Alda - Le porte Voix

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Association de Lutte contre les Discriminations, Alsace 23, rue Lambert, 68200 Mulhouse - 03 89 59 50 99 - www.aldalsace.org Une invitation à ne pas rester sans voix ! N°3 - Décembre 2008 - publication semestrielle - GRATUIT Vers la fin des discriminations par la Caisse Nationale d’Allocations Familiales ? Plusieurs décisions de tribunaux (Cour d’Ap- pel de Toulouse, Paris, Versailles…) viennent de reconnaître l’illégalité des pratiques des Caisses d’Allocation Familiales qui refusent jusqu’à présent le versement des presta- tions familiales aux familles d’origine étran- gères, régulièrement installées dans notre pays, pour leurs enfants nés hors de France. De même, fait sans précédent, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité vient de rendre public, au Journal Officiel de la République Française, un rapport spécial, dénonçant l’atti- tude discriminatoire du Ministère de la Santé. Elle recommande de modifier les dispositions du Code de la Sécurité Sociale qui sont contraires à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Ce que dénonçaient, depuis de nombreuses années, plusieurs associations de défense des droits de l’homme trouve ainsi, dans ce rapport spécial de la HALDE, toute sa justi- fication et la confirmation éclatante de leurs analyses. Faut-il pour autant considérer la question des discriminations en matière de presta- tions familiales comme résolue ? Hélas non car jusqu’à présent, malgré ces décisions de justice et les recommandations de la HALDE, le Ministère n’a pas entrepris la moindre dé- marche pour rendre la législation conforme au principe de non-discrimination ! Il faut poursuivre le combat et exiger des respon- sables politiques – gouvernement et parle- mentaires – qu’ils procèdent sans attendre aux modifications législatives et réglemen- taires qui s’imposent pour que cesse le " trouble à l’ordre public " que constituent ces discriminations instituées par la loi elle- même ! Alors que l’État est le garant de l’intérêt gé- néral et du respect des lois et règlements, qu’il a fait de la lutte contre les discrimina- tions un instrument de sa politique d’éga- lité des chances et de cohésion sociale, il en est arrivé à instaurer et à maintenir une discrimi- nation institutionnelle qui ne peut être que condamnée au nom des principes universels qui devraient guider l’ac- tion de la République ! Est-il besoin de rappe- ler que l’article premier de la Constitution de la République Française, re- prenant en cela l’article 1 er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, " garantit l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans dis- tinction d’origine, de race ou de religion " ! Alors, à quand la fin des discriminations par la Caisse Nationale d’Allocation Familiales ? Gérard Moine Président de la section de Mulhouse de la Ligue Française des Droits de l’Homme et du Citoyen © 2008 La Thénardière Edito ................................................................... 1 Témoignage ...................................................... 2 Médiation ou / et Sanctien - Des nouvelles de la HALDE ............................................................... 3 Quel lien entre politiques de la ville et discrimina- tion. Rencontre avec Sylvie Tissot .................. 4-5 Les Droits de l'Homme, on s'y met quand ? .... 6-7 Égalité de traitement ou égalité des chances ..... 8

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Journal de l'association Alda, luttant contre les discriminations Alsace

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Association de Lutte contre les Discriminations, Alsace23, rue Lambert, 68200 Mulhouse - 03 89 59 50 99 - www.aldalsace.org

U n e i n v i t a t i o n à n e p a s r e s t e r s a n s vo i x !N°3 - Décembre 2008 - publication semestrielle - GRATUIT

Vers la fin des discriminations par la Caisse Nationale d’Allocations Familiales ?

Plusieurs décisions de tribunaux (Cour d’Ap-pel de Toulouse, Paris, Versailles…) viennent de reconnaître l’illégalité des pratiques des Caisses d’Allocation Familiales qui refusent jusqu’à présent le versement des presta-tions familiales aux familles d’origine étran-gères, régulièrement installées dans notre pays, pour leurs enfants nés hors de France.

De même, fait sans précédent, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité vient de rendre public, au Journal Officiel de la République Française, un rappor t spécial, dénonçant l’atti-tude discriminatoire du Ministère de la Santé. Elle recommande de modifier les dispositions du Code de la Sécurité Sociale qui sont contraires à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

Ce que dénonçaient, depuis de nombreuses années, plusieurs associations de défense des droits de l’homme trouve ainsi, dans ce rapport spécial de la HALDE, toute sa justi-fication et la confirmation éclatante de leurs analyses.

Faut-il pour autant considérer la question des discriminations en matière de presta-tions familiales comme résolue ? Hélas non car jusqu’à présent, malgré ces décisions de justice et les recommandations de la HALDE, le Ministère n’a pas entrepris la moindre dé-marche pour rendre la législation conforme au principe de non-discrimination ! Il faut poursuivre le combat et exiger des respon-sables politiques – gouvernement et parle-mentaires – qu’ils procèdent sans attendre

aux modifications législatives et réglemen-taires qui s’imposent pour que cesse le " trouble à l’ordre public " que constituent ces discriminations instituées par la loi elle-même !

Alors que l’État est le garant de l’intérêt gé-néral et du respect des lois et règlements, qu’il a fait de la lutte contre les discrimina-tions un instrument de sa politique d’éga-lité des chances et de cohésion sociale, il en

est arrivé à instaurer et à maintenir une discrimi-nation institutionnelle qui ne peut être que condamnée au nom des principes universels qui devraient guider l ’ac-tion de la République ! Est-il besoin de rappe-ler que l’article premier de la Constitution de la République Française, re-

prenant en cela l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, " garantit l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans dis-tinction d’origine, de race ou de religion " !

Alors, à quand la fin des discriminations par la Caisse Nationale d’Allocation Familiales ?

Gérard Moine

Président de la section de Mulhouse de la Ligue Française des Droits de l’Homme et du Citoyen

© 2008 La Thénardière

Edito ...................................................................1

Témoignage ...................................................... 2

Médiation ou / et Sanctien - Des nouvelles de la HALDE ...............................................................3

Quel lien entre politiques de la ville et discrimina-tion. Rencontre avec Sylvie Tissot .................. 4-5

Les Droits de l'Homme, on s'y met quand ? .... 6-7

Égalité de traitement ou égalité des chances ..... 8

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Témoignage " Bonjour,

Je viens de participer à un chat sur " les Jeudi.com ", à propos de l'entreprise SII qui recrute près de 850 collaborateurs en les faisant participer à un " raid " en Corse.

Je suis reconnu travailleur handicapé suite à un ac-cident du travail, un niveau bac+3 et suis en train de suivre une formation à distance de développeur internet (non rémunérée et que j'ai obtenue par mes propres moyens).

J'ai donc posé deux questions simples, à savoir :

-1 " quels sont les critères d'embauche pour les dé-veloppeurs.net, le handicap est-il un frein ? "

-2 " votre raid ne serait-il pas une manière d'écarter certaines candidatures, notamment celles des tra-vailleurs handicapés qui restent néanmoins, pour certains, très qualifiés ? "

Bien évidemment ces deux questions sont restées sans réponse, la responsable du recrutement pré-férant s'étendre sur les activités développées au cours du raid et sur l'évolution au sein de son en-treprise.

Qu'en pensez-vous ?

J'ai quarante-trois ans, j'ai servi mon pays pen-dant six ans, notamment au Liban et dans le Golf Persique, j'ai exercé moult métiers pour certains desquels je suis diplômé.

Suite à mon accident je me suis reconverti en sui-vant une formation de technicien informatique et électronique industrielles par la Cotorep, j'en suis ressorti avec un diplôme d'état de niveau IV-III, j'ai travaillé durant deux ans comme opérateur et technicien en télésurveillance, juste le temps pour mon employeur de valider les aides de l'état dont il a bénéficié et depuis quatre ans, je rame pour trou-ver un emploi. À chaque fois on me répond que je suis soit trop qualifié, soit pas assez expérimenté, ou bien encore que l'on ne dispose pas de poste adapté. (Je ne peux tenir une position statique trop longue, assise ou debout).

Entre les dires de l'état et des chefs d'entreprise, et les faits sur le terrain, il subsiste un écart assez affolant ne pensez-vous pas ? "

Le témoignage ci-contre, que nous avons reçu, est emblématique sous deux as-pects. Le premier du point de vue de la

discrimination que j’appellerai ordinaire, ou de bonne foi. En effet, pourquoi une entre-prise performante, conquérante, en pointe dans son domaine de compétences, s’embar-rasserait-elle d’une question aussi triviale que le handicap ? Fait-on la guerre (économique) avec des handicapés ? La réponse est appa-remment non pour SII.

Le second touche à ce que l’on nomme aujourd’hui la culture d’entreprise et qui im-plique pour ceux qui s’en font les chantres, un investissement total, quasi sectaire de l’indi-vidu salarié, qui n’est plus apprécié, ou plutôt évalué seulement sous l’angle de ses compé-tences professionnelles, mais aussi sous l’angle de ses qualités humaines et à l’aune de critères fortement discriminants.

Cette " culture " de la performance individuelle (performance physique dans le cas qui nous occupe) vise à transformer l’entreprise en champ clos de la lutte de tous contre chacun, et ceci dès la phase de recrutement, où, sous de fausses allégations du type ‘renforcer la co-hésion du groupe’ on sélectionne d’emblée, sous des critères hautement discriminants les éléments que l’on pense les plus adaptés. Evidemment dans ce monde, il ne peut y avoir de place pour le handicap.

Dominique Humbert

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U n e i n v i t a t i o n à n e p a s r e s t e r s a n s vo i x !

Médiation ou/et SanctionDes nouvelles de la HALDE

À entendre le discours dominant, la sanction a le vent en poupe. Ainsi du renforcement des sanctions contre

les récidivistes, la création de sanctions ex-trajudiciaires pour les criminels endurcis, la tentative de créer des peines rétroactives, la vindicte contre les juges trop laxistes, l’appel à sanction pour tous les dysfonctionnements de la société, qui souvent sont imputables au manque de crédits. Nos dirigeants exigent même la sanction des responsables de la crise financière mondiale bien que les coupa-bles soient hors de leur portée.

Et pourtant, parallèlement se développe l’ap-pel à la conciliation, au dialogue, à la solution amiable des conflits.

Pour ce qui concerne les discriminations, c’est plutôt le discours de la médiation qui domine, tout du moins pour tout ce qui est en liaison avec la HALDE, institution déterminante en la matière.

Nous nous réjouissons tous lorsque des per-sonnes discriminées, ou ayant subi un dom-mage analogue, obtiennent satisfaction y compris par le dialogue, direct ou avec l’aide d’un faciliteur.

Là où toutefois nous nous interrogeons sur cette démarche, c’est lorsque nous nous apercevons que si la conséquence est bien positive en permettant à une personne de réintégrer ses droits, et a fortiori au discrimi-nateur de revenir à de meilleurs sentiments, elle a également comme conséquence que :

1. la loi n’a pas été appliquée ; 2. l’auteur du délit de discrimination s’en tire à peu de frais, ce qui peut se concevoir s’il a agit par maladresse ou négligence, mais qui est inacceptable s’il a agit intentionnelle-ment.

La médiation devient très attractive pour l’auteur du délit, dès lors qu’il s’est fait pren-dre la main dans le sac, le discriminé ayant eu l’impudence de se plaindre, et qui plus est par la voie légale. Son avocat lui recomman-

dera chaudement une bonne médiation qui lui permettra de se tirer d’affaire la tête haute, exempté d’une condamnation infamante, qui est toujours nuisible au commerce et sape la notoriété de son auteur. Même la " transac-tion " proposée par la HALDE lorsqu’un dom-mage est avéré, est moins onéreuse que les amendes prévues par la loi, comme l’a mon-tré une étude de SOS Racisme. Business is bu-siness !

Ainsi l’auteur pourra-t-il continuer à discrimi-ner peut-être plus discrètement, au risque que de temps en temps il se fasse attraper, ses pratiques illégales persistant.

La médiation instituée par analogie à l’om-budsman suédois, ou au Juge de Paix tel qu’il était conçu à l’origine, n’a de sens et de légi-timé au regard des droits de la personne et de la loi actuelle sur les discriminations, que dans le cas où deux personnes sincères se retrouvent dans des positions antagonistes, chacune estimant être dans son bon droit. La sincérité de chacun, le fait que chacun dis-pose d’arguments convainquants, bien que contradictoires, aucun n’ayant eu l’intention de tromper et de porter dommage à l’autre, est le garant et la justification de la médiation. Dans de telles conditions, elle est socialement plus satisfaisante que la sanction, ou une dé-cision couperet, qui laissera l’un ou les deux interlocuteurs dans un sentiment d’injustice ou d’arbitraire.

Par contre, si le délit de discrimination a été commis intentionnellement, le seul regret de l’auteur étant de s’être fait prendre, la mé-diation devient un moyen de contourner la loi, et de délester l’auteur du dommage qu’il a causé à la victime, ainsi que du trouble qu’il a causé à l’ordre public. Sa conduite même si elle est permanente apparaitra comme occa-sionnelle, et l’affaire ne changera rien ni dans le sort des partenaires suivant de l’auteur, ni dans la perception du public du phénomène de la discrimination.

Pourquoi ce traitement de faveur accordé aux auteurs de discrimination ? De nombreux autres délinquants sont poursuivis sans pitié, en comparution immédiate, sans possibilité de se défendre efficacement, sans examen attentif des circonstances de leur affaire, ni de leur personnalité. N’est-ce pas justement parce que la discrimination gêne une grande partie de la société, qui est obligée à se regar-der dans un miroir, qui ne lui rend pas l’image idéale qu’elle aimerait tant qu’on y voit.

Dans quelle branche recourt-on encore mas-sivement à la transaction alors qu’un disposi-tif légal sophistiqué de sanctions financières ou pénales est disponible ? Dans la fraude fiscale bien sûr ! Il ne faut pas pénaliser les acteurs économiques ! Cela s’appelle " un re-dressement fiscal ".

L’accusation de " victimisation " des person-nes se plaignant de discrimination rejoint di-rectement ce souci et cette mentalité du " il faut faire la part des choses ". Quand l’un est dans son droit, et l’autre a violé la loi, il n’y a pas de " part des choses ". Les droits ne se né-gocient pas, chaque personne y a droit entiè-rement, et cela ne se marchande pas.

Henri Cron

Vice-président d'ALDA

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Quel lien entre politiques de la ville et discrimination ?Rencontre avec Sylvie Tissot.

Nous avons rencontré Sylvie Tissot, Maîtresse de conférences en sciences sociales à l’université

Marc Bloch de Strasbourg et auteure de " L’État et les quartiers. Genèse d’une ca-tégorie de l’action publique ", Paris, Seuil, 2007.

Elle a accepté pour nous de répondre à nos questions. Cet article reprend les passages clefs de l’entretien accordé.

Jacqueline Girardat

J.G. Existe-t-il un lien entre politiques de la ville et discrimination ?

Spontanément, à partir du travail que j’ai réalisé sur la période 1985-1995, je vous dirai qu’il n’y en a pas ! Je veux dire par là que la question des discriminations est alors complètement absente des dispo-sitifs et des discours de la Politique de la ville. Mais cette absence est significative d’une chose très importante qui se passe durant cette période où la question des quartiers dits sensibles apparaît dans les débats et dans l’action publique. Alors même qu’on se focalise sur ces territoi-res, qu’ils deviennent en quelque sorte le symbole de la " question sociale ", on fait l’impasse totale sur les discriminations dont on peut penser qu’elles concernent une partie importante des habitants de ces quartiers, en tous cas ceux qui sont immigrés ou issus de l’immigration.

Ce qui se passe avec l’apparition du ter-me " quartier sensible ", c’est un glisse-ment notable dans le vocabulaire utilisé pour désigner les quartiers populaires. Précisément, on ne parle plus de " quar-tier populaire ", mais d’abord de " quar-tiers défavorisés " (qui est encore une ma-©

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U n e i n v i t a t i o n à n e p a s r e s t e r s a n s vo i x !

Quel lien entre politiques de la ville et discrimination ?Rencontre avec Sylvie Tissot.

nière d’évoquer un statut social) puis de " quartier sensible ", qui désigne, en creux, des populations considérées indissocia-blement comme étrangères ethnique-ment et dangereuses. Justement l’appa-rition de " l’ethnique " aurait pu conduire à problématiser ce que ces personnes (les habitants des quartiers d’habitat social) subissent en raison de leur origine, réelle ou supposée. Mais le tour de passe-passe réalisé avec cette catégorie spatiale – " quartier sensible " - c’est de pointer les difficultés que posent ces personnes, en raison justement de leurs origines. Ces origines sont ainsi posées comme un pro-blème qui doit être résolu en réduisant les différences.

La doctrine assimilationniste (qui est la manière dominante en France de penser la question de l’immigration) est venue imprégner la doctrine de la Politique de la ville, qui s’est donné comme objectif de réduire les différences entre les po-pulations des " quartiers " et le reste du territoire. Impossible, dans ce cadre là, de faire émerger une réflexion sur la discri-mination qui implique de penser ce que le reste de la société et les rapports de do-mination qui la traverse impliquent pour ces populations.

J.G. Quelle est la traduction concrète des politiques de la ville ?

L’exclusion de la question de la discrimi-nation, c’est en soi quelque chose de très concret ! Les émeutes des année 1990 et 2000 en sont, il me semble, une consé-quence directe.

Au niveau local, la Politique de la ville s’est orientée vers une gestion locale de la marginalité urbaine, axée sur la théma-

tique de la " participation des habitants ". La catégorie de " quartier sensible " s’est construite sur l’idée d’une spécificité de ces territoires, en termes notamment d’anomie, de " galère " : d’où une action pour refonder le " lien social ", qui occulte la question des relations sociales dans ce qu’elles ont d’inégalitaire et de conflic-tuel. Occultation renforcée par cette ob-session du " local " qui fait oublier que ce qui se passe dans ces territoires est évi-demment lié à des phénomènes qui se déploient sur une échelle beaucoup plus globale.

J .G . D a n s u n a r t i c l e d u M o n d e Diplomatique vous parlez de dépoliti-sation. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Au fur et à mesure que l’idée de " partici-pation des habitants " s’est institutionna-lisée, via la Politique de la ville, on a vu se développer un corps de professionnels de cette participation, embauché pour met-tre en place une ingénierie sociale visant à refonder ce lien social. Il y a eu dépoliti-sation dans le sens où ces professionnels, pour se légitimer, ont dû revendiquer une compétence spécifique, celle de faire émerger mais aussi cadrer les demandes des habitants. Les contraintes diverses, notamment émanant des municipalités, ont conduit les équipes de la Politique de la ville à écarter les demandes trop gênantes, les paroles trop contestatrices : c’est ce qui s’est passé notamment avec la question des discriminations ou des rap-ports jeunes / polices.

J.G. Pourquoi ces demandes, n’étaient-elles pas soutenables ?

Ces demandes n’ont pas été entendues pour deux raisons principales. D’une part l’affaiblissement des acteurs qui portaient ces questions depuis la marche pour l’Egalité de 1983, mouvement social en grande partie anéanti et/ou récupéré par le Parti socialiste et François Mitterrand. De l’autre le durcissement du discours sur l’immigration à la fin des années 1980 - souvenez vous du " seuil de tolérance ", du " bruit et l’odeur " -, bref l’émergence de tout un discours que l’on a analysé avec Pierre Tevanian comme révélant une véritable " lepénisation des esprits ".

J.G. Et aujourd’hui est-il plus facile de parler de discrimination ?

Il est plus facile de parler de discrimina-tion mais la question c’est comment. Ce mot est de plus en plus présent dans les débats publics, même si la question de la " diversité " ou de l’" égalité des chances " tend à s’y substituer, et, avec ce vocable une vision dépolitisée très largement im-pulsée par la droite, des grandes entrepri-ses et des cabinets de consultants. L’enjeu actuel consiste à défendre et imposer une vision politique de la question des discri-minations.

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A l’occasion du 60è anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), un collectif de 16

associations mulhousiennes s’est constitué pour marquer l’événement.

Différents événements ont étés organisés :

- La tenue d’un chalet des Droits de l’Homme au sein du marché de Noël de Mulhouse.

dès le 29/11/08 à 11h, jusqu'au 31/12/08

- L’exposition sur les Droits de l’Homme et de l’Enfant au Temple Saint-Étienne.

dès le 29/11/08 à 11h jusqu'au 31/12/08

- Le déroulement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sur la façade de l’hôtel de ville de Mulhouse et la déclamation publi-que des 30 articles de la déclaration.

le 12/12/08 à 19h15

- Un concert Gospel dont les sommes cou-vriront les frais de la manifestation et dont l’excédent sera reversé au profit d’actions en faveur des Droits de l’Homme.

les "Sun Gospel" et "Freedom Voices" de Strasbourg le 12/12/08 à 20h30

ALDA a décidé de participer à cet événement pour une raison essentielle : La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est loin d’être effective.

Nous en faisons l’expérience au quotidien.

Aussi, nous avons fait le choix de mettre en évidence ces manquements en réalisant no-tre exposition autour d’une sélection d’arti-cles de la déclaration mis à l’épreuve des si-tuations que nous suivons.

Vous retrouverez ici une partie de ce travail de mise en écho visant à sensibiliser le plus grand nombre.

LES DROITS DE L’HOMME, ON S’Y MET QUAND ?

JUSTICEChacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. DUDH - Article 6

Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. DUDH -Article 8

Toute personne à droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. DUDH - Article 10

Ces droits relatifs à la reconnaissance de la personnalité juridique de chaque citoyen, ne pourront être effectifs qu’à condition que LE DROIT DE PORTER PLAINTE soit rigoureusement respecté. Nous constatons qu’il est fréquent que les agents de police refusent d’enregistrer les plaintes, invoquant la difficulté de faire aboutir de tels dossiers, ou préférant établir des mains courantes.

Or, sans plainte déposée, pas de délit dénoncé et pas de recours effectif devant la justice possible.

Les Droits de l’Homme, on s’y met quand ?

LOGEMENT Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État. DUDH - Article 13

ALDA reçoit également des personnes ayant subi une discrimination au logement. Que le bailleur soit privé ou public, le nom, l’origine réelle ou supposée, l’orientation sexuelle ou encore le handicap sont autant de raisons retenues pour mettre un frein à l’attribution d’un logement décent.

La discrimination est un délit !

ALDA se bat pour un égal accès au logement de tous.

Les Droits de l’Homme, on s’y met quand ?

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U n e i n v i t a t i o n à n e p a s r e s t e r s a n s vo i x !

EMPLOI 1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de

son travail, à des conditions équitables et satisfaisan-tes de travail et à la protection contre le chômage.

2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un sa-laire égal pour un travail égal. DUDH- Article 23

ALDA reçoit régulièrement des personnes ayant subi une discrimination à la fois dans leurs recherches d’emploi, mais aussi dans l’emploi, qu’il s’agisse de discrimination salariale ou encore discrimination à l’évolution de carrière.

Le sexe, l’origine réelle ou supposée, le handicap, l’activité syndicale ou encore l’orien-tation sexuelle, sont toujours des motifs retenus par certains employeurs, privés ou publics, pour discriminer ! Et ce malgré la signature de nombreuses chartes visant à " promouvoir la diversité "ou lutter contre les discriminations.

La discrimination est un délit ! Dénoncez-la, faites valoir vos Droits !

Les Droits de l’Homme, on s’y met quand ?

POLICE Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. DUDH - Article 9

ALDA reçoit régulièrement des personnes victimes d’arrestations arbitraires.

Comment comprendre une arrestation lorsque tous les papiers présentés sont en règles et que la personne n’était en train de commettre, ou n’allait

commettre aucune infraction ? Comment ne pas parler d’abus policiers lorsque certains agents insultent et maltraitent des citoyens sans motif ? Comment comprendre dès lors l’usage du motif " outrage à agent " dans de tels cas de non respect des droits élémentaires ?

Les Droits de l’Homme, on s’y met quand ?

FONCTION PUBLIQUE 2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays. DUDH - article 21

Un rapport du Groupe d’Étude sur les Discriminations (GED) a recensé l’ensem-ble des professions dont l’accès est limité pour les étrangers par une condition de nationalité et/ou de diplôme ainsi que les motifs de ces restrictions.

Au total, le rapport relève une cinquantaine de professions qui font l’objet de restrictions explicites liées à la nationalité plus une trentaine qui requièrent la condition de possession d’un diplôme français.

Les premières concernent plus de 615.000 emplois et les secondes, au moins 625.000.

Mais les emplois fermés aux étrangers se dénombrent avant tout dans le sec-teur public.

Les emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques (d’État, hospitalière et territoriale) sont interdits aux étrangers non communautaires, soit près de 5,2 millions. De plus, les entreprises sous statut gérant des services publics (La Poste, EDF-GDF, Air France) et les établissements publics industriels et commer-ciaux, qui comptent plus d’un million ne peuvent recruter des agents statutaires que de nationalité française ou des ressortissants d’un État membre de la com-munauté européenne. Cela ne leur interdit pas d’embaucher des étrangers pour effectuer des tâches identiques à celles d’agents statutaires, mais en tant que contractuels ou auxiliaires.

Au total, près de 7 millions d’emplois sont interdits partiellement ou totale-ment aux étrangers, soit environ 30 % de l’ensemble des emplois.

Les Droits de l’Homme, on s’y met quand ?

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Association de Lutte contre les Discriminations, Alsacewww.aldalsace.org

OURSLE PORTE-VOIX - N°3 - Décembre 2008

Tiré à 600 exemplaires - Gratuit

Éditeur : ALDA

Directrice de publication : Djamila Sonzogni

Comité de rédaction : Fatima Arejdal,

Henri Cron, Fabrice Dhume, Jacqueline

Girardat, Dominique Humbert,

Mabrouka Mendi, Gérard Moine,

Islam Ougmar, Djamila Sonzogni

Photographies : " Le Porte-Voix "

Sculpture de Michel Belmont –

[email protected] (p.1)

Impression : Im’serson – Wittenheim –

03 89 53 20 70. Papier 100% recyclé

Création graphique, mise en page :

[email protected]

CONTACTALDA, Association de Lutte contre les

Discriminations, Alsace

Siège : 23, rue Lambert - 68200 Mulhouse

Tél. / Rép. : 03 89 59 50 99

Site internet : www.aldalsace.org

Courriel : [email protected]

PERMANENCESMulhouse : siège d’ALDA - 23, rue Lambert

Tous les premiers et troisièmes jeudis

du mois, (sauf vacances scolaires).

Colmar : Maison des Associations - 6, route d’Ingersheim

Tous les premiers lundis du mois, de

8h à 12h, (sauf vacances scolaires).

Strasbourg : Maison des Associations

- 1A, place des Orphelins

Tous les troisièmes lundis du mois, de

12h à 16h , (sauf vacances scolaires).

ALDA reçoit sur rendez-vous.

Égalité de traitement ou égalité des chances ?

Pôles de lutte contre les discriminations présidés par des procureurs, corres-pondants locaux de la HALDE, collo-

ques, chartes, études, projets, annonces… Les communications officielles, les discours et les annonces se multiplient sur le thème des discriminations. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses.

Et pourtant il n’y a pas de quoi se réjouir…

Car on ne parle le plus souvent plus de dis-crimination et d’égalité de traitement, on

parle d’égalité des chances, de diversité… Discours libéral et entrepreneurial, qui ne va évidemment pas dans le sens du droit !

En fait nous sommes dans ce paradoxe : l’in-flation de discours flous aboutit à la dispari-tion ou au déplacement du problème. Plus grave encore : les personnes discriminées sont soit réduites à des « victimes », soit elles sont rendues responsables de leur situation. Et elles se victimiseraient !

Cette situation n’est pas sans rappeler le traitement de la question du viol, il y a trente ans : les personnes concernées avaient du mal à porter plainte, on ne les croyait pas ou on pensait qu’elles l’avaient bien cherché. Ce type de discours n’a d’ailleurs pas disparu, loin de là1. Dénégation du phénomène, et

1 - Voir le Porte-Voix n°2 : " Après le " Mois de l’autre ", à quand le " Mois de nous-autres " ? "

déni de son sens politique : on occulte la banalité de l’idéologie sexiste. Cela nous rappelle aussi la façon dont étaient traitées il y a dix ans, les personnes subissant le har-cèlement : elles se montaient la tête, disait-on, elles dramatisaient des petits faits pas si graves. Et là aussi, la dimension politique était occultée : comment le droit du travail est bafoué, et comment la violence devient un mode de « management ».

Ceci, nous le constatons au quotidien dans le suivi des situations que nous traitons.

Même quand l’injustice est reconnue, les effets politiques de la discrimination ne le sont pas, et le problème est individualisé : ce serait la faute à X, lampiste de service ; ce serait Y, raciste de service ; ce serait un banal problème d’accès au droit ou encore la faute du plaignant qui n’a pas ramené assez de preuves.

Mais, dans la plupart des cas, l’injustice n’est pas reconnue et la discrimination est niée au profit d’un discours sur l’intégration : tu n’as pas fait assez d’efforts pour faire accepter ta différence !

La mise en place de correspondants locaux par la HALDE a donné lieu à un succès mé-diatique important. Mais le discours qui en ressort est significatif : la nécessité de lutter contre les discriminations est accompagnée de mise en garde répétées face aux person-nes invoquant l’existence de discriminations à tort. Sait-on jamais, des fois que des per-sonnes auraient l’intention de porter plain-te… Mais peut-être est-ce cela, la logique de la HALDE : décourager de mobiliser le droit ? Privilégier de pseudo-médiations à une sanction des infractions ? Pourquoi alors ne pas faire la même chose pour le code de la route : une médiation à chaque feu rouge brûlé. Plus de radars, juste des médiateurs… car après tout s’il y a médiation, c’est qu’on ne s’est pas bien compris…

Alors, face à ce déni du droit, il est grand temps de lancer des Etats généraux pour ré-sister à la discrimination et conquérir l’égali-té, et que les discriminés se regroupent pour faire entendre leur voix !

Djamila Sonzogni

Présidente d'ALDA

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