Affaire Berland c. France

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CINQUIÈME SECTION AFFAIRE BERLAND c. FRANCE (Requête n o 42875/10) ARRÊT STRASBOURG 3 septembre 2015 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à larticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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CEDO

Transcript of Affaire Berland c. France

CINQUIEgraveME SECTION

AFFAIRE BERLAND c FRANCE

(Requecircte no 4287510)

ARREcircT

STRASBOURG

3 septembre 2015

Cet arrecirct deviendra deacutefinitif dans les conditions deacutefinies agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la

Convention Il peut subir des retouches de forme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 1

En lrsquoaffaire Berland c France

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (cinquiegraveme section) sieacutegeant

en une chambre composeacutee de

Mark Villiger preacutesident

Angelika Nuszligberger

Boštjan M Zupančič

Ganna Yudkivska

Vincent A De Gaetano

Andreacute Potocki

Helena Jaumlderblom juges

et de Claudia Westerdiek greffiegravere de section

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 26 mai 2015

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4287510) dirigeacutee

contre la Reacutepublique franccedilaise et dont un ressortissant de cet Eacutetat

M Daniel Berland (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 21 juillet 2010 en

vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme

et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant qui a eacuteteacute admis au beacuteneacutefice de lrsquoassistance judiciaire a

eacuteteacute repreacutesenteacute par Me JC Bonfils avocat agrave Dijon Le gouvernement

franccedilais (laquo le Gouvernement raquo) est repreacutesenteacute par son agent

M Franccedilois Alabrune directeur des affaires juridiques au ministegravere des

Affaires eacutetrangegraveres

3 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention

4 Le 31 janvier 2012 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

5 Le requeacuterant est neacute en 1987 et est actuellement placeacute au centre

hospitalier speacutecialiseacute (CHS) de Sevrey

6 Le 12 septembre 2007 le requeacuterant acircgeacute de vingt ans se preacutesenta sur

le lieu de travail de CG qui avait eacuteteacute son amie et qui lui avait fait connaicirctre

agrave la suite de menaces et drsquoactes de violence qursquoelle ne voulait plus le voir

Le requeacuterant porta plusieurs coups de couteau agrave CG qui blesseacutee agrave la gorge

et au thorax deacuteceacuteda drsquoune heacutemorragie massive ainsi qursquoagrave deux autres

2 ARREcircT BERLAND c FRANCE

personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs

drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux

autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet

prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey

7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui

conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)

8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge

drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de

lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du

requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale

issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves

laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)

9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction

constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes

agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait

des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il

ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au

procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction

10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de

Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin

de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental

selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122

du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)

11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la

chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant

de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008

son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre

2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus

seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de

lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant

pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de

dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au

prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des

faits

12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara

qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir

volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable

peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son

hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la

loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort

ARREcircT BERLAND c FRANCE 3

des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute

des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler

dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une

dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir

ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du

nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la

proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur

la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et

inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure

souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication

immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation

alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention

laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de

fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()

() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la

reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement

judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la

personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute

publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations

drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera

soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et

administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute

Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute

() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18

ci-dessous) sont donc applicables raquo

13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses

moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la

Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave

lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire

encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous

lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute

commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait

pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par

lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi

peacutenale plus seacutevegravere

14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima

impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le

requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors

que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du

discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur

lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere

infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur

avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune

4 ARREcircT BERLAND c FRANCE

telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel

deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave

une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des

laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce

point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la

chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo

15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi

laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait

une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de

lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la

personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des

mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont

inscrites au casier judiciaire

Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris

aux moyens

Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que

les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre

prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent

pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale

pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()

() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

drsquoassassinat et de violences () raquo

16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec

ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de

sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS

de Sevrey est ainsi libelleacutee

laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux

expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties

Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de

M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune

sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble

indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de

sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai

pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo

Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de

M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon

pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser

agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland

Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel

de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140

du code de proceacutedure peacutenale ()

Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute

drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne

viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec

les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 1

En lrsquoaffaire Berland c France

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (cinquiegraveme section) sieacutegeant

en une chambre composeacutee de

Mark Villiger preacutesident

Angelika Nuszligberger

Boštjan M Zupančič

Ganna Yudkivska

Vincent A De Gaetano

Andreacute Potocki

Helena Jaumlderblom juges

et de Claudia Westerdiek greffiegravere de section

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 26 mai 2015

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4287510) dirigeacutee

contre la Reacutepublique franccedilaise et dont un ressortissant de cet Eacutetat

M Daniel Berland (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 21 juillet 2010 en

vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme

et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant qui a eacuteteacute admis au beacuteneacutefice de lrsquoassistance judiciaire a

eacuteteacute repreacutesenteacute par Me JC Bonfils avocat agrave Dijon Le gouvernement

franccedilais (laquo le Gouvernement raquo) est repreacutesenteacute par son agent

M Franccedilois Alabrune directeur des affaires juridiques au ministegravere des

Affaires eacutetrangegraveres

3 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention

4 Le 31 janvier 2012 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

5 Le requeacuterant est neacute en 1987 et est actuellement placeacute au centre

hospitalier speacutecialiseacute (CHS) de Sevrey

6 Le 12 septembre 2007 le requeacuterant acircgeacute de vingt ans se preacutesenta sur

le lieu de travail de CG qui avait eacuteteacute son amie et qui lui avait fait connaicirctre

agrave la suite de menaces et drsquoactes de violence qursquoelle ne voulait plus le voir

Le requeacuterant porta plusieurs coups de couteau agrave CG qui blesseacutee agrave la gorge

et au thorax deacuteceacuteda drsquoune heacutemorragie massive ainsi qursquoagrave deux autres

2 ARREcircT BERLAND c FRANCE

personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs

drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux

autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet

prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey

7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui

conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)

8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge

drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de

lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du

requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale

issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves

laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)

9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction

constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes

agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait

des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il

ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au

procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction

10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de

Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin

de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental

selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122

du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)

11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la

chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant

de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008

son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre

2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus

seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de

lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant

pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de

dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au

prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des

faits

12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara

qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir

volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable

peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son

hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la

loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort

ARREcircT BERLAND c FRANCE 3

des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute

des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler

dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une

dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir

ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du

nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la

proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur

la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et

inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure

souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication

immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation

alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention

laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de

fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()

() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la

reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement

judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la

personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute

publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations

drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera

soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et

administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute

Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute

() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18

ci-dessous) sont donc applicables raquo

13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses

moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la

Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave

lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire

encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous

lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute

commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait

pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par

lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi

peacutenale plus seacutevegravere

14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima

impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le

requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors

que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du

discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur

lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere

infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur

avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune

4 ARREcircT BERLAND c FRANCE

telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel

deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave

une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des

laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce

point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la

chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo

15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi

laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait

une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de

lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la

personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des

mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont

inscrites au casier judiciaire

Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris

aux moyens

Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que

les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre

prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent

pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale

pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()

() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

drsquoassassinat et de violences () raquo

16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec

ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de

sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS

de Sevrey est ainsi libelleacutee

laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux

expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties

Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de

M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune

sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble

indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de

sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai

pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo

Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de

M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon

pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser

agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland

Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel

de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140

du code de proceacutedure peacutenale ()

Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute

drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne

viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec

les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

2 ARREcircT BERLAND c FRANCE

personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs

drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux

autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet

prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey

7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui

conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)

8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge

drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de

lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du

requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale

issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves

laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)

9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction

constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes

agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait

des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il

ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au

procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction

10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de

Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin

de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental

selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122

du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)

11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la

chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant

de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008

son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre

2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus

seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de

lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant

pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de

dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au

prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des

faits

12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara

qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir

volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable

peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique

ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son

hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la

loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort

ARREcircT BERLAND c FRANCE 3

des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute

des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler

dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une

dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir

ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du

nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la

proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur

la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et

inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure

souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication

immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation

alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention

laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de

fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()

() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la

reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement

judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la

personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute

publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations

drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera

soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et

administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute

Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute

() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18

ci-dessous) sont donc applicables raquo

13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses

moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la

Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave

lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire

encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous

lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute

commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait

pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par

lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi

peacutenale plus seacutevegravere

14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima

impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le

requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors

que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du

discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur

lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere

infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur

avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune

4 ARREcircT BERLAND c FRANCE

telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel

deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave

une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des

laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce

point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la

chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo

15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi

laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait

une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de

lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la

personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des

mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont

inscrites au casier judiciaire

Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris

aux moyens

Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que

les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre

prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent

pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale

pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()

() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

drsquoassassinat et de violences () raquo

16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec

ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de

sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS

de Sevrey est ainsi libelleacutee

laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux

expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties

Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de

M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune

sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble

indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de

sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai

pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo

Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de

M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon

pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser

agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland

Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel

de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140

du code de proceacutedure peacutenale ()

Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute

drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne

viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec

les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 3

des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute

des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler

dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une

dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir

ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du

nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la

proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur

la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et

inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure

souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication

immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation

alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention

laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de

fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()

() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la

reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement

judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la

personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute

publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations

drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera

soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et

administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute

Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute

() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18

ci-dessous) sont donc applicables raquo

13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses

moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la

Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave

lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire

encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous

lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute

commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait

pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par

lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi

peacutenale plus seacutevegravere

14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima

impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le

requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors

que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du

discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur

lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere

infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur

avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune

4 ARREcircT BERLAND c FRANCE

telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel

deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave

une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des

laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce

point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la

chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo

15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi

laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait

une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de

lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la

personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des

mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont

inscrites au casier judiciaire

Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris

aux moyens

Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que

les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre

prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent

pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale

pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()

() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

drsquoassassinat et de violences () raquo

16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec

ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de

sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS

de Sevrey est ainsi libelleacutee

laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux

expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties

Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de

M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune

sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble

indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de

sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai

pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo

Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de

M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon

pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser

agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland

Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel

de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140

du code de proceacutedure peacutenale ()

Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute

drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne

viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec

les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

4 ARREcircT BERLAND c FRANCE

telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel

deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave

une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des

laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce

point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la

chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo

15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi

laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait

une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de

lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la

personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des

mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont

inscrites au casier judiciaire

Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris

aux moyens

Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que

les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre

prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent

pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale

pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()

() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits

drsquoassassinat et de violences () raquo

16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec

ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de

sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS

de Sevrey est ainsi libelleacutee

laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux

expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties

Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de

M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune

sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble

indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de

sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai

pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo

Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de

M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon

pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser

agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland

Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel

de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140

du code de proceacutedure peacutenale ()

Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute

drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne

viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec

les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 5

ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave

M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute

laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des

faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le

controcircle de ses actes

La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou

neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes

demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance

lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo

18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte

deux volets

Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre

socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de

reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui

preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere

Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute

preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct

M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait

rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la

reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction

mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes

condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou

faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits

commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la

dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait

qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M

preacuteciteacute sect 75)

Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle

proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental

comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se

prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable

peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des

mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20

ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-

lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable

eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes

ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus

lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

6 ARREcircT BERLAND c FRANCE

risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser

le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice

19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs

drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute

preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme

neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le

traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes

peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la

douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif

drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de

prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)

laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble

mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les

juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en

tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont

deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas

reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les

dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui

met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans

informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer

sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un

acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute

mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de

revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo

20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la

chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont

organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes

Article 706-120

laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime

apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges

suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles

drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le

procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de

la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux

fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette

transmission

Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que

lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo

Article 706-122

laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son

preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere

public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette

derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 7

Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie

civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile

aux teacutemoins et aux experts () raquo

Article 706-125

laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges

suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1

du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel

1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir

commis les faits qui lui sont reprocheacutes

2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble

psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes

au moment des faits

3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal

correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la

personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts

4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo

Article 706-135

(agrave lrsquoeacutepoque des faits)

laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la

santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement

prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice

de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code

srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que

les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute

des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de

lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de

cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les

hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le

deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement

applicable raquo

Article 706-136

laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un

arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble

mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes

pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere

correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni

de dix ans drsquoemprisonnement

1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines

personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement

deacutesigneacutees

2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute

3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

8 ARREcircT BERLAND c FRANCE

4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement

deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute

commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement

lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute

5o Suspension du permis de conduire

6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance

drsquoun nouveau permis

Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise

psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est

susceptible de faire lrsquoobjet

Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du

code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables

pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette

hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo

Article 706-137

laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de

lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la

situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification

ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere

public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter

lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du

reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande

ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot

laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur

le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave

lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo

Article 706-139

laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues

par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de

lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros

drsquoamende raquo

Article D 47-29-1

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de

lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la

possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux

dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin

agrave lrsquohospitalisation

Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun

pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la

deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental

Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice

nrsquoest pas suspensif () raquo

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 9

Article D 47-29-3

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est

srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui

de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles

L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee

peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre

mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8

du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code

exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de

cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne

sont par conseacutequent pas applicables raquo

Article D 47-29-6

Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par

la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des

eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont

neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne

deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la

victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public

reacutesultant de la commission de ces actes

Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo

Article D 47-29-8

Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010

laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi

no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe

le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en

application de lrsquoarticle 706-136 raquo

Article D 47-31

laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier

judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les

juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de

lrsquoarticle 706-36

Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice

conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service

du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les

conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins

no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo

21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les

articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures

en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des

dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

10 ARREcircT BERLAND c FRANCE

dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental il est preacuteciseacute ceci

laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136

Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute

Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au

moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le

renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour

proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre

public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre

prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute

Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont

immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la

suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo

22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil

constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions

preacuteciteacutees

laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction

lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes

contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est

irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des

fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence

de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au

principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la

meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement

irresponsable

Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure

peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes

contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du

code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a

commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute

civile ()

Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure

peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre

drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions

de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune

personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits

que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave

lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant

drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()

Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de

trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure

de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee

cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la

responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de

proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle

ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 11

qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du

casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel

article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces

interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne

sont pas contraires agrave la Constitution raquo

23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim

no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait

obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire

encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP

que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi

ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette

jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en

formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la

Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne

srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et

706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le

pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim

no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de

cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil

constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur

lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP

laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des

personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public

neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et

lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en

elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute

individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de

sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application

des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA

CONVENTION

24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de

lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de

cette disposition est ainsi libelleacutee

laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave

elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou

international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait

applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

12 ARREcircT BERLAND c FRANCE

A Sur la recevabiliteacute

25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du

requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne

constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que

la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention en application de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que

la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui

lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non

reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave

srsquoappliquer

27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae

dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du

grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc

de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas

manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention

Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif

drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable

B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention

1 Thegraveses des parties

28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les

mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP

ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles

nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes

contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction

drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule

lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee

Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention

de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute

29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne

reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une

peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M

preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de

sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre

que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour

de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le

caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le

Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces

mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 13

auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil

dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave

la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause

de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des

personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne

que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction

reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de

la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure

drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises

psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la

chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant

qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long

cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la

commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif

conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le

Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397

CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave

disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux

Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)

30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le

Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout

drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave

celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre

non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la

preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee

illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les

autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la

diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre

modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur

prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune

expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive

Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations

reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans

le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome

31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures

litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute

32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du

CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008

il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne

pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le

poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction

judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une

juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

14 ARREcircT BERLAND c FRANCE

des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette

deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de

prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune

condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est

deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de

lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple

faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime

33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de

sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil

srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires

drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander

le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la

condamnation

34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et

deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision

du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que

celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune

incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais

est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par

lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept

nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008

35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de

sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est

soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces

mesures sont des peines au sens de la Convention

2 Appreacuteciation de la Cour

36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7

sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de

caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6

sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par

lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et

drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une

laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)

37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de

deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave

deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune

condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre

jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa

qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute

sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque

de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 15

impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et

Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)

38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une

peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute

et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7

de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier

judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France

no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de

sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee

apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle

visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son

exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour

reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la

deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par

les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la

justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)

Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les

leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute

contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme

type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de

sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un

autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)

39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave

savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees

conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des

peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1

seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer

40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe

drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave

la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note

drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction

apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas

que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir

son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de

savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En

lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct

par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes

contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil

eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli

son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

16 ARREcircT BERLAND c FRANCE

preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes

drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une

condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des

conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le

Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas

une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de

deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct

pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir

a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une

condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et

a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501

CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation

pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale

contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)

41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions

internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de

charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait

lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a

consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette

deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif

drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition

du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet

fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la

juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au

regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction

laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une

telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)

42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses

prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour

cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour

une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les

internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des

personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement

irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1

a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique

no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709

sect 43 9 janvier 2014)

43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des

mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle

706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas

consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non

reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave

lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 17

une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue

lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures

viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de

sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son

arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines

(paragraphe 23 ci-dessus)

44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la

Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise

psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee

irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes

ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en

lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier

speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct

dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la

criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements

speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de

son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les

articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de

lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en

soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le

deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14

avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre

demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention

conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D

47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis

drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe

hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli

deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que

lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un

but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne

constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication

de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de

peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans

lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son

eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il

nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander la leveacutee de cette mesure

45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute

peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute

agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties

civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de

lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si

elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes

commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

18 ARREcircT BERLAND c FRANCE

cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la

cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures

sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas

empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si

ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le

requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour

demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des

reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP

paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des

mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un

objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement

concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le

punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de

celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer

les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant

srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune

amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre

proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)

et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous

reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code

peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont

meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes

(paragraphe 22 ci-dessus)

46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration

drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne

constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et

doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le

principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation

agrave srsquoappliquer

47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en

lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il

nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable

2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le

Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la

Convention

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE 19

3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et

qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition

Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en

application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour

Claudia Westerdiek Mark Villiger

Greffiegravere Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du

juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska

MV

CW

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave

LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA

(Traduction)

I

1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans

cette affaire certes limite

2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute

concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait

seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans

le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et

srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet

un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la

reacutetroactiviteacute ne se poserait pas

3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier

2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct

qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours

apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale

commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout

deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une

sanction peacutenale

4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de

la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre

consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil

consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur

au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel

internement direct en hocircpital psychiatrique

5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun

malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le

systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des

dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la

personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme

surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles

dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette

date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et

ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en

hocircpital psychiatrique

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21

6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du

25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire

concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les

questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute

que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites

7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave

lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de

reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences

du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves

pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute

ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui

portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute

personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves

lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir

commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi

consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la

derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le

requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste

toujours

8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui

nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La

question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni

seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un

meurtrier un incendiaire un violeur etc

II

9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une

diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles

drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer

lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de

responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile

srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages

et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte

pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les

proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur

(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile

lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la

personnaliteacute) du deacutefendeur

10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces

proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de

lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le

droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte

objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers

contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme

en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et

lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la

comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile

deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit

eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son

auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit

civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs

drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en

reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1

11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre

jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette

reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y

avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la

responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage

reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais

comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage

12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute

(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont

inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la

responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)

subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee

dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la

peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres

traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable

13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour

lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte

peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre

part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente

affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in

rem ou ad hominem

14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou

autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de

lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle

ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du

14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus

si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met

deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel

1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard

Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE

WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23

condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle

qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction

15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation

objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute

en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la

laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute

de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation

de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute

est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine

16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en

proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont

fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)

17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee

dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait

(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des

Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme

une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute

entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun

est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash

en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre

juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer

pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par

lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend

toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident

que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale

18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est

pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et

de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure

nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas

forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent

19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au

contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de

la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut

donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave

une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de

deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte

instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la

personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette

laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le

symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du

patient

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

III

20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour

ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour

lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est

deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires

Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)

toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M

c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France

(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans

lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant

Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la

doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant

pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente

affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique

pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de

lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de

conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet

internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces

apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre

lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue

21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la

question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de

lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune

maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH

crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons

exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il

neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et

acceptable

22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire

que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable

au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois

bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient

essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte

de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication

que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le

cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du

Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve

23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier

2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions

de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le

21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain

revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le

16 deacutecembre 2009

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25

24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation

juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est

permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le

laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)

25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par

laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire

que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la

situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un

traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de

lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle

deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre

utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres

eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les

deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute

de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le

principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute

sectsect 74 et 126) raquo

26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait

de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier

srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux

paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la

Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant

deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas

eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo

27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne

doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des

apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique

reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures

ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que

celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de

trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction

formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis

en moins de dix mois

IV

28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour

conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour

c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a

consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un

multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le

multireacutecidivisme

29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant

soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash

ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et

simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation

forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait

eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de

lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans

lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute

(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant

(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour

le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil

avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et

que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations

deacutefinitives

30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la

chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans

consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une

instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en

termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont

peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait

clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire

du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis

les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y

avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a

aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait

lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable

drsquoaucune infraction

31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune

chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de

la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a

eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital

psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur

32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable

conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple

laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis

un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient

toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre

drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction

33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure

prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon

va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest

pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement

dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire

qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre

jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux

ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27

c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est

contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu

de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout

simplement faux