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26 L’Officiel 3844 - décembre 2015 enquête RETROFIT PLUS DE PEUR QUE DE MAL ? I l ne s’agit certes que d’une hypothèse. Mais elle est sérieuse. Le “brouillon” que les instances ministérielles ont soumis à l’appréciation de quelques organisations professionnelles du secteur du 2-RM, courant octobre semble bien parti pour s’imposer. Seules les motos dotées de l’ABS seraient éligibles à une remise en conformité avec leur certificat de réception européen – elles pourraient être débridées, contrairement à celles qui sont sorties d’usine sans le précieux antiblocage associé au système de freinage. Mais quelle perte de valeur cette disposition franco-française risque d’entraîner à la fois pour le consommateur et le réseau pro de la revente et de la réparation ? C’est l’enjeu qui se dessine à brève échéance. Donnée inchiffrable En dépit de l’incertitude, même relative, qui pèse encore sur l’avenir immédiat des motos non éligibles au débridage, quelques importateurs ont accepté de nous confier leur point de vue. Quelle incertitude ? « Tant que le texte réglementaire n’a pas été publié officiellement, une prudence de principe s’impose », estime Thierry Archambault, délégué général de la Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle (CSIAM). Sans doute. En attendant, tentons de dégager une perspective. Chez les poids-lourds, Yamaha, Honda et Suzuki ont accepté de relever le défi, avec plus ou moins Combien risque de coûter à la filière moto française la probable perte de valeur des motos non débridables à partir du 1er janvier 2016 ? Avec la meilleure volonté du monde, les acteurs interrogés tentent de répondre, sans toutefois oser des formules à l’emporte-pièce. Et pour cause : la résolution du problème devra sans doute être menée au cas par cas. 1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT Les importateurs, sous le légitime prétexte d’une prudence de circonstance, hésitent à prédire l’avenir. Ils rappellent de réserve, tandis que Triumph, avec son fair play habituel, fournit sa réponse de principe. Seuls les Kawasaki, BMW, Ducati et Piaggio (pour Aprilia) ont préféré s’abstenir – un comportement tactique qui, heureusement, n’empêchera personne de raisonner avec les données disponibles. Estimé à quelque 150 000 motos en circulation (soit 5 % du parc > 50 cm 3 ), le nombre des véhicules appelés à rester bridés à 106 ch demeure difficile à circonscrire, et ce pour deux raisons au moins : aucun constructeur, aujourd’hui, ne revendique une vision nette sur ce qu’il est advenu ces cinq ou six dernières années des motos qu’il a vendues. Par ailleurs, la proportion de ces machines, lorsqu’elles sont illégalement débridées et toujours en circulation, même si nul ne peut l’évaluer avec précision, vient ajouter au flou ambiant. Comme ses confrères, Vincent Thommeret, directeur France de Yamaha Motor Europe, peine à évaluer le parc des motos de la marque condamné à une hypothétique perte de valeur. « Compte tenu de notre part de marché, peut-être pouvons-nous estimer cette flotte à 20 000 ou 25 000 véhicules, ose-t-il sans grande conviction. Quant à évoquer leur possible perte de valeur, je n’y suis guère enclin tant que le texte de loi n’est pas officiellement sorti. » Mais ce n’est pas la seule raison. Comme tous les interlocuteurs sollicités dans ce tour de table, le directeur France de YME souligne l’impossibilité d’établir une formule qui permettrait de chiffrer le risque : « Le parc des motos bridées, au fil du temps, a fait une place de plus en plus large aux modèles ABS. Les motos qui en sont privées, à quelques exceptions près, sont donc de moins en moins récentes. Par conséquent, leur perte de valeur naturelle devrait contribuer à amoindrir les effets du changement réglementaire annoncé. » À cela faut-il ajouter ce que tout bon revendeur connaît par cœur : le prix de reprise d’une moto se calcule à partir d’un ensemble de critères : garantie échue ou non, entretien dûment réalisé par un professionnel accrédité ou pas, état général, kilométrage, conformité à la configuration d’origine, etc. L’érosion du temps Et lesdits critères, en l’occurrence, n’ont rien à voir avec le changement réglementaire annoncé. En outre, les attentes de tel ou tel profil de client varient elles aussi en fonction d’autres paramètres – un fondu de sport et un rouleur au long cours à la sauce GT n’auront que rarement la même vision de ce qu’un débridage peut apporter. Sans compter que le bridage, d’une grosse cylindrée à l’autre, n’altère pas la prestation technique de chaque moto de la même façon. Pour autant, Vincent Thommeret reconnaît que dans le pire des cas, « une moto non débridable réglementairement, qui perd de toute façon plus de 20 % de sa valeur d’acquisition dès la première année, pourrait voir cette décote « Les motos privées de l’ABS sont de moins en moins récentes, leur perte de valeur naturelle amoindrira les effets du retrofit » Vincent ommeret, country manager Yamaha Motor Europe, succursale France £

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26 L’Of�ciel 3844 - décembre 2015

enquête

RETROFITPLUS DE PEUR QUE DE MAL ?

Il ne s’agit certes que d’une hypothèse. Mais elle est sérieuse. Le “brouillon” que les instances ministérielles ont soumis à l’appréciation de quelques organisations professionnelles du

secteur du 2-RM, courant octobre semble bien parti pour s’imposer. Seules les motos dotées de l’ABS seraient éligibles à une remise en conformité avec leur certificat de réception européen – elles pourraient être débridées, contrairement à celles qui sont sorties d’usine sans le précieux antiblocage associé au système de freinage. Mais quelle perte de valeur cette disposition franco-française risque d’entraîner à la fois pour le consommateur et le réseau pro de la revente et de la réparation ? C’est l’enjeu qui se dessine à brève échéance.

Donnée inchiffrableEn dépit de l’incertitude, même relative, qui pèse encore sur l’avenir immédiat des motos non éligibles au débridage, quelques importateurs ont accepté de nous confier leur point de vue. Quelle incertitude ? « Tant que le texte réglementaire n’a pas été publié officiellement, une prudence de principe s’impose », estime Thierry Archambault, délégué général de la Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle (CSIAM). Sans doute. En attendant, tentons de dégager une perspective. Chez les poids-lourds, Yamaha, Honda et Suzuki ont accepté de relever le défi, avec plus ou moins

Combien risque de coûter à la �lière moto française la probable perte de valeur des motos non débridables à partir du 1er janvier 2016 ? Avec la meilleure volonté du monde, les acteurs interrogés tentent de répondre, sans toutefois oser des formules à l’emporte-pièce. Et pour cause : la résolution du problème devra sans doute être menée au cas par cas.

s’accentuer et dépasser les 30 % ». Et le client final confronté à une telle perte de capital pourrait tout à fait, in fine, renoncer temporairement à acheter une nouvelle moto. L’espoir, au fond, repose sur la (courte) durée d’une période pendant laquelle des ajustements devront être consentis, à la fois par le consommateur, le détaillant et, par conséquent, par le fournisseur/constructeur. « Dans le cas d’un véhicule de 2006, 2007 ou 2008, qui a perdu 70, 60 ou 50 % de sa valeur d’achat initiale, l’impact sera minime », reprend le patron de Yamaha. Guère tenté par la méthode Coué, Vincent Thommeret espère en revanche que le phénomène « va se lisser dans le temps et que la situation créée ne va pas mettre à mal les réseaux de façon disproportionnée. Aujourd’hui, il s’agit surtout de se tourner vers l’avenir et s’adapter aux conditions suscitées par la décision que vont prendre les pouvoirs publics. »Chez Honda Motor Europe-France (HME), Sébastien Pernel, directeur des ventes, tente de minimiser l’impact qu’aurait la non-remise à niveau technique des motos bridées dépourvues de l’ABS. Bien sûr, un nombre indéterminé de CBR 1000 Fireblade, de CBR 600 RR et de VFR 1200 F pose question. Mais comme ses concurrents, il s’empresse de rappeler que l’ABS, depuis quelques années, prend une place de plus en plus large dans le catalogue de la marque. « Si décote il y a, elle dépendra des motos. Selon que la machine

1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT LA DÉDRAMATISATIONLes importateurs, sous le légitime prétexte d’une prudence de circonstance, hésitent à prédire l’avenir. Ils rappellent néanmoins certaines réalités factuelles qu’il est effectivement bon de garder à l’esprit.

de réserve, tandis que Triumph, avec son fair play habituel, fournit sa réponse de principe. Seuls les Kawasaki, BMW, Ducati et Piaggio (pour Aprilia) ont préféré s’abstenir – un comportement tactique qui, heureusement, n’empêchera personne de raisonner avec les données disponibles.Estimé à quelque 150 000 motos en circulation (soit 5 % du parc > 50 cm3), le nombre des véhicules appelés à rester bridés à 106 ch demeure difficile à circonscrire, et ce pour deux raisons au moins : aucun constructeur, aujourd’hui, ne revendique une vision nette sur ce qu’il est advenu ces cinq ou six dernières années des motos qu’il a vendues. Par ailleurs, la proportion de ces machines, lorsqu’elles sont illégalement débridées et toujours en circulation, même si nul ne peut l’évaluer avec précision, vient ajouter au flou ambiant.Comme ses confrères, Vincent Thommeret, directeur France de Yamaha Motor Europe, peine à évaluer le parc des motos de la marque condamné à une hypothétique perte de valeur. « Compte tenu de notre part de marché, peut-être pouvons-nous estimer cette flotte à 20 000 ou 25 000 véhicules, ose-t-il sans grande conviction. Quant à évoquer leur possible perte de valeur, je n’y suis guère enclin tant que le texte de loi n’est pas officiellement sorti. » Mais ce n’est pas la seule raison. Comme tous les interlocuteurs sollicités dans ce tour de table, le directeur France de YME souligne l’impossibilité d’établir une formule qui

permettrait de chiffrer le risque : « Le parc des motos bridées, au fil du temps, a fait une place de plus en plus large aux modèles ABS. Les motos qui en sont privées, à quelques exceptions près, sont donc de moins en moins récentes. Par conséquent, leur perte de valeur naturelle devrait contribuer à amoindrir les effets du changement réglementaire annoncé. » À cela faut-il ajouter ce que tout bon revendeur connaît par cœur : le prix de reprise d’une moto se calcule à partir d’un ensemble de critères : garantie échue ou non, entretien dûment réalisé par un professionnel accrédité ou pas, état général, kilométrage, conformité à la configuration d’origine, etc.

L’érosion du tempsEt lesdits critères, en l’occurrence, n’ont rien à voir avec le changement réglementaire annoncé. En outre, les attentes de tel ou tel profil de client varient elles aussi en fonction d’autres paramètres – un fondu de sport et un rouleur au long cours à la sauce GT n’auront que rarement la même vision de ce qu’un débridage peut apporter. Sans compter que le bridage, d’une grosse cylindrée à l’autre, n’altère pas la prestation technique de chaque moto de la même façon.Pour autant, Vincent Thommeret reconnaît que dans le pire des cas, « une moto non débridable réglementairement, qui perd de toute façon plus de 20 % de sa valeur d’acquisition dès la première année, pourrait voir cette décote

« Les motos privées de l’ABS sont de moins en moins récentes, leur perte de valeur naturelle amoindrira les effets du retro�t »Vincent �ommeret, country manager Yamaha Motor Europe, succursale France

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par François Blanc photos SLG

Yamaha, affirme n’avoir aucune donnée fiable à communiquer, le directeur des ventes de HME France livre une information rassurante : « Le coût du débridage, chez Honda, a toujours été dissuasif et censé favoriser la tenue d’une position conforme à la loi. Nous savons qu’en moyenne, la mise en conformité technique des machines concernées avoisinera les 1 000 €. Nous travaillons donc à l’élaboration d’une solution moins coûteuse pour notre réseau ». Tout aussi clair, le propos du directeur commercial de Suzuki France apporte la même information : « Pour débrider une Suzuki, dans le cadre de la loi, il sera nécessaire de changer le boîtier ECU dont le coût est compris entre 500 et 800 € TTC selon les motos. Suzuki France va faire un gros effort financier pour proposer à l’ensemble de ses clients un prix réellement attractif : les boîtiers ECU “pleine puissance” seront proposés, si la loi passe, au prix de 79 € HT à notre réseau soit environ 95 € TTC pour le client final. Ensuite, chaque revendeur pourra appliquer sa propre politique commerciale vis-à-vis de son client. » Alors, plus de peur que de mal, avec un retrofit réservé aux motos bonnes freineuses ? « Le projet présenté par l’État se veut un compromis acceptable par toutes les parties. Espérons que rien ne le fera capoter avant sa conclusion », conclut Thierry Archambault qui, jusqu’au bout, croise les doigts pour qu’un débridage rétroactif ne soit pas, en fin de compte, purement et simplement rayé de la carte…

Les sportives seront les principales machines

concernées par le retro�t, reste à voir la perte de

valeur qu’elles subiront.

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s’accentuer et dépasser les 30 % ». Et le client final confronté à une telle perte de capital pourrait tout à fait, in fine, renoncer temporairement à acheter une nouvelle moto. L’espoir, au fond, repose sur la (courte) durée d’une période pendant laquelle des ajustements devront être consentis, à la fois par le consommateur, le détaillant et, par conséquent, par le fournisseur/constructeur. « Dans le cas d’un véhicule de 2006, 2007 ou 2008, qui a perdu 70, 60 ou 50 % de sa valeur d’achat initiale, l’impact sera minime », reprend le patron de Yamaha. Guère tenté par la méthode Coué, Vincent Thommeret espère en revanche que le phénomène « va se lisser dans le temps et que la situation créée ne va pas mettre à mal les réseaux de façon disproportionnée. Aujourd’hui, il s’agit surtout de se tourner vers l’avenir et s’adapter aux conditions suscitées par la décision que vont prendre les pouvoirs publics. »Chez Honda Motor Europe-France (HME), Sébastien Pernel, directeur des ventes, tente de minimiser l’impact qu’aurait la non-remise à niveau technique des motos bridées dépourvues de l’ABS. Bien sûr, un nombre indéterminé de CBR 1000 Fireblade, de CBR 600 RR et de VFR 1200 F pose question. Mais comme ses concurrents, il s’empresse de rappeler que l’ABS, depuis quelques années, prend une place de plus en plus large dans le catalogue de la marque. « Si décote il y a, elle dépendra des motos. Selon que la machine

1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT LA DÉDRAMATISATIONLes importateurs, sous le légitime prétexte d’une prudence de circonstance, hésitent à prédire l’avenir. Ils rappellent néanmoins certaines réalités factuelles qu’il est effectivement bon de garder à l’esprit.

lorsqu’elle est bridée, perd 10, 20 ou 60 chevaux, les conséquences ne seront pas les mêmes. Un VO non éligible peut tout à fait rester économiquement intéressant ». Un avis partagé par Guillaume Vuillardot, directeur commercial de Suzuki France, qui ose une mise au point : « Certaines marques ou concessionnaires ont réagi à chaud en annonçant à leur réseau ou clients qu’ils ne reprendraient plus les motos non équipées de l’ABS. C’est une grave erreur car, d’une part, cela risque d’encourager la “psychose” autour de la rétroactivité. D’autre part, cela risque de porter gravement atteinte aux clients (perte de valeur de leur machine et perte de confiance dans les professionnels de la moto) et, donc, directement aux réseaux et aux marques, à court et moyen termes. Il est nécessaire que les différents acteurs du marché prennent du recul : toutes ces motos restent de très bonnes machines et gardent une valeur certaine sur le marché. J’en veux pour preuve le doublement de nos ventes de GSX-R1000 sur octobre 2015 par rapport à octobre 2014, alors que ces motos ne sont pas éligibles au passage à la pleine puissance, tandis que les médias spécialisés ne parlaient que de cela. »

Un désastre évité ?Sur la question du coût applicable au débridage des motos éligibles, les firmes adaptent leurs discours aux contraintes engendrées par leurs matériels respectifs. Ainsi, quand Vincent Thommeret, pour

Prudents, de nombreux

constructeurs attendent la

publication du texte de loi avant de se prononcer.

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Certaines machines seront simples à débrider par les concessionnaires, d’autres beaucoup moins.

2. RÉSEAUX : À EUX DE GÉRER AU CAS PAR CASLes concessionnaires et leurs organisations professionnelles n’osent parler de défaite, pas plus qu’ils ne crient victoire. Les intentions des pouvoirs publics en matière de libération de la puissance des motos bridées déjà immatriculées vont bien sûr peser sur la vie des pros. À quelle échéance ceux-ci voient-ils la sortie du tunnel ? Vers la �n des années 2010. D’ici là, il va falloir composer…

Chacun l’aura noté : toutes les marques de moto ne s’annoncent pas égales devant la question du débridage. Qu’il s’agisse du nombre de modèles

concernés dans une gamme, de leur poids dans le catalogue d’un constructeur, de l’âge moyen des motos bridées et dépourvues d’ABS pour chaque marque, ou encore du coût probable d’un débridage légal, les cas diffèrent et viennent ajouter à la complexité qui, déjà, préside au calcul d’un prix de reprise d’un véhicule d’occasion. Faut-il glisser au passage, même discrètement, que nombre de professionnels restent sceptiques quant à l’intérêt de vendre des motos de 180 chevaux dans un contexte de contrôle et de répression de plus en plus difficile à ignorer ? Cette question, discutable par nature, étant mise de côté, les revendeurs-réparateurs pros sondés au cours de cette nouvelle tentative de clarification apportent de l’eau au moulin. Les deux organisations professionnelles du secteur s’y emploient aussi.Du côté du Chesnay (78), dans une banlieue plutôt aisée de la région parisienne, « la clientèle est majoritairement d’âge mûr », prévient Olivier Bugeval, concessionnaire

Yamaha. Au point que, d’après ses observations, « pas une FJR 1300 sur 100 n’est débridée, tout simplement parce que le client n’est pas demandeur ». Quid de la MT-09 ? « Il s’en est vendu beaucoup. Mais 75 % de celles qui roulent aujourd’hui sont sorties d’usine avec l’ABS. Ce projet de loi, s’il aboutit, ne changera pas grand-chose à la situation actuelle. Cela risque juste d’aggraver le constat, s’agissant des débridages illicites », estime le gérant de concession. Seul un doute persiste dans son esprit, lorsqu’il se demande si « la cote des motos bridées non équipées de l’ABS, lorsque le même modèle a été produit avec l’antiblocage de freins, risque de plonger. Parce que les gens, s’ils ont le choix, vont privilégier les machines débridables légalement, au détriment des  autres. »

Cela dépendra du coût…Le coût du débridage sera-t-il un frein à la remise en conformité du véhicule ? « Une demi-heure de main-d’œuvre, c’est indolore pour le client. En revanche, pour les pros, cela va alourdir encore un peu plus les tâches administratives à accomplir : il va falloir, le cas échéant, commander de la pièce, en communiquer le bon de livraison à qui de droit

et l’agrafer à l’attestation du concessionnaire avant de refaire une demande d’immatriculation. »Cédric Potrel, concessionnaire exclusif Triumph à Pontault-Combault (77), estime lui aussi que la possible décote instantanée des motos non éligibles au débridage « dépendra du type de moto ». À la louche, il comprendrait que les sportives perdent « 30 à 35 % de leur cote, contre 20 à 25 % pour les

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2. RÉSEAUX : À EUX DE GÉRER AU CAS PAR CAS

et l’agrafer à l’attestation du concessionnaire avant de refaire une demande d’immatriculation. »Cédric Potrel, concessionnaire exclusif Triumph à Pontault-Combault (77), estime lui aussi que la possible décote instantanée des motos non éligibles au débridage « dépendra du type de moto ». À la louche, il comprendrait que les sportives perdent « 30 à 35 % de leur cote, contre 20 à 25 % pour les

roadsters ». Après, ce sont les clients qui feront la différence. Les clients, mais aussi le revendeur lui-même, bien sûr, s’il estime qu’une reprise reste possible dans de bonnes conditions. « Certains confrères ont décidé de ne plus reprendre les motos bridées sans ABS. D’autres, comme moi, les reprennent encore, tout simplement parce qu’elles conservent une certaine valeur. Dans le cas des motos Triumph, il s’agit de vendre un type de moto, pas de la puissance pure. Le trois-cylindres, notamment, c’est la souplesse et le couple qui prévalent. Le reste est plus aléatoire », relève-t-il. Finalement, le changement réglementaire ne semble pas poser de vrai problème au concessionnaire. Vrai ? « Il restera, pendant quelque temps encore, à rebrider les reprises qui auront été libérées illégalement, ce qui entraîne généralement un coût et nécessite de négocier le prix de reprise sans complaisance. D’une façon générale, tout cela est regrettable pour le métier. Mais nous n’en pâtirons pas trop, dans la mesure où nous avons anticipé depuis assez longtemps », conclut Cédric Potrel.

Ce sera “à la carte”À bonne distance du chaudron francilien, Hervé Moindrot, gérant de Red Bike et de Moto Center, concessions Honda, Kawasaki et Yamaha dans le secteur de Cosne-sur-Loire (58), ne voit pas les choses sous un même angle. D’abord parce que l’ABS est largement minoritaire dans le parc qu’il a déjà vendu et qu’il entretient quotidiennement. Seules les machines de marque Honda, de son point de vue, s’en tireraient mieux sur ce plan. Le lot de consolation, selon Hervé : « Le gros du parc de VO est constitué de machines de 500 à 750 cm3

qui, dans une très large majorité, ne sont pas concernées par ce qui se passe ». Quant à la décote à craindre, elle sera conditionnée « par ce qui a cours sur le marché, et en particulier sur celui de la vente entre particuliers, et non pas en fonction d’une cote théorique élaborée pour les professionnels. En gros, ce sera du “à la carte”. Et à chaque fois qu’il le faudra, nous rebriderons les motos », se résoud-il.Les lecteurs de L’Officiel l’auront remarqué : Jean-Claude Hogrel, président de la branche deux-roues du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), n’a pas ménagé ses réflexions, ni son engagement, en faveur d’un dialogue avec ses pairs et avec les pouvoirs publics. Il revient à son tour sur la tournure que prend cette réforme de la “loi des 100 chevaux”. Ni catastrophique, ni enchanteresse, celle-ci « ne manquera pas de faire patiner une frange du marché du VO. », prédit JCH. Cela aurait pu être pire, mais la profession « n’avait vraiment pas besoin de ça », déplore-t-il. En bon entrepreneur, il fixe désormais l’horizon : « L’incidence de cette réforme, si elle passe, ne sera pas nulle sur le marché du VO. En toute logique, plus les années passeront, moins cette incidence sera pesante. Il va donc falloir, comme toujours, s’adapter aux circonstances. J’aimerais bien savoir, au passage, ce que vont faire les importateurs pour aider leurs réseaux à passer cette période. Car la perte de valeur d’une partie du parc roulant pourrait bien atteindre les 30 %. Et pour certains concessionnaires, en fonction de leur marque support, ce serait extrêmement difficile à supporter. L’inconnue, dans cette équation, c’est le client final. Sa volatilité fera-t-elle la loi ? ». Les importateurs présents à l’appel dans ce dossier, Honda et Suzuki en tête, apportent un début de réponse au patron de la moto au sein du CNPA. Reste à entendre les autres sur le même thème. Leur silence, en cet instant, ne sera pas de nature à contenter tout le monde.

« Les clients, s’ils ont le choix, vont plutôt privilégier les motos débridables légalement au détriment des autres »Olivier Bugeval, co-gérant de la concession Yamaha Moto Révolution au Chesnay (78)

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« Je reprends les motos sans ABS, tout simplement parce qu’elles gardent une certaine valeur... »Cédric Potrel, concessionnaire Triumph à Pontaut-Combault (77)

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« Le gros du parc de VO soit les 500 à 750 cm3 ne sont pas concernées par ce qui se passe »Hervé Moindrot, multiconcessionnaire à Cosne-sur-Loire (58)

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u Selon un sondage rapide auprès des pros, la décote pourrait être supérieure à 20 %. Mais nous n’avons aucune certitude, le marché parlera. À ce jour, plus aucun client ne projette d’acheter une sportive, ils attendent 2016. Mais – 20 % de quoi ? Aucune machine sportive n’est négociée à sa cote de L’Of�ciel ou de la FNCRM. Le prix de vente est très supérieur. Même les assurances remboursent en tenant compte d’une valeur “marché internet”.

Quelle pourrait être la décote réelle des

motos non éligibles au débridage ?

« Selon les pros, la décote des motos non débridables pourrait dépasser les 20 % »

NADINE ANNELOTPrésidente de la FNCRM

LA À…PAROLE

u Non, les professionnels remettront les motos en version réglementaire 100 chevaux. De toute façon, c’est le prix de la moto qui détermine les moyens du client. Ceux qui n’ont pas le budget pour une moto neuve subiront la règlementation. C’était d’ailleurs nos arguments en réunion au ministère. Ce sont encore les jeunes sans moyen qui subiront les conséquences de la non rétroactivité. Ils seront encore tentés d’être hors la loi. Une fois de plus, ce sont les plus modestes qui sont impactés.

Les pros seront-ils tentés de délaisser ces VO et de laisser

les particuliers se débrouiller entre eux

jusqu’à ce que le “�lon” se tarisse ?

u Nous n’avons pas encore tous les éléments des motos modi�ables. Les constructeurs s’inquiétaient du niveau de contrôle que le ministère imposera – pot, support plaque, etc. Dans le cas d’une moto totalement d’origine, selon les constructeurs, cela pourrait être gratuit. Ducati a commencé. Suzuki avait promis, lors de la précédente convention, la gratuité sur les GSX-S et les motos vendues en 2015. Vont-ils tenir leurs promesses, ou vont-ils l’imposer à leur réseau, comme Ducati ?

Avez-vous une idée du coût de la remise à

niveau des motos modi�ables ?

u C’est vraiment une problématique pour notre profession. En légalisant tout le parc, nous n’aurions plus porté la responsabilité du débridage. Aujourd’hui, rien ne change. L’État botte en touche. Nous devrons, comme auparavant, veiller à remettre les véhicules en conformité, véri�er que les pièces existent encore ou ne plus reprendre ce type de moto. Nous sommes toujours sous le coup de la réglementation qui condamne les pros à de fortes amendes et des peines d’emprisonnement. Les constructeurs ont préféré prendre un retro�t sur l’ABS plutôt que rien. En �n de compte, les constructeurs sont les grands gagnants. Ils vendront des véhicules neufs, et en cascade – les réseaux aussi. Le gros problème des réseaux, ce sont leurs stocks de motos neuves ou de démo non dotées de l’ABS.

Comment les réseaux moto vont-ils

considérer les motos déjà (illégalement)

débridées, aussi bien celles qui ne pourront

jamais l’être of�ciellement que

celles qui le pourront ?

TRIUMPH PEU TOUCHÉEJean-Luc Mars, directeur général de Triumph Motorcycles en France, reste le plus décontracté des interlocuteurs de L’Of�ciel dans ce dossier. En cause : d’une part, le faible nombre de motos potentiellement frappées d’inéligibilité – « quelques Daytona et Speed Triple » – et, d’autre part, l’insolente simplicité technique de la remise en conformité des machines avec leur certi�cat de réception communautaire. En d’autres termes, débrider ces motos-là ne coûtera pratiquement rien, ni au réseau, ni au client �nal. Quant à une possible décote, elle ne convainc pas le dirigeant qui parie qu’elle « ne sera sans doute pas considérable », notamment parce qu’une moto de plus de quatre ans d’âge « af�che déjà une valeur assez modeste. Et le VO demeure un �ux intéressant pour tout bon revendeur ». À condition qu’il sache s’y prendre, bien entendu…

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