« LA VRAIE QUALITÉ DE VIE » Monsieur … · Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4...

22
Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016 « LA VRAIE QUALITÉ DE VIE » Monsieur CONSTANTINIDES Bonjour à tous d'abord un grand merci aux organisateurs qui m'ont invité à cette journée je suis très très content d'être là. Donc effectivement, on l'a déjà dit la notion de qualité de vie est « un mot valise », une notion assez mal définie : je ne dirai pas qu'elle n'est pas définie, que personne ne l'a définie, mais qu'elle est définie un peu par tout le monde, un peu de manière assez chaotique. Me Boutin disait à l'instant qu'il y a une définition un peu repère de l'OMS, en 93 je crois, qui fait 10 lignes, qui essaie de tout tenir et c'est donc une définition qui n'est pas très pratique. Mais on va essayer de voir aujourd'hui un petit peu l'histoire, l'origine de la notion, de la comprendre en contexte aussi, de manière, je l'espère, pas ex cathédra totalement mais de manière un peu participative justement. On peut commencer par une interrogation : je pose la question, parce que l'intervention s'appelle la vraie qualité de vie, cette question ce concept est-il opératoire ? je pose la question parce que mon intervention s'appelle la vraie qualité de vie, je ne vous dirai pas ce que c'est ... C'est toujours ça, les philosophes, ils annoncent un titre mais en fait il n'y a pas de réponse, il y a une question à la fin comme vous le verrez... Si on s'interroge sur la vraie qualité de vie, voyons d'abord si ce concept de qualité de vie qui, à défaut d'être bien bien défini, est en tout cas très très utilisé aujourd'hui un peu partout, et absolument partout dans le soin notamment, dans le domaine de la santé. C'est là où la notion s'est le plus développé en fait, en dehors du sens commun bien sûr. Il il y aussi un lien au handicap : à la base, il faut savoir ça, la qualité de vie, on a commencé à s'interroger là-dessus à partir de la survenue d'un handicap : quelle qualité de vie après le handicap ? C'est une notion un peu résiduelle, c'est quelle qualité de vie « après ». C'est la différence avec la qualité de vie très commune où on parle de la qualité de vie à Annecy par rapport à Paris par ex, où là c'est plutôt une notion socio-économique, une notion beaucoup plus vague finalement ... dans la santé, c'est par rapport à « l'avant-l'après », le décalage entre ce qu'on était avant et ce qu'on est après, quelle

Transcript of « LA VRAIE QUALITÉ DE VIE » Monsieur … · Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4...

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

« LA VRAIE QUALITÉ DE VIE » Monsieur CONSTANTINIDES

Bonjour à tous d'abord un grand merci aux organisateurs qui m'ont invité à cette journée je suis très très content d'être là. Donc effectivement, on l'a déjà dit la notion de qualité de vie est « un mot valise », une notion assez mal définie : je ne dirai pas qu'elle n'est pas définie, que personne ne l'a définie, mais qu'elle est définie un peu par tout le monde, un peu de manière assez chaotique. Me Boutin disait à l'instant qu'il y a une définition un peu repère de l'OMS, en 93 je crois, qui fait 10 lignes, qui essaie de tout tenir et c'est donc une définition qui n'est pas très pratique. Mais on va essayer de voir aujourd'hui un petit peu l'histoire, l'origine de la notion, de la comprendre en contexte aussi, de manière, je l'espère, pas ex cathédra totalement mais de manière un peu participative justement.

On peut commencer par une interrogation : je pose la question, parce que l'intervention s'appelle la vraie qualité de vie, cette question ce concept est-il opératoire ? je pose la question parce que mon intervention s'appelle la vraie qualité de vie, je ne vous dirai pas ce que c'est ... C'est toujours ça, les philosophes, ils annoncent un titre mais en fait il n'y a pas de réponse, il y a une question à la fin comme vous le verrez... Si on s'interroge sur la vraie qualité de vie, voyons d'abord si ce concept de qualité de vie qui, à défaut d'être bien bien défini, est en tout cas très très utilisé aujourd'hui un peu partout, et absolument partout dans le soin notamment, dans le domaine de la santé. C'est là où la notion s'est le plus développé en fait, en dehors du sens commun bien sûr. Il il y aussi un lien au handicap : à la base, il faut savoir ça, la qualité de vie, on a commencé à s'interroger là-dessus à partir de la survenue d'un handicap : quelle qualité de vie après le handicap ? C'est une notion un peu résiduelle, c'est quelle qualité de vie « après ». C'est la différence avec la qualité de vie très commune où on parle de la qualité de vie à Annecy par rapport à Paris par ex, où là c'est plutôt une notion socio-économique, une notion beaucoup plus vague finalement ... dans la santé, c'est par rapport à « l'avant-l'après », le décalage entre ce qu'on était avant et ce qu'on est après, quelle

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

qualité de vie après et là vous avez des interrogations très intéressantes. Par ex, après un cancer, les gens diront que leur qualité de vie est meilleure mais quand même moindre qu'avant la maladie. Vous voyez, c'est une notion très relative en plus, parce qu'on dira: j'ai quand même une qualité de vie satisfaisante mais évidemment ce n'est pas la même qu'avant... donc on est dans quelque chose de très très difficile à cerner mais qu'on a essayé quand même de très bien cerner ce qui est toute la source du problème comme on va le voir.

J'ai fait un parallèle, pour que ce soit clair pour tout le monde, avec la bientraitance : un autre concept récent. La qualité de vie remonte aux années 70 à peu près, elle a été vraiment développée dans les années 90, j'y reviendrai dans un instant. La notion de bientraitance est récente aussi, elle a une quinzaine d'années, elle a été développée par réaction là aussi à la maltraitance ordinaire dans les pouponnières au départ, puis chez les personnes âgées. Donc la question pour nous, c'est de donner un peu du contenu, donner un peu chair à ces notions qui sont très très abstraites finalement comme pour la démarche qualité pour ceux qui sont familiers avec ces questions très administratives...Comme dans la démarche qualité, il y a en fait très très peu de qualité là-dedans, il y a surtout de la gestion, de l'administration... donc il y a un terme un peu trompeur dans qualité de vie, démarche qualité etc ... c'est cet aspect prétendument qualitatif en fait conçu d'emblée comme quantitatif comme on va le voir. Si on envisage donc la bientraitance, même si là encore c'est difficile de la définir, certains s'y essaient quand même avec un succès relatif, il y a des définitions un peu longues encore, bon, en revanche, chacun sait ce que c'est que d'être bien traité, voyez et chacun a une idée confuse, diffuse, plus ou moins claire, de ce qu'est une qualité de vie, qualité de vie bien sûr liée au fait d'être ou pas bien traité ... donc je voulais vous proposer déjà, comme on va beaucoup parler de la pyramide de Maslow semble-t-il aujourd'hui, je voulais affiner un petit peu l'avant-dernier étage : besoin d'estime de la pyramide de Maslow... on a parlé aussi besoin de reconnaissance bien sûr, c'est clair, mais est-ce qu'on ne peut pas parler encore plus directement du besoin d'être bien traité.

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

Comme le dit en effet une psychologue clinicienne qui a participé à ce recueil auquel j'ai participé aussi « Bientraitance et qualité de vie » issu du rapport d'un travail interministériel sur la bientraitance, 2009-2011, si on part vraiment du fondement, de la source, de la base, qu'est ce qu'on peut remarquer? qu'est ce qu'on peut considérer comme point commun à tout être humain : c'est la volonté d'être bien traité. On peut parler ensuite de besoin d'estime, c'est un développement de ce besoin d'être bien traité, c'est à dire que si je réclame de l'estime des autres, il faut d'abord que j'ai de l'estime de moi même n'est-ce-pas, mais si je réclame de la reconnaissance ou de l'estime, c'est que je veux être bien traité fondamentalement... après, que je veux peut être un meilleur salaire... vous avez vu certainement que le décalage de salaire entre les hommes et les femmes ne sera réglé qu'en 2058 paraît-il, c'est pas pour tout de suite ... donc il y a une volonté d'être bien traité qui est la base, la source ou le trait commun dans l'humanité pour le besoin d'estime et de reconnaissance. Alors je vous ai mis le nom d'un auteur allemand qui a parlé beaucoup de désir de reconnaissance : je vous recommande un livre d'Axel Honneth, c'est difficile, mais il a écrit un livre plus grand public « la société du mépris » je pense que c'est quelque chose qui touchera tout le monde ici pour montrer que la société actuelle, notamment à cause du développement technologique assez dément qui la caractérise, est une société du mépris c'est à dire de l'absence de reconnaissance, pas seulement pour les personnes handicapées ou autres ou malades mais pour tout le monde. C'est à dire que ce qui est en crise aujourd'hui c'est ce besoin spirituel d’estime. Donc évidemment, comme dit Axel Honneth, on va confondre ce besoin avec la revendication d'être mieux payé, bon, certains le seront d'autres non, peu importe, mais évidemment ce n'est pas réellement de l'argent qu'on demande même si, bien sûr c'est toujours mieux d'être bien payé etc ... mais ce qu'on veut en demandant de l'argent c'est encore de la reconnaissance de son travail, de sa valeur propre etc... L'idée ici c'est qu'on veut simplement que notre valeur soit reconnue en tant qu'être humain. Donc on peut en arriver après ce préambule à la notion de qualité de vie proprement dite. Je vous

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

l'ai dit, elle s'est développée tout récemment mais quelle est l'origine ou la préhistoire philosophique de la notion ? C'est là qu'on a vu dans le dessin de tout à l'heure, le smiley du bonheur, qu'il y a un lien effectivement fort avec de très vieilles problématiques philosophiques, problématique universelle, c'est à dire : que représente une bonne vie, le fait de bien vivre, parce qu'on ne se contente pas de vivre n'est ce pas c'est à dire de survivre, de respirer, d'être juste là ... mais chacun aspire, parce qu'il veut être bien traité, à une bonne vie. Cette notion de bien vivre, elle remonte à Aristote. Quelquefois, c'est rare, mais quelquefois ceux qui écrivent sur la qualité de vie rappellent ça, mais un peu rapidement sans réellement connaître Aristote peut-être mais ils rappellent quand même cette source lointaine de la notion. Que voulait dire Aristote avec cette notion d'eu zên, le bien vivre, qu'il développe pour la politique notamment. Aristote nous explique, on en est un peu loin aujourd'hui, que la politique c'est l'endroit de la bonne vie, que la vie politikè, la vie dans la polis, dans la cité, c'est la belle vie, le bonne vie par rapport à la vie d'un individu isolé. Alors, cherchez l'erreur ! Aujourd'hui on est isolé dans la cité, c'est la fameuse foule solitaire dont parlait Riesman déjà, cette sensation qu'on a aujourd'hui en plein milieu de la foule... qui est effrayant, avec l'isolation sensorielle en plus que produisent en plus les gadgets technologiques, le fait de vouloir s'isoler du reste du monde... donc on est aujourd'hui aux antipodes de cette idée d’Aristote que vivre seul c'est le fait d'une bête ou d'un dieu, dit Aristote, le fait de vivre en communauté organisée c'est la bonne vie, c'est le fait de bien vivre. Alors aujourd'hui la bonne vie ou le bien vivre est devenu le « vivre ensemble » slogan qu'on connaît tristement irréalisable... donc vous avez cette idée d'une bonne vie, c'est à dire d'une vie accomplie, d'une vie heureuse, alors attention : je vous ai mis le terme eudemonia/eudémonisme d’Aristote, traduit souvent par bonheur mais en fait il faudrait traduire par accomplissement de soi, c'est le 5° étage de Maslow (on peut faire ce raccourci un peu rapide mais pas faux) donc le besoin d'accomplissement de soi c'est le synonyme de la bonne vie : s'accomplir soi-même... Aristote n'est pas du tout Platon, il n'idéalise pas la bonne vie, ce n'est pas une vie parfaite, ce n'est pas une vie de sage etc... C'est la meilleure vie possible : c'est un deuxième point intéressant pour nous, aujourd'hui on dirait c'est la meilleure qualité de vie possible, possible sur terre, possible aujourd'hui, possible dans les conditions du présent etc ... donc l'eudémonie, voyez, c'est cette idée d'un bonheur qui est en fait un accomplissement et je pense que là nous avons une définition précise de ce que serait la qualité de vie. Si on y pense, la qualité de vie c'est lorsqu'on a besoin de rien d'autre. La vraie qualité de vie, on a besoin de rien, on est accompli, on est heureux avec ce qu'on a... Comme disait Sénèque par la suite, le bonheur c'est se contenter de ce qu'on a. Or l'être humain, dans la pléonexie, veut toujours plus, il veut toujours avoir ce qu'il n'a pas par définition... C'est comme au restaurant, selon la fameuse blague : on souhaite ce que l'autre a, parfois sa femme aussi ... donc on est dans une sorte de projection, au lieu de réellement se contenter de ce qu'on a ; donc il y aussi un travail, vous voyez, de déprise, de dépossession... c'est très important pour ce qui va suivre tout à l'heure : on va accepter de ne pas avoir ce qu'on ne peut pas avoir... vous voyez la qualité de vie, au sens réaliste du terme, c'est de se dire : j'abandonne l'idéal, la qualité de vie parfaite, celle que nous fait miroiter la publicité par ex, pour me satisfaire ou pour accepter la meilleure qualité de vie possible : voilà la démarche d’Aristote.

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

Ce bien vivre c'est évidemment une dimension fondamentale chez les grecs : la bonne vie était évidemment très réputée. Vous avez des auteurs comme Plutarque , Jean-Jacques Rousseau parlait de sa lecture de Plutarque, les vies des hommes illustres, les vies parallèles ... à l'époque, on faisait les vies des hommes célèbres... c'étaient les grand politiques... les grands sages etc ... aujourd'hui c'est plutôt Kim Gardaschian et Justin Biber bref... donc, il y a une petite pente dans cette affaire ... ce qui m'amène au dernier point philosophique pour ne pas être trop pontifiant : distinction très intéressante que propose Agamben, un philosophe italien, cette distinction a été critiquée parce que, semble t-il, elle n'a pas de base lexicographique importante, il y a des contre exemples en grec là-dessus mais bon, il distingue entre ce qu'il appelle la vie nue c'est à dire la vie purement animale, la vie sans le moindre accompagnement, je dirais justement la vie qui n'est pas relationnelle, et l'existence proprement humaine, bios, qui correspond à une vie organisée. Toute la question est de passer de la vie nue à la vie organisée... attention au contre-sens : ici ce que veut dire Agamben c'est que nous sommes dans une période de vie nue, c'est à dire qu'aujourd'hui la vie, la vie de tout le monde, a été séparée de l'essentiel, on a coupé les relations, enfin on les coupe systématiquement, vous en êtes peut-être aussi conscients, et puis on réduit quelqu'un à sa propre sphère personnelle, indépendamment du contour, du contexte qui peut être le sien, donc l'idée c'est de revenir à une vision un peu politique au sens étymologique : la vie dans la cité, une vie politique de la personne c'est à dire une vie où il sera intégré, où chaque personne sera intégrée dans le réseau social et politique, donc dans la vie de la cité ... et effectivement le combat pour le polyhandicap est justement dans cette intégration sociétale adaptée, donc comment passer d'une vie qui est pour le

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

coup médicalement aussi difficilement relationnelle à une vie plus intégrée ? Donc cette notion de qualité de vie, dernière remarque avant de rentrer dans le détail, c'est une notion qu'on limite à l'humanité bien sûr parce qu'il n'y a pas de sens vous savez à parler de qualité de vie pour les plantes et les animaux... on ne l'a pas encore fait ça, ça va peut être venir... on va peut-être avoir comme il y a une discussion aujourd'hui sur les personnes animales, sur la dignité animale, vous savez sans doute qu'il y a des auteurs anglo-saxons qui comparent justement les animaux en bonne santé aux personnes handicapées, en disant que les uns sont utiles et les autres non et qui parlent de non personne pour les personnes déficientes cognitives qui ne sont pas douées de raison... et donc, au contraire, qui parlent d'animaux de manière très flatteuse... donc le fait de parler de dignité animale ou de personne animale est trompeur parce que personne ne mesure encore la qualité de vie d'un animal, ça n'a pas de sens, c'est forcément quelque chose qu'on limite à l'humanité.

alors on peut entrer dans le détail tout de suite : est-ce qu'on peut mesurer la qualité de vie ? Voilà la première question que je vais vous poser, est-ce qu'il y a un sens à mesurer la qualité de vie ?

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

Partons d'un exemple que chacun connaît : la fable de Lafontaine, le bûcheron et la mort. C'est ce bûcheron qui est las de sa tâche, qui porte le bois tous les jours, qui n'en peut plus (qui est comme un éducateur qui veut juste craquer qui n'en peut plus) et donc il appelle la mort pour qu'elle l'emporte pour soulager sa douleur, pour en finir une fois pour toute etc ... Une fois la mort venue, il se ravise et lui dit « aide moi à porter mon fardeau » donc finalement, comme je vous le dis ici en forme de boutade : il juge que sa qualité de vie est satisfaisante après tout. Voilà ce qui est assez frappant, c'est à dire que pour nous certains individus ont une qualité de vie, voyez projection, qui est très insatisfaisante, très très négative, et pourtant pour eux elle n'est pas forcément si négative que ça. Le deuxième exemple frappant, c'est le locked-in syndrom : vous connaissez peut-être cette célèbre enquête où on demandait, parce qu'ils peuvent encore communiquer, aux gens qui sont prisonniers de leur corps s'ils ont une qualité de vie satisfaisante. On s'attendait, en lançant l'enquête, à avoir des résultats catastrophiques; en fait, à la grande surprise des gens qui ont mené l'enquête, globalement, majoritairement, les personnes souffrant d' un locked-in syndrom ont déclaré que leur qualité de vie était satisfaisante... pas très satisfaisante bien sûr, mais satisfaisante... ce qui ne peut qu'interpeller quelqu'un qui trouve ça horrible d'être prisonnier de son corps, de ne plus pouvoir vraiment communiquer ou très difficilement ... donc méfions-nous toujours des

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

projections, du fait de penser mieux que les autres ce qu'est leur qualité de vie, c'est la première remarque essentielle. La deuxième remarque : est-ce qu'on peut, soi-même, mesurer sa qualité de vie ? Autre image qu'on trouve partout :on vous dira toujours que c'est la personne qui est la mieux à même de mesurer sa qualité de vie, savoir si sa qualité de vie est suffisante ou pas... bon évidemment, elle est la mieux placée pour le faire, mais si on prend une personne normale, ou valide on va dire, est ce qu'elle peut réellement qualifier sa qualité de vie ? Alors vous connaissez peut être aussi cette enquête un peu amusante sur le moral des nations ? On l'a fait dans beaucoup de pays du monde, pas tous, mais une grande partie de pays, les français arrivent, dans le moral, avant-derniers ou dans les trois dernières places, donc évidemment, ils ont un très mauvais moral et les irakiens et d'autres pays en guerre arrivent en tête de liste, de manière très étonnante là encore, c'est à dire ils disent j'ai le moral tout va bien, Mossoul c'est une belle étape etc ... donc vous avez quelque chose d'assez étonnant, voire paradoxal : des gens qui ont tout pour être heureux, comme on dit, ne le sont pas forcément et d'autres, à qui il manque des moyens indispensables à la vie quotidienne, se déclarent pas si malheureux que ça ... voyez c'est difficile de trouver quelque chose d'objectif dans cette mesure de qualité de vie, par définition, c'est ce que je vais essayer de montrer ici. Un autre aspect moins connu, c'est ce qu'a montré le psychologue américain d'origine israélienne Dan Ariely. Je vous recommande ses vidéos sur internet, elles font 20 mn, elles sont très très intéressantes c'est quelqu'un qui s'intéresse à l'économie du comportement et Dan Ariely a montré que l'erreur fondamentale aujourd’hui c'est de penser que les agents économiques, c'est à dire chacun de nous est rationnel dans ses choix ; or, en étudiant précisément les choix de chacun, Dan Ariely montre que nos choix sont totalement irrationnels, personne ne fait des choix en fonction de son réel intérêt... Par ex, on se fait avoir pendant les soldes... juste un exemple rapidement, Dan Ariely nous dit : on connaît tous cette ruse publicitaire ; vous êtes partis pour acheter un polo à 20 euros, c'est votre budget, vous arrivez, vous avez une promotion 3 pour 40 euros... ah très bien, je vais en avoir un gratuit... mais à l'arrivée, qu'est ce qu'il s'est réellement passé ? Vous avez dépensé le double de ce que vous aviez prévu au départ, donc vous vous êtes fait avoir, et le marchand a épuisé son stock, le stock qu'il avait en trop etc... il ne fait pas une promotion évidemment pour la beauté du geste, donc ce qu'on prend pour des décisions rationnelles, liées à sa qualité de vie par ex, ne le sont pas forcément... c'est à dire qu'on n'est pas forcément si bien placé pour savoir ce qui est bien pour nous : çà c'est le deuxième point fondamental. Personne ne sait absolument ce qui est bien pour lui sinon on ne ferait pas de mauvais mariages ... des choix de vie, de climat, de profession, qu'on regrette après ou pas, n'est ce pas ? C'est à dire que si on œuvrait toujours dans notre meilleur intérêt et bien on ferait les choses autrement, enfin de temps en temps, on se dit qu'on aurait pu les faire autrement... donc, vous voyez, ça c'est la limite ultime d'un point de vue philosophique, je pense à toute mesure quantitative de la qualité de vie, c'est que c'est très difficile de s'auto-évaluer, vous savez que la mode aujourd'hui, je pense que pour les éducateurs c'est le cas aussi, la grande mode aujourd'hui c'est de s’auto-évaluer, dans les hôpitaux, dans les entreprises etc... une fois par an en moyenne, de dire ce qui est bien chez nous, ce qui n'est pas bien... est-ce qu'on est vraiment le mieux placé pour le dire, est-ce qu'on est vraiment capable d'auto évaluation ? prenons encore l'exemple de Rousseau : vous savez que Rousseau a écrit des Confessions où il met son cœur à nu soi-disant, où il dit ce qu'il a fait de mal ... alors qu'à l'époque on se flattait un peu dans les autobiographies ou les mémoires. Et bien, comme l'a montré Paul Valéry, cette authenticité est une posture bien sûr, même le fait d'être totalement transparent, vous repensez peut-être ici à la démarche qualité, ce qu'on a appelé la dictature de la transparence, la traçabilité etc ... cette idée de transparence elle est toujours douteuse parce que qui peut être totalement transparent ? les fêlés peut être, comme disait Audiard, parce qu'ils laissent passer la lumière, n'est ce pas, qui peut être sinon totalement transparent à lui-même ? Heureusement qu'il y a une part d'opacité de la personne pour elle-même, heureusement qu'on n'est pas totalement transparent à nous-même, et toute à l'heure Mme Grimault disait qu'on ne peut pas entrer dans la tête de quelqu’un, de manière générale bien

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

sûr, mais notamment pour une personne polyhandicapée qu'est ce qu'elle pense à ce moment là ? qu'est ce qu'elle a dans la tête, n'est ce pas ? ... est-ce qu'elle le sait elle-même, bien sûr ? ... c'est des choses très très délicates bien sûr à déterminer ... voilà, c'étaient des précautions pour entrer très rapidement dans le vif du sujet

donc pour l'aspect un peu formel, parce que l'essentiel peut être a déjà été dit : cette notion est récente, on l'oublie un peu parce qu'elle est surdéveloppée aujourd'hui, on l'a dit : tarte à la crème, mot-valise qu'on trouve partout, c'est devenu un standard absolu du soin, la qualité de vie est mesurée pour absolument toutes les maladies possibles et imaginables... mais ça n'a pas toujours été le cas. La notion a démarré très très doucement dans les années 70, il n'y a pas eu grand chose jusque dans les années 90, la littérature le montre... vous savez, il y a des gens qui s'amusent à faire la recension avec les mots clés de ce qui porte sur la qualité de vie : donc 70 à 90, il n'y a pas grand chose.. il y a 500 publications par an, c'est négligeable et puis à partir des années 90 ça explose, là ça devient vraiment un thème incontournable, il y énormément de publications et il y a cette fameuse définition de l'OMS que je ne connais pas par cœur parce qu'elle fait 10 lignes, qui essaie de tenir la subjectivité, en tous cas ça partait d'un bon sentiment, soyons juste envers cette notion , ça partait des limites perçues de la médecine c'est à dire que la médecine technique n'arrive pas à tenir la subjectivité donc on va essayer de trouver un moyen pour calculer, mesurer la qualité de vie de l’individu lui-même qu'est ce qu'il ressent lui-même ?qu'est ce qu'il perçoit comme santé pour son propre cas ? et là vous avez un autre concept, peut-être qu'on en parlera ou pas aujourd'hui, qui est la santé perçue ou la santé perceptuelle ; c'est un concept intéressant mais problématique aussi : c'est à dire comment quelqu'un perçoit sa propre santé et vous savez qu'il y a, sans même parler des hypocondriaques, il y a un décalage important entre la santé réelle et la santé perçue. G.Canguilhem avait déjà montré ça : si on est malade, mais sans le savoir, et bien on n'est pas malade, tout simplement... Quelqu'un qui ne souffre pas, disons physiquement de sa maladie à venir, d'un cancer par ex qui se développe, tant qu'il ne se sent pas malade il ne l'est pas ; en revanche, quelqu'un qui

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

apprend qu'il est malade, on lui annonce qu'il a une maladie génétique ou quelque chose etc ... même s'il ne ressent pas la douleur encore et bien se vivra comme une personne malade, alors qu'en fait il va très bien, pour l'instant. Donc la santé perçue est tout à fait différente de la santé réelle ; c'est intéressant aussi pour voir toute la difficulté de cerner la qualité de vie ... donc, ce qu'on va faire assez rapidement : c'était parti d'une bonne intention, c'était parti du handicap notamment, c'était parti des maladies chroniques, la qualité de vie dans les années 70 très clairement il s'agissait de voir quelle qualité de vie pour les gens qui ont un diabète ou qui découvrent qu'ils ont un cancer, ou un handicap plus ou moins grave après une opération etc ..., et donc quelle qualité de vie pour eux après ... le problème, c'est que très rapidement c'est la mesure qui fait ça, la mesure objective, c'est qu'on s'est focalisé assez rapidement sur les facteurs extérieurs c'est à dire pour ce qui est du handicap l'accessibilité, l’aménagement de l'espace public etc... sans trop s'intéresser à l'intériorité parce qu'on peut difficilement donner une auto-évaluation à une personne handicapée... donc on va rapidement faire une mesure objective mais qui, du coup, exclut peut-être le ressenti qu'elle était sensée mesurer à la base... donc voilà pourquoi l'inversion (j'ai beaucoup aimé le texte, je félicite celui ou ceux qui l'ont écrit, le texte du colloque : il est très très bien fait) peut-être qu'il faudrait effectivement inverser la formule et parler d'une vie de qualité... voilà une suggestion qui serait intéressante même scientifiquement je pense, parce que la qualité de vie a fait son temps un peu, la qualité de vie telle qu'on la pratique même si c'est un outil important, nécessaire certainement, mais parler de vie de qualité permet plus d'insister sur l'aspect, on l'a vu, d'origine qui est cette véritable bonne vie, cette belle vie, ce fait de vivre en beauté. Vous avez une citation ici d'un auteur qui est ancienne mais qui réagissait déjà à une tendance qui s'affirmait dès les années 90, dès le début de la notion, vous voyez très très vite elle a glissé vers le quantitatif : je vous la traduis mais ça passe moins bien en français « il vaut mieux ajouter de la vie à vos années que plus d'années à votre vie » c'est à dire ne confondons pas qualité de vie et quantité de vie ou prolongation de la vie, j'y reviendrai tout à l'heure ... mais ce qu 'on ne dit pas clairement aux gens qui vont se faire opérer, c'est que leur qualité de vie ne sera pas qu'un peu amoindrie mais nettement amoindrie... beaucoup de gens après une opération aujourd'hui, je vois beaucoup ça dans les hôpitaux, disent : si j'avais su, je ne me serai pas fait opérer, c'est à dire on ne les a pas suffisamment informés de l'après, de la qualité de vie après l'opération... Donc il y a ici un choix qui a été rapidement fait vers le quantitatif, au dépens du qualitatif, ce qui est paradoxal puisqu'il s'agit de qualité de vie. Donc on a très rapidement fait glisser cette notion vers une appréciation quantitative de la vie, notamment en terme d'espérance de vie et si on pense au handicap, évidemment, là pour le coup, c'est un succès parce que ces personnes vivent beaucoup plus longtemps qu'avant, vous le savez, on a du coup des problématiques différentes, on a des personnes maintenant qui sont relativement âgées donc des nouvelles problématiques qu'on n'avait pas il y a 30 ans ... donc de ce point de vue, du point de vue de la quantité de vie, des soins qui permettent de prolonger la vie, tout va bien, ça c'est une réussite, mais après ce n'est pas tout à fait encore la vraie qualité de vie... voilà donc très rapidement

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

la confusion à mon avis, le souci fondamental de cette notion : c'est un malentendu qui apparaît d'emblée, qui a été souligné par les auteurs dès les années 90(pour ceux qui veulent aller un peu plus loin, il y a un article qu'on trouve en ligne de Béatrice Beaufils, qui est excellent, qui est de 97, qui mesure très bien les contradictions de cette notion ) donc le point de vue initial c'était de favoriser l'approche bio-sociale, l'approche bio- psycho-sociale c'est à dire de la globalité de la personne, donc l'intention était louable, tout allait bien, on voulait insister sur la subjectivité toujours oubliée par la médecine jusque là, ,mais évidemment on a une grande difficulté à mesurer des aspects subjectifs, pourtant on le fait. Je voulais vous donner d'autres exemples aujourd'hui : vous avez des indicateurs de bonheur, ça peut être étonnant, vous avez ce qu'on appelle le bonheur intérieur brut, ce qu'on appelle aujourd'hui le BIB par opposition au PIB. Il y avait déjà le sultan du Bhoutan, en 72, qui avait développé à partir du bouddhisme le bonheur national brut pour faire un bonheur qui ne soit pas que lié à la consommation mais qui soit lié à des valeurs spirituelles, mais on tombe toujours sur le même problème c'est à dire comment évaluer quantitativement, comment mesurer le bonheur ? C'est comme les échelles de dépression que connaissent bien les psychiatres, ou même une échelle plus récente que j'ai vue, qui est assez désastreuse d'un point de vue philosophique, qui est l'échelle pour mesurer l'ennui : alors il y a plusieurs items, il y a cent questions, du style quand vous restez seul est ce que vous vous ennuyez, évidemment oui /non oui /non oui /non ... est-ce que ça permet de mesurer finement l'ennui ? est-ce que ça permet de mesurer la qualité de l'ennui ? on sait bien aujourd'hui et beaucoup d'éducateurs le disent, que ne pas laisser les enfants s'ennuyer n'est pas une bonne idée parce que les tenir occupés tout le temps, les divertir en permanence, c'est évidemment ne pas laisser leur imaginaire se développer etc ... Comme dans la mesure du bonheur, comme dans la mesure du bien-être, comme dans la mesure de la satisfaction de vivre, vous avez d'emblée une simplification et un abêtissement de la chose ; or aujourd'hui évidemment, on est en pleine tyrannie de l’évaluation : il faut tout évaluer, il faut même s'auto-évaluer, on évalue même les instruments qui permettent d'évaluer... donc on est dans l'évaluation à fond mais évidemment si toutes ces évaluations sont pratiques parce qu'elles permettent de construire des camemberts, des graphiques etc... très utiles, elles permettent de comparer internationalement aussi les pratiques... elles ont un vrai sens opératoire, en revanche et cela a été souligné par beaucoup beaucoup d'auteurs, je ne suis pas le premier à le dire, en revanche la

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

manière dont sont posées les questions, comme le disait Dan Ariely, la manière de poser la question va peser sur la réponse : c'est comme les questionnaires Nespresso, si vous remplissez ça par ex vous savez on vous demande la qualité du café de 0 à 10 ...bon ils se ressemblent un peu tous ... je ne sais pas si vous avez le même sentiment, ceux qui boivent du café Nespresso ... entre 6 et 10, quoi dire ... si on est gentil on met 9, sinon on met 7 ... c'est très aléatoire... donc, la question que l'on doit se poser à présent c'est que veut-on réellement mesurer quand on mesure la qualité de vie ou quand on dit qu'on la mesure ? Quels sont les facteurs objectifs qui permettent de dire qu'une vie est suffisamment bonne, pour parler comme Winnicott que beaucoup doivent connaître ici ? Pour dire une vie suffisamment bonne, quels sont les critères objectifs nécessaires et est-ce qu'ils suffisent ?

Le problème, c'est qu'évidemment, en tirant la qualité de vie vers l'objectivité, on va très rapidement perdre la qualité dans la qualité de vie ... C'est ce que disent ces auteurs, déjà dès 80, « les éducateurs qui utilisent seulement des indicateurs objectifs n'apportent qu'une contribution modérée à la compréhension de la qualité de vie », ça apporte une contribution mais elle n'est pas assez précise, pas assez significative, et surtout elle n'est pas intéressante pour l'individu lui-même, elle apporte une vision générale des choses, elle ne permet pas peut-être d'appliquer ça à un individu particulier. Donc, ce qui se passe assez rapidement, c'est qu'on exclut le vécu dans un instrument sensé le mesurer, on exclut la subjectivité réelle si je puis dire et très rapidement, et aujourd'hui c'est criant je pense qu'on sera d'accord, malgré une très grande volatilité des définitions - les définitions sont très nombreuses de la qualité de vie ... personne n'est réellement d'accord sur la définition à donner, donc très rapidement, dans les articles scientifiques, on vous dit « la qualité de vie est multidimensionnelle » on a l'impression de lire le même article à chaque fois... c'est un peu lassant pour un philosophe... donc multidimensionnelle, elle a plusieurs sens, plusieurs portées, on ne peut pas réellement la définir ... ou bien on fait la liste des définitions, il y en a 150... donc au bout d'un moment on balance la définition de l'OMS, et on essaie de de s'en sortir comme ça, et puis les gens passent à leur particularité ... le cancer ... la maladie etc ... - donc, on a une protocolisation déjà très très affirmée de la qualité de vie, encore une fois totalement paradoxale puisque c'était sensé apporter un supplément d'âme à la médecine techniciste, on était sensé sortir d'une évaluation

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

purement technique des choses, donc qu'est ce qui apparaît à l'arrivée ? C'est ce que je vous propose ici : et bien on dégage une qualité de vie standard, comme on fait en termes socio-économiques ; par ex, on va vous dire : En france, le budget dont a besoin pour avoir une bonne qualité de vie c'est tant de milliers d'euros... on va vous dire : 3000 euros par foyer ou ce genre de chose ... bon, il y a des gens qui vivent avec beaucoup moins, peut-être mieux que ceux qui ont plus, bien sûr ...mais on va dégager une qualité de vie standard, on va vous dire : la qualité de vie c'est cela.... c'est ce qu'on appelle aussi le bonheur standard... beaucoup de gens vont vous définir le bonheur : le bonheur, c'est avoir une maison ...d'avoir des enfants ... avoir ceci... avoir cela ... donc, c'est une check- liste où l'on doit cocher des cases : check ça c'est utile pour le bonheur... check... check... check... donc qualité de vie standard protocolisée

au lieu de s'interroger sur ce qu'une personne en particulier, encore qu'elle ne soit pas totalement transparente à elle-même, peut définir comme sa propre qualité de vie et là on est vraiment avec les personnes polyhandicapées dans cette problématique là : on ne peut pas dire qu'il y a une qualité de vie pour les personnes polyhandicapées globalement ... évidemment, on ne tient plus compte ici des différences individuelles, des personnes singulières. Comme le disait déjà Canguilhem voyez : on dégage une moyenne générale en faisant une qualité de vie standard, on est dans la norme, dans la moyenne, et on oublie finalement le bénéfice individuel pour telle ou telle personne, qu'est ce que cela lui apporte pour lui de mesurer la qualité de vie globale, pas grand chose ... c'est très intéressant pour les études mais pour la personne même, ça n'apporte pas grand chose de concret ... donc, ce qu'il faudrait faire évidemment, mais personne ne peut le faire parce que c'est trop long trop cher, c'est de mesurer la qualité de vie de chaque individu : là, ça aurait un sens de mesurer la qualité de vie alors finement, avec les moyens

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

possibles, les moyens qu'on développe, avec beaucoup de créativité ... Donc je voudrais poser deux questions paradoxales pour finir:

quelle est la qualité de la qualité de vie ? Nous les philosophes, on aime bien les retournements c'est comme Vladislavic qui a écrit un très beau livre sur la réalité de la réalité, quelle est la qualité de la qualité de vie, et bien c'est une qualité mitigée, vous l'avez compris, c'est à dire c'est un vrai et bon outil scientifique, encore une fois je ne remets pas du tout en doute cet aspect, je ne veux pas qu'on se trompe là-dessus, la mesure de la qualité de vie est utile pour des comparaisons internationales, elle est utile aussi pour faire avancer le soin, les protocoles de soins etc ...mais elle révèle quand même l'impossibilité à être réellement dans la subjectivité, le fait que même quand on veut traiter la subjectivité on finit par glisser insensiblement vers les indicateurs objectifs, vers des choses qu'on peut plus facilement calculer, mesurer et donc ce qu'on regrette, et je pense chacun de vous ici, c'est l'hyper-médicalisation, en fait, de la qualité de vie ... c'est le fait que cette notion, en fait, a été détachée du sens commun finalement, de ce que chacun de nous entend par qualité de vie, et on nous force un peu à l'envisager de manière sanitaire, du point de vue exclusif un peu de la santé, il faut que ce soit un peu bio-politique ... qu'on nous ramène toujours à la notion de santé, de santé idéale, de santé moyenne, de santé générale etc ...donc il y a des critères objectifs qui viennent parasiter la question de la qualité de vie. Je voulais vous donner deux exemples très rapidement pour illustrer ça : si vous prenez l'exemple des greffés ... chacun va dire la greffe c'est évidemment une bonne chose, ça améliore la qualité de vie... c'est pas certain, parce que comme l'a écrit JL Nancy, philosophe greffé du cœur en l'an 2000, il est toujours vivant, il a écrit un très beau livre, très court, qui s'appelle « l'intrus », pour parler de ce corps étranger qu'il avait en lui. JL Nancy dit : évidemment, ça a prolongé ma vie... parce que je serais mort en 2001 si je n'avais pas eu ce cœur ... mais, en même temps, ça m'a donné un cancer ou plusieurs je ne sais plus, l'hépatite C... ça m'a donné plein de soucis ... bien sûr un traitement à vie etc ... donc peut-être que je ne l'aurai pas fait, que je ne le referais pas, si j'avais la possibilité maintenant, avec ce que je sais... donc voyez, lorsqu'on est dans une dimension de survie, on a toujours tendance à confondre cette qualité de vie qu'on met toujours en avant et la simple quantité de vie ou le prolongement de la vie, prolongement indéfini presque de la vie ... c'était le cas aussi du cœur artificiel, tout récemment, vous savez ça, il

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

n'y a aucune discussion éthique sur le fait de mettre un cœur artificiel alors que c'est quand même une problématique d'un point de vue éthique ... On peut penser aussi aux patients experts qui sont aujourd’hui un peu déçus, je dirais, par l'éducation thérapeutique parce qu' elle est hyper-médicalisée aussi et ils se rendent compte aussi, quand ils vont dans les hôpitaux, qu'ils ne sont réellement acceptés dans les équipes de soins, qu'on les met un peu à l'écart, qu'on ne les implique pas comme on le devrait etc ... bon et donc ils s'interrogent aussi sur leur autonomie... les patients experts vous disent : est-ce que j'ai vraiment une autonomie suffisante après la guérison, la rémission, ici. Donc première conclusion : la qualité de vie n'est pas vraiment mesurable, vous l'avez compris, objectivement en tout cas, mais on peut quand même l'apprécier. Je distingue la mesure quantitative et l'appréciation qualitative : l'apprécier, au sens propre en français donc, donner sa valeur, si l'on tient vraiment compte de la singularité de la personne, voyez la notion n'est pas jetée bien sûr, mais la vraie qualité de vie n'est pas mesurable avec des indicateurs objectifs évidemment. Donc, si on tient compte de la singularité de la personne, de ses besoins, de ses attentes, et bien là on a une appréciation plus fine de la qualité de vie

Donc là encore je joue sur les mots : et si on mesurait la mesure ? Est-ce qu'on mesurer l'éthique de manière générale ? Je vous ai déjà parlé du bonheur national brut, c'est divertissant, c'est sympathique, mais ce n'est pas sérieux bien entendu parce que le bonheur n'est pas brut, enfin normalement, et le bonheur est une question très complexe sur laquelle les philosophes se sont cassé les dents depuis toujours : il ne faut pas confondre avec le bien-être... le bonheur ne doit pas être confondu avec les plaisirs de l'instant etc ... donc est-ce qu'on peut mesurer de manière générale tout ce qui est éthique, tout ce qui est qualitatif ? c'est une vrai question que je pose. Donc en ce sens là, évidemment la vraie qualité de vie n'est pas mesurable, on l'a vu, et si on la mesure, on la réduit à des critères extérieurs, je l'ai dit : l’aménagement de l'espace public, tous ces livres que vous connaissez bien sûr sur les droits des personnes handicapées, leurs possibilités, les centres qui les accueillent etc ... tout ça est précieux, tout ça est important, tout ça relève de la qualité de vie mais ça ne fait pas toute la qualité de vie bien sûr, il n'y a pas la subjectivité encore là-dedans . Donc je vous propose de passer du minimum vital, qui est au moins des bonnes conditions

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

sociétales pour l'accueil du handicap, à un optimum : voyez l'optimum, c'est pas le maximum, le maximum on doit y renoncer, on l'aura pas de toute façon, mais l'optimum c'est la meilleure qualité de vie possible, encore une fois, c'est ne pas se contenter du minimum mais tendre vers l'optimum, la meilleure qualité de vie possible. Donc en ce sens là, il faut déjà changer de regard bien sûr, mais cela tout le monde le sait, sur le polyhandicap, il faut se détacher d'une vision caricaturale de la vie réussie ... si on donne une rollex par ex aux personnes handicapées avant 50 ans, est ce qu'elles auront une vie réussie pour reprendre la célèbre formule idiote de J.Attali... est-ce qu'on doit simplement envisager la vie réussie, justement, de l'extérieur, et là, vous voyez la confusion entre l'estime qu'a la société, aujourd'hui la société estime des gens qui ne sont pas réellement estimables, elle les met en avant, elle en parle, elle les paie très cher etc ... passer du besoin d'estime au besoin d'être bien traité : là on revient à l'intériorité, on revient à la vraie qualité de vie et je conclue rapidement voilà la dernière diapo

J'ai pensé, cela m'a paru lumineux, de conclure par cette fameuse formule de Protagoras, le sophiste grec (on a commencé par les grecs, on finit par les grecs, normal je suis grec...) c'est : l'homme est la mesure de toute chose. Lisez Protagoras ... Que veut-il dire par là : en fait, il y a un sens profond mais il y a aussi un sens très simple au départ, c'est à dire que l'homme a commencé à mesurer toute chose à son aune, c'est à dire il a parlé d'un pied, il a pris son pied pour mesurer, une coudée etc... il a mesuré d'abord avec son corps et un sens plus profond : c'est que toute mesure est humaine, c'est à dire toute mesure est anthropomorphique. Lorsqu'on prétend faire une mesure scientifique, objective, il y a bien sûr des biais ... alors, je ne vais pas entrer dans ce détail là, mais comme on me demande parfois de faire partie de comités de protection de personnes etc ... et bien on se rend compte que les projets qu'on nous soumet parfois ont des biais terrifiants ... les gens par ex veulent faire appeler des personnes âgées sorties de l'hôpital un an après... vous imaginez que vous avez 92 ans et on vous appelle : « c'est l'hôpital, est-ce que tout va bien ? » Vous allez faire une crise cardiaque ! pourquoi est-ce que l'hôpital m'appelle ? C'est insensé de penser ça, voyez ... il faut envisager autre chose, si on veut vraiment recueillir leur avis, aller les voir, faire un courrier etc ... donc vous avez des choses qui se présentent comme scientifiques mais qui en fait révèlent des biais énormes qui ne sont pas vus parce que on n'a pas cette vision qualitative des choses, on a une vision

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

... on cherche à trouver des instruments toujours pour mesurer c'est à dire pour tracer les choses... donc si l'homme est la mesure de toute chose, c'est pour le meilleur et pour le pire ... vous l'avez compris, si la mesure est forcément humaine, elle doit être autant que possible qualitative, subjective, donc forcément approximative ... la mesure ne peut jamais être précise, il faut renoncer à ce rêve techniciste, elle est forcément approximative ... donc moi j'ai proposé une notion pour sortir de l'évaluation, je dis qu'il faut préférer à l'évaluation qui est quantitative ce que j'appelle la valorisation et là on trouve l'idée d' appréciation c'est à dire l'idée d'une valeur accordée aux gens et encore une fois si on pense aux jugements de valeur : qu'est ce qui fait que vous, parents ou professionnels, vous vous intéressez au polyhandicap ? C'est que vous accordez de la valeur à des personnes pour lesquelles la société n'accorde pas forcément de valeur ou d'intérêt, dont elle est gênée, dont la présence la gêne etc ... c'est là où l'on voit que la valorisation inclut la subjectivité, on va valoriser quelqu'un, ou le dignifier comme je le dis aussi, si il ne l'est pas par lui-même. Donc, je finis par cette aporie comme je l'ai annoncé : reste notre problème « qu'est ce qu'une vraie qualité de vie ? » on a vu qu'on ne peut pas la mesurer, est-ce qu'on peut seulement la définir ? C'est difficile aussi, parce que définir... il y a finir, dans définir voyez, définir étymologiquement veut dire déterminer, fixer donc figer une notion, donc imaginez qu'on fige une notion : on fera de la qualité de vie quelque chose de standard encore ...donc il est impossible impossible de la définir, voilà vous êtes bien avancés ! Merci

Echanges avec la salle

Q : je me fais l'interprète de Noria qui est à côté de moi : vous avez dit quand on sait qu'on est handicapé ou malade cela peut donner l'impression qu'on a une mauvaise qualité de vie moi je dis autre chose je suis handicapée et je le sais, ce que je veux pour avoir une belle vie c'est par ex avoir des enfants Mr Constantinidès : évidemment ça fait partie des aspirations tout à fait naturelles,

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

compréhensibles et légitimes, bien entendu ... J'étais au Mans récemment pour l'Adapei de la Sarthe et le vice-président de l'association qui a une fille trisomique m'a dit que sa fille vivait en ville avec un autre trisomique et qu'ils étaient à peu près autonomes. Son compagnon non, mais elle savait lire et c'est vrai que ça m'a étonné car je ne savais pas qu'on pouvait avoir ce degré d'autonomie mais je pense que là il y a une avancée récente de se dire mais, tout le monde le dit tout le monde le répète, c'est des personnes qui ont les mêmes droits que les autres etc ... pourquoi faudrait-il se poser des limites, des barrières mentales sur ce qu'ils peuvent faire ou ne pas faire... Donc voilà la qualité de vie c'est une impression singulière, on vient de le voir, tout le monde ne la met pas au même niveau certains veulent des enfants, d'autres veulent s'en débarrasser au plus vite ... bon donc il y a ici une valorisation, une appréciation très singulière qui évidemment est déterminée aussi par des facteurs génétiques, sociétaux etc c'est à dire que l'on a quand même des aspirations universelles (les enfants c'est une aspiration universelle) mais après, la finesse tient dans ce que veux chacun, dans le spectre de ce qu'il peut avoir ... bon il y a des renoncements à faire à des moments : c'est ça qu'a un petit peu faussé la médecine ... c'est une avancée bien sûr, je dis ça souvent dans mes cours aux étudiants en médecine, quand on avait des gens infertiles, avant, les gens devaient se résigner à cette fatalité, se faire à l'idée qu'ils ne pouvaient pas en avoir mais dès le moment où la possibilité d'en avoir quand même s'est présentée, ça a fait sauter un verrou mental au point qu'aujourd'hui vous avez ce rêve fou que la médecine peut tout accomplir donc à partir de là chacun peut se dire que tout est possible et qu'il peut reprendre une ambition invraisemblable dans la vie donc encore une fois il y a la qualité de vie idéale, chacun a des aspirations qui sont précises, nous sommes tous un peu insatisfaits je pense de ce que nous avons eu ou de ce que nous n'avons pas pu faire dans la vie, et puis il y a cette sagesse qu'on acquiert de se dire finalement est-ce que c'est si mal que ça ... sans recourir aux expédients de se comparer aux enfants irakiens comme on fait un peu facilement avec nos enfants vous savez quand ils ne mangent pas leur repas « il y a des gens qui meurent de faim » etc ... c'est un très mauvais argument et en fait la qualité de vie souffre aussi de cette comparaison, double comparaison : je compare la qualité de vie à celle que je pourrais avoir évidemment je regarde les autres et je suis jaloux d'eux ; en ce moment par ex, je lutte contre ceux, plutôt je discute avec ceux qui comparent leur salaire à ceux des footballeurs ... évidemment, on est tous un peu en dessous de ce niveau bien entendu mais est-ce que ça a un sens de faire ça ? Après on peut discuter sociétalement de la valeur financière qu'on accorde à ces gens-là, qui ne font pas grand chose d'important en même temps, mais l'idée c'est : on se compare soit à ce qu'on pourrait être et c'est assez pernicieux car on ne peut pas toujours être ce qu'on voudrait être et puis on se compare aux autres ce qui est naturel aussi mais qu'on devrait aussi dépasser parce que voilà les autres sont les autres la chance n'est pas bien partagée dans la vie et tout le monde ne peut pas avoir ce qu'il a ... donc je pense qu'il y a ce double niveau : la qualité de vie qu'on souhaiterait avoir et la qualité de vie dont on se contente à un moment en se disant que c'est la meilleure possible. Q : Bonjour merci pour la qualité justement, vous venez de parler de sens ... la question que je me posais c'est : entre le sens de la subjectivité que j'ai de la qualité de vie et aussi le sens des lois institutionnelles face à la qualité de vie, est-ce que vous ... comment vous vous traitez le sens, en tant que philosophe ? On pratique dans l'institution, on recherche, on met en place des systèmes de qualité etc etc .. en même temps il y a notre propre subjectivité dans le temps de la construction de tout cela et puis vous en tant que philosophe comment vous placez le sens ? Mr Constantinidès : D'accord, entre le sens collectif et la démarche individuelle ? Le sens c'est aussi une question ardue en philosophie je pourrais faire 2 h sur le sens du sens mais ça serait lassant pour vous ... mais je pense que c'est un équilibre, le sens collectif est déterminé au départ par des individus par ex d'Ad Verhuel, le hollandais à l'origine du snoezelen, on parlait de Fröhlich que

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

j'ai eu l'honneur de rencontrer récemment qui est à l'origine de la stimulation basale, et j'ai remarqué dans les deux cas à quel point ces deux personnes avaient amené quelque chose d’important mais de manière tout à fait empirique et en tâtonnant, en essayant des choses justement, en essayant de la créativité. Après, comme ces démarches marchent plutôt bien, on va les institutionnaliser : par ex vous avez aujourd'hui des coins snoezelen un peu partout y compris dans les EHPAD etc mais c'est là toujours où le protocole rejoint et étouffe un peu la créativité je dirais, même si par ailleurs le progrès des soins tient beaucoup à ce sens là. C'est à dire que pour la prise en charge des prématurés par ex en 20 ans on a fait énormément de progrès partout parce qu'on a pris conscience qu'ils souffraient vraiment alors qu'on pensait que non au départ, parce qu'on a pris conscience qu'ils avaient des besoins élaborés alors qu'on pensait qu'ils étaient dans le primaire et tout ... donc les pratiques avancent globalement grâce à des démarches créatives individuelles, après, si c'est tout à fait louable que les pratiques avancent, donc il y a un sens collectif à une démarche, toujours, et il faut toujours que l'individu cherche déjà à valider ses acquis empiriques et à en faire des pratiques institutionnelles si elles amènent un bénéfice évidemment pour les personnes, mais le risque toujours, enfin la petite réserve, c'est qu'il ne faut pas que ça soit ça devienne quelque chose de standard. Par ex moi j'ai vu beaucoup d'EHPAD où le coin snoezelen, au bout d'un moment, est abandonné parce qu'en fait il n'est pas adapté ... parce que c'est une salle qui ressemble à rien, on a juste mis du matériel snoezelen dedans et donc au bout d'un moment on ne voit pas trop de changement chez les personnes âgées, donc on abandonne le procédé ... or le procédé est intéressant, il marche assez bien d'après ce que je sais, donc voyez c'est à double-tranchant : je dirais évidemment il faut qu'on ne soit pas seul à agir, il faut qu'il y ait un écho et que des pratiques validées s'installent, d'un point de vue global, mais après, il faut toujours prendre garde que le sens initial justement ne soit pas perdu dans ce développement institutionnel. Tout cela est nécessaire, c'est comme la qualité de vie encore une fois, qualité de vie telle qu'on la mesure, elle est nécessaire pour des tas de raisons scientifiques, elle est utile, il est hors de question de l'abandonner, de toute façon ils ne l'abandonneront pas, mais elle ne suffit pas. C'était ça le propos, il faut toujours malgré tout, individuellement, faire preuve de créativité, ceci est la condition pour s'épanouir à son travail, voyez, c'est d'essayer de trouver de nouvelles voies, essayer de nouvelles choses, sans être transgressif bien sûr voilà. Q : Oui c'est un peu pour rebondir sur ce que vous disiez concernant le sens : on constate souvent que le polyhandicap sévère provoque un vécu de disqualification chez certains professionnels parce qu'on doit réapprendre même si on sait bien s'occuper dans une toilette de nursing, le polyhandicap remet un peu les compteurs à zéro et on doit réapprendre des choses un peu nouvelles et par rapport au sens c'est vrai que dans ma pratique de chef de service ce que je vois c'est que la ressource c'est de pouvoir à un moment remettre de la valeur au travail, effectivement, en remettant du sens et ça ça permet à un moment de pouvoir oser l'expérience, non transgressive, comme vous disiez, mais de pouvoir à un moment initier des projets de vie quotidienne qui vont être des choses très simples mais qui vont permettre une réassurance et développer de nouvelles expériences et ça c'est effectivement des choses qu'on doit pas perdre parce qu'on perd après la qualité de vie dans son propre travail et une fausse représentation des missions. Après, il y avait un deuxième point sur lequel je trouvais que votre intervention était pertinente c'était sur la question de l'individu : comment il perçoit lui-même sa qualité de vie et on voit bien également dans le polyhandicap sévère, tous les actes de la vie quotidienne, toutes les choses sont à la responsabilité du professionnel : parce qu'on est avec des personnes d'une grande vulnérabilité et aussi particulièrement fragiles et cette question de comment on perçoit l'autre et vraiment l’importance de la responsabilité moi je la retrouve du coup uniquement dans une ressource de transdisciplinarité à un moment c'est à dire qu'il faut absolument qu'on puisse continuer à ouvrir, qu'on puisse continuer à s'interpeller les uns les autres parce que cette responsabilité et cette perception de la qualité de la

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

vie et du bien-être de l'autre ne peut pas reposer sur un seul professionnel Mr Constantinidès : Oui absolument, c'est Bruno Gallon qui disait ça tout à l'heure effectivement : le risque, que doivent percevoir tous les éducateurs ici, le risque c'est une certaine routine qui n'est pas satisfaisante parce qu'on ne voit pas de résultats évidemment spectaculaires de ce qu'on fait et donc, comme toute routine, c'est un problème général, c'est pas juste le polyhandicap, aujourd'hui dans le soin vous avez une perte de sens de ce qu'on fait et c'est la cause du burn-out etc ... une perte de sens parce que le travail est ramené à des pratiques mécaniques, à du soin technique alors les gens sont parfois un peu complices de ça parce qu'ils demandent finalement des consignes , parce qu'ils sont formés, les infirmiers par ex sont encore formés sur cette idée d'exécuter et de pas réfléchir, c'est toujours un peu problématique pour certains, et donc on perd le sens de son travail. C'est la pire chose parce que quand on ne voit pas les résultats de son travail tout de suite et bien on doit y trouver un sens ailleurs effectivement ... alors Bruno le disait très bien, par des ruses, des détours, je disais encore hier en IFSI, dans une école d'infirmières justement, que l'humanité c'était le détour que la bêtise c'était la ligne droite, toujours, toutes ces publicités sur les voitures qui sont insupportables je ne sais si vous pensez la même chose, je déteste les publicités pour voiture particulièrement parce qu'on a toujours ce sentiment de contrôle, de toute-puissance et puis des lignes droites alors qu'il n'y a rien de plus emmerdant qu'une ligne droite en fait bon bref ... donc l'intelligence c'est le détour. Par ex Bruno disait le fait d’amener une danseuse pour délier un peu les corps des polyhandicapés mais diverses choses créatives comme a pu le faire Fröhlich, comme a pu le faire Verhuel etc ... qui visent à redonner du sens dans ces professions très difficiles où justement quand le sens disparaît ça devient très difficile de continuer à travailler et votre deuxième question sur la transdisciplinarité je suis tout à fait d'accord c'est la seule compensation de la non possibilité de communication traditionnelle avec la personne polyhandicapée, c'est la transdisciplinarité, c'est l'échange de points de vue qui permet justement de surmonter les préjugés ou les biais qu'a forcément chaque professionnel, étant donné sa formation ... donc le fait de pouvoir échanger, d'être dans une approche plus fine, plus collégiale, à condition que tout le monde joue le jeu de la discussion évidemment ça c'est pas toujours gagné : il y a des gens qui s’autocensurent, il y a des gens qui ne veulent pas se mettre en avant etc ... donc ça permet effectivement de compenser le fait qu'on n'ait pas réellement ni totalement accès au ressenti de la personne elle-même.

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

Bruno Gallon : vous m'avez cité, je vous en remercie, j'en perds le sens de ce que je voulais dire ... je pensais aux incertitudes, toutes ces incertitudes à propos de la qualité de vie et du fait de ne pas pouvoir y répondre... je me demandais si la notion de concret ne pouvait pas être une forme de compensation et nous aider. Quand je dis concret, je pense aussi par ex, je vais juste citer un ex : je pense bien sûr à ce que l'on nomme le bien-être pour les personnes handicapées et je pense aussi à ce que l'on nomme le bien-être pour le personnel et avec l'équipe que j'encadre on travaille beaucoup là-dessus. Pour moi, en tant que chef de service, c'est extrêmement concret que le personnel soit le mieux possible ça veut dire lui donner les moyens d'agir, d'avoir confiance, de pouvoir discuter quand il veut etc etc d'ouvrir et de proposer une qualité de travail et cette qualité de travail a des répercussions que je considère comme positives sur les enfants que nous accompagnons en terme de stress réduit, en terme de créativité, en terme d'humour dans les services, en terme aussi d'être capable effectivement de laisser un enfant à la sieste parce qu'il en a plus besoin etc etc ... je pensais que le concret pouvait être une forme de palliatif à l'incertitude ? Mr Constantinidès : ah c'est une très belle formule je vais la retenir ... oui je vous remercie. C'est ce que vous me disiez dans la voiture tout à l'heure, c'est que vos deux priorités étaient le confort des personnes et le confort des soignants et vous avez ajouté « heureusement que mon directeur n'est pas là, je me fous de tout le reste » mais vous avez raison c'est à dire que pour être bien-traitant il faut être bien-traité, vous avez tout compris, le fait de mettre les deux choses sur le même plan c'est fantastique je trouve parce qu'il faut sortir d'une posture sacrificielle : moi je dis ça beaucoup en ce moment en éthique, parce que vous avez une sorte de discours de Mère Térésa qui revient en force ... juste le discours pas les actes tellement ... un discours auto sacrificiel où certains, je peux vous montrez ces textes, c'est affolant, certains médecins parlent de « il faut aimer le patient, il faut de la compassion active » etc ... c'est toujours inquiétant ce genre de discours ... mais quand on est dans une posture sacrificielle, déjà on se consume très vite et puis on n'est pas forcément équitable dans son approche ... mais si on est bientraité effectivement, si la deuxième ou la co-priorité c'est le bien-être des professionnels qui travaillent dans le champ du polyhandicap évidemment ce bien-être va se répercuter sur leur accompagnement qui sera de meilleure qualité que si eux n'avaient pas le sentiment d'être bien-traités ; donc vous prêchez un converti et le concret comme palliatif à l'incertitude ... malheureusement et bizarrement, la science n'aime pas le concret : comme j'ai essayé de vous le montrer, la science aime le chiffre, c'est ce que j'appelle dans une boutade « du chiffre et de l'être » il y a le chiffre d'un côté et l'être de l'autre côté, donc on est toujours aujourd'hui dans la tyrannie du chiffre parce qu'elle est simple, parce qu'on recherche tous enfin tous les décideurs ce fameux choc de simplification mais comme le disait Edgar Morin, le grand sociologue, on n'aime pas la complexité, on n'aime pas les choses complexes aujourd'hui on veut toujours simplifier, ramener à l'essentiel, ramener à une petite phrase, ramener à un résumé mais on perd toute la finesse, toute la nuance donc toute l'humanité. Dr Gabbaï : juste quelques petits points ...être bien-traité c'est le mot traité qui m'intéresse : ça a à voir avec le traitement, avec thérapeutique, je rappelle le sens étymologique de la thérapeutique : il s'agit d'être le serviteur d'une personne qui souffre, ça n'a rien à voir avec seulement le regard médical autre chose : la vie bonne, Aristote bien sûr, on ne peut pas oublier non plus la petite éthique de Paul Ricoeur vous savez ce que c'est que l'éthique « la vie bonne avec et pour l'autre, dans des institutions justes » la meilleure vie possible : abandonner l'idéal pour accepter le meilleur possible, ça me paraît vraiment un point essentiel qq chose aussi sur l'intégration sociale : vous avez dit une intégration sociale adaptée c'est à dire quel est finalement le lieu d'inclusion des personnes dites en situation de handicap sinon précisément l'institution médico-sociale, néo-société adaptée à ces personnes : vous voyez donc que

Colloque Régional sur le Polyhandicap – 4 novembre 2016

l'inclusion dans la société ordinaire est peut-être une vision inadaptée autre point encore sur la vie de qualité, la bonne vie, qu'on ne peut absolument pas quantifier ; alors un point que j'ai retenu : la mesure des choses détruit ... vous ne l'avez pas dit en termes aussi excessifs, mais je traduis : dès qu'on veut mesurer, on détruit ... ça il faut qu'on le garde en tête vous avez parlé aussi et je terminerai là-dessus sur le fait que finalement il faut passer de la recherche du maximum à l'optimum, la meilleure qualité de vie possible, alors : la mesure de la qualité de vie d'une personne impossible, on est d'accord, moi ce qui m'intéresse, j'ai détourné là une phrase de Kohut qui parlait de la lueur dans le regard de la mère, ce qui m'intéresse comme mesure de la qualité de la vie de l'autre c'est précisément de regarder la lueur dans le regard de l'autre voilà