aux fuseaux.

Ce que les gravures sur bois du Nüw Modelbuch nous enseignent

Les modèles en gravure sur bois de Le Pompe présentent le dessin et rien d’autre, alors que ceux du Nüw Modelbuch nous indiquent au moins le nombre de fils utilisés, ce qui aide au travail de base, et montre de façon claire si la ligne du patron représente une paire tordue ou deux paires tressées, ou, dans de nombreux cas, trois

paires tressées.24 Parfois les noms suggèrent un usage possible ou décrivent les éléments décoratifs. Dans d’autres, il est dit que l’on peut utiliser de la couleur, ou dans un seul cas, un fil d’or.

La gravure en frontispice est probablement la première illustration de dentellières à l’ouvrage. Les gros fuseaux accrochés à leurs coussins indiquent qu’elles travaillent « en l’air », ce qui est la meilleure méthode pour tresser, et probablement avec un gros fil. Il est possible également qu’elles utilisent ce que l’on nomme actuellement la méthode « ouverte », dans laquelle tous les points, y compris le demi-point, se terminent par un croisement. (Voir page vii) Les très gros coussins arrondis parlent en faveur de cette notion, parce que la méthode « fermée », dans laquelle les points se terminent par une torsion nécessite un coussin plat, pour y déposer les fuseaux et s’assurer que la torsion finale ne se défera pas.

24 Toutes les références aux modèles du Nüw Modelbuch sont extraites du facsimile qui accompagne le livre de Claire Burkhard Fascinating Bobbin Lace. Si les nombres de fuseaux donnés sont vraiment une indication des fuseaux nécessaires, le premier et le neuvième modèles de la page XIIII indiquent l’usage de la tresse à trois fils. (Les nombres de fuseaux erronés peuvent être des erreurs faites par l’imprimeur ou indiquer un mélange de travail à deux, quatre ou trois fils).

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Dentelle sans carton?

Bien que la gravure du Nüw Modelbuch

woodcut ne soit pas bien claire, il apparait que la dentelle est faite sans modèle. Tornehave25 pense que les femmes travaillaient selon ce que l’on nomme maintenant la « dentelle sans carton », car l’usage de la méthode ouverte (sa méthode 2) et le travail sans carton en sont les caractéristiques les plus importantes. 26 Apparemment, une autre caractéristique de la dentelle sans carton est l’usage d’épingles posées avec la main gauche sur le bord gauche et avec la main droite sur le bord droit. Tornehave pense que c’est ce que font les dentellières de la gravure. Cependant, il est tout à fait possible que la gravure ne soit pas la représentation exacte des méthodes de travail de l’époque parce que les deux dentellières tiennent un fuseau au bord opposé à celui où elles placent l’épingle. Cela suggère que c’est là que se trouve le dernier point fait. Pourquoi alors mettraient-elles une épingle sur le bord opposé ?

La dentelle sans carton est considérée par de nombreux chercheurs, y compris Tornehave, comme la manifestation la plus ancienne de la dentelle aux fuseaux en fil de lin, apparue probablement au cours du quinzième siècle pour les entre-deux étroits des coutures des chemises de lin, des camisoles et linges de maison. Ceci est tout à fait recevable étant donné que les 25 Tornehave, Bodil, Danske Frihåndskniplinger, 1987, Notabene, Denmark. Traduction anglaise du texte, de 1998 par S Barry, Avril Bayne, Vibeke Ervø, et Gerd Stevnhoved pour le Groupe d’Etude de la Dentelle SansCarton (maintenant Groupe de Recherche sur la Dentelle Sans Carton) . 26 Tornehave, op. cit., ills 4 et 5 page 21 montre que la méthode 1 est” tourner croiser” pour faire un demi point et la méthode 2 est “croiser tourner” . Ces deux mouvements sont plus généralement connus comme la « méthode ouverte » et la « méthode fermée ». Voir également page vii de ce livre.

quelques exemples restants de dentelle, bien que plus tardifs, sont simples et étroits. Ils pourraient tout à fait avoir été réalisés sans modèle, en utilisant un tissu à carreaux ou à rayures sous le travail, ou même simplement le tissage d’un tissu uni, pour guider la pose des épingles du bord. 27 (La traduction anglaise du livre de Tornehave suggère que l’origine du terme “torchon” utilisé pour les dentelles artisanales simples pourrait se trouver dans l’usage de ce textile simple plutôt que l’idée commune selon laquelle la dentelle bordait des textiles de ce genre. 28 )

Nous savons que la dentelle sans carton a perduré pendant des centaines d’années, développant lentement des styles régionaux dans différentes parties d’Europe. Elle est toujours réalisée dans certains pays et dans d’autres, elle fait l’objet d’une renaissance et d’une étude sérieuse.

Au 19ème siècle, les premières dentelles artisanales ont inspiré les dentelles torchons et autres dentelles aux fuseaux simples, qui se développèrent en réponse à la menace que représentaient les répliques mécaniques des dentelles élaborées à la mode. (Celles-ci suivirent un développement tout à fait à part à partir du milieu du 16ème siècle)

La préparation des cartons au 16ème siècle. Il est sûr que certaines des dentelles anciennes étudiées pour le présent ouvrage ont le genre d’irrégularités qui pouvaient se produire si la dentellière travaillait directement sur le tissu du coussin à partir d’un dessin ou d’un échantillon plutôt que

27Il est possible que c’était également le cas de certains passements faits à cette période. 28 Tornehave, op. cit., page 1 de la traduction anglaise.

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sur un modèle ; l’habitude regrettable des collectionneurs du 19ème siècle de n’acquérir que de petits morceaux fait qu’il y a généralement trop peu de longueur de dentelle dans les collections que j’ai examinées pour pouvoir me permettre d’être plus affirmative. Quoiqu’il se fût produit à cette période, il est probable que la publication des livres de modèles a encouragé l’utilisation de quelque chose comme des piquages, tels que nous les connaissons de nos jours, ne serait- ce que pour s’assurer que les modèles étaient reproduits avec fidélité et constance. Si c’est vraiment le cas, il serait bien de savoir avec certitude comment les modèles étaient reproduits.

Il est possible que les dentellières et les brodeuses utilisaient une forme ancienne de papier calque que Cennini a décrit, probablement dès le début du 15ème siècle, en relation avec la peinture et le dessin29.

Apparemment, il y avait de nombreuses techniques de réalisation, y compris en recouvrant du papier avec de l’huile de lin,

… le papier, pour commencer, étant très mince, lisse et bien blanc.

Une gravure du Libro Primo de Ricami de Pagnino montre une autre méthode de dessin pour les brodeuses, en utilisant le rétro éclairage. Au premier plan de la gravure, une femme utilise une chandelle sous un cadre horizontal, et au second plan, une femme tient le cadre verticalement devant une fenêtre 30 comme on utiliserait maintenant une boîte à lumière.

29 Cennini, Cennino D' Andrea; in The Craftsman's Handbook. The Italian "Il Libro dell' Arte." Traduit par Daniel V. Thompson, Jr. New York: Dover Publications, Inc. 1933, Yale University Press, pp 13-14. Les dates de Cennini ne sont pas certaines mais généralement admises entre 1370 et 1430 environ. 30 Toscalano, Italy, vers 1532, tel que reproduit dans Abegg.

Bien que RM écrive que la taille de la dentelle peut varier en utilisant plus ou moins de fils, ou en variant la taille du fil, elle ne dit pas comment on peut changer la taille du modèle. Si l’on s’en tient à une pratique antérieure, il est possible que l’on n’utilisait aucun modèle, et que les dentellières se servaient d’un tissu à carreaux pour changer la taille ou l’échelle de leur dentelle. Si un modèle était dessiné, il est possible que l’échelle devait être modifiée selon une autre méthode utilisée par les brodeuses, comme le décrit Richard Schorleyker, dans sa charmante préface à Scholehouse for the Needle.

….A la fin de ce livre, j’ai fait deux échelles, ou modèles au carreau, avec lesquels, en élargissant, ou réduisant en plus grands ou plus petits carrés, vous pouvez agrandir ou réduire n’importe lesquels des patrons et exemples de ce livre, ou autre. 31 Etant donné l’utilisation ultérieure de papier millimétré par les dentellières, c’est bien là une vraie possibilité. Comment le dessin était alors transposé en modèle de travail est une autre question. Mais encore une fois, une technique de broderie vient à l’esprit, c’est-à-dire le « piquage et ponçage » dans lequel des trous sont faits le long du tracé du dessin, laissant la poudre de graphite passer par frottement par les trous pour créer un léger contour sur le tissu en dessous. Le contour est ensuite passé à l’encre. Il n’y a pas de raison pour que cette méthode n’ait pas été utilisée pour transférer le dessin au parchemin que les dentellières utilisaient probablement. (Le piquage et le ponçage apparaissent 31 Première publication en 1632, mais comportant des modèles de publications antérieures pour les dentelles aux fuseaux et à l’aiguille ainsi que la broderie. Un facsimile du livre a été publié en 1998 par RJL Smith and Associates pour Jon etElizabeth Mason, propriétaires de l’ original d’un livre de modèles . (For ſ read s.)

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également sur la gravure de Paganino, et une variante est toujours utilisée de nos jours par les brodeuses). On doit noter que tous les modèles de dentelle ancienne sont des versions gravées sur bois de dessins au trait, sans indication de trous d’épingles. Cela implique que la pose des épingles était laissée à la discrétion de la dentellière, mais à quel moment du processus le modèle était piqué, nous ne pouvons rien affirmer. Si le modèle était vraiment dessiné sur un parchemin raide, il était probablement plus facile de le piquer avant de commencer la dentelle, peut être avec un outil semblable au piquoir que l’on utilise de nos jours. D’autre part, si l’on utilisait un vélin, le modèle pouvait être piqué au fur et à mesure du travail. Au moment où les trous d’épingles étaient faits il est probable qu’une épingle était placée dessous, ou à côté d’un croisement de fils, plutôt qu’à travers. Il est aussi probable qu’il était utilisé moins d’épingles qu’actuellement, pour économiser du temps, et éviter d’interrompre le flux du travail. Il est possible aussi que les dessins aient été imprimés sur du tissu, utilisé alors directement sur le coussin à dentelle. Cela permettait de simplifier considérablement le processus, permettant à la dentellière de travailler comme elle l’aurait fait avec la dentelle sans carton, ne mettant que les épingles nécessaires, disposant alors d’un dessin sous son ouvrage plutôt que d’un tissu uni. Comme Abegg le souligne, le tissu imprimé à la planche est apparu bien avant l’usage courant du papier. 32

32 Abegg, op.cit., p 17.

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I – 3: Le matériel – le fil Le lin et les autres fibres “souples”. Les indications de mouvement, croisement et torsion, sont fondamentales dans toutes les discussions sur le développement de la dentelle aux fuseaux. Le fait que ces mouvements soient les mêmes dans toutes les régions dentellières peut indiquer une seule région géographique d’où la technique est originaire, ou bien être liée à d’autres facteurs comme les propriétés des fils utilisés.

Le fil pour dentelle aux fuseaux de nos jours33 D’abord, il y a quelques faits fondateurs de la technique de production du fil. Toute production de fil commence par la torsion et le filage de paquets de fibre brute, que ce soit du coton, du lin, de la soie, de la laine ou toute fibre synthétique extrudée. Autrefois, le processus était réalisé à la main avec un fuseau en bois, mais dès le 15ème siècle34, le rouet était largement répandu ; de nos jours, bien entendu, la plupart des fils sont filés à la machine. Le fil qui résulte du premier filage des fibres brutes est appelé fil simple, qui, pour la plupart des applications pratiques a besoin d’être tordu, ou plié, avec au moins un autre fil simple pour en augmenter la force et l’usage. (On fait habituellement référence à la torsion initiale par « le filage », et à la torsion finale par « le pli »).

33 Edité par Shepherd, Rosemary; ‘Choice of Thread for Bobbin Lacemaking’, News and Views, New South Wales Branch of the Australian Lace Guild, March 2000. pp 9-11. 34Feldhaus, F. M. in Rehtmeier’s Chronicle of Brunswick-Lueneberg, [19th century].

A part la taille, l’attribut le plus évident du fil est la torsion effectuée au moment où le fil est créé à partir du paquet de fibres brutes. La direction, ainsi que le nombre de torsions sont importants. A moins que la dentelle ne soit faite que de point de toile, sans torsions supplémentaires, les points interférent avec la torsion du fil, parce qu’il y a toujours plus de mouvements de torsion que de croisement. Les dentelles continues avec un fond réseau, en particulier le tulle, en sont grandement affectées, alors que les dentelles en motifs, comme le Honiton et le Withof, sont visiblement moins affectées.

Le fil moderne de lin utilisé pour faire de la dentelle aux fuseaux est composé de deux ou trois35 fils simples, filés en Z, et pliés ensemble avec une torsion en S pour le fil fini. Le fil à dentelle nécessite plus de torsions que le fil à broder, par exemple, parce que l’équilibre de la plupart des points, excepté le point de toile, est dans la direction Z. Cela signifie qu’une partie de la torsion en S est perdue au cours du processus qui permet le bon « ancrage » des points car le fil tend à retrouver sa torsion. (Voir l’explication d’Earnshaw à la page suivante.)

Si le fil était fini (plié), en Z, la dentelle serait trop tordue par les mouvements de base et aurait tendance à s’entortiller, si bien que la dentelle se recroquevillerait au moment où on retire les épingles, ou après le lavage. L’effet ressemble plutôt à la sur-torsion utilisée 35 Il est probable que le fil à dentelle -trois plis est une création relativement moderne.

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pour faire une corde, et, comme je l’ai expliqué antérieurement, est plus prononcée dans les dentelles à fond tulle où le ratio des torsions est supérieur aux croisements.

La sur-torsion est bien plus prononcée si le fil fini en Z utilisé est un fil câblé, tel que ceux fabriqués d’ordinaire pour le crochet et la frivolité. En termes de filage ces fils câblés spéciaux sont composés de trois fils pliés (chacun filé en Z, et plié en S) filés de nouveau ensemble pour faire un fil fini en Z. En d’autres termes, deux lots de torsions en Z produisent un fil qui est fortement tordu dans la mauvaise direction pour la dentelle aux fuseaux, et, par conséquent, nécessite d’être utilisé avec beaucoup de précautions. C’est l’aspect du fil que j’ai utilisé en tant que débutante qui m’a donné envie d’en apprendre plus sur la production du fil à dentelle.

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Le fil de lin: notes historiques Comme cela a été noté par Bellinger36 and Geijer37, certaines propriétés du lin ont influencé la manière dont il a été filé depuis l’Antiquité. Il semble que la fibre de lin ait toujours été filée mouillée, d’abord en Egypte, où le filage initial 36 Bellinger, Louisa, Threads of History, catalogue, American Federation of Arts travelling exhibition, June 1965 à 1967, page 28. 37Geijer, Agnes, A History of Textile Art, Pasold Fund, 1982, pages 116-118.

était en S, parce que les fibres tournent dans la direction S en séchant, contribuant ainsi au filage. En dehors de l’Egypte, et du Nord de la Méditerranée en particulier, le filage initial était généralement fait dans la direction du Z (bien que cela ne soit pas considéré comme étant aussi net que la littérature veut bien le suggérer). Barber apporte une explication possible38 qui considère que les différences entre les appareils de filage et la façon dont ils étaient utilisés, et la constatation incontournable que quatre-vingt-dix pour cent de la population a toujours été droitière. Apparemment, les Egyptiens utilisaient un fuseau avec le lest (le contrepoids circulaire) près du sommet du manche, alors qu’ailleurs le lest se trouvait près de la base du manche. …les Egyptiens utilisaient un fuseau avec un lest haut placé que l’on voit se déplacer (presque certainement vers le bas) le long de la cuisse, avec la main droite. Faire rouler le fuseau le long de la cuisse ne peut que produire une torsion en S. Les fileuses européennes, cependant, avec leurs fuseaux lestés en bas, commencent traditionnellement avec une chiquenaude du pouce et des doigts, comme on lancerait une toupie. 39 Donnez une toupie à des droitiers et ils la lanceront invariablement vers la droite : une fibre attachée à la toupie se tordrait toujours en Z. Earnshaw 40 apporte l’explication suivante qui montre pourquoi la torsion en Z des Européens ne contredit pas nécessairement les « lois de la nature ». Les fibres de lin –quand on regarde du côté libre-se tordent en Z, à mesure qu’elles absorbent l’humidité, et en S quand elles sèchent… Et plus loin 38 Barber, E. J. W.; Prehistoric Textiles, Princeton University Press, 1991: pages 65-68 et ill. 2.32. 39 Barber, op. cit., p 45, ill. 2.5 et 2.6. 40Earnshaw, Pat; Threads of Lace from Source to Sink, Gorse Publications, Guildford, Surrey, 1989, pages 36 et 60-61.

Filé en Z, plié en S ( à gauche), et filé

en S, et plié en Z ( à droite).

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Un fil tordu humide en Z se détordra petit à petit quand l’eau disparaîtra, et il y a un risque que les fibres se redressent jusqu’à ce qu’elles se séparent. Néanmoins, si une torsion en Z est suivie d’un pli en S, elles resteront fermement liées ensemble. En d’autres termes, mouiller les fibres assure vraiment la torsion en Z sur le court terme, mais, à plus long terme, le processus supplémentaire-le pli en S- est nécessaire pour la solidité. L’implication de ce phénomène dans le processus de la dentelle aux fuseaux est le suivant : bien que l’équilibre de la torsion soit en Z, ce qui défera partiellement la torsion en S du fil, le mouvement naturel de la fibre sera de refaire une torsion légère et permettre au fil de mieux s’intégrer dans les points. C’est cet aspect du lin qui en fait le matériau idéal pour la dentelle.

Recherches récentes

Une découverte récente d’importance devrait être mentionnée : ce qui apparait être du lin n’en est pas forcément. Les travaux de Rixon remettent en cause une idée reconnue depuis des années, selon laquelle toutes les dentelles ont été faites avec du fil de lin jusqu’au 19ème siècle.41 Dans son premier projet, à la suite des travaux de Shepherd (décrit pages 77-79), elle commence par l’étude de la fibre qui compose les fragments de dentelle découverts dans les vestiges du naufrage du Batavia, parti d’Amsterdam en Octobre 1628. 42 En comparant ces fibres datées 41 Rixon, Angharad; In Search of the Batavia Lace, Honours Thesis, Creative Arts Department, University of Wollongong, New South Wales, 2000. 42 Il existe beaucoup de rapports sur ce naufrage et ses suites sanglantes. Les objets furent retrouvés dans les années 1980. Pour le catalogue complet voir Green, Jeremy N., The Loss of the

avec certitude avec d’autres échantillons issus d’une collection dont on connaissait parfaitement la provenance, en Italie, elle espérait « obtenir des informations sur les origines géographiques et sociales » de la dentelle. Après une analyse au microscope électronique de onze échantillons, on fit la découverte surprenante que 9 d’entre eux, y compris les dentelles du Batavia, contenaient du coton et du lin. Ces fibres étaient visiblement filées, pas pliées, avec le lin : comme le coton a des fibres très courtes il ne pouvait avoir été filé qu’avec de la filasse, qui est obtenue par peignage des fibres longues avant le filage. On émit l’hypothèse que ces dentelles n’étaient pas de très grande qualité, mais l’analyse au Microscope Electronique de 30 échantillons supplémentaires issus de la collection du Powerhouse Museum montra que certaines des prestigieuses dentelles contenaient également du coton ou d’autres fibres mélangées au lin. .43 Il est évident que ceci pourrait soutenir la recherche dans d’autres collections.

La dentelle en fil métallique : histoire et reconstruction Et il fabriqua l’éphod avec de l’or, du bleu, du pourpre et de l’écarlate, et du lin finement filé. Et ils battirent l’or en fines plaques, les coupèrent en fils pour le marier avec le bleu, le pourpre, et l’écarlate, et le fil de lin fin, avec beaucoup d’adresse. 44 Ce passage de l’Ancien Testament est souvent cité comme preuve de l’usage du métal pour l’embellissement des textiles Verenigde Oostendische Compagnie retourschip BATAVIA, Western Australia 1629 – An excavation report and catalogue of artefacts; BAR International Series 489, British Archeological Reports, Oxford 1989. 43 Rixon, Angharad; A fault in the thread? North American Textile Conservation Conference, Conference Preprints, Philadelphia, 2002, pp 101-109. 44 Ancien Testament, Exodus 39: 2-3.

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pendant des milliers d’années. Il est fort probable que le métal était utilisé sous la forme de bandes ou de fils sans autre transformation au début, comme ce fut le cas en Europe jusqu’au 6ème siècle environ. D’après Stewart, le tissage et la broderie au fil d’or venaient d’Inde et ont voyagé vers l’Ouest jusqu’à ce que Constantinople et même Venise deviennent des centres célèbres de productions tenues en haute estime. 45 Ils’agit là, certainement d’une simplification exagérée étant donné que la Chine utilisait le fil de métal depuis des temps reculés. Les premiers écrivains présentent une image confuse et opposée de la construction des fils de métal, qui a commencé à être clarifiée depuis seulement quelques dizaines d’années par des étudiants qui utilisent la technologie sophistiquée actuellement à leur disposition. De façon générale le fil de métal dans les textiles se classe en trois catégories :

- Les bandes de métal et les fils, généralement en or

- Les bandes de métal ou les fils enroulés autour d’une âme de fibres, à l’origine en or, mais, ultérieurement en argent, ou en vermeil (argent couvert d’or)

- Un substrat couvert d’or, tel que des bandes de boyaux d’animaux, du cuir ou du parchemin, utilisé à plat ou enroulé autour d’une âme de fibres- dans une catégorie appelée « fils membranes ».

45 Stewart, Horace; History of the Worshipful Company of Gold and silver Wyre-drawers and of the Origin and Development of the Industry which the Company Represents, Leadenhall, 1891, p 13.

De même que l’or, l’argent, le vermeil, on utilisait parfois des alliages comportant une grande quantité de cuivre La période la plus intéressante pour la production de dentelle aux fuseaux est celle qui a été étudiée par Járó 46, plus précisément du 11ème au 14ème siècles en Europe, à la fin de laquelle la technologie existait pour fabriquer le type de fil que nous retrouvons dans les dentelles aux fuseaux en fil de métal du 16ème siècle qui existent encore. D’après Járó, l’usage de bande et de fil d’or céda la place à la bandelette d’or enroulée autour d’une âme de fibre au 9ème et au 10ème siècle, probablement parce qu’il était plus flexible. A partir du 11ème jusqu’au 14ème siècle, les fils membranes ont été également utilisés, pour réduire le poids et le coût du tissu fini, et aussi parce qu’ils étaient plus faciles à tisser. Les fils membranes étaient à l’origine importés de Byzance ou d’Asie Occidentale via Chypre, ainsi que d’Afrique du Nord par les ports d’Europe de Sud. Ils avaient été largement utilisés en Asie, et, de nos jours, le fil membrane est encore traditionnellement réalisé en Chine et au Japon à partir de bandes de papier doré ou avec une membrane plastique métallisée. « L’Or de Chypre » était le nom générique utilisé pour le fil membrane, mais à partir du 13ème ou du 14ème siècle , il était fabriqué en Europe.47 Il était rarement utilisé à cette époque pour la broderie, mais il peut l’avoir été plus tard. Dès le 11ème siècle, le fil fabriqué à partir de bandelette de métal enroulée était 46 Járó, Márta, ‘Gold Embroidery and Fabrics in Europe: XI - XIV Centuries, Gold Bulletin, 1990, 23 (2), pp 40-57. 47 Le fil membrane européen est probablement ce que l’on appelait “l’or de Venise”dans les inventaires mais les opinions divergent.. Il est certain que l’or de Chypre est mentionné moins souvent à la période Tudor mais l’or de Venise apparaît fréquemment.

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probablement en argent doré. Theophilus Presbyter décrit comment les feuilles d’argent et d’or étaient soudées l’une à l’autre, puis martelées et découpées en bandelettes 48. Il affirme que cela permettait aux pauvres comme aux riches de s’offrir des textiles décorés avec de l’or. Járó donne les résultats de l’analyse scientifique de 20 bandelettes de ce type enroulées autour d’une âme en soie et sur toutes on ne voit le doré que sur un côté seulement - ce qui confirme la description de Presbyter. Le fil membrane a été éliminé progressivement avec le développement de ce fil argent doré49.

Le tréfilage et “l’aplatissage” du fil de métal On estime que le grand progrès suivant dans la production du fil de métal est apparu au milieu du 14ème siècle quand le tréfilage a été introduit en Allemagne. Quand Beckmann a écrit à ce sujet au 18ème siècle, 50 il a dit que les artisans qui produisaient le fil à partir de feuilles battues et coupées étaient appelés forgerons de fil, Mais après l’invention du fil étiré, ou tréfilage, ils furent appelés tréfileurs. Il data cet évènement en 1351 à Augsberg et 1360 à Nuremberg. Le processus de tréfilage impliquait le passage d’une mince tige d’or ou d’argent à travers des trous de plus en plus petits dans une plaque métallique d’étirage. Il semble que le 48 Járó, op. cit., 1990, p 47. Theophilus Presbyter était un moine bénédictin et un artisan, probablement de Byzance. .Il a écrit De diversis artibus vers 1120. On considère qu’il a écrit à propos de son expérience personnelle du travail du métal. Les copies manuscrites les plus anciennes de son manuscrit en latin sont conservées dans les bibliothèques à Vienne, Autriche, et Wolfenbüttel, Allemagne. 49 Járó, op. cit., 1990, p 50. 50 Beckmann, Johann. A History of inventions and discoveries, traduit de l’Allemand par William Johnson, London 1797, vol 2, pages 224-247.

procédé ait été manuel au début, mais bien avant la fin du 15ème siècle, on utilisait la force de l’eau, qui, sans aucun doute facilitait la production d’un fil bien plus fin. Beckmann salua deux autres avancées sans savoir qui en était à l’origine, ni où elles avaient eu lieu. La première fut l’invention de ce que l’on connaît actuellement sous le vocable de « laminoir » qui « aplatissait » le fil si parfaitement qu’il pouvait couvrir trois fois plus de fil de soie que ne le faisait le fil rond. Cela rendait le fil non seulement meilleur marché, disait-il, mais également « plus beau ». (Il est probable que cela le rendait également plus léger.) La seconde avancée que Beckmann mentionne est la « machine à filer » qui transformait le métal aplati et la soie en fil, une invention si ingénieuse que son inventeur « mérite d’être immortalisé ». Malgré ce dithyrambe, il ne décrit pas le fonctionnement de la machine à filer. Le fil « doré étiré » à la fin de la période médiévale peut avoir été en argent doré produit par l’étirement d’une barre en argent doré. Tant que la dorure était assez épaisse, même le fil le plus fin était complètement couvert d’or. (Lorsqu’il était aplati pour le filage, l’or était visible sur les deux faces, à la différence des bandelettes battues et coupées d’argent doré.) Certains considèrent que cette méthode était en usage à la fin du 14ème siècle, mais, malgré la richesse du matériau historique qui mentionne le tréfilage et le fil d’or, peu de faits vérifiables ressortent car les premiers écrits ne font pas la distinction entre les fils d’or pur et les fils d’argent doré. En outre, la dentelle et la broderie de

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métal qui nous sont parvenues peuvent désormais être classées comme argent doré, mais la méthode de dorure et les autres détails concernant la fabrication du fil ne sont généralement décrits que par ceux qui ont entrepris une analyse scientifique. Seuls quelques écrits récents notent la différence visible au microscope entre les bords arrondis du fil rond aplati, et le profil nettement rectangulaire des bandelettes coupées. Nous savons avec certitude que le tréfilage de fil d’or et d’argent s’est développé à partir de l’Allemagne vers de nombreuses villes européennes vers la première moitié du 15ème siècle, et que son premier usage était la production du fil métallique. Nous savons maintenant que Londres avait au moins deux tréfileurs de fil d’or vers 1441, ou peut-être plus tôt 51. Les frères Effamatos eurent le droit de s’installer à Londres en venant de Byzance, parce qu’ils étaient spécialisés dans fabrication d’un fil d’or de qualité supérieure à celui produit localement. Cela en fit des émigrants hautement considérés dans une ville qui devenait un centre reconnu pour la fourniture de toutes sortes de produits de luxe.

Les standards du fil de métal L’Angleterre, s’est souciée depuis

longtemps d’établir des standards pour la production des articles d’or et d’argent. Dès le 12ème siècle, le standard de l’argent en Angleterre avait été établi par la loi à 92.5% d’argent pour 7% de cuivre- norme de l’argent sterling qui prévaut actuellement. A l’époque où la Worshipful Company of Gold and Silver

51 Harris, Jonathan; ‘Two Byzantine Craftsmen in Fifteenth Century London’, Journal of Medieval history, 21/1995, p 387 ff.

Wyre Drawers ( Confrèrie des Tréfileurs d’Or et d’Argent) se vit attribuer sa charte à la fin du 17ème siècle52, il y eut de nombreuses pétitions adressées au Parlement et au Roi pour demander la régulation de la production du fil d’or, et tout autant de pétitions opposées envoyées par ceux qui cherchaient à préserver le statu quo.

En dépit de l’enregistrement méticuleux de cette activité, les méthodes de production restent obscures, le secret étant l’unique moyen à la disposition des artisans du 17ème siècle pour protéger leur activité des taxes et de la concurrence. Il lui semble évident que le processus d’étirage du fil à partir d’une barre d’argent doré se faisait depuis longtemps et que la barre d’argent était faite selon les standards de l’argent sterling.

Jusqu’à 1974, la composition légale du fil d’argent doré était de 2.5% d’or sur une base de 88% d’argent et 9.5% d’alliage.53Actuellement, le taux légal est très différent à 2% d’or, sur une base de 1% d’argent et 97% de métal blanc, le métal blanc étant constitué de 90% de cuivre, 5% de nickel et 5% de zinc. 54

Il est intéressant de noter que les compagnies britanniques qui produisent encore ce fil de métal y font référence sous le nom de « fils métalliques » à broder et l’ont probablement fait pendant des siècles, sans doute parce que le fil de métal était le composant le plus important du fil.

52 Stewart, op. cit., p 24 ff. La compagnie n’a pas été incorporée avant 1693, mais des membres individuels étaient actifs bien avant cette date, généralement comme membres des Guildes des orfèvres d’or et d’argent.. 53 Glover, Elizabeth; The Gold and Silver Wyre-drawers, Phillimore, 1979, pp 1-3. Cet ouvrage est une mise à jour simplifiée de l’histoire de la Worshipful Company par Stewart. 54 Le fil en question est le descendant direct du premier fil d’argent doré , qui était utilisé pour le tissage, la broderie et la dentelle.

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Le filage de l’or et de l’argent En théorie, le filetage du fil de métal et le filage de l’or étaient des occupations distinctes, mais en pratique une seule personne faisait souvent les deux. Dans le contexte de la dentelle aux fuseaux, la direction dans laquelle le métal est filé (ou enveloppé) autour de l’âme de fibres est au moins aussi important que sa composition. Grâce aux recherches de nombreux auteurs, on sait maintenant avec certitude que le fil de métal dans les textiles du Moyen Orient est la plupart du temps enroulé en Z, alors que dans les textiles européens l’enroulement est en S. Il semble que cela a été le cas dès le début du Haut Moyen Age, pour le fil membrane et la bandelette de métal, 55 et continua sans doute aussi longtemps que le métal précieux fut utilisé dans les textiles. Cela pourrait nous amener à penser que toute dentelle aux fuseaux en fil de métal serait faite avec du fil enroulé en S et c’est effectivement le cas. En plus de deux décennies de recherche, je n’ai pas trouvé d’exceptions. La dentelle la plus ancienne est argentée et date du milieu du 16ème siècle. L’âme du fil métallique Les illustrations de la publication de Járó montrent clairement que le paquet de fibres de l’âme (généralement de la soie) ne sont pas tordues ou bien ont une légère torsion dans la même direction que l’enveloppe extérieure (l’enrobant). Cela a également été observé par d’autres qui ont étudié les premiers textiles en fils métalliques, y compris Bernsted et Folsach qui expliquent que

55 Járó, op. cit.., 1990, extrapolation à partir des Tables 1, 2 and 3. Elle disposait de moins d’information sur les fils enveloppés de métal que sur les fils membranes.

… La soie qui composait le plus souvent l’âme du fil de métal n’était pas toujours filé à l’avance. Au contraire il consistait en un écheveau de soie teinte qui était elle-même légèrement tordue étant donné qu’elle était enveloppée de bandelettes de métal ou de boyaux dorés. 56

Ces auteurs fournissent également un excellent croquis du genre d’outil de filage manuel qui produisait ce genre de fil de métal. En terme de filage, le fil de métal est guipé, ce qui veut dire qu’un fil (l’âme) est maintenue sous tension pour la ralentir, laissant le fil enveloppant, non tendu, recouvrir l’âme complètement. 57 Il est facile de comprendre comment cette méthode de filage pouvait fournir le genre de fil métal souple requis pour le tissage, la broderie ou la dentelle aux fuseaux.

Certains fils modernes en métal synthétique sont produits selon le même procédé, mais ils sont généralement tordus en Z. Le seul vrai fil de métal d’or et d’argent disponible pour réaliser les échantillons de ce livre était un fil à broder appelé ‘Smooth Passing’ qui est fabriqué en enroulant une bandelette de métal en S autour d’une âme en fils de coton pliés 2 fois et légèrement filés ensemble en Z. Bien que l’enrobant métallique soit en S, la pré-torsion excessive de l’âme rend le fil très raide. Les échantillons finis étaient décevants et ne rendaient pas bien en

56 Bernsted, Anne-Marie, and Folsach, Keld von; Woven Treasures – Textiles from the World of Islam, The David Collection, Copenhagen 1993, p 91. 57 Inévitablement, une légère torsion (identique) était donnée aux fils de l’âme au cours du processus, ce qui était également fait pour la soie et autres fibres pour produire les fils guipés utilisés pour certaines broderies ou dentelles. ( Cela représentait un avantage pour la dentelle aux fuseaux, parce qu’une partie de la torsion en S est perdue au cours du travail, comme cité plus haut, et n’aurait pas été rétablie par des forces naturelles comme c’est le cas de la fibre de lin). Le vrai fil guipé est encore utilisé de nos jours, mais le cordonnet utilisé pour la dentelle est généralement une version plus épaisse du fil plié selon la méthode traditionnelle.

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photographie comparés à ceux faits avec du fil argenté du début du 20ème siècle qui a une âme de soie douce et non filée. J’en déduis que cela venait des facettes créées sur le métal par la texture de l’âme : cela rendait le fil trop scintillant et masquait les détails du travail. Le fil utilisé par les brodeuses appelé “wavy passing” exploite cette tendance et l’augmente en utilisant des fils d’âme de différentes épaisseurs et pliés.

Ainsi, par un chemin détourné, m’est apparue la raison possible pour laquelle on file l’âme et l’enrobant de métal en une seule opération.

.

La torsion du fil et les mouvements de base de la dentelle aux fuseaux

Sonday58 et Levey & Sonday59 soutiennent que le filage de la fibre de lin en Europe du Nord est en Z, l’écheveau plié en S étant le seul facteur déterminant pour la direction des mouvements de base de la dentelle aux fuseaux. Fil d’or moderne avec une âme pré-tordue et (dessous) fil ancien avec une âme non filée. Notez la différence subtile de l’aspect lisse.

Il est clair que le filage et la direction

sont interdépendants comme ils le suggèrent, mais on peut se demander si les mouvements ont été utilisés au début pour le lin.

Il est tout à fait certain que le fil de métal a été également filé en S en Europe pendant de nombreux siècles avant 58 Sonday, Milton, ‘Natural Forces and their effect on basic lace laws’ Kant van de textieldag van 25 april 1985, in het Museum Boymans-van Beuningen te Rotterdam, in sammenweking met de Vereniing ‘Het Kantselet’ pp 61–73. Il discute également de l’importance de la direction du filage pour la dentelle à l’aiguille. 59 Levey, Santina and Milton Sonday, ‘Emergence of the two basic lace techniques’ in Crossover, Contact and Continuity; proceedings of the Textile Society of America, inc, Fourth Biennial Symposium, 1994; publié en 1995.

l’apparition de la dentelle aux fuseaux. Les textiles conservés, certains très anciens, en témoignent. En général, le fil soie était aussi en S.

Si la dentelle aux fuseaux puisait ses origines dans diverses sortes de passementeries du Moyen Age, il est tout à fait plausible de penser que c’est la torsion finale des fils de soie et de métal qui a déterminé les mouvements de croisement et de torsion.

Conséquences de la torsion du fil pour le montage des fuseaux. La plupart des dentellières européennes montent leurs fuseaux dans le sens contraire des aiguilles d’une montre et cela convient parfaitement au fil en S qui, nous l’avons vu, est celui qui convient le mieux pour la dentelle aux fuseaux. Enrouler un fil plié en S défait en partie cette torsion.

Il ne semble pas y avoir de raison pour que les dentellières anglaises et certaines françaises (et sans doute d’autres que je ne connais pas) montent leurs fuseaux dans le sens des aiguilles d’une montre. Autrefois, on pensait que cela remontait au coton filé en Z utilisé pour la fabrication de la dentelle au 19ème siècle. Cependant, bien avant la gravure de la dentelle aux fuseaux, l’Encyclopédie de Diderot, au 18ème siècle, montre un fuseau monté dans le sens des aiguilles d’une montre. 60

En outre, une étude de dentelles de

coton anglaises et françaises du 19ème siècle ne vient pas étayer la théorie du filage en Z puisque toutes les dentelles examinées étaient réalisées avec du fil fini 60 Diderot et d' Alembert, Encyclopedie, 1751-1780, Recueil De Planches,Vo1. IV, Paris, 1763. Les dentellières de la région du Puy-en-Velay montent toujours leurs fuseaux dans le sens des aiguilles d’une montre.

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en S. D’après Philip Sykas, le fil de coton filé à la machine était plié en Z au 19ème siècle, essentiellement pour la fabrication du fil à coudre à la machine. 61

Ce qui semble notable, en particulier vers la fin du 19ème siècle, est la quantité de torsions données au fil. Dans de nombreuses pièces de dentelle anglaise de Bedfordshire, on trouvait des fils câblés avec 4 fils en S, pliés en Z, qui étaient repliés en S pour produire un fil très ferme. Il aurait pu gagner à perdre un peu de cette torsion lors du montage des fuseaux dans le sens des aiguilles d’une montre.

Quelle que soit la raison des habitudes différentes de montage des fuseaux, comme Jean Leader le montre bien clairement, 62 la direction de l’enroulement n’importe pas si le fil est enroulé sur le fuseau, à la main ou avec un bobinoir, et l’axe long de la bobine est parallèle au col du fuseau. Les représentations que l’on voit d’anciens bobinoirs ne semblent pas le prévoir, mais c’était une variable admise dans le filage industriel du 19ème siècle.

61 See ‘Re-threading; Notes Towards a History of Sewing Thread in Britain’ from MaryBrooks (ed.), Textiles Revealed; object lessons in historic textile and costume research, Archetype, London 2000. pp 123-135 62 Winding & Twist Direction, article que l’on peut trouver sur son site web jeanleader.co.uk. Brenda Paternoster a également rédigé un article à ce sujet paternoster.orpheusweb.co.uk

Les différentes méthodes de travail Les dentellières européennes qui

montent leurs fuseaux dans le sens contraire des aiguilles d’une montre utilisent généralement ce que l’on appelle la méthode « ouverte » ce qui assure que quel que soit le point travaillé, il se termine par un croisement. Par exemple, le demi-point est travaillé en torsion, croisement au lieu de croisement, torsion. Les dentellières savent que c’est la meilleure façon de réaliser une jolie tresse bien plate, peut être alors que c’est ainsi que s’est instaurée la convention - si nous estimons que les dentelles tressées furent les premières à être réalisées.

Les dentellières qui montent leurs fuseaux dans le sens des aiguilles d’une montre utilisent généralement la méthode « fermée » selon laquelle les fils restent tordus à la fin d’un point ; comme expliqué plus haut, c’est la seule méthode possible quand le coussin a une surface de travail plate. La raison de cette différence dans les méthodes de travail peut nous être inconnue, mais elle n’a vraisemblablement rien à voir avec la torsion du fil.

Banc pré-industriel pour fileter le métal fin à la main.

Une tête de fuseau simple montrant les fibres de l’âme tendues, ce qui permet l’enroulement régulier de la bande de métal

Les deux diagrammes sont extraits de Bernsted and Folsach (note 56. Or note 57 in original English text).

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I – 4: Le matériel pour les premières dentelles

Il n’y a, hélas, plus de traces écrites des aspects pratiques de la vie d’une dentellière professionnelle avant le 18ème siècle, par conséquent, on sait peu de choses de l’équipement utilisé dans les premières années. On trouvera ci-dessous des quelques faits aisément collectables. Il est indéniable que plus d’informations seront disponibles un jour. Le cousin à dentelle et les fuseaux

Mrs Bury Palliser63 décrit une nappe d’autel de 1495 par Quentin Matsys dans une chapelle adjacente de l’Eglise St Pierre à Louvain. …Sur laquelle est représentée une jeune fille faisant de la dentelle avec des fuseaux sur un coussin avec un tiroir, semblable à celui que l’on utilise encore. Jourdain et Dryden l’ont contesté avec force dans leur révision de 1911 de l’ouvrage de Palliser.

Il semble donc que l’illustration la plus ancienne de dentellières au travail est l’illustration à la planche, datant de 1561, sur la couverture du Nüw Modelbuch. Il est possible que cela se situe tardivement dans l’histoire de la dentelle, mais cela nous montre bien que l’équipement de base est très semblable à ce que nous utilisons aujourd’hui, excepté la taille du coussin et des fuseaux. Les fuseaux sont vraiment très gros et le coussin est plus volumineux que celui sur lequel nous travaillons aujourd’hui, ces éléments

63 Palliser, Mrs Bury; History of Lace, Sampson and Low, London. 1865 edition, p 94. Louvain est maintenant en Belgique et connue sous le nom de Leuven.

indiquant que le fil utilisé alors était plutôt gros.

Tornehave présente une image de sept fuseaux anciens, découverts lors de fouilles faites à Copenhague. Deux furent trouvés à Bremerholm: le plus ancien, daté de 1550, est un petit fuseau fin en os tourné, qui est supposé avoir été utilisé pour faire de la dentelle plutôt fine, peut-être celle qui nécessitait le crochetage.( Un certain nombre de modèles de Le Pompe, par exemple, ne peuvent pas être faits sans crochetages) L’autre, de 1570, est un fuseau de bois bien plus gros, grossièrement taillé au couteau, et visiblement plus adapté pour un fil lourd. 64

L’Annonciation d’Allori, datée de 1603, montre l’archange Gabriel apportant la bonne nouvelle à Marie, et interrompant apparemment son travail de dentelle. 65 Le coussin et les fuseaux sont différents de ceux du Nüw Modelbuch: en fait les fuseaux sont très différents de ceux que les dentellières utilisaient, du moins à notre connaissance. L’explication d’Ervø à ce sujet est plausible. 66

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64 Tornehave, op. cit., fig 3, p 17. 65 Alessandro Allori , 1535-1607; The Annunciazione, 1603, Galleria Accademia, Florence, inv. 1890/131. 66 Ervø, Vibeke; ‘A Lacepillow in Firenze’, Bulletin OIDFA, 1993/4, pp 22-23. La navette “flûte” de basse lisse a été dessinée par Ervø, d’après les fuseaux du tableau . Les navettes pour la tapisserie de haute lisse (‘broches’) – ont des extrémités pointues et un col plutôt comme les gros fuseaux de Honiton.

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Les fuseaux [de Mary] ne ressemblent pas à des fuseaux ordinaires. Je pense qu’elle utilise des fuseaux à tapisserie, pas la broche du métier de haute lisse…mais la « flûte » du métier de basse lisse. Ce raisonnement est étayé par le fait qu’ Allori était en charge de l’atelier de tapisserie des Médicis à Florence, tout en étant également un peintre maniériste reconnu.

Pour autant que je sache, il y a, au moins, deux autres représentations d’un coussin à dentelle et de fuseaux entre l’illustration à la planche du Nüw Modelbuch et le tableau d’Allori. L’une d’entre elles est la gravure d’après Martin de Vos que Palliser présente comme datant de 1581.67 La seconde, également

dans Palliser, est ce qu’elle a appelé « l’Atelier ». C’est un détail d’une gravure de Galle d’après Stradan68, de la fin du 16ème siècle. Les deux gravures montrent un tambour en forme de coussin et des

67 Palliser op.cit., 1865, p 95, fig 49. Martin de Vos est né en 1532 et mort en 1603. Catalogue d’information du British Museum pour les légendes complètes ‘Vénus: elle s’appuie contre un nuage et prend une flèche à Cupidon ; en bas, sur terre, un homme présente un aigle perché sur son doigt à côté de ‘diligentia’, une femme tissant [ou faisant du sprang?] et une jeune fille faisant de la dentelle.’ 68 Palliser op. cit., 1865, p 79, fig 41. Johannes Stradano ou Stradanus est né à Bruges en 1523 et mort à Florence en 1605. C’était un artiste de la Cour des Médicis. Une partie de la gravure a été reprise sur la couverture du Catalogue de l’Exposition Itinérante du Victoria and Albert Museum The Needle's Excellency, 1973.

fuseaux, mais il est difficile de dire si l’on fabrique de la dentelle ou de la tresse.

Il y a un certain nombre de portraits

de dentellières flamandes et hollandaises, de la fin du 17ème siècle, les plus connues étant celles de Vermeer, Netscher et Van Brekelenkam. La plupart représente un coussin à dentelle avec une surface en pente et un tiroir, comme on peut encore en voir de nos jours. La forme des fuseaux est très semblable à ceux que l’on a retrouvés après le naufrage du Batavia, seulement ils sont plus grands.

Le fuseau du tableau d’Allori

dessiné par Vibeke Ervø. Les petites bosses au sommet et en bas maintenaient le fuseau en place dans la navette d’un métier à tapisserie de basse lisse.

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Des fuseaux du même type sont suspendus au coussin de la dentellière dans une œuvre de Bernhard Keil.69 Keil est né au Danemark mais il a vécu et travaillé en Flandres avec Rembrandt, puis en Italie. Le coussin est un très gros tambour, plutôt semblable aux coussins de la gravure à la planche du Nüw Modelbuch et les fuseaux sont aussi assez gros.

D’après Tornehave les cinq autres

fuseaux de l’image qu’elle présente sont en fait flamands, bien qu’ils aient été trouvés au Danemark. Quatre sont en bois tourné et un a été taillé. Ils datent des années 1630 - 1680. Ces fuseaux peuvent venir appuyer l’argumentation de Linnove selon laquelle l’art de la dentelle aux fuseaux (c’est-à-dire, la dentelle de mode, pas la dentelle sans carton) a voyagé jusqu’à certaines régions de Scandinavie à partir des Flandres, lorsque les dentellières ont fui les persécutions religieuses. 70

Plus tard, les styles de fuseaux évolueront pour s’adapter à la fabrication des différentes sortes de dentelle. Par exemple, les fuseaux pour faire les dentelles en morceaux séparés devaient être très lisses pour que les crochetages

69 Bernhard Keil (1624-1687) The Lacemaker; Metropolitan Museum of Art, 1971.115.2. Pris en compte par Ervø pour dater sa période italienne. 70 Tornehave, op. cit.; p 8 de la traduction anglaise. La Flandre n’existe plus en tant que pays à part entière. A l’origine, c’est la somme de ce qui est actuellement la partie méridionnale des Pays Bas, la Belgique et le Nord Est de la France.

soient plus faciles. De plus, la taille des fuseaux était déterminée par la taille du fil utilisé, comme c’est le cas pour les dentellières modernes. Le style et la finesse de la dentelle étaient à leur tour

déterminés par les changements de la mode. En dépit de ces considérations, les fuseaux actuels semblent très peu différents des styles régionaux d’origine, ce qui est plutôt étonnant.

La forme des coussins à dentelle. Les quelques illustrations disponibles de coussins à dentelle du 16ème siècle, présentent des formes simples, plutôt comme de gros coussins. En fait, ils sont comme des versions, en plus large, du coussin utilisé par la lingère, pour accrocher le tissu lorsqu’elle fait des ourlets ou des fronces. Le coussin du Nüw Modelbuch est particulièrement large, signe que l’on fabriquait une dentelle plutôt lourde. Les deux gravures de Palliser, qui sont de la fin du 16ème, montrent des coussins plus petits et des fuseaux qui font penser qu’il y avait déjà un certain raffinement des techniques. De nombreuses dentellières anglaises continuèrent à travailler sur des carreaux en forme de coussin de différentes tailles jusque tardivement dans le 19ème siècle, ce qui les amenait à devoir « monter » leur ouvrage quand elles atteignaient la base de leur modèle. Cela pouvait être extrêmement contraignant, les obligeant à enlever toutes les épingles (tout en soutenant les fuseaux et la dentelle pour

Fuseaux à dentelle en bois retrouvés sur le VOC

retourschip Batavia qui a quitté les Pays Bas en 1628.Il a coulé au large de la côte occidentale de l’Australie en 1629. Les fuseaux font 93 mm et 98 mm de long. (Voir la reconstitution des fragments de dentelle pages 77-79.)

Western Australian Maritime Museum, BAT 6351 and 6352; photographie de Patrick Baker.

Détail de la gravure Septem Planetae;Venus, (illustration 3, Les Ages de l’Homme: Adolescence) qui a été simplifié dans Palliser. Adriaen Collaert after Marten de Vos, 1581.

© Trustees of the British Museum 1862,0712.323, AN188236.

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éviter la déformation), puis à les repiquer au sommet du modèle. Dans le tableau d’Allori, le coussin était un gros polochon, ce qui rendait le déplacement inutile, si deux sections identiques du modèle était utilisées, et pouvaient tourner autour de la circonférence du polochon jusqu’à la fin de la dentelle. C’est le genre de polochon qui est encore utilisé en Italie et dans d’autres régions d’Europe. Dans d’autres pays, les dentellières ont découvert l’avantage de travailler sur un coussin avec un petit cylindre inclus au milieu, autour duquel le piquage (ou modèle piqué) est accroché. Si nécessaire, le cylindre peut être molletonné, pour que les deux extrémités du modèle puissent se raccorder parfaitement, ce qui permet aux dentellières de travailler sans avoir à procéder au déplacement de leur ouvrage. La gravure de Diderot mentionnée page 14 illustre ce genre de coussin à dentelle. Dans une certaine mesure, la forme du coussin dépendait du type de dentelle qui y était réalisé- si elle était continue, ou si c’était une dentelle en morceaux qui nécessitait que l’on tourne le coussin sous différents angles pour faciliter les crochetages. Un coussin plat était évidemment le plus adaptable au maximum de types, et le coussin avec un cylindre inclus le plus limité. Les gros coussins pouvaient, et c’est encore le cas, s’adapter aux deux genres de dentelles, par exemple, en Italie et dans certaines régions d’Europe de l’Est.

Le contenu du coussin. Bien que nous ne puissions en être parfaitement sûrs, il n’y a pas de raison de supposer que les premiers coussins étaient remplis différemment des coussins actuels,

mis à part les matériaux synthétiques bien entendu. Des sources ultérieures mentionnent la paille et le foin, mais on utilisait également le crin de cheval et sans doute tout autre matériau bon marché ou facilement disponible, qui pouvait être facilement compressé pour tenir fermement les épingles. Une couverture de tissu solide ainsi que le piquage (s’il était utilisé) assuraient encore plus l’ancrage des épingles.

Les fuseaux pour le fil de métal Il est possible que le tableau d’Allori donne une représentation précise des fuseaux utilisés pour le fil d’or, bien qu’il soit plutôt étrange que le fil soit enroulé autour de la partie inférieure du fuseau, où il se trouve ainsi en contact permanent avec les mains de la dentellière. A d’autres égards, ces fuseaux pourraient être parfaitement adaptés parce que le bout est assez épais pour empêcher tout dommage à la gaine métallique du fil au cours du bobinage et de nouage.

On a une preuve de l’usage ultérieur de fuseaux à crochet, qui sont toujours populaire et pratique pour le fil métallique (et fil de fer) parce qu’ils évitent d’avoir à pratiquer un nouage.

Y avait-il des fuseaux en os? Les plus anciennes références anglaises à la dentelle aux fuseaux utilisent le terme de « dentelle à l’os », apparemment parce que l’on utilisait des os de petits animaux en guise de fuseaux. Jackson mentionne également la dentelle à l’os (‘lavoro ad ossa’) en relation avec l’Italie71, et le terme est courant dans les inventaires de garde robes au début de la Renaissance ainsi que

71 Jackson, Mrs Neville and Ernesto Jesurum; History of Hand-made Lace, L Upcott Gill, 1900, p 14. ( Voir également les notes 104 et 105 page 31 de ce livre.)

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dans la littérature de cette période. Ceci n’est pas surprenant puisque l’os était une marchandise bon marché et facile à trouver, qui, sinon, aurait été jetée. En outre, il a été utilisé depuis la préhistoire pour réaliser de petits outils quotidiens tels que des fuseaux, des peignes, des aiguilles et des épingles. Il ne manque pas de fouilles où l’on n’ait mis à jour des fuseaux de toutes sortes, et l’on rapporte qu’un trésor découvert à Kourion, en Chypre contenait de petits fuseaux d’os, que les femmes locales ont identifiés comme étant des fuseaux à dentelle. Ils sont grossièrement taillés et, d’après leur forme, on peut penser qu’il s’agit de fuseaux à tapisserie, ce qui n’aurait pas été étonnant pour la période et le lieu. 72 On pense qu’ils datent de la période romaine tardive (le 4ème siècle après JC) mais ils peuvent être antérieurs. Les fuseaux de tapisserie pour les métiers de haute lisse ont des extrémités pointues avec lesquelles on peut tasser les fils. Les fuseaux de Kourion, plutôt petits, peuvent avoir servi à confectionner les bandes de tapisserie qui ornaient souvent les vêtements romains. Palliser suggère que le terme « dentelle à l’os » a été initialement utilisé pour distinguer la dentelle de fil de la passementerie de métal et de soie.73 Arnold, dans un écrit plus récent, utilise également le terme de “dentellière à l’os”

pour désigner les femmes qui faisaient de la dentelle en fil de lin au cours du 16ème

72 Soren, David,‘The Day the World Ended At Kourion’, National Geographic: July 1988, Vol.174, No. 1, p.30-53; les fuseaux sur illustrés page 47. 73Palliser, op. cit. p 271 (p 296, 1911 revision)

siècle. 74 (L’usage postérieur de dentelle aux fuseaux peut faire reference à la finesse des fuseaux et de la dentelle.) Si l’on se base sur l’information fournie par le fuseau trouvé dans les fouilles de Copenhague, certains fuseaux d’os étaient fabriqués au tour, alors que d’autres peuvent avoir été de simples petits os entiers. Si les fuseaux tournés étaient plutôt courants, on pourrait imaginer qu’il pourrait espérer en trouver un plus grand nombre, alors que des petits os d’animaux non travaillés peuvent échapper à l’identification comme étant liés à la fabrication de dentelle. Dans leur grande majorité, les vestiges du 16ème et du 17ème siècle semblent avoir été du bois tourné ou taillé. Nous savons avec certitude que l’os était un matériau apprécié dans la période suivante, en particulier chez les dentellières anglaises dont les fuseaux étaient très minces. (Il aurait été plus difficile de tourner les fuseaux à bulbe européens à partir d’os.)

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74 Arnold, Janet with Santina Levey and Jenny Tiramani; Patterns of Fashion 4: la coupe et la fabrication de cols en smocks de chemises de lin, coiffures et accessoires pour hommes et femmes vers 1540 – 1660; Pan Macmillan, 2008. p 7

Un fuseau moderne à crochet - 11cm de long environ.

Dessin d’un fuseau en os, fouilles de Kourion.

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Les épingles On a longtemps supposé que les épingles, à la fin de la période médiévale, étaient à la fois rares et grossières, mais les recherches des dernières décennies nous ont prouvé que ce n’était pas le cas. On dit que la fille d’Edouard III, la Princesse Joan, possédait dans son trousseau de 1348 12.000 épingles pour ses voiles, et en 1440, deux galères vénitiennes ont accosté à Southampton, lors d’un voyage retour depuis les Flandres, avec 83.000 épingles parmi d’autres chargements. 75

Egan et Pritchard ont étudié 800 épingles parmi de nombreuses autres découvertes dans des fouilles à Londres dans les dernières décennies du 20ème siècle. Trois épingles de laiton de la fin du 12ème siècle sont particulièrement remarquables pour leur finesse, car elles font environ 5 mm d’épaisseur. Ce sont les plus fines que l’on ait découvert pour l’ensemble de la période médiévale ; en comparaison, les épingles de laiton les plus fines que l’on puisse se procurer de nos jours font 5.5 mm d’épaisseur.

D’autres épingles illustrées sont fines et semblables à la taille des épingles vues sur les voiles des femmes dans des portraits du 15ème siècle. Par exemple, le portrait par Robert Campin, Une Femme, 1435, montre nettement deux épingles dans son lourd voile plissé, et le Portrait d’une Dame, vers 1465, de l’atelier de Rogier van der Weyden (étudié dans la Partie II, page 25) montre une petite épingle dans son voile et une autre au col de sa camisole. Le même genre d’épingle peut avoir été utilisé pour la dentelle aux fuseaux vers la fin du 15ème siècle, tout en

75 Egan, Geoff, and Francis Pritchard; Dress Accessories 1150 – 1450, Museum of London, Boydell. 2002 edition. p 207, citing Nicholas, 1846, and Cobb, 1961.

étant également un outil essentiel pour la lingère.

Le fait que les épingles aient été abondantes dès le 14ème siècle, au moins, peut- être dû aux progrès du filetage qui joua un rôle dans la production du fil d’or et d’argent. Fileter le laiton peut avoir été difficile avant l’avènement des moulins à eau, car le métal est très dur.

Bien qu’elles aient été produites en grand nombre, les épingles restèrent pourtant chères jusqu’à leur production de masse au 19ème siècle, car le travail à la main était à la fois long et exigeant. Palliser dit que, lorsque la dentelle aux fuseaux a été introduite dans le Devon, les épingles étaient bien trop coûteuses pour les dentellières. Comme il s’agissait majoritairement de femmes de marins, elles utilisaient les arêtes en guise d’épingles. Bien qu’il soit difficile d’imaginer qu’elles soient assez solides, à moins d’être très grosses, d’autres auteurs ont perpétué cette idée pendant tant d’années qu’il est difficile de savoir exactement si cela a été le cas.

L’usage cité d’autres matériaux tels que des éclats de bois ou des os de poulet, ainsi que des épines de différentes sortes, est plus plausible. Davydoff note que les dentellières russes n’utilisaient que les épines en guise d’épingles - celles du poirier sauvage. 76 (Pour ce qui est de mon expérience dans mon propre jardin, je sais qu’elles sont très grandes, pointues et solides.) Selon Gwynne, les épines noires du prunus spinosa se trouvaient facilement dans les haies en Angleterre, et peuvent avoir fourni un substitut idéal aux épingles. Elle cite également Radmila Zuman qui a vu des dentellières

76 Davydoff, Sophie; La Dentelle Russe, Hiersman, Liepzig 1895.

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brésiliennes actuelles utiliser des épines de cactus. 77 L’éclairage.

La lumière du jour était la meilleure lumière pour nos ancêtres dentellières, il est donc significatif que la couverture du Nüw Modelbuch montre deux dentellières au travail près de fenêtres hautes et larges. Cependant, au cours des hivers européens, les jours sont courts, et il est possible qu’une forme de lumière artificielle ait été essentielle ; la seule lumière du feu dans l’âtre pouvait à peine suffire, et la plupart des dentellières ne pouvaient se permettre de rester assises inoccupées dans le noir.

De nos jours, la dentellière dispose d’un choix époustouflant de lampes pour éclairer son travail, elle peut même en choisir une avec une loupe incorporée. Il est donc difficile d’imaginer comme il pouvait être difficile pour les premières dentellières de voir ce qu’elles faisaient alors qu’elles ne disposaient que de la lumière des bougies ou des lampes à huile pour travailler après la tombée du jour. Bien que la plupart des écrits traitant de cet aspect de la fabrication de la dentelle ne relate que les 18ème et 19ème siècles, nous savons que des bougies ont été utilisées pendant des siècles.

Les meilleures bougies pour une dentellière étaient faites de cire d’abeille qui se consumait proprement, cependant, elles étaient les plus chères et probablement hors de portée de la plupart des premières dentellières qui travaillaient seules dans leurs chaumières. Nous savons que vers le 19ème siècle, si ce n’est plus tôt, elles travaillaient en groupe autour d’une grosse bougie sur une sorte de support,

77 Gwynne, Judith; The Illustrated History of Lace, Batsford, 1997, p 7.

qui pouvait se monter, à mesure que la bougie se consumait. Elle était entourée de six loupes d’eau, une pour deux ou trois dentellières. Une loupe d’eau était une bouteille de verre sphérique contenant l’eau la plus pure possible, souvent de l’eau de neige : lorsqu’elle était posée devant une bougie ou une lampe à huile, elle concentrait la lumière de la flamme sur une petite zone de travail. L’eau devait être pure pour éviter les ombres de particules en suspension.

De nombreux auteurs, y compris Thomas Wright, ont expliqué comment ce type d’éclairage était utilisé.

Souvent, il y avait trois cercles de dentellières autour du porte bougie- d’où les termes Première, Seconde et Troisième Lumières ; et les tabourets des [dentellières] étaient parfois de hauteurs différentes, les plus proches de la lumière étant les plus hauts. Sur un rayon, à petite distance du porte-bougie, on pouvait voir la boîte d’amadou, qui était généralement ronde et en étain. Au fond, se trouvait l’amadou (du chiffon brûlé), et au-dessus de l’amadou se trouvait un couvercle circulaire sur lequel étaient posés les silex et le marteau de fer. Dans le couvercle de la boîte, il y avait un bougeoir. Pour obtenir de la lumière, il fallait produire une étincelle, pour qu’elle tombe sur l’amadou. Un petit bout de bois avec une extrémité garnie de soufre était approché de l’étincelle, et l’on pouvait allumer ainsi la bougie. 78

Les dentellières n’étaient pas les

seules artisanes à utiliser ce type de lumière. Les horlogers, les joaillers et les cordonniers avait aussi besoin du même type de lumière concentrée sur un point. Au 18ème siècle, on fabriqua des lampes en verre soufflé décoratives. Elles sont souvent appelées à tort « lampes de 78 Wright, Thomas; The Romance of the Lace Pillow, H H Armstrong, UK, 1919, p 111-112.

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dentellières », étant utilisées plus souvent par d’autres artisans ou par d’autres personnes dans les salles de dessin. Elles consistaient en un support en verre soufflé, avec une bouteille d’huile ouverte en haut et une mèche flottante. Elle était accompagnée d’une bouteille d’eau séparée sur un support décoratif identique.

Bien que nous ne sachions pas avec certitude ce que les premières dentellières utilisaient, les notes des catalogues pour ce type de lampe de la collection du Powehouse Museum stipulent que :

Ce genre d’appareil a été utilisé sous une forme ou une autre depuis le Moyen Age. Le concept est toujours utilisé dans certaines régions rurales de Scandinavie où l’accès à l’électricité est limité, et où les jours sont courts. 79

.

Grossissement et lunettes On dispose d’une foule d’information sur l’histoire des loupes grossissantes et des lunettes. Le développement moderne de ces deux objets aurait étonné les premières dentellières. Il est fort probable que les Chinois aient eu des loupes (ainsi que d’autres techniques) bien avant qu’elles aient apparu en Occident et certains disent que les premiers Egyptiens avaient créé une sorte de lentille à partir de pierres semi-précieuses. 80

79 Annette Keenan, Curator of Glass, Powerhouse Museum, c. 1985 .Notes de catalogue pour l’objet n° A11088. 80 Je suis heureuse de faire savoir que cette petite section a été créée à partir de nombreuses sources internet et références écrites glanées au cours d’un grand nombre d’années. Elles contiennent des informations à la fois semblables et contradictoires . J’ai donc essayé de faire une approche modérée et très simplifiée.Le texte de la conférence What Man Devised That He Might See par Dr Richard D Drewry de University of Tennesee, Hamilton Eye Centre offre un point de vue intéressant..

En Europe, l’histoire a probablement commencé vers l’an 1000, avec la « pierre à lire » qui était une loupe faite d’un morceau de boule de verre. Son côté plat était déplacé sur la page d’écriture pour grossir les lettres.

Plus tard, les Vénitiens fabriquèrent une loupe dans un cadre monté sur un manche pour qu’elle puisse être tenue devant les yeux plutôt que posée sur la page. La fresque de Tomaso da Modena, 1352, représente le Cardinal de Rouen lisant avec ce type de loupe. 81 Au cours du 15ème siècle, de nombreux portraits montrent des lunettes : apparemment une paire de lentilles montées de façon à pouvoir être pincées sur le nez comme dans la peinture de Crivelli, 1490, Saint Pierre et Saint Paul. 82 Dès le 16ème siècle, des lentilles correctrices étaient disponibles pour la vue de loin et de près. Le problème suivant était de pouvoir garder les lunettes confortablement en place. On peut voir un portrait d’un cardinal83, par El Greco, vers 1600, qui porte de grosses lunettes cerclées de noir, retenues par des boucles passées derrière ses oreilles ; une bonne solution sans doute, mais fort peu esthétique. Ce n’est pas avant le début des années 1700 que des branches rigides furent créées pour reposer sur le haut de l’oreille.

De nombreux auteurs affirment que certains personnages étaient représentés avec des lunettes pour signifier leur sagesse et leur sérieux, sans considérer s’ils en avaient vraiment besoin pour voir.

81 Carlo Crivelli, 1435-1495; Chapter House, San Niccolò, Treviso 82 Galerie dell Accademia, Venice. 83 Thought to be Don Fernando Ninõ de Guevara. Metropolitan Museum of Art, New York, H O Havemeyer Collection, 1929.100.5.

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Il est également courant de dire que les lunettes contribuèrent au renouveau de l’enseignement, puisque les étudiants qui avaient dû auparavant renoncer à la lecture lorsque leur vue devenait défaillante, pouvaient désormais continuer leur travail à l’infini.

Selon Norman Davies, l’invention des lunettes que l’on pouvait utiliser « sans les mains » prolongèrent de plus du double la vie des artisans qualifiés, en particulier ceux qui faisaient un travail de précision. 84 Cette observation perspicace peut également s’appliquer aux dentellières aux fuseaux mais on peut se demander si elles avaient les moyens de s’offrir un tel luxe, ou, vraiment, si elles vivaient assez longtemps pour voir leur vue se détériorer. Comme Gil Dye le souligne, ce n’est pas que la dentelle aux fuseaux était un métier particulièrement dangereux, mais plutôt que « à l’apogée de la fabrication de la dentelle, l’espérance de vie n’excédait pas 40 ans. » 85 Il est possible également que les premières dentelles aux fuseaux n’étaient pas faites avec du fil très fin si bien qu’elles ne fatiguaient pas autant la vue que la dentelle à l’aiguille ou la broderie, par exemple.

Autant que je sache, il n’existe pas de document iconographique du 16ème siècle représentant une dentellière avec des lunettes, mais on peut voir une brodeuse portant des lunettes sur la gravure qui orne la couverture du livre de modèles de Siebmacher de 1597. 86

84 Davies Norman; Europe: a History, Oxford University Press, 1996. p 369. 85 Dye, Gil; ‘Specs and the Lacemaker’, Lace, UK, April 1994, p 15 86 Siebmacher, Johann; Neues Modelbuch, Nuremberg, 1597.