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Le Mahatma Gandhi et le Christianisme. Quel regard Gandhi posait-il sur Jésus-Christ et les Chrétiens ? Conférence donnée 'aux Amis de l'Université', le 8 octobre 2019, au Centre culturel Lucet Langenier, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi par le P. Isaïe AUDHUY (CB et curé de la paroisse de Terre Sainte) Plan de la conférence Introduction 1. Le contexte religieux du jeune M. K. Gandhi au Goudjerate 2. Ses réels contacts avec le Christianisme et les Chrétiens, en Angleterre puis en Afrique du Sud 3. De diverses personnalités qui ont plus particulièrement marqué Gandhi 4. Le regard de Gandhi sur le Christianisme et les Chrétiens 5. Influence de Gandhi sur des personnalités chrétiennes 6. La point de vue sur la conversion (au christianisme) chez le Mahatma Conclusion et appendices En introduction : Quand vint en Inde en 1942, le célèbre journaliste américain Louis Fischer, il rencontra Gandhi chez lui, et sur le mur de sa chaumière, il s’étonna de voir une image de Jésus, sous laquelle était écrit : « Il est Notre Paix ». L’interrogeant, il s’entendit répondre par le Mahatma : « Je suis chrétien et Hindou, et Musulman et Juif ». Ce qui fit dire à certains Chrétiens trop contents de le ‘baptiser’ qu’il était chrétien, au moins de cœur… Il est vrai qu’à plusieurs occasions ou interviews, il manifesta une ouverture à toutes les traditions religieuses, ce qui a pu faire dire à d’autres, que sa foi était syncrétiste’ ! Ainsi, une fois, on demanda à Gandhi : « Diriez-vous que votre religion est une synthèse de toutes les

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Le Mahatma Gandhi et le Christianisme. Quel regard Gandhi posait-il sur Jésus-Christ et les Chrétiens ?

Conférence donnée 'aux Amis de l'Université', le 8 octobre 2019, au Centre culturel Lucet Langenier, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi par le P. Isaïe AUDHUY (CB et curé de la paroisse de Terre Sainte)

Plan de la conférence

Introduction 1.   Le contexte religieux du jeune M. K. Gandhi au Goudjerate2.  Ses réels contacts avec le Christianisme et les Chrétiens, en Angleterre puis en Afrique du Sud   3.   De diverses personnalités qui ont plus particulièrement marqué Gandhi4.    Le regard de Gandhi sur le Christianisme et les Chrétiens5.   Influence de Gandhi sur des personnalités chrétiennes 6.  La point de vue sur la conversion (au christianisme) chez le MahatmaConclusion et appendices

 

En introduction : Quand vint en Inde en 1942, le célèbre journaliste américain Louis Fischer, il rencontra Gandhi chez lui, et sur le mur de sa chaumière, il s’étonna de voir une image de Jésus, sous laquelle était écrit : « Il est Notre Paix ». L’interrogeant, il s’entendit répondre par le Mahatma : « Je suis chrétien et Hindou, et Musulman et Juif ». Ce qui fit dire à certains Chrétiens trop contents de le ‘baptiser’ qu’il était chrétien, au moins de cœur… Il est vrai qu’à plusieurs occasions ou interviews, il manifesta une ouverture à toutes les traditions religieuses, ce qui a pu faire dire à d’autres, que sa foi était ‘syncrétiste’ ! Ainsi, une fois, on demanda à Gandhi : « Diriez-vous que votre religion est une synthèse de toutes les religions ? » Il répondit : « Oui, si vous voulez, ajoutant immédiatement que, quant à lui, il appellerait cette synthèse hindouisme, un Chrétien l’appellerait christianisme et qu’un musulman l’appellerait islam ». Il disait avoir foi en une religion, « où il y a un espace pour tous les prophètes du monde ». Aurait-il été donc un bahaï qui s’ignore ? Jacques Vigne disait voici quelques années, ici même à Saint-Denis, que « Gandhi n’était pas dogmatique ; il voulait être en accord avec sa réalité intérieure et une expérience plutôt souple du Divin. Il s’agissait plus d’une valeur que d’une croyance.» (La pensée de Gandhi et la psychologie de la non-violence » 1er

paragraphe). Nous allons essayer de répondre à la question qui est la mienne dans cette intervention, à savoir : « Gandhi, Jésus et les Chrétiens ». 

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1. Le contexte religieux du jeune Gandhi

Gandhi est né hindou et dans une famille porteuse des valeurs de l’Hindouisme (particulièrement ‘vishnouiste’, son livre de chevet sera ‘la Bhagavad Gita’ et son Dieu de prédilection, Rama) ; toutefois la famille était « ouverte ». Gandhi écrit dans son ‘Autobiographie’ « que son père et sa mère faisaient une habitude de fréquenter le Haveli comme les temples de Shiva et de Rama, et de nous emmener ou de nous y envoyer tout jeunes encore » (p. 47). Son père avait des amis musulmans et parsis, qu’il écoutait avec respect, lors de leur visite. Seul le christianisme semble manquer à l’appel, au moins à cette époque, et dans le contexte de sa région d’origine (on va le voir plus loin).

A Rajkôt, le jeune homme acquiert certaines notions fondamentales de la tolérance, envers les différentes branches de l’hindouisme et des religions sœurs. Dans cette région de l’Inde, à l’époque parsemée de royautés et de petits Etats gouvernés par des maharajas, se trouvent des Hindous, des Musulmans, des Jaïnistes et quelques autres religions, numériquement mineures (Sikhs, Parsis…).  Il perd son père à l’âge de 14 ans, mais est déjà marié ; sa mère est extrêmement pieuse et elle aura une influence forte sur lui. Parmi les amis très proches de la famille, il y a une famille jaïniste, qui elle-même exercera une influence morale et spirituelle notable sur toute la famille. Il raconte dans son Autobiographie : « Des moines jaïns rendaient aussi visite à mon père, et s’écartaient même de leur chemin pour accepter de manger à notre table bien que nous fussions des non-jaïns. Ils s’entretenaient avec mon père, tant de religion que de sujets séculiers » (p. 47). Son séjour d’étude en Europe n’est pas acquis d’emblée, au niveau familial. Son oncle, notamment, doute que celui-ci « ne soit sans préjudice pour la religion (de son neveu) ». (P. 53). Quand finalement, à l’âge de 19 ans, le jeune Gandhi part pour l’Angleterre en vue de devenir avocat, il sait qu’il est hindou (et veut le rester), mais il demeure encore assez ignorant de sa religion, de ses livres saints et du véritable sens des us et coutumes de la tradition. Il a reçu l’autorisation de la famille et notamment de sa mère, de partir pour Londres, à la condition de respecter les 3 vœux d’abstinence (ou promesses) qu’il lui a faites : pas de viande, pas de vin et pas de femmes. Le jeune Gandhi est marié depuis l’âge de 13 ans à Kastourbaï, et bien que de tempérament très jaloux, il a d’autant plus conscience de ce que représente la fidélité conjugale.

Dans la famille Gandhi, on peut s’étonner de ‘cette radicalité sur la viande’ par exemple alors que l’interdit incombe d’abord et avant tout aux brahmanes. Sa famille est de la caste des ‘Banians’, c’est-à-dire des marchands. L’influence jaïniste de leurs amis sur ce point précis est très nette. Le Manavadharmashastra (les lois de Manou), n’interdit pas l’usage de la nourriture carnée, ni même la mise à mort de certains animaux. Il semble que ce soit donc l’influence du Bouddhisme et

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du Jaïnisme qui ait pesé, et imposé cette pratique plus généralisée, dans certains courants de l’Hindouisme. L’Hindouisme est, en effet, un ensemble extrêmement varié et divers de systèmes philosophiques et religieux. On peut choisir « sa » divinité majeure, et bien sûr tous les Hindous ne sont pas végétariens. Il est intéressant de lire dans son ‘autobiographie’ ou ‘mes expériences de la vérité’ son passage à Calcutta, lors de son retour en Inde (1915) et ses réactions vis-à-vis des pratiques sanglantes du culte de Kali.

« Nous fûmes accueillis par des rivières de sang. Je ne pus supporter de rester plus longtemps. J’étais exaspéré ; je ne tenais pas en place. Je n’ai jamais oublié ce spectacle… J’avais le sentiment qu’on devait mettre fin à un rite aussi barbare… mais je voyais bien, hélas, que personnellement je n’y pouvais rien. Mon opinion n’a pas changé depuis. » Et il conclut ce chapitre par cette interrogation : « Comment se peut-il que le Bengale, terre de connaissance, d’intelligence, d’esprit de sacrifice, de sensibilité, tolère de tels massacres ? » (P. 297-298)

Son premier contact avec le Christianisme, avant de partir en Angleterre, est plutôt défavorable.  Il y a un évènement emblématique qu’il rapporte (toujours dans son ‘Autobiographie’), et il écrit à son propos, « qu’il s’était mis à prendre le christianisme en grippe » (p. 48). « En ce temps-là, on voyait souvent des missionnaires chrétiens postés à un coin de rue proche du lycée, pérorer en couvrant d’injures les Hindous et leurs dieux. Je ne pouvais le supporter. Je ne dus pas m’arrêter plus d’une fois pour les écouter, mais ce fut assez pour me dissuader de recommencer l’expérience. À peu près à la même époque, j’entendis parler d’un Hindou fort connu, qui s’était converti au Christianisme… Il avait dû manger du bœuf, boire de l’alcool, ainsi que changer de vêtement… On racontait aussi que le néophyte s’était mis, sans plus tarder, à injurier la foi de ses ancêtres, leurs coutumes et leur pays. De cet ensemble de choses naquit en moi une répugnance pour le christianisme » (idem).

 

2.     Les contacts effectifs de Gandhi avec les Chrétiens, en Angleterre puis en Afrique du Sud

Les véritables contacts de Gandhi avec les Chrétiens, et particulièrement avec l’Evangile, se feront pour une part, en Angleterre, lors de ses études pour devenir avocat. Dans son ‘Autobiographie’, le Gandhi plus mûr en parlera en toute liberté, en ayant dépassé sa ‘prise en grippe d’adolescent’. C’est la deuxième année de son séjour anglais, que le jeune Gandhi, timide et timoré, rencontre deux théosophes frères et célibataires, qui lui parlent de la Gita, pour sa plus grande

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honte, car il ne la connait pas. Ce fut pour lui, une découverte, qui l’accompagnera toute sa vie. Ces deux amis l’emmenèrent un jour rencontrer Helena Blavatsky, la fondatrice de la société théosophique, puis Annie Besant, qui l’invitèrent à adhérer à la société. Il refusa, prétextant « qu’il n’avait qu’une maigre connaissance de sa propre religion » (p. 88). La lecture toutefois d’un ouvrage de H. Blavatsky le stimulera dans le désir de se familiariser avec sa propre tradition religieuse et surtout, « de se débarrasser de cette notion illusoire, répandue par les missionnaires, que l’hindouisme n’était que pullulement de superstitions » (idem).  Autre rencontre importante avec « un excellent chrétien de Manchester », végétarien, qui l’enjoignit de lire la Bible :

« Je me lançai dans cette lecture, mais je ne pus venir à bout de l’Ancien Testament… Mais le Nouveau Testament produisit sur moi une tout autre impression – notamment le Sermon sur la montagne, qui m’alla droit au cœur. Je le comparai avec la Gita. Les versets : « Et moi je vous dis de ne pas résister à celui qui vous maltraite ; au contraire, si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre vous, pour prendre votre robe, abandonnez-lui votre manteau », me ravirent au-delà de toute mesure, et me rappelèrent le « Pour l’eau, donne un bon repas… » de Shâmal Bhatt. Ma jeune intelligence s’efforça d’unir dans un seul enseignement la Gita, la lumière de l’Asie (de Sir Edwin Arnold) et le Sermon sur la montagne L’idée que le renoncement était la forme suprême de toute religion, exerçait un grand attrait sur moi. Cette lecture m’aiguisa l’appétit et me donna le désir d’étudier la vie des autres maîtres en religion » (p. 89).

L’exposition de 1890 à Paris. Il nous semble que c’est à cette occasion, pendant son séjour européen, qu’il eut une première rencontre avec le monde catholique. Voilà ce qu’il écrivait : « Les vieilles églises de Paris demeurent gravées dans ma mémoire. On ne saurait oublier leur paisible grandeur. L’étonnante architecture de Notre-Dame, la complexité de sa décoration intérieure, jointe à la beauté des sculptures, s’impose au souvenir. Devant ce spectacle, j’ai eu le sentiment que ceux qui avaient consacré des millions à d’aussi divines cathédrales, ne pouvaient avoir que le cœur plein d’amour pour Dieu. J’avais lu beaucoup de choses touchant la mode et la frivolité parisiennes. Toutes les rues corroboraient la véracité de ces témoignages ; mais les églises se tenaient à l’écart de ce spectacle. Il suffisait d’y pénétrer pour oublier aussitôt le vacarme et l’agitation du monde extérieur. Le comportement s’en ressentait : le fait de passer à côté d’un être agenouillé devant la statue de la Vierge, forçait la dignité et le respect. Le sentiment que j’éprouvai alors (que tant de génuflexions et de prières ne pouvaient être superstition pure et simple) n’a fait que croître en moi : chez ces âmes dévotes agenouillées devant la Vierge, leur adoration ne pouvait aller à la seule image de

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marbre. Elles brûlaient d’une piété sincère. Elles n’adoraient pas la pierre, mais la divinité dont elle était le symbole. Je crois bien que je sentis alors, que cette adoration, loin de diminuer la gloire de Dieu, contribuait à sa grandeur » (p. 101).

 

En Afrique du Sud, à Pretoria, il fréquente les Chrétiens et même assiste à leurs assemblées de prière. Il est bien accueilli, mais demeure chez la plupart de ceux qu’il fréquente, le désir de le convertir. Il raconte cela au chapitre 11 de la 2ème

partie, avec des dames protestantes d’un certain âge et aussi particulièrement Mr Croates, qui est bien décidé à le convertir et lui fait lire, dans l’année 1893, une quantité de livres spirituels (chrétiens). Mr Coates essaye par tous les arguments possibles « à le tirer enfin de son abîme d’ignorance » (p. 156). Devant son refus poli et ses contre-arguments, il refuse par exemple de quitter le collier vishnouite de grains de toulasi, que lui a donné sa mère et que Coates veut lui faire enlever, le considérant comme une superstition. Son ‘protecteur’ le met alors en contact avec la secte chrétienne des ‘Frères de Plymouth’ ((les Darbystes). Ceux-ci sont encore plus étroits et lui font le plus mauvais effet, « mais la foi biscornue d’un frère de Plymouth, ne pouvait me prévenir contre le christianisme », écrit-il dans le chapitre consacré à ses ‘contacts chrétiens’ (P. 157). Le jeune Gandhi raconte encore ses expériences avec Mr Baker et le Convent de Wellington (rassemblement ‘charismatique’ protestant), présidé notamment par le Rév. Andrew Murray, célèbre ecclésiastique de la ville. Voici quelques-unes de ses impressions, au terme de ce convent :« Le convent était un rassemblement de chrétiens convaincus. Leur foi fit mon enchantement. Je rencontrai le Révérend Murray. Je pus voir que nombreux étaient ceux qui priaient pour moi. Certains cantiques me parurent exquis. » On peut lire que le matin de son assassinat, Gandhi chanta un chant célèbre qu’il affectionnait particulièrement. Il est bienveillant et a de l’estime pour ce rassemblement, mais il n’y trouve pas la raison de changer de foi ; et lorsqu’il leur signifie ‘qu’il ne peut croire que le simple fait de se convertir au christianisme lui ouvrirait les portes du ciel et du salut’, certains de ses bons amis chrétiens ‘s’en scandalisent’ (p. 171). Le problème pour lui est plus profond (et il demeure celui de la majorité des Hindous face au Christ, présenté dans la foi chrétienne) : « Je ne pouvais admettre que Dieu se fût incarné en un seul de ses fils : Jésus ; non plus qu’il n’y eût que ceux qui croyaient en lui, qui eussent droit à la vie éternelle. La raison en moi, se refusait de croire à la lettre que Jésus, par sa mort et par son sang avait racheté les péchés de ce monde… Philosophiquement, je ne trouvais rien d’extraordinaire aux principes chrétiens… Il m’était impossible de tenir le christianisme pour une religion parfaite, ou pour la plus grande des religions » (p. 172). Et il ajoute (avec humour sans doute) dans son ‘autobiographie’ que « si ses

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amis chrétiens faisaient l’impossible pour me convertir à leur foi, mes amis musulmans s’évertuaient de même » (idem). Cela ne l’empêche pas de continuer le dialogue. On lui présente Edward Maitland, bibliste et auteur spirituel de plusieurs ouvrages qu’il lui envoie ; il va tenir une correspondance suivie avec lui.

    En Afrique du Sud, il avait donc beaucoup de contacts avec les Chrétiens et certains étaient ses amis (signalons encore Mr et Mrs Spencer Walton, chef de la Mission en Afrique du Sud (1894), et aussi des contacts avec les chrétiens de Pretoria…), mais par ailleurs, il continuait d’approfondir sa connaissance de sa propre tradition hindoue et même de lire sur la ‘vie de Mahomet et ses successeurs’, des proverbes de Zarathoustra. C’est alors qu’il découvre les livres de Tolstoï : « Le résumé des Evangiles », « ce qu’il faut faire ». Il découvre la chapelle de Wesley et un temps, s’y rend tous les dimanches, mais le climat spirituel ne l’encourage pas à continuer à la fréquenter, bien qu’une famille l’invitât quasiment toujours après, pour le repas. Mais la chose cessa assez brutalement.

Parallèlement à ces rencontres, il a repris contact avec Râychandhbai (‘mon guide et mon soutien, par sa vie’ écrira-t-il), et d’autres autorités hindoues qui le tranquillisent quelque peu, et lui permettent d’approfondir sa foi hindoue. Gandhi termine ce chapitre et son résumé dogmatique, par ces mots pleins de reconnaissance : « Si j’ai pris un chemin différent de celui où voulaient m’engager mes amis chrétiens, je ne leur ai pas moins gardé une reconnaissance éternelle de la quête religieuse dont ils éveillèrent en moi le souci. Le souvenir de mes contacts avec eux me restera toujours cher ». (P. 173) On voit que le point de vue de M. Gandhi a changé depuis son adolescence et a été le creuset d’une quête de la vérité et d’un approfondissement de sa propre tradition religieuse hindoue.  

J’aimerais terminer ce chapitre sur les fréquentations chrétiennes de Gandhi en Angleterre et en Afrique du Sud, en mentionnant une courte considération du Mahatma lui-même, à propos de moines catholiques, visités durant ce long séjour en Afrique du Sud. (Je n’ai pas la référence exacte, mais je l’ai découverte sur le dépliant de présentation de’ Kurisumala Ashram’, au Kerala, fondé vers 1958 par Francis Acharya et Fr. Bede Griffiths). En voici la traduction : « Une fois, je séjournais chez des moines cisterciens (OCD). Ils font des vœux d’amour divin, de pauvreté et de chasteté. Leur monastère est un véritable jardin. Il y avait un doux silence qui se répandait dans toute l’atmosphère. Je reste encore sous le charme de leurs cellules. Ce serait mon idéal de fonder une telle institution ».

En 1931, sur le chemin de retour vers l’Inde, après la conférence de Londres, il fut invité à passer par Rome, la Ville Éternelle. Il sollicita à cette occasion une rencontre avec le souverain Pontife (Pie XI), mais le service du protocole de la cour

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papale (Gandhi était habillé avec son dhoti et ses sandales) fit refuser la requête… Il visita donc le musée du Vatican et fut reçu par Mussolini. Lors de la visite à la chapelle Sixtine, le Mahatma s’arrêta devant le Christ en croix et pleura. « Devant autant d’amour, on ne peut s’empêcher d’être ému jusqu’aux larmes » confia-t-il à Mahadev Dasaï (disciple et secrétaire du ‘Mahatma’ et activiste pour l’Indépendance, mort en 1942).

 

3.     Des Personnalités qui marquèrent Gandhi de manière privilégiée

Dans notre livre de référence ‘L’autobiographie’ encore intitulé ‘mes expériences de la vérité’, écrit par M. Gandhi lui-même, le Mahatma dit avoir lu beaucoup de livres, conseillés par ses amis chrétiens ‘‘qui avaient aiguisé son appétit de connaissance, devenu insatiable’’ (p. 198) et également par son guide hindou (Râychandbhâi)*. Il rencontra beaucoup de chrétiens, qui, tous plus ou moins, voulurent le convertir, en vain.

   a) Jésus, le Christ de l’évangile

Parmi les personnalités, qui le marquèrent le plus, je me contenterai de citer Jésus, le Christ, bien sûr à travers ‘son sermon (enseignement) sur la montagne’ (Mt 5-7), qu’il découvrit lors de son premier voyage en Angleterre, comme nous l’avons signalé plus haut. Il trouva dans l’Evangile des rappels de la ‘Gita’, et les paroles « et moi je vous dis de ne pas résister au méchant ; si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. Si quelqu’un veut ta tunique, donne-lui ton manteau... » (Mt 5, 9 et passim), furent à la base de sa doctrine de la non-violence, qui prendra le nom de ‘satyagraha’ (force de la vérité). Gandhi aimait et vénérait le Christ, par sa force d’amour, qui émanait de sa vie, « martyre, personnification du sacrifice, comme maître divin, mais non comme l’homme le plus parfait qui fût jamais né » (‘A’ p. 171) ; de là à dire qu’il était chrétien, ce serait un jugement très hâtif et une erreur, bien que beaucoup de ses amis protestants rêvâssent de le convertir. En revanche, dire qu’il a vécu des principes essentiels de l’Evangile est juste et certainement de façon plus authentique que beaucoup qui se disent tels. « Certains me diront, nous… et il leur dira : « allez-vous-en, vous qui commettez le mal ; je ne vous connais pas » (?)

Dans le récit de sa vie, Gandhi dit qu’au moins deux auteurs eurent une très forte influence sur le développement de sa ‘satyagraha’, ce furent Tolstoï et Ruskin ; et enfin, il lut également dans ses emprisonnements Henry David Thoreau ‘sur la désobéissance civile’.

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b) Lev Nicolaëvitch Tolstoï (1828- 1910)

Gandhi lut d’abord les livres du grand romancier russe devenu apôtre de l’Evangile, avant d’entrer en correspondance effective avec lui, entre 1909 et 1910, au terme de la vie du pacifiste de Iasnaïa-Polania, date de sa mort. Il disait de lui « qu’il était l’homme le plus véridique de son temps ». Il y a dans la vie du grand auteur russe un cheminement spirituel, qui le conduisit du nihilisme à un évangélisme farouchement personnel, en dehors de l’Église orthodoxe russe officielle. En tant que Russe, il était né bien sûr dans l’Église Orthodoxe, mais toute une première partie de sa vie, fut mondaine et avant cette conversion personnelle à l’Evangile du Christ, il avait épousé les idées nihilistes du temps, dans la ligne du ‘siècle des Lumières’ (Aufklärung). C’est petit à petit que son idéal humaniste et social, soutenu par un évangélisme à l’état brut (sans la médiation de l’Église, dont il se fit excommunier), s’instaura. Il s’imposa la continence avec son épouse ; de chasseur qu’il était, Tolstoï devint végétarien et propagateur de ce régime, il affranchit ses serfs sur son domaine (dès 1856, il voulut distribuer ses terres aux serfs, mais ceux-ci refusèrent, car ils y voyaient une escroquerie cachée. Tolstoï se posera cette question sans cesse : « Mais pourquoi donc ne veulent-ils pas la liberté ? ») … Cela se passait à une époque où la Russie était encore un des derniers pays d’Europe, où existât encore le servage, et où les domaines se vendaient avec les paysans qui y étaient attachés.

Il semble que ce soit d’abord en Afrique du Sud, que Gandhi découvrit les livres de Tolstoï, et notamment « le Royaume de Dieu est en vous » (1893), qui fit un très grand effet sur le jeune avocat. Voici ce qu’il écrit, à la suite de cette découverte : « Le ‘Royaume de Dieu est en vous’ de Tolstoï m’enthousiasma. J’en gardai une impression inoubliable. Devant l’indépendance de pensée, la profondeur des vues morales et le souci de vérité de ce livre », tous les autres qu’il avait lus auparavant « devenaient, pour lui, pâles et insignifiants » (in ‘A.’ p. 173). On peut lire un peu plus loin que l’étude très attentive des autres œuvres de Tolstoï « firent sur lui une profonde impression. Je me rendais, au fur et à mesure, de plus en plus compte des possibilités infinies de l’amour universel » (p. 200). Il donnera d’ailleurs à la ferme de Phoenix, acquise en 1904, en Afrique du sud, le nom (en gujarati) de « Ashram Tolstoï » (‘Tolstoï farm’).

Par la suite, ce sera dans ses différents séjours en prison qu’il approfondira ces enseignements et les méditera, pour les mettre en pratique, à travers l’action non violente. Entre temps, il y aura eu ce contact épistolaire entre le jeune avocat hindou, et le vieux romancier russe, devenu penseur social et politique, les deux années précédant sa mort (1909-1910).

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On peut se demander en quoi la pensée de Tolstoï a eu une si forte influence, sur le jeune avocat indien, au point d’en faire un de ses maîtres de vie, et une cheville ouvrière de de sa doctrine du ‘Satyagraha’ ?

Il est bon de rappeler quelques faits et idées de ce dernier. Comme dans la vie de tout homme, il y a, dans la vie de Léon Tolstoï, plusieurs étapes. La première est une période nihiliste, même si des interrogations fondamentales sont déjà présentes chez le jeune romancier ; la deuxième est ‘morale’ et même mystique, à travers le catalyseur du ‘Sermon sur la montagne’. Toutefois cette dimension rationnelle, l’accompagnera également dans sa période évangélique et mystique. Dans la relation et la connaissance de soi, et dans sa relation à l’univers, l’homme n’a que la raison pour boussole. Car ni la philosophie ni la science qui « étudient les phénomènes en raison pure », ne peuvent poser la base de ces rapports. La foi par ailleurs est « une nécessité vitale », et c’est la religion qui définit notre rapport au monde et à son origine, qu’on appelle Dieu » … « Le ‘sens de la vie’ est de faire la volonté de Celui qui nous a envoyés dans ce monde », et c’est par la raison que je peux comprendre cette volonté de Dieu. Gandhi apprécie hautement Tolstoï, par « l’indépendance de pensée » ; Tolstoï veut montrer ‘le véritable christianisme’. Il se veut un réformateur, et un guide qui conduit ses disciples à la source de celui-ci, que l’on trouve dans l’Évangile et spécialement dans le ‘Sermon sur la montagne’. Chelchiscky (16ème siècle) l’influencera, dans sa dénonciation de la guerre et des serments, de l’union de l’Église et de l’État , et en opposant la raison qui vient de Dieu et les ‘traditions’ qui viennent des hommes (les fameuses ‘traditiones humanes’ de St Paul reprises par Luther et Calvin …). Tolstoï dénonce aussi la notion ‘d’Église nationale’ ; il vit à une période où l’Empire Russe (en pleine expansion) s’identifie à l’Église Orthodoxe et réciproquement. Mais n’est-ce pas la faiblesse de toujours ? À ce titre, ses critiques et sa rhétorique anti-ecclésiastique en regard de cette collusion (Eglise/Etat) et sa dénonciation du Patriotisme, l’excluront des positions de l’Eglise officielle. Le Patriotisme lui semble en effet, une idée arriérée, inopportune et nuisible. Il est excommunié par l’Église Orthodoxe russe.

Pour lui, l’idéal évangélique a été conservé dans les différents mouvements, nés à toutes les époques, et persécutés par les Eglises officielles, comme les Vaudois, les Cathares, les Mennonites, les Moraves, les Quakers, les Doukhobors… Enfin, d’une certaine manière les Pré-formateurs, et ceux de la Réformation (Wyclif, Luther), qui à travers leur traduction de la Bible en langue vernaculaire, ont permis une clarification en regard des perversions, entretenues par les grandes Eglises. Pour lui, là se trouve « la vraie Eglise » (in « Ma confession »).

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  La corruption tire son origine, pour lui, dès les premiers siècles, avec Constantin 1er et le Concile de Nicée (325) qui a lié irrémédiablement l’Église et l’État. Sa critique est parfois un peu ‘puérile et courte’, lorsqu’il explique ce lien, à cause « d’avantages matériels », ou encore, à travers des affirmations à brûle-pourpoint, comme : « L’objet de toute la théologie est d’empêcher de comprendre » le vrai sens des mots des Ecritures. Son christianisme est donc absent de tout élément dogmatique, y compris même celui de la croyance en la divinité du Christ, ou de la foi trinitaire, des Sacrements et de toute autorité religieuse, « car la doctrine chrétienne interdit de se quereller » … Au ‘vrai christianisme’, il oppose le ‘pseudo-christianisme’ qui a broyé des hommes de vérité comme Arius, Jean Huss et Savonarole… Enfin, il oppose le Credo au Sermon sur la montagne. C’est soit l’un, soit l’autre ! Pourquoi cette opposition à l’État ? Parce que celui-ci ne peut subsister qu’en utilisant la violence. Ainsi donc, Tolstoï s’étant laissé convertir totalement à la non violence à travers l’enseignement du Christ, toute violence étant contraire à l’Evangile, est donc mauvaise.

On peut donc conclure pour cet excursus sur la pensée de Léon Tolstoï, que Gandhi a été séduit par lui, par différents aspects :

    1° cette prise au sérieux, ’à la lettre’, pourrait-on dire, du refus de la violence et de toute forme de violence, dans le sens du ‘sermon sur la montagne’. « Un chrétien ne se dispute pas avec son voisin. Il souffre lui-même sans résistance, plutôt que d’attaquer ou d’user de la violence. Par son attitude à l’égard du mal, il se libère et il aide le monde à se libérer de toute autorité extérieure ». (‘ses guides spirituels’ in net). D’ailleurs, Gandhi informe Tolstoï de ses premières actions menées en Afrique du Sud, précisément au Transvaal, à deux reprises. « Il lui répondra deux mois avant de mourir, comme un testament spirituel, où il reconnait l’importance de ce qui se joue dans l’émancipation, à travers l’action non violente. Son premier texte (‘Hind Swaraj’/ l’indépendance de l’Inde) », portera très fort la marque de Tolstoï. Par ailleurs, on peut comprendre que, pour Gandhi, cette opposition à l’État oppressif, générateur de violence et d’injustices, s’appliquait très bien au contexte de l’Inde colonisée ou de l’Afrique du Sud -avec son racisme vis-à-vis des ‘gens de couleurs’- humiliés et exploités par la domination anglaise blanche, qui entravait sa liberté, et empêchait les autochtones d’être eux-mêmes. « La vraie religion ne peut exister… écrit encore Tolstoï, là où elle est jointe à un Etat utilisant la violence ».

 2°    Un autre aspect qui pouvait rejoindre le jeune Gandhi et l’homme mûr, qui a eu l’occasion de lire, de pratiquer, et d’expérimenter son régime alimentaire, est particulièrement la question du régime végétarien. Tolstoï est un ancien chasseur, qui adopta le régime végétarien en 1885, soit à l’âge de 57 ans. Il prônait ce qu’il

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appelait un « pacifisme végétarien ». Son refus de la violence ne s’arrête pas aux seuls humains, mais également à tout le monde animal. Il voulait respecter la vie animale, même dans ses formes les plus insignifiantes, à l’imitation de la philosophie religieuse des jaïnistes, dont le jeune Gandhi avait été imprégné, dès son enfance dans son milieu familial. De manière générale, Tolstoï rejoignait cette attitude de pitié générale dans cette Asie marquée par l’ahimsa, la Samsara (‘métempsychose’), et la compassion bouddhique, envers toutes les créatures vivantes comme lui.  En violant cette attitude hautement spirituelle, « l’homme devient cruel », selon le penseur russe, et la consommation de la chair animale, est un acte « absolument immoral, puisqu’elle implique un acte contraire à la morale : la mise à mort ». On trouve dans l’autobiographie du sage hindou, quelque chose de très semblable, où il affirme la supériorité entre autres du Bouddha, « qui ne limitait pas sa charité à la seule humanité, mais s’étendait à toutes les créatures vivantes » … (‘Auto.’ p. 200).

3°    Sans doute aussi, sa liberté souveraine, au regard des Institutions de l’État, et la dénonciation de certaines attitudes, qu’il juge immorales et incohérentes. À ce point, certains ont pu se demander si Tolstoï n’était pas « un anarchiste mystique chrétien » ? Il est vrai que Tolstoï s’est toujours réclamé de son héritage chrétien, mais dans sa relecture du ‘vrai et du pseudo-christianisme’. Car ses écrits inspireront plusieurs anarchistes russes notamment au 20ème siècle, et lui-même a été aussi inspiré par Proudhon. Il se démarque toutefois de ceux qui le considèrent comme un anarchiste. Car pour lui, « la question pour un chrétien n’est pas (de savoir) si un homme a le droit ou non de détruire l’état actuel des choses… mais comment il doit agir par rapport à la violence qui se manifeste par les gouvernements, dans les rapports sociaux, internationaux et économiques » (in ‘Réponse aux critiques’). Il en appelle à la conscience, en rappelant comme instance de discernement la ‘Règle d’or’ en Mt 6, : « Si tu n’es pas capable de faire aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent, au moins ne leur fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent » (idem). Et aux anarchistes qui se réclament de lui, il répond : « Mon opposition au pouvoir administratif a été interprétée comme une opposition à tout gouvernement. Mais ce n’est pas vrai. Je m’oppose seulement à la violence et à l’opinion que la force fait le droit » dans ‘Une comparaison entre l’Amérique et l’Europe’ (1909). La différence avec les anarchistes, c’est que pour eux, le gouvernement est un mal en lui-même et qu’il faut le renverser, et pour le pacifiste russe, c’est l’autorité justifiant la violence.

 

c) John Ruskin et son ouvrage « Unto this last » (jusqu’au dernier) (1819-1900)

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   À l’origine John Ruskin est un critique d’art – un peu mondain, qui va évoluer et écrire notamment un ouvrage qui analyse la société de son temps, et cet essai aura un retentissement dès sa parution dans un journal local anglais, Cornhill Magazine, sous forme d’articles, qui furent « violemment critiqués », obligeant la cessation de la parution. Cela ne décourage pas Ruskin qui, quelque temps plus tard, contre-attaqua et sortit, à partir de ses publications précédentes, un livre en mai 1862. Ce livre se présente sous forme d’essais très critiques en regard des économies capitalistes des 18ème et 19ème siècles. Ruskin est un précurseur de l’économie sociale. Dans son livre, il ne donne pas une nouvelle théorie de l’économie, mais il critique des croyances et des idées populaires, comme celle de Stuart Mill, et sa doctrine de l’utilitarisme. On pourrait dire que Ruskin ‘moralise’ la pratique de l’économie et il rend au travail, son sens profond. Un disciple occidental de Gandhi, vivant de cette philosophie/art de vivre, dira : « Par son travail (manuel) l’homme se fait lui-même ».

Ici, c’est plus les idées que l’homme lui-même, qui le subjuguent, à la différence de la découverte des idées et de l’homme Léon Tolstoï, pacifiste, sage et mystique. Gandhi découvrit ce livre quarante ans plus tard (1904), grâce à l’un de ses amis en Afrique du Sud, Mr Henry Polack, journaliste au ‘The Critic’. « Il avait le don de traduire dans la pratique tout ce qui plaisait à son intelligence » écrit Gandhi.  Le chapitre consacré à cette découverte porte le titre de : « La magie d’un livre ». Devant voyager tout un jour complet, Mr Polack lui donna pour occuper son temps durant ce long trajet, le livre « Jusqu’au Dernier » (Unto this last) de John Ruskin. Il ne le lâcha pas des yeux de tout le voyage et « décida de changer de vie en conformant [sa] nouvelle existence aux idées exprimées dans cet ouvrage » (p. 378). Ce livre, au dire de celui qui deviendra le ‘Mahatma’ (même s’il n’aimait pas être appelé ainsi), révèle que de tous les livres qu’il avait lus dans sa vie, « celui qui a été cause dans ma vie, d’un bouleversement pratique et immédiat », fut précisément ce livre. Plus tard, il le traduisit même en gujarati sous le titre de ‘Sarvodaya ’ (mot à mot ‘le bien-être pour tous’ ou encore ’le relèvement de tous’). Le livre « immense » de Ruskin, fut pour lui, comme un miroir qui lui renvoyait certaines de ses propres convictions les plus profondes (idem). Et il énumère les trois enseignements fondamentaux qu’il retira de cette lecture approfondie :

-           Tout d’abord que le meilleur individu se retrouve dans le meilleur de la collectivité ;

-          Que le travail le plus recherché du point de vue du monde (homme de droit, par exemple), vaut ni plus ni moins que celui de barbier, dans la mesure où tout le monde a également droit de gagner sa vie par son travail ;

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-          Qu’une vie de labeur (travail manuel), d’un laboureur ou d’un artisan, par exemple est la seule qui vaille la peine d’être vécue ;

Le premier de ces préceptes, il le connaissait ; le second était pour lui encore flou et le troisième ne lui était encore jamais venu à l’esprit. Il voulut immédiatement mettre ces principes en pratique, en acquérant la ferme près de Phoenix, qu’il ‘baptisa’ : Tolstoï Farm (ou encore ‘Tolstoï Ashram’). Il vint s’y établir avec sa famille, qu’il avait fait venir d’Inde entre temps et y transporta l’imprimerie, pour publier ‘Indian opinion’. À la ferme/ashram, chacun recevait un salaire égal. Les idées donc de ce livre révélateur pour Gandhi, pourrait se dire encore de cette façon : La dignité du travail manuel, une vie de simplicité et il insiste sur les complications débilitantes du système économique moderne. On pourrait trouver, dans la doctrine sociale de l’Église (catholique), tous ces ‘ingrédients’, quelques années par la suite, avec le Pape Léon XIII (+ 1903), jusqu’au Pape François (insistance sur le ‘style de vie’, la culture écologique, la modestie…).

   À ‘Tolstoï Farm’, chacun était responsable d’un secteur particulier, il y avait même un domestique indien chrétien, de ‘la 5ème caste’ (!), qui vivait avec eux comme un membre de la famille. Gandhi s’était chargé de s’occuper des cabinets, et de ne pas les laisser faire à un domestique, comme cela aurait pu, au plus grand dam de son épouse Kasturbaï. Dans son combat non violent et de non-coopération avec les colonisateurs anglais, Gandhi recommanda ce livre, et peu de temps après, il fut interdit de vente par la police britannique, jusqu’au jour où l’on trouva la chose un peu ridicule… et la chose s’assouplit.

 

d) David Henry Thoreau (1817- 1862)

    Enfin un dernier personnage qui eut une influence sur Gandhi, fut David H. Thoreau, spécialement dans son action non violente, par exemple le boycott des produits ou des marchandises venant d’Angleterre, en un mot de la désobéissance civile, pour reprendre le titre de l’ouvrage phare de Thoreau. Thoreau, dans son petit pamphlet indigné, « s’insurge contre le gouvernement américain, après avoir été emprisonné, pour avoir refusé de payer l’impôt, pour manifester son refus de justifier l’esclavage et la guerre des USA contre le Mexique et sa vive opposition » (Texas, Nouveau-Mexique et Californie) : « Quand un sixième de la population d’une nation qui s’est donné pour être le havre de la liberté se trouve réduit en esclavage, et qu’un pays tout entier se voit injustement envahi et conquis par une armée étrangère, et soumis à la loi martiale, je crois qu’il est alors plus que

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temps que les hommes honnêtes se rebellent et fassent la révolution ». (Citée par Sylvie Ferrando / net ‘la désobéissance civile, H.D. Thoreau’)

    Né dans le Massachusetts en 1817, il refuse d’emblée un État justifiant l’esclavage et la ségrégation raciale. Dans sa réflexion, Ralph W. Emerson* l’avait fortement influencé. Emerson était, d’une quinzaine d’années son aîné, il était fondateur d’une philosophie idéaliste, mystique et panthéiste (proximité de la nature), appelée le transcendantalisme. C’est dans ses séjours dans les prisons britanniques -environ 6 ans d’emprisonnements mis bout à bout- qu’il lira le livre ‘ la désobéissance civile’ de Thoreau, laquelle aura tant d’influence, dans son action non violente, pour la libération de son pays. Lorsqu’il découvre ce livre, il possède déjà sa doctrine du ‘satyagraha‘. Il préfère d’ailleurs au terme ‘désobéissance civile’ de Thoreau, celui de ‘résistance passive’ et mieux encore, son terme sanskrit. Gandhi considérait le texte de Thoreau, comme ‘magistral’, et il citait souvent le passage où le ‘contestataire’ américain en prison écrivait : « Je ne me sentais pas un seul instant emprisonné, et les murs me semblaient un gaspillage de pierres et de mortier… Je constatais que l’État était stupide et craintif… Je perdis tout respect pour lui et je le pris en pitié ». Et un peu plus loin dans le même ouvrage : « Agir justement est plus honorable que d’obéir à la loi (injuste) ». Lorsque le Mahatma lut ces textes, il était en prison (comme D.H. Thoreau, presque un siècle auparavant / 86 ans), et il avait même (oh ! l’humour) emprunté le livre dans la bibliothèque de la prison. Thoreau a une très haute idée morale de l’homme, quand il écrit : « Je pense que nous devrions être des hommes et ensuite des sujets ». Et sa célèbre devise, qui peut être considérée comme de la dynamite : « Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins ». Pour lui la démocratie est valable, à condition de reconnaitre l’individu comme « une puissance supérieure et indépendante », le traitant comme un voisin et non un assujetti, et acceptant qu’un petit nombre de citoyens accomplissent leur devoir, en dehors ou plutôt à l’écart de la mêlée politique. **

 

4.     Quel est le regard que pose Gandhi sur le Christianisme et les Chrétiens ?

    Nous avons vu précédemment que le regard que M. K. Gandhi pose sur Jésus, sur le christianisme, ou plus concrètement sur les Chrétiens, est diversifié, a évolué et reste ambivalent. Il faut d’abord distinguer son regard sur la personne de Jésus, puis sur le Christianisme et les Chrétiens.

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   Tout d’abord sur la Personne de Jésus. Nous l’avons souligné dans le chapitre précédent.  La découverte de l’enseignement du ‘Sermon sur la montagne’, du jeune Gandhi à Londres, pendant ses études d’avocat, a été une onde de choc, non sans influencer sa future doctrine de la non-violence ou ‘satyagraha’. Jésus, pour Gandhi, est un Sage, un Saint, un Maitre divin de compassion. Il admire la valeur de sa vie et de sa mort dans le monde. ‘Il n’a pas prêché une nouvelle religion, mais une nouvelle vie’. (« What Jesus means to me ? »). Toutefois, redisons-le pour ceux qui sont tentés de faire des raccourcis, et de faire de Gandhi (un peu vite) ‘un chrétien’, le Mahatma ne partage pas la foi des chrétiens sur Jésus. Il s’y étend plus longuement dans le chapitre XV de la 1ère partie de son ‘Autobiographie’. Ce qui est au cœur de la foi chrétienne, à savoir le Sacrifice rédempteur du Christ sur la croix, est pour lui une pierre d’achoppement. « Je pouvais admettre Jésus comme martyr, comme personnification du sacrifice, comme maître divin, mais non comme le plus parfait des hommes qui fût jamais né » (p. 171). Par ailleurs, la seule médiation de Jésus, pour être sauvé est pour lui, un problème de fond, « car il ne peut admettre l’idée que Dieu se fût incarné en un seul de Ses fils ». Cette question du « Christ, Sauveur universel » qui fait partie des fondamentaux de la doctrine chrétienne, constitutive de la théologie dogmatique et de la rencontre des religions, reste et demeure « un scandale pour les religions orientales » selon le théologien et jésuite Jacques Dupuis (in ‘Communio’ 1988, p. 76). À la limite dans l’hindouisme, on pourrait admettre que Jésus soit un ‘avatar’ (skt. ‘Descente’) de Vishnou, mais un ‘avatar’ parmi d’autres. Gandhi ne fait donc qu’exprimer, à son niveau personnel, l’incompréhension radicale des Hindous face à la foi au ‘Christ, unique Sauveur du monde’. Et même, « Si Jésus était l’égal de Dieu, ou Dieu lui-même, alors il devrait en être de même pour tous les hommes. » (idem).

    Autre difficulté exprimée par Gandhi, la notion d’âme qui dans le christianisme n’appartient qu’aux êtres humains, à l’exclusion de toute autre créature vivante, vouée, elle, à l’extinction complète. (Peut-être, la chose serait-elle traitée autrement aujourd’hui, surtout avec une meilleure connaissance de l’enseignement des Pères Orientaux, sur ‘la récapitulation de tout l’univers’ et la transfiguration de tout le cosmos en Christ’). Dans tous les cas, la notion d’âme selon la conception chrétienne lui fait violence, car sa croyance (hindoue) lui dit le contraire (idem).

    Quant aux Chrétiens, nous avons vu précédemment que dans ses contacts avec les Chrétiens, son point de vue a évolué. Lors de son premier contact ‘extérieur’, alors qu’il est enfant et adolescent, il éprouve pour ceux-ci et pour le Christianisme, une certaine répulsion (compréhensible), à cause du prosélytisme intempestif et irrespectueux de la part des prédicateurs et missionnaires chrétiens (protestants ?).  Ceux-ci bafouent en effet, sans discernement, les traditions religieuses les plus sacrées de son peuple.

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    En Angleterre et en Afrique du Sud ensuite, des contacts réels, et parfois profonds et suivis s’établissent. Il partagera même une certaine amitié avec plusieurs et même une amitié le liera toute sa vie avec un pasteur. Déjà en Inde, à son retour d’Angleterre, le jeune avocat sera confronté au mépris des colons anglais officiellement chrétiens (protestants ou anglicans). Puis ce témoignage des chrétiens en Afrique du Sud sera pour une large part, un contre témoignage. Au final, en dehors de ces relations privilégiées et personnelles, la volonté de le convertir afin de le détourner de son idolâtrie, ou même son expérience personnelle du racisme dans la ‘très calviniste Afrique du Sud’, n’iront pas dans le sens d’une supériorité des chrétiens par rapport au reste des autres croyants. Il l’exprime dans un passage du récit de sa vie : « Je ne trouvais rien que je n’eusse trouvé aux vies d’autres hommes appartenant à d’autres croyances » (p. 172). On pourrait temporiser en disant, que ce n’était que des ‘chrétiens de culture’, pas vraiment convertis, qui n’avaient pas fait la rencontre vivante de Jésus-Christ… Toujours est-il que c’est ceux-là, pour une part, que Gandhi rencontra. Plusieurs fois, on demanda au Mahatma pourquoi, malgré son admiration pour Jésus, il ne se convertissait pas au Christianisme ; et il leur répondait quelque chose comme (je cite de mémoire) : « Le Christ est très bon, mais beaucoup de chrétiens sont trop mauvais ». En fait, je vais le citer plus justement : « Je ne connais personne qui ait fait plus que Jésus pour l’humanité. Pour tout dire, il n’y a rien à reprocher au Christianisme ». Toutefois, il ajouta : « Le problème, c’est vous les chrétiens. Vous êtes loin de vivre en accord avec vos (ses) enseignements ». Et enfin, il terminait : « … À condition d’être mis en pratique, les enseignements de Jésus sur l’amour peuvent guérir les maux de l’humanité ».  La valeur du témoignage est incontournable ; or le Mahatma était plutôt en matière de religion, tout en respectant les règles fondamentales de sa tradition, assez pragmatique (toutefois, il a ses idées à lui : il est contre le système des castes, contre les sacrifices d’animaux et appelle les Indiens de ‘la cinquième caste’, les ‘Harijans’). Ce n’est pas la théorie ou le système religieux en lui-même qui l’intéresse, c’est le témoignage par les actes. Sur ce terrain, il rejoint la parole de Jésus, à l’égard de certains pharisiens, disant à ses interlocuteurs : « Faites ce qu’ils disent, mais ne les imitez pas ».

 

4.      Influences et convergences de la pensée de Gandhi sur quelques personnalités occidentales ‘chrétiennes’ :

   C’est vrai que l’action de la pensée et l’action, le témoignage de vie a été immense pour beaucoup de personnes de par le monde. Des Indiens d’abord, on peut citer Jawaharal Nehru, Mahadev Desaï et son fils Narayan Desaï, Vinoba Bhave, mais des personnes de tous les continents. Il y a des Occidentaux, et parmi ceux-ci des

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Chrétiens, et d’autres qui ne le sont pas. On peut mentionner d’abord Romain Rolland qui rencontrera Gandhi plusieurs fois dans sa vie, et sera celui qui le fera connaitre en Occident, en écrivant dès 1929, une vie du Mahatma. On pense à Nelson Mandela, Steve Biko en Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid, le Pasteur Martin Luther King aux Etats-Unis avec les lois ségrégationnistes, Khan Abdul Ghaffar Khan au Pakistan et Aung San Suu Kyi en Birmanie (Myamar). Je me suis fixé sur quatre personnalités chrétiennes, protestantes et catholiques, que voici :

a)     Albert Schweitzer (Article de Rasoul Sorkhabi sur le net : « Albert Schweitzer et la pensée indienne)

Quelques éléments biographiques : « Albert Schweitzer est le seul qui ait eu une influence morale sur sa génération, comparable à Gandhi » (Albert Einstein). Il est né en 1875 à Kaiserberg en Alsace, sous domination allemande. Célèbre comme théologien, philosophe, musicien et particulièrement médecin, en fondant l’hôpital de Lambaréné, en Afrique équatoriale française (aujourd’hui le Gabon). Il fut prix Nobel de la paix en 1952, et milita pour la paix au 20ème siècle. Dans sa recherche et publication philosophique, Schweitzer avait approfondi ses recherches de la philosophie de l’Inde. Son père et son grand-père paternel étaient pasteurs. Il étudia la philo et la théologie à Strasbourg et enseigna au collège Saint-Thomas de la même ville.  En 1905 (il a 30 ans), il commence des études de médecine. Il obtient ses examens en 1912, et se marie la même année avec Hélène Breslau. Tous deux partent en 1913 pour l’AEF, au Gabon, en dépit de très fortes oppositions familiales, de collègues… à Lambaréné.  De leur union naîtra Rhena, qui elle aussi deviendra médecin, malgré l’opposition de son père.

Sa philosophie : Parmi les thèmes de sa philosophie, il y a d’abord le thème central du ’respect de la vie’ (1915). Sa compassion pour les vivants ne se limitait pas aux seuls humains. Schweitzer était très sensible à la vie et à la souffrance des animaux. Cette disposition venait certainement de différentes sources :

1. Tout d’abord, quand il était enfant et avait prié avec sa mère, il ajoutait toujours une prière à lui qui disait à peu près cela : « Cher Dieu, protège et bénis tous les êtres qui respirent ; écarte d’eux tout mal et permets-leur de s’endormir en paix ». (Mémoires d’enfance et de jeunesse) ;

2. A. Schweitzer fut éduqué dans une famille chrétienne, donc très fortement influencé par Jésus et la Bible (l’amour du prochain et le ‘tu ne tueras pas’) ;

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3. Il fut également marqué par la philosophie de Arthur Schopenhauer, et par son ouvrage sur « le monde comme volonté et représentation » (1819).  Il y a une volonté ‘intuitive’ dans le monde des êtres vivants (Willen zu leben). A. Schopenhauer fut un des premiers Occidentaux à reconnaitre le sens et l’intérêt de la philosophie indienne. Schopenhauer et Schweitzer ont été influencés par la pensée religieuse indienne, et notamment par l’idée d’ahimsa (non-nuisance, non-violence). Ce qui ne veut pas dire que l’attitude et le point de vue de Schweitzer envers les religions de l’Inde étaient toujours positives et en accord ; il ne souscrivait pas, par exemple, à ce qu’il considérait en elle, comme ‘nihiliste du monde’ et négation de la vie.

Schweitzer et la pensée indienne : Dans « La pensée indienne et son développement », Schweitzer confesse : « La pensée indienne m’a fortement attiré depuis ma jeunesse à travers un certain nombre d’ouvrages et d’auteurs, dont un livre fondamental sur la pensée indienne, écrit par l’ami anglo-indien du Mahatma, Charles F. Andrews (auteur des ‘idées du Mahatma Gandhi’ paru en 1929, et Romand Rolland sur ‘Ramakrishna’ et swami Vivekananda ». Un an avant de mourir, il écrivit un article dans ‘la société asiatique ‘ de Calcutta (Kolkata). Dans cet article, Schweitzer écrivait la forte impression que fit sur lui, la pensée de Rabindranath Tagore et il termine en mentionnant les ‘ambassadeurs’ de cette pensée indienne : « Me concentrant, comme je l’ai fait sur les problèmes d’éthique, je suis parvenu à la conclusion que l’éthique indienne est correcte en exigeant bonté et miséricorde, non seulement envers les êtres humains, mais également envers toutes créatures vivantes. Aujourd’hui, le monde commence à réaliser que la compassion pour toutes les créatures vivantes est partie de la véritable éthique » (Lettre de Schweitzer 1905-1965). À propos de Gandhi, voici ce qu’il écrivait : « Quand on me demande quels penseurs modernes ont influencé ma vie et ma philosophie, je réponds invariablement ces deux noms : le grand auteur allemand Goethe et l’humble saint hindou Mohandas Gandhi … De même, Gandhi, qui était l’hindou le plus chrétien du siècle, a reconnu qu’il avait eu l’idée d’Ahimsa et de non-violence, des commandements de Jésus… Chez eux deux, l’éthique de perfection intérieure est gouvernée par le principe de l’amour ». (A pacifist uncovered - Abdul Ghaffar Khan, Pakistani pacifist [archive].

 

   b) Maurice Schumann et Gandhi. (Article de Deva Kumarane in net : « Un francophile nommé Gandhi ».

   Maurice Schumann, homme politique, écrivain français, membre de l’Académie française, porte-parole de la France libre à Radio Londres, par ailleurs l’un des ‘Pères de l’Europe’ avec Konrad Adenauer et Di Gasperi). C’était par ailleurs un croyant profondément enraciné dans la foi chrétienne.  Il avait rencontré Gandhi en

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Inde, à l’occasion d’un déplacement dans le comptoir français de Pondichéry (qui ne rejoindra l’Union indienne que quelques années plus tard). De cette rencontre naquit son livre ‘Ma rencontre avec Gandhi’, car il fut l’un des derniers occidentaux à le rencontrer, avant son assassinat, en janvier 1948. Sous la plume de cet éminent observateur de la vie politique nationale et internationale, on peut lire ces lignes : « Aujourd’hui, on peut dire cependant, avec prudence, avec réserve, mais avec confiance, que l’Histoire a tranché et que Gandhi a gagné sur Lénine : … Eh bien, oui, Lénine a ri de Gandhi et les léninistes ou les staliniens l’ont traité par le mépris, mais en Lénine ou en Staline – l’Histoire l’a prouvé – il n’y avait rien d’invincible. Hitler, nous n’en avons pas la preuve, mais cela va de soi, aurait éclaté de rire si on lui avait offert en modèle Gandhi et sa non-violence ! Mais, en Hitler, il n’y avait rien d’invincible. Au contraire, en Gandhi, il y avait quelque chose d’invincible. Quoi ? Mais tout simplement, comme aurait dit Bergson, ce « supplément d’âme » qui, de siècle en siècle, et de millénaire en millénaire (c’est bien le moment de le dire !), est une éternelle prière pour les vivants (M. Schumann « Ma rencontre avec Gandhi » Ed. 1 Paris 1998

   c) Le Pasteur Martin Luther King. Pasteur baptiste (1929-1968) né dans le sud des USA.

    L’an passé, on a célébré le 50ème anniversaire de l’assassinat du Pasteur Martin Luther King (4 avril 1968). On a souvent demandé à ce Pasteur baptiste du sud des Etats-Unis comment il avait adopté la non-violence comme philosophie et combat pour la liberté. Rappelons que jusqu’au seuil des années 60, la ségrégation raciale sévissait dans ce pays, se réclamant d’être le champion de la Démocratie ! C’est à travers un itinéraire intellectuel profond, qui aboutit à une conviction éthique puissante et son engagement effectif dans la lutte non violente que M. Luther King réussit. Jeune noir d’Atlanta, État raciste s’il en était, il est témoin d’actes barbares et sauvages perpétrés entre autres par le Klux Klux Klan. Pendant ses études à l’université de Morehouse (1944), il découvre le livre phare de David Henry Thoreau sur la ‘désobéissance civile’, qui le fascine, au point qu’il le lit plusieurs fois de suite. Ce n’est toutefois pas encore le ‘déclencheur’ de sa réflexion non violente. En 1948, Luther King est ordonné pasteur, et quelques mois plus tard, il obtient sa licence de sociologie et sa thèse est centrée sur "Une méthode propre à éliminer le mal inhérent à la société’. Il se plonge alors dans tous les philosophes qui en parlent, de Platon aux auteurs modernes de la philosophie du droit, et certains sociologues comme W. Rauschenbusch, pasteur baptiste américain. Il réalise que la foi ne peut se contenter seulement de l’âme, mais doit avoir une dimension sociale, et un impact économique. Il lit même Marx et Lénine pour comprendre les structures aliénantes de l’histoire des sociétés.

   C’est en 1950, lors d’une conférence à Philadelphie, du président de l’université Howard Mordechai Johnson, de retour d’Inde, qu’il est absolument subjugué par ce sujet sur : « Gandhi et ses enseignements ». Cette conférence fut pour le Pasteur

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King une étape essentielle dans son cheminement vers la non-violence. Suite à celle-ci, le Pasteur M. L. King alla acheter une demi-douzaine d’ouvrages sur le Mahatma. Voilà ce qu’il déclarait peu après : « Au fur et à mesure que j’avançais dans mes lectures, je fus de plus en plus fasciné par ses campagnes de résistance non violente. Je fus particulièrement ému par sa ‘Marche du sel’ et par ses nombreux jeûnes. J’attachais une grande importance à la notion de « satyagraha » (‘force de la vérité’ ou’ force de l’amour’)…  Avant d’avoir lu Gandhi, j’avais été sur le point de penser que l’éthique chrétienne ne pouvait être appliquée que sur le plan des rapports individuels ; je croyais alors que les préceptes comme « tends l’autre joue » et « aimez vos ennemis » n’étaient valables que dans les conflits entre individus… Mais après avoir lu Gandhi, je compris que je m’étais gravement trompé ». Et encore : « Gandhi a probablement été le premier personnage de l’histoire à élever la morale chrétienne de l’amour au-dessus du niveau des rapports individuels, à en faire une force sociale efficace, puissante et étendue… J’avais enfin trouvé la méthode de réforme sociale que je cherchais depuis des mois ». En 1954, il termine ses études de théologie et possède de solides bases intellectuelles sur la question de la lutte non violente. À partir de 1955, on commence à parler de lui (après le geste héroïque de Rosa Parks, dans un autobus de Montgomery). Ce fut le boycott des bus de la ville de Montgomery, contre la ségrégation raciale, répondant au peuple, pour être leur porte-parole, qui fut le commencement de son combat actif. « Après cette expérience, écrit-il enfin, la non-violence devint pour moi autre chose qu’une méthode intellectuellement satisfaisante : elle devint ma règle de vie ».

   d) Lanza Del Vasto, dit ‘Shantidas’ et le Mahatma

   Lanza Del Vasto (de son nom Giuseppe) est italien, né dans les Pouilles, avec des origines à la fois siciliennes par son grand-père et françaises par l’une de ses grand-mères ; il a vécu une partie de sa jeunesse en Italie et en Normandie. C’est un artiste polyvalent (poète, peintre, sculpteur, ciseleur et philosophe), et surtout un chercheur de vérité.  Après des études de philosophie à Florence, et un désir d’approfondir sa foi chrétienne (catholique), il part à l’âge de 36 ans en Inde. C’est durant son séjour dans ce pays qui va durer une bonne année, qu’il va vivre quelque temps à l’ashram de Wardha, où réside Gandhi et où il côtoiera de près le Mahatma ; durant son séjour, le Mahatma lui donnera le nom de ‘Shantidas’ en sanskrit ‘serviteur de la paix’, c’est dire le climat filial et paternel qui régnait entre les deux hommes. Il s’imprègnera de la sagesse de vie de celui-ci et la rencontre du ‘pèlerin’ (comme ses compagnons l’appelleront par la suite) avec Gandhi sera déterminante pour lui, pour le reste de sa vie. Voilà ce qu’il disait, lors d’une ‘radioscopie’ de Jacques Chancel en 1971 : « Gandhi ? C’était la blancheur, la transparence... Une pousse verte au milieu d’un désert. Le tournant de la vie pour moi ». Il le racontera dans le best-seller, sorti après la guerre, en 1948, à savoir son livre : « Le pèlerinage aux sources » et surtout à travers l’ordre laborieux, c’est-à-dire ‘la communauté de l’Arche’, qu’il fondera avec son épouse Chanterelle, dès 1948, sur

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le modèle des ashrams gandhiens. Ainsi appellera-t-on les compagnons et compagnes de l’Arche, ‘les Gandhiens d’Occident’. « Il faisait scandale d’une autre façon ce Chrétien, ce Catholique, ce fils de l’Église romaine, fils obéissant et fidèle, qui avait tiré de l’Inde des leçons de vie intérieure et il ouvrait son arche à toutes les religions ». (Anne Fougère, Claude Henri Rocquet : ‘Lanza Del Vasto : Pèlerin, Patriarche, Poète’)

Les 4 axes de la communauté de l’Arche sont fondés sur :

1) La dimension sociale et communautaire : des couples et des célibataires, quelques consacrés même.

 2) La dimension spirituelle et religieuse : La communauté est ouverte à tous les croyants et chercheurs de Dieu, quel que soit leur tradition religieuse, même si Lanza et la plupart des membres sont catholiques. Une ouverture au dialogue interreligieux avant la lettre et avant que l’on en parle véritablement. Chaque jour est consacré à une tradition particulière, une prière pour ces croyants est faite à cet effet. Par ailleurs, deux fois par jour les membres de la communauté se réunissent pour la prière commune. Ils prient des prières que chacun peut accepter : Les Béatitudes, la prière de Saint François d’Assise, de Saint Grégoire le théologien ou composées par Shantidas lui-même. Le dimanche, les membres vont à la messe au village, à quelques kilomètres de là, s’ils n’ont pas un prêtre sur place.

3) La dimension laborieuse : Une vie de travail le plus manuel possible, pour ‘gagner son pain de chaque jour’, avec un retour à la terre. Selon l’adage du Mahatma : « La machine enchaîne, la main de l’homme délivre ». On travaille donc, que ce soit aux champs, au jardin, à la boulangerie ou dans les différents artisanats (poterie, tissage…) à la main.

4) La dimension politique et non violente, à travers des actions, et notamment parmi les plus importantes qui ont illustré l’action non violente de la communauté de l’Arche, furent au moment de la guerre d’Algérie et l’action pour l’objection de conscience, la lutte contre la bombe atomique et les essais nucléaires en Polynésie française et le camp du Larzac, mais bien d’autres encore…

 

 

6. La question de la conversion (au Christianisme) chez le Mahatma Gandhi

   Je terminerai mon exposé, à travers ce dernier point, en mentionnant brièvement la question de la conversion, face à laquelle Gandhi a été confronté plusieurs fois, à différentes étapes de sa vie. Je reprendrai dans ces quelques lignes, certaines idées évoquées par le Docteur Jacques Vigne*, lors de sa conférence, voici quelques années, sur ‘la pensée de Gandhi et la psychologie de la non-violence’, qu’il donna ici à La Réunion. Quel était le point de vue de Gandhi, particulièrement par rapport à la conversion au Christianisme ? Gandhi appréciait les Occidentaux qui venaient en

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Inde, avec l’idée de se mettre au service du pays et des Indiens, mais il ne souffrait pas ceux qui venaient avec des idées de prosélytisme et de conversion. Pour lui, « le prosélytisme était le poison le plus violent qui ait jamais contaminé la fontaine de vérité » (conférence p. 5). En bref, Gandhi était opposé aux conversions. La question de la conversion s’est posée tout d’abord au jeune Gandhi, lors de son séjour londonien comme étudiant en droit, puis en Afrique du Sud, où il fut en contact proche, avec de nombreux Chrétiens, de différents courants protestants, comme on l’a vu par avant (je n’envisage la question que pour les Chrétiens). Malgré la sympathie que certaines personnes, qu’il appréciait, pouvaient lui témoigner, celles-ci ne comprenaient pas pourquoi, il ne devenait pas chrétien par le baptême, aussi intelligent qu’il fut, et pourquoi, il tenait tant à toutes ces croyances obsolètes et magiques de sa tradition originelle hindoue. Malgré toute la sympathie et les déclarations de sa part, où plus tard, il se considérait aussi bien Hindou, que Chrétien, aussi bien Musulman que Juif… Il conserva toute sa vie, la religion hindoue de son enfance (en l’approfondissant), et ne chercha pas à se convertir à une autre foi ; il était, par-dessus tout ouvert, à la quête de la vérité, et respectueux de toutes les branches de cette foi en Dieu, qui caractérise toutes les religions, comme les branches d’un même arbre (une comparaison qu’il utilisa, pour parler de cette religion unique aux différentes branches). Il citait encore assez souvent : « Sarva dharma sambhava » que l’on traduit généralement par ‘toutes les religions sont égales’. En hindi et en sanskrit, écrit le docteur Vigne, ‘sambhava’ signifie avant tout ‘possible’. Donc la phrase devient :’Toutes les religions sont possibles’ (évidente lapalissade !). C’était une manière polie, mais ferme de tenir à distance les missionnaires, à une époque où le prosélytisme chrétien en Inde était plutôt fort et l’hindouisme plutôt faible. (p. 5). Charité et prosélytisme (désir de conversion) ne vont pas ensemble pour lui, car le second motif disqualifie le premier ; beaucoup de ses successeurs, comme Morajee Desaï alors 1er ministre, répondit à Mère Teresa (1979) dans ce sens, par rapport à une proposition de loi, visant à contrôler les activités missionnaires, et où la sainte de Calcutta voyait une limitation de la liberté et des activités religieuses (p. 5).

 

En conclusion :

Au terme de cette étude incomplète et partielle sur ‘Gandhi, Jésus et les Chrétiens’, nous avons pu voir et comprendre combien Gandhi a été marqué par la Personne de Jésus et son enseignement sur la non-violence (Sermon sur la montagne), spécialement dans la première partie de sa vie. Nous avons aussi pu noter que Jésus a été une source importante, mais non la seule bien sûr, qui l’a lancé puis lui a permis de développer sa doctrine de la ‘Satyagraha’, car à la base, il

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y a aussi l’ahimsa, propre à la tradition indienne, jaïniste et hindoue. Les Chrétiens ont été, pour les meilleurs qu’il a fréquentés (en Angleterre et en Afrique du Sud entre autres, mais aussi après en Inde même), un stimulant pour approfondir sa propre tradition hindoue, et ne pas en rester à la dépréciation que beaucoup d’Européens avaient pris l’habitude de faire de l’Hindouisme, en regard du Christianisme. Enfin, on pourra redire que Gandhi n’est pas un doctrinaire, et ce qui lui importe n’est pas tant les conceptions religieuses de telle ou telle tradition que la praxis, c’est-à-dire plus une sagesse de vie qu’une philosophie, même s’il est resté profondément hindou.

 

 

Appendices

*  Ralph Waldo Emerson

   Ralph Waldo Emerson était né dans une famille unitarienne, et se destinait au pastorat, à la ‘Divinity Scholl’ de Harvard. Un des fondamentaux de ce courant (‘église’ ?) était la bonté inhérente des humains et de la nature. La société et les institutions (particulièrement religieuses) corrompaient la pureté de l’homme, et une véritable communauté ne pouvait être composée qu’à partir d’individus autonomes et indépendants. Le mouvement philosophique, connu sous le nom de ‘transcendantalisme’ fut à la fois un mouvement littéraire, spirituel, culturel et philosophique. À l’origine de ce ‘club d’intellectuels’, il y a la réaction de quelques hommes, dont Emerson, par rapport à la position des intellectuels de Harvard et contre la position de l’Église unitarienne, enseignée à la faculté théologique unitarienne de Harvard.

Les racines philosophiques du ‘Transcendantalisme’ puisent dans le terreau de Kant et de l’idéalisme allemand, contre l’empirisme anglo-saxon (Locke), à travers des ouvrages de vulgarisation, et également dans celui des romantiques anglais et le spiritualisme de Swedenborg. En 1836, Emerson publie ‘Nature’. L’ambition du penseur s’exprime par ces mots : « Une nation d’hommes (comprenons ‘nouveaux’) existera pour la première fois, parce que chacun se croit inspiré par l’âme divine, qui inspire tous les hommes ».

   David Henry Thoreau fait partie des chefs de file à la suite d’Emerson, son ami, de cette philosophie transcendantaliste. Les transcendantalistes sont influencés également par les philosophies orientales (bouddhisme, hindouisme, taoïsme). Emerson nommait Dieu, ‘The Over Soul’ (Surâme). « Les âmes individuelles qui

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informent chaque existence particulière, vibre à l’unisson de la Grande Âme originelle, dont elles sont issues ». C’est un peu un genre de ‘Monisme’ très proche du Brahman/atman du Védantisme hindou. Et de la Grèce antique (Néoplatoniciens et Pythagore). Le livre de chevet de Thoreau était la ‘Gita’, et Emerson trouvait que sa philosophie avait partie liée avec le bouddhisme.

** L’Unitarisme

   Ce courant religieux du protestantisme (très) libéral américain était considéré comme la religion des intellectuels. Il prônait la religion éclairée. Il ‘confessait’ le rejet du dogme de la Trinité et de la divinité du Christ. L’accent est davantage mis sur la ‘perfectibilité morale’ des individus et une conception plus intériorisée.  Ce mouvement au sein du Protestantisme et même de l’anglicanisme épouse les thèses du protestantisme calviniste et s’oppose à l’orthodoxie anglicane.

   C’est le Pasteur Joseph Priestley (1733-1804) éminent scientifique, qui théorise l’enseignement unitarien (exégèse rationnelle, rôle humanitaire du Christ…). En Amérique, la Nouvelle-Angleterre fut la terre de prédilection de l’unitarisme… puis le Massachusetts (nord-est). Il y eut des scissions à l’intérieur de celui-ci, notamment la séparation d’avec le Pasteur calviniste Jonathan Edwards, qui privilégiait « the preaching of terror », et la constitution d’un congrégationalisme libéral unitarien.

    De ce rationalisme biblique, plus intériorisé (Boston), R. W. Emerson reçoit dès son plus jeune âge le lait de la doctrine unitarienne et intègre ses principes moraux. Toutefois, à côté des vérités révélées par les Saintes Ecritures, il y a une « révélation naturelle », à travers le livre de la nature. Néanmoins Emerson identifiera Dieu et la nature (=/= à la philosophie et théologie unitariennes). Les vérités bibliques ne sont que la confirmation des vérités morales révélées, ou plutôt perçues intuitivement par la raison (par exemple : « Tu ne tueras pas »). Finalement le libre arbitre est la ‘clé de voûte’ de toute la philosophie transcendantaliste – en se démarquant de l’institution religieuse et loin des théologies luthérienne et calviniste. Elle prendra même une voie politique avec Walt Whitman, disciple d’Emerson, face aux contraintes institutionnelles.

(Marc Bellot, maître de conférences Picardie : ’Ralph W. Emerson et le transcendantalisme américain’ net)

 

***   Par rapport au Christianisme, ou plutôt à l’évangélisme de L. Tolstoï, in Andreï Makine : « La face cachée de Tolstoï » in net.

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    C’est vers 1879 que L. Tolstoï se retourne vers le Christianisme et qu’il s’exprime à la fois par rapport à ses errements et ses péchés, et également qu’il manifeste une critique très sévère vis-à-vis de l’Église Orthodoxe russe. Il est excommunié après son roman ’Résurrection’. Voici ce qu’il écrit dans une terrible et pathétique confession : 

« J’ai tué des hommes à la guerre, j’en ai provoqué d’autres en duel pour les tuer ; en jouant aux cartes et en me goinfrant, j’ai dilapidé les fruits du labeur de mes paysans ; je les châtiais sévèrement, je m’adonnais au stupre, à la tromperie. Mensonge, vol, débauche de toutes sortes, violence, meurtre ? Pas un crime que je n’aie commis ? » L’expiation possible face au jugement, c’est « l’autoperfectionnement moral ». Par habitude, on souligne l’exubérance de la vie de Tolstoï, ses ‘appétits charnels’ sa stature de divinité païenne, de patriarche biblique, géniteur de 13 enfants… et cette idée : « Incessamment, je pense à la mort ».

Tous les biographes diagnostiquent chez Tolstoï un sublime créateur, un piètre théoricien… (André Makine)

Les deux sources de la pensée tolstoïenne : Christianisme et socialisme (Nicolas Weisbein)

Tous ses droits d’auteur sont allés au peuple russe souffrant, plutôt qu’à sa famille, sous l’influence d’un grand admirateur de celui-ci : Wladimir Tchertkoff !