« L'Hypothèse » de Parménide (Platon, Parménide 137 a 7-b 4)

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  • Denis OBrien

    L'hypothse de Parmnide (Platon, Parmnide 137 a 7-b 4)In: Revue des tudes Grecques, tome 120, fascicule 2, Juillet-dcembre 2007. pp. 414-480.

    RsumLes critiques adresses la thorie des formes dans la premire partie du dialogue le Parmnide restent sans rponse.Parmnide fait toutefois miroiter la possibilit d'une solution aux difficults voques en exposant une mthode hypothtique,illustre, dit-il, par l'hypothse qui est la mienne (137 3). L'hypothse , telle que Parmnide l'a prsente dans cecontexte (137 a 7-b 4), ne semble pourtant pas rpondre aux arguments dvelopps dans la seconde partie du dialogue, ni nonplus s'enchaner aux lignes prcdentes du dialogue. L'interprtation propose dans cet article rtablit la cohrence des proposde Parmnide.

    AbstractThe theory of forms put forward by the young Socrates in the first half of Plato's Parmenides is subjected to seemingly crushingcriticism by the ageing Parmenides, who nonetheless holds out hope that the criticisms may be answered by practising themethod of 'hypothesis' which occupies the second half of the dialogue. But Parmenides' preliminary account of his own'hypothesis' (137 a 7-b 4) is entangled in difficulties, both of grammar and of logic. The purpose of the pages that follow is tosolve these difficulties, and to show that scholars as rightly eminent as Waddell and Cornford, as well as a number of more recentwriters, have failed to grasp the implication of the passage in its context.

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    OBrien Denis. L'hypothse de Parmnide (Platon, Parmnide 137 a 7-b 4). In: Revue des tudes Grecques, tome 120,fascicule 2, Juillet-dcembre 2007. pp. 414-480.

    doi : 10.3406/reg.2007.7872

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_2007_num_120_2_7872

  • Denis O'BRIEN

    L'HYPOTHSE DE PARMNIDE

    (Platon, Parmnide 137 A 7-B 4)*

    Rsum. Les critiques adresses la thorie des formes dans la premire partie du dialogue le Parmnide restent sans rponse. Parmnide fait toutefois miroiter la possibilit d'une solution aux difficults voques en exposant une mthode hypothtique, illustre, dit-il, par l'hypothse qui est la mienne (137 3). L'hypothse , telle que Parmnide l'a prsente dans ce contexte (137 a 7-b 4), ne semble pourtant pas rpondre aux arguments dvelopps dans la seconde partie du dialogue, ni non plus s'enchaner aux lignes prcdentes du dialogue. L'interprtation propose dans cet article rtablit la cohrence des propos de Parmnide.

    Abstract. The theory of forms put forward by the young Socrates in the first half of Plato's Parmenides is subjected to seemingly crushing criticism by the ageing Parmenides, who nonetheless holds out hope that the criticisms may be answered by practising the method of 'hypothesis' which occupies the second half of the dialogue. But Parmenides' preliminary account of his own 'hypothesis' (137 a 7-b 4) is entangled in difficulties, both of grammar and of logic. The purpose of the pages that follow is to solve these difficulties, and to show that scholars as rightly eminent as Waddell and Cornford, as well as a number of more recent writers, have failed to grasp the implication of the passage in its context.

    * Remerciements. Lors de la prparation de ce texte, des amis ont bien voulu prodiguer conseils, corrections, critiques : Luc Brisson, Monique Dixsaut, Dimitri El Murr, Charles Ramond, Suzanne Stern-Gillet. Qu'ils trouvent tous ici l'expression de ma plus vive reconnaissance.

    REG tome 120 (2007/2), 414-480.

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    Premire partie Le texte de l'hypothse (137 a 7-b 4)

    Depuis de longues annes, le passage cit ci-aprs (137 A 7- b 4) a donn du fil retordre aux commentateurs du Parmnide de Platon. Des difficults de syntaxe et de logique s'y sont en effet mles, tel point que plus d'un commentateur est amen modifier le texte des manuscrits, pour lui imposer un sens qu'il juge plus conforme la logique du passage pris dans son ensemble.

    Avant d'aborder ces difficults et avant d'laborer une solution qui ne repose pas sur une modification du texte, je transcris les lignes telles qu'on les trouve dans l'dition critique la plus rcente, celle de C. Moreschini1. Le texte grec est assorti d'une traduction, dont les dtails seront repris dans les pages qui suivent.

    Nous lisons, en 137 a 7-b 4 : ; , , ' , , , ;

    Traduisons : Quel sera donc notre point de dpart et qu'allons-nous poser comme objet de notre premire hypothse ? moins que vous ne vouliez, puisque le parti est pris de jouer ce jeu laborieux, que je commence par moi- mme et par l'hypothse qui est la mienne, posant comme hypothse, propos de l'un lui-mme, ou bien s'il est un ou bien s'il est non un , ce qui doit en dcouler2 ?

    1 C. Moreschini, Platonis Parmenides , Phaedrus , recognovit brevique adnota- tione critica instruxit C. M., dans la collection Bibliotheca Athena, n 5 (Edizioni delPAteneo), Roma, 1966 (cit dsormais sous le nom de l'diteur du texte). Pour les lignes cites, le texte est le mme dans les deux ditions de J. Burnet, Platonis opera recognovit brevique adnotatione critica instruxit J. B., t. II, dans la collection Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis (Clarendon Press), Oxonii, lre dition 1901, [2e dition] 1910, ainsi que dans l'dition de A. Dis, Platon, uvres compltes, tome VIII, partie 1, Parmnide, Texte tabli et traduit par A. D., dans la Collection des Universits de France, publie sous le patronage de l'Association Guillaume Bud (Les Belles Lettres), Paris, 1923. Pour des ditions plus rcentes, voir la notice bibliographique de L. Brisson, Platon, Parmnide , Traduction indite, introduction et notes, dans la collection uvres de Platon, Garnier-Flammarion, Paris, 1994, p. 309- 310. (La pagination est la mme dans la 2e dition, revue , 1999.) 2 Par une convention arbitraire, mais utile, je place un et non un entre guillemets pour distinguer le numral (que ce soit sous forme de substantif ou d'adjectif) de l'article indfini. La syntaxe qui, la fin du texte cit, relie les propositions subordonnes (conditionnelles : '... ..., et interrogative : ) au verbe qui les prcde () fait l'objet d'une analyse part. Voir Un

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    I

    Aprs les politesses d'usage, Parmnide accepte d'illustrer, par un exemple prcis, la mthode hypothtique telle qu'il l'avait expose dans les pages prcdentes du dialogue. Ce jeu laborieux , entam dans les lignes qui suivent de prs notre citation (137 c 4 sqq.), continuera jusqu' la fin de la discussion. Ainsi s'explique l'emploi de la particule (), destine signaler le dbut d'une hypothse ou d'un expos 3. Les deux phrases cites marquent en effet le passage de la premire la seconde partie du dialogue.

    Avant que ses interlocuteurs ne puissent rpondre aux deux questions de la premire phrase (indiques par les deux interro- gatifs, et ), Parmnide passe, sans s'arrter, une nouvelle question, signale par la particule . Cet emploi de la particule laisse entrevoir l'abandon d'un premier projet la faveur d'un second4. Aussi Parmnide met-il de ct l'hypothse ventuelle qu'aurait tablie une recherche mene en commun (d'o l'emploi, dans la phrase prcdente, des deux verbes au pluriel : - et ), pour se rabattre sur l'examen de l'hypothse qui est dj la sienne (d'o la rptition des mmes verbes, mais au singulier : et ).

    problme de syntaxe dans le Parmnide de Platon (Parm. 137 a 7-b 4) , REG, t. 119, 2006, p. 421-435. La traduction adopte dans cet article est reprise ci-dessus. On peut juger l'emploi du mot hypothse , dans cette traduction, peu conforme la langue d'aujourd'hui. Ne doit-on pas rserver ce terme la proposition conditionnelle, donc la protase (... ...)? L'apodose (d'autant plus qu'elle prend ici une forme interrogative : ;) ne doit-elle pas plutt dsigner les consquences de l' hypothse ? Peut-tre. Tel n'est pourtant pas l'emploi que fait Platon du verbe et du substantif dans ce dialogue. Voir les dernires pages de mon analyse antrieure ( X1V-XVII).

    3 . des Places, tudes sur quelques particules de liaison chez Platon, dans la Collection d'tudes anciennes, publie sous le patronage de l'Association Guillaume Bud (Les Belles Lettres), Paris, 1929, p. 58 (citant notre texte). La conjonction des deux particules ( plus ) ne sert qu' renforcer le sens prcis ci-dessus (voir Des Places, p. 85). Pour l'emploi que fait Platon de ces deux particules, J. D. Denniston, The Greek particles, 2e dition, Oxford, 1954 ( with corrections , 1966), p. 468-470, s'en remet l'tude de son confrre franais.

    4 Voir R. Kiihner, Ausfilhrliche Grammatik der griechischen Sprache, Zweiter Teil : Satzlehre, Dritte Auflage in zwei Bnden, in neuer Bearbeitung besorgt von Dr Bern- hard Gerth , Hannover - Leipzig, 1898-1904 (cit dsormais sous la forme Kiihner- Gerth, Ausfuhrliche Grammatik), Teil II, 2, p. 297 ( 538.4) : Wird zu Anfang eines Satzes gebraucht, wenn derselbe eine Folge ausdrckt, welche fiir den Fall, dass der Gedanke des vorangehenden Satzes sich nicht verwiklicht, eintreten wird .

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    La mthode hypothtique que Parmnide se met pratiquer exige qu' propos de l'objet de n'importe quelle hypothse (ressemblance et dissemblance, mouvement et repos, naissance et disparition, tre et ne pas tre), on tienne compte des deux possibilits : ou bien cet objet est ou bien il n'est pas (135 8-136 c 5). II ne faut pas seulement, disait en effet Parmnide dans les lignes prcdentes du dialogue, quand on pose l'hypothse que tel ou tel objet existe, considrer les consquences qui dcouleraient de cette hypothse ; encore faut-il poser comme hypothse que cet objet, le mme, n'existe pas . Nous lisons, en 135 8-136 A 2: [...] - , .

    Les principaux lments de la mthode hypothtique expose dans ces lignes (135 8-136 a 2) seront repris, presque terme pour terme, dans l'hypothse de Parmnide (137 1-4). Aussi les consquences de l'hypothse sont-elles exprimes par un mme verbe, soit sous forme de participe, dans le premier texte (135 9-136 a 1 : ), soit sous forme d'infinitif, dans le texte qui suit (137 4 : ). Dans les deux textes, il s'agit des consquences que devraient entraner, soit deux propositions conditionnelles, l'une positive (135 9 : ), l'autre ngative (136 a 1 : ), soit une proposition disjonctive (137 4: ... '...), dont le second membre comporte galement une particule ngative ().

    Une difficult n'en demeure pas moins. Si, dans le premier texte, l'existence (135 9 : ) s'oppose clairement la non- existence (136 a 1 : ), quelle est l'opposition exprime, dans l'hypothse de Parmnide, par les deux membres de la proposition disjonctive (137 4 : ' )5 ?

    5 Je traduis ... '... par ou bien si... ou bien si... (et non point par un simple si... ou si... ), pour bien mettre en vidence la force disjonctive de la rptition ... '... Voir H. G. Liddell, R. Scott et H. S. Jones, A Greek- English lexicon, 9e dition, Oxford, 1940 (cit dsormais sous la forme Liddell-Scott- Jones), s.v. (p. 498) ; cf. sv. , C, 5 (p. 481). Plus d'un auteur remplace ou par et , obscurcissant ainsi le sens disjonctif de . Voir, par exemple, S. Scolnicov : if the one is and if it is not (cit n. 19 infra), ou encore F. Fronterotta : si l'un est et si l'un n'est pas (cit n. 114 infra). Cette traduction n'est pas conforme la logique du passage. Les consquences qui s'imposent {cf. 137 4 : ) ne dcoulent pas des deux branches de la proposition conditionnelle, prises conjointement. C'est tout le contraire : Parmnide entend examiner, successivement, les consquences qui dcouleraient de chacune des deux branches de la disjonction, prises sparment et indpendamment l'une de l'autre. D'o l'erreur radicale d'une traduction par et et non point par ou .

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    II

    W. W. Waddell suggre de faire intervenir ici la thse que le jeune Socrate prtait Parmnide dans les premires pages du dialogue : Le tout, dis-tu, est "un" (128 a 8-b 1 : )6. Le tout ( ), sujet de la thse telle que la formulait le jeune Socrate, serait repris implicitement, si nous en croyons Waddell, comme sujet des deux membres de la proposition disjunctive dans le passage ultrieur, 137 4 : ' [se. ] . La thse selon laquelle le tout [...] est "un" (128 a 8-b 1 : v [...] ) serait ainsi transforme en hypothse, prsente tantt sous sa forme positive : si le tout est "un" (137 4 : [se. ]), tantt sous une forme ngative : si le tout est "non un" (ibid. : ' [se. ]).

    L'interprtation propose par Waddell dans les dernires annes du xixe sicle est celle-l mme qui, plus de cent ans plus tard, refleurit dans des pages de L. Brisson7. Le passage du temps ne l'a pas rendue plus convaincante : quand Parmnide propose de commencer par moi-mme et par l'hypothse qui est la mienne (137 2-3), il ne souffle mot de ce tout dont parlait le jeune Socrate dans les premires pages du dialogue.

    Ce n'est plus en effet le terme qui, dans la thse formule par le jeune Socrate, jouait le rle de sujet (128 A 8-b 1 : le tout , ), mais celui qui jouait le rle de prdicat (128 A 8 : ) qui est mis en relief dans la seconde partie du dialogue. Le prdicat un (cf. 128 a 8 : ), transform en l'un lui-mme par l'adjonction d'un article et d'un adjectif dmonstratif, est l'objet propos duquel Parmnide entend construire son hypothse (cf. 137 3-4, cit ci-dessus : - )8.

    6 Voir W. W. Waddell, The Parmenides of Plato after the paging of the Clarke manuscript, with introductions, facsimiles, and notes, Glasgow, 1894, p. 110. Je traduis les propos du jeune Socrate ad sensum, faisant de , dans la traduction franaise, une incise ( dis-tu ), et prsentant l'unit du tout sous la forme d'une proposition indpendante ( le tout est "un" ). Dans le grec, gouverne l'infinitif qui suit (), si bien que l'unit du tout est exprime en oratio obliqua (littralement : c'est "un" que tu dis tre le tout ).

    7 L. Brisson, "Is the world one ?", A new interpretation of Plato's Parmenides , Oxford studies in ancient philosophy 22, 2002, p. 1-20. La thse de Brisson fait l'objet d'une tude dtaille dans un article antrieur, Le Parmnide historique et le Parmnide de Platon, dans A. Havlicek et F. Karfik (d.), Plato's Parmenides , Proceedings of the Fourth Symposium Platonicum Pragense, Prague, 2005, p. 234-256.

    8 J'espre ne pas drouter le lecteur par mon emploi, dans ce contexte, du mot prdicat . Dans la proposition le tout est "un" , un est le prdicat au sens restreint de ce terme dfini par A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la

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    cet un lui-mme le lecteur candide prte spontanment le rle de sujet dans la proposition disjonctive qui suit directement les mots cits. Ce faisant, il confre un () et non un ( ) la fonction de prdicats. propos de l'un lui- mme ( ) , Parmnide considre les deux possibilits : ou bien s'il est "un" ( ) ou bien s'il est "non un" ( ) . Telle est, une nuance prs, la traduction adopte par A. Dis dans la Collection Bud9.

    III

    Cette syntaxe est de loin la plus simple si nous suivons le texte des manuscrits. L'on objectera toutefois : force de s'en tenir la syntaxe la plus simple, ne se voit-on pas contraint d'abandonner la logique du passage, pris dans son ensemble ?

    Dans son expos de la mthode hypothtique , Parmnide exige que l'on considre, propos de l'objet de n'importe quelle hypothse, ou bien qu' il est ou bien qu' il n'est pas (135 8-136 a 2, cit ci-dessus). Pour rendre l'hypothse de Parmnide conforme cette exigence, ne doit-on pas imposer au verbe de la proposition disjonctive (137 4) une valeur existentielle (crivant, dans la premire branche de l'alternative, non pas ' , mais ), confrant ainsi et une fonction, non pas de prdicat, mais de sujet10 ?

    philosophie, 13e dition , Paris, 1980, s.v. Prdicat (p. 812, sens b) : Le prdicat est l'attribut qui est affirm ou ni d'un sujet . Ce sens logique de prdicat (reconnu par les auteurs de Port-Royal ; voir Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 2e partie, chapitre m [premire dition, sans nom d'auteur, Paris, 1662]) diffre de celui des grammairiens, pour lesquels prdicat comprend la fois l'attribut et le verbe attributif. Voir Lalande, s.v. Prdicat (p. 811-812, sens a). Pour la distinction lexicale, voir Trsor de la langue franaise, Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe sicle (1789-1960), t. 13, Paris, 1988, s.v. Prdicat , c, 3, a (p. 1033-1034). Pour l'enjeu conceptuel, voir H. W. B. Joseph, An introduction to logic, Oxford, 1916, p. 161-163.

    9 A. Dis, Parmnide , p. 71. une nuance prs : Dis confre au verbe une fonction copulative, mais, dans la seconde branche de l'alternative, il fait porter la ngation sur le verbe ( sous-entendu). Il crit : ou qu'il est un ou qu'il n'est pas un . La traduction propose ci-dessus fait porter la ngation sur le complment du verbe, donc sur un (v) : ou bien s'il est "un" ou bien s'il est "non un" . Aristote, Premires analytiques, I, 46, 51 b 28-31, tablit une distinction entre ces deux formes de proposition (la ngation porte soit sur le verbe, soit sur le complment du verbe). Voir aussi Joseph, An introduction to logic, p. 173-174. Mais je ne veux pas insister sur la distinction dans ce contexte. Pour le commun des lecteurs, affirmer, propos de l'un lui-mme, qu'il est "non un" (traduction propose ci-dessus) reviendrait dire qu'il n'est pas "un" (traduction adopte par Dis).

    10 Je me conforme la pratique de la plupart des diteurs modernes, en crivant si je traduis par s'il est "un" , et si je traduis par si "un" est .

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    Telle est le sens de la traduction adopte par X Moreau dans la Bibliothque de la Pliade : Parmnide examine ce qui doit en tre la consquence ( ) si "un" existe (' ) ou bien si "non-un" existe (' ) n.

    Cette traduction ne suffit toutefois pas pour rendre l'hypothse de Parmnide conforme au modle hypothtique expos dans les lignes prcdentes du dialogue. L'existence d'un non- un ne suppose pas la non-existence de l'un , ne permet donc pas d'opposer, dans les deux branches de la proposition disjunctive ('... '...), l'existence la non-existence de l'objet de l'hypothse ( l'un lui-mme ).

    IV

    Pour porter remde cette inconsquence, une solution est indique. Il suffit de rectifier la traduction de la seconde branche de l'alternative, en faisant porter la ngation, non pas sur le sujet de la subordonne (), mais sur le verbe que l'on doit suppler ( savoir ). Les deux branches de l'hypothse deviennent ds lors : ou bien si "un" existe ( ) ou bien si "un" n'existe pas (' ) . Telle est la traduction adopte par A. E. Taylor12.

    L'exgte parvient, par ce biais, une opposition de l'existence et de la non-existence, rapprochant ainsi l'hypothse du modle qu'tablit Parmnide la page prcdente du dialogue. Inter-

    La distinction (, orthotonique, si le verbe est pris en son sens existentiel) ne reoit pas l'approbation de J. Vendryes, Trait d'accentuation grecque, dans la Nouvelle collection l'usage des classes, n xvn (Klincksieck), Paris, 1929, p. 109-110 ( 123) : C'est l une rgle invente par les diteurs modernes, ignore des grammairiens anciens et contredite par les exemples qu'ils fournissent . Le mme auteur reconnat toutefois, ibid. : Certains modernes ont pens qu'il fallait toujours considrer le verbe comme enclitique dans l'emploi de copule et comme orthotonique dans l'emploi de verbe d'existence . Si je suis ici l'exemple de certains modernes , ce n'est point par conviction, mais pour des raisons de simple commodit. En crivant (orthotonique, existentiel), je rends mes citations conformes la norme adopte par les deux diteurs du Parmnide cits ci-dessus. Burnet et Moreschini distinguent en effet , en 141 12, et , en 142 c 7, voyant (correctement), dans le premier texte, un emploi copulatif du verbe et, dans le second, une valeur existentielle.

    11 J. Moreau, Platon, uvres compltes, t. II, Traduction nouvelle et notes par Lon Robin avec la collaboration de M.-J. Moreau (sic, lege M[onsieur] J[oseph] Moreau), dans la Bibliothque de la Pliade (Gallimard), Paris, 1942, p. 208 : suivant que c'est l'Un qui est ou bien le Non-un . Dans ce volume de la Pliade, Moreau est le traducteur du Parmnide ; voir la Note place au dbut du volume.

    12 A. E. Taylor, The Parmenides of Plato, translated into English with introduction and appendixes, Oxford, 1934, p. 64 : Shall I assume the existence or non-existence of my own "one" ? . Voir aussi Dillon et Morrow, n. 42 infra.

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    prts de la sorte, les deux membres de la subordonne (137 4 : ) correspondent en effet aux deux propositions conditionnelles du passage antrieur (135 8-136 A 2 : et ).

    Mais le problme n'en est pas rsolu pour autant, car, en suivant la logique du passage, Taylor s'carte de la syntaxe la plus simple et la plus convaincante. Comment en effet ne pas faire porter la ngation () sur le mot qui la suit directement () ? Comment donc ne pas entendre, dans les deux membres de l'alternative, tels que les manuscrits nous les ont transmis, une simple opposition de deux attributs, l'un positif ( un , ), l'autre ngatif ( non un , )13 ?

    Et pourtant, ds que l'on traduit de la sorte, le pige se referme. Si, en effet, on revient l'opposition de l' un () et du non un ( ) et que l'on maintienne la valeur existentielle du verbe, comment ne pas aboutir, dans la seconde branche de l'alternative, non pas la non-existence de l'un, mais l'existence d'un non-un ?

    V

    D'o l'embarras des exgtes. Le programme hypothtique propos la page prcdente du dialogue (135 8-136 c 5) semble bien exiger un emploi existentiel du verbe. Mais comment satisfaire cette exigence ? De deux choses l'une : ou bien, tel Moreau, on oppose l'existence de P un celle du non-un , restant ainsi dans les limites d'une syntaxe convenable, mais sans parvenir exprimer une opposition de l'existence et de la non- existence de l'un, ou bien, tel Taylor, on oppose l'existence la non-existence de l'un, suivant ainsi la logique du passage, mais imposant la phrase une syntaxe peu crdible.

    Pour sortir de cet embarras, une solution se profile l'horizon, efficace quoique audacieuse : la correction textuelle. la place de , ne faudrait-il pas lire une simple ngation : ?

    13 Sur la position de la particule ngative, voir Kuhner-Gerth, Ausfuhrliche Gram- matik, Teil II, 2, p. 179 ( 510, Anm. 1) : Ihre naturliche Stellung {se. aussi bien de que de ) ist vor dem Worte, das sie verneinen . Voir aussi A. C. Moorhouse, Studies in the Greek negatives, Cardiff, 1959, chap. IV, p. 69-120 : The position of the negative . Moorhouse, p. 75, met des rserves sur la norme formule par Kuhner- Gerth (cite ci-dessus), mais rien dans ses longues analyses n'autoriserait faire porter la ngation, dans notre texte, sur le verbe ( sous-entendu), en sautant, si l'on peut dire, le mot qui suit directement la ngation (v). Rien donc n'autoriserait traduire ' par si "un" n'est pas .

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    Si, en effet, on supprime, dans la seconde branche de l'alternative, le mot v, l'opposition de l' un et d'un non-un (v et ) se transforme en une opposition du verbe et de sa ngation. Parmnide prendrait comme hypothse (cf. ) ou bien si "un" est ( ) ou bien s'il n'est pas ( ) .

    Telle est l'interprtation de ce passage adopte par F. M. Corn- ford. L'exgte anglais propose de lire (premire branche de l'alternative), suivi (seconde branche de l'alternative) ou bien de [v] (supprimant ainsi le mot v) ou bien de < > (restituant la place du mot v une rptition du verbe ). Il traduit par : Shall I take the One itself and consider the consequences of assuming that there is, or is not, a One14?.

    VI

    Pour tayer cette interprtation, Cornford fait appel Proclus. Au dbut de son commentaire sur le Parmnide, nous lisons (col. 624.14-15 d. Cousin) : , [se. ], [...]; Voulez-vous, dit-il (se. Parmnide), que nous posions comme hypothse ou bien que l'un, le mien, est ou bien qu'il n'est pas [...]15 ? . Les deux textes

    14 F. M. Cornford, Plato and Parmenides, Parmenides' Way of truth and Plato's Parmenides translated with an introduction and a running commentary, dans la collection International library of psychology, philosophy and scientific method (Rout- ledge & Kegan Paul), London, 1939, p. 108. Voir surtout p. 108 n. 3 : Reading and either [] or . Le mot entre crochets droits est supprimer ; le mot entre crochets angulaires dans le corps du texte est ajouter. Cornford propose en effet, sous forme d'alternative, deux corrections, dont l'une renchrit sur l'autre. Il suggre ou bien de supprimer, purement et simplement, le mot , lisant ainsi , ou bien de remplacer ce mot par une rptition du verbe, lisant ainsi . Que le verbe soit sous-entendu ou qu'il soit restitu au texte, le sens de l'nonc est le mme. Si l'on supprime v dans la seconde branche de l'alternative, la rptition du verbe (sous-entendu) est commande par la ngation : ' (se. ), si "un" n'est pas . Cette syntaxe n'est pas possible si l'on retient le texte transmis dans les manuscrits. On aurait du mal en effet lire (se. ) , si "un" n'est pas , faisant porter la ngation sur le verbe, sous-entendu. Dans le texte transmis par les manuscrits, v fait corps avec la ngation qui prcde (voir n. 13 supra), imposant v le sens de non un , si bien que, pour librer la ngation et la faire porter sur le verbe sous-entendu, on doit supprimer v.

    15 Une traduction littrale exigerait ici une proposition conditionnelle : ... ou bien s'il est ou bien s'il n'est pas . Cf. n. 2 supra. Cornford, Plato and Parmenides, p. 108 n. 3, renvoie, sans plus de prcision, Procl., iv, 12 , citant ainsi (suivant peut-tre l'avis de Dis, Parmnide , p. 48-49) la page 12 du quatrime volume de la premire dition de Cousin, Parisiis, 1821. Je cite ci-dessus les colonnes et la lination de l'dition la plus rcente, parue en un seul volume plus de quarante ans plus tard, Procli philosophi Platonici opera inedita [...] secundis curis emendavit et auxit Victor Cousin, Parisiis, 1864.

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 423

    se ressemblent s'y mprendre: [...] ' ' (texte du commentaire de Proclus), ' (le texte de Platon, corrig par les soins de Cornford).

    Cette mise en parallle est tellement sduisante que la modification du texte adopte par Cornford (' ) jouit d'une autorit qui va croissant. Les lexicologues d'Oxford l'ont grave sur l'airain de leur dictionnaire16. L'diteur de l'dition critique du dialogue signale ci-dessus, C. Moreschini, lui accorde un fortasse recte 17. L'auteur d'un commentaire rcent, Constance Meinwald, plaide longuement en sa faveur18. Le dernier traducteur en date, S. Scolnicov, la reprend son compte, sans scrupules ni rserves19. H. G. Zekl, diteur du Parmnide dans la Philosophische Bibliothek de Felix Meiner, va jusqu' l'imprimer dans son texte, sans la signaler dans son apparat20.

    16 Voir Liddell-Scott- Jones, s.v. , III, 2 (p. 1898). Les diteurs ne sont toutefois pas cohrents. Quand ils citent le mme texte pour illustrer, non pas le verbe, mais le substantif, ils retiennent la leon des manuscrits. Voir Liddell-Scott- Jones, s.v. , III (p. 1882). Nota bene : dans les deux citations, les diteurs crivent ' , indpendamment de la valeur (existentielle ou copulative) qu'ils confrent au verbe. Ils refusent en effet la convention moderne mentionne ci- dessus (n. 10 : , existentiel, est orthotonique) ; voir les dernires lignes de la premire partie de la notice consacre (Liddell-Scott-Jones, s.v. (sum) [p. 488]).

    17 C. Moreschini (cit ci-dessus, n. 1), ad loc. (p. 43). 18 Constance C. Meinwald, Plato's Parmenides , New York - Oxford, 1991, p. 39-45. 19 S. Scolnicov, Plato's Parmenides translated with introduction and commentary,

    Berkeley - Los Angeles - London, 2003, p. 78. Scolnicov traduit de faon plutt laxiste : // the one is and if it is not , substituant ainsi and or (Cornford) pour traduire ... '..., et the one a One (Cornford) pour traduire (sans article). Voir n. 5 supra.

    20 Voir H. G. Zekl, Platon, Parmenides , ubersetzt und herausgegeben von H. G. Z., Griechisch-deutsch, dans la collection Philosophische Bibliothek, Bd 279 (Felix Meiner), Hamburg, 1972, p. 38. Si la correction du texte n'est pas mentionne dans l'apparat, c'est parce que der griechische Text wurde nebst kritischem Apparat der Burnet'schen Ausgabe mit freundlicher Genehmigung der Clarendon Press, Oxford, entnommen (v de la page de titre). L'diteur ne s'est-il pas rendu compte de l'impossibilit de conjuguer l'apparat de Burnet avec un texte qui n'est pas celui de Burnet ? Lisant, dans le texte grec de Zekl, p. 38 : ' (Zekl reprend sous cette forme la correction de Cornford), et ne voyant rien dans l'apparat, le lecteur est amen croire que les mots imprims dans le texte sont les mots rapports dans les manuscrits. Il ne peut se dfaire de son erreur qu'en lisant la note rattache la traduction allemande du texte (p. 39 n. 61 = p. 139). Mais c'est dj trop tard : consultant le texte grec et l'apparat, le lecteur doit pouvoir distinguer d'emble la leon rapporte dans les manuscrits de la correction, s'il y en a une, apporte par l'diteur du texte. Pour l'interprtation de l'hypothse (137 3-4), voir aussi, du mme auteur, Der Parmenides , Untersuchungen uber innere Einheit, Zielsetzung und begriff- lichens Verfahren eines platonischen Dialogs, Marburg - Lahn, 1971, p. 16 n. 1 (= p. 213-214).

  • 424 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    II s'est mme trouv un exgte, R.-P. Hgler, pour reprocher ses confrres un excs de prudence21. Pourquoi en effet se contenter d'laguer le v qui alourdit la deuxime branche de l'alternative ? Pourquoi ne pas retrancher le mme mot la branche positive de l'hypothse ? Le texte devient par ce biais (cf. 137 3-4) : , (c'est--dire : [] [] )22.

    Toute ambigut est ainsi dissipe. L'un lui-mme devient le sujet sous-entendu la fois du verbe et de sa ngation. propos de l'un lui-mme ( ), Parmnide pose comme hypothse ou bien qu'il est ( ) ou bien qu'il n'est pas ( )23.

    VII

    Les auteurs mentionns ci-dessus - Cornford, Moreschini, Mein- wald, Scolnicov, Zekl et Hgler - sont unanimes faire remonter la suppression de dans la seconde branche de l'alternative un savant allemand, Max Wundt, qui en avait fait tat dans une note en bas de page de son commentaire sur la seconde partie du dialogue24. Mais Wundt ne prtend pas tre l'origine de cette correction du texte. Il affirme l'avoir tire d'un manuscrit dont les leons sont rpertories dans l'apparat de l'dition de Bekker25.

    21 Voir R.-P. Hgler, Platon's Parmenides , Problme der Interpretation, dans la collection Quellen und Studien zur Philosophie (Walter de Gruyter), Berlin - New York, 1983, p. 113-115.

    22 Dans la citation du grec, les crochets droits indiquent les mots que Hgler veut retirer du texte conserv dans les manuscrits, les crochets angulaires, le mot qu'il pense restituer.

    23 Les nombreuses traductions de ce passage proposes par F. Fronterotta font l'objet d'une Note complmentaire (Note 1), place la fin de cet article.

    24 Max Wundt, Platons Parmenides , dans la collection Tiibinger Beitrdge zur Altertumswissenschaft, Heft n 25 (W. Kohlhammer), Stuttgart - Berlin, 1935, p. 6 n. 1. Meinwald, Plato's Parmenides , p. 44, prtend tre parvenu indpendamment cette correction du texte, et n'avoir pris connaissance qu'aprs coup des commentaires de Wundt et de Cornford. Pour que son indpendance soit tablie, encore faut-il supposer que cet auteur n'ait pas consult la notice de Liddell-Scott-Jones consacre au verbe , qu'elle ait ignor les ditions de Moreschini et de Zekl, et qu'elle ait nglig de lire la thse de Hgler (et bien d'autres publications encore, que j'ai n'ai pas eu l'occasion de mentionner). vouloir souligner son indpendance , Meinwald ne fait donc qu'exposer son ignorance.

    25 I. Bekker, Platonis [...] scripta graece omnia ad codices manuscriptos recensuit variasque inde lectiones diligenter enotavit I. B., vol. II, Londini, 1826, p. 169-271 (le Parmnide). Pour notre texte, voir ad loc. (p. 203).

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 425

    J'ai consult sur place ce manuscrit (Parisinus graecus 1814)26. D'aprs les auteurs du Repertorium der griechischen Kopisten, le copiste est un nomm Manuel (), lve du grand hellniste Constantin Lascaris, auteur du premier livre imprim en grec27. Son activit date de la seconde moiti du xve sicle28. Au folio 271 verso, ligne 4, du manuscrit copi par Manuel, (seconde branche de l'alternative) est suivi par - . Le mot est donc effectivement absent. Nous lisons : ... , , -

    Le tmoignage de ce manuscrit n'en est pas pour autant sans ambigut. L'espace qui spare de n'est pas vierge ; il porte trs clairement les traces d'un grattage. Qui plus est, la lettre que

    26 I. Bekker, Platonis [...] scripta graece omnia, vol. I, Londini, 1826, p. cl, assigne ce manuscrit la lettre H. Il est donc regretter que Moreschini (p. 17) ait assign cette lettre un manuscrit diffrent.

    27 Voir E. Gamillscheg et D. Harlfinger, Repertorium der griechischen Kopisten 800- 1600, Teil 2, Handschriften aus Bibliotheken Frankreichs. . . , A, Verzeichnis der Kopisten, erstellt von E. G. und D. H., dans la collection sterreichische Akademie der Wissen- schaften, Verffentlichungen der Kommission fur Byzantinistik, Bd III / 2 A, Wien, 1989, p. 137 (n 355). Pour ce Manuel , voir aussi Teil 1 du mme ouvrage, Handschriften aus Bibliotheken Grossbritanniens, A, Verzeichnis der Kopisten, dans la mme collection, Bd III / 1 A, Wien, 1981, p. 140-141 (n 256 bis). Pour se renseigner sur la vie et sur l'uvre de Constantin Lascaris (1434-1501), voir J. E. Sandys, A history of classical scholarship, vol. II, From the revival of learning to the end of the eighteenth century (in Italy, France, England, and the Netherlands), Cambridge, 1908, p. 76-78.

    28 La datation d'Omont (xvie sicle) est donc errone. Voir H. Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Bibliothque nationale, II, Paris, 1888, p. 147-148.

    29 Je n'ai pas transcrit la ponctuation et les accents tels qu'on les trouve dans le manuscrit. Le copiste fait suivre (f 271 v, 1. 3) d'un point en haut, et il fait suivre ( la mme ligne) d'une virgule. En revanche, (accent grave) et ne sont pas spars par une virgule, et , qui est surmont par deux points (donc notre trma), ne porte pas d'accent. Ici comme ailleurs, deux points, l'un superpos l'autre (donc notre deux-points), placs la fin de la phrase, marquent un changement de locuteur (ici le passage des mots prononcs par Parmnide aux mots prononcs par Zenon). J'ai remplac ces deux points par un point d'interrogation (en crivant donc non pas : mais ;). Wundt, Platons Parmenides , p. 6 n. 1, conformment son interprtation de la phrase, crit . Dans le manuscrit nous lisons . Cette accentuation ne veut toutefois rien dire sur la faon dont le copiste a compris son texte. Ici comme ailleurs, Manuel accentue le verbe en fonction de sa position dans la phrase (orthotonique s'il est prcd, par exemple, de ou de ), et non pas pour distinguer un sens existentiel d'un sens copulatif du verbe. Aussi crit-il la fois dans une phrase o le sens du verbe est indubitablement copulatif (141 E 12 = f 275 r, 1. 3 ab imo) et dans une phrase ou il est non moins indubitablement existentiel (142 c 7 = f 275 v, 1. 7-6 ab imo). Burnet, on l'a vu (n. 10 supra), suivant une norme diffrente (le verbe est orthotonique s'il possde un sens existentiel), crit dans le premier texte (141 E 12), et dans le second (142 c 7).

  • 426 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    le correcteur a voulu effacer est clairement visible, mme l'il ! nu : il s'agit d'un epsilon. Examin l'aide d'une loupe et d'un faisceau de lumire, cet epsilon est surmont d'un esprit et d'un accent. Avant d'avoir t gratt, l'epsilon faisait corps avec le mot qui le suit. Le copiste a crit, non pas , mais 30.

    Que ce mot () ait fait l'objet d'une correction n'a certes rien d'tonnant. En effaant l'epsilon, remplaant de la sorte par , on restitue une proposition interrogative indirecte ( ), indispensable l'intelligence de la phrase dans son ensemble. Mais quelle est donc l'origine de l'adverbe () ?

    Une premire rponse cette question est d'ordre purement matriel. La leon encore visible sous le grattage ( la place de suivi de ) se retrouve dans un manuscrit du XIVe sicle, conserv Rome dans la Bibliotheca Angelica et qui, d'aprs Martin Schanz, aurait servi de modle au manuscrit conserv Paris31. On le croira volontiers : si Manuel a crit , c'est parce qu'il a lu ce mot dans le manuscrit qu'il recopiait32.

    La question que l'on se posait propos de la copie se pose donc plutt propos de son modle. Comment expliquer, dans le manuscrit de la Bibliotheca Angelica, la fois l'absence de et la prsence de ? Selon toute probabilit, l'explication la fois de cette absence et de cette prsence est la mme : la suite

    30 Le mot que l'on peut discerner sous le grattage est crit exactement de la mme faon que le habituel de ce copiste. Voir, par exemple, au folio suivant, le de 138 c 2 (f 272 r, dernire ligne).

    31 Bibliotheca Angelica, codex graecus 107 (olim C.1.4), rpertori par Bekker, Platonis scripta graece omnia, vol. I, p. cliv, sous la lettre u. J'ai pu consulter un microfilm de ce manuscrit, mis ma disposition par l'Institut de la Recherche et de l'Histoire des Textes (Paris). Pour notre texte, voir f 127 v, 1. 3 ab imo. La Bibliotheca Angelica est ainsi nomme en l'honneur d'Angelo Rocca, un religieux augusti- nien qui ouvrit la bibliothque au public in 1604. L'inventaire des manuscrits grecs est dress par P. Franchi de' Cavalieri et G. Muccio, Index codicum graecorum Bibliothecae Angelicae , Studi italiani di filologia classica 4, 1896, p. 7-184. D'aprs les auteurs de l'inventaire (p. 144), notre manuscrit est du xne sicle. Pour la datation du xive sicle, voir T. W. Allen, Notes on Greek manuscripts in Italian libraries, London, 1890, p. 41, et L. A. Post, A list of Plato manuscripts , IV, p. 65-92 de son ouvrage, The Vatican Plato and its relations, dans la collection Philological monographs published by the American Philological Association, n 4, Middletown, Connecticut, 1934, p. 73. Pour les recherches de M. Schanz, voir la note suivante.

    32 Pour les rapports du Parisinus graecus 1814 (Bekker H) et de YAngelicus graecus 107 (Bekker u), voir Martin Schanz, Mittheilungen tiber platonische Handschriften , Hermes, 10, 1876, p. 171-177. Voir notamment 3, p. 172-173: Es unterliegt [...] keinem Zweifel, dass H aus u abgeschrieben ist . Voir aussi, du mme auteur, Studien zur Geschichte des platonischen Textes, Wurzburg, 1874, p. 86 (rapport troit de H et de m), et Uber den Platocodex der Markusbibliothek in Venedig append, class. 4 Nr. 1, den Archetypus der zweiten Handschriftenfamilie, mit einer voUstandigen Collation seiner Scholien, Leipzig, 1877, p. 54 n. 5 (H serait copi sur u).

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 427

    d'une faute de lecture ou d'une simple inattention, le copiste a crit non pas deux mots, mais un seul, remplaant donc et par 33.

    VIII

    Rassemblant ces divers lments, nous pouvons reconstituer un drame qui s'est droul en trois actes. Premier acte : v accompagn de est amalgam en , suite une simple erreur, que ce soit celle du copiste de YAngelicus ou d'un prdcesseur34. Deuxime acte : Manuel lit dans son exemplaire et le recopie dans le manuscrit conserv aujourd'hui Paris (Parisinus graecus 1814). Dernier et troisime acte : le correcteur de Manuel restitue la phrase une proposition interrogative indirecte, effaant, pour ce faire, l'epsilon et laissant sa place le pronom interrogatif 35.

    Agissant de la sorte - nul ne s'en tonnera - ce correcteur n'a pas pens restaurer la leon originale v. Ce dernier mot, la diffrence de , ne viendrait pas spontanment l'esprit de celui qui suit la logique du passage dans son ensemble. Se trouvant confront une leon impossible () et cherchant resti-

    33 D'aprs Post, The Vatican Plato and its relations, p. 55-56, le manuscrit de la Bibliotheca Angelica est tributaire d'un manuscrit conserv aujourd'hui Paris {Pari- sinus graecus 1808), dat du XIIIe sicle selon Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Bibliothque nationale, II, p. 146. Voir aussi R. S. Brumbaugh, Plato on the One, The hypotheses in the Parmenides , New Haven, 1961, p. 249. Le texte en question (137 4) se trouve au f 132 v, 1. 19. En cet endroit prcis du manuscrit, le , ne portant pas d'accent, est bien prcd de v, mais la taille des lettres est ici trs ingale et il n'aurait pas t difficile pour un copiste, dans un moment d'inattention, de ne pas tenir compte de la deuxime lettre du mot v (qui est d'une taille trs rduite par rapport la lettre qui la prcde et la lettre qui la suit), et par consquent d'crire la place de . Ici comme ailleurs, les esprits sont indiqus de faon trs sommaire, et la diffrence qui spare un esprit rude {cf. v) d'un esprit doux {cf. ), si diffrence il y a, est minime. Mais je ne veux pas insister sur une filiation directe : Parisinus graecus 1808 est l'origine d'une nombreuse progniture (voir Post, p. 53-55) ; qu'il ait t ou non l'exemplaire mme copi par l'auteur de YAngelicus est d'une importance toute secondaire. Voir aussi la note suivante.

    34 Ou d'un prdcesseur : puisqu'il est difficile d'tablir avec une certitude absolue que tel manuscrit a t copi, sans intermdiaire, sur tel autre, je prfre ne pas insister sur une filiation menant directement du Parisinus graecus 1808 YAngelicus 107 (voir la note prcdente).

    35 Le manuscrit {Parisinus graecus 1814) porte des corrections de Lascaris (dont Manuel tait l'lve) et de Giovanni Gioviano Pontano. Voir la notice dj cite {Repertorium der griechischen Kopisten 800-1600, Teil 2 A, p. 137 [n 355]). Pour la vie et pour l'uvre de Pontano (1426-1503), voir Sandys, A history of classical scholarship, vol. II, p. 89-90.

  • 428 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    tuer une proposition interrogative, le correcteur s'y prend de la faon la plus expditive, supprimant donc l'epsilon et remplaant de la sorte par . Rien dans le texte de Manuel ne lui aurait indiqu que, pour remonter la leon originale, il aurait fallu, non pas effacer une lettre, mais en ajouter une autre, remplaant ainsi non point par , mais par , 36.

    Le drame en trois actes n'en est point son terme pour autant. Il lui manque un pilogue. Le texte recopi par Manuel ( la place de v suivi de ) et ensuite corrig ( chang en ) a fini par jouer un rle dans l'tude moderne du Parmnide. Dment rpertorie dans l'apparat de Bekker, mais sans mention de grattage, la leon du Parisinus graecus 1814 prend l'allure d'une simple variante : v post omfisit] H 37. Prsente sous cette forme, la variante a mis la puce l'oreille de Max Wundt et lui a suggr de prendre tmoin ce manuscrit pour restituer au dialogue ce qui n'est en ralit que le produit d'une erreur mcanique dans la transmission du texte38.

    IX

    Ne brlons cependant pas les tapes. Encore que ses origines ne soient pas telles qu'on les avait supposes, il ne s'ensuit pas que ce soit l une raison suffisante pour condamner la correction du texte propose par Wundt. Dans ce qui n'tait, l'origine, qu'une simple erreur de copiste ne doit-on pas voir une felix culpa ?

    36 J'ai prsent les trois actes sous la forme la plus simple, prtant au correcteur du manuscrit de Manuel la volont de restituer la phrase une forme interrogative, remplaant donc par . Cette thse se heurte pourtant un obstacle : tout en supprimant l'epsilon, pour transformer en , le correcteur n'a pas ajout ce dernier mot un accent (voir n. 29 supra). Est-il donc possible qu'il ait vu dans ce mot un pronom indfini, et non pas un pronom interrogatif ? Peut-tre. Mais si le mot n'a pas ici un sens interrogatif, on voit mal le rle qu'il peut jouer dans la phrase ; on a mme du mal voir le sens que peut avoir la phrase dans son ensemble si les deux derniers mots ( ) ne sont pas prcds d'un interrogatif. Il m'a donc sembl plus simple de supposer que le lecteur de Manuel, effaant l'epsilon, voulait donner la subordonne une forme interrogative ( ), mme s'il n'a pas restitu un accent au pronom interrogatif (allant ainsi l'en- contre de la norme adopte le plus souvent par Manuel).

    37 Bekker, Platonis scripta graece omnia, vol. II, p. 203, note y (ad Parm. 137 4). 38 Marwan Rashed et Christian Frstel (conservateur des manuscrits grecs la

    Bibliothque nationale) ont eu l'amabilit d'examiner cet endroit du codex Parisinus graecus 1814. Je dois Marwan Rashed l'explication propose ci-dessus de l'origine de la leon , rapporte la fois dans ce manuscrit (avant grattage) et dans le manuscrit de la Bibliotheca Angelica.

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 429

    II est, certes, tabli que la correction propose par Wundt ne bnficie d'aucun appui rel dans la transmission manuscrite du dialogue. Si Wundt a cit le manuscrit de Paris l'appui de sa correction, ce n'est que parce qu'il ignorait la leon originale, encore visible dans ce manuscrit (), et qu'il ignorait aussi, sans doute, la prsence de la mme leon dans le manuscrit de la Bibliotheca Angelica (manuscrit dont les leons ne sont pas rpertories dans l'dition que fit Bekker du Parmnid).

    Il n'empche : la vrit nat parfois de l'erreur. Que Wundt se soit fond sur une prsentation dfectueuse de la tradition manuscrite n'enlve rien - dira-t-on peut-tre - la valeur intrinsque de la correction qu'il a propose. Cette correction est minime. Elle restitue la logique du passage. Elle bnficie, si nous en croyons Cornford, de l'autorit de Proclus. Pourquoi donc ne pas l'adopter ?

    X

    Ne nous emballons pas. Mfions-nous surtout de l'appel que fait Cornford Proclus. Bien que ce dernier ait eu sa disposition un texte bien antrieur celui de nos manuscrits, il n'avait nullement pour intention de recopier ce texte dans son commentaire. En tmoigne la phrase cite ci-dessus, tire de son introduction au dialogue, au premier livre de son commentaire (col. 624.14-15 d. Cousin) : , [se. ], [...];

    premire vue, cette phrase est un simple dcalque du texte du Parmnid, d'autant plus que Proclus reproduit fidlement la syntaxe de Platon, en faisant suivre sans liaison le verbe ( voulez-vous ? ) d'une premire personne du subjonctif39. Mais la phrase de Proclus et celle de Platon n'en sont pas pour autant identiques. Platon fait suivre la fois de et de , tandis que Proclus ne retient que ce dernier verbe, qu'il met au pluriel, si bien qu'il crit, non pas [...] [...] , mais [...] .

    Faisant suivre d'un verbe au pluriel ( la place de [...] ), Proclus a sans doute prsents l'esprit les verbes au pluriel qui prcdent dans le texte de Platon (137 a 7-b 1 : - ;). Mais Proclus n'a pas recopi ces deux questions au

    39 Cette locution est frquemment atteste. Voir Kiihner-Gerth, Ausfuhrliche Grant- matik, Teil II, 1, p. 221-222 ( 394.6).

  • 430 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    premier livre de son commentaire40. Puisque Proclus ne cite qu'une seule question, celle qui suit (137 1 : ...), il supprime la particule () dont la seule fonction, dans le texte original, tait de mnager le passage d'une question une autre.

    De telles divergences, dira-t-on, ne portent pas consquence. Si fait, rpondrai-je : en supprimant la particule de liaison (), en faisant donc commencer la question par un simple , pour ensuite remplacer les deux verbes au singulier ( et - ) par un seul verbe au pluriel (), Proclus ne laisse plus voir la nuance qui, dans le texte original du dialogue, dsignait l'abandon d'une ventuelle recherche mene en commun (d'o l'emploi des deux verbes au pluriel) la faveur de l'hypothse personnelle de Parmnide (d'o la rptition des mmes verbes au singulier)41.

    Si nous ne devons pas tenir rigueur Proclus de cette infidlit au texte du dialogue, nous ne devons pas non plus prter son commentaire une importance qu'il n'a pas. Proclus ne cite le texte du dialogue que sous forme de paraphrase. Ne prtons pas son commentaire l'autorit d'un manuscrit42.

    40 Au premier livre de son commentaire, Proclus crit simplement : ... , avant de reprendre : , , ... Voir col. 624.13-14 d. Cousin. Ce n'est qu'au cinquime livre de son commentaire que Proclus en vient commenter le texte dont l'tude fait l'objet du prsent article (137 a 7-B 4,). Pour le texte intercal ici dans le corps du commentaire de Proclus (col. 1032.8-14 d. Cousin = 137 1-5), voir la note la fin de cette section (n. 42).

    41 Voir mes remarques portant sur l'emploi de la particule ( I supra). 42 En m'exprimant de la sorte, je fais abstraction des lemmata intercals dans le

    texte du commentaire. Le lemma correspondant notre texte (137 1-5) est cit au livre cinq (col. 1032.8-14 d. Cousin). Le texte ( part les accents et le fait que soit crit en deux mots) est identique celui de Burnet ; nous lisons (seconde branche de l'alternative) : . Il est toutefois fort possible que ces lemmata ne soient pas rapports dans les manuscrits de Proclus sous la forme o le philosophe les avait recopis (voir la Prface de Moreschini, p. 15) ; on n'est donc pas en droit d'y faire appel pour confirmer, ou pour infirmer, la correction de Wundt. Quand ce dernier, Platons Parmenides , p. 6 n. 1, dclare que le texte du lemme a t modifi et qu'il portait l'origine soit ' , soit , il ne s'agit que d'une simple ptition de principe. - Le texte rapport dans les manuscrits du commentaire de Proclus, 1032.12 d. Cousin : ' , est aussi le texte que l'on peut deviner l'origine de la traduction latine de Guillaume de Moer- beke, II 334.9 d. Steel : sique unum est sique non unum ). Dillon et Morrow, dans leur traduction du commentaire de Proclus, traduisent par un emploi existentiel du verbe : // one assumes that the One is, or that it is not . Voir J. M. Dillon et G. R. Morrow, Proclus' commentary on Plato's Parmenides , translated by G. R. M. and J. M. D., with introduction and notes by J. M. D., Princeton, 1987, p. 378. Pour la traduction latine, voir C. Steel, Proclus, Commentaire sur le Parmnide de Platon, traduction de Guillaume de Moerbeke, t. II, Livres V VII et Notes marginales de Nicolas de Cues, dition critique par C. S., dans la collection Ancient and Medieval philosophy, De Wulf-Mansion Centre, series 1, IV (Leuven, University Press), Leuven,

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 431

    XI

    Revenons donc l'hypothse de Parmnide telle que l'ont transmise les manuscrits les plus autoriss43. Confrons ces mots la syntaxe qui vient spontanment l'esprit de tout lecteur qui a l'habitude de lire Platon dans le texte : propos de l'un lui- mme ( ), Parmnide prend comme hypothse (), ou bien si l'un lui-mme est "un" ( [se. ]) ou bien s'il est "non un" ( ), ce qui doit en dcouler ( ) 44.

    Avant de nous loigner des manuscrits et avant de renoncer cette traduction, rflchissons au sens cjue cet tat du texte confre aux deux branches de l'alternative. cette fin, mettons-nous

    1985. Confrant au verbe une valeur existentielle, Dillon et Morrow peuvent se prvaloir de l'autorit de Taylor (voir n. 12 supra) ; mais traduire par it is not, faisant ainsi porter la particule ngative sur le verbe sous-entendu (et non pas sur le mot qui suit directement la ngation), me semble difficile, voire impossible (cf. IV supra).

    43 Ce sont, pour le Parmnide, les manuscrits , et W. = codex Bodleianus, MS . D. Clarke 39, dat par le copiste lui-mme ; la date qu'il a donne correspond l'an 895 de notre re. Voir Waddell, The Parmenides of Plato, p. cxx-cxxi. = codex Venetianus, appendix, classis IV 1, Xe sicle, d'aprs les autorits cites par Duke et alii (voir ci-aprs). W = codex Vindobonensis, supplementum graecum 7, xe-xie sicle, selon Moreschini ; XIe sicle, selon Duke et alii. Moreschini, dans la Prface son dition, plaide aussi en faveur de C (codex Tubingensis M b 14, XIe sicle) et de D (codex Venetianus 185, XIIe sicle). Le manuscrit Y (Vindobonensis 21, XIVe sicle), retenu par Dis comme une source indpendante ( Parmnide , p. 48), ne le serait pas d'aprs Brumbaugh, Plato on the One, p. 246-247, et Moreschini, Prae- fatio, p. 14. La valeur indpendante de ce manuscrit est aussi conteste par les diteurs d'autres dialogues : voir E. R. Dodds, Plato Gorgias , A revised text with introduction and commentary, Oxford, 1959, p. 35 et p. 54-56, et R. S. Bluck, Plato's Meno , edited with introduction and commentary, Cambridge, 1961, p. 129 et p. 141-142. Ce jugement ngatif est partag par A. Carlini, Studi sulla traduzione antica e mdivale del Fedone , dans la collection Bibliotheca Athena, n 10 (Edizioni dell'Ateneo), Roma, 1972, p. 161-166, et par C. Brockmann, Die handschriftliche Uberlieferung von Platons Symposion, dans la collection Serta graeca, Beitrdge zur Erforschung griechi- scher Texte, Bd 2 (Dr. Ludwig Reichert Verlag), Wiesbaden, 1992, p. 68-85. Voir aussi la prface au premier tome de la nouvelle dition d'Oxford, par E. A. Duke et alii, Platonis opera recognoverunt brevique adnotatione critica instruxerunt E. A. D. [et alii], t. I, dans la collection Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis (Clarendon Press), Oxonii, 1995, p. xviii (le manuscrit Y s'inscrirait dans un groupe de manuscrits secondaires prsentant des conjectures). L'auteur d'une tude de la tradition manuscrite du Time dfend toutefois l'opinion contraire : ce manuscrit serait l'un des trois tmoins d'une source indpendante perdue. Voir G. Jonkers, The manuscript tradition of Plato's Timaeus and Critias , Academisch Proefschrift (Vrije Universiteit te Amsterdam), Amsterdam, 1989, p. 94-111 (l'autorit du manuscrit) et p. 169-173 (les copistes du texte du Time).

    44 Pour suivre au plus prs le texte, je reprends ici la traduction littrale de la subordonne conditionnelle, signale ci-dessus ('... ..., ou bien si... ou bien si... ). Voir n. 2 supra.

  • 432 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    la place du lecteur (ou de l'auditeur) candide, qui n'a pas encore plong dans les eaux troubles de la seconde partie du dialogue. Pour un tel lecteur, la leon tirer du texte, sous la forme o l'ont transmis les manuscrits, est claire. Que l'un lui-mme soit "un" (cf. 137 3-4 : [...] ) est une proposition qui suppose la thse de l'existence de l'un. Comment en effet se pourrait-il que l'un soit "un" s'il n'est pas ?

    Relisons dans le mme esprit la seconde branche de l'alternative : si l'un lui-mme est "non un" (cf. 137 3-4 : [...] ). D'une telle proposition ne faut-il pas conclure, tout simplement, que l'un lui-mme n'est pas ? Comment en effet s'imaginer que l'un lui-mme puisse exister s'il est non un ?

    Nous revenons, par ce biais, au programme formul par Parm- nide dans les lignes prcdentes du dialogue. En proposant d'examiner si l'un lui-mme est un ou s'il est non un (137 a 7-b 4), Parmnide se propose d'examiner s'il est ou s'il n'est pas (cf. 135 8-136 c 5). Telles sont en effet les deux conclusions implicites ds que l'on confre l'un lui-mme les deux prdicats contradictoires, un et non un . Si l'un lui-mme est un , il existe. L'attribution du prdicat contradictoire lui te l'existence : si l'un lui-mme est non un , il n'est pas.

    XII

    Interprte de la sorte, la leon des manuscrits suit fidlement la logique du passage. Le verbe conserve ici sa valeur copulative, confrant tant un qu' non un une fonction predicative. propos de l'un lui-mme ( ) , Parmnide pose comme hypothse (cf. ), ou bien s'il est "un" ( ), ou bien s'il est "non un" (' ), ce qui doit en dcouler ( )45. L'emploi de la copule, dans ce contexte prcis, entrane pourtant une consquence existentielle . Puisque le prdicat ( un ) ne fait que ritrer le sujet de la proposition ( l'un lui-mme ), l'affirmation ou la ngation du prdicat ne peut qu'entraner l'existence ou la non-existence de l'objet dont il est question.

    45 Ici encore, la traduction suit au plus prs la syntaxe du grec (... ..., ou bien si... ou bien si... ). Voir n. 2 supra.

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 433

    Nous ne sommes plus, ds lors, contraints d'opposer la syntaxe la logique du passage. Nous ne sommes plus acculs une correction du texte transmis par les manuscrits. Pour rendre cohrents les propos de Parmnide, il suffit de mettre nu l'arrire - fond philosophique du passage et d'en tirer les consquences qui s'imposent.

    L'hypothse de Parmnide n'est pas en effet une proposition comme une autre. La rptition du sujet ( l'un lui-mme ) sous forme d'attribut, tantt positif ( un ), tantt ngatif ( non un), confrent aux deux membres de la disjonction ('... ..., ou bien... ou bien...) une configuration logique bien prcise. Le premier membre de la disjonction est une tautologie : si l'un lui-mme est "un" , le second, une contradiction : si l'un lui-mme est "non un" .

    Cette opposition d'une tautologie et d'une contradiction rend l'hypothse de Parmnide, telle que l'ont transmise les manuscrits, conforme, ne ft-ce que de faon implicite, au modle hypothtique labor dans les lignes prcdentes du dialogue. La tautologie permet d'affirmer l'existence de l'un lui-mme . La contradiction laisse deviner, au contraire, sa non-existence.

    Opposant l'existence la non-existence de l'un, nous donnons raison Proclus, sans forcer la syntaxe du passage ni non plus abandonner le texte des manuscrits. propos de l'un lui-mme Parmnide pose comme hypothse ou bien qu'il est un ou bien qu'il est non un (cf. ' ' ). Ce faisant, il pose implicitement comme hypothse ou bien qu'il est ou bien qu'il n'est pas 46.

    46 Le principe qui permet de tirer, de l'affirmation il est "un" , l'implication qu' il est ne fait videmment pas l'unanimit de philosophes postrieurs Platon. Dj Aristote, De l'interprtation, 11, 21 a 25-28, fait remarquer que l'affirmation Homre est un pote ne laisse pas supposer que l'on puisse affirmer d'Homre qu'il est . Joseph, An introduction to logic, p. 163-169, reprend en partie l'analyse d'Aristote. Mais quand le prdicat n'est autre que le sujet du verbe (quand on affirme, de l'un , qu'il est "un" ), et surtout quand le verbe est assorti d'une ngation (quand on affirme, de l'un , qu'il n'est pas "un" ), il n'est nullement exclu que l'on ne puisse passer d'un emploi copulatif du verbe ( l'un est "un" , l'un n'est pas "un" ) son emploi existentiel ( l'un est , l'un n'est pas ). Mais il n'entre pas ici dans mon propos d'examiner la validit de cette implication. Qu'elle soit ou non fonde, l'implication n'est pas trangre la pense du Parmnide de Platon. L'argument s'il est "un", il est est exprim en toutes lettres dans une page postrieure du dialogue (151 6-7) et revient, ne ft-ce que de faon elliptique, la fin de la premire dmonstration (141 10-11). Voir XXVII-XXXII infra.

  • 434 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    Deuxime partie Le contexte de l'hypothse (137 c 4-5)

    Cette interprtation de l'hypothse peut-elle s'intgrer dans le contexte du dialogue ? Sans entrer dans le ddale des arguments labors dans la seconde partie du Parmnide, bornons- nous examiner les premires lignes du premier raisonnement, 137 c 4-5 :

    , , ' ; Allons-y , dit-il {se. Parmnide). Si "un" est, n'est-il pas vident que cet un ne serait pas plusieurs47 ?

    Et le jeune Aristote de rpondre, en 137 c 5 : ; Comment le serait -il48 ?

    Les variantes rapportes dans les manuscrits (et qui seront numres ci-aprs) ne mettent pas en cause le texte de ces deux

    47 Burnet et Moreschini impriment . Pour des raisons exposes ci-aprs, j'entends ici le verbe au sens existentiel. J'cris par consquent (orthotonique). Il reste un problme de traduction. Si l'on suit de prs la syntaxe du grec, on se voit contraint de conjuguer un rel dans la protase : , si "un" est , et un irrel dans l'apodose : ' , cet un ne serait pas plusieurs . Cependant, traduire de la sorte irait rencontre du gnie de la langue : la conjonction d'un rel et d'un irrel en une mme proposition hypothtique ( rel dans la protase, irrel dans l'apodose), frquemment atteste dans la langue de Platon (et d'autres auteurs de l'poque classique), n'est pas tolre dans le franais de nos jours. Suivant donc l'exemple de Dis ( Parmnide , p. 72 : S'il est un, n'est- il pas vrai que l'Un ne saurait tre plusieurs ? ) et de Moreau {Platon, uvres compltes, t. II, p. 208 : Si c'est l'Un, n'est-il pas vrai qu'il ne saurait tre plusieurs, l'Un ? ), j'introduis un verbe l'indicatif ( n'est-il pas vident... ) pour traduire l'expression (pour le sens de cette expression, voir ci-aprs) et je le fais suivre, dans la subordonne, d'un verbe au conditionnel qui donne l'apodose une tonalit irrelle ( ... cet un ne serait pas plusieurs ), faisant ainsi cho l'emploi de l'optatif et de la particule modale dans le texte de Platon. Traduisant pas serait et non point par saurait, je m'abstiens toutefois de faire intervenir, dans la traduction, une modalit (celle du possible et de l'impossible) qui n'est pas exprime dans le grec {saurait au sens de pourrait). Nota bene. Ici comme plus tard, je parle d' irrel en un sens logique ; pour les grammairiens, il s'agit d'un potentiel ngatif.

    48 Dis et Moreau (voir ci-dessus) traduisent ici : Comment le pourrait-il ? Ces deux auteurs se voient en effet contraints la rptition d'un verbe auxiliaire {pourrait la place de saurait) pour rendre parallles, comme il le faut, la rponse du jeune Aristote et la question que lui pose Parmnide. Dans la rponse comme dans la question, je prfre ne pas introduire, en ce moment particulirement dlicat du dialogue, une modalit dont on ne trouve aucune trace dans le grec. la question : ... ' ; ... cet un ne serait pas plusieurs?, le jeune Aristote rpond : ; Comment le serait-il ? , reprenant, ne ft-ce qu'implicitement, le verbe et la modalit de la question ( [se. ' ]), se faisant ainsi l'cho fidle des mots que vient de prononcer Parmnide.

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 435

    lignes ; il n'en reste pas moins qu'ici, comme dans l'examen de l'hypothse , les commentateurs ont achopp sur des difficults de logique et de syntaxe.

    Avant de considrer les rapports que peuvent entretenir l'nonc de l'hypothse (137 1-4) et le dbut de l'argument cens l'illustrer (137 c 4-5), il est essentiel d'carter ces difficults ; elles risquent, sinon, d'obscurcir la nuance prcise tant de la question pose par Parmnide que de la rponse apporte par le jeune Aristote (son interlocuteur dans la seconde partie du dialogue)49.

    XIII

    N'est-il pas est vident... ? traduit . Cette expression est une ellipse ; son emploi interrogatif appelle une rponse affirmative50. Pour expliquer l'ellipse, nous pouvons suppler une formule telle que [se. ...] ou encore [se. ...]. Mais, dans les dialogues de Platon, les deux

    49 Dans l'apparat de son dition du Parmnide, Bekker numre des variantes : la place de est rapport a manu recentiori dans un manuscrit de Venise, Marcianus graecus 189, xive sicle (Bekker ), ainsi que dans un manuscrit du commentaire de Proclus, Parisinus graecus 1836 (Bekker R, f 154 r, 1. 15) ; la place de est rapport dans un autre manuscrit du commentaire de Proclus, Parisinus graecus 1810 (Bekker D, f 175 v, 1. 4 ab into, et f 180 r, 1. 25). Cf. Bekker, Platonis scripta graece omnia, vol. II, p. 204, n. i et n. j. Parisinus graecus 1836 a t copi en 1536 par Ange Vergce (Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Bibliothque nationale, II, p. 150 ; voir aussi Gamillscheg et Harlfinger, Repertorium der griechischen Kopisten, 2 A, p. 25-27 [n 3] ; cf. 1 A, p. 25- 26 [n 3]). Parisinus graecus 1810 a t copi par George Pachymre, 1242-aVca 1310 (voir Gamillscheg et Harlfinger, Repertorium der griechischen Kopisten, 2 A, p. 54 [n 89]). Proclus cite deux fois le mme passage au livre six de son commentaire, 1039.1-3 et 1064.18-20 d. Cousin. Les leons de ces deux passages sont les mmes dans le ms. D (voir ci-dessus). Dans le second passage, le copiste du ms. R (f 162 v, 1. 3 ab imo) crit , et non pas, comme dans le passage prcdent, . Bekker n'a pas distingu les leons rapportes en ces deux endroits du manuscrit. Les mmes variantes sont numres par Brumbaugh, Plato on the One, p. 263, qui signale galement des variantes portant sur le de la protase (changement d'accent et d'esprit, absence de la deuxime lettre). Si j'exhume ici ces variantes, ce n'est pas pour suggrer que les manuscrits dont elles sont tires pourraient contribuer l'tablissement du texte, mais parce que l'adjonction d'une particule comparative (), soit aprs (ms. et R), soit avant (ms. D), tmoigne, selon toute probabilit, d'une mconnaissance de la locution , erreur qui se trouve l'identique dans les pages du dernier commentateur en date, S. Scolnicov, comme nous allons le voir.

    50 Voir Liddell-Scott- Jones, s.v. (p. 70): in interrogfative] sentences [...] elliptical, implying an afftrmfativej answer . Voir aussi F. Ast, Lexicon platonicum sive vocum platonicarum index, vol. I, Lipsiae, 1835, p. 107-108. Cf. Kiihner-Gerth, Ausfiihr- liche Grammatik, Teil II, 2, p. 529-530 ( 589.11).

  • 436 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    mots ( ) se sont imposs comme une locution part entire ; nul n'est besoin de prciser une formule qui puisse complter l'ellipse51.

    L'expression porte sur l'ensemble de la proposition qui la suit (ici, sur l'ensemble de l'apodose). Elle diffre en ceci de la mme expression complte d'une particule comparative (donc ), la prsence de la particule () limitant la porte de l'expression, de telle faon qu'elle ne gouverne que le mot, ou le groupe de mots, qui la suit directement52.

    Scolnicov, dernier traducteur en date du Parmnide, mconnat cette diffrence. Il crit : Would not the one be something other than [ ] the many ? , faisant ainsi porter sur , et non pas, comme il se doit, sur l'ensemble de l'apodose53. Pour appuyer cette interprtation de la syntaxe de la phrase, et dans l'espoir de lgitimer sa traduction de par other than , Scolnicov va jusqu' dclarer, dans son commentaire, que est ici l'quivalent de 54.

    S'exprimant de la sorte, Scolnicov contredit - mais s'en est-il rendu compte ? - l'analyse subtile et dtaille de J. Riddell. Comme ce dernier l'a bien expliqu, les deux expressions et ne sont pas synonymes. ' commande l'ensemble de la question pose, la diffrence de qui ne porte que sur tel ou tel lment prcis de la phrase, celui-l mme qui suit directement la particule55.

    51 Voir J. Riddell, Digest of idioms, Appendix B, dans The Apology of Plato, with a revised text and English notes, Oxford, 1877, p. 131 ( 22) : represents an unexpressed sentence /. . ./ namely, "any different" proposition from that about to be enunciated. The speaker, by , "puts the question" about this shadow of a proposition, but anticipates the judgment by offering simultaneously for acceptance his own view . L'expression est frquemment atteste dans les pages de Platon (voir Liddell-Scott-Jones, s.v. [p. 70] : espfecially] in Pl[ato] ).

    52 Je ne fais que reprendre les observations de Riddell, Digest of idioms, p. 130-132 ( 22), cites ci-aprs (n. 55).

    53 Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 80. Les crochets droits et l'expression qu'ils entourent sont de l'auteur.

    54 Cf. Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 80. 55 Riddell est formel sur ce point. Il crit, Digest of idioms, p. 130-132 ( 22) :

    affects the whole of the sentence, like the French n'est-ce pas que. The interrogation it makes is not restricted to any particular portion of the sentence. [...] The interrogation strictly speaking belongs to the alone, though it spreads from it to the whole sentence beyond . En revanche : challenges an affirmation with respect to some special portion of the sentence. It may be that it sometimes affects the whole; but (unlike ) it can, and in most instances does, affect a particular portion of the sentence. And the interrogation is, in strictness, limited to the part affected . cette analyse, ajoutons simplement que la partie de la phrase qui fait l'objet de la comparaison est celle qui suit directement la particule (par exemple , mis en opposition , dans le texte du Mnon cit ci-aprs, XV).

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 437

    XIV

    Ainsi en est-il quand Parmnide demande, propos de l'un, en 143 3 1-3 : , , ' , '

    56 ; Place au dbut de la phrase, l'expression porte sur l'ensemble de la proposition qui suit, donc sur l'ensemble de l'interrogation. Traduisons : N'est-il pas vident que, de toute ncessit, son existence est une chose et que lui-mme en est une autre si, comme il s'est avr, l'un n'est pas l'existence, mais, en tant qu'"un", participe de l'existence, comme nous venons de le dire57 ? . Et le jeune Aristote de rpondre, 143 3 : . Ncessairement .

    Il en va de mme, une quinzaine de pages plus tard, quand Parmnide demande, propos des autres que l'un, en 158 8-9 : , , 58 ; Ici encore, porte sur l'ensemble de l'interrogation. Traduisons : N'est-il pas vident qu'au moment mme o ils se mettent participer de l'un, ils se mettent participer sans qu'ils soient "un" et sans qu'ils aient part l'un ? Et le jeune Aristote de rpondre ici, en 158 9 : . Voil ce qui est clair .

    Dans ces deux textes (143 1-3, 158 8-9), ainsi que dans les premires lignes de l'examen de l'hypothse (137 c 4-5), la syntaxe est la mme : l'expression porte sur l'ensemble de la proposition interrogative qui suit. Dans aucun de ces trois textes on n'est en droit de remplacer par .

    56 la diffrence de Moreschini et de Burnet, je place un point d'interrogation la fin de la phrase. Ici encore (voir n. 49 supra), un copiste, celui du Coislinianus 155, XIVe sicle (Bekker ), fait suivre d'une particule comparative, crivant donc (voir l'apparat de Bekker, Platonis scripta graece omnia, vol. II, p. 218, note j).

    57 La forme renforce de la conjonction ('), dans une proposition conditionnelle relle , laisse entendre que la condition formule est conforme la ralit, et pourrait mme se traduire par puisque. Voir Liddell-Scott- Jones, s.v. ', II (p. 489) : in Attfic dialect] and Trag[edians] to imply that the supposition agrees with the fact, if as is the fact, since . Pour faire ressortir cette implication, je vais jusqu' glisser dans ma traduction une incise ( comme il s'est avr ). L'emploi de l'aoriste, , sert rappeler la conclusion dgage dans les lignes prcdentes du dialogue (143 a 4-9). Ici encore, je rends explicite cette implication par l'ajout d'une incise ( comme nous venons de le dire ).

    58 Dans le manuscrit cit ci-dessus {Coislinianus 155, Bekker ), est suivi de la particule , ajoute supra lineam (f 128 v, 1. 3) ; voir l'apparat de Bekker, Platonis scripta graece omnia, vol. II, p. 252, n. s ( rc [se. a manu recentiori] ).

  • 438 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    XV

    Croyant dmontrer l'quivalence de et de , Scolnicov fait appel un passage du Mnon o les deux expressions se ctoient (82 c 8 : , d 1 : ). C'est pourtant le contraire qui est vrai : y voir de plus prs, ce texte confirme la distinction releve ci-dessus.

    Dans un premier temps, Socrate demande au jeune esclave, en 82 c 8 : ... ; ... n'est- il pas vident que l'espace aurait t d'une fois deux pieds ? . L'expression interrogative ( ) porte sur l'ensemble du calcul.

    Socrate pose ensuite la question, en 82 d 1-2: ... [se. ] ; ... l'espace devient-il quoi que ce soit d'autre, si ce n'est deux fois deux pieds ? . Ici, la mme expression, assortie d'une particule comparative (donc ), porte sur le chiffre qui suit la particule, mettant ainsi en vidence la diffrence du second calcul par rapport au premier. D'aprs le second calcul, l'espace devient (), non plus une fois, mais deux fois, deux pieds.

    La distinction ( n'est pas synonyme de ) risque certes de passer inaperue, voire de faire l'objet d'une correction . Ainsi en est-il dans le texte du Mnon comment ci-dessus (82 c 8-D 2) ; il suffit de consulter l'dition de Bekker pour s'aviser des errements des copistes et des diteurs (changement de en , et de en )59.

    Ainsi en est-il galement aux trois endroits cits du Parmnide (137 c 4, 143 1, 158 8) ; dans chacune de ces trois phrases, l'adjonction d'une particule comparative ( la place de ) se lit dans tel manuscrit ou dans tel autre60. Mais ne soyons pas dupes. L'erreur n'en est pas moins une, qu'elle soit le fait d'un copiste de la fin du Moyen ge ou de la Renaissance et se trouve, par consquent, dans les manuscrits, ou qu'elle soit issue de la mprise d'un auteur contemporain, tel Scolnicov.

    Ngligeant cette distinction, tenant donc pour quivalent de , Scolnicov, dans son commentaire du Parmnide (137 c 4-5), croit pouvoir dplacer l'expression pour la faire porter, non pas sur l'ensemble de l'apodose, mais sur un terme isol (137 c 4 : ), lequel d'ailleurs ne la suit pas directe-

    59 I. Bekker, Platonis [...] scripta graece omnia, vol. IV, Londini, 1826, ad loc. (p. 36-37).

    60 Voir les variantes dj signales : la place de se lit en 137 c 4, Bekker (a manu recentiori) et R (voir n. 49 supra) ; en 143 1, Bekker (voir n. 56 supra) ; enfin, en 158 8, Bekker (a manu recentiori, voir n. 58 supra).

  • 2007] L'HYPOTHSE DE PARMNIDE 439

    ment, mais en est spar par trois lments distincts (une ngation : , une particule modale : , et un verbe : '). Cette syntaxe n'est pas possible61.

    XVI

    La syntaxe adopte ( serait l' quivalent de ) est d'autant moins crdible qu'elle est assimile, dans le commentaire de Scolnicov, d'autres emplois de qui ne sont ni interrogatifs ni elliptiques62.

    Ainsi en est-il d'un texte o nous lisons, en 163 c 2-3 : , - 63 ; Lorsque nous prononons "n'est pas", ne faut-il pas avouer (cf. ...) que cette expression ne signifie rien d'autre, si ce n'est une absence d'existence pour l'objet, quel qu'il soit, que nous affirmons ne pas tre ? .

    61 Faisant appel, dans ce contexte, au Mnon, Scolnicov s'est peut-tre laiss induire en erreur par Bluck (Plato's Meno , ad loc. [p. 295]) qui, commentant le passage cit (82 c 8), s'est content de prsenter comme une version abrge de , sans distinction de sens. Bluck (p. 296) renvoie Dodds qui, lui non plus, ne semble pas distinguer clairement ces deux locutions. (1) Aussi Dodds met-il en cause la prsence d'une particule comparative (Plato Gorgias , p. 311 : could well have been added here as a gloss ) dans un passage, Gorgias, 496 D 5-6, qui correspond exactement au critre formul par Riddell. Nous lisons : ; L'interrogation porte exclusivement sur le mot qui suit la particule : Boire quand on a soif, tu dis, n'est-ce pas, que c'est agrable ? (2) En 481 c 3-4, si nous suivons l'dition de Burnet, Platonis opera, tomus III, dans la collection Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis (Clarendon Press), Oxonii, lre dition 1903, [2e dition] 1909, nous lisons: ... - ' [...] ; Allant rencontre de la leon rapporte par la majorit des manuscrits et retenue par Burnet, Dodds cherche corriger en (Plato Gorgias , p. 261 : the of BTW is perhaps an interpolation ). Mais la correction est-elle ncessaire ? Callicls oppose, implicitement, la vie de la plupart des hommes celle de Socrate. Entendons peut-tre : ... pour nous autres, n'est-ce pas, pour le commun des mortels [cf. (...) ], la vie serait mise sens dessus dessous ? (3) Pour appuyer sa correction de ces deux textes, Dodds fait appel des passages, 470 1 et 495 c 6, o , en tte de phrase, confre une tonalit interrogative l'ensemble de la proposition qui suit. Se croyant en droit de comparer ces deux groupes de textes (481 c 3-4 et 496 D 5-6 : , 470 1 et 495 c 6 : ), Dodds n'est videmment pas au courant de la distinction tablie par Riddell.

    62 Pour appuyer, ou pour illustrer, son interprtation de en 137 c 4, Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 80, cite cinq occurrences de , tires d'autres passages du dialogue : 129 a 1-2, 130 d 1-2, 151 7-8, 163 c 2-3 et d 1-3. Ces cinq textes seront examins ci-aprs.

    63 J'ajoute des guillemets, absents des ditions de Burnet et de Moreschini, pour faire ressortir le sens que doit avoir l'article dans ce contexte. Voir Liddell-Scott- Jones, s.v. , , , , 5 (p. 1195).

  • 440 DENIS O'BRIEN [REG, 120

    La particule confre cette phrase sa forme interrogative64. Le rle de est celui d'un complment d'objet direct du verbe. Cet emploi de [...] n'est donc en rien comparable l'emploi de en 137 c 4, interrogatif et elliptique. La phrase cite (163 c 2-3) ne comporte aucune ellipse, et ne doit pas sa tonalit interrogative la prsence, en dbut de phrase, d'un 65.

    Il en va de mme quand le jeune Socrate demande Zenon, en 127 8-10 : , ; Ici encore, la particule , mise en tte de la phrase, confre l'ensemble la forme d'une interrogation, indpendamment de la prsence de , qui porte exclusivement sur la proposition infinitive (...). Traduisons : Est-ce que le but de tes arguments est ceci et rien d'autre : tablir de haute lutte, contre-courant de tout ce qui est dit ce propos, qu'il n'y a pas une pluralit d'objets66 ? .

    64 Pour la conjonction de et de , voir Denniston, Greek particles, p. 47-48 (s. . , II [5] : ) : It does not necessarily imply the expectation of a negative reply, but merely that the suggestion made is difficult of acceptance [. . .]. It expresses, in fact, an antinomy, a dilemma, an impasse of thought, or, at the least, a certain hesitancy . Denniston cite (p. 48), mais ne traduit pas, notre phrase (162 c 2-3). Si j'cris ne faut-il pas avouer ... , ce n'est que pour suggrer, de faon certes arbitraire, la nuance dgage par l'analyse de Denniston. L'objet, quel qu'il soit ... est cens traduire la prsence d'un subjonctif accompagn d'une particule modale ( [attraction du relatif] ). Voir W. W. Goodwin, Syntax of the moods and tenses of the Greek verb, rewritten and enlarged , London, 1897, p. 204-205 ( 532) : the relative clause refers in a general way to any act or acts of a given class .

    65 Voir Kuhner-Gerth, Ausfuhrliche Grammatik, Teil II, 2, p. 530 ( 589.11, Anm. 6) : Doch ist in der Frage keineswegs i m m e r [les lettres espaces sont de l'auteur] blosse Fragpartikel. Wo es in seiner vollen wrtlichen Bedeutung erscheint, wird die Frage gewhnlich durch ein anderes Fragwort eingeleitet, und bildet das Subjekt oder Objekt . Ainsi en est-il de la phrase commente ci-dessus (162 c 2-3), ainsi que de la phrase qui sera cite ci-aprs (127 8-10).

    66 Burnet et Moreschini impriment, 127 10 : . J'entends dans ce passage (127 6-128 A 3) trois emplois successifs d'une valeur existentielle du verbe, 127 7-8 : ', 127 10 (phrase cite ci-dessus) : , enfin, 127 12-128 1 : . J'cris par consquent (orthotonique, 127 10), et je traduis (127 10 : ) par il n'y a pas une pluralit d'objets . Si je traduis le pluriel () ad sensum ( une pluralit d'objets ), ce n'est que pour la commodit du franais. Je traduirai plus tard, de faon plus littrale mais aussi plus ose, par plusieurs () et par les plusieurs ( ). Voir n. 93 infra.

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    XVII

    D'autres phrases cites par Scolnicov ne sont pas commandes par une particule interrogative. Nous lisons, en 151 7-8 : [...]; Le fait d'tre est-il rien d'autre qu'une participation l'tre un moment du prsent [...]?. Nous lisons galement, en 163 D 1-3 : , ' 67 ? Venir l'tre et prir ne seraient-ils rien d'autre, si ce n'est participer de l'tre (se. quand on vient l'tre), faire prir l'tre (se. quand on prit)68 ? .

    Ces deux phrases ne comportent aucune ellipse. Les deux expressions [...] (151 7-8) et [...] (163 D 2) font partie du prdicat (au sens large de ce terme). Intgres de la sorte dans le corps de la phrase, elles n'ont pas la mme fonction que les trois occurrences de dj commentes (cf. 137 c 4-5, 143 1-3, 158 8-9), qui ne sont pas intgres dans la syntaxe de la proposition qui suit ( , 137 c 4, n'est pas inclus dans la syntaxe de la proposition , cet un ne serait pas plusieurs ).

    Autre encore est la syntaxe des deux formules cites par Scolnicov comme prludant (137 c 4), savoir 129 A 1-2 : [se. ], une autre forme, contraire (littralement : une forme qui est autre, savoir contraire ), et 130 d 1-2: [...] , ... une forme,

    67 Je transcris le texte tel qu'il est rapport dans les manuscrits, 163 D 2 : . Burnet et Moreschini, faisant foi Heindorf, remplacent le subjonctif par un indicatif : . Si je ne les suis pas, c'est parce que l'argument propos par Heindorf est peu contraignant : ... Ita correxi vulgatum fj, quoniam h[oc] l[oco] inter- rogandi vim habet, non dubitandi . Voir L. F. Heindorf, Platonis dialogi selecti, vol. III, Platonis dialogi trs, Cratylus , Parmenides , Euthydetnus , emendavit et anno- tatione instruxit L. F. H., Berolini, 1806, ad loc. (p. 290). La leon des manuscrits () est en ralit parfaitement lgitime. Voir Goodwin, Syntax of the moods and tenses of the Greek verb, p. 93 ( 268, citant notre texte) : In a few cases Plato has with the subjunctive in a cautious question with a negative answer implied . Le subjonctif se retrouve notamment dans un texte du Phdon, 64 c 8 (cit dans la notice de Goodwin ainsi que par Denniston, Greek particles, p. 48) : ; Se peut-il que la mort soit autre chose que ce que nous venons de dire (se. une sparation de l'me d'avec le corps) ? L'hiatus du Parmnide (163 d 2 : suivi de ) est certes tellement flagrant que l'on peut hsiter tolrer sa prsence ; mais la prtendue anomalie syntaxique n'en est pas une.

    68 J'ajoute (entre parenthses) les deux subordonnes quand on vient l'tre et quand on prit pour faire ressortir le balancement indiqu dans le grec par les particules et .

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    autre par rapport aux objets que nous touchons de nos mains . est ici un adjectif attribut, sans ellipse et sans aucune force interrogative69.

    J'en conclus que la kyrielle de textes rassembls par Scolnicov pour illustrer (137 c 4, elliptique et interrogatif) est un simple amalgame : s'y ctoient divers emplois de , assortis ou non d'un pronom indfini (), suivis ou non d'une particule comparative (), prcds ou non d'une particule interrogative.

    C'est pour ne pas avoir reconnu ces multiples diffrences que Scolnicov s'estime en droit d'affirmer, cet endroit de son commentaire : Plato adopted, as he often does, a usual idiom to serve his ideological needs10 . Comme tous les vux pieux, celui-ci ne sert qu' fortifier l'esprit de celui qui le prononce.

    XVIII

    L'erreur de syntaxe, aussi insignifiante qu'elle puisse paratre, est en ralit grosse de consquences. Croyant pouvoir traduire [...] par autre que plusieurs (Would not the one be something other than [ ] the many ? ), Scolnicov croit percevoir, dans la question de Parmnide, une dfinition de ce que c'est que d'tre un ( a definition of what it is to be one ), accompagne, qui plus est, ne serait-ce que de faon implicite , d'un postulat parallle propos de ce que c'est que d'tre ( implicitly, with a parallel assumption about what it is to be )71.

    69 En 130 d 1-2 le texte cit ci-dessus est celui propos par Moreschini (p. 32). Si l'on retient ce texte et que l'on prte au verbe un complment d'objet l'accusatif (seule construction possible si l'on en croit Liddell-Scott-Jones, s.v. [p. 1118]), le relatif se met au mme cas que l'antcdent sous-entendu (donc la place de ). Voir Kiihner-Gerth, Ausfihrliche Grammatik, Teil II, 2, p. 407-408 ( 555.2), et Gorgias, 519 A 8-b 1 : [Le. ] , lorsque les Athniens auront perdu galement leurs biens d'autrefois, en plus de ceux qu'ils acquirent par la suite . - Pour parvenir au texte cit ci-dessus, Moreschini supprime les deux mots qui, dans les manuscrits, prcdent le relatif ( ). Dis et Cornford rcuprent le premier de ces deux mots (sous la forme ), qu'ils font suivre par une modification du relatif (cf. 130 D 1-2): [...] ' , ... une forme, autre encore par rapport aux objets tels que nous les touchons de nos mains . Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 54, dclare retenir, lui aussi, l'article. Mais comment alors retenir galement le pronom indfini ajout au texte des manuscrits par les soins de Burnet (ibid.: [...] ) ?

    70 Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 80 (ad 137 c 4-5). 71 Les citations sont tires du commentaire de Scolnicov, Plato's Parmenides ,

    p. 80.

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    La tonalit et la porte de la question (137 c 4-5) sont en ralit d'un registre tout fait diffrent. Parmnide fait commencer la mise en uvre de son hypothse , non point par une dfinition formelle de l'un, encore moins par une dfinition implicite de l'tre, mais de faon bien plus simple, voire faussement ingnue, en sollicitant l'assentiment du jeune Aristote une proposition dont la vrit, cette tape dans le droulement du dialogue, est prsente comme allant de soi, comme une banalit presque. Ainsi s'explique la forme de sa question : ... n'est-il pas vident que cet un ne serait pas plusieurs ? Ainsi s'explique aussi la rponse, sous forme d'cho, de son interlocuteur, 137 c 5 : ; Comment le serait-il ? , c'est--dire : [se. ' ] ; Comment l'un serait-il plusieurs ? .

    Puisque Scolnicov n'a pas compris la question, il n'est pas tonnant qu'il n'ait pas compris non plus la rponse. Il traduit en effet, 137 c 5 : ; par : How so ? , ngligeant la prsence de la particule modale (), faussant de la sorte, de nouveau, la tonalit de l'ensemble72. Le jeune Aristote ne demande pas qu'on lui explique comment l'un se dfinit en vertu de son altrit par rapport plusieurs . Il ne s'attend pas ce qu'on lui propose une dmonstration de la proposition formule73. C'est bien plutt le contraire : si le jeune Aristote rpond une question par une autre et si, par sa rptition de la particule modale, il s'exprime sur un mode irrel , c'est parce que les propos de Parmnide, en ce premier moment de sa dmonstration, lui semblent incontestables.

    Le jeune Aristote ne peut pas imaginer comment il se pourrait que l'un soit plusieurs . La forme interrogative et irrelle de sa rponse (137 c 5 : ; Comment le serait-il ? , c'est--dire Comment l'un serait-il plusieurs ? ), loin d'exiger un complment d'information ou de solliciter l'explication d'une dfinition , exprime plutt une certaine incrdulit, tant la possibilit que l'un soit plusieurs lui semble... impossible74.

    72 Scolnicov, Plato's Parmenides , p. 80. 73 Commentant ce texte (137 c 4 sqq.), Scolnicov crit : This Basic Theorem is

    set out in the full canonical form established by Parmenides (fr. 8.5-21) : first the enunciation (later to be called by Hellenistic mathematicians), followed by Aristo- teles' request for a demonstration () . . . Voir Plato's Parmenides , p. 80.

    74 Pour cet emploi de l'optatif (ici sous-entendu, 137 c 5 : [se. ' ] ;), voir Goodwin, Syntax of the moods and tenses of the Greek verb, p. 78-79 ( 235-236) : In most cases the limiting condition involved in the potential optative is not present to the mind in any definite form. [. . .] Sometimes a more general condition is implied, like in any possible case (les italiques de l'auteur sont transposs en caractres romains). La nuance de notre texte est proche de celle que l'on entend dans Platon, Euthydme, 290 a 7 (cit dans ce contexte par Goodwin). Quand

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    XIX

    Mme si nous faisons abstraction de la prsence de la particule modale, la traduction par How so ? ne rend pas la nuance du grec. Scolnicov ne distingue pas en effet ; (137 c 5, cit ci-dessus) et ; (par exemple, 138 a 3), puisqu'il traduit les deux formules par une mme expression, How so ? 75.

    Ces deux questions ne sont pas du tout synonymes. Les deux particules ( et ) confrent l'adverbe interrogatif () un sens radicalement diffrent. L'adjonction de la particule renforce l'interrogatif, soulignant ainsi la ncessit d'une rponse. La conjonction de et de diminue, au c