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UNIVERSITÉ DE NANTES FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE Master 1 Science Politique Année 2009-2010 « NANTES, UNE VILLE LA NUIT » CLÉMENTINE MOTARD Sous la direction de Renaud EPSTEIN Maître de conférences en science politique

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UNIVERSITÉ DE NANTES

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

Master 1 Science Politique

Année 2009-2010

« NANTES, UNE VILLE LA NUIT »

CLÉMENTINE MOTARD

Sous la direction de Renaud EPSTEIN

Maître de conférences en science politique

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FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

Master 1 Science Politique

Année 2009-2010

« NANTES, UNE VILLE LA NUIT »

CLÉMENTINE MOTARD

Sous la direction de Renaud EPSTEIN

Maître de conférences en science politique

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier M. Renaud Epstein pour ses précieux conseils et ses suggestions

qui ont orienté ce travail.

Mes remerciements s’adressent également aux personnes qui ont accepté de me

rencontrer : Mme Irène Aboudaram, M. Philippe Fourrier, M. Dany Joly, Mme Fabienne

Adam et M. Yannick Tounel.

3

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« On est sortis dans la nuit, le pas incertain. »

Jack Kerouac1

4

1 Jack Kerouac, Sur la route, Le rouleau original, traduit de On the road, The original scroll [2007] par Josée Kamoun, Paris : Gallimard (coll. « Du monde entier »), 2010, 505 p. (p. 188)

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE I - LA NUIT : METTRE EN SCÈNE LA VILLE

CHAPITRE 1 - UNE PROBLÉMATISATION DÉTERMINÉE PAR UN IMPÉRATIF D’ATTRACTIVITÉ

I. La métropolisation : un processus en cours inévitableII. La construction d’une image

CHAPITRE 2 - DES POLITIQUES PUBLIQUES ORIENTÉES VERS LA CONSTRUCTION D’UNE

MÉTROPOLE

I. Une ville dynamique et « culturelle »II. Le rôle des services publics dans la gestion de la nuit

PARTIE II - LA NUIT : GÉRER LES CONFLITS CHAPITRE 1 - UNE PROBLÉMATISATION DÉTERMINÉE PAR UN TEMPS POTENTIELLEMENT

CONFLICTUEL

I. La nuit : de nouvelles représentationsII. La nuit : de nouvelles perspectives

CHAPITRE 2 - DES POLITIQUES PUBLIQUES ORIENTÉES VERS LA MÉDIATION

I. Une mise en avant de la médiation et de la prévention des risques

II. Une association des acteurs économiques

PARTIE III - DES ENJEUX NOCTURNES EN TENSION : LE PROBLÈME DE L’ARTICULATION CHAPITRE 1 - LE CHOIX D’UNE GESTION PUBLIQUE

I. Des dimensions de la nuit antagonistes : quelle conciliation ? II. Une action nocturne concentrée

CHAPITRE 2 - LE « CHANTIER » D’UNE RÉFLEXION GLOBALE

I. Quelle réalité et quelle évaluation des politiques temporelles ? II. Quelle participation citoyenne ?

CONCLUSION

ANNEXESBIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIÈRES

5

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INTRODUCTION

1. Les temps de la ville : un champ de recherche émergent

« En dépit de la richesse des écrits sur la nuit, de l’omniprésence des ténèbres dans la pensée occidentale, de la multitude des formes d’oeuvres traitant de thèmes nocturnes, dans tous les domaines artistiques, la nuit est restée longtemps ignorée des chercheurs, en marge des investigations des sciences sociales, que ce soit dans le domaine de la recherche publique ou privée. »2

Les temps de la ville sont un nouvel objet de recherche depuis une trentaine d’années et

sont plus en plus étudiés. S’intéresser aux temps de la ville, c’est réfléchir aux temporalités

urbaines, à leur prise en compte dans les politiques publiques. Cela apporte alors une nouvelle

dimension d’analyse, ajoutée à la dimension spatiale : la dimension temporelle. Il s’agit de

s'interroger sur l’adéquation des rythmes urbains aux besoins et intérêts des populations. Ces

réflexions, relativement récentes, reposent sur le présupposé du « passage d’un temps

cyclique, rythmé par les saisons et les rites religieux, à un temps linéaire, cadencé par la

production et l’idée de progrès »3 : d’abord incrémental, ce mouvement se serait accéléré ces

dernières années.

« Traditionnellement en France, dans le champ de la réflexion et de l’action publique, on a dissocié l’approche du temps vécu de celle de l’espace. Depuis quelques années cependant, les pouvoirs publics, à l’échelon du gouvernement comme à celui des collectivités locales, portent une attention nouvelle aux questions temporelles et à leur inscription territoriale. »4

Une discipline scientifique étudie les rythmes biologiques : la chronobiologie. Elle a été

particulièrement développée par Alain Reinberg. Ce dernier définit la chronobiologie comme

6

2 Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, Paris : L’Harmattan (coll. « Logiques sociales »), 2004, pp. 27-28

3 Jean-Yves Boulin , « Pourquoi les politiques temporelles sont-elles sur l’agenda des collectivités locales ? », in Jean-Yves Boulin (dir.), Villes et politiques temporelles, Paris : La Documentation française/Institut des villes (coll. « Villes et société »), 2008, pp. 17-37

4 Jean-Yves Boulin, « Les temps de la ville », in Projet 273-2003, pp. 64-72 (p.64)

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« l’étude de la structure temporelle des organismes, de ses mécanismes et de ses altérations »5.

Dans ce cadre, il a pu être montré les caractéristiques spécifiques du temps de la nuit, et

notamment les effets négatifs du travail de nuit.

Murray Melbin6 propose de comparer l’évolution de la nuit à la conquête de l’Ouest. En

effet, la nuit serait « la dernière frontière », le dernier « espace » à coloniser, le seul dont

l’homme ne se soit pas encore totalement emparé. Ce mouvement, inéluctable, est l’objet de

nombreuses interrogations. La principale est de savoir s’il faut réguler la nuit ? Dans cette

optique, plusieurs questions se posent : quelles sont les spécificités de la nuit ? Faut-il les

préserver ?

Luc Gwiazdzinski a participé, dans une large mesure, à la diffusion de cette réflexion en

France (même s’il ne cite pas Murray Melbin) : il s’est posé comme le spécialiste français de

la question nocturne. Ses ouvrages proposent une étude globale de la perception de la nuit et

des questions que ce phénomène pose.

Politiquement, il a été préconisé la mise en oeuvre de politiques temporelles, c’est-à-

dire des politiques publiques qui prennent en compte la dimension « temps » et qui tendent à

un aménagement entre les différents temps vécus dans la ville. En 2001, Claude Bartelone,

ministre délégué à la Ville, et Nicole Péry, secrétaire d’Etat aux droits des femmes et à la

formation professionnelle, ont commandé un rapport portant sur les « temps des villes » à

Edmond Hervé, député-maire de Rennes à l’époque. Ce rapport justifie l’intérêt actuel porté

sur le temps en expliquant que :

« le temps - plus exactement [les] temps - est un bien rare, différentié, immatériel. Il n’est ni neutre, ni uniforme, ni remplaçable. Il est à la fois contenu et contenant. Ce qu’il permet de faire importe. Bien individuel et collectif, il ne peut relever du hasard. Il peut procéder de soi mais également des autres, de celui, de ceux qui

7

5 Alain Reinberg (dir.), L’Homme malade du temps, Paris : Pernoud/Stock (coll. « Médecine ouverte »), 1979, p. 36. Cité dans Thierry Pacquot (dir.), Le quotidien urbain : Essais sur les temps des villes, Paris : La Découverte/Institut des Villes, 2001, p. 13

6 Murray Melbin, Night as Frontier, American Sociological Review, vol. 43, February 1978, 3-22. Aussi, Murray Melbon, Night as Frontier : Colonizing the World After Dark, New York, The Free Press, 1987

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décident. Il rentre donc dans le champ de l’organisation et par conséquence dans le champ de la démocratie. »7

Les politiques temporelles tentent de conjuguer les « temps de la ville » : « quatre temps

viennent scander la journée des Français »8, à savoir le temps « physiologique », le temps de

travail professionnel, le temps consacré aux travaux domestiques et le temps des loisirs.

L’enjeu principal est bien alors « la qualité de la vie pour tous »9 : il s’agit de concilier au

mieux les différents temps afin d’assurer le bien-être des individus. Un tel objectif impose de

concilier les rythmes biologiques et les rythmes urbains. La « maîtrise des temps » participe à

ce large objectif.

L’Italie est précurseur dans le domaine des politiques temporelles : dès 1985, apparaît le

modèle « tempi della città ».

« [Il] est l’expression d’un désir de libre arbitre en matière de temps. Il s’agit d’une démarche démocratique et solidaire visant à une approche culturelle et maîtrisée des temps de la vie quotidienne dans l’environnement urbain, et ce par l’articulation entre les modes de vie des populations, les prescripteurs de calendriers et les producteurs de services. »10

Cette amorce de politique temporelle a été l’initiative d’associations féministes qui ont

exprimé les difficultés des femmes à conjuguer les différents temps, ce qui perpétuaient les

inégalités entre les hommes et les femmes. Ainsi, la maîtrise du temps devait permettre de

lutter contre ces inégalités (la principale étant le travail domestique, celle amplifiant les

autres). Plus largement, les politiques temporelles visent à l’égalité entre les individus. Cela

pose la question d’un « droit à la ville ». Les inégalités d’accès ont une dimension spatiale,

mais aussi temporelle. En effet, la nuit, l’offre urbaine est limitée et les fonctions urbaines

8

7 Edmond Hervé, Temps des villes, Paris : La Documentation Française, 2001, p. 1, téléchargé sur <http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/014000520/0000.pdf>

8 Françoise Dumontier, Jean-Louis Pan Ké Shon, « En 13 ans, moins de temps contraint et plus de loisirs », in Insee Première, n°675, 1999. Cité dans Françoise Dumontier, Danièle Guillemot, Dominique Méda, « L’évolution des temps sociaux au travers des enquêtes Emploi du temps », in Economie et Statistique, n°352-353, 2002, pp. 3-13 (p.3)

9 Edmond Hervé, Temps des villes, op. cit., p. 11

10 Jean-Paul Bailly, Nouveaux rythmes urbains et organisation des transports, Paris : La Documentation F r a n ç a i s e / C o n s e i l N a t i o n a l d e s Tr a n s p o r t s , 2 0 0 1 , p . 3 2 , t é l é c h a r g é s u r < h t t p : / /lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000522/0000.pdf>

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sont très concentrées. Ainsi, les populations périphériques ou habitant dans des quartiers

enclavés sont pénalisées.

2. Pourquoi et comment étudier la nuit ?

La nuit se construit peu à peu comme un objet de recherche authentique.

« Regarder la ville la nuit est alors une sorte d’aubaine méthodologique pour saisir à travers les lieux d’animation qui se dessinent les différents groupes sociaux qui marquent l’espace public et forment l’opinion. »11

La nuit est un temps où les sentiments de peur et de liberté paraissent exacerbés. Elle

joue un rôle particulier dans le rythme de la ville et des individus. Ainsi, elle trouve sa place

dans les politiques temporelles, dans la mesure où elle constitue « le champ de tensions

central de notre société »12. Des chercheurs et des politiques se sont penchés sur la question

nocturne et ont envisagé des régulations, des gestions originales.

« L’aménagement du territoire et l’urbanisme ont longtemps privilégié l’espace, alors que la prise de conscience de la dimension temporelle est plus récente. Mais, espace et temps sont inséparables : l’espace structure le temps, le temps structure l’espace. »13

Comme l’indique Luc Gwiazdzinski, « le sujet est complexe car croisant plusieurs

champs qui sont autant d’enjeux contemporains : la ville, le temps, la sécurité et la liberté »14.

Cette complexité interroge sur la démarche du chercheur. Comme le jour, la nuit n’est pas un

temps homogène. La question est légitime : la ville a-t-elle une nuit ? Quelle est la pertinence

d’étudier alors la nuit dans son ensemble ? Y a-t-il une cohérence à vouloir étudier la nuit en

général ?

9

11 Anne Querrien, Pierre Lassave, « Clair obscur ou haut-relief ? », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 3-5

12 Luc Gwiazdzinski, La nuit, dernière frontière de la ville, Paris : L’Aube (coll. « Monde en cours »), 2005, p. 18

13 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », in Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, Paris : L’Harmattan (coll. « Logiques sociales »), 2004, pp. 11-23

14 Luc Gwiazdzinski, La nuit, dernière frontière de la ville, op.cit., p. 21

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« Il n’y a pas une nuit, mais des nuits en fonction des quartiers de la ville, de l’heure précise et de la motivation de l’individu dans ses dimensions de citoyen, consommateur ou producteur selon qu’il se trouve en temps libre ou en temps contraint. »15

Au-delà d’une définition « naturelle » de la nuit, le géographe Luc Gwiazdzinski relève

plusieurs définitions négatives possibles : par les limites physiologiques, par les limites

légales, par les limites économiques ou par les limites de l’« offre urbaine ». Le juge

judiciaire offre une définition plus pragmatique en entendant la nuit comme le « temps

quotidien pendant lequel la clarté est insuffisante pour permettre de distinguer la forme et la

couleur des objets »16. Bref, en général, la nuit est l’intervalle compris entre 22 heures et 6

heures. Cependant, la nuit peut se diviser elle-même en trois temps : la soirée (de 20 heures à

1heure 30), le « coeur de la nuit » ( de 1 heure 30 à 4 heures 30) et le petit matin (de 4 heures

30 à 6 heures). Ces définitions paraissent consensuelles, du moins aucune définition

concurrente n’a pu être relevée17.

Plusieurs faits d’actualité ont mis la nuit à l’agenda médiatique ces dernières semaines

et démontrent l’intérêt porté à une telle réflexion.

Le 19 octobre 2009, une pétition intitulée « Paris : quand la nuit meurt en silence » a été

diffusée, notamment par le biais d’un site internet dédié18 et par le relais des médias. Celle-ci a

recueilli 15 787 signatures, jusqu’à sa clôture le 31 décembre 2009 ; elle a été présentée « à

l’initiative de Technopol (l’association au service de l’électro qui organise la Techno Parade et

les Rendez Vous Electroniques), Plaqué Or (promotion d’artistes et organisateur de soirées) et

My Electro Kitchen (disquaire et organisateur) ». Cette « lettre ouverte des acteurs de la

10

15 Ibid., p. 191

16 Voir notamment Angers, 28 février 1908 : D.P. 1908, 5, 25 ; S. 1908, 2, 80 ou Paris, 25 avril 1913 : S. 1913, 2, 208. Cité dans Luc Gwiazdzinski, La nuit, dernière frontière de la ville, op.cit., p. 53

17 Par exemple, Edith Heurgon divise aussi la nuit en trois périodes : « la soirée (jusqu’à 23h ou minuit), le coeur de la nuit (entre minuit et 3h), la fin de la nuit » (source : Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », in Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.)

18 Voir <http://www.quandlanuitmeurtensilence.com/>

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musique et de la nuit à Paris » était adressée à l’attention « du Ministre de l’Intérieur, du

Ministre de la Culture et de la Communication, du Ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du

Développement durable et de la Mer, du Maire de Paris, du Préfet de Police de Paris et de la

Région Ile-de-France et du Président du Conseil Régional ». Elle soulignait le manque

d’animation de la vie nocturne parisienne qui ne pourrait plus faire face à la concurrence des

nuits de Berlin ou de Barcelone.

De plus, depuis le 12 mai 2010, des portions d’autoroutes d’Ile-de-France sont éteintes :

cette décision est présentée comme un moyen de réduire la consommation d’électricité, mais

aussi les accidents. L’Association Française d’Eclairage dénonce une telle décision en réfutant

les arguments favorables à l’extinction de l’éclairage : elle soutient que « l’éclairage public

routier n’entraîne pas l’augmentation de la vitesse des usagers. Il permet d’anticiper les

manoeuvres face aux événements de la route, diminue le stress de conduite et est

particulièrement apprécié par les conducteurs âgés qui sont de plus en plus nombreux et dont

les performances visuelles sont réduites naturellement par l’âge »19.

Enfin, le phénomène des « apéros géants » organisés par l’intermédiaire du réseau

social Facebook pose les jalons d’une réflexion sur l’utilisation de la nuit comme un temps

d’exutoire et un lieu de « fête ». Même si la question est abordée quasi-exclusivement sous

l’angle de l’hyper-alcoolisation par les médias, le phénomène peut questionné sous un autre

angle : celui des usages de la nuit.

3. Problématique

Il s’agira, dans le cadre de ce travail, d’étudier la représentation de la nuit dans les

pouvoirs publics, plus particulièrement dans la ville de Nantes. Le choix ici n’est pas

d’étudier les représentations de la nuit chez les individus, dans une optique sociologique. Il

importe de comprendre les mutations de l’organisation des villes, consécutives à l’évolution

des rythmes urbains, parmi lesquelles un nouveau rapport à la nuit.

11

19 Lux, « Eclairage public. Réponses à 40 questions trop souvent dévoyées », 2010, p. 6, téléchargé sur <http://www.afe-eclairage.com.fr/uploads/documentation/10216-ext.pdf>

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Sera étudiée un contexte urbain particulier : Nantes, ville moyenne de l’Ouest, comptant

290 943 habitants20, est la sixième ville de France. Quelle est la gestion publique adoptée sur

le temps de la nuit ? À quelles tensions la ville doit-elle répondre sur ce temps ? Comment y

répond-elle ?

Réfléchir à la nuit dans le cadre d’une approche locale qui privilégie l’échelle de la ville

semble s’imposer dans les publications. Ainsi, Edmond Hervé préconise une réflexion au plus

près des citoyens, en appelant à la mise en place d’un « véritable dialogue sociétal »21 ; de

même, Edith Heurgon préconise un « dialogue sociétal élargi »22. Le rapport Hervé relève

qu’« il nous faudra apprendre à conjuguer loi et contrat, centre et périphérie, Etat et

décentralisation. Plus que jamais, la territorialisation est à l’ordre du jour »23.

4. Cadre théorique

Nous nous appuierons ici sur les approches séquentielles et les approches cognitives

d’analyse des politiques publiques, augmentées d’une enquête de terrain, pour dégager des

éléments d’analyse sur la nuit nantaise.

a. L’approche séquentielle des politiques publiques

Pour appréhender les politiques publiques ici développées, nous nous baserons sur la

grille séquentielle. Le séquençage des politiques publiques est une méthode d’analyse

introduite par Harold Lasswell24 et développée par Charles Jones25. Ce dernier divise le

12

20 Chiffre de l’INSEE (population totale au 1er janvier 2010). Source : recensement de la population 2007 - limites territoriales au 1er janvier 2009.

21 Edmond Hervé, « Préface », in Thierry Pacquot, Le quotidien urbain : Essai sur les temps des villes, op.cit., pp. 7-8

22 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », dans Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

23 Edmond Hervé, « Préface », in Thierry Pacquot, Le quotidien urbain : Essai sur les temps des villes, op. cit., p.8

24 Voir à ce titre, Harold D. Laswell, The Decision Process : Seven Categories of Functional Analysis, College Par (Md.), Universtiy of Maryland, 1956

25 Voir à ce titre, Charles O. Jones, An Introduction to the Study of Public Policy, Blemont (Calif.), Duxbury Press, 1970

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processus d’une politique publique en cinq séquences, que sont l’identification du problème,

le développement du programme, sa mise en oeuvre, son évaluation et enfin, sa terminaison26.

Ces cinq temps sont un cadre d’analyse général qui permettent de saisir les étapes du

processus politique des politiques publiques. Chaque séquence présente son système d’acteurs

et ses modes de régulation spécifiques. Grâce à ce modèle, « c’est tout l’environnement de

l’action publique dans sa complexité qui est pris en compte »27.

b. L’approche cognitive et normative des politiques publiques

Les approches cognitives « tendent à privilégier les politiques publiques comme

expression d’une vision d’elle-même par la société, d’un type de représentation des problèmes

publics ou de son rapport spécifique au monde »28. En « [insistant] surtout sur le poids des

éléments de connaissance, des idées, des représentations ou des croyances sociales dans

l’élaboration des politiques publiques »29, ces cadres d’analyse permettent d’intégrer les

représentations des acteurs dans le processus de construction des politiques publiques. Une

telle approche peut permettre de saisir les motivations, même implicites, des acteurs. Ainsi,

ont été élaborées les notions de référentiel (développée par Bruno Jobert et Pierre Muller), de

paradigme (proposée par Peter A. Hall) ou de système de croyances (définie par Paul A.

Sabatier).

c. L’enquête de terrain

L’étude se concentre sur la ville de Nantes, principalement ses quartiers centraux. Une

série d’entretiens avec des responsables administratifs et associatifs ont permis d’approcher

au plus près les représentations de chacun : ont été rencontrés des responsables du service

« éclairage public » (Nantes Métropole), des responsables du service « réglementation des

13

26 Sophie Jacquot, « Approche séquentielle (stages approach) », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Science Po, coll. « Références », 2e édition, 2006, pp. 73-80

27 Ibid., p. 76

28 Ibid., p. 78

29 Yves Surel, « Approches cognitives », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op.cit., pp. 80-87

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débits de boissons » (Nantes), ainsi que la coordinatrice de la mission « prostitution » de

Médecins du Monde (Nantes). Le manque de temps a malheureusement empêché d’être

complet. Il est, à cet égard, intéressant de voir que la nuit est une donnée qui entre en jeu dans

de nombreux services publics et de nombreuses administrations.

5. Annonce du plan

La nuit est un temps de liberté ou d’insécurité dans l’inconscient collectif. La réalité de

ces préjugés n’est pas démontrée. La ville doit répondre à ce sentiment d’insécurité, en

rendant la nuit « sûre » ; et joue avec le sentiment de liberté, en organisant une vie nocturne.

Il s’agit alors de montrer que la nuit nantaise s’articule autour de deux enjeux en

tension : animer la vie nocturne et assurer la tranquillité publique. Dans un premier temps,

nous exposerons les tenants et les aboutissants de chacun des enjeux, animation (Partie 1) et

tranquillité (Partie 2) ; dans un second temps, nous étudierons la manière dont ces deux

enjeux, au premier abord contradictoires, peuvent être articulés (Partie 3).

14

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PARTIE I - LA NUIT : METTRE EN SCÈNE LA VILLE

CHAPITRE 1. UNE PROBLÉMATISATION DÉTERMINÉE PAR UN IMPÉRATIF

D’ATTRACTIVITÉ

Un problème public se construit à travers un processus de cadrage. En effet, les acteurs

construisent leur vision du problème, leur interprétation : on parle de « récits ». Les récits sont

largement utilisés par les acteurs pour favoriser l’émergence de ce qu’ils voient comme un

problème public. Selon l’analyse d’Emery Roe, ils certifient et stabilisent :

« les hypothèses nécessaires à la prise de décision par rapport à ce qui est, en réalité, incertain et complexe. En tant que tels, les récits de politiques publiques peuvent bien être de fausses représentations de la réalité - et reconnues comme telles - mais elles survivent tout de même et parviennent à s’imposer. »30

Les récits construisent alors une certaine interprétation du monde, de ce qui devrait être.

Ils permettent de rendre « les problèmes sociaux compréhensibles et accessibles à l’action

humaine », comme l’explique Claudio Radaelli31. Ces récits sont différents selon les acteurs,

selon les territoires.

Depuis quelques années, un même récit est repris par les villes : celui de la

métropolisation (I). Ainsi, ces dernières cherchent à se présenter comme des métropoles (II),

processus au sein duquel la nuit apparaît comme un élément structurant.

I. LA MÉTROPOLISATION : UN PROCESSUS EN COURS INÉVITABLE

Par « métropolisation », on entend le phénomène de multiplication des métropoles.

Dans ce contexte, les villes ont de plus en plus de pouvoir. Devant l’essor des métropoles, les

villes sont entrées en « compétition » et cherchent à attirer résidents, touristes, entreprises et

laboratoires de recherche (A), en se construisant comme des « métropoles » (B).

15

30 Emery Roe, Narrative Policy Analysis, Durham, Duke University Press, 1994, p. 51. Cité dans Claudio Radaelli, «Récits (policy narrative) », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op.cit., pp. 366-372

31 Claudio Radaelli, «Récits (policy narrative) », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op.cit., pp. 366-372

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A. La compétition entre les villes et la recherche de l’attractivité

La compétition entre les villes n’est pas un phénomène nouveau : Patrick Le Galès

relève que l’histoire des villes est en grande partie associée à cette concurrence, notamment

en raison de la faiblesse de la régulation étatique.

Le discours sur la compétition des villes connaît un certain succès chez les acteurs

locaux : c’en est devenu un lieu commun. Ainsi, les projets municipaux, en particulier les

projets urbains, sont justifiés par cet impératif de « tenir son rang dans la compétition ».

Refuser de participer à cette compétition s’apparenterait à préférer l’immobilisme. S’est créée

une sorte d’obligation de « suivre le mouvement », même si celui-ci n’est pas justifié, dans la

mesure où un certain nombre y croit. Les projets municipaux sont mus par la perception d’être

une métropole : ainsi, « disposer d’un projet devient pour toute ville comme pour tout

individu un gage de sérieux et de responsabilité »32.

La compétition peut produire une sorte d’émulation des idées : des projets originaux

sont alors développés. Tel est le discours produit au niveau local. On peut citer à cet égard

l’introduction du Guide Touristique 2010-2011 produit par l’Office de tourisme de Nantes

Métropole33 :

« La capitale de l’Ouest français vous réserve bien des plaisirs : une métropole ouverte sur le monde, un patrimoine architectural particulièrement riche et varié, des parcs remarquables, l’occasion de faire des rencontres passionnantes dans une capitale qui sait vivre, recevoir et partager ce qu’elle a de meilleur.Et lorsque vous croiserez le grand éléphant, vous vous direz peut-être comme André Breton, “Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine...” »

On y retrouve explicitement l’idée de métropole, même de capitale (terme cité deux

fois). De plus, la référence à André Breton fait écho à une compétition où Nantes arriverait à

la première place. C’est un exemple parmi d’autres de « marketing urbain ». Celui-ci

désigne :

16

32 Marc Dumont, Laurent Devisme, Les métamorphoses du marketing urbain, consulté sur <http://www.espacetemps.net/document1831.html>

33 Téléchargé sur <http://www.nantes-tourisme.com>

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« toutes les pratiques de communication territoriale qui consistent à s’appuyer sur des matières spatiales existantes ou en construction en vue de les promouvoir, de les faire exister, de les rendre attrayantes et d’inciter à les pratiquer, à y investir son temps, ses loisirs ou son capital. »34

Ainsi, la communication joue un grand rôle dans un contexte où chaque ville cherche à

acquérir une plus grande visibilité. On fait alors face à un « travail de mise en scène de la

ville »35.

Une autre manifestation de la compétition se trouve dans les classements en tout genre

qui se sont développés. Pour que ne prendre que l’exemple de Nantes, la ville a été classée

comme la première « des villes françaises pour la qualité de leur environnement » (L’Express,

juin 2003), comme « la ville la plus agréable à vivre en France » (Le Point, 2003 et 2004), ou

comme « la ville européenne la plus agréable à vivre » (Time, août 2004).

En tant que finalité économique, l’« attractivité » devient une donnée essentielle pour

les villes : en effet, ces dernières cherchent à « attirer ». Substantiellement, il s’agit de capter

les revenus, comme l’analyse Laurent Davezies36. En effet, être une « ville attractive » est un

objectif des politiques municipales.

La priorité donnée à la recherche de l’attractivité a été soutenue par les travaux de

Richard Florida. On constate un engouement des acteurs locaux pour ces travaux, alors même

qu’ils sont très critiqués par le milieu universitaire. La théorie de Richard Florida repose sur

l’importance du rôle de la « classe créative »37.

17

34 Marc Dumont, Laurent Devisme, Les métamorphoses du marketing urbain, loc.cit.

35 Ibid.

36 Voir, à ce propos, Laurent Davezies, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Paris : Seuil (coll. « La Républiques des idées »), 2008, 109 p.

37 Voir, par exemple, pour une critique des travaux de Richard Florida, Max Rousseau, « “Bringing politics back in” la gentrification comme politique de développement urbain ? Autour des “villes perdantes” », in Espaces et sociétés, 2008/2, n°132, pp. 75-90

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B. Être une « métropole » : une finalité des politiques municipales

Pour s’affirmer comme une métropole, les villes doivent se doter d’un certain nombre

d’équipements, tels un aéroport, un stade, un opéra, ... Cette liste d’équipements se retrouve

dans toutes les grandes villes. Un tel « catalogue » est dénoncé par Fabien Desage et Jérôme

Godard38. Le discours sur la métropole fait office de « mythe » : les politiques municipales

sont mues par le désir de construire une métropole. Or cette volonté n’est pas débattue,

réfléchie, mise face à ses contradictions. Au contraire, l’engouement local et l’encouragement

organisé par le niveau central empêche d’opposer un discours alternatif. De plus, la

justification des politiques publiques par la métropolisation rend difficile l’opposition : les

impacts positifs ou négatifs dus à la métropolisation sont peu quantifiables. En ce sens, la

métropolisation constitue bien un « récit » de politiques publiques.

II. LA CONSTRUCTION D’UNE IMAGE

L’image a acquis un poids de plus en plus important : il est devenu essentiel de valoriser

son image, de la protéger. Elle est l’outil de la communication territoriale et, en ce sens,

participe à la promotion de la ville. L’image de la métropole nantaise se construit à travers les

projets urbains, particulièrement celui de l’Île de Nantes (A), mais aussi à travers la

perception de la nuit (B).

A. La reconstruction d’un deuxième centre-ville

Le point de départ à retenir est la fermeture des chantiers navals au début des années

1980.

« Le coeur de ville se voyait ainsi subitement amputé de deux éléments structurants de son identité, la ville portuaire et la ville populaire, avec des répercussions notables sur les nuits nantaises. La vie agitée des quais a en effet laissé place à la ville désertée des rues de son centre bipolaire. »39

18

38 Florian Desage, Jérôme Godard, « Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales », Revue Française de Science Politique, vol. 55, n°4, août 2005, pp. 633-661

39 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », Les cahiers de la sécurité intérieure, 61, 2e trimestre 2006 (consulté sur internet : <http://www.reseau-reflex.org/references/reflex/groupe_reflex_La_ville,_la_nuit.pdf>)

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La ville s’organisait autour de deux pôles, de deux centralités : la fermeture des

chantiers navals a supprimé un de ces centres. L’identité ouvrière de la ville a alors été mise à

mal : s’en est suivie « une longue période d’incertitude sur son devenir »40. Or pour se

construire comme une métropole, la ville doit avoir un projet et une identité visibles et

reconnus.

La ville tente malgré tout de conserver son image de ville portuaire. Dans cet ordre

d’idée, l’aménagement de l’Île de Nantes entre dans le projet plus vaste de reconquête des

berges de la Loire. En redynamisant le territoire des anciens chantiers navals, la ville s’offre

un deuxième centre d’animation et retrouve la « bipolarité » de son centre-ville.

B. La place de la nuit dans le processus de construction de l’image

Suite à la disparition des cultures ouvrières et au départ des classes ouvrières des centre-

villes, « la réhabilitation du centre passait nécessairement par la réinvention d’une vie

nocturne »41. En effet, outre à travers les projets urbains, l’image de la ville se construit aussi

la nuit. Offrir une vie nocturne participe à l’image de métropole.

« À Nantes, c’est en termes d’image de la ville - ville-lumière, ville en mouvement - que se pose la question de la vie nocturne. »42

La question de la perception de la nuit et de son impact sur l’image urbaine peut être

abordée sous deux angles : la représentation de l’« habitant » (1) et celle du « touriste » (2).

1. L’appropriation de la nuit par les citadins

Les citadins s’approprient leur ville de manière différente la nuit. Catherine Espinasse a

observé ce phénomène :

19

40 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », loc.cit.

41 Anne Querrien, Pierre Lassave, « Clair obscur ou haut-relief ? », loc.cit.

42 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », loc.cit.

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« Parmi les plaisirs de la nuit sont évoqués le spectacle de la ville, ainsi que le sentiment de posséder la ville, de jouir de la ville pour soi, sans trop de monde, sans stress. Les jeunes ressentent la nuit, une sorte de prise de possession de l'espace. La nuit est associée à une certaine magie, celle du spectacle de la ville qui est perçue comme embellie par les jeux de lumières, par le mouvement, la mobilité des personnes. »43

En effet, la ville est redécouverte avec de nouveaux yeux. L’obscurité change le regard :

une attention particulière peut être donnée au chemin, à l’architecture. De plus, la

morphologie de la ville évolue une fois la nuit venue : les quartiers de bureaux s’éteignent

alors que d’autres quartiers s’animent.

« L’espace nocturne offre un autre aspect des lieux, une autre perception d’une même réalité de l’espace urbain. »44

2. Une nouvelle dimension du tourisme urbain

Le tourisme est une donnée essentielle pour la ville qui veut devenir une métropole de

rang national, voire international. Ainsi, le tourisme urbain est de plus en plus une

préoccupation municipale.

« (...) il faut souligner l’impact considérable que la nuit et ses activités dévolues aux touristes peuvent avoir sur l’image globale et le rayonnement international d’une ville. Ainsi, comment mieux expliquer le succès et l’image - parfois surfaite - de dynamisme et de convivialité de métropoles comme Berlin ou Barcelone, autrement que par la diversité et la richesse de leur vie nocturne ? »45

20

43 Catherine Espinasse et Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, op.cit., p. 64

44 Olivier Charrier, « La lumière : un matériau de mise en valeur ? », in Actes des rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, p.42, téléchargé sur <http://www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

45 Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, Actes du colloque de Cérisy du 20 au 30 juillet 2004, édités par Catherine Espinasse, Luc Gwiazdzinski, Edith Heurgon, Paris : L’Aube (coll. « Société et Territoire ») : 2005, pp. 229-238 (p. 229)

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Laurent Queige (travaillant à la Mairie de Paris) soutient que tourisme et nuit sont

« intrinsèquement »46 liés, ne serait-ce que dans la définition du touriste47. Il défend l’idée que

« l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit »48. Pourtant, la nuit n’est pas toujours apparue

comme un temps touristique, les offres se concentrant plutôt sur des activités diurnes. « Au

cours du dernier quart de siècle précédent »49, les loisirs nocturnes, tels discothèques,

spectacles, se sont développés. « Le secteur public culturel a fini par s’y mettre lui aussi »50 :

par exemple, les musées de Barcelone sont ouverts jusqu’à 21 heures et des « nocturnes » sont

souvent organisées lors des grandes expositions culturelles.

Laurent Queige définit alors un « tourisme de fête ». Les villes sont entrées dans ce

mouvement et ont développé les lieux nocturnes. Découvrir la ville de nuit permettrait de

sortir des parcours touristiques classiques : un tel tourisme « est constitué par des visites

alternatives de la ville, en dehors des sentiers battus et des grands classiques »51. De plus, cela

est propice à une meilleure approche de la réalité quotidienne de la ville, dans la mesure où le

touriste aura plus de chance de rencontrer les habitants. Le tourisme d’affaires est également

en plein essor et présente un intérêt économique certain.

Outre l’intérêt du tourisme pour façonner l’image de la ville, il comporte une dimension

économique importante. Le tourisme peut devenir une ressource financière indéniable.

« Bien que le manque de statistiques nationales sur ce sujet empêche de développer une approche rigoureuse, des études réalisées par la Maison de la France, l’organisme national de promotion touristique de la France à l’étranger, ont montré que les dépenses moyennes par personne s’élevaient à 25 euros pour les visiteurs

21

46 Ibid., p.234

47 « La définition internationale du touriste est “une personne qui passe au moins une nuitée en dehors de son domicile, pour des motifs de loisirs ou d’affaires”. » (source : Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, op. cit., p.229)

48 Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, op. cit., p. 238

49 Ibid., p.229

50 Ibid.

51 Ibid., p.231

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qui sortent la nuit, ce montant venant s’ajouter au traditionnel budget de 100 euros consacrés aux dépenses touristiques incontournables (hébergement, transport, restauration).Par ailleurs, d’autres études du secteur du tourisme d’affaires ont montré que le phénomène de dépenses plus fortes en soirée était identique. Or, quand on sait qu’un visiteur d’affaires dépense en moyenne quatre fois plus qu’un visiteur de loisirs dans une ville, on comprend l’essor impressionnant des activités de “post-congrès” comme les voyages, le shopping, les dîners de gala. Cette somme s’explique en partie par la moins grande vigilance aux prix des touristes qui sortent la nuit. L’enjeu économique est donc très important. »52

Le tourisme a un véritable impact sur l’image d’une métropole : ses effets peuvent se

répercuter « jusque dans des sphères qui n’ont que de lointains rapports avec le monde du

tourisme à proprement parler »53. En effet, la ville va acquérir, par son tourisme, une

« réputation », celle « du dynamisme de sa vie culturelle, festive et nocturne »54.

CHAPITRE 2. DES POLITIQUES PUBLIQUES ORIENTÉES VERS LA CONSTRUCTION

D’UNE MÉTROPOLE

Face au besoin d’une image pour suivre le mouvement de la métropolisation, les villes

fixent leurs politiques publiques. L’animation nocturne fait partie intégrante de l’image d’une

métropole :

« Pour bénéficier de l’image d’une métropole aux yeux du public, la ville doit offrir des activités nocturnes, organiser des fêtes, proposer des spectacles, et y

22

52 Ibid., p.233-234

53 Ibid., p.234

54 Ibid.

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associer des transports publics qui fonctionnent tout ou partie de la nuit, du moins le week-end. »55

C’est donc autour de ces enjeux que les villes vont fonder leur image de métropole.

Ainsi, il s’agira dans ce chapitre d’observer les moyens mis en oeuvre par la ville de Nantes

pour s’affirmer comme une ville dynamique et originale (I). Nous aurons alors l’occasion de

voir comme la nuit est aménagée dans cette perspective, à travers l’étude de certains services

publics (II).

I. UNE VILLE DYNAMIQUE ET « CULTURELLE »

André Breton écrivait, dans Nadja, « Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de

France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine ». Terre du

surréalisme, la ville de Nantes a développé ses politiques culturelles pour « redynamiser » la

ville après la fermeture des chantiers navals (A). À travers ce « penchant » vers la culture, elle

cherche à développer le tourisme urbain (B). La recherche de cette attractivité doit aussi

passer par une lutte contre l’insécurité (C).

A. Un accent mis sur la culture et le tourisme

1. Des politiques culturelles mues par l’originalité

Nantes est présentée comme ayant « une vie culturelle délibérément sortie des sentiers

battus par son maire, Jean-Marc Ayrault (PS), depuis son élection en 1989 »56 : en effet, la

ville cherche à démontrer son dynamisme à travers la richesse de sa vie culturelle.

La ville de Nantes présente son budget dans des documents de communication par

politique publique. Parmi les dix-neuf politiques définies, on retrouve « développement

culturel » et « patrimoine et archéologie » : elles représentent respectivement 66 millions

d’euros et 10,2 millions d’euros. Le dépliant de présentation du budget primitif 2010 contient

également un graphique représentant la répartition de chaque « bloc » de politiques publiques

23

55 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », dans Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

56 Adrien Favreau, « A Nantes, Brahms à la folie », in Le Monde, 31 janvier 1998

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sur cent euros : les dépenses « culture » représentent 14,6% du budget, les dépenses

« aménagement, patrimoine et cadre de vie » représentent 9,5%. Leur addition en fait le

premier pôle de dépenses de la ville de Nantes (devant « gestion des services publics »,

18,1% ; « solidarité et vie sociale », 17,3% ; « éducation », 15,4%). Ainsi, d’un point de vue

quantitatif, les politiques culturelles occupent une place importante dans les politiques

municipales. Il faut noter que ces chiffres ne distinguent pas Nantes des autres grandes villes

françaises.

Les objectifs du « développement culturel » s’organisent autour de trois axes : « Nantes

ville culturelle », « Nantes ville attractive » et « Nantes ville créative ». Culture et attractivité

sont intrinsèquement liées.

L’expérience des Allumés (de 1990 à 1995) est significative : volontairement éphémère,

cette opération a duré six ans, sur six nuits (de six heures du soir à six heures du matin) et a

été consacrée à six villes. Cette manifestation culturelle de rang international a inspiré par la

suite les Nuits Blanches de Paris, ainsi que d’autres capitales européennes comme Bruxelles

ou Rome.

Cet effort de la ville centré sur la culture a porté ses fruits, comme le montre un article

du Monde de 2001 : « L’image d’une cité un peu endormie et bourgeoise par rapport à Rennes

et Angers s’est estompée »57. Nantes apparaît alors comme une ville dynamique et différente.

Les actions que la ville mène pour développer et diffuser la culture d’une part, et pour

préserver et mettre en valeur son patrimoine d’autre part, lui permettent de construire son

image de métropole internationale.

2. La promotion du tourisme

L’attractivité de la ville sert à capter les revenus, notamment ceux des touristes. Ainsi, le

tourisme urbain se développe. La ville de Nantes tend à se présenter comme une ville

touristique : elle publie d’ailleurs un « guide touristique ». L’idée est de s’afficher comme « la

ville qui bouge », celle où il faut être. La nuit est aussi présentée comme un atout58.

24

57 Marie-Aude Roux, Sylvain Siclier, « Nantes s’apprête à vivre un week-end de frénésie musicale », in Le Monde, 25 janvier 2001

58 Voir en annexe n°1, la page du Guide touristique 2010-2011 consacrée aux « soirées et nuits nantaises »

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Développer son offre touristique est alors un objectif des politiques menées : l’observatoire du

tourisme, animé par l’Agence d’urbanisme de la région nantaise (AURAN), indique que les

politiques culturelles et la mise en valeur du patrimoine ont un impact fort sur le tourisme.

« L’agglomération nantaise se renforce en tant que destination touristique depuis la réouverture du château des Ducs de Bretagne, l’ouverture des Machines de l’île, le développement de manifestations à caractère national et international tant sur le plan culturel qu’économique. Dans le même temps, le tourisme de proximité se développe en s’appuyant sur la mise en valeur du patrimoine des communes de l’agglomération et sur un réseau dense de continuités de promenade, en particulier le long des cours d’eau. »59

B. La lutte contre l’insécurité

1. L’intégration de la sécurité aux politiques municipales

Le maire est le garant de l’ordre public local. L’insécurité est un thème majeur dans le

débat public national ; on retrouve ce même phénomène au niveau municipal. Tanguy Le Goff

analyse cela à travers les discours des candidats aux élections municipales de 2001 à Nantes

et Strasbourg. Il affirme pour débuter :

« En l’espace d’une vingtaine d’année, l’insécurité s’est imposée comme l’une des principales préoccupations des maires et comme un enjeu polarisant le débat électoral. »60

Ainsi, à Nantes, un sondage effectué par IPSOS pour le journal Libération en juin 2000

a montré que la sécurité était perçue comme le « dossier prioritaire » (48%), devant les

quartiers défavorisés (36%) et les impôts (33%)61.

La sécurité est affichée comme une priorité par le maire, Jean-Marc Ayrault, à partir de

1996 avec la création du service « tranquillité publique » et la nomination d’un adjoint sub-

25

59 AURAN, Programme partenarial de travail 2010, p. 40, téléchargé sur <http://www.auran.org/download/Programme2010Auran-web.pdf>

60 Tanguy Le Goff, « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », Revue Française de Science Politique, vol. 55, n°3, juin 2005, pp. 415-444 (p. 415)

61 Libération, 7 juillet 2000. Cité dans Tanguy Le Goff, « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », loc.cit.

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délégué à ces questions. Au niveau municipal, la mise à l’agenda de la sécurité répond à des

temporalités distinctes ; mais on assiste à un mouvement de fond, qui ne fait pas intervenir le

clivage droite-gauche.

« Cette tendance est indissociable d’une forte médiatisation et politisation à l’échelle nationale des questions de délinquance et de violences urbaines, plus particulièrement à partir de 1997, où l’on assiste à une conversion de la gauche aux questions de sécurité. »62

La prise en charge de la sécurité est un véritable souhait des maires : ceux-ci cherchent

à développer leur capacité d’action en intégrant pleinement la sécurité à leur champ de

compétences.

« Le travail des maires ne se réduit pas à cette production de politiques municipales et d’actions symboliques, il repose également sur une dimension centrale du métier politique : la production discursive. Celle-ci vise, par l’usage de signes, d’images, de slogans mobilisateurs et la construction de récits, à agir sur les perceptions que les populations ont d’un problème et sur la manière dont les maires le prennent en charge. La production discursive est d’autant plus importante que le sentiment d’insécurité - plus particulièrement, la préoccupation pour l’ordre - comporte une forte dimension émotionnelle sur laquelle le contenu et la forme des discours (les slogans utilisés, le type de récit de l’insécurité locale véhiculé, la rhétorique choisie - fermeté, compassion) peuvent exercer une influence quant à la préoccupation pour l’ordre des électeurs. »63

Étudiant les discours politiques lors des élections municipales de 2001, Tanguy Le Goff

relève, au sujet de Nantes, que la rhétorique adoptée est celle de la prévention, en opposition à

la punition :

« Se démarquant [des] approches punitives, le maire de Nantes, dans le prolongement de la politique de communication discrète qu’il mène sur ce terrain depuis plusieurs années, adopte une stratégie d’apaisement. »64

26

62 Tanguy Le Goff, « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », loc.cit., p. 426

63 Ibid., p. 434

64 Ibid., p. 437

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Ainsi, au lieu de « sécurité », on préfère parler de « tranquillité publique ». Pour décrire

la stratégie adoptée, Jean-Marc Ayrault déclare : « prévention, éducation, répression, les trois

volets sont nécessaires et indissociables »65.. C’est le registre de la qualité de vie qui est

privilégiée. L’enjeu est, là encore, d’apparaître comme une « ville où il fait bon vivre ».

2. Répondre au sentiment d’insécurité nocturne

La nuit est un temps particulièrement sujet, si ce n’est à l’insécurité, du moins au

sentiment d’insécurité. Cela a été relevé par Catherine Espinasse lors des entretiens qu’elle a

effectués auprès de jeunes sortants, à Paris et à Strasbourg :

« Les peurs éprouvées la nuit sont liées, à Paris comme à Strasbourg, aux bandes de jeunes délinquants - encore appelés “racaille”, “zoulous” ou “lascars” - et à la notion de “cités” dans la région parisienne, de “quartiers” à Strasbourg. Le thème de l'insécurité la nuit est largement développé dans les deux sites. Même si certains interviewés sont d'abord dans le déni des peurs éprouvées, des stratégies d'évitement de certains quartiers et cités sont mises en place aussi bien par les hommes que par les femmes.Les femmes reconnaissent plus spontanément et plus massivement que les hommes leurs peurs nocturnes de l'agression. Au travers des représentations sociales de l'agression la nuit, tous s'accordent à reconnaître que les femmes sont plus exposées que les hommes, en raison du risque d'agression sexuelle. »66

Garantir une nuit sûre participe aussi de l’attractivité d’une ville. En effet, cela élimine

un obstacle au fait de sortir la nuit.

Il s’agit aussi de répondre aux attentes des électeurs. À cet égard, il serait intéressant de

développer une analyse en terme de conjugaison entre politics et policies : pour conserver le

pouvoir, les élus doivent être attentifs aux demandes de leurs électeurs. Ainsi, peu importe la

réalité de l’insécurité, il faut « répondre au sentiment d’insécurité », produire des politiques

publiques accueillies favorablement par la population.

27

65 Ouest France, « L’insécurité au coeur du débat. Municipales : les candidats répondent à la rédaction d’Ouest France », 21 février 2001. Cité dans Tanguy Le Goff, « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques municipales », loc.cit., p. 437

66 Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, op.cit., p. 81

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Il faut noter que cette lutte contre l’insécurité participe tout autant à la promotion de

l’animation nocturne qu’à la tranquillité publique, deuxième enjeu de la gestion de la nuit.

II. LE RÔLE DES SERVICES PUBLICS DANS LA GESTION DE LA NUIT

A. L’éclairage public

« Depuis l’Antiquité, les impératifs liés à l’éclairage public en ville s’expriment dans les mêmes termes : d’une part la sécurité (incluant le contrôle des espaces, des populations des activités, et les conditions nécessaires aux déplacements), d’autre part la promotion (culturelle, économique, politique...). À chaque époque, les choix en matière d’éclairage ont balancé entre ces deux options. »67

L’éclairage public englobe donc deux dimensions : chacune participe à l’attractivité de

la ville. L’animation de la vie nocturne ne saurait s’envisager sans éclairage ; la sécurité et la

mise en valeur de la ville exige une mise en lumière. Cependant, le choix d’un éclairage est

un sujet politique : un objectif peut être privilégié, un mode d’action peut être préféré. Reste

une problématique essentielle : « la volonté de mettre la vie nocturne en lumière pour mieux

la servir ne risque-t-elle pas d’en estomper les traits et la différence d’avec la vie diurne ? »68.

S’agissant de Nantes, la compétence de l’éclairage public a été transférée à la

communauté urbaine, Nantes Métropole, ce dès sa création le 1er janvier 2001 : cependant,

aucun projet ne peut être voté sans l’accord des communes. L’éclairage public est organisé

autour d’un dispositif de proximité : sur un territoire de vingt-quatre communes, dix pôles de

proximité ont été mis en place. Ces pôles permettent d’assurer une réactivité et une adaptation

face aux besoins du quotidien, ainsi qu’un lien permanent avec les maires et les communes

(« on ne parle pas d’homogénéité, on parle de cohérence »69). Ce sont les « autorités

organisatrices locales » : elles assurent la gestion quotidienne de l’éclairage et confient sa

maintenance à un opérateur (cela s’effectue en régie ou par des entreprises privées : respectant

28

67 Jean-Michel Deleuil, Jean-Yves Toussaint, « De la sécurité à la publicité, l’art d’éclairer la ville »,in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 52-58 (p.52)

68 Anne Querrien, Pierre Lassave, « Clair obscur ou haut-relief ? », loc.cit.

69 Entretien avec M. Dany Joly, responsable du service d’éclairage public à Nantes Métropole et président de l’Association Française de l’éclairage Ouest Atlantique

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la procédure des marchés publics, les opérateurs sont mis en concurrence). La maîtrise

d’oeuvre et maîtrise d’ouvrage est assurée au niveau central par l’« autorité organisatrice

centrale », à savoir le service « éclairage public » de Nantes Métropole.

Les principes de l’éclairage sont définis dans un « Schéma directeur d’aménagement

lumière » (SDAL), créé en 1998 ; à la même époque, le budget alloué aux remplacements des

matériels a été augmenté de façon considérable. Le SDAL est une étude globale de la lumière

dans la ville et porte un projet de long terme (sur quinze ans) : il est composé d’un

« catalogue » de matériel à utiliser selon les voies, mais aussi d’« espaces réservés sans

préconisation particulière qui laissaient la liberté à des concepteurs, pour ne pas figer les

choses »70 (par exemple, pour le tramway ou la Place royale). Un autre outil, le Plan Lumière,

apparu en 2000, s’attache à repérer les sites ou monuments à éclairer afin de les mettre en

valeur : le Plan Lumière fait naître un « paysage nocturne ».

Sécurité (1) et animation de la vie nocturne (2) sont les deux principales fonctions de

l’éclairage public : ils guident les choix effectués en matière d’éclairage de la ville.

1. La sécurité publique

La fonction de sécurité définit l’éclairage fonctionnel. La sécurité s’envisage ici sous

trois dimensions : la sécurité de la route, la sécurité des personnes, mais aussi le sentiment de

sécurité. Concernant la sécurité à proprement parler, les effets de la lumière sur la criminalité

n’ont pas été démontrés : il faut se garder des corrélations simplistes selon lesquelles une

« amélioration » de l’éclairage réduirait le taux de criminalité. Prévaut aujourd’hui une

logique de prévention situationnelle, selon laquelle le contexte de l’environnement spatial

influence le passage à l’acte chez le délinquant. À propos du sentiment de sécurité, les

impacts de l’éclairage ne sont pas non plus clairement établis.

« Dans l’obscurité, les piétons ont un sentiment de peur plus ou moins important variable en fonction des individus. C’est dans l’objectif de diminuer ce sentiment que certains travaux ont tenté de définir des niveaux minimum d’éclairement nécessaires à l’identification des passants. [...] Il existe une théorie des trajets sûrs qui va plus loin : elle dit que lorsqu’on est bien dans la rue, on ne pense plus à sa

29

70 Entretien avec M. Philippe Fourrier, responsable du service d’éclairage public à la ville de Nantes de 1996 à 2001, puis responsable d’un pôle de proximité du service d’éclairage public à Nantes métropole

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sécurité. Ceci dépend de la qualité d’éclairage qui offre une certaine visibilité de l’espace, mais également de l’animation qui s’y déroule. Cependant, aucun travail expérimental ne fonde cette théorie. »71

Cependant, il est certain que des aménagements de l’éclairage peuvent avoir des effets,

au moins indirects, sur le sentiment de sécurité des individus, « parce que les travaux

effectués manifestent que les pouvoirs publics s’occupent de leur sort »72. On rejoint l’idée

que l’éclairage public peut favoriser l’instauration d’un contrôle social, « c’est-à-dire une

surveillance de la collectivité par ses membres eux-mêmes »73 : « c’est certainement

dissuasif »74.

L’éclairage public fait partie des pouvoirs de police du maire, selon le Code général des

collectivités territoriales75. Le maire est donc pénalement responsable si un lien de causalité

peut être établi entre un dommage et l’absence d’éclairage public, son insuffisance ou le

défaut d’entretien de l’installation. Puisque la compétence de l’éclairage public a été transféré

à la communauté urbaine, il y a un partage de responsabilité entre le maire et l’établissement

public de coopération intercommunale (EPCI).

À Nantes, l’objectif de sécurité est rempli par un éclairage continu et égal pour tous les

quartiers : « les élus tenaient à l’égalité des citoyens devant l’éclairage »76. L’éclairage

fonctionnel ne se différencie pas entre le centre-ville et les quartiers périphériques : « les

différences se jouent sur les mises en valeur »77. Nantes fait le choix de ne pas couper

30

71 Karine Houdemont, « Comment l’homme perçoit-il la lumière dans le parcours ? », in Actes des rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, p.21, téléchargé sur <http://www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

72 Sophie Mosser, « Les enjeux de l’éclairage dans l’espace public », in Actes des rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, p. 37, téléchargé sur <http://www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

73 Ibid.

74 Entretien avec M. Philippe Fourrier

75 L’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales dispose que « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, (...) » (source : Légifrance).

76 Entretien avec M. Philippe Fourrier

77 Ibid.

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l’éclairage public dans le « creux » de la nuit : c’est aussi une demande de la population de ne

pas couper l’éclairage.

La sécurité routière par l’éclairage public a été remise à l’agenda récemment suite à la

décision de ne pas éclairer des tronçons du périphérique parisien. De même, l’éclairage n’est

pas complet sur le périphérique nantais, mais il s’agit là d’une compétence nationale.

2. La mise en valeur de la ville

La mise en lumière définit un « paysage nocturne ». En plus d’être fonctionnelle, la

lumière peut aussi être « valorisante (éclairage paysager et architectural) ou événementielle

(éclairage scénographique) »78. Ainsi, la conception lumière est devenue « un outil de plus

dans la gestion des villes »79 : la profession des « concepteurs lumière » a alors émergé et

complète « l’approche des urbanistes, architectes et paysagistes »80. La Nuit des Lumières de

Lyon a été précurseur : il s’agit aussi d’un outil de communication exploitable pour distinguer

la ville de Lyon.

En intégrant des « espaces privilégiés »81, le SDAL permet la mise en valeur du

patrimoine : ces espaces ont leur éclairage propre, défini par des concepteurs lumière. C’est

surtout le Plan Lumière de Nantes qui répond à cet enjeu de mise en scène de la ville. Cinq

« parcours de mise en valeur » ont été définis : sur chacun, un concours de concepteurs

lumière a été créé. Il s’agit encore d’un travail inachevé. Parmi les parcours déjà mis en

oeuvre, on retrouve un parcours XVème (qui comprend le Château des Ducs de Bretagne et les

quartiers Bouffay et Decré) et un parcours XVIIIème (dont le coeur est la rue Crébillon qui

relie la place Royale à la place Graslin). Ces choix ont été guidés par l’histoire de la ville et la

cohérence de l’architecture. Ces scénographies mettent en valeur le patrimoine de la ville et

31

78 Olivier Charrier, « La lumière : un matériau de mise en valeur ? », loc.cit., p. 43

79 Ibid., p. 44

80 Ibid.

81 Entretien avec M. Philippe Fourrier

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son identité. Cette mise en lumière de la ville est utilisée pour communiquer sur l’image de la

ville et attirer notamment le tourisme ; cependant, il semble que la question de l’éclairage

intéresse peu les citadins :

« Le désintérêt [des citadins pour leur éclairage public], c’est un peu vrai. Je ne pense pas que les gens soient sensibles à la mise en lumière. Ils sont sensibles à la sécurité : il faut que ça éclaire, il faut que ce soit éclairé partout et le mieux possible. [...] C’est certainement culturel. [...] Ce n’est pas un thème très porteur.»82

B. Les transports

La question des transports nocturnes est essentielle pour aborder la vie nocturne. En

effet, la carence des transports publics peut être vécue comme un obstacle à vivre la nuit :

sans mobilité, la vie nocturne ne peut s’animer.

« Plus encore que le jour, la mobilité s’intègre au coeur même du mode de vie nocturne. »83

Les transports nocturnes font face à de nouveaux enjeux (1), auxquels Nantes ne répond

pas pleinement (2).

1. Les enjeux des transports la nuit

Les transports doivent s’adapter aux nouveaux rythmes urbains : c’est un des enjeux de

la réflexion sur les temps de la ville. En effet, la demande de transports nocturnes se fait plus

pressante : cela peut être un préalable à la sortie.

« Parmi les freins à sortir la nuit, le manque de transports collectifs nocturnes pour les non-motorisés et le sentiment d'insécurité dans les espaces publics et les transports collectifs tardifs tiennent une place importante. »84

32

82 Ibid.

83 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », dans Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

84 Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, op.cit., p. 88

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Adapter et améliorer l’offre de transports publics la nuit est d’autant plus important que

la nécessité de la voiture crée une forme de discrimination. C’est ce que relève Catherine

Espinasse dans son étude sur les sites de Paris et Strasbourg auprès des jeunes sortants :

« Dans les deux sites, nous constatons que la voiture acquiert un statut d'objet indispensable la nuit. (...) La voiture a pour avantages dans les deux contextes urbains d'offrir une liberté de déplacement, un sentiment de maîtrise de son temps et de sécurité. (...) L'automobile a cependant pour inconvénient dans les deux sites, aux yeux des jeunes sortants nocturnes interrogés, d'obliger à perdre du temps pour trouver une place de stationnement. Le parking est certes un gain de temps mais a pour inconvénient d'alourdir les dépenses de la soirée, et parfois de mettre le conducteur dans l'obligation sociale de raccompagner ceux qui ne sont pas motorisés. Elle oblige alors le conducteur à modérer sa consommation d'alcool. »85

Les personnes habitant dans les quartiers périphériques sont défavorisés dans l’accès au

centre-ville , là où la nuit est animée. Le rapport Bailly, consacré à l’adaptation de

l’organisation des transports aux nouveaux rythmes urbains, le remarque :

« Au delà de la mobilité, l’enjeu principal est l’accessibilité de tous aux diverses activités. C’est ce qui fonde le “droit au transport” comme condition d’égalité des chances pour chacun, tel qu’il est affirmé par la loi sur l’orientation des transports intérieurs (LOTI). »86

Les transports nocturnes, plus qu’être présents, doivent s’adapter aux demandes

spécifiques des sortants nocturnes. Edith Heurgon, participant à la mission prospective de la

RATP, pose l’hypothèse que :

« la nuit, puisqu’elle opère par inversion, les dimensions essentielles en matière d’offres de transport sont peut-être celles qui, le jour, sont encore considérées comme annexes : l’information, les qualités sensibles des espaces, la convivialité des relations, la médiation par des “correspondants de nuit”, les animations culturelles dans les stations, lieux de vie nocturne par excellence. »87

33

85 Ibid., p. 90-92

86 Jean-Paul Bailly, Nouveaux rythmes urbains et organisation des transports, op.cit., p. 49

87 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », dans Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

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2. L’offre de transports sur Nantes

Le Plan de déplacement urbain (PDU) élaboré par Nantes Métropole n’intègre pas de

dimension temporelle. En effet, on peut constater une carence des transports publics sur les

horaires de nuit à Nantes. On peut émettre l’hypothèse qu’il existe aussi à Nantes une

demande de service continu, au moins sur la fin de semaine, comme dans d’autres grandes

villes :

« La demande de transports nocturnes, d'un service en continu des transports collectifs, est une convergence évidente, une constante dans les propos tenus par les jeunes sortants nocturnes interrogés. »88

À cet égard, Berlin présente une qualité des transports publics nocturnes exemplaire :

ces derniers sont ouverts le week-end jusqu’à trois heures du matin et partiellement jusqu’à

six heures (soit l’heure de réouverture du service)89.

À Nantes, le tramway et le Busway, gérés par la Semitan, circulent jusqu’à 0h30, avec

une fréquence de 15 à 30 minutes en soirée. Seuls huit circuits de bus circulent de 21h30 à

0h30, à la fréquence d’un départ par heure. Le réseau est prolongé jusqu’à 2h30 dans la nuit

du samedi au dimanche90 (sur ces horaires, le conducteur est accompagné d’un agent de

médiation). En complément, le réseau Luciole circule la nuit du samedi au dimanche de 2h15

à 7h15, avec un bus toutes les 30 minutes : ce service est présenté comme un « outil de

prévention » sur le site internet de la Mairie de Nantes. Le service de transports en commun

n’est donc renforcé que dans la nuit du samedi au dimanche, alors que dès le jeudi soir, la nuit

s’anime. Quant au réseau Bicloo, le système de vélo en libre-service est fermé entre 1h et 4h

et concentre ses stations sur le centre-ville.

34

88 Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, op.cit., p. 89

89 Source : Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, op. cit., p. 235

90 Voir en annexe n°2, le plan du service de nuit assuré par la Semitan

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PARTIE II - LA NUIT : GÉRER LES CONFLITS

La nuit, comme le jour, regroupe des populations hétérogènes, mais se caractérise par

un sentiment d’effacement des règles, des normes ; ce qui implique un risque accru de

frictions (Chapitre 1). La ville se préoccupe alors de garantir la tranquillité publique, grâce à

des moyens qui entendent s’adapter aux spécificités du temps de la nuit (Chapitre 2).

CHAPITRE 1. UNE PROBLÉMATISATION DÉTERMINÉE PAR UN TEMPS

POTENTIELLEMENT CONFLICTUEL

L’inscription de la nuit à l’agenda public est relativement récente. Même si sa présence

sur l’agenda médiatique n’est pas nouvelle, la prise en charge de la réflexion par les acteurs

politiques a été amorcée par les évolutions de l’activité nocturne (I), phénomène faisant

apparaître de nouveaux enjeux (II).

I. LA NUIT : DE NOUVELLES REPRÉSENTATIONS

La nuit n’est pas une : elle n’est pas homogène, dans la mesure où chacun en a une

représentation propre et la vit différemment. Cela est d’autant plus vrai depuis les évolutions

du dernier siècle en matière de rythmes individuels (A) et collectifs (B).

A. L’évolution des comportements individuels

Le rapport « Temps des villes »91, rédigé par Edmond Hervé, définit cinq changements

contemporains majeurs : l’allongement de la vie, la mutation du travail, la diffusion des

nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), la progression des

comportements individualistes et la mobilité. Ces faits viendraient justifier l’intérêt d’une

réflexion sur les temps de la ville. En effet, ces différentes mutations impactent sur les

rythmes biologiques des individus et sur leur mode de consommation.

35

91 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 4-10

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1. L’allongement de l’espérance de vie

L’allongement de l’espérance de vie « rend caduque la trilogie des principaux âges

d’hier »92 que sont l’enfance (associée au temps de la formation), la « maturité » (associée au

temps du travail) et la vieillesse (associée au temps du repos). Ces séparations strictes ne sont

plus valables aujourd’hui. En effet, la formation s’est diversifiée et dispersée tout au long de

la vie. De plus, le « troisième âge » est de plus en plus actif et doit trouver sa place au sein de

la société93. Les générations s’entre-croisent, se mélangent, se rencontrent.

2. La mutation du travail

Le sens du travail a muté de par des changements dans sa durée, sa nature, son contenu

et son genre. Pour ce qui nous intéresse, on peut relever trois faits particulièrement saisissants.

La réduction du temps de travail (qu’il ne faut pas limiter à la mise en place des 35 heures94)

est significative pour le quotidien, puisqu’elle « intéresse le temps de vivre ». Le gain de

temps est censé libérer du temps pour les individus et ainsi améliorer leurs conditions de vie.

Cela modifie souvent le rythme de la semaine, notamment par le développement de la

« semaine de quatre jours ». Plus généralement, « avec la flexibilité et l’individualisation du

travail, nous sommes en face d’une désynchronisation effective lourde de conséquences pour

qui s’intéresse aux temps de la ville »95.

De plus, la parité s’est largement installée, tant dans les mentalités que dans les faits.

Pourtant les inégalités de genres restent prégnantes. Ainsi, le rapport Hervé relève que « les

femmes sont tout spécialement concernées [par la réflexion sur les temps de la ville] : les

évolutions de la vie, de la famille, une mixité limitée de la fonction parentale font qu’elles ont

beaucoup de difficultés à conjuguer les temps de l’activité professionnelle, du conjoint, des

enfants et de soi »96.

36

92 Ibid., p. 4

93 Voir, à ce propos, Lucien Sève, « Reconsidérer le “bien vieillir” », Le Monde diplomatique, janvier 2010, p. 3

94 Le rapport Hervé montre que, depuis le XIXe siècle, le temps de travail a diminué de 4000 heures par an à 1500 aujourd’hui (op.cit., p. 5).

95 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 7

96 Ibid.

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Enfin, le travail de nuit s’est beaucoup développé dans les secteurs industriels (en raison

de l’organisation en flux tendus), mais aussi dans le secteur tertiaire. Le travail en horaires

décalés bouleverse le rythme quotidien des nuiteux. Ce phénomène a été amplifié suite à

l’autorisation du travail de nuit des femmes issue de la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité

professionnelle entre les hommes et les femmes.

3. La diffusion des NTIC

La diffusion des NTIC est vue comme un « changement majeur » modifiant les rythmes

individuels, en ce qu’ils «abolissent les distances, les lieux, les temps et les horaires »97. Cela

rapproche les activités et les individus et peut influer sur les modes de consommation,

l’organisation des déplacements, des pratiques culturelles. En effet, « plutôt que de se

substituer aux transports physiques, les technologies de l’information les transforment et

permettent d’accroître, au travers des réseaux, les capacités d’échanges et de commutation »98.

Les NTIC instaurent ainsi un nouveau rapport au temps.

4. Un individualisme à relativiser

Le rapport Hervé s’appuie sur l’individualisme, valeur centrale de nos sociétés

contemporaines. Cependant, il n’en reste pas là en affirmant que le « vivre ensemble » et les

solidarités ne sont pas moins présentes.

« La vie associative, coopérative, mutualiste demeure active. L’économie sociale, l’économie solidaire, la demande de services publics conservent leur intensité. »99

On peut ajouter quelques évolutions modernes qui touchent les individus dans leur

quotidien. Il est frappant de voir l’évolution du cycle de sommeil : en moyenne, les Français

s’endorment vers 23 heures, au lieu de 21 heures il y a cinquante ans100. Cela révèle de

37

97 Ibid.

98 Jean-Paul Bailly, Nouveaux rythmes urbains et organisation des transports, op.cit., p. 20

99 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 9

100 Ibid., p. 12

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nouvelles occupations, particulièrement l’avènement d’une société de loisirs. La

multiplication des activités dicte son rythme à l’individu.

5. Le sacre de la mobilité

La mobilité est devenue, plus qu’une fonction urbaine, « une valeur, un mode de

vie »101. Ce culte du mouvement, et même de l’urgence102, pousse les individus à modifier leur

mode de vie. Il est « générateur d’une sorte de continuum rythmique entre la nuit et le jour,

comme si la pause nocturne s’avérait rédhibitoire à l’accomplissement d’une vie réussie »103.

Ainsi, plus rien n’empêche de vivre la nuit, au contraire cela est même valorisé.

Ces évolutions aboutissent à des « mutations des pratiques de travail, de loisirs ou

d’achats »104. Les rythmes urbains façonnant la ville, cette dernière est « une invention en

mouvement »105. Ainsi, la ville s’adapte aux nouveaux rythmes individuels : les nouvelles

activités viennent redéfinir la ville.

B. De nouvelles « temporalités urbaines »

On constate, dans la ville, un prolongement significatif de la vie urbaine sur la nuit. La

ville est, dorénavant, « vivante » la nuit, plus particulièrement la soirée. Elle doit donc

proposer des activités sur une plage horaire plus vaste et flexible. Les horaires ne doivent plus

être une contrainte, surtout la nuit. De plus, l’organisation du travail en flux tendus entraîne

une activité industrielle en continu. Ainsi, la ville se dessine en fonction des modes de vie : à

l’évolution des rythmes individuels, s’est greffée une évolution des rythmes collectifs.

38

101 Ibid., p. 9

102 Nicole Aubert, Le culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammarion, 2003. Cité dans Jean-Yves Boulin (dir.), Villes et politiques temporelles, op.cit.

103 Jean-Yves Boulin « Les temps de la nuit », in Jean-Yves Boulin, Villes et politiques temporelles, op. cit., pp. 182-189

104 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », loc.cit.

105 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 2

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II. LA NUIT : DE NOUVELLES PERSPECTIVES

À travers cette « nouvelle nuit », de nouveaux enjeux apparaissent. De plus, la nuit, par

son caractère particulier, devient un temps propice des expériences originales. Ainsi, la

réflexion, plus large, sur les temps de la ville est légitime.

« Le thème des temps de la ville ne doit pas être une mode qui produirait quelques gadgets, mais un remarquable prétexte pour donner plus de cohérence à la fois à l’emploi du temps de chacun et aux territoires urbains. »106

Organiser les temps, et notamment la nuit, offre des perspectives de politiques publiques

originales. Ainsi, cette démarche relève plusieurs enjeux : principalement, le rapport Hervé

fait état de trois enjeux que sont « la création de temps communs dans la ville »107, l’égalité et

l’amélioration des services publics.

A. Une nouvelle sociabilité

« L’atmosphère de la nuit a toujours favorisé dans notre civilisation d’autres formes de rapports sociaux, où la notion de règles est moins stricte qu’en journée, mais où naissent d’autres codes pas moins forts que les codes traditionnels qui prévalent le jour. »108

Dire que la nuit est un temps de rencontre est indéniable. Aller jusqu’à dire qu’elle

efface les catégories sociales serait précipité. En effet, ce sont plutôt des jeunes trentenaires

issus de classes supérieures qui appellent à une plus grande animation nocturne. Certaines

personnes ne connaissent pas la nuit, ne la vivent pas. Ainsi, savoir qui sont les noctambules

pourrait abonder une réflexion sur les rapports sociaux.

39

106 Thierry Pacquot, « Le quotidien urbain », in Thierry Pacquot (dir.), Le quotidien urbain : Essai sur les temps des villes, op.cit.

107 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 14

108 Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, op. cit., pp.229-230

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Le rapport Hervé, par la « création de temps communs dans la ville », entend la

concrétisation d’un projet politique, d’un « modèle de civilisation urbaine à construire »109. La

nuit serait propice à créer des relations qui ne seraient pas nées le jour : c’est un temps durant

lequel les rencontres et les codes sociaux sont différents.

« (...) les rapports sociaux sont d’une autre nature que ceux du jour. Cela peut favoriser le rapprochement des individus et une plus grande convivialité des contacts (...) »110

B. La lutte contre les inégalités de genre

La nuit est un temps où l’on peut observer les inégalités de genre. Ainsi, comme le

relève Edith Heurgon :

« c’est un monde largement masculin où les femmes n’ont guère leur place même si elles ressentent les mêmes attirances que les hommes à l’égard de la nuit. »111

Cette inégalité est particulièrement présente dans le sentiment d’insécurité, et surtout

dans le travail de nuit. En effet, les nuiteux, en plus d’une désynchronisation pouvant

entraîner des problèmes de santé, adoptent un mode de vie décalé, ce qui peut poser des

difficultés dans leur accès aux services publics, aux transports publics. Ces difficultés sont

d’autant plus fortes pour les femmes, puisque ces dernières ont toujours une charge du travail

domestique plus importante que les hommes. C’est d’ailleurs ce qui a encouragé les

associations féministes italiennes à attirer l’attention sur les temps de la ville.

C. L’amélioration des services publics

L’amélioration des services publics est un enjeu essentiel pour le bien-être, l’intérêt

général des individus. Les services publics doivent s’adapter aux nouveaux besoins des

40

109 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 14

110 Laurent Queige, « Le rapport entre la nuit et l’attractivité des villes en Europe : l’avenir du tourisme urbain, c’est la nuit », in La nuit en questions, op. cit., p. 232

111 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », in Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

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populations : par exemple, sont demandés des transports en commun qui ne s’arrêtent pas la

nuit (suivant l’exemple du métro de New-York). C’est principalement à travers la question

des horaires que se pose la nécessaire adéquation des services publics aux évolutions de la

société. Les transports collectifs, l’école, mais aussi les services administratifs sont

particulièrement concernés. De tels aménagements favorisent également l’égalité entre

hommes et femmes.

Ainsi, les « mutations des pratiques de travail, de loisirs ou d’achats »112 ont bien fait de

la nuit un nouvel enjeu. Pour Luc Gwiazdzinski113, la nuit concerne principalement les

« enjeux contemporains » que sont la ville, le temps, la sécurité et la liberté. Ce sont eux qui

entrent potentiellement en conflit sur le temps de la nuit. Schématiquement, la nuit laisse

place à trois types d’usage : Luc Gwiazdzinski distingue entre la « ville qui dort », la « ville

qui travaille » et la « ville qui s’amuse ». Leur rencontre peut entraîner des conflits. Il s’agit

alors de concilier les intérêts de ceux qui se reposent, des nuiteux et des noctambules.

CHAPITRE 2. DES POLITIQUES PUBLIQUES ORIENTÉES VERS LA MÉDIATION

Pour assurer la sécurité (que les pouvoirs publics préfèrent désigner sous le terme de

« tranquillité publique ») et une ambiance « conviviale », la ville de Nantes a choisi de mettre

l’accent sur la médiation (I) et d’associer les acteurs économiques de la nuit (II).

41

112 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », loc.cit.

113 Luc Gwiazdzinski, La nuit, dernière frontière de la ville, op. cit., p. 21

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I. UNE MISE EN AVANT DE LA MÉDIATION ET DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

« La nuit réclame-t-elle des modes d’interventions et des professions spécifiques, liés à des phénomènes et à des problèmes sociaux qui seraient eux-mêmes spécifiques ? »114

À cette question, la médiation apparaît comme un « nouveau mode de régulation de

l’action publique »115. Béatrice Muller émet l’hypothèse selon laquelle l’Etat est devenu un

Etat social et médiateur dans la mesure où celui-ci développe « de nouveaux espaces de

régulation et une politique de la médiation »116. Ainsi, la médiation est devenue « une des

pierres angulaires de la politique de développement des villes »117. L’approche de la médiation

est territorialisée, et non pas sectorielle. La médiation consiste donc dans l’intervention d’un

tiers sur un territoire donné, dans l’objectif de « mettre d’accord »118. Ce type de règlements

des conflits se développe d’autant plus qu’il émane d’une demande sociale :

« C’est donc l’émergence de nouvelles demandes qui a favorisé en partie le développement de nouveaux services. Le vieillissement de la population, l’augmentation de la population active féminine, la concentration de jeunes dans certains quartiers, l’immigration, sont des tendances qui se traduisent par une demande de services “relationnels” comme l’accueil des jeunes enfants, l’aide à domicile des personnes âgées, l’écoute des jeunes dans les missions locales, les grands frères sur le quartier ou encore les femmes relais, etc. »119

À Nantes, la lutte contre l’insécurité s’inscrit dans une démarche préventive, avant

d’être répressive. C’est donc logiquement que le temps de la nuit est marqué par une

42

114 Nathalie Réto, Jean-Yves Dartiguenave, « Les correspondants de nuit. Des problèmes nocturnes à la spécificité de l’intervention professionnelle », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 89-94 (p. 89)

115 Béatrice Muller, « Les nouveaux modes de régulation de l’action publique », in Pensée plurielle, n°10, 2005/2, pp. 159-177

116 Ibid., p. 159

117 Ibid., p. 162

118 Ibid., p. 161

119 Ibid., p. 162

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médiation accrue. Plus qu’une politique municipale, on pourrait parler d’une « demande » de

médiation. En effet, Edith Heurgon souligne que :

« les personnes qui aspirent à une plus grande sécurité font appel, non pas au renforcement de la police, mais plutôt à la mise en place plus systématique de médiateurs, à l’image des “correspondants de nuit”, des passeurs en quelque sorte qui jouent moins sur l’autorité et la règle que sur la relation, le dialogue, l’orientation. »120

Sur Nantes, on peut citer la tentative de mettre en place des correspondants de nuit (A),

l’action apportée par les associations aidant des personnes en difficulté (B), ainsi que par les

services municipaux à travers la brigade du contrôle nocturne (C).

A. L’expérience brève des Correspondants de nuit

Les correspondants de nuit sont des médiateurs intervenant sur le temps de la nuit. Ils

interviennent essentiellement dans les quartiers d’habitat social. Fondamentalement, il leur

appartient de re-construire du lien social. Par exemple, le dossier de presse présentant la mise

en place de correspondants de nuit dans le quartier du Bas-Belleville (Paris XIXe) en

septembre 2004 indique :

« À Paris comme ailleurs, les quartiers à forte densité d’habitat concentrent des malaises, des difficultés de tous ordres. C’est le soir, lorsque les services publics ferment et que les habitants regagnent leur domicile, que les difficultés de cohabitation et de vie collective prennent une place démesurée. [...] La création de services de correspondants de nuit fait partie des priorités du Maire de Paris et s’inscrit dans un objectif plus large de mise en avant de la médiation sociale. »121

En l’espèce, les vingt-six correspondants recrutés se sont vus confier deux missions

principales : assurer une veille technique et sociale et régler les conflits de voisinage.

L’idée de créer « un service inédit d’intervention nocturne » émerge à Rennes en 1994,

suite au « constat d’une aggravation des troubles résidentiels de nuit sur deux quartiers

43

120 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », in Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

121 Document téléchargé sur <http://www.v2asp.paris.fr/fr/La_Mairie/salle_de_presse/dossiers_presse/pdf/bas_belleville.pdf>

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rennais (le Blosne et les Champs-Manceaux) »122. Sous l’impulsion politique, une association

est créée : la régie Optima. La régie peut être définie comme tel :

« association loi 1901 dont la vocation est de contribuer de manière concomitante au développement des relations entre les habitants, à l’insertion économique des personnes en difficulté et à l’amélioration ainsi qu’à l’embellissement du cadre de vie à travers le développement d’activités diversifiées ayant en commun d’être réalisées par le quartier, pour le quartier, même si le partenaire et l’offre de services peuvent l’en faire sortir. »123

Celle-ci est financée, à Rennes, par la ville, les bailleurs sociaux, l’Etat, le Conseil

général, la Caisse des dépôts et consignations, la DATAR et les habitants. Cette diversité

d’acteurs témoigne de la « légitimité » accordée aux correspondants de nuit.

La régie Optima a ouvert une antenne à Nantes, suivant le même dispositif que celui

défini à Rennes. Les correspondants de nuit travaillaient alors de 19 heures à 2 heures,

principalement dans les quartiers d’habitat social. Cependant, ce dispositif a été remplacé en

janvier 2009 par des « médiateurs de quartiers ». Toujours gérés par Optima, ces nouveaux

médiateurs sont présents du mardi au samedi de 15 heures à 22 heures, dans les quartiers

Malakoff, Dervallières, Bellevue, Breil et Nantes Nord. Le dispositif est co-financé par

l’organisme HLM Nantes Habitat, puisque « les missions assurées par [la société Optima]

présentent un intérêt certain pour les bailleurs sociaux »124. Quatre missions sont affectées aux

médiateurs : « identifier et analyser les situations d’atteinte à la tranquillité publique »,

« répondre au sentiment d’insécurité de la population par une présence visible et active »,

« réguler l’utilisation de l’espace public » et « faire de la médiation un outil de résolution

privilégié des difficultés de tranquillité publique ».

44

122 Nathalie Réto, Jean-Yves Dartiguenave, « Les correspondants de nuit. Des problèmes nocturnes à la spécificité de l’intervention professionnelle », loc.cit., p. 89

123 François Ménard, « La nuit porte cochère. Digressions autour des “correspondants de nuit” », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 101-107 (p. 101)

124 Délibération du Conseil municipal du 15 septembre 2009, Convention entre Nantes Habitat et la ville de N a n t e s , t é l é c h a rg é s u r < h t t p : / / w w w. n a n t e s - h a b i t a t . f r / m e d i a s / p d f / Vi e % 2 0 c o l l e c t i v e /convention_mediateur_quartier.pdf>

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De plus, la ville de Nantes a adhéré au « Réseau des Villes Correspondants de nuit » en

janvier 2009125. Ce dernier a pour objet 1) « d’être un lieu permanent et stratégique de

questionnements, de débats et de réflexion sur les questions de prévention et de médiation » ;

2) « de développer et promouvoir les services de médiation au plan national en tant que

service de proximité destiné aux habitants » ; 3) « d’être le relais au plan national des volontés

et des ambitions de chaque ville, de chaque service ».

Concernant le mode d’intervention original des correspondants de nuit, des critiques

émergent sur la pertinence du dispositif : la présence des correspondants de nuit ne viendrait-

elle pas justifier le sentiment d’insécurité ? Il semble en effet que les correspondants de nuit

ne soient pas formés pour dialoguer avec les populations afin de changer leur perception de la

nuit. De plus, on peut s'interroger, non sur la réalité de la demande, mais sur celle du besoin

social :

« Répondre à des problèmes sociaux identifiés et construits dans la période nocturne est bien évidemment légitime et nécessaire, mais nous voulons récuser toute idée de “besoin” (au sens naturaliste du terme). Les phénomènes sociaux, loin d’être naturels, sont toujours l’expression d’une construction sociale. »126

Ainsi, on peut douter que la nuit soit face à des problèmes sociaux spécifiques : elle

serait plutôt le « révélateur des problèmes sensibles de la cohabitation résidentielle, mettant en

perspective des phénomènes sociaux fondés sur les mêmes carences, les mêmes difficultés

que la journée »127. Ce serait donc le manque de services publics qui est en cause.

45

125 Délibération n°20 du Conseil municipal du 30 janvier 2009, téléchargé sur <http.//www.nantes.fr/Sgid/DataSgid/themes/commun/cm30012009/cm30012009-20.pdf>

126 Nathalie Réto, Jean-Yves Dartiguenave, « Les correspondants de nuit. Des problèmes nocturnes à la spécificité de l’intervention professionnelle », loc.cit., p. 90

127 Ibid.

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B. L’action des acteurs associatifs

1. La veille sociale

Si la nuit fait l’effet d’un « révélateur » des problèmes sociaux quotidiens, c’est d’autant

plus vrai concernant des populations en difficulté, comme les sans-abris. L’aide apportée à ces

populations, essentiellement par des associations, est primordiale la nuit, puisque l’absence de

la plupart des services publics (à l’exception de l’hôpital et du commissariat) en fait un temps

particulièrement vulnérable. L’association Veille sociale 44 assure une présence auprès des

« hommes, femmes, couples avec ou sans enfant sans résidence ou en rupture d’hébergement,

en grande difficulté sociale non pris en charge par un service » et des « personnes sans

domicile fixe sur Nantes et les communes limitrophes »128 . Cette association

départementalisée est en charge de la téléphonie sociale (115) sur le département de Loire-

Atlantique et du Samu social sur Nantes et les communes limitrophes. Elle est financée par

l’Etat, le Conseil général et le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Nantes.

L’association regroupe les moyens des « acteurs de l’urgence sociale » : ainsi, son

conseil d’administration est composé de neuf associations afin d’assurer une prise en charge

la plus complète possible de l’exclusion sociale. La veille sociale s’organise autour de deux

axes129 : d’une part, un « pôle téléphonie sociale » (qui consiste en un numéro d’urgence pour

les sans-abris accessible de jour comme de nuit) ; d’autre part, un « pôle équipe mobile

sociale » (qui se définit comme une intervention vers « des personnes qui ne formulent

aucune demande d’aide »). De l’écoute à l’hébergement, en passant par l’information, la

veille sociale assure, par son travail de rue, une présence indispensable sur le temps de la nuit.

2. La mission Funambus de Médecins du Monde

Bien que la prostitution dite « in door » soit en plein essor grâce à Internet, la

prostitution sur la voie publique n’a pas disparu. Pratiquée la nuit, elle est souvent méprisée et

perçue comme dangereuse, car attirant la délinquance. La prostitution est, au mieux, ignorée

des pouvoirs publics. De la part des riverains, il existerait une sorte de « seuil de tolérance » :

46

128 Public concerné décrit sur le site internet du département de Loire-Atlantique, voir <http://insertion.loire-atlantique.fr/espaceinsertion/jcms/c_33202/veille-sociale-44?printView=false>

129 Missions décrites sur le site internet du département de Loire-Atlantique, voir <http://insertion.loire-atlantique.fr/espaceinsertion/jcms/c_33272/i11-dispositifs-de-veille-sociale?printView=false>

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plus le nombre de personnes prostituées augmente, plus le nombre de plaintes, appelant à un

meilleur éclairage par exemple, augmente.

La situation nantaise est particulière. La loi pour la sécurité intérieure (aussi dite « loi

Sarkozy ») adoptée le 18 mars 2003 a instauré un délit de racolage passif130. En pénalisant les

personnes se prostituant, cela les a fragilisées : dans de nombreuses villes, il a été constaté un

déplacement de la prostitution vers la périphérie. Ce n’est pas le cas à Nantes : la prostitution

est restée dans le centre et n’a pas migré.

L’association Médecins du Monde mène des actions de réduction des risques auprès des

personnes se prostituant sur la voie publique. Cette mission est menée à Paris (auprès des

femmes chinoises), à Montpellier, à Nantes, à Poitiers et à Rouen : chaque ville connaît un

fonctionnement et une organisation propre adaptés aux caractéristiques locales. Des principes

communs peuvent être relevés : il s’agit toujours d’une mission de prévention des risques,

sans jugement apporté sur la prostitution ; les missions s’organisent autour d’une association

entre activités de jour et activités de nuit.

À Nantes, le projet, présent depuis dix ans, est appelé « Funambus ». La mission

comprend une activité de jour au sein du Centre d'accueil, de soin et d’orientation et une

activité de nuit par l’intermédiaire d’un bus. Elle est financée par la ville, le Conseil général,

le groupement régional de santé publique (GRSP), des bailleurs privés comme le Sidaction,

ainsi que l’Union européenne, auxquels il faut ajouter les fonds propres de l’association (à

hauteur de 50% l’année dernière).

« C’est hyper rare d’avoir des financements à 100% des missions auprès des personnes qui se prostituent. »

Le financement de la préfecture a été refusé en raison de la divergence des objectifs. En

effet, la préfecture soutenait la mission au nom de la tranquillité publique, souhaitant qu’il n’y

ait plus de prostitution. La mairie de Nantes finance aussi du point de vue de la tranquillité

47

130 L’article 225-10-1 du Code Pénal, tel que créé par la loi 2003-239 2003-03-18 art. 50 2° JORF 19 mars 2003, dispose que « le fait, par tout moyen, y compris une attitude même passive, de procéder au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de 2 mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende » (source : Légifrance)

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publique, et non de la santé, mais n’affiche pas d’exigences comme a pu le faire la préfecture,

et reconnaît l’utilité de la mission.

« La prostitution, en fait, tant qu’elle ne dérange pas, est tolérée. [...] On a l’impression qu’à Nantes, il y a un espèce d’équilibre : tant qu’on est autour de 120, entre 80 et 120 personnes qui se prostituent dans la rue, ça va, mais après c’est la panique. »131

L’objectif de la mission est de « favoriser l’accès aux soins et à l’accès aux droits à des

personnes et de faire des actions de réduction des risques auprès des personnes qui se

prostituent »132. Le bus, qui comprend en général une équipe de deux bénévoles, circule de 22

heures à 2 heures, les jeudis et vendredis :

« L’idée c’est d’aller à la rencontre des personnes qui se prostituent sur leur lieu de prostitution, donc quand elles se prostituent, et en fin de semaine c’est quand même les jours où il y a le plus de clients, où il y a le plus d’activité. »133

L’adaptation est toujours possible : ces choix relèvent d’une recherche de ce qui est le

plus « approprié ». La même idée prévaut aux choix des horaires, ainsi qu’aux parcours

choisis. La mission bénéficie d’un très bon accueil auprès des personnes se prostituant et a su

instauré le « climat de confiance » indispensable. Les activités d’accueil le jour et celles de

rencontre la nuit sont complémentaires et « indissociables » :

« c’est super important pour nous, parce qu’elles se complètent, c’est-à-dire que la nuit toute seule n’a pas de sens. »134

La rupture entre le jour et la nuit ne justifie pas une activité exclusivement diurne ou

exclusivement nocturne. La prévention des risques impose de compléter les deux moments, en

adaptant son organisation aux besoins des personnes se prostituant. La cohérence est assurée

48

131 Entretien avec Mme Irène Aboudaram, coordinatrice de la mission « prostitution » de Médecins du Monde à Nantes

132 Ibid.

133 Ibid.

134 Ibid.

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par une éducatrice spécialisée qui connaît toutes les personnes et fait le lien entre le jour et la

nuit.

La mission favorise également l’accès aux droits, notamment en accompagnant les

prostituées pour porter plainte suite à des violences verbales ou physiques. Souvent sans-

papiers, les prostituées sont d’autant plus inquiètes de s’adresser à la police : le fait que

l’association les accompagne leur apporte un soutien indispensable face à l’institution

policière.

C. Le dispositif original de la Brigade de contrôle nocturne

Entre la « ville qui s’amuse » et la « ville qui dort », la cohabitation peut être difficile.

Le principal objet des plaintes des riverains est le bruit. Les nuisances sonores sont

principalement le fait des lieux de fête nocturnes : restaurants, bars, bars à ambiance musicale

(BAM) et discothèques135. Le Code de santé publique (CSP) réglemente les bruits de

voisinage en définissant des valeurs limites exprimées en décibels A136.

Afin de « veiller au respect de la réglementation des débits de boissons et des

dispositions relatives à la lutte contre le bruit lié exclusivement à cette activité »137, Jean-Marc

Ayrault a crée la Brigade du contrôle nocturne en 2001. Cette initiative complète le dispositif

réglementaire mis en place pour lutter contre le bruit : en 1993, la ville avait créé une

Commission municipale des débits de boissons. La Brigade de contrôle nocturne a pour

missions de contrôler les horaires des débits de boissons, contrôler les terrasses, conseiller les

établissements et instruire les dossiers d’ouverture tardive des débits de boissons. L’objectif

majeur est la prévention : « on met en garde et on avertit l’exploitant, pour sa terrasse, pour

les nuisances sonores, pour la vente d’alcool »138 ; et la médiation : « on fait le lien entre le

49

135 Les discothèques sont devenues une compétence du préfet. Cependant, la Brigade de contrôle nocturne intervient toujours, dans la mesure où le maire conserve son pouvoir de police.

136 Articles R. 1334-30 à R. 1337-10-1 du CSP, tels que rédigés dans le Décret n°2006-1099 du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage et modifiant le code de la santé publique

137 Description de la mission de la Brigade du contrôle nocturne sur le site de la Mairie de Nantes, voir <http://www.nantes.fr/dgt-surveillance-de-la-reglementation>

138 Entretien avec Mme Fabienne Adam, responsable du secteur « Débit de boissons » (au sein du service « Réglementation du commerce ») à la ville de Nantes

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plaignant et l’exploitant, et la sanction n’intervient que dans le cas où la prévention n’a pas

donné le résultat escompté »139.

La Brigade de contrôle nocturne est composée de quatre agents assermentés : de ce fait,

ils sont compétents pour relever une infraction. La Brigade est intégrée au service de la

réglementation et du commerce, au sein de la direction générale « Sécurité et tranquillité

publique ». Elle fonctionne par équipe de deux agents, alternant les horaires de travail de jour

et de nuit (la nuit, les agents ne circulent que les jeudis, vendredis et samedis, de 21 heures à 3

heures le jeudi, jusqu’à 5 heures les vendredis et samedis). Sur le travail de nuit, les agents

circulent, en civil, en voiture banalisée, puis à pied ; ils sont munis de deux numéros de

portable grâce auxquels les particuliers peuvent les joindre. Ces numéros d’appel sont de plus

en plus diffusés ; de plus, lorsque les plaignants contactent la police municipale, cette dernière

les redirige vers la Brigade.

En effet, lorsque la médiation ne permet pas de faire cesser le trouble, plus précisément

après trois « rappels à l’ordre », l’infraction est constatée et est examinée par la Commission

municipale des débits de boissons. Cette Commission se réunit tous les mois et est composée

d’élus (deux adjoints et deux conseillers municipaux), d’un représentant du service

« Réglementation et sécurité civile », d’un représentant de la Commission communale de

sécurité, d’un représentant de la Police nationale, d’un représentant du procureur de la

République, d’un représentant de la S.A.C.E.M. et des délégués des organisations

professionnelles représentatives des cafetiers et assimilés. Les sanctions peuvent aller de

l’amende au retrait d’autorisation d’ouverture jusqu’à 2h pour les bars, jusqu’à 4h pour les

BAM. L’historique constitué par la Brigade de contrôle nocturne démontre la répétition de

l’infraction et l’échec de la médiation.

Les agents ressentent une hausse des plaintes des riverains, qui seraient de moins en

moins enclins à tolérer le bruit provoqué par l’animation nocturne140. Il n’existe pas d’étude

quantitative démontrant une augmentation des appels : on ne peut donc pas savoir si le seuil

50

139 Ibid.

140 Entretien avec deux agents de la Brigade de contrôle nocturne de Nantes

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d’acceptabilité des riverains est plus faible, ou si c’est la création de nouveaux moyens qui

favorise leur expression.

L’approche adoptée par les agents est celle de la médiation. Ainsi, les agents sont des

intermédiaires entre les professionnels et les riverains qui se plaignent de nuisances sonores.

Ces médiateurs ont dû acquérir une légitimité auprès des professionnels : ils s’attachent à ne

pas être perçus comme des « policiers du maire »141. En fin de nuit, les agents consignent

toutes les interventions qu’ils ont effectuées, ainsi que les problèmes qu’ils ont rencontrés

dans une main courante : cela constitue au final un historique des interventions et des

infractions, ce qui a un poids considérable lorsqu’une infraction est examinée en Commission

municipale des débits de boissons.

En journée, la Brigade a un rôle d’information et de conseil auprès des professionnels :

elle les informe sur la réglementation, en particulier lors d’une installation. Cette relation est

appréciée par les professionnels : cela vient en complémentarité ce qui est fait la nuit. Dans

l’ensemble, la médiation représente une charge de travail très lourde : le secteur « Débits de

boissons » se concentre sur cette mission, au détriment d’autres, notamment le contrôle de la

réglementation des taxis.

Ce dispositif, caractérisé par un « travail de terrain » effectué par des agents

assermentés, est particulier à la ville de Nantes. Ce système original répond à la stratégie

d’anticipation des risques adoptée par la ville : « mieux vaut prévenir que guérir » en quelque

sorte. La Brigade du contrôle nocturne inspire certaines villes, notamment Toulouse qui

réfléchit à la mise en place d’un service similaire.

II. UNE ASSOCIATION DES ACTEURS ÉCONOMIQUES

A. Un partenariat avec les acteurs économiques de la nuit

De nombreuses villes adoptent des « chartes de bonne conduite », instaurant un contrat

entre la ville et les professionnels. De leur élaboration à leur application, elles permettent

51

141 Ibid.

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d’instaurer un dialogue entre la municipalité et les débits de boissons : par ce dialogue, il est

recherché la conciliation entre les intérêts professionnels et la tranquillité des riverains.

À Nantes, la « Charte des bars, restaurants et établissements de nuit »142 (aussi appelée

« Charte de la tranquillité »), signée le 16 novembre 2001, a pour objectif de « préserver la

tranquillité des riverains, tout en maintenant un centre-ville attractif, dynamique et animé »143.

Elle vise à responsabiliser les gérants vis-à-vis de la problématique de la tranquillité des

riverains : le fait de les associer à la définition des objectifs permet cette responsabilisation et

un meilleur engagement de leur part. La conciliation produit une forme d’apprentissage où

chaque partie apprend à prendre en compte les intérêts de l’autre.

Dans une perspective un peu différente, la Charte de la vie nocturne, signée le 8

décembre 2008, s’inscrit dans le cadre du Plan alcool lancé en novembre 2007 par Jean-Marc

Ayrault : il s’agit alors de lutter contre l’hyper-alcoolisation. Si l’enjeu premier est un

problème de santé publique, indirectement cela favorise la tranquillité des riverains, les

tapages nocturnes étant souvent causés par des groupes alcoolisés.

Enfin, le travail de terrain effectué par les agents de la Brigade de contrôle nocturne

poursuit le travail d’inter-connaissance. En effet, en tant que médiateurs, les agents s’attachent

à instaurer un dialogue et à résoudre les problèmes à l’amiable. De plus, grâce à la proximité,

les gérants de bars, restaurants et établissements de nuit connaissent les agents de la Brigade

et vice-versa : cela favorise indéniablement la discussion. Le risque de connivence existe

aussi : l’enjeu est alors l’impartialité des médiateurs, facteur essentiel dans la réussite de leur

mission.

B. L’interrogation d’une ville 24 heures sur 24

La réflexion menée sur les politiques temporelles et la création de Bureaux des Temps

auraient amorcé la marche vers une ville « en continu ». Cependant, associer les politiques

temporelles à l’avènement d’une ville ouverte « 24 heures sur 24 » est prématuré : en effet, ce

52

142 Voir en annexe n°3, la Charte des bars, restaurants et établissements de nuit

143 Dépliant d’information sur les débits de boissons et restaurants, produit par le service Réglementation de la Ville de Nantes, téléchargé sur <http://www.nantes.fr/ext/pdf/Debitsdeboissons_restaurants.pdf>

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n’est pas l’objectif que se fixent les politiques temporelles. Par l’idée d’une ville 24 heures sur

24, on vise essentiellement l’ouverture continue des commerces. Cependant, on peut se

demander si la prolongation des activités économiques diurnes sur le temps de la nuit est une

demande sociale. Une telle évolution conduirait à confondre jour et nuit : est-ce souhaitée et

souhaitable ?

« (...) l’hypothèse d’un fonctionnement continu de la ville, 24 h sur 24, conduirait à une vision appauvrie de la nuit. Du moins, dans la mesure où elle supposerait une homogénéisation des heures abolissant les différences qualitatives entre les diverses périodes vécues. Le risque serait grand, à cet égard, de banaliser la nuit, de la priver de sa puissance affective, de sa vertu compensatoire, de sa capacité libératrice. »144

53

144 Edith Heurgon, « Préface : Sortir la nuit, dans tous les sens », in Catherine Espinasse, Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit :Vie nocturne des jeunes, op.cit.

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PARTIE III - DES ENJEUX NOCTURNES EN TENSION : LE PROBLÈME DE L’ARTICULATION

Entre animation et tranquillité, la ville ne peut pas faire un choix exclusif : il est

impératif de chercher à équilibrer ces deux enjeux afin de réduire les conflits. Par conséquent,

la gestion urbaine de la nuit est une question politique, ce qui implique de faire des choix

(Chapitre 1). L’articulation entre animation nocturne et tranquillité publique, objectifs

transversaux, mérite de mener une réflexion plus globale sur l’intérêt collectif (Chapitre 2).

CHAPITRE 1. LE CHOIX D’UNE GESTION PUBLIQUE

Gérer la nuit consiste principalement à concilier les intérêts de la « ville qui dort » et de

la « ville qui s’anime » (I), en s’adaptant aux circonstances locales (II).

I. DES DIMENSIONS DE LA NUIT ANTAGONISTES : QUELLE CONCILIATION ?

« A travers les nombreuses représentations spontanément associées à la nuit, et les qualificatifs attribués à la nuit, il existe quatre grands types de nuit : En majeur, - la nuit de fête : joyeuse, gaie et lumineuse - la nuit du sommeil : réparatrice et bienfaitriceEn mineur, - la nuit muse : un temps mis au profit de l'imagination et de la création - la nuit de l'angoisse : de la solitude, du mal être ou encore la nuit glauque ou morbideCes représentations de la nuit, ces modes de catégorisation explicites ou implicites chez les personnes interrogées, révèlent les dimensions extrêmes que ce temps singulier revêt pour chacun. »145

Les deux représentations majeures, « nuit de fête » et « nuit du sommeil », ne se

concilient pas naturellement. C’est bien la recherche d’un équilibre plus ou moins favorable à

l’une ou à l’autre qui va inciter la ville à agir : dans cette perspective, il convient de

54

145 Catherine Espinasse et Peggy Buhagiar, Les passagers de la nuit : Vie nocturne des jeunes, op.cit., p. 71

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s’interroger sur les stéréotypes associés à la nuit (A) ; de même, adopter une démarche

comparative est instructif (B).

A. Dépasser les stéréotypes

1. La nuit, un temps où règne la liberté

Comme le dit l’adage, « la nuit, tous les chats sont gris ». L’obscurité donne un

sentiment de liberté exacerbée : parce qu’on ne distingue plus les personnes et les choses, on

peut « se sentir tout permis », puisque la transgression restera secrète. C’est un temps au cours

duquel les contraintes du jour, qu’elles soient familiales ou professionnelles, disparaissent.

« La nuit est quasi systématiquement associée à la liberté de faire ce que l'on veut. Elle se distingue du jour par cette représentation, plus légère, puisque sans contraintes. La nuit est alors un temps pendant lequel “on se lâche, se libère”, s'amuse, se détend. La nuit est décrite essentiellement comme une récréation par rapport au poids du réel incarné par le jour. Le temps de la nuit paraît plus fluide. »146

Cette liberté est pourtant un mythe. En effet, il est plus juste de dire que la liberté vécue

la nuit est « encadrée »147. La lumière crée une certaine géographie de la ville : par l’éclairage,

les lieux animés sont imposés. De plus, l’offre urbaine est très limitée par rapport au jour :

commerces et services publics ne sont pas ouverts et seul le centre-ville assure des activités

nocturnes. Enfin, l’accès aux transports est très limité, ce qui provoque une hausse du « coût

d’accès à l’espace urbain »148.

2. La nuit, un temps où règne l’insécurité

Dans l’imaginaire collectif, la nuit est synonyme de peur, l’obscurité représente

l’ignorance. L’idée selon laquelle l’insécurité serait plus grande la nuit persiste. Par exemple,

55

146 Ibid., pp. 63-64

147 Luc Gwiazdzinski, La nuit, dernière frontière de la ville, op.cit., p. 169

148 Ibid.

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au sujet de l’éclairage public, « la sécurité prime sur la mise en valeur dans l’esprit de la

population ; dans l’esprit des élus aussi »149. Le sentiment d’insécurité est donc une donnée

forte de la manière dont la majorité de la population vit la nuit.

Le « sentiment d’insécurité [n’est pas] forcément proportionnel à l’insécurité

objective. »150. Objectivement, il n’est pas démontré que l’insécurité serait plus grande la nuit

que le jour.

« La ville la nuit n’est pas plus dangereuse que le jour : la mortalité n’est pas plus importante la nuit que le jour ; la délinquance de voie publique est moins importante même si les agressions et les dégradations sont plus nombreuses ; les incivilités ont plutôt lieu en soirée sur les marges temporelles qu’au coeur de la nuit ; les cambriolages à domicile ont plutôt lieu en journée au moment où la plupart des résidents sont sur leur lieu de travail ; les violences urbaines en augmentation sont également centrées sur la fin de soirée et le début de nuit et touchent le plus souvent les quartiers périphériques de la ville. »151

Les noctambules, habitués à vivre la nuit, ressentent moins ce sentiment d’insécurité :

cela peut s’expliquer par le fait qu’ils ont appris les « codes » de la nuit, différents de ceux du

jour .

Gérer la nuit implique des choix politiques, dans la mesure où il faut concilier les

différents usages de la nuit. Il s’agit de trouver l’équilibre entre la « ville qui dort » et la

« ville qui s’anime ». Ces choix ne peuvent espérer satisfaire toutes les parties que si les élus

ne se fondent pas sur des préjugés : seule une connaissance approfondie de la nuit, c’est-à-dire

du terrain peut permettre de se défaire des stéréotypes sur la nuit.

56

149 Entretien avec M. Philippe Fourrier

150 Luc Gwiazdzsinki, La nuit, dernière frontière de la ville, op.cit., p. 32

151 Ibid., p. 162-163

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B. Les motivations du choix d’un registre d’action : les apports d’une

approche comparative

Les métropoles cherchent à se construire une identité nocturne. Cependant, elles

n’agissent pas toutes de la même façon. Chacune tente de créer sa propre nuit et par ses

propres moyens.

Schématiquement, on peut opposer deux parcours : soit la ville est déjà dotée d’une vie

artistique et nocturne, soit l’animation nocturne est issue d’une volonté politique. L’identité

nocturne de Berlin est née suite à la chute du Mur : le dynamisme de l’Est a fait naître une

scène artistique, aujourd’hui plébiscitée. Les nuits de Berlin sont devenues célèbres et

concurrencent celles des autres capitales européennes152. En revanche, les nuits de Barcelone

se sont animées et diffusées suite à une série de mesures politiques, en particulier l’ouverture

tardive des musées. La construction de cette identité nocturne s’est inscrite dans le projet

urbain barcelonais. La même volonté politique préside à la Nuit des Lumières de Lyon : cette

opération assure une communication autour de la ville à un niveau national, voire européen.

On retrouve la volonté politique de communiquer sur son identité nocturne dans la situation

nantaise.

De plus, les luttes de pouvoir influencent les choix opérés : à cet égard, nous pouvons

prendre l’exemple de Rennes.

« À Rennes, ville préoccupée de longue date par les questions de jeunesse, c’est sur fond d’un différend entre la municipalité et la préfecture à propos des activités nocturnes des jeunes en centre-ville que va se mettre en place une action municipale expérimentale fondée sur une alternative à la logique de sécurité publique. »153

La différence d’interprétations des enjeux et des moyens à mettre en oeuvre pour

résoudre les troubles a poussé la ville à expérimenter de nouveaux dispositifs centrés sur la

57

152 Voir, pour une approche journalistique, Les Inrockuptibles, Dossier « Tous à Berlin ! La ville la plus libre d’Europe », n°727, du 4 au 10 novembre 2009, pp. 38-52

153 Claire Beauparlant, Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », loc.cit.

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jeunesse et la cohésion sociale, avec la participation du Centre régional d’information

jeunesse (CRIJ)154.

II. UNE ACTION NOCTURNE CONCENTRÉE

La nuit nantaise n’est pas aussi animée tous les jours : ainsi les difficultés se concentrent

en fin de semaine (A) ; l’animation est aussi concentrée dans l’espace (B).

A. Une concentration sur la fin de la semaine

L’animation nocturne est concentrée en fin de semaine, à partir du jeudi soir : elle n’est

pas diffuse sur l’ensemble de la semaine. Ainsi, le début de semaine est plus calme. Par

conséquent, les problèmes vis-à-vis de la tranquillité des riverains sont aussi concentrés sur

les jeudis, vendredis et samedis soirs.

De plus, la nuit nantaise est plus événementielle que quotidienne : en effet, les

évènements culturels tiennent une grande place dans l’identité de la nuit nantaise.

B. Une concentration sur l’hyper-centre

L’animation nocturne se concentre sur le centre-ville de Nantes, voire l’hyper-centre :

les hauts lieux de la nuit nantaise sont le quartier Bouffay et le Hangar à Bananes. Au-delà du

centre, la ville s’anime peu la nuit. La vie nocturne est donc réservée au centre-ville : la

centralité « représente un haut lieu symbolique des fonctions urbaines et de la gestion de la

ville »155. Cela impose, pour les résidents des quartiers périphériques, un coût d’accès à la vie

nocturne plus élevé. Ce phénomène renforce indirectement « la ville à trois vitesses »156 : la

ségrégation est maintenue en multipliant les obstacles à l’accès au centre-ville. La nuit des

« banlieues » est abordée par les pouvoirs publics sous l’angle de la médiation à travers les

58

154 Ibid.

155 Gérard Darris, Agnès Lemoine, Hervé Léon, « Faire vivre la ville, la nuit », in Patrice Aubertel, François Ménard (sous la dir.), La ville pour tous, un enjeu pour les services publics, Paris : La Documentation Française, 2008, pp. 215-222

156 Jacques Donzelot, « La ville à trois vitesses », in Esprit, mars 2004

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correspondants de nuit ou les médiateurs de quartiers ; mais leur animation n’est jamais

abordée comme pouvant, au même titre que la nuit du centre, définir l’identité nocturne de la

ville.

La question d’un « droit à la ville en continu » se pose. La Charte urbaine européenne,

adoptée par le Conseil de l’Europe en 1993, a consacré un droit à la ville auquel sont associés

de nombreux droits fondamentaux que sont : la sécurité, un environnement sain et non-pollué,

l’emploi, le logement, la mobilité, la santé, le sport et les loisirs, la culture, l’intégration

multiculturelle, une architecture et un environnement physique de qualité, la coexistence

harmonieuse des fonctions, la participation, le développement économique, le développement

durable, les biens et services, les ressources et richesses naturelles, l’épanouissement

personnel, la collaboration entre municipalités, les mécanismes et structures financiers, et

enfin l’égalité. On peut s’interroger sur la portée de ce texte. Il n’est pas sûr que les pouvoirs

publics s’en saisissent pour mettre en oeuvre une véritable politique temporelle qui

favoriserait un droit à la ville en continu. Dorénavant, les quartiers périphériques cumulent

inégalités spatiales et inégalités temporelles.

CHAPITRE 2. LE « CHANTIER » D’UNE RÉFLEXION GLOBALE

Devant la nécessité d’une réflexion sur les politiques temporelles, on peut s’interroger

sur l’évaluation menée des politiques mises en place (I), ainsi que sur la place de la

participation citoyenne (II).

I. QUELLE RÉALITÉ ET QUELLE ÉVALUATION DES POLITIQUES TEMPORELLES ?

Hormis les politiques concernant principalement la nuit, comme l’éclairage public ou

l’action de la Brigade de contrôle nocturne, la nuit est peu prise en compte dans les politiques

59

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municipales (A). De plus, celles qui intègrent une dimension temporelle ne sont pas ou peu

évaluées (B).

A. Une dimension temporelle peu prise en compte

Les politiques temporelles sont encore peu diffusées en France. Malgré l’émergence des

Bureaux des Temps dans un certain nombre de villes, les documents d’urbanisme restent

silencieux sur un possible aménagement des temps de la ville. Ainsi, les Plans locaux

d’urbanisme (PLU) ou Schéma de cohérence territoriale (SCOT) n’intègrent pas la dimension

temporelle, mais se concentrent sur l’espace. Pourtant, l’objet même des politiques

temporelles, telles qu’elles existent en Italie, est de lier temps et espace.

De même, les contrats locaux thématiques de Nantes, comme le Contrat local de

sécurité (CLS) ou le Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS), ne prennent pas en compte

la nuit comme une donnée propre et un temps particulier. Ces documents n’intègrent pas

d’actions spécifiques au temps de la nuit, ne mènent pas de réflexion sur la particularité du

temps nocturne.

Enfin, Nantes n’a pas mis en place un Bureau des Temps, au contraire de Paris, Poitiers

ou Rennes. Au-delà de cette organisation particulière en Bureau des Temps, aucun service de

la municipalité ne centralise une réflexion globale sur l’aménagement des temps et sur la prise

en compte de la nuit dans les politiques municipales. Bien qu’elle ait émergé, la question de la

temporalité n’a pas encore été consacrée.

B. Un manque d’évaluation des politiques publiques municipales

L’évaluation s’est particulièrement enrichie depuis les années 1980. Cependant, elle

n’en est pas devenue systématique. Évaluer permet de contrôler l’efficience d’une politique,

c’est-à-dire que les résultats atteints sont analysés par rapport aux objectifs fixés et aux

moyens mis en oeuvre.

Il semble que l’évaluation ne soit ni institutionnalisée, ni systématique au niveau

municipal. Ainsi, le service d’éclairage public ne produit pas d’évaluation : les courriers reçus

60

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constituent un indice de satisfaction de la population157. Pourtant, l’idée d’évaluation n’est pas

rejetée par l’actuel responsable du service « éclairage public » de Nantes Métropole, au

contraire. Cependant, il avoue un manque de compétences pour mener des évaluations. « Ce

serait bien d’y penser et de pouvoir mettre ça en place »158 afin d’appréhender le ressenti des

usagers, des habitants, notamment sur des problématiques d’extinction de l’éclairage ou sur

des expérimentations.

Malgré tout, une démarche évaluative peut être ponctuellement mise en oeuvre, à

travers des audits. Pour continuer avec l’exemple de l’éclairage public, un audit général a été

réalisé au moment de la création de la communauté urbaine : il s’agissait d’établir un

« diagnostic énergétique ». À ce titre, l’ Agence de l’environnement et de la maîtrise de

l’énergie (ADEME) a subventionné cette opération de grande ampleur à hauteur de 50%.

L’audit a permis de mieux connaître le patrimoine, afin d’optimiser au maximum la

consommation d’énergie (pour le responsable du service « éclairage public » de Nantes

Métropole, optimisation et économies d’énergie ne relèvent pas de la même démarche : « je

ne parle pas d’économies d’énergie, mais je parle d’optimisation énergétique, ce qui est

complètement différent »159). Ensuite, sur la base de l’audit, une « priorisation des actions » a

pu être définie.

II. QUELLE PARTICIPATION CITOYENNE ?

Réfléchir aux temps de la ville appelle à la mise en place d’un « dialogue sociétal »,

comme cela est préconisé dans le rapport Hervé sur les temps des villes. En effet, la question

repose intrinsèquement sur les nouveaux modes de vie, les nouveaux rythmes et intéresse le

« bien-être » collectif : l’aménagement des temps doit apporter un confort et répondre aux

besoins sociaux.

61

157 Entretien avec M. Philippe Fourrier

158 Entretien avec M. Dany Joly

159 Ibid.

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« Transversal, [le thème du temps] concerne tous les domaines, sans omettre l’économique. Il convient de ne pas céder aux emportements de l’instant ou aux lois du marché pour appréhender au mieux la demande de temps »160.

L’aménagement des temps ne répond pas aux seuls enjeux économiques : c’est d’un

choix de société dont il s’agit. Par exemple, l’éclairage public engage des choix de valeurs,

définit une manière de concevoir la ville et la vie nocturne. Pourtant, « ces choix restent

complètement extérieurs aux populations bénéficiaires »161 : les choix, et leurs logiques sous-

jacentes, ne sont pas mises en débat.

« L’éclairage prend place dans les espaces publics de la ville, dont on connaît la fonction symbolique. Il y matérialise, comme tout autre élément de l’aménagement des espaces publics, notre conception collective de l’organisation de la vie en ville [...] À chaque projet, chaque opération d’éclairage, activer des réflexions sur le sens d’un dispositif d’éclairage, les rôles qu’on voudrait lui faire jouer, implique donc des réflexions plus larges sur les projets de vie collective auxquels “on” voudrait qu’il participe. »162

C’est plus profondément la question de la participation citoyenne qui se pose. En effet,

quelle place est accordée à la parole des citoyens, des usagers dans la prise de décision ? C’est

pourtant avec une concertation large que les conflits entre la « ville qui dort », la « ville qui

s’amuse » et la « ville qui travaille » pourront être résolus. Les réflexions sur les politiques

temporelles et l’usage de la nuit ne doivent pas mettre à l’écart le citoyen. L’intérêt général est

au coeur du processus.

« En réfléchissant à la manière dont on veut faire la ville nocturne, on active des réflexions sur ce qu’on veut faire de la ville, collectivement, de manière plus générale. »163

62

160 Edmond Hervé, Temps des villes, op.cit., p. 14

161 Sophie Mosser, « Les enjeux de l’éclairage dans l’espace public », op.cit., p. 39

162 Ibid., pp. 40-41

163 Ibid., p. 40

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CONCLUSION

La question nocturne et ses enjeux sont au coeur d’une réflexion débutante.

Globalement, peu d’expériences ont eu lieu et rares sont celles qui peuvent être généralisées.

Une réflexion plus globale et plus ambitieuse doit s’engager. Savoir comment réguler la nuit

constitue en soi un choix de société. La nuit est bien un « espace-temps » à « coloniser ». La

principale question est de savoir si la nuit ne doit être que la prolongation des activités diurnes

ou si elle doit mettre à profit ses spécificités. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que la nuit est

devenue un enjeu politique.

Nantes a cherché à se construire une identité nocturne, après avoir perdu son identité de

ville portuaire et ouvrière à la suite de la fermeture des chantiers navals. La ville a développé

une stratégie d’anticipation des risques : c’est par la médiation qu’elle tente de concilier les

envies de la « ville qui s’anime » et celles de la « ville qui dort ». Les conflits sont alors peu

nombreux et les dispositifs de médiation bien acceptés par les différentes populations.

La ville idéale, la nuit, a trouvé un équilibre entre animation nocturne et tranquillité

publique : c’est ce à quoi font face les métropoles. En développant leur vie nocturne, les villes

doivent prendre en compte la tranquillité des riverains, leurs électeurs.

Jour et nuit ne doivent pas être opposés de manière manichéenne, ni confondus : en

effet, chacun apporte à l’autre. Comme le rythme biologique connaît une rupture nécessaire

entre la journée et la nuit, la ville est différente entre ces deux moments : on peut alors voir la

nuit comme une respiration, comme un moment de « décompression » avant le retour du jour.

« Il y a donc de nombreuses manières, agréables ou non, de rompre avec le quotidien urbain. Ces discontinuités imposées ou voulues ne devraient pas être vécues comme des dérangements, mais comme l’occasion de “remettre les pendules à l’heure”, c’est grâce à une discontinuité que l’on peut apprécier un retour à une continuité. »164

63

164 Thierry Pacquot, « Le quotidien urbain », in Thierry Pacquot (dir.), Le quotidien urbain. Essais sur les temps des villes, op.cit.

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ANNEXES

1. Guide Touristique Nantes 2010-2011, « Soirées et nuits nantaises »

(p.77, téléchargé sur <http://nantes-tourisme.com>)

77

Soirées et nuit nantaises

64

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2. Plan du service de nuit assuré par la Semitan

(de 21h30 à 0h30, jusqu’à 2h30 dans la nuit du samedi au dimanche, téléchargé sur <http://www.tan.fr>)

Beaujoire

GesvrineCircuit D

Par Bout des Pavés

Mairie de RezéCircuit K

Par La Carrée

Ste-LuceCircuit A

Par Malakoff

Gare Vertou NordCircuit L

Mairie deSt-Herblain

Circuit H

Par Jean Macé

OrvaultGrand Val

1

2

Neustrie3

Circuit F

Nil - Thébaudières

Commerce

Atlanpole Circuit C

2Gare Pont Rousseau

3

Marcel Paul

1François Mitterrand

Porte de Vertou4

Par St Sébastien

FochCathédrale4

PirmilIle de Nantes

Circuit B

Par Châtaigniers

Moulin de Porterie

Cimetière St Joseph

Ranzay

Haluchère

Bois des Anses

Basse Chênaie

Colinière

Vieux Doulon

Croissant

Souillarderie

Port BoyerMorrhonnièrePetit Port

Ecole CentraleAudencia

St Félix

Lemoine

St Donatien

Rd Pt Paris

Mitrie

Desmoulins

Boissière

Gesvres

Petite Censive

ChanzyToutes Aides

Moutonnerie

Mairie de Doulon

Gare SNCF

Berlioz

Rd PtRennes

Pontdu Cens

Bout desPavés

Le Cardo

Chêne desAnglais

Hôtel de Région

Malakoff

GreneraieMangin

Beaulieu

VincentGâche

TripodeRondeau

Bel Air

Mondésir

ViarmeTalensac

50Otages

St Nicolas

Delorme

République

DuchesseAnne

Sillon de Bretagne

Beauséjour

Mocquelière

Bouvardière

Tillay

GrandCarcouët

Bd desAnglais

Rd Ptde Vannes

PoincaréFrachon

Neruda

Repos deChasse

TertreZola

Mellinet

Canclaux

EgalitéJamet

Sartre

Mendès FranceBellevue

Carrières

Janvraie

Lauriers

Jean Macé

Gare deChantenay

Trentemoult

Houmaille

Les Couëts

Espace DiderotTrocardière

CroixBonneau

LechatGareMaritime

Hangar àBananes

Gustave Roch

Classerie

La Houssais

Trois Moulins

La Carrée

Naudières

Sèvres

8 MaiPont RousseauMartyrs

Clos Toreau

Chapeau Verni

Placis

Baugerie

St Sébastien Savarières

Profondine

Bignons

Bourdonnières

Châtaigniers

SEMITANSeptembre 2009

65

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3. Charte des bars, restaurants et établissements de nuit du 16 novembre 2001

(téléchargé sur <http://www.nantes.fr/webdav/site/nantesfr/shared/fileadmin/telechargements/Mairie/services/responsabilites/Reglementation/Commerce/Debit_de_boissons/Presentation/charte16nov2003.pdf>

Nous, exploitants de bars, restaurants et établissements de nuit, nous engageons à respecter les termes de l’accord conclu avec la Mairie de Nantes

pour respecter la tranquillité des riverains.

1/ Nous nous engageons à respecter scrupuleusement les horaires d’ouvertureet de fermeture de nos établissements.

2/ Nous inciterons nos clients à faire preuve de discrétion à la sortie de nos établissements et à respecter le voisinage de ceux-ci.

3/ Nous nous engageons à ne pas organiser de fêtes privées dans nos établissements après la fermeture de ceux-ci.

4/ Nous nous refusons à mettre en place des “fontaines à bière”, en dehors des fêtes de la Saint Patrick, de la Saint Yves,

de la Musique, du 14 juillet et d’Halloween.5/ Sauf dérogation exceptionnelle, nous n’utiliserons aucun moyen de sonorisation extérieur à nos établissements et respecterons les normes acoustiques imposées ainsi que les mesures

d’isolation prévues pour nos établissements.6/ Nous veillerons à ce que les bruits et les musiques diffusées à l’intérieur

de nos établissements ne dépassent pas un niveau sonore qui conduirait à occasionner des gênes pour le voisinage.

7/ Nous veillerons à ce que les bruits et les musiques diffusées à l’intérieur de nos établissements ne dépassent pas un niveau sonore gênant pour le voisinage, ce qui implique la fermeture de nos portes et fenêtres. S’il ne peut en être ainsi - dans le cas d’utilisation de terrasses

en période estivale - nous redoublerons de vigilance pour maintenir un niveau sonore qui, en aucun cas, ne perturbe l’environnement.

8/ Nous procéderons à un rangement non bruyant du mobilier des terrasses au moment de la fermeture.

9/ Nous nous engageons à assurer la propreté des abords immédiats de nos établissements.10/ Nous ferons en sorte que ne séjournent pas à l’extérieur de nos établissements

les conteneurs prévus pour la collecte des ordures.Nous ferons tout pour concilier l’accueil et le service des clients

sans que cela perturbe la vie des riverains.

POUR LES PROFESSIONNELS POUR LA MAIRIE

M. Alain JAMET M. Philippe QUINTANA M. Jean-Marc AYRAULTPrésident de l’Union départementale Président de la Fédération départementale Député-Maire de Nantes

de l’Hôtellerie 44 de l’Industrie Hôtelière 44

8167 L'AFFICHE/2 14/11/01 11:31 Page 1 (1,1)

66

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BIBLIOGRAPHIE

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collectivités locales ? », in Jean-Yves BOULIN, Villes et politiques temporelles, Paris : La

Documentation Française/Institut des villes (coll. « Villes et société »), 2008, pp. 17-37

- BOULIN Jean-Yves, « Les temps de la nuit », in Jean-Yves BOULIN, Villes et politiques

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par Catherine ESPINASSE, Luc GWIAZDZINSKI, Edith HEURGON, Paris : L’Aube

(coll. « Société et Territoire ») : 2005, 314 p.

- PACQUOT Thierry (sous la dir.), Le quotidien urbain : Essai sur les temps des villes,

Paris : La Découverte/Institut des villes, 2001, 192 p.

67

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ARTICLES

- BEAUPARLANT Claire, DARRIS Gérard, LEMOINE Agnès, LEON Hervé, « La ville, la

nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », in Les cahiers de la

sécurité intérieure, 61, 2e trimestre 2006 (consulté sur internet)

- CHARRIER Oliver, « La lumière : un matériau de mise en valeur ? », in Actes des

rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, pp. 42-44, téléchargé sur <http://

www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

- DELEUIL Jean-Michel, TOUSSAINT Jean-Yves, « De la sécurité à la publicité, l’art

d’éclairer la ville », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000,

pp. 52-58

- DUMONT Marc, DEVISME Laurent, « Les métamorphoses du marketing urbain », in

EspacesTemps.net

- HOUDEMONT Karine, « Comment l’homme perçoit-il la lumière dans le parcours ? », in

Actes des rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, pp. 16-29, téléchargé sur

<http://www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

- LE GOFF Tanguy, « L’insécurité “saisie” par les maires. Un enjeu de politiques

municipales », in Revue Française de Science Politique, vol. 55, n°3, juin 2005, pp.

415-444

- MENARD François, « La nuit porte cochère. Digressions autour des “correspondants de

nuit” », in Les Annales de la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 101-107

- MOSSER Sophie, « Les enjeux de l’éclairage dans l’espace public », in Actes des

rencontres de l’éclairage public du 1er mars 2005, pp. 30-41, téléchargé sur <http://

www.ademe.fr/paysdelaloire/downloads/dge/eclairage%20public/actes032005.pdf>

- MOSSER Sophie, DEVARS Jean-Pierre, « Quel droit de cité pour l’éclairage urbain ? Une

composante de la qualité des villes la nuit », in Les Annales de la Recherche Urbaine,

n°87, septembre 2000, pp. 63-72

- MULLER Béatrice, « Les nouveaux modes de régulation de l’action publique », in Pensée

plurielle, n°10, 2005/2, pp. 159-177

68

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- QUERRIEN Anne, LASSAVE Pierre, « Clair obscur ou haut-relief ? », in Les Annales de

la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 3-5

- RETO Nathalie, DARTIGUENAVE Jean-Yves, « Les correspondants de nuit. Des

problèmes nocturnes à la spécificité de l’intervention professionnelle », in Les Annales de

la Recherche Urbaine, n°87, septembre 2000, pp. 89-94

- VULBEAU Alain, « Contrepoint - La ville en continu », in Informations sociales, 3/2009,

n°153, p. 97

RAPPORTS

- BAILLY Jean-Paul, Nouveaux rythmes urbains et organisation des transports, Paris : La

Documentation Française/Conseil National des Transports, 2001, 104p., téléchargé sur

<http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000522/0000.pdf>

- HERVE Edmond, Temps des villes, Paris : La Documentation Française, 2001, 73 p.,

téléchargé sur <http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/014000520/0000.pdf>

SITES INTERNET CONSULTÉS

- http://www.auran.org (site de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération nantaise)

- http://www.nantes.fr (site de la Ville de Nantes)

- http://www.nantesmetropole.fr (site de la communauté urbaine Nantes Métropole)

- http://www.nantes-tourisme.com (site de l’Office du tourisme de Nantes)

LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS

- Mme Irène ABOUDARAM, coordinatrice de la mission « Funambus » de Médecins du

Monde à Nantes (entretien réalisé le 23/02/2010, d’une durée d’une heure)

- M. Philippe FOURRIER, responsable du service d’éclairage public à la ville de Nantes de

1996 à 2001, puis responsable d’un pôle de proximité du service d’éclairage public à

Nantes métropole (entretien réalisé le 24/02/2010, d’une durée de cinquante minutes)

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- M. Dany JOLY, responsable du service d’éclairage public à Nantes Métropole et président

de l’Association Française de l’Éclairage Ouest Atlantique (entretien réalisé le 30/03/2010,

d’une durée d’une heure)

- Mme Fabienne ADAM, responsable du secteur « Débit de boissons » (au sein du service «

Réglementation du commerce ») à la ville de Nantes, accompagnée, dans la seconde partie

de l’entretien, de M. Yannick TOURNEL, adjoint (entretien réalisé le 17/05/2010, d’une

durée de deux heures)

- Gérard et Christophe, agents de la Brigade de contrôle nocturne à la ville de Nantes

(entretien réalisé le 17/05/2010, d’une durée de trente minutes)

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TABLE DES MATIÈRES

...................................................................................................................REMERCIEMENTS 3

...............................................................................................................................SOMMAIRE 5

.....................................................................................................................INTRODUCTION 6

1. .......................................................Les temps de la ville : un champ de recherche émergent 6

2. ....................................................................................Pourquoi et comment étudier la nuit ? 9

3. .......................................................................................................................Problématique 11

4. ....................................................................................................................Cadre théorique 12

a. ..................................................L’approche séquentielle des politiques publiques 12

b. .................................L’approche cognitive et normative des politiques publiques 13

c. ................................................................................................L’enquête de terrain 13

5. ...................................................................................................................Annonce de plan 14

PARTIE I. LA NUIT : METTRE EN SCÈNE LA VILLE ................................................................ 15

..........................Chapitre 1. Une problématisation déterminée par un impératif d’attractivité 15

I. ...........................................La métropolisation : un processus en cours inévitable 15

A. ....................La compétition entre les villes et la recherche d’attractivité 16

B. ............Être une « métropole » : une finalité des politiques municipales 18

II. ..................................................................................La construction d’une image 18

A. ..........................................La reconstruction d’un deuxième centre-ville 18

B. ............La place de la nuit dans le processus de construction de l’image 19

1. .................................L’appropriation de la nuit par les citadins 19

2. .............................Une nouvelle dimension du tourisme urbain 20

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.............Chapitre 2. Des politiques publiques orientées vers la construction d’une métropole 22

I. ....................................................................Une ville dynamique et « culturelle » 23

A. ..............................................Un accent mis sur la culture et le tourisme 23

1. .......................Des politiques culturelles mues par l’originalité 23

2. ..........................................................La promotion du tourisme 24

B. .......................................................................La lutte contre l’insécurité 25

1. .............L’intégration de la sécurité aux politiques municipales 25

2. ............................Répondre au sentiment d’insécurité nocturne 27

II. ...........................................Le rôle des services publics dans la gestion de la nuit 28

A. .....................................................................................L’éclairage public 28

1. ...................................................................La sécurité publique 29

2. ......................................................La mise en valeur de la ville 31

B. ...........................................................................................Les transports 32

1. ...............................................Les enjeux des transports la nuit 32

2. .................................................L’offre de transports sur Nantes 34

PARTIE II. LA NUIT : GÉRER LES CONFLITS .......................................................................... 35

.........Chapitre 1. Une problématisation déterminée par un temps potentiellement conflictuel 35

I. ....................................................................La nuit : de nouvelles représentations 35

A. ............................................L’évolution des comportements individuels 35

1. ..........................................L’allongement de l’espérance de vie 36

2. ................................................................La mutation du travail 36

3. ...............................................................La diffusion des NTIC 37

4. ..................................................Un individualisme à relativiser 37

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5. ...............................................................Le sacre de la mobilité 38

B. ...................................................De nouvelles « temporalités urbaines » 38

II. ........................................................................La nuit : de nouvelles perspectives 39

A. ...........................................................................Une nouvelle sociabilité 39

B. ......................................................La lutte contre les inégalités de genre 40

C. .........................................................L’amélioration des services publics 40

............................................Chapitre 2. Des politiques publiques orientées vers la médiation 41

I. .......................Une mise en avant de la médiation et de la prévention des risques 42

A. ......................................L’expérience brève des Correspondants de nuit 43

B. ................................................................L’action des acteurs associatifs 46

1. .........................................................................La veille sociale 46

2. .........................La mission Funambus de Médecins du Monde 46

C. ........................Le dispositif original de la Brigade de contrôle nocturne 49

II. .............................................................Une association des acteurs économiques 51

A. ..........................Un partenariat avec les acteurs économiques de la nuit 51

B. ............................................L’interrogation d’une ville 24 heures sur 24 52

PARTIE III. DES ENJEUX NOCTURNES EN TENSION : LE PROBLÈME DE L’ARTICULATION .. 54

............................................................................Chapitre 1. Le choix d’une gestion publique 54

I. ..............................Des dimensions de la nuit antagonistes : quelle conciliation ? 54

A. ..........................................................................Dépasser les stéréotypes 55

1. .........................................La nuit, un temps où règne la liberté 55

2. ......................................La nuit, un temps où règne l’insécurité 55

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B. Les motivations du choix d’un registre d’action : les apports d’une

..............................................................................approche comparative 57

II. .............................................................................Une action nocturne concentrée 58

A. ..............................................Une concentration sur la fin de la semaine 58

B. .......................................................Une concentration sur l’hyper-centre 58

..................................................................Chapitre 2. Le « chantier » d’une réflexion globale 59

I. ............................Quelle réalité et quelle évaluation des politiques temporelles ? 59

A. ......................................Une dimension temporelle peu prise en compte 60

B. ..............Un manque d’évaluation des politiques publiques municipales 60

II. .............................................................................Quelle participation citoyenne ? 61

.......................................................................................................................CONCLUSION 63

................................................................................................................................ANNEXES 64

1. .....................Guide touristiques 2010-2011 Nantes, « Soirée et nuits nantaises » 64

2. ........................................................Plan du service de nuit assuré par la Semitan 65

3. .......Charte des bars, restaurants et établissements de nuit du 16 novembre 2001 66

....................................................................................................................BIBLIOGRAPHIE 67

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