1 Pensees Voyages en Orien Lamartine

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Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient, 1832-1833, ou Note d'un voyageur Par Alphonse De Lamartine AVERTISSEMENT Ceci n' est ni un livre, ni un voyage ; je n' ai jamais pensé à écrire l' un ou l' autre. Un livre, ou plutôt un poëme sur l' orient, M De Chateaubriand l' a fait dans l' itinéraire ; ce grand écrivain et ce grand poëte n' a fait que passer sur cette terre de prodiges, mais il a imprimé pour toujours la trace du génie sur cette poudre que tant de siècles ont remuée. Il est allé à Jérusalem en pèlerin et en chevalier, la bible, l' évangile et les croisades à la main. J' y ai passé seulement en poëte et en philosophe ; j' en ai rapporté de profondes impressions dans mon coeur, de hauts et terribles enseignements dans mon esprit. Les études que j' y ai faites sur les religions, l' histoire, les moeurs, les traditions, les phases de l' humanité, ne sont pas perdues pour moi. Ces études, qui élargissent l' horizon si étroit de la pensée, qui posent devant la raison les grands problèmes religieux et historiques, qui forcent l' homme à revenir sur ses pas, à scruter ses convictions sur parole, à s' en formuler de nouvelles ; cette grande et intime éducation de la pensée par la pensée, par les

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Lamartine, Voyages en Orient

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  • Souvenirs, impressions, penses et paysages pendant un voyage en Orient, 1832-1833, ou Note d'un voyageur

    Par Alphonse De Lamartine

    AVERTISSEMENT

    Ceci n' est ni un livre, ni un voyage ; je n' aijamais pens crire l' un ou l' autre. Un livre, ouplutt un pome sur l' orient, M De Chateaubriandl' a fait dans l' itinraire ; ce grand crivainet ce grand pote n' a fait que passer sur cetteterre de prodiges, mais il a imprim pour toujoursla trace du gnie sur cette poudre que tant desicles ont remue. Il est all Jrusalem enplerin et en chevalier, la bible, l' vangile etles croisades la main. J' y ai pass seulement enpote et en philosophe ; j' en ai rapport deprofondes impressions

    dans mon coeur, de hauts et terribles enseignementsdans mon esprit. Les tudes que j' y ai faites surles religions, l' histoire, les moeurs, lestraditions, les phases de l' humanit, ne sont pasperdues pour moi. Ces tudes, qui largissentl' horizon si troit de la pense, qui posent devantla raison les grands problmes religieux ethistoriques, qui forcent l' homme revenir sur sespas, scruter ses convictions sur parole, s' enformuler de nouvelles ; cette grande et intimeducation de la pense par la pense, par les

  • lieux, par les faits, par les comparaisons destemps avec les temps, des moeurs avec les moeurs,des croyances avec les croyances, rien de tout celan' est perdu pour le voyageur, le pote ou lephilosophe ; ce sont les lments de sa posie etde sa philosophie venir. Quand il a amass,class, ordonn, clair, rsum l' innombrablemultitude d' impressions, d' images, de penses, quela terre et les hommes parlent qui les interroge ;quand il a mri son me et ses convictions, ilparle son tour ; et, bonne ou mauvaise, juste oufausse, il donne sa pense sa gnration, ousous la forme de pome, ou sous la formephilosophique. Il dit son mot, ce mot que touthomme qui pense est appel dire. Ce momentviendra peut-tre pour moi : il n' est pas venuencore.

    Quant un voyage, c' est--dire une descriptioncomplte et fidle des pays qu' on a parcourus, desvnements personnels qui sont arrivs au voyageur,de l' ensemble des impressions des lieux, des hommeset des moeurs, sur eux, j' y ai encore moins song.Pour l' orient, cela est fait aussi ; cela est faiten Angleterre, et cela se fait en France en cemoment, avec une conscience, un talent et un succsque je n' aurais pu me flatter de surpasser :M De Laborde crit et dessine avec le talent duvoyageur en Espagne, et le pinceau de nos premiersartistes ; M Fontanier, consul Trbisonde,nous donne successivement des portraits exacts etvivants des parties les moins explores de l' empireottoman ; et la correspondance d' orient , parM Michaud, de l' acadmie franaise, et par sonjeune et brillant collaborateur, M Poujoulat,satisfait compltement tout ce que la curiosithistorique, morale et pittoresque, peut dsirer surl' orient. M Michaud, crivain expriment, homme

  • fait, historien classique, enrichit la descriptiondes lieux qu' il parcourt de tous les souvenirs,vivants pour lui, des croisades ; il fait lacritique des lieux par l' histoire, et de l' histoirepar les lieux ; son esprit mr et analytique sefait jour travers le pass comme travers lesmoeurs des peuples qu' il visite, et rpand le selde sa piquante

    et gracieuse sagesse sur les moeurs, les coutumes,les civilisations qu' il parcourt ; c' est l' hommeavanc en intelligence et en annes, conduisant lejeune homme par la main, et lui montrant, avec lesourire de la raison et de l' ironie, des scnesnouvelles pour lui. M Poujoulat est un pote etun coloriste ; son style, frapp de l' impressionet de la teinte des lieux, les rflchit toutclatants et tout chauds de la lumire locale. Onsent que le soleil d' orient luit et chauffe encoredans sa pense jeune et fconde, pendant qu' ilcrit son ami ; ses pages sont des blocs du paysmme, qu' il nous rapporte tout rayonnants de leursplendeur native. La diversit de ces deux talents,s' achevant l' un par l' autre, fait de lacorrespondance d' orient le recueil le pluscomplet que nous puissions dsirer sur cetadmirable pays : c' est aussi la lecture la plusvarie et la plus attrayante.Pour la gographie, nous avons peu de choses encore :mais les travaux de M Caillet, jeune officierd' tat-major, que j' ai rencontr en Syrie, serontsans doute publis bientt, et complteront pournous le tableau de cette partie du monde.M Caillet a pass trois ans explorer l' le deChypre, la Caramanie, les diffrentes parties dela Syrie, avec

  • ce zle et cette intrpidit qui caractrisent lesofficiers instruits de l' arme franaise. Rentrdepuis peu dans sa patrie, il lui rapporte desnotions qui eussent t bien utiles l' expditionde Bonaparte, et qui peuvent en prparer d' autres.Les notes que j' ai consenti donner ici auxlecteurs n' ont aucun de ces mrites. Je les livre regret ; elles ne sont bonnes rien qu' messouvenirs ; elles n' taient destines qu' moiseul. Il n' y a l ni science, ni histoire, nigographie, ni moeurs ; le public tait bien loinde ma pense quand je les crivais : et commentles crivais-je ? Quelquefois midi, pendant lerepos du milieu du jour, l' ombre d' un palmier ousous les ruines d' un monument du dsert ; plussouvent le soir, sous notre tente battue du ventou de la pluie, la lueur d' une torche de rsine ;un jour, dans la cellule d' un couvent maronite duLiban ; un autre jour, au roulis d' une barquearabe, ou sur le pont d' un brick, au milieu descris des matelots, des hennissements des chevaux,des interruptions, des distractions de tout genred' un voyage sur terre ou sur mer ; quelquefoishuit jours sans crire ; d' autres fois perdant lespages parses d' un album dchir par les chacals,ou tremp de l' cume de la mer.

    Rentr en Europe, j' aurais pu sans doute revoirces fragments d' impressions, les runir, lesproportionner, les composer, et faire un voyagecomme un autre. Mais, je l' ai dj dit, un voyage crire n' tait pas dans ma pense. Il fallaitdu temps, de la libert d' esprit, de l' attention,du travail ; je n' avais rien de tout cela donner.Mon coeur tait bris, mon esprit tait ailleurs,mon attention distraite, mon loisir perdu ; ilfallait ou brler ou laisser aller ces notes telles

  • quelles. Des circonstances inutiles expliquerm' ont dtermin ce dernier parti ; je m' en repens,mais il est trop tard.Que le lecteur les ferme donc avant de les avoirparcourues, s' il y cherche autre chose que les plusfugitives et les plus superficielles impressionsd' un voyageur qui marche sans s' arrter. Il ne peuty avoir un peu d' intrt que pour des peintres :ces notes sont presque exclusivement pittoresques ;c' est le regard crit, c' est le coup d' oeil d' unpassager assis sur son chameau ou sur le pont deson navire, qui voit fuir des paysages devant lui,et qui, pour s' en souvenir le lendemain, jettequelques coups de crayon sans couleur sur les pagesde son journal. Quelquefois le voyageur, oubliantla scne qui l' environne, se replie sur lui-mme,se parle lui-mme,

    s' coute lui-mme penser, jouir ou souffrir ; ilgrave aussi alors un mot de ses impressionslointaines, pour que le vent de l' ocan ou dudsert n' emporte pas sa vie tout entire, et qu' illui en reste quelque trace dans un autre temps,rentr au foyer solitaire, cherchant ranimer unpass mort, rchauffer des souvenirs froids, renouer les chanons d' une vie que les vnementsont brise tant de places. Voil ces notes : del' intrt, elles n' en ont point ; du succs, ellesne peuvent point en avoir ; de l' indulgence, ellesn' ont que trop de droits en rclamer.

    Marseille, 20 mai 1832.Ma mre avait reu de sa mre au lit de mort unebelle bible de Royaumont dans laquelle ellem' apprenait lire, quand j' tais petit enfant.Cette bible avait des gravures de sujets sacrs

  • toutes les pages. C' tait Sara, c' tait Tobieet son ange, c' tait Joseph ou Samuel, c' taitsurtout ces belles scnes patriarcales o la naturesolennelle et primitive de l' orient tait mle tous les actes de cette vie simple et merveilleusedes premiers hommes. Quand j' avais bien rcit maleon et lu peu prs sans faute la demi-page del' histoire sainte, ma mre dcouvrait la gravure,et, tenant le livre ouvert sur ses genoux, me lafaisait contempler

    en me l' expliquant, pour ma rcompense. Elle taitdoue par la nature d' une me aussi pieuse quetendre, et de l' imagination la plus sensible et laplus colore ; toutes ses penses taientsentiments, tous ses sentiments taient images ;sa belle et noble et suave figure rflchissait,dans sa physionomie rayonnante, tout ce qui brlaitdans son coeur, tout ce qui se peignait dans sapense ; et le son argentin, affectueux, solennelet passionn de sa voix, ajoutait tout ce qu' elledisait un accent de force, de charme et d' amour,qui retentit encore en ce moment dans mon oreille,hlas ! Aprs six ans de silence ! La vue de cesgravures, les explications et les commentairespotiques de ma mre, m' inspiraient ds la plustendre enfance des gots et des inclinationsbibliques. De l' amour des choses au dsir de voirles lieux o ces choses s' taient passes, il n' yavait qu' un pas. Je brlais donc, ds l' ge dehuit ans, du dsir d' aller visiter ces montagneso Dieu descendait ; ces dserts o les angesvenaient montrer Agar la source cache, pourranimer son pauvre enfant banni et mourant de soif ;ces fleuves qui sortaient du paradis terrestre ;ce ciel o l' on voyait descendre et monter lesanges sur l' chelle de Jacob. Ce dsir ne s' taitjamais teint en moi : je rvais toujours, depuis,

  • un voyage en orient, comme un grand acte de mavie intrieure : je construisais ternellement dansma pense une vaste et religieuse pope dont cesbeaux lieux seraient la scne principale ; il mesemblait aussi que les doutes de l' esprit, que lesperplexits religieuses devaient trouver l leursolution et leur apaisement. Enfin, je devais ypuiser des couleurs pour mon pome ; car la viepour mon esprit fut toujours un grand pome, commepour mon coeur elle fut de l' amour. Dieu, amour etposie, sont les trois mots

    que je voudrais seuls gravs sur ma pierre, si jemrite jamais une pierre.Voil la source de l' ide qui me chasse maintenantvers les rivages de l' Asie. Voil pourquoi je suis Marseille et je prends tant de peine pourquitter un pays que j' aime, o j' ai des amis, oquelques penses fraternelles me pleureront et mesuivront.Marseille, 22 mai.J' ai nolis un navire de deux cent cinquantetonneaux, de dix-neuf hommes d' quipage. Lecapitaine est un homme excellent. Sa physionomiem' a plu. Il a dans la voix cet accent grave etsincre de la probit ferme et de la consciencenette : il a de la gravit dans l' expression de laphysionomie, et dans le regard ce rayon droit,franc et vif, symptme certain d' une rsolutionprompte, nergique et intelligente. C' est de plusun homme doux, poli et bien lev. Je l' ai examinavec le soin que l' on doit naturellement apporterdans le choix d' un homme qui l' on va confiernon-seulement sa fortune et sa vie, mais la vie desa femme et d' un enfant unique, o la vie des troistres est concentre dans une seule. Que Dieunous garde et nous ramne !

  • Le navire se nomme l' Alceste . Le capitaineest M Blanc, de La Ciotat. L' armateur est undes plus dignes ngociants de Marseille,M Bruno-Rostand. Il nous comble de prvenanceset de bonts. Il a rsid lui-mme longtemps dansle levant. Homme instruit et capable des emploisles plus minents, dans sa ville natale sa probitet ses talents lui ont acquis une considrationgale sa fortune. Il en jouit sans ostentation,et, entour d' une famille charmante, il ne s' occupequ' rpandre parmi ses enfants les traditions deloyaut et de vertu. Quel pays que celui o l' ontrouve de pareilles familles dans toutes les classesde la socit ! Et quelle belle institution quecelle de la famille qui protge, conserve, perptuela mme saintet de moeurs, la mme noblesse desentiments, les mmes qualits traditionnellesdans la chaumire, dans le comptoir ou dans lechteau !25 mai.Marseille nous accueille comme si nous tions desenfants de son beau ciel ; c' est un pays degnrosit, de coeur et de posie d' me ; ilsreoivent les potes en frres ; ils sont poteseux-mmes, et j' ai trouv parmi les hommes ducommun de la socit, de l' acadmie, et parmi lesjeunes gens qui entrent peine dans la vie, unefoule de caractres et de talents qui sont faitspour honorer non-seulement

    leur patrie, mais la France entire. -le midi etle nord de la France me paraissent, sous ce rapport,bien suprieurs aux provinces centrales.L' imagination languit dans les rgionsintermdiaires, dans les climats trop temprs ; illui faut des excs de temprature. La posie est

  • fille du soleil ou des frimas ternels : Homre ouOssian, Le Tasse ou Milton.30 mai.J' emporterai dans mon coeur une ternelle mmoirede la bienveillance des marseillais. Il semblequ' ils veuillent augmenter en moi ces angoissesqui serrent le coeur quand on va quitter la patriesans savoir si on la reverra jamais. Je veuxemporter aussi le nom de ces hommes qui m' ont leplus particulirement accueilli, et dont le souvenirme restera comme la dernire et douce impressiondu sol natal : M J Freyssinet, M De Montgrand,Mm De Villeneuve, M Vangaver, M Autran,M Dufeu, M Jauffret, etc., etc., tous hommesdistingus par une qualit minente du coeur et del' esprit, savants, administrateurs, crivains oupotes. Puiss-je les revoir, et leur payer monretour tous ces tributs de reconnaissance etd' amiti qu' il est si doux de devoir et si douxd' acquitter !

    Voici des vers que j' ai crits ce matin en mepromenant sur la mer, entre les les de Pomgueet la cte de Provence ; c' est un adieu Marseille, que je quitte avec des sentiments defils. Il y a aussi quelques strophes qui portentplus avant et plus loin dans mon coeur.

    ADIEU HOMMAGE ACADEM MARSEILLE

    Si j' abandonne aux plis de la voile rapidece que m' a fait le ciel de paix et de bonheur ;si je confie aux flots de l' lment perfideune femme, un enfant, ces deux parts de mon coeur ;si je jette la mer, aux sables, aux nuages,tant de doux avenirs, tant de coeurs palpitants,d' un retour incertain sans avoir d' autres gages

  • qu' un mt pli par les autans ;ce n' est pas que de l' or l' ardente soif s' allumedans un coeur qui s' est fait un plus noble trsor ;ni que de son flambeau la gloire me consumede la soif d' un vain nom plus fugitif encor ;ce n' est pas qu' en nos jours la fortune du Danteme fasse de l' exil amer manger le sel,ni que des factions la colre inconstanteme brise le seuil paternel :

    non, je laisse en pleurant, aux flancs d' une valle,des arbres chargs d' ombre, un champ, une maisonde tides souvenirs encor toute peuple,que maint regard ami salue l' horizon.J' ai sous l' abri des bois de paisibles asileso ne retentit pas le bruit des factions,o je n' entends, au lieu des temptes civiles,que joie et bndictions.Un vieux pre, entour de nos douces images,y tressaille au bruit sourd du vent dans les crneaux,et prie, en se levant, le matre des oragesde mesurer la brise l' aile des vaisseaux ;de pieux laboureurs, des serviteurs sans matre,cherchent du pied nos pas absents sur le gazon,et mes chiens au soleil, couchs sous ma fentre,hurlent de tendresse mon nom.J' ai des soeurs qu' allaita le mme sein de femme,rameaux qu' au mme tronc le vent devait bercer ;j' ai des amis dont l' me est du sang de mon me,qui lisent dans mon oeil et m' entendent penser ;j' ai des coeurs inconnus, o la muse m' coute,mystrieux amis qui parlent mes vers,invisibles chos rpandus sur ma routepour me renvoyer des concerts.Mais l' me a des instincts qu' ignore la nature,semblables l' instinct de ces hardis oiseauxqui leur fait, pour chercher une autre nourriture,traverser d' un seul vol l' abme aux grandes eaux.

  • Que vont-ils demander aux climats de l' aurore ?N' ont-ils pas sous nos toits de la mousse et desnids ?Et, des gerbes du champ que notre soleil dore,l' pi tomb pour leurs petits ?

    Moi, j' ai comme eux le pain que chaque jour demande.J' ai comme eux la colline et le fleuve cumeux ;de mes humbles dsirs la soif n' est pas plus grande.Et cependant je pars et je reviens comme eux.Mais, comme eux, vers l' aurore une force m' attire ;mais je n' ai pas touch de l' oeil et de la maincette terre de Cham, notre premier empire,dont Dieu ptrit le coeur humain.Je n' ai pas navigu sur l' ocan de sable,au branle assoupissant du vaisseau du dsert,je n' ai pas tanch ma soif intarissable,le soir, au puits d' Hbron de trois palmiers couvert ;je n' ai pas tendu mon manteau sous les tentes,dormi dans la poussire o Dieu retournait Job,ni la nuit, au doux bruit d' toiles palpitantes,rv les rves de Jacob.Des sept pages du monde une me reste lire :je ne sais pas comment l' toile y tremble aux cieux,sous quel poids de nant la poitrine respire,comment le coeur palpite en approchant des dieux !Je ne sais pas comment, au pied d' une colonned' o l' ombre des vieux jours sur le barde descend,l' herbe parle l' oreille, ou la terre bourdonne,ou la brise pleure en passant.Je n' ai pas entendu dans les cdres antiquesles cris des nations monter et retentir,ni vu du haut Liban les aigles prophtiquess' abattre, au doigt de Dieu, sur les palais de Tyr ;je n' ai pas repos ma tte sur la terreo Palmyre n' a plus que l' cho de son nom,ni fait sonner au loin, sous mon pied solitaire,l' empire vide de Memnon.

  • Je n' ai pas entendu, du fond de ses abmes,le Jourdain lamentable lever ses sanglots,pleurant avec des pleurs et des cris plus sublimesque ceux dont Jrmie pouvanta ses flots ;je n' ai pas cout chanter en moi mon medans la grotte sonore o le barde des roissentait au sein des nuits l' hymne la main de flammearracher la harpe ses doigts.Et je n' ai pas march sur des traces divines,dans ce champ o le Christ pleura sous l' olivier ;et je n' ai pas cherch ses pleurs sur les racinesd' o les anges jaloux n' ont pu les essuyer !Et je n' ai pas veill pendant des nuits sublimesau jardin o, suant sa sanglante sueur,l' cho de nos douleurs et l' cho de nos crimesretentirent dans un seul coeur !Et je n' ai pas couch mon front dans la poussireo le pied du sauveur en partant s' imprima ;et je n' ai pas us sous mes lvres la pierreo, de pleurs embaum, sa mre l' enferma !Et je n' ai pas frapp ma poitrine profondeaux lieux o, par sa mort conqurant l' avenir,il ouvrit ses deux bras pour embrasser le monde,et se pencha pour le bnir !Voil pourquoi je pars, voil pourquoi je jouequelque reste de jours inutile ici-bas.Qu' importe sur quel bord le vent d' hiver secouel' arbre strile et sec, et qui n' ombrage pas ?L' insens ! Dit la foule. -elle-mme insense !Nous ne trouvons pas tous notre pain en tout lieu ;du barde voyageur le pain, c' est la pense :son coeur vit des oeuvres de Dieu !

    Adieu donc, mon vieux pre ; adieu, mes soeurschries ;

  • adieu, ma maison blanche l' ombre du noyer ;adieu, mes beaux coursiers oisifs dans mes prairies ;adieu, mon chien fidle, hlas ! Seul au foyer !Votre image me trouble, et me suit comme l' ombrede mon bonheur pass, qui veut me retenir :ah ! Puisse se lever moins douteuse et moins sombrel' heure qui doit nous runir !Et toi, terre livre plus de vents et d' ondeque le frle navire o flotte mon destin,terre qui porte en toi la fortune du monde,adieu ! Ton bord chappe mon oeil incertain.Puisse un rayon du ciel dchirer le nuagequi couvre trne et temple, et peuple et libert,et rallumer plus pur sur ton sacr rivageton phare d' immortalit !Et toi, Marseille, assise aux portes de la Francecomme pour accueillir ses htes dans tes eaux,dont le port sur ces mers, rayonnant d' esprance,s' ouvre comme un nid d' aigle aux ailes des vaisseaux ;o ma main presse encor plus d' une main chrie,o mon pied suspendu s' attache avec amour,reois mes derniers voeux en quittant la patrie,mon premier salut au retour !

    13 juin.Nous avons t visiter notre navire, notre maisonpour tant de mois ! Il est distribu en petitescabines o nous avons place pour un hamac et pourune malle. Le capitaine a fait percer de petitesfentres qui donnent un peu de lumire et d' airaux cabines, que nous pourrons ouvrir lorsque lavague ne sera pas haute, ou que le brick ne secouchera pas sur le flanc. La grande chambre estrserve pour Madame De Lamartine et pour Julia.Les femmes de chambre coucheront dans la petitechambre du capitaine, qu' il a bien voulu nous cder.Comme la saison est belle, on mangera sur le pont,sous une tente dresse au pied du grand mt. Le

  • brick est encombr de provisions de tout genre quencessite un voyage de deux ans dans des pays sansressources. Une bibliothque de cinq cents volumes,tous choisis dans les livres d' histoire, de posieou de voyage, c' est le plus bel ornement de la plusgrande chambre. Des faisceaux d' armes sont groupsdans les coins, et j' ai achet, en outre, unarsenal particulier de fusils, de pistolets et desabres pour armer nous et nos gens. Les piratesgrecs infestent les mers de l' Archipel ; noussommes dtermins combattre outrance, et neles laisser aborder qu' aprs avoir perdu la vie.J' ai dfendre deux vies qui me sont plus chresque la mienne. Quatre canons sont sur le pont ; etl' quipage, qui connat le sort rserv par lesgrecs aux

    malheureux matelots qu' ils surprennent, est dcid mourir plutt que de se rendre eux.17 juin 1832.J' emmne avec moi trois amis. Le premier est un deces hommes que la providence attache nos pasquand elle prvoit que nous aurons besoin d' unappui qui ne flchisse pas sous le malheur ou sousle pril : Amde De Parseval. Nous avons tlis ds notre plus tendre jeunesse par une affectionqu' aucune poque de notre vie n' a trouve en dfaut.Ma mre l' aimait comme un fils ; je l' ai aim commeun frre. Toutes les fois que j' ai t frapp d' uncoup du sort, je l' ai trouv l, ou je l' ai vuarriver pour en prendre sa part, la part principale,le malheur tout entier, s' il l' avait pu. C' est uncoeur qui ne vit que du bonheur ou qui ne souffreque du malheur des autres. Quand j' tais, il y aquinze ans, Paris, seul, malade, ruin, dsespret mourant, il passait les nuits veiller auprs dema lampe d' agonie. Quand j' ai perdu quelque treador, c' est lui toujours qui est venu me porter le

  • coup pour me l' adoucir. la mort de ma mre, ilarriva auprs de moi aussitt que la fatale nouvelle,et me conduisit de deux cents lieues jusqu' autombeau o j' allai vainement chercher le suprmeadieu qu' elle m' avait adress, mais que je n' avaispas entendu !

    Plus tard... mais mes malheurs ne sont pas finis, etje retrouverai son amiti tant qu' il y aura dudsespoir tancher dans mon coeur, des larmes mler aux miennes.Deux hommes bons, spirituels, instruits, deux hommesd' lite, sont arrivs aussi pour nous accompagnerdans ce plerinage. L' un est M De Capmas,sous-prfet, priv de sa carrire par la rvolutionde juillet, et qui a prfr les chances prcairesd' un avenir pnible et incertain la conservationde sa place. Un serment aurait rpugn saloyaut, par l mme qu' il et sembl intress.C' est un de ces hommes qui ne calculent rien devantun scrupule de l' honneur, et chez qui lessympathies politiques ont toute la chaleur et lavirginit d' un sentiment.L' autre de nos compagnons est un mdecind' Hondschoote, M De La Royre. Je l' ai connuchez ma soeur, l' poque o je mditais ce dpart.La puret de son me, la grce originale et navede son esprit, l' lvation de ses sentimentspolitiques et religieux, me frapprent. Je dsirail' emmener avec moi, bien plus comme ressource moraleque comme providence de sant. Je m' en suisflicit depuis. Je mets bien plus de prix soncaractre et son esprit qu' ses talents,quoiqu' il en ait de trs-constats. Nous causonsensemble de politique bien plus que de mdecine.Ses vues et ses ides sur le prsent et l' avenirde la France sont larges, et nullement bornespar des affections ou des rpugnances de personnes.

  • Il sait que la providence ne fait point acceptionde parti dans son oeuvre, et il voit comme moi,dans la politique humaine, des ides et non pas desnoms propres. Sa pense va au but, sans s' inquiterpar qui

    ou par o il faut passer ; et son esprit n' aaucun prjug, aucune prvention, pas mme ceuxde sa foi religieuse, qui est sincre et fervente.Six domestiques, presque tous anciens ou ns dansla maison paternelle, compltent notre quipage.Tous partent avec joie, et mettent ce voyage unintrt personnel. Chacun d' eux croit voyager pourlui-mme, et brave gaiement les fatigues et lesprils que je ne leur ai point dissimuls.En rade, mouill devant le petit golfe de Montredon,le 10 juillet 1832.Je suis parti : les flots ont maintenant toute notredestine. Je ne tiens plus la terre natale quepar la pense des tres chris que j' y laisseencore, par la pense surtout de mon pre et demes soeurs.Pour m' expliquer moi-mme comment, touchant dj la fin de ma jeunesse, cette poque de la vieo l' homme se retire du monde idal pour entrer dansle monde des intrts matriels, j' ai quitt mabelle et paisible existence de Saint-Point, ettoutes les innocentes dlices du foyer domestiquecharm par une femme, embelli par un enfant ; pourm' expliquer,

    dis-je, moi-mme comment je vogue prsent surla vaste mer vers des bords et un avenir inconnus,je suis oblig de remonter la source de toutesmes penses, et d' y chercher les causes de messympathies et de mes gots voyageurs. -c' est que

  • l' imagination a aussi ses besoins et ses passions !Je suis n pote, c' est--dire plus ou moinsintelligent de cette belle langue que Dieu parle tous les hommes, mais plus clairement quelques-uns, par la voie de ses oeuvres. Jeune,j' avais entendu ce verbe de la nature, cette paroleforme d' images et non de sons, dans les montagnes,dans les forts, sur les lacs, aux bords des abmeset des torrents de mon pays et des Alpes ; j' avaismme traduit dans la langue crite quelques-uns deses accents qui m' avaient remu, et qui leur tourremuaient d' autres mes : mais ces accents ne mesuffisaient plus ; j' avais puis ce peu de parolesdivines que notre terre d' Europe jette l' homme ;j' avais soif d' en entendre d' autres sur des rivagesplus sonores et plus clatants. Mon imaginationtait amoureuse de la mer, des dserts, desmontagnes, des moeurs et des traces de Dieu dansl' orient. Toute ma vie l' orient avait t le rvede mes jours de tnbres dans les brumes d' automneet d' hiver de ma valle natale. Mon corps, commemon me, est fils du soleil ; il lui faut lalumire ; il lui faut ce rayon de vie que cet astredarde, non pas du sein dchir de nos nuagesd' occident, mais du fond de ce ciel de pourpre quiressemble la gueule de la fournaise ; ces rayonsqui ne sont pas seulement une lueur, mais quipleuvent tout chauds, qui calcinent, en tombant,les roches blanches, les dents tincelantes despics des montagnes, et qui viennent teindrel' ocan de rouge, comme un incendie flottant surses lames ! J' avais besoin de remuer, de

    ptrir dans mes mains un peu de cette terre quifut la terre de notre premire famille, la terredes prodiges ; de voir, de parcourir cette scnevanglique, o se passa le grand drame d' unesagesse divine aux prises avec l' erreur et la

  • perversit humaines ; o la vrit morale se fitmartyre pour fconder de son sang une civilisationplus parfaite ! Et puis j' tais, j' avais t,presque toujours, chrtien par le coeur et parl' imagination ; ma mre m' avait fait tel : j' avaisquelquefois cess de l' tre, dans les jours lesmoins bons et les moins purs de ma premirejeunesse ; le malheur et l' amour, l' amour completqui purifie tout ce qu' il brle, m' avaientgalement repouss plus tard dans ce premier asilede mes penses, dans ces consolations du coeurqu' on redemande ses souvenirs et ses esprances,quand tout le bruit du coeur tombe au dedans denous, quand tout le vide de la vie nous apparataprs une passion teinte, ou une mort qui ne nouslaisse rien aimer ! Ce christianisme de sentimenttait redevenu une douce habitude de ma pense ;je m' tais dit souvent moi-mme : " o est lavrit parfaite, vidente, incontestable ? Si elleest quelque part, c' est dans le coeur, c' est dansl' vidence sentie, contre laquelle il n' y a pas deraisonnement qui prvale. Mais la vrit del' esprit n' est complte nulle part ; elle est avecDieu, et non avec nous ; notre oeil est troptroit pour en absorber un seul rayon ; toutevrit, pour nous, n' est que relative ; ce qui serale plus utile aux hommes sera donc le plus vraiaussi ; la doctrine la plus fconde en vertusdivines sera donc celle qui contiendra le plus devrits divines, car ce qui est bon est vrai. "toute ma logique religieuse tait l ; maphilosophie ne montait pas plus haut ; ellem' interdisait les doutes, les dialoguesinterminables de la raison avec elle-mme ; elle

    me laissait cette religion du coeur, qui s' associesi bien avec tous les sentiments infinis de la viede l' me ; qui ne rsout rien, mais qui apaise tout.

  • 10 juillet, 7 heures du soir.Je me dis : " ce plerinage, sinon de chrtien, aumoins d' homme et de pote, aurait tant plu mamre ! Son me tait si ardente, et se colorait sivite et si compltement de l' impression des lieuxet des choses ! C' est elle dont l' me se seraitexalte devant ce thtre vide et sacr du granddrame de l' vangile, de ce drame complet, o lapartie humaine et la partie divine de l' humanitjouent chacune leur rle, l' une crucifiant, l' autrecrucifie ! Ce voyage du fils qu' elle aimait tantdoit lui sourire encore dans le sjour cleste oje la vois : elle veillera sur nous ; elle seplacera comme une seconde providence entre nous etles temptes, entre nous et le simon, entre nouset l' arabe du dsert ! Elle protgera contre tousles prils son fils, sa fille d' adoption, et sapetite-fille, ange visible de notre destine, quenous emmenons avec nous partout. Elle l' aimaittant ! Elle reposait son regard avec une siineffable tendresse, avec une volupt si pntrante,sur le visage charmant de cet enfant, la dernireet la plus belle esprance de ses nombreusesgnrations ! Et s' il y a imprudence dans cetteentreprise

    que nous avions souvent rve ensemble, elle me lafera pardonner l-haut en faveur des motifs, quisont : amour, posie et religion. "mme jour, le soir.La politique revient nous assaillir jusqu' ici : laFrance est belle voir dans un prochain avenir ;une gnration grandit, qui aura, par la vertu deson ge, un dtachement complet de nos rancunes etde nos rcriminations de quarante ans. Peu luiimporte qu' on ait appartenu telle ou tellednomination haineuse de nos vieux partis ; elle nefut pour rien dans les querelles ; elle n' a ni

  • prjugs ni vengeances dans l' esprit. Elle seprsente pure et pleine de force l' entre d' unenouvelle carrire, avec l' enthousiasme d' une ide ;mais cette carrire, nous la remplissons encorede nos haines, de nos passions, de nos vieillesdisputes. Faisons-lui place. Que j' aurais aim y entrer en son nom ; mler ma voix la sienne cette tribune qui ne retentit encore que deredites sans cho dans l' avenir, o l' on se batavec des noms d' hommes ! L' heure serait venued' allumer le phare de la raison et de la moralesur nos temptes politiques, de formuler le nouveausymbole social que le monde commence pressentiret comprendre : le symbole d' amour et de charitentre les hommes, la politique vanglique ! Je

    ne me reproche du moins pour ma part aucun gosme cet gard ; j' aurais sacrifi ce devoir monvoyage mme, ce rve de mon imagination de seizeans ! Que le ciel suscite des hommes ! Car notrepolitique fait honte l' homme, fait pleurer lesanges. La destine donne une heure par sicle l' humanit pour se rgnrer ; cette heure, c' estune rvolution, et les hommes la perdent s' entre-dchirer ; ils donnent la vengeancel' heure donne par Dieu la rgnration et auprogrs !Mme jour, toujours l' ancre.La rvolution de juillet, qui m' a profondmentafflig, parce que j' aimais de race la vieille etvnrable famille des Bourbons, parce qu' ilsavaient eu l' amour et le sang de mon pre, de mongrand-pre, de tous mes parents, parce qu' ilsauraient eu le mien s' ils l' avaient voulu, cettervolution ne m' a cependant pas aigri, parce qu' ellene m' a pas tonn. Je l' ai vue venir de loin ; neufmois avant le jour fatal, la chute de la monarchienouvelle a t crite pour moi dans les noms des

  • hommes qu' elle chargeait de la conduire. Ceshommes taient dvous et fidles, mais taient d' unautre sicle, d' une autre pense : tandis quel' ide du sicle marchait dans un sens, ils allaientmarcher dans un autre ; la sparation taitconsomme dans l' esprit, elle ne pouvait

    tarder dans les faits ; c' tait une affaire de jourset d' heures. J' ai pleur cette famille, quisemblait condamne la destine et la ccitd' Oedipe ! J' ai dplor surtout ce divorce sansncessit entre le pass et l' avenir ! L' un pouvaittre si utile l' autre ! La libert, le progrssocial, auraient emprunt tant de force de cetteadoption que les anciennes maisons royales, lesvieilles familles, les vieilles vertus, auraientfaite d' eux ! Il et t si politique et si douxde ne pas sparer la France en deux camps, endeux affections ; de marcher ensemble, les unspressant le pas, les autres le ralentissant pourne pas se dsunir en route ! Tout cela n' est plusqu' un rve ! Il faut le regretter, mais il ne fautpas perdre le jour le repasser inutilement. Ilfaut agir et marcher ; c' est la loi des choses,c' est la loi de Dieu ! Je regrette que ce qu' onnomme le parti royaliste, qui renferme tant decapacits, d' influence et de vertus, veuille faireune halte dans la question de juillet. Il n' taitpas compromis dans cette affaire, affaire depalais, d' intrigue, de coterie, o la grandemajorit royaliste n' avait eu aucune part. Il esttoujours permis, toujours honorable de prendre sapart du malheur d' autrui ; mais il ne faut pasprendre gratuitement sa part d' une faute que l' onn' a pas commise. Il fallait laisser qui larevendique la faute des coups d' tat et de ladirection rtrograde, plaindre et pleurer lesaugustes victimes d' une erreur fatale, ne rien

  • renier des affections honorables pour eux, ne pointrepousser les esprances loignes, mais lgitimes ;et pour tout le reste rentrer dans les rangs descitoyens, penser, parler, agir, combattre avec lafamille des familles, avec le pays ! Mais laissonscela ! Nous reverrons la France dans deux ans. QueDieu la protge, et tout ce que nous y laissons decher et d' excellent dans tous les partis !

    11 juillet 1832, la voile.Aujourd' hui, cinq heures et demie du matin, nousavons mis la voile. Quelques amis de peu de jours,mais de beaucoup d' affection, avaient devanc lesoleil pour nous accompagner quelques milles enmer, et nous porter plus loin leur adieu. Notrebrick glissait sur une mer aplanie, limpide etbleue, comme l' eau d' une source l' ombre dans lecreux d' un rocher. peine le poids des vergues, ceslongs bras du navire chargs de voiles,faisaient-ils lgrement incliner tantt un bord,tantt un autre. Un jeune homme de Marseille nousrcitait des vers admirables, o il confiait sesvoeux pour nous aux vents et aux flots : noustions attendris par cette sparation de la terre,par ces penses qui revolaient au rivage, quitraversaient la Provence, et allaient vers monpre, vers mes soeurs, vers mes amis ; par cesadieux, par ces vers, par cette belle ombre deMarseille, qui s' loignait, qui diminuait sous nosyeux ; par cette mer sans limite qui allait devenirpour longtemps notre seule patrie. Marseille ! France ! Tu mritais mieux : cetemps, ce pays, ces jeunes hommes, taient dignesde contempler un vritable pote, un de ces hommesqui gravent un monde et une poque dans la mmoireharmonieuse du genre humain !

  • Mais moi, je le sens profondment, je ne suis rienqu' un de ces hommes sans effigie, d' une poquetransitoire et efface, dont quelques soupirs onteu de l' cho, parce que l' cho est plus potiqueque le pote. Cependant j' appartenais un autretemps par mes dsirs ; j' ai souvent senti en moiun autre homme ; des horizons immenses, infinis,lumineux de posie philosophique, pique, religieuse,neuve, se dchiraient devant moi : mais, punitiond' une jeunesse insense et perdue ! Ces horizonsse refermaient bien vite. Je les sentais tropvastes pour mes forces physiques ; je fermais lesyeux pour n' tre pas tent de m' y prcipiter. Adieudonc ces rves de gnie, de voluptintellectuelle ! Il est trop tard. J' esquisseraipeut-tre quelques scnes, je murmurerai quelqueschants, et tout sera dit. d' autres ! Et, je levois avec plaisir, il en vient d' autres. La naturene fut jamais plus fconde en promesses de gnie quedans ce moment. Que d' hommes dans vingt ans, sitous deviennent hommes !Cependant, si Dieu voulait m' exaucer, voici toutce que je lui demanderais : un pome selon moncoeur et selon le sien ! Une image visible, vivante,anime et colore de sa cration visible et de sacration invisible ; voil un bel hritage laisser ce monde de tnbres, de doute et detristesse ! Un aliment qui le nourrirait, qui lerajeunirait pour un sicle ! Oh ! Que ne puis-jele lui donner ; ou, du moins, me le donner moi-mme, lors mme que personne, autre que moi,n' en entendrait un vers !

    Mme jour, trois heures, en mer.Le vent d' est, qui nous dispute le chemin, asouffl avec plus de force ; la mer a mont etblanchi ; le capitaine dclare qu' il faut regagner

  • la cte, et mouiller dans une baie deux heuresde Marseille. Nous y sommes ; la vague nousberce doucement ; la mer parle, comme disent lesmatelots ; on entend venir de loin un murmuresemblable ce bruit qui sort des grandes villes :cette parole menaante de la mer, la premire quenous entendons, retentit avec solennit dansl' oreille et dans la poitrine de ceux qui vont luiparler de si prs pendant si longtemps. notre gauche, nous voyons les les de Pomgueet le chteau d' If, vieux fort avec des toursrondes et grises qui couronnent un rocher nu etardois ; en face, sur la cte leve etentrecoupe de rochers blanchtres, de nombreusesmaisons de campagne dont les jardins, entours demurs, ne laissent apercevoir que les sommits desarbustes ou les arceaux verts des treilles ; environ un mille plus loin dans les terres, sur unmamelon isol et dpouill, s' lvent le fort et lachapelle de notre-dame de la garde, plerinage desmarins provenaux avant le dpart et au retour detous leurs voyages. Ce matin, notre insu, l' heure mme o le vent entrait dans nos voiles,une femme de Marseille, accompagne de ses enfants,a devanc le jour, et est alle prier pour nous ausommet de cette montagne, d' o son regard

    ami voyait sans doute notre vaisseau comme un pointblanc sur la mer.Quel monde que ce monde de la prire ! Quel lieninvisible, mais tout-puissant, que celui d' tresconnus ou inconnus les uns aux autres, et priantensemble ou spars les uns pour les autres ! Ilm' a toujours sembl que la prire, cet instinctsi vrai de notre impuissante nature, tait la seuleforce relle, ou du moins la plus grande force del' homme ! L' homme ne conoit pas son effet ; maisque conoit-il ? Le besoin qui pousse l' homme

  • respirer lui prouve seul que l' air est ncessaire sa vie ! L' instinct de la prire prouve aussi l' me l' efficacit de la prire : prions donc !Et vous qui nous avez inspir cette merveilleusecommunication avec vous, avec les tres, avec lesmondes invisibles ; vous, mon Dieu, exaucez-nousbeaucoup ! Exaucez-nous au del de nos dsirs !Mme jour, 11 heures du soir.Une lune splendide semble se balancer entre lesmts, les vergues, les cordages de deux bricks deguerre mouills non loin de nous entre notreancrage et les noires montagnes du Var ; chaquecordage de ces btiments se dessine l' oeil, surle fond bleu et pourpre du ciel de la nuit, comme

    les fibres d' un squelette gigantesque et dcharnvu de loin, la lueur ple et immobile des lampesde Westminster ou de saint-Denis. Le lendemain,ces squelettes doivent reprendre la vie, tendredes ailes replies comme nous, et s' envoler ainsique des oiseaux de l' ocan, pour aller se posersur d' autres rivages. Nous entendons, du pont o jesuis, le sifflet aigu et cadenc du matred' quipage qui commande la manoeuvre, lesroulements du tambour, la voix de l' officier dequart. Les pavillons glissent du mt ; les canots,les embarcations remontent ce bord, comme au gesterapide et vivant d' un tre anim. Tout redevientsilence sur leurs bords et sur le ntre.Autrefois l' homme ne s' endormait pas sur ce litprofond et perfide de la mer sans lever son meet sa voix Dieu, sans rendre gloire sonsublime auteur au milieu de tous ces astres, detous ces flots, de toutes ces cimes de montagnes,de tous ces charmes, de tous ces prils de lanuit ; on faisait une prire le soir, bord desvaisseaux ! Depuis la rvolution de juillet, onn' en fait plus. La prire est morte sur les lvres

  • de ce vieux libralisme du dix-huitime sicle,qui n' avait lui-mme rien de vivant que sa hainefroide contre les choses de l' me. Ce soufflesacr de l' homme, que les fils d' Adam s' taienttransmis jusqu' nous avec leurs joies ou leursdouleurs, il s' est teint en France dans nosjours de dispute et d' orgueil ; nous avons mlDieu dans nos querelles. L' ombre de Dieu faitpeur certains hommes. Ces insectes qui viennentde natre, qui vont mourir demain, dont le ventemportera dans quelques jours la strile poussire,dont ces vagues ternelles jetteront les osblanchis sur quelque cueil, craignent de confesser,par un

    mot, par un geste, l' tre infini que les cieux etles mers confessent ; ils ddaignent de nommercelui qui n' a pas ddaign de les crer, et celapourquoi ? Parce que ces hommes portent ununiforme, qu' ils calculent jusqu' une certainequantit de nombres, et qu' ils s' appellent franaisdu dix-neuvime sicle ! Heureusement ledix-neuvime sicle passe, et j' en vois approcherun meilleur, un sicle vraiment religieux, o, siles hommes ne confessent pas Dieu dans la mmelangue et sous les mmes symboles, ils leconfesseront au moins sous tous les symboles et danstoutes les langues !Mme nuit.Je me suis promen une heure sur le pont du vaisseau,seul, et faisant ces tristes ou consolantesrflexions ; j' y ai murmur du coeur et des lvrestoutes les prires que j' ai apprises de ma mrequand j' tais enfant ; les versets, les lambeauxde psaumes que je lui ai si souvent entendumurmurer voix basse en se promenant le soir dansl' alle du jardin de Milly, remontaient dans mammoire, et j' prouvais une volupt intime et

  • profonde les jeter mon tour l' onde, au vent, cette oreille toujours ouverte pour laquelleaucun bruit du coeur ou des lvres n' est jamaisperdu ! La prire que l' on a entendu profrer parquelqu' un

    qu' on aima et qu' on a vu mourir est doublementsacre. Qui de nous ne prfre le peu de mots quelui a enseigns sa mre aux plus belles hymnesqu' il pourrait composer lui-mme ? Voil pourquoi,de quelque religion que notre raison nous fasse l' ge de raison, la prire chrtienne seratoujours la prire du genre humain. J' ai fait seulainsi la prire du soir et de la mer pour cettefemme qui ne calcule aucun pril pour s' unir mon sort, pour cette belle enfant qui jouaitpendant ce temps sur le pont dans la chaloupe avecla chvre qui doit lui donner son lait, avec lesbeaux et doux lvriers qui lchent ses blanchesmains, qui mordillent ses longs et blonds cheveux.Le 12, au matin, la voile.Pendant la nuit le vent a chang, et il a frachi ;j' entendais, de ma cabine l' entre-pont, les pas,les voix et le chant plaintif des matelots retentirlongtemps sur ma tte avec les coups de la chanede l' ancre qu' on rattachait la proue. Onremettait la voile ; nous partions. Je merendormis. Quand je me rveillai, et que j' ouvrisle sabord pour regarder les ctes de France quenous touchions la veille, je ne vis plus quel' immense mer vide, nue, clapotante,

    avec deux voiles seulement, deux hautes voilesmontant comme deux bornes, deux pyramides dudsert, dans ce lointain sans horizon.La vague caressait doucement les flancs pais et

  • arrondis de mon brick, et babillait gracieusementsous mon troite fentre, o l' cume s' levaitquelquefois en lgres guirlandes blanches :c' tait le bruit ingal, vari, confus, dugazouillement des hirondelles sur une montagne,quand le soleil se lve au-dessus d' un champ debl. Il y a des harmonies entre tous les lments,comme il y en a une gnrale entre la naturematrielle et la nature intellectuelle. Chaquepense a son reflet dans un objet visible qui larpte comme un cho, la rflchit comme un miroir,et la rend perceptible de deux manires : aux senspar l' image, la pense par la pense ; c' est laposie infinie de la double cration ! Les hommesappellent cela comparaison : la comparaison, c' estle gnie. La cration n' est qu' une pense sousmille formes. Comparer, c' est l' art ou l' instinct dedcouvrir des mots de plus dans cette langue divinedes analogies universelles que Dieu seul possde,mais dont il permet certains hommes de dcouvrirquelque chose. Voil pourquoi le prophte, potesacr, et le pote, prophte profane, furent jadiset partout regards comme des tres divins. On lesregarde aujourd' hui comme des tres insenss outout au moins inutiles : cela est logique. Si vouscomptez pour tout le monde matriel et palpable,cette partie de la nature qui se rsout en chiffres,en tendue, en argent ou en volupts physiques,vous faites bien de mpriser ces hommes qui neconservent que le culte du beau moral, l' ide deDieu, et cette langue des images, des rapports

    mystrieux entre l' invisible et le visible !Qu' est-ce qu' elle prouve, cette langue ? Dieu etl' immortalit ! Ce n' est rien pour vous !15 juillet, mouills dans le petit golfe de LaCiotat.Le vent favorable, un moment lev, s' est bientt

  • vanoui dans nos voiles. Elles retombaient le longdes mts, et les laissaient osciller au gr desplus faibles lames. Belle image de ces caractresauxquels manque la volont, ce vent de l' mehumaine, caractres flottants qui fatiguent ceuxqui les possdent : ces caractres usent plus parla faiblesse, que les courageux efforts qu' unevolont rigoureuse imprime aux hommes d' nergie etd' action, comme les navires aussi qui, sur une mercalme et sans vent, se fatiguent davantage quesous l' impulsion d' un vent frais qui les pousse etles soutient sur l' cume des vagues.Soit hasard, soit manoeuvre secrte de nos officiers,nous nous trouvons forcs par le vent entrer trois heures dans le golfe riant de La Ciotat,petite ville de la cte de Provence, o notrecapitaine et presque tous nos matelots ont leursmaisons, leurs femmes et leurs enfants. l' abrid' un petit mle qui se dtache d' une collinegracieuse, toute vtue de vignes, de figuiers etd' oliviers, comme une main

    amie que le rivage tend aux matelots, nous laissonstomber l' ancre. L' eau est sans ride, et tellementtransparente, qu' vingt pieds de profondeur nousvoyons briller les cailloux et les coquillages,ondoyer les longues herbes marines, et courir desmilliers de poissons aux cailles chatoyantes,trsors cachs du sein de la mer, aussi riche,aussi inpuisable que la terre en vgtation et enhabitants. La vie est partout comme l' intelligence :toute la nature est anime, toute la nature sent etpense ! Celui qui ne le voit pas n' a jamaisrflchi l' intarissable fcondit de la pensecratrice. Elle n' a pas d, elle n' a pas pus' arrter ; l' infini est peupl ; et partout oest la vie, l aussi est le sentiment ; et lapense a des degrs ingaux sans doute, mais sans

  • vide. En voulez-vous une dmonstration physique,regardez une goutte d' eau sous le microscopesolaire, vous y verrez graviter des milliers demondes ! Des mondes dans une larme d' insecte ; etsi vous parveniez dcomposer encore chacun deces milliers de mondes, des millions d' autresunivers vous apparatraient encore ! Si, de cesmondes sans bornes et infiniment petits, vous vouslevez tout coup aux grands globes innombrablesdes votes clestes, si vous plongez dans lesvoies lactes, poussire incalculable de soleilsdont chacun rgit un systme de globes plus vasteque la terre et la lune, l' esprit reste crassous le poids des calculs ; mais l' me lessupporte, et se glorifie d' avoir sa place danscette oeuvre, d' avoir la force de la comprendre,d' avoir un sentiment pour en bnir, pour en adorerl' auteur ! mon Dieu, que la nature est unedigne prire pour celui qui t' y cherche, qui t' ydcouvre sous toutes les formes, et qui comprendquelques syllabes de sa langue muette, mais quidit tout !

    Golfe de La Ciotat, 14 au soir.Le vent est mort, et rien n' annonce son retour. Lasurface du golfe n' a pas un pli ; la mer est siplane, qu' on y distingue et l l' impression desailes transparentes des moustiques qui flottentsur ce miroir, et qui seules le ternissent cetteheure. Voil donc quel degr de calme et demansutude peut descendre cet lment qui soulveles vaisseaux trois ponts sans connatre leurpoids, qui ronge des lieues de rivage, use descollines et fend les rochers, brise des montagnessous le choc de ses lames mugissantes ! Rien n' estsi doux que ce qui est fort.Nous descendons terre, sur les instances de notrecapitaine, qui veut nous prsenter sa femme et

  • nous montrer sa maison. La ville ressemble auxjolies villes du royaume de Naples sur la cte deGate. Tout est rayonnant, gai, serein ;l' existence est une fte continuelle dans lesclimats du midi. Heureux l' homme qui nat et quimeurt au soleil ! Heureux surtout celui qui a samaison, la maison et le jardin de ses pres, auxbords de cette mer dont chaque vague est unetincelle qui jette sa lumire et son clat surla terre ! Les hautes montagnes exceptes, quiempruntent la clart de leurs cimes et de leurshorizons aux neiges qui les couvrent, au ciel danslequel elles plongent, aucun site de l' intrieurdes terres, quelque riant, quelque gracieux que lefassent les collines, les arbres et les fleuves,ne peut lutter

    de beaut avec les sites que baignent les mers dumidi. La mer est aux scnes de la nature ce quel' oeil est un beau visage ; elle les claire,elle leur donne ce rayonnement, cette physionomiequi les fait vivre, parler, enchanter, fasciner leregard qui les contemple.Mme jour.Il est nuit, c' est--dire ce qu' on appelle la nuitdans ces climats. Combien n' ai-je pas compt dejours moins clairs sur les flancs velouts descollines de Richmond en Angleterre, dans lesbrumes de la Tamise, de la Seine, de la Sane,ou du lac de Genve ! Une lune ronde monte dans lefirmament ; elle laisse dans l' ombre notre bricknoir, qui repose immobile quelque distance duquai. La lune, en avanant, a laiss derrire ellecomme une trane de sable rouge dont elle sembleavoir sem la moiti du ciel ; le reste est bleu,et blanchit mesure qu' elle approche. un horizonde deux milles peu prs, entre deux petites les,dont l' une a des falaises leves et jaunes comme

  • le colise Rome, et dont l' autre est violettecomme des fleurs de lilas, on voit sur la mer lemirage d' une grande ville ; l' oeil y est tromp :on voit tinceler des dmes, des palais auxfaades blouissantes, de longs quais inonds d' unelumire douce et sereine ; droite et gauche,les vagues blanchissent et

    semblent l' envelopper : on dirait Venise ou Maltedormant au milieu des flots. Ce n' est ni une leni une ville, c' est la rverbration de la lune aupoint o son disque tombe d' aplomb sur la mer ;plus prs de nous, cette rverbration s' tend etse prolonge, et roule un fleuve d' or et d' argententre deux rivages d' azur. notre gauche, legolfe tend jusqu' un cap lev la chanelongue et sombre de ses collines ingales etdenteles ; droite, c' est une valle troite etferme, o coule une belle fontaine l' ombre dequelques arbres ; derrire, c' est une collineplus haute, couverte jusqu' au sommet d' oliviersque la nuit fait paratre noirs ; depuis la cimede cette colline jusqu' la mer, des tours grises,des maisonnettes blanches percent et ll' obscurit monotone des oliviers, et attirentl' oeil et la pense sur la demeure de l' homme. Plusloin encore, et l' extrmit du golfe, troisnormes rochers s' lvent sans bases sur lesflots ; de formes bizarres, arrondis comme descailloux, polis par la vague et les temptes, cescailloux sont des montagnes ; jeux gigantesquesd' un ocan primitif, dont les mers ne sont sansdoute qu' une faible image.

    15 juillet.Nous avons visit la maison du capitaine de notre

  • brick. Jolie demeure, modeste, mais orne. Nousfmes reus par la jeune femme, souffrante ettriste du dpart prcipit de son mari. Je luioffris de la prendre bord et de nous accompagnerpendant ce voyage, qui devait tre plus long queles voyages ordinaires d' un btiment de commerce.Sa sant s' y opposait : elle allait seule, sansenfants et malade, compter de longs jours, et delongues annes peut-tre pendant l' absence de sonmari. Sa figure douce et sensible portaitl' empreinte de cette mlancolie de son avenir et decette solitude de son coeur. La maison ressemblait une maison flamande ; ses murs taient tapisssdes portraits de vaisseaux que le capitaine avaitcommands. Non loin de l, il nous mena voir dansla campagne une maison o il se prparait, quoiquejeune, un asile pour se retirer du vent et du flot.Je fus bien aise d' avoir vu l' tablissementchamptre o cet homme mditait d' avance son reposet son bonheur pour sa vieillesse. J' ai toujoursaim connatre le foyer, les circonstancesdomestiques de ceux avec qui j' ai d avoir affairedans ce monde. C' est une partie d' eux-mmes, c' estune seconde physionomie extrieure qui donne laclef de leur caractre et de leur destine.La plupart de nos matelots sont aussi de cesvillages. Hommes doux, pieux, gais, laborieux,maniant le vent, la

    tempte et la vague, avec cette rgularit calmeet silencieuse de nos laboureurs de Saint-Pointmaniant la herse ou la charrue ; laboureurs demer, paisibles et chantants comme les hommes de nosvalles, suivant aux rayons du soleil du matinleurs longs sillons fumants sur les flancs deleurs collines.16 juillet.Rveill de bonne heure, j' entendis ce matin, sur

  • le pont immobile, la voix des matelots avec lechant du coq et le blement de la chvre et de nosmoutons. Quelques voix de femmes et des voixd' enfants compltaient l' illusion ; j' aurais pu mecroire couch dans la chambre de bois d' une cabanede paysans, sur les bords du lac de Zurich ou deLucerne. Je montai : c' taient des enfants dequelques-uns de nos matelots que leurs femmesavaient amens leurs pres. Ceux-ci les asseyaientsur les canons, les tenaient debout sur lesbalustrades du navire, les couchaient dans lachaloupe, les beraient dans le hamac avec cettetendresse dans l' accent et ces larmes dans lesyeux qu' auraient pu avoir des mres ou desnourrices. Braves gens aux coeurs de bronze contreles dangers, aux coeurs de femmes pour ce qu' ilsaiment, rudes et doux comme l' lment qu' ilspratiquent ! Qu' il soit pasteur, qu' il soit marin,l' homme qui a une famille

    a un coeur ptri de sentiments humains et honntes.L' esprit de famille est la seconde me del' humanit ; les lgislateurs modernes l' ont tropoubli ; ils ne songent qu' aux nations et auxindividualits ; ils omettent la famille, sourceunique des populations fortes et pures, sanctuairedes traditions et des moeurs, o se retrempenttoutes les vertus sociales. La lgislation, mmeaprs le christianisme, a t barbare sous cerapport ; elle repousse l' homme de l' esprit defamille, au lieu de l' y convier. Elle interdit la moiti des hommes, la femme, l' enfant, lapossession du foyer et du champ : elle devait cesbiens tous, ds qu' ils ont l' ge d' homme ; il nefallait les interdire qu' aux coupables. La familleest la socit en raccourci ; mais c' est lasocit o les lois sont naturelles, parce qu' ellessont des sentiments. Excommunier de la famille

  • aurait pu tre la plus grande rprobation, ladernire fltrissure de la loi ; c' et t la seulepeine de mort d' une lgislation chrtienne ethumaine : la mort sanglante devrait tre effacedepuis des sicles.Juillet, toujours mouills par vent contraire. un mille l' ouest, sur la cte, les montagnessont casses comme coups de massue ; lesfragments normes sont tombs, et l, sur lespieds des montagnes, ou sous les flots bleus etverdtres de la mer qui les baigne. La mer y

    brise sans cesse ; et de la lame qui arrive avecun bruit alternatif et sourd contre les rochers,s' lancent comme des langues d' cume blanche quivont lcher les bords sals. Ces morceaux entasssde montagnes (car ils sont trop grands pour qu' onles appelle rochers) sont jets et pils avec unetelle confusion les uns sur les autres, qu' ilsforment une quantit innombrable d' anses troites,de votes profondes, de grottes sonores, de cavitssombres, dont les enfants de deux ou trois cabanesde pcheurs du voisinage connaissent seuls lesroutes, les sinuosits et les issues. Une de cescavernes, dans laquelle on pntre par l' archesurbaisse d' un pont naturel, couvert d' un normebloc de granit, donne accs la mer, et s' ouvreensuite sur une troite et obscure valle, que lamer remplit tout entire de ses flots limpides etaplanis comme le firmament dans une belle nuit.C' est une calangue connue des pcheurs, o, pendantque la vague mugit et cume au dehors, en branlantde son choc les flancs de la cte, les plus petitesbarques sont l' abri ; on y aperoit peine celger bouillonnement d' une source qui tombe dansune nappe d' eau. La mer y conserve cette bellecouleur d' un jaune verdtre et moir, que voit sibien l' oeil des peintres de marine, mais qu' ils ne

  • peuvent jamais rendre exactement, car l' oeil voitplus que la main ne peut imiter.Sur les deux flancs de cette valle marine montent perte de vue deux murailles de rochers presque pic, sombres et d' une couleur uniforme, pareille celle du mchefer quelque temps aprs qu' il esttomb dans la fournaise. Aucune plante, aucunemousse n' y trouve mme une fente pour se suspendreet s' enraciner, pour y faire flotter ces guirlandes

    de lianes et ces fleurs que l' on voit si souventonduler sur les parois des rochers de la Savoie, des hauteurs o Dieu seul peut les respirer :nues, droites, noires, repoussant l' oeil, elles nesont l que pour dfendre de l' air de la mer lescollines de vignes et d' oliviers qui vgtent sousleur abri. Images de ces hommes dominant une poqueou une nation, exposs toutes les injures du tempset des temptes pour protger des hommes plusfaibles et plus heureux. Au fond de la calangue,la mer s' largit un peu, serpente, prend une teinteplus claire mesure qu' elle dcouvre plus de ciel,et finit enfin par une belle nappe d' eau dormantesur un lit de petits coquillages violets, concassset serrs comme du sable. Si vous mettez le piedhors de la chaloupe qui vous a port jusque-l,vous trouvez gauche, dans le creux d' un ravin,une source d' eau douce, frache et pure ; puis, entournant droite, un sentier de chvres pierreux,rapide, ingal, ombrag de figuiers sauvages etd' azeroliers, qui descend des terres cultives verscette solitude des flots. Peu de sites m' ont autantfrapp, autant allch dans mes voyages. C' est cemlange parfait de grce et de force qui forme labeaut accomplie dans l' harmonie des lments commedans l' tre anim ou pensant. C' est cet hymenmystrieux de la terre et de la mer, surpris, pourainsi dire, dans leur union la plus intime et la

  • plus voile. C' est cette image du calme et de lasolitude la plus inaccessible, ct de cetorageux et tumultueux thtre des temptes, toutprs du retentissement de ses flots. C' est un deces nombreux chefs-d' oeuvre de la cration, queDieu a rpandus partout comme pour se jouer avecles contrastes, mais qu' il se plat cacher, leplus souvent, sur les cimes impraticables desmonts escarps, dans le fond des ravins

    sans accs, sur les cueils les plus inabordablesde l' ocan, comme des joyaux de la nature qu' ellene dcouvre que rarement des hommes simples, des bergers, des pcheurs, aux voyageurs, auxpotes, ou la pieuse contemplation des solitaires.14 juillet 1832. dix heures, brise de l' ouest qui s' lve ; nouslevons l' ancre trois heures ; nous n' avonsbientt plus que le ciel et les flots pourhorizon ; -mer tincelante, -mouvement doux etcadenc du brick, -murmure de la vague aussirgulier que la respiration d' une poitrine humaine.Cette alternation rgulire du flot, du vent dansla voile, se retrouve dans tous les mouvements,dans tous les bruits de la nature : est-ce qu' ellene respirerait pas aussi ? Oui, sans aucun doute,elle respire, elle vit, elle pense, elle souffreet jouit, elle sent, elle adore son divin auteur.Il n' a pas fait la mort ; la vie est le signe detoutes ses oeuvres.

    15 juillet 1832, en pleine mer, 8 heures du soir.Nous avons vu s' abaisser les dernires cimes desmontagnes grises des ctes de France et d' Italie,puis la ligne bleue, sombre de la mer l' horizona tout submerg : l' oeil, ce moment o l' horizon

  • connu s' vanouit, parcourt l' espace et le videflottant qui l' entoure, comme un infortun qui aperdu successivement tous les objets de sesaffections, de ses habitudes, et qui cherche envain o reposer son coeur.Le ciel devient la grande et unique scne decontemplation ; puis le regard retombe sur ce pointimperceptible noy dans l' espace, sur cet troitnavire devenu l' univers entier pour ceux qu' ilemporte.Le matre d' quipage est la barre : sa figuremle et impassible, son regard ferme et vigilant,fix tantt sur l' habitacle pour y chercherl' aiguille, tantt sur la proue pour y dcouvrir, travers les cordages du mt de misaine, sa route travers les lames ; son bras droit pos sur labarre, et d' un mouvement imprimant sa volont l' immense masse du vaisseau ; tout montre en luila gravit de son oeuvre, le destin du navire, lavie de trente personnes roulant en ce moment dansson large front et pesant dans sa main robuste. l' avant du pont, les matelots sont par groupes,assis,

    debout, couchs sur les planches de sapin luisant,ou sur les cbles rouls en vastes spirales ; lesuns raccommodant les vieilles voiles avec degrosses aiguilles de fer, comme de jeunes fillesbrodant le voile de leurs noces ou le rideau deleur lit virginal ; les autres se penchant surles balustrades, regardant sans les voir les vaguescumantes comme nous regardons les pavs d' uneroute cent fois battue, et jetant au vent avecindiffrence les bouffes de fume de leurs pipesde terre rouge. Ceux-ci donnent boire auxpoules dans leurs longues auges ; ceux-ltiennent la main une poigne de foin, et fontbrouter la chvre, dont ils tiennent les cornes

  • de l' autre main ; ceux-l jouent avec deux beauxmoutons qui sont juchs entre les deux mts dansla haute chaloupe suspendue : ces pauvres animauxlvent leur tte inquite au-dessus des bordages,et, ne voyant que la plaine ondoyante blanchied' cume, ils blent aprs le rocher et la moussearide de leurs montagnes. l' extrmit du navire, l' horizon de ce mondeflottant, c' est la proue aigu, prcde de sonmt de beaupr inclin sur la mer ; ce mt sedresse l' avant du vaisseau comme le dard d' unmonstre marin. Les ondulations de la mer, presqueinsensibles au centre de gravit, au milieu dupont, font dcrire la proue des oscillationslentes et gigantesques. Tantt elle semble dirigerla route du vaisseau vers quelque toile dufirmament, tantt le plonger dans quelque valleprofonde de l' ocan ; car la mer semble monter etdescendre sans cesse quand on est l' extrmitd' un vaisseau qui, par sa masse et sa longueur,multiplie l' effet de ces vagues ondules.

    Nous, spars par le grand mt de cette scne demoeurs maritimes, nous sommes assis sur les bancsde quart, ou nous nous promenons avec les officierssur le pont, regardant descendre le soleil etmonter les vagues.Au milieu de toutes ces figures mles, svres,pensives, une enfant, les cheveux dnous etflottants sur sa robe blanche, son beau visagerose, heureux et gai, entour d' un chapeau depaille de matelot nou sous son menton, joue avecle chat blanc du capitaine, ou avec une niche depigeons de mer pris la veille, qui se couchentsous l' afft d' un canon, et auxquels elle miettele pain de son goter.Cependant le capitaine du navire, sa montre marine la main, et piant en silence l' occident la

  • seconde prcise o le disque du soleil, refractde la moiti de son disque, semble toucher lavague et y flotter un moment avant d' y tresubmerg entier, lve la voix, et dit :messieurs, la prire ! toutes les conversationscessent, tous les jeux finissent, les matelotsjettent la mer leur cigare encore enflamm, ilstent leurs bonnets grecs de laine rouge, lestiennent la main, et viennent s' agenouillerentre les deux mts. Le plus jeune d' entre euxouvre le livre de prires et chante l' ave,maris stella , et les litanies sur un modetendre, plaintif et grave, qui semble avoir tinspir au milieu de la mer et de cette mlancolieinquite des dernires heures du jour, o tousles souvenirs de la terre, de la chaumire, dufoyer, remontent du coeur dans la pense de ceshommes simples. Les tnbres vont redescendre surles flots, et engloutir jusqu' au matin, dans leurobscurit dangereuse, la route des navigateurs, etles vies de tant d' tres

    qui n' ont plus pour phare que la providence, pourasile que la main invisible qui les soutient surles flots. Si la prire n' tait pas ne avecl' homme mme, c' est l qu' elle et t inventepar des hommes seuls avec leurs penses et leursfaiblesses, en prsence de l' abme du ciel o seperdent leurs regards, de l' abme des mers dontune planche fragile les spare ; au mugissement del' ocan qui gronde, siffle, hurle, mugit comme lesvoix de mille btes froces ; aux coups du ventqui fait rendre un son aigu chaque cordage ; auxapproches de la nuit qui grossit tous les prilset multiplie toutes les terreurs. Mais la prirene fut jamais invente ; elle naquit du premiersoupir, de la premire joie, de la premire peinedu coeur humain, ou plutt l' homme ne naquit que

  • pour la prire : glorifier Dieu ou l' implorer, cefut sa seule mission ici-bas ; tout le reste pritavant lui ou avec lui ; mais le cri de gloire,d' admiration ou d' amour qu' il lve vers soncrateur, en passant sur la terre, ne prit pas ;il remonte, il retentit d' ge en ge l' oreillede Dieu, comme l' cho de sa propre voix, commeun reflet de sa magnificence ; il est la seulechose qui soit compltement divine en l' homme, etqu' il puisse exhaler avec joie et avec orgueil,car cet orgueil est un hommage celui-l seul quipeut en avoir, l' tre infini. peine avions-nous roul ces penses ou d' autrespenses semblables, chacun dans notre silence,qu' un cri de Julia s' leva au bord du vaisseauqui regardait l' orient. Un incendie sur la mer !Un navire en feu ! Nous nous prcipitmes pourvoir ce feu lointain sur les flots. En effet, unlarge charbon de feu flottait l' orient surl' extrmit de l' horizon de la mer ; puis, s' levantet s' arrondissant en peu

    de minutes, nous reconnmes la pleine luneenflamme par la vapeur du vent d' ouest, et sortantlentement des flots comme un disque de fer rougeque le forgeron tire avec ses tenailles de lafournaise, et qu' il suspend sur l' onde o il val' teindre. Du ct oppos du ciel, le disque dusoleil, qui venait de descendre, avait laiss l' occident comme un banc de sable d' or, semblableau rivage de quelque terre inconnue. Nos regardsflottaient d' un bord l' autre entre ces deuxmagnificences du ciel. Peu peu les clarts de cedouble crpuscule s' teignirent ; des milliersd' toiles naquirent au-dessus de nos ttes, commepour tracer la route nos mts, qui passrent del' une l' autre ; on commanda le premier quart dela nuit, on enleva du pont tout ce qui pouvait

  • gner la manoeuvre, et les matelots vinrent, l' unaprs l' autre, dire au capitaine : " que Dieu soitavec nous ! "je continuai de me promener quelque temps en silencesur le pont ; puis je descendis, rendant grce Dieu dans mon coeur d' avoir permis que je visseencore cette face inconnue de sa nature. Mon Dieu,mon Dieu, voir ton oeuvre sous toutes ses faces,admirer ta magnificence sur les montagnes ou surles mers, adorer et bnir ton nom, qu' aucune lettrene peut contenir, c' est l toute la vie ! Multipliela ntre, pour multiplier l' amour et l' admirationdans nos coeurs ! Puis tourne la page, et fais-nouslire dans un autre monde les merveilles sans fin dulivre de ta grandeur et de ta bont !

    16 juillet 1832, en pleine mer.Nous avons eu toute la nuit et tout le jour unebelle mais forte mer. Le soir, le vent frachit,la lame se forme, et commence rouler pesammentsur les flancs du brick. Lune clatante, quiprolonge des torrents d' une clart blanche etondoyante dans les larges valles liquides, creusesentre les grandes vagues. Ces lueurs flottantes dela lune ressemblent des ruisseaux d' eau courante, des cascades d' eau de neige dans le lit desvertes valles du Jura ou de la Suisse. Levaisseau descend et remonte lourdement chacune deses ravines profondes. Pour la premire fois, dansce voyage, nous entendons les plaintes, lesgmissements du bois ; les flancs crass du brickrendent, sous le coup de chaque lame, un bruitauquel on ne peut rien comparer que les derniersmugissements d' un taureau frapp par la hache, etcouch sur le flanc dans les convulsions del' agonie. Ce bruit ml dans la nuit aux rugissementsde cent mille vagues, aux bonds gigantesques dunavire, aux craquements des mts, au sifflement

  • des rafales, la poussire de l' cume qu' elleslancent et qu' on entend pleuvoir en sifflant surle pont, aux pas lourds et prcipits des hommesde quart qui courent la manoeuvre, aux parolesrares, fermes et brves de l' officier qui commande ;tout cela forme un ensemble de sons significatifset terribles, qui branlent bien plus profondmentl' me humaine que le coup de canon sur le champ debataille. Ce sont de ces scnes auxquelles

    il faut avoir assist, pour connatre la facepnible de la vie des marins, et pour mesurer sapropre sensibilit morale et physique !La nuit entire se passe ainsi sans sommeil. Aulever du jour, le vent tombe un peu, la lame nedferle plus, c' est--dire qu' elle ne se couronneplus d' cume ; tout annonce une belle journe ;nous apercevons, travers la brume colore del' horizon, les hautes et longues chanes desmontagnes de Sardaigne. Le capitaine nous prometune mer calme et plane comme un lac entre cettele et la Sicile. Nous filons huit noeuds,quelquefois neuf ; chaque quart d' heure, lesctes clatantes vers lesquelles le vent nousemporte se dessinent avec plus de nettet ; lesgolfes se creusent, les caps s' avancent, lesrochers blancs se dressent sur les flots ; lesmaisons, les champs cultivs, commencent sedistinguer sur les flancs de l' le. midi, noustouchons l' entre du golfe de saint-Pierre ;mais, au moment de doubler les cueils qui leferment, un ouragan subit de vent du nord clatedans nos voiles ; la lame dj grosse de la nuitdonne prise au vent, et s' amoncelle en vritablescollines mouvantes ; tout l' horizon n' est qu' unenappe d' cume ; le vaisseau chancelle tour toursur la crte de toutes les vagues, puis se prcipitepresque perpendiculairement dans les profondeurs

  • qui les sparent : en vain nous persistons vouloir chercher un abri dans le golfe. l' instanto nous doublons le cap pour y entrer, un ventfurieux et sifflant comme une vole de flchess' chappe de chaque vallon, de chaque anse de lacte, et jette le brick sur le flanc ; on a letemps peine de serrer les voiles ; nous negardons que les voiles basses o nous serrons levent : le capitaine court lui-mme

    la barre du gouvernail. Le navire alors, commeun cheval contenu par une main vigoureuse et donton tient la bride courte, semble piaffer surl' cume du golfe ; les flots rasent les bords dupont, du ct o le navire est inclin, et toutle flanc gauche jusqu' la quille est hors del' eau. Nous filons ainsi environ vingt minutes,dans l' espoir d' atteindre la petite rade de laville de saint-Pierre ; nous voyons dj lesvignes et les maisonnettes blanches une portede canon ; mais la tempte augmente, le vent nousfrappe comme un boulet ; nous sommes contraints decder et de virer prilleusement de bord, sous lecoup mme le plus violent de la rafale. Nousrussissons, et nous sortons du golfe par la mmemanoeuvre qui nous y a lancs ; nous nous retrouvonsau large sur une mer horrible. La fatigue de lanuit et du jour nous fait vivement dsirer un abriavant une seconde nuit que tout nous faitapprhender comme plus orageuse encore. Le capitainese dcide tout braver, mme la rupture de sesmts, pour trouver un mouillage sur la cte deSardaigne. quelques lieues du point o noussommes, le golfe de Palma nous en promet un. Nouscombattons, pour y entrer, la mme furie des ventsqui nous a chasss du golfe de saint-Pierre. Aprsdeux heures de lutte, nous l' emportons, et nousentrons, comme un oiseau de mer pench sur ses

  • ailes, jusqu' au fond du beau golfe de Palma. Latempte n' est point tombe ; nous entendons lemugissement incessant de la pleine mer troislieues derrire nous ; le vent continue sifflerdans nos cordages ; mais, dans ce bassin cern dehautes montagnes, il ne peut soulever que desbouffes d' cume, dont il arrose et rafrachit lepont, et enfin nous mouillons trois encbluresde la plage de Sardaigne, sur un fond d' herbesmarines, et dans des eaux

    tranquilles et peine rides. C' est une impressiondlicieuse que celle du navigateur chapp latempte force de travail et de peine, quand ilentend enfin rouler la chane de fer de l' ancrequi va l' attacher un rivage hospitalier.Aussitt que l' ancre a mordu, toutes les figurescontractes des matelots se dtendent ; on voitque les penses se reposent aussi : ils descendentdans l' entre-pont, ils vont changer leurs habitsmouills ; ils remontent bientt avec leur costumedes dimanches, et reprennent toutes les habitudespaisibles de leur vie de terre. Oisifs, gais,causeurs, ils sont assis, les bras croiss, sur lesbalustres du bordage, ou fument tranquillementleurs pipes, en regardant avec indiffrence lespaysages et les maisons du rivage.17 juillet 1832.Mouills dans cette rade paisible, aprs une nuitde sommeil dlicieux, nous djeunons sur le pont, l' abri d' une voile qui nous sert de tente ; lacte brle mais pittoresque de la Sardaignes' tend devant nous. Une embarcation arme de deuxpices de canon se dtache de l' le desaint-Antioche, deux lieues de nous, et sembles' approcher. Nous la distinguons bientt mieux ;elle porte des marins et des soldats ; elle est enpeu de temps porte de la voix ; elle nous

  • interroge, et nous ordonne d' aller terre : nous

    dlibrons ; je me dcide y accompagner lecapitaine du brick. Nous nous armons de plusieursfusils et de pistolets pour rsister, si l' onvoulait employer la force pour nous retenir. Nousmettons la voile dans le petit canot. Arrivsprs de la petite barque sarde qui nous prcde,nous descendons sur une plage au fond du golfe.Cette plage borde une plaine inculte et marcageuse.Du sable blanc, de grands chardons, quelquestouffes d' alos, et l quelques buissons d' unarbuste l' corce ple et grise dont la feuilleressemble celle du cdre, des nues de chevauxsauvages, paissant librement dans ces bruyres, quiviennent en galopant nous reconnatre et nousflairer, et partent ensuite en hennissant, commedes voles de corbeaux ; un mille de nous, desmontagnes grises, nues, avec quelques tachesseulement d' une vgtation rabougrie sur leursflancs ; un ciel d' Afrique sur ces cimes calcines ;un vaste silence sur toutes ces campagnes ; l' aspectde dsolation et de solitude qu' ont toutes lesplages de mauvais air dans la Romagne, dans laCalabre ou le long des marais Pontins, voil lascne : sept ou huit hommes belle physionomie, lefront lev, l' oeil hardi et sauvage, demi nus, demi vtus de lambeaux d' uniformes, arms delongues carabines, et tenant de l' autre main desperches de roseaux pour prendre nos lettres, ounous prsenter ce qu' ils ont nous offrir, voilles acteurs. Je rponds en mauvais patois napolitain leurs questions ; je leur nomme quelques-uns deleurs compatriotes avec qui j' ai t li d' amitien Italie dans ma jeunesse : ces hommes deviennentpolis et obligeants, aprs avoir t insolents etimprieux. Je leur achte un mouton, qu' ilsquarrissent sur la plage. Nous crivons : ils

  • prennent nos lettres dans la fente qu' ils ont faite l' extrmit d' un

    long roseau, ils battent le briquet, arrachentquelques branches vertes de l' arbuste qui couvre lacte, allument un feu, et passent nos lettres,trempes dans l' eau de mer, la fume de ce feu,avant de les toucher. -ils nous promettent de tirerun coup de fusil ce soir, pour nous avertir derevenir la cte lorsque nos autres provisions delgumes et d' eau douce seront prtes. -puis, tirantde leur btiment une immense corbeille decoquillages, frutti di mare, ils nous lesoffrent, sans vouloir accepter aucun salaire.Nous revenons bord. -heures de loisir et decontemplations dlicieuses, passes sur la poupedu navire l' ancre, pendant que la tempte rsonneencore l' extrmit des deux caps qui nouscouvrent, et que nous regardons l' cume de lahaute mer monter encore de trente ou quarante piedscontre les flancs dors de ces caps.18 juillet 1832.Sortis du golfe de Palma par une mer miroite etplane ; -lger souffle d' ouest, peine suffisantpour scher la rose de la nuit qui brille sur lesrameaux dcoups des lentisques, seule verdure deces ctes dj africaines : -en pleine mer,journe silencieuse, douce brise qui nous fait filersix sept noeuds par heure ; -belle soire ;-nuit tincelante, -la mer dort aussi.

    19 juillet 1832.Nous nous rveillons vingt-cinq lieues de la cted' Afrique. Je relis l' histoire de saint Louis,pour me rappeler les circonstances de sa mort surla plage de Tunis, prs du cap de Carthage, que

  • nous devons voir ce soir ou demain.Je ne savais pas dans ma jeunesse pourquoi certainspeuples m' inspiraient une antipathie pour ainsidire inne, tandis que d' autres m' attiraient et meramenaient sans cesse leur histoire par un attraitirrflchi. -j' prouvais pour ces vaines ombres dupass, pour ces mmoires mortes des nations,exactement ce que j' prouve avec un irrsistibleempire pour ou contre les physionomies des hommesavec lesquels je vis ou je passe. -j' aime ouj' abhorre, dans l' acception physique du mot ; premire vue, en un clin d' oeil, j' ai jug unhomme ou une femme pour jamais. -la raison, larflexion, la violence mme, tentes souvent parmoi contre ces premires impressions, n' y peuventrien. -quand le bronze a reu son empreinte dubalancier, vous avez beau le tourner et leretourner dans vos doigts, il la garde ; -ainside mon me, -ainsi de mon esprit. -c' est lepropre des tres chez lesquels l' instinct estprompt, fort, instantan, inflexible. On sedemande : qu' est-ce que l' instinct ? Et l' onreconnat que c' est la raison suprme ; mais laraison inne, la raison non raisonne, la raisontelle

    que Dieu l' a faite et non pas telle que l' homme latrouve. -elle nous frappe comme l' clair, sans quel' oeil ait la peine de la chercher. -elle illuminetout du premier jet. -l' inspiration dans tous lesarts comme sur un champ de bataille est aussi cetinstinct, cette raison devine. Le gnie aussi estinstinct, et non logique et labeur. Plus onrflchit, plus on reconnat que l' homme ne possderien de grand et de beau qui lui appartienne, quivienne de sa force ou de sa volont ; mais que toutce qu' il y a de souverainement beau vientimmdiatement de la nature et de Dieu. -le

  • christianisme, qui sait tout, l' a compris dupremier jour. -les premiers aptres sentirent eneux cette action immdiate de la divinit, ets' crirent ds la premire heure : tout donparfait vient de Dieu .Revenons aux peuples. -je n' ai jamais pu aimer lesromains ; je n' ai jamais pu prendre le moindreintrt de coeur Carthage, malgr ses malheurset sa gloire. -Annibal ne m' a jamais paru qu' ungnral de la compagnie des Indes, faisant unecampagne industrielle, une brillante et hroqueopration de commerce dans les plaines deTrasimne. -ce peuple, ingrat comme tous lespeuples gostes, l' en rcompensa par l' exil et lamort ! -pour sa mort, elle fut belle, elle futpathtique, elle me rconcilie avec ses triomphes ;j' en ai t remu ds mon enfance. -il y a toujourspour moi, comme pour l' humanit tout entire, unesublime et hroque harmonie entre la souverainegloire, le souverain gnie et la souveraineinfortune. -c' est l une de ces notes de ladestine qui ne manque jamais son effet, sa tristeet voluptueuse modulation dans le coeur humain ! Iln' est point en effet de gloire sympathique, devertu complte,

    sans l' ingratitude, la perscution et la mort. -leChrist en fut le divin exemple, et sa vie comme sadoctrine explique cette mystrieuse nigme de ladestine des grands hommes par la destine del' homme divin !Je l' ai dcouvert plus tard : le secret de messympathies ou de mes antipathies pour la mmoirede certains peuples est dans la nature mme desinstitutions et des actions de ces peuples. Lespeuples comme les phniciens, Tyr, Sidon,Carthage, socits de commerce exploitant laterre leur profit, et ne mesurant la grandeur de

  • leurs entreprises qu' l' utilit matrielle etactuelle du rsultat ; -je suis pour eux comme leDante, je regarde et je passe.N' en parlons pas. -ils ont t riches et prospres,voil tout. -ils n' ont travaill que pour letemps ; l' avenir n' a pas s' en occuper.Mais ceux qui, peu soucieux du prsent qu' ilssentaient leur chapper, ont, par un sublimeinstinct d' immortalit, par une soif insatiabled' avenir, port la pense nationale au del duprsent, et le sentiment humain au-dessus del' aisance, de la richesse, de l' utilit matrielle ;-ceux qui ont consum des gnrations et dessicles laisser sur leur route une trace belle etternelle de leur passage ; ces nationsdsintresses et gnreuses qui ont remu toutesles grandes et pesantes ides de l' esprit humain,pour en construire des sagesses, des lgislations,des thogonies, des arts, des systmes ; -cellesqui ont remu les masses de

    marbre ou de granit pour en construire des oblisquesou des pyramides, dfi sublime jet par elles autemps, voix muette avec laquelle elles parleront jamais aux mes grandes et gnreuses ; -cesnations potes, comme les gyptiens, les juifs, lesindous, les grecs, qui ont idalis la politique etfait prdominer dans leur vie de peuples le principedivin, l' me, sur le principe humain, l' utile ;-celles-l, je les aime, je les vnre ; je chercheet j' adore leurs traces, leurs souvenirs, leursoeuvres crites, bties ou sculptes ; je vis deleur vie, j' assiste en spectateur mu et partialau drame touchant ou hroque de leur destine, etje traverse volontiers les mers pour aller rverquelques jours sur leur poussire, et pour allerdire leur mmoire le mmento de l' avenir ;celles-l ont bien mrit des hommes, car elles ont

  • lev leurs penses au-dessus de ce globe de fange,au del de ce jour fugitif. -elles se sont sentiesfaites pour une destine plus haute et plus large,et, ne pouvant se donner elles-mmes la vieimmortelle que rve tout coeur noble et grand, ellesont dit leurs oeuvres : " immortalisez-nous,subsistez pour nous, parlez de nous ceux quitraverseront le dsert, ou qui passeront sur lesflots de la mer ionienne, devant le cap Syge oudevant le promontoire de Sunium, o Platonchantait une sagesse qui sera encore la sagesse del' avenir. "voil ce que je pensais en coutant la proue, surlaquelle j' tais assis, fendre les vagues de la merd' Afrique, et en regardant chaque minute, sousla brume rose de l' horizon, si je n' apercevais pasle cap de Carthage.La brise tomba, la mer se calma, le jour s' coula regarder

    en vain de loin la cte vaporeuse d' Afrique : lesoir, un fort coup de vent s' leva ; le navire,ballott d' un flanc l' autre, cras sous lesvoiles semblables aux ailes, casses par le plomb,d' un oiseau de mer, nous secouait dans ses flancsavec ce terrible mugissement d' un difice quis' croule. Je passe la nuit sur le pont, le braspass autour d' un cble ; des nuages blanchtresqui se pressent comme une haute montagne dans legolfe profond de Tunis, jaillissent des clairset sortent les coups lointains de la foudre.L' Afrique m' apparat comme je me la reprsentaistoujours, ses flancs dchirs par les feux du ciel,et ses sommets calcins drobs sous les nuages. mesure que nous approchons et que le cap deByserte, puis le cap de Carthage, se dtachent del' obscurit, et semblent venir au-devant de nous,toutes les grandes images, tous les noms fabuleux

  • ou hroques qui ont retenti sur ce rivage, sortentaussi de ma mmoire, et me rappellent les dramespotiques ou historiques dont ces lieux furentsuccessivement le thtre. Virgile, comme tous lespotes qui veulent faire mieux que la vrit,l' histoire et la nature, a bien plutt gtqu' embelli l' image de Didon. -la Didon historique,veuve de Syche, et fidle aux mnes de sonpremier poux, fait dresser son bcher sur le capde Carthage, et y monte, sublime et volontairevictime d' un amour pur et d' une fidlit mme lamort. Cela est un peu plus beau, un peu plus saint,un peu plus pathtique, que les froides galanteriesque le pote romain lui prte avec son ridicule etpieux ne, et son dsespoir amoureux, auquel lelecteur ne peut sympathiser.Mais l' anna soror , et le magnifique adieu etl' immortelle

    imprcation qui suivent, feront toujours pardonner Virgile.La partie historique de Carthage est plus potiqueque sa posie. La mort cleste et les funraillesde saint Louis ; -l' aveugle Blisaire ; -Mariusexpiant parmi des btes froces, sur les ruines deCarthage, bte froce lui-mme, les crimes deRome ; -la journe lamentable o, semblable auscorpion entour de feu qui se perce lui-mme deson dard empoisonn, Carthage, entoure parScipion et Massinissa, met elle-mme le feu sesdifices et ses richesses, -la femme d' Asdrubal,renferme avec ses enfants dans le temple deJupiter, reprochant son mari de n' avoir pas sumourir, et allumant elle-mme la torche qui vaconsumer elle et ses enfants, et tout ce qui restede sa patrie, pour ne laisser que de la cendre auxromains ! -Caton D' Utique, les deux Scipion,Annibal, tous ces grands noms s' lvent encore sur

  • le cap abandonn, comme des colonnes debout devantun temple renvers. -l' oeil ne voit rien qu' unpromontoire nu s' levant sur une mer dserte,quelques citernes vides ou remplies de leurs propresdbris, quelques aqueducs en ruine, quelques mlesravags par les flots, et recouverts par la lame ;une ville barbare auprs, o ces noms mmes sontinconnus comme ces hommes qui vivent trop vieux, etqui deviennent trangers dans leur propre pays.Mais le pass suffit l o il brille de tant d' clatde souvenirs. -que sais-je mme si je ne l' aimepas mieux seul, isol au milieu de ses ruines, queprofan et troubl par le bruit et la foule desgnrations nouvelles ? Il en est des ruines ce qu' ilen est des tombeaux : -au milieu du tumulte d' unegrande ville et de la fange de nos rues, ils

    affligent et attristent l' oeil, ils font tache surtoute cette vie bruyante et agite ; -mais dansla solitude, aux bords de la mer, sur un capabandonn, sur une grve sauvage, trois pierres,jaunies par les sicles et brises par la foudre,font rflchir, penser, rver ou pleurer.La solitude et la mort, la solitude et le pass,qui est la mort des choses, s' allient ncessairementdans la pense humaine. Leur accord est unemystrieuse harmonie. J' aime mieux le promontoirenu de Carthage, le cap mlancolique de Sunium, laplage nue et infeste de Paestum, pour y placer lesscnes des temps couls, que les temples, les arcs,les colises de Rome morte, fouls aux pieds dansRome vivante, avec l' indiffrence de l' habitude oula profanation de l' oubli.20 juillet 1832. dix heures le vent s' adoucit ; nous pouvons montersur le pont, et, filant sept noeuds par heure, nousnous trouvons bientt la hauteur de l' le isolede Pantelleria, ancienne le de Calypso,

  • dlicieuse encore par sa vgtation africaine etla fracheur de ses valles et de ses eaux. C' estl que les empereurs exilrent successivement lescondamns politiques.Elle ne nous apparat que comme un cne noir sortantde

    la mer, et vtue jusqu' aux deux tiers de son sommetpar une brume blanche qu' y a jete le vent de lanuit. Nul vaisseau n' y peut aborder ; elle n' a deports que pour les petites barques qui y portentles exils de Naples et de la Sicile, quilanguissent depuis dix annes, expiant quelquesrves de libert prcoces.Malheureux les hommes qui en tout genre devancentleur temps ! Leur temps les crase. -c' est notresort nous, hommes impartiaux, politiques,rationnels, de la France. -la France est encore un sicle et demi de nos ides. -elle veut entout des hommes et des ides de secte et de parti :que lui importe du patriotisme et de la raison ?C' est de la haine, de la rancune, de la perscutionalternative, qu' il faut son ignorance ! Elle enaura jusqu' ce que, blesse avec les armesmortelles dont elle veut absolument se servir, elletombe, ou les rejette loin d' elle pour se tournervers le seul espoir de toute amlioration politique :Dieu, sa loi ; et la raison, sa loi inne.21 juillet 1832.La mer, mon rveil, aprs une nuit orageuse,semble jouer avec le reste du vent d' hier ;-l' cume la couvre encore comme les flocons demiessuys qui tachent les flancs

    du cheval fatigu d' une longue course, -ou commeceux que son mors secoue quand il abaisse et relve

  • la tte, impatient d' une nouvelle carrire. -lesvagues courent vite, irrgulirement, mais lgres,peu profondes, transparentes : cette mer ressemble un champ de belle avoine ondoyant aux brisesd' une matine de printemps, aprs une nuitd' averse ; -nous voyons les les de Gozzo et deMalte surgir au-dessous de la brume, cinq ou sixlieues l' horizon.22 juillet, arrive Malte. mesure que nous approchons de Malte, la cte basses' lve et s' articule ; mais l' aspect est morne etstrile. Bientt nous apercevons les fortificationset les golfes forms par les ports ; une nue depetites barques, montes chacune par deux rameurs,sort de ces golfes et accourt la proue de notrenavire ; la mer est grosse, et la vague lesprcipite quelquefois dans le profond sillon quenous creusons dans la mer ; ils semblent pr