1. Did I Mention I Love You ? (French Edition) -...
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Silesfilmsetleslivresm’ontapprisunechose,c’estqueLosAngeles,seshabitantsetsesplagessont ce qu’il y a deplus cool sur cette terre.Par conséquent, et comme toutes les filles dumonde, jerêvaisdevoirlaCalifornie,leGoldenState!CourirsurlesabledeVeniceBeach,posermesmainsdansles empreintes de mes stars préférées sur le Walk of Fame, grimper jusqu’aux lettres géantes deHollywoodetdelà,admirercettevillemerveilleuse.
Ça,ettouslesautrestrucsàtouristesunpeubidon.Unécouteuràl’oreille,jecherchedistraitementunepercéedanslafouleautourdutapisroulantpour
récupérermavalise.Lesgens sebousculent etparlent fort. Ilyenaunqui crieque leur sacvientdepasseretunautrequiluihurlequecen’étaitpasleleur.Excédée,jemeconcentresurlavalisevertfoncéquiarriveàmahauteur.C’estbienlamienne:j’aiécritlesparolesd’unechansonsurlecôté.J’attrapesapoignéeaussivitequepossible.
—Parici!crieunevoixfamilièreetincroyablementgrave,noyéedanslamusiquedemoniPod.Même avec le volume à fond, je la reconnaîtrais à des kilomètres. Une voix trop douloureuse et
irritantepourpasserinaperçue.QuandMamanm’aannoncéquemonpèrevoulaitmagardepourl’été,onatouteslesdeuxétéprises
d’un fou rire tellement cette idée paraissait insensée. « Tu n’es pas obligée de l’approcher », merappelaitchaquejourMaman.Troisanssansdonneraucunsignedevieet toutàcoupilvoulaitquejepasseunétéentieraveclui?Illuiauraitsuffitdem’appelerdetempsentemps,peut-êtredeprendredemesnouvellespourrevenirpetitàpetitdansmavie,maisnon,lui,ilavaitdécidéd’yallerfrancoetdedemanderàpasserhuitsemainesavecmoi.Mamanétaitcomplètementcontre.Selonelle,ilneleméritaitpas,çanerattraperaitpasletempsperdu.Résultat,monpèreamisunpointd’honneuràmeconvaincrequej’adorerais lesuddelaCalifornie.Pourquoia-t-ilsoudaindécidédereprendrecontact?Mystère.Espérait-ilrecollerlesliensbriséslejouroùilestparti?Jedoutaisfranchementquecelasoitpossible,etpourtant,j’aicédéetjel’aiappelépourluidirequejevenais.Madécisionn’avaitrienàvoiraveclui.Cequejevoulais,c’étaitunétéchaud,desplagesfabuleusesetlapossibilitédetomberamoureused’unmannequinAbercrombie&Fitch auxpectorauxbronzés.Etpuis, j’avaismes raisonsdepartir àmillecinqcentskilomètresdePortland.
Toutçapourdirequejenesuispasparticulièrementraviedevoirlapersonnequis’avanceversmoiàcemomentprécis.
Troisans,c’estlong.Ilyatroisans,jemesuraisunetêtedemoins.Ilyatroisans,monpèren’avaitpaslescheveuxpoivreetsel.Ilyatroisans,toutcelan’auraitpasétéaussibizarre.
Je souris jusqu’aux oreilles pour dissimuler une moue permanente que je ne veux pas avoir àexpliquer.C’esttellementplussimpledesourire.
—Mais!C’estbienmapetitefille?s’écriemonpère,éberlué.Çaalors,lesgensdeseizeansn’ontpaslamêmetêtequequandilsétaientaucollège,commec’est
étrange.—Ehoui..Jeretiremonécouteurquicontinuedebourdonnerdiscrètement.—Tum’asmanqué,Eden.Commesilesavoirallaitmesubmergerdebonheur,commesij’allaismejeteraucoudeceluiqui
nousaabandonnées,etluipardonnersur-le-champ.Désolée,çanemarchepascommeça.Lepardon,çasemérite.
Cecidit,sijedoiscohabiteravecluipendanthuitsemaines,j’aiintérêtàmettreleshostilitésdecôté.—Toiaussi,tum’asmanqué.Ilrayonne,sesfossettescreusentsesjouescommedestaupescreusentdestrousdanslaterre.—Jeprendstonsac,dit-ilens’emparantdemavaliseàroulettes.Jelesuisverslasortiedel’aéroport,àl’affûtd’unestardecinémaoud’unmannequinquipasserait
parlà.Sur le parking gigantesque, le soleil brûlantme picote la peau, et la brise légère fait dansermes
cheveux.Quelquesnuagesviennentperturberleciel.—Moiquicroyaisqu’ilferaitmeilleurici,jecommente,agacée.Malgrélesstéréotypes, laCalifornienesemblepasépargnéepar lesnuages, leventet lapluie.Je
n’aijamaisenvisagélapossibilitéquel’étéàPortland,aussipéniblesoit-il,puisseêtrepluschaudqu’àLosAngeles.Jesuis tellementdéçue, jeferaisaussibienderentrerchezmoi,mêmesi l’Oregon,c’estcomplètementnul.
—Ilfaittoutdemêmeassezchaud,ditPapaavecunhaussementd’épaulescontrit.Du coin de l’œil, je constate son irritation grandissante tandis qu’il cherche en vain un sujet de
conversation.Onpourraitparlerdel’atmosphèrepesantedecettesituation.Ils’arrêtedevantuneLexusnoire,immaculée,quimelaissesansvoix.Avantledivorce,mamèreet
luisepartageaientunevieilleVolvoquitombaitenpanneunefoisparmois,quandonavaitdelachance.Soitsonnouveauboulotesttrèsbienpayé,soitilavaitsimplementdécidédenepasdépenserunsoupournous.Nousn’envalionspeut-êtrepaslapeine.
—C’estouvert,dit-ilenchargeantmavalisedanslecoffre.J’enlève mon sac à dos et je monte. Le cuir est brûlant sous mes cuisses découvertes. J’attends
quelquesinstantsquemonpèreseglisseauvolantetdémarre.—Alors,tuasfaitbonvoyage?—Ouais,çaallait.Maceintureattachée,sacsurlesgenoux,jeregardedroitdevant,lesyeuxdanslevague.Lalumière
aveuglantemeforceàchaussermeslunettesdesoleil.Jepousseunsoupir.Ilmesembleentendremonpèredéglutirpours’éclaircirlavoix.—Commentvatamère?—Trèsbien,jem’exclameavecunpeutropd’entrain,pourluimontrerqu’elles’ensortàmerveille
sanslui.Ce n’est pas tout à fait vrai. Elle s’en sort. Pas très bien, mais pas trop mal. Elle a passé ces
dernièresannéesàessayerdeseconvaincrequeledivorceluiabeaucoupappris.Elleveutcroirequec’estuneleçondeviedontelleressortgrandie,maissincèrementçan’afaitqueladégoûterdeshommes.
—Ellen’ajamaisétéenmeilleureforme.Monpèrehochelatêteetempoignefermementlevolantpours’insérerdanslacirculationdensemais
rapide.Lesvoituresfoncentsurlesnombreusesvoies.Ici,pasdegratte-cielaussiimposantsqu’àNewYork, pas de rangées d’arbres serrés comme chez moi, le paysage est dégagé. Je découvre avecsatisfaction la présence de palmiers. Une partie de moi s’est toujours demandé si ce n’était pas unelégende.
Nouspassonssousplusieurspanneauxdedirection.Àlavitesseoùnousallons,lesmotsquidéfilentau-dessusdematêterestentflous.Pouréviterunnouveausilence,monpèretoussoteetfaitunesecondetentative.
—TuvasadorerSantaMonica,dit-ilavecuntrèsbrefsourire.C’estunevillegéniale.—Oui,j’aiunpeuregardésurInternet.Unbrascontrelavitre,j’observeleboulevard.Jusqu’àprésent,L.A.n’estpasaussiglamquesurles
photos.—C’estlavilleoùilyauneespècedefêteforainesurunejetée,c’estça?—Oui.PacificPark.Lesoleilfaitscintillersonallianceenorsurlevolant.Mongrommellementnepassepasinaperçu.—Ellaestimpatientedeterencontrer.—Moiaussi.Jemens. Ella est sa nouvelle femme. Unemère de remplacement : plus neuve, plus performante.
Voilàunechosequejenecomprendspas.Qu’est-cequecetteEllapossèdequemamèren’apas?Unemeilleurerecettedecookies?Unemeilleuretechniquepourfairelavaisselle?
Nousprenonslavoiededroite.— J’espère que vous allez bien vous entendre, ajoute-t-il après un long silence étouffant. Je veux
vraimentqueçamarche.Il veut peut-être que çamarche,maismoi, je ne suis toujours pas emballée par cette histoire de
famille recomposéemodèle.Avoir une belle-mère neme réjouit pas plus que ça. Je veuxune famillenucléaire, une famille comme dans les pubs, avec ma mère, mon père et moi. Je n’aime pas devoirm’adapter.Jen’aimepaslechangement.
—Elleacombiend’enfants,déjà?jedemande,dédaigneuse.Parcequenonseulement j’ai écopéd’unebelle-mère,maisenplus, jedoismecoltinerdesdemi-
frères,paraît-il.—Trois.Tyler,JamieetChase.Manégativitécommenceàl’énerver.—Jevois.Ilsontquelâge?—Tylervientd’avoirdix-septans,JamiequatorzeetChase…onze.Essaiedet’entendreaveceux,
mapuce.Ducoindesonœilnoisette,ilmelanceunregardimplorant.—Ah.D’accord.Etmoiquicroyaisdevoirsupporterdesminusàpeinedouésdeparole.Unedemi-heureplustard,nousparcouronsuneroutesinueusedanscequisembleêtrelabanlieuede
laville.Degrandsarbresauxtroncsépaisetauxbranchescourbéesbordentlestrottoirs.Ici,lesmaisonssont toutes plus grandes que celle où je vis avecmamère, et elles ont toutes une architecture unique.Forme,taille,couleur,iln’yenapasdeuxpareilles.LaLexusdemonpères’arrêtedevantl’uned’elles,enpierreblanche.
—Tuhabitesici?DeidreAvenuemeparaîttropnormale;onsecroiraitdanslenorddelaCalifornie.L.A.estcensée
êtrehorsdumonde,irréelle,faitedestrassetdepaillettes,maispas…normale.
—Tuvoiscettefenêtre?ditmonpère,endésignantcelledumilieuaupremierétage.—Oui?—C’esttachambre.—Oh.Pourdeuxmois,jenem’attendaispasàavoirmaproprechambre,maiscettemaisonal’airénorme,
il doit y avoir des tas de chambres d’amis. Heureusement que je n’ai pas à dormir sur un matelasgonflableaumilieudusalon.
—Merci,Papa.Je prends conscience, au moment de descendre, que le short possède ses qualités et ses défauts.
Qualité:j’ailesjambesaufrais.Défaut:mescuissessontàprésentsoudéesaucuirdelaLexus.Jemetsunebonneminuteàm’enextirper.
—Onferaitmieuxd’entrer,dit-ilentraînantmavalisederrièrelui.Jelesuissurl’alléepavéejusqu’àlaported’entréeàpanneauxd’acajou.Typiquedesmaisonsde
riches.Moi,jemecontentedefixermesConversedontletourblancestdécorédemonécriture.Commesur ma valise, j’y ai écrit les paroles d’une chanson au marqueur. Leur contemplation m’évite depaniquer.
Sanstenircomptedufaitqu’elleincarnelasociétédeconsommationàelletouteseule,lamaisonesttrèsjolie.Comparéeàcelledanslaquellejemesuisréveilléecematin,ellepasseraitpourunhôtelcinqétoiles.UneRangeRoverblancheestgaréedansl’allée.Troptape-à-l’œil,jemedis.
—Tuesnerveuse?Ilm’adresseunsourirerassurant.—Unpeu.J’aiessayéderefouler l’interminablelistedetoutcequipourraitdéraper,maisaufonddemoi, je
suisterrifiée.Ets’ilsmehaïssaient?—Ilnefautpas.Nousentrons,immédiatementaccueillispardeseffluvesdelavande.Derrièrenous,lesroulettesde
mavaliseraclentleparquet.Unescaliermefaitfaceet,àmadroite,uneportemène,d’aprèscequejevoisparl’entrebâillement,
au salon. Droit devant, une grande voûte s’ouvre sur la cuisine. Cuisine d’où émerge une femme quis’avanceversmoi.
—Eden!Ellem’étreint,sesseinsénormesprennenttoutelaplace,puisellereculepourm’observerdelatête
auxpieds.Cequejenemanquepasdefairenonplus.Elleestmince,blonde.Pouruneraisonabsurde,jem’attendais à ce qu’elle ressemble à ma mère. Apparemment, mon père a changé de goûts autant enmatièredefemmequedeniveaudevie.
—Jesuiscontentedefaireenfintaconnaissance!Jem’écartediscrètementenm’efforçantdenepas lever lesyeuxaucielnidegrimacer.Nuldoute
quemonpèremeramèneraitillicoàl’aéroport.Àlaplace,jemecontented’un:—Salut.—C’estfou,tuaslesyeuxdeDave!C’estprobablementlapirechosequ’onpuissemedire.Jepréféreraislargementavoirlesyeuxdema
mère.Mamère,elle,n’estpaspartie.—Plusfoncés,jemurmureavechostilité.Ellan’insistepas.— Il faut que je te présente. Jamie, Chase, descendez ! crie-t-elle vers l’escalier avant de se
retournerversmoi.Davet’aparlédenotrefêtedecesoir?
—Unefête?Cegenredepetitesauterienefiguraitcertainementpassurmalistedestrucs-à-faire-en-Californie.
Surtoutsijeneconnaispersonne.—Papa?Jelèveversluiunsourcilinterrogateurenm’efforçantdenepasprendreunairmauvais.—Onorganiseunbarbecueaveclesvoisins,explique-t-il.Quellemeilleurefaçondefêterl’arrivée
del’étéqu’avecunbonvieuxbarbecue?Siseulementilpouvaitlafermer.Jecroisquejehaisautantlesrassemblementsquelesbarbecues.—Génial.Deuxgarçonsdévalentl’escalieràpaslourdsetsautentlesdeuxdernièresmarches.—C’estEden?chuchoteleplusvieuxdesdeuxàElla.ÇadoitêtreJamie.Etleplusjeuneauxyeuxécarquillés,Chase.—Salut,dis-jeavecungrandsourire.Çava?Vousfaitesquoidebeaupourcesvacances?Sijemesouviensbien,Jamieaquatorzeans.Deuxansdemoinsquemoietpresquelamêmetaille.—Pasgrand-chose,répond-il.Avecsesyeuxbleusétincelantsetsescheveuxblondsenbataille,c’estEllatoutcraché.—Tuveuxboirequelquechose?—Çava,merci.Ilad’assezbonnesmanièresetilal’airplutôtmûrpoursonâge.Onvapeut-êtrepouvoirs’entendre.—Chase,tudisbonjouràEden?l’encourageElla.Chase,trèsréservé,aluiaussihéritédesgènesdesamère.—Bonjour,marmonne-t-ilsanscroisermonregard.Maman,jepeuxallerchezMatt?—Biensûr,monchéri,maisturentresavant19heures.Jemedemandesielleestdugenreàpunirsesenfantspouravoirmisdesmiettessurlamoquette,ou
plutôtànepass’inquiéters’ilsdisparaissentpendantdeuxjours.—Onalebarbecuecesoir,tutesouviens?Avecunsignedetête,Chases’élanceverslaported’entréequ’ilrefermeaussivitequ’ill’aouverte,
sansl’ombred’unaurevoir.—Tuveuxquejeluifassevisiterlamaison,Maman?demandeJamiedèsquesonfrèreadisparu.—Çaseraitchouette,jem’empressederépondreàsaplace.LacompagniedeJamieserasûrementplusagréablequecelledemonpère,oud’Ella,oupire,des
deuxenmêmetemps.Jenevoispasl’intérêtdepasserdutempsavecdesgensquejepréféreraiséviter.Doncpourlemoment,jevaism’enteniràmesnouveauxetfabuleuxdemi-frères.Ilsdoiventtrouvercettesituationaussibizarrequemoi.
—Merci, Jamie, dit Ella, ravie de ne pas avoir àm’indiquer où sont les toilettes.Montre-lui sachambre.
—Onestàlacuisine,situasbesoindequoiquecesoit,faitmonpèreavecunsourirebref.JeréprimeunsoupirtandisqueJamies’emparedemavalisepourlamonteràl’étage.Cedontj’ai
besoin,là,toutdesuite,c’estdefairebronzermesjambesetdeprendrel’air,autrementdit,rienquejepuisseobtenirenrestantcloîtréeici.
Jem’apprêteàsuivreJamiequandj’entendsmonpèresouffler:—OùestTyler?—Jenesaispas,répondElla.Leursvoixs’estompentàmesurequejem’éloignemaisjeparviensàdistinguerlasuite.—Tul’asencorelaissésortir?—Oui,rétorqueElla.
Puisjesuistroploin.—Tachambreestjusteenfacedelamienne,m’informeJamiesurlepalier.Tuaslapluscool,avec
lameilleurevue.—Désolée,dis-jeavecunpetitrire.Je gardemon sourire plaqué pendant qu’il se dirige vers l’une des cinq portes, mais je ne peux
m’empêcher de jeter un coup d’œil au rez-de-chaussée où j’aperçois les cheveux blonds d’Elladisparaîtredanslacuisine.
Elledoitêtredugenreànepass’enfairesiondisparaît.
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Sijedevaisdécriremanouvellechambreenunmot,jedirais«basique».Quedired’autred’unlit,d’unecommodeetdequatremurspâles?Enplus,ilyfaitatrocementchaud.
—Jolievue,dis-jeàJamiesansmêmem’approcherdelafenêtrepourvoirlavueenquestion.Jamierigole.—Tonpèreaditquetupouvaistel’approprier.Jecontourneletapisbeige,examinelesplacardsauxportes-miroirscoulissantes.Beaucouppluscool
quemaminusculependerieàlamaison.Ilyamêmeunesalledebainsattenante.Jejetteunœilparlaporte,satisfaite.Ladoucheal’airneuve.
—Çateplaît?Lavoixdemonpèrederrièremoimefaitsursauter.Jeledécouvre,toutsourire,surleseuil.Depuis
quandest-illà?—Ilfaitunpeuchaud,désolé,jevaisallumerlaclim.Ilfautcinqminutes.—J’aimebiencettechambre.Elle est presque deux fois plus grande que la mienne à Portland. Elle a beau être basique, c’est
impossibledenepasl’apprécier.—Tuasfaim?Iln’al’airbonqu’àposerdesquestions,aujourd’hui.—Tuaspassétoutl’après-midiàvoyager,tudoisêtremortedefaim.Tuveuxmangerquoi?—Çava.Jecroisquejevaisplutôtallercourir.Pourmedégourdirlesjambes.Jenecomptepasfailliràmonjoggingquotidien.J’enprofiteraipourexplorerlevoisinage.Unehésitationpassesurlevisagevieillissantdemonpère.Ilfinitparpousserunsoupircommesije
venaisdeluidemanderdem’acheterdel’herbe.J’émetsunrireforcé.—Papa.J’aiseizeans,j’ailedroitdesortirdelamaison.Jevaisjustefaireuntour.—Vas-yaumoinsavecJamie.Tuaimescourir,non?ajoute-t-ilà l’adressedeJamiequi semble
surpris.TuveuxbienaccompagnerEdenpourqu’elleneseperdepas?—Pasdeproblème,jevaismechanger,ditJamieavecunsourirecompatissant.Ildoitsavoircequec’est,lesparentsquivoustraitentcommesivousaviezcinqans.Cen’estpascequej’appelleraisunbondépartàSantaMonica.Premierjour,etdéjàlatensionavec
monpèreestpresqueinsoutenable.Premierjour,etmevoilàobligéed’assisteràunbarbecuepleinde
gensquejeneconnaispas.Premierjour,etondoitdéjàm’escorterpourunsimplejogging.Premierjour,etjeregrettedéjàd’êtreici.—Nevouséloignezpastrop,ditmonpèreensortantdemachambresansfermerlaportemalgréma
demande.—Tuveuxyallertoutdesuite?demandeJamie.—Siçateva.Avecunbrefsignedetêteilsort,sansoublierdefermerlaporte,lui.Jepréféreraisnepaspassertropdetempsentrecesmurs,surtoutsilaclimnefonctionnepas.Jeme
dépêched’ouvrirmavalisesurlelit.Apparemment,mesaffaires–demonordinateurjusqu’àmessous-vêtementspréférés–sontarrivéesintactes,cequiestassezrarepourêtresignalé.Jefouilletoutaufondpourtrouvermatenuedesport,quej’avaisrangéeenpremier.
Jem’apprêteàpénétrerdanslaluxueusesalledebainsquandmontéléphonevibrepourmerappelerque sa batterie va bientôtmourir. Ce quime fait penser qu’Amelia voulait que je l’appelle dèsmonarrivée.Jedéposemesaffairesdesportsurlelavabopourm’asseoir,jambescroisées,surlecouvercledestoilettesétincelantes.Mameilleureamiedécrocheenunclind’œil.
—Saluttoi,dit-elled’unevoixridicule,entreledessinaniméetlecommentateursportif.—Salut,jerépondssurlemêmetonrigolardavantdepousserunsoupir.C’estpourriici.Laisse-moi
terejoindrepourl’été.—J’aimeraisbien!C’estsuperbizarreici.—Bizarrecommederencontrertanouvellebelle-mère?—Pasaussibizarre.Elleestsympa?C’estpasunemarâtrehorribleàlaCendrillon?Ettesdemi-
frères?Tuesdéjàdecorvéedebaby-sitting?Siseulementellesavait…c’esttoutlecontraire.—Enfait,c’estmêmepasdesgamins.—Hein?—C’estplutôtdesados.—Ahbon?Avant mon départ, j’ai passé deux semaines entières à me plaindre, parce que j’ai un seuil de
tolérancetrèsbasauxenfantsdemoinsdesixans.Ilssontbienplusvieuxqueprévu.—Oui,ilsontl’airsympas.Lepluspetitestasseztimide,d’aprèscequej’aivu.L’autreestunpeu
plusvieux,jecroisqu’onvapouvoirs’entendre.J’ensaisrien.Ils’appelleJamie.—Jecroyaisqu’ilsétaienttrois?—Jen’aipasencorevuledernier.J’avaiscomplètementoubliéquejen’avaispasdeuxnouveauxdemi-frèrespourmejuger,maistrois.—Jelerencontreraisûrementplustard.Là,jevaiscouriravecJamie.—Eden, ditAmelia d’une voix sérieusemais douce.Tu viens juste d’arriver.Détends-toi. Tu es
parfaite.Lecombinécontremonépaule,jemepenchepourretirermeschaussures.—Non.Ellesontencoreparlédemoi?Jepréféreraisnepassavoir,maisilyatoujourscettecuriositéimpossibleàgérerquimerongede
l’intérieur.Jecèdeàchaquefois.—N’ypensepas,Eden,medit-elleaprèsunlongsilence.—Çaveutdireoui,jechuchotepourmoi-même.Montéléphonevibreànouveau.—Bon,jen’aiplusdebatterie.Jedoisalleràunbarbecuecesoir.Sic’esttroppourri,jet’enverrai
desmessagespourqu’ilsvoientbienquej’aidesamis.Amelias’esclaffe.Jel’imagineleverlesyeuxaucielavecemphasecommeellelefaittoutletemps.
—Pasdesouci.Tumetiensaucourant.Monportablemelâchesansnousdonner le tempsdenousdireaurevoir.J’attrapemesvêtements.
Courirestunexcellentmoyendeseviderlatêteetilsetrouvequec’estexactementcedontj’aibesoin.Jemechangeenunclind’œil–jepourraislefairelesyeuxfermés–puisjedescendsàlacuisine.Plansdetravailnoirslustrés,placardsblancslustrés,solnoirlustréégalement.Toutesttrès…lustré.
—Waouh.Jen’osepastoucheràl’évierimmaculédevantlafenêtrepourremplirmabouteille.—Tuaimes?demandemonpère.Ilpassesontempsàapparaîtredenullepart,commes’ilsuivaitmesmoindresfaitsetgestes.—Vousvenezdelarefaire,ouquoi?Avecunpetitrire,ilvaouvrirlerobinet.—Tiens.Jamiet’attenddevant.Ils’étire.Jecontournel’îlotcentralpourremplirmabouteilleàrasbord,avantdedéguerpirsanslui laisser
unechanced’ajouterautrechose.Commentvais-jesurvivreàhuitsemainesensacompagnie?Jamie,quifaitdesallers-retourssurletrottoir,s’arrête.—Jem’échauffaisunpeu.—Jepeuxmejoindreàtoi?Jeboisunpeuavantdelerejoindrepourquelquestoursdepelouse,puisnousnousmettonsenroute,
àvitessemoyenne.D’ordinairejecoursenmusique,maisceseraitimpolidelaisserJamietoutseul.Nousparlonspeuet
échangeonslesoccasionnels«Ralentissonsunpeu»,c’esttout.Çanemedérangepas.Lesoleil,montéen puissance durant cette dernière heure, est terrassant. Les rues ici sont charmantes, les habitantspromènent leurschiens, fontduvélooubaladentdespoussettes. Jevaispeut-être finirparaimercetteville,aprèstout.
—Tudétestestonpère?demandetoutàcoupJamie,tandisquenousretournonsverslamaison.Abasourdie,jemanquedetrébucher.—Hein?jebégaieavantdereprendremesesprits,lesyeuxsurletrottoir.C’estcompliqué.—Jel’aimebien,moi,dit–ouplutôthalète–Jamie.Surprenantqu’ilarriveàsuivremonrythme.—Oh.—Maisçaal’airasseztenduentrevous.—Oui.(Commentchangerdesujet?)Disdonc,elleesttropcoolcettemaison,là!Ilm’ignore.—Pourquoic’esttendu?—Parcequ’ilestcon,jefinisparrépondre.C’estlavérité:monpèreestuncon.—Ilestcondenousavoirlaissées.Ilestcondenejamaisappeler.Ilestconparcequ’ilestcon.—Jevois.Findelaconversation.Nousnousétironssurlapelouseavantderentrerprendreunedouche.Papane
manquepasdenousrappelerquelebarbecuecommencedansdeuxheures.Je suis tellementen sueurqu’aprèsavoirbranchémon téléphone, jeme jette sous ladoucheet j’y
reste une demi-heure, assise àme prélasser dans la vapeur. Chezmoi, les douches ne sont pas aussiagréables.
Je consacre l’heure et demie suivante àme préparer. Si seulement je pouvaisme pointer dans lejardinensurvêtement!Maisjecroisquej’auraisdesproblèmesavecElla.Jedénichedansmavaliseunslimetuneveste.Élégantetdécontracté.Çadevraitlefaire.
Jem’habille,mesèchelescheveux,lesbouclelégèrementetmemaquille,quandjesenssoudaindeseffluvesdegrillades.Ilnevapastarderàêtrel’heure…
Jesuisl’odeurjusquedanslacuisine.Parlaporte-fenêtreouvertesurlepatio,jevoisquelasoiréeadéjàdébuté.Erreur:ildoitêtre19heurespassées.Desenceintesdistillentdelamusique,desgroupesd’adultesontinvestilejardin.Lecauchemar.Chaseetd’autresgaminsdesonâgejouentdanslapiscine.Dansuncoin,monpèreesten trainde retournerdessteakshachéssur lebarbecue, touten tentantunechorégraphiedesannées1980.Ilal’aircomplètementcrétin.
—Eden!Approche!Oh,non!Ella.Sijesimuleunecrised’épilepsie,jepourraispeut-êtreretournerdansmachambre,oumieux,chez
moi.—Pardond’êtreenretard,jen’avaispasvul’heure.—Net’inquiètepas,dit-elle,enremontantseslunettesdesoleilsursatêteavantdemepoussersur
lapelouse.J’espèrequetuasfaim.—Enfait,je…—JeteprésenteDawnetPhilip,nosvoisinsd’enface.—Enchantée,Eden,ditDawn.On dirait que mon père, Ella, ou les deux, ont informé tout le monde de ma présence. Philip
m’adresseunpetitsourire.—Moiaussi.Quedired’autre?Racontez-moivotrevie?Alors,DawnetPhilip,qu’est-cequevousvoulezfaire
plustard?Jemecontentedesourire.—Notrefillenedevraitpastarder,continueDawn,elletetiendracompagnie.—Oh,super…Jedétourne lesyeux. Jen’ai jamaisétédouéepour sympathiseravecd’autres filles.Les fillesme
terrifient.Etrencontrerdesinconnues,c’estencorepire.—Ravied’avoirfaitvotreconnaissance,dis-jeenm’éclipsant.Pourvuque j’arriveàéviterd’autresprésentationsembarrassantes.Ça fonctionnependantquarante
minutes. Je traîne près de la haie,mal à l’aise, grimaçant au son de lamusique pourrie qui sort desenceintes.Quandlanourritureestenfinprêteetquetoutlemondes’yattaque,lebruitdesvoixparvientaumoinsàétoufferunpeul’horriblepopdégoulinante.Jetriturequelquesminuteslepaindemonburgeravantdelemettreàlapoubelle.AumomentoùjecroisavoirréussiàéviterEllapourlerestantdelasoirée,cettedernièredécidedemetraînerd’invitéeninvitépourprésentersanouvellebelle-fille.
—Ah!VoilàRachael!s’exclame-t-elleenm’amenantversunnouveaugroupedevoisins.—Rachael?Jenemerappellepassonprénom.Onm’aprésentéeàtellementdemondeenl’espaced’uneheure
quej’aitoutoublié.—LafilledeDawnetPhilip.Ellel’appellesansattendre.—Rachael!Parici!Ohnon. J’inspire profondément et plaquemonplus beau sourire surma figure.Qui sait, elle sera
peut-êtresympa.Lafillenousrejoint.—Oh,euh,salut,jebalbutie.Ellanousfaitdegrandssourires.—Eden,jeteprésenteRachael.Rachaelsouritelleaussi,commeçaonal’aird’unparfaittriodetueusesensérie.—Salut!lance-t-elleavecunregardgênéàElla,quipigel’allusion.
—Jevouslaisseentrevous,lesfilles.Avec un petit rire, elle s’éloigne vers d’autres conversations ennuyeuses avec d’autres gens
ennuyeux.—Lesparentssedébrouillenttoujourspournousmettrelahonte,déclareRachael.Jedécidequejel’aimebien.—Tuescoincéeicidepuisledébut?Siseulementjepouvaisdirenon.—Malheureusement.Elleadelongscheveuxblonds,teints,sansl’ombred’undoute.Maisjevaislaisserpassercetécart,
parcequ’ellen’apasl’airdemedétester,pasencore.— J’habite juste en face. Tu ne connais sûrement personne ici, donc si tu veux, on peut traîner
ensemble.Jesuissincère,tuviensquandtuveux.Sapropositionmesurprendmaisjeluiensuistrèsreconnaissante.Pasmoyenquejepassedeuxmois
coincéedanscettemaisonentremonpèreetsanouvellefamille.—Çameva…Ilsepassequelquechosedevantlamaison.Par les interstices de la palissade, j’entrevois la route. De la musique noie celle du jardin. Une
voitureblancmétalliséarriveentrombeetdérapelelongdutrottoir.Jegrimacededégoût.Lamusiques’arrêteenmêmetempsquelemoteur.
—Qu’est-cequeturegardes?demandeRachael.Jesuistropoccupéeàobserverpourluirépondre.Laportières’ouvreviolemment.Étonnantqu’ellenesedétachepas.Jenedistinguepastrèsbienà
traverslapalissade,maisungrandtypesortdelavoitureetclaquelaportièreaussifortqu’ill’aouverte.Aprèsunelégèrehésitation,illèvelesyeuxsurlamaisonetpasseunemaindanssescheveux.Ilal’airsuperénervé.Ilsedirigedroitsurleportail.
—C’estquiceblaireau?AvantqueRachaelneréponde,SuperBlaireaudécided’asseneruncoupdepoingauportail.Toutle
mondeseretourne.Ilveutqu’onledétesteouquoi?Sûrementunvoisinencolèreparcequ’iln’apasétéinvitéaubarbecuelepluspourridetouslestemps.
Iladesyeuxvertémeraude.—Pardonpourleretard,s’exclame-t-il,sarcastique.J’airatéquelquechose?Àpartlemassacrede
massed’animaux ? ajoute-t-il en faisant undoigt d’honneur vers, d’après ce que je vois, le barbecue.J’espèrequevousavezappréciélavachequevousvenezd’ingurgiter.
Ilpartd’ungrandrire.Ilritcommesil’expressiondedégoûtdesconvivesétaitlegagdel’année.—Quiveutdelabière?demandemonpèreaumilieudelafoulesilencieuse.Tandisquetoutlemonderetourneàsaconversationavecunpetitrireforcé,SuperBlaireaupassepar
laporte-fenêtrequ’ilclaquesifortqu’onentendleverretrembler.Jesuissidérée.Quevient-ildesepasser,exactement?Quiétait-ce,etsurtout,pourquoiest-ilentré
danslamaison?Bouchebée,jemeressaisisetmetourneversRachael.Ellesemordlalèvreenenfilantseslunettesdesoleil.—Jevoisquetun’aspasencorerencontrétondemi-frère.
3
Je ne sais pas exactement à quoi je m’attendais en venant à Los Angeles, mais je peux dire unechose:pasàhériterd’undemi-frèrecinglé.
—C’estluiletroisième?Autour de nous, les invités font comme si de rien n’était,mais pourmoi, impossible. Pour qui se
prendcetype?—Euh,oui,faitRachaelavecunpetitrire.Jesuisdésoléepourtoi.Etj’espèresincèrementqueta
chambreesttrès,trèsloindelasienne.—Pourquoi?Elleparaîtsetroubler,commesijevenaisdedécouvrirsonplusobscuretterriblesecret.—Ilpeutêtrevraimentinvivableparfois,maisbon,jen’airienàdire.Cenesontpasmesaffaires.Lesjouesrougesetlesouriredetravers,ellechangetrèsvitedesujet.—Tuasquelquechosedeprévudemain?Moncerveauestrestébloquésurcettehistoiredechambre.—Oui…euhattends,non.Désolée,jenesaispaspourquoij’aiditoui.Hmm.Bienjoué,Eden.Parmiracle,Rachaelneme rangepas encoredans la catégoriedesdemeurés congénitaux.Elle se
contentederigoler.—Tuveuxqu’onsevoie?Onpourraitallersurlapromenade,parexemple.—Pourquoipas.Jesuisencoreunpeuabasourdieetagacéeparl’arrivéemalpoliedeSuperBlaireau.Iln’auraitpas
pusecontenterd’entrerpar-devant?Cesremarquesétaient-ellesbiennécessaires?—C’estparfaitpourleshopping!continueRachael.Elle parle sans arrêt, en passant de temps en temps ses cheveux blonds par-dessus ses épaules.
Chaquefois,sesmèchesmefouettentlevisage.Quandelleafinidecaqueter,ellemedit:—Jevaisrentrer,j’aidesmilliersdetrucsàfaire.Désoléedenepaspouvoirresterpluslongtemps.
Mamèrevoulaitquejepassefairecoucou.Donc,coucou.—Coucou.Ellerepartaussivitequ’elleestarrivée,melaissantseuleavecdesadultesàmoitiéavinés.EtChase.—Eden,dit-ilens’approchant.Ilprononcemonnomavecprécaution,commepourvoircequeçadonne.
—Eden,répète-t-ilavecplusd’assurance.Oùestlesoda?Sescopainss’approchentàpetitspasdenous,avecdegrandsyeuxinnocentsetnerveux.Maisbien
sûr,jepense,jesuistellementimpressionnante.—Sûrementsurlatable.Demandeàtamère.—Elleestàl’intérieur.Soudain,l’undesescopainslepoussedansledos,mortderire.Chasesecognecontremoi.Ilfait
aussitôtmachinearrière,gêné.Monhautesttrempé.—Désolé,lâche-t-ilenregardantsongobeletvide.—Cen’estpasgrave.Enfait,c’estparfait.Jevaispouvoirm’échapperdecettefêtehorriblepourchangerdechemise.Je
meglissedanslamaison,ravie.Avecunpeudechance,Papaauraassezdebièresdanslenezpournepasremarquermonabsence,sijedécidedenepasressortirdemachambrebasique.Jevaisappelermamère,ouAmelia,oupeut-êtremecasserlesdeuxjambes.Tout,plutôtquederesterseuledehors.
Avecunsoupirlas–c’étaitunejournéesacrémentfatigante–jem’apprêteàmonterl’escalier.J’aiàpeine atteint la premièremarche que des hurlements retentissent dans le salon. Je suis beaucoup tropcurieuse.Jem’approchedelaporteentrebâillée.
Decequejepeuxvoir,Ella,lesyeuxclosetlatêteentrelesmains,sefrottelestempes.—Jenesuismêmepasenretard,ditunevoixmasculineauboutdelapièce.JereconnaisimmédiatementletonsévèredeSuperBlaireau.—Deuxheuresderetard!s’écrieElla.Jereculed’unpasquandellerouvrelesyeux.SuperBlaireaus’esclaffe.—Tucroyaisvraimentquej’allaisrentrerpourunbarbecuedemerde?—C’estquoileproblème,cettefois?Etnemeparlepasdubarbecue.(Ellesemetàfairelescent
passurlamoquettecrème.)Tutecomportaiscommeungaminavantmêmedesortirdetavoiture.Qu’est-cequinevapas?
Unpeuessoufflé,mâchoirecrispée,iltournelatête.—Rien.—Cen’estpasrien,apparemment.Letondurd’Ellacontrasteavecceluiqu’ellem’aserviunquartd’heureplustôt.—Tuviensdem’humilierunefoisdeplusdevantlamoitiéduquartier!—Qu’est-cequeçapeutfaire?—Jen’auraisjamaisdûtelaissersortir,continueEllaplusdoucement,commesielles’envoulait.
J’aurais dû t’obliger à rester, mais non, bien sûr, parce que j’essayais d’être sympa, et toi, commed’habitude,tumelerendsbien.
—Jeseraissortidetoutefaçon.Ilavanceetjel’aperçoissecouerlatêteenrigolant.—Qu’est-cequetuvasfaire?Mepriverdesortie,encore?Toutàl’heure,ilestpassésivitequej’aiàpeineeuletempsdelevoir.Il a la voix rauque, des cheveuxnoir de jais, ébouriffésmais propres, de larges épaules, et il est
grand.Trèsgrand.IldépasseEllad’aumoinsunetête.—Tuesinsupportable,dit-elleentresesdentsserrées.Soudain,ellelèvelesyeuxet,unefractiondeseconde,sonregardsefixesurmoi.Le souffle court, jem’éloigne. Pourvu qu’elle nem’ait pas remarquée. Peut-être regardait-elle la
porte,etnonlapersonnecachéederrière?Peineperdue.Unesecondeplustard,laportes’ouvresansmelaisserletempsdefuir.
—Eden?
Ellasortdans lecouloiretbaisse lesyeuxsurmoi,àmoitiéétaléedans l’escalier.Mapathétiquetentativedegrimperquatreàquatrenes’estpasdérouléecommeprévu.
—Euh.Jememettraisdesclaquessijen’avaispaslesbrastétanisés.Maisl’humiliationdusièclen’estpasterminée.SuperBlaireaupasselatêtedanslecouloiravantde
nousrejoindre.Jelevoisdeprèspourlapremièrefois.Sesyeuxvertémeraude–brillants,presquetropvifspourêtrenormaux–seplissentdevantmoi.J’enaidesfrissons.Ilserreànouveaulamâchoire,sonsouriresuffisantdisparaît.
—C’estquicelle-là?IllanceàEllaunregardencoinenattendantdesavoirpourquoiuneadoàcôtédelaplaqueesten
traindefairedel’aérobicdansl’escalierdesamaison.Ellahésiteuninstant.—Tyler,c’estEden.LafilledeDave.SuperBlaireau–ou,officiellement,Tyler–émetungrognement.—LaprogénituredeDave?—Salut,dis-jeenmerelevant.Sijetendslamainj’aurail’airencorepluscrétine,alorsjemecontented’entrelacermesdoigts.Sesyeuxreviennentenfinverslesmiens,etilmefixe.Encoreetencore.Ondiraitqu’iln’ajamaisvu
unautreêtrehumain. Il ad’abord l’air troublé,puis fâché,puisdenouveauperplexe.Malà l’aise, jebaisselesyeuxsursesbootsmarronetsonjean.
—LaprogénituredeDave?répète-t-ilplusdoucement,incrédule.Ellasoupire.—Oui,Tyler.Jet’aidéjàditqu’ellevenait.Nefaispasl’idiot.Ilcontinuedem’examinerducoindel’œil.—Quellechambre?—Quoi?—Dansquellechambreelledort?Bizarredel’entendreparlerdemoicommesijen’étaispaslà.Jepariequec’estcequ’ilvoudrait.—Àcôtédelatienne.Ilrâlepourmontrersonmécontentement.Ilcroitvraimentqueçam’amusedevivredanscettemaison
encompagniedecettefamillepathétique?Ehbien,j’aiunscoop:non.Unefoisqu’ilm’abienfusilléeduregardpourenfoncerleclou,ilbousculeEllaetgrimpel’escalier
quatreàquatre.Ellaetmoirestonsmuettesjusqu’àcequenousentendionssaporteclaquer.—Jesuisdésolée,ditElla.L’humiliationqu’ellelaissetransparaîtreestsisincèrequejemeprendsàressentirdelacompassion
pourelle.Peut-êtremêmedel’empathie.Sijedevaisgéreruntelcrétinauquotidien,jeferaisdépressionsurdépression.
—Ilest…Bon,etsionretournaitdehors?Nonmerci.—Enfait,Chasearenversésonverresurmachemise,jedoismechanger.—Oh,fait-elleenexaminantlatachehumideavecunegrimace.J’espèrequ’ils’estexcusé.Quand elle s’éloigne, je parviens enfin à monter les marches et je m’écroule dans ma chambre,
soulagéeàpeinelaportefermée.Enfinseule,sanspersonnepourm’ennuyer.Çadure…huitsecondes.Lamusiquequi retentitsoudaindans lachambrevoisinemenacedefaire
s’effondrerlemur.EtRachaelquiespéraitquemachambrenesoitpasprèsdecelledeTyler.Près,c’est
uneuphémisme,noussommesl’unàcôtédel’autre.Abasourdie,lasse,énervée,jemeplanteaumilieudelapièce.Del’autrecôtédecemurvitungroscrétin.
Dieusoitloué,lamusiquecesseauboutdecinqminutesetonn’entendriend’autrequelebruitd’uneportequis’ouvre.Mondemi-frèreseserait-ilcalmé?Pleinedecetespoir,jesorsàmontourettombenezànezavecdesyeuxférocesetpascalmesdutout.
Sicettepersonnefaitpartiedemanouvelle«famille»,jedoisaumoinsfaireuneffort.—Salut,jetenteànouveau.Est-cequeçava?LesyeuxémeraudedeTylersemoquentdemoi.—Aurevoir,dit-il.Affublédelamêmechemiseàcarreauxrougeetdesesbootsmarron,ildévalel’escalieretsortsans
quepersonneneleremarque.Iln’enamanifestementrienàfaired’êtreprivédesortie.Avecunsoupir,jerentredansmachambre.Aumoinsj’auraisessayé,pascommelui.Débarrasséede
mavesteetdemonhaut,jem’effondresurlelit.Jeparviensàignorerlamusiqueetlesriresalcoolisésquiproviennentdujardin,etjedécompresseenfixantleplafond.Dehors,unevoituredémarreentrombe.Tyler,probablement.
Durantl’heuresuivante,j’appelleAmeliaeninsistantbiensurl’insoutenablebarbecue,monidiotdepèreetcetabrutideTyler.Puisjefaislemêmerésuméàmamère.
Unpeuplustard,alorsquejesomnole,j’entendsmonpèrem’appelerderrièrelaporte.Ilentreavantquejeneluiendonnelapermission.Ilsentlaviandecarboniséeetlabière.
—Toutlemondeestparti.Nous,onvasecoucher.Jetombedesommeil.Jeluisouhaitebonnenuitetmeretourneverslemur,latêtedansl’édredon.Onditques’endormir
dansunlit inconnuestsoit trèsfacile,soit très, trèsdifficile.Et là,malgré lafatiguequim’envahit, jecommence àme dire que c’est la seconde option. Jeme tourne sur le dos, unemain sur le front. Lachaleurdelajournéeestpiégéedansmanouvellechambreetlaclimnes’esttoujourspasmiseenroute.Soitelleestcassée,soitmonpèreaoubliédel’allumer.Ilfaudraquejeluidisedemainmatin.
Jepasseunebonneheureàmeretournerdansmonlitavantdem’endormir.Pendanttrèsexactementquarante-septminutes.Décidément,riennesemblejamaisdurertrèslongtempsdanscettemaison.
Si quelque chose avait dû me réveiller au milieu de la nuit, j’aurais plutôt parié sur la chaleurétouffante.Mais ce sont desbeuglements quime font dresser l’oreille.Àquatrepattes et en alerte, jem’approchedelafenêtreouvertepouryjeteruncoupd’œil.Latempératurenocturnemerafraîchit.
—Nan,lanceTyler,ivre,danslevide.Nan.L’airgrave,ilappuiefermementunemainsurlapelouse.—Qu’est-cequisepasselà?semurmure-t-ilàlui-même.Iladûreveniràpied,jenevoispassavoiture.Aumoinsilluiresteunpeudebonsens.Conduire
aprèsavoirbu,c’estbeaucouptropcrétin,mêmeàsonniveaudecrétinerie.—Minuitestdéjàpassé?Ilpartd’ungrandrire.—Hé,j’appelleenchuchotant.Lèvelatête.Ilmetquelquessecondesàlocalisermavoix.—Qu’est-cequetumeveux,toi?—Çava?Questionidiote,non,çanevapas.—Ouvrelaporte,dit-ild’unevoixtraînante.Ilavanced’unpaschancelantsousleporcheetjenelevoisplus.J’enfilelespremiersvêtementsquimetombentsouslamainetjedévalel’escalieràpasdeloup.Sa
silhouettesedécoupederrièrelesvitresdelaported’entrée.—Maisqu’est-cequejefabrique?jemurmureentriturantlaserrure.
Cet abruti qui n’a fait que me gonfler depuis le début me demande de le laisser entrer, et moij’obéis?Pourtant,sansl’ombred’unehésitation,j’ouvrelaporte.
—T’enasmisdutemps,marmonne-t-il.Ilmedépasse,charriantdanssonsillagedecharmantseffluvesd’alcooletdecigarette.—Tuesbourré?—Nan.(Sonsouriredevientvitesuffisant.)Onestdéjàlematinouquoi?—Ilest3heures.Ilglousseettentetantbienquemaldemonterl’escalier.—Depuisquandyadesmarchesici?Ellesétaientpaslàavant.Dans l’obscurité, je l’entrevois atteindre le palier et disparaître dans sa chambre, sans claquer la
portecettefois.Ouf.Ellaletueraitsielleledécouvraitdanscetétat,àpeinecapabledetenirdebout.Je luiemboîte lepas jusqu’àmachambreoù jemedébarrassedemesvêtements sur le sol. Il fait
encoreincroyablementchaud,alors,aulieuderetourneraulitaurisquedemourirétouffée,jem’assoisàlafenêtre,latêtecontrelavitre.Ilyaunecanettedebièreécraséeprèsdelaboîteauxlettres.
Blaireau.
4
QuandRachaelm’aditqu’onseverraitlelendemain,jenem’attendaispasàlavoirdébarqueràlaporteà10h04.Selever,etpireencore,parleravecdesgensavantmidipendant l’été,c’estabsurde.C’est contre les normes sociales de tout ado sain d’esprit. Je décoche un regard noir à Rachael à lasecondeoùj’arriveaubasdel’escalier.
Monpère,affubléd’ungrandsourire,tientlaported’unemainetunmugdecafédel’autre.—Etvoilàlaprincesse!—Salut,Papa,dis-jegentiment,toutenlevantlesyeuxauciel.Ilcontinueàmeregarder,radieux,commesijevenaisdemefairemapremièreamieàlamaternelle,
avantderetournerausalon.—Lahonte.—Lemienestpareil,ditRachaelenrigolant.Çadoitêtreungenredeloi:touslespèresdoiventêtre
deslosers.—Oui.Jenepensaispasqu’onpartiraitsitôt.Encoreàmoitiéendormie,jesuissurprisedepouvoiralignerautantdemots.Rachaelouvredegrandsyeuxavecunsourirequiveutdire«cettefilleestdébile».—Onestsamedi.Sionvasurlapromenade,ilfautyallersupertôt,sinonçavaêtrelacohue!Jenesaismêmepascequec’est,lapromenade.—Aaah.Elleporteunpetitshort,unchemisiercrème,deslunettesdesoleilgenreRay-Banetuntasdebijoux.
Moi,j’aiuntee-shirttropgrandavecdeslamasdessus.—Jevaismepréparer.Tuveuxentreruneseconde?—Vienschezmoiquandtuesprête,merépond-elleendésignantlamaisond’enface.Avantdepartir,ellemedemandepolimentdemedépêcher.Je me prépare en trente minutes. Pas de petit déjeuner, six minutes dans la douche, les cheveux
détachés, une tenue semblable à la sienne et un très léger maquillage. Rien de trop long ni de tropcompliqué.
—Jesors,dis-jeàmonpère,enpassantlatêtedanslacuisine.Ils’interromptaumilieud’uneconversationavecElla.—Faitesattentionetnerentrezpastroptard.Oùallez-vous?—Untrucquis’appellelapromenade,ouquelquechosecommeça,jecrois.
—Oh!Tylervoulaityalleraussi,commenteElla.J’avaiscomplètementoubliél’existencedececrétin.—Iln’estpasprivédesortie?demandemonpère,unpeudurement.Ilal’airdenepaspouvoirlesupporteretjenepeuxpasluienvouloir.Tylern’estpaslapersonnela
pluschaleureusedumonde.—Tunedevraispasluilaisserautantdeliberté.Ilfautquetuarrêtesdetoujoursluicéder.—Amuse-toibien!meditEllaenignorantmonpère.Sentantlagênes’installer,jedéguerpisleplusvitepossible.JeneveuxpasfaireattendreRachael.
Jenetienspasàmemettreàdosmanouvellecopineauboutdedeuxjours.Quandj’arrivedanssonalléeà10h37,Rachaeln’apasl’airagacée,mêmesiellem’attendait:personnenesortdesamaisonavecautantdeprécipitation,etaussitôt,sansraison.
—Ilvafairechaudaujourd’hui,déclare-t-elleenbasculantlatêteenarrière.Oui,eneffet,ilfaitpluschaudqu’hieretiln’estmêmepas11heures.—Allez,onyva.ElledéverrouillelaNewBeetlerougegaréedansl’allée.J’hésiteàmonter.—Quandest-cequetuaseutonpermis?Ellehausseunsourcilavecunsoupir,commesijevenaisdegâchersonexcursion.—Ennovembre.Jesaiscequetupenses:çanefaitpasencoreunan.Maisicipersonnenesuitces
restrictionsdébiles.Allez,monte.J’ignore donc le fait qu’elle ait l’interdiction légale de me transporter comme passagère car j’ai
moinsdevingtans,etjem’installeenprenantgrandsoindemettremaceinture.—Donctuasdix-septans?jedemandetandisqu’ellefaitmarchearrièredansl’allée.—Toutjuste,j’entreenterminaleàlarentrée,dit-elleconcentréesursaconduite.CommeTyler.On
estdanslemêmelycée.Ettoi?—Première.Plusquedeuxans,etavecunpeudechance,jefaismavalisepourl’universitédeChicago.J’aidéjà
entamémesdemandesd’admission, tellement j’aihâte. J’ai eu lecoupde foudrepourChicagodepuismonentréeaulycée,etmêmesimamèrepréféreraitquej’ailleàlafacdePortland,j’ail’impressionquele cursus de psychologie de Chicago est le meilleur. Et je ne m’intéresse qu’à la psycho. Lefonctionnementdesgensm’intrigue.
—Lapremière,c’estlapireannée.Tuvasdétester!EllesemetàchanteraveclaradioàfondtandisquenousquittonsDeidreAvenue.Cinqminutesplustard,j’ailanauséeetjen’arrivepasàdéterminersic’estàcausedesaconduiteou
parcequenousnousdirigeonsversunendroitbondédegens.DontTyler.—Aufait,Meghanvientavecnous,ditRachelenbaissantlevolume.Ellesegaredevantunemaisondebriqueclaireaucoindelarueetklaxonne.Quantàmoi,jetriture
mesdoigtsavecnervosité.Quelques instantsplus tard,unemétisse asiatiqueauxcheveuxnoirs etbrillants trottineversnous.
Elleseglisseàl’arrière.—Salutlesfilles!dit-elled’unevoixdouce.Rachaelredémarre.—SalutMeg.JeteprésenteEden,lasœurdeTyler.—Demi-sœur,jeprécise.Enchantée.—Moiaussi,faitMeghanavecungrandsourire.Tueslàpourl’été?—Oui.
Lamusiquerésonneànouveau,nelaissant,Dieumerci,plusdeplaceàlaconversation.Nousquittonslesrésidencespourdébouchersurunezonedemotels,decafésetdebureaux.
—J’aihorreurdedevoirchercheruneplace,seplaintRachaelalorsqu’elleentredansunparking,montetroisniveauxetsegareendiagonalesurunespacelibre.Allez,auxboutiques!
Jelessuis,unpeuenretrait,jusqu’aurez-de-chaussée.Ellesmarchentbeaucouptropvitepourmoietje préfère prendre le temps d’examiner ce qui m’entoure. Au coin de la rue, je découvre enfin lapromenade:uneénormeruepiétonnepleineàcraquerdeboutiquesdecréateurs,derestaurantshorsdeprixetdecinémastapageurs:exactementlegenredecentrecommercialquejedétesteentempsnormal.
—Eden,jeteprésenteThirdStreetPromenade!s’exclameRachael.MonendroitpréférédetoutLosAngeles.Lemeilleur.
—Pareil,ajouteMeghan.Soitellessontfolles,soitcesdeuxfillessontdeuxénormesclichéssurpattes.—C’esttropbien,dis-jed’unevoixquimetrahit.Ças’étendjusqu’où?—Troispâtésdemaisons!(Elleregardesamontreenagitant lesmains.)Allezvenez,onperddu
temps!Bigre. Le shopping est le pire passe-temps qui puisse exister sur terre, sauf quand ça consiste à
écumer les rayons d’une librairie.Rachael etMeghan n’ont pas l’air du genre à apprécier ce type deshopping.CequiseconfirmequandellesmetraînentdansunAmericanApparel.
—Tuesune touriste,m’expliqueRachael,doncil fautque tuenprofitesunmax.Moi, j’aibesoind’unnouveaupantalon.
—Etmoid’unsoutien-gorge,ajouteMeghan.Elless’éloignentsansunmotdeplusetmelaissentseuledanscet immensemagasin,pourfairece
quejedétesteleplusaumonde:lescourses.Bon,ilestvraiquej’aipeut-êtrebesoindenouvellestenuesestivales.Jeprendsdoncmoncourageàdeuxmainsetcommenceàfarfouillerentrelesportants.Jefinispar dénicher une petite jupe et un top à imprimés aztèques pas trop mal. La queue aux cabines estinterminable.
—Eden,m’appelleRachaeldenullepart.Sorsdecettefile.—Hein?—Viens…Lafemmedevantmoiseretournepourmetoiserdespiedsàlatête.Rachaelm’attrapeparlecoude.—Ilyad’autrescabinesaufonddumagasin.Ellessontferméesmaisonlesutilisetoutletempspour
nepasfairelaqueue.Jetemontre.Unepiledepantalonssurlebras,ellem’entraîneauboutdumagasin.—J’aiencored’autrestrucsàregarder,viensmechercherquandtuasfini,enfincommetuveux.Elledisparaîtànouveauetjemeretrouvedevantuneporteblancheavecunepancartequim’indique,
évidemment, que les cabines sont fermées. Est-ce qu’elle veutme faire un genre de blague cruelle ?Néanmoins,lavoieestlibre,alorsjemeglisseàl’intérieur.Quellerebelle.
Jevaisessayermesarticlesvitefaitetdéguerpird’iciavantdemefaireprendre.Iln’yapasunbruit,que l’affreuse musique du magasin. J’entre dans la première cabine, le cœur battant la chamade. Aumomentoùjeretiremonchemisier,ungloussementretentitdanslacabinevoisine.Jemepétrifie.
—Arrête!chuchoteunevoixféminine,presqueinaudible.—Mapuce,murmureuneautrevoix,masculinecelle-ci,graveetferme.Bruitdebouchecontrebouche.Oudepeaucontrebouche.Aucuneidée.— C’est quoi ton parfum ? demande la fille entre deux baisers. Montblanc ? Ça sent comme
Montblanc.—Non,Bentley,répondletype.Jehumel’airoùflotteunincroyableparfumd’eaudeCologne.
—Viensici.Nouveauxbruitsdebouches.Uncorpsplaquécontrelemurdemacabine.Jeretiensmarespiration.Lafillerigole.—Qu’est-cequetufais?—Quoi?—Cequetufais,là.C’estagréable.—Évidemment.Beurk.Jesuisentraindevivrelasituationlaplusgênantedemavie.Depeurqu’ilsn’aperçoivent
mespiedsparl’interstice,jemeperchesurletabouret.Jevoudraism’éclipsercommesiderienn’était,maisl’idéequ’ilsdécouvrentmaprésencemeterrifie.Ilsnevoientpeut-êtrepasmespieds,maismoi,j’aperçoislesleurs.Desballerinesbleucieletdesbootsmarron.
—Tyler,halètelafille,onnevapaslefaireici.J’ignorecequ’ilscomptentfaireici,maisceschaussures,cettevoixetlenomdeTylermefrappent
commeunetonnedebriques.Parpitié,non.Aumomentoùjemedisque,çayest,jevaisvomir,j’entendslavoixdeRachael.—Eden,tuesencorelà?Sansperdreuneseconde,j’attrapelesvêtements,jesautedutabouretetjesors,danstousmesétats.
Jetentedeluifairecomprendrepardessignesqu’ilfautàtoutprixdégagerd’ici.—Chut,soufflelafilledanslacabine.Quiestlà?ajoute-t-elle,plusfort.Rachaels’arrête.—Tiffani?—Rachael?Lerideaus’ouvreetunegrandeblondeplatineensort.Ellealesjouesrougesetellesemordillela
lèvre.Sachemiseestàmoitiéouverte.—Hum,jenesavaispasqu’ilyavaitquelqu’un.Manifestement.—Qu’est-cequetufabriques?demandeRachael,soupçonneuse.Tyler,tueslà?Nousattendonslaréponse.—Oui,jesuislà.Tylersortàson tourenenfilantun tee-shirtgrispâle. Ilpasse lamaindanssescheveux. Ila l’air
d’allermieuxquecettenuit.—Vousavezdéjàentenduparlerdel’intimité?—Vous avez déjà entendu parler de ne pas se peloter aumilieu d’AmericanApparel ? rétorque
Rachael.C’estdégueu.Les sourcils parfaitement dessinés de Tiffani, ses pommettes hautes et ses lèvres pulpeuses
s’affaissent d’un coup. D’abord déconcertée d’avoir été prise sur le fait, son expression se durcitsoudain,alorsqu’ellereboutonnesachemise.Jenepeuxm’empêcherdedétournerlesyeux.
—Qu’est-cequevousfichezlà,vous?demandeTylerenportantsonattentionsurmoi.Sesyeuxperçantsmefixentplusieurssecondesetmedéclenchentunfrissondansledos.Queva-t-il
encoredire?—Cequ’onfaitnormalementdansdescabinesd’essayage,ditRachael.Onessaiedesfringues.Énervée,Tiffaniluidécocheunregardmeurtrieravantdesetournerversmoi.—Ettoi,tuesqui?—Eden,jemurmure.J’aidumalà laregarderdanslesyeux,d’abordparcequejemesensminusculeetpuisparceque
cettesituationestbeaucouptropembarrassante.ÀlaplacejeregardeTyler.—Sademi-sœur.
—Tuasunedemi-sœur?demandeTiffani,perplexe,maisbrièvementadoucie.—Apparemment.Elle reste interdite quelques instants, comme si une demi-sœur était un genre de créature
mythologiquequin’existequedanslescontesdefées.Quandelleparvientenfinàintégrerl’information,elleseretourneversmoi,lesyeuxplissés.
—Qu’est-cequetufaisaislà-dedans?Tunousespionnais?—Relax,mapuce,luiditTyler,m’épargnantdumêmecoupd’avoiràtrouveruneexcuse.Ons’en
fiche,c’estpasimportant.Arrêtededélirer.Tiffaniouvredegrandsyeux,ébahieparsonabsencederéaction.Ellecroiselesbras,vexée.—Jedisça,jedisrien.—Ouais,alorstais-toi.Elles’enfiche.Viens,onsecasse.JedoispasserchezLevi’s.Impatient,ilpasseunbrasautourdesesépaules,maisellerésisteets’adresseàRachael.—Onsevoitmardi.Tuvienstoujoursàlaplage?—Oui,faitRachaelavantdemejeteruncoupd’œil.Àcetteseconde,jesaisexactementcequ’ellepense.Faitesqu’elleneledisepasàvoixhaute.Mais
évidemment…—Edenpeutveniraussi,n’est-cepas?Rhaaa.Renfrognée,Tiffanisoufflelentement.Doit-elle(ounon)autoriseruneintruseàenvahirsesprojets?
Pourfinirellemarmonne:—Sielleveut.Puis, enfin, elle autorise Tyler à l’entraîner dehors, mi-honteuse, mi-irritée. Ses joues vont
probablementmettredesheuresàretrouverunecouleurnormale.Danslesilencequisuitleurdépart,jemetourneversRachael.— Petite copine, m’informe-t-elle. Ils sont ensemble depuis la seconde. Tu es grillée à vie,
maintenant.Jerespirepourlapremièrefoisdepuisdixminutes.—Ilesttellementcon.—C’estTylerBruce.Ilesttoujourscon.
5
Pourêtrehonnête,monaprès-midisurlapromenadeencompagniedeRachaeletMeghann’apasétésicatastrophique.Ellesn’ontpaspassédesheuresdans lesmêmesmagasinsniexplosé leurargentdepocheenchaussures,et,surprise,ellesadorenttouteslesdeuxlecafé,cequej’aidécouvertquandnousnoussommesarrêtéesdansunpetitcaféminimaliste,aucoindeSantaMonicaBoulevard.Ças’appelaitTheRefineryetilsservaientlemeilleurlattequej’aiebudepuispasmaldetemps.
—Tuessûrequetuneveuxpasvenir?demandemonpèrepourlahuitièmefois.Affairéeàmepeindrelesonglesdepiedsenbleusaphir,jem’interrompspourjeteruncoupd’œilà
l’êtrehumaintrèsagaçantquivientdepasserlatêtedansmachambre.—Oui,jesuissûre.Jenemesenstoujourspastrèsbien.Je retourneàmesongles, têtebaissée. Je suisunepiètrementeuse.Quand j’étaispetite,monpère
savaittoujoursquandjementais,rienqu’enmeregardant.Pourvuquecenesoitplusaussiévident.—Ilyaàmangerdanslefrigo,situasfaim.—D’accord.Jevaispeut-êtrepasserpouruneasociale,maisl’idéedepassermonsamedisoiraurestaurantavec
ma famille recomposée me donne la migraine. Durant les deux heures suivant mon retour de lapromenade, mon père n’a rien fait d’autre que me harceler pour que j’assiste à leur affreuse petiteréunion.J’aidéclinésystématiquement.
J’entermineavecmonvernisetjesorssurlepalier,enéquilibresurmesplantesdepieds.Depuislerez-de-chaussée, Ella me crie qu’ils s’en vont. J’amorce une descente, quand Tyler émerge de sachambre.
Ilplisse lesyeuxà la secondeoù ilmevoit etnous lance, àmonsurvêt’ et àmoi,un regardnoirappuyé.
—Tun’yvaspas?—Ettoi?Ilporteunsweatbleumarine,capuchesurlatête,unécouteuràl’oreille.—Privédesortie,fait-il,méprisant,ensefrottantlestempes.C’estquoitonexcuse?—Malade.Jemeretournepourdescendremaisjelesenstoutprèsdemoi.—Tiensc’estmarrant,j’ajoutetoutbas,çanet’apasempêchéd’allerchezAmericanApparel.—Tulafermes,souffle-t-il.
Dans l’entrée, Papa etElla attendent à la porte. Jamie etChase ont l’air blasés.Leur âge ne leurpermetpasdes’échapperfacilement.
—Onnevapasrentrertroptard,ditElla.ElleposeunregardfermesurTyler.Ellesemblepresqueinquiètedelelaisserseul.—Situcomptessortir,n’ypensemêmepas.—Jen’oseraispas,Maman,rétorque-t-il,sarcastique.Ils’adosseaumur,brascroisés.—Onpeutyaller?demandeChase.J’aifaim.Dieumercijen’aipasàsubircequ’ilvaendurer.—Oui,oui,onyva,ditmonpère.Illeurouvrelaporte,puissetourneversmoi.—J’espèrequetuvasvitetesentirmieux,Eden.Jemecontentedesourire.—Àplus.—Soyezsages,ajouteElla.Malgrésonairsoucieux,ilsfinissentparpartir.Unsilenceparticulierretombesurlamaisonetjeprendssoudainconsciencequejemeretrouveseule
aveclegroscrétin.Pourtoutelasoirée.Jemetourneverslui.—Hum.—Hum,fait-ilpourm’imiter,mal.—Hum.—Jevaisprendreunedouche.Enfin,situtepoussesdemonchemin.Jem’écarte et ilme dépasse de lamême façon que la veille, comme si je n’étais qu’un vulgaire
obstaclesursaroute.—Tropmalpoli,jemarmonne.Çafaitquarante-huitheuresquejesuisicietiln’apasditunseulmotsympa.Iln’amanifestement
aucunsavoir-vivre.Jesuisraviedenepasavoiràluiparleraumoinsdurantlescinqprochainesminutes.Jevaismeposerdanslecanapédusalon.Jem’ennuiedéjààmourir.Lavérité,c’estquequandon
débarquedansunevilleetqu’onn’yaaucunami,onfinitparpassersonsamedisoirtouteseuledanslesalonimmaculédesabelle-famille,àregarderdesrediffsdeL’IncroyableFamilleKardashian,parcequelaseulechoseàfairequandvotrevieestpourrieàcepoint,c’estd’épiercelledesautres.Ameliametuerait si elle savaitque je regardecetteémission. Jen’aimemêmepasce truc.Bon,peut-êtreun toutpetitpeu,maisjenel’avoueraisjamais.
Toujoursdevantlatélé,jebombardemamèredetextospourmeplaindredemonpère.Ellevalidechacund’eux.
Soudain,unevoixféminineretentitdansl’entrée.—Ilyaquelqu’un?Çanepeutpas êtreElla, elle est partiedepuisunedemi-heure et ils nedoiventmêmepas encore
avoirentamél’entrée.—Oui?—C’estquiça?exploselavoix.Desurprise,jemerecroquevillesurlecanapé.Unesilhouetteouvrelaportedusalonàlavoléeet
entre,lèvrespincées.Tiffani.Ellepousseunlongsoupirenmevoyant.—Pardon,j’aicruque…—Tuascruquoi?—Rien.OùestTyler?Jemedésintéressedanslasecondeetretourneàmonépisode.
—Jenel’aipasvudepuisqu’ilestpartiprendresadouche.—Merci.Jel’entendsgrimperlesmarchesquatreàquatrecommesielleétaitchezelle.Lentement,jebaissele
sondelatélépour,ilfautbienl’avouer,laissertraînermesoreilles.Jen’entendsrienpendanttroisminutes,puisleursvoixrésonnentdansl’escalier.—Relax,ditTyler.J’allaisvenircheztoidansuneheure,commetul’asdit.—Tuauraisaumoinspurépondreàmesappels.—Jen’aipasentendu,aveclamusique.Ilss’arrêtentdansl’entréeetTylermevoit.—C’estquoitonproblème,àtoi?—Ohlala,jesouffle.JenesaispascommentTiffaniarriveàlesupporter.—Tais-toi,Tyler,dit-elled’untondésapprobateur.—Rienàfaire.Allez,onsecasse,fait-il,glacial,enmetournantledos.—Enfait…ElleregardeTylerparendessous.Cedernierrelèvesonexpressionsuffisante.—Quoiencore?Tiffanivientseplanterdevantlatélé.Jenemesenspasassezàmonaisepourmedisputeravecdes
inconnus.—Changementdeplan,dit-elleennousregardanttouràtour.J’acceptedel’écouter,àraison,vulasurprisequinousattend.—Austinfaitunesoiréededernièreminute,etonyva.Toiaussi,Eden.C’estbienEden,hein?Tu
n’aspasfranchementl’aird’unefêtarde,maisselonRachael,jedoist’inviter.Alorsviens.—Attendsdeuxsecondes,l’interromptTyler.Jecroyaisqu’onallaitcheztoi.Tusais…,ajoute-t-il
toutbas.Maistoutlemondeacompriscequ’ilavaitentête.—Onverraçaplustard,chuchote-t-elle,puis,plusfort:bon,doncEden,tuviens.Ettoiaussi,Tyler.
Tuviens,etpourunefois,tâchedenepasfiniràquatrepattes,continue-t-elle.—Hein?—RachaeletMegsontdéjàchezmoientraindesepréparer,allez,onyva!Clésdesavoitureenmain,ellesedirigeverslaporte,maisjem’empressedelarappeler.—Attends,jedoismechanger.Jemelève,lesyeuxauplafond.Avecunpeudechance,ilvas’effondrersurmoi.—J’enaipourcinqminutes.Commentjefaispourmeretrouversystématiquementdanscegenredesituationdébile?Etpourquoi
suis-jeincapablederefuser?Tiffanis’esclaffeetmetireparlebras.— Je peux te prêter quelque chose, s’exclame-t-elle avec pitié.Allez, viens !On part dans deux
heures.EllemelâcheetTylerlasuitdehors.—Jecroyaisquetuétaisprivédesortie.Ilsetourneversmoiavecunregardmauvais.—Etmoijecroyaisquetuétaismalade.Çameclouelebec.
J’angoissependanttoutletrajetjusquechezTiffani.Unechoseoccupemespensées:jenemesuis
pas rasé les jambes. Cette idée me tourmente pendant les dix minutes où je me retrouve coincée à
l’arrièredelavoituredesport,lesgenouxdanslapoitrineparcequeMonsieurTyleradécidédereculersonsiègeaumaximum.Ilsnem’incluentpasdansleurconversation.Cecidit,cen’estpascommesiçam’intéressait.Ilsparlentdesderniersragotsdeleurlycée.Apparemment,EvanMyersetNicoleMartinezauraientrompu.
Tiffanihabiteauboutduquartier,suruntrèsgrandterrain,dansunemaisonqui,d’aprèslemarbre,suggèrequ’elledoitavoirunmajordome.Pourtant,unefoisàl’intérieur,aucunetracededomestiques.Cen’estqu’unemaisonnormale,construiteenmatériauxtrèscoûteux.
—Tamèren’estpasrentrée?demandeTyler.Sespremièresintentionsdeviennentencoreplusclaires.—Non.Ilyadelabièreàlacuisine.Tupeuxteservirpendantqu’onseprépare,maisvas-ymollo.De la musique à plein volume résonne à l’étage. Tiffani m’entraîne dans l’escalier – en marbre,
évidemment.—Onn’enapaspourlongtemps!crie-t-ellepar-dessuslarambarde.—Tiff?appellelavoixdeRachaeldepuisunechambreauboutducouloir.Tiffani?—Mevoilà!—Eden!Tuesvenue!Feràfriseràlamain,Rachaelserelèvealorsqu’elleestentraindecoifferMeghan.Jen’aipasvraimenteulechoix.—Vousêtessûrequejepeuxvousaccompagner?—J’imagine,répondTiffani,pastrèsconvaincante.Ellesedirigeverssondressing(ungenredevoûteconduisantàunepartiedesachambrepleineà
craquerdevêtements),etmetoise.—Rachaelmeditquetun’eslàquepourl’été,c’estça?—Oui.—Donctudoisenprofiter,jesuppose.—Elle a raison, confirmeMeghan, assise par terre dans une robede soirée en soie, ses cheveux
bouclésauxtroisquarts.Onvas’assurerquetunepassespasunétépourri.Troptard.—Vienschoisirtarobe!faitTiffaniavecunenthousiasmesurjoué.Jeteconseilledunoir.Noirou
rouge.Çat’iraitbien.Etmoulant.Oui.Attends,Meghan,tuportesdurouge?Bonalorsnoiretmoulant.Onditça.
Sansmelaisserletempsderien,ellemetendunerobequ’ellereprendimmédiatement.—Enfait,celle-civaêtretropmoulantepourtoi,marmonne-t-elleenmetoisantdelatêteauxpieds.Jemesensrapetissersoussesyeux.Est-cequ’ellevientd’insinuerquejesuisgrosse?J’aimeraiscroirequecen’estpascequ’elleavouludire,maisçafaitquandmêmemal.C’esttrop
tard pour l’ignorer. Sa remarque se répète encore et encore dansma tête. Elleme ronge pendant queTiffani empile des robes avec le même enthousiasme artificiel. J’inspire lentement. J’essaie de mepersuaderqu’elleatort.
Ellemelaisseavecuntasderobesnoiresdanslesbras.Pourcommencer,jelâchemescheveuxetluiemprunte son fer à lisser. Meghan me propose de me maquiller. Tiffani me déniche une paire decompensées pour aller avec la robe que j’ai choisie, parce que, quelle chance, nous faisons lamêmepointure.Quandvientlemomentd’enfilerlarobe,jeconfieàRachaellesecretdemesjambespoilues.Prise de fou rire, elle m’envoie dans la majestueuse salle de bains de Tiffani, avec des instructionsclairespourtrouverlesrasoirsjetablesetréglerleproblème.
Jeviensjustederéussiràenfilerlarobe–très,trèsétroite,cequimemetencoreplusmalàl’aise–quand j’entendsTylerdébarquerdans la chambredeTiffani.Nous sommes finprêtes.Si les robesde
Tiffani,RachaeletMeghansonttoutesaussiserréesquelamienne,jemesensquandmêmeatrocementhorsdepropos.Letissus’accrocheàchaquemillimètredemoncorps.
—C’estbon,onpeutyaller?demandeTyler,blasé.Il attend depuis deux heures avec, à en juger par son équilibre douteux, la bière pour seule
compagnie.—DeanetJakesontdéjàlà-bas.—Jesuisbelle?demandeTiffani,entournantsurelle-mêmepours’assurerqu’illaregarde.Bienqu’ellesoittrèsmoulanteettrèscourte,sarobeblancheluiconfèreuneélégancecertaine.—Tuesparfaite,bébé,bredouille-t-ilenbuvantunedernièregorgéedebière.Trèssexy.Il l’attrapepar la tailleet l’attireà luipourl’embrasserpresqueviolemment,commes’iln’yavait
personnedanslapièce,unemainsursesreins,l’autreagrippéeàsafesse.Ellenesedébatpas.JelanceunregarddégoûtéàRachaelquilèvelesyeuxauciel.Onn’entendquel’horriblebruitde
succion.TyleretTiffani:lepirecouplequipuisseexisterenmatièred’étalaged’affection.—Ilssonttoutletempscommeça?jechuchote.Jenecomptepasinterromprepourladeuxièmefoisleurpetitmomentd’intimité.—Toutletemps,faitRachaelaveccompassion,jecrois.Ils n’ont pas l’air de vouloir s’arrêter, même quandMeghan les pousse pour que nous puissions
sortir.Ondiraitqu’ilsnesesontpasvusdepuistroisans.Àcepoint.Alorspeut-êtrequeTylerestpénible,etpeut-êtrequeTiffaniestmalpolie,etpeut-êtreque jesuis
grosse.Maismoiaumoins,maroben’estpasaussicollantequecesdeux-là.
6
Il est 20 heures passées quand Meghan nous emmène à cette soirée qui me terrifie au-delà dupossible.Jeflippetellementquejecroisquej’auraispréféréallerdîneravecPapaetElla.Meforceràavalerdelanourriturehorsdeprixmeparaîtplusappréciablequelegoûtamerd’unalcoolbonmarché.
Dehors, je me prends à admirer la beauté de l’obscurité qui commence à naître autour du soleilcouchant.Rachaeldécidedeprendrelaplacedumortetjemeretrouveàl’arrièredelaToyotaCorolla,de la vodka à mes pieds, et Tyler, coincé entre Tiffani et moi, des bières sur les genoux. Entre lesparfumsmêlés auxdéodorants, sans compter lamusiquedeplus enplus forte, on suffoque.Lavoituredémarre,àunevitessenormale,Dieumerci.Meghanconduitpenchéesurlevolant,raideetsansunmot.Elleal’airterrifiée.RachaeletTiffanibavardentassezpourcouvrirsonsilence.
—SiMollyJeffersonestlà,jevousjurequejem’envais,affirmeRachaelenlevantlesyeuxdesonportable.
ElleenvoiedesSMSàlavitessedelalumière.J’observesesdoigtsavecfascination.Tiffanis’esclaffeenserecoiffant.—Qu’est-cequ’elleferaitlà?Austinestuntocard,maisilaquandmêmequelquesprincipes.Pasde
nuls.Ellesepenchepourmeregarderquelquessecondespar-dessusTyler,ellesouritetsereculesurla
banquette.Pendantquenoustraversonslaville,jejetteuncoupd’œilàmagauche.Brascroisés,visageferméet
rivéaufreinàmain,Tylern’apasl’airtrèsàl’aise.Iladûmeremarquerparcequ’ilmelanceunregardencoinavantdedétourner lesyeuxaussivite.Jemetourneautantque jepeuxvers les immeublesquidéfilentderrièrelavitre,sansparveniràmedétendre.Jesenssesyeuxsurmoi,maischaquefoisquejemeretournepourleprendresurlefait,ilregardedéjàailleurs.
—Etcettefille,là,Sabine?Sabinecomment,déjà?RachaelseretourneversTiffani.—Tuvoisdequijeparle?L’Allemandequiestlàenéchange?—Cellequim’apiquémaplaceenespagnol?SabineBaumann.—C’estça!Ellen’apasintérêtàêtrelànonplus.EllepassesontempsàmaterTrevor.—Ettoiaussi,Tyler,ajouteTiffani.JesensTylerhausserlesépaules,maisTiffaninesemblepasportercettefilledanssoncœur.Ellese
rapprochedelui,lèvrespincées.
Ellescontinuentàdiscuterdespotentielsinvitéstandisquenousrestonsmuets.Meghanparcequ’elleesttropoccupéeàessayerdenepasnoustuer,Tylerparcequ’ils’efforce,avecbeaucoupd’intensité,denes’intéresseràrienenparticulier,etmoiparceque,franchement,jen’enairienàfaire.
Quinzeminutes–etbeaucoupderajustementsdecoiffureetderemarquesvaches–plustard,nousvoilà à la soirée, qui semble déjà battre son plein. Plusieurs personnes sont rassemblées devant lamaison,d’autresarriventtoutjuste.Lamusiquerésonnedèsquenoussortonsdelavoiture,queMeghanaréussiàcaserentreunvieuxtacotetunedécapotable.Jemeretrouveàporterunpackdebièresetunebouteille de vodka avec l’impression soudaine d’être une alcoolique. Je parie que les voisins nousespionnent à travers les stores, prêts à appeler le commissariat. C’est évident que nous sommes tousmineurs ici. Jeme demande oùTiffani,Rachael etMeghan se sont procuré tout ça, et comment,maiscommetouslesadosdecepays,ellesdoiventavoiruntruc.Ilyatoujoursuntruc.
—Hé,Tyler!s’exclameungarçonassezpetit,crânerasé,uneBudweiseràlamain.C’estcoolquetuaiespuvenir.
Ilssefontuncheck.—Ouais.C’estoùlacuisine?demande-t-ilenmontrantsonpackdebières.Letypedésignelamaison.—Pose-leetviensnousrejoindre.D’unpasmalassuré,Tylerdisparaîtàl’intérieur,nonsansavoirsaluéplusieurspersonnessurson
chemin.Tiffanis’approcheàsontourdumêmetype:l’hôtedelasoirée.—Salut,Austin!Jelasuis,RachaeletMeghanàmescôtés,sanspouvoirm’empêcherdemesentirdéplacée.—Faitescommechezvous,lesfilles.Joliesrobes,faitAustind’untonlibidineux.—Jesais,ditTiffanientournantlatêtepouradmirersespropresfesses.Aufait,Edenestlàaussi.—Eden?SesyeuxpassentsurRachael,puisMeghan,etenfinmoi.—AlorsEden,ontapel’incruste?Alors que je m’apprête à mourir sur place, Tiffani s’avance et plaque une main sur la poitrine
d’Austin.Ellesepencheàsonoreille.—Eden est la demi-sœur deTyler. (Elle recule avec un regard sévère.)Et tu ne voudrais pas te
mettreTyleràdos,n’est-cepas?Alors…Aussitôt,lerictusd’Austinlaisseplaceàungrandsourire.—Bienvenueàmasoirée!Éclatez-vousoucassez-vous!Illèvesabière,émetunlongsifflementpuiss’éloigne.—Vousl’avezentendu,commenteRachael.Elleouvresabouteilledevodkaetboitculsec.Elleal’airhabituée.—Onvas’éclater!Il commence à faire sombre. Nous suivons Tiffani à l’intérieur. C’est donc elle, la meneuse du
groupe. Le trio d’amies, plusmoi, l’intruse de Portland. Situation qui implique angoisse, nervosité etconsciencedenepasêtrelabienvenueici.
Lamaisonestbondéedusolauplafonddegensetdepacksdebières,etilfaittrès,trèschaud.Lamusique hurle, l’alcool coule à flots. La plupart des convives sont déjà éméchés, voire complètementsaouls.Seulesquelques rarespersonnes tiennentencoredebout.Nousnous faufilons jusqu’à lacuisinequeTyleradéjàquittéeaprèsavoirlaissésesbièresparmidestasd’autresbouteillessurchaquesurfaceplanede la pièce. Je contourne avecprécaution les verres à shot qui décorent le carrelagepour allerdéposerlepacketlavodkasuruncoindetable.
—Excuse,Rach,dituntypederrièrenous.
Illafaitsedéplacerenpassantsesmainsautourdesataille.—Jemedemandaissituallaistemontrercesoir.—Trevor!Toutexcitée,ellesejetteàsoncoupourl’embrasser.Trevorlacontournepourattraperunebièretandisqu’ellel’observecommeunegaminedetroisans
observeunchiot.—«Petitcopain?»j’articuleàl’adressedeMeghanquifaitnondelatête.—Jevousrejoinsplustard,lesfilles!s’écrieRachael.Amuse-toibien,Eden!Ilssortentdelacuisineensemble,TrevoravecsabièreetRachaelavecsavodka.—Cettefilleestunealcoolo,ditTiffaniledostourné,ensortantdeuxverresàshot.Elleacommencé
àpicoleràlasecondeoùelleestarrivéechezmoi.C’estvrai,Rachaelapassésontempsàsortirdelachambrependantquenousnouspréparions.Moi
quicroyaisqu’elleallaitauxtoilettesdemanièrecompulsive.J’observeTiffaniremplirlesverresdetequila.—C’estqui,ceTrevor?jedemande.—Sonmec de soirée, répond-elle d’un tonmonotone. Ils ne sortent ensemble qu’en soirée.Bon,
tiens.Elle se retourne avec un large sourire pourme tendre un verre de tequilaCazadores. Je lance un
regarddésespéréàMeghanquihausselesépaulesetsecouesesclésdevoiture.J’aidéjàbude la tequiladeuxou trois fois àPortland,maisçanem’a fait aucuneffet, àpartme
laisserungoûtamerdanslabouche.—Oh,dis-jeenexaminantleverrerempliàrasbord.Ducoindel’œil,jeremarqueTiffaniselécherledosdelamain.—Oh?Avecungloussement,MeghanlèvelesyeuxaucieletpasseunesalièreàTiffani.—Tuasdéjàfaitça?—Boiredelatequila?—Boiredelatequilacorrectement.Tusais,aveclecitronettout.Chezmoi,nousnebuvonsquedelabièreetdurhum.—Euh…Nossoiréesnesontpasaussi…—Cool?Elleseverseduselsurledosdelamain.—Tupourrasleurapprendreçaquandturentreras.Tulèchestamainentretonpouceettonindex.Jemesens toutàcoup trèsbête. J’ai l’impressionde retourneraudébutdu lycée, scrutéepardes
élèvesplusvieuxetpluscool.Maisonn’estpasaulycéeetcenesontpasmescamaradesdeclasse.Onestàunesoiréeetcesfillessaventquoifaire,quoidireetcomments’intégrer.Moi,jesuiscarrémentàl’ouest.
—D’accord,dis-jeenmeléchantlamain.JemesensridiculeetjecommenceàmedemandersimonpèreetEllasontdéjàrentrésàlamaison.—Sel.Ellemepasselasalièreetjel’imiteenversantunpeudeselsurmamain.—Ildoityavoirdescitronsquelquepart.—Ilssont là,Tiff, faitMeghanenriantdevantunplatremplide tranchesdecitronsvertsprêtesà
l’emploi.Unemainsurlefront,Tiffanipousseunsoupir.—Jen’aipasencorebuetjesuisdéjàentraindedeveniraveugle.Bonalors,tuprendsunetranche,
tulatiensdanslamainoùtuaslesel…
Jefaiscequ’onmeditetj’attendslaprochaineinstruction.—Etmaintenant?—Sel,tequila,citron,répondMeghan.QuandTiffaniluifaitsigne,ellecriepournousencourager:—Allez,allez,allez!Jepaniquemaislècheleselquandmêmeetbasculelatêteenarrièrepourtenterdefairepasserla
tequilasansvomir.C’estameretdégoûtant.Avecunegrimace,jemordsdanslecitron,maislejusmegiclesurlesjouesetjemepencheversl’évierenrenversantmonverre.
Jevaisme faire tuer en rentrant. Je dois avoir l’air horrifiéeparcequeTiffani s’empressedemetendreunebière,commesiçaallaitfairepasserlegoût.
—Tu sais ce qu’on dit, fait-elle, tout sourire, une tequila, deux tequilas, trois tequilas, quatre…pattes!
Plusieurspersonnesentrentchercheràboire;ellesaisitl’occasionpours’esquiver.—JevaischercherTyler.Amusez-vousbien.Levolumede lamusiqueaugmenteetmevrille les tympans.Lapulsation intensemedonnemalau
crâne.Meghan attrapemamain pourm’entraîner dans le salon plein à craquer. Elle parle à quelquespersonnes en cheminmais heureusement, personne ne lui demande qui est la crétine accrochée à sesbasques.
Ungrandcostaudblondnousaccoste.—Jake!hurleMeghan.—Salut,Meg.Ilporteuntee-shirtàmessagequelconqueetils’estfaituneffetcoiffé-décoifféaugel.—OùsontTiffetRach?Intéressant,Jakesembleavoiruneprédilectionpourlesdiminutifs.—RachaelavecTrevor,fait-elleenlevantlesyeuxcommeellesaitsibienfaire,etTiffanicherchait
Tyler.Tunel’aspasvu?Jakeserenfrogne.—Ouais.Ilfaitsontruc.Meghanmejetteuncoupd’œilensemordillantlalèvreetchangedesujet.—EtDean?—Ilvouscherchait.Ilsembleseradouciretavaleunegorgéedesabièreavantdeportersonattentionsurmoi.—C’estquilanouvelle?—Eden,réponds-jeavantMeghanetenanticipantlesquestionssuivantes.Jesuislademi-sœurde
Tyler.Jesuislàpourl’été.Lerevoilàquiserenfrogne.IlregardeMeghan,quihausselesépaulesàsontour.—Quoi?—Euh,commenceMeghan,jevaisessayerdetrouverRachael.Jedoisfairegaffequ’ellenesefasse
pasmettreencloque.—Tuveuxquejeleurpassedescapotes?faitJakeavecunsourirenarquois.Ilfaitminedefouillersespochesenrigolant.Meghanglousse,setouchelescheveuxets’éloigne.—Donctueslademi-sœurdeTylerBruce?Nier serait débile, alors je murmure un rapide « oui » avant de changer de sujet aussi vite que
possible.Jeluiposelapremièrequestionquimevientàl’esprit.—Vousêtestousenterminale?—Pastoi?—Première.
Encoreunenouvelleraisonàmonincongruitédanscetendroit.Jesuisunepremièreàunesoiréedeterminale.Amelianevajamaismecroire.ÀPortland,lesterminalerefusenttoutcontactaveclesautres.Lesgarçonssonttropcoolpournousetlesfillestropoccupéesàseprendrepourdesadultes.Ondiraitqu’ilssecroientd’uneracesupérieure,ouquelquechosecommeça.
—Tuviensd’où,déjà?JereportemonattentionsurJake.—Hum,Portland.—PortlanddansleMaine?—Portlanddansl’Oregon.Lesilencependantqu’ilboitsabièreestdeplusenpluspesant.—Excuse-moi,tuasditqu’ilétaitoù,déjà,Tyler?Illèveunsourcilperplexe.—Qu’est-cequeçapeutfaire?Çapeutfairequejeveuxrentrerchezmoietqu’ilsetrouvequechezmoi,c’estchezlui.—Jesuiscenséeluiapporterunebière.Bienjoué.Ilhésiteunlongmoment,puis:—Ilestderrière,danslejardin.Faisgaffeàtoi.—Merci.Jeboisunepetitegorgéedemabièrepuisjemefrayeuncheminjusqu’auboutducouloir,parmila
massedecorps.DescorpsquinesontniTiffani,niRachael,niMeghan.Là,toutdesuite,leurcompagnienemedérangeraitvraimentpas.Onm’aabandonnéedansunefouled’inconnus,dansunevilleinconnue,etcen’estpasdutoutagréable.
Jetrouvelaportedederrièreouverteetm’yfaufilejusquedanslejardinoùj’abandonnemabièresurune table. Ilyaun typeen traindevomirprèsde lapalissadeetunefilleévanouiesur lapelouse.Jecontempleuninstantl’idéed’allerl’aider,maisdeséclatsderiredétournentmonattentionversl’abridejardin.Ondiraitqu’ilsviennentd’ungroupedegarçons.Jeprendsmoncourageàdeuxmainset jemedirigeverseux.Sansça,jevaisrestercoincéeiciàjamais.
Delafuméeflottedansl’air.L’abrin’apasdefenêtreetlaporteestfermée.Quandjel’ouvre,uneodeurentêtantemefrappe,faisantmonterleslarmes.Jefermelesyeux,reculeentoussantetlâche:
—C’estdelaweed?—Nan,c’estdelabarbeàpapa,merétorque-t-on.Toutlemondehurlederire.Iln’yariendedrôle.Quandjerouvrelesyeux,lafumées’estunpeudissipéeetjedécouvrequatretypesquimeregardent.
L’und’euxestTyler.Iltientunjointqu’iltentededissimulerderrièresajambe.Jelevoistoutautantquejevoislapaniquepassersursonvisage.
—Tuessérieux?jedemande,incrédule.—Mec,fais-ladégager,marmonnequelqu’un.Jenesaismêmepaslequeldestroisautresparle.Jem’enfiche.JenequittepasTylerdesyeux.—Saufsielleveutnoustenircompagnie.—Mec,commenceTylerd’unevoixtremblante.Ildéglutitets’efforcederigoler.Ilalesyeuxvitreuxetlespupillesdilatées.—Tuveuxvraimentvoircettegamineici?continue-t-il.Tylernesejointpasauxnouveauxgloussementsmêlésdetoux.Ilsecontentedesemordreleslèvres.
Sonregardpasseentremoietsesamis,indécis.Pourcommencer,ildevraitsedébarrasserdecejoint.—Maisc’estquicelle-là,àlafin?D’unemain,j’écartelesnouvellesvolutesdefumée.—Personneneluiaexpliquélerèglement?
Unepaired’yeuxinjectésdesangluttentpourmefixer.Letypeafro-américainàquiilsappartiennentsouritjusqu’auxoreilles.
—Personnen’entre,chérie.Casse-toid’ici,saufsituveuxêtredelapartie.Ils’avanceenmetendantunjointpresqueterminé.Commesij’allaisleprendre,Tylers’interposeentrelejointetmoi.Ilselèchel’indexetécrasele
boutdusienpourl’éteindreavantdelemettredanssapocheavecunregardassassinàl’autretype.—Qu’est-cequetufous,Clayton?T’esmaladeouquoi?ClaytonportelejointàsaboucheetsoufflelafuméeauvisagedeTyler.—Aucontraire, je luienpropose.Ças’appelle lesbonnesmanières.Sinonceseraitmalpoli.Pas
vrai,petite?Lesdeuxautrestypesgloussentànouveaumaisilsnefontplusattention.Ilssont tropdéfoncés.Ils
restentlà,aufonddel’abri,àrigolercommedesbossus.ContrairementàTyler.—Mec,réfléchis.(Ilreculed’unpasetmerentrededans.)Ellen’enveutpas.Regarde-la.Il continue de me fixer jusqu’à memettre mal à l’aise. Il ne détourne même pas les yeux quand
Claytonreprendlaparole.—D’accord,d’accord.Alorscasse-toi.Depuisquandonlaissetraînerdesgaminsici,d’ailleurs?—C’estcequejemedemande,murmureTyler.Ilfaitvolte-face.Dégoûtée,jesecouelatête.JemedemandesiEllaestaucourant.Est-cequ’ellesait
qu’ilestici,àsedéfoncertoutelanuit?Tylers’avanceversmoimaissonpoingheurtequelquechose.Jesuissonregardquidescendsurune
tablebasseenmétalavecunepetite lampe.C’est làque jeremarquecequi traînesous la lumière.Unpetittasdebillets,descartesdecréditéparpilléesetsurtout,deslignesnettes,parallèles.Deslignesdepoudreblanche.
—C’estpasvrai,jemurmureenclignantdesyeux.Est-cequec’estlafuméequejeviensd’inhaler,ouest-cequejevoisbiencequejevois?—C’estpasvrai?—Mec, sérieux, je déconne pas. (C’est Clayton.) Fais-la dégager d’ici avant qu’elle appelle les
flics.—Ouais,ouais,elles’enva.Tyler m’attrape par le coude pourme pousser doucement dehors. Il me suit jusqu’à ce que nous
soyonsassezloin.—Jen’ycroispas,jesouffleenmelibérant.Delacoke?Vraiment,Tyler?Ilal’airdésemparé,commesic’étaitlapremièrefoisqu’onluifaisaitface.Unemainsurlevisage,
ilgrogne.—Cen’estpasunendroitpourtoi,ici.Ilfourrelesmainsdanssespochesetdonneuncoupdepieddansl’herbe.—Tudevrais…tudevraisretourneràl’intérieur.Jeserrelesdents.C’estlapremièrefoisquejemeretrouvedansunetellesituation,jenesaispas
tropcommentlagérer.Est-cequejedoisessayerdeluiparler?AppelerElla?Lesflics?Jedécidededéguerpir.Jelebousculepourpasser.J’ailecœurquipalpite,jemeursdechaud.Cequejeviensdevoirmerévolte,j’aienviedefrapperdansquelquechose,detaperdansunmur.
Tyler retourne vers la cabane. Je ne sais pas ce qu’il raconte à ses potes mais ils rient à gorgedéployée.Est-cequ’ilssemoquentdemoi?
—Allez,mec,ditunenouvellevoixquifaitcesserlesrires.C’estnaze.Soiscool.—Ferme-la,Dean.C’estTyler,maisjeneprendspaslapeinedemeretourner.Jesuistropénervéepourleregarder.J’entendsdesbruitsdepasprécipitésquiarriventàmahauteur.Jelèvelesyeux.
—C’esttoi,Dean?— Je tentema chance et je dirais que toi tu es la demi-sœur de Tyler, dit-il, unemain dans ses
cheveuxbruns.TueslaseulepersonnequejeneconnaissepasicietMeghanaparléd’unemystérieusedemi-sœurquiseraitàcettesoiréedébile.Alors,j’airaison?
Jem’efforcedesourire.—Oui.Eh,tuneconnaîtraispasl’adressedeTyler,parhasard?LenumérodelamaisonsurDeidre
Avenue?Jedoisrentrer,maisje…jeneconnaispasl’adresse.—Est-cequejesaisoùhabitemonmeilleurpote?329.—Meilleurpote?Jejetteunœilverslacabane.Ilyacinqminutes,ilsselançaientdesinsultes.—C’estcompliqué,dit-il.Jepeuxteramener.Jesuisgarétoutprès.—Tuasbu?—Sij’avaisbujeneteproposeraispasdeteramener.—Merci,dis-jeavecunsoupir.Jelesuisdanslamaison,bouleversée.MoiquicroyaisqueTylernepouvaitpastomberplusbas…
Jemeretourneunedernièrefoisversl’abridontlaporteestrestéeouverteetj’entrevoisTylersortirsonjointdesapoche.Ilmeremarqueenl’allumant.
Il fait la grimace, puis baisse les yeux.On luimet une bière dans lamain sans qu’il semble s’enrendre compte. Il reste stupéfié, les épaules affaissées, les yeux par terre. Soudain débarrassé de saparalysie,ils’enfonceauboutdelacabaneetjen’aperçoisplusqu’unelueurorangedansl’obscurité.
TandisqueDeanmeramènechezmoi,jeprendssoudainconsciencequejevaisdevoirm’expliquer.Nonseulementj’aiprétextéêtremaladepouréchapperauxprojetsdemonpère,maisenplusjesuisalléeàunesoirée.Ilestsûremententraind’appelerlapolicepoursignalermadisparition.Etpourcouronnerletout,jerentreaffubléed’unerobequinecouvremêmepaslamoitiédemoncorps.
—Monpèrevametuer,dis-je,latêtecontrelavitre.J’étaiscenséeêtremalade.—Guérisonmiraculeuse?—Quelquechosecommeça.Jemeredressepoursortirmontéléphone–c’estunesecondenature–maisjedécouvrequejen’aini
pochesnitéléphone.J’ailaissémesaffaireschezTiffani.—Merde.—Qu’est-cequisepasse?—Rien.Avecunsoupirdefrustration,j’observeletableaudebord.Presque23heures.J’aipasséàpeineune
heureàcettesoirée.Pluslongtempsetj’auraissûrementdécouvertd’autresraisonsdemépriserTyleretderemettremasantémentaleenquestion.
—Turetourneslà-basaprès?—Oui,faitDeanenentrantsurDeidreAvenue.JesuislechauffeurattitrédeJake.Jedoisfaireen
sortequ’ilrentrechezlui.—EtTyler?Pourquoiest-cequejemepréoccupedelui?Deansourit.—Tylernerentrepasvraiment.—Qu’est-cequ’ilfait?Ils’évanouitdanslarue,untruccommeça?Jecroislesbras,dédaigneuse,maisunpeucurieusequandmême.—Ilvadormirenprison?—Pastoutàfait,faitDean.Engénéral,ilvachezTiffani.Dégueu.—Ah.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsedrogue.Tulesavais?
Encoreplusdégueu.—Toutlemondelesait,fait-ilaprèsunlongsilence.Soudaintoutdevientlimpide:l’expressiondeJakeunpeuplustôt,lesregardshésitantsdeMeghan.
IlssavaientcequeTylerétaitentraindefaire.—Alorspourquoipersonnenefaitrien?Etsamère,est-cequ’elleestaucourant?Comment tous ces gens peuvent-ils prétendre être ses amis alors qu’ils ne réagissent pas quand il
prenddelacocaïneàtroismètresd’eux?Deansegaredevantlamaisondemonpère.— Crois-moi, j’ai tout essayé. Mais parler avec Tyler, c’est comme parler à un mur. C’est
impossible.Iln’écouterien.Alorsonfaitsemblantderien.Jecroisquesamèreestaucourantpourlaweed,maiscertainementpaspourlacoke.
—Ilmedégoûte.Avantdesortirdelavoiture,j’attrapemapochette,empruntéeàTiffani.J’ensorslepremierbillet
quejetrouve,undecinqdollarstoutrabougri,maisc’estsuffisantpourletrajet.—Mercidem’avoirramenée.—C’estquoiça?—Pourl’essence,jedisenluifourrantl’argentdanslamain.Prends-le.Ilrefuse.—Eden,net’enfaispas,sincèrement.PasselebonjouràEllademapartetçasuffira.À Portland, c’est la norme de participer à l’essence si on se fait conduire. Peut-être qu’ici ils
s’offrentdestrajetsgratuits,oupeut-êtreDeanest-iltropgentil.Quoiqu’ilensoit,jedéposelebilletsurletableaudebordetjesautedelavoitureavantqu’ilaitletempsdemelerendre.
—Garde-le!jecrieenclaquantlaportière.Tandis que je me précipite vers la maison, je remarque que toutes les lumières sont allumées à
l’intérieur. Soit mon père va se montrer compréhensif, soit il va être furieux. Très probablement laseconde option. Et si jeme glissais dedans sansme faire remarquer ? Je pourrais courir jusqu’àmachambre,enfilerunpyjamaetfairesemblantquej’étaislàdepuisledébut?Oufondreenlarmesetlessupplierdemepardonner.
Prenantmoncourageàdeuxmains,jetiresurlarobedeTiffanipourcouvrirmescuissesautantquepossible. Chaque millimètre compte. Je retire les insupportables faux-cils, que je jette dans l’herbe.Impossible cependant deme débarrasser des charmants effluves d’alcool que je dégage. Il va falloirassumermesmensongesetaccepterd’êtrejetéedanslefeudel’enfer.
La porte n’est pas fermée à clé, j’entre sans bruitmais c’est peine perdue :mon pèrem’appelledepuislesalon.
Raté.Jejetteunœilprudentparl’intersticedelaporte,enprenantsoindedissimulerlerestedemoncorps.
—Salut.—Salut?répètemonpère,ébahi.C’esttoutcequetutrouvesàdire?SALUT?—Bonsoir?Jen’aijamaisétédugenreàm’attirerdesproblèmes.Filerendoucecommecesoir,c’estnouveau.
Enseizeans,mamèrenem’apuniequedeuxfois.Etmonpèren’ajamaisétélàpourmepunir,detoutefaçon.
—Jesuisrentrée.—Oui,jevoisquetueslà.Ilselèveavecunregardnoir.Ellanousobservedepuislecanapé.—C’est ceque tu étais censée faire toute la soirée, être là. Il paraît que tu étaismalade,mais tu
semblesavoirviteguéri.Commentçasefait?
—J’étaischezTiffani.(C’estvrai,enpartie.)Soiréeentrefilles.Jemesentaisunpeumieux,alorsj’ysuisallée.J’aipenséqueçanetedérangeraitpas.
—LacopinedeTyler?intervientEllaenselevant.MalheureusementpourTiffani,oui.—Oui.—EnparlantdeTyler,marmonnemonpère,oùest-ilpassécelui-là?—Jen’ensaisrien.Là,toutdesuite,ilestentraindefumerdesjointsetdesnifferdelacokeenbuvantetenriantàdes
blaguesdégueu.—Ilétaitlàquandjesuispartie.Ceseraitsifaciled’expliqueràEllaquesonfilsestunjunky.ÇaapprendraitàTyleràmeprendre
pourune idiote.Pourtant, jenesaispaspourquoi, j’ai l’impressionquecen’estpasàmoide ledire.Alorsjelecouvre.Commesijenepouvaispasm’enempêcher.
—Ilestpeut-êtrepartichercheràmanger,ouquelquechosecommeça.—Savoitureestlà,remarqueElla.Elleal’airdéçue,commesielleespéraitquecesoitsonfilsquirentreàlamaison,aulieudemoi.—Peut-êtrequ’ilestpartisepromener?—Ça,j’endoute.Ilnerépondpasautéléphone.Commecedoitêtredurdedevoirs’occuperd’unadoàcepointincontrôlable.—Eden,ditmonpère.Tusensl’alcool.Jen’appréciepasquetumementes.Dequoiparle-t-il?Quej’aiefaitsemblantd’êtremalade,d’êtrechezTiffani,oudenepassavoiroù
estTyler?Soudain,lacolèrem’envahit.—Etmoijen’appréciepasquetuaiesabandonnéMaman,maisonn’apastoujourscequ’onveut
danslavie.Jen’attendspassaréponse.Lespoingsserrés,jem’élancedansl’escalier.Latequilaquimeretourne
l’estomacmerappelleque j’aiàpeinepusupportercette soiréeplusd’uneheure. J’aimalaucrâneàcausedelamusiqueetlapuanteurdelaweedmecolleàlapeau.Maintenantjemesensmalpourdebon,etcettefoiscen’estpasqu’uneexcuse.
Jemeréveillelelendemainmatinausondeshurlementsd’EllaetdeceuxdeTyler,encoreplusforts.Jecontempleleplafondunmomentenlesécoutant.Qu’ya-t-il,cettefois?Jenesaispasquelleheureilest,maisilestbientroptôt.Tyleradûretrouversonchemin,finalement.
Lalumièredusoleilpénètredansmachambreetonentenduninévitablemoteurdetondeuse,alorsjedécide deme lever et dem’habiller.Bruits de pas dans l’escalier, insultes : ça ne peut provenir qued’uneseulepersonneetcettepersonnedécided’entrerdansmachambre.
—Tuconnaiscetrucquis’appelle,tusais,l’intimité?dis-jeenluilançantunregardnoirtandisquej’enfilemonsweat.
Tylerinclinelatêteetfermelaporte.—Tiens,tesaffaires.Ilposelesvêtementsquej’ailaisséschezTiffanisurmonlit.Ilsembles’êtrecalmé.Cinqminutes
plustôt,ilcriaitassezfortpourrendreunbébésourd.—Et,euh,tontéléphone.Jeleluiprendsdesmains.Ilévitemonregard.—Merci.Jesuisencorefurieusecontrelui.Lesilenceretombesurmachambreunlongmoment.Ils’apprêteà
partirauralenti,maisseravise.—Écoute,pourhier…—Jesaisdéjàquetuesunabruti,quetuprendsdeladrogueetquetuespitoyable.
Sourcilsfroncés,lèvrespincées,ils’approcheavechésitation.—Ne…nedisrien.Jecroiselesbras,intriguée.Pourunefoisqu’iln’apasl’aireffrayant.—Tumedemandesdenepascafter?—Nedisrienàmamèreniàtonpère,dit-il,presquepourmesupplier.Aumoins,quandilaquelquechoseàdemander,ilcessed’êtreméchant.—Oubliecequetuasvu.—Jen’arrivepasàcroirequetutemetteslà-dedans.Jebaisselesyeuxsurmontéléphone–quatreappelsmanquésdemonpère–avantdelejetersurle
lit.—Pourquoitufaisça?Çaneterendpasdutoutcool,sic’estcequetuessaiesdefaire.—Rienàvoir.—Alorsquoi?jem’exclameenlevantlesbrasauciel.—J’ensaisrien.Jenesuispasvenupourmefaireengueulé,pigé?Jesuisvenuterendretesaffaires
ettediredetetaire.Ilsepasseunemaindanslescheveuxetdétournelesyeux.Jedoismanquerdesommeilouêtrecinglée,néanmoinsjetrouvelecouragedeluiposerlaquestion
quimetaraudedepuisvendredi.—Pourquoitumedétestesàcepoint?—Quiaditquejetedétestais?fait-il,interloqué.—Hum…Tum’insultes à chaque fois qu’on se croise. Je comprends que c’est bizarre d’hériter
d’unedemi-sœur,maisçal’estautantpourmoi.Jecroisqu’onn’estpaspartisdubonpied.—Non,fait-ilensecouantlatêteavecunpetitrire.Tunecomprendspasdutout.Avecunderniercoupd’œilàmachambre,ilsecouelatêteetseretourneverslaporte.—Qu’est-cequejenecomprendspas?—Tout.
7
Mardimatin,jerèglemonalarmeavantleleverdusoleilpourallercouriravantquelesautresneseréveillent.LesremarquesdeTiffaniàproposdelarobemoulanterésonnentencoredansuncoindematête. Jem’aventureplus loindans lequartier, jusqu’à la routecôtière, et je reviensen repoussantmeslimitesphysiques.Àmongranddésarroi,etmalgrélachaleur,unecouchedebrouillardcouvrelaplage.Deretouràlamaison,jetrouvemonpèreentraindefaireducafé.
—Tuasbiencouru?— Oui, je halète, les mains sur le plan de travail. Presque six kilomètres. Il y avait un de ces
brouillardssurlajetée!—Àtaplacejeseraismortaupremierkilomètre.Ahoui,lecélèbrebrouillarddejuin.Café?—Çava,merci.J’adorelecafé,mais7heuresdumatin,c’esttroptôt.Toutcequejeveux,c’estunelonguedouche
chaude.—Quid’autreestréveillé?—Ellas’habille,maislesgarçonsdormentencore.Ils’estadoucidepuismaremarquebrutaledesamedisoir.Ilfaitdeseffortspoursemontrersuper
sympaà lamoindreoccasion. Il a comprisque jene lui aipaspardonnédenous avoirquittées. Il vaavoirbeaucoupdecheminàfaire.
—Elledoitallertravailler?Hier,ellenesemblaitpasavoirdetravail.Quandmonpèreestparti,elleafaitleménage,m’aparlé
unpeu,s’estprislatêteavecTyler,puiselleafaitletaxipourJamieetChase.—Elleestavocatededroitcivil,dit-ilavecunpetitsourire.Çaalors,ellequibaisse lesbrasauboutdequelquesminuteschaque foisqu’elle sedisputeavec
Tyler,jenel’auraisjamaiscru.—Ellenedevraitpasêtredansuncabinet?—Elleestencongésabbatique.Tuvasàlaplageaujourd’hui,c’estça?demande-t-ilpourchanger
desujet.—Oui.AvecRachael.EtTiffanietMeghan,maisjedoutequemonpères’intéresseauxmoindresdétails.—Ellapeutt’yconduire,sibesoin.
C’est ridicule, je l’ai rencontrée il y a quatre jours, je ne vais pasmemettre à lui demander desservices.
—Rachaelm’emmène.Maismerci.—Commetuveux.Ilboitunelonguegorgéedesoncafé,puiscoincesachemisedanssonpantalonetajustesacravate.—Bon,jevaisyallerpourtenterd’éviterlesembouteillages.—Pourquoicettechemise,déjà?—C’estmoileresponsable.—Ah.Enfinuneréponseauluxedecettemaison.Monpèreétaitdéjàingénieurdestravauxpublicsavantma
naissance.Ondiraitquelesannéesd’expérienceluiontvaluunmeilleurposte.—Jerentrevers18heures,dit-il,deuxdoigtsenl’airpourmesaluer.Je lève les yeux au ciel puisme sers un verre d’eau.Quand j’entends Ella ouvrir la porte de sa
chambre,jemeprécipitedansl’escalierpouratteindrelamiennesanslacroiser.ToujoursaucunsignedeTyler,JamieouChase.
Jeprendsunedoucheassezlongueetbouillantepourdétendremesmusclesetm’apaiser.Cettefois,jen’oubliepasdemeraserlesjambes.
—Eden?faitEllaquientresansfrapper.Jem’accrochedésespérémentàmaserviette.—Pardon…Je…—C’estpasgrave,dis-je,avecunsouriregêné.Enfaitsi,c’estgrave.Jesuisàdeminuedevantuneinconnue.Elletoussote,lesyeuxrivésautapis.—Jemedemandaissituvoulaispetit-déjeuner?Outuasdéjàmangéavectonpère,peut-être?—Çavapourlemoment.Jen’aipastrèsfaim.Avecun signede tête, elle s’enva.Aumoins, elle fait un effort.Moi quim’attendais à l’odieuse
marâtre.Jusqu’àprésent,ellenem’apasforcéeàpasserlaserpillière.Jetressemescheveuxmouillésavantderetourneraulit.J’aiencoredutempsavantd’alleràlaplage
etjesuiscrevéedem’êtrelevéeaussitôt.Unepetitesiestemeferaleplusgrandbien.
—Tiffani etMeghan sontdéjà là-bas,ditRachael à la secondeoù jemontedans savoiture, cinqheuresplustard.Tuasl’airdesortirdetonlit.
—Précisément.Ilyavingtminutes.—Jevois.Jecomprendsquecesoitl’étéettout,maisseleverà(elletapotel’horlogedelaradio)
midivingt,c’estunpeuexagéré,non?Excédée,jepasseunemaindansmescheveuxpourm’assurerquej’aibiendéfaitmestresses.Ainsi
ondulés,mescheveuxsontparfaitspourlaplage,selonlesstandardsdeRachael.Jeresserremonkimonoàfleurs.
—J’étaisdeboutsupertôt.—Pourquoi?—Jesuisalléecourir.Ellerenifle.—D’accord,jeretirecequej’aidit.Tuesdéjàalléesurlajetée?—Làoùilyalagranderoue?Jel’aiaperçuecematin.J’aicourulelongdelaroute.—Oui,c’estlajetée.Onpourrayallerplustard,sionaletemps.Ilfaittrèschaudaujourd’huimaislalégèrebrisevenueduPacifiqueestassezrafraîchissante,doncje
nemeplainspas,surtoutmaintenantquelebrouillards’estdissipé.Portlandn’estpasvraimentréputée
poursesplages,principalementparcequ’iln’yenapas.Dumoinsrienduniveaudesplagesd’ici,trèsfréquentées,quilongentlavillesurdeskilomètresjusqu’àrejoindreVeniceBeach.
Rachael se gare près de la jetée.À lamaison, j’aimis dixminutes àme décider pour enfiler unbikini.Jecroisquec’estlapiredécisiondetoutemavie.
TandisqueRachaelsortsaservietteetdesenceintesducoffre,jem’assured’êtrebienficeléedansmonshortetmonkimono.Pasmoyenquejelesretire.
Rachaelmerejointdevantlavoiture,téléphoneenmain,lunettesdesoleilsurlatête.—Alors,Meghanditqu’ellessontprèsdesterrainsdevolley,àcôtédePerry’s,doncellesdevraient
setrouverquelquepartpar…là,fait-elleendésignantladroite.Heureusementquelatechnologieestlà.Impossiblesinonderetrouverquelqu’unsuruneplageaussi
grande.Jelasuissurlesable,luttantavecmestongspendantcinqbonnesminutes,avantd’apercevoirTiffani
etMeghan.Difficilesàrater:ellessontdeboutàagiterlesbrascommedesperdues.— Les filles ! s’écrie Tiffani. Vous venez de rater un beau gosse qui a demandé son numéro à
Meghan.Cettedernièreserassiedsurlesable,lerougeauxjoues.—IlestdePasadena,murmure-t-elleensemordillantlalèvre.Nousnousinstallonsànotretoursurlesable.Jesuisravie.Cetteplageestvraimentimmense,bordée
d’unerangéedepetitesboutiques,depistescyclablesetdejoueursdevolley.—Alors,Rach,ditTiffanienlevantunsourcilderrièreseslunettesnoires,ques’est-ilpasséentre
Trevorettoisamedi?Rachaeldétournelesyeuxavecunsourirenarquois.—Rien.—Rienmonœil,rétorqueMeghan.Moijepariepourjustelabouchecettefois,parcequecoucher
deuxfoisendeuxsemaines,cen’estpastongenre.Jemetrompe?Rachaelsetaitunlongmomentavantdemurmurer:—Non.En riant, elle retire sa robe en dentelle et s’allonge sur le dos. Elle a une silhouette parfaite, de
longuesjambesetleventreplat.Uncorpsimpeccablepouralleravecsonbikinivertpastel.—Eden,qu’est-cequit’estarrivéàlasoirée?demandeTiffani.AbsorbéeparlesjambesdeRachael,jesursaute.—Hein?Elleredressesoncorpstoutaussiparfaitetm’observederrièreseslunettes.—Oùes-tuallée?Avecqui?Commentils’appelle?Jemanquedem’étrangler.—Maisnon!Jen’étaispastrèsenforme,alorsDeanm’aramenéechezmoi.Combiendefoisvais-jeutiliserl’excusedelamaladie?—Desproblèmesaveclatequila?Avecungrandsourire,ellesemetàgenouxpourreplacersaserviette.—Aufait,lesgarsontsuggéréqu’onsortecesoir.Peut-êtreàVeniceouenville,maisDeanapensé
qu’onpourraitalleràHollywoodpourquetuvoiesleslettres,Eden.TunepeuxpasveniràLosAngelessansallervoirleslettresdeHollywooddeprès.
—Bonneidée,ditRachael.J’aicommeenvied’enfreindrelaloi.Leconceptmelaissesceptique.—C’est-à-dire?Ellesaffichenttoutestroisunpetitsouriremalin,puisTiffanireprend,d’abordpourRachael.
—Onvayalleràtroisvoitures,çaseraplussimple.Jakepasseramechercher,ettoietMeg,vousyallezavecDean.Eden,tupeuxyalleravecTyler,vouspartezdelamêmemaison,detoutefaçon.
Jemanque d’éclater de rire.Mais oui, bien sûr, partager une voiture avecTyler semble pratique,maispasserplusd’uneminuteensacompagniedansunendroitconfinérisquedemetapersurlesystème.
Meghansortsonporte-monnaie.—JevaischezPerry’s,vousvoulezquelquechose?—Prends-moiunCaramelFrio,demandeRachael.—Eden?Jenesaispascequ’ilsvendent,jen’aijamaisentenduparlerdeFriodemavie.—Euh…qu’est-cequ’ilsproposent?—Prends-luilamêmechosequemoi,coupeRachaelens’appuyantsursescoudes.Pasdediscussionpossible.MeghanetTiffaninous laissentseulespourallercherchernosboissons.Dumoins, jecroisquece
sontdesboissons.Jen’enaiaucuneidée.C’estpeut-êtredesglaces.Quoiqu’ilensoit,jenetrépignepasd’impatience.
Jetentedemechangerlesidées.—Bon,alorsjecroisquej’aisaisiletableau,dis-jeenmetournant,jambescroisées,versRachael.
Vousêtesmeilleuresamies,c’estça?—C’estça,approuve-t-elleavecméfiance,commesielleattendaitdevoiroùjevoulaisenvenir.—EtTyler,Deanetcetype,Jake,sontmeilleursamisaussi?Elleréfléchituninstant.—Plusoumoins.C’estunpeutenduentreTyleretJake,maisilsfontsemblantderienlaplupartdu
temps.—Tenducomment?Jakenesemblepastrèsdouépourfairelaconversation,maisilal’airplutôtsympa.—TyleracommencéàsortiravecTiffaniensecondemaisJakeavaitunfaiblepourelle.Ilyaeu
pasmaldedisputes,maisils’enestremis.Destrucsdegamins.Maisilssedétestenttoujoursplusoumoins.
—Misàpartlestensions,vousêtesungrouped’amis?Entoutcasc’estl’impressionqu’ona.—C’estça.Onestamisdepuis–ohlala,jenesaisplus–lacinquième,peut-être.Onétaittousdans
lemêmecollège.Bon,maintenant,c’estpartipourlaséancedebronzage!—Bof,jesuisbien,là,dis-jeavecmonmeilleursourirepourl’empêcherdecontinuer.Envain.—N’importequoi.Tunevasjamaisbronzerassiselà,àmoitiécouverte.Jeresserremonkimono.—Honnêtement,jesuistrèsbiencommeça.—PlaceauxFrios!annonceTiffaniquiarrivederrièrenousparsurprise.Sauvéeparlegong.Ellemepasseungobeletdeplastiquedébordantdecrèmesouslecouvercle,en
tendunautreàRachaelpuisnousjettelespailles.J’examinelegobeletquelquessecondes.Laseulevuedelacrèmemedonnelanausée.J’aidumalà
sourire.Jedoisavoirl’aird’uneingrate.Commeellesmeregardenttoutes,jeglisselapaillededansetavaleunegorgéedelaboissonglacéeenm’assurantqu’ellesmevoient.Sourisetacquiesce,medis-je.Jem’exécute.Jefaissemblantquec’estlameilleureboissonquej’aiegoûtéedetoutemaviepuis,àlasecondeoùellesdétournentlatête,jelalaissedecôté.Toutàl’heure,quandelleauratotalementfonduausoleil,jeferaisemblantdel’avoiroubliée.
—Leserveurbizarreded’habitudenousafaituneristourne,ditMeghanengoûtantlacrèmeduboutdudoigt.ParcequeTiffanil’aallumé.
—Jen’airienfait!C’est làque jedécidede sortirmesécouteursetde trouverunebonneplaylist. Jem’allongepour
regarderleciel.Musiqueàfond,lunettesdesoleil,boissoncaloriqueetjacasseriesdefilles:off.
Finalement,aprèscinqheuresàlaplage,nousdécidonsdenepasallerjusqu’àlajetéeet,deretoursurDeidreAvenueavecRachael,jecommenceàavoirfaim.
—Ton père va être un peu en retard, on va l’attendre pourmanger,me dit Ella quand je rentre.C’étaitbien,laplage?
—Oui.La conversation s’arrête là. Je laisse une traînée de sable dans l’escalier pour aller prendre ma
doucheetmepréparerpourVenice,L.A.,ouHollywood.Onn’apasencoredécidédel’itinéraire.Mevoilàhabilléeetprêteàpartir.Jesuisentrainderevérifiermoneyelinerdanslemiroirquand
j’entendsmonpèreenbas.Cequi signifieque ledînerestprêt, lui aussi.Quand jem’approchede lacuisine,j’entendsmonpèrehausserleton.
—Tuveuxsavoircequejeviensdevoir?demande-t-il,trèsénervé.Jem’avancediscrètementversl’arche.Ellasetientprèsdufour,monpèreenface,etTylerestentre
lesdeux.—JesuispasséparAppianWaypourdéposerdesdossiersavantderentreretdevinequij’aperçois
surlaplage?EllaregardeTyler.—Jet’avaisditderesteràlamaison.—Alors,continuemonpère,jemedis,«tiens,maisilestprivédesortie»,doncjevaislevoirpour
luidemandercequ’ilfichelà.Etluiilestlà,assisavecdestypesquiontaumoinsdixansdeplus,etjelevoisbalancer…dix,vingt,cinquantedollarssurlatable.
Ellafroncelessourcils.—Tyler.Cederniersecontentedesecouerlatêteavecunsourireincrédule.—C’estdesconneries.—Tutetais!faitmonpèrequiretroussesesmanchesetdesserresacravate.Jel’aivuparieretjeter
l’argentparlesfenêtresetdevinecequ’ilafaitquandilaperdu?Illuiasautédessus.—Cetteordure trichait,marmonneTyler,adosséaucomptoir, l’œilnoir.Jen’allaispas le laisser
s’entirercommeça.—Tuveuxtefairearrêterpouragression?Tuveuxpassertavieenprison?C’estçaquetuveux?Unemainsurlefront,Ellapousseunsoupir,plusinquiètequefâchée.—Tyler,ilfautquetuarrêtesdetecomportercommeça.Jeneveuxpasquetut’attiresdesennuis.—Onn’estpasàLasVegas,l’interromptmonpère,toutrouge,enserapprochantencoredeTyler.
BonDieumaisàquoitujoues?Tylerpinceleslèvres.—Jevismavie.—J’enairasleboldetoi.Monpèrelèvelesmains,impuissant,puispasseparlaporte-fenêtre,sûrementpoursoufflerunpeu.Avant qu’Ella puisse ouvrir la bouche, Tyler s’esclaffe et sort de la cuisine. Je recule dans le
renfoncement.Pourvuqu’ilnemeremarquepas.Mais…Ilseretourneetmetoise.—Jedoist’emmener,c’estça?Jenesuispascertained’avoirenviedemonterdanslavoituredequelqu’unquiaautantdetroubles
ducomportement.C’estsûrementunchauffardquinerespectepasleslimitationsdevitesseetécraseles
petitsenfants.—Jecrois,oui.—Jeparstoutdesuite.Soittuviensmaintenant,soitturestesici.Surcesmots,ilsedirigeverslaporte.Ellalerappelle,sanssuccès.Entreelleauborddeslarmesetmonpèrequifaitlescentpasdanslejardin,ilsnevontpasêtrede
bonnecompagniecesoir.Horsdequestionquejeresteici.Excédée,jetrottinepourrejoindreTyleràsavoiture.
—Attends-moi!Detoutefaçonàl’heurequ’ilest,ledînerdoitdéjàêtrebrûlé.
8
Tyleragarésavoitureendiagonalesurletrottoir.Jemedemandedansquelétatderageilétaitpours’arrêterdelasorte.Sûrementlemêmequemaintenant.Ilouvrelaportièreets’arrêtepourmeregarder.Encoreetencore.
—Quoi?—Alors?fait-ilendésignantsonvéhiculedumenton.Jeparcourslacarrosserieblanchedesyeuxsansrienytrouverdeparticulier.—Est-cequ’aumoinstusaiscequec’estcommevoiture?Ilmeregardecommesij’étaisidiote.Jefaisletourpourregarderlelogo.Quatrecerclesentremêlés.—UneAudi?—UneAudiR8.—D’accord.Tuveuxquej’applaudisse?Unemainsurlaportière,ils’esclaffe.—Lesfillesn’yconnaissentvraimentrien.Tuferaisunesyncopesitusavaiscombienellecoûte.—C’estça,oui.Redescends,jemurmureenouvrantlaportière.Àl’intérieur,jedécouvrequ’iln’yaquedeuxsièges.Toutestmétalliséouencuir.—AppelleTiffani,dit-ilenmejetantsontéléphonesurlesgenoux.—Tuparlesdetacopinesurquitutevautrescomplètementouquetuignores,selonl’humeur?Sonsourirenarquoismedégoûte.Jamais jen’ai rencontrépersonnequiaitautantdedéfautsetqui
prennetoutàlarigoladeàcepoint-là.—Abruti,jegrommelleenmedétournantdelui.Jeregardeparlavitretandisqu’ilfaitgrondersonmoteur.—Appelle-la.Jenesaispasoùondoitaller.Jeregardel’écrandutéléphoneunlongmoment.—Code?—4355.Jecherchedanssescontacts.—Tuaslenuméroenfavoriou…—Sonnomestécrit,c’estsimple.Appelle-la.Malgrésontonmonocorde,ilgardelesyeuxsurlarouteets’agrippeunpeuplusauvolant.
J’obéisetjedescendsdanssalistejusqu’aunumérodeTiffani.Ilaunnombreincalculabledefillesenregistréeslà-dedans.J’appellesacopine.
—Bébé,çava?Beurk.—C’estEden.Tylerestauvolant.Onvaoùcesoir?Vousavezdécidé?—AupanneauHollywood.Ilfautqu’ontelemontre.C’estgénial.L’excitationm’envahit.J’aitoujoursvoululevoir.MêmesiVenicesemblaitunebonneidée,jesuis
raviedeleurchoix.—Vousêtesdéjàenroute?—Oui.Lavoiturechasseviolemmentsurlecôté.Tylerestunpiètrepilote.Commenta-t-ileusonpermis?— Je vois où tout lemonde en est et on se retrouve là-bas, continue Tiffani.Mets-moi sur haut-
parleurdeuxsecondes.JetendsleportableàTyler.—Oui?Iljetteunœilàl’écranavantdefreinercommeunfouàunstopqu’iln’avaitpasvu.—Jenet’aipasparlédelajournée!seplaintTiffani.Jelevoisleverlesyeuxauciel.—Tamèret’alaissésortir?Ilserrelefreinàmainetmelanceunregardsévèreensecouantlatête.—Non,j’étaiscoincéchezmoitoutelajournée.—C’estnul.Pauvre,pauvrefille.Elleestcomplètementàcôtédelaplaque.—Jesuisimpatientedetevoir!Onn’enapaspourlongtemps.Attendez-nousauSunsetRanch.—OK.—Jet’aime.—Ouais.Puisilm’arracheletéléphonedesmainspourraccrocher.Jesuisabasourdie.Chaquejour,chaqueheurequipassemedonnetoujoursplusderaisonsdelehaïr.—Jen’ycroispas.«Coincécheztoitoutelajournée»?Ildesserrelefreinpourlaisserlavoitureglisseraucroisement.—C’estcommeça.Jetentedecroiserleregardqu’ilmelancetoutengardantlesyeuxsurlaroute,puisqu’ilnesemble
paslefairelui-même.—Tuesalléjouerettebattreàlaplageettuvasfairesemblantd’êtrerestéàlamaison?Jemesens
malpourelle.Sonriregravemedonnedesfrissons.—TuesbienlafilledeDave.Ilvafalloirquetuapprennesàtemêlerdetesaffaires,petite.—Arrêtedem’appelerpetite.Tun’asqu’unandeplusquemoietbeaucoupmoinsdeneurones.—D’accord,petite.Tonpèreestunabruti.—Aumoinsonestd’accordlà-dessus.Jesoupireavecforcepourcomblerlesilence.Futuntempsoùjesupportaismonpère.Quandj’étais
petite,jeletrouvaisgénial.Etpuis,iladûselasserdeMaman,demoi,desavieavecnousdeux,alorsilestpartietiln’estjamaisrevenu.Maintenant,iln’estplusqu’untocardavecunsalecaractère,desridesetdescheveuxgrisonnants.
— Je ne comprends même pas son problème. J’imagine bien que tu dois être insupportable auquotidien,maisondiraitqu’ilcherchedesraisonspourtehurlerdessus.
Tylertapotesonvolant.—M’enparlepas.—Mamèreestmieuxsanslui,jedéclareavantdefairemachinearrière.Enfin,cen’estpasqueta
mèren’aitpasdechance,hein.Ettoi?Ilestoùtonpère?Ilpilesansprévenir.—Merde!Interdite,jetentedebalbutieruneexcuse.—Pardon…je…Ilfaitànouveauronflersonmoteuretaccélèresibrutalementquejesuispropulséeenarrière.—Tais-toi,crache-t-il.—Jenevoulaispasteblesser…Mon cœur bat à tout rompre. Peut-être que son père est mort, je pense. Et moi je retourne le
couteaudanslaplaie.—Ferme-la!Jedécidedeneplusriendire,sinonilvacontinueràaccélérer.Brascroisés,jemeconcentresurle
paysagetandisquenousprenonsl’autoroutepourquitterSantaMonica.Nepasparlernemedérangepas.Chaque fois que j’essaie, j’ai droit à une réponseméprisante, sarcastique, ou à une insulte inutile. Ilmonteleson–unesélectiondemorceauxRnBdesontéléphone–etmelaissetoutletrajetenproieàdesvulgarités quime vrillent les oreilles.La tensionmuette est palpable.Nous devrions peut-être parler,mais nous sommes incapables d’amorcer le dialogue. Je ne devrais pas avoir l’impression d’êtrel’ennemiejuréedemondemi-frère.
—Onestpresquearrivés,marmonne-t-il,uneheuredeconduiteatroceplustard.Danslesilencequis’étire,jen’osemêmeplusleregarder.Jemeconcentresurlepanorama.Nous parcourons une longue rue, North Beachwood Drive, au bout de laquelle trône la colline
Hollywoodquidominelavilledans lecouchant.Nerveuse, jerabats lepare-soleilpourmieuxvoir lepanneauquejen’aivu,jusque-là,quedanslesfilms.C’esttotalementdifférentdelevoirenvrai.
Larouterésidentiellesemueenétroitcheminpoussiéreuxlelongdelamontagne.Nousdépassonslepanneau«SunsetRanch»dontTiffaniaparléet,peuaprès,nousnousgaronsdansunpetitparkingsurlebas-côté.Toutlemondeestdéjàlà.
—Vousavezprisl’autoroute,non?demandeMeghan.TiffanisauteaucoudeTylersansattendre.Ilparvientquandmêmeàrépondre.—Oui,etvous,vousêtespassésparBeverlyHills?Tiffanisecolleàluiet tented’attirerseslèvresauxsiennes,maisilnesemblepasintéressé.Sans
sourire,ilsepenchepourl’embrasserrapidementpuiss’écarte.Jesuislaseuleàyfaireattention.Quandilmeremarque,ilbaisselesyeux.
—Meilleurmoyendefoncersanssefairechoper,faitJake.— C’est incroyable, je murmure en contemplant les lettres géantes avec une grimace. Merci de
m’avoiramenée.Touslessixs’esclaffent,mêmeTyler.Quelques-unslèventaussilesyeuxauciel.—Tun’as encore rien vu, ditRachael, qui porte plusieurs bouteilles d’eau.On t’emmène tout en
haut.—Enhaut?Jemedemandesic’estescarpé.L’ascensionn’apasl’airdetoutrepos.—Onferaitmieuxd’yallersituveuxlevoiravantquelesoleildisparaisse,ajouteDean.Lamontée
dureuneheure.Etilfaitchaud.Tiens.Rachaeletluinousdistribuentlesbouteilles.
—Quisesouvientduchemin?demandeRachael.LesmainssurleshanchesdeTiffani,Tylerdésigneunepistederrièrenous.—Cen’estpassicompliqué,Rach.Àgauchetoute,etpuisàdroite.Unpanneau indique«HOLLYRIDGETRAIL», sûrementnotrechemin.TyleretTiffaniouvrent la
marche,suivisdeJake,DeanetMeghan.Rachaeletmoirestonsderrière.Lecheminestlarge,décorédesuperbestasdecrottindecheval.
—J’aipassél’heurelaplusterribledemavie,jesouffleàRachael.Rappelle-moideneplusjamaismonterdansunevoitureavecTyler.
Ellesoulèvedelapoussièreduboutdespiedsenriant.—Raconte.—Ilafaillinoustuerparcequej’aidemandéoùétaitsonpère.Ilest…mort?Rachaelmanquedes’étrangleravecsoneau,ets’arrête,horrifiée.—Bonsang,Eden,non.Parlerdesonpèreousemettredevantunpistoletchargé,c’estpareil.Tu
chercheslesproblèmes.Nousnousremettonsenroute.—Pourquoi?—Ilestenprison.Voldevoiture,ouuntruccommeça,explique-t-elleàvoixbasseenjetantdes
regardsalentour.Tyleresttrèssensiblesurcesujet.Quelquepart,aufonddemoi,jesuistristepourlui.Ilétaitpeut-êtretrèsprochedesonpère.Çadoit
êtredur.Etavecundivorce,pourcouronnerletout.Nousnemettonspaslongtempsàatteindreleviragequ’ilasisympathiquementrappeléàRachael.La
piste fait une fourche, mais nous faisons un tour quasi complet sur la gauche pour continuer notreascension.Àpartirdecepoint,lecrottindechevaldisparaît.
Dean avait raison : il fait chaud.Heureusement qu’ilm’a donné de l’eau. La randonnée par cettechaleurnemedérangepas;çamefaitfairedel’exerciceetlavuesurLosAngelesestimprenable.Nousnousarrêtonsde tempsen tempspour reprendrenotre souffleouadmirer lepanorama.C’est tellementpaisible,ici.
Unenouvellefourchedébouchesurdeuxroutesgoudronnées.Nousprenonsàdroite.—Onn’auraitpasdûprendreàgauche?jemerenseigne.Nousnouséloignonsdupanneauetjemedemandes’ilsnesontpasentraindemefaireunemauvaise
blague.—Non,dit Jakequi ralentitpourm’attendrealorsque lesautresm’ignorent.Àgauche,c’estpour
redescendre.Àdroite,tucontourneslepanneaujusqu’àl’arrière.—Cen’estpasillégal?jedemandeenpointantmabouteilleverslaroute.—Boiredel’eau?Pasquejesache.Jerigole.Meghanestentraind’aiderRachaelàgraviruneportionplusescarpéedelaroute.—C’estillégaloupas?—Uniquementsitupasseslabarrière.Maisonpeuts’approcherpasmalenrestantderrière.Illèvelatêteverslecielquelquessecondes.—Désoléepoursamedi,j’étaisunpeuàl’ouest,reprend-il.Jesuisnulenconversationdèsqueje
boisquelquesbières.Jesuissurprisequ’ilserappellem’avoirparléetgênéequ’ils’enexcuse.—Tun’étaispasàl’ouest.Tesquestionsl’étaientunpeu.—Alors reprenons, fait-il en me tendant la main. Je m’appelle Jake. Tu dois être la fille super
mignonnequiestlàpourl’été?Eden,c’estça?Mesjouess’enflamment.Jebaisselatêtepourqu’ilneremarquerienetparvienstoutdemêmeàlui
serrerlamain.Ilalapaumechaude.
—Enchantée,Jake.—Alors,commenttutrouvesLosAngeles?—Génial.Soit lesautresontaccéléré,soitJakeetmoiralentissons,en toutcas, l’écartsecreuse.Tylernous
lanceunregarddésapprobateur.Jeleluirends.C’estquoisonproblème,àlafin?J’essaiedel’ignorer.—J’adorecetteville.—Toncopaint’attendàPortland?—Non.Situessaiesd’êtresubtil,çanemarchepastrèsbien.—Encoreraté,murmure-t-ilavantdepartird’ungrandrire.Lasubtilitéet laconversationnesont
pasmespointsforts.Maisj’enaid’autres.Situsorsavecmoiundecessoirs,jepourraitemontrer.Ilattendmaréponsed’unairassuré,maisjenesaispascommentêtreaussiconfiantequelui.Jene
suispasvraimentlegenredefillequicollectionnelesconquêtes.Laseulesituationsimilaireàcelle-cidoit être cette fois où un type dema classe de troisièmem’a demandé si je pouvais l’aider avec leséquations du second degré. J’ai refusé, parce qu’il était connu pour éternuer avec beaucoup tropd’exagération.Ils’appelaitScottmaistoutlemondelesurnommaitLeMorveux.
Alorsjemedéfile.—Peut-être.J’auraispeut-êtreacceptésinousavionséchangéunpeuplusquetroisphrases,maislà,encequime
concerne,c’esttoujoursunétranger.Peut-êtreuneprochainefois.Peut-êtreplustard.—Peut-être,çameva.Tiens,regarde,onyestpresque.Laroutevireàgauche,oùcommenceunehauteclôturedefilbarbelé.TiffaniattrapelamaindeTyler
etl’entraînedanslevirage.—Eden,viensvoirça!s’écrie-t-elle.Jakemepoussedansledos.Sautillante,Rachaelseretournepourmetraînerpar lebras.Nousavonsmiscinquanteminutes.La
clôture suit le chemin et, une fois au coin, jeme rends compte que jeme tiens derrière les lettres deHollywood,au-dessusdeLosAngeles.
J’enai lesoufflecoupé.Autourdemoi, lesilencesefait.Lesyeuxécarquillés, lecœurbattant, jeposelesmainssurlaclôture.Lavueestimprenable.Ceslettressontimmenses!Bienplusgrandesqu’onnel’imagine.
—Çavalaitlecoup,non?faitDeanàmescôtés.Ilmesortdematranse.Jenepeuxqu’acquiescersansdétournerlesyeux.—C’esttellementbeau.— Ça doit faire un an qu’on n’est pas venus, dit Meghan, une main sur le fil barbelé. J’ai
l’impressionqueçafaitpluslongtemps.Du coin de l’œil, je vois Tyler s’agripper à la clôture. Je remarque également les nombreuses
camérastoutautour.—Qu’est-cequevousattendez?demande-t-ilensautantlabarrièreavecaisance.Venez.J’observetouràtourlescaméras,lesdifférentespancartesinterdisantclairementl’accès,etTyler.Il
merendmonregard,lesyeuxplissés,lesouriredeguingois.—On a une dizaine deminutes avant qu’ils envoient l’hélico, dit Tiffani en escaladant. Eden, tu
toucheslepanneauetpuisondégage.Unhélicoptère?—Çava,jevousassure.Jen’aipasbesoindetoucherle…—Touchelepanneau,c’estpascompliqué,rétorqueTyler.Tiffaniatterritdel’autrecôtéetluiposeunemainsurlapoitrinepourl’éloigner.
—Onnevapas se faireprendre,me rassuredoucementRachaelavantdemonterà son touravecMeghanetDean.Onlefaittoutletemps.
—Net’inquiètepas,ajouteJake.Sionsefaitprendre,onsefaitprendretousensemble.Ilposemamainsurlaclôture.—Maisilfautfairevite.Succombant à la pression, je grimpe et réussis à faire passermon corps de l’autre côté. Je perds
légèrement l’équilibre à l’atterrissage, ce qui me permet d’apprécier, au passage, à quel point lamontagneestpentue.J’attendsJakequimemontrecommentdescendresansmebriserlanuque.
—J’adorecetendroit,ditDeanprèsdupremierO.Jemedemandecombientueraientpourfaireça.Onadelachance.
—Mec, arrête ton char, c’est juste des lettres sur unemontagne, faitTyler.Cette ville craint toutautantquecepanneau.
—Tuestropnégatif,murmureTiffani.JemecontentedesuivreJakejusqu’auH.—Toid’abord,dit-ilenreculantavecungrandsourire.Pourquoi suis-je aussinerveuse?Peut-êtreparceque jem’apprête à accomplir le rêvede tantde
gens?Oupeut-êtreparcequejepeuxtomberetmouriràtoutmoment.Avecunegrandeinspiration,jem’avanceettouchelemétalpeintenblancduHdesfameuseslettres
deHollywood.Jemesensexactementcommedeuxsecondesauparavant.—Oh.Aprèstout,onestentraindesefaireunemontagnedequelquesboutsdemétalsurdespoteaux.Jakeposesamainprèsdelamienne.—Bon,etcerancardalors?J’auraispeut-êtreditoui,pourlaseuleraisonquenousnoustenonssouslepanneauHollywood,qui
doitêtrelemeilleurendroitpouraccepterunrendez-vous,saufqueTylersemetàhurler.—Qu’est-cequet’as,mec?—Quoi?faitJake,agacé.Ils’écartedupanneaupouralleràlarencontredeTyler,quiserrelespoings.—Qu’est-cequetuviensdeluidire?Sesyeuxsontdeuxfentesnoirestandisqu’ils’approchedeJake,levisagefermé.—Lestensions,articuleRachaelàmonendroit.Jeme souviens vaguement des tensions sous-jacentes dont ellem’a parlé. Ce n’est plus vraiment
sous-jacent,ondirait.—Mec,fous-moilapaix,grommelleJake.Ilsedétourneenhaussantlesépaules.—Horsdequestion.Tylerseplantedevantlui,bombeletorseetluienfonceundoigtdanslapoitrine.—Vousdeux,çan’arriverapas.Situosesneserait-cequ’ypenser,jetecasselatête.—Tyler,chéri,calme-toi,intervientTiffani,sanssuccès.—Nefaispasl’idiot.Arrêtedeleprovoquer.Deans’interposeensecouantlatête.—Allezlesgars.Laisseztomber.Soudainune alarme, desmoteurs et unbruit d’hélices captentmon attention.Alors que le bruit se
rapproche,jemeprendsàregarderleciel.Etjemeretrouvesousleprojecteurd’unhélicoptèredelapolicedeLosAngeles.
9
Je plisse les yeux sous l’hélico. Tout le monde s’arrête, nos paroles s’estompent, nos yeuxs’écarquillent.
—Merde,crieTylerenfrappantleHgéant.Commentilsfontpourarriveraussivite?—Netombezpas!noushurleTiffanienl’attrapantparlamain.Maisaulieuderetourneràlaclôture,ilssemettentàdescendrelamontagne.—Onsecasse,faitJake.Ilfautarriverenbasavantlavoituredepatrouille.DeandésigneTyleretTiffaniquis’éloignentrapidemententrelesroches.—Ilsnefontpasdevieuxos,cesdeux-là.J’enconnaisunquinepeutpassepermettredesefaire
encorearrêter.—Encore?jerépète.Personnenerépond.RachaeletMeghanentamentladescenteens’accrochantl’uneàl’autre,comme
silemoindrefauxpasallaitlesmeneràunemortcertaine.C’estprobablementlecas.—Soisprudente,faitDeanpar-dessussonépaule.Ilsuitlavaguepisteenglissantunpassurdeux.Dans levacarmede l’hélicoptère,unedécharged’adrénalineme traverse tout lecorps.Toutesces
heuresdejoggingmatinalvontenfinpouvoirêtremisesàprofit.JemeprécipiteàlasuitedeDeandanslapenteescarpée.J’aidumalàgardermonéquilibresurcesolinstable.Pourvuquejenemefassepasarrêteretsurtout,pourvuquejenetombepas.
—Tut’accroches,Eden?demandeJakequisauted’unrocheràl’autreenriant.Commentpeut-iltrouverçadrôle?—Jefaiscequejepeux!Soudain,jeglisseetmanquedechuter.Unemainsolidemerattrapeparlecoude.—Faisgaffe,ditJakeenmestabilisant.Çava?—Jeneveuxpasallerenprison,jelâche,paniquée.Enbasdelapente,lerestedugroupeatteintlaterreferme.Jakeralentit,amusé.Ilmeprendlamain.—Çanerisquepas.Lepirequipuissearriverc’estqu’onseramasseuneamende.
Çamerassureunpeu,mêmesimonventrerestenoué.GrâceàJake,jenetrébuchepasetjenemefaispasattraper.Quandnousapprochonsdubas,aprèsavoirdépasséquelquesmaisonsettraverséuneligne de chemin de fer, je lui en suis très reconnaissante. J’aperçois avec soulagement le panneauindiquantSunsetRanch.
—Pasdepatrouille,jeconstateensentanttoutmoncorpssedécontracter.Monpèrem’immoleraitparlefeuetjetteraitlescendresdanslestoilettessijerevenaisàlamaison
avecuneamendepourviolationdepropriété.—Pasencore,préciseJakeenmelâchantlamain.Onn’estpastoutàfaitsortisd’affaire.NousretournonsauparkingoùjedécouvrequeTylerestdéjàparti.—MeghanetRachontdûpartiravecDean,fait-ilendéverrouillantuneFordrouge.EtTiffaniavecTyler.—Ilsvontoù,tucrois?Pourvuqu’ilsoitmeilleurconducteurquemondemi-frère.—Ons’enfiche,non?Non.—Qu’est-cequetuveuxfaire?continue-t-il.Tuasfaim?Jeledétailleunlongmomentpendantqu’ilconduit.CommentnotreévasiondupanneauHollywood
a-t-ellepusetransformerenrendez-vousgalant?Lesautresontdéguerpietm’ontlaisséeentête-à-têteavecJake.Cecidit,ilestvraiquej’aiunpeufaim.
—Onpeutmangerquelquepartdanslecoin?—IlyaunChick-fil-Aàdixminutes,surSunsetBoulevard.Onpourraitprendreuntrucvitefait.—D’accord.Onn’apasdeChick-fil-Adansl’Oregon.—Quoi?—Onn’apasnonplusledroitdeseservirseulàlapompeàessence,parexemple.Jemeprendsàpenseràchezmoi.QuepeutbienfaireAmeliaencemoment?Est-cequemamèrese
sentseuledansnotrepetitemaison?—C’estpourri,l’Oregon.—AlorstudoisadorerL.A.,conclut-il.Onadeslettresgéantessurdesmontagnes,desChick-fil-A
etonpeutprendredel’essenceseulscommedesgrandssanssefairearrêter.Fabuleux.Ilmefaitrire.C’estagréable,unecompagniemasculinequinesoitnimonpèreniTyler.Cesdeux-là
sonttroppénibles.Affalée dans le siège passager, le front contre la vitre, j’essaie d’apercevoir l’hélico qui semble
avoirdisparu.J’arriveenfinàrespirernormalement.Jakemontelaclimetbaisselamusique.—Tuaimescettevillealors?—Oui.Envérité,jenel’aipasencorebeaucoupvisitée,maislepeuquej’enaivuestplutôtgénial.—C’estplusintéressantquePortland,çac’estcertain.—Jen’yaijamaismislespieds.—Çan’envautpaslapeine…Enfait,j’ajouteaprèsréflexion,Portlandn’estpassimalqueça.Ona
unebonnescèneindé,maisilpleuttoutel’année.Etilyabeaucoupdeclubsdestrip-tease.Maislesgenssontsympas.
Leproblème,c’estquePortlandestassociéàtropdechosesquejedéteste.C’estlàquemesparentssonttombésamoureux.C’estlàqu’ilsemblepleuvoirsansfin.Làoùsetrouventmesprétendus«amis».Maviedanscettevillen’estpas très intéressante,nimêmevraimentheureuse.Encomparaison,SantaMonicaestuneboufféed’airfrais.
—Desclubsdestrip-tease?Ilvavraimentfalloirquejevisitecetteville.
Touslesmêmes.—C’estcommentLosAngeles,endehorsdestrucsàtouristes?Ilréfléchitentapotantlevolant.—Ilyaunfosséintersidéralentrelesrichesetlespauvres.LesgrossespointuresenLamborghini
habitentdansd’énormesmaisons,etceuxquidormentdanslaruesedemandents’ilsvontpasserlanuit.Ça,c’estvraimentpourri.Maisengénéral,lesgensd’icisontsympas.
—Jen’avaisjamaisvuçasouscetangle.NousredescendonsNorthBeachwoodDrive,toutdroitjusqu’àSunsetBoulevard.C’estuneruetrès
largebordéedecinémas,derestaurants,d’unlycéeetenvahiedevoitures.Jesuisémerveillée.Audrive-induChick-fil-A,Jakemelanceunregardencoin.—Tuveuxquoi?Jen’aiaucuneidéedecequ’ilsproposent,alorsjechoisissurlemenulapremièreoptionsaineque
jevois.—Lasalade.C’esttout,jepréciseàJakequiattendlasuite.—C’esttout?Pourquoilesfillesaimenttantlessalades?fait-ilavecunsoupiravantdesetourner
pourcommander.Jevaisprendrelesandwichaupouletépicé,unCocaetunesaladeavec…—Del’eau.Nouveauregarddésapprobateur.—Avecdel’eau.Merci.C’estpourmoi,dit-ilensortantsonporte-monnaie.Jeleremercieetnousavançonsjusqu’auguichetsuivant.Danslafiled’attente, ilmeregardeavec
uneexpressionperplexe.—Jedétestelesfast-foods,sic’estcequetutedemandes.Cen’estqu’àmoitiévrai:cen’estpascettenourriturequejedéteste,cesontsesconséquences.Nousrécupéronsnotrecommandeavantderetrouverleboulevard.—Tuesentraindemedirequetudétestescesandwichetcesfritesquisontlesmeilleursaliments
dumonde?—Oui.Jedétestecethorriblesandwichaupouletetcesfritesatroces.—C’estparcequetun’asjamaisgoûté,fait-ilenrigolant,dépité.Ilfouilledanslesacquelquessecondesenessayantdegarderlesyeuxsurlaroute,puisildéposeles
fritesentrenousdeuxetenenfourneunepoignée.—Tunesaispascequeturates.—Unemaladiecardiovasculaire?Tantmieux.Ilinterromptsamasticationpourmeregarderavecunsourirerésigné.Ilsefaittard,jedévoremasaladesurlechemindeSantaMonicaetJaketerminesonsandwichsans
provoquer le moindre accident. Nous empruntons l’autoroute tandis que l’obscurité s’étend autour denous.Toutecettecirculation,quejedétested’ordinaire,paraît,ilfautbienl’avouer,magnifiquedanslecrépuscule.Letrajetserévèlepluscalmeetagréablequ’encompagniedeTyler.
—Tuhabiteschezlui,c’estça?demandeJake,deretourenville.Jesorsdemafascination.—Chezqui?—Tyler.C’estlàquejet’emmène,non?—Ah.Oui.Jenesaispascequiluiaprisdet’agressercommeçatoutàl’heure.—C’estparcequ’ilestcon…Jenedevraisprobablementpascrachersurluidevantsasœur.—Enfait,jesuisassezd’accord.Ilsedemandesijefaisdel’ironie,maisdécidedemeprendreausérieux.—Ça,jenem’yattendaispas.—Moinonplus.Jenem’attendaispasàdétestermondemi-frère.
Il se tait, sûrement faute de savoir quoi répondre. Nous passons les cinqminutes jusqu’à DeidreAvenuedanslesilence.Toutesleslumièresdelamaisonsontallumées.
—Merci dem’avoir aidée à descendre de lamontagne et dem’avoir ramenée. Etmerci pour ledîner.
— Pas de souci, par contre est-ce que je peux avoir ton numéro ? fait-il avec un sourire aussiespièglequedéterminé.Jeteprometsqu’iln’yaurapasdefritesdeChick-fil-Alaprochainefois.
—Bon,puisquetum’asoffertcettesalade…J’imaginequejepeuxtedonnermonnuméro.Sonvisages’illumineetildonneuncoupdepoingvictorieuxsursonvolant.—Gagné!Vas-y,balance!Lesjouesenfeu,j’entremonnumérodanssontéléphone.—Net’inquiètepas,cen’estpasunfauxnuméro.—Hmm,jet’appelledemainpourenavoirlecœurnet.—Subtil,unefoisdeplus,jedisensortantdanslanuit.Merci.Avec un signe de lamain, il redémarre et s’éloigne. J’écoute le bruit dumoteur jusqu’à ce qu’il
disparaissetotalement.Aprèsêtrerestéeplantéeaumilieudutrottoirpendantplusieursminutes,jefinisparme retourner vers lamaison.Lavoiture deTyler est garée dans l’allée. Je l’aurais cru parti pluslongtemps.
Surleseuil,jeprendssoudainconsciencequemonpèrenesaitpasoùjesuisallée.J’aicommequidiraitdisparujusteavantledîner,aumêmemomentqueTyler.Ilaforcémentfaitlelien.
Jeretiensmarespirationenpoussantlaportequejerefermesansunbruit.Jepasseenhâtedevantlesalon où la télé est allumée, pour gravir l’escalier sur la pointe des pieds. Ce n’est pas que je soisinquiète.Jen’airienfaitdemal–àparttoucherlepanneauHollywood,cequiestcontraireàlaloi–etdetoutefaçon,monpèrenepeutpasm’empêcherdesortir.Simplement,jen’aipaslaforcedeluiparler.
—Eden?chuchoteunevoixsurlepalier.Tylermetoise.—Maisqu’est-cequetufoutais?J’arriveàsahauteur.—Ettoi?Tunousastouslaisséstomber.Belespritd’équipe.Ilal’airden’avoirpasdormidepuisdesjours,oupeut-êtrequ’ilestdéfoncé.Entoutcas,ilrâle.—Jenesuispastroppoteaveclesflics,tupiges?Jenepeuxpasmepermettredemefaireencore
choper.—Encore,jerépètepourlasecondefoisdelasoirée.Quel genre d’autres activités criminelles peut-il bien commettre, à part se balader dans des zones
interditesetsnifferdelacocaïne?—Quandes-turentré?—Ilyavingtminutes.Mamèrem’aenfinlâchépourcettehistoireàlaplage,cetaprès-midi.—Cool.(Ilmesuitjusqu’àmachambre.)Qu’est-cequetuveux?—Rien,fait-ilenbaissantlesyeux.C’estlemomentdel’interrogersursapetitescèneinjustifiéedetoutàl’heure.—C’estquoitonproblèmeavecJake?Jecroiselesbrasmaisilfaitmachinearrière.Toutcommeilm’asuivie,jelesuisàmontouretme
retrouvedanssachambrepourlapremièrefois.Étonnamment,ilnemejettepasdehors.—Jet’aiposéunequestion.—Àlaquellejenevaispasrépondre.Attends…si.Cemecestledeuxièmeplusgrosenfoiréqueje
connaisse.Neperdspastontemps.Tuvastefaireavoir.—C’estquilepremier?Toi?—Presque,fait-ilaprèsunlongmoment.
—D’accord,bon,enfaitJakeestsupersympa,jedisenobservantsachambre.Pascommed’autres.Ettun’aspasvraimentàmedirequijedoisfréquenter.
—Tudéconnes?fait-ilavecunriredur.Jet’auraisprévenue.—Etpuisqu’est-cequeçapeuttefairedetoutefaçon?Ilm’agace.S’ilétaitplusgentil,jeprendraispeut-êtreenconsidérationsonaversionpourJake.Mais
ilnel’estpas,doncjen’aipasàl’être.—Jem’enfiche.—Apparementpas,jerétorque.C’estpeineperdue;ilnevajamaisl’admettre.Lesmains dans les poches, il se dirige à l’autre bout de sa chambre et s’arrête devant desDVD
rangésn’importecomment.—C’estquoiton…c’estquoitonfilmpréféré?Monfilmpréféré?Sérieusement?Ilpourraitquandmêmetrouvermieuxpourévitermesquestions.—LaBelleetleClochard,j’avoueenbaissantlesbras.—DeDisney?Quandilcomprendquejeneblaguepas,ilcontientsonrire.—Pourquoi?—Parceque,jecommenceavecprécaution,c’estlaplusbellehistoired’amourdetouslestemps.
RoméoetJuliettenefontpaslepoids.Ilssontdifférentsmaisilsfontensortequeçamarche.Ladyestnormale alors que Clochard est une tête brûlée, et pourtant ils tombent amoureux. (Je me tais poursouffler,enrevoyantlefilmdansmatête.)Etpuislemomentdesspaghettis,c’estunescèned’anthologie.
—D’anthologie,répète-t-il,sarcastique.Ilestmortderire,cequiconfirmemapremièreappréciation:cetypen’estbonqu’àmedonnerla
migraine.Jenecomprendspas.Commentpeut-ilpasserd’unétatderageintenseàcettehumeurjovialeetdétendueenunquartdeseconde?
—EtjesuissûrqueLadyn’estpas«normale».Elleestinintéressanteetnesaitpass’amuser.JepréfèreClochard.
—Ahoui?Parcequ’ilerredanslesruescommetoiquandturentressaoulleweek-end?J’espère l’énerver autant qu’il m’énerve. Sauf qu’il prend ma pique à la rigolade. Excédée, je
détournelesyeux.Sa chambre est dans les tons bleu foncé, lit défait, vêtements entassés dans un coin, une ou deux
canettes de bière sur la table de nuit. Je n’en attendais pas moins de lui. Dans le placard ouvert,j’aperçoisunemanchedeblousond’uneéquipeuniversitaire.
—Tufaisdufootball?—Hein?fait-ilensuivantmonregard.Non.C’estàDean.Jenesuispastrèsfootball.—Dean?JesuissurprisequeTylern’enfassepas.Ila lephysiquetypeduquarterbackqu’onvoitdans les
films.—Jakeaussi.Jejouaisquandj’étaisplusjeune,maisj’aiarrêtéaucollège.—Pourquoi?J’essaiedemerappelerquecettepersonnem’insupporte,maisenvain.Ilm’intrigue,c’estplusfort
quemoi.—Seloncertainespersonnes,lefootballaméricainseraitunepertedetemps,dit-ild’untonsoudain
plus sec. « Pourquoi perdre ton temps au sport ? Lancer des ballons ne va pas te faire entrer àl’université.Resteàlamaisonetétudie,situveuxréussirtavie»,cite-t-ilsanslemoindresourire.
—Quit’aditça?
Jesuisdeplusenpluscurieuse.Tylern’estpasdugenreàs’inscriredanslesmeilleuresuniversités.Jedoutemêmequ’ilaimel’école.Lesgenscommeluidétestentça,engénéral.
—Quelqu’un.C’estpourçaquejen’avaispasledroitdejouer.—Ledroit?Malàl’aise,ilrangelavestedeDeansurl’étagère.—Enfin,c’estpourçaquej’aiarrêté,jeveuxdire,corrige-t-il.Ilcroitque jenevaispasremarquer,maisc’est tout lecontraire.J’absorbe toutcequ’ilditetce,
depuislemomentoùiladébarquéaubarbecue.Ilestdéstabilisé,mieuxvautnepasl’interrogerplusavantsurcettehistoirede«droit».Quiquesoit
celuiquiluiaditquelefootballétaitunepertedetemps,cettepersonneadel’autoritésurlui.Etj’aibienl’impressionqu’illadéteste.
Ledos tourné,Tyler retire son tee-shirt etenenfileunpropre. J’ai juste le tempsd’apercevoirunpetittatouagesursonomoplate,unmotcalligraphié.
—IlfautvraimentquejerendesonblousonàDean.Çafaitunbailqu’ilmesaouleavecça.Jemeprendsàlefixerduregard.Iladesbrasmusclés,lapeaubronzée,lamâchoirebiendessinée.
Jenedevraispasremarquertoutcela,etpourtant…—Qu’est-cequ’ilveutdire,tontatouage?Ilseretourne,surpris,etfaitl’idiot.—Montatouage?(Devantmoninsistance,ilfinitparrépondre.)Euh,guerrero.C’estdel’espagnol,
çaveutdire«combattant»,fait-ilnerveusement.Là,ilm’intéresse.—Pourquoienespagnol?—Jesuisbilingue.Mesparentsaussi.C’estmonpèrequim’aapprisquandj’étaispetit.Jemerappellecequem’aracontéRachaelunpeuplustôt.Sonpèreestenprison,alorsjenepose
pasdequestions.—Jeneparlepasespagnol.Jeparlefrançais.CommelesCanadiens.Bonjour1.—Mefrustras, répond-ilet jen’aiaucune idéedecequecelaveutdire.Buenasnoches.Çaveut
dire«bonnenuit»,ajoute-t-ilavecunairmoqueur.—Oh.Jem’apprêtedoncàsortir,maisavant,jemeretourneavecunpetitsourire.—Bonsoir*.
1.*Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).
10
L’arrivée duweek-endmarque la fin dema première semaine à LosAngeles. Je trouve enfin uncréneau pour appeler ma mère dans son emploi du temps chargé. Elle est infirmière au ProvidencePortlandMedicalCenter,àtempsplein,denuitetenheuressupplémentaires,pournousfairevivretouteslesdeuxsursonsalaireunique.Lapensiondemonpèreaideunpeu,maisçarestetrèsdifficilepourelle.
—Salut,Eden,ditmamèreàladernièresonnerie.Commentvas-tumachérie?—Tuasl’airfatiguée.Tuastravaillécombiend’heures?C’estaffreuxdesavoirquellepressionellesubitsanspouvoirrienyfaire.—Douze.Unepatienteestvenueavecsonchiend’aveugle,c’étaittrèsmignon,dit-ellepourchanger
de sujet. Il a bien amusé les gamins de la salle d’attente.Çam’a presque brisé le cœur de devoir lelaisserpartir.Ducoup,j’aipenséqu’ondevraitprendreunchien.Ilmetiendracompagniequandtuserasàlafac.Qu’est-cequetuenpenses?
Sonenthousiasmeenfantinmefaitsourire.—D’accord,vapourlechien.Unbergerallemand,c’estbeau.—Ceuxquifontpeur?—Oui.Ellesetaitlonguement.—Jevaischercher.Nousnousesclaffonspuisellebâilleauboutdufil.—Tucommencesàprendretesmarques,oul’ambianceestencorebizarre?—Encorebizarre.J’attendsquePapadécided’avoirunevraieconversation,maisçan’apasl’airde
vouloirarriver.—Dave,murmure-t-elle. Je suis désolée que tu sois coincée avec lui.Tun’étais pas obligée d’y
aller,tusais.—Cen’estpassimal.Siseulementellepouvaitmevoirhausserlesépaules.C’estdur,d’êtrecoincéeàunÉtatdedistance
de la seule personne qui a toujours été là pour moi, avec le téléphone comme seul moyen decommunication.
—Jepassemontempsavecungroupedejeunes.Ilssonttrèssympas,saufun.—Lequel?—Mondemi-frère.
C’estvraimentabsurdedenepassupporterl’uniquepersonnequejenesuispascenséedétester.—Qu’est-cequetufaiscesoir?jedemande.—Jevaismecommanderdupouletfritetpassermonsamedisoirsurlecanapéàregardern’importe
quoià la télé,parceque j’approchede laquarantaine,que je suisdivorcée,que je travaillebeaucouptropetquejeneressembleàrien.Tumemanques.J’espèrequetut’amusesbien.Etquetuessage.
J’aiunpoidssurlecœur.Jemesenscoupabledelalaissertouteseule.—Quandjerentre,onvacherchercechienetregarder«PrettyLittleLiars»encommandanttoutle
pouletfritquetuveux.Plusqueseptsemaines!—C’esttrès,trèslong,EdenOlivia.—Faisensortequejenetemanquepastropetçapasseraplusvite.—D’accord.Jevaisessayer.Àplustard,machérie.Elleraccrocheenbâillantpourlasecondefoisetunsilenceinfinis’abatauboutdufil.Mamèreméritemieuxquecettevie.—Àquituparlais?demandeunevoixmasculinequimefaitsursauter.L’intrusestTyler,soupçonneux,commeàsonhabitude.—Jet’aidonnélapermissiond’entrer?—Àquituparlais?TuasunmecàPortland,c’estça?Jel’observeenréprimantunéclatderireetilmerendunregardbuté.—Tuécoutesauxportes?—Machambreestjusteàcôté.Lesmurssontsuperfins.Jemerelèveavecunegrimace.—Bon,ehbienjeparlaisàmamère.Ilsedétendunpeu.—Tunedevraispasêtreen trainde traînerdehors? je luidemande, constatantqu’il estpresque
20heures.—C’estcequejevenaistedire.(Ilfermelaportederrièreluietseplanteaumilieudemachambre.)
Tunefaisriencesoir?—Non,toutlemondeestoccupé.Rachaelestpartiequelquesjourschezsesgrands-parentsàGlendale,MeghanalagrippeetTiffani
passeunweek-endsurtroischezsonpèrequinelalaisserienfairesanslui.—Trèsbien,tuviensavecmoi.Soiréesur11thStreet.Pasunmotàtonpère.—Quiaditquejevoulaist’accompagneràunesoirée?Cematinilhurlaitcontremoipourquejedégagedesonchemindansl’escalier.—Désoléemaistuesplusoumoinsladernièrepersonneavecquij’aienviedetraîner.—Prépare-toi.—Non.—Si.Qu’est-cequetuvasfaired’autre?Resterlàtoutelanuitcommeuneminablequin’aaucune
viesociale?Jepinceleslèvres.Unpointpourlui.Sionveut.—Commentjedoism’habiller?Unsouriretriomphantilluminesonvisage.—N’importe.C’estpascommechezAustin.C’estplus…détendu.Tupourraisvenirensurvêt’,ça
nedérangeraitpersonne.—Détendu?Plusieursoptionsmeviennentàl’esprit.—Ouais.Ça teditdeboireunverrependantque tu teprépares? Je suisunpeuàcourtdestock
parcequemamèrefouillemachambredeplusenplussouvent.Ilnemerestequedelabière,duwhisky
et un peu de vodka. Tu sais quoi, je vais te surprendre, fait-il avec un sourire sincère, dénué de toutégoïsme.
Il retourne à sa chambre enme laissant ébahie. Pour quelqu’un censéme haïr, il a l’air de tenirbeaucoupàcequejevienneàcettesoirée«détendue».Tantqu’ilnem’insultepasouqu’ilnemelancepasdesregardsmeurtriersàtoutboutdechamp,çanemedérangepas.Sijedoisl’accompagnerpourmelemettredanslapoche,ainsisoit-il.Avecunpeudechance,ilresteradebonnehumeurcesoir;peut-êtrequejel’apprécieraiunpeupluscommeça.Jetentelecoup.
Heureusement,j’aidéjàprismadouche.Cetaprès-midi,jem’ennuyaistellementquej’aipassémontempsà regarderdes tutoscoiffuresurYouTube.Le résultatnedonnait jamaiscequemepromettaienttoutescesblogueusesanglaises.J’aifiniparentrouverunquifonctionnaitetdepuis,j’arboreunchignondécoifféplutôtmignonquiferatrèsbienl’affaire.
—Jedevraisêtreprêtedansvingtminutes,j’informeTylerquidébarquedansmachambre,uneBudLightàlamainetcequisembleêtreunverredeCocadansl’autre.
—Pasdesouci.Tiens.Ilmetendleverreetjetressaillequandsesdoigtsgeléseffleurentlesmiens.—Vodka-Coca?—C’estça,admet-ilpresquehonteuxenouvrantsabièresurleborddemacommode.Lechoixle
plussûr.Tuaimesça,n’est-cepas?Situpréfèresunebière,jepeuxallert’enchercher…—Çamevatrèsbien.—Tantmieux.Donc, euh, viensme chercher quand tu es prête, fait-il après avoir bu une grande
lampéedebière.—Vouspicolez?Nous tournons la têteversmaporteouverteoùJamienousobserved’unœil sombre.Avecquinze
secondesderetard,Tylertentededissimulersabièredanssondos.—Maisnon,fait-ildoucement.Onn’estpasmajeurs,pourquoionpicolerait?—Jevousvois.Mamanestaucourant?—C’estrien,rétorqueTylerensefrottantlanuque.Laisse-noustranquilles.Avecunrictusmalicieux,Jamietendlamainverssonfrère.—Vingtdollars.—Jet’enaifilétrentel’autrejour,protesteTyler.Néanmoins,ilsortsonportefeuille.—Tuvoulaistonjeuvidéo,tuterappelles?Necroispasquej’aieoublié.—Bon.Alorsdix.Tylers’esclaffe.Jemedemandes’ilachètesouventlesilencedeJamie.—D’accord,dix.Maintenantdégagedelà.—J’auraisacceptécinq,lanceJamieendisparaissantdanssachambre.Tylerboitsabièreavecunsoupir.—Ilmeprendpourundistributeur.Prépare-toi,dit-ilensortant,toutsourire.J’enfileunslim,undébardeuretjetteunsweatrougesurmesépaules.Aprèstout,Tylerasuggéréque
jeseraisàcôtédelaplaquesijefaisaistropd’efforts.JesuissoulagéedepouvoirporterdesConverseetnondestalons,cettefois.
—Çayest,jedéclareenentrantdanssachambre.Onpeutyaller.Enjeanettee-shirtgrispâle,Tylerestentraind’alignertroisbouteillesdebièrevidessurlerebord
desafenêtre.Ilseretourneetmelanceunregard.—Ilétaittemps.D’uncoup,ilrenversetouteslesbouteillespuiss’approchedemoi,clésdevoitureàlamain.Jeme
retiensdelesluiarracher.
—Qu’est-cequetufais?Tuviensdet’enfilertoutescesbières.—Bonsang.OK,jenoustrouveunchauffeur.Contente?—Oui.Iljettesescléssurlelitpuiscomposeunnuméroàlavitessedelalumière.—Ouais,ouais,Declan,j’arrive.Quivientcesoir?(Unepause.)Appelle-moiKaleb.Tupeuxlui
demanderdeseramenerchezmoileplusvitepossible?Quelquesmaisonsplusloin,enfait.(Uneautrepause.)Merci,mec.Àdansvingtminutes.
—Kaleb?—Ilestsympa.Ilestàlafac,maisondiraitunlycéen.Entoutcas,ilsaits’amuser.Jelesuisalorsqu’ilsefaufileàpasdeloupdansl’escalier.Noustraversonslacuisinepoursortir
parlaportedujardin.—Jedevraispeut-êtreprévenirmonpèrequejesors,non?Jesaisquetoitudoisfairelemur,mais
moi,jenesuispaspunie.Ilvametuers’ilserendcomptequejesuispartiesansluidire.—Net’enfaispas.Dansquelquesheuresetquelquesverrestut’enficherascomplètement.Nouscontournonslamaisonenrestantloindelafenêtredusalonetdescendonslarue,presquesix
maisonsplusloin.Tylerabeauavoird’innombrablescôtésimbéciles,ilestencoreassezfutépoursavoircommentnepassefaireprendre.Touteseule,j’auraissûrementdemandéàcequ’onviennemechercherdevantchezmoi,c’est-à-diresouslenezdePapaetElla.
—C’estunegrossesoirée?—Pastropgrosse,dit-il,adosséàunarbre.Ilsemetàsemordillerlalèvreinférieure,nerveux.J’imaginequ’iln’apasenviedemeparler.On
resteplantéslàsansriendirependantcinqminutesjusqu’àl’arrivéebruyanted’un4×4.Untypebaisselavitre.—Monte,mec!Eneffet,ceKalebal’aird’ungamin.Jenel’imaginepasdutoutsuruncampus.Tylerm’ouvrelaportièreetjem’efforcedemonter.Çapuelacigarettedanscevieuxtacot,etilya
destasdegobeletsMcDonald’séparpillésparterre.—C’estqui?demandeKalebenm’observantdanslerétroviseur.Ilestd’unepâleurextrême,lescheveuxtrèscourtsblondfoncé.—Ma,euh…Ondiraitqu’illuttepoursortirlemot.Ilsepenchepourmonterlevolumedurapqu’écouteKaleb.—Mademi-sœur,termine-t-il.—Jenesavaispasquetuenavaisune.Kalebmefixedeplusbelle.Jesuismalàl’aise.Finalement,ildétournelesyeuxetdémarre.—Alors,çava,mec?Çafaitunbailqu’onnes’estpasvus!Jeneparticipepasàlaconversation,jeneconnaispasKalebetdetoutefaçon,jenecroispasqu’ils
aientbesoindemoi.Durantlesdixminutesdetrajet,TylernecessedeleremercieretKalebnecessederépéter«pasdesouci»,etpuisilsnecessentdesecouerlatêteenrythmesurl’horriblemusique.
Moi,jegardelesyeuxsurlesparolesdechansongriffonnéessurmeschaussures.Finalement,nousnousarrêtonsdevantunemaisontrèsdifférentedecelled’Austin.Personneenvue.—Vousêtessûrsquec’estlabonneadresse?—Oui,faitTyler.C’estunepetitesoirée,rappelle-toi.Unevingtainedepersonnes,grandmax.Unepetite soirée…cequi signifiequ’il seraplusdifficilede se fondredans ledécor. Ilsvont se
rendrecomptequ’ilsnem’ontjamaisvue.Jevaisdétester.ÀlasecondeoùTylerpousselaported’entrée,delamusiquehousemevrillelestympans.Jelasens
qui commenceàdétruiremesneurones.Et ça empeste laweed.Néanmoins, il y abeaucoupmoinsde
mondeetjenesuffoquepasensuivantTylerdansunepiècetransforméeenhangaràalcool.PlusdetracedeKaleb.
—Ah,tevoilà,Tyler,s’exclameuntypequial’airsobre.C’estqui?—Mademi-sœur.Eden,jeteprésenteDeclan.Elleestavecmoicesoir,siçanetegênepas.—Waouh,faitDeclan,hagard,enpassantunebièreàTyler.Mec,depuisquandt’asunedemi-sœur?—Depuislasemainedernière,murmure-t-ilavantdesetournerversmoi,toutsourire.Tuveuxboire
quoi?—N’importe.Enfait,jevaisprendreuneautrevodka-Coca.IllèvelesyeuxaucielavantdemeservirunverresouslesyeuxdeDeclan.—Jevaisluifairevisiter,luiditTyler.Ilposeunemainsurmonépauleetmepousseverslaporte.Aulieudemesuivre,ilprendDeclanà
partdansuncoindelapièce.Declanhochelatête,ilsparlentsibasquejen’entendsrien.Puis,avecunsoupir,Tylermerejoint
dansl’entrée.Plusieurspersonneslesaluentmaisiln’yprêtepasattention.—Tuvoiscesgens?fait-ilendésignantlegroupeaffalésurlescanapés.Ilsontl’aird’avoirlavingtaineetd’êtrecomplètementàplat.—Oui.Ilss’ennuientàmourir,non?Tylers’esclaffe.—Bienaucontraire.Bon.Vafaireconnaissanceavecdesgens.Jevaisunpeudehors.Dehors?J’aidéjàentenduçaquelquepart.Jesaiscequ’ilyadehors.Jesaiscequ’ilvafaire.Mon
humeursedégradedanslaseconde.—Tutefichesdemoi?Ilboitunegorgéeavecdésinvolture.—Hein?Jemepencheversluietmonverremanquedefrappersapoitrine.—Nefaispasl’idiot.Jenet’aipasaccompagnéàcettesoiréepourriepourquetumelaissestoute
seulependantquetutefaisdejolisrailsdecokeenfumantdesjointsdanslejardin.—C’estpastesaffaires.Vatefairedesamisetfous-moilapaix.Jemecollelittéralementàluijusqu’àlaportedujardin.—Tunevasquandmêmepassortir!C’estcomplètementdébile.Prisd’unefureursoudaine,ilexplosesacanettecontrelemur.Labièreinondelesol.—Casse-toidelà.—Horsdequestion!Ilmesaisitlepoignetsifortquejenesensbientôtpresqueplusmonbras.Soncorpscontrelemienet
sesyeuxférocesmeterrorisent.—Eden,murmure-t-il.S’ilteplaît.—Non.Jemedégageetm’efforcedetenirbon,malgrélabièreéclatéeetmonpoignetenmiettes.—Pourquoitufaisça?—Parcequej’enaibesoin,tupiges?Ilhurleàmoitiéetjetteuncoupd’œilalentourpours’assurerquepersonnen’écoute.—Tun’enaspasbesoin.Tuenasenvie.Ilmefixeunlongmoment.Ilal’airdesedemanderquoifaire,quoidire,commentmecontourner.
Enfin,ilsecouelatête,passesamainmouilléedanssescheveuxetmesouffle:—Tunecomprendspas.Comprendrequoi?Mais ilm’écartedoucementetouvre laportequ’ilclaquederrière lui. Je suis
follederage.Sijen’avaispasétéaussihumiliéeladernièrefoisquejesuissortiepourlesurprendre,
peut-êtreque je lesuivrais.Maisçanesertà rien, je lesais.Furieuse, je retournedans l’entréeoù jem’arrêteuninstantpourréfléchir.
—Eden?Qu’est-cequetufichesici?Jemeretourneetdécouvre,nonsanssurpriseetsoulagement,Jake.—Jake!JesuisvenueavecTylermaisil…Enfin,ilm’énerve.Unemainsurlefront,ils’approchedemoietmechuchoteàl’oreille.—Eden…Tusaisquec’estunesoiréedéfonce,n’est-cepas?—Unequoi?Sesyeuxm’indiquentqu’ilfautquejelametteenveilleuse.—Regardeautourdetoi,Eden.Toutlemondeestdéfoncé.Mon regard dérive lentement vers le salon. Tyler avait raison : ces gens ne sont pas en train de
s’ennuyer.Ilsonttouslesyeuxinjectésdesang,lespupillesdilatées,lamoitiéregardentleplafondavecinsistance, tandis que les autres sont hilares. Plus je les observe, plus ça devient limpide.Une soiréedéfonce.Tylerm’aamenéeàunesoiréedéfonce.
—Qu’est-cequetufaislà,alors?—Unpoteavaitbesoinquejeleramène.Jesuisvenulecherchermaisapparemment,iladéjàbougé.
Etondevraitfairepareil.Tun’aspasenviedetraîneraveccegenredepersonnes,Eden.—Sors-moidelà,parpitié.Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’aitamenéeici.—C’estunenfoiré,voilàpourquoi.Intéressant.Tyleraditexactementlamêmechoseàsonpropos.C’estlaparoledel’uncontrecelle
del’autre,etc’estàmoidechoisirmoncamp.Etlà,toutdesuite,jechoisisJake,parcequesijedevaisdéciderlequeldesdeuxest l’enfoirédelabande, jen’auraisd’autrechoixquededésignermondemi-frère.
11
Je suis furieuse que Tyler ait sincèrement cru que ce serait une bonne idée dem’amener à cettesoirée. Il pensait vraiment que j’allais m’amuser en compagnie d’un groupe de types occupés à sedroguer?Pourquoim’a-t-ilinvitée?Àquoipensait-il?Est-cequ’ilpensait,d’abord?
Jakeestmoinsbête.Ilpossèdeassezdeneuronespourdifférencierlebiendumaletc’estpourcetteraisonquejemeretrouvedanssavoiture.Avecl’enviededécocheruncoupdepoingaupare-brise.
—JesuiscenséretrouverDeandansquinzeminutes,medit-il,ennuyé.Tupeuxveniravecnousoujepeuxteramenercheztoi.C’estcommetuveux.
Rentrerchezmoioùjesuisrestéecoincéetoutelajournéenem’attireguèreetj’aivraimentbesoindecompagniedécente,etsansprésencededrogue.Enplus,Deanestadorable.
—Tuessûrqueçanevousdérangepas?—Certain.Excellentchoix.Jemedécontracteunpeuetrèglelaclim.C’estplusfaciledesedétendredanslavoituredeJakeque
danscelledeTyler,surtoutparcequejenevoispaslamortenfaceàchaquevirage.—Tuvenaischercherqui?Pourquoiai-jeposécettequestion?—DawsonHernandez.Ilestenseconde.Ilfautquejelesurveille.—Oùest-cequ’onretrouveDean?Jechangedesujetpouroubliercettemerveilleusesoiréequimerendmaladerienqued’ypenser.—Ilyaunconcertgratuitdanslecentre,ungroupequ’ilaimebien,LaBreveVita,jecrois.Onva
allervoir.Jamaisentenduparler.Maissic’estunconcertgratuit,ilsnedoiventpasêtretrèsconnus.—D’accord.Çameplaît.Trèsvite,nousnousretrouvonsaumilieudelavienocturnedeSantaMonica,vibranteencesamedi
soir,entre lesnéonsbrillants, lamusique, lesgensalcooliséset les trèsnombreusesprostituées.Nousnousgaronsdansunminusculeparkingderrièreunbâtimentencorepluspetit.J’ignoresic’estunbar,unrestaurantouuncoffeeshop.Quoiqu’ilensoit,nousentrons.
Onsecroiraitdansunsous-sol,faiblementéclairé,bondéetétouffant.Surunescèneminuscule,ondistinguequatresilhouettesquigrattent,tapentouchantent.J’enjambedesgobeletspiétinés.
—Ah,tevoilà!s’exclameDeanpar-dessuslamusique,depuisunendroitnonidentifié.Ilnouscontourne,éclairéparlesflashsdesprojecteurs.
—Eden?Jenesavaispasquetuvenais.—Jel’aitrouvéeencherchantDawson,expliqueJake.LevisagedeDeans’affaisse,ilséchangentunregardentendu.—ChezDeclan?Jakesetourneverslascèneetricanecommesijen’étaispaslà.—Oui…Ellenesavaitpas.Quand lachanson toucheà sa fin, lapetite fouleapplaudit,puis lechanteurdemande le silence. Il
attrapelemicroàdeuxmainsetparcourtlascèneavec.—Mercid’êtrevenus,lesgars.Vousêtesgéniaux.Tousautantquevousêtes.Mêmetoilà,dansle
fond, lepuceaudequarantebalaisquin’est làquepour labièregratos.Tudéchires,mec.Tudéchiresgrave.
Ilsouffleunrirerauquedanslemicroetobservelasallequiritpar-cipar-là.—Tuesmieuxici,mechuchoteDean,lesyeuxsurlascène.J’adorecegroupe.—Alors,avantdepasseraumorceausuivant,reprendlechanteur,jedoisvousrappelerdenepas
voussoucierdecequelesgenspensent.Votreviec’estvotrevie,votremusiquec’estvotremusique,voschoixcesontvoschoixetvotrevodka,c’estvotrevodka.Neperdezpasvotretempsàfairedestrucsquineserventàrien.Faitescequevousavezenviedefaire.Sortezenboîtetouteslesnuits,jetez-vousd’unavion,visitezlaBulgarie.Jem’enfous.Faitesdestrucsquivousrendentheureuxcommejamaisparceque,LABREVEVITA!Amusez-vousbien.Tantoamore.
Sousuntonnerred’applaudissements,labatteriereprend,puisleguitariste,lebassisteetlechanteurlarejoignent.
—C’estuntrucd’Amériquelatine,LaBreveVita?jedemandeàDean.—C’estitalien.Commemoi.Enfin,àmoitié.—Non,c’estvrai?TuasvécuenItalie?—Non,jesuisnéici.Mamèreestitalienne.Monpèrel’arencontréependantdesvacancesàNaples,
etpuiselleestvenuehabiterici.Enfait,jen’aijamaismislespiedsenItalie.Bizarre,hein?—Tropcool!Comparéàl’histoired’amourdemesparents,c’estmagnifique.Lesmiensontflirté,àmoitiésaouls,
dansunesoirée,etlelendemainilssontallésmangerdeshot-dogsensemble.Romantique.—Tuparlesitalien?—Pasvraiment.Justequelquesmots.Jejetteunœilàlascène.—Etqu’est-cequeçaveutdire,labrevevita?—Çaveutdirequelavieestcourte,fait-ilavecunsouriresilargequeçadoitêtredouloureux.C’est
pourçaquejelesadore.Ilsviventleurvieàfond.Etleurschansonsdéchirent.Nous rions,mais pas Jake. J’avais presque oublié sa présence quand il s’éclaircit la gorge en se
plantantdevantmoi.—Eden,tuassoif?Jeconsidèrelesgobeletsécrasésparterre,lebarmiteux,puisjesouris.—Çava,merci.Le concert continue pendant au moins une heure. Nous nous amusons bien, surtout Dean, et en
approchantdelasortie,j’ail’impressiond’avoirpasséunebonnesoirée.Restertranquilleaufondd’unesalledeconcertàécouterungroupe indé l’emportesurunesoiréeoù tout lemondesedrogue.Jesuisravied’êtrevenue.Nousnousarrêtonsàunstanddetacosavantderetournerauparking.
—Jepeuxteramener,Eden,meproposeDean.IlnerestequesavoitureetcelledeJake,lesautressontdéjàparties.—JepassedevantchezTyler,detoutefaçon.
—Jevaislaramener,déclarefermementJake,lesmainsdanslespoches.Onsevoitdemain,mec.Faisgaffeenrentrant.
—Pasdesouci.Àpluslesgars.Avecunsignede lamain, ilnous laisseseulssur leparking,dansunsilenceplaisant.Maispassi
silencieuxqueça.Onentendtoujourslespulsationsdesclubsalentour.—Alors,faitJake,qu’est-cequetuveuxfaire?Parcequejen’aivraimentpasenviedeteramener
toutdesuite.—Quelleheureest-il?—Minuitpassé.Ilmefixeavecintensité.Depuiscettesemaine,jemesensàl’aiseensacompagnie.Etj’aibienremarquéàquelpointilestbeau.—Alors,tuveuxquejeteramène?Onpeutresterunpeuensemble,situveux.J’évaluemondegréde fatigue :pas très fatiguée.Ensuite, j’évalue ledegrépotentieldecolèrede
monpère:trèsencolère.Maisjen’aipasenviederentrer.—Onresteunpeu?Jevoudraisévitermonpère.—Ilsefaittard.Çateditqu’onseregardeunfilmchezmoi?—Seulementsic’estunDisney.—LeRoiLion,çaferaitl’affaire?—C’estquoicettequestion?—Alorsmonte.Onaunfilmàregarder.JakehabitedanslequartierdeWilshire.Danslavoiture,ilm’expliquequelemiens’appelleNorth
ofMontanaet,d’aprèslui,c’estlequartierlepluscherdelaville.Nousnousarrêtonsdevantunpavillondebriquespâlesentouréd’unmassifdefleurs.Rienàvoiraveclamaisondemonpère,deRachael,deTiffanioudesautresquej’aivuesjusque-là.Cequartier-cisemblebeaucoupplusdense,commesilesarchitectes,arrivésàcourtd’espace,avaientdécidéd’entasserlesmaisons.
MaiscelledeJakeestmignonneetagréable.Enmontantà l’étage, j’admire lesrangéesdephotos,trophéesetbibelotsentoutgenre.Unechaleurquifaitcruellementdéfautchezmonpère.
Jakemevoitobserverladéco.—Euh…mamèreestunpeudingue.—Non,c’estsympa.Avecunbougonnement,ilallumelalumièredansunepièce.Iln’yaaucunbruit,sesparentsdoivent
dormir.—C’estunpeulebazar,maistantpis.Jevaischercherlefilm.Ildisparaîtauboutducouloirtandisquej’entredanssachambre.Dansuncoin,untasdevêtements,dansl’autre,lelitetunegrandetéléfixéeaumur.J’aperçoisaussi
unballondefootballaméricainsurunecommodeetuncasqueparterre.—Tylerm’aditquetujouais,luidis-jequandilrevientavecleDVD.—Oui,jesuishalfback.Allez,c’estpartipourpleurerdevantSimba.Affaléssursonlit,nouslaissonslevolumebaspourneréveillerpersonne.Ilestpresque1heuredu
matin,jecommenceàbâiller.MêmeJakesembletropépuisépourprêterattentionàlamortdeMufasa.—Tu sais, commence-t-il en triturant lesoreillers, jene regardepasLeRoiLionavec n’importe
quellefille.Prisedanslascèneterriblequisedéroulesousmesyeux,jeluifaissignedesetaire.—Chut.Mufasaestmort,Jake.Unpeuderespect,jeteprie.—DieubénisseMufasa,puisse-t-ilreposerenpaixauroyaumedel’animation.Puisilseredressesurlescoudesavecunsouriremalin.
Jenemerappellepasl’avoirvuéteindrelalumière,pourtantilfaitsoudainplussombre.L’écransereflètesursonvisageetdanssesyeux.
—C’étaitunbelélogefunèbre.—Merci,fait-ilenmeregardantavecintérêt.Alors,quejecomprennebien.TuviensdePortland,
qui est une ville cool, apparemment. Tu ne peux pas te servir toi-même à la pompe à essence, tucommandesunesaladeauChick-fil-A,tuatterrisàdessoiréesdéfonceettuaimeslesDisney.Cool.
—C’estassezjuste.Jeneregardepluslefilm,maisseslèvres.—Nerentrepascheztoi.Resteicicettenuit.—Monpèrevafaireuneattaque.Maiscen’estpasunemauvaiseidée.Noussommestousdeuxépuisés,jeneveuxpasrisquerqu’ilme
ramèneets’endormeauvolant.Sesyeuxquinemequittentpasmedonnentlachairdepoule.—Reste.J’aiLeLivredelaJunglequelquepartenbas.—J’adoreLeLivredelaJungle,jechuchoteenbaissantlesyeux.Quandjeleslèveànouveau,leslèvresdeJakes’approchentdangereusementdesmiennes.Auboutd’une longueseconde,elles leseffleurentenfinetdes frissonsmeparcourent.Sonsouffle
chaud chatouille ma joue, il s’arrête un instant. Je crois qu’il attend que je le repousse ou que jel’embrasseàmontour.Jen’aimêmepasbesoind’ysonger.
Ma bouche trouve la sienne,mes paupières se ferment et je sens samain au bas demon dos.Onn’entendplusquelavoixdeSimbaenfondsonore.
Ilm’estdéjàarrivéd’embrasserdesgarçons,maispasdanscescirconstances.C’estarrivéenjouantau jeude la bouteille, ou àActionouVérité, ou à ce jeuoùonnous enfermeàdeuxdansunplacardpendantseptminutes.Maislà,cen’estniunjeuniundéfi.C’estmaintenant,c’estpourdevrai,etjen’aiaucuneidéedecequejesuisentraindefairenidepourquoij’embrasseunCalifornien,rencontréilyaàpeine une semaine, en regardant Le Roi Lion sur son lit. Je ne sais peut-être pas ce que je fais, enrevanche,jesaisquej’aimebeaucoup.
Quand,aprèsunelongueminute,ilserecule,jelesensmurmureraucoindemeslèvres.—Tunedevraispeut-êtrepasenparleràTyler.Ilmetuerait.J’ouvrelesyeux,unpetitsourireaucoindeslèvres.—Jen’ycomptaispas.
12
Unesemainedevacancesetmevoilàdéjàdanslelitdel’ennemijurédemondemi-frère.Bienjoué,Eden.
J’ouvreunœildanslesoleilfiltréparlesstoresetmetourneverslegarçonquis’étireàmescôtés.Devantsesmusclesquisecontractent,jemesenssoudainpleinementréveillée.
—Bonjour,marmonne-t-il.Ilsefrottelesyeuxenseredressant,touthabillé.Commemoi.—J’aidormiici?Questionidiote.Riendetoutcelan’étaitcenséseproduire.Nonseulementj’aifaitlemur,maisjene
suismêmepasrentréeàlamaison.Monpèrevametuer.—Ilfautquejerentre.Toutdesuite.—Mais,Eden…Onfrappeàlaporte.Jenesaispasquelleheureilest,maisunechoseestsûre,cen’estpaslemilieu
delanuit.C’estdoncsanssurprisequejevoisunefemmedébarquerdanslachambre.Brascroisées,ellemetoisedehautenbas,puislanceunregardnoiràJake.—J’étaissûrequetuavaisfaitvenirunefilleendoucecettenuit.Elleaunnom,celle-ci?—Maman!—Non,Jake.Elleacinqminutespourprendrelaporte.Jakegrommelletandisquesamères’enva.Jusqu’àcetinstantprécis,jeleprenaispouruntypebien.
Sibien,quejel’aiembrassélanuitdernière.Saufquelaréactiondesamèremelaisseperplexe.Monventresenoue.
—Tuamènessouventdesfillesici?Jem’assoisauborddulitpourenfilermesConverse.—Non,rétorque-t-iltrèsvite.Elleditçapourrire.J’affichema déception. Je ne compte pas ignorer les dires de samère si facilement. Peut-être ne
regarde-t-il pasLe Roi Lion avec n’importe quelle fille, mais ça ne signifie pas qu’il s’empêche deregarderAladdinavecelles.
—Jedoisyaller.—D’accord.Laisse-moiprendremesclés.Ilaenfincomprisquejenerigolaispas.Sijeresteuneminutedeplusici,monpèrevasignalerma
disparitionàlapolice.
Je le regardeun longmoment, le tempsdeconsidérermesoptions.Qu’est-cequi seraitpire : êtreramenéeparungarçon,ouarriverchezmonpèreentaxi?Quoiqu’ilarrive,j’aurail’aird’avoirpasséunenuitsulfureuse.
Jakeenfileuntee-shirtetattrapesesclés.Est-cequec’estsaroutine?—D’accord,répète-t-il,onyva.Nous nous glissons en vitesse jusqu’au rez-de-chaussée dans l’espoir d’éviter une nouvelle
confrontationavecsamère.Àvraidire,cettedernièrenedoitpasêtreravie.Etmonpèreneleserapasnonplus.
—Onestqueljour?jedemandepourdirequelquechose,unefoisdanssavoiture.—Dimanche.Sontons’estunpeuadoucimaisilsemblemorose.Est-cequ’ilestfâché?—D’accord.Jegardelesyeuxsurlaroute.Quandnousarrivonsdevantchezmonpère,Jakes’estunpeudétendu.Iléteintlecontactavantdese
tournerversmoi,unlégersourireauxlèvres.— On devrait se revoir. Viens dormir chez moi le week-end prochain. C’est l’anniversaire de
mariagedemesparents,ilsneserontpaslà.—Euh,d’accord.J’hésite;jenesaispasencorequelleopinionmefairedelui.—Tupourrasrestertoutleweek-end.—Jenecroispasquemonpère…—Réfléchis-y,mecoupe-t-ilavecfermeté.Puisilsouritdenouveau.—Unechancequej’aieétéàcettesoiréehier,hein?Aubonendroitaubonmoment.—Mercidem’avoirsortiedelà.J’avaisoubliélafameusesoirée.JemedemandesiTyleraréussiàrentrerseul.—Mercidem’avoirlaissétesortirdelà,fait-ilavecunsourirequis’élargit.J’aipasséunebonne
nuit.—Oui.Ilfautquej’yaille.Ilesttempsd’affrontermonpère.—Onsevoitplustard.Jerefermelaportièreenmedemandants’ilestsincère.Je rabatsmacapuche surma tête, lanceunepetiteprièreauxcieuxet enfonce lesmainsdansmes
poches.Pourvuquelacapuchedissimulemescheveuxenbatailleetlescouluresdemaquillage.J’ail’aird’avoirpassélanuitàVegas.MêmesijedoutequebeaucoupdegenssortentfairelafêteàLasVegasenjeanetsweatàcapuche.
Jen’entendspaslemoteurmaisjesaisqueJakeestpartiquandj’atteinslaported’entrée,quej’aipeurd’ouvrir.
Inutile:elles’ouvreàlavoléedevantmoi.Jesursauteetunemainfermem’attireàl’intérieur.TropvirilepourêtreElla,tropmuscléepourêtremonpère.Monquestionnementprécédentadonctrouvésaréponse:Tylerabienréussiàrentrer.
Jemedégagetandisqu’ilrefermelaportederrièremoi.—Hum.Ilme lanceunregardassassincommesi jevenaisdemettre le feuà lapièce.Personnenesemble
jamaislesatisfaire.—Tudéconnes.Tudéconnes,hein?
Jeleregarde.Jepousseunsoupir.Jejoueaveclescordonsdemacapuche.Jeleregardeencoreunpeu.
—Jepourraistedirelamêmechose,jemarmonnepourfinir.Jesuisarrivéeaupointoùjem’enfiche.J’essaied’êtresympaet jemeleprendsenpleinepoire,
encore.Etencore.Maismaintenantçasuffit.—Tum’asamenéeàunesoiréeavectesabrutisdepotesdéfoncésjusqu’àlamoelle.Tuesmalade
ouquoi?—Chut!Parlemoinsfort.—Oh,désolée,jedis,sarcastique.J’avaisoubliéquetamèren’apaslamoindreidéed’àquelpoint
sonfilsestpathétique.Uneémotionfugace,quejeneluiaijamaisvueauparavant,éclairesesyeux.Jen’arrivepasàmettre
ledoigtdessus.Ilapresquel’airblessé,maisjen’ensuispascertaine.—Dave!s’écrie-t-ilavecunsourire.Edenestrentrée!—Quoi?Jevaisluimettremonpoingdanslafigure.Sonsouriresetransformeenrictusvictorieux.—Affrontelesconséquencesdetesactes.—Lesconséquencesdetesactes.Tum’asobligéeàalleràcettesoirée.—Jemerappellet’avoirentendueaccepter.—C’estsurprenantquetutesouviennesdequoiquecesoit.Tuétaissobre?J’endoute.Jerepoussemacapucheetserrelesdentsausondespasquiarriventdelacuisine.SiPapanemetue
pas,jesuispresquesûrequeTylerlefera.—Bonnechance,fait-ilenriantsouscape.Ils’adosseaumur,brascroisés,etobserveavecamusementmonpères’approcher.—Maisoùétais-tu?lance-t-ilpourcommencer.Iln’estpasravi,c’estlemoinsqu’onpuissedire.—Est-cequetusaisl’heurequ’ilest?Presquemidi.Oùétais-tutoutelanuit?Tuauraisaumoinspu
répondreàtontéléphone.Jemesuisfaitunsangd’encre,Eden.—Pardon,je…Ledilemmeultime:toutbalanceroumesortirdelààcoupdemensonges?Maisjen’ainilecourage
d’avouernil’expériencenécessairepourmetrouverunalibi.Monpèreme regardedans leblancdesyeuxenattendantma réponse.Quantàmoi, jechercheoù
posermesyeux…quitombentsurTyleretsonrictus.Iljubiledemevoirtenterd’échapperàlafureurpaternelle.Jesuispaniquée.Étrangement,plusjeleregarde,désespérée,plussonexpressionsournoises’estompe.
—Elle était chezMeghan, intervient-il soudain. Je te l’ai déjà dit, ajoute-t-il à l’adresse demonpère.
Cedernierparaîtdécontenancéuninstant.—Non,tunem’asriendit.—Si,hierenrentrant,parcequ’ellem’ademandédeteledire,faitTyler,perplexecommesimon
pèresouffraitd’amnésie.Tuterappelles?—Non.—Mince,j’aidûoublieralors.Désolé,Eden.C’estmafaute.Sesyeuxsesontadoucis.Pendant le long silence qui s’ensuit,mon père reste indécis, Tyler nonchalant, etmoi, j’essaie de
comprendrecequivientdesepasser.JerêveouTylerestvenuàmonsecours?Remarquable.J’aidumalàcroirequ’unjourildeviennecohérent.Là,ilestpresqueimpossibleàcomprendre.Une
minute,ilal’airenchantéquejemefasseprendrelamaindanslesac,lasuivanteilmesertunalibitout
prêt. Pourquoi ? Ses changements de comportement me donnent mal à la tête. Je préférerais qu’il sedécideunebonnefois.Çameferaitdesvacances.
—Laprochainefoisquetusors,tumepréviensavant,conclutmonpère,agacé.Aufait,ajoute-t-ilquand jecroisqu’ilvaenfinpartir,nous sortonsdéjeuner.Tousensemble.Toiaussi,Tyler.Habillez-vousconvenablement.
Laperspectived’un«repasdefamille»nem’ennuieplustantqueça.Cequim’ennuie,enrevanche,c’estleregardintensedeTyler.Alors,quandmonpèreretourneàlacuisine,j’enprofitepourdémêlercequivientdesepasser.
—Tut’ensorsbien,remarqueTyler.—Pourquoituasfaitça?—Quoidonc?—Mentirpourmoi.Jenecomprendspas.—Jet’endevaisune.Pourt’avoiramenéeàcettesoirée.Jen’aipasréfléchi.Désolé.Ses excuses sincères me surprennent, et il ne hurle pas, pour une fois, ce qui est encore plus
surprenant.—Pourquoitum’asinvitée?Tuasvraimentcruquej’auraisenvied’yaller?—Jesuisdésolé,répète-t-ilencoreplusbas.Aumomentoùj’envisaged’acceptersesexcuses,ilgâchetout:—TuétaisavecJake,hein?Iladûvoirlavoiture.—Qu’est-cequeçapeut te faire?Tuas tonavissur lui,moi j’ai lemien.Jen’aipasenvied’en
parlerparcequeçaneteregardepas.—Ilfautquejeprenneunedouche,fait-ilenchangeantdesujet.Onenreparleraplustard.Aprèsce
repasdemerde.—Onenreparleraplustard?Jusqu’àmaintenant,ilnes’estpasmontrétrèsloquace.Surtoutàproposdugarçonquej’aiembrassé
lanuitdernière.— Oui, fait-il avant de monter l’escalier avec un sourire. Et rappelle-toi ce qu’a dit ton père :
habille-toiconvenablement.
13
Nousarrivonsaurestaurantavecvingtminutesderetard.Lesdixpremièresminutessontàmettresurlecompted’Ellaquiachangédeuxfoisde tenue.Le restesurceluideTylerquinousa faitunecriseparcequ’ilnepouvaitpasprendresavoiture.PapaetEllavoulaientutiliserlaLexusetlaRangeRover,Tyler n’avait donc pas besoin de la troisième.Après tout, il est privé de sortie. Il a fini par laissertomberet se traînerdans lavoituredesamère.Pendantce temps,moi jemedemandais sionpouvaitvraimentconsidérerlefaitd’êtreforcédemonterdansuneRangeRovercommeunepunition.
— Et voici, monsieurMunro, dit avec une intonation élégante la serveuse élégante du restaurantélégant,ennousmenantàunetableélégammentdressée.
Cinqansplustôt,monpèrenousauraitemmenées,mamèreetmoi,dansunboui-bouipourmangerdesburgersgras.
Il remercie laserveuseetnousnous installons.TyleretJamieàmescôtés,Papa,EllaetChaseenfacedenous.
—C’estsuperd’êtretousensemble,commenteElla,aprèsavoircommandénosboissons.J’aiprisdel’eau,Tyleratenté,sanssuccès,unebière.—Ondevraitfaireçatouslesdimanches.Monpèreapprouve,uneexpressionfamilièredanslesyeux.Futuntempsoùilregardaitmamèrede
lamêmemanière.—D’accord.—Pasd’accord,lanceTylerencroisantlesbras,têtebaissée.NiEllanimonpèren’yprêtentattention.Ilsontcomprisdepuislongtempsqu’ilatoujoursquelque
chosedenégatifàajouter,inutiledes’enpréoccuper.Jecommenceàprendrelecoup,moiaussi.Lesboissonsarriventetnouscommandonslesplats.Toutesttropsophistiquéettropétrange,alorsje
finispardésignerlepremierquejevois.J’aisûrementcommandédestesticulesdebaleineouquelquechosecommeça.
Cinqminutesplus tard,Tylerdesserre sa cravatenoire,défait lepremierboutonde sachemiseetinterromptlaconversationdenosparents.
—Combiendetempsondoitrester?J’aid’autreschosesàfaire.—Arrêtetessimagrées,faitElla.Tuaspristesmédicamentsaujourd’hui?—Maman.Ilmelanceunregardfurtifpuisfixesamère.
—Jesorsprendrel’air.—Laisse-le,ditElla,unemainsurlebrasdemonpèrequis’apprêteàlepoursuivre.—C’estcequetudisàchaquefois.Au départ, je comprenais qu’on puisse être facilement agacé par le comportement de Tyler,mais
maintenant,jevoisbienquemonpèrenel’aimetoutsimplementpas.Unpointc’esttout.Ellas’efforcedesourireenluifrottantledos.—Laisse-leunpeuvivre.Jevoudraissavoirdequelsmédicamentselleparlait,maisjem’abstiens,cenesontpasmesaffaires.
Çapourraitêtreuntraitementpourlestroublesdel’érectionouautrechosed’aussipersonnel,maisvuletempsqueTyleretTiffanipassentavachisl’unsurl’autre,j’endoutefort.
ElladécidedechangerdesujetetreportesonattentionsurJamie.—Commentsepassetonprojetdebiologie,Jamie?—Çava,faitcelui-cienbaissantlesyeuxsursesgenoux.Jedoisencorefinirleschémad’osmose.—Jedétestaiscettepartieduprogramme,dis-jepourparticiperàleurprétendu«repasdefamille».
Attendsdevoirlasuite.C’estencorepire.Monpèreestravidemeseffortspourm’intégrer.—Tupeuxallercherchertonfrère?demande-t-ilàJamie.Lesplatsvontarriver.—J’yvais,jelâchesansréfléchir.Ilfaitchaudici,j’aibesoindeprendrel’airaussi.Jedéguerpis.Peut-êtresuis-jequandmêmeunpeucurieuse,aprèstout.Dehors, jescrute leparking.Pas lamoindre tracedeTyler. Iln’yaqu’unva-et-vient incessantde
voitures. Le soleil aveuglant de l’après-midime brûle le dos. J’aperçois la Lexus et laRangeRovergaréesl’uneàcôtédel’autre.Ellaaeudumalàrentrerdanslapetiteplaceetc’estTylerquiafinipars’encharger.Unesilhouettesedécoupederrièrelevolant.
Je me dirige vers lui sans savoir quoi dire. Tyler est capable de démarrer la voiture enmarchearrièreetdemetuersurlecoup,doncquandj’arriveàsahauteur,jesuisunbrinnerveuse.
Illèvelatêteetmetunbonmomentàbaisserlavitre.—Quoi?—Turetournesàl’intérieur?Questioninutile.—Rienàfairedecesconneries,marmonne-t-ilavantdesedétourner.—Arrêtededramatiser.Ellet’ajusteposéunequestion,c’esttout.—Tuesdébileouquoi?Nonmais,sérieusement?Tunepigesvraimentrienàrien,EdenMunro.—Etallez,c’estreparti.J’essaiejustedecomprendretonproblème,ettoitumetraitescommeune
moins-que-rien à chaque fois. Laisse tomber. J’y retourne, parce que je ne suis pas une abrutieégocentriquequipassesontempsàpiquerdescolèresdèsqueçanevapascommejeveux.
Surcesbonnesparoles,jetournelestalons.Maisj’entendsTylerm’appeleretquandjemeretourne,ilal’airplusdétendu.—Vienslà.Jenebougepas.Jenevoispaspourquoijedevraisluiobéir.—Montedanslavoitureetjetedistoutcequetuveuxsavoir.Etaprèsonyretourne.L’occasion est trop belle. Si ça me permet de le faire revenir au restaurant, ça vaut le coup de
l’écouter.Avecunsoupir,jemonteàl’avantsansbaissermagarde.—D’accord,alorsquoi?La cravate défaite et unemain sur le volant, ilme fixe pendant une longueminute. J’attends qu’il
ouvrelabouche,maisilsecontented’unrictus.—Bon,tuveuxlavérité?D’accord.Lavérité,c’estqu’onsecassed’ici.
Sansmelaisserletempsdedigérerl’information, ilmetlecontactetappuiesurl’accélérateur.Lavoiture démarre en trombe, dans un crissement terrible. Il ne vérifie même pas la priorité avant des’engagerdanslarue;lesautresvoiturespilentautourdenous.
—NonmaistuesSÉRIEUX?jehurleenattrapantmaceintureaussivitequepossible.Là,toutdesuite,j’aipeurpourmavie.—Passérieux,seulementhonnête.—Ramène-moi.Unemainsurletableaudebord,l’autresurmaceinture,jeregardetouràtourTyleretlaroute.Tyler
pourluijeterdesregardsmeurtriers,laroute,parcequejen’aiaucuneconfianceensescompétencesdepilote.
—Tuveuxvraimentyretourner?(Lavoituretanguedangereusement.)Regarde-moidanslesyeuxetdis-moiquetuveuxretournerboufferces trucsdégueulassesavectonpèrependantuneheure.Dis-moiquetuleveuxsincèrement.
Rivéssurmoi,sesyeuxnesetournentquequelquesfoisverslepare-brise.—Non,j’avoue.Jen’aipasenvie.Maisillefaut,alorsfaisdemi-touravantqu’ilsnoustuenttousles
deux.As-tuseulementledroitdeconduirecettevoiture?Ilmerépondentresescoupsdefreinsetsesaccélérationsbrutales.—As-tuseulementledroitderessembleràça?C’estbon,ilm’exaspère.—Paslapeinedem’insulter.—Cen’étaitpasuneinsulte,bonsang.IlsepasseunemaindanslescheveuxetpilejusteàtempsderrièreunePorsche.—Onn’yretournepas.Onrentreàlamaisonpourquejepuissemeboireunebièreett’expliquer
queJakesefichedetoi,OK?—Merci,Tyler.Mercidememettreencoreplusdanslepétrin.—Lanuitdernièrec’étaittafaute,marmonne-t-il,frustréparlalongueurdufeurouge.D’accordje
t’aifaitsortir,maisc’esttoiquiaschoisidenepasrentrer,alorsn’essaiepasdememettreçasurledos.—Trèsbien.Maisonaunautreproblème : tamèreva flipperquandellevas’apercevoirquesa
voitureadisparu.Commenttuasrécupérélesclés,d’ailleurs?Lefeupasseauvertetilfaitvrombirlemoteur.— Relax, ils rentrent tous dans la caisse de ton père. Je les ai gardées après l’avoir garée.
Maintenantarrêtedemedistraire,j’essaiedeconduire.Jeserrelesdentsetdécidedemeconcentrersurlaroute.Nousmettonsvingtminutesà rentrerà lamaison,enunseulmorceau.Sur la route,Tyleraappelé
Ellapourluidirequ’onn’enavait«rienàfaire»demangeraveceuxetqu’onrentrait.Ilaraccrochésansluilaisserletempsd’enplacerune.
— Monte dans ma chambre, m’ordonne-t-il quand nous sortons de la voiture garée n’importecomment.Jevaismechercheràboireetonpourraparlerdecetenfoiréquitefaittantd’effet.
—Jen’aipasenviedediscuterdequoiquecesoitavectoi.Pourquoicroit-ilavoirsonmotàdiresurmeschoix?Ilpousseunsoupirblasé.—Monte,j’arrivedansdeuxminutes.Jem’exécute,maisengrimpantl’escalier,jeluicrie:—Pourtoninformation,jemontedansmachambre,paslatienne.—Alorsj’arrivedanstachambredansdeuxminutes,répond-il.Ilmedésespère.Pourquelqu’unquiprétendseficherdetout,ilestvraimenttêtu.
Jeretiremeschaussuresetjemedépêchedeplanquermontasdelingesaledanslasalledebains.Àpartça,machambren’estpastropmalrangée.Tylerneremarquerienquandilentre,unebièreàlamain.
—Bon alors, par où commencer…Pour te simplifier les choses : JakeMaxwell est le plus grosdragueurdetouslestemps.
—Tiensc’estdrôle,jecroyaisquec’étaittoi.Vexé,iltoussote.—Non,lagrandedifférenceentreJakeetmoi,c’estquelesfillesveulentdemoi.Jake,lui,ilveutles
filles.Jenepassepasmontempsàchercherdesnanas.Jetombedessusdansdessoirées,àlalimitejeflirteunpeu,parfoisjelesembrassesij’aibuetqueTiffanin’estpasdanslecoin.C’esttout.
Ilsiroteuninstantsabièredevantmonairconfuspuiscontinue.—Alors que Jake, lui, est un dragueur invétéré. Il fait marcher les filles pendant des semaines,
parfoisdesmois,ilcoucheavecellesetilneleurparleplusjamais.Etilpeutlefaireàtroisfillesenmêmetemps,ajoute-t-ilavecunriregrave.Jepeuxtegarantirqu’àlasecondeoùtuserassortiedesonlit,ildisparaîtra.C’estcequ’ilfaitàchaquefois.Ilteserviraleclassique«désolé,maisjenesensplusl’étincelle»,oualorsle«jenepeuxplusteparler,mamèreestsuperstricteetellerefusequejesorteavecquelqu’unavantlafac».
Il en fait des tonnes pourm’éloigner de Jake, pourtant, jusqu’àmaintenant, c’est Jake quim’a lemieuxtraitée.
—Pourquoitumedisça?—Jeteledis,c’esttout.—Argumentnonvalide.Ilsecontentedesourire.—Toutcommeceluipourquittercerestaurant.Commeprévu,monpèreetEllarentrentfurieux.Nonseulementilsontdûpayernosdeuxplatsdéjà
commandés,maisenplus,ilssont«extrêmementcontrariés»quenousayonsgâchénotrepremierrepasenfamille.OnrappelleàTylerqu’ilestprivédesortie,quantàmoijesuisconsignéedansmesquartierstoutelasoirée.Unetrès,trèslonguesoirée.
JediscutesurSkypeavecAmeliaquimeracontelespotinsdePortland.Apparemment,desélèvesdeterminale ont vu M. Montez, notre prof de lettres, en train d’acheter des capotes. M. Montez a lacinquantaineetcetteinfomecolleunhaut-le-cœur.Amelia,elle,estmortederirependantaumoinscinqminutes.Àpartlavieprivéedenotreprof,iln’yapasgrand-chosedenouveau,alorsnousparlonsdelafac.Amelia a décidé d’aller en biochimie à l’université d’État de l’Oregon.C’est àCorvallis, à uneheuredePortland.Moi,aucontraire,jerêvedequitterl’Oregon.Lelogicielsedéconnectealorsquejesuis au milieu d’une explication sur le programme de psychologie de la fac de Chicago. Plus deconnexion. L’ordinateur rame sans fin. C’est alors que j’entends qu’on tape àmonmur, celui quimeséparedeTyler.Toc,toc,toc.
Perplexe,jem’approche.Jenesaispassic’étaitvolontaireounondesapart,maisjetapeàmontourunefois,etj’attends.Ilmerépondquatrecoups.
Qu’est-cequ’ilfabrique?Jedoutequ’ilsoitentraind’apprendreleMorse,cequisignifiequ’iltentedem’agacer,encore.
—Tupeuxarrêter?jedemandeassezfortpourluietassezdoucementpourquemonpèren’entendepas.
—J’aidéconnectéInternet,répond-il,hilare.Tumedonnaislamigraine.OhmonDieu,Chicagoc’esttropcool!J’adorealleràl’école!C’estgénial!J’adorefairedesdissertesdepsychologie!
Furieuse,jem’adosseaumurentailleur.—Jen’aijamaisditça,jedisavecuncoupdecoude.Ilcogneàsontourpendantaumoinsquinzesecondes.
— Je peux faire ça toute la nuit, dit-il. Il paraît qu’on ne dort pas beaucoup à la fac, tu peuxt’entraîner.Jeterendsinsomniaqueenunriendetemps.
—Ont’adéjàditàquelpointtuespénible?Sanscomprendrepourquoi,jem’aperçoisquelorsqu’ilrépond,sonentrainmefaitsourire.—Non,jenecroispas.Siseulementjepouvaisvoiràtraverscemur.Est-cequ’ilsouritcommemoi?Est-ildebout,assisou
allongéparterre?Commentsontsesyeux,là?—Alors,petiteétudiante,explique-moiàquelpointjesuispénible.Il a l’air de souriremais je n’en suis pas certaine. J’appuie une oreille contre lemur pourmieux
entendresavoix.Ilestrarementgentil.—Déjà,tuasdéconnectéInternet,etmaintenanttutapessurmonmursanst’arrêter.—Techniquement,c’estnotremuràtouslesdeux.Iltapeunefoisdeplus.—Çaresteextrêmementpénible.Arrête,s’ilteplaît.—Impossible.Ilseremetàcognersesarticulationsencoreplusfortets’esclaffequandjetapeungrandcoup.Aprèscela, je retourneàmon lit etmeglisse sous la couverture.Quepeut-ilbien fairede l’autre
côté?Observe-t-illeplafond,allongésursonlit?Ilestminuitpasséquandjem’endorsenfin,aprèsavoirréfléchiàJake,auxproposdeTyleràson
sujet,etaucomportementdelamèredeJake,lematinmême.Onauraitditquej’étaisunestatistique:unefilledeplusdanslelitdesonfils.EtsiTylerdisaitvrai?
14
Lelendemainmatin,jesuistropfatiguéepouravalerunpetitdéjeuner.Épuisée,jetentedeterminerlatartinequ’Ellam’apréparée.
—Çava?demandemonpèreenajustantsacravatehideuse.Jen’aipasarrêtédemeréveillercettenuit;jesuissûred’avoirentendud’autrescoupsaumur.—Oui,justeunpeufatiguée.—Tuasdesprojetspourcettesemaine?—Aucun.Mon père a toujours été nul pour faire la conversation. Il pose des questions débiles et fait des
remarquesstupidespourcomblerlesilence.Laplupartdutemps,jepriepourqu’ilnemeparlepasdutout.
—D’accord.Jerentretardcesoir.Jeneprendsmêmepaslapeinederépondreetmecontentededébarrassermonassiette,têtebaissée.
Deuxièmesemainesurhuitetj’aidumalàsurvivre.Monpèreestnul.Cettefamillerecomposéeestnulle.Cetétéestnul.
—Salut,faitunevoixtandisquejeclaquelaportedulave-vaisselle.Jefaisvolte-faceetdécouvre,àmongranddégoût,Tyler.—Hmpf.—Tuescenséedirebonjour,fait-ilenmebousculant.Ilporteundébardeurlâcheetmulticoloresurunshortnoir.Jenepeuxm’empêcherd’observerses
brasmusclésquandilouvreleréfrigérateur.—Tum’asempêchéededormirtoutelanuit.—Hein?—Tucognaisaumur.Plusieursémotionssemblentpasserdanssesyeuxetpourfinir,ils’esclaffe.—Certainementpas.Tonpèrenet’apasprévenuequecettemaisonesthantée?Lesfantômessont
partout.—Oh,laferme.Tunepouvaispasdormir,commetoutlemonde?Ilseretourne,unebouteilled’eauàlamain.—Pasvraiment,non.J’espéraisquetuteréveillesetqueturépondes.—Désolée.Jen’étaispasd’humeuràcommuniquerparmurinterposéà4heuresdumatin.
J’essaied’ignorerlaveinequicourtlelongdesonbrasgauche.AvecAmelia,nousparlonssouventdesgarçonsquiontdesbras,desmains,oumêmedescousveineux.C’estsexy,lesveines.
—Touché,fait-ilensemordillant la lèvreavecunregarddoux.Etcesoir?demande-t-ilsoudaintrèssérieux.
—Quoicesoir?—Turépondrascesoir?Détournantmesyeuxdesontorse, je lèvelesmainsensignederenoncementaujeubizarreauquel
nousjouons.—Non,Tyler,jeneveuxpaspassermontempsàtaperaumur.C’estn’importequoi.—Zut,murmure-t-ilavecunhaussementd’épaules,avantdes’intéresseràsamontre.Jem’apprêteàmesauverdansmachambre,quandlaported’entrées’ouvre.Monpèreadûoublier
quelquechose,oualorsc’estEllaquisortfairedescourses.Maisnon,cen’estqueDean.IlsalueElladanslesalonavantdenousrejoindreàlacuisine.Luiaussiesthabillétrèsdécontracté,clésdevoituredansunemain,téléphonedansl’autre.—Prêt?demande-t-ilàTyler.—Mec,tuasvingtminutesderetard.Surprenant.Tylern’apasl’airdugenreàsepréoccuperdelaponctualité.—Désolé.J’aidûm’arrêterprendredel’essence.—Tum’aslaissécroupiravecelle…Allez,onsecasse.Pendantlelongsilencequis’ensuit,Deanetmoil’observons,lessourcilsfroncés.Souslapression,
ilfaitmachinearrière.—C’estbon,détendez-vous.Chamailleriesdefrèreetsœur,heinEden?—Onn’estpasfrèreetsœur.—Dieumerci.Je l’ignore pour aller ouvrir la porte-fenêtre et laisser pénétrer la chaleur.Derrièremoi,Tyler et
Dean disent qu’ils vont à la salle de sport, ce qui ne me surprend guère. Ils ont tous deux l’air des’entraînerpasmal.JedemanderaisbienàTyleràquellesalleilvapourm’yinscriremoiaussi,maisjedécidedemecontenterdecourir.Jenecroispasqu’ilapprécieraitquesaprétenduesœurrivaleluicolleauxbasques.
Le mercredi, tout le monde est de retour en ville. Rachael revient de son week-end traumatisantd’ennuichezsesgrands-parents,quiafaillilapousseràmettrelefeuàlamaison.Tiffaniclamehautetfortquevivreavecsonpèrec’estcommedevivreavecShrek ;quantàMeghan,ellevamieux,aprèsavoirpassétroisjoursàvomir.
Nousnousretrouvonspourpapoterautourd’unemanucure.Rachaelseplaintdepuisquinzebonnesminutes.—Sérieusement,mongrand-pèrem’a forcée à jouer au loto avec lui.Tous les soirs. «Rachael !
C’estl’heureduloto!»Euh,Papi,j’aiuneidée:non.—Mon père s’est mis à me sortir des albums photos datant de, je ne sais pas, 1801 au moins,
embrayeTiffaniperchéesurunechaise,unemanucurepenchéesursesmains.Jenepeuxpasm’empêcherd’observerlesmiennesetd’admirermesonglesbrillants.Jemesensà
l’aise, installéedansmon fauteuil réservédansun coindu salon. Je devrais faire çaplus souvent.Cen’estpassiterrible,enfait.
Nous sommes allées jusqu’à Venice parce que c’est lemeilleur bar à ongles de la région, selonTiffani.Çatombebien,VeniceBeachal’airvraimentsuper,d’aprèslesquatreminutesquej’enaivu.
Rachaelfaitlescentpasdanslapièceenvérifiantsesonglestouteslesdeuxsecondes.—Jet’échangelesalbumsphotoshistoriquescontrelelotoquandtuveux.
— Moi je prends n’importe lequel contre le vomi, commente Meghan près de Tiffani. J’ail’impressiond’êtreremplied’acide.
Meghanestplustimidequelesdeuxautres;grâceàelle,jenesuispaslaseuleànepastropparler.—Aumoinstuesrétabliepourtonanniversaire,ditTiffani.Tufaisunefête?—Tuconnaismesparents,faitMeghanavecunegrimace.Rachaels’arrêtenet,extatique.—Meghan!Mamaisonestlibresamedisoir,onpeutfaireunesoiréechezmoi!—Encore?Heureusement,personnenem’entend.Jesuislàdepuisdeuxsemainesetonm’adéjàtraînéeàdeux
decessoiréespourriesquiontpourthèmesl’alcool,ladrogueetlesexe.—Tuessûre?demandeMeghan.Ellea l’airhésitanteetunpeucoupable.Je lacomprends :Rachael risquederetrouversamaison
dansunsaleétat.—Maisévidemment,Meg.Aucunproblème.Allez,onlefait!—JevaisdireàTylerdefairecirculerl’info,proposeTiffani.Quand elle prononce son nom,mon ventre se noue. Que peut-il bien être en train de faire en ce
moment?—Dis-luidenepasinviterDeclanetcompagnie,faitRachaelavecunregardsévère.Jeneveuxrien
d’illégalchezmoi.S’ilsoublientquelquechose,monpèremetuera.—Jem’enoccupe.Je me rappelle le fameux Declan. L’hôte de la soirée défonce de ce week-end. Une chance que
Rachaelaitassezdebonsenspournepasinviterlesdrogués.—Vouspouvezvenirsamedimatinpourm’aideràpréparerlamaison.Çavaêtregénial!seréjouit-
elleenfaisantsursauterlamanucure.Moi,jevaisdétester,jelesais.L’alcool,lesinconnusivres,lebruit,Tyler.Ilestencorepluspénible
quandilabuetc’estmoiquivaisdevoirletraîneràlamaisonàlafindelasoirée.—Meg,tudevraisinviterlebeaugossedelaplage,lataquineTiffani.EtRach,jesaisdéjàquetu
vasinviterTrevor.Rachaelrougitetsedétourne.Tiffaniglousseavantdeposerlesyeuxsurmoi.—Etmoi,jeseraiavecTyler,doncEden,ilnerestequetoi.Ilfautqu’ontetrouvequelqu’un.Pendantuneseconde,jemesenscoupabled’êtreunemauvaisecopineetdenepasluidirequeTyler
nes’intéressepasqu’àelle,maismabouchesemblepossédersaproprepersonnalité.—JeresteraiavecJake,jelâche.—Quoi?s’exclament-ellesàl’unisson.Tiffaniretiresesmainsdelatablepourpouvoirsetournerversmoi.—Jake?NotreJake?—Maparole,qu’est-cequ’onaloupé?demandeRachael,bouchebée.Onneparlepasdetraîner
avecungarçonàunesoiréesansraison.Qu’est-cequetucaches?Tucraquespourlui?— On s’est vus samedi soir, j’avoue en baissant les yeux, le rouge aux joues. (Si seulement je
pouvaismetaire!)Etj’ai,euh,passélanuitchezlui.—OhmonDieu, ditMeghan en échangeant des regards avec les autres. Ça ne lui a pris qu’une
semainepourchoperlanouvelle?—Meg!souffleRachael.Vousêtesallésjusqu’où?—Quoi?—Tusais…—Tul’assucé?termineTiffani.Jemanquedem’étrangler.
—Non,jeparviensàarticuler.OnaregardéLeRoiLion.Rachelinclinelatête.—C’estungenredecode,ou…?—Non.OnavraimentregardéLeRoiLion.—Oh,fait-elleavantderireauxéclats.—Tais-toi,Rachael,ordonneTiffani.Elleseretournepourpermettreàlamanucure,unpeuperdue,decontinuersontravail.—Maispersonneneluiaparlédel’ÉtapeMaxwell?demandeMeghan.Àcemoment-là,j’aienviedemeprécipiterdehorsetderetournertoutdroitàSantaMonica.Jesuis
pétrifiéeetloin,bienloindemazonedeconfort.—L’ÉtapeMaxwell?—C’estcommeçaqu’onappellelafellation,ici,m’informeMeghan.ParcequenotrebonamiJake
Maxwells’enfaitfairebeaucoup.C’estungenredetradition,etondiraitquetueslaprochaine.Tiffanietellesemettentàglousser.—Vousêtesdégueu, les filles,ditRachael.Ne lesécoutepasEden.Tun’espasobligéede faire
quoiquecesoit.—Nous,dégueu?s’indigneTiffani,unemainsurlapoitrine.Eden,voicilavérité:laspécialitéde
Meghan,c’estdemasturberlesmecs,etRachael,c’estlesfellations.Lesdeuxmanucureslèventlesyeuxauciel.Jepariequ’ellesn’attendentqu’unechose:notredépart.—Tu les trouverasdans les chambresd’amisà chaque soirée.Engénéral,Rachest avecTrevor.
Moijesuislaplusélégante.—Hé!protestentRachaeletMeghan,sanspourautantnier.— Je ne savais pas que se rouler des pelles dans les cabines d’AmericanApparel était élégant,
rétorqueRachael.—Çanecomptepas.Aumoins,moi,jesorsaveclegarçonenquestion.Cetteconversationestparfaitementgênante,maisjemeprendsàattendrequeMeghanetRachaellui
répondent.Ellessecontententd’échangerunrapidecoupd’œilentendu,sansrienajouter.Devantmonregardinterrogateur,Rachaelsecouelatête:cen’estpaslemoment.Puiselles’éclaircitlavoixetreprendlecoursinitialdelaconversation.—Donc,samedi,çavaêtrecool,n’est-cepas?
15
À15h27cesamedi-là, je reçoisunmessagepressantdeRachael.Sesparentsviennentdepartir,avecquatreheuresderetard,etnousn’avonsplusquecinqheurespourpréparer lamaison.Rachaelabesoindenoussur-le-champ.Pourmoi,c’estfacile.
—JevaischezRachael,dis-jeàmonpèreendémêlantleslacetsdemestennis.Problèmesdecœur.Onvasûrementsefairelivreràmanger,doncjeneseraipaslàpourdîner.
Ilbaisselesondelatéléetsemblesedemanders’ildoitprotester.—Souviens-toiquenousemmenonsJamieetChaseaumatchdesDodgerscesoir.Onpartdansune
heure,c’estau-dessusducentre.Tupourrastedébrouillertouteseule?—Biensûr.Jenevousrevoispasavantquevouspartiez,alorsbonnesoirée.Salut,Ella.Parfait.Mêmepasbesoindementir.Ellasourit,latêtesurl’épauledemonpère,unemainsursacuisse.J’essaiedel’apprécier,maisje
n’yarrivepas.—Passeunebonnesoiréeavectesamies.Avecunsignedetête,jesorsdelamaisonettraverselarue.Jemesuisenfinhabituéeàlalumièredu
soleiletcetteruem’estdevenuefamilière,maisjenesaistoujourspascommentmepositionnerdanscegroupedefillesavecquijetraîne.Est-cequeRachaeletMeghansontmescopines,maintenant?J’enail’impression, vu le temps que j’ai passé en leur compagnie. En revanche, pour Tiffani, ce n’est pasencoreclair.Parfoisoui,parfois,ellesemblemehaïr.
JepasselaportedelamaisondeRachaelà15h31etcommeprévu,jesuislapremière.Elleestàlarecherche d’une prise pour brancher l’aspirateur. Elle n’a encore rien fait, mais elle a déjà l’airexaspéréeetépuisée.
—Jenepouvaisrienentreprendretantqu’ilsétaientencorelà,m’explique-t-elle.Ilsseseraientposédesquestionsenmevoyantmemettreàtoutnettoyerd’uncoup.
—Net’enfaispas,Rachael.Calme-toi,ilnousresteencorecinqheures.—CINQheures,Eden!hurle-t-elle.Elledonneuncoupdepieddansl’aspirateuretportelesmainsàsescheveux,ondulésaujourd’hui;
çaluivabien.—Cinq heures pour ranger, faire leménage, déplacer la déco en lieu sûr, acheter de l’alcool, à
manger,etmettremoniTunesàjour!Qu’est-cequim’aprisdeproposerça?Jesuispliéederire.
—Rachael.—Quoi?—Onestlàpourt’aider,tuterappelles?Laseulechosedontelledoivesesoucier,c’estdenepassefaireprendreparsesparents.—TiffanietMeghanarrivent,non?—Si.Unemainsurlapoitrine,ellerabatseslunettesdesoleilsursonnezpuisbranchel’aspirateur.—Bon.Onvat’aideràranger,aprèsoniratoutesensemblefairelescoursesetont’aideraàfaire
uneplaylist.Onaassezdetemps.Sansrépondre,ellesemetàaspirerleparquetavecentrain.Mieuxvautnepaslaquestionnersurses
lunettesdesoleil,nisursasantémentale.—Mevoilà!s’écrieTiffanipar-dessuslevacarme.Ellea lesbraschargésdebiscuits apéritifs etde saucesdiverses. Jemesensmalden’avoir rien
apporté.—C’estmoioùelleportedeslunettesdesoleildanssamaison?—Elleestunpeuàcran.—Onvas’occuperdelacuisine,medit-elleenlevantlesyeuxauciel.Laisse-lafairesontruc.Je la suis à la cuisine où elle dépose ses achats. Il n’y a que quelques assiettes et couverts qui
traînent,queTiffanis’empressedemettreaulave-vaisselle.Jejetteunœilparlaportedujardin.Plutôtbienrangé.
—Onseracombien?—Unequarantaine.Onaessayédelimiter.DeclanPortwoodettoutesacliquenesontpasinvités,ce
quiélimineunequinzained’habitués.—Ceuxquiprennentdeladroguedanslejardin,c’estça?—Plusoumoins,oui.Ellesemetàalignerlesbiscuitsetlessaucessurlecomptoir.—Tylernefaitpaspartiedecegroupe?Elles’arrêtenetetmeregardedroitdanslesyeux.Sujettabou:j’auraismieuxfaitdemetaire.—Non,fait-elle,peuconvaincante.JesaisdesourcesûrequeTylerestcopainavecDeclanettouslesautresjunkies.Jelesaispuisque
jesuisalléeàleursoirée.—Maissi,jerétorque.—Maisqu’est-cequetuessaiesdemeprouver,àlafin,toi?Sonaccèsderagemeprenddecourt.Jenevoulaispaslaprovoquer.Melamettreàdosestbienla
dernièrechosequejeveuille.—Rien,jedisaisçacommeça,c’esttout.Ellemetoisepuisdétournelesyeux.Sonhumeurachangé.Elleseremetàétalerlesbiscuitspendant
quejel’observe,sanssavoirquoifaire.— Je n’aime pas en parler, m’avoue-t-elle après un long silence tendu. C’est gênant que tout le
mondesachecequejedoissupporter.Ellen’aimepasenparlerparcequeçalametdansl’embarras?Ellenedevraitpass’inquiéterpour
lasantédeTyler,plutôtquedel’opiniondesautressurelle?—Jepensequ’ildevraitsefaireaider.—Pourêtrefranche,Eden,jedoutevraimentqu’ils’intéresseàcequetupenses,fait-elleavecun
sourirecondescendant.Quedire?Toutcequ’ellem’inspirec’estdel’agacementetl’enviedeluipondreunerépliquebien
sentie.Heureusement,jen’aipasbesoindechercherpuisqueMeghanseglissedanslacuisine,soucieuse.
—Est-cequequelqu’unpeutmedirepourquoimacopineestentraindepasserl’aspirateursurunetablebasseavecdeslunettesdesoleil?
NouspassonsdeuxheuresàarrangerlamaisondeRachael.Plusj’ysonge,plusjetrouveçainutile.De toute façon, elle va être détruite avant la fin de la soirée. Après l’aspirateur, nous planquons lesbibelots de la famille, passons la serpillière, fermons la chambre parentale à clé. Les trois autreschambres,celledeRachaeletdeuxd’amis,restentouvertes.Onpeuttoujoursêtreoptimistes.
Une fois que la demeure est prête pour la fête, nous partons chercher le nécessaire : alcool etpréservatifs. Entassées dans la voiture deRachael devant unmagasin de spiritueux bonmarché, nousobservonsTiffaniyfairesonentréeenroulantdeshanches.Quinzeminutesplustard,elledébarqueavecuncaddiepleinàcraquerdediversesbièresetbouteillesd’alcool,dontlepiredupire:latequila.
Nousl’aidonsàchargerlecoffre.—C’étaitl’Indien,dit-elle.Ilm’ademandémonnuméro.Jeluiaifiléletien,Meg.Nous nous arrêtons à une épicerie appelée Ralph’s et errons trente minutes parmi les rayons en
attrapant tous les sodas et chips qui nous tombent sous lamain. Rachael tient à se procurer un stockillimitédesnacksàgrignoter.Pourfinir,lavoitureesttellementchargéequ’elleadumalàavancer.Nousavonsréussiàtoutpréparerdanslescinqheuresimparties.Enfait,çanenousenaprisquetrois.Ilrestedu temps pour un tour rapide à la promenade où je me choisis une tenue avec l’aide de mes troiscomparses.Tiffani décide de la couleur,Rachael du style, etMeghan surveille les détails. Je reviensavecunerobecorailàouverturegoutted’eau,trèsmoulante,trèscourte,maisapparemmentenrègle.
—J’espèrequetesparentsnevontpasappelerlesmiens,chuchoteRachaelendéchargeantlecoffre,unefoischezelle.
Inutiledes’enfaire,monpèreetEllasontentraindes’empiffrerdenachosaumilieud’unstade.—IlssontaumatchdesDodgers.Unechancequ’ilsaimentlefootball.Rachael,TiffanietMeghansetournentversmoi.Lentement,Rachaeldemande:—Eden,tusaisquelesDodgers,c’estuneéquipedebase-ball,n’est-cepas?—Situledis.Ellesecouelatêteavecunpetitrire.—Vatechanger,ilestpresque19heures.J’aiditauxautresdeveniràpartirde21heures.Pareil
pourtoi,Tiff.Onvas’occuperduresteavecMeg.Avantdenousséparer,Tiffanietmoidécidonsderevenirunpeuavant21heures.Quanduneamie
faitunesoirée,ilfautyêtreavanttoutlemonde,c’estlarègle.MeghansepréparechezRachael.Aprèstout,c’estsafête.
Trentesecondesplustard, j’emportemanouvellerobedansmachambre.Unesilhouettemenaçantem’arrêteenhautdel’escalier.
—Ondiraitquenousnesommesquetouslesdeux,meditTyler.Jenel’aipasvudepuisdeuxjours.IldisparaîtsouventetEllaneposeaucunequestion.Peut-êtreen
posait-ellejadis,maiselleasûrementdûbaisserlesbras.Monpère,enrevanche,continuedetenterdefairerespecterdesrèglesquin’existentpasdansl’espritdeTyler.
—IlssontallésvoirlesDodgers.LesAngelsvontperdre,c’estsûr.—Jesais.Tupeuxtepousser,s’ilteplaît?—Oui.Bizarrement,ils’exécute,aupointque,perplexe,j’hésiteàentrerdansmachambre.Ilal’airfatigué.—Quoi?—TuvienschezRachaelcesoir?Évidemment,ilestdetouteslessoirées.—Oui.Dequellehumeurpeut-ilbienêtreaujourd’hui?
—Toiaussi,n’est-cepas?—Oui.—Cool.Onyvaàquelleheure?—Commentça,«on»?Jepouffeenouvrantlaportedemachambre,larobesurlebras.—Jevaistraverserlaruetouteseule.Sanstoi.Tupeuxyallerquandtuveux,Tyler.—Relax,marmonne-t-il.Lèvrespincées, ildescend l’escalier etme laisse tranquillepourmepréparer. Ilpeutprendre son
temps,lui,c’estungarçon.Dixminutes, letempsd’unedoucheetd’enfileruntee-shirtpropre,etc’estparti.
À lasalledebains, j’entreprendsmonfastidieuxrituel fémininàbasedeshampooingetderasoir.Puisjesècherapidementmescheveuxquejedécidedebouclerlégèrement.Jenefaispastropd’efforts,jenecompte impressionnerpersonne ici.Aprèsavoir terminémonmaquillage, j’enfilemarobeetunepairedetalons.20h49.
Jesorssur lepalierenmême tempsqueTylerquia l’airprêtàpartir.Malgré la simplicitédesatenue,tee-shirtblancetblousondecuirnoir,ilestextrêmementbeau.Plusj’ypenseetplusjem’aperçoisqu’ilesttoujoursbeau,quecesoitenboots,enbaskets,enchemiseouenmarcel.SoneaudeColognenefaitqu’ajouteràsaperfection.Çamerappellequandj’aientenduTiffanilecomplimentersursonparfumdanslescabinesd’AmericanApparel.LeparfumBentley.
Jemerends.—J’yvais.Tuviensavecmoi?Devant ses yeux scrutateurs, je perds toute mon assurance à cause, notamment, de la découpe en
goutted’eauàl’avantdemarobe.—Enfait,j’aiunecourseàfaireavant,lâche-t-il.—Oùça?—Quelquepart.Vas-y.Jesuislàdansvingtminutes.—Maistuvasoù?Un détail suspect dans ses yeux me chiffonne. Il n’arrive pas à soutenir mon regard et serre les
poings,laboucheagitéedespasmesnerveux.—Merde,Eden.Furieux,ilfaitmachinearrière.Jelesuisdanssachambre,plongéedansl’obscurité.—Pourquoitut’énerves?Jetedemandejusteoùtuvas.Ilestdeplusenplusstressé.—Jevaisvoirquelqu’un,OK?s’écrie-t-il,crispé.J’aidestrucsàrécupérerettoitun’aspasintérêt
àmeprendrelatête.Ses yeux changent de couleur rapidement et deviennent plus profonds. Sa poitrine se soulève, son
cœurpalpite.—TuvasvoirDeclan.Cen’estmêmepasunequestion.—Ilnevientpasàlasoirée,donctuvaslevoir.N’est-cepas?Sesépauless’affaissent.Ilpousseunlongsoupir,lesyeuxclos.—Contente-toid’alleràcettefoutuesoirée.—Non.Ilesttempsquequelqu’uns’occupeduproblèmeaulieudel’ignorer.—Jenetelaisseraipasfaire.—Eden.
Ilmarqueuntempsd’arrêt.Saforcetranquillequandilprononcemonnomm’exaspèreencoreplus.Ilsepencheversmoipourêtreàmahauteur.Sesyeuxperçantsmeterrifient.
—Tunepeuxrienyfaire.—C’estça,dis-jed’unevoixplusdure,etplustremblante.Sonvisageestsiprèsdumienquej’ail’impressionqu’ilmevolemonoxygène.J’aidumalàparler
maisjemeforce.Jenepeuxpasbattreenretraitemaintenant.—Jenepeuxrienyfaire,parcequetut’enFICHES.Tutefichesquej’aiepeurquetufassesune
overdoseunenuit,ouunbadtrip,ouquetumeures.Tutefichesd’avoirdix-septansetd’êtredéjàaccroàlacoke.Tut’enfichesdetoutça,hein?
Sansunmot,ilmefixe,lesyeuxdeplusenplusétrécis.—Toutcequit’intéresse,c’estd’avoirl’aircooletd’impressionnerlesgensavectonimagedegros
dur.C’estPITOYABLE.Ilsecouelatête.—Cen’estpaspourça.—Alorspourquoi?Sic’estpourtefaireuneplaceparmitescrétinsdecopains…—Çam’aideàpenseràautrechose!Unemainsurlefront,lesyeuxclos,ilsouffle.Unsilenceintenses’installe.—C’estunedistraction,bonsang.Etlà,j’aivraimentbesoindemechangerlesidées,dit-ildeson
habitueltonacide,lesyeuxvifscommejamais.Ma colère, ma rage contre lui, toutes ses insultes depuis le début, toutme revient d’un coup. La
décharge soudaine d’adrénaline qui me parcourt les veines me déclenche une réaction que je nem’explique pas. À peine a-t-il fini de parler que j’attrape son visage entremesmains et plaquemeslèvrescontrelessiennes.Lasensationdesapeauchaudemesubmerge,mesyeuxseferment,lesilencenous consume. Mon cœur bat douloureusement dans ma poitrine, mais sa bouche m’enivre. Et puissoudain,laréalitémerattrape.Dansquelquessecondes,ilvadenouveauêtrefouderagecontremoi.Jem’écarte.
JereculeavecunesensationdenauséetandisqueTylerouvredegrandsyeux.J’attendsl’explosion,j’attendssavoixbrutalequimedemandesijesuisdevenuefolle.Ilfaudrabienrépondrequeoui.
—Jene…Jenesaispascequec’était,jebalbutie.Jesuisdésolée.J’essayaisde…detedistraire…je…
Seslèvress’écrasentànouveausurlesmiennes,avecunetelleforcequejeperdsl’équilibre.Ilmeplaquecontrelemur,monvisagedanssesmains,sespoucessurmapeau,sesdoigtsdansmescheveux,ses lèvres ardentes, déterminées. Et fantastiques. Je me laisse faire, mon corps entier tremble à soncontact.Jeressens l’intensitédesacolère.Jenesaispaspourquoi jenem’écartepas.Jesaisqu’il lefaudrait,jesaisqueçanedevraitpasarriver,maisjesuisenvoûtée,jenepeuxpasm’arrêter.Unemainaucreuxdemesreins,ilm’attireàluiuncourtinstant.
Etseravise.Sansprévenir,ilarracheseslèvresdesmiennes,merelâcheetrecule.L’instantcesseaussivitequ’il
acommencé.—Merde,souffle-t-ildoucement.Çarésumetrèsbiencequivientdesepasser.Etmerde.
16
LesyeuxdeTylermetranspercent.Lesmienssonthagards,choqués,déconcertés,maischaleureux.Pour Tyler, c’est une autre histoire. Des milliers d’émotions changeantes s’y bousculent à une allureimpossibleàsuivre.Puisuneseule,laplussombre,s’impose:larage,pureetsimple.
—JevaischezRachael,marmonne-t-il.Ilfermesonblousonetquittelapiècesansunregardenarrière.Çam’estégal.Jesuisabasourdie.CequivientdeseproduirenetrouveaucuneexplicationlogiqueetTylernesemblepasvouloiren
chercherune.Jerestelà,hébétée,pendantuneéternité,jusqu’àcequelebruitdelaportequiclaqueenbasmeramèneàlaréalité.
Jecommenceàprendreconsciencedelasituation:j’aiembrasséTyler.Mondemi-frère.J’aiembrassémondemi-frère.J’aiembrassélegarçonquim’énerverienqueparsa
présence.Legarçonquiaunecopine.Unecopinequisetrouveêtremonamie.Maisqu’est-cequetufiches,Eden?Prise de nausée, je respire profondément. Je l’ai peut-être embrassé, mais lui, il m’a rendumon
baiser.Etavecénergie.Mince!LafêtedeRachaeletMeghan!Lafêteàlaquellej’étaiscenséemepointerilyaunquart
d’heure.Ilfautquej’yailleetquej’agissecommesiderienn’était.Commeunefillequinevientpasd’embrassersondemi-frère.Maîtrise-toiEden.Aumoinsjusqu’àlafindelasoirée.Jedouted’enêtrecapable,vuqueTylery
sera.Est-ce que je dois lui parler ?Lui demander ce qui vient de se passer entre nous ?L’ignorer ?Aucuneidée.
Jeretourneenchancelantàmachambreoùj’attrapemonsacavecuncoupd’œilaumiroir.Courage.Aumoins Tyler se rend directement chezRachael sans passer par la caseDeclan ; si j’essaie de luiparler,ilneserapassousl’influencedenarcotiques.
Encore essoufflée, je sorsde lamaisonet verrouille laporte.Onentenddéjà lesvibrationsde lamusiquechezRachael,quinevontques’amplifieràmesuredesheures,del’arrivéedesconvivesetdeleuralcoolémiecroissante.
Unevoiturerempliedegarçonsquejen’aijamaisvuss’arrêtealorsquejetraverselarue.L’und’euxsort,unpackdebièresdanslesbras.
—Eden,c’estça?—Oui.
Jeralentisàpeine.Pasvraimentd’humeuràfairelacausette.—Onm’aparlédetoi,ditletype,enmetendantlamain.TueslasœurdeTyler,non?Jeréprimeunhaut-le-cœur.L’affreuxgesteincestueuxquejeviensdecommettremedégoûte.Jesuis
sûrequec’estillégal,ouimmoral.—Demi-sœur,jecorrigeavantdereprendremonchemin.Je pousse la porte d’entrée avec précipitation. Lamusique assourdissante a le mérite d’engloutir
touteslespenséesquimepréoccupent.—Maisqu’est-cequetufaisais,Eden?s’écrieRachaeldepuislesalon.Elleagitesonverredansmadirection.Jemedemandecequ’elleboit.Elleempestel’alcoolàdes
kilomètres.—Lesgenscommencentàarriverettoitunetepointesquemaintenant?Megtecherchepartout.—Désolée.(C’esttoutcequejetrouveàdire.)Oùest-elle?—Ellefaitdescocktails.Rachaelsecouelatêteenrythmeavecunsourirejusqu’auxoreilles.Elleadûcommenceràboireàla
secondeoùTiffanietmoisommesparties.—Vat’enchercherun!Ilyaunnombreraisonnabled’invités,unequinzaine,éparpillésunpeupartoutetplutôtsobres,du
moins pour le moment. Les autres vont arriver dans l’heure. Tout le monde est calme et détendu. Jedistinguechacund’euxsurlechemindelacuisineoùjetrouveMeghanet,malheureusement,Tiffani.Lanauséemereprend.
—Ahenfin!s’écrieMeghanquiacommencéàboireilyauncertaintemps.EllemeprenddanssesbrasetTiffanilèvelesyeuxauciel.Jedétournelesmiens.Meghanmemetunverredanslamain.—Tiens,prendsça.—Qu’est-cequec’est?—Aucuneidée.Lestypesdelavoiturefontleurentrée,détournantsonattention.Ducoindel’œil,jevoisTiffaniqui
mesourit.Ellecontournelesnouveauxvenus,unverredevinàlamain,ultrasophistiquéedanssagranderobe
blanche.—RachaeletMegmerendentdingue,dit-elleenrigolant.Ellessontpompettes.—Oui,dis-jed’unevoixfaiblarde,incapabledelaregarder.Tylerestlà?—Ilessaied’ingurgiterautantdebièrequepossible,explique-t-elled’untondésapprobateur.Elleobservelascèneparlafenêtre.Jemesenstellementcoupable…jecroisquejevaisfondreen
larmesàtoutmoment.—J’attendsqu’ils’épuiseetqu’ilrentre.Danslejardin,j’aperçoisTyleretuntypequejen’aijamaisvuaumilieud’untasdecanettes.Avec
ses clés de voiture, Tyler perce un trou au bas de l’une, y porte la bouche et la vide en quelquessecondes.Ilrépètelegesteavecsonacolyte.Encore,etencore,etencore.
JereportemonattentionsurTiffanisanstenircomptedelaculpabilitéquim’assaille.J’aiembrassésonpetitcopain.Cesmotsdansentdansmatête.
—Çanedoitpasêtretrèsbonpourlasanté.—Pastrop,non,fait-elle,contrariée.Elleaunefaçondeboiresonvintrèsinhabituelleettoutaussisophistiquéequesatenue.L’ensemble
créeuneaurad’éléganced’unniveauquejenepourraijamaisatteindre.Ondiraituneadulte.—Ilestpénible.Qu’est-cequ’ilfaitàsesaoulerdanslejardin?Ildevraitêtreavecmoi.
Àl’heurequ’ilest,Tylerdoitêtreauborddelacirrhoseouducomaéthylique.Maissic’estautantlebazar dans sa tête que dans la mienne, alors l’alcool est la seule distraction possible. Je l’imiteraisvolontierssi jen’avaispasautantpeurdevomir.Alorsjemecontentedequitter lacuisine,unsourireforcéauxlèvres,monverretoujoursàlamain.Jem’endébarrasseàlapremièreoccasion.Jen’aiplusaucuneenviederencontrerdesgens,deboireoudedanser.JepréfèreobserverRachael,tropjoyeuseettropvirevoltante.Toutl’alcoolqu’elleaingurgitéestpassédroitdanssonsang.Jemeretrouveàjouerlesbaby-sitterspendantunebonneheure.
—Jesuisparfaitementsobre,Eden,geint-elletandisquejelasoulèvedusolpourlaénièmefois.Duhautdesescompensées,elleseramassetouteslesdeuxminutes.—Maisbiensûr,tuessobre.—Jeprendslerelais,ditunevoixfortederrièremoi.UnbrasrattrapeRachaeljusteavantunenouvellechute.—Trevor!hurle-t-elle.Ellesejettedanssesbras,manquantdel’étrangler.Illèvelespoucesenl’air.Jen’aiplusqu’àprier
pourlui.Rachaelestunvéritablecauchemarambulant,cesoir.Délestée demes fonctions d’ange gardien, jeme faufile, de toutema sobriété, parmi la foule. La
maisonestpleineàcraquer.Unegrandesilhouettemebarrelaroute.Jake.Sonregardidiot,sacoiffureidiote,sonsourireidiot.
—Eh, belle inconnue, où donc étiez-vous passée ? glousse-t-il en passant un bras autour demesépaules.Jet’aiappeléetoutelasemaine.
Pourtoutdire,j’aiignorésesSMSetsesappelsincessants.Jen’aipasarrêtédepenserà«l’ÉtapeMaxwell».
—Désolée,j’étaissuperoccupée.J’aipassélasemaineàlireetallercourir.Etembrassermondemi-frère.—Tueslàdepuislongtemps?—Vingtminutes!s’exclame-t-ilpourcouvrirlamusique.Savoixestforte,claire,agaçante.Avecunsourireilsepencheversmoietsonsoufflemechatouille.—Tu te souviens,mesparents sont absents depuis jeudi,murmure-t-il d’un ton lubrique.Tupeux
venirdormirchezmoicesoir.J’en sais assez sur son comptepournepas avoir enviedeme lancer là-dedans.Horsdequestion
d’êtreaccrochéeàsontableaudechasse.—Nonmerci,dis-jeavecunsourire.(Peut-êtrequ’ilnem’envoudrapassijesuisgentille.)J’habite
àdixmètres,c’estplusfacilederentrerchezmoi.Ilparaîttroublé,maissereprendvite.—Amusons-nous,aumoins.Jevaistechercherunverre.—Non,çava.Jesuistropdistraite,perdue,encolèrecontremoi-mêmepourfairelemoindreeffort.—Désolée,Jake,jenemesenspastrèsbien.Jenesuispasd’humeurcesoir.C’estpresquevraietc’estaussilaseuleexcusequej’aietrouvéepourqu’ilmefichelapaix.—Commetuvoudras.Ils’éloigneensirotantsabière.Autourdemoi,oncommenceàdépasserlafrontièreentreéméchéset
totalementsaouls.Etplusilsladépassent,plusilssepelotent.D’ailleurs,RachaeletTrevornesontplusdanslecoin.Jesaisoùlestrouver.
Pendantqu’ilssontàl’étageentraindefairecequ’ilsfontd’habitude,j’imaginequec’estàmoidesurveillerl’étatdelamaison,puisquejesuislaseulepersonneassezsobreici.Jem’occupel’espritensortantunefilleévanouiedelabaignoire.Jenettoiecequiaétérenversé.J’apportedel’eauàuntypeentraindevomiraufonddujardin.Çafonctionne:j’oublieTyler.
Jusqu’àcequejel’aperçoive,troisheuresaprès.Jesuisentrainderamasserdesverresvidesaupieddel’escalierquandilmedépasseentitubant.Il
estailleurs, intoxiquéau-delàdupossible. Il tombeàgenoux, lesmainspar terre,et fixesesdoigtsunlongmomentenremuantlatêted’avantenarrière.
Jem’approcheavecprécaution.Quefaire?Jecommencepar labase,enprononçantsonnom.Mavoixadumalàsortirmaisilm’entendàtraversl’alcoolquiluiembrumelecerveau.Sesyeuxsombres,dilatés,fatiguésetagitésrencontrentlesmiens.
—Bébé,intervientlavoixapaisantedeTiffaniàmescôtés.Ellepassedevantmoietl’aideàserelever.Ilretombesurlecôtéetsecognelevisagecontrelemur.—Tyler,faitTiffani.Prisonnierdesonmondebrumeux,ill’ignore.Ellelefaitasseoirsurlesmarches,puis,soudain,lui
assèneunepairedeclaques.—Allez,dessoule.Tuesinsupportable.Jenel’aijamaisvuaussiivreetapparemment,Tiffaninonplus.Excédée,ellefaitdesonmieuxpour
luimaintenirlatête.Iladumalàgarderlesyeuxouverts.—Ellavaletuers’ilrentredanscetétat,fait-elle,dégoûtée.Tylerbalbutiequelquechosed’inaudible.—Jevaisl’emmenerchezmoi.Tylerglissedesmarchesjusqueparterre.—Commentçasefaitqu’ilsoitdanscetétat?—Ilnevoulaitpass’arrêter,m’expliqueTiffani.Ellesembleassezlucide,malgrélevinqu’elleaingurgité.—Jecroisqu’àunmomentils’estfaitsixshotsd’affilée.D’habitude,ilconnaîtseslimites.C’est
tellementgênant…Elletente,malgrésacarruremenue,delerelever,tandisqueTylers’agrippeàsarobe.—Jevaisluichercherdel’eau.Jecoursà lacuisine.SiTylerachoisidesemettredanscetétat, iln’existequ’uneseule raison :
c’estàcausedecequis’estpasséentrenous.Etc’estmoiquiaitoutdéclenché.JefermelerobinetetmeretrouvenezànezavecDean.—Raviderencontrerquelqu’undesobre,pourunefois,dit-ilunebièreàlamain,endésignantmon
verred’eau.—C’estpourTyler.Ettoialors?—Untoutpetitpeuéméché,fait-iltimidement.Tylerestdansunsaleétat.—Jesais,dis-je,laconique.Amuse-toibien,Dean.Jemefaufileentrelesgensamassésdanslacuisine,piétinelespacksvidesetretournedansl’entrée.Tiffaniestassisecontrelemur,latêtedeTylersurlesgenoux.Ilpourraitêtremort.Jeluitendsle
verre.—Merci,dit-elleavecsincérité.Ilmefaitpasserpouruneidiote,jevaisl’emmener.Jeneveuxpas
qu’onlevoiecommeça.—Désoléequ’ilt’aitgâchélasoirée.Jenesaispastroppourquoijem’excusepourlui.Sûrementparcequ’ilestcommeçaparmafaute.—Ilgâchetoutesmessoirées.Tylerlèveunemainpourluitoucherlessourcils,ellel’enempêche,ilrâle.—Tuesvraimentuncon,Tyler,tulesais?—Tiffani?Ellelèveversmoiunvisagecrispé.—Oui?
J’observeTylerquiseretourne,lesyeuxfermés,laboucheentrouverte.—Demainàsonréveil,tupourrasluidirequej’aiàluiparler?
17
Le lundi suivantest le4Juillet, la fêtenationale,et laplus importantecélébrationde l’année.Lesventesdefeuxd’artificeexplosentetlapopulationdechaquevillesembledoublercartoutlemondesortpourlesfestivités.Jenesaispascequ’ilenestpourLosAngeles,maisàPortland,nousnousrendonsd’ordinaireauWaterfrontBluesFestivalpourregarderlefeud’artificeau-dessusdeWillametteRiver.Avantdepartirautravail,monpèrem’informequenousironsvoirlefeuàCulverCity,cesoir.
—TupeuxveniravecnousvoirlaparadesurMainStreetcematin,Eden,proposeEllaenmevoyantdébarquerenpyjamadanslacuisine.
ChaseetJamiesontdéjààtable.Chaseengloutitdubacon,lesyeuxrivésàlatélé,tandisqueJamieseverseunboldecéréales.
C’esttoujoursunpeudélicatquandmonpèren’estpaslà.Jeneconnaissaispascesgensilyatroissemainesetmaintenant,jesuiscenséeêtreàl’aiseaveceux.Cen’estpaslecas,doncjefaissemblant.
—D’accord.Tylerestrentré?Jenel’aipasvudepuissamedisoir.JesuispartiedèsqueTiffaniaréussiàlefairemonterdansune
voiture.Jen’allaispasmeforcerà resteralorsqu’iln’yavait riennipersonnequienvaille lapeine.Alorsjesuisrentréeàlamaisonetjemesuisendormieavantleretourdemonpèreetd’Ella.J’ignores’ils ont remarqué la fête qui battait son plein en face, en tout cas ils nem’en ont pas parlé. Ils ontseulementposédesquestionssurlesagissementsdeTyler;j’aidûleurdirequ’ilavaitpassélanuitchezTiffani.Ellas’estcrispée.
— Il est revenu tard hier soir, fait-elle en déposant la vaisselle dans l’évier. Je crois qu’il dortencore.
Jenel’aipasentendurentreretjesuismêmesurprisequ’ilsoitrentrétoutcourt.IladûpassertoutelajournéechezTiffaniàcuversatrèsprobablegueuledebois.Peut-êtrevais-jeenfinavoirl’occasiondeluiparlerdesamedi.Jenepeuxpascontinueràfairesemblant.Jenepeuxpasoublier.
—Ilvientàlaparadeavecnous?jedemande,l’airderien.Jeneveuxpasavoirl’airdetropm’intéresser.Jen’osemêmepasimaginerlaréactiondePapaet
Ellas’ilssavaient.Jem’assiedsàcôtédeChase,désinvolte.—Jenepensepas.Jecroisquejevaislelaisserdormir.Ledéfilécommenceà9h30.Jen’aiquevingtminutespourmeprépareretaccompagnerEllaetmes
deuxdemi-frères.Le troisièmedortdans lachambrevoisinede lamienneet j’essaiedenepas tropypenser.
Àlaplace,jem’occupededénicheruneplacedeparkingpourElla,cequirelèvedel’épreuve.Lesruessontbondéesdevoitures,degensetdestandsvendantdesdrapeauxaméricains.NousdevonsnousgareràunedizainedepâtésdemaisonsdeMainStreetquiestferméeàlacirculation.Lesspectateurss’alignentsurletrottoir,agitantdesdrapeaux,levisagepeinturluré.Nousnoustrouvonsunpetitespaceavecunebellevuequandlaparadearrivejusqu’ànous.Ilyadescavaliers,unorchestre,d’anciennesvoituresdepolice,desaffichesgéantes,descamionsdepompiers,descharsetdesartistesderue.J’aimoncomptede rouge, debleu et deblanc.Cependant, c’est unbondébutde journée et çamepermetd’observerlescélébrationsdeSantaMonicadel’intérieurpendantdeuxheures.Le4JuilletàPortlandestquandmêmeplus sympa. J’aimerais tantyêtre avecmamèreetAmelia,descendreau fleuvepourécouterdestasdegroupesdifférents.
À la findudéfilé,Elladécided’attendreque la ruesedégage.Nousdéjeunonsdoncdansunpetitcaféducentre-ville.Chasetraînesondrapeauaveclui,etmoi,seulebruneaumilieudetroisblonds,j’ail’aird’avoirétéadoptée.
—Tonpèret’aparlédufeud’artificedecesoir?demandeElla.—Oui.C’estoù,CulverCity?—Àunevingtainedeminutes. Ici, ilsne lefontplusdepuis1991.D’habitudeonvaàMarinadel
Rey,maisiln’yenapascetteannée.Onaentendudirequ’àCulverCityc’étaitpasmal.Beaucoupdemondeyvacesoir.
—Tyleraussi?Jebaisselesyeux.Jevaisfinirparmefairegriller.—Enfin,jeveuxdire,onyvatousensemble?—Oui,biensûr.Tuescontent,Chase?Elle lui adresse un sourire fier. Chase hoche la tête avec enthousiasme. Je n’ai jamais vu Ella
regarderTylerdecette façon.Çamedéstabiliseautantqueçam’attriste. Ilest tellement insupportablequ’ilestimpossibled’êtrefierdelui.Siseulementilétaitdifférent.
Aprèsledéjeuner,nousfaisonsunpeudelèche-vitrineetsommesderetouràlamaisonaumilieudel’après-midi.Tylerestréveillé,jel’entendssedéplacerdanssachambreàunrythmeconstant.Ondiraitqu’ilfaitlescentpas.
Envuede la sortiedecesoir, jeprendsunedoucheet j’erredansmachambreencomparantmestenues pendant quemes cheveux sèchent. Jemetsmême de lamusique et jem’attends à ce queTylercogneaumurpourmediredebaisser,maisrien.
Après avoir finalement cédé au sèche-cheveux, je descendsme chercher un verre d’eau, non sansavoirmisdel’ordredansmachambreetéteintlamusique.
Lamaisonestétrangementsilencieuse.Ondiraitquetoutlemondeestsorti.Maisenpassantdanslecouloir,j’aperçoisEllaetTylerdanslacuisine.Ilsnesontpasentraindetaillerunebavette.Loindelà.Jem’approchesansbruitetjejetteunœilparl’ouverture.
Tyler a la tête enfouie au creux de l’épaule de sa mère qui le tient dans ses bras. Il respirebruyammentcontreelle,lesépaulesaffaissées,lesbrasballants.J’entendsdessoupirsetdesreniflementsmaisjenesaispasquidesdeuxpleure.Ellaletient.Elleletientcommesisavieendépendait.
—Jecomprends,murmure-t-elled’unevoixcraquelée.Tuas ledroitderessentirça,Tyler.Tuastouslesdroits.Parfois,c’esttropàsupporter.
Quelquechosenevapas,c’estsûr.Maisjenesaispasquoi.J’attendsqueTylerréponde,maistoutcequej’entendsc’estlaported’entréequis’ouvreetmonpèrequibeugle.
—Devinezquisortduboulotplustôtqueprévu?Àlaseconde,Tylers’écarted’Ellaets’éloigneauboutdelacuisine.Ilsouffle,lesdeuxmainssurla
tête,etsortdanslejardin.J’aijusteletempsderemarquersesyeuxgonflés.
Unemainsurlapoitrine,leslèvrestremblantes,Ellal’observes’enaller.Elleparvientnéanmoinsàretenirseslarmesavantl’arrivéedemonpèreets’affairedevantlamachineàcafé.
—Alorscedéfilé?melancemonpère.Je me redresse, toussote et me contente d’un signe de tête quand il me dépasse en défaisant sa
cravate.Ilseplantedevantsafemmerayonnante.Est-cequ’ilsaitqu’ellefaitsemblant?
—Onprendtouslamêmevoiture,annoncemonpèredeuxheuresplustard.Vousallezvousserrer.
Chase,sioncroiselapolicetutecachesparterre.Adosséaumur,Tylercroiselesbras,blasé.Levoilàredevenului-même,rictusauxlèvres,leregard
perçant.Jemedemandecequ’ilavaittoutàl’heure.Lesquestionsmerongent,maiscen’estpasàmoidelesluiposer.
—Pourquoijenepeuxpasprendremavoiture?—Parcequetuespuni,voilàpourquoi,rétorquemonpère.Edenettoivousgardezvostéléphonesà
proximitépourqu’onpuissevousretrouveràlafin.JamieetChase,vousrestezavecnous.—C’estbon,c’est fini lesconsignesdesécuritédébilesdeDave?marmonneTyler, lesyeuxmi-
clos.C’estsonexpressionfacialequasi-permanentemaintenant.Monpèreneréagitpas.—Montedanslavoiture.Tylers’esclaffeetnousnousentassonstantbienquemalàl’arrièredelaRangeRover.Impossiblede
mettre les ceintures. J’aiChase d’un côté etTyler, serré contremoi, de l’autre. Je regardemes piedstandisqu’ilsetourneverslavitre.Sapeautièdecontrelamiennemedonnedesfrissons.Jerestemuette,quandsoudain,jeremarqueseschaussures.DesConverseblanches,commelesmiennes.
—JenesavaispasquetuportaisdesConverse,dis-jeàvoixbasse.Ilmejetteuncoupd’œil.—Ouais.C’est tout ce que nous échangeons jusqu’à Culver City. La circulation est dense, nous mettons
quaranteminutesàarriveraulycéedelavilled’oùseralancélefeud’artifice.Ellaavaitraison,c’estbondé.Leparkingdulycéeestpayantetl’accèsausiteégalement.Aumoins,nousnenoussommespasfaitarrêterparlesflicssurlaroute.
—Vous pouvez aller retrouver vos amis s’ils sont là, nous dit Ella pendant que nous traversonsl’écolejusqu’austadedefoot.Onvousappelleraàlafinsionnevoustrouvepas,d’accord?
—Etpasdebêtises,ajoutemonpèreenregardantTyler.Parcequ’iln’abesoindesesoucierqueducomportementdeTyler,parcequeTylerestimprévisible,
parcequeTylerestunproblèmeambulant.—Ouais,ouais,c’estça,faitcedernieravecunsignedelamain.Ils’éloigneàtouteallureàtraverslafouleetdisparaît.Jemetourneversmonpère,occupéàscruter
ledosdeTyler.—JesaisqueMeghanestlà.Jevaislachercher.—Soisprudente,fait-ilavecunsignedetête.Jem’éloigneàmontourenmarchantleplusvitepossibledanslescouloirsdulycéedeCulverCity,
danslamêmedirectionqueTyler.Lefaibleéchod’unefanfarerésonneauloin.J’ail’impressiond’alleràunmatchdefootballaulycée.Pourtoutdire,c’estunpeulecas.
Ilyadéjàdesmilliersdepersonnessur lapelouseet lesgradins.Desstandsde restaurationsontinstallés autour des pistes, et tandis que la foule s’épaissit encore, le soleil commence à décliner.ImpossiblederetrouverMeghanlà-dedans.
Lesfamilles,couplesâgésetgroupesd’étudiantsfourmillentunpeupartout.D’autresontoptépourleschaisespliablesetlescouverturesétaléessurlapelouse.Quantàmoi,jesuisseule.J’auraisdûresteravecmonpère.
—Jenet’auraispascruedugenreàt’éloignertouteseule,faitquelqu’unàmescôtés,par-dessuslebruitambiant.
Tylermeregardeavecunecurieuseétincelledanslesyeux.—Onpeutparler,maintenant.—Maintenant?Detouslesendroitspossibles,ilchoisitlemilieudesfestivitésdu4Juillet.—Pasici,fait-ilenexaminantlesgradinsenface.Viens,suis-moi.Ilfaitdemi-tour,têtebaissée,etjeluiemboîtelepasavecnervosité.Nous nous frayons un chemin jusqu’au bâtiment principal. J’ai le cœur serré. J’ignore s’il va
s’énerverous’ilvaacceptermesexcuses.Lapremièreoptionmedonneànouveaulanausée.Je suis tellement préoccupée que je remarque à peine la pancarte qui indique « PASSAGE
INTERDIT».Seulscertainscouloirssontouvertsaupublic.Tylersemoquedesrèglesetmoijemesenstropmalpourdiscuter.Ils’arrêteauboutducouloir.
On n’entend presque plus le bruit extérieur. Le visage de Tyler n’est éclairé que par le soleilcrépusculaire qui filtre à travers les fenêtres.D’ici, on aperçoit le stade,mais ça nem’intéresse pas.C’estlapersonneenfacedemoiquiattiretoutemonattention.
Ilmetdutempsàsetournerversmoi.Sonexpressionsuffisanteadisparu.Ilal’airdétendu.—Qu’est-cequis’estpassésamedi?—Jenesaispas.Jesuisdésolée.Maistuétais…tum’énervaisetjenevoulaispasquetuachètesde
ladroguealorsje…jel’aifait,voilà.Jenevoulaispas.Jesuisdésolée,d’accord?C’esttropbizarre,jemesensmal…Onn’aqu’àfairecommes’ilnes’étaitrienpassé.
Ils’humecteleslèvres.—J’aimeraispouvoirendireautant.—Quoi?Je me sens un peu mieux maintenant que j’ai vidé mon sac. Jusqu’à ce que je lui découvre une
expression que je n’avais jamais vue. De nouveau, mon corps entier s’enflamme. Exactement commesamedi.
—Jet’aiembrasséeaussi,dit-il.Jenecomptepasm’excuser.—Pourquoi?Ilsemblehésiter.Malgrésesyeuxapaisés,sontonesttranchant.—Parcequejesavaistrèsbiencequejefaisais.—Alorspourquoitul’asfait?Jechuchote.Toutesmesentraillessenouent.—Parcequejelevoulaistrop.Ilsedétourne,unemainappuyéesurlemur.Jemesensdeplusenplusmal.—Tulevoulais?Maisqu’est-cequeturacontes?—Tuveuxsavoirlavérité?(J’acquiescemaisilnemevoitpas.Ilbaisselatête.)Cequejeveux
dire,Eden,c’estquetum’attires,tupiges?(Ilfaitvolte-face,etdanssesyeuxnaîtunenouvelletempêtevenuedesprofondeurs.)Etjesaisquejenedevraispas,parcequetuesmafoutuedemi-sœur,maisjenepeux pasm’en empêcher. C’est débile et je sais que tu ne ressens pas la même chose, parce que tut’excusespoursamedi,merde!J’auraisvraimentvouluquetunet’excusespas,ajoute-t-ilenbaissantlesyeux.Çaveutdirequeturegrettes.
Je suisabasourdie.Tyler, legarçonquime traitecommeunpaillassondepuis lepremier jour, estattiréparmapersonne?Çan’aaucunsens.
—Jecroyaisquetumedétestais,parviens-jeàarticuler.—Jedétestepasmaldemonde,maistun’enfaispaspartie.Cequejedéteste,c’estlefaitquetume
fassesdel’effet.Beaucoupd’effet.—Arrête.Tuesmondemi-frère,tunepeuxpasdireça.—Quidictecesrèglesdemerde?Jenesavaismêmepasquituétaisilyatroissemaines.Jenete
voispasdutoutcommeunesœur,pigé?Tuesjusteunefillequej’airencontrée.D’oùçasortdenousconsidérerdelamêmefamille?
Jevaisvomir.Lesquestionstourbillonnentdansmatête.—Tuasunecopine.TusorsavecTiffani.—Maisjem’enfous,d’elle!s’écrie-t-il,agacé.JeneveuxpasdeTiffani,tunecomprendspas?Ce
n’estqu’uneautredistraction.—C’estquoicettehistoirededistractions?—Laissetomber!J’aiditcequej’avaisàdire,tusaiscequejepensedetoiettuasétéclaire,c’est
bon.Amuse-toibienàcefeud’artificedemerde.Lesmainsdanslescheveux,laveineducousaillante,ils’éloigneentrombe.—Attends.Ils’arrêtedanslecouloir,sansseretourner.Ilrestelà,essoufflé.—Tunem’aspaslaisséletempsdetedire…quetum’intéressesaussi.
18
Les feux d’artifice viennent interrompre le long silence qui s’est étiré entre nous. Dehors, desétincellesauxcouleursvivestournoientdansleciel.Noustournonslatêtedeconcertpourregarder.Leslumièresdansentsurnotrepeau,ses jouesbrillentd’une teinteorangequis’estompeaussiviteque lescouleursdisparaissentdansleciel,trèsviteremplacéespardenouvelles.MaisTylersedétournedelafenêtre.Cesontmesyeuxqu’ilregarde.
—Jet’intéresse?répète-t-ilsèchement.C’esttoutcequetupeuxdire?Lecielcraque,siffleetexplosetandisqu’endessous,lafouleexulte,lesvisagesilluminés.Depuisce
couloirinterdit,onembrassetoutlestade.—Onestentrainderaterlefeud’artifice,jedisfaiblement.Jesuispitoyable,jelesais.Riennesoulageralapulsationfrénétiquedemoncœur.—Rienàfairedufeud’artifice.Nonmaistudéconnes?Jet’intéresse?C’estquoi,ça?Jenecomprendspascequilevexe.C’estbiend’êtreintéressant,intéressantçaveutdiredifférent.Je
n’aijamaisrencontrépersonnequiattireautantmonattention.—Tesbarrières,jecontinueentremblant.Je memords l’intérieur des joues pour tenter de retrouver mon sang-froid et former des phrases
cohérentes.—Tesbarrièresm’intéressent.—Jenesaispasdequoituparles.Sapommed’Adamremue.L’étincelledanssesyeuxvacille.Ilsaitparfaitementdequoijeparle.—Jenem’enétaispas renducompte jusque-là.Tuasdressédesbarrières autourde toi, et elles
m’intéressent.—Tusaisquoi?Jem’enfous.Pensecequetuveuxdemoi.—Cequejeveux?Jeledévisageetiladumalàsoutenirmonregard.—Cequejepense,jereprends,c’estquetum’exaspères.Tuesuncrétinarrogant,incapabled’être
gentilavecpersonne,toutçaparcequeçanecollepasavectonpersonnage.Lesyeuxclos,ilsepincel’arêtedunezetinspireprofondément.—Tunesaispasdequoituparles.—Laisse-moifinir,j’ordonnemaintenantquel’adrénalineremplacelanervosité.Jepenseaussique
tu es un abruti avec un melon plus gros que ta tête. Tu te prends pour un petit délinquant, mais
franchement,Tyler,tuesjustepitoyable.Sonvisages’affaisse.—OK,maintenantj’ail’airdébiled’êtrevenut’avouerquetum’attires.Tuauraispuyallermollo.—J’auraiscruqu’undurcommetoipourraitsupporterça,non?Ilenfoncelespoingsdanssespochesetregardepar lafenêtre, l’air triste.J’entendssarespiration
entrelesexplosions.—Etmoij’auraiscruquetuauraiscomprisquejenesuispasvraimentundur.Soudain,jecomprends.Ilestvulnérable,etj’airaison.Sesbarrièressontunmasque.Cen’estqu’un
rôlequ’ilessaiedejouer.Lescommentairesgrossiers,leflirtlubriqueavecTiffani,lesaddictions,toutçac’estpourdefaux. Ilabienplusqueçaen lui.Commeaujourd’huidans lacuisineavecElla. Ilnejouaitpaslesgrosdurs,etilnefaisaitpassemblantnonplusquandilplaisantaitavecJamie.Parfois,safaçades’effrite.Etparfois,jesuislàpourlevoir.
Parfois ses yeux s’adoucissent pour dévoiler leur véritable étincelle à qui veut bien regarder.Pourquoin’ai-jepascomprisçaplustôt?C’estévident.Nosdisputessansimportance,lesconversationspathétiques,lesregardsnoirsconstants,toutçasembletellement…inévitable,commesionn’arrivaitpasàs’arrêter,commesi,d’unecertainefaçon,onaimaitsechamailler.Nousnousregardonsenchiensdefaïencedepuislepremierjour.Chacuncherchelesfaiblessesdel’autre.Moi,c’estmaconfianceenmoi.Lui,c’estlavérité.
Etendessous,ilyal’attirance.TylerestattiréparmoietjesuisattiréeparTyler.Moncœur flanche, je suisglacée. J’ai l’impressionde le redécouvriretcen’estpasunabrutiqui
gâchelesbarbecuesquejevois.Jepeuxl’examinersousunnouveaujour.Iladesyeuxenvoûtants,unvisageparfaitementdessiné,des lèvres charnues etun souriremalicieux.Et encore tantdechosesquej’aimeraisdécouvrir.Jeveuxconnaîtrelavérité.Jeveuxsavoirquiilestréellement,etnonceluiqu’ilveutmemontrer.Ilfaitsemblant,iln’estqu’unacteur.Jeveuxsavoircequisepasseencoulisse,quandlespectacleestterminéetquelerideausebaisse.Quireste-t-il?
Ilal’airperplexe.—Jecrois,jedisavecunegrandeinspiration,quetum’attiresaussi.Trèslentement,ilmefaitfaceetsortlesmainsdesespoches.—C’estvrai?Jelevoudraistellement…maisjenepeuxpasêtreattiréeparmondemi-frère.—Oui.Malgré la douleur de la confession, le soulagement me desserre la poitrine. Je ne peux plus le
regarderenface.—Jesuisdésolée.—Arrêtedet’excuser.Ils’approchedemoi.Jemeprendsàanalyserchaquedétaildesatenue.Tee-shirtgris,jeanfoncé,
Converseblanches.—Iln’yarienàregretter,dit-il.Sespiedssesontrapprochésdesmiens,ilesttoutprès.Danslapénombre,ilmefixe.Derrièrelui,le
cielcontinuedes’illuminerdescouleursde l’arc-en-ciel.Duboutdudoigt, il traceune lignesurmonbrasjusqu’àmonpoignet,puism’attrapedélicatementparlataille.
—Qu’est-cequisepasse?jechuchote.L’électricitégrésilleentrenous.Lesoufflecourt,jeveuxprotester,lerepousser,parcequec’estmal.
Maisjenebougepas.Parcequej’aimelasensationdesapeaucontrelamienne.Mesyeuxn’arriventpasàfairelepoint.Ildoitsentirmaraideurparcequ’ilsemetàmecaresserles
hanches.Ilrespirecalmement,sonparfummentholémecaptive,m’attireetmecharme.Ilapprocheses
lèvresdemonvisage,jusqu’aucoindemabouche.Là,ils’arrête.—Laisse-moit’embrasser,murmure-t-il.Sonsouffleestchaudcontremajoue,pleind’appréhension.—Maistuesmondemi-frère…Jen’arriveplusàcontenirmanervosité.Tylerrespireprofondément.—N’ypensepas.Ilselanceetposeseslèvressurlesmiennes.Et c’est encore meilleur que la première fois. À travers ses lèvres douces et humides, je peux
ressentirsanervositétoutcommeilpeutsentirlamienne.Lefeud’artificecontinue.Ilmeserreplusfortcontrelui.Jem’enmoque,j’aimecettesensation.
Unegrossevoixretentitquelquepartdanslecouloir,maisjem’enaperçoisàpeine.Etjem’enfichepasmal.
—Hé!Arrêtezça!Nous l’ignorons, pris dansnotre étreinte interdite. J’ouvre la bouche,Tyler poseunemain surma
nuqueetl’autreaucreuxdemesreins.C’estluiquicontrôlelavitesse,l’intensité.Maisçaaussijem’enmoque.J’adoreça.
Lavoixestdeplusenplusforte,commelesbruitsdepasquil’accompagnent.—Dégagezdelàoujevousfaisarrêter.Jenebougepas.LachaleurdesmainsdeTylerirradiesurmapeautandisquesonbaiserralentitet
devient plus intense. Il lève un peu lementon pour trouver unmeilleur angle. J’adore chacun de sesmouvements.
—Allez,maintenantvousarrêtez,ordonnelavoix,soudainrauqueetperçante.J’ouvrelesyeuxetdécouvre,tétanisée,unofficierdepolice,brascroisésdevantnous.—Arrêtez!—Bonsang,souffleTylerquis’écarteenfindemoi.C’estquoi,leproblème?Ilsetournelentementverslepolicieretcroiselesbrasàsontour.—Vousêtesdansunezoneinterdite,nousinformel’homme.Ondiraitqu’ilvientdedécouvrirdessourisdansleréfectoiredulycée.—Interdite?Vousn’avezriendemieuxàfaire?Ildoitbienyavoirquelquesbagarresd’alcooliques
surlestade,non?Derrièrelafenêtre,c’estlebouquetfinal,lescouleurssontplusvivesetplusnombreuses.Lestade
estquadrillédepoliciers.CommeàPortland,lesgrosévénementsdecegenresonttrèssurveillés.—Çasuffit.Vousêtesdansunezoneinterdite, jevouslaisseunechancedepartiravantdevousy
forcer.—Meforcer?faitTyler.Jeletireparlamanchedesontee-shirt.Iln’apasl’airdécidéàbouger.Ilfixel’hommedroitdans
lesyeux.—Vousnepouvezpasnouslaisseruneseconde?Onvas’enaller,maisvousnousavezinterrompus.—Tyler,viens.Lebaiserm’alaisséeunpeuessouffléeetgrisée.Jeveuxrecommencer.—Oui, jem’en suis aperçu, rétorque le policier sur un ton désapprobateur quime faitmonter le
rougeauxjoues.Jenesuispaslàpourdiscuter.Jevousdemandedepartir,vouslefaites.Nemefaispasperdremontemps,fiston.
—Maiscen’estqu’uncouloir.Onn’estpasentraindes’infiltreràlaMaison-Blanche.Laissez-nouscinqminutes.
—Tucomprendscequeçaveutdire,non?Tonpèrenet’apasapprisàobéir?
Jenesaispasgrand-chosedeTyler,maisjesaisqueparlerdesonpèreestlemeilleurmoyendeluifairepéterlesplombs.Bingo.
—Espèced’enfoiré!Ilbombe le torse et s’avancevers l’officier.Un instant, j’aipeurqu’ilne luidécocheuncoupde
poing.Heureusement,ilseretient.—Bon,çasuffit,grondel’agent.Ilsortunepairedemenottes.J’aperçoisdesridessursonfront.Beaucoupderides.Ilal’airépuisé.—Jet’aidemandédepartirmaisturefusesd’obtempérer,etavecinsolence,enplus.Jet’arrêtepour
violationdepropriété.Tyler,bouchebée,devientlivide,puisl’officiersetourneversmoi.—Etc’estvalablepourtoiaussi.
19
—Tunepouvaispastetaire?Jeparletoutbaspournepasnousattirerplusd’ennuis.Jenepeuxpasvraimentmelepermettre,là.L’œil noir, Tyler s’affale contre le mur et lance des regards mauvais à chaque officier du
commissariatparlesbarreauxdelacelluledegardeàvue.—C’étaitunabruti.Ilslesonttous.—Onn’enseraitpaslàsitut’étaiscontentédepartir.Jesuismortedepeuràl’idéedespunitionsquevam’infligermonpère.Privéedesortiejusqu’àla
findel’été?Renvoyéechezmoi?Obligéedem’occuperdesonlingesale?Danslacellule,unefemmeestentraindepiquerunecrisedenerfs,commesiçaallaitlafairesortir.
Unhommetoutenmusclesestadosséaumur,sesénormesbrascroisés,silencieux.J’évitedecroisersonregard.
Tyleretmoisommesassissurunbanc,trèsprèsmaispasassezpournoustoucher.Ilbougonneetsepencheenavant.
—Mamèrevanousfairesortir.Jenesuispasconvaincue.—Pourquoi?Parcequ’elleestavocate?Jeneparvienspasàresterpositivedanscettesituation,maisilestvraiqu’Ellaconnaît lesystème
judiciairesurleboutdesdoigts.Forcément.Etdonc,elleconnaîtsesfailles.—Ellel’adéjàfait.Ellemefaittoujourssortir.—Commentça,«ellel’adéjàfait»?Jedétaillelecommissariat.Desbureauxquidébordentdedossiers,destéléphonesquines’arrêtent
jamaisdesonner,ungardequinoussurveilledeloin.—Combiendefoistuasétéarrêté?—Uneoudeux.Oupeut-êtreplus,fait-ilavecunlégerrictus.—Pourquoi?Ilsegrattelatêteens’humectantleslèvresetjerepenseàsabouche.—Euh…destrucsbêtes.Bagarres,dit-ilenfaisantcraquersesarticulations,vandalisme,troubleà
l’ordrepublic.Etviolationdepropriété,termine-t-ilenmejetantuncoupd’œil.—Aumoinstun’astuépersonne.
Jenesaispaspourquoijeplaisante.Unesemaineplustôt,jel’auraismépriséd’avoirdéjàétéarrêté,quelle qu’en soit la raison.Maismaintenant, l’énigmeTylerBruceme fascine et en l’espace de troisjours,monopinionsurluiaétégrandementaltérée.
—Pasencore,corrige-t-il.Maisj’aiquelqu’unentête,fait-ilenplissantlesyeux.Jedoisavoirl’airhorrifiéeparcequ’ils’esclaffe.—Eden…—J’aiencoreunpeudemalavectonhumour.Jenesavaismêmepasquetuenavais.—Bienjoué.—Bruce,Munro,aboieunevoix.NoussursautonsetTylerseretourneversunpolicierdeCulverCityàl’airrevêche.—Vosparentssontlà.Noscompagnonsdecellulepouffent.—Onestmorts,dis-jeenpaniquant.C’estsûr,onvamourir.—Tais-toi,m’ordonneTylertoutbas.Tumelaissesparler.Parchance, lepolicierquinousaarrêtés,officierSullivan,n’estplusdanslecoin.Ilestpeut-être
retournédanslesruestraquerlesfêtardspourleurgâcherlanuit.Ilavaitl’airbuté,commes’ilenvoulaitàlaterreentière.L’autreagentestplusjeuneetmoinseffrayant.OfficierGreene.Ilnousfaitsortirdelacellule.
—Suivez-moi,soupire-t-il.Jemecolle àTylerpour traverser le commissariatdans l’indifférencegénérale.L’officierGreene
nousconduitdansunpetitbureauoùnousattendentmonpèreetElla.Mon père, les mains sur les hanches, nous observe avec mépris. Il va peut-être tomber dans les
pommes.Entoutcas,ilal’airénervé.QuantàElla,c’estlapremièrefoisquejeluivoisuneexpressionaussi sérieuse, lèvres pincées,mains jointes.Même quand elle est en colère contreTyler, il lui restetoujoursunetouchedecompassionmaternelle.Là,rien.Elleamissonmasqued’avocate.
—Àquoivousjoueztouslesdeux?crachemonpère,deplusenplusrouge.Ellas’avancesansnouslaisserletempsdetrouveruneréponse.—Officier…—Greene.—OfficierGreene. (Elle lui tend lamain.) Pouvez-vousm’expliquer en vertu de quoi ils ont été
arrêtés?Aufait,jesuisavocate.Unpeusurpris,Greenesemblemalàl’aised’apprendrequ’ilnepeutpasluiracontern’importequoi.—Section602duCodepénal,dit-ilsanslaquitterdesyeux,violationdepropriétédanslelycéede
CulverCity.Ilsontétéretrouvésdansunpérimètreferméaupublic.Ellas’esclaffetantc’estridicule.—Vraiment?Ilsseretrouventdanslemauvaiscouloiretvous,vouslesarrêtez?—Cen’estpasmoiqui les ai arrêtés,madame.L’agentSullivann’apasbeaucoupdepatienceet
votre fils s’est montré insolent quand il lui a demandé de quitter les lieux. Il leur a laissé plusieursoccasionsd’obtempérer.
Tyler renifle mais s’interrompt et baisse la tête avant d’être rappelé à l’ordre. Ella lui lance unregardnoir.
—J’étaisdanscelycéecesoir,continue-t-elle,etjemerappelleavoirvudespanneaux«PASSAGEINTERDIT».Mais nulle part je n’ai vudepanneaux avertissant de l’infraction et par conséquent, ilsn’ontpasétécorrectement informésdudélitqu’ils commettaient. Ilsnepeuventpasêtrearrêtés sur laseuleraisonquevotrecollègueestunpeusoupeaulait.
Monpèrecontinuedemelancerdesregardsassassinsquej’aidumalàsoutenir.Àmadroite,Tylerréprimeunfourire.S’iln’yavaitpasunflicdevantnous,jeluicolleraisuncoupdepoing.Ilarriveàse
maîtriser,maisrepartdèsqu’ilmeregarde.—Bon,etsions’épargnaitlapaperassepourcettefois?ditGreene.IltendlamainàElla.—Décisionraisonnable,monsieurl’officier.Elleéchangeunregardbrefavecmonpèrequiacquiesce,commes’ilscommuniquaientparlapensée.—Bon,dit-il.Vousdeux,àlavoiture.Toutdesuite.Tyleraarrêtéderireethausselesépaules.—J’enconnaisunquiesttrès,trèsfâché,mesouffle-t-il.Noussuivonsmonpère.Ellaresteenretrait.Il se fait tardquandnoussortonssur leparking.Jamienousguettepar lavitre teintéede laRange
Rover.JedécouvreChaseendormidel’autrecôté.—Qu’est-cequetuasfaitcettefois?demandeJamie.—Quelquechosequejen’auraispasdû,marmonneTylerenm’adressantunsourirecomplice.NouspoussonsChase contre la portière pourmonter. Jamie se contente d’unprofond soupir.Mon
père s’agrippe au volant en silence. Jem’apprête à lui demander s’il va bien quandElla débarque etclaquelaportière.
—Bienjoué,Maman,ditTylerenluifrottantl’épaule.Tul’asdémoli.Ellerepoussesamainavecunregarddanslerétroviseur.—Nem’adressepaslaparole,Tyler.Unjour,jeneviendraiplus.Tumedéçoistellement…—Tumedéçoisaussi,Eden,embrayemonpère.Etpuisqu’est-cequevous faisiezà l’intérieur?
C’étaitdehorsqueçasepassait,ilmesemble.—Non,faitTyler,cen’étaitpasdehors,çac’estsûr.Ilpasseundoigtdiscretlelongdemacuisse,cequimeprocureunesensationdesplusétranges.—Tais-toi,trancheElla.J’auraispuvouslaissercroupirlà-bastoutelanuit,compris?Pourunefois
danstavie,Tyler,tutetaisetturestestranquille.Çaluiclouelebecjusqu’àSantaMonica,maisilcontinueàcaressermapaumedupouceouàme
taquinerencognantsongenoucontrelemien.Étonnamment,personneneremarquerien.Quantàmoi,jefaisdemonmieuxpourl’ignorermalgrélesfrissonsquimeparcourent.
Ilestpresqueminuitquandnousarrivons.Monpère,épuisé,parvientàporterChasejusqu’àsonlitsansleréveiller.Jamiedisparaîtdanssachambre.
—Jenesaispasquoitedire,Tyler,faitEllaenverrouillantlaported’entréesansleregarder.J’enaiassez.Eden,montedanstachambre.Vatecoucher.
Sonpetitsourirem’indiquequ’elledemandeunpeud’intimitéavecsonfils.Jem’exécuteetcroisemonpèreenchemin.
—Jedevraisappelertamère.L’entendreparlerd’ellemesembleétrange,déplacé,même.—Non.Mamèreestdéjàassezstresséeparsonboulot,ellen’apasbesoinquesafillesefassearrêteren
plus.—Çaval’inquiéterpourrien.—Çam’inquièteaussi,Eden!Sonexclamationsetermineenmurmure.Iljetteuncoupd’œilautourdeluipours’assurerden’avoir
rienperturbé.—Qu’est-cequetuas?Jesaisquetuesalléeàdessoirées.J’aiquaranteans,passoixante.Çane
medérangepasquetut’amuses.C’estl’étéaprèstout.Cequimedérangeenrevanche,c’estl’effetqueçatefait.Tum’asdéjàmentiplusieursfois,etmaintenantça?Jenesaismêmepasavecquitutraînes,enplus.
Sabrusqueriem’interloque.Moiquicroyaisqu’ilneserendaitcomptederien…—Euh…Rachael,enface.Tiffani.Euh.Tiffani…Parkinson,jecrois?—LacopinedeTyler?Tufréquentestoutleurgroupe?DeanCarter?Etl’autrelà,Jake?—EtMeghan.Ons’entendbien.Jenepensaispasqu’ilétaitdugenreàs’intéresseràmoncercled’amis.—Bon,conclut-ilensefrottant lanuque,aumoinscesontdesenfantsbienélevés.Écoute, tusais
quoi,vaaulit.Je ne sais pas trop ce qui vient de se passer dans sa têtemais je ne compte pas rester là.Quand
j’entre dansma chambre, j’ôtemes tennis,me retourne pour fermer la porte… et découvre Tyler. Jemanquedem’étrangler.
—Hé,chuchote-t-ilenentrant.Ildétaillemachambrecommes’illadécouvrait.—Salut.Jen’arrivepasàdécryptersonexpression,laportejetteuneombresursonvisage.—Qu’adittamère?—Rien.Désolédet’avoirentraînéelà-dedans.J’auraisdûpartirquandleflicnousl’ademandé.—Cen’estpasgrave.Ma colère a fini par se dissiper. Nous n’avons pas été sanctionnés, donc je compte faire passer
l’affairepourunsimplemalentenduentrel’officieretnous.LetéléphonedeTylersemetàsonner.—Tiffani.Ilal’airsurlepointd’ignorerl’appel,maisilseravise.—Désolé,ilfautquejeluiparle,sinonellevas’énerver.Jem’effondreintérieurement.Mapoitrineseserre,j’aidumalàrespirer.Lanervositém’envahittel
untsunami.J’étaistellementcaptivéeparluicesdernièresheuresquej’enaioubliésapetitecopine.—Désolé,répète-t-ilavecunegrimace.Je crois qu’il remarque ma paralysie, mais il se retient d’avancer. Son soupir résonne dans ma
chambre.—Jesuisvraimentdésolé, jesuisobligé.Salut,çava? fait-ilen refermant laporte tandisque je
resteseuleethébétée.Savoixestvidéedetouteénergie.Toutcommemoi.
20
—Eden!hurlemameilleureamieauboutdufil,lelendemain.Enfin!—Jesais,jesais.J’aiétépasmaloccupée.—Tunerépondsjamais,fait-elle,légèrementagacée.Jenepeuxpasluienvouloir,jeneluiaipasparlédepuisplusd’unesemaine.—Comments’estpasséton4Juillet?C’estprécisémentpourcelaquejel’appelle,maissaquestionmelaissesansvoix.—Bien,parviens-jeàarticuler.—C’esttout?Jecommenceàavoirchaud.—Bon.Jesuismontéedansunevoituredepolicepourlapremièrefoisdemavie.Pendantlelongsilencequis’ensuit,Ameliasembleattendrequejem’écrie«Jerigole!»—Quoi?—Violationdepropriétéprivée.Jel’entendstapotersontéléphone.—Est-cequejepeuxparleràEdens’ilvousplaît?Allô?EdenMunro,c’esttoi?— Ce n’était pas ma faute. C’était mon demi… enfin, Tyler nous a fait arrêter. Il n’a pas pu
s’empêcherdel’ouvrir.—C’estl’aîné,c’estça?Jefinisparconfirmeravecunegrimace.—Tuesalléeaufestival?j’enchaîne,lesdoigtscrispéssurmacouverture.—Évidemment.C’étaitbizarresanstoi.—Tuyesalléeavecqui?—Commed’habitude.Chloe,Eve,Annie,Jason,Andrei…Enfin,toutlemonde,quoi.Lemaldupaysm’assailleenentendant lenomdemesamis. Ilsmemanquent,d’autantque jesuis
coincéeicialorsqu’ilspassentl’étéensemble.Mais soudain, jeme rappelle pourquoi j’ai quitté Portland. Pourquoi j’ai accepté de venir passer
deuxmoisici.ParcequecertainespersonnesàPortlandn’envalentpaslapeine.—AlyssaetHolly…étaientlàaussi?—Oui,faitAmeliaavecunsoupir.Nememetspasdanscetteposition,Eden.Vousêtesmestrois
meilleuresamies,mais là j’ai l’impressionde soutenirdeuxcampsadverses.Chaque foisque jevous
parle,c’estcommesijetrahissaisl’autre.Jefaisdemonmieuxpourignorerladouleurquimeserrelapoitrine.—Commentétaitlefeud’artifice?jedemandeavecunfauxenthousiasmeetunsourireforcé.—Génial!Hyperactivedepuistoujours,elles’exciteàlamoindreoccasion.—Aprèsonafaitunfeudecamp.Onabudelabièreetécoutédelamusiquetoutelanuit.Jesuis
crevée,là,j’espèrequetucomprendscequejeraconte.Adosséeaumur,j’essaiedenepenseràrien.—Net’inquiètepas.Çaavaitl’aircool,cefeudecamp.—Oui!glousse-t-elle.LandonSilvermanm’aramenéechezmoi.—Letypedeterminale?LandonSilvermanestunsuperbeaugosse.—Oui…J’imaginemonamie rougiret semettreàbattredescils sansarrêt, commechaque foisqu’elleest
gênée.Maissatimidités’évanouitrapidement.—Onabatifoléàl’arrièredesavoiture.Sic’estuneblague,cen’estpasdrôle.—Tudéconnes?—Siseulement.Sonservicetroispiècesn’estpastellementfourni.Jefondaisdegrandsespoirssur
lui.Quelscandale.—Amelia…EllemerappelleRachael.Ellesontlemêmehumour,etlamêmepassionpourlagentmasculine.—Ettoialors?LesCaliforniens?—J’aiembrasséuntype…hiersoir.Moncœurs’emballeànouveau.Ameliaestauborddel’implosion.—Bonsang!Qui?Est-cequejeluidis?Mameilleureamie,àquijeracontetout,est-cequejeluidispourTyler?Je
devrais,ellepourraitmedonnerdesconseils,maisjen’yarrivepas.Cettehistoireesttropscandaleuse,troptordue.Ameliadoitressentirmonappréhensionauboutdufil.
—Untype,ils’appelleJake.Bienrattrapé.—Ilestbeau?J’analyselestraitsdeJakedansmatête.—Oui.Ilestblond.—Quoi?Unblond?Tuflirtesavecunblond?—Arrête!Impossibledeteniruneconversationavecellesanslemoindreéclatderire.—MAISTUFLIRTESAVECUNBLOND!—Jesais,c’estchoquant.—C’estl’eaucaliforniennequit’alavélecerveauouquoi?Tudétesteslesblonds!Commesijenelesavaispas.C’estellequipréfèrelesblonds.—Tuveuxquej’appelletamère?Tuasbesoindesoinsmédicaux,c’estsûr.Quefais-tude«les
brunssontlesplusbeaux»?—Tuesencoresaouleouquoi?—Aucuneidée.Sûrement.
Surce,jeluiconseilled’allersereposeretluidisaurevoir.Elleprometgentimentdepasservoirmamèreunpeuplustard.C’estvraiqu’elledoitsesentirseule.
Aprèsavoirraccroché,jedécided’allercourirpourm’éclaircirlesidées.Matêtepartdanstouslessensdepuiscequis’estpasséavecTyler.Jen’aiaucuneidéedecequejesuisentraindefairenidecedansquoijem’engage.Toutcequejesais,c’estquecen’estpassimple.
Pourchanger,jecoursàtraverslavilleaulieuderestersurlacôte.Ilfaittrèsbeauetilyabeaucoupdemondemaisjenefaispasattention.D’ordinaire,jeregardelesvisagesdespassants,jelislesplaquesd’immatriculation, je retiens les noms des boutiques qui ont l’air intéressantes,mais pas aujourd’hui.Aujourd’hui,jenepensequ’àTyler.
Tandisquemoncerveautraitecentunepenséesàlaseconde,jeparviensàdégagerquelquesfaits:(1)Tylerestuncrétin;ça,çanefaitaucundoute,(2)c’estuncrétinquiaunsérieuxproblèmedegestionde la colère, ainsi qued’autresproblèmes comportementaux, (3) il est crétinparcequ’il le veut bien,parceque(4)ilcachemanifestementquelquechose,(5)sespasse-tempsprincipauxsontsesaouleretsedéfoncer,(6)iladebeauxabdosetj’aimelacouleurdesesyeux,(7)parfoisilestvraimentgentil,quandilrigoleavecsesfrèresparexemple,(8)parfoisilmegonfle,maiscen’estpasgrave,parceque(9)ilembrassevraimentbien.Etpourfinir(10),ilm’attirebienplusquecequejeveuxadmettre.
Par-dessusmamusique,unklaxoninterromptlefildemespensées.Unevoitures’arrêtelelongdutrottoir.Jeralentisetretireunécouteur.C’estcelledeDeanetiln’estpasseul.
LavitresebaisseetTylermesourit.—Jesavaisquec’étaittoi.—Àquoi?Jem’appuiesurlavoiture,essoufflée.Depuiscombiendetempsjecours?Sesyeuxs’illuminentpuisillesbaisse,avecunpetitrire.—Onsortdelasalledesport.Çanerépondpasàmaquestion.—Onrentre,tuveuxmonter?Tuasl’airauboutdurouleau.Dean,quiestencorerougedusport,hochelatête.—Jenesuispasauboutdurouleau,jeproteste,vexéeethaletante.Jepeuxcourirdeskilomètres,
OK?—OK,metaquineTyler.Ilouvrelaportièred’uncoup,m’obligeantàreculer.—Alorsjerentreavectoiencourant.—Maisjepréfèrecourirseule…Ilattrapesonsacdanslavoiture.—Mec,çanetedérangepas?Deansecouelatête.—Onyretournemercredi?—Ouais.Àplus.Je reste seuleavecTyler sous le soleildeplomb.La transpirationquiperle sur sesbicepset son
débardeurlâchesursontorsebronzémelaissentpantoise.—Pourinfo,dit-ilensemettantenroute,c’estàtesfessesquejet’aireconnue.Bouche bée, je jette unœil derrièremoi. Ce n’était peut-être pas la journée pour porter ce short
moulant.Monassurances’évanouit.—Hum…Ilaccélèreenmeregardantducoindel’œil.—Jepeuxsûrementmarcherplusvitequetunecours.—Ça,j’endoute.
Jeboisunegorgéed’eauet remetsmonécouteur.DepuisqueJakem’aemmenéeà leurconcert, jesuisobsédéeparleschansonsdeLaBreveVita.
—Tupariesquej’arriveavanttoiàlamaison?medéfieTyler.—Paritenu.Jetricheetpiqueunsprintsansprévenir.Cettepetitepausem’apermisderécupérer,jemesensforte
etenpleineforme,lesoleilsurlevisage,mespiedssurlebétonetleventrafraîchissantsurmesjambes.Unesupersensation.
—Perdante!crieTylerenmedépassant.Jem’esclaffeetaccélèrepourlerejoindre.Bientôt,notrecourseoubliée,nousralentissons.—Onpeutdireque tucoursbeaucoup,dit-ilpendantquenous traversonsuncarrefour.Tufaisdu
cross?—Non.J’aimebiencourir,c’esttout.C’estlemeilleurexercice.—Moijepréfèrelamuscu,fait-ilenjetantunœilàsesbras.C’estfoucequ’ilpeutêtreprétentieux,parfois,maisjem’yhabitue.—Bon,d’accord,fait-ilens’arrêtant.J’abandonne.Jenesuispasuncoureur.Tuasgagné.Appuyécontreunmur,iltentedereprendresonsouffle.—J’aigagné,çatul’asdit,jem’exclame,triomphante.—Tum’ôteslesmotsdelabouche.Nousnousregardonssansvouloirdétournerlesyeux.—Onsortcesoir,dit-il.J’ailasensationquemêmesijelevoulais,jenepourraispasrefuser.—Laisse-moit’emmenerquelquepart.Tuesdéjàalléesurlajetée?ÀPacificPark?—Non.Troissemainesicietjen’aitoujourspasmislespiedssurlajetée.Jenel’aiaperçuequedelaplage,
çaal’airgénial.—Alorsonvaàlajetée.J’ai une boule dans la gorge devant son sourire malicieux et ses yeux émeraude étincelants qui
renfermenttantdenon-dits.J’avaisraison.Lesbrunssontvraimentlesplusbeaux.
21
J’aimeraispouvoiraffirmerquejesuisentraindecontemplerleslasagnesd’Ella.Malheureusementc’est faux.Mesyeuxglissentsur ledînerpourseplanterdansceuxdugarçonassisenfacedemoi, lementondanslamain.Cegarçonest ladésinvolturefaitehomme.Jedétaille laformedesonvisage,sabouche,sessourcilsfroncésetl’étincelledanssesyeux.Detempsentemps,quandpersonnenelevoit,ilsourit.
—Alors,Eden,faitmonpèrepourattirermonattention.Jebaisselesyeuxsurmeslasagnesquejetritureduboutdelafourchette.—Tuesbiensilencieusecesoir.Àquoipenses-tu?—Euh,je…hum…jebégaie,avantd’enfournerunebouchée.—Vousaimezmeslasagnes?nousdemandeElla.Changementdesujetsalvateur.Nousacquiesçons:elleyapassédutemps.MêmeTylerseredresse
pourluifaireunsourire.Elleluiafaituneassietteàpart:lasagnesquatrefromages,végétariennes.—C’esttrèsbon,Maman,fait-il.Levisagedesamères’illumine.J’observe leur échange en me demandant comment ils fonctionnent, tous les deux. La plupart du
temps,Ellasembledéçueparsonfils,maisilseproduitégalementdebrefsinstantsdecompréhensionmutuelleetsilencieuse.
Tylers’emparedesafourchetteetavaleuneénormebouchéequiretombeàmoitiésurlatable.Unpeuhonteux,ilritens’essuyantlabouche.
—Enfait,c’esttellementbonquejesuiscalé,maintenant.—Tuesdebonnehumeurcesoir,Tyler,remarquemonpère.Lèvrespincées,Tylercroiselesbrassurlatable.Ilfaitdesonmieuxpourréprimerunsourirequand
ilcroisemonregard,maisjeleprendssurlefait.—Fautcroire.Ilselèvepourdébarrassersonassiettepuisseretourne,impassible.—Jesors.—Oùça?faitElla.Tuespuni.MêmeJamielèvelatêtepourentendresonexcuse.—MaisjedoisvoirTiffani…Ilmentsibienquependantuninstantjelecroisaussi.Etpuisçamerevient.
—Tun’aspasditquetuallaischezMeghan,Eden?Sonregardsévèremerappellequejedoismentiraussi.—Si,jeconfirme.Monpèresemblegober.—Jepeuxt’emmener,poursuitTylersursalancée.—Merci.Sijetenteuneréponsepluslongue,jevaistoutfairerater.Alors,avecunsouriredébile,jerepose
mescouvertsdansmonassiettependantqu’Ellaselèvepourranger.Tyler,lui,n’aaucunproblèmeàm’adresserunsouriremoqueur,commesinosparentsn’étaientpas
danslapièce.Oualorsils’enfichetotalement.—Dixminutes?S’ilssavaient!—Vapourdixminutes.—Onseretrouveàlavoiture.Avecunclind’œil,ilsortdelacuisine.Jel’observesefrotterlanuque,enpantalonnoirettee-shirt
blanc.J’adoresafaçond’inclinerlatêtequandilmarche.Quelquessecondesplustard,jesorsdetableenm’excusantdenepasavoirletempsd’aiderEllaà
nettoyer,etfoncedansmachambrepourmepréparer.J’arrangemescheveux,mebrosselesdents,metsdu parfum et enfile un sweat…Le strict nécessaire quand on se rend à un parc d’attractions sur unejetée…avecsondemi-frère.
Dixminutesplustard,jedescendsàlavoituregaréesurlaroute,puisqu’iln’yapasassezdeplacedansl’alléepourtroisvoitures.
Tylerbaisselavitre.—Jet’ouvriraisbienlaportière,maisj’imaginequetonpèreauraitquelquesobjections.Àlafenêtredusalon,monpèretentesanssuccèsdesedissimulerderrièrelesstores.Jeluifaissigne
etsoncorpsdisparaîtd’uncoup.—Oui,ilsedemanderaitd’oùteviennentcesmanières…—Hé!Tuapprendrasquejesuisunvéritablegentleman.Ilaenfiléunechemiseàcarreauxrougesursontee-shirtblanc.—Ahbon?—Ehoui.Ildémarre,ajustelaclimetlespare-soleil.—Bond’accord,cen’estpasvrai.Jesaissimplementcequ’onestcenséfaire.Toujourssortirdela
voiturepourouvrirlaportière.Non?—Quelquechosedanscegoût-là,oui.Nouspartonsàtouteallure,cequinemesurprendguère.Nousapprochonsdufrontdemerquandjemedécideenfinàluiposerlaquestion.—Pourquoituasmentiàtamère?Pourquoinepasluiavoirditqu’onallaitsurlajetée?—Suisunpeu,Eden.Onveutéviterqu’ilsaientdessoupçons.—EtTiffani?Malgrémesefforts,jen’arrivepasàignorersonexistence.Jemesenstellementcoupable…Comme
si le faitqueTylersoitmondemi-frèren’étaitpasdéjàassezproblématique, jesorsendouceavec lepetitcopaindemonamie.
—C’estréglé.Ellecroitquejetraîneavecmespotes.Est-cequ’ilsesoucievraimentd’elle?Ilyadumondesurlajetée.Leparkingestpleinàcraquer.Desfamilles,desgroupesd’amisetdes
couples qui se tiennent lamain arpentent la promenade. Je voudrais pouvoir tenir celle deTyler,moi
aussi.Maisjenesuispasassezcourageuse,etencoremoinsenpublic.—Bon,fait-ilentoussotant.VoiciPacificPark.J’adoraiscetendroitquandj’étaispetit,j’aienviede
telefairedécouvrir.Jen’arrivepasàmedépartirdemonsourirenidurougeàmesjoues.Nousdescendonslapromenadeausonapaisantdel’océan,souslesoleildusoir,enparlantdecequi
nous entoure, ravis de la compagnie de l’autre. Nous tentons de comprendre pourquoi les montagnesrusses sont peintes en jaune, nous commentons les camions de restauration ou encore la position desbancs.Pourquoicelui-cifaitfaceàl’océantandisquecelui-làesttournéverslaville?
—Cetrucmefichaitlesjetons,m’avoue-t-ilenarrivantdevantl’entréeduparc.Au-dessusdelagigantesqueenseigne«PACIFICPARK»setientuneénormepieuvreviolette.Tyler
enfoncelesmainsdanssespochesetpasserapidementlagrille.—Enfait,ilmefaittoujourslemêmeeffet,jecrois.—Aha!Tun’espassidurqueçafinalement!—Est-cequ’ungrosdurt’avoueraitqu’ilaimeàlafolielabarbeàpapa?dit-ild’unevoixaiguë.Nousnousapprochonsd’unstanddepop-corn,glaceset,biensûr,barbeàpapa.Tyler,toutsourire,
metendmonbâton.—Tuessûrquetuadoraiscetendroitavant?Plusmaintenant?Ilsecontented’avalerunebouchéeenlevantlesyeuxauciel.—Ilfautqu’onfasselesmontagnesrusses,marmonne-t-ilenguisederéponse.Jesuisdeplusenplusravie.Nousnousarrêtonsàunbancsouslagranderoue,quej’observetourneràl’infinienmangeant.—Eden…Jen’enparleraiàpersonne.C’estplussimplesion,euh…gardeçapournous.Pitié,dis-
moiquetusaisgarderunsecret.—C’estlecas.Cependant,cette situationmemet trèsmalà l’aise. Jeneveuxpasdevoiragirendouce,mentiret
inventerdesexcuses.Maispourlemoment,illefaut.—Etjesaisquetoiaussitupeuxgarderunsecret.Tusemblesenavoirdestas.Avecunsouriredeguingois,ildévorelafindesonbâtonqu’iljetteavantdedésignerlesrails.—Allez,onyva.Sa persistance à ne jamais répondre à mes questions me frustre. Cependant, son silence est
révélateur.Ilnerépondjamaisparcequ’ilsaitquej’airaison.Ilsaitquejecomprendscequ’ilvoudraitmecacher.
Nouspassonsdoncnotremardisoiràfairelaqueueàdesattractionsdegamins,enchantés.Jevaismerappelerchaquemanègeetchaqueinstantdecettesoirée.JemerappellerailerirehystériquedeTylerquandj’aicruquemaceintureétaitcasséedansPacificPlunge,qu’ils’estpenchépourm’aideretquenosmainssesonteffleurées.JemerappelleraisescommentairessarcastiquessurleWestCoaster,quandlesgenshurlaientaumoindrevirage.Jemerappelleraiquandiladitquel’océanétaitbeaudepuislehautdelagranderoue,alorsqu’ilneregardaitmêmepasl’océan.Ilmeregardait,moi.
Il est tard quandnous quittons le parc.Les néons illuminent le ciel nocturne tandis que le fluxdetouristes s’amenuise.Quandnousarrivonsà lavoiture,quelques jeunes sont en trainde seprendreenphotoàcôté.Prissurlefait,ilsdétalent.
—Çaarrivetoutletemps,meditTylerenmontant.IltapotelevolantdesonAudi.—Jenesaispastroppourquoi.C’estLosAngeles.IlyadesLamborghiniettoutcegenredetrucsà
chaquecoindeBeverlyHills.Jemeretiensdefaireuneremarque,sanssuccès.—Commenttuaseucettevoiture?
Pendantunmoment,ilal’airderéfléchiràlameilleurefaçondemerépondre.— J’ai eumon héritage avant l’heure. Et quand on reçoit autant d’argent d’un coup, on n’est pas
vraiment raisonnable,non? Je suisunado,évidemmentque jevais ledépenserdansunecaissede lamort.
Jenesaispass’ilritsincèrementous’ilritdelui-même.—Pourquoituaseutoutçaavantl’heure?Jesuiscurieuse.J’observesafaçondebougerquandilparle.— Parce que apparemment, l’argent guérit tous les maux, fait-il avec un soupir. C’est vraiment
beaucoupd’argent.Mamèreestavocateetmonpère…Ildéglutitet jemesensunpeucoupablede lepresseravecmesquestions.Çanemeregardepas,
aprèstout.—Monpèrepossédaitsapropreentreprise.Degéniecivil.Surtoutelacôteouest.L’Oregonfaitpartiedelacôteouest,jemedemandesij’enaientenduparler.—Ças’appelaitcomment?—Grayson’s,fait-ilavecraideur.(Ildétournelesyeux.)Parcequ’ons’appelaitGrayson.Jesaisquejemarchesurdesœufs,maisj’aimeconnaîtrelesgensenprofondeur,comprendrecequi
lesaconstruits.SurtoutTyler.—Avantledivorce?Ils’enfoncedanssonsiège.—Avantledivorce,jem’appelaisTylerGrayson.Mamèren’apasvouluqu’ongardesonnom.Je ne sais que répondre. Peut-être parce que je suis trop absorbée par ses lèvres. Je retiensmon
souffle.Il se redresse etpose surmongenouunemainquimedonnedes frissons. Il s’humecte les lèvres.
C’estdelatorture.—Jepeuxt’embrasserencore?murmure-t-ilsansmelâcherdesyeux.Jefaiscommelui:jeneluirépondspas.Néanmoins,jemepenchesurluiententantdenepasme
disloquerunejambe.Jel’enfourche,ledoscontrelevolant.Moncœurpalpitecontresontorse.Cen’estpasidéal,maisçasuffit.
Sans la moindre hésitation, il prend mon visage entre ses mains et m’embrasse avec fermeté etdouceuràlafois.Seslèvresremuent,commedansl’urgence.C’estencoremieuxqu’hier.C’estluiquicontrôle le baiser, et il me fait des choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Plus ilm’embrasse,moinsjemesenscapabledemepasserdecetteeuphorie.
Seslèvresdescendentsurmoncou,jepasselesmainsdanssescheveux.Sesbaisersdansmanuquemelancentdesdéchargesjusqu’auboutdesdoigts.Lentementmaisfermement,j’inclinesonvisageverslemien.Jem’approchedesonoreille,lecœurauborddel’implosion.
—Tun’asmêmepasbesoindedemander.
22
Sansréfléchir,Tyleretmoisommesrentrésàlamaisonensemblelanuitdernièreetnousavonsdûprétexterqu’ilétaitpassémechercherenvoiture.Ellanousacrus.ElleademandéàTylersilasoiréeavecTiffanis’étaitbienpassée,àquoiilaréponduparl’affirmative.IdempourMeghanetmoi.
Puis nous avons échangé un regard complice au fond duquel se cachait notre secret, un secret quin’appartientqu’ànous.
Mon père commence le boulot plus tard cematin ; àmon retour du jogging, je le trouve en traind’errerdanslamaison.Jesuisépuisée.J’avaisprévudetrouverunnouveautrajetdanslaville,maisj’aifini par courir sur le front de mer entre SantaMonica et Venice. J’ai écouté le bruit des vagues duPacifiqueaulieudemamusique.Presquerelaxant,malgréladouleurdel’effort.
—Tu pars à quelle heure ? je demande en entrant dans la cuisine aprèsma douche, les cheveuxrelevésenchignon.
Ilfourreunepilededossiersdanssasacocheetattrapesesclés.—Toutdesuite.J’aiuneréunionimportanteavecnosfournisseursetçanedéco…çanerigolepas.—Tupeuxmedéposeràlapromenadeenpartant?Jerêved’uncaféfumantmaislamachined’icin’estpasàlahauteur.Etj’ailesjambessiraidesque
jenemevoispasmarcherjusqu’àThirdStreet.TylerestausportavecDean,quantàElla,elleaemmenéJamieetChaseàlachasseauxautographes.Apparemment,BenAffleckseraitdanslecoinaujourd’hui.
Monpèrebougonne.—Bon,alorsviens.Jemeprécipiteàl’étagepourenfilermesConverseetprendredel’argent.Monpères’impatienteen
bas.Stresséetmalàl’aise,ilm’emboîtelepasjusqu’àlaLexus.Ildonnel’impressiond’êtresurlepointdefondreenlarmessionluiadresselaparole,alorsjedécidedemetaire.Unsilencequinedurequedixminutes.
—Alors,faitmonpèreens’éclaircissantlavoix.Tupassesunbonété?—Pasmal.Euphémismedel’année.Cetétéestunrêveéveillédontjenesemblepasvouloirsortir.Toutcequi
s’estpassécesdernièressemainesestsinouveau,simaletpourtant…siexcitant!—Iciceseraparfait,dis-jeendésignantletrottoirdeSantaMonicaBoulevard.Jedescendsmaisavantquej’aierefermélaportière,monpèresepencheversmoi.—Soisprudente.L.A.n’estpasaussisûrequePortland.
—Enfait,letauxdecrimessexuelsàPortlandadépassélamoyennenationale.Bonnechancepourtaréunion.
Monpèreécarquille lesyeuxmais je referme laportière sansme retourner.Sacà l’épaule, jemedirigeversTheRefinery,lepetitcaféquifaitdesboissonsaucaramelàsedamneroùRachaeletMeghanm’ont emmenée au début des vacances. L’endroit est assez calme, seule une demi-douzaine de clientssirotentleursboissonsfumantesenlisant,devantleurordinateur,ouavecdesamis.
Aucomptoir,laserveusemesourit.Lemenuderrièreelleestécritàlacraie,j’adore.—Qu’est-cequecesera?—UnSkinnyVanillaLatte,trèschaud,avecsupplémentcaramel.Jeposecinqdollarssurlecomptoirenmesentantcoupablededemanderunsupplément.Maisçafait
desmoisqu’Ameliaessaiedemeconvaincrequ’onaledroitdesefaireplaisirdetempsentemps.—C’estparti.Jevousl’apporte,fait-elleenmerendantlamonnaie.Jem’installeàunepetitetablecontrelemur.J’adoreobserverlesgensautourdemoi.Jemeposedes
questionssurleurvie.Oùont-ilsgrandi?Combiendefrèresetsœursont-ils?Quelestleurparfumdeglacepréféré?
Etsurtout,jemedemandesileurétéestaussicompliquéquelemien.—Voilàpourvous,ditlaserveuseenposantunmugdevantmoi,quelquesminutesplustard.Bonne
dégustation.J’attendsqu’elledisparaissederrière lecomptoirpourprendreunegrande lampée.Maboissonest
brûlantemaisçam’estégal,elleestexcellente.Je dénichemes écouteurs dansma sacoche etmets La BreveVita avant de fermer les yeux pour
m’absorberdanslamusique.Jesuiscontented’avoiratterriparhasardàleurconcert.Leursparolessontprofondes ; leschansonsparlentdeserreurspasséesetdenotreavenir.Dans laplupart, lepontestenitalien.
Soudain,jeperçoisdumouvementdevantmoi.J’ouvrelesyeuxetmeredresseensursaut.—Salut.—Tum’asfaitpeur!Cen’estqueDean.Ilal’aird’avoircouruunmarathonetdes’êtreévanouiavantd’atteindrelaligne
d’arrivée.—Désolé.Jecommandaisuncaféetjet’aivue.—Tusorsdelasalledesport?—Çasevoittantqueça?fait-ilens’essuyantlefrontdureversdelamain.—Non.Uneidéemetraversel’esprittandisquejebois.—Tylerestavec toi? jedemandeenobservant lesalentoursenquêted’unepaired’yeuxvertset
d’unetouffedecheveuxnoirs.—Non,ilestpartiàMalibufairelustrersavoiture.—Oh.Çanemesurprendpas.—Qu’est-ce que tu écoutes ? fait-il en se penchant pour regarder l’écran demon téléphone. Pas
possible!—Ilssonttropbien.—C’estlaquelle,tapréférée?—Ah,difficileàdire,jedisenconsidérantlestroisalbums.Jecroisquec’est«HoldingBack».Deancroiselesbras.—Incroyable.—Quoi?Ilmeregardedansleblancdesyeuxavecunsourirediscret.
—C’estaussimapréférée.—Elleestvraimentgéniale.—C’estclair.Ilal’airravideresterplantélààmeregarderboiremoncafé.Finalement,ils’assoitetsortunbillet
decinqdollarsdesonportefeuille.—Jet’offretoncafé.Cinqdollarspourremboursertesfrais.Tescinqdollars.J’examinelebilletfroissé.Ilyaquelquechosegriffonnéaudos.«ARGENTESSENCEEDEN».Ça
alors.—Tul’asgardé?Ettuasécritdessus?—Pournepasoublierdetelerendre.—Maisjen’enveuxpas!—Dommage.Avecunsourirepenaud,ilfermemesdoigtssurlebilletetrepoussemamain.Jefinisparlerangerenrigolantetretourneàmoncafé.Deansoufflesurlesien.—Tufaisquoiaprès?—Jevaissûrementrentrer.ÀSantaMonica,jeprécisedevantsonairperplexe.PasàPortland.—C’estcequimesemblait.Tuasbesoinqu’onteramène?L’undesavantagesd’êtrenouveauenvilleetdenepasavoirdevoiturec’estqu’onn’amêmepas
besoindedemander,lesgensvousleproposentparpitié.Detoutefaçon,jen’aimêmepasmonpermis.—Siçanetedérangepas.—Aucunsouci.Viens.Jeterminemoncafé,attrapemesaffairesetlesuisàl’extérieur.Lecielensoleillédecematinafini
parsecouvrir.—Oùestpassélesoleil?—Contrairementàcequetoutlemondecroit,lapluieexisteenCalifornie.Il attend un creux dans la circulation pour m’entraîner de l’autre côté de la route à sa voiture.
Commenta-t-ilfaitpoursegarersuruneplaceaussiminuscule?—C’est rare,mais il arrivequ’il y ait des tempêtesd’étéqui durent aumoinsune journée.Elles
débarquentdenullepartetsontsuperdenses.—Çanemefaitpaspeur.Lapluie,c’esthuitmoissurdouzeàPortland.—Quellehorreur.Nous parlons de futilités durant le trajet : la pluie, la neige, les cafés et les parfums de nappage.
J’adore lecaramel,pourDeanc’est lacannelle.Monhumeursedégradeenconstatant l’absencede lavoiture de Tyler dans l’allée. Je ne l’ai pas vu depuis cematin et il commence àmemanquer, aussipathétiquequecesoit.
—Mercidem’avoirramenée…unefoisdeplus.J’ai les joues rougesquand ilmeditqu’iln’yaaucunproblème,et soudainune idéebrillanteme
traversel’esprit.Tellementbrillantequej’enpleurederire.Jefouilledansmasacochepourattraperlefameuxbilletdecinqdollarsgriffonnéetleplacesurletableaudebord.
—Pourl’essence,jedis.Deanpartd’ungrandrire.—Àlaprochaine!LavoituredeTylern’estpeut-êtrepaslà,enrevanchelaRangerRover,oui.Cequisignifiequ’Ella
estici.Lamaisonestsilencieuse.Danslesalon,Ellaestassisesurlecanapédevantunepiled’albumsphotos.
—Alors,vousavezrencontréBenAffleck?
Sesyeuxbleusselèventsurmoietellerefermed’uncoupl’albumqu’elletient.—Ilyavaitbeaucoupdemonde,etbeaucoupdevoitures. J’aiditauxgarçonsque jen’allaispas
payerleparking.Ducoup,jelesaidéposéschezleurscopainsàlaplace.—Turegardesquoi?—Oh,rien.Devieillesphotos.Iln’yavaitpersonnealorsjemesuisdit…jesuisalléeleschercher
augrenierpourlesregarderenvousattendant.Lesgarçonsdétestentquejesortelesphotosd’euxbébés.Elleétouffeunrireencaressantlacouvertureabîméedel’album.—Jepeuxvoir?Jemefaisuneplaceparmilesalbumssurlecanapé.Ellarouvrelesienentrenous,presquenerveusement.—Ça,c’estàlanaissancedeChase.Plusieursphotosmontrentunnouveau-néencouverturebleuedansunlitd’hôpital.Danstoutes,Chase
pleure, presque violet. Les pages suivantes révèlent d’autres photos à l’hôpital, mais cette fois lenourrissonestdanslesbrasd’unefemmed’âgemûrquejeneconnaispas.Danslasuivante,ilestpassédanslesbrasd’unhommedumêmeâge.
—Lesgrands-parentsdesgarçons,m’informe-t-elleavecraideur.Jecommenceàremarquerdesespacesvidesauxcontoursestompés,commedesphotosmanquantes,
puisEllas’esclaffedevantunepage.—Bonsang,j’avaislescheveuxlongs.Chasesembleavoirquelquessemainesdeplus,ilouvredegrandsyeuxalertesdanslesbrasd’une
Ella plus jeune, aux longs cheveux blonds, prise en flagrant délit de fou rire. Elle a l’air si jeune, siheureuse, si insouciante. Comme si, à cemoment-là, sa vie était parfaite.Un enfant s’accroche à sonjoggingviolet.Sescheveuxblondsm’indiquentquec’estJamie,ildoitavoirtroisans.
—C’estunpeubrutdedécoffrage, s’excuse-t-elleenprenantunautrealbum.Çac’est l’albumdeTyler.
Voilàquim’intéresse.Jem’installeunpeuplusconfortablementetregardeavecaviditél’albumnoirqu’Ellaouvre.Vide.Elle tournequelquespages.Vides.Auboutde lasixièmepage,nous tombonssurdeuxphotos.Unbébéminusculedansunecouveuse,sipetit,sifragileetsirose.
—Ilétaitprématurédequatresemaines.Ilestnéenjuinaulieudejuillet.—Jenesavaispas.Nous feuilletons d’autres pages vides jusqu’à un cliché d’Ella sur un lit, dans une pièce sombre,
Tylerlovéàsescôtés.Elleal’airencoreplusjeune,presqueuneado,peut-êtreunandeplusquemoi.Elleporteunequeue-de-chevalnégligéeetal’airépuisée.Jem’abstiensdetoutcommentaire.
SurladernièrepageTylerestunpeuplusvieux,ilestdeboutetporteunminusculesmokingnoir.Ilfaitungrandsourireàl’appareiletjesourisàmontour.Iln’apaschangé.
—C’étaitàmonmariage.C’estunpeubizarrede l’entendredireçaalorsque jesuis lafilledesonnouveaumari,mais tout
celam’intéressebeaucoup.—Tut’esmariéequand?—Àvingtetunans.C’estTylerquim’aamenéeàl’autel,parcequejeneparleplusàmesparents.Il
n’avaitquequatreans,maisilaadoré.Ellerefermel’album.—C’esttout?Seulementhuitphotos?—Avant,ilétaitrempli.Tylerenabrûlébeaucoup.—Brûlé?— Il a fait un feu dans le jardin. Il ne voulait pas les garder. Je l’ai laissé faire, j’ai cru que ça
l’aideraitàsesentirmieux.
Elleattrapeunnouvelalbumsansmelaisserletempsdeposerd’autresquestions.CedoitêtreceluideJamie,maisàcemoment-là,laported’entrées’ouvre.NousnousattendonsàvoirTyler,maisc’estunevoixféminine,reconnaissable,quiretentit.
—Ella?—Jesuislà,Tiffani!crieElla.Qu’est-cequ’elleficheici?—Ah,salutEden,faitTiffanienentrantdanslesalon.—Salut.J’aidumalàsoutenirsonregard.J’ail’impressiond’êtreundealerdedroguefaceàunagentfédéral.—Tylerestlà?Ellamepassel’albumetserelèveendéfroissantsesvêtements.—Jenel’aipasvudelamatinée.Tul’asappelé?Ilestpeut-êtreencoreàlasalledesport.—Jel’appelledepuishiersoir.Ilm’ignore.Etd’ailleurs,enparlantd’hiersoir,oùétait-il?Àcemomentprécis,moncœurs’arrêtedebattre,monsangnefaitqu’untour.Jen’aiqu’unechoseen
tête:onacomplètementfoiré.PourquoiTyleracruquecetteexcusefonctionnerait?Etpourquoiai-jeapprouvé?
Jem’apprête à décéder sur place quand la porte d’entrée s’ouvre à nouveau. Cette fois, c’est lapersonnequenousattendions.Savoixgraveleprécède.
—Qu’est-cequetufaislà?—Oùétais-tuhiersoir?demandeTiffani,glaciale.J’aperçoisunepartiedesonvisagepar-dessusl’épauledeTiffani.Ildéglutitrapidement.—Jetel’aidit.J’étaisaveclesgarçons.—Tyler,intervientElla.(Jelevoisjurermentalement.)Tum’asditquetuétaisavecelle.Oùes-tu
alléhiersoir?—Oh,maisqu’est-cequeçapeutfaire?JeretiensmarespirationquandEllasetourneversmoi.Jesensquejevaisdevenirbleue.—Eden,oùest-ilallé?Touslesyeuxsebraquentsurmoi.Ceuxd’Ellasontsévères,ceuxdeTiffanifurieux,quantàTyler,il
al’airdemesupplierdenepastoutfairerater.—Hum,ilm’adéposéechezMeghanetpuisilachangéd’avis.(Pitiéfaitesquejerestecohérente.)
Iladécidéd’allervoirlesgarçonsàlaplace.—Tuvois?faitTylerens’avançantversTiffaniquilerepousse.—Nem’adressepaslaparole.Eden,suis-moi.Ilfautqu’onparleavecRachaeletMeghan.Toutde
suite.Je cède à son regard menaçant. Elle m’attrape par le poignet pour me faire sortir du salon en
bousculantTyler.Jel’aperçoisserrerlespoingsavantdesortir.Jen’aimêmepasletempsd’enfilermeschaussures,
onmetraîne,piedsnus,jusqu’àunevoiture.Unefois installée,elleéclateensanglots.La têtedans lesmains,ellepleurecontre levolant.Des
larmesanarchiquesquiluicoupentlesouffle.—Çava?Jem’enveuxàlaseconde.Évidemmentqueçanevapas.Jeluifrotteledosmaisçan’apasl’airde
marcher.—Qu’est-cequ’ilya?Aprèsquelquesnouveauxsanglots,ellefinitparleverlatête.Elledémarre,encoreessoufflée.Tout
sonmascaraacoulé.
—Tunevaspaslecroire.RachetMegnousretrouventchezmoi.Ilfaut…ilfautjustequejevidemonsac.
Le silence s’installe. Heureusement qu’elle habite à côté. Je ne supporterais pas ses pleurs dixminutesdeplus.Cesdixminutes-là,enrevanche,jelespasseleventrenoué.Jesuissûrequ’ellepleureàcausedeTyler.
LesvoituresdeRachaeletMeghansontdéjàlàetlesfillesseprécipitentversnousàlasecondeoùnousnousgarons.
—Tiff!Ças’estmalpassé?demandeRachaelenlaprenantdanssesbras.Rappelle-toiquec’estmonvoisin,jepeuxmeglisserchezluipourl’émasculerpendantlanuitquandtuveux.
C’estbienlafautedeTyler.Est-cequ’elleestencolèreparcequ’ill’alaisséetomberpourvoirsespotes?Çameparaîtridiculedepleurerpourça.Cedoitêtreplusgrave.
—Combiendefoison t’amiseengarde?demandeMeghanen luiprenant lamainpour laguiderdanslamaison.Tusaisquecen’estpaslapremièrefois,Tiff.
—Lesautresfoisc’étaitdesrumeurs.Làilyaunepreuve!—Unepreuvedequoi?jedemandeàleursuite.—Pourl’amourduciel,Eden,suisunpeu,mechuchoteRachaelavecunregardnoir.Çanerépondpasàmaquestion.Tiffanis’écroulesursonlit.—Reprendsdudébut,luiditdoucementMeghan.Noussommesassisessurleborddesonmatelas,commesielleétaitlareineetnousdesservantes.
D’ailleurs,c’estunpeuça.—Jevous ai déjà raconté. J’allais prendre le courrier cematin et j’ai croiséAustinCameron en
voiture.Ils’estarrêtéetilm’ademandésij’avaisaimémanuitavecTyler,etiln’arrêtaitpasdefairedesclinsd’œilcommelegrosperversqu’ilest.Jen’aipascomprisalorsilm’aditqu’ilnousavaitvussurlajetée,lanuitdernière.Maismoijen’étaispasàlajetée.
C’esttrèssimple,jenerespireplus.Jesuisbouchebée.Cen’estpasàcausedeTylerqu’ellepleure.C’estàcausedemoi.—TuasditàAustinquecen’étaitpastoi?demandeRachaelenluitapotantlegenou,commesiça
allaitlaréconforter.—Évidemment. Il était sûrd’avoirvuTyler«prendre sonpied»dans savoiture, sur ceparking
pourri.Ilacruquec’étaitmoi,puisquejesuissacopine.—Ilneteméritepas,ditMeghan.Tiffanifermelesyeuxetpousseunsoupir.—Austin a reconnu la voiture deTyler, il a dit qu’il la reconnaîtrait les yeux fermés.C’était sa
plaqued’immatriculation.Maisiln’avuqu’unesilhouettedefille,pasdedétails.Avecunrâledefrustration,elledonneuncoupdepoingaupremieroreillervenu.—Pourquoiilafalluqu’ilmettedesvitresteintées?Jecroyaisquec’étaitinterdit,etjecommenceà
comprendrepourquoi.Çafaitlejeudesinfidèles!C’estmafaute,toutestmafaute.—Ilm’aditqu’ilétaitaveclesautres,maisiladitàsamèrequ’ilétaitavecmoi!C’estqu’unsale
menteur!À coups de poing, elle détruit tout ce qui lui passe sous lamain. Je n’osemêmepas imaginer sa
réactionsiellesavait.—Ilétaitentraindesetaperunegarcependanttoutcetemps!Çamerendmalade.Jevaisvomir.—Ilfautquetucassesaveclui,Tiffani,ditRachaelcommesielles’adressaitàunegaminedetrois
ans.Tiffaniseremetàpleurer,lescheveuxdevantlevisage,ets’essuielesjouesavecsacouverturequi
nerestepassèchetrèslongtemps.
—Jenepeuxpas!J’aibesoindelui.—Peut-êtrequ’Austinn’apasbieninterprété?jesuggère,tantbienquemal.Malgré ma gorge sèche, je fais de mon mieux pour parler normalement. Fais comme si de rien
n’était.Rachaelmelanceunregarddésapprobateur.—Eden,jesaisqu’ilestdetafamilleettout,maiss’ilteplaît,neledéfendspas.—Maisnon.Jemesensminusculeetàlavérité,cen’estpasTylerquejedéfends,c’estmoi.NousécoutonsTiffanividersonsacpendantvingtbonnesminutesjusqu’àcequ’ellesecalmeunpeu.
Jemetaisdepeurdemetrahir.RachaelsuggèredifférentesméthodesdevengeancetandisqueMeghanproposequenoussortionsmangeruneglace.Tiffani refusesousprétexteque«si jedeviensgrosse, ilauraencoreplusenviedemetromper».Est-cequ’elleestentraind’insinuerquelesfillesplusgrossesnesontpasattirantes?Quelesgarçonsnevontpasverslesfillesquiontdesformes?Jenesaispas,maisentoutcasçam’énerve.
Finalement,elledécidequ’elleveutdormiretnouscongédie.Elleabesoinderesterseuleetmoijesuisraviedepouvoirenfinsortirdelà.Rachaelmeproposedemeramener,m’épargnantainsidedevoirtraverserlequartierpiedsnus.
—Appelle-nouss’ilsepasseautrechose,ditMeghandevantlaporte,àTiffaniaffaléesursonlit.Tiens-nousaucourant.
—D’accord.Est-cequejepeuxparleràEdenuneseconde?Jeconsidèrel’idéedesupplierlesfillesdenepasmelaisserseuleavecelle,maisRachaelnem’en
laissepasletemps.—OK.Jet’attendsàlavoiture,Eden.Lesilenceretombedanslachambre.LavoixdeTiffaniestétoufféeparsacouverture.—Cequ’onseditdanscettepiècerestedanscettepièce.Interdictionderapporterquoiquecesoità
Tyler.— Pas de problème. J’espère que ça va aller, dis-je en observant avec envie l’escalier dans le
couloir.—Non.Mais,Eden?—Oui?Les yeux gonflés, elle se redresse et croise les jambes, l’air pincé.Une expression que je ne lui
connaissaispaspassedanssesyeux,unéclatétrangeetsiperçantqu’ilmedonnedesfrissons.—Jesaisquetun’étaispasavecMeghanhiersoir,puisquej’étaisavecelle.
23
Àmonretouràlamaison,Tylerm’attenddansl’entrée,brascroisés.Ilal’airsurlepointdemontersurlering,prêtàmettresonadversaireK.-O.Saufquejenesaispascontrequiilsebat.
Ils’avanceversmoi,poingsserrés.—Qu’est-cequ’elleadit?Qu’est-cequetuluiasdit?Plusdetraced’Ellanidesalbumsphotosdanslesalon.—Oùesttamère?—PartiechercherChase.Maintenant,dis-moicequis’estpassé.Devantsestraitsdurs,j’essaiedecomprendrecequisepasse.Jesuisterrifiée.—Onnousavushiersoir.AustinCameron…Ill’aditàTiffani.—Tudéconnes?Dansunaccèsd’adrénaline,ilsemetàfairecraquersesarticulations.—Jevaisdémontercetteespècedeconna…—Personnenesaitquec’étaitmoi,dis-jeenmetordantlesdoigts.Elleestbouleversée,Tyler.Maispasseulement,elleestaussifurieuse.J’ai l’impressionqu’ellenoussoupçonne.Ellesaitque
Tyleretmoiavonsmentiàproposd’hiersoir,etmalgrémesminablestentativesd’explication,ellem’afait comprendre qu’elle comptait découvrir ce que je cache. Quand j’y pense, j’aurais sûrement putrouver unemeilleure excuseque celle que je lui ai servie sous la pression :monpère etElla nemelaissentsortirques’ilssaventquejevaisdansunendroitsûr.Convaincant?PaspourTiffani.Jenevaisplusjamaispouvoirlaregarderenface.
Lesilences’installe.Tylers’apaiseetdesserrelespoings.Ducoindel’œil,jelevoissefrotterlanuque.
—Jevaism’enoccuper.Bon,elleesténervée,j’aicompris,maisjepeuxmefairepardonner.Jevaisluidirequej’aicommisuneterribleerreur,jevaisluifaireuncadeau,ellevaoublierettoutserabienquifinitbien.Après,onpourras’occuperdureste.
Jeresteinterdite.—Maisnon,toutnefinitpasbien!Riennevabien,Tyler!Ilfautqueças’arrête.—Quoi?—Ça!dis-jeennousdésignant.Jen’auraisjamaisdûlaisserquoiquecesoitarriver.Maintenant,jesuisdedansjusqu’aucou.Trois
séancesdebaisersdetrop.
—Tuasunecopine,Tyler.Jerefused’êtredanscetteposition.—Çan’arriverapas,conclut-ilfermement.Puis, avecun sourire, il s’avanceversmoi.La chaleur de sapeaumedonne la chair depoule. Il
m’attirecontreluipourm’embrassermaisjelerepousse.Surpris,ilouvrelesyeuxetmelanceunregardmauvais.
Maisàquoiilpense?Ilestcomplètementcinglé.—Turigoles,là?Cen’estvraimentpaslemoment.Mêmesitupouvaisgarantirqu’ellenevarien
découvrir,etc’est loind’être lecas, jeneferaispasça.C’esthorsdequestion,dis-jeavecunebouledanslagorge.
—Allez.Onvatrouverunesolution.Ilnesouritplus,maisilatoutdemêmel’aircontentdelui.Jemeretournedansl’escalier.—Comment,Tyler?Onn’aquedeuxoptions.—Deuxseulement?—Deux.JerevoislemascarasouslesyeuxdeTiffanietsesoreillersmouillésdelarmes.Lui,iln’enarienà
faire.—Tudoislaquitter.—Non.Impossible.—Pourquoipas?Ilprendsontempspourrépondre,commes’ilallaitignorermaquestion.—Parcequec’estpluscompliquéquetunelecrois.Tiffaniest…Bon,laissetomber.Jesens,malgrémafrustration,qu’ilnevautmieuxpasinsister.Alorsj’attendsqu’ilpoursuive.—C’estquoil’autreoption?—Onfaitcommes’iln’yavaitrienentrenous.Çafaitmal,maisjesaisquec’estlaseulesolutionlogique.S’ilveutresteravecTiffani,onredevient
demi-frère et demi-sœur, rien de plus. Pas de flirts secrets, pas de baisers volés, pas d’allusionssexuelles. S’il veut tout ça, alors il ne reste pas avecTiffani. Parce que les deux enmême temps, ças’appelletromper.
—Engros,fait-ilencroisantlesbras,sijecasseavecTiffani,jepeuxêtreavectoi?C’estelleoutoi,c’estça?
Ilal’airfouderage.Jenecroispasquecesoitcontremoi,maisplutôtcontrecettesituation.Moiaussi.
—Tuasl’airsurpris?Çameparaîtévidentcommeultimatum.Tuauraisdût’endouter.Lesdeuxmainssurlatête,ilmarmonnedanssabarbepuisfaitvolte-faceetdisparaîtdanslacuisine.
Pourmapart,jegrimpel’escalieràgrandspasetclaquelaportedemachambre.Quelquessecondesplustard,jemeprendsdéjààdouter.Jemeposedesmilliardsdequestions.La
plusgrandedetoutes:pourquoisuis-jeattiréeparTyler,déjà?Jene trouveaucune réponse acceptable.C’estmal, c’est tout.Pour commencer, je suis attiréepar
mondemi-frère.Laseulepenséequequelqu’unledécouvrem’estinsupportable.Onseraitlespariasdelasociété.Maiscequimedéconcerteleplus,cesonttoussesdéfautsquejedevraishaïrsansyparvenir.Comment un type qui se fiche à ce point de tout peut-il me fasciner autant ? Je devrais détester sonarroganceetsonégocentrisme.Maisjen’arriveplusàlemépriser,malgrésesremarquesdéplacées,tousles joints qu’il fume, tout l’alcool qu’il ingurgite, parceque je suis à présent convaincueque cen’estqu’unefaçade.Ilyaautrechose,quelquechosedefascinantsousl’imagedumauvaisgarçonqu’ilessaiedefairegober.Jecroisquejesuisentraindetomberamoureuse.
Siseulementc’étaitfaux.
Uninstantplustard,EllaetChasesontderetour.Ellapassela têtedansmachambrepourvérifierquejesuislàcarlamaisontropsilencieuselametmalàl’aise.Avecunpetitrirefeint,jelalaisseallervoirson trèsscandaleuxfilsaîné.Jene l’aipasentendurentrerdanssachambremais iladûavoir lemêmeréflexequemoi,puisqueleursvoixrésonnentderrièrelemur.
Ils se disputent pendant quelquesminutes puisElla baisse les bras et le laisse.C’est leur routinequotidienne:elletentedepercersesdéfenses,ilhurlecontreelle,ellebatenretraite.Encoreetencore.
Ellerevientunpeuplustardpourmeforceràdescendredîner.Jen’aipaslechoix,jelasuisdanslacuisine.PapaetChasesontdéjàinstallésàleurplacehabituelleetTylerestlà,évidemment.
—Tuasfaim?faitmonpèreendesserrantsacravate.—Non.C’étaitbientaréunion?JesensleregardnoirdeTylermetranspercerdepartenpart.—Pastropmal.Elladéposedestraversdeporcsurlatable,provoquantunhaut-le-cœuràTyler,etposeunemainsur
l’épauledemonpère.—Dave,tuasditqueças’étaittrèsbienpassé.Il luioffre lemêmegenredesourirequ’il faisaitàmamèreavant,quandonétaitheureux tous les
trois.Cespetitsgestess’étaientarrêtéslongtempsavantledivorce.—Hmm,oui,laréunions’esttrèsbienpassée.—Tantmieux,jeconclus.Tylerselèveenfaisantcrissersachaise,avecunegrimacededégoût.—Jenepeuxpasresterlà.Jemontedansmachambre.—Maistonassiettearr…—J’aidestrucsàfaire.Jelaferairéchaufferplustard.Ilpartsansseretourner.—Bon,deuxenfantsdemoins,faitEllaavecunsoupir.Chase,enrevanche,sembleapprécierl’idée.—Plusdeviandepourmoi!s’écrie-t-il.Le dîner à quatre se déroule bizarrement. Je parle avec Chase tandis que mon père et Ella se
racontentleurjournéeendétail.JerefileunoudeuxtraversàChaseendouce.Tout se passe bien jusqu’à ce que le téléphone sonne.Mon père va répondre et revient, clés de
voitureenmain.—C’étaitGrace,Jamieesttombésursonpoignet.Elleditqu’ilestpeut-êtrecassé.Ilvautmieuxy
aller.—Ohnon,c’estpasvrai,pasencore!—Çavaaller.Viens,onvalechercher.Ellavérifie lacuisinepour s’assurerque riennevaprendre feupendant sonabsence,puiselle se
tourneversmoi.—Est-cequeTylerettoipouvezgarderunœilsurChase?—Allez-y,dis-jeavecunsignedetête.Ellesuitmonpèrejusqu’àlavoiturequ’ildémarreàlahâte.Bientôt,onn’entendplusrienqueChase
quilapelasaucebarbecuedanssonassiette.—Pasmalcestraversdeporcs,hein?dis-jeendébarrassantlatable.—Tropbien!fait-ilenjetantledernierosdanssonassiette.—Jamiesecassesouventlepoignet?—Non,dit-ilenm’aidantàdébarrasser.C’estTyler,d’habitude.—Oh.Jelecroyaisplussolidequeça.
Lacuisineestrangéeendixminutes.Jevérifiequelaported’entréeestverrouilléeetChaseseplantedevant la télé.MaintenantqueTyler etmoi sommespresque seuls, c’est lebonmomentpour aller luiparler.Jenesaispassic’estcontremoioucontrelui-même,maisilestencolère,etjepréfèrelevoirdebonnehumeur.
Jeletrouveassisauborddesonlit,têtebasse,mainsjointes.—OndoitgarderChase,luidis-jepoursignalermaprésence.Jamies’estcassélepoignet.Ilselèved’unbond,paniqué.—Qu’est-cequis’estpassé?Oùest-il?Qui?—Hein?—Jeveuxdire…Comment?Ilal’airauborddel’évanouissement,ilfautqu’ilsedétende.—Jecroisqu’ilesttombé.Ilparaîtquetut’escasséletien,toiaussi,grosdur.Mablaguetombeàl’eau.Ilal’airaussifurieuxquechoqué.—Quit’aditça?—Euh,Chase.Qu’est-cequinevapas?Pourquoiest-ildanscetétat?Ils’avanceversmoi.—Qu’est-cequ’ilt’aracontéd’autre?—Rien,jesoufflesoussonregardperçant.Unautrepas.—Tuessûre?—Arrêtedeflipper.Oui,sûre.—Tusaisquoi?J’enaimarre,fait-ilensedirigeantdanssasalledebains.J’enaimarredevous.
J’enaimarredetesquestionsdébilesetdespleurnicheriesdeTiffani.Là,toutdesuite,jen’enpeuxplus.Ils’accrocheauborddulavabo.—Tut’énervespourrien,dis-jeenm’approchantdeluidanslapièceétriquée.—Faisgaffeàlaporte,leverrouestpété.Ondiraitqu’ilvaarracherlelavabodumur,alorsjeposeunemainsursonbras,maisiltressailleet
s’écarte.—Ilmefautunedose.Il ouvre son armoire à pharmacie et s’empare d’une liasse de billets sur l’étagère du haut. Je
remarqueuntasdeflaconsdepilulesetcachetsétalésunpeupartout.Maiscen’estpasmonproblèmenuméroun.
Jememetsentraversdesoncheminpourbloquerlaporte.—N’ypensemêmepas,j’articule.Ilsepenchecontremajoue.—Eden.Il.Me.Faut.Une.Dose.Toutdesuite.—Parcequelacokevaarrangertoustesproblèmes,c’estça?—Eden.Bougetesjoliespetitesfessesdelàavantquejem’énervepourdebon.JedoisvoirDeclan.—Horsdequestion.Àmon tour d’être furieuse.Comme si la drogue était la solution.C’est pitoyable.Qu’est-ce qu’il
croit?J’aiunproblème,allonsleréglerendétruisantmavie?Ladrogue,çanesertqu’àretarderleproblème.
Ilécrasesapaumecontrelemuràquelquescentimètresdemonoreille.—Tun’asrienàdire!Ce qu’il ignore, c’est que c’est bien moi qui décide, parce que sans s’en douter, il m’a révélé
comment l’en empêcher. Tandis qu’il est occupé àme fixer de son air pincé, j’attrape la porte et larefermesurnousdeux.Jem’appuiedetoutmonpoidsjusqu’àentendreunclic.
24
Unsilencetendus’installedanslaminusculesalledebains.J’ailecœurprêtàimploser.LalumièredesnéonsrévèlechaqueémotionquipassedanslesyeuxvertsdeTyler.Uneétincelledesurprisebrilleaumilieudesonindignation.
—Tudéconnes?Ilchercheenvainunefenêtrequin’existepas,commesifixerassezlongtempslesmursallaitfaire
apparaîtreuneissue.Maisendehorsdecesquatremursetd’uneporteverrouillée,iln’yarien.—Non.Jem’impressionnemoi-mêmed’avoir,enunquartdeseconde,prislabonnedécision,celledenepas
laisserpartirTyler. Jeme fichedeme retrouveraubordde laclaustrophobieetde resterbloquée icipendantdesheures.Peut-êtrequelaseulesolutionpoursortirestdedémonterlesjointsoud’enfoncerlaporte,peut-êtreallons-nousdevoirattendreicitoutelanuitqueledépanneurvienneànotresecours,oupeut-êtrequejem’enfiche,toutsimplement.
Tyler,en revanche,nes’en fichepasdu tout.Sonuniquepréoccupationestdesortird’ici,etcetteportecoincéeestleseulmoyen.Ilmecontournepoursecouerlapoignéeavecvéhémence,envain.
—Laissetomber,jedisenétudiantlesveinesdesesbras.Il tire sur lapoignéeencoreun instant avantd’accepter le faitquece soir, ilneverrapasDeclan
Portwood.Lesdeuxmainssurlanuque,ilobserveleplafondenrespirantprofondémentpoursecalmer.J’aime
safaçondesoupirer,safaçondefermerlesyeux,quandsesépaulesetsapoitrinesesoulèvent.Quandilreprendenfinsesesprits,ilsetourneversmoi,indignéeténervé.
S’ilattenddesexplicationsoudesexcuses,ilpeuttoujourscourir.—Jesuisdésoléedenepasenavoirrienàfaire,jeluidis.Ilvafalloirquetutrouvesunautremoyen
detedistraire.Unealternative.Unequinetetuerapas.Iljetteunnouveaucoupd’œilàlapièceetfinitpartrouversonrefletdanslemiroir.Ilnepeutpas
soutenirtrèslongtempslaflammedanssespropresyeux.—Tuétaisentraindedevenirmadistraction.Maisapparemment,c’estimpossible.Querépondre?Lesmotsneparviennentpasàsortirdemabouche.J’inspireàfondet,quandj’arrive
enfinàarticuler,mavoixestdouce,commesinousrisquionsd’êtreentendus.—Enquoijesuisunedistraction?Illèvelesyeuxavecappréhensionetcherchelaréponse.
—Parcequeturendsleschosesunpeuplusfaciles.Parcequejemeconcentresurtoiaulieudetoutlereste.
Sesparolesmeparalysent.—Alorsn’arrêtepas,jedisd’unevoixtremblante.Sanstropsavoircequejefais,jem’avanceverslui.C’estcequimeparaîtbien.Il respire fort et cligne des yeuxmais ne se retourne pas. Je sais ce qu’il veut. Sa peau est aussi
brûlantequelefeudanssesyeux.—Concentre-toisurmoi,jechuchote.—Alorsdistrais-moi.Délicatement, il saisit ma main sur sa joue et la repousse. Ses doigts glacés contrastent avec la
chaleurdesonvisage.Deuxopposés,commeluietmoi.L’atmosphère est devenuecalme,passéedubruit au silence. Je chuchote, depeurde rompre cette
tranquillitéréconfortante.—Onpeutparler.Onn’ajamaisvraimentparlé.—D’accord.Parlons.Ledoscontrelaportedeladouche,ilglissejusqu’àterre,étendlesjambesetbaisselatête.Àquoi
pense-t-il?Àmoi?—Est-cequ’onpeutparlerdeTiffani?jedemandeaveclaplusgrandeprécaution.Calmement,cette
fois.Laseulementiondesonprénomattiselatension.Uneétrangeétincellepassedanssesyeux.—OK.Àmontour,jem’assoiscontrelaporte,faceàlui,lesgenouxcontrelapoitrine.—Pourquoitunelaquittespas?Tunel’aimespas.Tul’asdittoi-même.Sesyeuxbalayentmonvisage,descendentsurmoncorpspuisremontentàmesyeux.Est-cequ’ilva
medirelavéritéouest-ilentraindegagnerdutempspourtrouverunnouveaumensonge?—Jenepeuxpascasseravecelle.—Pourquoi?Cettehistoirem’agace.Àmoinsqu’elleneluimettelecouteausouslagorge,jenevoispaspourquoi
ilnepourraitpasmettreuntermeàcetterelationinutile,dontilal’airdeseficheréperdument.Ilsefrottelesyeuxetbougonne.—Tiffanisaittrèsbienfairesemblantd’êtrelafillelaplussympadumonde.Maiscen’estpasle
cas.Situlacontraries,ellesetransformeenpsychopathe.Elleensaitbeaucouptropsurmoi.Jenepeuxpasprendrederisque.Dumoinspaspourlemoment.
—Commentça,enpsychopathe?Qu’est-cequ’ellesait?—C’est…Avecuneexpressiondouloureuse,ilplaquesesmainscontrelecarrelage.—Parexemple :en janvierdernier,elleaentendudireque tous lesmardis jedéjeunaisavecune
autre fille. C’était n’importe quoi,mais elle est devenue folle. J’avais passé deux semaines à bossercommeundinguesurunedissertedelittératurepourfairemontermamoyenne,etelleaditauprofquec’étaitellequil’avaitécrite.J’aiétéexclupourtricherie.Lemêmejour,elleaenvoyéune-mailàmamèreensefaisantpasserpoursamèreàelle,pourluidirequ’elles’inquiétaitparcequejefumaisdesjointsdanslesous-soldulycée.Çac’estvrai,maisiln’yaqueTiffaniquilesache.Mamèrenem’apasadressélaparolependantpresqueunmois.Àcemoment-là,jevoulaisquitterTiffani,maisellem’afaitcomprendre que je n’avais pas intérêt. Alors je ne l’ai jamais fait. Rompre n’est pas une optionacceptable.Elleatropd’emprise.
—Qu’est-cequ’ellesaitd’autre,Tyler?
J’essaiedecomprendrecequ’ilmeraconte.D’abord,jen’arrivepasàimaginerTiffanicapabledetoutça,etpuisjemerappellesonregardcematin,quandellem’aditqu’ellesavaitquejementais.Ellem’aterrifiée.Enfait,jecroisTyler.Cettefillealepotentield’unepsychopathe.
Tyleradumalàmeregarderenface.—Tuterappelleslepremierjourdesvacances?Lechangementdesujetmeprenddecourt.—Oui.Monpèremegonflait,lebarbecueétaitpourriettuasdébarquépourmettrelebazar.—Voilà.J’attendsqu’ils’esclaffe,maisrien.Enfait,ilal’airdeplusenplusmalàl’aise.—J’étaissuperénervé.—Pourquoi?JemerappelleavoirsurprisunedisputeavecEllacettenuit-là.Ilavaitl’airfurieuxdèssonarrivée.—J’étaisencolèrecontreTiffani,fait-il,lesyeuxsurlecarrelage.Ilyauntrucquejevoulaisfaire,
j’ypensaisdepuisunmoment,etellel’adécouvertcesoir-là,fait-ild’unevoixéraillée.J’ail’impressionqu’ilnecomptepasmediredequoiilparle,maisdetouteévidence,c’estquelque
chosedontiln’estpasfier.—Elleaditqu’ellen’enparleraitàpersonnedumomentquejerestaisavecellejusqu’àlafindu
lycée.C’estpourçaquejeluiaicolléauxbasquesaudébutdel’été.Tusais,chezAmericanApparel,toutça…
Ilrougit,gêné,maisçam’estégal.Jesuiscontenteque,pourunefois,ilsoitsincèreavecmoi.—Tant qu’elle est satisfaite et que je ne casse pas avec elle, elle ne dira rien, c’est comme ça
qu’ellefonctionne.Eden,ellefaitduchantageauxgenspourqu’ilsaillentdanssonsensetqu’ellepuisseavoir l’aircool.Ellem’aditquequandelleétaitpetite,elleétaitmartyriséeà l’école,doncj’imaginequ’après le divorce de ses parents et son déménagement, elle voulait s’assurer que personne ne luimarchesurlespieds.Elleveutêtremieuxquetoutlemonde.Etm’avoiravecelle,çaflattesonego.C’estpourçaquejesuiscoincédanscettepagaille.Jedétesteça,ajoute-t-ilengrommelant.
—Ehben.C’est toutceque jepeuxdire.Tylerneveutpasdu toutêtreavecelleet ilneditpasçapourme
ménager.Ilestréellementpiégédansunesituationinextricableetjecroisquejen’aifaitqu’empirerleschoses.
—Jenesaispasquoidire.—Jenevaispaslaquitter,dit-ilenmeregardantenfin.Unregardtriste.Jesuisdésoléepourluietjenesaismêmepasquelconseilluidonner.—Dumoinspasencore.C’esttroprisquépourlemoment.—Alorsqu’est-cequ’onvafaire?Jefaisdemonmieuxpourcomprendre legarçonà l’airgraveenfacedemoi.Sousmesfesses, le
carrelagegelén’aplusaucuneimportance.—Personnenedoitavoirdesoupçons.—Surquoi?—Surnous.Ilpasseunemaindanssescheveuxentirantsurlebout.C’estunemaniequ’ila,jecroisqueçale
réconforteunpeu.—Ilfautsecomporternormalementjusqu’àcequ’ontrouveunesolution.C’estaussiuneraisonde
nepascasseravecTiffani.Lesgenssedemanderaientpourquoi.Doncpourlemoment,elledoitresterdanslecoin,parcequeTiffanietmoi,c’estlanorme.
—Maisc’estmaldeluifaireça.
Jemelarappelleenpleurscematin,effondréesouslepoidsdesadouleur.C’estnousquiluiavonsinfligéça,etmêmesiçameparaîtàdesannées-lumière,çanefaitquequelquesheures.Elleestpeut-êtreencoredanslemêmeétat,pendantqueTyleretmoisommesenéquilibresurunelimitequinedevraitpasêtrefranchie.Peut-êtreest-ilpiégédansunerelationforcéeavecTiffani,maisçanenousdonnepasledroitd’agirdanssondos.
—Eden.Parle-moid’autrechose.Parle-moidePortland.Jem’assoisentailleur,mainsjointes,perplexe.—TuveuxquejeteparledePortland?— Je veux que tu me parles de toi, fait-il les yeux vifs et brillants. Dis-moi quelque chose que
personnenesait.Lalueurdesincéritéaumilieudufeudesesyeuxmerévèlequejepeuxluifaireconfiance.Jemets
une bonneminute àme décider. Il n’y a qu’une personne,Amelia, qui connaissemon secret, et ai-jevraimentenviededoublercenombre?Tylerhochelatêtecommepourmeconvaincredesauterd’unefalaise,alorsjecède.
Jedoisinspirerprofondémentplusieursfoispourrassemblermoncourage.Lavérité,c’estquejeneveuxpasadmettrecequisepasse.
—J’adorePortland.C’estgénialdegrandirdanscetteville,jedisavecunsouriretristecommesijemerappelais«lebonvieuxtemps»,commediraientmesgrands-parents.J’avaistroismeilleuresamieslà-bas.Amelia,AlyssaetHolly.
—Avais?—Oui.J’avaistreizeansquandmesparentsontdivorcéetçaaététrèsdur.Mamèrepleuraittoutle
temps, mon père n’était pas là et je ne savais pas quoi faire pour la réconforter, c’était horrible.Vraiment,vraimenthorrible.
Jem’arrêteuninstant.Lesmotssuivantsontdumalàsortir.—Jemesuismiseàmangerbeaucoupparcequej’étaismaletpendantmonannéedetroisième,j’ai
prisdupoids.AlyssaetHollyavaientbeaucoupdechosesàdireàcepropos.Tylerscrutemoncorps,cequimefaitperdremamaigreconfianceenmoi.—Tun’espasgrosse,dit-ilbrutalement,commeagacéquej’aiepulesuggérer.—C’estparcequejecours,Tyler.Ilal’airdevouloirliredansmespensées.Avecprécaution,ilvientseplanterdevantmoi.Sesmains
surmesgenouxmefonttressaillir.—Continue.Ledésirdel’embrasserainterrompulefildemespensées.Jem’efforcedepoursuivre.—Ellesonttoutfaitpourquejemesentemal.C’estlavérité.AlyssaetHollym’onttraitéedelapiremanièrependantunan,lançantdesremarques
narquoises dans chaque conversation.C’est à cause d’elles que jeme suis retrouvée dans une spiraleinfernale.
—Deuxdemesprétenduesmeilleuresamiesmetraitaientdegrossetouslesjours,alorsjemesuismiseàcourir.Jeneleurparleplus,maisellescontinuentàcracherdansmondos,apparemment.C’estdifficileparcequeAmelia,elle…elleesttoujoursamieavecelles.Pourtantellem’atoujourssoutenue.
—Eden,fait-ilpourattirermonattention.C’estpourçaquetudistoujoursquetun’aspasfaim?Jesuisébahiequ’ils’intéresseautantàmoi.Mêmemonpèren’apasremarqué.Maisbon,luic’est
normal,ilatoujoursétéégoïste.—Tut’enesrenducompte?—Seulementmaintenant.Sesdoigtsparcourentmescuisses.
—Pour info, jene suispasdu toutd’accordavecces filles.Et je suisdésoléqu’elles t’aient faitsubirça.
Latêtetoujoursbaisséetandisqu’ilcontinueàtracerdesdessinssurmescuisses,ilmeregardeparendessousavectantd’intensitéquejesuccombeàlasensationdesapeaucontrelamienne.
Ildoitsentirmesépaulesserelâcher,ildoitsentirmoncorpsentiersedétendreàsoncontact,etildoitpartagermespensées,parcequesesdoigtss’arrêtent,sesmainssaisissentmescuisses,ilsepencheenavantetm’embrasseavecfougue.
Je ne sais pas pourquoi j’adore qu’il domine la situation. Il fait tout le boulot pendant que jemelaisse aller à l’extase et au flot d’adrénaline. Je commence à m’habituer à la façon dont ses lèvress’emboîtentdanslesmiennes.Mesbrassejettentd’eux-mêmesautourdesoncouetjesouriscontreluiaumilieudubaiser.J’aimequecettesensationcommenceàêtrefamilière.
Auboutdequelquessecondes,sesmainsdesserrentmescuissespours’aventurerailleurs,dansunendroitnouveauetrisqué.Lebaiserralentitalorsqu’ilcaressel’ourletdemachemise,dansl’attentedemaprotestation.Maisjeneveuxpasqu’ils’arrête.Jeresserremesbrasautourdesoncouetl’embrassedeplusbelle.
Ilsaisit lemessage.Ilm’enlacepar la taillesousmonvêtementetsamainremonteàmonsoutien-gorge,laissantmoncorpsfrissonnantd’excitation.Jenesaispascommentilfaitmaissoudain,samainglissesous ladentelleetsaisitmonseind’unmouvementagile. Ils’écarteun instantpourmeregarderdanslesyeux,avantd’embrasserlalignedemamâchoire.Sonpoucecaressemonsein,sapeauestfroideetpourtantexaltante.Bientôt, sonautremain rejoint lapremièreet jecommenceàm’inquiéterdemonapparence.Lesyeuxmi-clos,j’observeleplafondenlaissantTylerembrassermoncouetcaressermesseins.Jen’aijamaiseubeaucoupdechancedececôté-là,surtoutcomparéeàTiffani.J’ail’impressionparanoïaquequ’ilvapoufferàtoutmoment.Maisçan’arrivepas.
Soudain,Tylerpousseunsoupirquimepicotelanuque.J’attireànouveausonvisageverslemien,nosregardssecroisentavantquenosbouchesserencontrent.Nousretenonsnotresouffle,incapablesdecontenirlessouriresquipointentaucoindenoslèvres.
Nousnedevrionspasêtreentraindenousembrassersur lesoldesasalledebains,sesmainsnedevraientpassebaladersurmoncorps,etjenedevraispasadorerça.
Lanaturescandaleusedenosactesnefaitquelesrendreplusexcitants.Etçan’enaqueplusdevaleur.
25
Tyleretmoisortonsdenotreconfinementdanslasalledebainsdeuxheuresplustard.Nosparentsnesontrevenusavecunfilsaupoignetfracturéquepourentrouverundeuxièmequiattenddésespérémentleur retour en se demandant pourquoi on l’a laissé seul.Ella, furieuse, pensait que j’avais failli àmamissiondebaby-sitteretdisparu.Maisilsontfiniparnousdécouvrirau-dessusdeleurstêtes.Ilafalluracontern’importequoipournousensortir.
—Jenesaispascequis’estpassé,ai-jementiàtraverslaporte.—Moinonplus,aajoutéTyler.—J’allaislechercheretj’aitrébuchécontrelaporte.Encoreunmensonge.Àmescôtés,Tylerréprimeunfourire.Papa a appelé M. Forbe, le dépanneur du quartier, qui se fichait pas mal de son service client
puisqu’il ne s’est pointé à la porte qu’au bout de quarante minutes. Trente dollars et beaucoup demanœuvrespourdéverrouillerlaserrureplustard,noussommesenfinsortis,penauds.
Nousnenoussommesplusparléde lasoirée.Pasparceque jenevoulaispas,maisparcequ’ilapasséplusd’uneheureautéléphoneavecTiffani.Àtraverslemurfincommedupapierdenoschambres,je l’entendais s’efforcer deprendreunevoixdoucepour la supplier de lui pardonner son« erreur deparcours»,qui«estarrivéesuruncoupdetête»etqu’il«n’avaitabsolumentpasprévue».Mensongeaprès mensonge il a fabriqué une histoire à propos d’une fille de seconde d’Inglewood qu’il avaitrencontrée en allant voir ses potes et qui voulait voir sa voiture. Et cette gamine de quinze ans avaitterminésursesgenoux.Légèrementtiréparlescheveux,maisTiffaniagobé.Ilavaitl’airsicontritquej’aifaillidéfoncerlemurpourluidemanderàquoiiljouait.Maisjemesuisrappeléquecetteseconded’Inglewood,c’étaitmoi.
Résultat,hiersoir jemesuiscouchéepartagée.Unemoitiédematêtesenoyaitdanslaculpabilitétandisquel’autreflottait,dangereusementamoureusedeTyleretdessecretsenfouisenlui.
Parcequ’ilsembleraitquej’aieréussiàdevenirl’und’entreeux.
—Etc’estpourçaquelesAnglaissontbeaucoupmieuxquetouscescrétinsd’Américains,annoncefinalementRachael,aprèsundiscourscomparatifdecinqminutessurlesdeuxnationalités.
D’après elle, lesBritanniquesont des accentsmignons, utilisent desmotsmignons et sont, sommetoute,mignons.C’estsonargumentdechoc.
PourMeghan,lesmeilleurssontlesFrançais,parcequ’ilsvousembrassentsurlatourEiffeletvousmurmurentdes«jet’aime1»enpartageantunebouteilledevin.
Malgré ces fantasmes de copains européens parfaitement clichés, jem’esclaffe.Nous sortons toutjusteduRefineryetjeresteunpeuenretrait,àobserverleslignesdutrottoir,lattebrûlantenmain.
Rachaelseretourneavecimpatience.—Eden,c’esttoiquitranches:BritanniquesouFrançais?Elles me regardent toutes les deux comme si j’allais annoncer le vainqueur de l’élection
présidentielle.Jehausselesépaules.—Français.Dégoûtée,Rachaeltournelestalonsets’éloigned’unpasthéâtral.Meghanmeconfirmequej’aifait
lebonchoixetnousrattraponsnotreamiequisembles’enremettre,finalement.—OndoitattendreTiffàBroadway,nousrappelle-t-ellequandnoustournonssurlapromenade,à
l’angledeThirdStreet.Ildoitfaireaumoinscentcinquantedegrésaujourd’huietdestasdegenssontdesortieshopping.Je
ne saispasoùestBroadwayalors jemecontentede les suivredansThirdStreet.Chaque foisque jeviens ici, je remarquedenouveauxmagasins,commeRipCurl,et Johnnie’sNewYorkPizzeria,quial’airadorableavecsondécoritalienetquimerappelleDean.
Rachaels’arrêtedevantlavitrined’unH&Metremonteseslunettesdesoleilsursatête.—Tropmignonnecettechemise,commente-t-elle.Puisellerechausseses lunettesetseremetenroute,Meghanetmoisurses talons.Ondiraitqu’en
l’absencedeTiffani,c’estRachaelquidevientautomatiquementlameneusedugroupe.Çanedurerapaslongtemps,puisqueTiffaninevapastarder.
Lapromenade se termine surSantaMonicaPlace,uncentrecommercialhautdegamme remplideboutiquesdecréateursoùlesfillesm’ontdéjàamenéeplusieursfois.NousdépassonsNordstrometnousnousattardonsàl’angledeBroadwayetdeSecond.Meghanseplaquecontrelesvitrinesdumagasin,lesyeux plissés sous le soleil et Rachael, bras croisés, tape du pied en examinant la circulation. Je medemandeuninstantcequ’ellecherche,maisj’aibientôtmaréponse.
Auboutdequelquesminutes,elleseredresse.Del’autrecôtédelarue,unevoitureblanche,vitresbaissées, vient de segarer.Tyler. Jemecrispe.La tension entrenous est si forte qu’ilm’est presqueinsupportabledemetrouverprèsdelui,surtoutsousleregardvigilantdenosamis.
—Pourquoiellesourit?demandeMeghan,unemainsurlatête,entreRachaeletmoi.—Parcequ’elleestcinglée,répondRachael.Frustrée,jeserrelesdents.Tiffaniestsurlesiègepassager.LapremièrechosequeTylerm’aitdite
cematinquandjemesuisréveilléec’estqu’ilallaitlavoir,alorscen’estpasunesurprise.Ilsrestentunmomentàdiscuterdansl’intimitédelavoiture.Tylerarboreuneexpressionperplexe
tandisqueTiffani,dosànous, remue lesmainsenparlant.Si seulement jepouvais lesentendre. Il luiadresseunsourirefauxetellesepenchepourl’embrasser.
—Elleestcinglée!s’exclameRachael,attirant l’attentiondespassantsautour.C’estvraimentunemaladementale!
JepenselamêmechosedeTylermaisjemegardebiendeledireàvoixhaute.Ungenrededéclicseproduitenmoi,permettantàunevaguederagedesedéverserdansmesveines.
Cen’estpasdelajalousie,jenesuispasjalouse.Maissi.Jemanqued’écrasermongobeletentremesdoigts.Lecouverclesauteparterre,laissants’échapperunedélicatevolutedefumée.
Pourfinir,TylerrepousseTiffani.Ellegloussecommeunepré-adoenchaleur,commesielleétaitànouveau amoureuse de lui. C’est ce qui m’énerve le plus. Elle devrait le haïr. Ils ne devraient pas
arrangerleschosesetêtreencoreensemble,maisc’est toutl’inverse.QuandTiffanisortdelavoiture,elleseprécipiteversnous,unsourirejusqu’auxoreilles.
Jecontinuedeboiremon latte, tropabsorbéeparmongobeletpourdirequoiquecesoit.Mais jeremarquequeTyleresttoujourslà.Ilm’asûrementvue,luiaussi.Ilmesouritderrièrelepare-brise.Unsourire d’excuse sincère, comme s’il était content de me voir. Je me prends à sourire à mon tour,interrompueparTiffaniquiarrivedemoncôtédutrottoir.
RachaeljettesongobeletàlapoubellepourmontreràTiffaniàquelpointelleestscandalisée.—C’estquoitonproblème?Derrière Tiffani, la voiture de Tyler se remet à vrombir, sous les regards béats des admirateurs.
Tiffani, en revanche, est toujours là. Son sourire continue de s’élargir et moi je continue à siroterinnocemmentmonlatte.Maisjesuisloind’êtreinnocente.Enfait,jesuislapersonnelapluscoupableàdeskilomètresàlarondeetjen’aiplusdecafédansmongobeletdepuisaumoinsvingtsecondes.
—Quoi?faitTiffani,enouvrantdegrandsyeux.—Ça!s’écrieRachael.Jen’arrivepasàcroirequetuluiaiespardonnécommeça!Le sourire de Tiffani se transforme enmoue boudeuse. Elle nous regarde sous ses longs cils. Le
contrasteavecseslitresdelarmesdelaveilleestsaisissant.—Ils’estexpliqué,Rachael.—Ettoitucroisàsesconneries?—C’estpasdesconneries.—Quandest-ceque tuasachetéce sac,Tiffani, intervientMeghan, soupçonneuse. Il estnouveau,
non?C’estunsacencuirmarronbrillant,frappédumonogrammeVuitton.—Ehbien…,commence-t-elle,penaude.C’estTylerquimel’aacheté.—C’est bien ceque je pensais, rétorqueMeghan.Maintenant on sait qu’il suffit d’un sac àmille
dollarspouracheterlepardondeTiffaniParkinson.Cettedernièreritàgorgedéployée,maispasmoi.Jemordsmongobeletpourm’empêcherdedire
unebêtise,sifortquejelepercequasiment.—Ilauraitpufairedondecetargentauxbonnesœuvres,commenteRachael.Jesuisd’accordavecelle.Lessans-abrisferaientmeilleurusagedecetargentqueTiffaniavecson
sacencuir.—Onsavaittousquetuallaisluipardonnertôtoutard.—EttoituauraispuarrêterdetetaperTrevorilyasixmois,rétorqueTiffani.Onsavaittousquetu
allaiscraquerpourlui.Meghanétouffeunrire.Pendantuninstant,Rachaelrestebouchebéeetsembleavoiroubliécomment
fairedesphrases.Jepensequ’elleestfurieuse,maisellesecontentedepousserunsoupir.—Trèsbien,souffle-t-elle,tupeuxpardonneràTyler.—Mercipourtonaccord.Bon,est-cequ’onpeutalleraucentrecommercialmaintenant?Jetuerais
pourunsundaeJohnnyRockets!Jem’impressionned’avoirréussiàtenirmalanguejusqu’àmaintenant.Jefinisparjetermongobelet
tandisquenousretournonssurnospas.—Dépêche,Eden,appelleMeghanquim’attendàl’entréeducentrecommercial.Jem’exécuteàcontrecœur.SantaMonicaPlaceestunendroitdestinéauxriches.Pasdifficiledes’en
rendrecompte,iln’yaqu’àvoirtouscesgensravisdedilapiderleurfortune.Del’hommeencostumedevant la vitrineHugoBoss à la femmeen robe élégante et talonsqui lorgne sur unemontreMichaelKors,tousontdel’argentàdépenser.Tylernefaitpasexception.
Santa Monica Place est un centre commercial en extérieur, constitué de quatre grandes ruesconvergeantversuneplaceovaleentouréedemagasinsglamour.Jenemesenspasàmaplacedanscet
endroitcomplexe,uniqueetmoderne.Nousempruntonsl’escalatorpouratteindreledernierétageoùnousattenduneterrasseouverte,etnousnousmettonsdanslaqueueduJohnnyRockets.Encoreunechaînedefast-foodsquin’existepasdansl’Oregon,parcequeapparemment,iln’yariendansl’Oregonàpartlapluie.Onn’estjamaisàcourtdepluielà-bas.
TiffanicommandeuntrucappeléSuperSundae,MeghanetRachelunPerfectBrownieSundae,tandisquej’optepourdel’eau,toutsimplement.
—Lesgarçonsnousrejoignent,faitTiffanisansleverlesyeuxdesontéléphone.Elleenvoiedestextosenengloutissantsaglace.—Ilsontenfindécidécequ’onfaitsamedi.—Yaquoi,samedi?Cesontmespremièresparolesdepuisquej’aidécidéquelesFrançaisétaientmieuxquelesAnglais.Tiffanirelèvelatêteetm’observeunlongmomentavantderegardersescopines.—Elleestsérieuse?—Lasoiréeplagedel’année,ditRachaelendécrivantdescerclesavecsacuillère.LAfêtedel’été.—Oh.J’avaleunegrandegorgéedemoneau.—Ilsontunpermispourprivatiserlamoitiédelaplage.Jen’enaipasgrand-choseàfaireetjenesaispasdequielleparle,maisellecontinue.—C’estcenséêtreinterditauxmoinsdevingtetunans,mais,tusais…toutlemondeyva.Iln’ya
pasdeportesàlaplage,lesvigilesnepeuventpascontrôler.—Desvigiles?—Ilyapasmaldebagarres,enchaîneTiffani.Etonnepeutpasboirelà-bas,vuquec’estunlieu
public.Saufsituveuxtefairearrêter,commebeaucoup.—Donc,reprendRachael,ilfautboireavantd’yaller.Pasêtrecomplètementbourrée,hein,sinontu
risquesd’attirerl’attentionetdetefairevirerparcequetuesmineure.Tiffanireposesonportablepourattirersonsundaeàelleetmelanceunregardbizarre.—Jenecroispasqu’Edennousposeradeproblèmesdececôté-là.—C’est-à-dire?Rachaeletellepouffent.—C’estjustequetun’espasfranchement…,commence-t-elleavecunrictus.—Pasfranchementquoi,Tiffani?Unmilliarddemotsmepassentparlatête.Pasfranchementcool?populaire?sociable?jolie?En
d’autrestermes,pasfranchementcommeelles?—Imprudente,dit-elleenavalantunecuillerée.Imprudente?Moi,jenesuispasimprudente?Unpeupluset j’imitelesgloussementsdeMeghan.
Oh,Tiffani,jepeuxt’assurerquejesuissacrément«imprudente».Siellessavaient.—Oùétais-tumardisoir?demandeTiffanidevantmonsilence.—Mardi?J’étaisavecTylersurlajetée.Ellesaitparfaitementquejen’étaispasavecMeghan.—Oui,mardi.Pourquoimeredemande-t-elle?Elleveutmeprendrelamaindanslesac,commesielleespéraitque
jecrachelavéritél’airderien,devanttoutlemonde.Rachaelmefixeaussi.Lapressions’accentue.J’ailesmainsmoites.Meghanglousseànouveauetje
commence àme demander si Johnny Rockets n’aurait pas glissé quelques grammes d’herbe dans sonbrownie.Elleestmortederire.
—Oùest-cequetuesalléeenvrai?insisteTiffani.—Ohnon!s’écrieRachaelensepenchantpar-dessuslatable.TuétaisavecJake!
—C’estcequejepensaisaussi,faitTiffani.Soulagement.C’étaitdoncça.Moiquivivaisdanslaterreurqu’elleait toutdécouvert…Maiselle
n’yestpasdutout.—Peut-être,dis-jeavecunpetitsourire.Jedétournelesyeux.Mieuxvautqu’ellespensentquej’étaisavecJakeplutôtqu’avecTyler.Rachaelestprêteàsejeterpar-dessuslatable.Ellesecouelatête,incrédule.Jenepeuxpasluien
vouloir,moinonplusjen’ycroiraispas.—Vousêtesallésaubout?Raconte,Eden!Meghans’esclaffeetnousnoustournonsverselle,interdites.Ellefinitparfermerlesyeuxenmurmurantuneexcuse.Jenem’étaispasaperçuequependanttoutce
temps,elleenvoyaitdesSMS.—Maispourquoiturisàlafin,Meg?faitTiffani,pincée.—Désolée.J’écrisàJared.Ilestvraimenttropmarrant.—C’estqui,ça,Jared?—LetypedePasadena:celuidelaplage.Ilvientavecsespotessamedi.—Maparole,Edenettoivousêtesvraimentdébiles,faitRachaelenlevantlesyeuxauciel.Vous
parlezàdesmecsetpasunedevousnepenseànousraconter?—Tunenousas jamaisrienditsurTrevor, la taquineTiffani.Onne l’adécouvertqueparceque
MegesttombéesurvousdansunechambrechezJason,l’annéedernière.—Laissetomber,souffleRachaelavecundemi-sourire.Lesgarçonsdébarquentunpeuplustard,àmongrandsoulagement.Çafaituncertaintempsquenous
écoutonsMeghannousfairelalistedecequ’elletrouvehilarantchezJaredetellecommenceàradoter.Je remarquequeDean s’est placé entreTyler et Jake. Je ne comprends toujours pas comment ces
deux-làpeuventêtreamis,puisqu’ilssedétestent.Ilsarriventnéanmoinsàsecomporternormalement.Ilstirentdeschaisesjusqu’ànousetTylers’installeprèsdeTiffani,maispastropprès.Ilnecroisejamaismonregard.
—Alorspoursamedi,commenceJake,onadécidéd’allerchezDeanavantlafête.— Une fête avant la fête, ajoute Dean en nous scrutant pour voir si nous sommes partantes. On
s’occupedel’alcool.—Vous,lesfilles,vousessayezdevousfairebelles,termineJake,contentdelui.Rachaelluibalancesacuillèreàlafigure,qu’ilesquived’uncentimètre.—Abruti,murmure-t-elle.—Tusaisquejerigole,bébé.—Nem’appellepascommeça!Jerestemuettependantqu’ilssechamaillent.D’unepart,jesuisgênéequelesfillescroientquej’ai
couchéavecJakeilyadeuxjours,etsurtout,jefaisdemonmieuxpourn’avoirl’airderienavecTylerdanslecoin.Tropderegardsdeviendraitsuspect,aucunsoulèveraitdesquestions.Aprèstout,c’estmondemi-frère.Jeluijetteunœildetempsentempsenespérantqu’ilfassedemême,maisçanefonctionnepas.Ilesttropoccupéàfixerlatable,figé,pendantqueTiffaniluicaresselebras.Ellen’apasl’airdes’enrendrecompte.Elleluiattrapelementonpourl’embrasser,maisils’écarteetelleneréussitqu’àluifaireunbisousurlajoue.Aprèsquoiilbaisselatêtesansjamaislarelever.
JecherchedusoutienauprèsdeMeghanquiestretournéeàsesSMShilarantsavecJared.Lesgensdecegroupem’agacenttousautantqu’ilssont,saufDean.Ilsembleaussiexcluquemoi.
—Ilssonttarés,articule-t-il.Jemerappellelebilletdecinqdollarsqu’ilagriffonné,maislavoixdeRachaelinterromptlefilde
mespensées.—Eden,tudevraisallertebaladeravecJake,m’encourage-t-elle.Allez,lestourtereaux!
Perplexe,Jakesemblesurlepointdedemandercequisepasse.Finalement,ilselèveetmefaitsigneendésignantl’escalator.
—Eden?Rachaelest rayonnante,Dean, légèrementexcédé,etTyler lèveenfin la tête. Ilme lanceunregard
noir.—Onrevient,jemarmonneavantdelesuivresansattendreleurréponse.Lesmainsdanslespoches,Jakes’appuiecontrelarampedel’escalator.—Alors,çava?—Oui,oui.Jen’aipasspécialementenviedeluiparler,surtoutaprèsavoirignorésesmessagesdepuispasmal
de temps. J’espéraisqu’il allait laisser tomber.Nousne serionspasdanscette situationgênante si telavaitétélecas.
—Çafaitlongtempsqu’onnes’estpasvus,jeluidis.—M’enparlepas.—J’aiétéassezprise.—J’avaiscompris.La tensionestpalpable.Nousnousbaladons le longde la rambardedeverrequiborde l’étageen
regardantlesgensfourmillerentrelesmagasinsenbas.Brascroisés,Jakes’appuiecontrelerebord.Jefaiscourirmesdoigtssurlemétal.
—Tusaisquejerentrechezmoilemoisprochain,n’est-cepas?jedisenluijetantuncoupd’œilencoin.
Ilnemeregardepas.Cen’estpastoutàfaitcequeRachaelavaitentêtequandellenousaenvoyésfaireuntourensemble,maisc’estl’occasionrêvéedemettrelespointssurlesI.
—Oui,jesais.Faitesqu’ilneprennepasmalcequejevaisdire.—Bon.Doncpeut-êtrequ’onpourraitsimplementêtreamis?Ilhausselesépaules,concentrésurungroupedefillesplusbas.Jemedemandes’illesconnaît.—Comme tuveux,Eden.De toute façon iln’yaurait jamais rieneudesérieux.C’était justepour
passerdubontemps,situvoiscequejeveuxdire.Jem’écartedelarambarde,incrédule.—Ahd’accord.—Quoi?fait-ilcommesiderienn’était.Jecroyaisquetulesavais.Tyleravaitraisonsursoncompte.«Unpeudebontemps»,c’estàçaquemarcheJake.—C’estlecas.Maisjen’ycroyaispasjusqu’àmaintenant.Pourquoisuis-jeencolère?Jedevraisplutôtêtreraviedemedébarrasserdelui,etencoreplusqu’il
nesevexepas.Detoutefaçonjenecroispasm’êtrejamaisimaginéeaveclui.Nousnesommesqu’amis.Sanslesfameuxbénéficesauquelilcroitavoirdroit.
—D’accord,tantmieux.Tum’asoffertunChick-fil-A,alorsmerci.—Parfait,dit-ilenriant.Le truc avec Jake, c’est qu’il a l’air d’être quelqu’un de bien,mais jemedemande s’il n’est pas
complètementdifférentquandleschosesnevontpascommeilvoudrait.Comme jene saispasquoi répondreetqu’il sembleavoir finideparler, jedécidede retournerà
l’escalator.Ilmesuitjusqu’àlaterrasse.D’unemanièreoud’uneautre,Tiffaniaréussiàmontersurlesgenoux de Tyler.On peut dire qu’elle sait passer l’éponge. Lesmains enfoncées dans les poches, levisagevidedetouteexpression,Tylernepartagepassonenthousiasme.
Rachaelsoulèveunsourcilinterrogateurquejeprétendsnepasremarquerenattrapantmabouteilled’eau.TiffanisedésolidarisedeTyleretnousfinissonsparavoirenfinunevraieconversationdegroupe
ausujetdelasoiréedesamedi,quelalcoolacheteretquiseraàlaplage.Jemecontentedesecouerlatêtedetempsentempsetd’appuyercequeditRachaelenespérantfaireillusion.
Cesoir-là,deretouràDeidreAvenue,j’aipasséledîneràtriturerlegratindepâtesd’Ellapuisjesuisalléecourir,avantdem’effondrerdansmonlit.
Je ne sais plus trop,mais je suis quasiment sûre qu’avant dem’endormir, je pensais à Tyler.Dumoinsc’estàluiquejepensaispendantquejecourais.Impossibledemelesortirdelatêtedetoutelajournée.Quand il s’estgaré aucentre commercial avecTiffani et sonnouveau sacqui lui a coûtéunefortune.Quandill’aembrasséecommes’ilnem’avaitpasembrasséelaveille.Quandilm’asouriaprès.Safaçondetoutgardersecret,denousgardersecrets.Jen’arrêtaispasd’ypenser.
Jemeréveilled’uncoupdansmachambreplongéedansl’obscurité.Lesyeuxmi-clos,jeregardelemur tandis que derrière moi, la porte grince. C’est ce qui m’a réveillée. Je grommelle sous macouverture.
—Tudors?Tyler.Maportesereferme.Plusmaintenant,c’estsûr.Jenebougepasd’unpouce.Sespasétouffésavancentsurletapis.—Non,jechuchote.Quelleheureest-il?—3heures.Jel’entendssoufflerderrièremoietsoudain,macouverturesesoulèveetilseglissedansmonlit.—Jepeuxdormiravectoi?Mespaupièreslourdesserefermentmaisj’esquisseunsourirefatigué.Commejenerépondspastout
desuite,ilsemetàbalbutier.—Enfin,paspourcoucheravectoi,justedormir,enfintusais,dormir,quoi.Sonhaleinemechatouillelanuquemaissoncorpsnetouchepaslemien.—Jesais,jedis.Le silence retombe. Je n’entends que nos deux respirations désynchronisées. Quand j’inspire, il
expire,c’estpresqueunrythmejusqu’àcequesonsouffleralentisse.C’estàcemomentquejesenssapeaunueet tièdecontremondos,sontorsemusclémaisconfortable,ses longsdoigtssurmonbras.Jefrissonne.
—JesuisdésolépourTiffani,medit-ilàl’oreille,enpassantunemaindansmescheveux.—Pasautantquemoi.—Laisse-moiletempsd’arrangerça,supplie-t-il.J’essaiedetoutarranger.—Toutquoi?—Eden,aucasoùtun’auraispasremarqué,jefaisvraimentn’importequoi.Ils’écartepoursetournerdel’autrecôté,alorsjedétachelesyeuxdumuretjemetourneàmontour.J’observeletatouagesursonomoplateetjeposeundoigtdessus.—Jediraisplutôtquetuesperdu.—Commentça?—Oui,jecroisquetuespaumé.—Qu’est-cequitefaitcroireça?Jetracesontatouagejusqu’aubasdesondosavantderemontersurl’autreépaule.Unbrasautourdelui,jefermelesyeux.—Parcequetun’asaucuneidéedecequetufaisnid’oùtuvas,jechuchote.Quelquesinstantsplustard,jemerendors.Età7heuresdumatin,iladisparu.
26
—Jesuistropcontente!couineRachaeldepuissondressing.Noussommessamedisoiretjel’entendsfairecrisserlescintresavantdedéboulerdanssachambre
ensoutien-gorgesansbretelles,untasdehautsàlamain.—Bonalors,lequel?Jemeredressesurlescoudes,allongéesursonlit,tandisqu’ellemelesprésenteunàun.—Leblanc.—Tuasraison!fait-elleaprèsuninstantderéflexion.Elle balance le reste des vêtements en tas dans un coin de sa chambre avant d’enfiler le tee-shirt
blanc.Ils’accordeparfaitementaveclalonguejuperougecerisepourlaquelleelleamisvingtminutesàsedécider.
—Tuessûrequeçava,cettetenue?Je porte une jupe patineuse vert pâle et un bustier blanc qui, avouons-le, rend ma poitrine plus
impressionnantequ’ellene l’esten réalité. J’aiempilédes tasdebraceletsàmonpoignet,mais jemesensencoreunpeutropcommune.
—C’estunefêtesurlaplage,articuleRachaelcommesielleparlaitàunegaminedetroisans.Tuessupersexy.J’adorecehaut,dit-elle,affairéeàenfilerdessandalesmarron.
—C’estparcequec’estletien.Je souris tout de même. Peut-être, pour une fois, suis-je sexy, et peut-être que j’aime ça. J’ai
l’impressiondefairepartiedugroupe.Rachael se relève pour s’admirer dans le miroir sous toutes les coutures. Je lui dis qu’elle est
magnifiquemaiselleéclipsemoncomplimentenrougissant.—Onvaêtre lesdernièresarrivéeschezDean,dit-elleaprèssa troisièmecouchedegloss.Tues
prête?—Rachael,jesuisprêtedepuistrenteminutes.—Pasfaux.Ellesaisitsapochettemarronpuisseprécipitesurmoipourmetirerhorsdulit.— Souviens-toi, dit-elle d’un ton grave, bois le plus possible chez Dean, parce qu’une fois à la
plage,c’estterminé.Plusd’alcool.L’idéed’uneduréelimitéepours’alcoolisersemblelapaniquer.—Pigé.
J’enfilemes baskets, jettemon sweat gris surmes épaules : jeme tiens prête à affronter la brisemarine.
—Allons-y.Danslacuisine,Dawn,entrainderangerlescourses,nouslanceunregarddésapprobateur.—Maman,minaudeRachaelentripotantsescheveux,tupeuxnousemmenerchezDean?—Rachael,tusaisquejeneveuxpasquetuaillesàcettesoirée.Tun’asmêmepasl’âge.—MaisMaman!Toutlemondeyva.Tuveuxquejepassepourunenulle?C’estcequejesuispour
toi?Unenulle?Sestalentsd’actricemefontrire.Dawnsemblesedemandersielledoitêtreunemamancoolouune
mamanstrict.Elledoitopterpourlapremièreoptionpuisqu’ellepousseunsoupirvaincu.—Neboispastrop.Toinonplus,Eden.Tesparentssaventquetuboisdel’alcool?—Mesparentssontdivorcés,dis-je,impassible.Rachael rit aux éclatsmaisDawn se décompose.Elle ne pose plus de questions et heureusement,
sinonjeseraisforcéedeluidirequeoui,monpèreetEllasontaucourantquejevaisàunesoiréepouringurgiterautantd’alcoolquejepeux.Enfait,ilsmecroientaucinéma.
Elles’essuiesursonpantalonpuisposeunemainsursonfront,commepoursoulagerlemaldecrânequenousluiavonsdonné.
—Attendez-moiàlavoiture.Jevaischercherlesclés.Nousnousprécipitonsdehorsavantqu’ellenechanged’avis.Rachael enprofitepourvérifier son
maquillagedanslerétroviseur.Del’autrecôtédelarue,lavoituredeTyleresttoujourslà.Est-cequ’ilestentraindesepréparer,avecceparfumBentleydébilequeTiffaniaimetant?Jegrincedesdentsetme tourne vers mon reflet dans la vitre de la voiture. Rachael a fait du bon boulot : je suis si bienmaquilléequej’aidumalàmereconnaître.
—Lecoupdudivorce,c’étaitparfait,faitRachaelpar-dessuslavoiture.—Jevaisl’utiliserplussouvent.Dawnarriveàreculons.Quandnoussortonsdel’allée,jecommenceàmesentirnerveuse.Bizarre.
Je suis déjà allée à pas mal de soirées depuis mon arrivée pourtant, ce soir, j’ai une appréhensionparticulière.Peut-êtreparcequec’estungrosévénement,oupeut-êtreparcequenoussommesmineuresetquenousallonsessayerdenousincrusterparmidesadultes.Oualors:j’yserai,TyleryseraetTiffaniaussi.C’estça.
Letrajetneprendquecinqminutes.Unefoisdevantlamaison,jem’aperçoisquejenesuisjamaisalléechezDean.Jenesavaismêmepasqu’ilétaitduquartier.Savoituregaréedevantmefaitrepenseràl’histoiredel’essence.DawnseretourneversRachael,inquiète.
—S’ilteplaît,netesaoulepas.Tuasencorequatreansavantd’avoirvingtetunans,alorsestime-toiheureusequejetelaisseyaller.Soisresponsable.
—Jesais,Maman,faitRachaelavecunsoupirthéâtral.—Toiaussi,Eden,soisprudente.—Merci,dis-je,presquesarcastique.Uninstant,j’aipeurqu’ellenemetrouveinsolente.Finalement,Rachaelsortetjelasuisenfaisant
signeàsamère.—Mamèrecrainttrop,s’excuseRachael.Jenetrouvepas.Mamèreauraiteulamêmeréaction.—Ellemefaitlemêmecinémachaquefoisquejesors.Commesiellevoulaitmefaireculpabiliser.Ellemetirelalangueparcequejerissouscape.Arrivéesousleporche,j’ailesmainsquitremblent.
Lamusiqueetlesriresrésonnentàl’intérieur.—Jefrappe?—Hein?Maparole,Eden…Allez,entre.
Sansattendrequejeposed’autresquestionscrétines,elleouvrelaporteavecunsourireradieux.Nous entrons directement dans le salon ; la cuisine est en face de nous. Dans la musique
assourdissante, je scrute la pièce pour savoir qui est déjà là. Tout lemonde, on dirait.Rachael avaitraison:noussommeslesdernières.Autourdel’îlotdelacuisine,legroupemarqueunepause.Ilssontentraindesefairedesshots.
—Ilétaittemps!s’écrieJaketandisqueDeanlescontournepournousrejoindre.Unverredanschaquemain,Meghanparvientànoussourireentrechaquegorgée.Jakeestavecdeux
typesquejen’aijamaisvus.Jemedemandecequ’ilsfontici.—Allezlesfilles,prenezlerythme!faitDeanavecsabière.—Net’enfaispaspournous.Onboitvite,rétorqueRachael.Jesuissurlepointd’objecter.SiRachaelauntrucàreteniràmonsujetcetété,c’estquejesuisune
trèsmauvaisebuveuse.Jetrouvequel’alcoolamauvaisgoûtetboirevitem’estquasimentimpossible.Laplupartdutemps,j’aidumalàl’avalersansavoirunhaut-le-cœur.
—Oui,onboitsupervite,j’ajoute.Deanlèveunsourcilperplexe.—Onallaitjoueràlaroulette.Nouslesuivonsjusqu’auplateauderoulette.Lesverresontl’airdégoûtants.Ilscontiennenttousune
mixturedifférente.—Eden,jecroisquetuneconnaispaslesgarçons,faitDeanenmetendantunebouteilledebièreaux
agrumes.Heureusementqu’ilnem’arienproposédeplusfort.Ildésignelesdeuxinconnusquilèventlatête
pourme saluer. Il y a un grand, plus grand queTyler, qui a l’air d’en vouloir à tout lemonde et quipourrait tousnousaplatird’uncoup.L’autre,plus râblé,porteunecasquette surune touffedecheveuxbruns.
—C’estJackson,m’informeDean.Etlegrand,c’estTJ.—Çava?faitTJ,avantdereprendresaconversation.— Ils sont dans l’équipe. Jackson estwide receiver et TJ cornerback. Tu savais que je joue au
footballaméricain?Jesuislinebacker.Milieu,pourêtreexact.Tuaimeslefoot?C’estlapremièrefoisquejel’entendsprononcerautantdemots.Enfin,balbutier,plutôt.Ilenchaîne
lesphrasessanss’arrêter.—Dean,tuboisdepuiscombiendetemps?Illèvetroisdoigts,penaud.—Troisheures?Onpeutdirequevousprenezcettefêtetrèsausérieux.Je lui tapote l’épaulepuiscontournel’îlotpourm’attraperunepaille.Nousnesommesqueneufet
pourtantlamusiqueetlesvoixsontdeplusenplusfortes.D’ailleursilyadeuxpersonnesquejen’aipasencorevues.TyleretTiffani.Peut-êtrenesommes-
nouspaslesdernièresfinalement?Mais derrière la fenêtre de la cuisine, deux silhouettes attirent mon attention. Tyler et Tiffani,
évidemment.Ilsnemevoientpaslesobserveravecunegrimacededégoût.TylerestentraindefumerpendantqueTiffanis’agrippeàsontorsecommesielles’accrochaitàlavie.C’estunpeulecas,enfait.
Jeposemabouteille.Personnenemeremarquemeglisserparlaporte-fenêtre,saufTyleretTiffaniqui se taisent d’un coup.Tiffani pince les lèvres, agacée parmon intervention dans leurmerveilleuseromance.SiseulementMeghanétaitlàpourpoufferderire.
—Tupeux retourner à l’intérieur ?m’ordonne-t-elle sansmême faire semblant d’être gentille.Etnouslaissertranquilles,parexemple?
—Fiche-luilapaix,grommelleTyler.Tiffaniestaussisurprisequemoi.Elleluilanceunregardassassinetreportesonattentionsurmoi.
Sanstenircomptedesonvisagedéformé,jedésignelejointdanslamaindeTyler.—Qu’est-cequetufais?—Détends-toi,c’estqu’unecigarette.—C’esttoutcequetuvasfumercesoir,n’est-cepas?Descigarettes?Ilsecontentedem’observeravecnonchalanceentirantunelatte.—Situeslàpourm’interroger,sœurette,tupeuxretourneràl’intérieur.J’ignoreTiffani qui s’esclaffe.Autour deTyler, tout se brouille derrière la fumée. Il n’avait plus
utilisécetoncondescendantavecmoidepuisdessemaines.J’aienviedeluimettreuneclaquemaissesyeuxsedurcissenttandisqu’ilinhaleuneautrebouffée.Soudain,jecomprends:iljouelacomédie.C’estcequ’ilfaittoutletemps.Ilaremissonmasquedegrosdurquiluidonnel’impressiondemaîtriserlasituation.Évidemment, puisque Tiffani est là. Il ne peut pas se permettre de lui révéler ce qu’il estréellement:perdu.Complètementetparfaitementperdu.
—Onvajoueràlaroulette,jedisavecraideur.Sivousvoulezjouer,venez.—Jejoue!annonceTiffanienouvrantdegrandsyeux.Elles’écartedeTylerenchancelant.Jemedemandequellessontsesprioritésdanslavie.Jedirais,
dansl’ordre:lessacsVuitton,lesshotsdetequilaetmondemi-frère.Tylerestoccupéàalternerentresabièreetsacigarette.—Tuviens?—Çanesevoitpas?fait-ilsurlemêmetonhautain.Dépitée,jerejoinslesautres.Toutlemondeestrassembléautourdelaroulette,commedesvautours.Jakes’amuseàjongleravec
lesbilles.Plutôtimpressionnant,vusonétat.Ilnousfaitsigned’avancer.JemeglisseentreRachaeletDeanenattrapantmabièreaupassage.Deanpasseunbrasautourde
mesépaulesensirotantlasienne.Ilmeserreunpeutropfort.Jakelancelabille.TJetJacksonsemettentàmartelerlatabledupoing,faisantvolerlesverresàshots,maisJakeattrapelesienetl’avaleculsec.
—Ahmaisc’estquoicetruc?crache-t-ilaprèsavoiringurgitéleliquidemarron.TJestmortderire.—Delabouedujardin!Furieux,Jakelebousculepourallerrecracherdansl’évier.IlestsurlepointdevomirquandTyler
faitsonentrée,lesmainsdanslespoches,leregardvide.Ilrejointlejeu,cethorriblejeudel’inconnu.J’aiencorepluslesjetonsqu’ilyauneminute.Quisaitquellesblaguesencorepluscruellescestypesontbienpuconcocter?
—Jesuisimpatientd’êtreàlaplage!mehurleDeandansl’oreille.Jesuissuper,hyperimpatient!—Ilfautvraimentqu’onsedépêchedeboire,chuchoteRachaeldansmonautreoreille.Génial.Jemesuismiseentreunivrogneetunefutureivrogne.—MêmeMeghanadel’avancesurnous!C’estvrai.Jenesaispasdepuiscombiendetempslesautressontlà,maisilssontentraindepasser
d’éméchés à franchement saouls. Soit ils boivent depuis le début, soit ils boivent très, très vite. Sansdoute un peu des deux. Je jette unœil àmes amis – plusTJ et Jackson – hystériques et tout souriresdevantlaroulette,commesic’étaitlemeilleurmomentdeleurvie.Tous,saufTyler.IlsetientunoudeuxpasderrièreTiffani,commes’ilcraignaitdelatoucher.Etilmeregarde.Moi,etseulementmoi.
J’angoisse. Tyler ne sait toujours pas comment gérer cette histoire, et le grand sourire de Tiffanidonnelamesuredesonautoritésurchacundenous.J’aienviedelesoublierunpeu.SijeréfléchistropàmasituationavecTyler,jevaisgâchermasoirée.
Agrippée à ma bouteille, je me force à prendre l’air le plus enjoué possible et me tourne versRachael.Tiffaniveutducool,jevaisluiendonner.
—C’estparti,buvons.
—JesaisoùlesparentsdeDeanplanquentlesmeilleurstrucs,mechuchoteRachael.Ellem’attrapelepoignetetm’entraînedansuncouloirplusfrais,oùlamusiqueestmoinsforte.—Ilssontlà?—Qui?—Sesparents.—Àl’étage.Nousdébouchonsdans unepièce sombre et froide.Mamain rencontre unevoiture : nous sommes
danslegarage.—Oùestlalumière?marmonneRachaelentâtonnantjusqu’àl’interrupteur.JedécouvreàcôtédemoiuneBMWnoiredontjem’écarterapidement.Ilyadescartonsempilés
dans lescoinset lesmurssontcouvertsde trucsdefootball rougeetblanc.Maillotsdefootencadrés,drapeauxetbannièresentoutgenre,etmêmeunevitrinerenfermantdescasquesdorés,desballonsetdestasdephotos.
—Sonpèreestunfandes49ersdeSanFrancisco,rigoleRachaelendansantjusqu’auxrayonnagesoùsetrouvel’alcool,aufonddelapièce.
Ellelesexamineavecsatisfaction.—Jetel’avaisdit!Quant à moi, je scrute les photos. Sur l’une d’elles, je reconnais Dean avec quelques années de
moins,drapédansunmaillotdes49ers,unecasquetterougesurlatête.Àsescôtés,unhomme,vêtupourla circonstance, pose unemain sur son épaule, un hot-dog dans l’autre. Sûrement son père. Ils sont àl’entrée du Levi’s Stadium. Les photos de ce genre sont nombreuses. On dirait qu’ils ont documentéchaquematchdes49ersauquelilsontassisté.
L’undesclichésattiremonattention. Ilyaquatrepersonnes :Deanetsonpèredans leurpositionhabituelle,etàcôtédeDean,ungarçondumêmeâgequelui,environdouzeans,auxcheveuxnoirsetauxyeuxverts.
—Nous allons boire cette tequila et nous allons la boire direct, sans sel et sans citron, déclareRachael,têtehaute,unebouteilledeCazadoresenmain.
Jeluilanceunregardsceptiqueetdésignelaphoto.—C’estTyler?Ellesepenchepourmieuxvoir.—Maparole,maisc’estunfœtus!Le Tyler de la photo arbore le mêmemaillot que Dean, mais pas lamême expression. Il a l’air
soucieuxetneregardemêmepasl’appareil.Ilesttournésurlecôtémalgrélebrasdesoncopainsursonépaule.Peut-êtrequ’ildétesteles49ers?Peut-êtrequ’ilestfandesChargers?ÀcôtédupèredeDeanse trouve un autre homme. Les cheveux noirs, il tourne le dos à l’appareil car il désigne le nompersonnalisésursonmaillot:GRAYSON.
Oh.LepèredeTyler.C’estlapremièrefoisquejelevois,oudumoinsunboutdelui.J’aisoudainbesoindevoirsonvisage.
—C’estsonpère,là?—LepèredeDean?demandeRachael,occupéeàouvrirlabouteille.Oui.—Non,l’autre.C’estlepèredeTyler?Ellevérifiedenouveaulaphoto.—Oui.PlusTylervieillit,plusilluiressemble.Dumoinsdecequejemesouviens.Ildoitêtresuper
vieuxmaintenant,avecunebarbeettout.Onaledroitdeseraserenprison?—Aucuneidée.Cetteimagem’intrigue.Deanetsonpèreontl’airtellementheureux…Tandisqu’àcôtéd’eux,c’est
tout le contraire. Tyler et son père se tiennent à l’écart l’un de l’autre et Tyler a l’air vide et abattu.
Pourquoi?—C’estquoileproblèmedeTyleravecsonpère?Jesaisqu’ilyauntruc,maisquoi?—Jenesaispas.C’esttaboudanslegroupe.OnneparlepasdupèredeTylersaufsionaenviede
mourir,toutcommeonneparlepasdeMSTdevantMeghanparcequesaplusgrandephobiec’estdeseréveilleraveclachlamydia.
—Ilaétéadopté?—Hein?Elleréfléchituninstantàl’éventualité,avantdesecouerlatête.—Non,sûrementpas,c’estsonportrait toutcraché.Tropderessemblance.Allez,viens. Il fautse
magnersinononvaêtreàlatraîne,fait-elleenagitantlabouteille.—OK,OK,jesuisprête.—Tuvasavoirl’impressiond’êtreenfeu,maisonserasaoulesendeuxsecondes.Alorsprendston
courageàdeuxmainsetavale.Crispée, je me prépare mentalement. La dernière fois que j’ai bu de la tequila, j’ai dû courir
recracherdansl’évier.Etilyavaitduseletducitron.—Bonsang.Allez,c’estparti.Rachael avale unegrandegorgée avant de se plier en deux,main sur la bouche, enmepassant la
bouteille.—OhmonDIEU!Ellesecouelatêteengrimaçant.Je suis sur le point deme défiler. Pourquoim’infliger une telle torture ?Rachael agite sesmains
devant sa bouche. Qu’est-ce que je fabrique ?Mais les paroles de Tiffani au centre commercial mereviennent.Pasdesouciavecmoi,jenesuispasuneimprudente.
AlorsjeserrelabouteilledeCazadores,penchelatêteenarrièreetengloutisautantdetequilaquepossible.Mabouches’enflamme.Latequila,çaressembleàdel’urineetçaaungoûtdegasoil.
Je fais passer le tout avec une gorgée de bière qui passe comme de l’eau, en comparaison. Et jecontinueàboire,boireetboirejusqu’àterminerlabouteille.Puisjem’écroulecontrelemur,épuisée,àboutdesouffle.
—Encore,faitRachaelenm’arrachantlatequiladesmains.Jeparviensàsuivrelemanègeetauquatrièmetour,j’arriveàsaturation.Àlasecondeoùlatequila
touchemalangue,jerecrachetoutsurlaportièredelaBMW.—Eden!Rachaelpartdansunfourired’aumoinstroisminutes.Jesuishorrifiée.Deanvamehaïr,sesparentsvontmepoursuivreenjusticeetjevaisfinirencentre
dedétentionpourmineurs.—Qu’est-cequ’elleficheici,cettevoiture?jem’exclame,exaspéréeetrougecommeunepivoine.—C’estungarage!—Jecroyaisquec’étaitunsous-sol!Aumilieu des éclats de rire, je perds l’équilibre et je ne pense qu’à une chose : la tequila, c’est
vraimentdelasaleté.Je savais queRachael tenaitmal l’alcool,mais j’ignorais quemoi aussi.Manquer le dîner n’était
peut-êtrepasl’idéedusiècle.Jecroisquejecommenceàcomprendrecetteblague.Unetequila,deuxtequilas,troistequilas,quatre…pattes!
Etpourcause:Rachaelserouleparterre,mortederire,incapabledeserelever,ravied’êtreétaléelà,commeunphoquesurlabanquise.
—Ilfautcontinuer!dis-jeententantdelareleversansyparvenir.Àlaplace,jem’écroulesurelle.
—Oui,oui!Continue!fait-elle,hystérique.—C’estquoi,lasuite,bébé?dis-jeenreniflant.Toutcelaestsihilarant,sidécomplexé,siimprudent.Jenepeuxpasm’enempêcher.Allongéesurle
dosàcôtédeRachael,j’observeleplafond.—Cegarageesttellementbeau.Rachael ne s’arrête plus de rire. Les yeux fermés, elle ne fait aucun bruit, j’entends juste sa
respirationsaccadée.—Onestfolles.Jemeredressesurlesgenouxenm’efforçantdereprendremonsérieux.Quinzeminutesàenchaîner
lesshotsdetequilaetnoussommescomplètementmortes.Remarquable.—Ilfautcontinuer!C’esttoiquim’asditdeboireautantquepossible.Avec un regain d’énergie, elle se relève en s’accrochant au rétroviseur de la BMW. Sobre, je
m’inquiéteraisd’abîmerlavoiture,maisjenesuispassobreetçam’estcomplètementégal.—Jägermeister!Elleattrapeunebouteillenoiresurl’étagèreetmelatend,enchantée.—Àl’overdosed’alcool!Quinzeminutesetdeuxshotsmortelsplus tard, jemedemandecomment j’aipuêtreassez stupide
pourboireautantensipeudetemps.C’estlegenredechosescontrelesquelleslesparentsetlesprofsnecessent denousmettre engarde.Mais tout lemonde s’en fiche.Personnene sepréoccupe jamais desconséquences,parcequeentrelemomentoùl’onboitetleseffets,çasembletoujoursêtrelameilleureidéedumonde.Cequiexplique laprésencedeRachael sur lecapotde lavoiture,en traindechanterl’hymnenationalaveclaCazadorescommemicro.
—Eden,c’esttropbiendesesaouleravectoi,annonce-t-elleavecunepetiterévérence.Elleestenjupeetsoutien-gorgeaprèsavoirjetésonhautpar-dessusbord.Toutàcoup, lamusiquedevientplusforteetquandjedétournelesyeuxdeRachael, jecomprends
que la porte du garage s’est ouverte.Dean est là, bras croisés.Nous cessons immédiatement de rire,pétrifiées,unrictushonteuxauxlèvres.
—Rachael,descendsdelavoiture,s’ilteplaît.Elles’assoitsurletoitpourselaisserglisserenréprimantunéclatderire,maistombesurlecôtéet
atterritparterre.Labouteillesebriseetjepouffetandisqu’elleronchonnetoutengloussant.—Bonsang,Rachael.Faisgaffeauverre,faitDean,trèssobreparrapportànous.Ils’avancepourl’aideràserelever,dégoûté,puissemetàlarecherchedesonhaut.—Onvayaller.Ilesténervéetmoijenepeuxm’empêcherderiredansuncoinpendantqu’ilrhabilleRachael.—Tuasbubeaucoup?Ellemefaitsignesansrépondre.JedéposeavecprécautionlabouteilledeJägermeisterparterreet
contournelavoitureenévitantleregarddeDean,quisoupireetnouspousseverslesalonoùJaketientlaported’entréeouverte.
—Qu’est-cequevousfichiez?demande-t-il.Nouséchangeonsunregardenpouffant.Impossibledenousarrêter.Deanéteint lamusiqueetcrieàsesparentsquenouspartons. JesuisRachael jusqu’àunminivan.
J’entendsMeghanm’expliquerquelecousindeDeanaacceptédenousemmener,mêmes’iln’yapasassezdesiègespourtoutlemonde.Nousnousentassons–Rachaeldoits’asseoirsurmesgenoux–avecDeanetJake.JesuistropsaoulepourmepréoccuperdeTyleretTiffani,l’unsurl’autreàl’arrière.Luiregardeparlavitreet,quandjeluijetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,jem’aperçoisqu’ilestleplussobred’entrenous.Ilsentmonregardetmelerend.
Jesuisauxanges.Devantmonsourirebancal,vumonétat,ilfroncelessourcilsd’unairréprobateur,ouinquiet,jenesaispas.Ilseretourneverslavitresansmelaisserletempsdetrancher.
Jepasselerestedutrajetàfairedesblaguesetàrire,encoreetencore.Jemesensenconfiance:toutlemondeestaussiéméchéqueRachaeletmoi.D’ailleurs,nousnesommespaséméchés,noussommesivresetc’esttrèsagréable.
27
Toute la partie de la plage près de la jetée a été fermée pour l’occasion ; les routes aussi, et lepérimètreestsurveillépardesvigiles.
Ànotresortieduminivan,l’atmosphèreélectriquevibredemusiqueetdevoix.Unescène,flanquéedegrossesenceintesnoires,surlaquelleunDJfaitsonset,sedresseaumilieudusable.
—Sil’und’entrevousnousfaitvirer,jeluicasselatête,nousmenaceJake.Saufsivousêtesunefille,danscecasjenevousparleplusjamais.
Surcesmots,nouspassonslesbarrièresdesécurité,têtesbasses.Jemedemandesij’ail’airaussisaoulequejelesuis.J’espèrequenon,sinonjevaismefairesortirencinqminutes.Nouspassonssansencombreaumilieudelafoule.Jepensaisquenousallionsresterensemble,maisavecunsignedetête,lesgarçonss’éloignent,mêmeTyler.
—Ilfautabsolumentqu’onsebaigneàpoil!lanceRachaelpar-dessuslamusique.Deshommesnonloindenousl’entendentetl’encouragent.—Ilnefautsurtoutpasqu’onsebaigneàpoil,rétorqueTiffani,enfusillantlestypesduregard.Ellenousentraînedanslafouleetjemanquedemetordrelachevilletellementjesuisalcoolisée.LesabledanslesConverse,c’estlaplaie,alorsjelesretireetlesattrapeparleslacets.Jesecouela
têteenmusique,bousculéedetouscôtésparlesfêtards.Toussontmajeurs,maisçanemedérangepas.—Jaredest làavecsespotes !nouscrieMeghanense touchant lescheveux,paniquée.Àquoi je
ressemble?—Àquelqu’unquicherchelesproblèmes!faitRachaelavecperspicacité.—Parfait!Ellenousenvoieunbaiseretdisparaîtdanslafoule.Jedoutequ’ellereviennedesitôt.J’agitemes chaussures en l’air sous les regards noirs des gens autour, probablement parce que je
menacede les frapper au visage à chaque instant,mais jeme sens bien trop libre et insouciante pourm’excuser.Etparmiracle,jedanse:demanièresauvageetfrénétique,certes,maisjedanse,cequiestplutôtrare.LeDJpassedelahouse,toutlemondelèvelesmainsenl’air,j’ailatêtequitourneetmêmel’océansemetàtanguer.
Jem’amusecommeunefolle,jusqu’àcequeTiffaninoussaisisse,Rachaeletmoi,parlebras.Ellen’apasl’airdes’amuserautantquenous.
—JevaischercherTyler,fait-elle,trèsénervée.—Noooon!protesteRachael.Resteavecnous!
—Jedoisgarderunœilsurluiaprèscequis’estpassél’andernier.Souslesoleilencorebrûlantdusoir,jeplisselesyeux,meschaussuresauboutdesdoigts.—Qu’est-cequis’estpassél’andernier?—Edens’ilteplaît,arrêted’agitercestrucsdanstouslessens.Ellem’arrachemesConversedesmainsenregardantavecdégoûtlesparolesécritessurlescôtés.—Tuesridicule,essaiedetecomporternormalement.Bon,amusez-vousbientouteslesdeux.Rachaelhausselesépaules,tandisqueTiffanisefrayeuncheminhorsdelafoule.—Qu’est-cequis’estpassél’andernier?jerépète.LescontoursdeRachaeldeviennentflous.—Tyleraprisdestrucslouches,medit-elleàl’oreille.Ils’estévanouietonatouscruqu’ilétait
mort,maisaprèsils’estmisàconvulseretons’estdit«Ohmerde,iln’estpasmort»,etvoilà.Onl’aramenéchezTiffanietelleapleurétoutelanuitparcequ’àcausedelui,elleétaitpasséepouruneidiote.Elles’estenferméedanslasalledebains,alorsonestrestéspours’assurerqu’ilallaitbienetças’estarrangé.C’étaithyperflippant,etTiffaniapeurqu’ilrefasseuntrucdanscegenre.
Denouveauessoufflée,ellesetaitetprendunegrandeinspirationexagérée.Si j’étais sobre, jem’inquiéterais etpartirais à la recherchedeTylermoi aussi,mais…non. J’en
veuxàTiffanidesepréoccuperdesaréputationplusquedelaviedesoncopain,maisjeretourneàmadanse,commeRachael.
Leproblèmequandonest saoul, c’estqu’onperd toutenotiondu temps. J’ai l’impressionquedixminutesontpassémaislecielquis’obscurcitm’indiquequ’ildoitdéjàêtretard.Jetranspireàgrossesgouttesetquandjetournelatête,jem’aperçoisquejesuisseule.Rachaeladisparu.
—Oh,dis-jeavecungloussement.Deplusenplusclaustrophobe,j’amorceunesortiedelafouleendansant.Onmelancedesregards
curieux.C’estévidentquejesuistropjeunepourêtrelà.Loindelascène,certainssebaladentsurlesableparpetitsgroupes,d’autresdonnenttoutcequ’ils
ontpourdraguerdesfilles.Quandlafoules’amenuise,jem’arrêteuninstantpourrespirer.Jen’aiplusd’énergie.Prèsdemoi,unebagarreéclate.Unvigileseprécipiteenhurlantetparvientàtraînerlesdeuxtrouble-fêteàl’extérieurdupérimètre.
C’estàcemomentquelasolitudesefaitressentir.Durantuneseconde,lapaniques’emparedemoietj’attrapemontéléphonedanslapochedemonsweat.Saufqu’ilyaunproblème.Pasdetéléphone.
Je fouille l’autrepoche,mon soutien-gorge,meschaussures.Pasde téléphone, etpasd’argentnonplus.Toutadisparu.Mesaffairesontputomberetêtreensabléessixpiedssousterre,oualorsonm’atoutpiqué.Quoiqu’ilensoit,jen’aiaucunmoyendejoindrequelqu’un.Encoreunefois,sij’étaisdansmonétatnormal,j’auraisassezdebonsenspourcomprendrequecen’estpaslafindumondeetquelamaisonn’estqu’àquaranteminutesdemarche.Maisjenesuispasdansmonétatnormal,alorsc’estlafindumonde.
Jefondsenlarmes.Monsweatresserréautourdemesépaules,jeregardelesable.J’aipeurqu’onnes’aperçoivequejesuisentraindepleurercommeunegamine.
—Bonsang,Eden.Lavoixdouceetfamilièrestoppenetmessanglots.Jelèvelatêtepourdistinguer,àtraversmesyeux
mouillés,Tylerquis’approche.Jem’essuielesyeuxdelamanchedemonsweatenfaisantattentionànepascauserplusdedégâtsà
monmascara.—Tiffanitecherche.Tacopine.—Maispourquoitupleures?Sesyeuxémeraudemerappellentlacouleurdesalgues.Leslarmesmontentànouveau,jemedétourne.
—Toutlemondeestparti.Tiffani,Meghan,Rachael…Montéléphoneaussi.Tylersaisitmonbrasetmedétailledelatêteauxpieds.—Tuesencoresaoule?—Ettoi?—Plusmaintenant.Ildéfaitleslacetsdemeschaussuresetlesposeparterre.—Remets-les.Ilyadesdéchetspartout.Ilaraison,laplageestcouverted’emballagesdenourriture,decanettesécraséesetdemégots.J’ai
danséparmitouscesdétritus.J’enfilemesConversepleinesdesableàlahâte.MaintenantqueTylerestlà,jemesensensécuritéetjeluisourissousmonmaquillagecatastrophique.
—Tonpèrevatetuer,marmonne-t-il.Ilréfléchit.Jen’avaispasprévudeluicauserdesennuis,maistoutàcoup,jesensmesbatteriesrechargéeset
prêtesàfaireànouveaulafête,alorsjemedégageetm’éloignedelui.Jem’arrêteàquelquesmètresetme retourne avec un sourire espiègle. Ilm’observe, soucieux, tandis que les gens passent entre nous.Quandiln’yapluspersonne,jemejetteparterreetmerouledanslesablejusqu’àlui.Çanefonctionnepastrèsbienetjeterminemacourse,lesjambesemmêléesetl’épaulepossiblementdisloquée.J’entendsdesriresautourdemoi.
—Relève-toi,ordonneTylerenmesoulevant.Qu’est-cequejeviensdetediresurlesdéchets?—Maisj’adoooorecetteplage.J’ailatêtelourde.Tylerm’empêchederetomberenmetenantparlesépaules.—Jereviensl’annéeprochainejustepourcettesoirée!—Tureviensl’annéeprochaine?Devantsonairsérieuxetpressant,l’alcoolsembles’évaporerinstantanémentdemonorganisme.—Jenesaispas.Çadépendsimonpèreveutbiendemoiounon.—J’espèrequ’ilvoudrabien.Moien toutcas,c’estsûr,murmure-t-il,sesmains toujourssurmon
corps.Monbrefinstantdesobriéténedurepasetjemeremetsàtanguerentresesbrassanslefaireexprès.
J’entendsàpeinecequ’ilmedit.Jedanse,vaguementconscientequej’ail’airtoutàfaitidiote.—Tu te fais remarquer,souffleTylerenm’enlaçantplus fortpourm’empêcherderemuer.Tuvas
nousfairerepérer.—Maisj’aivingtetunans!Jegigotesoussapoigne,cequimefaitglousserdeplusbelle.—Bonsang,peste-t-il.Ilsedétourne,yeuxclos,puis,déterminé,ilmecontourneet,d’unmouvementsouple,mechargesur
sondos.—Ilfautquetudessaoules.Mesbrasautourdesoncousontprobablemententraindel’étrangler.Ilmetientparlescuisses,mes
jambesautourdesataille,etilavanceavecunetelleaisancequej’ail’impressiond’êtrelégèrecommeuneplume.Latêtesursonépaule,jerespiredanssoncou.
—Troy-James!appelle-t-ilens’arrêtant.Curieuse,jelèvelatêtepourdécouvrirtroispersonnesquiseretournentversnous.Deuxfilleset…
TJ.Le typedechezDean,qui joueau foot.Troy-James.Quand je fais la relation, jemesens soudainextrêmementintelligente.
—Çava?faitTroy-James,ouTJ.Sonexpressionsévèreadisparu,ilal’airdes’amuser.Logique,puisquedeuxfillesplusâgéessontà
sescôtés.Ellesm’adressentdesregardscompatissants.
—J’aibesoindetonappartement,ditTylersansdétour.TuestoujourssurOceanAvenue?—Mec…C’estquoi tesprojets, là ?demande-t-il enéchangeantdes regardsavec lesdeux filles
qu’ilsembleavoirséduites.—Jevaislafairedessaouler,sinonsonpèrevalatuer.—Mec,tugâchesmesplans.—Onpeutallerchezmoi,intervientl’unedesfilles.Surce,TJsortsesclésqu’illanceàTyler.Aussisimplequeça.—Tuleslaisserassouslepaillasson.Puisils’éloigneaveclesfilles.Tylerseremetenmarcheetjem’aperçoisquenousquittonslafête.— Pourquoi on va dans son appartement ? dis-je dans sa chemise, incapable de relever la tête.
Pourquoiilaunappartement,d’ailleurs?—Parce que tu es en train de temettre la honte, fait-il avec un éclat de rire.Et ses parents sont
millionnaires.Ilsluiontachetéunappartpoursesseizeans.Quifaitcegenredetrucs?—Desmillionnaires.Ilritànouveau.Quitterlafêtenemedérangepas.J’aidéjàperdumontéléphone,monargentetmesamislà-bas.À
présentquel’alcools’évaporeetquelesoleilsecouche,jen’aiqu’uneenvie:rentreràlamaison.Cequi n’est pas une option envisageable en l’état. Heureusement que c’est Tyler qui s’est porté à monsecours.SiJake,Dean,oumêmeMeghan,avaienttentédemefairesortir,jecroisquejemeseraisbattue.
—Tupeuxmereposer,tusais,dis-jeauboutdedixminutes.J’aipeurdeluifairemal.—Pourquetutefassesrenverserparunevoiture?Iltraverselarouteprudemment.Onentendencorelamusiqueprovenantdelaplage.—Maisturateslafête,jeproteste.Sans répondre, il me porte jusqu’à une résidence peuplée d’appartements et d’hôtels sur Ocean
Avenue.Cesontdesbâtimentsquidonnentsurlaplageetquej’aivusmillefoisenfaisantmonjogging.Arrivésdevantunpetitimmeuble,ilmeporteavecprécautionjusqu’auperronetmereposeparterre.J’ailesjambesquiflageolent.
—Commenttutesens?—Embarrassée.Mondernierverredated’ilyatroisheures.Jecommenceàmerendrecompteàquelpointj’aiété
ridicule.JemerappelleavoircrachésurlavoituredesparentsdeDean.Tylermefaitentrerdansunhallsomptueux,auparquetlustré.—Onesttouspassésparlà,dit-ilpourmeréconforter.—Commel’annéedernière?Jenevoulaispasêtreméprisante,jesuisjustecurieuse.Toujourscurieuse.Ils’arrêtenetetseretourneversmoiavecuneexpressionsévère.Jemeprépareàl’explosion,qui
n’arrivepas.Ilsecontentedem’entraînerdansl’ascenseur.—206,dit-ildoucement.Sesdoigtsautourdemonpoignet,ilévitemonregardpendantlamontée.L’appartement 206 se trouve à l’avant de l’immeuble. J’observe le paillasson avec le plus grand
intérêt.Apparemment,latequilarendréceptifàl’artdespaillassons.Onmepoussedansl’appartement.C’estvraimenttrèsbeau.Parlesverrières,lalueurducouchantilluminelesalond’unemagnifiqueteinteorangée.Onnevoit
ça que sur des images photoshopées, en général. Mais ici, les hautes fenêtres donnant sur la plagecapturentl’essencedelabeauté.Jeresteébahiequelquesinstants.
—Tiens,faitTylerderrièremoi.Boisça.Maintenant.
Ilmecolleunverred’eaudanslamain.Cen’estquequandj’avalequejemerendscompteàquelpointjesuisdéshydratée.Jeletermineen
uneseconde.—Assieds-toi,fait-ilendésignantlecanapédumenton.Ilmepoussepourquej’obtempère.—C’esttellementbeau,dis-je,unefoisassise.Jem’étends sur les coussins, les yeux sur les fenêtres. En tendant l’oreille, on entend encore les
vibrationsdelamusique.—Tunetrouvespas?—Si.Jambescroisées,jel’observeremplirànouveauleverreàl’évier.Ilmel’apporteavantdes’essuyer
lesmainssursonjean.Lecalmedelapiècecontrasteaveclafêtequifaitrageenface.Assisàquelquescentimètresdemoi,
Tylermeregardeboire.—Ilfautquetudormes.C’estétrange,cetteinversiondesrôles.D’habitude,c’estmoiquim’occupedelegérer.—Viens.Ilme prendmon verre etme fait lever. Il ne remarque pas que je tressaille quand ilme touche.
Délicatement,ilmetientparlataille,aucasoùjeperdraisl’équilibre.—Çavaaller?—Oui.Ilserreunpeuplusfortmamainetm’emmènejusqu’àunepetitechambre.Presquesansm’enapercevoir,j’ôtemeschaussuresetjemedirigeversl’énormelitquioccupetout
l’espace.Tylerpasseunemainsousmesgenouxetmesoulève.Il a de si beaux yeux, si fascinants qu’il est impossible de ne pas être attirée par son visage, à
quelquescentimètresdumien.Ilnemeregardepas,maisjesenssoncœurs’emballer.Puis,presqueaussivitequ’ilm’asoulevée,ilmedéposesurlelitettirelesdraps.
—Jevaistechercherdel’eau,fait-ild’unairtimide.J’observelapiècependantsonabsence.Jeposelesyeuxsurunmiroiraumuretrestecoite.Jesuis
hideuse. Mes cheveux, que j’ai mis une heure à lisser, sont revenus à leur état initial d’ondulationagrémentéedenœudsetdesaleté.Mêmetraitementpourmonmaquillage.J’aiperduundemesfauxcils.J’arrachel’autrequejecollesurlatabledenuit.
—Tiens.Jesursaute.Tylerestderetouravecunverrepleinàrasbord.—Del’eauetdusommeil:leseulmoyendedessaoulerenlimitantlagueuledebois.Avecunpetitrire,ilvafermerlesrideaux.—Tudevraisappliquertesconseilsparfois.Laprochainefoisquetuesivre,jeterépéteraiça.Ilseretourneenréprimantunsourire.—Repose-toi,Eden.Je finis par céder. Après tout, il a raison. J’ai vraiment besoin de dormir. Accrochée aux draps,
j’enfouis la tête dans l’oreiller. Jem’apprête à fermer les yeux quand je remarque que Tyler semblehésitersurlepasdelaporte.
Jelèvelatêtepourmieuxlevoir.—Turetournesàlasoirée?—Jenesaispas.Tiffanidoitêtreentraindemechercherpartout.—Oh.—Jetelaissedormir.
Sonsourireestl’undeceuxquej’adore.Sincère,tendreetrassurant.Jemetournedel’autrecôté.Ilmemanquedéjà.Jeveuxqu’ils’allongeprèsdemoi,commelanuitoù
ils’estglissédansmachambre.Jeveuxsavoirqu’ilestlà,avecmoi.Jeveuxsentirlachaleurdesapeau.C’esttoutcedontj’aibesoin.
Jecroisquec’estàcemomentprécisquejecomprendsquejel’aime.
Jemeréveillequelquesheuresplus tarddansunechaleur insupportable,ensueur. J’engloutismonverred’eaudevenutiède.
—Commenttutesens?Danslapénombre,jedistinguelasilhouettedeTylerprèsdelafenêtre.Quandlesmienss’habituentà
l’obscurité,j’arriveàvoirsonvisage.—Mieux.C’estvrai.Lapiècenetourneplusetmespenséessemblentànouveaucohérentes.Leseulsouci,c’est
quej’aitropchaudettrès,trèssoif.—Quelleheureilest?—3heures.Ilémetunrirepresqueinaudible.Ilaouvertlesrideauxet,depuislelit,j’aperçoislecielnoiretla
lune.Onentendencorelamusiquedelaplage.—Lafêtebatsonplein.—Tun’yespasretourné?—Non,fait-ildansunmurmure.J’avaispeurquetutemettesàvomir.Etilvautmieuxquejereste
loindetoutça.Cen’estpasqu’ilaitl’airextrêmementheureuxd’habitude,maislàilsembletriste,malàl’aiseet
vulnérable.Épuisé,peut-être.Jem’agrippeauverre.—Qu’est-cequinevapas?—Rien.Lesyeuxdanslevague,lescoudesappuyéssursesgenoux,iljointlesmains.—Jesaisqu’ilyaquelquechose.Jeboissanslequitterdesyeux.J’aipeurderaterundétail,uneétincelled’émotion,surtoutqu’ilest
douépourfairesemblant.—Qu’est-cequinevapas,Tyler?Sesépauless’affaissent.—C’estjusteque…—Quoi?—Àcettepériode,l’annéedernière…—Tuasfaitunecrise,jetermine.Rachaelm’araconté.Àcausedeladrogue.—Contente-toideboiretoneau.Ilselève,levisageassombri,tandisquejem’exécute.Jemelèveàmontour.J’ailesjambesraides.—Pourquoitufaisça?Illèvelesmainsensignededésespoir.Jerecule,depeurdelemettreencolère.—Pourquoitumedemandesencore?—Parcequejeveuxlavérité.—Jetel’aidéjàdonnée,tavérité.Lacolèrequimonteenluicoloresesjoues.—Jelefaispourmedistraire.—Dequoi?
Jecrieàmoitié,parcequej’enairasleboldeneriensavoirdelui.—C’estcequejeveuxsavoir,Tyler.Jeveuxsavoirpourquoituasbesoindetoutescesdistractions
débiles.LesgenscommeTylerontuneraison.Personnen’agitjamaisdelasorteuniquementpours’amuser.
Personne.—C’estplusfacilecommeça,souffle-t-il.—Maisquoi?Ilserre lesdentset lespoings,sesveinesgonflent.Jepeuxpresquel’entendreréfléchirpendant le
longsilencequis’ensuit.—Arrête,Eden,fait-il,d’unevoixaussidoucequemenaçante.—Quej’arrêtequoi?Jem’approcheensoutenantsonregardetm’efforcedeneplusbattreenretraite.Jevaisdécouvrirla
vérité,etcenesontpassesregardsfurieuxquivontm’enempêcher.—Arrêted’essayerdemecomprendre.Ildécoupechaquesyllabe,fermement.SonregardnoirmerappellelaphotodanslegaragedeDean.
Cellequilemontreavantunmatchdes49ers.Celleavecsonpèreàl’autrebout.Ilmefaitpenseràunpuzzled’unmilliondepièces.Unmorceaudevéritéàlafois,c’estcequ’ilfaut.—Tyler,49ersouChargers?—C’estquoicettequestiondébile?Lechangementdesujetlelaissemuet.Jerêveoùellevientdepasserdefillepénibleàfandefoot?—49ers,dit-il.Jenecomprendspas.Çanecollepasaveclaphoto.—J’aivuunephotochezDean.Detonpèreettoi,avantunmatchdes49ers.Commentçasefaitque
tuavaisl’airaussirenfrogné,situesunfan?—Deanétaitcenséplanquercettephoto,fait-il,incrédule.—Répondsàmaquestion.Jecommenceàm’impatienteretj’yvaisauculotparcequetoutcommenceenfinàs’emboîter.—Qu’est-cequin’allaitpascejour-là?Ils’empareduverresurlatable.Illeserresifortquej’aipeurqu’iln’explose.Puisilsedirigevers
lafenêtreetonn’entendplusquelesvibrationsdistantesetsarespirationlourde.Derrièrelespalmiersquibordentl’avenue,ondistingueleslumièresdelajetéeetlagranderouequi
tournesansarrêt.Étrange,c’estpourtantlemilieudelanuit.Dosàmoi,Tylerbaisselatête.—Quies-tu,Eden?Tun’espascenséemecomprendre.Personneneledoit.L’atmosphères’est transformée.Abattu,Tylereffleure lebordduverre. Jeneveuxplusparler. Je
veuxobserverchacundesestraits,chacundesesdéfauts,danslesilence.Jeveuxvoirsamâchoiresecontracterquandilréfléchit.Jeveuxqu’ilmefasseassezconfiancepourmeconfiersespensées.Jeveuxvoirenlui,pourlecomprendre,pourl’accepter.
Jeleveux.Jechuchotesonnom,envain.Ilnemejettequ’unrapidecoupd’œil.—Tyler.Fais-moiconfiance.S’ilteplaît.Ilsecouelatête,paupièrescloses.—Nemeforcepasàteledire.Jemeglisseentreluietlafenêtre,maisilneregardedéjàplusdehors,oùlanuitcontinuesansnous.
Délicatement,jeposeunemainsursontorse.—Jet’enprie.Quandilouvresesyeuxémeraudeavecunelenteurinfinie,j’enailesoufflecoupé.Ilssontsigrands,
si doux, si tristes… Je l’ai vu furieux, cruel, vulnérable, mais là, c’est au-delà de tout. Là, j’y vois
l’impuissance.—Monpèreestunsalaud.J’aiditàtoutlemondequ’ilestenprisonpourvoldevoiture,maisce
n’estpasvrai.Iltournelatêtepourtrouverlecouragedecontinuer,puisiloseprononcerdesmotsquinem’avaient
jamaistraversél’esprit.—Ilestenprisonpourmaltraitanceàenfant.Ces paroles douloureuses à entendreme collent la chair de poule.Lamaltraitance à enfant est un
terme qui ne devrait jamais devenir une réalité. J’en suis atterrée. Il referme les yeux et ce n’est quemaintenantquejecomprendscequ’iladûluiencoûterdeprononcercesmots.
—Surtoi?Ilacquiesce.Tous les détails que j’ai collectés jusqu’à présent s’emboîtent d’un coup. Je ne peuxplus bouger,
seulementpenser.Voilàpourquoiilfaisaitlatêtesurcettephotographie.Voilàpourquoiiladéjàeulepoignetcasséetqu’ils’estmisencolèrequandjel’aiévoqué.Voilàpourquoiils’estdébarrasséd’autantdephotos.Voilàpourquoiilabesoindedistractions.Évidemment.
C’estsilimpide,maintenant.—EtJamieetChase?—Non,seulementmoi.—Tyler,je…Quelquechoseenmoisebriseàl’idéequ’ilaitputraverserunetelleépreuve.Mavoixsecraquelle,
jenepeuxpascontinuer.Unemainsursapoitrine,jesenssoncœurpalpiter.—Jesuisdésolée.—J’arriveplutôtbienàcachertoutça.Il s’écarte de moi tandis que la colère, alimentée par la souffrance, remplace son abattement
précédent.—Personnenelesait.PasmêmeTiffaniouDean.—Pourquoituneleurasriendit?—Parcequejeneveuxpasqu’onmeprenneenpitié.Ilsedirigeàl’autreboutdelachambreets’agrippeàlatabledechevet.—Lapitié,c’estpourlesfaibles.Jeneveuxpasêtrefaible.C’estfini,lafaiblesse.Ilassèneungrandcoupdepoingaumeubleavantdeseretourner,furieux.—C’estcequej’aitoujoursété.Faible.Parlafenêtre,souslecielnoir,lagranderouetournetoujours.Jecommenceàcomprendre.—Tun’étaispasfaible.Tuétaisunenfant.Ilrevientversmoipours’asseoirdosaumur,complètementdéfait.Unefoisdeplussacolères’est
muéeenvulnérabilité.—Tu sais, je n’ai pas tout de suite compris, dit-il, le regard fixe. Je n’ai jamais compris ce que
j’avaisfaitdemal.Jemeretiensdeposerdesquestionsetm’assiedsentailleurdevantlui.Ilveutquejel’écoute,alors
jemetais.Ilparletrèslentement,commes’ilpesaitchaquemot.—Mamère etmon père… Ils étaient encore ados quand ilsm’ont eu. J’imagine qu’ils n’avaient
aucune idéedecequ’ils faisaient. Ils étaientobsédéspar l’idéedeconstruire leurcarrière.Monpèreavaitcetteboîtedébiledontjet’aiparlé.
—Grayson’s.—C’estça.Iltoussoteetentouresesgenouxdesesbras.
—Audébut,çaabienmarché.Maisauboutdequelquesannées,j’avaishuitans,çaacommencéàsecorser.Monpèreavaitunsalecaractère.Unsoir,mamèretravaillaittard,ilestrentréàlamaisonsuperénervé et il s’est défoulé surmoi. Je n’ai rien dit. J’ai cru que c’était exceptionnel.Mais après, sesemployésontcommencéàpartirunparun,çalestressait,alorsils’enprenaitàmoi.Çaarrivaitdeplusenplussouvent.C’estpasséd’unefoisparsemaineàtouslessoirs.Ilmedisaitquejenepouvaispasfairecequej’aimaisparcequejedevaismeconcentrersurl’école.Ilvoulaitquej’entredansunegrandeuniversitépournepasratermacarrièrecommelui.Moi,jenevoulaispasd’unegrandecarrièrenid’unegrandeuniversité,maisjepassaistouteslesnuitsenfermédansmachambreàtravailler,pourqu’ilnesefâchepas.Jemedisaisquesijefaisaisdemonmieuxceseraitsuffisant.Maisçanel’étaitjamais.Touslessoirs,ilmontaitmemettreuneraclée.Touslessoirs.Pendantquatreans,ajoute-t-ildansunmurmure.
—Jesuisdésolée.Je le suis sincèrement. Personne nemérite d’être traité comme ça, surtout par un parent, la seule
personnecenséevousprotégeretvousaimer.Çamerendmalade.Ilhausselesépaules.—Mamèreétaittellementoccupéequ’ellenes’enestpasdoutéeuneseuleseconde.Elles’enveut
maintenant.Elleessaiedemepunirmaisçanemarchepasparcequ’ellen’insistejamais.Jecroisqu’elleestterrifiéededevoirêtresévère,tuvois?Maiscen’estpassafaute.Parfois,elleremarquait.Ellemedemandait,«Tyler,qu’est-ilarrivéàtonvisage,cettefois?»Alorsj’inventais.J’avaislevisageenfléàcausedusportàl’écoleoujem’étaiscassélepoignetentombantdansl’escalier.Jemesuiscassétroisfoislepoignetenunanuniquementparcequemonpèreadoraitvoirs’ilpouvaitleplieràl’envers.
—Pourquoitun’asriendit?jechuchote,depeurdebriserlesilencefragile.Est-cequemonpèreestaucourant?
—Parcequej’avaispeurdelui,avoue-t-ilfroidement.Ilsepasselesmainsdanslescheveuxetjeremarquelafaçondontsesyeuxs’assombrissentdèsqu’il
s’énerve.—Jenepouvais rienfaire.Leseulquinesoitpasaucourant,c’estChase. Ilétait trop jeune.Ma
mèrenevoulaitpasl’effrayer.Toutlerestedelafamilledétestemonpère.—Ças’estarrêtéquand?—J’avaisdouzeans,fait-ilenselevant.Jamieestmontéunsoiretill’avumefrapper.Ilaappelé
lesflics,ilétaittoutjeune.Monpèreaétéarrêtécesoir-là.Iln’yapaseudeprocèsparcequ’ilaplaidécoupable,doncçanes’estpassu.J’aigardéçasecret.Jefaissemblantquetoutvabien.
Avecunsoupirappuyé,ilsemetàfairelescentpasdanslachambre.—Jeledétesteàmort.Jelehais.Unanaprèsça,j’aicommencéàcroirequ’ilexistaituneraison.
J’ai cruque je leméritais parceque jenevalais rien. Je le crois toujours. Jen’arrivepas à aller del’avant,parcequec’estimpossibled’oublier.Pathétique,maisvrai.Jesuissousantidépresseurs,maisjenelesprendspasparcequejepréfèreboireetmedéfonceretqu’onnepeutpastoutfaireenmêmetemps.Ettusaisquoi,Eden?Tuasraison.Jesuisperdu.Jesuiscomplètementpaumé.
Jemelèveàmontouretjeguettelesémotionsdanssesyeux.Ellessesuccèdentàlavitessedelalumière.
—Cesdistractions,c’estmadrogue!hurle-t-il.C’estplusfacilecommeça,parcequequandjesuisbourréoudéfoncé,j’oubliequemonpèrenepeutpasmeblairer!
Enproieàunecrisederage,ils’empareduverreetlejettecontrelemur.Je fais un bond en arrière.Le fracasme transperce.Les bris de verre s’éparpillent etTyler reste
immobileàlesregarder.Vidé,ils’effondresurlelit.—Jelehais,crache-t-il.Quandilregardeànouveauparlafenêtre,j’enprofitepourm’approcherdelui.Malgrésonvisage
déforméparlacolère,jesaisqu’ilestbouleversé.Jel’entendsdanssavoix,jelevoisdanssesyeux.
Il faitnoir, lamusiquede laplagedisparaît avec la finde la fête.La lunequi flotte au-dessusdel’océanilluminelevisagedeTyler.Nosregardsserencontrent.
Jefrissonne.Cen’estpaslefroid,c’estlanervosité.Ilsoutientmonregard,nerveuxluiaussi.Jemedemandes’ilcroitquejevaislebombarderdequestions.Cen’estpasmonintention.Loindelà.
Jeprendssonvisageentremesmainsetm’assiedssursesgenoux.Ilnebougepas,ilnerespirepas.Jecroisquejenerespirepasnonplus.J’approchemeslèvresdessiennes,sanslestoucher.Nousrestonsainsiquelquesinstants.C’estréconfortantetterrifiantàlafois.Jesaisqu’ilattendquejemepenche,jeleveuxégalement,maispasencore.J’attendsjusqu’àsentirsonsoufflecontremajoue.
—Mercidemefaireconfiance.Etjel’embrasse.Dans l’obscurité et le silence, quelque chose se produit. Je ne sais pas ce que c’est, mais je le
ressens.Moncœurs’emballe,desfrissonss’emparentdemoncorps,j’ailachairdepouleetjesensleslèvres de Tyler contre les miennes. Pleines, humides et impatientes, comme toujours. Il canalise sacolère…endésir.Cedésirpourcequenousvoulonstouslesdeuxmaisquenousnepouvonsobtenir.
Il sent la bière et le tabac,mais çame captive. C’est familier, c’est lui, c’est le goût qu’il a. Ilm’embrasse lentement, passe la main sous ma jupe et je presse ma poitrine contre son torse en luicaressantlevisage.Lesmusclesdesesbrassecontractenttandisqu’ilmesoulèvepourmecouchersurlelit. J’ai le corps gelé, tétanisé quand samain glisse le long dema cuisse.Un instant, j’ai peur d’êtreparalysée,maismeslèvressontencorecapablesdel’embrasser.Cen’estquelapeurdel’inconnu.
Malgrél’angoisse,jerefusedemedétacherdelui.Sonbaisers’intensifie,s’accélère,alorsjelâchesonvisageetretiremonsweat.Puisj’agrippesontee-shirt.J’essaiemaladroitementdeleluiretirersansbrisernotreétreinte.Illeremarqueet,avecunpetitrire,legenrederiresincèreetcommunicatif,ilsemetàgenouxetlejettederrièrelui.Jerougisdevantlesreliefsdesesabdos.Est-cequejerêve?TylerasaplaceparmilesmannequinsAbercrombie&Fitch.Pasdansunlitavecmoi.
Ilembrassemaclavicule,unemainsurmataille,l’autresousmajupe.Seslèvresparcourentmapeautandisquejejoueavecsescheveux.Lementonappuyésursonfront,jetentederespirercalmement.Jen’aijamaisétéaussiexcitéeniaussinerveusedetoutemavie.Jefrissonnesoussesdoigtsquicaressentladentelledemonsoutien-gorge.J’appréhendetellement,j’ail’impressionquejevaisvomir.
Ilabeaucoupd’expérience,comparéàmoiquin’aitoujourspascomprispourquoilesgarçonsaimenttant les poitrines. Je me pose des milliards de questions. Quand dois-je bouger mes mains ? Où lesposer?Est-cequejedoisattendrequ’ilfassequelquechoseoudois-jeprendrelesdevants?Est-cequ’ilveut que je gémisse ?Est-ce que je dois gémir ? Je nemevois pas du tout gémir.Est-ce que je suiscenséefairequelquechose,là?Déboutonnersonjeanouembrassersanuque?
Arrêteça,Eden.Saboucheremontedansmoncou,sesmainsexplorentmoncorpsjusqu’àmesjoues,qu’ilcaressedu
pouce.Jevoudraisqueçanes’arrêtejamais,mêmequandmarespirations’emballe,quejeresserremesmainsdanssescheveuxsanslevouloiretquemondossecambre.
Heureusement,Tylermeguidesansunmottoutlerestantdelanuit.Mêmequandj’hésite,paralyséeparcequ’ilvapenserdemoncorps,ils’arrêteetattendquejemedécideàcontinuer.Etmêmequandildéfaitmonsoutien-gorge,mêmequandilsedébarrassedesonpantalon,mêmequandilcherchedanssonportefeuille,ilneditpasunmot,etçameconvientparfaitement.J’aimelesilenceassourdissantdecettepremièreexpériencemaladroiteaveclapersonnepourquij’éprouvetantdesentiments.
C’estcequirendtoutcelasupportable.C’estparcequejesuisaveclui.PasJake,pasScottleMorveux,Tyler.Legarçonauxmillesecretsetauxmillefaiblesses,legarçon
quim’afaitassezconfiancepourmelesavouer.Jelerespectepourcetteraison.Illuienacoûtédemedirelavérité,maisjen’enaiqueplusenviedelui.Jeneveuxpasqu’ils’arrête.Tyleretmoi…Touten
luim’attiretellement!Jenedevraispasmesentircoupable.Cen’estpasmal.Nousn’avonsaucunliendesang.
Maisjesaisquesil’ondécouvraitlavérité,onnousjugerait.Jenepeuxmêmepasimaginercommentenparlerànosparents.Commentannonce-t-onàuncouplemariéque leursenfantssortentensemble?Commentçamarche?
Pourl’instant,iln’yapasderetourenarrièrepossible.RiennechangeralegémissementdeTylerdansmonoreille,rienn’effaceramesonglesdanssondos,rienneferaoubliernoshanchesquiremuentensemble.
Tylerm’apeut-êtrerévélésessecrets,maismaintenant,ilenaunnouveau.
28
Quandjemeréveille,lelendemainmatin,jenemesenspasspécialementchangée.Ilparaîtqu’onestcensésesentirdifférent;maisjemesensexactementpareilquelaveille,saufquej’aimalaucrâne.Jenesouffrepaslemartyreetjen’aipasenviedepleurer,pasplusquejenesautedejoie.Unmatincommelesautres,unenouvellejournéequicommence.
J’ai lagorgesèchecommesi j’avaispasséplusieurs joursdans ledésert, et lavoix rauquequandj’appelleTyler.Encoreunechosequejevoyaisdifféremmentquandonvientdeperdresavirginité:jecroyaisqu’onseréveillaitlelendemainmatinprèsdeceluiqu’onaime.
Lapaniquem’envahit.Peut-êtreTylerest-ilparti.Peut-êtrem’a-t-ilabandonnéeicicarilregrettecequi s’est passé. L’appartement est trop calme. Tyler devrait être àmes côtés, comme dans les films,m’embrasser le front, jouer avecmes cheveux oumemurmurer desmots doux, enfin, quelque chose,quoi!
Lesrideauxontétéànouveauxtirés,sibienquejenesaispass’ilfaitjourounon.Agrippéeauxdraps,jejetteunœilaumiroir.Jesuisentièrementnue.Horrifiée,jemecouvre.Laportes’ouvreavecdifficultésurlamoquetteduveteuse.Tylerlapousseetentre,unpeupâle.Je
suissoulagée.Ilesthabilléetunpetitsouriredansesurseslèvres.—Jevenaisteréveiller.Sesyeuxsontd’unverttrèsléger,ilestcalme.C’estundétailquej’airemarquéaufildessemaines.
Yeuxmornesetpâles:vulnérable.Normaux:crétinprétentieux.Sombresetanimés:furieuxaupointdepouvoirtuerquelqu’un.
—J’aicruquetuétaisparti.J’aipeut-êtreunpeusurréagi.Tylernemetraiteraitpasdecettefaçon.Dumoinsjel’espère.—Jenesuispasunenfoiréàcepoint,fait-il,surpris.Ildétournelesyeux,commesij’avaisblessésonego.—Tun’asrienàcraindre.Semblantsoudainserappelerlaraisondesaprésence,ildéposemajupeaupieddulit.—Tiens,fait-il,rougeetleregardfuyant.—Çava?—Désolé.Jesuis…Jenesuispasvraimenthabituéà…Ondevraitpeut-êtreparlerde,euh,cette
nuit.
Lesdrapsserréscontremoi, jesouris.Ilestsisûrdeluientempsnormal…Levoilàbalbutiantetincapabledemeregarderenface.Soudain,uneidéemetraversel’esprit.
—J’aiéténulle?—Non,non,fait-ilavecuntoutpetitrire.Jevoulaisplutôtdiredupointdevuede…tusais,qu’est-
cequ’onestmaintenant?Nouséchangeonsunregardappuyé.Ilsemordillelalèvreenretenantsarespiration.Pourtoutdire,
jen’enaipaslamoindreidée.Maintenant, lasituationestpluscompliquée,plusréelleetplusintense,voilà.
—Jenesaispas.Qu’est-cequetuveuxqu’onsoit?—Jene saispas trop, fait-il enpoussantun soupirpensif.Réponds àmaquestion : est-ceque tu
regrettesdel’avoirfait?Commentpourrais-jeregrettercequejedésiraissiardemment?—Non.Ettoi?—Tusaisbienquenon.Nouveausouriresincère,deceuxquimeferonttoujoursfondre.—Onvabienfinirpartrouver.Maispourlemoment,habille-toi,ilfautqu’onyaille.Troy-James
vientd’appeler,ilarrive.Jenebougepas.—Tupeux,euh,melaisseruneseconde?—Ondiraitquejenet’aipasvuenue,metaquine-t-il.Dépêche-toi,ajoute-t-ilenquittantlapièce.J’attrapemajupequej’enfilesouslesdraps,tropmalàl’aisepoursortirdulit.Quandjemelève,la
chambresemetàtourner.Unemainsurlefront,jesoufflelentement.J’ail’impressionquemonsangestunpoisonquimedétruitdel’intérieur.
Dans la cuisine ouverte, Tyler est affairé à jeter un tas demorceaux de verre à la poubelle. Par-dessuslecomptoir,lesoleilbaignelesalonentierdelumière.Toutestrangé,immaculé,commesinousn’avionsjamaismislespiedsici.Iladûnettoyerpendantquejedormais.
—Jenousaiappeléuntaxi.Jesaisquec’estbizarre,maisjenepeuxpasvraimentdemanderàunpotequ’onnousramènesansnousexposerauxquestions.Ilfautavoir l’airnormal, tutesouviens?Letaxi,c’estanonyme.Ildevraitarriverd’iciuneminute.
—Oùsontmeschaussures?JenesaisplusoùontatterrimesConverse.Pasdanslesalonentoutcas.—Jenesaispas,maisilfautqu’onyaille.—Mais,meschaussures…Jeneveuxpaslesavoirperdues.MesConversepréférées,surlesquellesj’aiécritlesparolesdema
chansonpréférée…Cellesquejemetsaulycée,pourfairelescourses,etàdesfêtessurlaplageoùjesuisivreetoùjeveuxembrassermondemi-frère.
—Jet’enachèteraidesnouvelles.Allez,viens.Ils’impatienteàlaporte.Quandjelerejoins,ilfermeetglisselaclésouslepaillasson.Lecarrelageétincelantmegèlelespieds,jem’engouffredansl’ascenseursansattendre.Tylermesuit
avecunsouriremoqueurjusteavantquelesportesnesereferment.Ilnemequittepasdesyeux.—Ilnefautpasenparlerànosparents.—Ilnefautenparleràpersonne,jeprécise.Même si nous rions, je suis tendue. J’ai envie de souffler jusqu’à ce que mort s’ensuive. Voilà
comment résumer cette situation : un très, très gros soupir.Nous n’avons aucune idée de ce que nousfaisons.
Tylerdoitdevinermon inquiétudeparcequ’ilmeprend lamain,commehier. Je regardenosdeuxmainsentrelacées.J’aimebien.Luisecontentedesourireetderesserrersesdoigts.
Dans un coin de ma tête, une pensée me travaille. Peut-être n’allons-nous pouvoir en parler àpersonne, peut-être passerons-nous notre temps à nous murmurer « chut, c’est un secret ». Garder lesecretestdifficile,maispasautantquelerévéler.Nousneseronsjamaisgagnants.
Quand nous sortons de l’immeuble, j’hésite une seconde à marcher pieds nus avant de le suivrejusqu’autaxi.Laconductriceestunefemmed’âgemûrquinousgratified’unsourirefatigué.
Malgré la circulation fluide du dimanchematin, nousmettons vingt bonnesminutes à arriver à lamaison.Elle doit croire que nous sommes naïfs, ou complètement aveugles.Elle prend aumoins cinqmauvaistournantsendisant«oups,c’estpascelui-là!»Jelafusilleduregarddepuislesiègearrièretandisquelecompteurtourneetquejerevois,encoreetencore,chaquedétaildelanuitdernièredansmatête.QuandjedésigneleprixàTyler,ilsecontentedehausserlesépaulesetdepayer.
Noushésitonsdevant lamaisonsans savoircommentgérer la situationavecnosparents. J’ai l’airmal-en-point,meschaussuresontdisparuetjedoisprobablementempesterl’alcool.
—Oùtuleurasditquetuallais,hier?demandeTyler.—Aucinéma.—Quelleoriginalité.—C’estquoitonexcuseàtoi?—Aucune.Jesuissortiendouce.—Passurprenant.Ilrigolemaisjetteuncoupd’œilnerveuxàlamaison.Paslechoix, ilvafalloirentrer.J’aimerais
pouvoirmeteniréloignéedemonpèreetd’EllaetmecacherquelquepartavecTylerpendantqu’ilmeracontesavie.Ceseraitparfait.
Dans le salon,Ella est en train d’examiner des papiers. Installé dansun fauteuil avec sonpoignetcassé,Jamieprendunairpincé.C’estlapremièrefoisquejelevoisdemauvaisehumeur.
—Dave,ilssontrentrés,ditEllasansleverlesyeux.J’espérais qu’elle ne remarque pas notre arrivéemaladroite,mais ce qu’on dit sur les parents est
vrai:ilsontdesyeuxderrièrelatête.Tyleral’air tendu.Ilaplusl’habitudedecessituationsquemoi,ethonnêtement, j’espèrequ’ilva
parler àmaplace.Si j’essaiedem’expliquer, jevaisme rater et sortirn’importequoi, commequandTiffanim’aentenduedireàEllaquej’étaisavecMeghanetquetoutm’estretombédessus.
Monpèredébarquedanslesalonenjoggingettee-shirt.Sanssasempiternellechemise-cravate,ilestmoinsintimidant,ondiraitmongrand-père.
—Qu’avez-vousàdirepourvotredéfense?aboie-t-il,plusénervéqued’habitude.—Euh…lefilmétaitsympa?Tylermelanceunregardquidit:«inutiledetefatiguer».—Vousétiezàlafêtesurlaplage.Ellareposesespapierset lèvelesyeuxtandisqueJamienousobserve,amusé,pourvoircomment
nousallonsnoussortirdecepétrin.Cen’estpasdrôledutout.Notreabsencederéponseestrévélatrice.Oui,nousavonsmentietoui,noussommesallésàlafêtede
laplagesansêtremajeurs.Pourmadéfense,ilnesepassejamaisriendelasorteàPortland.Commentpouvais-jerefuserunetelleoccasion?Jevaistenterd’amadouermonpèrepoursauvernosfesses.Jememetsàpleurer.
—Mes amism’y ont emmenée après le cinéma, je dis entre deux sanglots exagérés. Je ne savaismêmepascequec’était!
Mavoixrauque,elle,n’estpassimulée.Jemeursdesoif.
Tylern’afficheaucuneexpression.Jenedéfendsquemoi-mêmeetapparemment,jenesuispastrèsdouée.
—Moi j’y suis allé demonpleingré.Qu’est-ceque tu comptes faire ?M’enfermerpendant cinqans?
Mon père semble ne pas savoir quel problème gérer en premier : mes larmes de crocodile oul’insolencedeTyler.Ilnechoisitpas.
—Oùétiez-vouscettenuit?Jemerappellecequ’aditTylersurEllahiersoir,soninquiétudequandils’agitdelepunir.Mon
pèreenrevanchen’aaucunproblèmepourdéclencherlesdisputes.—OnadormichezDean,inventeTyler.Cen’estqu’unelégèredéformationdelavérité.Noussommesbienalléschezquelqu’un,saufquece
n’étaitpasDean,etquenousn’avonspasvraimentdormi,àproprementparler.—Relax,c’estl’été.—Oh,excusez-moi.J’avaisoubliéquec’était l’été,cequiveutdirequevouspouvezfairetoutce
quivouschante.Mesexcuseslesplussincères.Jamieétouffeunrire.J’aimeraisluidiredelafermer,maismonpèren’apprécieraitpas.Etpuis,il
estsympa.Pourundemi-frère.—Cen’estpaslapremièrefoisquetudécouches,Eden.Jefaiscoulerquelqueslarmesdeplus.Ilalescheveuxplusgrisqu’ilyaunmois,quandilestvenu
mechercheràl’aéroport,etplusilsemetencolère,plusilal’airvieux.Comparéeàlui,mamèrefaitvingtetunans.
—Ondortlesunschezlesautres,c’esttout,jedis,plusthéâtralementqueprévu.Lapremière foisque jene suispas rentrée, jem’étaisendormiechezJakeaprès l’avoirembrassé
devantLeRoiLion.Hiersoir,j’étaistropcaptivéeparlapeaudeTyler,tropcharméeparlesondesavoix,tropamoureusedetoutsonêtre.
—Cen’estpascequejeveuxdire!—Alorsquoi?Ilnetrouvepasderéponse,alorsilsetourneversTyler.—Tuesingérable,iln’yariend’autreàdire.Montedanstachambre.Dégagedelà.IllanceunregardentenduàJamiequicomprendlesignaletselèvepourpartiràsontour.—Çameva,faitTyler.Quandilcroisemonregard,sonrictusnarquoissemueensourirerassurant,commepourmedirede
nepasm’inquiéter,quetoutvabiensepasser.IlattrapeavecprécautionlebrasdeJamiepoursortirdelapièceetmurmure:
—Commentvatonpoignet,frérot?J’aimerais être comme lui. J’aimerais être capable de faire semblant que tout n’est qu’une vaste
blague.J’aimeraismemettretellementdanslepétrinquemefairehurlerdessusdeviendraitlecadetdemes soucis. J’aimerais ne pas être là, exposée aux questions et à la déception demonpère, avec cespauvreslarmesquicoulentsurmonmaquillagedégoulinant.
Je viens de comprendre que mon père n’a pas une once de compassion en lui. J’aurais dû m’endouter.Chaquefoisquemamèreallaitmal,ils’enfichait.Chaquefoisqu’ellepleuraitàcausedelui,ils’enfichaitencoreplus.Iln’enajamaisrieneuàfaire.
Alorsj’arrêtelecoupdessanglotsetjeleregardedroitdanslesyeux.—Alors?Ella,quisemordilleleslèvressansriendire,nebougepasd’unpoucedepuislecanapé.Jenesais
passi jedevraism’enréjouirounon, jen’aipasencoredéterminésielleétaitdugenreàsemettreàhurleraussiouplutôtàmedéfendre.
—Eden,jenet’aipasfaitveniricipourquetupuissessortirendouceetmementir.J’explose.—Alorspourquoi tum’as faitvenir?Tuvoulaisqu’onaille fairedushoppingensemble?Qu’on
fassedesmarshmallowsgrillésautourd’unfeudecamp?Quoi,Papa?Qu’est-cequetuespérais?Jenourrisunerancœurinfinie.Jesuislàdepuissixsemainesetiln’apasfaitlemoindreeffortpour
arranger les choses, il n’amêmepas tentéde s’excuserdenousavoir abandonnées,Mamanetmoi, etd’avoirattendutroisanspourmerevoir.Etilveutrevenirdansmaviemaintenant?Ilveutjoueraupèreavecmoi?
—Jecroisqu’ilfautsecalmerunpeu,intervientElla.Leplusimportant,c’estqu’ellesoitlà.Ça y est, je crois qu’elle est le genre de mère qui, non contente de ne pas se soucier que vous
disparaissiezsansunmot,vaaussiprendrevotredéfenseaprèscoup.—Exactement.Jesuislàetjesuisvivante,etTyleraussi,maissiçapeutaider,jesuisdésolée.Je
suisdésoléedenepasêtrerentréehier.Monpèren’acceptepasmes excuses. Ilme regarde commeunpèrenedevrait jamais regarder sa
fille,commes’ilnepouvaittoutsimplementpasmesupporter.Àcemomentprécis,jelehaisdetoutmonêtre.
—Pourquoitumeregardescommeça,Papa?C’estquoitonproblèmeavecmoi?—Jen’aiaucunproblème.IljetteunœilàElla.Ellesecontented’ouvrirdegrandsyeux.—C’estpourçaquetunem’aspasparlépendanttroisans?Parcequetun’aspasdeproblèmeavec
moi?Jenesaispasd’oùmeviennentcesmots.Cesontdespenséesquisesontrassembléesaufinfondde
monespritdepuissondépart.Maintenantquejesuisfollederage,ellessedéversentd’uncoup,sansquejepuisselesarrêter.Jevoislerougeluimonterauxjoues.
—C’estpourçaquetuesparti?Parcequetun’asaucunproblème?—Çasuffit!Ilnepeutpasaffronterlavérité.Ilnepeutpasaffronterlefaitqu’ilestunpèreminable,parcequ’il
croittoujoursavoirraison.C’estpourçaqu’ilsedisputaittoutletempsavecMaman.Rienn’étaitjamaissafaute.
—Tun’asmêmepasessayédefaireuneffortavecmoi.J’avancedequelquespas,latêtehaute,déterminée.—Tun’asmêmepasditquetuétaisdésolé.C’estlapremièrechosequetuauraisdûmedirequand
jesuisdescenduedel’avion.—D’accord,Eden,jesuisdésolé.Jesuisdésolédenepasavoirétélà,fait-ilpasdutoutsincère.
Voilà.Tuescontente?—Àquoiçasertmaintenant?Tuastroisansderetard.Jeveuxleblesser.Jeveuxlefaireculpabiliser.Maisilaseulementl’airénervé.—Tuesexactementcommetamère,tulesais?Ellaestabasourdie.—Heureusement.Parcequejamaisjenevoudraisêtrecommetoi.Ilesttempsdedéguerpir.Ilsaitquejesuisfurieuseetqu’ilvaluifalloirpasmald’excusespourque
jeluipardonneunjour.IltourneunregardglacialversEllaetj’enprofitepourmedirigerverslaporte.—Nonmaisçanevapas,Dave?souffleElla.Rattrape-la!D’accord,ellen’estpasrentréedela
nuit,maistucroisvraimentquetuvaspouvoirarrangerleschosesavectafilleenjouantlesarrogants?—Hé,jen’airienfait,moi.C’étaittonidéedel’amenerici.Bonsang,lesados,quelcauchemar…
Quand elle rentrera chez elle et que Tyler sera à New York, on pourra peut-être retrouver une vie
normale.Jem’arrêteàlaporte,interloquée.Ai-jebienentendu?Monpèrem’ainvitéeparcequeEllaleluia
suggéré?Çanedevraitpasmesurprendre,çanedevraitpasmefairemaletpourtant…Jemeretourne.—Tuneveuxpasdemoiici?IlsouvrentdegrandsyeuxetEllaselève.—Eden,tunedevaispasentendreça,tonpèreneveutpasdireque…Jemefichepasmaldeleursexcuses.—EtpourquoiTylervaàNewYork?—Pourrien,fait-elleavecunregardnoiràmonpère.Ce n’est certainement pas rien, mais je suis lasse de poser des questions sans jamais obtenir de
réponse.J’ail’impressionquemoncœurvaimploser.Mamanavaitraisonàproposdemonpère.C’estunsalecon.
J’enfonce lesmainsdans lespochesdemonsweat,cequimerappelleunefoisdeplusqu’onm’avolémesaffaires,etjesorsentrombe.J’ailatêtequitourne,ilmefautdel’eau,unedouche,etTyler.Jepeuxenobtenirdeuxsurtrois.
Pfff.J’ai besoin dem’éclaircir les idées, de sortir de cettemaison et de prendre l’air. J’ai besoin de
courir.Jemedoucheraienrentrant.JeparleraiàTylerenrentrant.D’abord,ilfautquejemevidelatête.Jeréprimemonenviedevomirenmemettantentenuedesportpuisj’attrapeunebouteilled’eauàla
cuisineetjesorsparlepatiopourévitermonpère.Jeparsverslenord,cettefois,àuneallurerégulière.Jeneveuxpasretournerverslaplage.Jeveux
découvrirunendroitdifférent.Trèsvite, jeme retrouvedans lequartierdePacificPalisades.Sous lesoleilardent,monmaldecrânecommenceàs’estomper.
Lanuitdernièrearenducettesituationpluscompliquéequ’ellenel’étaitdéjà.Maintenant,Tyleretmoimarchonssurdesœufs.Sionsefaitprendre,onestmal.
C’estlebazartotaldansmoncerveau.Dansunmondeparfait,Tyleretmoineserionsenaucuncasreliésparuncertificatdemariage.Dansunmondeparfait,Tyleretmoin’aurionspasàagirendouce,enblessantdesgenspendantquenous tombonsamoureux.Dansunmondeparfait, jemevanterais auprèsd’Amelia.Maiscemonden’estpasparfait.Loindelà.
Deretouràlamaison,quaranteminutesplustard,toujourspassobreetplutôtessoufflée,jem’arrêtenetsurlapelouse.
LavoituredeTiffaniestgaréedevant.Oh,oh.Noussommesdimanchematin,ilsnesevoientjamaisledimanche.
J’avance, raide,sanssavoirsic’estàcausedusportouparcequequelquechosecloche.Jeferaisbiendemi-tourpourcourirhuitcentmillekilomètresdeplus.JedépassetrèsvitelesalonoùmonpèreetElla sont probablement en train de débattre de lameilleure façon de se débarrasser de leurs rebellesd’enfants.
J’ai à peine atteint le palier que Tiffani émerge dema chambre, Tyler sur ses talons. Il tente del’arrêtermaisellesedégage.
—Ahtiens,lavoilà.Justeàtemps,fait-elle,acide.Derrièreelle,Tylersecouelatête,unemaindanslescheveux.—Àtempspourquoi?Jen’aipasenviedesavoir,àvraidire.Tyleral’airinquietetçasecomprend.Jen’aijamaisvuTiffaniaussi…mauvaise.—Ilfautquejevousparle,àtouslesdeux,etaucasoùçaneseverraitpas,jesuishorsdemoi,fait-
elleenserrantlespoings.Jesuisàçadet’encollerune,Tyler.—Qu’est-cequej’aifait,encore?
Ilrecule,justeaucasoù.—Qu’est-cequetuasfait?Tuessérieux?Danslejardin.Toutdesuite.Ellemedépasseenmebousculantcontrelemur.C’estquoisonproblème?—Merde,faitTyler,unemaincontresonvisage.Enbasdel’escalier,Tiffanilanceunregardappuyéverslesalonoùsetrouventnosparents.—Jepeuxvousparlerdehorsoujepeuxvousparlerici,dit-elleàvoixbasse,etcroyez-moi,ilvaut
mieuxpourvousquecesoitdehors.Ellesait.Ellesaittout,bonsang.Lamêmepensée traverse l’esprit deTylerquime lanceun regardpaniqué.Cette confrontationne
pouvaitpas tomberplusmal.Jesuisen lendemaindecuite,ensueur,épuiséeet j’ai l’airéchappéededésintox.Oui,àcepoint.
Jenevaisjamaissortird’icivivante.Est-cequ’ilesttroptardpourceshuitcentmillekilomètres?Tylermepousseàcontrecœurdansl’escalier.Ilalesbrasraides,lespoingsserrés.Nousfinissonsparnousexécuter.
—Aloooors,faitTiffani,unefoisdanslepatio.—Alors…,répèteTyler.—Alorscematin,j’aireçuunmessagedeTJ.J’essaieden’avoirl’airderien.J’essaiedenepasavoirl’aird’avoircouchéavecsoncopain.—Et tusais, jecommenceàenavoirvraimentmarrequ’onviennemeparlerdenosébats,Tyler,
parcequelamoitiédutempscen’estpasmoi!—Dequoituparles?—Necommencepas,Tyler.Tais-toi.Noschancesderesteramiessontentraindes’amenuiser.—TJafaituneblaguecommequoions’étaitbienamuséshiersoir,parcequesachambreétaitdans
unbazarpaspossible,etnoussavonstouslesdeuxquejen’étaispasavectoi.—Attends.Mapuce,jen’aicouchéavecpersonne,j’aijusteoubliéderangeraprès…—LAFERME!Ellen’apluslapatiencedecomposeravecsesmensonges.Lesyeuxclos,ellerespireprofondément
avantdesetournerversmoiavecunsourire.—Eden,tunevoulaispasrécupérerteschaussures,parhasard?Touts’arrête.Moncœurflanche,mesmembresseraidissent,jesuisglacée.Impossibledesortirle
moindremot.—Commentas-tu…?jechuchote.—ParcequeTJm’ademandésij’avaispasséunebonnenuit,etpuisiladitquej’avaisoubliémes
Converse.Ilm’ademandécequesignifiaientlesphrasesécritesdessus.Jemerappelletrèsbient’avoirvue lesagiter toute la soirée.Cellesavec lesparolesdessus,n’est-cepas?Au fait, tunevaspas lesrécupérer.Jeluiaiditdelesjeterpourmoi.
—MaisTylerestmon…—Demi-frère?Oui,jesais.Elle est au bord des larmes.Elle s’essuie les yeux du revers de lamain, se redresse, rajuste son
sweat.—Jeviensdepasserunedemi-heure ày réfléchir. Jemedisais «maisnon, ils sont de lamême
famille».Maisj’aivuClueless,OK?Tusais,quandChertombeamoureusedesondemi-frère?JenesuispasBÊTE.
Voilà.C’estçalasensationdesefaireprendrelamaindanslesac.C’estl’enfer.
Tyleretmoirestonsmuets.Nousnenoussommespaspréparésàcequiestentraindeseproduire.Cen’étaitpascenséarriver,lavériténedevaitpasêtredécouverte.J’ail’impressiond’êtreauJugementdernier.JemesenssiminusculefaceàTiffani…Jen’arrivepasàregarderTyler.J’ailanausée,alorsjetournelatêteverslebarbecueprèsdelapiscine.
Si seulement je pouvais rembobiner l’été jusqu’àma première soirée dans cette ville, les voisinsentassés dans le jardin, le barbecue grésillant et mon père, avec ses blagues pourries. Je veux toutrecommencer,maiscettefois,jenetombepassouslecharmedemondemi-frère.Cettefois,jeneveuxpasmeretrouveraumilieudecettepagaille.
—Tun’aspasvraimentcouchéavecJake,heinEden?Tiffaniestvraimentenlarmescettefois,deslarmesdecolère:lespires.—Non.—C’étaittoi,cettenuit-là,surlajetée.J’ail’impressiondemourir.Laculpabilitémeconsume.J’ai toujoursrefuséd’êtreunementeuseet
voilàcequejesuisdevenue.—Tun’esqu’unesalementeuse.—Jesais.Jesuismoiaussiauborddeslarmes.Jeneveuxpasêtrelà.JeveuxêtreàPortlandavecmamèreet
Amelia.Jeveuxdormirjusqu’àmidi,jeveuxregarderdesrediffsdemessériespréférées.Jeneveuxpasdeça.
—Jesuisunementeuse.Jesuisunegarce.Jesuislapireamiedumonde.Tout à coup,Tyler vient se placer devantmoi. Il est resté longtemps silencieux.Qu’a-t-il bienpu
préparercommedéfense?—Tusaisquoi,Tiffani?Jeneveuxmêmepasêtreavectoi.J’aiperdutroisansdemavieparceque
tum’asfaitduchantagepourquejereste.Faiscequetuveux.Disàtoutlemondecequetusaissurmoi.Te faire garder le secret nevaut pas l’effort dedevoir te supporter.C’est fini. Traîne-moi en justice,dénonce-moiauxflics.Jem’enfiche.J’enaimaclaque.
Ça,jenem’yattendaispas.Lasemainedernière,ilm’expliquaitqu’ilétaitimpossibledecasseravecelle. Elle avait le pouvoir de le détruire, et maintenant…On dirait que ça lui est égal, il veut justes’éloignerd’ellelepluspossible.
—Toutçac’esttafaute!mehurle-t-elle.Inconsciemment,jemerapprochedeTyler,cequin’arrangerien.—Jemefichequevoussoyezfrèreetsœur,alorsquec’estvraimentdégoûtant.Maisnon, levrai
problème,c’estquetuastoutfichuenl’air.Jemesensencoreplusmal.Jeluiaivolésoncopain.Sanslevouloir,maisquandmême.J’avance
verselle.Malgrétoutessesremarquesblessantes,jesuistoujoursmortedehonte.—Tiffani,jenevoulaispas…Tylermefaittaired’ungestedelamain.—C’estfini,mapuce.Ildésigneleportailavecunhaussementd’épaules.Ilsemontresidurquejemesensmalpourelle.
Siellen’étaitpassurlepointdemetuer,jelaprendraisdansmesbras,commel’amiequejesuiscenséeêtre.
—Maistunepeuxpasmequitter!hurle-t-elle,frustréeetsanglotante.Tylers’esclaffe.Enfait,ilsemoqued’elle.Ilnedoitpasavoirenregistrélefaitqu’elleconnaîtnotre
secretetqu’elleatouteslesraisonsdelerévéleràtoutlemonde.—Pourquoi?Parcequejeneseraipluslàpourtedonnerl’aircool?Parcequetunepourrasplus
mecontrôler?—ParcequejesuisENCEINTE,Tyler!
L’atmosphère s’épaissit, on suffoque. Tyler est livide. Le souffle court, Tiffani pleure doucement,douloureusement.Maintenant,jevaisvraimentvomir.
—Quoi?finit-ilpararticuler.Les joues mouillées de larmes, le cœur brisé, elle recule. Je ne peux pas le supporter. J’ai
l’impressionqu’onm’amiseK.-O.,toutestflouetbrouillé,commequandonvientdeseréveiller.J’entendslaporte-fenêtrecoulisser,maisjesuistropabasourdiepourregarder.—Qu’est-cequisepasse,ici?demandelavoixd’Ella.Tylerrestemuet.Ilestenétatdechoc.IlregardeTiffani,bouchebée,assaillid’émotionsdiverses.
Quandjelèvelesyeuxverslaporte,Ellaetmonpèresontlà.Jesaiscequ’ilspensent.IlssedemandentpourquoiTyleral’airdefaireunecrisecardiaqueetpourquoiTiffanisedirigeversleportailenlarmes.
Elles’arrêteuninstant,ravalesessanglotsetregardeElla.—Ilfautquevoussachiezqu’ilestaccroàlacoke!crie-t-elle.Etils’estmisàdealeraussi!—Salegarce!grogneTylersortidesatranse,tandisqueTiffaniclaqueleportailderrièreelle.Larévélationmefaitl’effetd’unebombe.C’étaitdoncgrâceàçaqu’elleleretenait.C’étaitcedont
Tylerparlaitquandnousétionsenfermésdanslasalledebains.C’estcequ’elleadûdécouvriraudébutdesvacancesetc’estpourcetteraisonqu’ilestarrivéaussifurieuxaubarbecue.C’estpourçaqu’ilévitelesennuisaveclapolice.
Parcequ’ilpourraitatterrirenprison.S’il y avait encore une possibilité que cette journée empire, la voilà. Il y a beaucoup trop
d’informationsàtraiterd’unseulcoup:lavéritésurTyleretladrogue,lavéritésurTiffaniet,pirequetout,lavéritésurTyleretmoi.
—Tyler,ditlentementElla.Jet’ensupplie,dis-moiquej’aimalcompris.Unemainsurlapoitrine,ellesort,monpèreàsescôtés.—S’ilteplaît,jet’ensupplie,dis-moiquec’estfaux.Jeretiensmarespiration.Lerevoilàparalysé. Ilestsansdouteassaillid’unmilliondepenséesen
mêmetemps.Finalement,ilbaisselesyeux.—Siseulement.Ellaporteunemainàsabouche,enlarmes.Ellesetourneversmonpèreetenfouitlatêtecontresa
poitrine.Étrangement,cedernierlaprenddanssesbrassansunmot.Çanel’empêchepasd’avoirl’airfuribond.
Tylerrelèvelatêteavecuneexpressiondouloureuse,lamêmequelanuitdernière.—Maman,nepleurepas.Jenesuispasunjunkynirien.C’estjusteque…enfin…çam’aide.Ellamurmurequelquechosed’inaudible.—Maman,souffledeuxsecondes.Il avance vers samère toujours dans les bras demon père et parvient à poser unemain sur son
épaule,maisellesedégage.—J’aidit:va-t’en.—Quoi?—Va-t’endecettemaison.Toutlemondesefige.Monpèren’encroitpassesoreilles:Ellachassesonfilsdelamaison.Tyler
estsansvoix,seslèvresbougent,maisriennesort.Quantàmoi,j’aivraiment,vraimentenviedepleurer.Ilnepeutpasêtrechassécommeça.SurtoutaprèslabombelâchéeparTiffani.
—Tudisçasérieusement?Ellas’écartedemonpèreens’essuyantlesyeux.Elleesteffondrée.—Tyler,s’ilteplaît.Va-t’en.Jen’enpeuxplus,fait-elleenéclatantensanglots.
J’échangeunregardavecTyler.Nousnenousattendionspasàça.Onestdimanche.Ledimanche,ilnesepasserien,normalement.
Les mains dans les poches, complètement abattu, il dépasse nos parents. Je me déracine pour lesuivre.Jemefichedecequemonpèreauraàdire.
Jelerattrapeenhautdel’escalierd’oùJamieetChasenousobserventavecdegrandsyeuxcurieux.Ont-ilsentendu?Ilsnouslaissentpasserjusqu’àlachambredeTyler.Laporteclaquederrièrenous.
Prèsdulit,jel’observeextraireunsacmarindesonétagèreenfaisanttomberleblaserdeDeanparterre.Illedégagedupassaged’uncoupdepied.Ils’affaireainsiquelquesminutesàremplirsonsacsansdireunmot.
Jedécidedebriserlesilence.—Oùtuvasaller?Impossible d’imaginer lamaison sans lui et ses histoires sur le bacon tous lesmatins. Impossible
d’imaginer la chambre voisine vide. Impossible d’imaginer ne plus voir son sourire quand nous nouscroisonsdansl’escalier.
Ilmejetteunbrefcoupd’œilenenfilantlabretelledesonsac.—Aucuneidée.ChezDean.Peut-être.Jenesaispas.J’ailatêteenvrac.Jelesuisàlasalledebains,sanslelâcherdesyeux.—Tut’esmisàdealer?—Çanefaitpastrèslongtemps,fait-il,têtebasse.Ladéceptionm’emporte.La situation était déjà grave,maintenant le voilà dans lemilieu criminel
jusqu’aucou.—Pourquoi?Dostourné,ilsecouelatêtecommes’iln’avaitpaslaréponse.—C’estfacilede…d’êtreentraînélà-dedans.Tiffaniesttellementénervée,jesuissûrqu’ellevame
dénoncerauxflics.—Jen’arrivepasàcroirequ’ellesoit…Jen’arrivemêmepasà ledire tantc’est incroyable.Dieumerci,Ellan’estpasencoreaucourant,
elleauraitfaituneattaque.—Moinonplus.Aumomentoùilouvreleplacard,ilseplieau-dessusdestoilettes,unemaincontrelemur,prisd’un
haut-le-cœur.Çadoitêtrelechoc.J’airessentilamêmechose.—Merde.—Jenesaispasquoidire,Tyler.C’est lavérité.Comment luidirequetoutvabiensepasseralorsquetoutestentraindepartiren
vrille?Jeluifrotteledosmaisjemesensbête.Sonex-petitecopineestenceinteetmoi,jeluifrotteledos.
—Commentonvafaire?—Quoi?—Nous.Qu’est-cequ’onvafaire?EtTiffaniettoi?Ilaunnouveauhaut-le-cœur,maisriennesort.Finalement, ilseretourneversmoi,et ila l’airde
s’envouloir.—Jenesaispas.Jedoisd’abordtoutremettreauclair.—Moinonplusjenesaispas.Maisj’ailecœurlourd.TyleretTiffanisontànouveauliés.Etmoidanstoutça?Tylerterminesonsac.Ilalaisséquelquesflaconsdanslecabinet,jesaiscequ’ilscontiennent.—Prends-les,s’ilteplaît,dis-jeendésignantlesantidépresseurs.Tutesentirasmoinsmal.
Il réfléchit un instant : antidépresseursoudrogues ?Devantmonairdésespéré, il attrape les troisflaconsblancs.Jenepeuxqu’espérerqu’ilenferabonusage.Peut-êtreparviendra-t-ilàsesentirmieux?
Ils’apprêteàpartir.Nousnousregardonsunlongmoment.Ilesttrèspâle,ondiraitqu’ilestmaladedepuis des semaines. Ses yeux mornes plongés dans les miens, il me prend dans ses bras. C’est lapremièrefois.Nousnoussommesbeaucoupembrassés,onamêmecouchéensemble,maisnousnenoussommesjamaisprisdanslesbras.Nousn’avonsjamaispartagéuntelmoment,monvisageenfouicontresa poitrine, son menton posé sur ma tête. Si seulement cela pouvait être le premier de beaucoupd’autres…
Ilappuieseslèvresfroidescontremonfrontetmurmure:—Jevaisréglertoutça.Quandils’écarte,ilal’airterrifié.Iln’aaucuneidéedecequ’ilfaitetmalgrélesapparences,ilest
auborddesebriser.Avecunderniersignedetête,ilsedirigeverslaporte.Jerestelà,engourdie,àleregarderfranchir
leseuilsansseretourner.—J’espèrequetuvasyarriver,dis-jeavantqu’ildisparaisse.
29
Deuxjourspassent.Deuxjoursquejen’aipasvuTylernineluiaiparlé,deuxjoursqu’Ellabroiedunoir,deuxjoursoù
riennesembleêtreàsaplace.Parfois,Ellademandeàmonpèresonavissurl’endroitoùpeutbiensetrouverTyler.Ceàquoiilrépondinvariablementqu’ill’ignore.Parfois,elleditquelechasserétaitlapirechoseàfaire,parcequ’ellenepeutplusgarderunœilsurlui.Ellepensequemaintenant,ilaencoreplusde raisonsde sedroguer. Jepréfère croirequ’elle se trompe. J’ai assez confianceenTylerpourespérerqu’ilcomprennelesignald’alarme.Unechanced’arrangersavie.JamieetChase,enrevanche,ne semontrent pas aussi compréhensifs. Jamie s’est disputé avec samère hier soir. Il l’accuse d’êtreinjusteettropsévère.Cematin,Chaseaditqu’iln’aimaitpasquandlamaisonétaitaussiennuyeuse.IlvoulaitqueTylerl’emmènefaireuntourenAudi.Chaseadorelesvoitures.Maisaujourd’hui,sonfrèren’estpaslàpourfaireronflersonmoteur.
Jel’imaginedevantchezDeanetj’aisoudainenvied’alleryfaireuntour.Jenevoispaspourquoijen’auraispasledroitdelevoir.Iln’estqu’àcinqminutes.Jepourraispeut-êtredemanderàRachaeldem’yconduire.
JetraverselapelousepourrejoindrelaNewBeetlerougequim’attenddansl’alléedeRachael.Cettedernièreestentraindeserecoifferquandjemeglisseàl’intérieur.
—Toi,onpeutdirequetun’espasàchevalsurleshoraires,melance-t-elle,toutsourire.—Désolée.Vraiment,vraimentdésolée.Troisminutesderetardc’estterrible.Tudevraism’envoyer
aubûcher,ôdéessetoute-puissante.EllelèvelesyeuxaucielcommelefaitAmeliaet,pendantuneseconde,j’ailemaldupays.—Bonalors,lespotinsdesamedi?L’inquiétudeetlapeurqueTiffaniaitdéjàcommencéàrépandrenotresecretcommeunetraînéede
poudrem’envahit.Rachaelestaucourant.EtMeghan,etJake,etDean.Toutlemondeestaucourant.—Allez,raconte!TuesrentréeavecJake?Peut-êtrequ’ellenesaitpas,oupeut-êtrequ’elle fait semblantpourpouvoirpilerd’uncoupetme
hurler«MENTEUSE!»Jenel’aipasvuedepuissamedi.Aprèssagueuledeboisdetroisjours,ellem’aappeléepourme
proposer d’aller prendre un café parce qu’elle ne m’avait pas vue « depuis deux ans », selon elle.J’auraisdûmefaireporterpâle.
Jefinisparrépondreàsaquestionavecunpetit«non»,avantdem’intéresseraupaysageennuyeuxquimedevientfamilier.
—Ettoi?Elles’agrippeauvolant.—J’aidormichezTrevor.—Justedormi?—Entreautresactesinavouables,glousse-t-elleavantdepousserunsoupir.Jeveuxjustequ’ilme
demandedesortiravecluiunebonnefoispourtoutes.Jemesensmalpourelle.ElleneparlequedeTrevordepuisledébutdel’été,mêmes’iln’estque
son«mecdesoirée»,selonTiffani.—Lesmecssonttouspareils,luidis-je.Etjecommenceàlecroiremoi-même.Trevor, par exemple. Il est très gentil quand il est saoul,mais au fond, il n’est probablement rien
d’autrequ’unchienen rut.Deuxièmeexemple : Jake. J’avoue, je suis tombéedans lepiègeaudébut ;maisenfindecompte,ilnecherchaitqu’unnomdeplusàajouteràsaliste.Dernierexemple:Tyler.IltraitemallesgensetilamisTiffaniencloque.
Cesderniersjours,lamoutarden’afaitquememonteraunez.Jamaisjenel’auraiscrucapabledecommettreunetelleerreur.Pluslaréalités’imposeàmoi,plusellemefaitmal.Tylervadevenirpapa.Ilesttropjeuneettropirresponsable,ilnepourrajamaisgérer.
RachaelcritiqueTrevorpendant tout le trajet jusqu’auboulevard. Ilest sexy,maisc’estuncon. Ilpeutêtrevraimentadorable,maisc’estuncon.SesparentsadorentRachael,maisc’estuncon.ArrivéesdevantleRefinery,j’ensaisassezsurluipourpouvoirluivolersonidentité.
—Jesuistellementénervée,conclutRachael.Elleserequinqueunpeuquandellecommandesoncappuccino.Nousnousinstallonsàunetableen
boisprèsdelafenêtresurleboulevard.—Oh,j’allaisoublier!Ellefouilledanssonsacpourensortirmesvingtdollarsetmontéléphone.—Tuasdûleslaisserchezmoiavantd’allerchezDean.Jeviensdelesretrouversousmonlit.—Turigoles?J’aicruquejem’étaisfaitvoleràlaplage!J’enaipleuré!Elleéclatederireetdéposemontéléphonesansbatteriedevantmoi.Quandlaserveuseapportenotre
commande,majournées’illumine.—Bon,j’attendsdeteparlerdeçadepuiscematin.Lagrossenouvelle!TyleretTiffaniontcassé!
Tuycrois?exploseRachael, lesyeuxécarquillés.Enfin, je luidisdepuisdesannéesquec’estqu’uncon… désolée, je sais que c’est ton frère et je sais que je suis censée être aussi son amie, maisfranchement,ill’atraitéesupermal.
Elleagitelesmainscommeunjournalisteannonçantunscoop.Dansunsens,çal’est.—Qu’est-cequ’ellet’adit?Luia-t-elleracontélaversionlongue,cellequim’inclut?Passonssurlefaitqu’elleprenneleparti
deTiffani.D’accordTylernel’apastrèsbientraitée,maisquipourraitluienvouloir?Ellelecontrôlaitetilnevoulaitpasêtreavecelle.
J’écouteRachaelensirotantmonlatte.—Elleestpasséechezmoihier soir.C’est luiquiacassé.Tune trouvespasçadingue?C’était
dimanchematin,jecrois.—Oui,j’étaislà.Je détourne les yeuxpour examiner le flot des passants.Rachael, quant à elle, est obsédée par la
nouvelle.—Ill’aencoretrompée,tulecrois,ça?
Jereporteimmédiatementmonattentionsurelle,enserrantmonmug,paniquée.—Ellet’aditquiétaitlafille?—Non.Tulesais,toi?Ouf.—Non.Unefillequivientd’uneautreville,ilmesemble.Pourvuqu’ellenedevinepaslaculpabilitédansmesyeux.—Jen’arrivepasàcroirequec’estluiquil’aquittée,çaauraitdûêtrel’inverse.Elleétaittellement
énervéequ’elleatoutditàsamère,pourlacoke.Cen’estpaslaseulechosequ’elleluiaitdite.—Oui,ils’estfaitvirerdelamaison.—Jesais,c’estpourçaquejen’arrivepasàcroirequ’ellelelaissehabiterchezelle,fait-elleavant
deboireunelonguegorgée.—Quoi?—Quoi,quoi?—IlestchezTiffani?Ilm’aditqu’ilallaitchezDean.Lanouvellemeporteuncoup.JesaisquelasituationdeTylerestdélicate,maisjenepensaispas
qu’ilallaitsejetersifacilementdanssesbras.J’ailecœurserré.—Ehbien il n’est pas chezDean, ça c’est sûr.Moi aussi j’ai trouvé çabizarre.Mais tu connais
Tiffani.Elleesttellementpossessivequ’elleadûluipardonner.Ellenesupportepasl’idéequ’uneautrefillepuisseêtreaveclui.Elleditqu’ilsvontfinirparseremettreensemble.C’estdébile!Pourquoiseremettreavecuntypeinfidèle?Elleestcinglée.
—Elleestenceinte,Rachael.Lesmotsmeglissentdelabouchesivitequejememetsàpaniquer.Cen’estpasàmoiderévéler
l’information.Peut-êtrequeTiffanivoulaitenparlerelle-mêmeàsesamies.Rachaelmanquede tomberde sa chaise.Son café éclabousse la tablequandelledépose sonmug
avecfracas.Puis,abasourdie,ellesepencheversmoi.—Quoi?—Elleluiaditdimanche,jemurmure,prised’unhaut-le-cœuràcetteidée.Aprèsqu’ilacasséavec
elle.Plusj’ypense,plusc’estlogique.Biensûrqu’ilestchezelle!C’estcequiarrivequanduncouplese
retrouveavecunenfantsurlesbras.Ilsfonttablerasedupasséetrestentensemble.—Elledoitluipardonneretildoitretourneravecelle.—C’estdingue!chuchoteRachaeltrèsfort,avantdesereculer.Perplexe,elletentededigérerl’information.—Attendsdeuxsecondes.ChezDean,samedi,elleabudel’alcool.J’essaiedemeremémorertoutcequis’estpasséchezDeanavantquejemesaouledanslegarage.
Ellearaison.Tiffaniétaitplusqueraviedesejoindreaujeudelaroulette,cequin’auraitpasdûêtrelecassielleétaitenceinte.Elleétaitdéjàéméchéequandjeluiaiparlédanslejardin.
—Attendsdeuxsecondes, répèteRachael,undoigten l’air.Tudisqu’elle luiaditça justeaprèsqu’ilarompu?
—Oui,genre,cinqsecondesplustard.Ellepousseunlongsoupir.—Tunecroispasque…?Sonsous-entendumefrappeaussifortqu’unetonnedebriques.Tiffaniment.—Oh,non.
—Classique, fait-elle, son indexmanucuré contre sa bouche, comme si elle venait d’élucider uncrime.Turacontesautypequetuesenceinte,commeçailestobligéderesteravectoi.
—TucroisqueTiffanienseraitcapable?—Jevoudraiscroirequenon,maisquandils’agitderesteravecTyler,ellenereculedevantrien.Il
estprécieuxàsaréputation.Jel’aidéjàdit,elleestcinglée.Ouencore, selon les termesdeTyler, c’est unepsychopathe. Jene croispasqu’elle ait unevraie
maladiementale,maisdesérieuxproblèmes,ça,oui.Ilfautqu’ellesoitbienatteintepourtenterunetellemanœuvre.
—Jesaiscommentenavoirlecœurnet!s’exclameRachael.Jenesaispascequisetramedanssatêtemaisjesensquec’estridicule.—Tusaisqu’onvatouschezelle,vendredi?—Jenesuispasinvitée.Jemetourneverslarue.Jen’étaismêmepasaucourant,doncc’estquejenesuispaslabienvenue.
Etjenepeuxpasluienvouloir.—Mais si.Tun’asplus tonportabledepuisquelques jours,elle t’a sûrementenvoyéunmessage.
Soiréefilm.Jeserrelesdentspourm’abstenirdetoutcommentaire.Rachaelnecomprendpas.Jesaisquejene
suispasinvitée.Tiffanimedéteste.Maisévidemment,sijeleluidis,ellevamedemanderpourquoi,etjen’aipasenviederépondreàcettequestion.
—Donc,vendredi,continue-t-elleenselevant,ilfautqu’ondécouvresiellementounon.Etjesaiscommentonvas’yprendre.
Deretouràlamaison,jerechargemonportableetdécouvrevingt-neufsappelsmanquésdemonpèresamedi soir et trois de ma mère ces derniers jours. Quelques messages d’Amelia m’expliquent queLandonSilvermann’apasarrêtédeluienvoyerdesSMSdepuisleurflirtàl’arrièredesonpick-up,maisqu’ellepassesontempsàl’envoyerbaladerparcequ’iln’est«plussongenre».Ilyadeuxmois,ellebavaitsurluidanslescouloirs.
PasunseulmessagedeTiffani.Pasétonnant.RiendeTylernonplus.Étonnant.Jene luiai rienfait,que jesache.Jesaisqu’ilestperdu,maisçane luidonnepas ledroitdeme
mettredecôté jusqu’àceque leschosessoient réglées. Jenem’en fichepas,moi. Jeveuxsavoir s’ils’accroche.J’essaietoutdemêmedenepasmelaisserabattreparsonsilence.Ilapeut-êtrebesoind’unpeud’air.
Commetoutelafamilleestpartierendrevisiteàdesamisauboutdelaville,j’ailamaisonpourmoitouteseule.Pendantquej’erredanslacuisine,jedécided’appelermamère.Depuisseizeans,ellen’ajamaispassévingt-quatreheuressansmevoir.Jenesaispascommentelleasurvécuàunétéentier.
Letéléphonedelamaisonnerépondpas.Elledécrocheàlatroisièmesonneriedesonportable.—Maisquevois-je!Mafillepréféréeestvivante!Lachaleurdesavoixestirremplaçable,unechaleurquimeferaitsourirecontreventsetmarées.Je
l’appréciedeplusenplus.—Maman,jesuistaseulefille.—C’estpourçaquec’estsifacile.Commentçasepasse?Horriblementmal,atroce,affreux,c’estn’importequoi.—Bien.—Etavecl’hommeinfernalquit’afournilamoitiédetesgènes?
Jelèvelesyeuxaucielenouvrantleréfrigérateur.Ellen’ajamaiscachésessentimentsenversmonpère.
—Pasbien.Depuisdimanche,monpèreestmutique:jenesaispassic’estparcequ’ilm’enveutouparcequ’ila
enfincomprisqu’ilfallaitcesserd’épiermesmoindresfaitsetgestes.Lapremièreoption,sûrement.—Ques’est-ilpassé?Jecoinceletéléphonecontremonépaulepourfouillerdanslefrigoàlarecherched’unepomme.—Rien.Ons’estdisputés.—Àquelsujet?Elleestinquiète.J’entendsunsifflementsurlaligne.Elledoitêtredehors.—Parcequej’aidécouché,j’avoue.Jen’aijamaiseudemalàmeconfier,elleatoujoursétélàquandj’aieubesoind’elle,commeune
meilleureamie.Jen’aijamaispeurdeluidirelavérité.—Deuxfois.—Pourquoi?Eden?Est-cequejedoistefaireprendrelapilule?Jeresteinterditeuneseconde.C’esttoutmamère,ça:très,trèsdirecte.—Bon,maintenant jevais raccrocher,Maman, salutet s’il teplaîtnemeparleplus jamais, jene
pourraiplusjamaisteregarderenface.C’étaitcooldefairetaconnaissance,bisou.—Eden!—Oui?Elleritauboutdelaligne.—Excuse-moi.Tuasseizeans,tugrandisetàtonâge,je…—Est-cequ’onpeutchangerdesujet?Lerougeauxjoues,jerincemapommeavantdemeperchersurlecomptoirpourlacroquer.—Hmm,tuprofitesdetonétéaumoins?Voyonsvoir.ÀPortland,j’auraispassémesvacancesàessayerdevoirAmeliasansAlyssaetHolly.
C’estplutôtagréabled’échapperàleurspiques.Jemeseraisinscriteàlasalledesport, j’auraispeut-êtremêmeétudiéetjemeseraistrèsprobablementéprisedumauvaisgarçon.L’étéàSantaMonicaestunetoutautreexpérience.
—C’estdifférent.—Tut’esfaitdesamis?Voyonsvoir.Tiffanim’arayéedesalistedoncçanemarchepas,Jaken’aabsolumentrienàoffrir
unefoissesrépliquesdedragueurépuisées,ilrestedoncRachael,quiremplitlevided’Ameliapourlesvacances,Meghan,quiatoujoursétéadorable,etDean,toujourslàpourmesauverlamiseauxsoirées.Et Tyler, bien sûr.Même si nous avons légèrement dépassé les frontières de l’amitié. Il y a quelquetemps,déjà.
—Quelques-uns,oui.—Ettuaimescetteville?mepresse-t-elle.Je l’imagine agrippée au téléphone comme quand elle attend des potins ou qu’elle hurle sur les
représentantsdecommercequiappellentauxaurores.—Euh,oui?—Eden,est-cequeçateplairaitd’yemménager?J’aibienentendu?Emménager?Commedans«vivreici»?Jeglisseducomptoirpourregarderparlaporte-fenêtre.—Hein?Tuveuxdire,habiterlàtoutletemps?Moi?—Nous.—Commentça,nous?
—J’airéfléchi,dit-elleenmontantd’uneoctave.Pourquoitonpèrepeutdécidercommeçad’allerrefairesavieailleurs?Pourquoijenepeuxpasfaireça,moi?PourquoijesuiscoincéeàPortlandalorsque je ne voulaismême pas y habiter au départ ? J’étais très bien àRoseburg,mais nooon, ton pèrevoulaitvivredanslagrandeville!
—SantaMonica,c’estaussiuneville.—Ouimais il y a un demi-million d’habitants de plus à Portland, Eden, fait-elle comme si elle
parlaitàl’undesespatients.J’airegardé.—Maispourquoi?Pourquoiserapprocherdemonpère,sielleledétesteàcepoint?—Si tu veux du changement, pourquoi ne pas partir avecmoi àChicago dans deux ans ?Ou au
Canada?PourquoiSantaMonica?Jeplantemesonglesdansmapommeavecimpatienceenattendantsaréponse.—Disonsque…pendantquetun’étaispaslà,j’aiparléàquelquespersonnes.Jemesuisinscritesur
unsitederencontres.Mamère…quidrague.C’estunphénomènedontjen’ai jamaisététémoinpourlasimpleetbonne
raisonquependanttroisans,elleaessayédem’enfoncerdanslecrânequeleshommesétaienttousdessuppôtsdeSatan.
—Tumefaisuneblague?Elleritnerveusement.—Non.Cetété,j’aiprisconsciencequejenevoulaispasvivreseulequandtuserasàlafacetque
j’aivraiment,vraiment,besoindemeremettresurlemarché.Jeparleavecuntypetrèsgentildepuisunmois.
Ellemarqueunepausepourvoirsij’aiquelquechoseàdirepuispoursuit.—Ils’appelleJack.Etfigure-toiqu’ilhabiteàCulverCity.C’estàquinzeminutesdelàoùtues.JesaisoùsetrouveCulverCity:c’estlàoùTyleretmoiavonsterminéauposte.—Etdonctuveuxemménagerlà-basparcequetuparlesàuntypedepuisunmois?Çapourraitêtre
unpervers,Maman.—Oh,maisbiensûrquenon,Eden.Ellefaittintersesclésdevoiture.Jemedemandeoùelleestetcequ’ellefabrique.—Jemevoyaisplutôtvenirlerencontrerpourboireuncafé,etpuisonverracommentçaseprofile.
Qui sait ? Ça pourrait très bien se passer, et tu t’es déjà fait des amis là-bas, la rentrée seramoinsintimidante.C’estunbonnouveaudépartpourtouteslesdeux.
Moins intimidante ? L’école avec Tiffani, Jake et Tyler ? Je crois qu’il n’existe rien de plusangoissant.
—Jenesaispas,c’estquandmêmeungroschangement.Jejettemapommeàpeineentamée.—Jecroisqueçateferaitdubien.Tun’aurasplusàsupportercesfilles.Cellesavecleursparents
snobs.—AlyssaetHolly.Monventresenoue;jepréfèremeconcentrersurlachaleurdelavoixdemamère.—Jelesaicroisésausupermarchél’autrejour,j’avaisenviedeleurjetermonfiletd’oignonsàla
tête,tun’aspasidée.Elleme fait rire.Elle a la capacitédeme fairegloussermêmedans lesplusmauvais jours, c’est
agréable.—J’ensuissûre.Auboutdufil,jereconnaislegrincementfamilierdenotreported’entrée.—Bonécoute,c’estjusteuneidéecommeça.Onenreparleraàtonretour.D’accord?
J’entendslaporteclaqueret,derrière,detoutpetitsjappements.—C’étaitunchien?—Oh,bonsang,marmonnemamère.C’étaitcenséêtreunesurprise.
30
Le vendredi, je commençais à en avoir marre de me morfondre en attendant le retour de Tyler.J’avaisenviedelevoir,mêmepourquelquessecondes.Maisilnes’estpasmontrédelasemaine,iln’aréponduàaucundemesmessagesetjenel’aipasvudutout.
Çam’aagacéebienplusquejenelepensais.Cen’étaitpaslogiquequ’ilcoupelesponts.JeluiaiproposédeseretrouverauRefinery(entantquedemi-frèreetdemi-sœur,biensûr),pasderéponse.J’aivouluprendredesesnouvelles,pasderéponse.Jeluiaidemandésiaumoinsilsesouvenaitdecequis’étaitpasséleweek-enddernier,encoremoinsderéponse.Tiffanidoitlefairemarcheràlabaguette.
Tiffani,chezquijem’apprêteàmepointersansinvitation.Tiffani,quivasûrementexploserenmevoyant.—Tusors?medemandeElla.Elledétaillematenuequin’estpaslegenrequ’onenfilepourtraîneràlamaison.—Jesuisprivéedesortie?J’enail’impression,mêmesimonpèren’arienditàcesujet.Detoutefaçon,iln’estpaslàpourse
faireobéir.—Non.Oùvas-tu?Par la fenêtre, j’aperçois la voiture de Rachael qui attend dans l’allée. Elle devrait sortir d’ici
quelquessecondes.Ilpleutdescordesetlecielestsombre,onn’yvoitpasgrand-chose.—Soiréefilm,dis-jesansmeretourner.—Est-cequetusaissi…TusaissiTylerseralà?—Ilseralà.Jen’aiacceptéd’yallerquepourcetteraison.Sileseulmoyendelevoirestdes’inviterchezsonex
cinglée,alorsjem’yforcerai.Jeveuxjustem’assurerqu’ilvabien.—Iltemanque?demandé-je.Elleréfléchituninstant.AprèsledépartdeTylerdimanche,elleapassélasoiréeàfondreenlarmes
touteslesdemi-heures.—Oui,dit-elle.Lamaisonestvidesanslui.Jesaisqu’iln’étaitpassouventlà,maisc’estbizarre
quandmême.Jelacomprends.Elleparledusilence,delanourriturevégétariennequepersonnen’atouchéedansle
frigo,elleparlede lachaisevide,à table, tous lesmatins,desonfilsquinerentreplusen titubantaumilieudelanuitencoreplusperduquelanuitprécédente.
—Jemefaisdusoucipourlui,avoue-t-elle.J’apprécie qu’elle soit franche avecmoi, comme elle l’a été depuis le début. Ella n’est pas une
mauvaise belle-mère, malgré ma première impression en la voyant parader dans son jardin pour meprésenteràsesvoisins,aubarbecue.Elleétaiténervante,bruyante…Maintenantjemerendscomptequecen’étaitqu’unefaçadepoursedonnerducourage.
J’ail’impressiond’avoirétéaveugleduranttoutl’été.Siseulementj’avaisétécapabled’assemblerlesmorceauxplustôt!J’auraisdûdécelerleproblèmedeTylerilyalongtemps,j’auraisdûessayerdemieux comprendre son agressivité envers son père. Pareil pour Ella. J’avais tellement envie de ladétesterquejen’aipascherchéàlaconnaître.Maisjecommenceàlesapprécier,elleetsavulnérabilité.
Jemedétournepourqu’elleneremarquepasleslarmesquimenacentdecouler,troptard.EtRachaelquinesorttoujourspasdechezelle…
—Tylerm’aparlédesonpère,dis-jedoucement.Jel’entendsprendreunegrandeinspiration.J’aipeurqu’ellenem’enveuilled’aborderlesujet,mais
noussommesseulesàlamaison,c’estlebonmoment.MonpèreaemmenéJamiechezlemédecinpoursonpoignet,Chaseestpartifaireduvélo,etTyler…
—Iltel’adit?Jevaism’asseoirprèsd’Ellaquimedévisageavecstupeur.—Leweek-end dernier, je commence en veillant à ne rien révéler de compromettant. Ilm’a tout
raconté.—Ilt’atoutdit?Jen’arrivepasàlecroire.Ildétesteenparler.Jesuis…jeveuxjustequ’ilaille
bien.C’esttoutcequejeveux.Jeneveuxpasqu’ilaitdesnotesexcellentes,qu’ilrangesachambreouqu’ilfasselavaisselle,justequ’ilaillebien.Etcen’estmêmepaslecas.
Leslarmesmontentànouveau.Si j’ouvrelabouche,ellesvontcouler.Jemeretiensdetoutesmesforces.Jeneveuxpasqu’ellemevoiepleurer.
Heureusement,ellecontinue.—J’aiparléàplusieurspersonnesqui…organisentdesconférences sur lacôteest. Ils fontde la
préventioncontre…lesabusdivers.LesorganisateursveulentqueTylerdevienneintervenant.—C’est-à-dire?— Ils veulent qu’il représente la maltraitance physique. Il y a d’autres ados pour les violences
conjugales,psychologiques…ilsveulentqu’ilracontesonhistoire,encoreetencore,pendantunan.Jenecroispasqu’ilenseracapable,ildétesteenparler.C’estpourçaquejesuissurprisequ’iltel’aitdit.
Lapluiecontinuedebattrecontrelafenêtre.Tyleraeutellementdemalàmedirelavérité!Jenevoispascommentilpourraitladévoileràdesétrangers.Maisilrencontreraitdesgensquionttraversélesmêmesépreuves…
—Çapourraitl’aider…d’enparler.—C’estunetrèsbonneoccasion,ajouteElla,lesyeuxsurlamoquette,commesiellepesaitlepour
etlecontre.Ilvafalloirqu’ilrésolvesesproblèmesd’abord.C’est un pour. Ça pourrait être la motivation nécessaire pour lui faire abandonner l’alcool et la
drogue.—EtildevraallervivreàNewYorkpendantunanàcompterdel’étéprochain.Ça,c’estuncontre.Untrès,trèsgroscontre.—C’estçadontparlaitPapalasemainedernière?QuandilaévoquéNewYork?—Jenel’aipasencoreditàTyler.Cen’estpasvraimentlemoment.Ellem’adresseunsouriretriste.J’aitoujourstrouvéçabizarre,lesgensquisourientalorsqu’ilssont
tristes.Unsouriretristeçan’existepas,c’estjusteunsourirecourageux.—Tuesunetrèsbonnemère.
Cesontlesseulesparolesquimeviennentpendantquejel’observesoupeserlasituationdeTyler.Ellessortenttoutesseules.Ellaneveutquecequ’ilyademieuxpourluietparfoiscen’estpassuffisant.Maisaumoins,elleessaie.
Surprise,elleouvrelabouchemaisunklaxondevoiturel’interrompt.Troisfois.—ÇadoitêtreRachael,dis-jeenmelevant.Enl’espacededixminutes,j’ail’impressiondem’êtrerapprochéed’elleet,pourlapremièrefois,je
laconsidèrecommemabelle-mère.—Àtoutàl’heure.Ellemerendmonsourireetcettefois,iln’estnitristenicourageux,maissincère.Dehors,Rachaelafaitunemarchearrièreetsonmoteurronflefurieusementdevant lamaison.Elle
baisselavitre.—Tuétaiscenséevenirmechercher!crie-t-elle.Onperduntempsprécieux!J’aiàpeineletempsd’attachermaceinturequ’elledémarreentrombe.—JeparlaisavecElla.Alors,c’estquoileplan?ajouté-jesansluilaisserletempsdeposerdes
questions.—Nesoispassicurieuse,ordonne-t-elleenmemenaçantdudoigt.Toi,tun’asrienàfaire.Sinontu
vastoutfairefoirer.Tumelaissesparler.Avecunsoupir,jereculemonsiège.—D’oùvienttoutecettepluie?OnsecroiraitàPortland.Jetapotelavitrepourmedistraire.Rachaelnedoitsurtoutpasvoirquejesuisnerveuse.Etqueje
suispaniquéeau-delàdupossibleàl’idéedemeretrouverfaceàTiffani.Jepassedonc lesquarante-cinqminutesdevoitureàagir leplusnormalementdumonde.J’envoie
desmessages àAmelia, je fouille dans les CD de la boîte à gants, j’ajuste le chauffage et, bien sûr,j’écouteRachael.EllemeparledeTrevorqui,attention,acommencéàajouterdescœursàlafindesesSMS.Ilesttellementadorabletoutd’uncoup,elleenrougit.
Quandnousapprochonsenfindubut,jesuisauboutdurouleau.JecroisquejepréféreraismejeterdanslesbrasdeTiffaniplutôtqued’entendreplusdedétailssurlesépaulesdeTrevor.
Maismonétatinitialmerevientquandnousnousgarons.LavoituredeTylerestlà,àcôtédecelledeTiffani,etmerevoilàterrifiée.Jedoislesaffrontertouslesdeuxenmêmetemps.Tiffanivamescalperetjen’aiaucuneidéedecequediraTyler.S’ildécidedem’adresserlaparole,évidemment.
JemedétendsunpeuenapercevantlesvoituresdeDeanetJake.Plusnoussommesnombreux,mieuxc’est.MêmelaprésencedeJakemesembleagréable,là.
—Etsouviens-toi,c’estmoiquiparle,ditRachael.Ellen’avraimentpasdequois’inquiéter.Elleseprécipitejusqu’àlaportequ’elleouvresansfrapper.Cettefillenefrappejamais,jedoism’y
habituer. Non seulement je ne me sens pas la bienvenue, mais en plus je suis malpolie. Je la suisnéanmoinsdanslamaisonoùflotteuneodeurdepop-corn.
JakeetDeansontaffaléssurlescanapésenLdusalon.Meghannevientpascarelleestpuniedepuisleweek-enddernier.Deanseredresseànotrearrivéeetsouritavecunsignedetête.Àpartça,ilsontl’airdes’ennuyercommedesratsmorts.Jakezappesansbutensoupirant.D’habitude,levendredi,nousallonsàdessoiréestoutcourt,pasàdessoiréesfilm.
Unrireretentitdepuislacuisineàmadroite.Tiffani.Ellesortunboldepop-cornbrûlantdumicro-ondesqu’elledéposesurlecomptoir.Elleal’airnormale.Paseffondrée,normale.Logique,Tylerestàses côtés, à la regarder tenter de préparer àmanger. Il essaie de rigoler,mais ce n’est qu’un sourireartificielquin’atteintpassesyeux,commed’habitude.
Àquoipense-t-il?Quecompte-t-ilfaire?Sont-ilsdenouveauensemble?Ceseraitaffreux.Tylervenaitjustedesesortirdesesgriffes,jedétestelevoirdenouveauprisonnier.
Ilsnenousontpasvuesarriver. Jemedirigedans le salonenme tordant lesmains, incapabledesourire.
Deanadûleremarquer.Sontee-shirtbleufaitressortirsesyeuxmarron.—C’esthypergênant,chuchote-t-ilendésignantlacuisineoùTiffanicaresselescheveuxdeTyler.
Ilsontcassémais…Nem’enparlepas.Nous sommesaussi perplexes lesunsque les autres.Ont-ils rompu?Sont-ils
seulementamis?Depuisleseuil,Rachaellesobserve,incrédule.Ellelèveunpouceverseux.—C’estquoiça?articule-t-elle.J’aidécouvertaufildesjoursqu’elleesttoutàfaitanti-Tyler-et-Tiffani.Noushaussonslesépaulesdeconcert,maismoi,j’aisurtoutenviedecasserlesmurs,d’exploserla
téléetdemettrelefeuauxcanapés.—Rachael!s’écrieTiffani.Elleestaccrochéeàsonboldepop-corn,lesourirejusqu’auxoreilles.Maisçanedurepas.—Eden?—Tuenasmisdutemps,ànousremarquer!s’exclameRachael.Tiffanimefixeavecunairmeurtrier.—Désolée.Ses yeux percent des trous dansma peau, etmoi je dévisage la personne qui se tient à quelques
centimètresd’elle.Tylermerendmonregard.Latêtelégèrementinclinée,ilsemordl’intérieurdesjoues.Ilestpluspâle,lesyeuxsansvie,comme
s’iln’avaitpasdormidepuisdesjours.Rachaels’approchedel’escalieretseraclelagorge.—Tiff,onpeutteparlerdeuxsecondes?—Oui,fait-elleamèrement.Ellereposeavecfracaslebolsurlecomptoir.Derrièremoi,Deanobserve la scène, Jake regarde le foot et en face,Tyler, en tee-shirt etbasde
survêtement,sedirigeverslesalon.Ilal’aird’êtrechezlui,àl’aise.TiffanigrimpelesmarchesquatreàquatreetRachaelmefaitsignedelessuivre.Jem’exécuteparceque,mêmesiTiffanimeterrifie,jedoissavoirsiellementounon.MaisTylerm’attrapeparlecoude.
—Qu’est-cequetufaislà?chuchote-t-ilàmonoreille.—Jepourraisteposerlamêmequestion.Je lerepousseet le toise,déçue.Sesyeuxsontchangeants,commeleweek-enddernier,mais ilse
détournedéjàverssespotes.J’hésite.Jepourraislerappeleretluidirequ’ilmanqueàElla,qu’unechancel’attendàNewYork,
qu’iln’apasbesoinderestericiàperdresontempsavecTiffani.MaisRachaelhurlemonnomdepuisl’étage,alorsjen’aid’autrechoixquedesuivrelesondesavoix.
Nousn’allonsjamaispouvoirêtreensemble.Brascroisés,Tiffaninousattenddevantsachambre.Ondiraitqu’ellemebloquel’entrée,maiselle
veutjustequenousnousdépêchions.Lapièceestdifférentedeladernièrefois.Ilyadesvêtementséparpilléspartout,ceuxdeTyler.Rachael,biensûr,asonmotàdire.—Tamèrelelaisseresterici?fait-elleenpoussantunjeandupied.—Oui.Bonqu’est-cequ’ilya?Elleesténervée.Nonseulementjesuisdanssachambre,maisenplusnousl’avonsséparéedeTyler.
Je regardeRachaelqui la regarde.Jenecompteriendire,sinon,commeelle l’aditelle-même, jevaistoutfairefoirer.J’attendsdoncavecangoissequ’elleexécutesonplanbrillant.
—Jenevaispasêtresubtile,jevaisteposerlaquestionsansdétour.L’atmosphères’épaissit.Sonsacsouslebras,elletapedupiedmachinalement.—Est-cequetuesenceinte?C’est ça, sonplanmachiavélique?Cependant ça fonctionne.Tiffani reste coiteun instantpuisme
fusilleduregard.Ellesaitquejel’aiditàRachael.Jesuislaseulequiaiepulefaire.Ellemetdutempsàrépondre.
Dehors,lapluiecontinuedetombersouslecielgris.—O…oui,parvient-elleàbégayer.—D’accord, faitRachael en fouillantdans son sac.Donc tun’auras aucunproblèmeà faire ceci,
n’est-cepas?Ellesortdeuxtestsdegrossessequ’elleagitesoussonnez.Tiffaniesttétanisée.Elleécarquillelesyeux,muette,etenfoncesesonglesdanssapaume.—Aucunproblème,couine-t-elled’unevoixtremblante.—Ont’attendici,faitRachaelenluidonnantlesdeuxboîtes.D’unpas traînant,Tiffanisedirigevers lasalledebains.Arrivéeà laporte,elles’yappuieetse
retourne,enlarmes.—Bond’accord!C’estpasvrai!braille-t-elle.Rachaelesttriomphantemaisjenesuispasd’humeur.Jesuishébétée.Tiffaniabeletbienmenti.Sa
petitescènepathétiquemerendmalade.Combiendetempsvoulait-ellejoueràcepetitjeudevantTyler?Qu’est-cequ’elle comptait faire ?Mettre en scèneune faussecouchedans l’espoirqu’ils continuent àvivreensemblepourtoujours?
—Maisqu’est-cequinevapascheztoi,Tiffani?lanceRachael.Jepenseexactementlamêmechose.Ilfautêtresacrémentméchanteetdésespéréepouragircomme
ça.Lapluieétouffesesreniflements.Moijenepensequ’àTyler,enbas,quiignorecequisepasseet
continue de croire qu’il a commis une erreur. Ce n’est pas juste. Il est probablement en train de sedemandercommentannoncerlanouvelleàEllaetquefairedeTiffani.
—JevaisledireàTyler,jelâche.J’ailecœurquipalpite.Jedoisluidireleplusvitepossibleetjen’aipasassezconfianceenTiffani
pourlalaisserréparersespropreserreurs.—Ildoitsavoirlavérité.—Non!s’écrie-t-ellesansparveniràm’arrêter.Enbas,lesgarçonsregardentlematchdefootball.—Tyler,ilfautquejeteparle.Toutdesuite.Danslacuisine.Àmavoix,ilcomprendqu’ilsetramequelquechose.Ilselèvesousl’œilperplexedeDeanetmerejointàlacuisine,troublé.Derrièrelui,Deanareporté
sonattentionsurlatélé.—Tiffanin’estpasenceinte.Ellefaitsemblantpourqueturetournesavecelle.—Quoi?—Ellevientdenousl’avouer!Il restemuet unmoment. J’attends. J’attends de voir quelle expressionva s’arrêter dans ses yeux.
J’attends longtemps. Ses traits se durcissent, il serre les poings, fou de rage. Il est à deux doigts defracasserlemur,alorsjeposeunemainsursonépaulepourleréconforter,maislaretireenentendantdespas.
Tiffanidévalel’escalierenlarmesetscrutelesalon.JakeetDeanlaregardent,ébahis.PuiselleseretourneetdécouvreTylerdanslacuisine.
Ellepleureencoreplusfortetseprécipiteverslui.—Bébé,jesuisdésolée,jet’enprie.Jesuistropdésolée!Ill’esquiveetsemetàhurler.—T’esvraimentqu’unepsychopathe!Rachaelapparaîtenhautdel’escalier.DeanetJakeontéteintlatélé.—Jetedéteste!s’écrieTiffani.Maisc’estmoiqu’elleregarde.Etvoilà,ellevarévélernotresecretàtoutlemondeparcequ’elle
n’aplusaucuneraisondesetaire.Jefermelesyeuxetmeprépareaugranddéballage,maispersonneneditrien.J’ouvreunœilprudent
etladécouvrequimefixe,lèvrespincées.Uninstant,jecroisquejedécèleunsourire.Elle ne va rien dire. Dumoins pas pour lemoment. Elle compte garder notre secret un peu plus
longtemps.Etçameterrifie.Puiselleseremetàpleurer,levisagedanslesmains,etremontel’escalierenbousculantRachael.Furieux,Tylerfrappelapaumecontreleplandetravail.—Jemecasse.Elleestcinglée.Enhaut, uneporte claque.Personnene sait comment réagir.Tyler, quant à lui, attrape ses clésde
voitureetsortsansunmot.Lapluie tombesur lamoquette jusqu’àcequ’ilclaqueàsontour laporte.Nousrestonslààessayerd’assimilercequivientdeseproduire.
—Sijecomprendsbien,ilsnesontpasensemble?plaisanteJake.Rachaelmelanceunregardinterrogateur.Jecroisqu’ellenes’attendaitpasàcequej’intervienne.
EllesemblehésiteràallervoircommentvaTiffani.OnentendlemoteurdeTylergronderdansl’allée.MaconversationavecEllamerevientd’uncoup.
JenesaispasoùTyleraprévudeserendremaintenant,maisjesaisoùildevraitaller.Chezlui.Jemetsmacapuche.Pourvuqu’ilnepartepastoutdesuite.Sansunmot,jesorsàmontour.Lapluie
quis’abatsurmonvisagemegèlelenez.J’entendsRachaelm’appelermaisjen’yfaispasattention.Accrochéeàmacapuche,jemeprécipitejusqu’àlavitreteintée,sisombrequejelevoisàpeineà
traverslapluie,etfrappe.Onsecroiraitunmatind’octobreàPortland.Tylerbaisselavitre.—Monte!Jefaisletouretmeglisseenhâtedanslavoiture.Vingtsecondesdehorsetjesuistrempéejusqu’aux
os.Jerabatsmacapucheetj’écartelescheveuxdemonvisage.Tylerdébraye.—Tuesprête?—Non.Lesgouttesquitombentsurlacarrosseriemevrillentlesoreilles.—Jevaisretourneràl’intérieur.—Maispourquoituessortie?—Parce que j’ai besoin de te parler d’abord.Alors écoute-moi.Déjà : ne retourne jamais avec
Tiffani.Ils’agrippeauvolantenmaugréant.—Qu’elleaillesefairevoir.C’estunetarée.Tyleralesyeuxsurlevolant;sesjouesrougesdétonnentaveclapâleurdeseslèvres.Jeveuxattirer
sonattention.
—Tyler.S’il teplaît, rentrecheztoietparleavectamère.Elleaquelquechoseà tedireetc’estvraimenttrèsimportant.
—Jenesuispaslebienvenulà-bas.—Jenerigolepas.Jepeuxpresquevoirsespenséestournoyerdanssonesprit.—Écoutecequ’elleaàdire,Tyler.Rentrecheztoietdemande-luideteparlerdeNewYork.—NewYork?—Parleàtamère,Tyler.—D’accord.Ilsepasseunemaindanslescheveuxavecunsoupir,etj’aienviedel’embrasser.Jeveuxmontersursesgenouxcommeladernièrefoissurlajetée,jeveuxécrasermeslèvrescontre
lessiennes,commedanssachambreavantl’anniversairedeMeghan,etjeveuxsentirsesmainssurmoi,commesamedidernier.
Jeveuxrefairetoutça,maisjen’yarrivepas.Quelquechosedansuncoindematêtemeditquec’est inutile.Cen’estpasparcequ’iln’estplus
avecTiffaniquenousallonspouvoirêtreensemble.C’estimpossible.Nousnepourronsjamaisêtreuncoupleetçamefaitplusmalquetout.Çafaitplusmalquemonpèrequim’abandonne.Çafaitplusmalquelesremarquescruellesd’AlyssaetHolly.
Cen’estpasdouloureux.C’estunesouffranceatroce.Jen’aipenséqu’àça,cesderniersjours.J’aipenséquejerentraischezmoilemoisprochain.J’ai
penséquenosparentsallaientnoustuers’ilsdécouvraientcequenousavonsfait.J’aipenséquec’étaitmaletjen’arrivepasàmeconvaincreducontraire.
JeveuxêtreavecTyler.Vraiment.Plusquetoutaumonde.Plusqued’alleràl’universitédeChicago.Plusqued’êtremince.Jeferaistoutpourqueçaarrive.Maisçan’arriverajamais,alorsinutiledeperdrenotretemps.
Tylerremarquemonregard.—Quoi?—Jetueraispourpouvoirt’embrasserchaquejour.Jem’efforcedenepasfondreenlarmes.Mettreuntermeàcetterelationestlameilleurechoseàfaire
pourtouslesdeux.Continuerseraittropdifficile.Tropcompliqué.Tropmal.—Tupeux,murmure-t-ilensetournantversmoi.Ilm’examineavecdélicatesse,commes’ilpouvaitbrisermoncorpsrienqu’enclignantdesyeux.—Chaquejour.Çanemedérangeraitpas.—Moinonplus.J’ailagorgesèchetandisquejerassemblemoncouragepourenfinirunebonnefoispourtoutes,pour
queçafassemoinsmal.—Maisc’estbienleproblème,Tyler.Nous,çanenousdérangeraitpas.Maislesautres?Il marque une pause, une expression douloureuse sur le visage. Quand il comprend enfin ce que
j’essaiededire,ilretientsonsouffle,blessé.—Ons’enfichedesautres,fait-ild’unevoixfaible.Onpeutréglertoutça.Ilscomprendront.Peut-
êtrepastoutdesuite,maisunjour.Onpeutyarriver.On…onpeutlefaire.Malgréleseffortsqu’ilfaitpourmerassurer,çanefonctionnepas.—Tyler.Il se calmepourm’écouter.C’est là que les larmes refont surface, parce que j’aimoi-mêmepeur
d’entendrecequejem’apprêteàdire.—Nousnepouvonspasêtreensemble.
C’estlavérité,pureetsimple.Ilserrelesdents,secouelatête,pousseunsoupir,fermelesyeux.Ilrestecommeçauninstant,pour
nepass’effondrer.J’essuieleslarmesquicoulentsurmesjoues.Pleurernefaitqu’aggraverlasituation.Maisjecroisquenoussommesdanslapiresituationpossible,alorsj’ailedroitdepleurer.J’aile
droit de regarder les lèvres tremblantes de Tyler à travers mes sanglots et j’ai le droit d’avoirl’impressiondemourir.J’ailedroit,parcequec’estlecas.Moncorpsestengourdi.Mapoitrineetmoncœurseserrent.
Tyler ouvre enfin les yeux.L’émeraude s’est délavée, la douleur dilate ses pupilles. Il triture sescheveux.
—Tun’aspasditça,murmure-t-il.Saréactionmeprovoqueunenouvellecrisedelarmesquejen’aipasletempsd’essuyer.—Onnepeutpasfaireça,c’esttout.—S’ilteplaît,Eden,non,supplie-t-ild’unevoixrauque.Onafaittoutcechemin…Tunepeuxpas
abandonnermaintenant.—Illefaut.Jemefichepasmald’êtredansunsaleétat.Jebafouillesanspouvoirmecontrôler.—Dis-moicequejedoisfaireetjeleferai.Çamarchera,presse-t-il.Iltendunemainversmongenou.Jerespireprofondément,lesyeuxsursesdoigts.—Nerendspasleschosesplusdifficiles.—J’aibesoindetoi.Ses doigts courent jusqu’àmamain qu’il prend dans la sienne et serre si fort que je ne peuxme
dégager.Leslarmesluimontentauxyeux.Jenel’aijamaisvusi…déchiré.—Tunecomprendspas?Tun’espasunedistraction.C’estbienmoi,Eden.Là.Jesuisenvracà
causede toi,mais jem’enfiche,parcequec’estmoi. Jesuisdansunsaleétat.Etceque j’aimec’estqu’avectoi,j’ailedroitd’êtreenvrac,parcequejetefaisconfiance.Tueslaseulequisesoitjamaissouciéedemecomprendre.Jeveuxêtreenvrac…avectoi.
—Jecontinueraiàmesoucierde toi,parviens-jeàarticulerentredeuxsanglots.Maisen tantquedemi-sœur.
Ilrefusedelâchermamain,commes’ilavaitpeur.—Eden.Etcequi s’estpasséceweek-end?On…ona fait toutçapour rien?Toutcetétépour
rien?Nosmainsvontparfaitementl’uneavecl’autre.Monventresenoue.—Pasrien.Onabeaucoupappris.—Cen’estpasjuste!s’exclame-t-ilenfrappantlevolant.Jet’aitoutditdemoi.Jet’aiditlavérité.
J’ai cassé avecTiffani et elledoit être en traindemettre aupoint sonplanpourdétruiremavieplusqu’ellene l’adéjà été.Mais jem’en fiche, parceque je croyaisque ça envaudrait la peine.Et je lecroyaisparcequejepensaisàtoi.Tuétaismapriorité.Tusaiscequej’aipenséquandjesuissortidecettemaison?JepeuxenfinêtreavecEden.
Ilmarque une pause pour se frotter les yeux en soufflant. Puis il lâchemamain, et regarde droitdevant.
—Ettuviensmedirequetuneveuxpasêtreavecmoi!—Tucroisqueçam’enchante?Jelefaisparcequec’estlemieuxpournousdeux.Ilrefusedecroisermonregard.Ilobservesansfinl’alléedeTiffanietlapluie,parcequemêmela
météohorsdecettevoitureestplussupportablequelatempêtequisedérouleàl’intérieur.—Jeneveuxpastevoirsombrersiçatournemal.Qu’est-cequetuferassinosparentsledécouvrent
etsemettentànousdétester?Cen’estpaslebonmoment.Onnepeutpasgérerça.Tudoisréparerta
vie,tudoisalleràNewYorkettun’aspasbesoinqu’onenrajoute.—Maisqu’est-cequ’ilyaavecNewYork?Pourquoitunemedispas?—Tamèreveutlefaireelle-même.Jesuisunecatastrophesanglotantesurpattes.Jetentederetrouvermonsang-froid.Envain.—Àpartirdemaintenant, il faut ignorernos sentiments. Il fautarrêterça, avantqu’ilne soit trop
tard.—Si c’est ce que tu veux. Si tu veux vraiment, vraiment qu’on ignore tout ça…alorsmoi aussi,
j’imagine.Faitesquecesoituncauchemar.JeveuxmeréveilleràPortland,quemamèremedisequejen’ai
jamaismislespiedsàSantaMonicaetquejen’aipasdedemi-frèreappeléTyler.Jeneveuxpasquetoutcelasoitréel.Laréalité,çafaittropmal.
Jenesupportepassonregard,pourtantjenepeuxdétournerlesyeux.Sarespiration,plusfortequelapluie, accélère quand il se penche vers moi. Je sais à quoi il pense, et moi aussi j’ai envie del’embrasser.Alorsjelefais,parcequec’estladernièrefois.
Jememetssur lesgenouxpourgrimpersur luiet saisir sanuque.C’estplus fortquemoi,commecettenuitsurlajetéeoùnousnoussommesembrassésdanslamêmeposition.Unefoisdeplus,jeposemeslèvressurlessiennes.
Mais cette fois, c’est un long et douloureux baiser. Tylerme tient serrée contre lui et ses lèvresemprisonnent lesmiennesdurantd’interminablessecondes. Ilm’embrasse,encoreetencore.Je lesenssoupirer contre moi. Savoir que c’est la dernière fois fait mal autant que cela m’apaise. C’est uneconclusion.
Lesondelapluie,noscorpsmoites,mescheveuxpartout,Tylerquiafrôlélacrisedenerfsetmoiquiaiassezpleurépourremplirunepiscine…c’estunetellepagaille!
Çarésumeparfaitementnotresituation.Etpourcetteuniqueraison,c’estparfait.Tyler ronchonneen s’écartant. Je refusede le laisserpartir, alors je le tiens, sonvisagecontre le
mienetjesoufflecontresajoue.Jegardelesyeuxfermés,j’ignoresiluiaussi.—Demi-frèreetdemi-sœur.Riendeplus.—Riendeplus,confirme-t-ilensereculant,têtebasse.Jelelaisseenfinpartir.Ilremetsesmainssurlevolant.Jecroisqu’ilaccepte.Je remetsma capuche, unemain sur la portière, et j’attendsun instant, au cas où il dirait quelque
chose.Commeilrestesilencieux,jesors.Jem’éloignedelui.Denous.Lapluiebattantenem’empêchepasd’apercevoirsavoituredémarrer
entrombe.J’espèrequ’ilvarentreràlamaison.Jerestelà,immobilesouslapluie,danslevent,jusqu’àcequ’ildisparaisseauloin.
L’avantagedelapluie,c’estqu’onnepeutpassavoirsivouspleurezounon.Etlà,leslarmescoulentsansfinsurmesjoues.Heureusement,quandj’arriveàlaporte,c’estDeanquim’accueille.Unefoisàl’intérieur,jelaissel’eaucoulerdemonvisage,lechignonenbataille.
—Tuesdingue?demande-t-ilenriant.Attends,jevaistechercheruneserviette.Jel’attends,dégoulinante,dansl’entrée.JakeetRachaelontdisparu.Lamaisonsenttoujourslepop-
corn,onentendlecommentateurdefootàlatélé.Deanrevientendépliantunegrandeservietteblanchequ’ilmepassesurlesépaules.J’enfouismonvisagededansetj’ail’impressiondemenoyer.
Sonsourires’estompe.—Çava?—Jevaism’ensortir.Maisc’estfaux.Toutestbrisé.Jenesaispassijevaism’ensortir,maisilnedoitpaslesavoir.Je
hochelatêteversl’escalier.
—IlssontavecTiffani?—JakeetRachael?Oui.J’ail’aird’unamiencartonàêtrelàaulieudelasoutenir,maisenfait,
j’allaispartir.—Tuvasoù?—IlyaunautreconcertdeLaBreveVitadanslecentre.J’aimesafaçondebredouillerquandilparledecegroupedontilestfan.Çamefaitrire.—Jecomptaisn’yallerqu’aprèslefilm,maisj’aichangéd’avis.Eh,tum’accompagnes?Situas
envie,évidemment.Enfin,tuassûrementautrechoseàfaireettun’aspasl’airdanstonassiette…maisjesuissûrqu’ilspourraientteremonterlemoral.
—D’accord.Jenepeuxréprimerunsourire.Soudain,l’obsessiondeTylerpourses«distractions»prendtoutson
sens.J’essaiedemedistraireavecDean,parcequemoinsonpenseàcequinousdéchire,mieuxçava.—Jelesadore.—Tuessûre?Têteinclinée,ilprendnotedemonétat.—Cen’estquedel’eau.Jerassemblemescheveuxenqueue-de-chevaltrempéeetjemefichebiendequoij’ail’air.J’ailes
yeuxetlesjouesenfeu.—Çasècherasurlaroute.Ilestsurlepointdeprotestermaisseraviseetsortsesclés.—Ilfautqueturetourneslà-dessous,ducoup.Alors,jevolelaserviettepourm’enservirdeparapluiejusqu’àsavoiture.IlmetlechauffageetletroisièmealbumdeLaBreveVitaàfondetfaitquelquesblaguespasdrôles
surlaservietteauxquellesjerisquandmême.Enchemin,ilsepenchesurlevolantpourobserverleciel.—Tuvois,j’avaisraisonàproposdelatempête.C’esttoujoursassezfou.—Çadurecombiendetemps?Lesessuie-glacesàfondontdumalàsuivrelerythme.—Toutelajournée.Pasfaciledesavoirexactement.Leconcertalieuaumêmeendroitjonchédegobeletsqueladernièrefois.Deanm’emmèneaufond
dans l’obscurité, près dumur. Personne ne nous bouscule là-bas. J’ai laissé tomber l’idée de sécherquandj’aidûressortirdelavoiture.MaisDeanesttrempé,toutlemondeesttrempé,etpersonnenes’enpréoccupe.
Surscène,legroupefaitunepause.— Ils travaillent sur un nouvel album en ce moment. Il doit sortir en janvier. Je suis comme un
dingue.Çavaêtremortel!Sonenthousiasmemefaitsourire,ilestadorable,avecsesyeuxquibrillent.Maissoudain,ilsemble
croirequ’ilseridiculise,alorsiltournelatête,gêné.Noussommesarrivésjusteàtempspourlachansonsuivante.Lechanteurmonteaumicroetregarde
lafoule,lesyeuxmi-clos.—Vousêtesnombreuxàavoirbravé lesélémentspourvenircesoir,c’estgénial,etc’estencore
plusgénialquevoussoyezavecnous.Onvajouerl’unedemespréféréesdudeuxièmealbum.(Lafouleexulte,Deannequittepaslascènedesyeux.)L’histoiredel’écrituredecettechanson,quicommenceàdatermaintenant,estplutôtcool.
Ils’essuielefrontetsemetàfairelescentpassurscène,lesyeuxparterre.—J’avaisunami…appelons-leBobby.Donccepote,Bobby,étaitunsacrétype.Oncréchaitdansla
mêmerésidenceàlafac,etBobbyétudiaitledroit.Etvoussavezquoi?Bobbydétestaitledroit.Bobby
voulaitjouerdansunecomédiemusicale,maisilcontinuaitledroit,etvoussavezpourquoi?Parcequelasociété,c’estdelamerde.
Ilsecouelatêtepuispoursuit:—Bobbyavécu l’enferpour terminer ses études. Il a gâchéquatre ansde savie à fairequelque
chosequ’ilnevoulaitpasfaire, toutçaparcequependantlelycée,ils’étaitfait insulteràcausedesapassion. Et vous savez comment se sent Bobbymaintenant ? Il en a ras le bol d’être coincé avec saconneriedediplômededroit.Alorsqueceuxquivous jugent,vousetvoschoix,aillent se fairevoir.Vousêtesgay?Allez-y,acceptez-vous!Vousvoulezmontervotrepropremagasindepeinture?Allez-y,montezvotremagasindepeinture!Nevousempêchezpasd’êtrevous-même!
Ilrevientaucentredelascèneetnousregarde.—Donc si vous n’avez pas encore compris, on va jouer «Holding Back1 ». Amusez-vous bien.
Tantoamore.Love.J’adorais déjà cette chanson, j’avais déjà compris leur message, mais les paroles si directes du
chanteurmepermettentde l’apprécierencoreplus.Jem’identifiecomplètement.Jemedemandesi j’aifaitcequ’ilfallait,sijenedevraispascouriràlamaisondireàTylerquej’aifaituneénormeerreur,quejeveuxêtreaveclui.Maisaufonddemoi,jesaisquenousdevonsnousretenir.Iln’yapasd’autresolution.Deslarmesdouces-amèresmereviennentpendantlachanson.
Moncœurflanchemaisjememordsleslèvres,lesyeuxsurlascène.Leguitaristejoue,lebassistelerejoint, puis le batteur, le chanteur, et bientôt lamusique retentit, assourdissante et vibrante autour denous.J’enailachairdepoule.
C’estlàquejesenslamainchaudedeDeanseglisserdanslamienne.Sonpoucedécritdescerclessurmapeau.Jenesaisquepenser,parcequec’estunesurprise,mais
aussiparcequec’est…réconfortant.Deanatoujoursétéunréconfortpourmoietsij’avaisbesoindeçaàunmoment,c’estbienmaintenant.
Il a les yeux rivés sur la scène et secoue la tête au rythmede la batterie.Mais, plus important, ilsourit.
1.*Littéralement:«seretenir»(N.d.T.).
ÉPILOGUE
Dixmoisplustard
Sionm’avaitdit,l’annéedernière,quejenetermineraispasmonannéescolaireàPortlandmaisàSantaMonica,jen’yauraisjamaiscru.Etpourtantmevoilà,entraind’empilermescahiersdebiologiedansmoncasiertoutencherchantmesclésdevoiture.Rachaeldébouleduboutducouloir.
—Etunjourdemoins!s’exclame-t-elleavecunlargesourire.Ellelèvedeuxdoigtsdevantmonnez.Hier,c’étaittrois,avant-hier,quatre.—Plusquedeuxjoursavantlaremisedesdiplômes!—Parlepourtoi.Jefeinsl’agacement.EllecomptelesjoursdepuisNoëletelleadéjàmisaupointsatechniquede
lancerdecoiffedediplômée.Alorsmêmesijenemefaispasàl’idéequ’ellevas’enaller,jelalaisseexulter.
—Quandvoussereztousàl’université,n’oubliezpasvotremeilleureamiequiseracoincéeici.—Tuesnotrepetitbébé,miaule-t-elleenmecaressantlatête.Jem’esquiveavecunregardassassin.Pourvuquepersonnen’aitremarqué.Elleglousse.—Tudoisfaireensortequenotrehéritagepersiste.Jeveuxquetuécrivesmonnomsurtoutesles
cabinesdestoilettespourfairedemoiunelégende.Jeveuxquedanscinqans,toutlemondesachequej’aiarpentécescouloirs.
—Malheureusementpourtoi,toutlemondes’enfiche.Ellemedonneun coupmais soudain son rire s’arrêtedansundemi-souriregêné. Je connais cette
expressionparcœur.Jem’apprêteàposerLAquestionquotidienne(etjeconnaisdéjàlaréponse).—Tiffaniarrive,c’estça?Quand jeme retourne, c’est lamême scèneque tous les jours.Tiffani et Jake,maindans lamain,
avancentdanslecouloir.Çanemefaitnichaudnifroid.Enfait,ilsformentuncoupleplutôtdécent.Lereste de l’école semble d’accord : les filles passent leur temps à dire à Tiffani combien elles sontjalousesd’elle,ceàquoielleleurrépondparunsouriredepublicité.Ilssontensembledepuisunboutdetemps,maintenant.Tyleraétérayédesalistedes«indispensables»ilyalongtemps.
—Salutlesfilles,ditTiffanitandisqueJakenousadresseunbrefsignedetête.Ilsnes’arrêtentpas;ilsnes’arrêtentjamais,parcequeTiffanietmoinenousparlonstoujourspas.
NousarrivonsàfairebonnefigurecommeTyleretJake(mêmesi la tensionentreeuxs’estaggravée),maisnousne sommespas amies.Rachael etMeghanessaientdenousvoir séparément.Heureusement,
Tiffanientreàl’universitédeSantaBarbara.Jake,quantàlui,partpourl’Ohio,àl’autreboutdupays.Jemedemandecombiendetempsilsvontteniravecladistance.Jeleurdonneunmois.
Ilsflottentdanslecouloirjusqu’àlasortieetRachaelpousseunsoupir.—Voyonsleboncôté,tun’aurasplusàlacroisertouslesjours.C’est leproblèmede fairepartied’ungroupedegensplusâgés.QuandRachael,Meghan,Tiffani,
Jake, Dean et Tyler vont recevoir leur diplôme jeudi, je resterai seule. Je dois encore surmonter laterminaleavantlafac.Jevaisdevoirpassermontempsaveclesamisquejemesuisfaitsdansmapromo,quinesontpeut-êtrepasmesmeilleurspotes,maiscesontdesgenssympas.
Rachaelm’emboîte le pas vers la sortie.Heureusement qu’elle va à l’université de LosAngeles.Deanetellesontlesdeuxseulsànepasdéménager.
—TuvoisTrevorcesoir?—Jecrois.Sonvisages’illumineàlaseulementiondesonprénom.Ilssortentensemblemaisçan’empêchepas
Rachaeldecontinueràsecomportercommeunemidinette.Quandilestdanslecoin,ellepassesontempsàrougiretsourire.
—Etj’aicruentendreMeghandirequeJaredvenaitlavoircesoir.—Oùest-elle,d’ailleurs?Jenel’aipasvue.Dehors, lesoleildeplombs’abatsur leparkingdésert.Personnenereste très longtempsaprès les
cours.—Elleadûsécherlescoursaprèsledéjeuner.Nosvoituressontgaréesl’uneàcôtédel’autre,évidemment.Ellejettesonsacdanslasienne,mais
hésiteunmomentenmeregardantpar-dessusletoit.—Onsevoitdemainmatin,promis?J’acquiesceetellem’envoieunbaiserquejefaissemblantd’attraper.—Amuse-toibienavecTrevor!Levolantdemavoitureestbrûlant,jelemanipuleduboutdesdoigtsjusquesurleboulevard.Parchance,lamaisondemamèresetrouvedanslequartierdeNorthMontana,commecelledemon
père;c’estpluspratiquecommeça.JeprendsDeidreAvenue,dépasselamaisondemonpèrepourvoirqui est là et, dans le rétroviseur, j’aperçoisRachael se garer dans son allée.On a beaucoupparlé decovoiturage,parcequenousempruntons lemêmechemin,maisriennes’estconcrétisé.C’est trop tardpourcommencermaintenant.
Vitrebaissée,jemetsmeslunettesdesoleiletsecouelatêteenrythmesurlenouveausingledeLaBreveVita,unechansonenjouéequimetournedanslatêtedepuisdesjours.
Devantchezmamère,jesorsdelavoitureenessuyantunfiletdetranspirationdemonvisage.Ilfaitatrocementchaudaujourd’hui.
J’aitoujourstrouvécettemaisonplusaccueillantequecelledemonpère.J’ensuistombéeamoureusedepuisquemamèrel’atrouvée,l’andernier.Elleestpetite,avecseulementdeuxchambres.J’aimebienlepetitporcheetlacheminéeagréable.Ons’ysentbien,c’estparfaitpourMamanetmoi.EtJack,biensûr.Ilaemménagéilyaunmoisetjecommenceàm’habitueràsaprésence.
Àlasecondeoùjepasselaporte,jesuisaccueillieparGucciquibondit,languependue,englissantsurleparquet.Ellemetourneautourpourmereniflertandisquejemebaissepourluigratterlatête.C’estunmagnifiqueberger allemand.C’estMamanqui a choisi sonnom.Ellem’adit que çapouvait aiderGucciàs’intégreràL.A.J’aimisdutempsàcomprendre.
PilequandMamancommençaitàconsidérer l’idéed’emménager ici,unpostes’est libéréauSaintJohn’sHealthCenter, unhôpital enplein cœurde la ville.Le salaire estmeilleur, les horairesmoinsprenants et elle n’a plus l’air fatiguée en permanence. Elle sourit tout le temps, une combinaison deplusieurséléments:Jack,sonnouveauboulotetGucci.
—J’espèrequetuavaisenviedespaghettisbolognaisecesoirparcequec’esttoutcequejemesenscapabledemijoter,souffle-t-elle,avecungrandsourire,enentrantdanslesalon.
Elles’estchangée,maisportetoujourssonchignonstrict.Gucciluisautedessus.—Elleestenformeaujourd’hui, jeconstatetandisquelachiennetentedelui lécherlevisage.Tu
l’assortiecematin?—Non,j’étaisenretard.Elleserelèveenfrottantsonpantalon,etroulesesmanches.—Tupeuxlefairemaintenant?Letempsquejeprépareledîner.Lamétéoestexcellente,jen’airienàfaire,jepourraisenprofiterpourpasservoirquelquesamis.Je
laisseMamanàlacuisineetparsdanslequartieravecGucci.Elletiresursalaisse,c’estellequimepromène, comme d’habitude. Une fois, j’ai essayé de l’emmener courir avecmoi, mais j’ai fini horsd’haleineauboutdedixminutes,incapabledelasuivre.J’aidûrentreràlamaisonavantdem’écrouler.
J’atteinsmapremièreétapeenquelquesminutes:lamaisondeDean.Aulieud’entrercommeàmonhabitude,jedécided’êtreinventiveetjel’appellesursonportableenscrutantsafenêtre.
—Eden.Lesondesavoixmedonnelesourire.—Sors.Gucciveuttevoir.Àsonnom,lachiennedressel’oreilleetmeregardeavecdegrandsyeuxbrillants.Deanrigoleauboutdufil,etmêmesij’aientendusonrirehiersoiraucinéma,j’ail’impressionque
çafaitdesjours.Jen’enauraijamaisassez.—J’arrive.JetapotelatêtedeGucci.—Bienjoué,mafille.Elles’assiedàmescôtésenagitantlaqueue.Lasueurmepicotelevisage.—Gucci!s’écrieDeanentapantsursescuisses.Il sait que je déteste quand il fait ça parce qu’elle se jette sur lui, manquant chaque fois de me
déboîterl’épauleavantquejepuisselâchersalaisse.—Avecquitusors?Lachienneoumoi?Avecunsourirenarquois,ilattrapelalaisseetvientversmoi.—Avectoi,sansaucundoute.Ilm’attireàluiparlatailleetm’embrasse.Deanatoujoursététendreetilsouritentrechaquebaiser,
cequ’ilfaitencemomentmême.—Tuembrassesmieuxquetonchien,çac’estsûr.—Çam’inquiéteraitquetudiseslecontraire.Derrièrenous,Hugh,lepèredeDean,apassélatêteparlaporteetmefaitsigne.Ilporteencoreson
bleu de travail plein de graisse, il doit sortir du boulot. Il tient un garage et Dean va commencer àtravaillerpourluiaprèslelycée.C’estsonannéedecésureavantd’alleràlafac,etjesuisraviequ’ilsoitencoreàSantaMonicapendantquejeterminelelycée.
—Jevienstoujoursaprèsdîner?demande-t-il.—Biensûr.Lemardisoir,MamanetJacknouslaissentlamaison.Mamanappelleçale«marDean».—Parfait.Tiens,ajoute-t-ilensortantsonportefeuille.Ilmetendlebilletdecinqdollarsquenousnouséchangeonsdepuisunandéjà,sousn’importequel
prétexte.—Cinqdollarspourm’avoirlaissévoirlechien.Jel’empocheenlevantlesyeuxauciel.
—Jevaispasserchezmonpère.Onsevoitcesoir,dis-jeenluidéposantunbrefbaiseraucoindeslèvres.
Guccileregardedisparaîtredanslamaison,j’aidumalàlafairebouger.Nousnemettonsquecinqminutes,enmarchantvite,cequin’estpasunproblèmeavecGucci.Trois
voituressontgaréesdevant.LaLexus,laRangeRoveretl’Audi.Toutlemondeestlà,mêmeTyler.Monventresenoue.
Avantdepasserlaporte,j’entendsdesvoixetdesriresprovenantdujardin,alorsjefaisletourparleportail.Chaseestdanslapiscine,monpèretented’allumerlebarbecueetJamiejoueavecunballon.Àsavue,Guccisemetàaboyer,jedoislaretenirparlecollier.
—Eden!faitmonpère,contentdemevoir.Nousn’avonsjamaisvraimentparlédel’étédernier,etjeluienveuxtoujours,maisilfaitdegros
effortspourquenousnousentendions.Peut-êtrequeçaneseraplus jamaiscommeavant.Oupeut-êtrequeçaprendrasimplementdutemps.Maisaumoins,nousessayons.
—Tuasfaim?Onapréparéunfestin.ÇamerappellemonpremierjouràSantaMonica,l’étédernier,etmapremièrerencontreavecTyler.
J’ail’impressionqueçafaitdesdécennies.—Mamangèreledîner,luidis-jetoutenretenantGucci.Jamie,jet’enprie,planqueceballondeux
secondes.Lesyeuxauciel,ils’endébarrassedanslacuisine.MaintenantqueGuccinerisqueplusdel’éclater,
jelalaisselibre.Ellesemetàcourirdanslejardincommeunemalade.—Tylerestlà?Jenel’aipascroiséaulycéeaujourd’huietj’aiencoredumalàpasserunjoursansluiparler.Jeme
demandecequ’ilfait,àquoiilpense,s’ilaimetoujourslabarbeàpapaetlesparcsd’attractions.—Àl’étage,fait-monpèreenretournantàsonbarbecue.JelaisseGuccisouslasurveillancedeJamieetentredansmadeuxièmemaison.J’aipasséplusde
tempsicicetteannéeetmaintenant,j’aivraimentl’impressionqueJamieetChasesontmespetitsfrères.Ellaneremplacera jamaismamère,mais jesaisquejepeuxcomptersurelle.Quantàmonpère…ehbienc’estmonpère.Jechangedemaisonunesemainesurdeuxpourpouvoirvivreaveclesdeuxmoitiésdemafamille,parceque,honnêtement,jelesaimetouteslesdeux.
—Eden!Tuvienspourlebarbecue?Ella est affairée à remplir des carafes de jus de fruits. Elle porte son tailleur, elle doit rentrer à
l’instant.Elleareprisletravaildepuissixmois.—Pascesoir.Jepromenaislechien.Tylerestlà-haut,c’estça?—Oui,ilfaitsavalise.Ellesoupiremaissourit.L’idéedesondépartmeserrelapoitrine.Jemontelesmarchesquatreàquatre.L’étageestsilencieux
et le soleil aveuglant illumine toutes les pièces. Je pousse la porte déjà entrouverte de la chambredeTyler.
Deuxvalisesàmoitiérempliessontsursonlit,lerestedelapièceestvide.Toutadéjàtraversélepayset l’attenddanssonappartement,danslecentredeManhattan.Ilsortdelasalledebainsavecunpetitsourire.
—Salut.—Salut.Le silence qui s’installe est lemême que d’habitude. Ce n’est pas un silence gêné. Il est devenu
familier.C’estcommesinousavionsbesoind’unmomentpournouscalmer,aucasoùnousferionsoudirions quelque chose qu’il ne faut pas. Un moment pour enfiler nos masques, dresser notre façadecourageuse,nousconvaincrequenousnesommesplusamoureuxdelapersonneenfacedenous.
J’ignoremespaumesmoites etmoncœurqui s’emballe et jeme tournevers les valises, avant dereveniràlui.
—TudéménagesàNewYork,tuycrois?Ila fallubeaucoupd’effortspour leconvaincre,maisvoilàquiest fait.Lundi, ilpartàNewYork
pourunan.Ilvaparcourirlacôteest,partagersonhistoireetpeut-êtreaiderlesautres.Iladûtravaillerdurpoursaisircettechance.Ilaobtenuuneexcellentemoyenneàl’examenfinal.Ilnes’estpasdroguédepuis huit mois. La dernière fois qu’il a élevé la voix sur l’un d’entre nous, c’était l’an dernier.Maintenantquetoutlemondeconnaîtlavérité,ondiraitqu’onluiaretiréunpoidsdesépaules.Ilabienfallu en parler quand il a laissé entendre qu’il partait à l’autre bout du pays.Rachael est un peu plussympaaveclui,depuis.
—C’estdingue,répond-ilenhaussantlesépaules.Onenvoielavoituredemain,etçaserabon.—Çavafairebizarredenepastevoirpendantunan.Jesuis tellement fièredecequ’ila faitetde toutcequ’ils’apprêteà faire.D’unautrecôté,c’est
difficile de savoir qu’il ne sera plus là. J’essaie de me convaincre du contraire, mais il représentebeaucoup plus qu’un demi-frère. Comment suis-je censée supporter de ne plus voir la personne quej’aime chaque jour ? Au fond de moi, je sais que ça peut nous aider. Peut-être la séparation nouspermettra-t-elledenoussevrerl’undel’autre?
Ilfermel’unedesvalisesetsetourneversmoi.Ilatoujoursdesyeuxmagnifiques.—C’estlamoinsbonnepartie.Tuasréfléchis,pourl’étéprochain?Lasemainedernière,ilm’aproposédeveniràNewYorkpourl’été.Lesconférencesseterminenten
juin,maisilnerentrerapasavantaoût,doncilveutquejepasselesvacancesavecluidanslaville.Uneidéedangereuse.
—Justenousdeux,merappelle-t-il,enréprimantunsourire.Quandil faitunpasversmoi,moncœuraccélèrecommechaquefoisqu’ils’approcheunpeutrop
près.Jen’aiplusd’air.Duboutdubras,ilfermelaportedesachambre.Nousavonsassezbienréussiàignorernotreattirancemutuellecetteannée,etencoremieuxréussià
nousassurerquepersonneneladécouvre.Etpuis,j’aiDeanmaintenant.Jedevraismeconcentrersurlui.Maisquelquesfois,quelquesfoisseulement,Tyleretmoioublionsdefairesemblant.Commemaintenant.
Ilm’attireàluietjesenssonparfum.Bentley,sonpréféré.Iln’estpasencorepartiqu’ilmemanquedéjà.Jeposelatêtesursonépauleetsamaindescendsurmahanche.Notreétreinteesttoutcequ’ilyadeplusnormal,j’ailedroitdeprendremondemi-frèredansmesbras,etpourtant…latensionsexuellenedevraitpasexister.
Joue contre joue, son souffle chaud caresse ma nuque. Il serre ma taille tandis que ses lèvreseffleurentmonvisagejusqu’aucoindemabouche.Jelesenssourirecontremeslèvresetilmurmure:
—Àl’étéprochain,Eden.
Remerciements
Merciàmeslecteursquisontlàdepuisledébutetontvucelivregrandir.Mercid’avoirrendusonécriture si agréable etmerci d’être restés avecmoi si longtemps.Merci à toute l’équipe deBlack&White Publishing de croire en ce livre autant quemoi. Janne, je te suis éternellement reconnaissanted’avoirvouluconquérirlemonde;Karyn,mercipourtescommentairesettescompétences;etmerciàLaurad’avoirtoujoursveillésurmoi.Merciàmafamillepourleursencouragementsetleursoutiensansfaille,surtoutàmamère,Fenella,quim’aemmenéeàlabibliothèquequandj’étaispetite–c’estlàquejesuistombéeamoureusedeslivres;àmonpère,Stuart,quim’atoujoursencouragéeàdevenirécrivain;etpour finir àmon grand-père,GeorgeWest, qui a cru enmoi depuis le premier jour.Merci àHeatherAllen et Shannon Kinnear d’avoir écouté mes idées et de m’avoir laissée radoter, sans jamais medemanderdemetaire,mêmesimonenthousiasmeatrèscertainementdûvoustapersurlesnerfs.MerciàNeilDrysdaledem’avoiraidéeàenarriverlà.Merci,merci,merci.Etpourterminer,merciàDanicaProe,monprofesseurqui,quandj’avaisonzeans,aétélapremièreàm’avoirditquej’avaisuneplumed’auteur.Mercidem’avoirfaitprendreconsciencequec’étaitexactementcequejevoulaisdevenir.
L’auteur
Estelle Maskame, jeune Écossaise de dix-huit ans, est une dévoreuse de livres et une faninconditionnellederomansYoungAdult.Elleécritdepuisl’âgedetreizeans.DidIMentionILoveYouestsonpremierroman.
Titreoriginal:DidIMentionILoveYouPubliépourlapremièrefoisen2015parBlack&WhitePublishingLtd
Loino49956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse:janvier2016
©EstelleMaskame2015
©2016,éditionsPocketJeunesse,départementd’UniversPoche,pourlatraductionfrançaiseetlaprésenteédition
Couverture:StuartPolsonDesign–Photos:©Shutterstock
ISBN:978-2-823-84341-5
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