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Crise politique, pression fonciÚre et sécurité alimentaire dans les

pĂ©riphĂ©ries de la forĂȘt classĂ©e du mont Peko

K.G. N’guessan1 *, K.R. Oura2 & A.D.F.V. Loba3

Keywords: Cultivating grounds- Food safety- Intercommunity Tensions- Mont Peko- CĂŽte d'Ivoire

1UniversitĂ© Jean Lorougnon-Guede, Daloa, CĂŽte d’Ivoire.2UniversitĂ© Alassane Ouattara, Centre de Recherche pour le DĂ©veloppement - Bouake, CĂŽte d’Ivoire.3 UniversitĂ© FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny, Institut de GĂ©ographie Tropicale (IGT) , Abidjan,CĂŽte d’Ivoire.

*Auteur correspondant: Email : ahibakan77@gmail .com

Résumé

Le prĂ©sent article analyse la situation de l’agriculture

et de l’alimentation chez les populations dĂ©placĂ©es

du Mont PĂ©ko. En effet, la crise militaro-politique

dĂ©clenchĂ©e en CĂŽte d’Ivoire en septembre 2002 a

favorisĂ© l’occupation illĂ©gale de la forĂȘt classĂ©e du

Mont PĂ©ko par des dizaines de milliers de personnes

constituées majoritairement de ressortissants

Burkinabé. Ces populations y ont développé des

plantations de cacaoyer, qui ont entrainé la

destruction de prÚs de 80% de cette aire protégée.

Mais, avec la fin de la crise politique en 2011, et dans

le souci de protéger le parc naturel et garantir la paix

et la sĂ©curitĂ© dans l’ouest de la CĂŽte d’Ivoire, ces

populations ont Ă©tĂ© contraintes de quitter la forĂȘt pour

s’installer dans les villages aux alentours du parc.

L’enquĂȘte rĂ©alisĂ©e auprĂšs d’un Ă©chantillon de 200

individus a permis de comprendre que la majorité des

dĂ©placĂ©s internes du Mont PĂ©ko n’a pas accĂšs Ă  de

nouvelles terres de culture. Ces populations ne

peuvent donc pas garantir la sécurité de leur

alimentation et celle de leur famille. Elles se

retrouvent ainsi dans un environnement oĂč la

pression fonciĂšre alimente les crises et les tensions

communautaires, qui fragilisent la cohabitation entre

autochtones et allogĂšnes.

Summary

Political Slump, Land pressure, and Food

Security in the Outskirts of the Classified

Forests of Mount Peko

This article analyzes the agricultural situation and the

food crisis faced by the displaced populations of the

Mont PĂ©ko. Indeed, the military and political crisis

launched in Cîte d’Ivoire in September 2002 has

favored the illegal occupation of the classified forest

of the Mount PĂ©ko by tens of thousands of people

mainly constituted by Burkinabe nationals. These

populations have developed cocoa tree plantations,

which entailed the destruction of about 80% of this

protected area. But, with the end of the political crisis

in 2011, and in order to protect the natural park and to

guarantee peace and security in the West of the CĂŽte

d’Ivoire, these populations have been forced to leave

the forest to get settled in the peripheral villages of

the park. A survey on a sample of 200 individuals has

permitted to figure out that the majority of the inner

population of the Mont Peko does not have access to

new cultivating grounds. Therefore, the food safety of

these populations and of their families cannot be

guaranteed. Thus, they are involved in an

environment where the land property crisis and

intercommunity tensions weaken the cohabitation

between natives and foreigners.

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Introduction

La crise armĂ©e dĂ©clenchĂ©e en CĂŽte d’Ivoire enSeptembre 2002 avait entrainĂ© la partition du pays endeux. D’un cĂŽtĂ©, le Sud du pays contrĂŽlĂ© par legouvernement lĂ©gal (dĂ©mocratiquement Ă©lu) et del ’autre cĂŽtĂ©, la zone Centre-Nord-Ouest (CNO) souscontrĂŽle de la rĂ©bell ion armĂ©e. Dans ce contexte decrise et d’absence d’autoritĂ© de l’Etat dans lesrĂ©gions sous contrĂŽle de la rĂ©bell ion, s’estdĂ©veloppĂ©e une exploitation i l l icite des airesprotĂ©gĂ©es Ă  l’ instar de la forĂȘt classĂ©e du mont PĂ©ko,dans l ’Ouest de la CĂŽte d’Ivoire. En effet, profitant del ’absence de l’État, des populations constituĂ©es«essentiel lement des ressortissants du BurkinaFaso» (7) se sont instal lĂ©es dans cette forĂȘt classĂ©e.Celles-ci y ont dĂ©veloppĂ© de vastes plantations decacao qui ont contribuĂ© Ă  la destruction de 80% des34000 ha de cet espace naturel protĂ©gĂ© (6). Pendantplus d’une dĂ©cennie, ce patrimoine mondial a doncconstituĂ© le siĂšge des activitĂ©s agricoles despopulations clandestines.Avec la fin de la crise politique en 2011 , l ’autoritĂ© del’Etat s’est Ă©tabl ie Ă  nouveau sur toute l ’étendue duterritoire. Conscient de la menace que reprĂ©sententces clandestins aussi bien pour l ’aire protĂ©gĂ©e quepour la sĂ©curitĂ© humaine dans cette rĂ©gion, lesnouveaux gouvernants se sont aussitĂŽt engagĂ©sdans un processus de dĂ©guerpissement desditsclandestins. AprĂšs plusieurs tentatives infructueuses,i ls y parviennent avec l’arrestation le 1 8 mai 201 3d’Amade OUEREMI1 (6), le chef de fi l de cesclandestins. L’opĂ©ration de dĂ©guerpissement qui s’ensuit entraine l ’exfi ltration de nombreuses populationsdont les chiffres annoncĂ©s varient selon les sources2.I ls seraient 52 71 7 dĂ©placĂ©s de la forĂȘt classĂ©e (8),qui se sont rĂ©instal lĂ©s dans les vil lages pĂ©riphĂ©riquesde la rĂ©serve. Avec l’arrivĂ©e de cette populationimportante et la pression qui s’exerce sur les terresagricoles, i l apparait opportun d’analyser la situationalimentaire chez les populations dĂ©placĂ©es internesdu mont PĂ©ko. De façon spĂ©cifique, i l s’agit d’étudierl ’accessibi l itĂ© des exfi ltrĂ©s aux terres agricoles,d’analyser leur situation alimentaire ainsi que lesrapports intercommunautaires qui rĂšgnent dans lesvil lages environnants du parc du Mont PĂ©ko.

Méthodes de la collecte des données

La mĂ©thodologie dĂ©ployĂ©e dans le cadre de cet articlese fonde sur l ’hypothĂšse attribuant Ă  la pressionfonciĂšre la responsabil itĂ© des perturbations dansl’accĂšs aux terres agricoles pour garantir la sĂ©curitĂ©al imentaire. Ainsi, pour la vĂ©rification de cettehypothĂšse, nous avons procĂ©dĂ© Ă  une recherchedocumentaire et une enquĂȘte de terrain. La phase dela recherche documentaire nous a conduits dansdiverses structures publiques tel les que l’OIPR3 et laPrĂ©fecture de la rĂ©gion du GUEMON, oĂč des rapportsd’activitĂ©s mis Ă  notre disposition ont permisd’accĂ©der Ă  des informations et des statistiquesindispensables pour notre Ă©tude. Par ail leurs, desrapports d’Organisations Non Gouvernementales(ONG), de l ’OpĂ©ration des Nations Unies en CĂŽted’Ivoire (ONUCI) et du MIDH ont Ă©tĂ© uti les Ă  cetteĂ©tude. Enfin, des sources issues de la presse en ligneont Ă©tĂ© consultĂ©es. L’enquĂȘte de terrain a consistĂ© endes entretiens auprĂšs des personnes ressources. I ls’agit du prĂ©fet de la rĂ©gion du GUEMON, ducommandant de l’OIPR, des chefs de vil lages et desreprĂ©sentants des populations dĂ©guerpies. El le aaussi consistĂ© Ă  administrer un questionnaire Ă  200exfi ltrĂ©s choisis de façon alĂ©atoire dans onze vil lagessituĂ©s Ă  proximitĂ© de la rĂ©serve du Mont PĂ©ko (Figure1 ) sur un total de 28 impactĂ©s par la crise desdĂ©placĂ©s du mont PĂ©ko.Le choix des vil lages tient compte de quelquescritĂšres gĂ©ographiques et dĂ©mographiquesprĂ©alablement dĂ©finis. I l s’agit de la proximitĂ© avec larĂ©serve, la tai l le de la population dĂ©placĂ©e (desvil lages ayant accueil l i les plus grands effectifs etceux qui en ont reçu en de faible proportion) et larĂ©partition entre les deux dĂ©partements (DuĂ©kouĂ© etBangolo). Quant aux choix des chefs de mĂ©nagesinterrogĂ©s, l ’étude a retenu les individus ayanteffectivement perdu des parcelles agricoles Ă  la suitedu dĂ©guerpissement des populations de la rĂ©serve dumont PĂ©ko. Cette enquĂȘte qui s’est dĂ©roulĂ©e pendantles mois de novembre et dĂ©cembre 201 6 a permisd’aboutir aux rĂ©sultats suivants.

1OUEREMI Amade est un ressortissant Burkinabé réparateur de vélo, ayant vécu durant des décennies à Bagouhouo à 25 kms de Duékoué, i l fait son intrusion

dans le parc du Mont PĂ©ko aprĂšs le dĂ©part des agents des Eaux et ForĂȘts affectĂ©s Ă  la surveil lance du massif forestier du Mont PĂ©ko du fait de la crise

dĂ©clenchĂ©e en 2002. Devenu planteur puis fĂ©ticheur de renom, i l s’ instal le dans le parc et organise son exploitation.

2Le groupe d’expert du conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU estime Ă  28 000 personnes vivant dans le parc; Le rapport du MIDH cite un recensement effectuĂ© par les

autoritĂ©s ivoiriennes en 201 3 situant l ’effectif Ă  plus de 24 000 le nombre de personne instal lĂ©e dans le parc; Les Humanitaires (OCHA) indiquent 52 71 7, le

nombre de personnes déplacées du parc.

3Office Ivoirien des Parcs et RĂ©serves.

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RĂ©sultats

De l’exfiltration des clandestins à la pression

démographique autour du parc

La crise des déplacés du Mont Péko a entrainé unsurpeuplement des vil lages environnants et unepression sur les terres agricoles. Pour comprendrecette pression humaine autour de cette réservenaturel le protégée, i l est nécessaire de cerner lecontexte.Du peuplement de la réserve par les allogÚnes

BurkinabĂš

Le peuplement de la forĂȘt classĂ©e du Mont PĂ©kointervient Ă  la suite du dĂ©clenchement de la rĂ©bell ionarmĂ©e en CĂŽte d’Ivoire en septembre 2002. Pendant,cette pĂ©riode de nombreuses populations vont migrerdes rĂ©gions du Nord (occupĂ©es par la rĂ©bell ion) verscelles du Sud (sous contrĂŽle gouvernementale). Eneffet, c’est dans cette pĂ©riode de crise qu’ «un certainOUEREMI Amade de nationalitĂ© burkinabĂš, a profitĂ©du vide de protection pour infi ltrer le parc et y ainstal lĂ© ses compatriotes (6).Ces migrants i l lĂ©gaux du parc sont venus de divershorizons avec une forte colonie en provenance duBurkina-Faso. En effet, selon la mĂȘme source,Environ 4% des occupants du parc sont d’origineivoirienne et 96 % d’origine Ă©trangĂšre, avec uneprĂ©dominance de BurkinabĂšs, estimĂ©e Ă  99 % de lapopulation Ă©trangĂšre. Les rĂ©sultats (Figure 2) denotre enquĂȘte confirment ses statistiques.Les migrants venus du Burkina-Faso sont les plusnombreux dans le parc. I ls reprĂ©sentent 37% de notrepopulation d’enquĂȘte. Ensuite, suivent ceux qui sont

venus de la rĂ©gion du Guemon (rĂ©gion oĂč se localisela forĂȘt classĂ©e du Mont PĂ©ko). Environ 1 8% desoccupants sont venus des diffĂ©rentes sous-prĂ©fectures de la rĂ©gion. Ensuite viennent par ordred’importance les migrants venus du Sud-Ouest(11 %), du Centre (1 0%), du Centre-Ouest (6%), duSud (4,5%), du Nord-Est (4%), du Centre-Est (3%) etdes rĂ©gions de l’Est, de l ’Ouest et du Sud-Est quienregistrent chacune 0,5% des personnesinterrogĂ©es.Par ail leurs, les ressortissants BurkinabĂš ne sont pastous venus directement du Burkina-Faso. NotreenquĂȘte (figure 3) rĂ©vĂšle que plus de 45% desressortissants BurkinabĂš interrogĂ©s viennent desautres rĂ©gions de la CĂŽte d’Ivoire.Pour ces migrants internes burkinabĂš, l ’ouverture dela forĂȘt classĂ©e Ă  l’exploitation agricole est uneopportunitĂ© Ă  saisir face Ă  la rarĂ©faction des terresarables et aux nombreux confl its fonciers enregistrĂ©sdans les diffĂ©rentes rĂ©gions de provenance. Quantaux (burkinabĂ©s) migrants externes, c’est aussil ’opportunitĂ© d’avoir des terres de culture en CĂŽted’Ivoire forestiĂšre et d’amĂ©liorer leur condition de vie

Figure 1 : Localisation de la zone d’étude.Source: RGPH 98 (Dessin: Loba)

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Figure 2: Origine des occupants i l légaux du parc du Mont Péko.

(Source: notre enquĂȘte, Novembre – DĂ©cembre 201 6)

Figure 3: Répartition des ressortissants Burkinabés selon le l ieu deprovenance avant leur instal lation dans le Parc.

(Source: notre enquĂȘte, Novembre – DĂ©cembre 201 6).

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Figure 4: Répartition des populations déplacées internes dans des vil lagesenvironnants du Mont Péko.

Source: D’aprĂšs nos enquĂȘtes, Novembre – DĂ©cembre 201 6. (Dessin: Loba)

(a) (b)

Planche 1 : Une vue du nouveau quartier mossi créé par les déplacés du Mont Péko.

(Source: N’GUESSAN et al. 201 6)

a - Une vue de l’entrĂ©e du nouveau quartier occupĂ© par les ressortissants BurkinabĂš Ă  Pona Vahi.

b - Une vue des bùtiments construits essentiel lement en terre battue par les déplacés à Pona Vahi.

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Dans cette localitĂ©, la crĂ©ation de ce nouveau quartierva entrainer une extension spatiale (Figure 5) duvil lage.Cette situation qui entraine l ’accroissement de lapopulation dans les vil lages d’accueil pose leproblĂšme de l’accĂšs Ă  des parcelles agricoles et celuide la sĂ©curitĂ© al imentaire des dĂ©placĂ©s.

Inaccessibilité aux terres agricoles et la question

alimentaire chez les déplacés du Mont Péko

La rarĂ©faction des terres agricoles pour les dĂ©placĂ©sL’accĂšs Ă  des terres de culture s’invite aux problĂšmesdĂ©jĂ  diffici les des dĂ©placĂ©s du Mont PĂ©ko. Dans cetterĂ©gion oĂč le dĂ©veloppement de la cacaoculture avaitdĂ©jĂ  entrainĂ© une saturation fonciĂšre, i l devientdiffici le pour les nouveaux venus d’avoir une portionde terre de culture et garantir leur indĂ©pendancealimentaire. Notre enquĂȘte (Figure 6) montre queseulement 1 6% des personnes interrogĂ©es ont accĂšsĂ  de nouvelles terres pour leurs activitĂ©s agricoles.On estime Ă  84% les dĂ©placĂ©s qui n’ont pas deparcelles pour leurs activitĂ©s agricoles. Seulement1 6% de notre population d’enquĂȘte disposent de terrede culture. Cette situation s’explique sans doute parle poids important des dĂ©placĂ©s venus d’ai l leurs Ă l ’occasion de la mise en exploitation du parc. Onestime leur nombre Ă  95% contre 5% pour ceux quiĂ©taient dĂ©jĂ  en place avant l ’exploitation du parc.

ainsi que celles de leurs parents restĂ©s au pays(Burkina Faso). «J’ai toujours rĂȘvĂ© de venir en CĂŽted’Ivoire pour faire la cacaoculture comme mes frĂšres,qui envoyaient beaucoup d’argent aux pays grĂące Ă cette culture. Mais on me disait qu’i l n’y avait plus deterre et que le problĂšme de terre est devenucompliquĂ©. Et, quand j’ai appris qu’on pouvait avoirdes parcelles dans la forĂȘt, je suis venu tenter machance» expliquait un d’entre eux.

De l’exfiltration des occupants illĂ©gaux du parc

Avec la fin de la crise politique en 2011 et lerĂ©tabl issement de l’autoritĂ© de l’Etat sur toutel ’étendue du territoire national, i l est apparunĂ©cessaire pour les nouveaux gouvernants de libĂ©rercette rĂ©serve naturel le de ses occupants i l lĂ©gaux, afinde permettre sa rĂ©gĂ©nĂ©ration, mais aussi d’assurer lasĂ©curitĂ© dans cette partie du pays. Ce processus aabouti Ă  l ’exfi ltration de plusieurs mil l iers depersonnes et au surpeuplement (Figure 4) denombreux vil lages pĂ©riphĂ©riques du parc du montPĂ©ko.A l’observation de la carte, la sous-prĂ©fecture deBagohouo est cel le qui a accueil l i le plus gros volumede populations (26 209), soit 49,71% des dĂ©placĂ©s duparc. Cette situation a donnĂ© lieu Ă  la crĂ©ation danscertains vil lages de la sous-prĂ©fecture de nouveauxquartiers uniquement habitĂ©s par des dĂ©placĂ©sburkinabĂš de la forĂȘt classĂ©e; comme c’est le cas(planche 1 ) Ă  Pona Vahi.

Figure 5: Le nouveau quartier occupé par des ressortissantsBurkinabÚ à Pona Vahi.

Source: D’aprĂšs nos enquĂȘtes, Novembre – DĂ©cembre 201 6. (Dessin: Loba).

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Figure 6: RĂ©partition des dĂ©placĂ©s selon l ’accĂšs ou non Ă  des parcelles de culture.

Source: notre enquĂȘte, Novembre – DĂ©cembre 201 6).

Tableau 1

RĂ©partition des dĂ©placĂ©s ayant accĂšs Ă  la terreselon le mode d’acquisition.

(Source: notre enquĂȘte, Novembre – DĂ©cembre 201 6).

Figure 7: Répartition des déplacés internes du Mont Péko selon les sources de revenus.

(Source: notre enquĂȘte, Novembre – DĂ©cembre 201 6)

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Les ressortissants BurkinabĂ©s sont les plusconcernĂ©s par le problĂšme d’accĂšs Ă  de nouvellesterres de culture. Ceux-ci reprĂ©sentent 34% desdĂ©placĂ©s de la forĂȘt ayant accĂšs Ă  des terres deculture contre 66% de nationaux ivoiriens. LesBurkinabĂ© reprĂ©sentent 74% de la population dedĂ©placĂ©s qui n’ont pas accĂšs Ă  des terres agricoles.Pour ceux qui ont eu accĂšs Ă  de nouvelles terres deculture, i l s’agit majoritairement de la location deterres (Tableau 1 ) pour des cultures vivriĂšres.Plus de 68% des dĂ©placĂ©s ayant accĂšs Ă  la terre ontacquis des parcelles de culture par voie de location.Les parcelles dĂ©passent rarement l ’hectare. El lessont destinĂ©es Ă  la production de vivre uniquement.Les cultures pĂ©rennes ne sont pas admises par lespropriĂ©taires. Pour ces populations dĂ©placĂ©es,l ’option de location parait la plus facile pour accĂ©der Ă des terres de culture. Dans la plupart des cas, i l s’agitd’une location en nature. Le locataire reverse Ă  sonpropriĂ©taire une partie de la rĂ©colte selon les termesconvenus dans le contrat de location. Ceux qui ontacquis des terres par achat sont pour la plupart despersonnes instal lĂ©es depuis longtemps dans larĂ©gion. I l en est de mĂȘme pour ceux qui ont acquisdes terres par hĂ©ritage. Dans ces deux cas de figure,i l n’existe pas de restriction de culture.En tout Ă©tat de cause, l ’ inaccessibi l itĂ© Ă  de nouvellesterres de culture expose la majoritĂ© des dĂ©placĂ©s Ă l’ insĂ©curitĂ© al imentaire.

De l’indĂ©pendance Ă  la dĂ©pendance alimentaire

des déplacés internes du Mont Péko

L’analyse de la situation alimentaire porte sur lessources de revenus et les moyens de subsistancedes populations interrogĂ©es.De façon gĂ©nĂ©rale, on enregistre une chute desrevenus chez les populations interrogĂ©es. El les sontunanimes en affirmant que «Dans la forĂȘt, le cacaonous procurait beaucoup d’argent, c’est du cacao quenous vivions.» Les revenus des paysans provenaientessentiel lement de la vente de produits agricoles etprincipalement le cacao. Mais, depuis leur expulsiondu parc, leur revenu a complĂštement chutĂ©. L’und’entre eux explique qu’ «aujourd’hui, on a plus rienparce qu’i l n’y a pas de travail ; si on n’a pas eu unpetit contrat on ne mange pas  ». Les dĂ©placĂ©s nevivent presque plus de la vente des produitsagricoles, mais plutĂŽt du commerce et de petitscontrats (Figure 7).On observe donc une modification des activitĂ©sĂ©conomiques chez ses dĂ©placĂ©s qui vivaient autrefoisdes revenus issus de la vente de produits agricoles et

principalement du cacao. Aujourd’hui, i ls exercent depetits mĂ©tiers pour survivre. I ls sont 47% quiexĂ©cutent quelques petits contrats dans desplantations (dĂ©sherbage, cueil lette et cabossage decacao etc.). L’ irrĂ©gularitĂ© du contrat ne permet pas Ă ces derniers de garantir leurs sources de revenus.Par ail leurs, seulement 1 % des personnesinterrogĂ©es tire encore sa source de revenus de lavente de produits agricoles. Nombreux sont ceux quin’ont plus d’activitĂ©s Ă©conomiques rĂ©munĂ©ratrices.Ceux-ci, estimĂ©s Ă  44% vivent pour la plupart del ’aide alimentaire.Par ail leurs, les moyens de subsistance de notrepopulation d’enquĂȘte ont changĂ© de la situation declandestin Ă  celle de dĂ©placĂ©e. Autrefois dominĂ©e parla banane plantain et les tubercules, la nourriture desdĂ©placĂ©s est essentiel lement constituĂ©e aujourd’huide produits cĂ©rĂ©aliers (riz), qui proviennent de l’aidealimentaire (Tableau 2).Les dĂ©placĂ©s du Mont PĂ©ko sont Ă  majoritĂ©dĂ©pendants de l’aide alimentaire4 distribuĂ©e par laCaritas, le PAM avec le soutien de l’Etat. I lsreprĂ©sentent 38,5% des enquĂȘtĂ©s. Environ 36%affirment qu’i ls se dĂ©brouil lent pour trouver lanourriture. Car i ls n’ont pas d’argent et ne sont pasconcernĂ©s par la distribution de vivres. Seulement1 5,5% de dĂ©placĂ©s obtiennent leur nourriture Ă  partirde leur propre production alimentaire. Les 1 0%restant achĂštent la nourriture grĂące aux revenus qu’i lsobtiennent dans les petites activitĂ©s de commerce oules petits contrats de travail dans les plantations.Cette nouvelle situation a entrainĂ© une modificationdu rĂ©gime alimentaire des dĂ©placĂ©s. Les produitscĂ©rĂ©aliers reprĂ©sentent pour 82% des dĂ©placĂ©s lesaliments les plus consommĂ©s contre 1 3% par lepassĂ©. La banane plantain et les tubercules sontdiffici les d’accĂšs pour cette population qui n’a passuffisamment de moyen financier ni de terre deculture pour s’en procurer.

4l ’aide alimentaire est organisĂ© par l ’Etat et des Humanitaire (Caritas et PAM). La dotation est mensuelle et est constituĂ©e de 3 sac de 50 kg de riz plus 11 kg, 1 1

l itres d’hui le et 1 9 kg de Soja. Cette dotation doit courir sur une pĂ©riode de 6 mois c’est-Ă -dire jusqu’au mois de Mars 201 7; le temps de rĂ©gler dĂ©finitivement

cette crise des déplacés du Mont Péko. (Informations recueil l ies sur le terrain).

5la couverture de l’aide alimentaire n’est pas totale, parce que nombreux sont les clandestins qui avaient refusĂ© de se faire recenser par peur de reprĂ©sail les (le

préfet de région).

Tableau 2

origine de la nourriture desdéplacés du Mont Péko.

(Source: notre enquĂȘte, Novembre –

DĂ©cembre 201 6)

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La crise des dĂ©placĂ©s du Mont PĂ©ko met aussi enexergue la cohabitation des peuples autochtones etal logĂšnes dans cette rĂ©gion de l’ouest forestiermarquĂ©e par les longues annĂ©es de crise politique enCĂŽte d’Ivoire. Cette crise a profondĂ©ment fragil isĂ© lacohabitation des diffĂ©rentes communautĂ©s dans cetterĂ©gion de l’Ouest ivoirien.

Cohabitation fragile entre allogĂšnes et

autochtones

La cohabitation entre les diffĂ©rentes communautĂ©sallogĂšnes et autochtones a souffert du contexte de lacrise politique en CĂŽte d’Ivoire.Des crises intercommunautaires ouvertes et latentesDepuis l ’avĂšnement de la rĂ©bell ion armĂ©e en 2002,de nombreuses crises opposent les autochtonesGuĂ©rĂ© aux allogĂšnes BurkinabĂ©s. L’on se rappelleque «dans la nuit du 8 au 9 janvier 2005, un groupede mil iciens basĂ©s dans le canton Zarabaon (localitĂ©de DuĂ©kouĂ©) avaient attaquĂ© et pil lĂ© les paysansburkinabĂ©s de leurs rĂ©coltes de cacao dans descampements situĂ©s en zone de confiance6. En 2005,de nombreux burkinabĂ© Ă©taient rĂ©gul iĂšrementvictimes d’enlĂšvement et d’assassinat dans leursplantations


En reprĂ©sail les Ă  ces massacres, OUEREMI AMADEet sa troupe ont menĂ© dans la matinĂ©e du 28 mars2011 , une attaque meurtriĂšredans le quartier Carrefour (DuĂ©kouĂ©)» (6).Ces Ă©vĂšnements ont fortement dĂ©gradĂ© lacohabitation et les relations entre autochtones etal logĂšnes dans cette rĂ©gion.Cependant, la majoritĂ© de personnes interrogĂ©esaffirme que la cohabitation est bonne depuis qu’i ls seretrouvent en situation de dĂ©placĂ©.«Nous n’avons pas de problĂšmes avec nos tuteurs,on s’entend bien, pour le moment i l n’y a pasd’histoire entre nous. C’est avec les agents de l’OIPRque nous avons tous les problĂšmes. I ls nous battentlorsqu’i ls nous trouvent dans le parc; et souvent ons’en sort avec beaucoup de sĂ©vices corporels.» Eneffet, de nombreux dĂ©placĂ©s bradent encorel ’ interdiction de pĂ©nĂ©trer dans le parc, pour y cueil l irle cacao encore existant. Par exemple, Ă  Pona Vahi,dans le quartier qui abrite les ressortissantsburkinabĂ© dĂ©guerpis, notre enquĂȘte (Planche 2)montre que contrairement aux dires de certainsd’entre eux de ne plus possĂ©der de cacao, i ls arriventĂ  en faire sortir de la forĂȘt classĂ©e.

Planche 2: Une vue des activités témoignant de la poursuite de la cacaoculture chez les déplacés du MontPéko instal lés à Pona Vahi.

(Source: N’GUESSAN et al. 201 6)

a- FÚves de cacao séchées dans un quartier abritant les déplacés à Pona Vahi

b- Opération de commercial isation de cacao chez les déplacés à Pona Vahi

(a) (b)

6Selon Wikinews, la «zone de confiance» est une zone tampon créée en juin 2003 pour séparer les combattants des Forces nouvelles, occupant la moitié Nord

de la CÎte d'Ivoire, des troupes gouvernementales, contrÎlant la moitié Sud. El le s'étire d'Est en Ouest sur environ 600 km. La largeur théorique de cette zone

tampon est de 25 km, avec diverses variations, l iées notamment à l 'éloignement entre, dans certaines régions, les positions les plus avancées des Forces

nouvelles et cel les des troupes gouvernementales. . . La seule présence mil itaire autorisée dans cette zone tampon était cel les des «Forces impartiales», (les

soldats de l 'Opération des Nations unies en CÎte d'Ivoire (ONUCI), les soldats français de l 'opération Licorne et les soldats de la Communauté économique des

États de l 'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

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Planche 3: Habitats abandonnés par des allogÚnes et al lochtones à Yrozon au debut de la crise en CÎted'Ivoire en 2002.

(Source: N’GUESSAN et al. 201 6)

a1 -a2 - Une vue des logements abandonnés par les al logÚnes et les al lochtones à Yrozon

b- Un point d'eau dans l 'ancien habitat des allogĂšnes et des allochtones Ă  Yrozon

Figure 8: Campement d’accueil des dĂ©placĂ©s de Yrozon, suite Ă  la crise de 2002.

Source: D’aprĂšs nos enquĂȘtes, Novembre – DĂ©cembre 201 6. (Dessin: Loba).

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Pour les populations autochtones cela est la preuveque la forĂȘt classĂ©e reste accessible auxressortissants BurkinabĂ©, par le biais des agents del’OIPR corrompus. Cette situation est dĂ©noncĂ©e parles autochtones, qui estiment que malgrĂ© ledĂ©guerpissement et l ’ interdiction de rentrer dans leparc, les al logĂšnes burkinabĂ© y ont toujours accĂšs.«La nuit, les BurkinabĂ© entrent dans la forĂȘt et fontsortir le cacao, et c’est comme ça chaque fois.Pourtant l ’Etat a interdit l ’accĂšs de la forĂȘt classĂ©e Ă tous. I ls sont en complicitĂ© avec certains agents del’OIPR.I ls sont les seuls Ă  rentrer encore dans la forĂȘt»explique un responsable de jeunesse Ă  Nidrou. Au-delĂ  du mĂ©contentement, cette situation alimentedavantage la colĂšre des autochtones envers cesallogĂšnes qu’i ls considĂšrent comme desenvahisseurs qui "ne respectent rien".Cette situation prĂ©caire entre al logĂšnes etautochtones encourage le regroupementcommunautaire des premiers en vue de faire faceaux risques sĂ©curitaires.Regroupement communautaire: un modĂšle deprĂ©vention des crises intercommunautairesL’avĂšnement de la crise politique en CĂŽte d’Ivoire apar moment mis Ă  mal la cohĂ©sion sociale qui rĂ©gnaitentre les diffĂ©rentes communautĂ©s vivant dans lamĂȘme localitĂ©. Dans certains vil lages alentour duparc, comme Ă  Yrozon (planche 3), des populationsallogĂšnes et al lochtones ont abandonnĂ© leur maisonpour rejoindre leur frĂšre de la mĂȘme communautĂ©ethnique dans des campements proches de leurplantation situĂ©e Ă  la l isiĂšre de la forĂȘt classĂ©e.Les campements d’accueil sont situĂ©s sur le terroir duvil lage d’Yrozon et Ă  proximitĂ© du parc (figure 8). I ls’agit des campements de Nadjet, Remikro,KaborĂ©kro, Dame de paix et N’guessankro. Avec ledĂ©guerpissement des occupants du parc, cescampements vont accueil l ir certains dĂ©placĂ©s quiredoutent une situation d’insĂ©curitĂ© en vivant dans lesmĂȘmes vil lages que les autochtones GuĂ©rĂ©. Parail leurs, en choisissant ces campements, lesdĂ©placĂ©s gardent l ’espoir d’avoir accĂšs Ă  leursplantations de cacaoyer situĂ©es dans le parc.D’autres par contre se sont instal lĂ©s auprĂšs desautochtones GuĂ©rĂ© mais fondant leur propre quartiercomme celui crĂ©e par les dĂ©placĂ©s Ă  Pona Vahi (voirplanche 1 ) et qui a permis une extension du vil lage(voir figure 5) depuis 201 3.Ce souci de regroupement communautaire n’est pasfortuit, si l ’on se rĂ©fĂšre aux exactions subies par lesal logĂšnes. «Toutes les plantations appartenant auxpaysans burkinabĂ©s dans les forĂȘts proches duvil lage - quartier carrefour – Ă©taient expropriĂ©es parces mil iciens d’alors. Souvent ces jeunes armĂ©sallaient barrer le chemin aux paysans et les

obligeaient Ă  payer une taxe pour avoir accĂšs Ă  leurchamp. D’autres paysans avaient prĂ©fĂ©rĂ© abandonnerleurs plantations aux mains de ces jeunes poursauver leur vie. OuĂ©draogo Abdrahim et OuĂ©draogoPascal, tous deux paysans avaient Ă©tĂ© dĂ©couverts lescoups tranchĂ©s le 1 3 dĂ©cembre 2004 sur le cheminde leurs plantations. Le 20 janvier 2005, BelĂ©mKouamba Kassoum a Ă©tĂ© enlevĂ© et son corps a Ă©tĂ©retrouvĂ© plus tard, dans le mĂȘme Ă©tat que lespremiĂšres victimes. Le 03 fĂ©vrier 2005, deux autresburkinabĂš ont Ă©tĂ© enlevĂ©s Ă  la gare routiĂšre deDuĂ©kouĂ© pour une destination inconnue.Suite Ă  l ’attaque de LogoualĂ© le 28 fĂ©vrier 2005, unde nos compatriotes OuĂ©draogo Amadi a Ă©tĂ© enlevĂ©dans son champ et assassiné» (6). Ce phĂ©nomĂšnedevenu prĂ©judiciable aux Droits humains, avaitfortement dĂ©tĂ©riorĂ© la cohabitation entre lescommunautĂ©s ethniques dans cette partie du pays.En somme, la situation des dĂ©placĂ©s du mont PĂ©koalimente les dĂ©bats tant le problĂšme persiste.

Discussion

L’opĂ©ration de dĂ©guerpissement des occupantsi l lĂ©gaux du mont PĂ©ko vise selon l ’Etat Ă  protĂ©gercette rĂ©serve naturel le et Ă  ramener la sĂ©curitĂ© danscette partie du pays longtemps marquĂ©e par la crisearmĂ©e. Celle-ci a conduit Ă  l ’ instal lation dans lesvil lages environnants du parc des dizaines de mil l iersde personnes, qui ont perdu des terres de culturedont i ls dĂ©pendaient pour nourrir leurs famil les. Cequi fait dire Ă  un dirigeant traditionnel ivoirien que«L’État veut nous affamer» (9). La question interpelleaussi le RAIDH7, qui estime que cette opĂ©ration met Ă risque la sĂ©curitĂ© al imentaire, l ’état de santĂ© despopulations et la cohĂ©sion sociale dans la zone. C’estpourquoi, i l rappelle que les mesures de protection del 'environnement, tel les que la protection de parcsnationaux, ne devraient pas ĂȘtre rĂ©alisĂ©es au prix desdroits des personnes qui y vivent. Le droitinternational protĂšge toute personne qui occupe unterrain contre les expulsions forcĂ©es sans prĂ©avissuffisant, ou qui ne respecte pas la dignitĂ© et lesdroits des personnes affectĂ©es, indĂ©pendamment dufait qu'el les occupent la terre lĂ©galement ou pas.Human Rights Watch et le RAIDH dĂ©noncent la façondont l ’agence forestiĂšre de CĂŽte d’Ivoire (OIPR) aexpulsĂ© les agriculteurs des forĂȘts sansavertissement et sans leur fournir un logement ou dela terre en remplacement. Par ail leurs, aucunedisposition n’a Ă©tĂ© prise dans les vil lagesenvironnants pour accueil l ir les dĂ©placĂ©s. Lesinfrastructures des communautĂ©s environnantes duMont PĂ©ko Ă©taient largement insuffisantes pouraccueil l ir les personnes expulsĂ©es, et que lesservices sociaux, de la santĂ© et de l 'Ă©ducation Ă©taientdĂ©bordĂ©s (9).

7Regroupement des Acteurs Ivoiriens des Droits Humains

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La situation des dĂ©placĂ©s internes du Mont PĂ©ko estdonc loin d’avoir respectĂ© les principes et les rĂšglesinternationales en la matiĂšre. En effet, on estimequ’ «une solution durable est rĂ©al isĂ©e lorsque lesPopulations DĂ©placĂ©e Internes (PDI) n’ont plusbesoin d’aide, ni de protection spĂ©cifique l iĂ©e Ă  leurdĂ©placement et jouissent des droits de l ’Homme sansdiscrimination en raison de leur dĂ©placement» (4). Or,dans le cas de notre population d’enquĂȘte, lesbesoins al imentaires sont encore importants malgrĂ©la distribution de l’aide alimentaire; et les droitshumains Ă©lĂ©mentaires sont constamment violĂ©scomme l’explique l ’un d’entre eux «A cause de lafaim, nous tentons par moment de rentrer dans laforĂȘt pour al ler chercher la nourriture, mais noussommes battus par les agents de l’OIPR».Au-delĂ  des questions de droit que soulĂšve lasituation des dĂ©placĂ©s internes du Mont PĂ©ko, laquestion de la cohabitation fragile entre communautĂ©allogĂšne et communautĂ© autochtones rĂ©sulte faut-i l lerappeler aussi des questions fonciĂšres et politiques.GĂ©nĂ©ralement «les rapports entre les autochtones etles migrants se durcissent et s’amplifient au fur et Ă mesure que la terre se rarĂ©fie» (5). Or dans la rĂ©giondu GUEMON, la culture du cacao a entrainĂ© unesaturation fonciĂšre de sorte que l’acquisition denouvelles terres de culture devient diffici le pour lesnombreux migrants en quĂȘte de terre. De mĂȘme,avec les crises politiques rĂ©currentes qui s’ invitentdans le monde rural et surtout dans les zones deproduction cacaoyĂšres ou la pression fonciĂšre estforte, les tensions fonciĂšres vont s’accroitre. Parexemple, «la lutte politique tendue entre le principalparti d’opposition FPI – ancrĂ© dans la rĂ©gionforestiĂšre de l’Ouest et du Centre-Ouest – et le PDCIsoutenu traditionnellement par les BaoulĂ© suscita desaffrontements entre migrants et autochtones. Enoctobre 1 995, les tensions Ă©lectorales entre le PDCIau pouvoir et l ’opposition (FPI-RDR) ont dĂ©bouchĂ©sur des affrontements entre BĂ©tĂ© et BaoulĂ© Ă Gagnoa, Ouragahio, GuibĂ©roua dans le Centre-Ouest. I ls se sont conclus par la fuite de 5'000Baoulé» (1 ). Tout comme en 1 995, la situation dumont PĂ©ko est la manifestation de la crise politique etde l’opposition entre des populations autochtonesfavorables au FPI et au pouvoir de Laurent GBAGBOet des allogĂšnes Mossi accusĂ©s de soutenir larĂ©bell ion. Finalement l ’on se rend compte qu’au-delĂ des simples confl its fonciers qui perturbent parmoments les relations entre les diffĂ©rentescommunautĂ©s, i l s’agit plus des rĂšglements decomptes politiques entre fractions rivales. On a notĂ©dans ce cas-ci, que suite aux attaques et meurtresperpĂ©trĂ©s par les mil ices pro rĂ©gimes d’alors contreles paysans BurkinabĂ© dans leur campement dans lanuit du 8 au 9 janvier 2005, ces derniers riposteront Ă l ’occasion de la crise poste Ă©lectorale.

En effet, sous la direction de leur chef AmadeOueiremi, i ls organisent une expĂ©dition meurtriĂšre auquartier carrefour de DuĂ©kouĂ© le 28 mars 2011 (6).L’ intrusion de la politique dans la question fonciĂšre acontribuĂ© Ă  dĂ©tĂ©riorer les rapports intercommunautaires dans la zone du Mont PĂ©ko. Nuldoute que le souci de regroupement descommunautĂ©s allogĂšnes, qui existe depuislongtemps, mais qui a tendance Ă  se renforcers’inscrit dans un cadre de mĂ©fiance vis-Ă -vis desautochtones. Toutefois, la situation sĂ©curitaire n’estpas alarmante. Qu’i l s’agisse des autochtones ou desallogĂšnes sortis du Parc, tous estiment qu’ «i l n’y apas de problĂšme de cohabitation, i l n’y a pas depalabre entre nous, jusqu’à prĂ©sent nous vivons enbon voisinage».Cependant, «nous avons quelques craintes, car noussommes victimes de vols de produits al imentairesdans nos champs par les exfi ltrĂ©s. Avec la situationdiffici le dans laquelle i ls se trouvent on craint que lesvols se multipl ient» explique un responsableautochtone Ă  Yrozon. En tout Ă©tat de cause, lasituation de crise et de mĂ©fiance a poussĂ© denombreux autochtones propriĂ©taires terriens Ă remettre en cause «des contrats de transactions oude convention sous l ’ influence de mobiles exogĂšnestels que la cessation de dons, la rupture de mariage,le viei l l issement de vergers et la politisation de laquestion fonciĂšre» (5). Or, l ’ instal lation des allogĂšnesdans la plupart des rĂ©gions forestiĂšres Ă©tait favorisĂ©edepuis toujours par les tuteurs autochtones. «Dansles vil lages, l ’ instal lation de l’étranger est rĂ©al isĂ©e parson tuteur autochtone. Ce dernier pouvait l ’accueil l irsous son toit ou dans sa cour, lui donner une femme,lui cĂ©der une parcelle de la terre famil iale oul ignagĂšre pour son alimentation. Le chef de terrefaisait don de la terre aux migrants sur la base d’unereconnaissance morale implicite. En acceptant cesdons, l ’étranger accepte par la mĂȘme occasiond’intĂ©grer la famil le, le l ignage et la communautĂ©d’accueil autant que les gĂ©nies de ces entitĂ©s.GĂ©nĂ©ralement, le bĂ©nĂ©ficiaire gratifiait son donateurde quelques boissons pour sceller l ’al l iance. C’estdans ce schĂ©ma de fraternitĂ© qu’à Tabou, lesal logĂšnes dagari et lobi se sont instal lĂ©sprogressivement dans la tribu Hompo au dĂ©but desannĂ©es 1 970» (2). Cette tradition fraternel le, qui alongtemps caractĂ©risĂ©e la cohabitationintercommunautaire dans les zones de productioncacaoyĂšre s’est profondĂ©ment effritĂ©e sous l ’ influencedes crises fonciĂšres et particul iĂšrement des crisespolitiques qui font de l ’étranger un homme craint etredoutĂ© pour les autochtones.

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Conclusion

Au terme de cette Ă©tude, i l ressort que 84% desdĂ©placĂ©s internes du Mont PĂ©ko n’ont pas accĂšs Ă  denouvelles terres de culture aprĂšs leur expulsion duparc. I ls se retrouvent par consĂ©quent dans unesituation oĂč, i ls ne peuvent assurer eux-mĂȘmes defaçon satisfaisante et durable leur al imentation etcel le de leur famil le. Ce qui confirme l’hypothĂšseformulĂ©e dĂšs le dĂ©part, qui stipule que "lespopulations dĂ©placĂ©es du Mont PĂ©ko n’ont pas accĂšsĂ  des terres agricoles pour assurer leur al imentationdu fait de la pression fonciĂšre dans cet espace". Parail leurs, la crise des dĂ©placĂ©s du Mont PĂ©ko se situedans le contexte de la crise mil itaro-politiquedĂ©clenchĂ©e en cĂŽte d’Ivoire depuis septembre 2002.

Celle-ci n’a pas manquĂ© de dĂ©tĂ©riorer les relationsintercommunautaires dĂ©jĂ  fragil isĂ©es par lesincessants confl its fonciers entre autochtones etal logĂšnes dans une rĂ©gion oĂč la pression fonciĂšrel imite les opportunitĂ©s d’accĂšs Ă  la terre.En tout Ă©tat de cause, la sauvegarde de la forĂȘtclassĂ©e du Mont PĂ©ko soulĂšve de nombreusesquestions qui appellent la contribution des sciencesdiverses (le Droit, la sociologie, la criminologie, lessciences environnementales, etc.), mais, qui doiventĂȘtre complĂ©mentaire en vue d’une solution durable.

K.G. N’guessan, Ivoirien, PhD, Enseignant-chercheur, UniversitĂ© Jean Lorougnon-Guede, Daloa, CĂŽte d’Ivoire.

K.R. Oura, , Ivoirien, PhD, ChargĂ© de recherche, UniversitĂ© Alassane Ouattara, Centre de Recherche pour le DĂ©veloppement, Bouake, CĂŽte d’Ivoire.

A.D.F.V. Loba, Ivoirien, PhD, Enseignant-chercheur, UniversitĂ© FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny, Institut de GĂ©ographie Tropicale, Abidjan, CĂŽte d’Ivoire.

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