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FAIT CLINIQUE : Une patiente de 44 ans, en bonne santé habituelle hormis la présence d’une neurofibromatose cutanée, présente depuis quelques mois des palpitations intermittentes mais quasi journalières. La fréquence cardiaque en cours de palpitations varie de 120 à 140 bpm, et à une reprise la patiente signale un malaise avec lipothymie et dyspnée. A l’examen clinique on note un poids de 62 kg pour une taille de 167 cm, une tension artérielle humérale de 135/85 mmHg et un pouls régulier à 110 bpm. L’auscultation cardiopulmonaire est physiologique, et il n’y a aucun signe d’insuffisance cardiaque. L’électrocardiogramme de repos est le suivant : A COEUR OUVERT Une publication périodique du Service de cardiologie, Département cardio-vasculaire médico-chirurgical, Hôpital de la Tour, Meyrin/Genève N o 18 - 2008 Figure 1: ECG de repos: Cet ECG montre une tachycardie sinusale à 102 bpm, un aspect normal des ondes P, un intervalle PQ normal, une absence de préexcitation ventriculaire, un complexe QRS fin, un intervalle QT normal et une absence de modification du segment ST. Quel est votre impression clinique et quelles sont les investigations que vous proposez ? Le tableau clinique fait évoquer une tachycardie paroxystique, fréquente et symptomatique. L’examen ne met en évidence qu’une tachycardie sinusale de repos. L’ECG permet d’exclure une voie accessoire antérograde (pas de préexcitation ventriculaire), mais le diagnostic différentiel reste large : tachycardie nodale, tachycardie utilisant une voie accessoire rétrograde, tachycardie atriale, tachycardie ventriculaire, ou simple accélération de la fréquence sinusale, primaire ou secondaire. Les premiers examens à pratiquer sont : une formule sanguine pour exclure une anémie et un dosage des hormones thyroïdiennes : ces deux examens se sont révélés ici strictement normaux. Tout doit ensuite être fait pour obtenir un ECG percritique ; les palpitations étant ici quotidiennes, un Holter est probablement l’examen le plus utile. Dans le cas présent le Holter a mis en évidence une tachycardie

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FAIT CLINIQUE :

Une patiente de 44 ans, en bonne santé habituelle hormis la présence d’une neurofibromatose cutanée, présente depuis quelques mois des palpitations intermittentes mais quasi journalières. La fréquence cardiaque en cours de palpitations varie de 120 à 140 bpm, et à une reprise la patiente signale un malaise avec lipothymie et dyspnée.A l’examen clinique on note un poids de 62 kg pour une taille de 167 cm, une tension artérielle humérale de 135/85 mmHg et un pouls régulier à 110 bpm. L’auscultation cardiopulmonaire est physiologique, et il n’y a aucun signe d’insuffisance cardiaque.

L’électrocardiogramme de repos est le suivant :

A COEUR OUVERTUne publication périodique du Service de cardiologie,

Département cardio-vasculaire médico-chirurgical,Hôpital de la Tour, Meyrin/Genève

No 18 - 2008

Figure 1: ECG de repos: Cet ECG montre une tachycardie sinusale à 102 bpm, un aspect normal des ondes P, un intervalle PQ normal, une absence de préexcitation ventriculaire, un complexe QRS fin, un intervalle QT normal et une absence de modification du segment ST.

Quel est votre impression clinique et quelles sont les investigations que vous proposez ?

Le tableau clinique fait évoquer une tachycardie paroxystique, fréquente et symptomatique. L’examen ne met en évidence qu’une tachycardie sinusale de repos. L’ECG permet d’exclure une voie accessoire antérograde (pas de préexcitation ventriculaire), mais le diagnostic différentiel reste large : tachycardie nodale, tachycardie utilisant une voie accessoire rétrograde, tachycardie atriale, tachycardie ventriculaire, ou simple accélération de la fréquence sinusale, primaire ou secondaire.

Les premiers examens à pratiquer sont : une formule sanguine pour exclure une anémie et un dosage des hormones thyroïdiennes : ces deux examens se sont révélés ici strictement normaux. Tout doit ensuite être fait pour obtenir un ECG percritique ; les palpitations étant ici quotidiennes, un Holter est probablement l’examen le plus utile. Dans le cas présent le Holter a mis en évidence une tachycardie

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Figure 2: Fragment de l’enregistrement ECG de 24 heures (Holter) : tachycardie apparemment sinusale et bloc AV 2 :1 intermittent.

A ce stade, quels sont les diagnostics que vous évoquez ? Il peut s’agir soit d’une tachycardie sinusale inappropriée soit d’une tachycardie auriculaire ectopique dans une forme permanente et non pas paroxystique. Le premier diagnostic est compatible avec le caractère permanent de la tachycardie, avec la variabilité de fréquence, mais paraît moins probable en raison de la présence d’un bloc AV 2 :1. Le second diagnostic est possible mais les tachycardies atriales sont habituellement paroxystiques et il faudrait qu’elle soit parasinusale pour que l’onde P en cours de tachycardie ait une morphologie identique à une onde P d’origine sinusale.

Une échocardiographie a été réalisée pour exclure une cardiopathie sous-jacente ; cet examen s’est révélé normal. La patiente a alors été mise au bénéfice d’un traitement bétabloquant, mais aucun bénéfice n’a été observé ni avec le sotalol (Sotalex® 2x80 puis 2x160 mg/j), ni avec le bisoprolol (Concor® 2.5 puis 5 mg/j), ni avec le verapamil (Isoptin® 3x160 mg/j), ni avec la flécaïnide (tambocor® 2x100 mg/j). Un traitement de nadolol (Corgard®), l’un des plus puissant bétabloquants en clinique cardiologique a alors été introduit, et ce n’est qu’avec une dose de 2 x 60 mg/j qu’une certaine rémission a été obtenue tant sur le plan des symptômes que sur les mesures objectives de fréquence cardiaque.

Huit mois plus tard, les symptômes réapparaissent malgré le traitement de nadolol 2x60 mg/jour, et le Holter confirme la perte d’efficacité du bétabloquant, avec une fréquence cardiaque moyenne sur 24 heures de 102 bpm, et une fréquence cardiaque nocturne en permanence à 90 bpm.

Une exploration électrophysiologique endocavitaire avec tentative d’ablation par radiofréquence est alors proposée. En début d’examen, le rythme est apparemment sinusal d’après la morphologie de l’onde P, mais rapide (110-130 bpm) ; l’intervalle A-H est plutôt court (60 ms) et l’intervalle H-V est normal (35 ms). La tachycardie n’est pas manipulable par stimulation programmée de l’oreillette droite et se révèle constante bien que sa fréquence propre soit variable de 110 à 130 bpm.Lors du repérage de la région sinusale on met en évidence une discrète fragmentation locale et plusieurs tirs de radiofréquence sont appliqués pour tenter de moduler l’activité sinusale inappropriée. Lors du 15è tir, on note l’interruption brutale de la tachycardie avec retour en rythme sinusal normal, à 60 bpm (fig 3). Par la suite, le rythme sinusal va persister, avec une fréquence de repos variant de 60 à 80 bpm, et un profil de 24 h. normal. Deux mois plus tard, la patiente présente

permanente, à 110 de moyenne sur les 24 heures mais variable en fréquence au cours du temps, et s’accompagnant par intermittence d’un bloc atrioventriculaire 2 :1. La tachycardie est ressentie par la patiente. La morphologie de l’onde P en cours de tachycardie est identique à la morphologie de l’onde P sinusale (figure 2).

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Figure 3

une récidive, facilement contenue par la réintroduction du Corgard 30 mg/j (FC moyenne 85 bpm, maximum 116 bpm sur le Holter d’octobre 2005).

Interruption de la tachycardie lors du tir de radiofréquence, avec retour en rythme sinusal normal

La tachycardie sinusale inappropriée est une entité caractérisée par une accélération constante, non paroxystique, de la fréquence sinusale avec une fréquence de repos supérieure à 100 bpm, une fréquence sur 24 heures supérieure à 90 bpm, et une morphologie de l’onde P identique au rythme sinusal de base, et ceci en dehors de toute pathologie. L’accélération est donc toujours progressive mais parfois brutale lors des changements de position ou lors des activités quotidiennes par exemple. Lorsqu’il n’y a pas de cause évidente, ce syndrome semble être dû à la présence d’anticorps circulants anti-récepteurs béta-adrénergiques induisant une production accrue et permanente d’AMP cyclique. La prévalence de la tachycardie sinusale inappropriée est de l’ordre de 1.1%, et ce syndrome semble proche du syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS). Dans un certain nombre de cas, une tachycardie sinusale inappropriée peut être observée après ablation par radiofréquence des tachycardies nodales probablement par altération des terminaisons vagales locales. Malgré son caractère chronique, la tachycardie sinusale inappropriée est bénigne et ne s’accompagne d’aucune dégradation de la fonction ventriculaire au cours du temps. Le traitement est symptomatique et consiste avant tout en l’utilisation des bétabloquants. L’ivrabadine, un inhibiteur sélectif du courant If pourrait être proposé en raison de son action sélective sur la fréquence sinusale. Dans les cas réfractaires, une ablation par radiofréquence peut être proposée, avec des chances de succès de l’ordre de 90%, un risque d’altération de la fonction sinusale non négligeable et un taux de récidive de 30%. Lors de l’ablation, on peut observer soit un brusque changement de fréquence comme dans le cas présent, soit un ralentissement progressif de fréquence avec migration de la cellule de commande de la région sinusale vers le tiers supérieur de l’oreillette droite.

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FONDATION DE LA TOURPOUR LA RECHERCHECARDIOVASCULAIRE

MESSAGES :

1. Le syndrome de tachycardie sinusale inappropriée est souvent méconnu et probablement plus fréquent qu’on ne l’imagine, proche cliniquement du POTS (« Postural Orthostatic Tachycardia Syndrome »).

2. Ce syndrome est apparemment dû à la présence d’anticorps anti-récepteurs béta-adrénergiques.

3. La tachycardie sinusale inappropriée est bénigne mais peut se révéler très symptomatique.

4. Le traitement consiste avant tout en l’administration de bétabloquants, l’ablation par radiofréquence étant réservée aux cas rebelles.

Références :

1. Still AM, Raatikainen P, Ylitalo, Kauma H, Ikäheimo M, Kesäniemi YA, Huikuri HV. Prevalence, characteristics and natural course of inappropriate sinus tachycardia. Europace 2005 ; 7 : 104-112

2. Lee RJ, Shinbane JS. Inappropriate sinus tachycardia. Diagnosis and treatment. Cardiol Clin 1997; 15: 599-605

3. Chiale PA, Garro HA, Schmidberg J, Sanchez RA, Acunzo RS, Lago M, Levy G, Levin M. Inappropriate sinus tachycardia may be related to an immunologic disorder involving cardiac beta adrenergic receptors. Heart Rhythm 2006; 3: 1187-1188

4. Man KC, Knight B, Tse HF, Pelosi F, Michaud GF, Flemming M, Strickberger SA, Morady F. Radiofrequency catheter ablation of inappropriate sinus tachycardia guided by activation mapping. J Am Coll Cardiol 2000; 35: 451-457

Cas préparé par les Dr. Caroline Bacchiocchi-Suilen et Marc Zimmermann, PD