Accord à l’arraché et a minima pour sauver l’OMC
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07/12/13 Accord à l’arraché et a minima pour sauver l’OMC
abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/accord-a-l-arrache-et-a-minima-pour-sauver-l-omc_3527273_3234.html 1/4
Accord à l’arraché et a minima poursauver l’OMCLE MONDE | 07.12.2013 à 09h48 • Mis à jour le 07.12.2013 à 10h19 |
Par Alain Faujas (/journaliste/alain-faujas/)
L'accord est historique. Pas de doute. En paraphant un texte commun,
samedi 7 décembre à Bali, en Indonésie, où ils étaient réunis depuis mardi 3
décembre, les 159 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC) ont conclu le premier accord commercial mondial depuis… 1994.
Pour autant, ce texte, chef-d'œuvre de diplomatie, constitue un accord a
minima, qui sauve les apparences pour l'OMC. Car on est loin de l'ambition
exprimée au Qatar, à Doha, au début des négociations, en 2001.
Il s'agissait alors de faire profiter les pays en développement des avantages
de la libéralisation du commerce mondial. Or, à Bali, seuls trois sujets
étaient à l'ordre du jour de la conférence ministérielle, représentant 10 % du
projet initial : facilitation des échanges, agriculture et aide au
développement.
Dans la dernière ligne droite, la conférence est allée de tension en tension.
La dernière, vendredi 6 décembre, est de la responsabilité de Cuba, qui a
menacé de faire de la levée de l'embargo américain à son encontre une
condition sine qua non à la signature de tout accord. Ainsi, il a fallu
repousser d'un jour la conclusion officielle de la conférence.
Le directeur général de l'OMC, Roberto Azevedo, a obtenu un compromis sur le
commerce mondial samedi 7 décembre à Bali, une première depuis 1994. |
REUTERS/EDGAR SU
Accord à l’arraché et a minima poursauver l’OMC
L'accord est historique. Pas de doute. En paraphant un texte commun,
samedi 7 décembre à Bali, en Indonésie, où ils étaient réunis depuis
mardi 3 décembre, les 159 pays membres de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) ont conclu le premier accord commercial mondial
depuis… 1994.
Pour autant, ce texte, chef-d'œuvre de diplomatie, constitue un accord a
minima, qui sauve les apparences pour l'OMC. Car on est loin de
l'ambition exprimée au Qatar, à Doha, au début des négociations, en
2001.
Il s'agissait alors de faire profiter les pays en développement des
avantages de la libéralisation du commerce mondial. Or, à Bali, seuls
trois sujets étaient à l'ordre du jour de la conférence ministérielle,
représentant 10 % du projet initial : facilitation des échanges,
agriculture et aide au développement.
Dans la dernière ligne droite, la conférence est allée de tension en
tension. La dernière, vendredi 6 décembre, est de la responsabilité de
Cuba, qui a menacé de faire de la levée de l'embargo américain à son
encontre une condition sine qua non à la signature de tout accord.
Ainsi, il a fallu repousser d'un jour la conclusion officielle de la
conférence.
LE MONDE | 07.12.2013 à 09h48 • Mis à jour le 07.12.2013 à 10h19 |
Par Alain Faujas (/journaliste/alain-faujas/)
Le monde.fr édition abonnés
07/12/13 Accord à l’arraché et a minima pour sauver l’OMC
abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/accord-a-l-arrache-et-a-minima-pour-sauver-l-omc_3527273_3234.html 2/4
La facilitation des échanges, pour permettre aux marchandises de franchir
les frontières plus vite et moins cher, est le thème qui a posé le moins de
problèmes, compte tenu de ses bénéfices, que le directeur de l'OMC,
Roberto Azevedo, a estimés à 1 000 milliards de dollars (730 milliards
d'euros) économisés et 20 millions d'emplois créés.
Le deuxième sujet abordé à Bali était encore plus consensuel puisque sous le
terme d'« aide au développement », il s'agit d'autoriser les pays pauvres à
exporter leurs produits vers les pays riches en franchise de droits de
douane.
L'AGRICULTURE, UN DOSSIER CONFLICTUEL
En revanche, le troisième document, qui portait sur l'agriculture, était, lui,
conflictuel. Comme en 2008, où elle avait déjà bloqué une nouvelle
libéralisation des échanges, l'Inde, en campagne électorale, tenait à
subventionner son agriculture au-delà de ce qui est autorisé par les
règlements de l'OMC. Et comme le principe de l'unanimité est la règle dans
cette institution, New Delhi était maître du jeu.
Au bout du compte, un compromis a donc été accepté par les Etats-Unis,
pourtant hostiles à toutes subventions : il ne prévoit plus de sanctions
contre les pays qui dépasseront le plafond autorisé par l'OMC en la matière,
lorsque ces subventions seront utilisées pour un programme de sécurité
alimentaire.
Les bénéficiaires de cette facilité devront s'engager à ne pas l'utiliser pour «
fausser le commerce », autrement dit à ne pas exporter ces stocks à prix
cassés. Cette « impunité » durera jusqu'à la prochaine réunion ministérielle
de l'OMC, qui devra trouver une « solution permanente » au problème. Au
plus tard dans quatre ans.
Assorti de vœux pieux sur la nécessité de mettre fin aux subventions à
l'export, vidé de toute allusion aux produits industriels et aux services, le
texte de Bali est donc un chef-d'œuvre de diplomatie, mais un accord a
minima.
La « facilitation des échanges » ? Un moyen d'ouvrir les marchés sans les
Le directeur général de l'OMC, Roberto Azevêdo, avec le ministre du commerce
indonésien, Gita Wiry awan, le 7 décembre à Bali. | AP/Firdia LisnawatiLa facilitation des échanges, pour permettre aux marchandises de
franchir les frontières plus vite et moins cher, est le thème qui a posé le
moins de problèmes, compte tenu de ses bénéfices, que le directeur de
l'OMC, Roberto Azevedo, a estimés à 1 000 milliards de dollars (730
milliards d'euros) économisés et 20 millions d'emplois créés.
Le deuxième sujet abordé à Bali était encore plus consensuel puisque
sous le terme d'« aide au développement », il s'agit d'autoriser les pays
pauvres à exporter leurs produits vers les pays riches en franchise de
droits de douane.
L'AGRICULTURE, UN DOSSIER CONFLICTUEL
En revanche, le troisième document, qui portait sur l'agriculture, était,
lui, conflictuel. Comme en 2008, où elle avait déjà bloqué une nouvelle
libéralisation des échanges, l'Inde, en campagne électorale, tenait à
subventionner son agriculture au-delà de ce qui est autorisé par les
règlements de l'OMC. Et comme le principe de l'unanimité est la règle
dans cette institution, New Delhi était maître du jeu.
Au bout du compte, un compromis a donc été accepté par les Etats-
Unis, pourtant hostiles à toutes subventions : il ne prévoit plus de
sanctions contre les pays qui dépasseront le plafond autorisé par l'OMC
en la matière, lorsque ces subventions seront utilisées pour un
programme de sécurité alimentaire.
Les bénéficiaires de cette facilité devront s'engager à ne pas l'utiliser
pour « fausser le commerce », autrement dit à ne pas exporter ces
stocks à prix cassés. Cette « impunité » durera jusqu'à la prochaine
réunion ministérielle de l'OMC, qui devra trouver une « solution
permanente » au problème. Au plus tard dans quatre ans.
07/12/13 Accord à l’arraché et a minima pour sauver l’OMC
abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/accord-a-l-arrache-et-a-minima-pour-sauver-l-omc_3527273_3234.html 3/4
libéraliser. La « transparence » ? La possibilité de contourner les règles à
condition d'expliquer comment on le fera. La fin des subventions agricoles ?
Il suffira de dire qu'elles sont destinées aux plus pauvres pour les pratiquer.
A Voir : Le commerce mondial est au Nord, les barrières
douanières au Sud. (/econ om ie/v isu el_in t era ct if/2013/12/07/le-
com m erce-m on dia l-est -a u -n ord-les-ba rrieres-dou a n ieres-a u -
su d_3527321_3234.h t m l)
L'Inde, campée en porte-parole du « Groupe des 33 », réunissant des pays
en développement, est le grand vainqueur de ce bras de fer. Les pays
développés ont dû remiser leurs principes de libre concurrence. Ils ont
également volontairement oublié les règles qu'ils avaient pourtant avalisées
en 1994 avec l'Uruguay Round et tiré un trait sur le cycle de Doha.
En effet, faute d'accord à Bali, l'Organisation aurait perdu toute possibilité
de continuer à produire des normes commerciales mondiales. Elle aurait de
fait été réduite à son bras armé, l'Organe de règlement des différends
(ORD), devenu le grand arbitre du commerce international, capable de
donner raison au Brésil contre les Etats-Unis en matière de coton.
L'OMC UN DES PILIERS DE LA MONDIALISATION
Cela n'aurait pas permis pour autant de maintenir la crédibilité d'une
organisation qui est aujourd'hui l'un des piliers de la mondialisation avec le
Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l'Organisation
internationale du travail.
Il est une autre raison au renoncement des pays occidentaux : à la suite des
Etats-Unis, la plupart parient désormais sur la multiplication d'accords
régionaux ou plurilatéraux, c'est-à-dire ne concernant qu'une partie des
membres de l'OMC. Les droits de douane étant moins efficaces qu'autrefois,
ils veulent s'entendre au sein de cercles plus restreints sur des normes
techniques, bloquant ou facilitant les échanges.
Par exemple, un groupe dit « Trade in Services Agreement » travaille
depuis 2012 à une facilitation des échanges de services entre ses vingt-trois
membres dont les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon. Aucun des
pays émergents n'en fait partie.
Mieux, les Etats-Unis ne font pas mystère de leur volonté « d'encercler » la
Chine grâce aux deux traités de libre-échange qu'ils négocient avec un
certain nombre de pays de la zone Asie-Pacifique et avec l'Union
européenne.
Les accords à 159 pays membres avaient des buts certes intéressés, mais
dans l'ensemble pacifiques. Les accords géographiques ou thématiques
partiels qui se profilent pourraient, quant à eux, se changer en machine de
guerre commerciale, soit pour exclure les concurrents les plus dangereux,
soit pour imposer la loi du plus fort aux petits pays.
Assurément, l'accord de Bali conforte l'OMC. Mais de façon toute provisoire.
« L'institution est à la recherche d'un nouveau leadership, relève Lionel
Fontagné, spécialiste du commerce international au Centre d'études
prospectives et d'informations internationales (Cepii). Il lui faudra redéfinir
les termes du “marchandage” entre pays développés et émergents. Elle
devra s'adapter aux nouveaux comportements des entreprises qui se sont
Assorti de vœux pieux sur la nécessité de mettre fin aux subventions à
l'export, vidé de toute allusion aux produits industriels et aux services,
le texte de Bali est donc un chef-d'œuvre de diplomatie, mais un accord
a minima.
La « facilitation des échanges » ? Un moyen d'ouvrir les marchés sans
les libéraliser. La « transparence » ? La possibilité de contourner les
règles à condition d'expliquer comment on le fera. La fin des
subventions agricoles ? Il suffira de dire qu'elles sont destinées aux plus
pauvres pour les pratiquer.
A Voir : Le commerce mondial est au Nord, les barrières
douanières au Sud. (/economie/visuel_interactif/2013/12/07/le-commerce-mondial-
est-au-nord-les-barrieres-douanieres-au-sud_3527321_3234.html)
L'Inde, campée en porte-parole du « Groupe des 33 », réunissant des
pays en développement, est le grand vainqueur de ce bras de fer. Les
pays développés ont dû remiser leurs principes de libre concurrence. Ils
ont également volontairement oublié les règles qu'ils avaient pourtant
avalisées en 1994 avec l'Uruguay Round et tiré un trait sur le cycle de
Doha.
En effet, faute d'accord à Bali, l'Organisation aurait perdu toute
possibilité de continuer à produire des normes commerciales
mondiales. Elle aurait de fait été réduite à son bras armé, l'Organe de
règlement des différends (ORD), devenu le grand arbitre du commerce
international, capable de donner raison au Brésil contre les Etats-Unis
en matière de coton.
L'OMC UN DES PILIERS DE LA MONDIALISATION
Cela n'aurait pas permis pour autant de maintenir la crédibilité d'une
organisation qui est aujourd'hui l'un des piliers de la mondialisation
avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et
l'Organisation internationale du travail.
Il est une autre raison au renoncement des pays occidentaux : à la suite
des Etats-Unis, la plupart parient désormais sur la multiplication
d'accords régionaux ou plurilatéraux, c'est-à-dire ne concernant qu'une
partie des membres de l'OMC. Les droits de douane étant moins
efficaces qu'autrefois, ils veulent s'entendre au sein de cercles plus
restreints sur des normes techniques, bloquant ou facilitant les
échanges.
Par exemple, un groupe dit « Trade in Services Agreement » travaille
depuis 2012 à une facilitation des échanges de services entre ses vingt-
07/12/13 Accord à l’arraché et a minima pour sauver l’OMC
abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/accord-a-l-arrache-et-a-minima-pour-sauver-l-omc_3527273_3234.html 4/4
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organisées en chaînes de valeur. Elle élargira sa mission aux normes
techniques devenues aussi importantes que les droits de douane. Elle ne
pourra éviter d'intégrer les services dans ses préoccupations. »
Telles sont les conditions pour que l'OMC demeure au centre du jeu
commercial mondial.
lire aussi : L'Australie veut multiplier les accords
commerciaux bilatéraux avec les pays d'Asie
(/econ om ie/a rt icle/2013/12/07/l-a u st ra lie-v eu t -m u lt iplier-les-a ccords-
com m ercia u x-bila t era u x-a v ec-les-pa y s-d-a sie_3527274_3234.h t m l)
Alain Faujas (/journaliste/alain-faujas/)
Journaliste au Monde
trois membres dont les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon.
Aucun des pays émergents n'en fait partie.
Mieux, les Etats-Unis ne font pas mystère de leur volonté « d'encercler
» la Chine grâce aux deux traités de libre-échange qu'ils négocient avec
un certain nombre de pays de la zone Asie-Pacifique et avec l'Union
européenne.
Les accords à 159 pays membres avaient des buts certes intéressés, mais
dans l'ensemble pacifiques. Les accords géographiques ou thématiques
partiels qui se profilent pourraient, quant à eux, se changer en machine
de guerre commerciale, soit pour exclure les concurrents les plus
dangereux, soit pour imposer la loi du plus fort aux petits pays.
Assurément, l'accord de Bali conforte l'OMC. Mais de façon toute
provisoire. « L'institution est à la recherche d'un nouveau leadership,
relève Lionel Fontagné, spécialiste du commerce international au
Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).
Il lui faudra redéfinir les termes du “marchandage” entre pays
développés et émergents. Elle devra s'adapter aux nouveaux
comportements des entreprises qui se sont organisées en chaînes de
valeur. Elle élargira sa mission aux normes techniques devenues aussi
importantes que les droits de douane. Elle ne pourra éviter d'intégrer
les services dans ses préoccupations. »
Telles sont les conditions pour que l'OMC demeure au centre du jeu
commercial mondial.
lire aussi : L'Australie veut multiplier les accords commerciaux
bilatéraux avec les pays d'Asie (/economie/article/2013/12/07/l-australie-veut-
multiplier-les-accords-commerciaux-bilateraux-avec-les-pays-d-asie_3527274_3234.html)