A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la...

4
A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon grain de l’ivraie » ‘Amos 9, 7-15 À Nadav ben Shimon vé Rivka Bar Mitsvah, 8 et 10 Iyar 5777 A shabbat Quedochim, les communautés ashkénazes lisent une haftarah tirée du livre du prophète ‘Amos. Ce texte qui constitue la fin de la prophétie de ce grand prophète d’Israël a été lu le 15 mai 1948 lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël. Après quelques considérations concernant le prophète ‘Amos et la paracha Quedochim, nous analyserons le texte de la haftarah et en donnerons quelques commentaires. 1) ‘Amos, le prophète venu d’ailleurs… ‘Amos סמָ עest chronologiquement le premier des 12 « petits prophètes », mais sa prophétie, constituée de 9 chapitres, n’apparaît dans le Tanakh (Bible Hébraïque) qu’en troisième position, après celles d’Osée et de Joël. Ce sont les 9 derniers versets de sa prophétie que nous lisons à shabbat Quédochim יםִ. ‘Amos est décrit comme « un des éleveurs de troupeaux à Tekoa » (‘Amos 1, 1), « simple pâtre et pinceur de sycomores » (‘Amos 7, 14). Né dans le royaume de Juda, et contemporain d’Osée et d’Isaïe, il prophétisa sur le royaume du Nord ou royaume d’Israël, au temps du roi Jéroboam II, au 8 ème siècle avant l’ère vulgaire (de -760 à – 740) : « l'Eternel m'a pris de derrière le troupeau, et Il m'a dit: Va, prophétise à Mon peuple Israël! » Ses prophéties et ses condamnations du comportement des élites et du peuple d’Israël conduiront d’ailleurs à son expulsion ( ‘Amos 7, 10-17). Le royaume d’Israël était alors puissant et prospère. ‘Amos y dénonce les prêtres corrompus, les classes dirigeantes qui ne cherchent qu’à s’enrichir et un peuple qui pratique une religion creuse, oublieuse des recommandations éthiques de la Torah. Une génération avant la chute de Samarie, capitale du royaume auquel il prédit son terrible destin, il annonce l’exil mais aussi le retour, comme nous le verrons en étudiant le texte de notre haftarah. ‘Amos, grand réformateur social, s’élève contre la fraude et le vol, critique l’exploitation et l’accablement du pauvre et de l’indigent. Il recommande le respect de l’éthique transmise par le judaïsme Ayant une haute conception de D.ieu et de l’humanité, il appelle ses contemporains à la pratique d’un culte sincère et désintéressé,

Transcript of A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la...

Page 1: A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la félicité éternelle. » (Claude Brahami). Mais revenons un instant sur cette parabole

A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon grain de l’ivraie » ‘Amos 9, 7-15

À Nadav ben Shimon vé Rivka Bar Mitsvah, 8 et 10 Iyar 5777

A shabbat Quedochim, les communautés ashkénazes lisent une haftarah tirée du livre du prophète ‘Amos. Ce texte qui constitue la fin de la prophétie de ce grand prophète d’Israël a été lu le 15 mai 1948 lors de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël. Après quelques considérations concernant le prophète ‘Amos et la paracha Quedochim, nous analyserons le texte de la haftarah et en donnerons quelques commentaires.

1) ‘Amos, le prophète venu d’ailleurs…

‘Amos עמוס est chronologiquement le premier des 12 « petits prophètes », mais sa prophétie, constituée de 9 chapitres, n’apparaît dans le Tanakh (Bible Hébraïque) qu’en troisième position, après celles d’Osée et de Joël. Ce sont les 9 derniers versets de sa prophétie que nous lisons à shabbat Quédochim קדשים.

‘Amos est décrit comme « un des éleveurs de troupeaux à Tekoa » (‘Amos 1, 1), « simple pâtre et pinceur de sycomores » (‘Amos 7, 14). Né dans le royaume de Juda, et contemporain d’Osée et d’Isaïe, il prophétisa sur le royaume du Nord ou royaume d’Israël, au temps du roi Jéroboam II, au 8ème siècle avant l’ère vulgaire (de -760 à – 740) : « l'Eternel m'a pris de derrière le troupeau, et Il m'a dit: Va, prophétise à Mon peuple Israël! » Ses prophéties et ses condamnations du comportement des élites et du peuple d’Israël conduiront d’ailleurs à son expulsion ( ‘Amos 7, 10-17). Le royaume d’Israël était alors puissant et prospère. ‘Amos y dénonce les prêtres corrompus, les classes dirigeantes qui ne cherchent qu’à s’enrichir et un peuple qui pratique une religion creuse, oublieuse des recommandations éthiques de la Torah. Une génération avant la chute de Samarie, capitale du royaume auquel il prédit son terrible destin, il annonce l’exil mais aussi le retour, comme nous le verrons en étudiant le texte de notre haftarah. ‘Amos, grand réformateur social, s’élève contre la fraude et le vol, critique l’exploitation et l’accablement du pauvre et de l’indigent. Il recommande le respect de l’éthique transmise par le judaïsme Ayant une haute conception de D.ieu et de l’humanité, il appelle ses contemporains à la pratique d’un culte sincère et désintéressé,

Page 2: A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la félicité éternelle. » (Claude Brahami). Mais revenons un instant sur cette parabole

associant l’amour du prochain à celui de D.ieu, thème central de notre paracha. Il proclame l’existence d’un D.ieu universel, qui ne tolère pas plus les transgressions commises par Son peuple que celles commises par les autres nations ( ‘Amos 1 et 2). Enfin, et nous en parlerons dans l’étude de la haftarah, il évoque des temps messianiques, idée qui sera reprise par d’autres prophètes et qui deviendra un concept fondamental de la pensée juive.

2) La paracha Quedochim La paracha Quedochim (Lévitique 19, 1 à 20, 27) réunit diverses lois concernant tous les domaines de la vie de l’individu, lui permettant de construire sa vie au sein de la société.

Ces lois, dont nous donnerons un bref résumé, et qui sont pour la plupart sociales, constituent les bases de l’éthique juive, celle-là même qui était bafouée du temps de ‘Amos et que le prophète rappelait à ses contemporains : - les lois « économiques ou de « charité » : ne pas moissonner les coins d’un champs, ne pas ramasser la glanure ni les grains de raisins tombés et alors laissés au pauvre et à l’étranger (Lev 19, 9-10). - les lois dites de « justice minimale », vol, fraude, etc. (Lev 19, 11-17). - les interdits touchant à l’idolâtrie et ceux liés à la sexualité ou aux unions prohibées (Lev

20, 10-22), et c’est une reprise de ce qu’on trouvait déjà dans la paracha précédente, Ah’haré mot, אחרי מות, en Lévitique 18, 6-30 (texte lu, rappelons-le, à min’ha de Kippour). - l’amour du prochain (Lev 19, 18), commandement repris un peu plus loin au sujet de l’étranger (Lev 19, 33-34), et qui constitue l’aboutissement d’un comportement et d’une pensée, d’un effort, commandement lié directement à l’amour de D.ieu, chaque être humain étant une créature de D.ieu.

Ne dit-on pas que l’amour du prochain est supérieur à celui qu’on doit éprouver pour D.ieu, car le premier conduit forcément au second ?

Et que dit Hillel au païen venu le consulter pour être converti ? « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas non plus a ton prochain ! Voila toute la Torah ; le reste n'est qu'interprétation (de cette sentence) ».

3) ‘Amos 9,7-15 Le texte lu (versets 7 à 15 du chapitre 9) est précédé de vives dénonciations du comportement d’Israël, comme nous l’avons dit, et par des visions correspondant aux sanctions prévus par D.ieu. Ainsi au chapitre 7 sont annoncés l’invasion par les sauterelles (versets 1-3), le châtiment par le feu (versets 4-6), la destruction des sanctuaires d’Israël (versets 7-9).

‘Amos plaide chaque fois en faveur de Jacob, d’Israël : « Pardonne ! Il est si chétif ! », et l’Eternel lui répond par deux fois « Cela ne sera pas.». Au chapitre 8, la vision du « panier de fruits mûrs » annonce la « moisson » (la fin) d’Israël, « la nuit sur la terre en plein jour », le deuil, la famine, la soif.

Page 3: A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la félicité éternelle. » (Claude Brahami). Mais revenons un instant sur cette parabole

Et enfin survient la vision du « Seigneur debout sur l’autel » qui est détruit, et D.ieu dit que les pécheurs seront poursuivis impitoyablement : «… Je les ferai périr par le glaive; pas un seul d'entre eux ne parviendra à fuir, personne ne pourra échapper ». Le texte de notre haftarah commence au verset 7 du chapitre 9 par le rappel de la présence de D.ieu auprès des Hébreux qu’Il a libéré de l’esclavage, mais aussi de Ses interventions auprès d’autres peuples, les Ethiopiens, les Philistins et Aram. Ceci est diversement interprété: universalité de D.ieu qui n’agit pas seulement pour Israël, ou renvoi de Son peuple au même niveau que d’autres qui ont connu condamnation et sanctions? Aux versets suivants, ‘Amos annonce au « royaume pécheur » la destruction prochaine d’Israël (le royaume du Nord?) mais précise que « la maison de Jacob » (Juda? les Israëlites?) ne sera pas anéantie. Annonce d’une catastrophe, (exil?), mais pas d’une disparition totale. Il utilise la parabole du tamis que D.ieu secoue pour “séparer le bon grain de l’ivraie”, tamis dans lequel ne resterait que le meilleur des nations (Israël?) ou le meilleur de « Mon peuple » (‘ami)…mais les pécheurs périrons, confirmant ce qui était annoncé au chapitre 8. Avec le verset 11, introduit par « En ce jour… » (Bayom hahou…) commencent les paroles de consolation et l’annonce de la restauration d’Israël, et c’est là confirmation de la promesse que la « maison de Jacob » ne sera pas entièrement détruite. C’est aussi l’annonce du retour de la royauté davidique --« Je redresserai la soucca de David » --, la reconstruction des villes détruites, mais aussi la réconciliation et la réunification du peuple (la division en deux royaumes survenue après la mort de Salomon hante toujours nos prophètes !). On peut y voir ainsi l’annonce du retour d’un exil préalable… Le verset suivant parle de « toutes les nations invoquant le Nom divin » et c’est la première occurrence de l’idée d’une ère messianique. Certains, comme Armand Abécassis, y voient aussi une évocation des 7 lois noahides et d’une morale universelle.

Le messianisme se développe dans les versets suivants, notamment au verset 13, introduit par « Voici que les jours viennent… », avec l’évocation d’une ère de bonheur, quand alors on n’aura plus à attendre longtemps le fruit de son travail : moissonneur et laboureur seront réunis dans une forme de simultanéité et de projet commun, tout comme le semeur de grains et le fouleur de raisins. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec le pain (produit de la terre) et le vin (produit de la vigne), deux aliments symboliques, l’un apportant la satisfaction d’un besoin, celui de se nourrir, l’autre source de connaissance et d’allégresse--ne dit-on pas qu’il « réjouit le cœur de l’homme » (Ps 104, 15), et tous deux présents sur la table (autel en miniature) du shabbat et des repas de fêtes juives.

Dans les deux versets suivants, le retour se confirme « Je ferai revenir de captivité Mon peuple Israël… », de même que se confirme l’installation définitive sur la terre de la « promesse ». Un lien indéfectible s’établit entre « Mon peuple » (‘ami), au verset 14, et « l’Eternel, ton D.ieu » au verset 15 qui conclut le livre de ’Amos et notre haftarah.

4) Commentaires Tout d’abord, voyons quels thèmes relient notre haftarah à la paracha Quedochim.

Page 4: A PROPOS DE LA HAFTARAH DE QUEDOCHIM « Séparer le bon ... · peuple et à l’humanité la félicité éternelle. » (Claude Brahami). Mais revenons un instant sur cette parabole

Israël, lorsqu’il faute, ne peut se revendiquer du titre de « peuple séparé », de peuple « saint », invoquer son « élection » pour échapper au châtiment qu’il mérite. Il n’est en rien supérieur aux autres peuples, et doit être sanctionné comme eux, et même plus sévèrement, car il doit donner l’exemple aux autres nations, et ainsi ne pas profaner le nom de D.ieu par un mauvais comportement ( ‘Hilloul HaChem ). On peut y voir un rappel au texte de la paracha, dont le deuxième verset (Lev 19, 2) « Soyez saints! Car Je suis saint, Moi l'Éternel, votre Dieu » et l’avant dernier verset (Lev 20, 26) « Soyez saints pour Moi, car Je suis saint, moi l'Éternel, et Je vous ai séparés d'avec les peuples pour que vous soyez à Moi », nous parlent de cette « sainteté » d’Israël. Israël, premier serviteur de D.ieu, « peuple de prêtres », doit respecter ses devoirs, sinon il sera « vomi » de sa terre, et seul le repentir sincère permettra son retour et le « redressement de la soucca de David ». Quant à la condamnation plus sévère d’Israël, aux sanctions plus dures qui frappent ce peuple choisi par D.ieu, elles ne sont pas sans nous rappeler la mort brutale lors de l’inauguration du Michkan (paracha Chémini, des deux fils d’Aaron venus apporter (שמיניen tant que cohanim, « un feu étranger », non demandé par l’Eternel. Ainsi, plus nous avons d’importance dans la société, de fonctions, de pouvoir, plus nous sommes responsables, et plus nous devons être exemplaires, et donc plus nous serons châtiés durement pour nos fautes. Notre époque devrait s’en inspirer ! ‘Amos, nous l’avons dit, prophétise en demandant aux Bné Israël d’avoir des exigences morales, d’avoir un comportement respectant l’autre, de se soucier du pauvre et de l’indigent, de ne pas se réfugier derrière une « loi » sans tenir compte des conséquences morales qu’elle peut impliquer. Là aussi, notre époque devrait s’en inspirer.

Enfin, ‘Amos est le premier des prophètes à annoncer, après la survenue de catastrophes, la venue des temps messianiques, précédés de souffrances et de malheurs. « D.ieu se manifeste d’abord en justicier afin de régner sur la terre et d’apporter à son peuple et à l’humanité la félicité éternelle. » (Claude Brahami).

Mais revenons un instant sur cette parabole du tamis qui “sépare le bon grain de l’ivraie”, cette graminée toxique qui pousse au milieu des blés. Par cette image, ‘Amos, certainement attristé de savoir tant de ses contemporains condamnés, nous indique que seuls resteront ceux qui demeurent fidèles à la parole de D.ieu et au respect de l’autre. Et il appartient à chacun de nous de bien se conduire pour mériter les bénédictions annoncées par les prophètes d’Israël. Vraiment, on ne peut être qu’étonné et admiratif face à l’actualité du message de ‘Amos qu’il nous est transmis depuis près de trois millénaires ! Notes Abréviations : Lev pour Lévitique ; Ps pour Psaumes Phonétique : « ‘ » remplace les lettres « Hét » et « ayin » Serge Hannoun