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©AbbiGlines,2015
PremièrepublicationparSimonPulse,unimprintdeSimon&SchusterChildrenPublishingDivision.Tousdroitsréservés.
Titreoriginal:UntilFridayNight
Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,despersonnagesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénementssontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavecdes
personnagesvivantsouayantexistéseraittotalementfortuite.
OuvragedirigéparDorothyAubertCouvertureparArianeGalateau
Pourlaprésenteédition:©HugoetCompagnie,2017
34-36,rueLaPérouse75116-Paris
www.hugoetcie.fr
ISBN:9782755630428
Dépôtlégal:avril2017
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
ÀKikiMariaetsajoliefille,Mila.
Tuastoujoursditquetuavaishâtedepartagerlalecture
demeslivresavecelle.Celui-ciestpourvousdeux.
Tonmagnifiqueespritsubsiste.N’oubliepas,Mila,
quetamèreresteratoujoursparminous.
Ellevitdanstoncœur.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Dédicace
1-Elleestadorable,non?-Maggie
2-Jet’aidemandédefiler-West
3-T’inquiète,mabelle-Maggie
4-Jet’aime,Maman-West
5-Écarte-toidemavie-Maggie
6-Jen’allaispasl’enempêcher-West
7-Peut-être-Maggie
8-Onvagagnercettesaison-West
9-Jefaisdescauchemarstouteslesnuits-Maggie
10-J’aisurvécuenlafermant-West
11-J’étaiscontentedenepasêtretenuedeparler-Maggie
12-C’estdouloureux,lafin-West
13-Tun’asqu’ànepasêtreaussijolie-Maggie
14-Tuenas,desregrets?-West
15-Non,maisquellementeuse!-Maggie
16-Ellenem’appartenaitpas-West
17-Jen’étaispasbrisée-Maggie
18-Onnedisaitriendedrôle-West
19-Tuesbeaucoupplusfortquetunecrois-Maggie
20-C’estbien,mongarçon-West
21-Illeurfautdesannéesavantdedevenirraisonnables-Maggie
22-Ceseratoujoursuneamie-West
23-Pasenviedebavarderavecquelqu’und’autre-Maggie
24-Tuesmaladesitucroisquejetoucheraisàmacousine-West
25-J’aihâtedetevoir-Maggie
26-Jeserail’hommequetucomptaisfairedemoi-West
27-Jen’auraipasderegrets-Maggie
28-Jelesremerciaid’êtrerestés-West
29-Jelereprends-Maggie
30-Jenevoulaispaslaperdre-West
31-Tuneguérispas,tuesquives-Maggie
32-C’étaitsansdouteégoïste,maistantpis-West
33-Tumefaisconfiance?-Maggie
34-Rien.Qu’à.Moi.-West
35-Aumoinsc’estclair!-Maggie
36-Justedanslamienne-West
37-Mabelle-Maggie
38-Onatousdesdécisionsàprendre-West
39-Tuvasmeposséder-Maggie
40-Elleluiressemblebeaucoup-West
41-Danssonmondedusilence-Maggie
42-Jenepeuxpasêtretabéquille-West
43-Iln’étaitpasseul,moisi-Maggie
44-Sinontulaperdras-West
45-Jen’aimepasqu’onmeregarde-Maggie
46-Jeveuxt’appartenir-West
47-Unedeuxièmechance?-Maggie
48-Prendstouttontemps-West
49-Jepleuraispourmoi-Maggie
Épilogue-West
Remerciements
1
Elleestadorable,non?
Maggie
Je ne me sentais pas chez moi. Je ne me sentirais jamais plus chez moi nulle part.
D’ailleurs,jenevoulaispasdechezmoi,cesmotsévoquaientdetroppéniblessouvenirs.Ma tante Coralee et mon oncle Boone me surveillaient attentivement tout en me
conduisantàtraverslamaison.Ilsvoulaientquejem’yplaise–onlevoyaitàlalueurd’espoirdans leurs yeux. Jene savaismêmeplus ce que ça faisait d’espérer.Voilà longtempsque jen’espéraisplusriendutout.
–Nous t’avonsattribuéunechambreenhaut,m’informaprudemment tanteCoralee.Jetel’aipeinteenbleuguimauve.Jen’aipasoubliéquetuaimaislebleu.
C’était vrai, j’avais aimé le bleu quelques Noëls auparavant. Je m’étais même habilléetoutenbleuàuneépoque.Cen’étaitplusforcémentlamêmechoseaujourd’hui…
Je suivis mon oncle et ma tante dans l’escalier. Avec toutes ces photos de familleaccrochéesaumur,jedétournailatêtepourneplusregarderquedroitdevantmoi.J’avaisvules mêmes chez nous, quand maman les exposait fièrement. Mais ce n’étaient que desmensonges.Aveccesfauxsourires.
–Voilà,lançatanteCoraleeenouvrantuneporteaumilieuducouloir.C’étaitunegrandechambreblancheavecdesmursbleus.Ellemepluttoutdesuite.Sijen’avaispaseupeurd’entendremaproprevoix,jelesen
aurais remerciés. Mais je me contentai de déposer mon sac à dos par terre avant de metournerverstanteCoraleepourlaserrerdansmesbras.Çadevraitsuffire.
–Bon,j’espèrequetuaimesmachambre!laissatomberunevoixgravesurleseuil.–Brady!lançaoncleBoone.
–Quoi?C’étaitgentil,non?JenemesouvenaispasbeaucoupdemoncousinBrady.Onn’avaitjamaisjouéensemble
dans les réunions de famille, car il préférait s’éclipser en compagnie d’un de ses potes qu’ilavaitamenéaveclui.
Et là, il restait adosséauchambranle, ses cheveuxbruns lui tombantdans lesyeux,unsourire ironiqueaux lèvres. Iln’avaitpas l’air content.MonDieu,onm’avaitdoncdonné sachambre?Çanes’annonçaitpasbien,jenepouvaispasaccepter.
– Brady n’est qu’un sale gosse, expliqua vivement tante Coralee. Il est enchanté depouvoirs’installerdanslamansarde.Ilnousacassélespiedspendantdeuxanspourqu’onluiaménagesonespaceprivé.
Unelargemainseposasurmonépauletandisqu’oncleBoonesemettaitàcôtédemoi.–Monfils,tun’aspasoubliéMaggie,dit-ild’untonpéremptoire.Brady me dévisageait. Son expression, d’abord irritée, s’adoucit soudain, comme pour
marquerunecertaineinquiétude.–Non,jemesouviens.–Bien,continuaoncleBoone.Tuvasdevoirluifairevisiterlelycéelundi.Vousêtesdela
même année et nous nous sommes assurés que vous partageriez quelques cours afin que tupuissesl’aider.
J’avais l’impression que Brady savait déjà tout ça depuis longtemps. L’information mevisaitplutôtmoi.
–T’aspasidée,marmonna-t-ilens’enallant.– Désolée, dit tante Coralee. Il est devenu plutôt hargneux, et nous ne savons plus
toujoursquoifaire.Mêmesijeparlais,jenesauraisquoirépondreàça.Ellemeserralebras.– Nous allons te laisser t’installer. Défais tes affaires et repose-toi. Si tu veux voir
quelqu’un, je serai dans la cuisine, à préparer le dîner. Tu peux aller partout dans cettemaison.Faiscommecheztoi.
Encorecesmots:cheztoi.Matanteetmononclemelaissèrentseule,enfin.Etlà,aumilieudecettejoliechambre
bleue, jemerendiscompte,àmagrandesurprise,que jemesentaisdéjàtranquille.J’auraispourtantcruquetoutenotiondesécuritém’avaitabandonnéedepuislongtemps.
–Alors,c’estvraiquetuneparlespas?LavoixdeBradyemplitlapièceetjefisvolte-facepourapercevoirmoncousinderetour
surleseuil.Jen’avaisaucuneenviequ’ilnem’aimepasouqu’ils’énervedemevoirlà,maiscomment
leconvaincrequejen’allaispasledérangernichangersavie?–Merde,çavapasêtrefacile.Tues…
Marquantunepause,ilpartitd’unrireinattendu.–Çaseraencorepirequejecroyais.Tuauraispuaumoinslajouerdésagréablepourme
faciliterlatâche.Pardon?–Etn’attirepasl’attentionsurtoi.Mamanaenfinlafilledontelleatoujoursrêvé,mais
moi,çam’arrangepas.J’aimavie,moi,figure-toi.Je me contentai de hocher la tête. Je me doutais bien qu’il vivait sa vie. Grand, les
cheveuxbruns, lesyeuxnoisette, ilavaitdelargesépaulesdontondevinait lesmusclessoussonT-shirt.Lesfillesdevaientletrouveràleurgoût.
Jen’avaisaucuneintentiondememêlerdesesaffaires,maisjevoyaisàquelpointmoninstallationdanssamaison,danssachambre,pouvaitdonnerl’impressioncontraire.Etvoilàquesesparentsm’inscrivaientauxmêmescoursquelui.
Jedevaisluiprouverqu’iln’avaitrienàcraindre.Reprenantmonsacàdos,j’ensortislecarnetetlestyloquejegardaistoujourssurmoi.
–Qu’est-cequetufais?demanda-t-il,visiblementdéconcerté.J’écrivisenhâte:Promis,jenetedérangeraipas.Pasbesoindem’aideraulycée.Tun’asqu’àlelaisser
croire à tes parents, je ne dirai pas le contraire.Désolée d’avoir pris ta chambre.On peut
échangersituveux.JetendislecarnetàBradyquilelutetmelerenditensoupirant.–Tupeuxgardermachambre.Mamanaraison.J’aimebienlamansarde.J’étaiscon.Tu
croisquetun’auraspasbesoindemoiaubahut,maisc’estfaux.Onn’ypeutrien.Là-dessus,ils’enalla.Jelesuivisdesyeuxalorsqu’ildescendaitverslacuisine.Jem’apprêtaiàfermerlaporte
quandj’entendissavoix.–Qu’est-cequ’ilyapourledîner?– Poulet spaghettis, répondit tanteCoralee. Jeme suis dit queMaggie serait contente,
puisquec’esttonplatpréféré.Puiselleajoutaplusbas:–Jevoudraisquetuessaiesdefairesaconnaissance.–Jeviensdeluiparler.Elle,euh…m’aécrit.–Alors?Elleestadorable,non?TanteCoraleeparaissaitsisincère!–Oui,Maman.Vraimentadorable.Ilnen’avaitpasl’airvraimentconvaincu.
2
Jet’aidemandédefiler
West
J’allaism’enivrer.C’étaitmonobjectifdelasoirée.
Claquantlaportièredemonpick-up,jemedirigeaiverslechampd’oùj’entendaisdéjàmonterlamusique et aperçus la lumière des feux de bois. Dernier vendredi de liberté avant de seconsacrer au football durant les trois prochainsmois. Tout lemonde allait faire la fête, lescoupless’envoyerenl’airàl’arrièredescamionnettes,labièrecouleràflots,etilyauraitaumoinsunebagarreàproposd’unefille.C’étaitlafindel’été,ledébutdelaterminale.
Mais j’allais avoir besoin d’une à six bières pour arroser ça. Le spectacle demon pèrecrachant du sang alors que ma mère lui essuyait le front avec un regard angoissé, c’étaitinsupportable. J’aurais dû rester à lamaison,mais je ne pouvaism’y résoudre. Chaque foisqu’ilavaitdesnausées,lepetitgarçonenmoireprenaitledessus,etjedétestaisça.
J’aimaismonpère.Depuis toujours, c’étaitmonhéros. Comment supporter l’idée de leperdre?
Mon téléphone semit à vibrer et je le sortisdemapoche.Chaque fois qu’il sonnait etque jeme trouvais endehorsde lamaison, j’étais pris de terreur et denausée. Je fusdoncsoulagé de déchiffrer le nom de Raleigh,ma copine. Ce n’était pasmaman. Rien de grave,donc.Papaétaittranquilleàlamaison.
–Bonsoir,dis-je,surprisqu’ellem’appelle.Ellesavaitquejemerendaisàcettesoirée.–Tuviensmechercher?demanda-t-elled’untonagacé.–Tunemel’avaispasdemandé.Jesuisdéjàarrivé.–Turigoles?Jen’yvaispassitunem’yemmènespas,West!
Elleétaitfurieuse.Maisj’avaisl’habitude.–Danscecas,onseverraplustard.Pasenviedejoueràçacesoir,Ray.Elle n’était pas au courant pourmon père. Il ne voulait pas que les gens sachent qu’il
étaitmalade.Alors,onlafermaitet,commel’hôpitallocalnepouvaitpastraiteruncancerducôlonàunstadeavancé,onl’avaitemmenéàuneheuredelà,àNashville.D’habitude,onnepouvaitgarderlesecretsurcegenredetrucdansunesipetiteville,cependantçamarchaitàpeuprèspournous.Entreautresparcequemamann’avaitpasbeaucoupd’amisàLawton.
Enfant,jenecomprenaispaspourquoi,maismaintenantjesavais.Monpèreavaitétélejeune prodige de son lycée. Il avait fait la gloire de Lawton après avoir joué au football àl’universitéd’Alabama,puisfaitpartiedel’équipedesSaints,àLaNouvelle-Orléans.Mamèreétaitunevéritableprincesse–safamillepossédaitàpeuprèslatotalitédelaLouisiane–,etmonpèreétaittombéamoureuxd’elle.
Mais, juste après s’être cassé le genou, brisant ainsi sa carrière chez les Saints, ilapprenait qu’il avaitmis sapetite amieenceinte.Sibienqu’il l’épousa, augranddamde sabelle-famille,etl’amenavivreenAlabama.Notrepetitevilleconsidéralachoseainsi:ilavaitété leur champion, et cette femme le lui volait.Dix-sept années plus tard, elle était encoreconsidéréecommeuneintruse.Cependant,mamanneparaissaitpasyattacherd’importance.Elle aimait mon père. Lui et moi, nous formions tout son univers. C’était tout ce qui luiimportait.
–Tum’écoutes?couinalavoixdeRaleighdansletéléphone,m’arrachantàmespensées.Onformaituncouplespécial.Elleaimaits’accrocheràmonbrasetj’aimaissonjolicorps.
Il n’y avait ni amourni confiance entrenous.On sortait ensembledepuisplusd’unan et jen’avaispastropdemalàlateniràdistance.Là,c’étaittoutcequejepouvaisfaire.
–Écoute,Ray,j’aimalaucrâne.Ilfautquejefasseunepause.Onfaitunepauseetonenreparlelasemaineprochaine,d’accord?
Sans attendre sa réponse, je raccrochai. Je savais déjà qu’elle allait crier et menacerd’allercoucheravecundemesamis.J’yavaisdéjàeudroit.
Çam’étaitégal.Jerepartisàtraverslaprairie,entrelesarbres,versleterrainoùsedonnaienttoutesles
soirées. Il appartenait au grand-père de Ryker et Nash Lee, deux cousins qui jouaient dansl’équipe, et se trouvait à la périphérie de la ville, à plus d’un kilomètre de samaison. Onpouvaitdoncyfairelebruitqu’onvoulaitsanss’inquiéterdelaprésencedevoisinsindiscrets.
JerepéraiviteBradyHiggens,monmeilleuramidepuis l’écoleprimaire.On jouaitdéjàensemble quand on était passés par la Pop Warner, la plus célèbre des écoles de footballaméricain.C’étaitlemeilleurquarterbackdel’État,etillesavait.
Illevasonverreenmevoyantarriver.Assissurleplateaudesonpick-up,ilavaitapportéungroupeélectrogènepourqu’onpuissepasserdelamusique.IvyHolliss’étaitinstalléeentresesjambes.Riend’étonnant.Onlesavaitsouventvusensemblecetété.Ivyétaitenterminale
et déterminée à devenir sa copine officielle depuis que la précédente était partie pourl’université,àl’autreboutdupays.
–Tuenasmisun temps !observaBradyavecun souriremoqueur, enme lançantunecannette.
Il ne buvait pas souvent ; il n’avait rien contre, mais il voulait jouer à l’universitéd’Alabama l’année prochaine. Ça m’avait aussi tenté, à une époque. Maintenant, je vivaisplutôtaujourlejour,enpriantDieuquemonpèrenenousquittepas.
La bièrem’était devenue indispensable dans ce genre de soirée. Avec cette anxiété quirégnaitàlamaison,j’enavaisbesoinpourm’engourdirl’esprit.
Bradysemblaitsedouterdequelquechoseetilattendaitquejeluienparle.Parmitoutesles femmes de la ville, sa mère était la seule qui se soit jamais montrée gentille avec lamienne. Elle nous avait invités à dîner plusieurs fois, nous apportait pendant les fêtes sonfameux gâteau à la crème et s’arrêtait toujours pour bavarder pendant les matchs. Je medemandaissimamans’étaitjamaisconfiéeàCoralee.
–OùestRaleigh?demandaIvy.Jene répondispas.Cen’étaitpasparcequ’elleétaitavecBradyque jedevais la laisser
fourrer son nez partout. Je portai mon attention vers Gunner Lawton. Ouais, il portait lemême nom que la ville fondée par son arrière-arrière-arrière-grand-père. Tout leurappartenait.Maisc’étaitunsacréailier,cecicompensantcela.
–Seulcesoir,toiaussi?luidemandai-jeenmeposantsurunebottedefoinprèsdupick-up.
Ilsemitàrire.–Tumeconnaismieuxqueça!Jecherchejustequijevaischoisir.Iln’avaiteffectivementqu’àclaquerdesdoigtspourque les filless’amènentencourant.
Bon,c’étaitunmecodieux,maisquandonétaitrichecommeCrésusdansunepetitevilleet,quiplusest,unedesstarsdel’équipedefootballdulycée,onpouvaitsecroiretoutpermis.Sanscompterquelesfillesletrouvaienttrèsbeau.
–Sionparlaitfootball?lançaRykerLeeenvenantsejoindreànotrepetitgroupe.–Jepréféreraisquetumedisespourquoitut’esrasélescheveux,raillaBrady.L’annéedernière,Rykeravaitannoncéqu’il se laissaitpousser les cheveuxpour se faire
des dreads. Ça m’avait donc surpris de le voir les couper très court dès le premier jourd’entraînement.Commeilétaitpartienfamillerendrevisiteàsagrand-mèreenGéorgie,onnel’avaitplusvudepuislesdernièressemainesdel’été.
– J’en ai eumarre. Je porterai des dreads quand je passerai pro. Pour lemoment, pasbesoindeça.
Jecrusqu’ilallaitdireautrechose,maisilselevaetsemitàexaminerleterraind’unairimbécile.
–C’estvrai,marmonna-t-il,merdeaufootball.Jepréféreraisparlerdecettepetite.
Suivant son regard, j’aperçus un visage inconnu. La fille se tenait un peu en dehors duterrain,plutôtsouslesarbres.Seslongscheveuxbrunfoncéluitombaientenvaguessouplessurlesépaulesetsesmagnifiquesyeuxvertsregardaientdansnotredirection.Mais,déjà,monattentionseportaitunpeuplusbas,suruneboucheparfaitesansrougeàlèvres.
–Pastouche,leprévintBrady.J’eusenviedemetournervers luipourdemanderenquelhonneurilrevendiquaitcette
nana quand il en avait déjà une coincée entre les jambes. En même temps, je ne pouvaism’empêcherdelaregarder.Elleparaissaitperdue.Jemesentaisprêtàl’aider.
– Pourquoi,mec ? répliquaRyker. Elle est chaude comme la braise et elle a sûrementbesoindemoi.
–C’estmacousine,connard!Sacousine?DepuisquandBradyavait-ilunecousine?Cettefois,jemedétachaidelafillepourregardermonmeilleurcopain.–Tuasunecousine,toi?Illevalesyeuxauciel.–Tulaconnais. Ilyaquelquesannées,tu l’asvueàundesNoëlsdelafamille,dansle
Tennessee.Maintenant,ellevitcheznous.Alors laisse-la, tuveux?Elleestpas…elleadesproblèmes.Ettupourrasrienpourelle.
SetournantversRyker,ilajouta:–Nitoi.–Jesaisrésoudrelesproblèmes,rétorquacelui-ciavecunlargesourire.Je n’allais pas dire la même chose. J’avais mes propres problèmes et, surtout, besoin
d’évasion.D’autantquelessiensnepouvaientêtrepiresquelesmiens.–Elleneparlepas,continuaBrady.Ellen’yarrivepas.Jel’aiamenéecesoirjusteparce
quemamèrem’yaforcé.Jeluiaiditqu’ellepouvaitresteravecmoi,maisellearefusé.Elleestcomplètementcinglée.
Jeme retournai, mais elle était partie. Ainsi, Brady avait une cousine ravissantemaisfolleetmuette.Bizarre.
–Dommage,marmonnaGunner.Pourune foisqu’on rencontreunenouvelle filleàpeuprèsprésentable,c’esttacousineetelleestmuette.
Là-dessus,ilvidasacannette.Bradyn’appréciapaslecommentaire.Jelevisàsonexpression.Pourtant,Gunneravaitraison.Onnevoyaittoujoursquelesmêmesfillesdanscetteville,
depuis l’écoleprimaire.Ellesétaientbarbantes, superficielles,et j’avais couchéavec lesplusjolies.Aucunenem’avaitmarqué;enfait,ellesétaienttoutesplusemmerdanteslesunesquelesautres.
Gunnerseleva.–Jevaischercheruneautrebière.
Ilnousservaitdegarantie.Sionsefaisaitprendrepouravoirtropbu,sonpèreavaitlebrasassezlongaveclapolicepournousfairerelâcher.D’ailleurs,jemedemandaiss’ilsétaientdéjàaucourantpourcettesoiréeetsic’étaitpourçaqu’ilsnepassaientjamaisparlà.
Montéléphoneseremitàsonneretmoncœurseserraautomatiquement.Jelesortisenhâtedemapoche,vislenomdemamansurl’écran.Merde.
Sans la moindre explication pour les autres, je posai ma bière et m’éloignai avant derépondre.
–Maman?Toutvabien?–Ohoui!Jevoulaisjusteteprévenirquej’avaislaissédupouletauchauddanslefour.
EtsitupouvaispasserauWalmartpouracheterdulaitenrentrant,ceseraitgentil.Jepusexpirer.Papaallaitbien.–Biensûr,Maman.Jeprendrailelait.–Tucomptesrentrertard?Jeperçusunecertaineinquiétudedanssavoix.Ellenem’avaitpastoutdit.Papadevait
vomirousouffrir.–Je…non,euh…Jevaisbientôtrentrer.Ellepoussaunsoupir.–Bon.Etfaisattentionenconduisant.N’oubliepasdemettretaceinture.Jet’aime.–Moiaussi,Maman.Je coupai et commençai à regagnermon pick-up ; j’avais déjà décidé de rentrer avant
qu’ellenem’enparle.Tout allait deplus enplusmal. Papan’arrivait pour ainsi direplus àsortirdesonlit.Cesenfoirésdemédecinsnepouvaientrienpourlui.
Mon cœur se serra, j’avais trop de mal à respirer. Ça m’arrivait souvent, ces dernierstemps,commesimescraintesmesaisissaientàlagorgeetserraientàm’encouperlesouffle.
Unesourdecolèrem’envahit.C’étaittropinjuste!Monpèreétaitunhommebien.Ilneméritaitpasça.Etmadoucemamanavaitbesoindelui!Ellenonplusneméritaitpasça.
–Faischier!criai-jeenplaquantlesmainssurlecapot.Çanousanéantissaittouslestrois,etjenepouvaisledireàpersonne.Pasbesoindeme
taperlapitiédegensquineserendaientpascomptedecequ’onéprouvait.Unmouvementsurlagauchecaptamonattentionetjetournaivivementlatêtepourvoir
quiavaitassistéàlascène.D’abord, je repérai une robe bain de soleil, puis ce corps aux belles courbes qui la
mettaienttellementenvaleur.Cette nana avait trop de chance de ne pas pouvoir parler. Comme ça, pas besoin de
raconter des histoires ni de dire toujours la vérité ou de se conduire d’une façon ou d’uneautre.
Elle pencha la tête de côté comme si elle m’observait, cherchant à savoir si j’étaisdangereux ou si j’avais besoin d’aide. Ces magnifiques cheveux, ces lèvres pulpeuses ne
pourraient en effet que m’aider. À oublier, un certain temps. Oublier le bordel qu’étaitdevenuemavie.
Sautantdemonpick-up,jemerendisdanssadirection.Jem’attendaispresqueàlavoirs’enfuir.Maisnon.
Jerespiraiungrandcoup.Quelquepart,magorges’étaitdétendue.–Tuaimescequetuvois?luilançai-jeenespérantlafairedétaleràtoutesjambes.Elleneméritaitpasça;c’étaitinjustedecomptersurellepourapaisermadouleur.Etje
m’en voulais de ne pouvoir contrôler mes émotions. Elles restaient trop à fleur de peau.Commen’importequid’autresurmonchemin,ilfallaitquejelarepousse,poursonbien.
Elle ne réagit pas, pourtant une lueur brillait dans ses yeux. Elle n’était pascomplètement barrée, comme le prétendait Brady – c’était le genre de chose qu’on pouvaitdéterminerdansleregarddequelqu’un.Etlesienétaitpresquetropintense.Tropintelligent.
–Tuvasrester lààmedévisager,commesi tuvoulais justegoûtersansparler?Plutôtmalélevé.
Mapropreméchancetémefitfrémir.Mamanauraithontedemoi.Pourtant,cettefillenefitqueclignerdespaupières.Ellenereculapas,n’émitpasunson.Bradynousavaitaumoinsditlavéritésurunpoint:elleneparlaitpas.
Pourtant,elle laissaitbienentendreque jene l’intéressaispas.Et jen’enavaispas tropl’habitude.Desfillesquinevoulaientpasqu’onlesembrasse…
Jem’arrêtaidevantelle,luiprislevisagedansunemain.Ouf,cevisage!Ilfallaitquejelatouchepourvoirsielleétaitbienréelle.Cetteperfectionmesemblaitpresqueimpossible.Toutlemondeavaitdesdéfautsphysiques.Jevoulaistrouverlessiens.
Dupouce,jeluicaressailalèvreinférieure.Ellen’avaiteffectivementpasbesoinderougeaveccettebouched’unjolirose.
–Ilseraittempsquetufiles,dis-jepourlaprévenir.Alorsquec’étaitmoiquiauraisdûm’enaller.Ellenebougeapas,nemequittapasdesyeux.L’audace.Sansbroncher.Laseulechose
quilatrahissaitrestaitcebattementdanssoncou.Elleétaitanxieuse,maissoittropeffrayéesoittropcurieusepourdétaler.
Jemerapprochaiencore,jusqu’àmeserrercontreelle,laplaquercontrel’arbrederrièreelle.
–Jet’aidemandédefiler,mabelle.Sansendiredavantage,jeposaimabouchesurlasienne.
3
T’inquiète,mabelle
Maggie
Je tenais à ne surtout pas gêner Brady. Vendredi soir, tante Coralee l’avait obligé à
m’emmeneràcettefêteetj’enprofitaipourluiprouverquejeneledérangeraispas.Jerestaidonc à peu près constamment assise seule dans l’ombre, loin des autres. Toutes les demi-heures, j’allaisvérifier siBradyétait toujours là,ous’ilmecherchait,puis je retournaisversmacachette.
J’espérais juste qu’il n’en serait pas ainsi chaqueweek-end. Je n’avais aucune envie devivre ça chaque fois que Brady se rendrait à une soirée. Je préférais rester lire dans machambreplutôtquedetraînerseulesurunparkingplongédansl’obscurité.Bienqu’ils’ysoitproduitunévénementpropreàrendreleschosesplutôtmoins…ennuyeuses.
En repensant aux événementsprèsde cet arbre, jeme sentis encorepiquerun fard. Jevenaisd’yrecevoirmonpremiervraibaiser,d’untypequejeneconnaissaismêmepas.Ilétaittrèsgrand, lescheveuxnoirsetbouclés.Quantàsonvisage…àcroirequeDieuavaitchoisilestraitsmasculinslesplusbeauxetlesavaitassemblésrienquepourlui.
Cen’étaitpourtantpascequim’avaitfaitrestersurplacealorsqu’ilmedisaitdepartir.C’étaientsesyeux.Mêmedansl’obscurité,j’ylisaisunegravitécommejen’enavaisjamaisvuailleurs,sicen’étaitenmoi.
Audébut,iltéléphonaitàsamère,illuiavaitditqu’ill’aimait.Puisilavaitraccrochéetpousséun juronentapantsursonpick-up.C’était forcémentunmecgentilpourparlerainsiavecsamaman.Ilnemefaisaitpaspeur.
Maisjem’inquiétaispourlui,alorsj’étaisrestée,bienqu’ilm’aitditdepartir.Ensuite,ilm’avait embrassée. Il s’étaitd’abordmontrébrutal, commes’il voulaitmeblesser, etpuis il
s’étaitadouci,aupointquejefinisparm’agripperàsonT-shirt.Lesgenouxflageolants,jenesavais plus si j’avais vraiment gémi ou si tout ça se passait dans ma tête. Étant donné sabrusquerie enmequittant, j’espérais bienn’avoir émis aucun son.Et je regrettais dem’êtreblottiecontrelui.
Car ça s’était terminé aussi vite, aussi soudainement que ça avait commencé. Il s’étaitécarté de moi sans dire un mot, sans me regarder, avait regagné son pick-up et démarré.J’ignoraisquic’était, jesavaisjustequejeletrouvaisbeauetqu’ilm’avaitdonnéunpremierbaiserdignedecenom.
Deux heures plus tard, quand Brady eut enfin décidé de s’en aller, il m’avait trouvéeassoupieparterre,sousmonarbre.Çal’avaitembêté,alorsilnem’avaitrienditduranttoutletrajetduretour.Sibienquecebaiserétaitpasséausecondplan:jevoulaisd’abordtrouverunmoyenpourquemoncousinnemehaïssepas.
Le dimanche, alors queBrady devait se rendre à la piscine chez un ami, tanteCoraleeavait suggéré que je me joigne à lui. Alors, je m’étais empressée de lui écrire un messagedisant quemes règles venaient de commencer et que je ne tenais pas àme baigner. Ainsi,j’avaispuresteràlamaison.
Brady finit par s’absenter régulièrement toute la journée. Il devait redouter que je luicolledanslespatteschaquefoisqu’ilrentrerait.
Lors demon premier jour au lycée, Coralee avait donné à Brady une liste de choses àfairemeconcernant.J’enfusnavréepourlui.Onlisaitclairementl’agacementsursonvisage.Alors,dèsqu’onfutdehors,jeluitendisunmessage:
Jem’enoccupe.Fais commed’habitude, je trouverai la classe toute seule.Cen’estpas
parcequejeneparlepasquejenesaispasmedébrouiller.JevaisdireàtanteCoraleequetu
as fait tout ce qu’elle t’a demandé. Mais pas besoin de me trimballer partout. Je saurai
m’orienter.
Il ne paraissait qu’àmoitié convaincu, pourtant, il acquiesça de la tête et s’en alla,melaissantdevantl’entréedubâtiment.
Heureusement, tante Coralee avait averti le secrétariat que je ne parlais pas. On melaissa écrire tout ce que j’avais besoindedire.Onmedonnamonemploi du temps, onmedemandaaussioùsetrouvaitBrady.IlsemblaitquetanteCoraleeleuraitégalementditqu’ilme servirait de guide. Je mentis en écrivant qu’il était aux toilettes et qu’on devait seretrouverdanslehalld’entrée.
Unepetitepartdemoi–d’accord,unegrandepart–espéraityretrouverlegarçondelasoirée.Jevoulaislevoiràlalumière,vérifierquejenem’étaispastrompée,enespérantqu’ilvoudraitbienmevoirluiaussi.
Unefoisquejesusoùétaitmoncasier,jepartisàsarecherche.Toutseprésentaitbien,mêmesicefutuneautrehistoiredeletrouver.Avectouscesélèvesdanslecouloir,laplupart
plongésdansleurscasiersoudevantleurscasiersousortantdeleurscasiers, jenedéchiffraipaslesnuméros.Impossibleoupresquedetrouverle654.
–Çava?lançalavoixdeBradyderrièremoi.Je fis oui de la tête, sans trop vouloir lui dire que non et que je risquais d’arriver en
retardaucours.–Oùesttoncasier?demanda-t-il.Jecherchaicommentrépondreàcettequestionetfinisparluitendremonpapieravecle
numéro.–Tuesdéjàpasséedevant,répondit-ilenm’indiquantlefondducouloir.Viens,jevaiste
montrer.Jen’avaispasletempsderédigeruneréponse,alorsjelesuivis.Detoutefaçon,ilallait
m’aideretreconnaîtrequej’enavaisbesoin.Contrairement àmoi, qui avais dûme frayer un chemin à travers une foule compacte,
uneallées’ouvritautomatiquementdevantBrady.TelMoïsedevantlamerRouge.–Prenezunechambre!lança-t-ilàuncoupleentraindesetripoter.QueMaggiepuisse
atteindresoncasier.–C’estqui,Maggie?demandalafille.Elle posa sur moi ses grands yeux marron que semblaient encore souligner ses longs
cheveuxnoirs.–Macousine,réponditBradyl’airexcédé.–Tuasunecousine?Elleparaissaittellementsurprisequesonmecdutdéplacerlesmainsdesesfessesàses
hanchespourl’obligeràseretournerverslui.Jen’avaispaseuletempsdevoirlevisagedumecenquestionqueBradyreculaitd’unpasetm’ouvraitmoncasier.
–Voilà.Jesuisdanslecoinsituasencorebesoindemoi.Là-dessus,ils’éloigna.Jen’échangeaipasun regardavec le coupleprèsdemoi. La fillepouffa tandis qu’il lui
murmurait des choses à l’oreille – je captai bien lemotmuette. Apparemment, Brady avaitinformé les populations. Au moins, ça m’éviterait de voir quelqu’un essayer encore dem’adresserlaparole.
–Elleneparlepas?soufflalafilleassezfortpourquejel’entende.Enhâte,jerangeaimesaffairesdansmoncasieravantdelefermer,emportantavecmoi
monlivredecoursetuncarnet.Jebaissailatêteenrepassantdevantlemecetlafille,justepour apercevoir deux mains cramponnées sur des fesses. Il allait sans doute falloir que jem’habitueàcegenredescène.
Alorsquejeremontais lecouloir,quelqu’unmeheurtabrutalement,merenvoyantdanslecouplederrièremoi.Génial.
–Merde,pardon!lançaunevoixdegarçon.Çava?
Levantlatêteversletypequim’avaitfaittrébucher,jemeperdisdansleregardleplusclairquej’aiejamaisvu,aumilieud’unvisagecaféaulait.Sil’ensembleavaitquelquechosedestupéfiant,ilnecorrespondaitmalheureusementpasàmonmystérieuxgarçon.
–Faisgaffe!lançalafilleenmerepoussant.Mon carnet et mon livre tombèrent par terre. Moi qui n’aimais pas attirer l’attention,
c’étaitgagné.–Bordel,Raleigh,attends ! lança legarçonen sepenchantpour ramassermesaffaires.
C’estmoiquil’aibousculée.Fascinée,jenevoyaisquesesmusclessaillirsoussachemiseàmanchescourtes.Raleighéclatad’unrirequiavaittoutd’ungloussement.– Elle estmuette,Nash ! Et c’est la cousine de Brady. Alors, arrête de jouer les preux
chevaliers.C’estperdud’avance.Derrièremoiretentituneautrevoix:–Ettoi,arrêtedejouerlespoufs,mapuce.Cettevoix…Jemefigeai.Jeconnaissaiscettevoix.Non…cen’étaitpaspossible.–Bradyaunecousine?demandaNashenseredressantetenmetendantmeslivres.J’avaispeurdemeretourner.Etsijemetrompais?Cetypequiflirtaitàcôtédemoine
pouvait décemment être celui qui m’avait embrassée vendredi soir. Le type qui m’avaitembrassée était gentil avec samère. Un garçon aussi gentil pouvait-il embrasser une autrefille alors qu’il avait déjà une copine ? Était-il vraiment gentil ? Je m’en étais convaincuedurantleweek-endchaquefoisquejemerejouaisnotrebaiser.
Essayant de prendre un air indifférent, je récupérai mes livres, les plaquai contre mapoitrine.
–Ehoui.Surprise,surprise.Encorecettevoix.C’étaitbienlui.Ohnon…c’étaittellementlui!Jebaissailesyeuxpourneplusavoiràregarderpersonne.Jesentaisbienquej’avaisles
jouesrouges.Àprésent,jenesongeaisplusqu’àm’isolerpourpouvoirdigérerlanouvelle.Etmonmecmystèredepoursuivre:–Ellevautlecoupd’œil,maisBradyaditpastouche.Alors,Rayaraison.Laissetomber.
Faiscommemoi.Pourtant,luines’étaitpastenuàl’écart.Savait-ilàl’époquequeBradyavaitinterditde
m’approcher?Était-cepourçaqu’ilseconduisaitàprésentcommes’ilnemeconnaissaitpas?Quel abruti ! Et moi qui l’avais laissé faire. Qu’est-ce qui m’avait pris ? D’habitude, je necédaispasaupremierbeaugossevenu.Monpèreaussiétaitbelhomme,etpasunefoismamère n’avait pu lui faire confiance. Je n’allais pas me laisser avoir. Jamais plus je necommettraiscetteerreur.
–Çaveutdirequoi,«faiscommemoi»?demandaRaleighenrepoussantlemec.Jem’écartaidesonchemin.
–Ellevautlecoupd’œil,commejet’aidit,répéta-t-il.Il semontrait cruel envers elle et se servaitdemoipour ça. Jedétestais la cruauté, et
toute formedeméchanceté. La colèremonta enmoi.Dans cesmoments-là, j’avais enviedeparler.Non,decrier!Maisjen’yarrivaispas.
Jesentismonvisagebrûlerdedégoût,defureuretdedéception.JeregrettaisqueBradynem’ait pas attendue. Jene savais plus quelle directionprendre et ne voyais pas commentsortir mon plan du lycée au milieu de ces gens. Je tremblais. Je regardai autour de moi,cherchantparoùm’enfuir.
–Elleestmuette!crialafilleengrondantdefureur.Jenesaispaspourquoijeresteavectoi.Jepourraisavoirquijeveux,West.Tum’entends?
West. Il s’appelaitdoncWest.Une filledevaitaumoins connaître leprénomdugarçonqui lui avait donné son premier baiser, pourtant, je le regrettais. J’avais envie d’effacer cevisageetcettesoiréedemamémoire.
–Tunepourraispasm’avoirmoi,rétorquaNash.Jenefréquentepaslesdingues.Commejelevaislatêteverslui,ilm’adressaunclind’œil.Amical.Jen’avaisrienvude
toutçadansleregarddeWest.Celui-ciriaitàlarépliquedeNash,maislafillecracha:–Quit’aditquejevoudraisdetoi?MonpèrenemelaissefréquenterquelesBlancs.Jemeraidis.Elleavaitvraimentditça?Nashétaitd’unebellecouleurdorée.– Hou là, la honte ! commenta-t-il, visiblement amusé. Je suppose que ton papa n’a
jamais pardonné à sa petite amie blanche d’avoir épousé un Noir. Mais ça remonte àlongtemps,Raleigh.Ildevraitpasseràautrechose.Commemamère.
Bon,voilà,voilà…Lesbonsclichésd’unepetiteville.Nashseretournaversmoi:–Tuveuxqu’ont’aideàtrouvertonprochaincours?MaisRaleighn’enavaitpasfini.–Tuvaslelaissermeparlercommeça?demanda-t-elleàWest.–C’esttoiquiascommencé.–J’enaimarre!hurla-t-elleentournantlestalons.Tout ce que je voulais, c’était trouverma classe. Je sortis le plan plié dansma poche,
l’ouvris en essayant d’oublier combien mes mains tremblaient. Il fallait que je m’en ailleimmédiatement.LoindeWest.
–Quelesttonpremiercours?medemandaNash.–Elleneparlepas,intervintWestderrièremoi.Là-dessus,Raleighaditlavérité.Je n’avais aucune envie de les regarder ni l’un ni l’autre, pourtant je ne pus m’en
empêcher.Ilfallaitquejesache,pourWest.Lavoixétaitbienlamême,maisjevoulaisvoirsonvisage.Aufond,jeconservaisleminceespoirquelegarçonquim’avaitembrasséevalaitmieuxqueceluiquisetenaitderrièremoi.
Malheureusement,enpleinelumière,ilm’apparutplusparfaitquejamais.Jepréféraimeplonger dansmon plan avant qu’il ne s’aperçoive que je le regardais. Je le détestais. Lui ettousceuxquitraitaientlesgenscommesileurssentimentsnecomptaientpas.
–C’estdenaissance?medemandaNash.Il ne pouvait pas me lâcher ? Il était gentil, mais je n’avais aucune intention de lui
répondre.Soudain,Westseplantaenfacedemoi,l’airexcédé.Ilsemblaitsemoquerquesapetite
amieviennedeleplaquer.Ilfallaittotalementmanquerdecœurpourréagirainsi.Sesyeuxbleufoncéseposèrentsurmoi,bordésdelongscilsnoirs.Ilsn’étaientpasaussi
magnifiques que ceux de Nash – personne ne devait le dépasser sur ce plan –, mais j’ydécouvrisunpeuplusquecequej’avaisvuvendredisoir.Chagrin,peur,indifférence.Encoreunefois,cequejevoyaisdansmespropresyeuxquandjemeregardaisdanslaglace.
–Merde, elle est plus jolie deprès, lâchaWest enpenchant la têtede côté.Dommagequ’ellenepuissepasparler.
Ilmeconsidéraitcommes’iln’avaitjamaisprismonvisageentreseslargespaumes.J’eneus le cœur retourné. Je connaissais la démence et la cruauté. J’y avais eu droit. Et çamefaisaitpeur.Si jen’avaispasdéceléaussisonchagrinetsapeur, jel’auraisgiflé.Mais j’avaissurtoutenviedem’éloignerdecesalemecunpeutordu.Si,pourassumermadouleur,j’avaischoisideneplusparler,luiavaitchoisideblesserlesautres.
–Elleestmuette,têtedenœud!raillaNash.Passourde.Unsourireencointordit les lèvresdeWest,sans toutefoisatteindresesyeux.Sesamis
nes’enrendaientdoncpascompte?Ilsnevoyaientpasquecemeccachaitunedouleurquilerendaitsiinfect?
–T’inquiète,mabelle,jesuisuncon,dit-il,l’airdes’excuser.S’excuserdequoi,d’ailleurs?Dem’avoirembrassée?Oud’avoir trahisapetiteamie?
Oudeprouveràchacunedesesparolesàquelpointc’étaitundébilesanscœur?Mais lemal était fait.Cegenrede chosene se réparaitpasd’un claquementdedoigts,
j’en savais quelque chose.Encorequ’onnenaissait pas cruel.On ledevenait.C’était cequedisaitunedemesconseillèresquandellevoulaitparlerdemonpère.
La tête haute, jem’écartai ostensiblement de lui. Le regard noir que je lui jetai dut endire davantage qu’aucune parole. Apparemment, il capta le message, car il se détourna ets’éloigna.
Je le suivis des yeux en me demandant si quelqu’un savait seulement pourquoi il seconduisaitainsi.Quelqu’unquiconnaîtrait lavéritécachéesouscettecruauté.Passacopineen tout cas, sinon elle ne l’aurait pas planté là. Il se comportait avec une assurance siimpressionnantequepersonnenedevaitchercherplusloin.
J’avaisbeauletrouverdétestable,jel’avaisaussientenduparleràsamère.Luidirequ’ill’aimait.D’unevoixbrisée.
–Oublie-le,meprévintNash.Westestmauvais.Ilfaitpartiedemesmeilleursamis,maisc’estdel’arsenicpourlesfillescommetoi.Riennel’intéresseplusquelui-même.
QueNashserassure,jen’avaispasl’intentiondesuivreWestoùquecesoit.Onavaitétéprochesunefoisetilnesemblaitpass’ensouvenir.Iln’avaitpasdûpensertoutleweek-endànotrebaiser,commemoi.
Pourtant, il fallait sauverWest.Quequelqu’un s’approchede lui, le touche.Nuln’avaitétécapabledesauvermonpère,etl’horreurl’avaitsuividanssonautodestruction.Westavaitdésespérémentbesoind’aide.Jelesavais.Jesavaisaussiquecen’étaitpasmoiquipourraislesauver.J’avaismespropresdémonsàcombattre.
4
Jet’aime,Maman
West
–OùestBrady?demandaNashens’asseyantànotretabledanslacafète.
–Pasvu,répondis-je.Sansdouteavecsajoliecousine.J’essayaisdemecomportercommesi jene l’avaispasprisedansmesbras,alorsque le
souvenir de son baiserme rendait fou. J’avais passé la nuit à essayer d’imaginer ce qu’elleavaitpuressentir.Sesmainssurmontorse,soncorpsserrécontre lemien.Durantcecourtinstant,j’avaispuoublier,sanspluspenseràmavieniàcequim’attendaitchaquefoisquejerentraisàlamaison.
Maiselleavaitémisungémissementcommepourm’arracheràmondélire.Cettefillenepouvaitpasparler,etmoijelapressaiscontreunarbre,prenantcedontj’avaisbesoin.Quelsalaudjefaisais!Elleneméritaitpasça.
Il fallait que jemedétached’elle pour la laisser partir etm’en aller àmon tour. En laquittant, jen’avaispaspularegarder.Unseulcoupd’œilsurceslèvresveloutées,et j’auraisremisçasur-le-champ.Ellen’étaitpasseulementbelle,ellefaisaitdubien.
SanscompterquesiBradydécouvraitquej’avaisembrassésacousine,çasetermineraitparlabastondusiècle.Jeleméritais,biensûr.Elleétaittropdélicieusepourmoi.
– C’est vrai qu’elle ne peut pas parler, dit Asa Griffith, l’autre attaquant de l’équipe.J’étaisàuncoursavecelle.Unefilleaussijoliequinepeutpasrâler,c’estlerêve!
Nashsursauta.–Arrêtetesconneries!C’estlacousinedeBrady.Ilparaissaitfurieux.J’avaisbienvucommeillaregardaitcematin.Ils’étaittoutdesuite
laisséséduire.Et,pourtoutdire,çanemeplaisaitpastrop.
– Sérieux, insista Asa. Elle est superbe et elle ne parle pas. Tu ne peux pas demandermieux.
Je préférai ne pas réagir. Je savais qu’Asa plaisantait et qu’il ne réfléchissait pas à laportéedesesparoles.
– Elle est venue à la fête, vendredi soir, ajouta Ryker en s’asseyant face à son cousin.Bradyabienexpliquéqu’elleétaitbarréeetqu’ilnevoulaitpasvoirl’undenouss’approcherd’elle.Ellen’estpasjustemuette,c’estdanssatêtequeçanevapas.
Nashledévisageauninstant,l’airréprobateur.–Elleapasl’airbarje.J’étais d’accord avec lui. Elle avait toute sa tête, je l’avais bien vu. C’était Brady qui
inventait ces craques. En fait, elle était intelligente, ses yeux suffisaient à le prouver. Ellem’avait dévisagé avec colère et déception en découvrant à quel point j’étais immonde.Exactementceque jevoulais.Aprèscebaiser, il fallaitqu’elle sedégoûtedemoi. Jen’étaispaslegenredemecàmettredanslesbrasdequelqu’und’aussidélicat.
Oui,enl’apercevantàlasoirée,j’avaiséprouvéuncertainsoulagement.Maisjenel’avaissavouréqu’uninstantavantd’ymettreunterme.Encemoment,jenepouvaism’occuperquede ma famille. Cette nuit, alors que j’écoutais ma mère pleurer doucement dans le salon,j’avais compris que je n’étais pas prêt à me montrer gentil avec une fille. Même une fillecommeelle.
–Tusaispourquoi,lançaRyker,excédé.Tul’asbienregardée?–Bon,onpourraitparlerd’autrechose?grommelaGunnerauboutdelatable.Mieux valait ne pasmemêler à la conversation, d’autant que je la connaissais. J’avais
l’impressionqu’elle lisaitenmoicommedansun livreouvert.Qu’ellecomprenait tout.Maisaussi,qu’elleattendaitdavantagedemoi.Pourjenesavaisquelleraison,jenevoulaispaslalaissertomber.Enmêmetemps,jesouhaitaisqu’ellemehaïsseassezpournejamaischercheràserapprocher.
– On a une partie de foot à jouer, dit Ryker. Alors, si on se tape la cousine de notrequarterbackpréféré,c’esttoutel’équipequivalesubir.Pourlemoment,Bradynedoitpenserqu’aufootetnons’inquiéterdevospetitsculsexcités.
Bienvu.Sionvoulaitenvisagerdeparticiperauchampionnatd’Étatcetteannée,ilfallaitqueBradyseconcentresurunseulpoint:lefootball.
Jedevaisremportercedéfipourmonpère.Illedésirait.Ilavaitditqueceseraitpendantmonannéedeterminaleoujamais.Jem’étaisjurédeluioffrirça.Quoiqu’ilm’encoûte.
Ilnemeseraitpasfaciled’oubliercebaiser,toutefoisjeneregrettaispasd’avoirchoquéMaggie. Je m’étais comporté d’une façon qui aurait horrifié ma mère. Mais j’avais vu sonregard,jesavaisqu’elleavaitcaptélemessage.Jen’étaispasunmecsympaàquionpouvaitfaireconfiance.
Enentrant à lamaisonaprès l’entraînement, je trouvai la tabledressée commeun soir
normal dans une famille normale. J’avais toujours vécu ici, depuisma plus tendre enfance.Pourtant, jenem’ysentaisplusensécurité.J’avaisconstammentpeur,n’espérantplusqu’unmiracle.
Ma mère avait préparé le dîner, comme presque tous les soirs de ma vie. Elle faisaittoujoursdesonmieux.Jesavaisqu’elleaussipriaitpourques’opèreunmiracle.Chaquefoisqu’ellelepouvait,ellesecomportaitcommesilavienes’étaitpasretournéecontrenousdeuxannées auparavant, lorsqu’on avait diagnostiqué un cancer à mon père. Ce soir, elle avaitajoutédesfleursfraîchementcoupéesaucentredelatable.Lepanieràpainétaitplein.Elleencuisinaitbeaucoupcestemps-ci.
–Tevoilà,dit-elleavecunfaiblesourire.L’entraînements’estbienpassé?C’était sa façonderéagir :unair joyeuxde façade.Jenesavaispas tropsi c’étaitpour
tenterdem’aiderou justepourtenir lecoup.Papa la laissait fairecequ’ellevoulait,sans laforceràaffronterlavérité.Ill’adorait.Depuistoujours.
Notremaisonn’étaitni grandeni élégante commecelledans laquelle elle avait grandi.Pourtant,elleytenait.Elles’enoccupaitbeaucoup,larendaitchaleureuseetagréable,preuvequ’elleétaitfièredelaviequepapaluiavaitofferte.Jamaiselleneparlaitdesonpassé,desajeunesseavantd’épouserpapa.
–Trèsbien.Onestprêtspourvendredisoir.Onvayarriver.Pasplusquepapa,jenepouvaislalaissertomber.Siellevoulaitfairecommesionvivait
unevienormale,moiaussi.–Papamangeavecnous?Peut-êtreallait-ilmieux?Ildormaitencorequandj’étaisparti,cematin.Etiln’avaitpas
vomidelanuit.Ellemedécochaunlargesourire,etlalueurdanssesyeuxmeparutpresqueirréelle.–Oui!Ilvientdeprendreunedoucheetils’habille.Ilveutquetuluiracontestaséance
defoot.Jecroisqu’ilguettelematchdevendrediavecencoreplusd’impatiencequetoi.Pourrait-ilseulementyaller?L’annéedernière,ilallaitmieuxetilavaitpus’asseoirdans
lestribunes.Maismaintenant, jenepouvais l’imaginerserendre jusque-là.Jenevoulaispasraccourcir le temps qu’il nous restait ensemble en le dérangeant pour unmatch alors qu’ildevraitsereposer.
–Qu’est-cequ’ilyapourledîner?demandai-jepourchangerdesujet.Difficile de parler de papa et du football ; il aimait ce sport plus que tout après sa
famille, etm’avait communiqué le virus. C’était le lien qui nous unissait. Il avait passé desjournéesàmelancerdesballonsdanslejardinet,lematin,onselevaittôtpourallercourirensembleavantl’école.Jevoyaismaintenantàquelpointtoutceciappartenaitaupassé.
– Pain de viande, purée et chou vert.Oh, et bien sûr, pain demaïs ! Tonpère l’adoreaveclechou.
Ellepréparait toujours lesplatspréférésdepapa,alorsqu’ilpourraitàpeiney toucher.Mais tant pis. Elle faisait ça pour lui, parce qu’elle ne savait que faire d’autre. Je lacomprenais.
Ce soir, je raconterais donc mon entraînement dans le détail, comme s’il avait deschancesd’assisterànotrematchdetriompheauchampionnatd’État.Jevoulaisqu’ilsoitlà.Jevoulaisgagner.Ettantpissijemanquaisderéalisme.
Il ne nous restait qu’à faire notre possible pour rendre papa heureux. Même si,intérieurement,onsesentaitbrisés.Iln’avaitpasétéqu’unmaripourmaman,maisaussisonmeilleur ami. Je les avais toujours connus inséparables. L’année prochaine, je voulais jouerdans la Southeastern Conference, l’un des groupements sportifs universitaires les plusimportants du pays. Mais pourrais-je la laisser seule ? Si papa n’était plus là, pourrais-jepoursuivremesrêves?Nosrêves?
–Monteprendretadouche.Jevaisremplirnosverres,puisj’iraivoirsitonpèreestprêtàpasseràtable.
Ellesouriaittoujours,bienqu’onaittouslesdeuxlecœurbrisé.–D’accord,répondis-je.Sansrienajouter,jegrimpail’escaliermaism’arrêtaienroute.Jevoulaislarassurer,lui
direqu’ellen’étaitpasseule,quejeseraistoujourslà.Sielleressemblaitàcettefleurdélicatequemonpèreprotégeait,j’avaisdécouvertquecelacachaitunevolontéd’acier.Jamaisellenecraquaitdevantlui.C’étaitellequitenaitlecoupquandj’avaisenviedemeblottirengeignantcommeunbébé.
–Jet’aime,Maman.Qu’ellesachequejenelalaisseraisjamaistomber.Sesyeuxs’emplirentdelarmesqu’elleneverseraitpas.–Moiaussijet’aime,mongarçon.Cela suffisait pour aujourd’hui. Je ne pleurerais pas. Pas devant elle. Et je ne pourrais
supporterdelavoirpleurer.
5
Écarte-toidemavie
Maggie
Jem’étaisassisesurlereborddelafenêtre.Cesoir,Bradyavaitinvitéplusieurscopains
àregarderdesvidéosdematchs.TanteCoraleeavaitinsistépourquejepuissedescendreaveceuxsiçametentait.MaisjeneferaispasçaàBrady.
Alors, je restaisassise là,àguetteruneéventuellearrivéedeWest.D’accord, ilm’avaitdégoûtéecematin,maisjesavaisbiencequecachaitsonregard.J’avaisenviedelemépriserou,toutaumoins,den’éprouverquedel’indifférencepourlui,pourtantjen’arrivaispasàlechasserdemespensées.
Aprèssapetitescènedanslecouloir,j’étaispersuadéed’avoiraffaireàunmonstre.Mais,ensuite,jel’avaisvuplaqueruntypecontrelemurpourluiarracherunepairedelunettesafindelarendreàunélèvedetroisièmeàl’airterrifié.Touts’étaitpassésivitequesi jen’avaispas été en trainde l’observer endouce, jen’aurais rienvu. Lesgens cruelsou sanspeurnefont pas ça. Ils nedéfendent pas les faibles. West n’était décidément qu’une contradictionambulante.
Néanmoins, je n’avais pas l’intention de lui faire confiance. Ce n’était pas parce qu’ilparlaitgentimentàsamèreouaidaitunélèveàrécupérersesaffairesqu’ilallaitsusciterunequelconque passion en moi. Oui, il m’avait embrassée, oui, j’avais aimé ça. Et, oui, j’avaisenvie de savoir quel secret il cachait au monde entier. Mais je n’étais pas du genre à melaissertournerlatêteparungarçon.Çam’étaitarrivéunefoisaucollègeavecunbeaumecâgéd’unandeplusquemoi.Jecroyaisqu’ilm’appréciaitvraiment,jusqu’àcequejedécouvrequ’ilseservaitdemoipouratteindremonamie.Enapprenantqu’ill’avaitinvitéeaubaldelarentrée,j’avaisfonduenlarmes.Mamans’étaitassiseàcôtédemoisurlecanapéetonavait
mangédupop-corn,de laglaceauchocolatcouvertedecaramel fondantetde lapizza.Elleétaittoujourslàquandçan’allaitpas.Ellesavaitcommentmerendrelesourire…
Jechassaicesouvenir.Ilnefallaitpasquejepenseàça.Ellememanquaittrop.Je tirai la couverture surmes bras, la coinçai sousmonmenton, appuyaima tête à la
vitre.LesyeuxdeWestallaientcontinueràmehanter.Sesamisnecritiquaientdoncpassaconduite?Ilsl’acceptaient?
EnlevoyantembrasserRaleigh,cetaprès-midi–visiblement,elleneluienvoulaitpluset se frottait contre luidès la sortiedes cours–, j’aurais vouluêtreune secondeà saplace.Maintenant que je savais ce que ça faisait de se trouver dans ses bras, je me prenais àregretterqu’ilne soitpas legarçonque j’avaiscruvendredi soir.Etpuis jem’étais rappeléequ’ilembrassaitcettefilleaprèsl’avoirtraitéecommeunemoins-que-rien.Était-cesafaçondes’excuserauprèsdeRaleigh?Luipardonnait-elleaussifacilement?Sansdoute.J’avaisvucegenre de relation travestie entre mes parents. Si elle se doutait à quel point ça pouvaitdevenirmalsain…
LesgarçonscommeWestfaisaientoubliertouteraisonauxfilles.Jel’avaistropsouventvu. Quand on se taisait, il était plus facile d’observer les autres. Je captais mieux leurserreurs. Et les gens croyaient pouvoir dire devantmoi des trucs dont ils ne parleraient pasautrement, car ils savaient que je ne répéterais rien, ou alors parce qu’ils confondaientmutismeetsurdité.
Parexemple,deuxdemessixprofesseurs,aujourd’hui,avaientparlétrèshautcommesijenepouvaispaslesentendrequandilss’adressaientàmoiaucours.C’enétaitcomique.J’enavaisprisl’habitudemaintenant,maisçamefaisaitencorerireintérieurement.
Jemedemandaiscequeçaferaitderireànouveau,derirefort.Desentircesonsurmalangue.Mais pourrais-je jamais rire,maintenant quemamère étaitmorte et que jem’étaisassurée quemon père paie pour son crime ? Pourrais-je entendrema propre voix sansmebriserenmillemorceaux?
Jesursautai,caronfrappaitàmaporte.LapoignéetournalentementetlatêtedeNashapparutdansl’entrebâillement;sesyeuxressortaientplusquejamaissursapeausombre.
–Tuveuxdelacompagnie?demanda-t-ilavecunsouriretimide.Il flirtait avecmoi.À plusieurs reprises aujourd’hui, il s’était approchépourmeparler,
tout en sachant très bien que je ne lui répondrais pas. Je ne m’attendais pas à ce genred’attention, alors qu’il se conduisait toujours comme ça. Au début, je me méfiais, mais ils’était justemontrégentil. Ilnedépassait jamais les limites,ainsique je l’avaisvufaireavecd’autresgens.Cependant,toutlemondeaulycéesemblaitbienl’aimer.Mêmelesprofesseurs.
Jen’avaispasenviedecompagnieetjen’étaispascertainequecesoitunebonneidéedele laisser entrer dansma chambre. Pourtant, je haussai les épaules. Sans être vraiment uneinvite,cen’étaitpasnonplusmalpoli.Dumoinsjel’espérais.
–Bon,parcequeçamerase,cequ’ilsfontenbas.
J’essayaideluidécocherunsourire,maisn’yparvinspas.–Tusais,continua-t-ilens’asseyantauborddemonlit,j’aitrouvélescoursmoinscasse-
piedsaujourd’hui,parcequejepouvaisteregarder.Je baissai la tête comme pour examiner la couverture qui m’enveloppait. Il cherchait
encoreàflirter.Jen’enavaispasl’habitude.Biensûr,j’avaiseudescopainsavant…avantlesévénements. Mais il y avait quand même une différence. On ne s’était pas embrassés nifréquentés. C’était plutôt une relation qui n’existait que dans le cadre du lycée, ou autéléphone le soir.Mamère s’était toujoursmontrée hyperprotectrice, disant que je n’auraispasledroitdesortiravantmesseizeans.
Àuneépoque,j’avaismêmeétélapom-pomgirlpopulaire.Maistoutavaitchangéet,cesdeuxdernièresannées,j’avaisperduunpandemoi-même.
–Jenevoudraispastemettremalàl’aiseoutedéranger.Jesuisdésolé.J’aimeraisjustequetutesentesbiendanscettenouvelleécole.
Ilétaitbeauetadorable.Legenredegarçondontj’auraisraffolédansmonautrevie.Legenredegarçondontn’importequellefilledevaitraffoler.Jepouvaisl’ignorerpourl’obligeràs’enaller.Maisjen’allaispasmemontrergrossière,nonplus.C’étaitl’amidemoncousinet,jusqu’ànouvelordre,leseulamiquejem’étaisfaitdanscetteville.
Jeprislecarnetetlestyloquej’avaislaisséstraîneraprèsavoirterminémesdevoirs.Ilméritaitaumoinsuneréponse.Etpuis,jeseraiscontented’avoirunamiici.Quelqu’unquinemeconsidéraitpascommeunmonstre.
Merci.D’êtregentilavecmoi.Cettejournéeauraitpuêtreplusdifficilesijenet’avaispas
eupourami.
Jeluitendislecarnetpourqu’ilpuisselelire.Unsourireluiétiralesdeuxcoinsdelaboucheetnosregardsserencontrèrent.–Tuasuntéléphone?Pourqu’onpuisses’envoyerdesSMS?Je fis oui de la tête et lui montrai l’appareil que m’avait offert ma marraine, Jorie,
lorsquej’étaisalléehabiterchezelleaprèslesévénements.Cesdeuxannéespasséesavecelleavaientététoutsaufréconfortantes.Jel’encombrais,ellenesavaitpass’yprendreavecmoi.Comme je ne parlais toujours pas, elle avait fini par laisser tomber et appeler mon oncleBoone pour lui demander s’il voulait toujoursme recevoir chez lui. Avec tante Coralee, ilsavaient accepté immédiatement. En moins d’une semaine, Jorie m’avait fait plier bagage.Depuis, elle n’avait pas téléphoné une fois pour prendre de mes nouvelles. Mon numéron’avaitpourtantpaschangé;c’était toujoursceluiqu’ellem’avaitobtenu.Laseuledifférenceétantquec’étaientdésormaismononcleetmatantequipayaientlanote.
Nashmetenditlamain.–Jepeuxyajoutermonnuméro?Denouveau,jehochailatête.Ilpritunselfie,ajoutasesinformations.J’entendisundingetilmesourit.
–Voilà, jeme suis envoyéun texto, comme ça, j’ai aussi tonnuméro. Je peuxprendreunephotodetoipourl’ajouteràtafiche?
Jen’aimaispastropcetteidée,cependantjen’allaispasluidirenon.Alors,j’acquiesçaietilsoulevaletéléphone.
–Souris,dit-il.Jenesourispas,maisilpritquandmêmelaphoto.–C’estbon,dit-ilenriant.Pasbesoindesourire.Laportes’ouvritetonsetournaensemblepourvoirBradyentrer,l’airfurieux.–Fouslecamp,Nash!Celui-ciouvritlesmains.–Ducalme,monpote.JeparlaisàMaggie.Onestamis,pasvrai,Maggie?C’esttout.Je
nefaisaisriend’autre,juré.–Rienàfoutre.Dégage.Nashseleva,pritsontéléphoneenm’adressantunclind’œilpuissortit.Bradynelâchapasunmotjusqu’àcequ’ilaitdisparumais,unefoislaportefermée,ilse
tournaversmoi.–Méfie-toi,Maggie.Cesmecssontmesamis,maisilsneseconduisentpastoujoursbien
aveclesfilles.Tu…gardestesdistances,d’accord?Luiquim’avaitsipeuadressélaparolejusque-là, ilsecroyaittenudemeprotéger?Je
n’avaispasbesoinqu’ilmedisedequimeméfier.Jecomprenais lesautresmieuxquelui. Iln’avait pas à me conseiller deme tenir à l’écart de ses amis. Je soulevai le menton et luidécochai un regard de défi. J’avais tout fait pour empêcher ses parents de lui imposer maprésence.Maiscen’étaitpasuneraisonpourqu’ilenfasseautant.
Ilaperçutmoncarnetet,sansmelaisserletempsd’intervenir,lesaisit,lutmonmessageàNash.Jesavaistrèsbienqu’iln’yverraitpasquedesremerciements.
Illejetasurlelitenéclatantd’unriremauvais.–J’aiunmatchàgagner,vendredisoir,dit-ilensepassantlamaindanslescheveux.La
villeentièrecomptesurmoi,maisjenepeuxpasjoueraufootettesurveilleràlafois.Jen’aipasdemandéàêtrelegardiendequiquecesoit.Pasletempspourcesmerdes.Alors,s’ilteplaît,écarte-toidemavie.Trouve-toidesamisquine fassentpaspartiedemonéquipe.Et,deuxièmenouvelle:aucungarçonneseratonami.Adresse-toiauxfillespourça.Tuestropnaïveouquoi?
Là-dessus,ilsortitenclaquantlaporte.J’aurais voulu queBradym’aime bien. J’avais essayé de ne pasm’imposer à lui ; il n’y
avait aucune raison pour que j’encombre sa vie.Mais je refusais qu’il me parle comme ça.J’allais donc garder mes distances avec ses amis. Pas parce qu’il me l’avait ordonné. Justeparce que s’ils avaient tous tendance à se conduire comme des enfoirés, je ne voulais rienavoiràfaireaveceux.Jen’avaispasbesoind’amis.J’avaissurvécujusque-làsanseux.
6
Jen’allaispasl’enempêcher
West
Enarrivantau lycée, jepusconstaterqueRaleighnem’attendaitpasàmoncasier. Je
fussoulagédenepasavoiràdiscuteravecelle.Parfois,elleétaitplutôtdistrayantemais,cematin,j’étaisdeboutdepuistroisheuresàcausedemonpère.Ilavaitdenouveaudesnauséesetc’étaitlebruitdespasdemamèrecourantdanslecouloirpourluichercherunverred’eauquim’avaitréveillé.
J’étaisallél’aider,aprèsquoionnes’étaitpasrecouchés.J’auraiseutroppeurdedormiralorsquec’étaientpeut-êtrelesderniersmomentsquenouspassionsensemble.Ilétaitdevenutellement maigre, tellement faible. Les médecins ne pouvaient plus rien pour lui. Le moisdernier, ils l’avaientrenvoyéà lamaisonsansespoirderémission.Pourtoutmédicament, ilneprenaitplusquedesantidouleur.
J’eus dumal àme décider à aller au lycée, alors quema vie s’écroulait lentement. Jen’auraisjamaistrouvélapatienced’accueillirRaleighcommesij’avaisenviedelavoir.
Jevenaisdesortirmeslivresquandunemaindélicateauxjolisonglesrosesseposasurle casier voisin. Maggie. Quelqu’un qui cherchait encore à se frayer un chemin dans mespensées.Mêmesij’essayaisd’oubliercommentellemeregardait,commentelleavaitvuautrechose en moi que le salaud que j’avais voulu lui montrer. Ou combien elle se fondaitparfaitementdansmesbras.
J’observais son profil tandis qu’elle composait la combinaison de la serrure. Elle valaitvraimentlecoupd’œil.
Tournantlégèrementlatête,ellemejetaunregardencoinavantdereveniràsoncasier.Jenebougeaipas,attendantqu’ils’ouvremais,aprèstroisessais,ilrestaitfermé.
–Pousse-toi,Maggie.Tumedonneslacombinaison?Cette fois, ellemedévisagea d’un air attentif, avant de sortir son téléphone pourm’en
montrerl’écran.–Merci.Maintenant,bouge.Quandellem’eutlibérélaplace,j’entraienhâtelacombinaisonetouvrislecasier.–Voilà.Àcet instant, le téléphonevibradansmamain.Baissant lesyeux, j’aperçus levisagede
Nashetcetexto:Bonjour,mabelle.PourquoiNash luienvoyait-il ça?Etcommentavait-elleobtenusaphoto?Bradyavait
dit«pastouche».JerendissontéléphoneàMaggie.–Onn’estpasprèsdegagner lechampionnatsi lacousinedenotrequarterback fricote
avecl’équipedefoot.Baslespattes.J’utilisaisuntonplussecquejenel’auraisvoulumaistantpis.J’étaisépuisé.L’airfurieux,ellem’arrachaletéléphonedesmains.Ducoup,jemerendaisodieuxetelle
allaitmedétester, resterà l’écart.Pourtant,une lueurdanssesyeuxmefit regretterd’avoirdit ces conneries. Jem’en allai, assez dégoûté demoi-même. C’était plutôt àNash que j’envoulais,pasàMaggie.Jem’étaisdéjàassuréqu’ellegardesesdistancesavecmoi,désormais,ellenevoudraitplusmeregarder.Pasbesoindemeconduireainsi.Saufque,si jene jouaispasconstammentlesabrutisavecelle,jepourraisoubliermesrésolutionsetlaisseréchapperuneparoleinvolontaire.Maissincère.
Alors que je m’apprêtais à gagner mon cours suivant, je vis Nash arriver dans madirection. Je compris qu’il allait rejoindre Maggie, alors que Brady avait clairement laisséentendrequepersonnenedevaitapprochersacousine.Àcausedesoninitiativeidiote,j’avaisengueuléMaggie.
–Arrête!grondai-jeenluiattrapantlebras.Bradyneveutpas,tudoisl’accepter.Ilsedégagead’ungestebrutal.–Ont’ariendemandé,maugréa-t-ilenreprenantsonchemin.Jenepouvaisl’enempêcher,maisj’allaism’arrangerpourlefairepayersurleterraince
soir.Moiettouslesautres.Ets’ilnepouvaitjouervendredisoir,onsedébrouilleraitsanslui.Mais on ne pourrait pas gagner sans Brady. Et on devait gagner. Je n’allais pas laisser
tombermonpère.
–TuasvuqueRaleighnelâcheplusJacksonHughs?demandaGunnerens’asseyantprèsdemoiaucoursd’histoire.
Apparemment, elle s’étaitmise avec JacksonHughs, le seul vrai joueur de handball dulycée,débarquéd’unevilleplusaunordoùonappréciaitcesportidiot.Saufque,maintenant,ilvoulaitdévelopperuneéquipeàLawton.
–Rienàfiche,répondis-jesincèrement.En les voyant ensemble cematin, jem’étais arrêté pour accuser le coup.Mais rien ne
s’étaitproduit.Aucunedouleur,bienque j’aiepasséuneannéeplusoumoinsrégulièreavecRaleigh.Jeneressentaisrien.Absolumentrien.
– C’est vrai ? Pourtant vous vous étiez bien léchouillés le matin même, me rappelaGunner.
–Elleétaitexcitéecommeunepuce,jen’allaispasl’enempêcher.C’était–presque–lavérité.Enfait,j’avaisbesoindeladistractionqu’ellem’offraitainsi.
Etpuisj’essayaisaussid’effacerlesouvenirdubaiserdeMaggie.Çamerongeait, j’avaistropdemalàl’oublier.
–Raleighregardedansnotredirection,pouffaGunner.Elleguettetaréaction.Ellen’enobtiendraitaucune.J’ouvrismonlivre.–Tuestropglacial,Ashby,unvraimonstre.Tutefousdetout!S’ilsavait.Jenemefoutaispasdecertaineschoses,etceschoses-làmedéchiraient.–Rienàfoutre,rétorquai-je.–Nashaditquetuétaistrèsénervécontreluiquandtul’assurprisentraindeparleràla
cousinedeBrady.Jeluiairéponduquetuavaisraison.Là,jemetournaipourregarderGunnerdanslesyeux.–Jevaisréglerçatoutàl’heure,surleterrain.M.Halterentradans la salleet semitànousdonnerdes instructions sur lesprochains
textesàlire.J’allaisaumoinspouvoirm’offrirunepetitesieste.–Mamèrem’aditquecettefilleavaitvusonpèreassassinersamère,murmuraGunner
ensepenchantversmoi.C’estdingue.Qu’est-cequ’ilracontait?–Hein?–LacousinedeBrady.Elleneparlepas,parcequ’elleavusonpèretirersursamère.Il
estenprison,oudanslecouloirdelamort,oujenesaisquoi.Paraîtqu’elleenestdevenuecinglée.
J’eneuslecœurretourné.Commentcroireuntrucpareil?PaslagentilleMaggie…Elleneconnaissaitpas laméchanceté.Pasmêmeavecmoiqu’elleauraitbienpugifleraumoinstrois fois, déjà. Il n’y avait pas de colère dans son regard. Juste une grande solitude que jevoulaisignorer.MaiscequedisaitGunner…Cegenred’horreurpouvaitanéantirquelqu’un.
LamèredeGunneraimaitbienlespotins,tout lemondesavaitça.J’espéraisque,cettefois, elle se trompait. Mais si c’était vrai ? Comment pouvait-on vivre après un telcauchemar?
7
Peut-être
Maggie
TuneveuxpasrépondreàmesSMS?
C’étaitlecinquièmequem’envoyaitNashaujourd’hui.Jelesavaistousignorés,ettantpissijepassaispourunemalpolie. J’en avais fini avec les fréquentationsdeBrady et leurprécieuseéquipedefootball.D’autantquej’avaisvuWestempoignerNashdanslecouloiraprèsm’avoirengueuléeàproposdutexto.Pasletempspourcescomédies.Jenevoulaisplusenentendreparler.
JedevraissansdouteexpliqueràNashpourquoijeneluirépondraispas.Ilméritaituneexplication.Jeferaisçaaudéjeuner.Hier,Bradys’étaitassisavecmoidehors,àunetabledepique-nique,maisiln’enavaitvisiblementpasenvie.
JeluiavaisenvoyéunSMScematinpourluidirequ’iln’étaitpasobligédes’occuperdemoiaudéjeunerd’aujourd’hui.Jepouvaisbienmedébrouillerseule.Ilavaitréagid’unsimpled’accord.
–Tuvasluirépondre?Je reconnus la voix de West. Il s’approchait, le regard flottant au-dessus de ma tête.
D’après sonexpression, iln’appréciaitpasqueNashm’envoiedes textos.Cen’étaitpasmonproblème, jen’yrépondaispas toutsimplementpourmieuxm’éloignerde labandeàBrady.Jen’enseraisqueplus tranquille tantà lamaisonqu’au lycée.Mais j’enavaismarreque lesgensmedisentcequejedevaisfaireounon.Particulièrementcemec.Iln’avaitpasàmettresonnezdansmesconversationsavecquiquecesoit.
Jerangeaimontéléphonedansmapoche.
–C’est ça. Laisse-le tomber. Ça nous évitera bien des ennuis. S’il insiste, je vais lui enfairepasserl’envie.
Westvenaitdemediretoutçasansmeregarderuneseulefois.Etmoi, jem’empourpraidevantune telle condescendance. Iln’avaitpas ledroitdeme
parlercommeça.Cen’étaitpasparcequejenedisaisrienquejenecomprenaisrien.–D’accord!lâchai-je.Ilneme fallutqu’unesecondepourmerendrecompteque j’avaisparléàhautevoix. Il
m’énervaittellement,c’étaitsortitoutseul.Etmaintenant,j’entranspiraisdetouslesporesdemapeau.Jen’allaispasmerenierpourautant.Çaallait.Cen’étaitqu’unmot.
Cette fois, ilmeregardait, l’air incrédule.Etmoi, jecherchaisdésespérémentcommentravalercetteparole.Jel’avaisarticuléesanslamoindredifficulté.Pourtantmessouvenirs…jenevoulaispasqu’ilsremontentaveclesondemavoix.
–Hé,tuviensde…Il s’interrompit commes’il tâchaitde s’assurerqu’ilm’avaitbienentendueparler. Jene
confirmaininedémentis.Jerestaisplantéelà, lesyeuxfixéssur lessiens.Jen’endiraispasplus.Ilconcluraitpeut-êtrequec’étaitlefruitdesonimagination.
Secouantlatête,ilrepritsonchemindanslecouloir.Lafoules’écartaitsursonpassage.CommepourBrady.Etmoi, jemepassaiundoigt sur les lèvres.Comment se faisait-ilque,faceàWestAshby,maboucheprennelepouvoir?Je l’avais laissém’embrasseralorsque jeneleconnaissaispas.J’avaisditunmotsansyréfléchir.
Une foisqu’ileutdisparuà l’angleducouloir, j’inspiraiungrandcoup, laissai retombermamain sur le côté. J’avais bel et bien dit quelque chose.Moi qui croyais avoir perdu cetaspectdemapersonnalité–lafillequinegobaitpastoutcequ’onluidisaitmaissedéfendaitseule–,levoilàquiréapparaissaitsoudain.Jenepossédaispluscetinstinctniaucuncontrôlesurmavoixdepuisdeuxans.EtvoilàqueWest,bienqu’ilsesoitcomportécommeunabruti,ouàcausedeça,mel’avaitrendu.
Montéléphonevibradenouveaudansmapoche.Jen’avaisplusqu’àespérerqueWestnediseàpersonnecequ’ilavaitentendu.Jenemesentaispasprêteàparler,plutôt incapabled’entendreànouveaumavoixetdecommuniqueraveclesgens.
J’envoyaiuntextoàNash:Laisse-moi tranquille stp. Je ne veux pas embêterBrady.Arrêtedem’écrire. Et deme
parler.
J’appuyai sur « envoi » et partis à la recherche de la bibliothèque. Je profiterais del’heuredudéjeunerpourlire.Merendreaussiinvisiblequepossible.
Lelancementdelasaisondefootavaitlieuaustade,aprèsledéjeunerdevendredi.Lespom-pom girls passaient la journée en uniforme à pousser des acclamations pour glorifier
l’esprit du lycée. Endepareilles occasions, riendeplus facile à reconnaître qu’un casier dejoueur:ilsétaienttousdécorésdeballons,decœursetdeposters.
Aujourd’hui, Brady remontait les couloirs d’une démarche conquérante, encore plusdécidée que les autres jours.On acclamait souvent sonnomet il souriait chaque fois qu’onentamaituncouplet.Jenevoyaispaspourquoi,aprèsça,ilenvisageaitencored’organiserunerencontre;moiaussi,j’avaisétépom-pomgirlàuneépoque,pourtantjenemerappelaispasavoirvuuntelenthousiasmeunjourdematch.Çamesemblaitunpeuexcessif.
Depuis mardi, plus personne ne m’avait pour ainsi dire adressé la parole. Je mecontentais de longer les murs. Nash ne m’envoyait plus rien. Quand je le croisais dans lescouloirs,ilneregardaitpasdansmadirection.C’étaitbiencequevoulaitBrady,etçavalaitmieux ainsi. Pourtant, ça ne faisait qu’ajouter à ma solitude. Difficile de se faire des amisquandonneparlaitpas.Lesgensnesavaientpascomments’yprendreavecvous.Jevoyaiscomment ilsme dévisageaient, je les entendaismurmurer àmon sujet. J’étais incapable decommuniqueraveceux.
Et puis il y avaitWest. Jem’étais attendue à ce qu’il raconte aux autres ce qui s’étaitpassé, mais non. En même temps, il m’ignorait complètement. Si je ne savais pas que jerestaisvisibleauxregardshumains, jecroiraisavoirdisparudupaysage.Leseulcontactquej’eusavecluifutquandjelaissaitomberunlivredanslecouloir.Surgidenullepart,ilarrêtala circulation pour le ramasser etme le rendre. Toujours sansme regarder. Et puis il étaitreparti.
Jen’étaispasenchantéeàl’idéedemeretrouverdansunstadeemplid’élèvessurexcités,maisilfallaitquej’yaille.Matanteneviendraitmechercherqu’àlafin.Ellevoudraitsavoirsijem’étaisamuséeetilfaudraitquejemente.Jemetrouvaiuneplaceenhautdesgradins,pasloindelasortie,etrangeaimeslivressousmonsiège.Ainsi,jepourraism’enallerparmiles premiers. J’eus vite fait de repérer Brady parmi les joueurs. Il semblait plus concentré,moinsexubérantquelesautres,quirépondaientjoyeusementàlafoule.Jelesregardaisl’unaprèsl’autre,sansvouloirm’avouerquejecherchaisWestparmieux.Maisjen’aperçusnullepartsatêtebrune.Jerecommençaià lesexaminerunàunquandj’entendisdesriresautourdemoi.
–Ouf!J’aimeraistropêtreelle,lançaunefilledevantmoi.Jenesavaispasquiétait«elle».Mais,voyantsoninterlocutricetournerlatêteversles
portes,jesuivissonregardetaperçusWestdansl’encadrement,Raleighcolléecontrelui.–Illareprendtoujours,ajoutal’autrefille.C’esthorripilant.Elleestpassibonnequeça!–Pasd’accord,intervintungarçon.C’estunebombe.WestdétachaseslèvresdecellesdeRaleighetsourit.Puisilfitsonentréesurlestade,
telunroidevantsessujets.–Ilesttropcraquant!soupiralapremièrefille.
Sacopineéclatade rire,et toutesdeuxéchangèrentd’autres remarques sur le corpsdeWestettoutcequ’ellesaimaientencoreenlui.
Quandilarrivaaucentreduterrain, il tournasur lui-mêmeetsourità la foule.Certes,son sourire était beau, mais forcé, terne, factice. Personne ne le voyait donc ? Étais-je laseule?
Unediscussion s’éleva près demoi, et j’aperçusunblondinet à lunettes qui essayait defairebouger la fille surma gauche. Elle lui faisait les gros yeuxmais finit par s’écarter. Legarçonseglissaprèsdemoi,posasonsacsursagaucheenfaisantencoreplusrâlerlafille.
Finalement,ilsetournaversmoi,mesourit.–Salut,jesuisCharlie.Onadeuxcoursensembleetlesmêmespausesdéjeuner,maisje
net’aijamaisvueàlacafète.Jesaisquetuneparlespas.Jevoulaisjustemeprésenter.Etsituasbesoindequoiquecesoit,ousituveuxallervoirunfilm,jesuisdisponible.
–Sérieux?demandalafillequ’ilavaitdérangée.C’estça,tonplandrague?L’airexcédée,elleseremitàregarderl’équipe.–Jenesuispastropdoué,reprit-il.Enfait, jesuisnul.Maisje…jemedemandaissitu
nevoudraispas…Ilrougitsansacheversaphrase.Tropmignon.Etgentil.Iln’avaitpasunregardhanté.Sa
vieà lamaisondevaitêtre tranquille,avecdeuxparentsqui l’aimaient, sansdémonssur lesépaules,commemoi.
Cen’étaitpasnonplusunjoueurdefootball.Chosequimeplaisaitbeaucoup.Jesortismoncarnet.Contentedeteconnaître,Charlie.Jem’appelleMaggie.
Sonsourires’élargit.–Oui,jeconnaistonnom.Jem’étaisrenseigné.Paspourteharceler,justeparcuriosité.
Tu esnouvelle et tout. Ici, à peuprès tous les élèves étaient ensembledans lamêmeécoleprimaire,alorsquandilyaunnouveau…
Ilrougitencore.Jenesavaisquoiluirépondre.–Alors?demanda-t-ilenriant.Çatedit,unfilm?Un film… et un rendez-vous. Je n’avais jamais eu de rendez-vous. En avais-je envie ?
Étais-jeprête?J’avaisprononcéunmotcette semaine.Westme l’avaitarrachésans levouloir. Jen’en
étais pas morte pour autant. Je me sentais plus forte. Mais étais-je prête pour un rendez-vous?
Et si c’était justeWest ? Que se passerait-il si je parlais avec quelqu’un d’autre, si, enentendantmavoix,jesombraisdansuntrounoirpourneplusentrouverlasortie?
Jereprismoncarnet:Peut-être.C’étaittoutcequejepouvaispromettrepourlemoment.
8
Onvagagnercettesaison
West
C’étaitlapremièrefoisdemaviequejejouaisunmatchsanslaprésencedemonpère.
Les autres ne pensaient qu’à gagner, aussi, par chance, personnene s’était aperçude rien àpartBrady.Jeluiavaisjusteréponduquepapanesesentaitpasbien.
Jelançaideuxtouchés,maispapan’étaitpaslàpourlesvoir.Iln’étaitpasàsaplacepourm’encouragerde sesgrands souriresquand je courais sur les lignesde touche. Il avaitde lafièvre,souffraittrop,iln’étaitmêmepluslucide.
Ilavaithorreurdecesanalgésiques–ilpréféraitrestermentalementavecnous–,maisilavaittantsouffertcettenuitquemamanl’avaitforcéàlesprendre.Ensuite,quandilavaitfinipars’endormir,elleétaittombéedansmesbrasensanglotant.
Jenel’avaisjamaisvuedanscetétat.Effondrée.S’il yavaitunechosequinemepréoccupaitpas, c’étaitbien lematchd’aujourd’hui. Je
n’avais qu’une idée en tête : rentrer à lamaison pour raconter à papa ce qui s’était passé.J’avais envie de le faire sourire, de lui permettre d’espérer une victoire. Voilà si longtempsqu’onpartageait nos rêves…Jene voulais pas qu’il sache que j’allais les perdre. Parce que,loindelui,toutçan’auraitplusd’importance.
Sanscompterquemamanauraitbesoindemoiquandilneseraitpluslà.Jen’avais pas cherchéRaleigh après lematch. J’avais rejoint directementmonpick-up,
bien décidé à m’écarter de l’équipe ravie d’avoir gagné. En l’absence de mon père, je n’yprenaisplusaucunplaisir.
Enmême temps, je ne tenais pas à le retrouver quand jeme sentais tellement à cran.Mais jen’allaispasnonplusmerendreà lasoiréeoù l’équipedevaitcélébrer lavictoire.Je
voulaisjusteoublier.Jevoulaisreveniràmonanciennevie.Lorsquemonpèreétaitenbonnesanté.
Aprèsavoirroulésansbutpendantprèsd’uneheure,noyédanslechagrinquim’habitait,jelaissaimonpick-ups’engagersurlechemindeterrequimenaitauterrain.C’étaitçaoulamaisonetjenepouvaispasrentrermaintenant.Ilmefallaitquelquesbières,oublier.
Tout lemondeétaitdéjà là.Cescriset ces riresque j’avais tantaimés,àprésent je lesdétestais.Aucundemesamisn’avaitd’autresouciquelaperspectivedeperdreoudegagnerunmatch. Ils ignoraient ce qu’était la peur. Ils vivaient leurs plus belles années.Moi aussi,j’avaisconnuçaàuneépoque.
Je claquai la portière, jetai un coupd’œil sur le feudeboisderrière les arbres. J’allaisdevoirm’enapprocher,essayerdesourire.J’allaisdevoirparlerd’unmatchquej’avaisjouédetoutmoncœur,justepourpouvoirleraconterensuiteàmonpère.
Jen’avaisplusenvie.Pasplusquedememêleràeux.Maisquefaired’autre?Çam’apaiseraitdeboire.Mêmesiriennepouvaitchassermonchagrin.Jeferaiscommesi.Çameréussissaitplutôt,cesdernierstemps.Aussitôtarrivé,jetrouvaiunebièreetmedirigeaiversmesamis.Raleighétaitdéjàlà,au
milieudes joueurs,à flirteravec l’und’eux.Jesavaisqu’elleétait folle,etc’était lemeilleurmoyenpourelledemerécupérer.Carjem’enfichais.
–Tuétaisoù,mec?lançaRyker.Onrejouaitlesmerveillesd’Ashbyettun’enasmêmepasprofité!
–J’avaisdestrucsàfaire.Inutiledepréciseravecquiouquoi.Ilspourraientpensercequ’ilsvoulaient.Desriresaccueillirentmoncommentaire.– Je supposeque c’estpour çaqueRaleigh s’estpointéedans le campdes footballeurs,
réponditNash.Ilm’avaitfaitlagueuleunjouroudeuxmais,aprèsl’entraînementdejeudi,ons’étaitmis
d’accord:j’avaisraison,ilfallaitseconcentrersurlefoot,passurlacousinedeBrady.JeprisplacesurletracteuroùRykerétaitassis.–Rienàfiche,dis-je.–Non, sérieux,Nash, lui réponditRyker.Ne t’occupepasd’elle.Elle vabien.Bradyva
revenir dans une minute avec le verre d’Ivy, et s’il croit que tu cherches sa cousine, il vas’énerver.
JeretournaimonattentionversNash.Jecroyaisqu’ilavaitlaissétomber.–Arrête,dit-il,jeregardaisquiétaitlàsanschercherpersonneenparticulier.–Mytho!maugréaRyker.–Elleestlà?demandai-je.Aussi,pourquoiellevenaitàcesfêtessic’étaitpoursecacherdanssoncoin?
–Brady raconte que c’est samère qui l’a obligé à l’emmener avec lui, dit Ivy d’un tonmorne.Ellenevoulaitpasvenir,etlui,çal’embêtepourelle.
–Çam’énervequ’ilnelalaissepasveniravecnous,râlaNash.–T’occupe,rétorquaRyker.J’étaisplutôtd’accordaveclui,maisNashaussiavaitraison.Bradyavaittortd’amenersa
cousineicipourlalaisserensuitetouteseule.C’étaitcruel.–Houlà!souritIvyenmeregardant.Bonjourledrame!–Etmerde!grommelaRyker.Raleigh arrivait, les cheveux en bataille. Que venait-elle chercher ici ? J’aurais préféré
qu’elleresteaveclesjoueurs.– Vous m’embrouillez tous, dit Nash. Aujourd’hui, au stade, j’ai cru qu’elle allait te
boufferleslèvres.Maintenant,elleenattaqued’autres.Prenantmabière,jemelevaietpartis.Jenevoulaispasmetaperencorecettemerdece
soir.J’avaisautrechoseàpenser.–Jemecasse,dis-je.–Tut’envas?–Déjà?–Commelasemainedernière?Ilssemblaienttoussurpris.Jelevaimabièrepourlessaluer.–Beaumatch.Onvagagnercettesaison.Là-dessus,jemedirigeaiversmonpick-up.
9
Jefaisdescauchemarstouteslesnuits
Maggie
Assiseà l’arrièredupick-updeBrady, jeregardaismespiedssebalancerdans levide.
Lebruitde la fêtemeparvenaitplutôtatténué.Cesoir,moncousinnes’étaitpasgaré tropprèsdu terrain,maisparmi lesautresvéhiculesdans le sous-boisdonnant sur le chemin. Jesavaisquec’étaitpourm’offrirunabri.Ils’efforçaitdemefaciliterleschoses.Ilm’avaitmêmeapportéunboldebretzelsetunsoda,etilavaitl’airinquiet.Jusqu’àcequ’unefilleauxlongscheveuxbrunsviennesegareràcôté.Là,ilavaitparus’énerveretilétaitparti.
Lafilleétaitrestéeuninstantsurplaceà lesuivredesyeux,avantderemonterdanssavoitureetderedémarrer.Bizarre.Jenel’avaisencorejamaisvue.
–Tuaslemeilleurspotducoin.LavoixdeWestAshbymefitsursauter.–Désolé,continua-t-il.J’enaimarredefairecommesij’enavaisquelquechoseàfoutre
decequisepasselà-bas.Jevoulaisêtreunpeuseul.Commetuneparlespas,çam’arrange.Quelqu’unàquijepeuxparlersansêtreinterrompu.Génial!
Ilavalaunelonguegouléedebière,puiss’assitprèsdemoisurlaplate-forme.Était-il ivre ? Sans doute. Il devait pourtant savoir que j’étais la dernière personne à
souhaiterluitenircompagnie.Jen’étaispassonamie.Jeneleseraisjamais.–Jeferaismieuxd’arrêterdeparler,commeçaplusbesoindem’occuperdesautres.Ça
facilitelavie,non?Jet’envie.M’envier?Ilplaisantait, là. Iln’allaitpasmebalancerd’autresvannesdecegenrealors
qu’ilnemeconnaissaitpas. Ilne savaitpaspourquoi j’avaisdécidédeneplusparler.Aussi,
quand je l’entendis prétendre qu’il m’enviait, je me retins de me lever pour lui crier à lafigure.Personneaumondenedevraitjamaism’envier.Jamais.
–Maisj’aientendudestrucs,etsic’estvrai,tuvisunemerdepirequelamienne.Enfinbon…Çadoitêtre faux,unpotinde lamèredeGunner.Lamoitiédecequ’elleraconteestfaux.Dieusaitqu’elleabalancédesconneriessurmamère.
Il avait l’air de se parler tout seul, maintenant, les yeux rivés sur un point dansl’obscurité,l’expressiondouloureuse.Ilnecherchaitpasàsecacher,cettefois-ci.Àprésent,jediscernais l’êtrequ’il refusaitderévélerauxautres.Sonmasqueétait tombé, ilparlaitd’unevoixlourde,l’airsombre.
– Il n’a pas assisté aumatch ce soir. Il ne pouvait pas. Il ne peutmêmeplus aller auxtoilettessansaide.Quantàvenirmevoirjouer…Chacundemestouchésluiétaitdédié.Pourquejepuisseluiraconterdestrucssympascesoir.Saufquejerestelà,commeunemauviette,parcequejecrèvedepeurd’allerlevoir.
D’aller voir qui ? J’aurais voulu le lui demander, mais je n’osais pas tant il semblaitpaniqué.Cen’étaitplus l’abrutidont il jouait lerôleà lafacedumonde. Ilsemontraitsoussonvraijour.Memontraitsonchagrin,sapeur.Maispourquoi?
–Quandjesuisné,mamanaditqu’ilm’avaitapportéunballondefootballàlaclinique,qu’il avait couru l’acheter en apprenant qu’elle venait d’avoir un garçon. Il l’avaitmis dansmon berceau. Si j’ai aimé le foot, c’était surtout parce que je l’aimais, lui. Il a toujours étémonhéros.Etvoilàqu’ilvanousquitter,mamanetmoi.
Illaissaéchapperunrirerauqueetdouloureux.–Qu’est-cequ’ellevadevenir?Ilesttoutesavie,sonmonde.Jen’arrivepasàimaginer
mamèresansmonpère.Jamaisjenepourrai…Ilsepritlatêtedanslesmains,laissaéchapperuncri.–Merde!s’exclama-t-ilenmeregardantpourlapremièrefois.J’aitroppeur,Maggie.Tu
saiscequec’est,toi,lapeur?Je ne le savais que trop bien. Je connaissais la terreur et la peur. Je connaissais les
démons qui vous hantaient la nuit au lieu des doux rêves auxquels croient les enfants. J’ensavaisplusqu’ilnepouvaitl’imaginer.
–Oui,murmurai-jepourluiassurerqu’iln’étaitpasseul.Mavoixmeparutaussiétrangequefamilière.C’était ladeuxième foisque je luiparlais.Lapremièreparcequ’ilm’avaitexaspérée,et
maintenantparcequejecomprenaissonbesoindesavoirqu’iln’étaitpasseul.Deschagrins,onenéprouvait tousun jourou l’autre.C’étaitainsiqu’onapprenaitàacceptercequiallaitdéterminernotreavenir.Àcemoment-là,j’avaischoisideparler.Engénéral,j’acceptaisdansle silencemais, pour la première fois depuis que j’avais vumon père tuermamère, j’avaisenviedeparler.Derassurerquelqu’und’autre.
Ilécarquillalesyeux.
–Tuasparlé,encoreunefois.Jenerépondispas.J’avaisditunmot,car ilenavaitbesoin.Maisde lààentamerune
conversation?Impossible.J’avaisencoretroppeurd’entendremavoix.–Alors,c’estvrai?CequeditGunner…Tuasvutonpère…Il s’interrompit. Il connaissait mon passé. Quelqu’un l’avait découvert et le racontait
partout.Jemedoutaisqueçafiniraitpasarriver.Jeréfléchisàmaréponse.Jen’avaisjamaisparléàpersonnedecettenuit-là.C’étaittrop
durdesesouvenir.Enmêmetemps,Westluiaussiperdaitunparent.Alors,jehochailatête.Jeneluiendonneraispasdavantage.Impossibled’exprimerpar
desmotscequej’avaisvu.Plusjamais.–Merde,c’estdur,conclut-il.Ongardalesilencequelquesminutesdansl’obscurité.–Monpèreestmourant.Lesmédecinsnepeuventplusrienpourlui.Ilsl’ontrenvoyéàla
maison juste pour…mourir. Chaque jour, je le vois s’enfoncer un peu plus. Il s’éloigne, ilsouffretropetjenesaispasquoifaire.Jeredoutetoujoursdepartiraulycéeenpensantqu’ilpourraits’enalleralorsquejeneseraispaslà.Enmêmetemps,j’aipeurderentrer,commeencefichumoment,parcequesonétatpourraits’êtreencoreaggravé.Jesuisobligéd’assisteraudépérissementdel’hommequej’adore.Deleregarderquittercettevie.Nousquitter.
La mort de ma mère avait été rapide. Immédiate. Elle n’avait souffert que ce courtinstant.Jehurlaisàmonpèred’arrêtertandisqu’ilpointaitunpistoletsurelle.Jesavaisqu’àcetinstantellesouffrait.Pourmoi,àcausedecequej’allaisvoir.
Mais je ne savais pas ce qu’on éprouvait lorsqu’un parent mourait lentement sous vosyeux. Lorsqu’on allait se coucher le soir sans savoir s’il serait encore là le lendemain. J’enavaismalaucœurpourlui.Riendepirequedeperdreunepersonnequ’onaimaittant.Westn’étaitpasun typebien. Ilpouvait semontrer carrément cruel.Mais l’émotiondans savoixétaitperceptible.Jenevoulaispasressentirquoiquecesoitpourlui,pasmêmeduchagrin,pourtantc’étaitlecas.
–Personnen’estaucourant,continua-t-il.Jenepeuxpasleurdire.Toutcequ’ilssavent,c’estquepapas’estfaitopéreretqu’ilesteninvaliditémaintenant,qu’ilnetravailleplus.Jeleurairacontéçacommesicen’étaitriendegrave.
Ilrepartitd’unrirebrutaletdénuédetoutegaieté.– Les femmes de cette ville n’ont jamais acceptémamère. Elle n’a aucune amie à qui
parler,àparttatante,etjenecroispasqu’elleenaittouchéunmotàCoralee.Quandpapaseraparti…ellen’auraplusquemoi.Commentfaire?Commentoccuperuntelvide?
Riendecequejepourraisdirenesauraitcombleruntelchagrin.Alors,jeposaimamainsurlasienne.C’étaittoutcequejepouvaisfaire.Saufluiparler,maisiln’avaitpasbesoindeça.D’ailleurs,jen’étaispassûred’yarriver.
Iltournalapaumedesamainpoursaisirlamienne,puisseleva.
Jenevoulaispasqu’il s’enaillecommeça. Ilm’avait révélé laprésencedecesdémonsqu’il devait affronter. Il avait mis son âme à nu. Il allait rentrer chez lui, revivre cecauchemar, encore et encore jusqu’à la fin. Il ne voulait le dire à personne, pourtant ilmel’avaitditàmoi.
Avait-ilvudansmesyeuxcequej’avaisvudanslessiens?Cettedouleur,cetterage?Ceregret,cettesouffrance?
–Jefaisdescauchemarstouteslesnuits,dis-je.Jerevoissanscessemourirmamère.
10
J’aisurvécuenlafermant
West
Cettefois,çan’avaitpasétéqu’unsimplemurmure.SondouxaccentduSudchantaità
mesoreilles,etsavoixétaittropbelle.Pasdutouthautperchée,plutôtgrave.Les paroles qu’elle avait prononcées en disaient tant…Ça faisaitmal de songer qu’elle
revivaitchaquenuitdetelleshorreurs.Jenesavaispasquoiluidire.Monpèremouraitd’uncancer,çamedéchirait.Tandisqu’elleavaitvusonpèretuersamère.Impossibled’imaginerunepareilleviolence.
Elle ferma les yeux, respira longuement. Je l’observais, incapable de détacher monregard.J’avaispeurqu’ellenebougeoudisparaisse.Etj’avaisbesoind’elle.Dumoinspourlemoment;j’avaisbesoindequelqu’unquiconnaissemadouleur,etlacomprenne.
–Çanevousquittejamais…cechagrin,dit-elleenrouvrantlesyeux.Maisonapprendàvivreetàgérersaperte.Onfaitcequ’ilfautpoursurvivre.
Je comprenaismaintenant. Pourquoi elle ne parlait pas…pourquoi elle restaitmuette.C’étaitpournepasrevivrecemoment.Neplusparler,neplusrire.Justetoutgarderensoi.Jusqu’àmaintenant.Avecmoi.
–Tumeparles.Pourquoiàmoi?Sonregardflottaitpar-dessusmonépaule,etj’ylustoutelapeinedumonde.– Parce que tu en avais besoin. Tu as besoin de quelqu’un qui a connu une épreuve
semblableàlatienne.Jemerapprochaid’elle.–Quandtuasperdutamaman,ilyavaitquelqu’unpours’occuperdetoi?
J’espérais qu’elle allait dire oui. Je n’aimais pas l’idée qu’elle affronte seule une tellehorreur.
– Non, souffla-t-elle. Personne ne pouvait comprendre. Personne n’a vu ce que j’ai vu.Personnen’avécuça.J’auraisbienparléàquelqu’un,maisiln’yavaitpersonnequipuissemecomprendre.Alors,j’aisurvécuenlafermant.
Moiaussi,jelafermais.Pasdelamêmefaçonqu’elle.Jegardaisjustesecrètelamaladiedemonpère.Jen’avaispasdevraisamispourcomprendrecequisepassait.Monpèreallaitencorebienl’annéedernière,quandj’avaisdonnéunesoiréechezmoiaprèsl’entraînementduprintemps. Et puis, au cours de l’été, les choses avaient commencé à se gâter. Ces troisdernièressemaines,ellesn’avaientfaitqu’empirer.
Bientôt, tout le monde serait au courant, je le savais bien. Je ne pourrais garderéternellementcesecret.Mais jen’avaispasenviede leurenparler.Jenevoulaispascapterleurs regards apitoyés. Je ne voulais pas qu’ils cherchent à me consoler quand ils n’ycomprenaientrien.
–Maggie!La voix de Brady retentit dans l’obscurité. Je vis Maggie se tendre puis m’adresser un
petitsourireavantdedescendredupick-uppourrejoindresoncousin.Ellenevoulaitdoncpasqu’ilmevoieavecelle.
Saufquemoi,jenevoulaispaslalaisserpartir.
Durant tout le week-end, je ne pus m’empêcher de penser à Maggie. Quand papa semettait à vomir, jeme rappelaisque j’étais assez fortpour supporter ça.Que je resterais làpourmamère.Jen’étaisplusunpetitgarçonapeuré.SiMaggieavaitpusurvivreàcequ’elleavaitvu,ilfallaitquejegrandisseetoffreàmonpèrel’appuidontilavaitbesoin.
Le lundimatin, je laissaimamèreblottie contre le corps fragiledemonpère et partispour le lycée, en songeant àMaggie. Sa voix neme quittait pas,me rappelant qu’il fallaitapprendreàgérersadouleur.Elleenétaitlapreuveconcrète.
En l’apercevant devant son casier, près du mien, j’éprouvai un certain soulagement. Ilfallaitquejelavoie.Nousavionsparléunedizainedeminutesetjemesentaisdéjàattachéàelle. Elle me comprenait. J’ignorais jusque-là combien j’avais besoin de quelqu’un qui mecomprenne.
–Salut!dis-jeencomposantmacombinaison.Ellemejetaunregard,mesourit,maisriendeplus.Pasunmot.Pascettevoixdouceet
tièdepourm’apaiser.Justeunpetitsourire.Merde!Jevoulaisl’entendreparler.– Tun’as rien àmedire ? lui demandai-je sans la quitter des yeux pour le cas où elle
articuleraituntrucquejeraterais.Retournant son attention vers le casier, elle en sortit un livre puis referma le verrou
avantdemejeterunautrecoupd’œil.Uncourtinstant,jecrusqu’elleallaitparler,maiselle
secontentadesecouerlatêteavantdes’enaller.Meplaquantlà.Moiquiavaispasséleweek-endàmerépétersesparoles,àréécoutersavoixpourmieux
surmontermes démons…voilà qu’elle se conduisait comme si on ne s’était jamais rien dit.Commesielleneconnaissaitpasmessecrets,nimoilessiens.
Merde!Je pris les livres demon premier cours, claquai la porte du casier puisme lançai à sa
poursuite.J’allaislarejoindrequandunemainm’attrapalebras.Jem’enlibéraibrutalement,fusillaiBradyduregard.Iln’avaitpasl’aircontent.
–TucoursaprèsMaggie?Àquoibonmentir?–Oui,répondis-je.– Pas toi ! râla-t-il. Tu peux pas lui foutre la paix ? Elle estmuette. Elle a connu des
merdesinimaginables,c’estpasunjouet.Alors,vat’amuserailleurs.Touchepasàmacousine.Commentluiexpliquerquejevoulaisjustediscuterencoreavecelle?Ilnesavaitmême
pasqu’ellem’avaitadressélaparole,puisqu’elleneparlaitàpersonne.Saufàmoi.Alors,mêmesiellenetenaitpasàcontinuer, jenevoulaispasrester loind’elle.Jeme
sentais plus fort en sa présence. Elle me rappelait que je n’étais pas seul au monde. Qued’autres étaient passés par là, eux aussi. Que je pourrais devenir celui dontmamère avaitbesoin…dontmonpèreavaitbesoin.
–C’estça.N’importequoi.Pas le tempspourcesmerdes,dis-jeenprenant ladirectionopposée.
CefutlàquesurgitRaleigh.–Tun’aspasappeléduweek-end,marmonna-t-elleavecunemoueboudeuse.Jen’avaispasappelé,parcequejen’avaispasbesoind’elle.–Tu semblais êtrepasséeàautre chosevendredi soir,marmonnai-je en l’écartantpour
reprendremonchemin.–Jevoulaisterendrejaloux.Tum’asencorelâchée,West.Tunepensesjamaisàmoi.Elleavaitraison,jenepensaispasàelle.Jenecorrespondaispasàcequ’elleattendaitde
moi.Audébut,ellem’avaitattiré;elleétaitdrôle,jolie,jenepensaisplusàmonpèrequandon était ensemble. Mais ça n’avait duré qu’un temps. Bien vite, ça n’avait plus été qu’unehistoiredesexe.Ellemepermettaitd’oublier.Jem’envoulais,biensûr,maisçasemblaitluiconvenir.Elleaimaitbienêtremacopine.
Àprésent,jevoulaisbienreconnaîtrequ’elleméritaitmieux.Ilétaittempsdelalibérer,delalaissersetrouverunmecquilarendeheureuse.Nousnefaisionsquenousdisputer.
–Jenesuispasunmecpourtoi.J’oublietoujoursdem’occuperdetoi,Ray.Jenepensejamais à toi. C’est comme ça. Alors, va te trouver quelqu’un qui te conviennemieux. Avecmoi,tuneserasjamaisheureuse.
Pasderegarddésespéré.Onn’étaitpasamoureux.Mêmesiellepassaitsontempsàdirequ’ellem’aimait,jesavaisqu’iln’enétaitrien.Quipouvaitaimeruntarécommemoi?
–Jet’aime,dit-ellecommesiellelisaitdansmespensées.–Maisnon ! Jen’envauxpas lapeine.Alors,onarrête là.Avecmoi, tu seras toujours
déçue.Cettefois,c’estvraimentfini.Cherche-toiunmecquitecorresponde.Tulemérites.Etceneserapasmoi.Paspourtoi.Nipourpersonne.
Sansattendresaréponse,jemerendisàmoncours.Enm’asseyantàmaplace, jemerendiscompteque j’avaisdit lavéritéàRaleigh.Jene
pouvais en vouloir àBradyde vouloir protégerMaggiedemoi.Mais il nous laisserait peut-êtredeveniramis.J’avaisjustebesoind’uneamiepourlemoment.Pasd’unepetitecopine.
Commentleluiexpliquer?
11
J’étaiscontentedenepasêtretenue
deparler
Maggie
J’entraidanslacafétéria.Paslapeinedem’affamerdanslabibliothèque.Auboutd’une
semainedanscelycée,jemesentaisàl’abri.Jevoyaiscommentsedéroulaientleschoses,jesavais à quoim’attendre. Je n’avais plus l’impression que tous les regards restaient braquéssurmoi.
Enfin, iln’yavaitpasqueça.Àvraidire, j’avaisenviedevoirWest. Iln’étaitpaspassépar son casier depuis cematin et, quand je l’avais croisé dans le couloir, il regardait droitdevantlui.Etsij’allaisdroitàlacatastropheenrefusantdel’aider?Peut-êtrenepourrais-jeparlerquelorsqu’ilenauraitbesoin.Peut-êtreétait-celechagrindeWestquim’avaitpermisdeparlersansperdrepied.
Lesjoursquiavaientsuivilamortdemamère,jem’étaisréfugiéedansuncoinethurlaischaquefoisquequelqu’uns’approchait.Jesavaisquec’étaitdingue,mais jenepouvaism’enempêcher. Une peur indescriptible m’habitait. J’étais trop affolée pour supporter qu’on meparleouqu’onm’approche.
Lorsque jeparvinsenfinàm’arracheràmon refuge,à cesserde revivre sans cessemoncauchemar,jepusmeremettreàfonctionner.Maisjen’arrivaistoujourspasàparler.Cefutcequimesauva.Jetiendraislechocdumomentquejen’entendraispluslesondemavoix.
–Alors,cerendez-vousdontonaparléaustade?JemeretournaipourvoirCharliequimesouriait,luiaussidanslafiled’attente.–Jet’aicherchéepartoutaprèslematch,vendredisoir.
Parcequemononcleetmatantem’ontembarquéeavecBrady.–Commetun’aspasdecarnetsouslamain,c’estmoiquivaisparler,continua-t-il.Situ
esd’accord,onpourraitpasser la journéedesamediàNashville?C’est justeàuneheurederoute.Ilyadesrestaurantssuperetj’aidesbilletspourallerécouterdelacountrylesoir.
En bonne fille du Sud, j’adorais la country,mais une journée entière avec Charlie… àNashville?Jenesavaispastropsimononcleetmatanteseraientd’accord.
–Réfléchis-y.Jeteprometsqu’onvas’amuser.Etjeparlesuffisammentpourdeux.J’allaissourirequandmonregardsebloquasurunepersonnequimefixait.West.IlétaitassisàlatabledeBrady,aveclesautresjoueursdel’équipe.Ilsavaientpuentrer
lespremiersafind’allerensuites’entraîner.– Tu connaisWest Ashby ? Bon, oui sans doute, puisque c’est le meilleur ami de ton
cousin.JedétachaismesyeuxdeceuxdeWestpoursuivrelafilequiavançait.J’étaisvenuepour
luiet ilsetrouvaitbienlà.Apparemment, jen’étaisplus invisible. Ilavaitsansdouteoubliéquejeneluiavaispasadressélaparolecematin.
–Turejoinsquelqu’unàtable?medemandaCharlie.Jefisnondelatête.–Alors,tuveuxmetenircompagnie?Jeréfléchisà lachose.C’étaitungentilgarçon,quiacceptaitque jene luiparlepas.Je
hochailatête.–Génial!répondit-ilensouriant.Nosplateauxdanslesmains,aprèsavoirchoisicequ’onvoulait,onsemitenquêted’une
table libre. Je le suivis, car je ne voyais pas du tout où aller. Par chance, il avait sa tablehabituelle où déjeunaient déjà quelques élèves qui l’accueillirent gentiment. J’allais doncrencontrerlesamisdeCharlie.
–Salutlesgars,voiciMaggie.Maggie,voiciShane.Ildésignaunrouquinfriséquiportaitdegrosseslunettes.Ensuite,cefutMay,unepetitebruneauxcheveuxcourtsetausourireunpeuforcé.Elle
nedevaitpasêtrecontentedemevoir–uneautrefillequ’elle…PuisilyeutDick,ungrandbrunauxyeuxvertsamusés.
–Maggieetmoi,onafaitconnaissancevendrediàlarencontredustade,etj’essaiedelaconvaincredeveniravecmoi,samedi,àNashville.
LesépaulesdeMays’affaissèrent,sonregards’enflamma.–Tul’emmènesvoirDierksBentley?demanda-t-ellel’airhorrifié.–Ouille!ricanaDick.Sansrelevercesréactions,Charliegardasonsourireetmefitsignedem’asseoirprèsde
lui.–Biensûr,dit-il.Ellevaadorer.
Shanepouffaderireavantdeboireunegorgéede lait. IlsemblaitqueDicket luiaientdumalàsecontrôler.Pourtant,Charlieneréagissaittoujourspas.
–Houlà!soufflaDickenlaissanttombersonsandwichsurleplateau.–Quoi?demandaCharlie.Jemeretournaienmêmetempsquelui.Brady.Ilarrivaitversnous,l’airmécontent,lamâchoireserrée.–Maggie,commença-t-ilenprenantplaceàmadroite.Jenelequittaispasdesyeux.Qu’est-cequ’ilfichait?–Etc’estpasfini,murmuraShane.Suivantsonregard,cettefoisjevisWestapparaître.Ilmeregardaitattentivementetne
paraissaitpascontent.Quandsonplateauatterritenclaquantsurlatable,toutlemondesursauta,saufBrady.–Qu’est-cequetufiches?luidemanda-t-il.–Commetoi.–Jem’assurequemacousinen’apasd’ennuis.Westsetournaversmoi,etsonregards’adoucit.–Moiaussi.Bradylâchaunjuron,cequiarrachaunsourirenarquoisàWestalorsqu’ilmordaitdans
sonburger. J’avaispris l’habitudedevoirBradyunbrin tropprotecteur,maisWest ? Jenecomprenaispascequ’ilfaisaitlà.Parcequ’onavaitbavardé?Nosaveuxmutuelsnefaisaientpas de luimondéfenseur attitré. Je n’avais pas besoinde leur aide pourme sentir à l’abri.SurtoutaveccegentilCharlie.
–Super,marmonnaMay.Maintenant,onatoutel’équipedefootàtable.BradyetWestpréférèrentnepasrelever.–Alors?s’enquitDick,c’étaitcommentlematchdevendredi?Bradyluijetaunregardexcédé,puisseremitàmanger.–Jenecroispasqu’ilssoientvenuslàpournousparler,laissatomberShane.Personneneditplusrienpendantunmoment.Quantàmoi,j’avaisl’habitudedessilences
pesantsmais,pourunefois,j’auraisaiméqueCharliesemontreplusbavard.–Tuesdéjàalléeàunconcertdecountry?medemanda-t-il.–Non,intervintBradyenmevoyantsecouerlatête.Jemetournaiversmoncousinquimangeaitavecappétit.–Tuvasvoir,tuvasaimer,m’assuraCharlie,pasdéroutédutout.–Jen’arrivepasàcomprendrecommenttupeuxl’emmenerlà-bas,maugréaMay.Tula
connaisàpeine.Tusavaispourtantquejerêvaisd’assisteràunconcertdeDierksBentley.Charliemejetaunregardoùjepuslireunriendecontrariété.Iln’avaitvisiblementpas
enviede laisser tomberMay.Pourquoim’avait-il invitée,alors?Je feraismieuxdenepasy
aller.–Ellenevanullepartavectoi,repritBradyd’untonsec.Danscesmoments-là,j’étaiscontentedenepasêtretenuedeparler.
12
C’estdouloureux,lafin
West
Ce soir, les garçons allaient regarder la vidéo du match de vendredi chez Brady. Sa
mère allait préparer des tacos et un gâteau au chocolat. Comme chaque fois. Ça se passaitainsitouteslessemainespendantlasaisondefootball.
Je n’avais pas l’intention de m’y rendre. Aujourd’hui avaient commencé les soinspalliatifs. Ça me sembla plus dur que je ne l’aurais cru. Papa avait tellement eu besoind’antidouleurlasemainepasséequ’iln’étaitplusassezlucidepourm’interrogersurlederniermatch.Jem’étaisquandmêmeassisdanssachambrepourluiraconterenespérantque,danssonsommeilartificiel,ilpourraitm’entendre.
Qu’ilseraitfierdemoi.Bientôt,jenepourraisplusm’installerdanssachambrepourluiparler.J’avais besoin de m’évader un peu pour oublier cette infirmière inconnue qui
s’introduisaitcheznousafindes’occuperdepapatandisquemamanluitenaitlamain.Alorsjem’enfuis,mêmesijeculpabilisais.En garantmon pick-up devant la maison de Brady, je me rendis compte que j’étais le
dernier.Lesautresdevaientsansdoutecroirequejen’allaispasvenir.Enentrant,j’entendraisdesriresetdesplaisanteries.Aucund’entreeuxnedevaitaffrontertantd’inquiétude,tantdechagrin.Ilsnepensaientqu’aufootetàlabonnebouffe.
Je jetaiuncoupd’œil vers la fenêtrede cequiavait été la chambredeBradyavantdedevenircelledeMaggie.Lacousineétait-elleenhautoudescenduemangerdestacosaveclesgarçons ? À mon avis, si elle avait le choix, elle s’abstiendrait. Mais s’il n’en tenait qu’àCoralee,jediraisplutôtqu’elleseraitforcéedeprendreplaceaveceux.
Jenesavaispasgrand-chosesurMaggie,maisjel’observais.Aupointquejecraignaisquequelqu’un ne finisse par s’en apercevoir. Néanmoins, ça me faisait du bien de la regarder.Mêmede loin, elle avait lepouvoirdem’aiderà respirer. Jedevenaisdépendantd’une fillequejeconnaissaisàpeine.
Despasmetirèrentdemespensées.Jemeretournai,etcefutellequejevis.–Bradypensaitquetuneviendraispas.TanteCoraleel’aprisàpartetluiaparlédeton
père.Ellesait.Bradyétaitbouleversé,ilvoulaitvenirtevoir,maiselleluiarecommandédetelaisserdutemps.Etquetuluiraconteraissansdoutetoutçatoi-même.
Sadoucevoixmefitchaudaucœur.Jen’avaisplusl’habitudedecegenredesensation.Jevivaisdepuistroplongtempsdanslefroid.
Elle avait passé ses longs cheveux derrière les oreilles et contemplait la maison toutcommemoi.Saseuleprésencemeprocuraitunepaixinfinie.Jenecomprenaispaspourquoi,étantdonnéqu’elle-mêmedevaitsupporteruntelfardeau.
–Lessoinspalliatifsontcommencéaujourd’hui,luidis-je.Cettefois,c’estlafin.Ellelevalatêteversmoi.Avecmonmètrequatre-vingt-deux, je ladominaisd’aumoins
trentecentimètres.–C’estdouloureux,lafin,dit-ellesimplement.Elle n’essayait pas d’édulcorer la situation. Elle neme disait pas d’être fort. Elle était
justeloyale,sachantquelesparolesneservaientplusàrien,detoutefaçon.Jeprissapetitemain.
–Horriblementdouloureux,répondis-je.Elle me laissa la tenir et on demeura ainsi, silencieux. C’était ce qu’il me fallait
aujourd’hui.Elle,prèsdemoi,quimecomprenait.–Mercidemeparler,murmurai-je.Retournantsapaume,ellemeserralesdoigts.–Jeseraitoujourslàsituasbesoindeparler.–Tunem’asrienditaujourd’huiaulycée.–Tun’enavaispasbesoin.–Ohsi!Tunesaispasàquelpoint.Commelaportedelamaisons’ouvrait,Maggiesehâtaderetirersamain.Depuisleperron,Bradyinspectaitleslieux.Surlemoment, jecrusqu’ilallaithurleren
mevoyantavecMaggie.Mais son regardn’exprimaitaucunecolère,plutôtde la tristesse. Ilétaittristepourmoi.Iltraduisaitcettecompassiondontjenevoulaispas.
–Ilt’aimebeaucoup,soufflaMaggiesibasqueBradynerisquaitpasdel’entendre.Ilvatedirequ’ilesttristepourtoi.Laisse-le.
Laisse-le.Autrement dit, je devrais le laisser s’apitoyer sur mon sort. Parce qu’il m’aimait. Je
pouvais effectivement le laisser compatir. Il le fallait. Impossiblede l’en empêcher. Tout en
sachantqu’unepersonnecomprenaitmadouleurmieuxquequiconque.Etc’étaitbiencommeça.
–Resteavecmoi,demandai-jeàMaggiesansquittersoncousindesyeux.–D’accord,répondit-elledoucement.Bradyarrivait ànotrehauteur. Ellenebougeapas. Il ne lui jeta qu’unbref coupd’œil,
maisrevintvitesurmoi.Ilnedevaitpassavoirquoimedire.Jem’endoutais,caràsaplace,jen’enauraisriensunonplus.
–Çava?demanda-t-ild’untoninquiet.Commesijerisquaisdem’effondreràtoutinstant.Jehochailatête.Inutiledelemettreencoreplusmalàl’aise.Poussantungrandsoupir,ilsepassalamaindanslescheveux,regardadel’autrecôtéde
larue. Il réfléchissait. Ilvoulaitque je luiparle, jem’endoutais,maisqueferait-ilensuite?Medirequ’ilétaitdésolé?Qu’ilseraittoujourslàsij’avaisbesoindelui?Nesavait-ilpasquedetellesparolesneservaientàrien?Ilnepouvaitrienpourmoi.
– Ilestmaladedepuisprèsdedix-huitmois, finis-jeparreconnaître.Depuisdeuxmois,ças’estaggravé.Lesmédecinsl’ontrenvoyéàlamaison,parcequ’iln’yavaitplusrienàfaire.
Il ferma lesyeux, inhalapar lenez. J’attendaisqu’ilparle, car jenevoyaispasquoi luiannoncerd’autre.
– Pourquoi tu ne nous as rien dit ? soupira-t-il. Au moins à moi ? Ce n’est pas uneépreuvequetudoistraverserseul.Onauraittousétélàpourtoi.
Je sentis les doigts de Maggie m’effleurer la main. Elle essayait silencieusement dem’encourager.
– Jene voulais pas l’accepter. Encoremoins enparler.Ça aurait rendu les choses tropréelles.Jevoulaiscroirequecen’étaitpasvrai.Maismaintenant…jenepeuxplus.Çavadeplusenplusmal.
Ildevaitcomprendrepourquoijel’avaislaisséignorerunaspectsiimportantdemavie.Après tout, c’étaitmonmeilleur ami depuis nos six ans. Il pigerait que c’étaitma façon deréagir.
–Qu’est-cequejepeuxfaire?medemanda-t-il,l’airpeiné.Jusque-là, rien du tout. Mais, à présent, il se trouvait près de quelqu’un dont j’avais
besoin.Quelqu’unquipouvaitm’aider.– Me laisser devenir l’ami de Maggie. Juste un ami. Elle m’a aidé comme personne
d’autren’auraitpulefaire.Jelavisécarquillerlesyeux.Ellenes’attendaitpasàça.Cequirendaittropmignonson
ravissantvisage.J’euspresqueenviederire.–Tuveuxêtrel’amideMaggie?Jenecomprendspas.Bienentendu.Maiselleneluiavaitjamaisparlénonplus.Ilignoraitàquelpointleson
de sa voix pouvait apaiser la douleur. Il ne savait pas que j’avais besoin avant tout de
quelqu’un à qui parler, qui pouvait comprendre ce que j’endurais. Je n’avais pas besoin dediscuteravecluiniaveclesgarçons.Ilsnecaptaientpas.Maggieoui.
13
Tun’asqu’ànepasêtreaussijolie
Maggie
Je contemplais le visage de Brady ; il nous regardait l’un après l’autre, comme s’il
n’entendaitpasbiencequeWestluidisait.Jedevaisreconnaîtrequej’étaisaussisurprisequelui.Westvoulaitêtremonami.Parcequejel’avaisaidé.Commenulautrenelepourrait.
Moncœurseréchauffait,battaitmêmeunpeuplusfort.–Tunepeuxpascomprendre.Nitoinipersonne.ÀpartMaggie.Ellem’abeaucoupaidé,
cesjours-ci.Pourlemoment,j’aijustebesoindeluiparler.Cettefois,moncœurseserra.JedusmerappelerqueWestavaitdit«justeunami».Pas
«j’aimeraisl’embrasserencore».Ilsouffraitetilaimaitmeparler.C’étaittout.–Elle…euh…neparlepas,ditBradyenmejetantunregard,l’airdes’excuser.J’attendis. Pourvu queWest ne lui dise pas que je parlais. Enmême temps, comment
expliquerait-ilvouloirdevenirmonami?–Ellecommuniqueàsamanière,etçamevacommeça,rétorqua-t-il.Je faillis pousserun soupirde soulagement. Si tanteCoralee apprenait que jeparlais à
West,ellevoudraitquej’enfasseautantavecelle.–D’accord, finitpardireBradyenserrant les lèvres.Oui…sivousvoulezêtreamis,ça
meva.Maisjusteamis.Surtout…Ilsetut,etjesentisWestsecrisper.–Ellenerisquerienavecmoi.Jelarespecteetjenelaisseraijamaispersonneluifairede
mal.
Nouveaux battements de cœur. Il voulait qu’on soit amis. Moi aussi. J’en avais autantbesoin.
Bradyparutlecroire.–Bon.Tuentres?Mamanafaitungâteauauchocolat.–Oui,réponditWestensepenchantversmoi.Tuaimeslegâteauauchocolat?J’hésitai,puishochai la tête.Jenevoulaispasmemêlerde laviedeBrady,maisWest
tenait à ce que je vienne, et moi j’avais envie de rester auprès de ce garçon qui ne secomportaitplusdutoutcommej’auraispuleredouter.Iln’étaitnidurnicruel.Ilnedressaitaucune façade devant qui que ce soit. C’était finalement la personne que j’avais vue en luiquandilm’avaitembrassée.
–Alors,onvas’offrirunepartdudélicieuxdessertdeCoralee.Bradyrentra,etWestmefitsignedelesuivrepuism’emboîtalepas.Je pourrais manger un peu de gâteau avec West avant de monter dans ma chambre,
laissantBrady seulavec sesamis.Ainsi, je leur faisaisplaisir toutenmeprotégeant.Quandbienmême jevoulaisde toutmoncœuraiderWest, car je savaiscequec’étaitde traverserseulcegenred’épreuve,jen’abaisseraispascomplètementmagarde.
TandisqueBradysedirigeaitverslamansarde,tanteCoraleesortitdelacuisineetsouritenapercevantWest.Souriretriste,maisquidisaittoutdemêmecombienelleétaitcontentedelevoir.Jesavaisqu’elles’inquiétaitpourlui.
–West,monchéri,çafaitplaisirdeteretrouver.Tum’asmanquécetété.Onnetevoitpasassezsouvent.
Elleleserradanssesbras,puisreculaetmeregarda.–Tevoilà rentréede tapromenade,dit-ellegentiment.Maintenantque tuasbrûlédes
calories,tuveuxprendreunetranchedegâteauavecmoidanslacuisine?–Enfait,ellevaenmangeravecnousdanslamansarde,intervintBrady.–Parfait ! s’exclama tanteCoraleeavecun large sourire.Ehbien, c’estmagnifique ! Je
vaisvousmonterdulaitfraisetdeuxautresverres.Là-dessus,elleretournadanslacuisine.–Jecroisqu’elleestcontente,mesoufflaBrady.Etcettefoisjeluisouris,carilavaitraison.Westmepassaunemaindansledospuism’emmenadanslamansardeoùlescopainsde
Bradyétaientvautrésdansdescanapés.–Maggie!lançaNash,unballonàlamain.C’était la première fois qu’il me parlait depuis que je lui avais envoyé ce SMS. Sur le
coup,ildutoublierqu’ilnevoulaitplusm’adresserlaparole.Gardantsamaindansmondos,Westm’avaitconduiteverslatable.Àl’évidence,Bradyn’avaitpasprévenusespotesdecequiarrivaitàsonami.Aucunne
paraissait s’inquiéter pour lui ou se demander quoi lui dire. J’en fus soulagée pour lui. Il
venaitdefairefaceàBradyetàtanteCoralee.Ilavaitbesoind’unepause.–Donc,voiciMaggie…avecWest,balbutiaNashpuisquepersonnenedisaitrien.Cettefois,Bradys’adressaàlacantonade:–MaggieetWestsontamis.Justeamis.Etc’esttrèsbiencommeça.Silencepesant,puisWestmeprésentaunechaise.Unefoisquejefusassise,ilconsidéra
sespotesetcoéquipierstoujoursentraindenousdévisagercommes’ilsnesavaientpasquoipenser.
–C’estmonamie,lesinforma-t-il.Ilfaudravousyfaire.Ils’assitàsontour,sepenchaversmoi.–Désolé,ilssecomportentcommedesimbéciles.Ilsn’ontpasl’habitudedemevoiravec
uneamiefille.EtBradyavaitditpastouche.Alors,ilsessaientdecomprendre.Je fis oui de la tête. Bien que, maintenant, j’aie une envie folle de courir dans ma
chambre.–Voiciencoredulaitetdugâteau,annonçatanteCoralee.Les garçons se remirent à regarder la télé et à bavarder. Je neme retournai pas pour
vérifiersiNashjouaittoujoursavecsonballonous’ilnousregardaitencore.– Elle ne mange pas assez, continuait tante Coralee à l’adresse de West. Vérifie bien
qu’ellevidesonassiette.–Oui,Madame,répondit-ilenmeservant.Quandellefutpartie,ilmesourit.–Ilfauttedétendre.Ondiraitquejeteforceàresterlà.Ilss’enremettront,t’inquiète.Jebaissailatêtepourquepersonnenevoiemabouche.–Jesais,répondis-jetoutbas.Maisjen’aimepasqu’onmeregarde.Ilsecoupaunepartdegâteauenriant.–Tun’asqu’ànepasêtreaussijolie.Moncœurseserradenouveau.Commentpourrais-jeencoreavalerquelquechose?
14
Tuenas,desregrets?
West
Maggie était repartie dans sa chambre quand on lança l’enregistrement du dernier
match. J’étais tellement absorbé par la critique de nos diverses actions que je n’avais pasremarquéqu’elleétaitsortie.
Jenecherchaipasà larejoindre– jesavaisqu’ellevoulaitseretrouverseule.Déjà,ellen’étaitmontéequepourmefaireplaisir.
Mais,àprésent, jen’avaisplus la têteaufootball.Jepensaisàmonpère,aufaitque jem’étaisabsentétroplongtemps.Jevoulaisretourneràlamaison,essayerdeluiparler,mêmes’ilnemerépondaitpas.L’importantétaitquejeresteprèsdelui.
Lafinapprochait,etceneseraitpasfacile.Je me levai, m’approchai de Brady, lui murmurai que je rentrais chez moi et lui
demandaidem’envoyerpartextolenumérodeMaggie.Lesautresétaienttellementprisparlematchqu’ilsnes’aperçurentderien.
Je n’avais pas encore atteintmon pick-up quandmon téléphone tinta. Brady venait dem’envoyer un SMS. Jeme serais plutôt attendu à ce qu’ilme dise deme débrouiller,maisnon,ilmefaisaitconfiance.Jetâcheraisdem’enmontrerdigne.
ÇafaisaitdubiendesavoirquejepouvaisappelerMaggie,entendresavoixsinécessaire.Et jemedemandaissi lesonde lamiennel’aiderait,elleaussi.Elleavait traverséseuleuneterribleépreuve.Pourrais-jedevenirpourellecequ’ellereprésentaitpourmoi?
Enouvrantlaportière,jelevailesyeuxverssafenêtre.Maggieétaitassisesurlerebordde la fenêtre, les genoux repliés sous lementon, en train deme regarder. Je levai lamain
pourluiadresserunsigne,etellem’enfitunàsontour.Puisjeportaimontéléphoneàmonoreilleettendisl’indexverselle.
Pourm’assurerqu’ellecomprenait,jeluiécrivisunrapidetexto:C’estmoi.Bradym’adonnétonnuméro.Sij’appelle,tumerépondras?
J’appuyaisurenvoi,relevailatête.Elleouvritsontéléphone,tapaquelquechose.Oui.Situasbesoindemoi,jerépondrai.
Çamesuffisait.Jehochailatêteetgrimpaiauvolant,prêtàaffrontermaréalité.J’allaism’asseoirauprèsdepapa.Je lui raconteraiscommentnousavionsregardé lematchavec lesgarçons.EtjeluiparleraisdeMaggie.Elleluiplairait.
Enentrantdanslamaison,jefusaccueilliparunprofondsilence.L’infirmièreétaitpartiedepuis longtemps. Je fermai la porte et vis un mot de maman sur la table, disant qu’ellem’avaitpréparéunsandwichquim’attendaitdansleréfrigérateur.Papal’avaitréclamée,alorselleétaitalléesecoucherauprèsdelui.
Je n’avais pas faim. J’avais déjàmangé deux parts de gâteau et, comprenant que je neverraispaspapacesoir,jenetenaispasàdîner.Saufquemamans’inquiéteraitsielletrouvaitlesandwichintactdemainmatin.Alors,jemeversaiungrandverredethéglacéetemportaile tout dans ma chambre. J’essaierais de manger un peu avant de dormir. En tout cas, jem’arrangeraispourqu’ellenevoiepasquejen’yavaispastouché.
Aprèsavoirdéposé leplateaudansmachambre, je ressortis etm’approchaidoucementdelaportedesparents.Pasunbruit.D’habitude,monpèreronflait,maisçaneluiétaitplusarrivé depuis un moment. Moi qui, auparavant, me bouchais les oreilles pour essayer dedormir, j’en arrivaismaintenant à souhaiter de nouveau l’entendre. Aumoins, je serais sûrqu’ilrespiraitencore.
Moncœurseserraàl’idéequ’ilcesseraitbientôtderespirer.Lapaniquequimesaisitmedesséchalagorgeetjerestaisanssouffle.Jeregagnaimachambresansfairedebruitpournepas déranger ma mère. Une fois que j’eus refermé ma porte, j’y plaquai les deux mains,renversantlatêteenarrièrepouressayerd’inhalerunpeud’air.
J’allaisleperdre.Jelesavais,maisbonsang,qu’est-cequeçafaisaitmal!Chaque fois que je laissais cette pensée m’envahir, mes émotions prenaient le dessus.
Moncorpssemettaitàtrembler,leslarmesbrouillaientmavue.Commentallais-jepoursuivremaviesansmonpère?J’avaisbesoindelui.Nousavionsbesoindelui.
Jerespiraiungrandcoup,toussaipourm’éclaircirlagorgepuisallaimejetersurmonlit.Jesentismontéléphonedansmapocheetaussitôt levisagedeMaggiesedessinadansmonesprit.Sansplusyréfléchir,jel’appelai.
Elleréponditàladeuxièmesonnerie.–Allô,dit-elledoucement.
Ilétaittard,maisjesavaisquelesgarçonsétaientencorechezBrady.–Tudormais?luidemandai-je.–Non.Jesuistoujoursassiseaumêmeendroit.Jefermai lesyeuxpour l’imaginersur lereborddesafenêtre.Perduedanssespensées.
Dans sa solitude. Elle avait passé à peu près tout son temps, ces deux dernières années,enfermée en elle-même. Sans parler aux autres. Je n’aimais pas cette idée. La notion desolitudemefaisaitmal.Jecomprenais,maisj’auraisvouluêtrelàpourellecommeellel’étaitpourmoi.Peut-êtrepourrais-jeêtremaintenantcetamidontelleavaitbesoin.
–Ilt’estarrivédenepluspouvoirrespirer?Quandladouleurdevientsi intensequ’elleteprendàlagorge?
–Oui.Onappelleçaunecrisedepanique.J’enaieubeaucoup.Maisc’estfinidepuisquejevisici.
Ainsi,jeneperdaispaslatête.C’étaitnormal.–Commentturéagissais?–Audébut,j’attendaisqueçapasse,soupira-t-elle.Unefois,j’aifaillim’évanouiràforce
de garder ma respiration bloquée. Et puis j’ai appris à penser à des choses agréables. Çam’apaisait. Je refusaisdeme laisserdominerpar ladouleur. Je finissaisparmedétendreetpouvaisdenouveaurespirer.
C’étaitellequim’apaisait.Commeriennipersonnen’yétaitparvenudepuislongtemps.–Tuaspeurdefermerlesyeuxlanuit?luidemandai-je.–Oui.Parcequejesaisquelecauchemarvavenir.Etilfinittoujourspararriver.–Moiaussi.J’aipeurquemonpèreneseréveillepasdemain.Elleneréponditpastoutdesuite.Ons’écoutaitrespirer.Etçanoussuffisait.– Ça arrivera un jour, West. Et ce sera terriblement dur. Mais tu peux profiter au
maximumdutempsquivousreste.Parle-lui,mêmes’ilnepeutpasterépondre.Tiens-lui lamain.Dis-luitoutcequetuveuxqu’ilsache.Commeça,quandilseraparti,tun’auraspasderegrets.
Samèreluiavaitétéarrachéedujouraulendemain,demêmequesonpère,àlasuitedecetacteabominable.Maggieavaittoutperduenunseulinstant.Ellenesetrompaitpas.Ilmerestaitencoreletempsdefairelenécessairepournepasavoirderegrets.
–Tuenas,desregrets?luidemandai-je.Jeconnaissaisdéjàlaréponse.Jel’entendaisdanssavoix.–Oui.Énormément.Ilm’étaitdouloureuxd’imaginerladouceMaggievivreunetelleépreuve.–Jesuissûrquetuétaislafilledonttoutemèrerêverait.Latiennedevaitêtretrèsfière
detoi.Elle ne répondit pas tout de suite et j’eus peur de l’avoir trop poussée à parler. Je
m’appuyaissursonchagrinpouroublierlemien.Jen’avaispasétéassezprudent.
–Deuxheuresavantlamortdemamère,jeluiaiditqu’ellemegâchaitlavie,s’esclaffa-t-elle dans un rire amer. Tout ça parce que je voulaisme rendre à une soirée qu’une amiedonnait chezelle ; or,mamèreestimait que çamanquaitd’adultespournous surveiller.Etmoi, j’avaistropenvied’yaller.Enmel’interdisant,elleprovoquaitlafindumonde.Lapiredes choses qui puisse m’arriver ; si seulement j’avais su que, deux heures plus tard, je laperdrais…
Je fermai lesyeuxet sentis ses regretspeserenmoi commesi c’étaient lesmiens.Elleavaitquinzeansquandça luiétaitarrivé,ellevoulaitalorsgrandiretsedévelopper.Elleseconduisaitcommetouteslesadosdesonâge.Demoncôté,jen’avaispasàmesentirplusfier.C’étaitatrocementinjustequ’elleaitperduainsisamère,sansavoirpurienprévoir.Avantdepouvoirs’excuser,deseréconcilieravecelle.
–Ellesavaitquetunelepensaispas.Jenevoyaispasquoidired’autre.–Jel’espèrebien.N’empêchequeçarestemonplusgrandregret,répondit-elle.
15
Non,maisquellementeuse!
Maggie
Jem’éveillaiavecmontéléphoneprèsdemoisurl’oreilleretrestaiplusieursminutesà
le regarder. J’avaisparléplusde troisheuresavecWest cettenuit. Jusqu’àm’endormird’uncoup.Sijen’avaisaucunmalàentendremaproprevoixquandjesavaisqu’ilavaitbesoinquejeluiparle,l’idéedeparleràquelqu’und’autremeterrifiaitencore.
J’avais trop longtemps cru que le seul son dema propre voixme renverrait dansmoncoin,àhurler sanspluspouvoirm’arrêter.Maisnon. JeparlaisàWest sansdifficulté.Cettenuit, j’avais abordé des sujets dont je croyais ne plus jamais vouloir discuter. Sans crise depanique,sansmerecroquevillersurmoiengémissant.
Maisétais-jeprêteàparlerauxautres?Non.Jeleuravaisadressélesdernièresparolesquej’échangeraisjamaisaveceux.Jenevoulaispasqu’onmeposelesmêmesquestionsqueWest.Jenevoulaispasqu’on
m’interrogedansuntribunaloùjedevraisfairefaceàmonpère.Cethommequiavaitassistéàtoutesmesséancesdepom-pomgirl.Quiavaitapplaudisifortauthéâtredel’écolequandj’étais apparue enours alors que je voulais tenir le rôledeBoucled’Or.Quim’avait chanté«Joyeuxanniversaire»déguiséenSupermanavecungâteauMarveldanslesmainsl’annéeoùj’avaiscommencéàmepassionnerpourlessuper-héros.Cethommeétaitmortàmesyeux.Ilavait gâché tous mes meilleurs souvenirs. C’était désormais quelqu’un d’autre pour moi.Quelqu’unquejenepouvaisvoiretdontjenepourraisparler.
Carsijerecommençaisàcommuniquer,onm’interrogeraitaussitôtsurlui.Surcequejel’avaisvufaire.Commentilm’avaitsuppliédeluipardonneralorsquejecriaisàmamèredese réveiller. Et je ne pouvais pas faire ça. Je n’étais pas prête. Je doutais de jamais l’être.
Toutemavie,j’avaisvumonpèremaltraitermamère,verbalementetparfoisphysiquement.Aprèsquoi,illuiachetaitdesbijouxoudesfleursetnousrépétaitàtouteslesdeuxcombienilnousadorait.J’avaislecœurretournéauseulsouvenirdesavoixquandilnousappelait«mesfilles».
Brady gara son pick-up devant le lycéemais, au lieu d’en sortir, il se tourna versmoi.J’étaisrestéetoutelamatinéeperduedansmespensées.
–Westestmonmeilleuramidepuisqu’onétaittoutpetits.Jel’aimecommeunfrère.Jesuisdésoléqu’ilvivedesmomentssipéniblesaveclamaladiedesonpère.Mais,commemoi,ilnelaissepastroplesgenss’approcherdelui.Ilneseconfiepasfacilementauxgens.Saufàmoi.Enfinjusqu’àmaintenant.Bon,ilt’arévélésessecrets.Jecroisqu’ilestsincèrequandilditqu’ilnerecherchequetonamitié.Maisj’aipeurquetunet’attachestropàlui.Tuasvécutespropresépreuves,Maggie.Jeneveuxpasqu’ilprofitedelasituation.Jecomprendsqu’ilaitbesoindetoiencemoment,deparleràquelqu’unquinerépondpas…Maisne le laissepastefairedumal,d’accord?
Je songeai àmon attirance pourWest.Difficile de ne pas se laisser tenter par unmecpareil.Maisjen’allaispasprendresonbesoindeseconfierpourplusqueçan’était.Jesavaisqu’ilnevoyaitriend’autreenmoiqu’uneconfidente.Àcroirequ’ilavaitmêmeoubliénotrebaiser. Pour lui, ça n’avait rien représenté et je lui avais pardonné sa cruauté du début. Jecomprenais qu’il en avait rajouté parce qu’il souffrait. À présent, il ne cherchait plus àmepunir,etj’enavaispresquedumalàgardermesdistances.
Jehochaijustelatête.Sympa,Brady,devouloirainsimeprotéger.Ilouvritsaportière.Findelaconversation.Jesaisismonsacàdosetmedirigeaiversle
bâtiment.Jementiraissijenedisaispasquej’avaisunebouledansl’estomacàl’idéedevoirWest.
Lanuitdernièreavaitétéextraordinairemaisaussitrèsdifficile.MalgrélesavertissementsdeBrady,jemesentaistoutefrétillante.
Jem’arrêtaiàproximitédescasiers,etmonenthousiasmes’évanouitsur-le-champ.Westétait bien là,mais avec une fille.Unepom-pom-girl. Je l’avais vue aumatchde lancement.Longscheveuxblondsparfaitementbouclés,ellesemordaitlalèvreetbattaitdescils.Maiscequim’interpella,c’étaitlaréactiondeWest.Ilnem’avaitjamaisregardéecommeça.Commes’ilvoulaitladévorertoutecrue.
Elleluiposaunemainsurlapoitrine,et il lacouvritdelasienne.Là,c’étaittrop.Tantpis,j’allaisemportertousmeslivresaupremiercours,jereviendraislesrangerplustard.
Jemeprécipitaiverslasalledeclasseenessayantdenepluspenseràcequejevenaisdevoir.Westavecuneautre fille.Bon, je l’avais surprisplusieurs foisavecRaleighmais, cettefois,çafaisaitplusmal.Réactionidioteetsansdouteinjustedemapartcar,entantqu’amie,j’aurais dû être ravie de le voir sourire et cligner des yeux devant une fille au lieu des’enfoncerdanssonchagrin.
Alorsquejem’asseyaisàunbureauvide,lesparolesdeBradymerevinrentàl’esprit.Ilfallait que je reste prudente.West ne désirait quemon amitié. Je ne devais plus songer àautre chose. Et je devais cesser de flipper comme ça. Cette blonde pourrait peut-être m’yaider.
M. Trout entra dans la salle en avance, suivi de tous les élèves qui attendaient encoredehors.GunnerLawton,unamideBrady,entraaprèsRykerLee.Cederniermesouritavantd’aller rejoindre soncopainau fondde la salle.Les joueursde foot seplaçaient toujours lesunsàcôtédesautres.
Aucourssuivant, j’allaisdevoiraffronterCharlie.Aprèslefiascod’hier, jen’ytenaispasspécialementmaisjen’avaispaslechoix.Aumoins,àcepremiercours,onnemeparlaitpas.M. Trout était de ces professeurs qui se croyaient obligés de crier pour que je puisse lesentendre.Jefaisaistoujoursdemonmieuxpournepasattirersonattention.
Montéléphonevibradansmapoche.Aprèsm’êtreassuréequeM.Troutmangeaitencoreson petit déjeuner en lisant son journal à son bureau, je regardaimon écran pour voir quim’écrivait.Engénéral, jene recevaispasde textosdurant les cours.Ladernière fois, c’étaitquandNashavaitessayédemejoindre.
Jenet’aipasvueàtoncasieraujourd’hui.Bradyaditquetuétaislà.Çava?
C’étaitWest.Iln’avaitdoncpasdûmevoir,tropoccupéparcettepom-pomgirl.Etzut!je recommençais. Jenedevaispasvoir les chosesdecetœil si jevoulaisqu’on soitamis. Ilavaitbesoind’uneamie.Maisc’étaittropdur.Jen’auraispascruqueceseraitsicompliquédedevenirl’amiedeWestAshby.Pourquoin’yavais-jepassongéplustôt?J’avaispourtantvuàqui j’avais affaire. Je savais comment il se comportait face à ses tourments intérieurs.Maisquandmême…cen’étaitpasfacile.
Jesuislà.Paseubesoindepasserparmoncasier,alorsjesuisalléedirectementàmon
cours,histoiredefinirmesdevoirsàtemps.
Non,maisquellementeuse!Je rangeai le téléphonedansmapochedepeurdeme faire surprendre et entamaiune
listementaledecesurquoijedevraismeconcentrer.Deschosesquin’avaientrienàvoiravecWest.Parexemple,meremettreaupiano.Mamèreaimaitm’entendrejouer.Elleauraitvouluquejecontinue.
Le tempsqueM.Troutaitavalésonmuffinetbusoncafé, jemesentaismieux.J’avaisdesobjectifsquinedépendaientenriendeWestAshby.
16
Ellenem’appartenaitpas
West
Àlafindupremiercours,jemerendistoutdroitàmoncasierpouryattendreMaggie.
J’étaisunpeu sur lesdentsdenepas l’avoir encore vue. Jedevrais sansdouteapprendreàmieuxcontrôlercebesoindel’avoirtoujoursauprèsdemoimaislà,j’avaisd’autresproblèmesàrégler.Etpuisjem’étaisattachéàelle.Riendemalàça.
Danslecouloir,unbrasseglissasouslemien.Jesusquec’étaitSerenaavantmêmedelaregarder.ElleavaitdécidédememettrelegrappindessusdepuismaruptureavecRaleigh.Jelesavaistoujoursvuessedisputerleursmecs.
Quandelleétaitvenuemevoiràmoncasiercematin, j’avaiseuenviedemelaisserunpeu faire.Avecsachevelureblonde,elleétait tropsexy.Maisauboutdedixminutesdecepetitmanège,ellemetapaitdéjàsurlesnerfsavecsavoixhautperchéeetsesbattementsdecils.Çasonnaittropfaux.
–Onpasseleprochaincoursensemble,meglissa-t-elleensepenchantversmoi.Assieds-toiàcôtédemoi,tutrouverasçatrèsagréable.
Jesavaisbien legenredechosequ’elle faisaitpourrendreuncoursagréable.Je l’avaisvue plus d’une fois en action. Ça ne me disait rien. Pas aujourd’hui. Je voulais juste voirMaggie.
–Jen’endoutepas,répondis-je.Pasbesoind’êtreméchant,nonplus.Jevoulaisjustequ’ellemelâche.Pouffantderire,ellemeserraunpeuplusfort.Àmerendreclaustrophobe.Jenepouvais
plusrespirer.Etpuis,oùétaitMaggie?
Je cherchai dans la foule qui nous entourait. Serena continuait de parler, mais je nel’écoutaisplus.AucunsignedeMaggie.
–Tucherchesquelqu’un?demandaSerenasansmelâcher.Jenevoulaispasluirépondre.Jeneconnaissaisquetroplesmanœuvresdecegenrede
fille.ElleiraitaussitôttrouverMaggiepourluifairecomprendrequej’étaisdésormaischassegardée,etladouceMaggienepourraitpasluirépondreunmot.Serenan’avaitaucunenotiondel’amitiéentregarçonsetfilles.ElledevaitcroirequejedraguaisMaggie.Encorequel’idéedel’embrasserunedeuxièmefois,delaserrerdansmesbrasnemedéplaisepasdutout…j’yavaistropsouventpensé.C’étaitjustequejeneseraispasàlahauteur.Jen’étaispaslemecqu’illuifallait,elleméritaitmieuxqueça.
Enrevanche,jepouvaisêtreunsuper-ami.Undernierregardàsoncasiermeconfirmaqu’ellen’étaittoujourspaslà.Jemedétachai
deSerena.–Ilfautquej’yaille.J’aiuntrucàfaire.Jesècheleprochaincours.Là-dessus, j’allai chercherBrady, car il saurait où la trouver.Cen’était pas le genrede
Maggiedetrimballerseslivrestoutelajournéesanspasserparsoncasier.Dèsquejem’engageaiàl’angleduhalld’entrée,jelavis,adosséeaumurdufond,tirant
des livresdesonénormesacàdos.L’intensesoulagementquim’envahitauraitdûm’alerter.Jecommençaisànepluspouvoirmepasserd’elle.
Entoutcas,jesourispourlapremièrefoisdelajournée.Elle semordait les lèvres, fronçait les sourcils. Dans un ouf essoufflé, elle se redressa
pour écarter les cheveux qui lui tombaient sur le visage. Alors qu’elle glissait une mèchederrièrel’oreille,nosregardsserencontrèrent.
Unelueurdejoieluitraversabrièvementlesyeuxetjenem’ensentisqueplusheureux.Maiselleserefermatrèsviteetm’adressaunsouriresecavantdesepencherdenouveausursonsacenrassemblanttoussesbouquins.Quefabriquait-elle?
Jevinsm’agenouillerdevantellepourqu’onseretrouveàlamêmehauteur.Elleregardamespiedsavantdereleverlesyeuxsurlesmiens,etsesjouess’empourprèrent.
–Tu sais qu’il existedes casierspournepas avoir à trimballerunemassedebouquinstoutelajournée?dis-jepourlataquiner.
Était-elle gênée qu’on ait discuté cette nuit jusqu’à nous endormir ? Je n’arrivais pas àcomprendrecomment la filleavecqui j’avaispris tantdeplaisiràbavarderessayait soudaindem’éviter.Parceque,maintenantqueje l’avaistrouvéeetqu’ellem’opposaitcetteréactionplutôthostile,jecomprenaisqu’ellen’étaitpaspasséeàsoncasierpourm’éviter.
–Sérieux,Maggie, laisse-moiporter ce sac, qu’on tedébarrassede tout cebarda.C’esttrop lourdpour t’en encombrer toute la journée. Sinon, je vais devoir t’emmener chezmonchiropracteur.
Bouclantlafermeture,elleseleva.J’enfisautantmais,avantqu’ellenesaisissesonsac,jem’enétaisemparé.
–Allez,dis-jeenlapoussantdevantmoi.Elleselaissaguiderjusqu’auxcasiersetjefusheureuxdepouvoirgardermamainsurses
reins.D’abord,çamedonnaitl’impressiond’affirmerdevanttoutlemondequ’elleétaitàmoi.Idéed’autantplusridiculequecen’étaitqu’uneamie.Ellenem’appartenaitpas.
Cependant,çameplaisaitassezpouraccélérerlesbattementsdemoncœur.Maisnon.Ilfallaitque j’arrêtedecéderainsiàmesémotions.Maggiereprésentaitpourmoi lecalmeaumilieudelatempête.Jen’allaispastoutgâcherenimaginantautrechose.
Sanslefaireexprès, j’avaisgardéenmémoirelacombinaisondesaserrure.Sibienquej’ouvristrèsvitesoncasieretleremplisdelivres.
–Lequeliltefautpourleprochaincours?luidemandai-je.Elle se rapprocha de moi, et je perçus une fragance de vanille. Je ne bougeai pas,
inhalantavecbonheurnonpasunparfum.Juste…Maggie.Ellesortitunlivre,leremitdanssonsacàdosquejeportaistoujours,puisuncahier,et
recula.Sasenteurflottaitencoreentrenousetjemedisquejeferaismieuxdeviteétablirdeslimites;parexemple,nepaschercheràlahumerchaquefoisquejem’approchaisd’elle.
Unefoisquesesbouquinsfurentrangés,jefermaisoncasieretmeretournaiverselle:–Tuvasmedirepourquoitun’espaspassélàcematin?Encorequ’ellenerisquaitpasdemeparlerici,oùtoutlemondepourraitlavoir.Ellebaissalatête,haussalesépaules,meregarda.Sansriendire.Bon,d’accord.Jecomprenaisqu’ellepréfèrenem’adresser laparolequequandonétait
seuls.D’ailleurs,moi aussi j’avais envie deme retrouver seul avec elle,même si je risquaisd’avoir de plus enplus demal àme contenir ; quand je pensais au goût de ses lèvres, à lasenteurdesonarôme…ceneseraitpasfacile.
Merde. Il fallait que je me reprenne. Après tout, je pourrais sans doute me défoulerauprès de Serena. Elle jouerait le jeu. Elle n’en demandait pas plus, juste un plan sexe etpouvoirs’envanter.
Jeluirepassaiunemèchederrièrel’oreille.Cequinefitquemetenterdavantage.Quandjelaregardaisoulatouchais,j’avaisdumalàdésirerautrechose.
–Tum’asmanqué,cematin.Jet’attendstoujoursdevantlescasiers.Quandj’aicomprisquetuneviendraispas,çam’afaitdelapeine.
LasoudainedouceurdesonexpressionmétamorphosasonvisageetjereconnusenfinlaMaggiedelaveille,cellequimefaisaitconfiance.
Samain caressa lamienne, non pas unemais deux fois. Elle me sourit. Mon cœur seserra.Aprèsquoi,elletournalestalonsets’enalla.
17
Jen’étaispasbrisée
Maggie
J’étais anéantie. Ce que j’éprouvais pour West avait largement dépassé le simple
penchant que je redoutais déjà pour se transformer en un énorme élan complètementinsurmontable. Il était trop gentil. Comment résister àWest Ashby quand il semontrait sigentil?
Il n’était pas revenu aux casiers après la deuxième heure, mais ça lui arrivait assezrarement,carsescoursavaientlieuàl’autreboutdulycée,cequiauraitrisquédelemettreenretard.
On ne se revit qu’à l’heure du déjeuner. En entrant dans la cafétéria, je regardaidirectementverssatable.Ilfallutquejemerappellequ’onétait justeamislorsquej’aperçuslapom-pomgirlblondeàcôtédelui.Ill’aimaitbien,évidemment.Pasdelamêmefaçonquemoi.Jen’enfuspasirritée,cettefois,justeunpeutriste.
Peut-êtrequesiWestnem’avaitpasembrassée,sijen’avaispaslasensationqu’ilm’avaitessayéepuisdéclassée,j’auraismoinsdemalàaffrontercettevérité.Mais,quandjelevoyaisavec une autre fille, çame rappelait que je n’avais pas été à son goût.Ni plus nimoins. Ilvoyaitenmoiuneamie,carjecomprenaiscequec’étaitqueperdresesparents.
Son regard se posa sur moi et il m’adressa un clin d’œil. Pourquoi faisait-il ça ? Jem’arrachaiunsourire,puisrejoignislafiled’attente.Charlienem’avaitpasadressélaparoleaujourd’hui. Il m’avait juste souri, aussi j’espérais qu’il n’allait pas se pointer pour medemanderdem’asseoiraveclui.
Jenepouvaisqu’écouterlesconversationsautourdemoi.J’apprisainsiquelafilleavecWests’appelaitSerena.Toutlemondedisaitqu’elleseraitlaprochaineaprèsRaleigh.J’appris
égalementquecelle-ciavaitpleurécematin,auxtoilettes.J’enfusnavréepourelle.DurdeperdreWestAshby.Le temps que j’emporte mon plateau, j’avais également appris que Serena et Raleigh
étaient rivales depuis longtemps. Ça allait sans doute se terminer par une bagarre àmainsnues…
J’allaim’asseoirsansplusregarderdansleurdirection.Inutiledemedonnerenspectaclecommepour les supplier dem’inviter à les rejoindre.À vrai dire, je n’y tenais pas du tout.Aucuneenviedelesregardermanger.Sibienquejemerendissurlaterrassepourm’installeràunetabledepique-nique.
Cen’étaitpaslecoinleplusfréquenté.Ilfaisaittropchauddehors.EnAlabama,l’étéseprolongeait largement jusqu’enoctobreet lesélèvespréféraientprofiterde l’airconditionné.Jemeretrouvaidoncseuleàmatable,etçam’allaittrèsbiencommeça.Onverraitplustardsij’étaisprêteàaffronterlestempératuresplusfraîches.
Il y avait cinq tables dehors et quatre d’entre elles étaient occupées par une seulepersonne.Sur la cinquième, sous lesgrands chênes, les élèvesmangeaient leur sandwichenlisantunbouquin.Çameconvenait.J’yposaimonplateau,sortislelivrequej’avaischoisiàlabibliothèque.
–Maggie,çavapas?Ilfaitplusdetrentedegrés!LavoixdeWestmefittressaillir.Jerelevaivivementlatêtepourledécouvrirenfacede
moi.Il était si grand. Surtout quand j’étais assise. Les bras croisés et son jean taille basse
faisaientressortirl’étroitessedesonT-shirtsuruncorpsincroyablementmusclé.Jen’allaispasluirépondre.Ildevaits’endouter.–Viensàl’intérieur.Onadelaplaceànotretable.Pasquestionque j’ailledéjeuneravec luietSerena.C’étaitpeut-êtrepuérildemapart,
maistantpis.Jefisnondelatête.–Pourquoi?demanda-t-ilenhaussantlessourcils.Haussantlesépaules,jecontemplaimonplateauintact.–Allez!insista-t-il.Situnevienspas,c’estmoiquivaissortir,etj’aihorreurdemanger
danscettechaleur.Cefutmoiquimerenfrognai.Pourquoivoulait-ilvenir?Çam’allaittrèsbiencommeça.
J’avais un livre. Personnene tenait àme voir à l’intérieur, surtout pasBrady. Je levaimonlivrepourlemontreràWest,lereposai.
Ilsemitàrireetmagorgeseserra.–Tupréfèreslireçaquedéjeuneravecmoi?Jehochailatête.–Tumevexes,là,monchou.
Monchou… Ilvenaitdemediremonchou.Biensûr, je l’avaisdéjàentendulancerçaàd’autresfilles.Maisjamaisàmoi.Jen’allaispasluiadresserunsourireniais.
–Tut’inquiètespourBrady?Parcequ’ilesttoutàfaitd’accordpourqu’onsoitamis.J’aimêmeditàSerenadevenir.Ill’avue.Ilsaitquejenetedraguepas.
Merci,WestAshby,demeremettreàmaplace.J’avaisdeplusenplusenviedeliremonlivre.Jeleluimontraidenouveauavecunsourirecontrit.
–Bon,soupira-t-il,faiscequetuveux.C’étaitainsique je l’entendais. Il regagnasaplaceet jemeretrouvaidenouveauseule.
Tantmieux.Alors, pourquoi cette solitudeme pesait-elle ? S’il était resté à sa table sans venirme
voir, jeme sentiraisparfaitementà l’aise.Maintenant, j’allais avoirdumal àme concentrersurmalecture.
Je revisWest àmon casier avant le dernier cours. Il demanda si j’avais appréciémonbouquin.Puisilécartamescheveuxdemesépaules,avantdes’enaller.
Tante Coralee vintme chercher à la sortie du lycée, comme elle le faisait depuis queBrady avait repris ses trois heures d’entraînement de football par jour. Elle me préparaittoujoursungoûterquim’attendaitàlamaisonetmeracontaitsajournée.
Je l’écoutais en mangeant et, quand elle me posait des questions, je répondais d’unmouvement de la tête. Elle n’en attendait pas davantage et, contrairement à Jorie, neparaissait pas contrariée que je ne dise rien.Mamarraine n’avait toujours pas pris demesnouvelles.J’auraisdûm’yattendre.Nonpasqu’ellememanque–j’étaisplutôtsoulagéedeneplusvivreavecelle–,maiselleavaitfaitpartiedemavied’enfant.C’étaitcommeunetantepourmoi.Jelavoyaistoujoursauxfêtesdefamille.
Àlafindemongoûter,jeserraitanteCoraleedansmesbras,carelleaimaitbienquandjefaisaisça,puisjemontaidansmachambre.OncleBoonen’allaitpasrentreravantplusieursheurescar,àlasortiedesontravail,ilallaitvoirBradys’entraîner.Aprèsquoi,ilsparleraientfootpendanttoutledîner.Commetouslessoirs.
Jem’étaishabituéeàcesrituelsetmedemandaisàquelpointjeseraismieuxintégréesij’étaisvenuedirectementhabiter iciaprès lamortdemamère.Est-ceque je leurferaisplusfacilementconfiance?Jeneseraispeut-êtrepaslamême.Jen’auraispeut-êtrepastantperdudelapetitefillequej’avaisété,etquejeneconnaissaisplusdutout.
Jen’avaisplusdenouvellesdemesanciensamis.Ilsavaientcessédem’envoyerdesSMSquelquessemainesaprèslesévénements.Sansdouteavanttoutparcequejeneleurrépondaispas.Cetteannée-là,mameilleureamieetmonpetitcopains’étaientrendusensembleaubalducollège.J’avaisvuleurphotosurInstagram.Jem’enfichais.Ilsnecomptaientplusmoi.
D’ailleurs, je croyais queplus rienne comptait pourmoi.Que j’avais perdu toutesmesémotions,tousmessentiments.EtWestmeprouvaitquejen’étaispasbrisée.Quemoncœur
fonctionnait toujours et que je pouvais encore ressentir quelque chose. J’espérais seulementquecen’étaitpasjustepourlui.
Jem’allongeaisurmonlit,lesyeuxauplafond.Ilfallaitquejeretrouvemoncalme.Westvoyaitsonpèremourir.Jesavaisàquelpointc’étaitdouloureux.Ilavaitbesoind’uneamie.Ilavaitassezdefillesautourdeluiquicherchaientautrechose.Inutiledem’alignersurceplan,de faire la gueule parce qu’il sortait avec une autre. Je devraisme réjouir qu’elles puissentencorelefairesourire.
Jeseraisdoncl’amiedeWest.Jenelaisseraispasmoncœurattendreautrechose.
18
Onnedisaitriendedrôle
West
C’était jourdematch.Avant, j’adorais le vendredi pendant la saisonde football. Papa
venait toujours me réveiller et on prenait notre petit déjeuner ensemble en reparlant desdiversespartiesetdecequejedevraisfairepourgagner.
Cematin, j’avaisété réveilléparun fracasdans lacuisine. Jem’étais levéenhâtepourdévalerl’escalierettrouvermamanaumilieudedébrisd’assiettes.Elleavaitlevésurmoiunregardbaignédelarmes.
–Jevoulais…préparertonpetitdéjeuner,bafouilla-t-elle.J’aimanquél’étagèreduhaut.Ton père me descendait toujours le gaufrier. J’ai glissé et j’ai voulu me rattraper à l’autreétagèrequiesttombéeavecmoi.
Unautresanglotlasecoua.Jemeprécipitaipourlaserrerdansmesbras.–Maman,varetrouverpapa.Jevaistoutranger.Ilabesoindetoi.Ellehochalatêtecontremapoitrine,étouffaunautresanglot.Ainsiavaitcommencémajournée.Avant de partir au lycée, je ne pensais qu’à revoir Maggie au plus vite. J’embrassai
mamansurlajoueetpapasurlefront,toutenluipromettantquecesoirnousallionsgagneretquejeluiraconteraisenrentrant.
Le cœur serré, la gorge sèche, jeme disais que si je pouvais voirMaggie, entendre savoix,jemesentiraisbeaucoupmieux.Inutiledeluitéléphoner,carelledevaitsetrouverdanslepick-updeBradyetqu’elleneparleraitpasdevantlui.Ilfallaitdoncquejelarencontreentêteàtête.Avantdecomplètementm’effondrer.
En arrivant, je vis le véhicule de Brady garé devant le lycée. Çame fit plaisir commejamais.Jeneperdispasmontempsàrépondreauxélèvesquim’interpellaient.IlfallaitquejevoieMaggie.
Jemedétendis en apercevant sa silhouette devantmoi. Elle était là. Je ne voyais plusqu’elleenfendantlafouleetjemerépétaisquej’yarriverais,quejetiendraislecoup.GrâceàMaggie.
–Salut!lançai-je,essoufflé,enarrivantauxcasiers.J’attendaisqu’elleseretourne.C’étaitfoucequelaseuleperspectivedelavoirmefaisait
dubien.Ellefermasoncasieretmefitface.Sonsourires’évanouitlentementenexaminantmon
visage.Ellesavait.Jen’avaispasbesoindeluidirequoiquecesoit.C’étaitcequejecherchaisenelle,sacompréhensioninstinctive.
Sa petite main se glissa sur la mienne tandis qu’elle me contemplait avec une forcepaisible, du pur Maggie. J’entrelaçai mes doigts avec les siens et elle étreignit ce qu’ellepouvaitsaisirdemonpoignet.
–Jesuislà,murmura-t-elleenremuantàpeineleslèvres.C’étaittoutcedontj’avaisbesoin.Jemesentismieuxrespirer.–Durematinée,expliquai-je,bienqu’ellel’aitdéjàcompris.Ellehochalatête,etsonpoucemecaressalapaume.J’aimaisbiencecontact.D’unseul
geste,elleapaisaittousmesdoutes.–Salut,beaumec!LavoixdeSerenabrisalecharme,etMaggies’écartaaussitôt,s’éloignasansmelaisserle
tempsdedirequelquechoseetdisparutdanslafoule.Jesursautaiensentant lamaindeSerenasurmonépaule, furieuxqu’ellenousaitainsi
interrompus. Je ne partageais pas beaucoup de temps avec Maggie. Si je devais jouer unmatchcesoir,ilfallaitquejemeremettelesidéesenplace.
–Qu’est-ce qui se passe ? Tu t’inquiètes pour tonmatch ? Tu sais que tu seras génial.Commechaquefois.
J’ouvrismoncasiersans luirépondre.Cesdeuxderniers jours,ellem’avait faitdubien.Quandelleposaitlesmainsoulabouchesurmoi,jenepensaisplusàriend’autre.
Mais,aujourd’hui,j’auraispréférélavoirs’éloigner.SeulelaprésencedeMaggiepouvaitm’aider.
–Qu’est-cequetuas?Tuestoutgrincheux.Viensauxtoilettes,jevaistefaireuncâlin…Commehier.Tuasaimé,non?
Jenetenaispasàcequ’ellemerappellecombienjem’étaislaisséaller.SiMaggiesavaitcommentjemeservaisdecegenredefille,elleseraitdégoûtée.Jamaisellenes’étaitserviedequiconquepourapaisersonchagrin.Ellel’affrontaitseule.
Personnen’avaitàsouffrirpourqu’ellesesentemieux.
–Pasaujourd’hui,répondis-je.Ilfautquejemeconcentresurmonmatch.EtjeplantailàSerenapourmerendreàmonpremiercours.
***
À l’heure dudéjeuner, j’avais encore loupéMaggie deux fois à cause de Serena quimerejoignait sans cesse dans le couloir. Je ne pouvaism’empêcher de surveiller l’entrée de lacafétériaafindevoirMaggieentrer. Je savaisqu’elle était repartievers les tablesdepique-nique, comme elle l’avait fait à peu près toute la semaine. J’avais bien essayé de la fairerentrerunefois,maisellenevoulaitpas.
Ellepréféraitliredehors.Serena entra la première et vint directementme trouver. Je l’avais bien cherché en la
laissantm’approchermais,àprésent,jepréféreraisqu’ellefassemarchearrière;ons’envoyaiten l’air, on ne formait pas un couple, ce que je lui avais déjà clairement expliqué avant defaire l’amour pour la première fois avec elle. Et cela n’allait pas changer au bout de deuxjours.
Mais,àl’évidence,ellevoulaitmemettrelegrappindessus.Jemeremisàguetterl’entréedeMaggie.Çameferaitdubiendelavoir.–Alors,Serenaettoi?demandaBradyenprenantplaceenfacedemoi.–Bof,riendesérieux.Ils’esclaffaenouvrantsacannette.–Jenecroispasquecesoitsonpointdevue.–Jeluiaipourtantannoncélacouleurdèsledébut.–Tulabaises?Çaneleregardaitpas,maisjehochailatête.–Unactevauttouteslesparoles,s’esclaffa-t-il.Ilcommençaitàm’énerver.Àquoi jouait-il?Commes’ilnecouchaitpasavecIvy,alors
que tout le monde savait que ce n’était pas sérieux entre eux. Elle n’était qu’un lot deconsolationpour oublier lamystérieuse fille avec qui il était sorti cet été.Celle avec qui ilétaittellementprisqu’onnelevoyaitplus.Cellequ’aucundenousn’avaitjamaisrencontrée.
–C’estquoitonproblème?luidemandai-jeagacé.Sansquitterdesyeuxl’entréedelacafète.Ilsepenchaversmoi:–Monproblème,c’estquetutraversesuneépreuvetrèsdureencemoment.Jevoudrais
t’aider, mais je ne sais pas comment. Et la personne qui joue ce rôle a connu sa propreépreuve,ellen’apasbesoinquetu lui tiennessecrètement lamaindans lescouloirs toutenbaisantensuiteSerenaendoucedanslestoilettes.
Wouah!D’accord,ilnousavaitvuscematin.Jecomprenaismaintenant.
–Tuesmonmeilleurami,West.Jen’aipas idéedecequetutraversesencemoment.MaisjesaisqueMaggieneméritepasqu’onseserveainsid’elle.Cen’estpastrèsloyal,monpote.Elleaperdusesdeuxparentsàlafois.Delaplusabominabledesfaçons.Alorsarrête,s’ilteplaît!Neluifaispasdemal.
Serenavints’asseoiràcôtédemoisansmelaisserletempsderéagir.–Prêtpourlematchdecesoir?medemanda-t-elled’unpurtondepom-pomgirl.Bradyladévisageauninstantd’unairagacé,puissemitàmanger.JenefaisaispasdemalàMaggie.Cen’étaitpascommesielleavaitdessentimentspour
moi, de toute façon. J’avais fait attention à toujours rester amical avec elle. D’ailleurs, audébut, elle ne m’aimait pas du tout. Maintenant, elle me comprenait sans s’attacher pourautant.Elleétaittropbienpourmoietlesavaitcertainement.J’avaisexpliquéàBradyqu’onétait juste amis. Donc, je pouvais me taper d’autres filles. Sans faire de mal à Maggie.D’ailleurs,jetueraislepremierquiluienferait.
Serenadisaitquelquechose,maisjenel’entendispascarMaggievenaitd’entrerdanslacafétéria. Son regard se posa immédiatement sur moi. Elle me sourit, puis se détournavivement.Commechaquefois.Ellenemeregardait jamais longtemps,etsonsouriren’avaitriend’authentique.Pourquoi?Avais-jefaitquelquechosedemal?
Asavint s’asseoir àmagaucheetGunnerà côtédeBrady.On semitbientôt àneplusparlerquedumatchdusoiretjem’interdisdem’inquiéterdavantageenvoyantMaggiesortirunefoisdepluspourdéjeunerdehorsetlireausoleil.Demêmequej’ignoraislerireagaçantdeSerena.Onnedisaitriendedrôle.Pourquoiriait-elleainsi?
19
Tuesbeaucoupplusfortquetunecrois
Maggie
Ilfautquejeteparle.Je regardaimon téléphone.Un textodeWest. Il semblait bouleversé, cematin,mais j’étaispartieenapercevantSerena.Jen’avaisaucuneenviede lesregarderflirter.Jem’entenaisàmesrésolutionsenrestantjusteuneamie.Çanem’obligeaitpasàaimerSerenapourautant.
Jeudi,j’étaisauxtoilettesquandelleyétaitentréeavecd’autrespom-pomgirls,pourleurraconter comment elle avait taillé une pipe àWest dans les toilettes des garçons lematin.C’étaitvraimentlegenred’imagequejevoulaischasserdemonesprit.
Même si West et moi étions amis, ça ne m’obligeait pas à fréquenter ses copines,cependantonvoyaitqu’ilsouffrait,cestemps-ci.Ilavaitdûpasserunematinéehorribleavecsonpère.Maismaintenant, onallait tous se retrouver au stadepour lematch et jen’auraisaucunechancedeluienparler.
Dans le couloir, jem’éloignai de la foule qui se précipitait vers le stade, pour pouvoirrépondreàsontexto.
D’accord.Tuveuxqu’ondiscuteaprèslematch?
J’envoyailemessageetattendisuneminutepourvoirs’ilrépondait.–Non,jeveuxqu’onseparletoutdesuite.Savoixretentitderrièremoi tandisquesamainmesaisissait lebras. Ilm’entraîna loin
desautres,àtraverslehalld’entréedésert.Jeneluidemandaipasoùonallait.Jelesuivis.Ilouvrit laported’uneclassequinesemblaitplusavoirservidepuisunmoment,etme
fitentrer.
Pasdebureauxdanscettepetitesallevideàuneseulefenêtre.Jemetournaiversluiaumomentoùlaporteserefermaitderrièreluidansunpetitclaquement.
Il s’approchademoi,maisneme touchapas. Ilme regardait, commes’il cherchaituneréponse.
–Jenepourraipasjouercesoir, jedoisrentrerauprèsdemonpère.Ilvaplusmalquejamais.Jenevaispasrestericipendantqu’il…s’enva.Hein,Maggie?Jenepourraisjamaismepardonnerdenepasavoirétéauprèsdelui,denepasavoirtenulamaindemaman.Ellevaavoirbesoindemoi.
Malgrésesyeuxpleinsdelarmes,jesavaisqu’iln’allaitpaspleurer.Ils’essuyalaboucheetlenezdudosdelamain.
– Mon Dieu, reprit-il, je n’y arriverai jamais ! Il aimait trop le football. Mais je tiensencoreplusàlui.
Ilarticulaitchacundesesmotscommesicelaledéchirait.Jeluiprislesdeuxmains.Celasemblaittoujourslecalmer.– Qu’est-ce qu’il voudrait que tu fasses ? S’il pouvait donner son avis, qu’est-ce qu’il
choisirait?–Ilvoudraitquejejoue.Ill’atoujoursvoulu.Je ne dis plus rien, mais le laissai entrelacer de nouveau mes doigts, se tenir à moi
commes’iljouaitsasurvie.–Etmamère?Elleseratouteseulesijejoue.–Tunepeuxpasdemanderàquelqu’underesteravecellependantlematch?Quelqu’un
enquielleaitconfiance?Ilrelevavivementlatête.–Tatante.Tante Coralee serait là-bas en une seconde s’il le lui demandait, et Brady serait le
premierà l’approuver.S’ilestimaitquesamamandevraitmanquerlematchpourassister lamèredeWest,ildiraitouitoutdesuite.
–Demande-lui.Elle serad’accord,etBradyaussi. Je luidiraidem’envoyerunmessages’ilsepassaitquelquechose.Jeseraisurplacepourt’emmener.
LesyeuxdeWest s’étaient séchés et il fit ouide la tête, lamâchoire serrée comme s’ils’empêchaitdecrier.Jesavaiscequ’ilpouvaitressentir.Moi,j’avaisbeletbiencrié.Jen’avaispumecontrôlerfaceàlamortdemamère.
–Tuesbeaucoupplusfortquetunecrois,ajoutai-je.Ilm’attira contre lui, puis se pencha pourm’embrasser la tête. Ce n’était pas le baiser
dontjerêvais,maisc’étaitdéjàça.Etjem’endélectai.–Merci,dit-ilenm’entourantdesesbraspourmieuxm’étreindre.J’avaisenviedesoupirer,dem’abandonnercontrelui,maisilnes’agissaitpasdemoi.Il
avaitjustebesoinderéconfort.Etjeleluidonnerais.
–Derien,répondis-jecontresapoitrine.Onrestaquelquesinstantssansbouger,puisilreculaetsedétachademoi.J’avaisfroid
loindesesbras.Jemedemandaiss’il ressentait lamêmechose.Avais-jepuleréchaufferunpeu?
– Je voudrais te présenter àmamère, souffla-t-il avec unmaigre sourire. Elle va bient’aimer.
Ilsemblaitmoralementépuisé.Jemedemandais’ildormaitlanuit.–J’aimeraisbien.Cedoitêtreunefemmeextraordinaire.–Oh,queoui!Des acclamations montaient du stade. Les pom-pom girls avaient dû commencer leur
show.–Allez,vas-y!dis-jeenespérantqu’ilnesoitpasenretard.–Non,jen’yvaispas.J’aiditaucoachquejedevaisrentrervoirmonpère.Booneluien
avait déjà parlé cette semaine. Je ne voulais pas le mettre au courant, mais Boone avaitraison.Maintenant,jepeuxpartirsansm’inventerd’excusesetmanquerlesfestivitésd’avant-match.
Mononcleserait là, lemomentvenu,quandWestauraitbesoind’unefigurepaternelle,etj’enétaiscontente.OncleBooneétaitunmecbien.Mamèrel’adorait.Elleparlaitsouventdesongrandfrère.Etpuisilsavaientlesmêmesyeux,lemêmesourire.QuandJoriem’avaitannoncéqu’ellepréféraitm’envoyervivrechezlui,j’avaisespérémesentirunpeuplusprèsdemamèreensacompagnie.Etc’étaitexactementça.
–Tuveuxveniravecmoi?medemandaWest.Tupeuxyaller?–Yaller?Jen’étaispascertained’avoirbienentendu.–Oui.Viens chezmoi, jevais teprésenteràmaman.Et,peut-êtreque simonpèreest
réveillé,tupourraslevoirluiaussi.Enfin,situesd’accord.Ilal’air…tropmal.J’iraisvoirtouslesgensquecegarçonvoudrait.–Volontiers.Cettefois, j’eusdroitàundesesraresvraissourires.Jeferaisn’importequoipourqu’il
m’endécocheencored’autresd’unetelleintensité.Quandsesyeuxsemettaientàbrillerainsi,quandonlesentaitàcepointsincère,rienn’étaitpluscomparableausouriredeWestAshby.
20
C’estbien,mongarçon
West
Jemegaraidansl’alléed’entréedelamaison,metournaiversMaggie.Elleavaittoutde
suite acceptéde venir. Jen’étais pas sûr qu’à saplace j’en aurais fait autant. Pendant qu’onroulait, elle avait envoyéunSMSà sa tantepour lui annoncerqu’ellequittait le lycéepourvenirvoirmesparents.
Jenemevoyaisparleuramenerquiquecesoitd’autreencemoment.MêmepasBrady.EncoremoinsRaleigh.Tropdur.MaisMaggiemeparaissaitassezforte.
–Quandjedisquemonpèreal’airtrèsmal…c’estlavérité.Ilaterriblementmaigrietses os se cassent facilement. Il est d’unepâleur livide. Sapeauparaît presque transparente.C’estduràsupporter.Situnet’ensenspascapable,jecomprendrai.
Ellelevasurmoisesgrandsyeuxvertspleinsdecompassion.–Jeveuxrencontrertonpapaadoré.Cedoitêtrequelqu’undegénial.Unfrissonmeparcourut.Était-elleréelle,cettefillequiprononçaitexactementlesmots
que j’avais besoin d’entendre ? Je commençais à la prendre pour mon ange gardien. S’ilexistait.Dieunousavait sansdouteabandonnés,mais ilavaitpeut-êtreenvoyéMaggiepourmedonnerlaforceetlaconsolationdontj’avaisbesoin.
–Viens.Moiaussi,j’aiprévenumamanqu’onarrivait.Jen’avaisencorejamaisparlédeMaggieàmaman.Onneparlaitàpeuprèsquedepapa.
Aussi,dansmontexto, j’avaispréciséqu’elleétait lacousinedeBradyetqu’onétaitdevenusbonsamis.
Mamanavaitréponduqu’ilsseraientheureuxdefairesaconnaissance.Papaétaitréveilléaujourd’huietparlaitunpeu.J’espéraisqueceseraitencorelecasquandMaggieseraitlà.
Arrivédevant laported’entrée, je sentis lesdoigtsdeMaggiemecaresser lamainà safaçon silencieuse, comme pour m’assurer qu’elle était bien là, qu’elle ne me quittait pas.J’adoraisquandellefaisaitça.Ellesemblaittoujourssavoircedontj’avaisleplusbesoin.
J’ouvrislaporteetm’effaçaipourluifairesignedepasser.L’entréeétaitdéserte,maisonsentaitunebonneodeurdecookiesentraindecuire.
–Ondiraitquemamannousapréparéungoûter,dis-jeavantdeluiplacerunemainaucreuxdesreinspourlafaireavancer.
Quandonentradanslacuisine,mamannoustournaitledos,entraindenoussortirdeuxverres. Elle s’était coifféed’unequeue-de-cheval, avaitmisun joli chemisier et un jean.Cesjours-ci, ellenepassaitplusbeaucoupde tempsà sepréparer, car elle avaitpeurde laisserpapaseultroplongtemps.Jenel’avaisplusvueaussisoignéedepuisunmoment.
–BonjourMaman!lançai-jedoucementpournepaslafairetressaillir.Elle fit volte-face, les yeux aussitôt fixés sur Maggie. Elle était curieuse. Je n’amenais
jamais de filles à lamaison. Elle n’avait vu que Raleigh une ou deux fois àmesmatchs defootball.
–Bonjour,vousdevezêtreMaggie,dit-elleens’approchant.Celle-ci fit oui de la tête. J’avais oublié de préciser qu’elle ne parlait pas. Et comme
maman ne fréquentait pas les gens du quartier, elle ignorait tout de son passé. J’ouvris labouchepourluiexpliquer,maisMaggies’avançaenluitendantlamain.
–Oui,Madame.Raviedefairevotreconnaissance.J’en restai bouche bée. Je ne l’avais jamais entendue parler à quelqu’un d’autre, pas
mêmeauxmembresdesafamille.Pourtant,ellen’avaitpashésitédevantmaman.Encoreunechosequilarendaitsiincroyable.Aprèstoutcequ’elleavaitaffronté,elledemeuraitpleinedecompassion.Ellesesacrifiaitencorepourlesautres.Passûrquej’auraisfaitlamêmechoseàsaplace.
– C’est un plaisir de vous rencontrer. Vous pouvezm’appelerOlivia. Nous ne recevonsplusbeaucoupd’amisàlamaison.JesuiscontentequeWestaitdécidédevousamener.
Dansleregarddemamanbrillaitunelueurquejeneluiavaispasvuedepuislongtemps.Maggies’empourpra.
–C’estquelqu’und’extraordinaire,dis-jeenluicaressantlamaincommeellelefaisaitsibienavecmoi.
–Jevoisça,réponditmamanensouriant.Elleavaitlevisageinquiet,tendu,maisjelasentaisheureusedelaprésencedeMaggie.
Je me rendis compte qu’elle devait se sentir affreusement isolée, elle qui ne voyait jamaisd’autres gens que nous, les habitants de cettemaison. Rien ne venait jamais la distraire del’épreuvequ’elletraversait.
–Jecroisquenousavionstouslesdeuxbesoind’unamiquinouscomprenne,ditMaggie.Jefusencoreaussisurprisdel’entendreparler.
Mamanmesourit.Ellel’aimaitbien.Maisquin’aimeraitpasMaggie?–Tonpèreestréveillé. Ildoitbientôtprendresonmédicament.Alors,allezvite levoir
touslesdeux,avantqu’ilnes’endorme.Autrementdit,ilsouffrait.–S’ildoitprendresonmédicamentmaintenant,onreviendraetjeferailesprésentations
uneautrefois.–Ohnon!Ilsaitquetuvasveniretilveutvoirtonamie.–Maggie?Jevoulaisluilaisserunedernièrechancedechangerd’avis.Ellehochalatête,l’airdécidée.Tant pis simamèreme voyait, il fallait que je prenne lamaindeMaggie. Je la serrai
bienfortpuisl’entraînaidanslecouloirverslachambredemesparents.J’ouvrislentementlaporte,jetaiuncoupd’œilàl’intérieur.–Pasbesoindecesprécautions,mongarçon,jet’entends.Entrez.Ilrespirabruyamment,puistoussa.Savoixmeparutfaibleàcôtédecelle, tonitruante,
quejeluiconnaissais.Sanss’arrêter,Maggiepassaleseuil,lamainfermementposéedanslamienne.–C’estlaplusjolieamiequetuaiesjamaisamenéeàlamaison,dit-ilensouriantcomme
s’iln’avaitpasmalpartout.–Merci,dit-elle.–Jepensaist’avoirmieuxéduqué,reprit-ildesontonessoufflé.Unefilleaussiravissante
n’estpasjusteuneamie.Tudevraisluisauterdessus!Maggieéclataderire,etpapasouritdenouveau.– Il a toute une série de filles qui attendent leur tour, répondit-elle. Il ne va pas en
rajouterune.Monpèresemitàrire.Nonpasdesongrosrirehabituel,maisvoilàlongtempsquejene
l’avaisplusentendus’esclaffer.Aprèsavoirtousséetreprissonsouffle,ilmeregarda:–Tuveuxunbonconseil?Il n’évoquait pas souvent les filles avecmoi ; ça remontait à mes treize ans, quand il
m’avaitsurprisentrainderegarderunfilmpornosurmonordi.J’avaiseudroitàsesconseilspaternelsenmatièrederelationssexuelles.Depuis,onparlaitfootball,école,vie.Maisjamaisdefilles.
–Oui, intervintMaggie.Sivousentendiez les fillesdans les tribunesaux rencontresdustade!Ilabeaucoupdesuccès.
Ilritencore.–Jesuissûrquelesgarçonssebattentpourtoiaussi.Sicelui-ciesttropaveuglepourte
fairedesavances,jepariequelesautresnesegênentpas.
Monsouriredisparut.Jenevoulaispaspenseràça.Maggierendaitvisiteàmonpèreetàmamère. Elle n’allait pas semettre à parler d’un autremec ! Comme si elle n’était plus àmoi!
Papas’esclaffaencoreetjem’aperçusqu’ilmeregardait.–Çanet’amusepasdepenseràça?Mon cœur se retourna. Je n’avais pas envie d’aborder ce sujet, etmon père avait tout
compris.– Qu’est-ce qui vous fait tant rire ? demanda ma mère en entrant. J’ai raté quelque
chose?Elleparaissaittoutecontente.Lagaietédemonpèrenousfaisaitdubienàtouslesdeux.–Etvoicimafemmepréférée!lança-t-ilalorsquemamans’approchaitdelui.Illaregardaitencorecommesiellereprésentaittoutcedontilpouvaitrêverdanslavie.
Ellesepencha,l’embrassasurlabouche.–Ilfallaitquejeleurprépareungoûter,dit-elle.Cesoir,ilyamatchetWestabesoinde
force.Papatournalesyeuxversmoi.–Tuvasgagnercesoir?demanda-t-il.Onrevenaitànospréoccupationspréférées.–Tusaisbienqueoui,répliquai-je.–C’estbien,mongarçon.
21
Illeurfautdesannéesavantdedevenir
raisonnables
Maggie
J’avais échangé plusieurs textos avec tante Coralee pendant lematch, afin de vérifier
comment se portait M. Ashby, Jude, comme il m’avait demandé de l’appeler. Elle m’avaitcertifié qu’il dormait et que tout allait bien. Je voulais pouvoir rassurer West quand iltourneraitlatêteversmoidanslesgradins.
Illefitàplusieursrepriseset,chaquefois,jehochailatête.Ce qui ne l’avait pas empêché demarquer un touché et d’autres points auxquels je ne
comprenais rien mais qui, selon oncle Boone, en train de commenter au fur et à mesure,s’avéraientmagnifiques.WestétaittoujourslàpouraiderBradyàfairedesétincelles.
Jesavaisque,cesoir,iln’iraitpasàlafêted’aprèslematch.Ils’inquiétaitdéjàtroppoursonpère. J’avaisdemandéàoncleBoone si jepourrais renterdirectementau lieude suivreBradyàlasoirée.Mêmesij’avaisétéraviedefairelaconnaissancedesparentsdeWest,jemesentaisépuisée.
BienqueJudem’aitparlé,j’avaissenticombienc’étaitdifficilepourluietqu’ilymettaittout ce qui lui restait d’énergie. Il éternuait, perdait son souffle. Et quand on voyait à quelpointiladoraitsafemme,çafaisaitmalaucœur.
Jamaisjen’avaisvumesparentsseregardercommeça.Jemerappelaisleurscris,leursdisputesmêmes’ilsfinissaienttoujoursparseréconcilier.
TroptristedepenserqueceuxdeWestallaientperdreça.
Alors que la foule se dirigeait vers le parking, je suivis oncle Boone qui devait allerattendreBradyàlasortieduvestiaire.J’espéraisbienvoirWestavantdepartir.Ilavaiteudumal à quitter son père cet après-midi. Il m’avait tenue par la main tout le long du trajetjusqu’àmamaison.Sij’avaispuluitenirlamainsurleterraindefootball,jel’auraisfait.
– VoilàWest, dit oncle Boone en désignant le vestiaire dumenton. Je suppose que tuvoudraisallerlevoir.D’ailleurs,ildoittechercher.
Ilmedécochaunsourirepleindecompréhension.Pourvuqu’ilnepensepasqueWestetmoi étions plus que des amis. Je l’avais expliqué à tante Coralee, car elle m’avait posé laquestion.Maisjen’enavaisrienditàoncleBoone.
Ce qui nem’empêcha pas d’aller rejoindreWest. Cependant, Serena arriva avantmoi,couinant et se jetantdans ses bras. Jem’arrêtai net, attendis. Je comprenais désormais queWest avait parfois besoin de moi, mais aussi d’elle, à d’autres moments. Ou de quelqu’uncommeelle.
West l’écoutaparler,puisacquiesçad’unmouvementde la tête.J’enconclusquec’étaitun moment Serena, pas un moment Maggie, et retournai vers oncle Boone. Il n’avait pasbougéetmeregardait,l’airdéçu,préoccupé.
Jem’arrêtaiàcôtédeluietonattenditBrady.Auboutdequelquesinstants,ils’éclaircitlagorge.–Lesgarçonsneprennentpas toujours lesbonnesdécisions, commenta-t-il. Il leur faut
desannéesavantdedevenirraisonnables.Tuméritesmieuxqueça,Maggie.Ilsouffre,maistuasaussieutapart,machérie.
Ilnevoulaitquemonbien,d’autantqu’ilavaitraison.JeméritaismieuxetjesavaisqueçaneviendraitpasdeWestquinem’avaitjamaispromisplusquesonamitié.Justecedontilavaitbesoindemapart.Tantqu’ilauraitbesoindemoi,jeseraislàpourlui.Mêmesic’étaitdur,mêmesimoncœurseserraitparfois.Monrôleconsistaitàmerappelerqu’iln’éprouvaitaucunsentimentplusprofondpourmoi.Ilfallaitquejemepréserve.J’avaissurvécuàl’enfer.Jesurvivraisàça.
–Onlesaéclatés!s’exclamaBrady.Jelevisquivenaitdansnotredirection,souriantàsonpère.OncleBoonel’accueillitd’un
air fier. J’imaginais que c’était le genre de situation quimanquait tant àWest. Une de ceschosesqu’ilavaitdéjàperdues.
–Bienjoué,monfils,ditoncleBooneenluitapotantledos.Tuvasàlafête?–Oui,tuviens,Maggie?Jefisnondelatête.Bradyparutàlafoissoulagéetinquiet.–Ellevarentreràlamaisonavecmoi,cesoir,ditoncleBoonesansmentionnermavisite
chezWest.–D’accord,jeneresteraipastard.
Là-dessus,BradyallarejoindreIvyquil’attendait.Alors que je jetais un coup d’œil versWest, nos regards se croisèrent. Il arrivait dans
notredirection,suivideSerena.GenredescènequejenevoulaispasvoirseproduiredevantoncleBoone.
–Tul’attendsoutuveuxqu’ons’enaille?medemandacelui-ci.Je luidécochaiunsourirenavré.Jesavaisqu’iln’approuvaitpascettesituationet je lui
étaisreconnaissantedes’inquiéterainsipourmoi.Maisjen’allaispascouriraprèsWest.–Bonsoir,lançacelui-ci.Serenas’arrêtaderrièrelui,l’airexcédée.JesourisàWest.Autantluifairecroirequetoutallaitbien.–Tuvasàlafête?Jefisnondelatête.–Tuvoisbienquenon,intervintSerenaenleprenantparlebras.Onyvamaintenant?Ilnesedégageapasetjem’interdisd’ensouffrir.–Turentrescheztoi?medemanda-t-il.Jehochailatête.–Tuasbienjoué,observaoncleBooneenposantunemainsurmonépaule.Tontouché
étaitmagnifique.Tonpère sera contentd’apprendre ça.Bonne soirée.Maggie etmoi allonsrentrer.
Ilneluiavaitpaslaisséletempsderépondrequoiquecesoit.West en parut désolé. À croire qu’il voulaitm’empêcher de partir. Sauf qu’il ne savait
comments’yprendre.Etjen’allaispasdéciderpourlui.Alors,jeluiadressaiunpetitsalutdelamainavantdesuivremononcle.
22
Ceseratoujoursuneamie
West
Jenequittaipaslamaisonduweek-endsaufpouralleracheterdulaitetdesœufs.Dès
queMaggieétaitpartieavecsononcle,vendredi,j’avaisexpliquéàSerenaquejerentraisàlamaison.Seul.
Enarrivant,j’apprisquepapadormait,cependant,jem’assisavecmamanetluiparlaidumatch,puisdeMaggie.Elle l’aimait bien.Elle voulait aussi savoirpourquoiCoralee croyaitque sa nièce ne parlait pas.Maman avait été assez futée pour comprendre que cela cachaitquelquechose,etelleneluiavaitpasditcequis’étaitpassé.
Ce fut la première question qu’elle me posa quand j’arrivai à la maison. Je comprisqu’elle en tirait davantage de conclusions que la réalité. Elle aurait sans doute espéré quenous sortionsensemble,mais je n’avais pas la tête à entretenir une relation avec quelqu’uncommeMaggie.Quelqu’unquiméritaittellementplusquecequejepouvaisluidonner.
J’évitaide l’expliqueràmaman.Depeurde l’inquiéter ;elleavaitdéjàplusquesapartd’inquiétudes.Etmoiaussi.
Jepassailesamedidanslachambredepapa,àregarderdufootball.Quandilseréveilla,on se mit à parler du match de vendredi. Enfin, c’était surtout moi qui parlais et lui quiécoutait. Il avait de plus en plus demal à respirer. L’infirmière arriva et je restai jusqu’aumomentoùellelepréparaavecmamanpoursonbain.
Le dimanche se déroula de la même façon, sauf qu’on regarda les matchs de la NFL.Mamanseblottitsurlelitavecnous.Onparladenospremièresvacancesencampingetdescrisdemamanquandunoursbrunavaitouvertnotreglacière.Etpuisonseracontaenriant
lejouroùonavaitemmenémamanàlapêche.Elleavaitétéhorrifiéedenousvoiraccrocherdesgrillonsvivantsauxhameçons.
Papavoulait aussi desnouvellesdeMaggie ; tombé sous son charme, ilm’avaitmis engarde de ne pas tout gâcher entre nous, disant qu’elle était faite pourmoi.Mamanm’avaittapotélamain,l’airdedirequ’elleétaitdesonavis.
Tous les soirs, quand papa dormait, je gagnaisma chambre pour envoyer des textos àMaggie. Elle répondait toujours, et on finissait par discuter au téléphone, jusqu’à nousendormir.
Lelundi, j’avaisplusquehâtedelarevoirenfin.Papaavaitbiendormitoutelanuit; ilsemblaitallermieuxcematin.Cequifaisaitplaisiràmaman.Jen’eusdoncaucunmalàm’enaller.
Cependant, ma belle humeur s’évanouit vite quand je vis Serena en train de parler àMaggie devant son casier. Il me suffisait de voir leurs visages pour comprendre que ça nerigolait pas.Maggie avait reculé jusqu’à se retrouver bloquée par la porte, ses grands yeuxvertsécarquillésd’inquiétude.
Jefendislafoulejusqu’àcequelesélèvess’écartentsurmonpassage.Quandjefusassezprès,j’entendisSerena:
– Il est avecmoi. Il en a rien à faire de toi. Dégage ! – Fous le camp ! LaisseMaggietranquille!
J’avaisrugicesparolesenm’interposantentreelles.D’unemain,jerepoussaiSerena.– Toi, tu ne t’approches plus jamais d’elle. Jamais ! Tu ne la regardes même pas.
Compris?Serenaenparutsuffoquée.Ellenes’attendaitpasàcegenrederéactiondemapart.Elle
étaitdevenuefollelorsquej’avaisditquejevoulaisvoirMaggieaprèslematch.Jusque-là,ellenel’avaitpasconsidéréecommeunerivale.
–Elleflirteavectoi,expliqua-t-elled’untoninnocent.Ellecroitqu’ellepeuttemettrelamaindessus.Jeluiexpliquaiscequ’onfaitensemble.Quetun’esqu’unamipourelle.
JesentislecorpsdeMaggieremuerderrièremoietjeluitouchailamain.Ellenedevaitpass’enaller.Ellememanquaittrop.JenelaisseraispasSerenagâchermamatinéeavecsajalousiedéplacée.
– Tu n’en sais rien, lui dis-je,mais je vais te dire sur qui toi tu ne peux pasmettre lamain:moi.Ons’estbienamusésdurantnotrepetiteaventure,maisc’estfini.Terminéentrenous.
Sans lui laisser le temps de répliquer, je lui tournai le dos ; je savais bien que tout lemonde nous regardait. Autrement dit, Serena ne resterait pas là à me supplier. Elle avaitquandmêmeunminimumdefierté.Aussi,jenefuspassurprisdelavoirs’éloigneràgrandspas.Aprèsquoi,lesspectateursreprirentleursoccupations.
Maggieécarquillaitencoresesbeauxyeuxquandjemeretournaiverselle.
– Désolé, c’est ma faute. Je me conduis comme un connard ces temps-ci, mais je nevoudraispasqueçatetouche.
Ellemeserralamain.–C’estbon,murmura-t-elletoutbas.–Non.Personnenedoitteparlercommeça.Personne.MacolèremerepritenconstatantqueMaggieavaiteupeur.Ellemedécochaunpetitsourireetsepenchapourramassersonsacàdosrestéparterre.
Je la regardai choisir ses livres touten regrettantqu’onne soitpas seulspourque jepuisseparler avec elle, entendre sa voix. Même si je l’avais entendue au téléphone toute la nuit.C’étaitdifférententêteàtête.
Jemerapprochaid’ellepourhumersonodeurdevanille.Aumoins,jepourraisemportercettesensationavecmoiaucoursdumatin.ÀdéfautdeMaggie…
Quandelleseretourna,noscorpsétaientsiprochesqu’ilsfaillirentsetoucher.Presqueaussitôt,unemainatterritsurmonépaule,serrafort.LavoixdeBradyretentit,
unrienmenaçante.–Justeamis,d’accord?Jerespiraiungrandcoupetreculai.Maggiejetauncoupd’œilversBrady,mesouritune
dernièrefois,puis,serrantseslivrescontresapoitrine,elles’enfuit.Dèsqu’elleeutdisparu,jemetournaiversBrady.–Àquoitujoues?maugréa-t-il.Onauraitditquetuallaisladévorertoutecruedevant
toutlemonde.Voilàl’impressionqueçadonnait.Jet’aibienvu.Etlesautresaussi.Etelle…elleabienremuéleslèvres?
Cen’étaitpasàmoidelatrahir.Siellenevoulaitrienrévéler,çalaregardait.–Non,dis-je.Oncommuniquedifféremment.C’esttout.Bradyhaussaunsourcil.Ilsavaitdansquelétatj’étais.–N’oubliepasqu’elleestfragile,insista-t-il.Nelabrisepas.Ilnesavaitpasàquelpointilsetrompait.Maggieétaitl’undesêtreslesplusfortsqueje
connaisse.–Jet’aidéjàditque jenelui ferais jamaisaucunmal.Jevoulais justem’assurerqu’elle
allait bien. Serena s’est conduite comme une salope. Je l’ai remise à sa place. Fais-moiconfiance.
–J’essaie,maisjevoisbiencommenttularegardes.–Cen’estpasparcequej’aienviedequelquechosequej’aurailacruautédemeservir.Je
neluiferaisjamaisça.C’estjusteuneamie.Ceseratoujoursuneamie.
23
Pasenviedebavarderavecquelqu’un
d’autre
Maggie
Lerestedelasemaine,l’étatdupèredeWestparuts’apaiser.Ilavaittoujoursdumalà
respirer, mais il était le plus souvent réveillé, comme s’il souffrait moins. Du moins enapparence. Il n’avait plus autant besoin de ces antidouleur qui l’abrutissaient. Je lui avaisrenduvisitemercredi soir.West était venume chercheraprès sonentraînement etonavaitdînéavecsamère.
Lejeudi,Westm’avaitretrouvéeàl’entréedelacafétéria,insistantpourquejedéjeuneàsa table. Comme Serena n’était plus là, j’acceptai. Les garçons essayaient toujours dedéterminer lanaturedenosrelations.Cependant,dès levendredi, ilsavaientacceptéque jeprenneplaceaveceux.
AvecWestonétait…bon,jenesavaispastrop,aujuste.OnéchangeaitdesSMStoutelajournée,onsetéléphonaittouslessoirs.Onneparlaitpasseulementdesonpèreoudemonpassé ;onparlaitde lavie. Ilme racontaitdesanecdotesde leurenfanceavecBrady, je luiracontaismesannéesdepom-pomgirlaucollège.
Pourtant, je trouvais notre relation de plus en plus ambiguë. Comme quand ils’approchait trop demoi, respirant plus fort, comme s’il était prêt àme sauter dessus. Ouquand il posait sa main dans mon dos plus longtemps que nécessaire. Ou lorsque Nashs’asseyaitàcôtédemoietcommençaitàflirter,mettantWesthorsdelui.Ilavaitessayédenepaslemontrer,maistoutlemondel’avaitremarqué,ycomprisBrady.
En même temps, il continuait de sortir avec les filles du lycée qui lui faisaient desavances.Mêmes’ilnes’envoyaitplusenl’airavecellesdanslestoilettes,nes’engageaitavecaucuned’elles, ilne faisait jamaisplusallusionànotrebaiseretn’avaitpasune foismontrél’enviedevouloirrecommencer.
Il n’avait pas fait part de ses projets après lematch du vendredi soir, pas plus qu’il nem’avait interrogéesur lesmiens.Alors, j’avaisdemandéàtanteCoraleesi jepouvaisrentrerdirectementàlamaisonetmecoucher.J’étaisfatiguée.Elleavaitacceptéetj’étaispartieavecelleaussitôtaprèslematchtandisqu’oncleBoonerestaitpourvoirBrady.
West avait marqué trois touchés, et son sourire avait rétabli tout ce qui n’allait pas.J’étaiscontentedelevoirheureux.J’auraisaiméêtrelàquandilleraconteraitàsonpère.
En prenant ma douche avant de me coucher, je me repassais mentalement lesévénementsdelasemaine.Bradysemblaitmieuxm’accepteretjemedoutaisquec’étaitparcequ’il n’avait plus besoin de m’emmener partout avec lui. Ses parents avaient cessé de luiimposermaprésenceàtoutboutdechamp,et j’aimaisbien lesécouterbavarderpendant ledîner.
J’envisageais aussi la perspective deme remettre un jour à parler en public. Je l’avaisdéjà fait avec les parents deWest, mais juste pour ne pas leur compliquer la vie parmonsilence.Puis, si jamais jen’avaisplus l’occasiondebavarderànouveauavec sonpère, jenevoulaispasregretterd’avoirgardélesilence.
J’aimerais faire partie de cette famille qui m’accueillait mais, tant que je necommuniquerais pas surma vie quotidienne, je restais à part. Si j’adressais la parole àmatanteetàmononcle,ilsfiniraientparm’interrogersurcequis’étaitpasséentremesparents.Etjen’ytenaispas.Jen’avaispluspeurd’entendremaproprevoix–avecWest,j’avaisobtenulapreuvequejelasupportaissanstournerdel’œil–,maisjen’étaispasprêteàparlerdemamère… ni demon père. Les Higgens savaient tout ce qu’il y avait à savoir sur le sujet. Sij’étais certaine qu’ils ne me forceraient pas à évoquer ce soir-là, cela changerait bien deschoses.
Sortie de ma douche, je m’enroulai dans une serviette, m’essorai les cheveux puis meprécipitaidansmachambre.
J’enavaisàpeine franchi leseuilque jepoussaiuncrienapercevantWestdevantmoi.Aussitôt,jemeplaquaiunemainsurlabouchetoutenretenantmonpeignoirdel’autre.
–West?Il ne regardait pasmon visage,maismes jambes nues ; je faillisme précipiter dans le
couloir.–West?répétai-je.Cettefois,sesyeuxseposèrentsurlesmiensetilsouritd’unairunpeugêné.– Pardon. Je ne voulais pas te faire peur. Je t’ai envoyé un SMS pour te dire que je
montais,maistun’aspasrépondu.
–Commentça,tumontais?Ilmedésignalafenêtre.–N’oubliepasquec’étaitlachambredeBradyavant.J’aiescaladécemurdesdizainesde
foisdepuismesseptans.Oh!Maisquefaisait-ilici?–Tuespartie…aprèslematch…tun’espasvenueàlasoirée.Jet’aiattendue.Voilà ce que je ne comprenais pas. Je ne voyais pas quand il avait trouvé le temps de
faire tout ça. Il nem’avait pas demandéde la journée ce que je comptais faire le soir. J’enavaisconcluqu’ilavaitd’autresprojets.J’ignoraisqu’ilcomptaitmevoir.
–JesuispartieavectanteCoralee.Tun’avaispasditcequetuvoulaisfaireensuite.À présent, c’était lui qui avait l’air de ne pas comprendre. Et pourquoi ? Lui qui
m’envoyaittantdesignauxcontradictoires.–Jecroyaisquetulesavais,assura-t-il.Quetuavaishâte.Jefisnondelatête.Jenesavaisriendutout.–Alors, reprit-il en souriant,dis-toiqu’ondoit systématiquement se retrouver.Tues la
seule amie que j’ai toujours envie de voir. Tu ne pourrais pas t’habillermaintenant ?C’est,euh…gênant.
– Je te rappelle que tu es entré dansma chambre sans t’annoncer. Si j’avais su que tuvenais,jemeseraishabillée.
–Jet’aienvoyéuntexto.–J’étaissousladouche.–Fausseexcuse.Cette fois, j’éclatai de rire,maisme repris vite,memordis les lèvres en espérant que
tanteCoraleen’aitrienentendu.–Tourne-toi,murmurai-je.–Quoi?–Quejepuissemettremeshabits.–Ahoui,pardon!Cedisant,ilfitfaceaumur.Jesortisuneculottedutiroir,puisuncaleçonetunlargeT-
shirt. Jamais jenem’étaishabilléeavecungarçondans lamêmechambre.Çame stressait,bien qu’il ne m’ait pas regardée. Une fois vêtue, je passai une main dans mes cheveuxmouillés.
–Jesuisprête,dis-jeencherchantmabrosse.–Trèsbien.Jenepusm’empêcherde jeterunregardpar-dessusmonépaule. Ilmefitunclind’œil.
J’avais horreur de ça. Surtout parce que j’adorais ses clins d’œil. Et je détestais adorer ça.Parcequ’entreamis,onn’avaitpasdespapillonsdansleventrepourunsimpleclind’œil.
–Tudevraist’habillercommeçaplussouvent,lâcha-t-ilalorsquejereprenaismabrosse.
–C’étaitbien,lafête?luidemandai-jeenm’asseyantauborddemonlit.Ilvintseposeràcôtédemoi.–Barbant.Tun’étaispaslà.Jen’aipasenviedebavarderavecquelqu’und’autre.Commejelevailesyeuxauciel,ilpartitd’unpetitrire.–Tononcleettatanteviennenttevoirlanuit?Je fis non de la tête. J’avais l’habitude de fermer ma porte à clé, car je faisais trop
souvent des cauchemars ; sans aller jusqu’à hurler, je pleurais et geignais souvent, alors jepréféraisqu’ilsnem’entendentpas.
–Jepeuxresterunpeusionparletoutbas?Comme si j’allais lui dire non. Je ne lui disais jamais non. Quoique, parfois, je ferais
mieux…Çanelerendraitpasmalade,enfait,çaluiferaitdubiend’entendreparfoisunnon.–Biensûr.
24
Tuesmaladesitucroisquejetoucherais
àmacousine
West
Elles’étaitendormiesurmoi–littéralement–voilàuneheure.Pourtant,j’étaistoujours
là.Elleavaitposésatêtesurmonépauleavantdesombrerdoucementdanslesommeiletdelalaisserroulersurmapoitrine.Ilallaitfalloirquejem’enailleavantleretourdeBradyquirisquait de voir mon pick-up garé dans sa rue. Ses parents n’y avaient sans doute pas faitattention, mais lui le verrait. Il comprendrait tout de suite que j’étais dans sa chambre etcommentj’yétaisentré.Inutiledetentermachanceaveclui.
Jemeglissaidoucementhorsdu lit, remontai lescouverturessurellepourqu’ellen’aitpasfroid.Alorsquej’allaism’enaller,ellesemitàgémir.Ellepleuraitsansbruit.Toutd’uncoup,elleenvoyadescoupsdepied,secoualatêteencriant.
«Jefaisdescauchemarstouteslesnuits.Jerevoissanscessemourirmamère.»Sesmotsrésonnèrentdenouveaudansmatête.Celasepassaitdoncainsi?Jeluicaressaidoucementlebras,luimurmuraiquetoutallaitbien,quej’étaislà.
Ce qui ne servit à rien. Elle continuait de se débattre, puis elle se mit à geindrepitoyablement.
Je détestais la voir dans cet état, perdue dans une horreur à laquelle elle ne pouvaitéchapper. Ce n’était pas un cauchemar, irréel, dont on finissait par s’éveiller. C’était unsouvenirquilahantait,qu’ellenepouvaitplusfuir.
Je revinsdans le lit,m’allongeaiauprèsd’elle, l’enveloppaidemesbras, l’attirai contremapoitrine,sanscesserdeluimurmureràl’oreillequej’étaislà,qu’elleétaitdansmesbras,
quejenelaquitteraispas.Quetoutiraitbien.Lentement,ellesecalma,cessantderemuer les jambesetd’émettrecessonsaffolés.Et
puissesdoigtsagrippèrentmonbras.Ellenevoulaitplusmelâcher.Mêmedanssonsommeil,ellesavaitquej’étaislàetmegardaitprèsd’elle.
Çafaisaitdubien.Pourunefoisque j’avaispul’aider.Elleétaitmonroc,masourcedepaix,maisjen’avaisjamaisreprésentéçapourelle.Jecroyaisqu’elleavaitaffrontésonenferseule.Enréalité,cen’étaitpasfini,etjepouvaisfairepourellecequ’ellefaisaitpourmoi.
Moncorpsétaitsecouédanstouslessens.J’ouvris lourdementlesyeuxpouressayerdecomprendre ce qui se passait. Il faisait encore nuit dehors. Je finis par apercevoir Maggieblottieprèsdemoi.
Unemainmesaisitlebras.Jenem’étaisdoncpasréveilléseul.Levantlatête,j’aperçusBradyentraindem’engueuler.
–C’est.Quoi.Cebordel?Jetefaisaisconfiance.Ilneparlaitpastropfort,etçavalaitmieux.JepouvaisgérerBrady,maisBoonem’aurait
littéralementtué.–Elleafaituncauchemar.Jevoulaisjustel’aideràsecalmeretjemesuisendormiaussi.
Jetejurequec’esttout.Bradynequittaitpassonairmauvais.–Qu’est-cequetufoutaisdanssachambre?Ilestplusdeminuit.Jeteconnais,West,tu
n’entrespasdanslelitdesfillesjustepourdormir.Ilavaitraison.SaufpourMaggie.JegrimpaisdanslelitdeMaggiejustepourdormir.–Jamaisjenelatoucherais,Brady,juré.C’estmonamie,elleavaitbesoindemoi.Jene
cherchepasautrechoseavecelle.Apparemment,ilsemblaitcommenceràmecroire.–Elleesthabillée,constata-t-il.–Oui,etmoiaussi.J’aimêmeencoremesbottes.Toutenreculant,ilmefitsignedemelever.Jem’éloignaideMaggie, larecouvris.Bradyétaitsoncousin,mais jen’aimaispasl’idée
qu’illavoieaveccecaleçonultra-moulant.SonT-shirts’étaitenrouléautourdesatailleetonapercevaitunpeudesonventre.
–Nereviensjamaisdanssachambrelanuit.Jen’allaispaslecontredire,maisilétaitidiots’ilcroyaitquejenereviendraispas.Sielle
meledemandait,jeseraislàtouteslesnuitspourveillersurelle.–Onparlait.Elles’estendormieetpuiselleafaituncauchemaralorsquejem’enallais.
Jel’aicalméeetmesuisendormi.–C’estça,grommelaBrady.Va-t’en,maintenant.–D’accord,maistoiaussi.Ilmeregardacommesij’avaisperdulatête.
–Quoi?–Sijem’envais,toiaussi.Ellefermesaporteàclélanuit.Commenttuesentré?–Jesaisentrerdansmonanciennechambre,mêmeferméeàclé.Etpuis,quand j’aivu
tonpick-updanslarue,j’aicomprisoùtuétaisetcommenttuyétaisentré.Jem’endoutais,pourtant,jen’aimaispasça.–Jem’envais,tut’envas,répétai-je.–Sérieux?–Toutàfait.Secouantlatête,ilouvritlaportedelachambre.–Tuesmaladesitucroisquejetoucheraisàmacousine.Je ne le croyais pas. Mais je n’avais pas envie qu’il reste dans sa chambre quand elle
dormait.Ellenel’yavaitpasinvité.
Unefoisrentréchezmoietcouchédansmonlit,jem’étaisendormienespérantqu’àmonlever,jepourraisvivreunautreweek-endavecmonpère.Çan’arrivapas.
Jefusréveilléparlasirèned’uneambulancequis’arrêtaitdevantlamaisonetparlavoixaffolée de ma mère. Le cœur dans la gorge, je me levai en hâte, courus vers le jardin oùj’entendismaman.
– Il est dans l’entrée ! criait-elle aux infirmiers.Vite ! Il crache tout son sang.Vite, s’ilvousplaît!
Ellepleuraitdésespérément,accrochéeàlaportecommesielleallaits’effondrer,dusangpleinsesvêtements.
–Ils’enva,gémissait-elle.OhmonDieu,West,ils’enva!Sesgenouxcédèrentetjemeprécipitaipourlarattraperdejustesse,laserraicontremoi.– On doit être forts pour lui, glissai-je. On pourra craquer ensuite.Mais là, il faut lui
montrerqu’ontientlecoup.S’iltevoitcraquer,ceseraencoreplusdifficile.Toutenl’incitantàtenirlecoupalorsquejen’étaispassûrmoi-mêmed’yparvenir,jeme
rappelaicommentMaggiem’avaitmurmuréquej’étaisassezfortpourdeux.–Tuasraison,ditmamanens’essuyantlevisage.Ilabesoinqu’onresteforts.Aide-moià
m’ensouvenir.Ellemetapotalebrasetjel’étreignistandisqu’ellesoufflait:–Ilfautquejemechange,pourl’accompagneràl’hôpital.–Jevaist’yconduire.Onlessuivra.Ilsnetelaisserontpasentrerdansl’ambulanceavec
lui.Ilsvontavoirbesoindetoutelaplacepouraiderpapa.Ellehocha la tête,mais jesentaisbienqu’ellen’aimaitpas l’idéede le laisserquitter la
maisonsanselle.Serréedansmesbras,elleregardalesinfirmiersemmenerpapainconscientetcouvertde
sang.J’enétaismaladedechagrin.–Nousarrivons,monchéri, luiditmaman.Onsera justederrièrevous.Tiensbonpour
nous.Onresteavectoi.–Vavitetepréparer,luidis-je.Elle s’accrocha encore un instant à mon bras tandis qu’ils installaient papa dans
l’ambulance.Puisellefilasechanger.Moi-même,jeprisenhâteunedoucheavantd’enfilerunjeanetunT-shirt.Unefoisqu’on
serait à l’hôpital, je devrais trouverun servicedenettoyagepour réparer lesdégâtsdans lachambre et dans le couloir. Il fallait que tout soit propre pour le retour de papa. Et je nevoulaispasquecesoitmamanquis’encharge.
J’arrivaidansl’entréeenmêmetempsqu’elle.Onseregardauninstantetjeluirappelai:–Ondoitêtreforts,pourlui.Je voulais qu’elle trouve en elle la force de tenir. Au cas où tout serait fini. Il fallait
qu’ellesoitprêtesinousdevionsbientôtluidireaurevoir,qu’ellenes’effondrepas.J’espérais juste tenir le coupmoiaussi.En sortant, j’envoyaiun textoàMaggie. J’allais
avoirbesoind’elleplusquejamais.
25
J’aihâtedetevoir
Maggie
Ilsl’ontemmenéenambulance.J’aibesoindetoi.Jerelisaissanscesse le textodeWestalorsqu’oncleBoonenousemmenaità l’hôpital, tanteCoralee,Bradyetmoi.
Ilnedonnaitaucuneprécision.Ildisaitjustequ’ilavaitbesoindemoi.Jem’étaishabilléeenvitesse,sanstropréfléchiràcequ’ilfallaitporterpourcegenred’événement.Ensortantdema chambre, j’avais croisé oncle Boone qui grimpait l’escalier, un journal à lamain. Je luiavaisalorsmontréleSMSsurmontéléphoneetilavaitfiléaussitôtréveillertanteCoraleeetBrady.
Personne ne disait mot. Les yeux fixés sur la fenêtre, Brady agitait nerveusement lesjambes. Il avait étéprêt lepremier, et sonévidenteffroinepouvait toucherqu’unvéritableami.
Jen’avaispasbénéficiédetellesattentions,maisj’enétaisreconnaissantepourWest.–Il fautquejepréviennelesautres, lançasoudainBrady.Cettefois,ondoit lesavertir.
Ilsvoudrontêtrelàpourlui.–Tuasraison,ditoncleBoone.Unefoisarrivé,dèsquetulesaurasvus,tuchercherasun
cointranquillepourtéléphoner.Maispasàtoutel’équipe.Justeceuxquisontprochesdelui.Ilasurtoutbesoindesesvraisamisencemoment.
Jen’étaispascertainequeWestytienne.Cependant,sic’étaitlafin,ilapprécieraitleursoutien.
–Ilt’aenvoyéuntexto?medemandaBrady.Jehochailatête.
–Ilt’adonnédesprécisions?Jefisnonetluitendismontéléphone.–Merci,dit-il.D’êtrelàpourlui.Jenecomprendspaspourquoitufaisça,maismerci.Pasbesoindemeremercier.C’étaitWest.Jeferaisn’importequoipourlui.Un ding retentit sur mon téléphone, et la tension monta dans la voiture. J’avais hâte
d’arriver.Il a une tumeur qui lui presse une veine ou quelque chose comme ça. Ils le gardent à
l’hôpital. C’est tout ce que je sais. On est au troisième étage, aile gauche, dans la salle
d’attente.
Jerépondisenhâte:Onarrive.
Puisjetendisl’appareilàBrady.Illutlesmessagesàsesparents.Nouveauding;illutensilenceavantdemelerepasser.
Ok.J’aihâtedetevoir.
Jefermailesyeuxpourprier.Jenesavaistropquoidemander,carjesavaisquelepèredeWestnes’entireraitpas.Maisjepriaiquandmême.
Unefoisarrivésà l’hôpital,oncleBoonenousdéposadevant l’entréeavantdeserendreauparking. Je courus vers les ascenseurs. SiWestdevait apprendre lamortde sonpère, jevoulais être avec lui. Je voulais qu’il puisse compter sur ce que je n’avais jamais reçu : laprésencedequelqu’unquilecomprenait.
Quandlaportedelacabines’ouvrit,jefonçai,appuyaisurlebouton.Autroisième,Westm’attendaitdanslecouloir,lesyeuxinjectésdesang.
–Salut,dit-ild’unevoixcassée.Jesortisdel’ascenseur,luisaisislamain.–Salut.– Ils viennent de laisser maman y retourner, souffla-t-il en m’attirant contre lui. Pour
l’instant, ils l’ont stabilisé, mais ils ne peuvent pas faire beaucoup plus que l’empêcher desouffrir.
Depuis desmois, il avait peur de s’endormir pour apprendre au réveil lamort de sonpapa.Aujourd’hui,ilsn’étaientpaspassésloin.J’emmêlaimesdoigtsauxsiens.
–Viensdanslasalled’attente.Ilsvontteteniraucourant.–Oui.Cesmursblancsmeparurentd’unefroideurstérile.J’avaistoujoursressentilefroiddans
unhôpital.Jen’aimeraispasmouririci,maisdansunendroitami,oùjemesentiraisàl’abri.Cequimepermitdecomprendrepourquoi jedevraisprier. Je fermai lesyeuxet souhaitaiqueJudeAshbynemeurepasici,maischezlui,dansunechambrequ’ilaimait.
–Quit’aamenée?demandaWest.
–OncleBoone,tanteCoraleeetBrady.Ilsarrivent.J’aicouruensortantdelavoiture.Jenevoulaispastelaisserseulici…
Samainétreignitlamienne,lacaressadupouce.–Merci.DanssonSMS, ildisaitavoirbesoindemoi.Jecomprenaissesraisons.Maismoiaussi,
j’avaisbesoindelui.Car,entroiscourtessemaines,ilavaittrouvélechemindemoncœur.Jel’avaiscompriscematin,aprèsavoirlusontextoetcomprisqueriennecomptaitplus
quede le rejoindreà l’hôpital. Jen’avais jamais étéamoureuse,donc jenepouvais fairedecomparaisons ; pourtant, je ne doutais pas une minute que West Ashby soit devenu lapersonnelaplusimportantedemavie.Jel’aimais.Jemesentaiscapabled’êtretoutcequ’ilvoudrait.Mêmederesterjusteuneamie.
26
Jeserail’hommequetucomptaisfaire
demoi
West
Jem’attendaisàcequeMaggieretiresamaindelamiennequandsafamillearriverait.
Maisnon.Mêmepas quand sononcle et sa tante les avaient regardées ostensiblement. Elleétaitrestéeprèsdemoi,sansmelâchertandisqu’ils luiparlaient.Coraleem’avaitembrassésurlefrontendisantqu’ellem’aimait.
Boonem’avaittapotél’épauleenhochantlatête.EtpuisBradys’étaitassisàcôtédemoi,commepourmerappelerqu’ilétaitlàpourmoi.Leurprésencemefaisaitdubien.Etjesavaisqu’ellesoulageraitmaman.Jenevoulaispasqu’ellecroiequenousétionsseuls.
Moi, j’avaisMaggieetc’était toutceque jedemandais,mais lesHiggensréchaufferaientlecœurdemaman.
–Jereviensdansquelquesminutes,annonçaBradyenselevantpoursortir.–Ilvaprévenirtescoéquipiers,murmuraMaggieenremuantàpeineleslèvres.Sononcleetsatantediscutaientdevantlamachineàcafésansnousregarder.–C’estluiquit’aditça?demandai-je.–Oui,ill’aannoncédanslavoiture.Ils’inquiètepourtoi.Il était tempsque les autres l’apprennent. J’aurais dû les prévenir plus tôt.Mais j’avais
Maggieetjen’avaispasenvied’enparleravecd’autresgens.–Ils’enva,jelesens,lançai-jetouthaut.J’avaisbesoind’entendremaproprevoixleconfirmer.
–Tuvas souffrir.C’est lapiredesdouleurs.Mais tues fortet tu t’ensortiras.Tuaurasvossouvenirs,ilsnetequitterontjamais.
Elle cessa de parler lorsque sa tante se retourna. J’étais certain qu’elle n’avait pasentendulechuchotementdeMaggie.
Jem’accrochaiàsesparoles.Ellesavaitdequoielleparlait.Ellenecherchaitpasàmecacher lavérité.Ellenemetapotaitpas lebrasendisantquetout iraitbienouqu’elleétaitdésolée.J’allaisyavoirbientôtdroitdelapartdebeaucoupd’autresgens.
–Cematin,maman…MonDieu,tuauraisdûlavoirs’affoler.C’étaitterrible.Mamère en train de sangloter en s’accrochant à la porte, voilà une image qui neme
quitteraitjamaisl’esprit.Jemerappelleraistoujoursceterriblemoment.Maggieposalevisagesurmonbras.–Mais elle t’a,West, souffla-t-elle en cachant sa bouche à sa famille. Vous êtes là l’un
pourl’autre.Accroche-toiàça.Jel’embrassaisurlatête.Tantpiss’ilsmevoyaient.Jevoulaisqu’ellesacheàquelpoint
ellecomptaitpourmoi.Quejelachérissais.Quejelachériraistoujours,elleetnotreamitié.Bradyrevints’asseoiràcôtédemoi.–J’aiappelélesautres.Ilsarrivent.Ilsveulentêtreavectoiet,quetul’admettesounon,
tuasaussibesoind’eux.Ilsetrompait,jen’avaispasbesoind’eux.J’avaisdéjàlapersonnequ’ilmefallait,blottie
contremoi.Cependant, jenele luidispas.Jemecontentaidehocher latête. Ilnepourraitpascomprendre.
Deux heures plus tard, les garçons avaient envahi la salle d’attente ; d’autant qu’ilsétaientaccompagnésdetoutel’équiped’entraînement,maisaussidesparentsdeRykeretdeNash,ainsiquedespèresd’AsaetdeGunner.
Apparemment,Maggies’enfichait,ellerestaitcolléecontremoi,samaindanslamienne.Ellenelâcheraitpasprise,etçafaisaitdubiendelesavoir.
Lesmecs neme demandèrent pas pourquoi je ne leur avais rien dit. Je supposais queBradylesavaitprévenus.Ilsrestaientjustelà,silencieuxetsolidaires.
Lesparentsmedirentàquelpointilsétaientdésoléspourmonpère.Quejen’hésitepasàlesappelersij’avaisbesoindequelquechose.Qu’ilsallaientapporterdesrepas,etd’autreschosescommeça.Jemecrispaischaquefoisquel’und’euxcompatissait,disantquecedevaitêtretrèsdurpourmoi.
Maman finit par apparaître et elle ouvrit de grands yeux en découvrant cette foule. Etpuisellemecherchaduregard.Jemelevai,prisavecmoiMaggiequimesuivitsansposerdequestions,samaintoujoursdanslamienne.
Mamanm’adressaunsouriretristequin’étirapassesyeux.–Çavapour lemoment,dit-elle.Mais iln’estpasencoreréveillé.Si tuveuxretourner
t’asseoirunpeuaveclui,vas-y.Seulement,ilnefautpasyalleràplusdedeuxcesprochaines
heures.Il fallait que je le voie. Cette fois,Maggie détacha samain,m’encourageant du regard.
Ellevoulaitquej’yailleavecmaman.Sic’étaitlafin,ilfallaitquenoussoyonstouslesdeuxauxcôtésdepapa.
–Jesuislà,souffla-t-elle.Vas-y.Jesuivismamandanslecouloir.Elles’arrêtadevantlaportedepapaetlà,jel’aperçus,
relié à un tas de machines, l’air si fragile… La dernière fois que je l’avais vu dans un litd’hôpital,ilétaitplusfort.Passimalade.Leschosesavaienttellementchangéendeuxmois…
–Parle-lui,ditmaman.Jecroisqu’ilnousentend.Aucas…aucasoùceseraitlafin.Dis-luitoutcequetuveuxqu’ilsache.
Lesmotssebousculaientdanssagorgeetsesyeuxs’emplissaientdelarmes.J’entrailepremierdanslachambre,m’approchaidulit,mepenchai.Paparespiraitmal,
fort,commes’il luttaitpour lemoindresouffled’air.Leweek-enddernier, il riaitavecnous.Jesavaisqu’onn’enconnaîtraitplusdesemblable.
–BonjourPapa,dis-jeenrestantdebout.J’essayaisdéjàd’enregistrertouslesdétailsdecesmoments-là.– Je sais que tu n’es pas fan de cet endroit,mais tu devrais voir la foule dans la salle
d’attente,touscesgensvenuspourtoi.Enfacedemoi,mamanluitenaitlamain.–Maggieestlàaussi,ajoutai-je.Elleestarrivéepresqueenmêmetempsquenous.S’ily
avaitmoinsdegenslà-bas,jesaisqu’ellevoudraitvenirtevoir.Jen’étaispascertainqu’ilm’entende,bienquemamanenparaisseconvaincue.Jen’avais
plusqu’àl’espérer.J’avaistantdechosesàluidire,maiscommentm’yprendre?Maggien’avaitpaseulamoindrechancededireunmotàsamère.Jen’allaispaslaisser
passercellequim’étaitdonnée.–Papa, je t’aimetant !Jesuissi fierd’être ton fils !Toutemavie,ons’est reposéssur
toi,tunousoffraistesépaulespournousyappuyer.Unenfantnepourraitavoirdemeilleurpère.J’ailemeilleurpa…
Jem’interrompis,déglutisenregardantsapoitrinesehausseràchaquerespiration.–J’ailemeilleurpapa.Maisjeveuxquetusachesquejesuisunhommemaintenant.Je
prendrai soin demaman, je te le jure. Elle ne sera jamais seule. Tu verras, tu seras fier demoi. Ne t’inquiète pas pour nous. Tu nous manqueras tout le temps. Ton souvenir seratoujours avecmoi.Mais je ne te laisserai jamais tomber. Je serai l’hommeque tu comptaisfairedemoi.
Maman laissaéchapperun sanglotquime fitmonter les larmesauxyeux. J’aimais tantcet homme ! Je n’aurais jamais imaginé la vie sans lui. Il me semblait impossible del’envisagermaintenant.Comme je le luiavaispromis, je serais le roc sur lequel s’appuieraitmaman.
27
Jen’auraipasderegrets
Maggie
Quand West retourna voir son père, j’allai m’asseoir près de tante Coralee. Elle me
tapotalajambeetmeditqu’elleétaitfièrequejesoislàpourWest.Sansajouterquej’avaiseumapartdechagrinenperdantunparentmais,àsonton,jesentaisqu’ellelepensait.
BradyparlaitdoucementavecAsa,Gunner,RykeretNash.Commes’ils savaientque lamortétaitprochemais ignoraientcommentréagir.Tantqu’onne l’avaitpasvuedeprès,onnecomprenaitpas.J’avaisétécommeça,moiaussi.Avant.
Aucoursde l’heurequisuivit,Raleigharrivaavecd’autresélèvesdu lycée.Jenesavaispass’ilfallaitseréjouirdelaprésencedecettefille.Ellemejetauncoupd’œildèssonentrée,l’air parfaitement haineux. Tout commeSerena, elle ne savait pas qui j’étais vraiment pourWest.Toutesdeuxl’avaientconnusousunefacettequejen’expérimenteraisjamais.Maislà,jeconnaissaisunangledeWestqu’ellesneverraientpasnonplus.Jecomprenaisladifférence.Paselles.
OncleBoone s’entretint avec les coaches en buvant du café. Ils avaient tous l’airmortsd’inquiétude.LesgensaimaientbienWestet,apparemment,Judeaussi.
Les heures s’écoulèrent. Nous attendions tous. West revenait régulièrement nousannoncerqu’ilavaitpasséuneheuresupplémentaireavecsonpère.J’espéraisqu’ilpouvaitluidiretoutcequ’ilvoulait,afindenepasavoirensuitederegrets.
Je suivis des yeux Raleigh lorsqu’elle alla parler à Brady. Il se montra poli, mais nesemblaitpasravidelavoir.
Soudain,lavoixdetanteCoraleeretentitprèsdemoi:
–Noussommesvenuscheztoilejouroùc’estarrivé.Tunet’ensouvienssansdoutepas.Tuneréagissaispasbien.Maiscommentaurais-tupu,machérie?J’aieulecœurbrisédetevoir repousser tout lemonde. Seulement tu es làmaintenant, avec nous, et nous t’aimons,Maggie,sache-le.Jecomprendsquetuneveuillespasenparlermais,aujourd’hui,alorsqu’onesttousassisici,jeveuxterappelerquenousétionslà-bas.EtJorieaussi.Noustenionsàceque personne ne s’approche trop de toi, ne te bouscule, ne te pousse à faire ce que tu nevoulaispas.
Je me souvenais effectivement de leur présence. J’étais noyée de chagrin, mais j’avaisbienvu levisagebaignéde larmesdema tantealorsqu’elleécartait lesgensdemoi. Jenel’avaispasoublié.À l’époque, jem’enfichaismais,depuis, je luiétaisreconnaissanted’avoirfaitça.
Je la regardai en souriant. J’aurais voulu lui dire que j’étais au courant, que je l’enremerciais,cependantlesémotionsétaienttropfortesaujourd’hui.QuandjepensaisàcequeWestvivait,jenepouvaisprendred’autreinitiative.Impossibled’essayerdeluiparlerpourlapremièrefois.
Lajournées’écoula, lanuittomba.Lasalled’attenterestaitpleinedegens.Bradys’étaitassoupisursachaiseetNashenavaitalignéplusieurspourpouvoirs’allonger.
Heureusement,Raleighétaitpartie.J’avaispousséunsoupirdesoulagementquandelleavaitrenoncéàvoirWest.
Iln’étaitpas loindevingtheuresquand il repassa laporte. Ilparcourut la foule jusqu’àposersonregardsurmoi.Jemelevai,unebouledansl’estomac.J’avaiseubeaum’ypréparer,jen’étaispascertainederesterassezforte…
Ilmetenditlamainetjelapris.– Papa peut recevoir davantage de visiteurs maintenant, me glissa-t-il à l’oreille.
J’aimeraisquetuviennes.Jeluiserrailamain.Puisilsetournaverslesautres.–Ilest…stable.Ilsebat…pourrespirer.Maisildort.Mercid’êtrevenus,d’êtreici.Ça
faitdubiende savoirquevousvous faitesdu soucipournous.Surtoutàmaman.Elle vousremercie.
Puisilreportasonattentionsurmoi:–Prête?Jehochailatête.Sesdoigtss’enroulèrentsurlesmiensetonpassacesportesquej’avaisregardéestoutela
journée.La chambre de son père comportait de larges baies vitrées afin que les infirmières
puissent le surveiller de loin. Du couloir, on apercevait la tête de samère posée contre ledosseret.Elletenaittoujourslamaindesonmari,semblants’accrocheràluicommesicelaluipermettaitdeleretenir.
–Jecroisquemamans’estendormie.Elleabeaucouppleuréaujourd’hui.Çal’aépuisée.Westmefitentrerenm’appliquantunemainaucreuxdesreins,puismeconduisitversle
canapécontrelemur.Ils’assit,étenditunbrassurledossier.–Vienslà,prèsdemoi.Àl’évidence,ilvoulaitquejemeblottissecontrelui;cequiseproduisitquandilm’attira
parlesépaules.Jeposailatêtesursapoitrineetregardaisonpèrerespirer,simal,commesichaquesouffleétaituncombat…
–Jen’auraipasderegrets,ditWestenm’embrassantsurlefront.Merci,c’estgrâceàtoisijesuisrestélatêtehorsdel’eau.Situnem’avaispasaidé,jenesaispascequej’auraisfait.Maislà,j’aipuluiparler,luidiretoutcequejevoulais.
Jeme tournaiunpeuafinde le contempler. Ilmeparaissaitbeau sous tous lesangles.J’avaisenviedeluicaresserlajoue,delerassurer.Cependant,cen’étaitpasapproprié.
Sesyeuxseposèrentsurmoi,etcefutlesilence.J’essayaisjustedelerassurerduregard.Ilpouvaitcomptersurmoi.
Unmouvementbrisa lecharme :Oliviaavait relevé la têteetdévisageait Juded’unairaffolé. Puis elle parut soulagée, sans doute parce qu’elle avait vu sa poitrine se remettre àbouger.
Elleluicaressalebras,poussaunsoupir.–Jen’auraispasdûm’endormir,s’excusa-t-elle.–Tuesépuisée,Maman.Papatediraitdetereposer.Elle tourna les yeux vers son fils, nous aperçut sur le canapé, et un sourire fatigué lui
étiraleslèvres.–Bonsoir,Maggie. Je suis contentequ’ils t’aient laisséeentrer.Si Judeétait réveillé, il
seraitravidetevoiravecWest.Je me rappelais la dernière fois où je l’avais vu. Il riait alors. La vie pouvait être si
cruelle…– Je peux vous apporter quelque chose ? lui demandai-je. Je suis sûre que vous n’avez
rienmangé.–Non,maismercibeaucoup.Elleremontalescouverturesautourdesonmari,redressasonoreiller.Westm’attirade
nouveaucontre lui, eton restaainsi, en silence,à regarder Jude respirer. Iln’yavait rienàdire.Danscesmoments-là,lesmotsneserventàrien.
28
Jelesremerciaid’êtrerestés
West
Àvingt-deuxheures,j’avaisditàMaggiederentreraveclesHiggens.Ellenevoulaitpas
mequitter,maisilfallaitqu’elledorme.Mamanetmoiallionspasserlanuitici.Boonenousavait promisde ramenerMaggiedemain à lapremièreheure. J’avais eudumal à la laisserpartir,maisonvoyaitdanssonregardàquelpointelleétaitépuisée.
Àquatreheurescinquante-trois,monpèrerenditsonderniersoupir.Jenedormaispas.Jenepouvaispas.Mamanavaitréussiàs’assoupirunpeuetjel’avaisréveilléeavantl’arrivéedes infirmières. Elle avait embrassé mon père en lui répétant qu’elle l’aimait, puis s’étaitblottiedansmesbrasensanglotant.
Je la tins ainsi tandis qu’on commençait à débrancher toutes lesmachines, faisantmesderniersadieuxaumeilleurhommeque jeconnaîtrais jamais. Il s’étaitbattucommeun lionjusqu’à user ses dernières forces. Je lui avais promis de m’occuper de maman et je m’ytiendrais.
Quandilfallutpartir,jetenaisencoremamèredansmesbrasetonfranchitcetteportepourladernièrefois.Ondescenditdanslehalld’entrée,verslasalled’attentequejecroyaistrouvervide.
Mais non. Brady, Nash, Gunner, Asa et Ryker étaient affalés sur les chaises et lesfauteuils.Jeleuravaispourtantditdepartir,maisnon,paseux;aveccescinqamisd’enfance,onformaitunevéritablefamille.
–Occupe-toid’eux,ditmaman.Moi,jevaisappelertagrand-mère.Celle-cinevenaitjamaisnousvoir.Nousallionsluirendrevisitedetempsentemps,mais
cettevieilledamericheetvieuxjeusedésintéressaitdusortdesafille.Mongrand-pèreétait
décédéd’unecrisecardiaquequandj’avaiscinqans.Jenegardaispasbeaucoupdesouvenirsde lui.Jeneconnaissaispasmesautresgrands-parents,ducôtédemonpère,car ilsétaientmorts dans un accident d’auto au cours d’une tempête sur l’OldMorphy Bridge, alors qu’ilétudiaitàl’université.Ilétaitfilsunique,commemaman.
Jemesentaisunpeuhébété.Commesitoutçan’étaitpasréel.Commesij’allaisrentreràlamaisonetl’yretrouver,quinousattendraitendemandantàmamandepréparerunpaindeviandeetmequestionnantsurmajournée.
Impossibled’admettrequ’ilétaitvraimentparti.JecommençaiparBrady,avachidansunfauteuil,sacasquettedebase-ballfichéesurles
yeux. Il sursautaquand je lui remuai l’épaule. Jen’euspasbesoindedireunmotpourqu’ilcomprenne.
Ilseleva,meserradanssesbras.–Désolé,mec.Franchement.Aprèsquoi,ilm’aidaàréveillerlesautres.Tousmedirentcombienilsétaientdésoléset
quejen’hésitepasàlesappelersij’avaisbesoind’eux.Jelesremerciaid’êtrerestés,leurdisquejelespréviendraisquandjesauraisoùauraitlieul’enterrement.
Bradyfutledernieràsortirdelasalle.Ils’arrêta.–TuveuxquejeréveilleMaggiepourl’avertir?Jepeuxallerlacherchersi…situveux.Je secouai la tête. Je voulaismaintenant ramenermaman à lamaison, pour qu’elle se
couche;etpuisMaggiedevaitencoresereposer.Elleavaitpasséplusdedix-septheuresavecmoi,sansdormir.
–Quandelleseréveillera,demande-luidem’appeler.Bradyfronçalessourcils.J’avaisparléd’appeler,pasd’envoyerunSMS.Ilnecomprenait
pas.Heureusement,ils’entintlàetpartitenacquiesçantdelatête.Etmoi,jemerépétaisencorelesparolesdeMaggiequandellemedisaitquej’étaisfort.
Que je tiendrais le choc. Après quoi, j’allai chercher maman pour la raccompagner à lamaison.
Une fois qu’elle se fut endormie, je m’effondrai sur mon lit. Toujours un peu abruti,incapabled’enregistrerlaréalité.
Jedormisplusdequatorzeheuresd’affilée.Ilfaisaitdéjànuitquandjerouvrislesyeux.J’entendis maman parler à quelqu’un, remercier pour le repas. Ce devait être le coup à laportequim’avaitréveillé.
Je me levai, enfilai une chemise et un pantalon puis descendis voir comment elle seportait.J’avaisespérémeréveilleravantelle.Jenepensaispasdormirtoutelajournée.
Mamanserendaità lacuisine,unplatoffertpar lesvoisinsdans lesmains.Elle tournaversmoidesyeuxcernés.
–MiriamLeenousapréparédequoidîner,dit-elleavecunsourireforcé.C’estgentildesapart.
Miriam était la mère de Nash. Sans être une véritable amie, elle avait toujours étégentille avecmaman. Elle ne fréquentait pas beaucoup les autres femmes de Lawtonmais,depuisquej’étaisalléchezNash,jesavaisquec’étaitunepersonnebien.
–Tuvasenmanger?demandai-jeenespérantqu’ellediraitoui.Je n’en avais moi-même pas très envie, mais il fallait qu’on avale quelque chose. Elle
reniflaleplat,puiss’essuyalesyeux.–Jen’aipastrèsfaim.–Quandest-cequetuasmangépourladernièrefois?Elle haussa les épaules. Alors, je la rejoignis, lui passai un bras sur l’épaule puis la fis
asseoiràtable.–Onvadînertouslesdeux.Illefaut.Elle obéitmachinalement tandis que j’attrapais deux assiettes et y disposais une partie
deslasagnes.J’ajoutaidescouverts,puisapportaidesverresetdel’eau.Aprèsquoi,jem’assisàmontour.
–Ilvoudraitqu’onmange,Maman.Jeluiaipromisdem’occuperdetoi.Aide-moiàtenirmapromesse.
Elle renifla de nouveaumais obtempéra. J’attendis qu’elle avale une bouchée avant dem’ymettre.Onmangeaen silence.C’était trèsbon,et jem’aperçusalorsque jemouraisdefaim.Jeretournaimeserviravantquemamann’aitfinisonassiette.
–Jevaisprendreunbainetmecoucher,m’annonça-t-elleensuite.Ilrestedessomnifèresdetonpère.Jecroisquejevaisenprendreun.Jen’aipasbeaucoupdormi,aveccespenséesquimetrottentdanslatête.Ilmemanquedéjàtellement…
Déposantmonassiette,j’allail’embrassersurlajoue.–Ilvanousmanqueràtouslesdeux,Maman.Pourtoujours.Maisonresteensembleet
ons’ensortira.J’entendais les encouragements de Maggie à mesure que les mots me sortaient de la
bouche.Sans elle, aurais-je été capablededire ça ?D’aidermamèreà tenir le coup? J’endoutais.
–Merci,murmuramamanenmetapotantlebras.Aprèsquoi,elleselevaetpartitverssachambre.Jeregardaimonassiette.Jen’avaisplusfaimdutout.
29
Jelereprends
Maggie
En apprenant la nouvelle, ce matin, j’avais appeléWest, mais pas de réponse. Je lui
avaisenvoyédeuxtextos,sansplusderésultat.J’envisageaisdemerendreàpiedchezlui,àsixkilomètresetquelques,quandjem’avisaiqu’ildormaitpeut-être.
J’attendis.Toutelajournée.Il était vingt et une heures passé lorsque mon téléphone sonna enfin. Blottie sur la
banquettedemafenêtre,àguetterunsignedelui,jevisl’écrans’allumersursonnom.–Salut,dis-jeenlecollantàmonoreille.–Salut.Désolédepasavoirréponduplustôt.J’aidormitoutelajournée.Çanefaitpas
longtempsque je suis réveillé.LamèredeNashnousaapportéunplatde lasagnes,commeça,j’aipufairemangerquelquechoseàmaman.Elleestretournéesecoucher.
–J’espéraisbienquetudormais.Tuasmangétoiaussi?–Oui.Trèsbonnes,ceslasagnes.–Désoléed’êtrepartie.J’auraisdûrester.Toutelajournée,j’avaisregrettédel’avoirlâché.Jen’auraispasdûmelaisserconvaincre
d’allermecoucher.Jen’étaispaslàquandilavaitperdusonpapa.Heureusement,Bradyétaitresté.Aumoinsça.
–Tun’auraisrienpufaire.Jevoulaisquetutereposes.Net’excusepasalorsquej’étaislepremieràteleconseiller.
–Commentvatamaman?–C’estdifficile,soupira-t-il.Illuimanque.–Ettoi,commentçava?
Ilneréponditpastoutdesuite,etjevoulusravalercettequestion.Onavaitdéjàdûlaluiposermillefois.
–J’aidumalàaccepter,jecrois.C’estvraimentarrivé?J’aiparfoisl’impressionqu’ilvarevenir,repassercetteporte.Jen’ycroispas…
Je connaissais cette impression.Après avoir cesséde crier dansmon coin, j’avais passéplusieursjoursàguetterleretourdemamère,espérantqu’elleallaitmeramenercheznous.Oualors,jemeréveillaisenpleincauchemar.
–Çavasetasser,dis-je.Maiscen’estjamaisfacile.Onpeutdirequetugères.Ilneréponditpastoutdesuitemaisreprit,aprèsunsilence:– J’aidormi toute la journée. Jenevaispas fermer l’œilde lanuit.Est-ceque…est-ce
quetuteglisseraisdehorsunefoisquetononcleettatanteserontcouchés,pourvenirfaireuntouravecmoi?J’aienviedebouger,maispastoutseul.
Àunpeuplusdevingt-troisheures,jemeglissaidehorsparlafenêtre,descendisl’échelleà incendie. Comme elle n’arrivait pas jusqu’en bas, West m’attendait dessous pour que jepuissesauterdanssesbras.
–Onyva,mesouffla-t-ilàl’oreilleenmeprenantlamain.Oncourutdansl’alléejusqu’àsonpick-up.C’était lapremièrefoisdemaviequejefaisais lemur.MaisavecWest,çamesemblait
normal.Jem’apercevaisquej’étaiscapabledetoutpourlui.Il ouvrit la portière passager,m’aida àm’asseoir avant de venir s’installer au volant. Il
n’allumalespharesquequandonfutsurlaroute.–Merci,medit-ilalors.La lune éclaira le vide de ses yeux, un vide que je ne connaissais que trop. Cette
sensation ne disparaîtrait pas de sitôt. Et quand bien même, il y aurait des jours où ils’éveilleraitpourlaprendreencoreenpleinefigure.
Jedétachaimaceinture,merapprochaidumilieu,larefermaietposailamainsurcellede West. Je ne pouvais rien faire pour apaiser son chagrin. Personne ne le pouvait. Maisj’avaisaumoinslaressourcederesterauprèsdeluiafinqu’ilnesesenteplusseul.
Ilsoulevalesdoigtspourlesentrelaceraveclesmiens.Cegestesignifiaitdavantagepourmoiquepourlui,maispeuimportait.Aumoins,jepouvaisygoûter.
On roula plus d’une demi-heure sans parler ni écouter demusique. J’ignorais où nousallionsmais,dumomentquej’étaisavecWest,jem’enfichais.OnavaitquittéLawtondepuisun moment et si on continuait dans cette direction, on allait bientôt se retrouver dans leTennessee.
–Jevoudraistemontrerquelquechose,dit-ilenralentissantpourquitterl’autoroute.Onroulaunpeuplusd’unkilomètreavantqu’ilnes’engagesurunchemindeterreentre
dehautsarbres,plutôtlugubresdanslanuit.
Comme on laissait les arbres derrière nous, je vis qu’on débouchait sur un belvédèredominantunepetitevilleàpeineéclairée.Westouvritsaportièreetdescendit,metendit lamain.
–Viens,medit-ilavecunsourire.Jeseraisalléen’importeoùsiçapouvaitmevaloirunsourirecommecelui-ci.Jeprissamainetmeglissaidesoncôté.Là,ilm’attrapalatailleetmesoulevadansses
bras au lieu de me laisser descendre toute seule. Je n’allais pas m’en plaindre. Ses mainsrestèrentsurmoiunpeupluslongtempsquenécessaireetjenepusm’empêcherdesouhaiterqu’on soitunpeuplusque des amis.QueWest soit àmoi. Car, qu’il s’en rende compte ounon,j’étaisàlui.
Jelesuivisaubordduparapet.Jen’avaispaslevertige,maisjen’allaispasnonplusmepenchercommeunemalade.
–C’estLawton,m’expliqua-t-il.Çaparaîtminusculevud’ici.Paisible.Onn’yvoitpasdechagrin.Pasdeperte.
Jerelevailesyeuxverslui.Ilavaitmislesmainsdanssespochesdesonjeanpourregarderenbas.Leclairdelune
nelerendaitqueplusbeau.– Papam’amenait ici quand j’étais petit. Il disait que je serais la plus belle réussite de
Lawton.Que je réussirais toutceque j’entreprendrais. J’adorais regardermavilled’enhaut,medirequejeladominais.Dumoins,c’étaitcequ’ilmesemblait.
Ilpartitd’unpetitriretristeavantd’ajouter:–Mais sanspapa, jenerêveplusàça.Jeme fiched’être laplusbelle réussitedecette
ville ; d’ailleurs, ce ne sera pas moi, ce sera Brady. Moi, je veux juste vivre, oublier, merappeler.
– Tu vivras et tu te rappelleras tu n’oublieras jamais. Un jour, ces souvenirs te serontprécieux.
– Il n’y a que toi,Maggie, balbutia-t-il d’un ton angoissé. Tu es l’unique personnedontj’aie envie de me rapprocher. Je ne me suis jamais confié à qui que ce soit d’autre. Maisquelquechoseentoim’atouchédèsl’instantoùjet’aivue.Etje…jenesaispasquoifaire…avectoi.Jenesaispascequim’arrive.
–Tuterappelleslapremièrefoisqu’ons’estrencontrés?Jenepouvaispaslaisserpasserça.Ildevaitreconnaîtrequ’ilm’avaitembrassée.Bon,ce
n’étaitpeut-êtrepas lemomentmais,d’unautrecôté,ça luichangerait les idées. Ilenavaitbienbesoin.
Un petit sourire étira ses lèvres, tandis qu’il détournait les yeux pour se remettre àcontemplerlaville.
–Oui,cen’estpasvraimentlegenredechosequepeutoublierunmec.
D’accord…Autrementdit, il se rappelaitm’avoir embrassée ?Ou juste avoir remarquéquejeneparlaispas?
–Tun’asjamaismentionnécesoir-là,insistai-je.–Maisj’ypensetoutletemps.Mêmesijenedevraispas.J’ypense.J’enfusheureuse.Parcequec’étaitaussiundemessouvenirspréférés.–Ettoi?medemanda-t-il.Jefisouidelatête,maisnedisrien.Alors,ilserapprochademoietlesbattementsde
moncœurs’accélérèrent.–Tuypensessouvent?S’ils’approchaitencore,jen’étaispascertainedepouvoircontinueràrespirer.Jehochai
toutdemêmelatête.–Çat’aplu?Waouh!Là,j’avaisbesoind’air.Westtoutprèsdemoiquimedemandaitsij’avaisaimé
notrebaiser…Jelaissaiéchappermalgrémoi:–Ettoi?–Plusqu’aucunautre,sourit-il.Là,jeparvinsàsoutenirsonregard.–Moi,c’étaitleseuldemavie.Ilparuttellementsurprisquec’enétaitattendrissant.–Quoi?demanda-t-il.Ilfallaitbienquejeluidisemaintenantàquelpointcetuniquebaisercomptaitpourmoi.
J’espéraisjustequec’étaitlamêmechosepourlui.–C’étaitmontoutpremierbaiser,leseuldemavie.Iln’avaitpasl’airdemecroire;ilfinitparrenverserlatêteenarrièreenmarmonnantun
juron,puissedétachademoi.Pasdutoutlaréactionquej’auraisattenduedelui.Jenevoyais tropcomment réagir.Car si je savais consoler sonchagrin, j’étaisnulleen
matièrederelationsgarçon-fille.J’allais lui dire quelque chose quand il revint versmoi et, sansme laisser le temps de
réagir,posalesmainssurmataille,meserracontrelui.–Lepremierbaiserd’unefillenedevrait jamaisêtredonnéparuncrétinquisedéfoule
ainsidesacolèrecontrelavie.Deslèvresaussidoucesnedevraientpasêtretraitéescommeje l’ai fait. Je ne peux pas le reprendre, mais je peux le remplacer. Par quelque chose demieux.
Là-dessus,ilsepenchaenmurmurant:–Voilààquoiauraitdûressemblertonpremierbaiser.Saboucheseposasurlamienne,sesmainsmeprirentdélicatementlevisage.Etpuissa
langueseglissaentremeslèvresquejeluiouvrisaussitôt.
Jemeblottiscontreluiencaressantsescheveux.Latiédeurdesonsoufflementholénefaisaitqu’accroîtremonappétit.Quandleboutdesalangueglissalelongdelamienne,jememisàtrembler.
Ses mains redescendirent sur ma taille tandis qu’il m’étreignait avec plus de vigueur,m’embrassait encore plus fort. À croire qu’il ne pouvait se rassasier de moi. Mes mainscontinuaientdeparcourirsescheveuxenleretenantcontremoi.Craignantqu’ilnemequitteà nouveau, j’avais peur de ne pas supporter l’idée qu’il regrette un jour ce moment. Je nevoulaispasqu’ilfassecommesiderienn’était.
J’entendis alors un gémissement et m’aperçus que cela provenait de moi. West seredressa.Iln’allapasloin,posantjustesonfrontcontrelemien,respirantbruyamment.
–Jelereprends.Celui-ci…celui-ciétaitlemeilleurdemavie.Moncorpsvibradeplaisir.Ainsi,j’avaisréussiàluimontrerquij’étais.Moi.Sonamie.La
fillequ’ilnedevaitpastoucher.
30
Jenevoulaispaslaperdre
West
J’avais justevouluréparer.Donneruncaractèrespécialàsonpremierbaiser.Luioffrir
cequ’elleméritait.Maisbonsang,c’étaitencoreplusdélicieuxquedansmessouvenirs!Soncorpsdevaitêtrevénéré,ilsemoulaitparfaitemententremesmains.Etpuiscespetitscris…ilm’enfallaitdavantage.
Merde.Je n’avais pas du tout l’intention d’en arriver là. Notre relation valait mieux que ça.
Mieuxqu’unesimpleattirancecharnelle.C’étaitplusprofond,etjenevoulaispasleperdre.Sij’enobtenaisdavantage,jegâcheraistoutetlaperdrais.Or,pasquestiondeperdreMaggie.Jeferais n’importe quoi pour la garder. Y compris ne pas profiter davantage de cette bouchehumideetgonfléeàlasuitedemonbaiser.
–West?murmura-t-elled’untongêné.J’obligeaimesmainsàlarelâcher.–Ce…c’estcommeçaqueçaauraitdûsepasser,dis-je.Elle se passa les doigts sur les lèvres et je sentis mes jambes flageoler. Il fallait
absolumentqu’ellearrêtecepetitjeu.Elle m’étudiait de son regard qui n’avait plus rien de voilé comme lorsque je m’étais
détachéd’elle.Enfait,ellenesavaitplusoùelleenétait,àcausedemoi.Merde.–Jevoulaisquetonpremierbaisersoitparfait,Maggie,c’esttout.Etçasonnaitcomplètementfaux.Baissantlesyeux,ellelaissaretombersesbraslelongducorps.–Ilétaitparfait.Touslesdeux.Justedifférents.
L’aurais-jeblessée?Pourquoinemeregardait-elleplus?–Çava?J’aifaitquelquechosedemal?Nem’enveuxpas.Jenevoulaispast’embêter.Ellesourit,toujourssansmeregarder,avecuneinfinietristesse,semblait-il.–Tun’asrienfaitdemal.C’estjustequej’étaissurprise.Maispasembêtée…Merci.Sansplusenreparler,onregagnamonpick-upetelles’assitàcôtédemoi,lesyeuxfixant
lavitre.Onparlaunpeu,maispasbeaucoup.Jen’envoulaispasplus.Justel’avoirauprèsdemoi.Quandjeseraisseul,jemerappelleraislesinstantsoùjel’avaistenuedansmesbras.Songoût,lessonsqu’elleavaitémis,àm’enrendrefou.Mais,pourlemoment,j’étaisjustecontentdel’avoirauprèsdemoi.
Vers trois heures dumatin, je la ramenai devant sa chambre puis rentrai à lamaison.Maman dormait paisiblement. Les pilules avaient bien dû l’y aider. Je voulus prendre unedouche,maisl’odeursurmachemisem’endissuada,avecsapetitetouchedevanille…Jenemechangeraismêmepas.
Jem’allongeaisurmonlitetm’endormisenpensantàMaggie.Jerangeaiaufonddemamémoirelesdétailsdecebaiser.Jen’étaispasprêtàlesaffronterpourlemoment.
Le lendemain, jepassai la journéeàaidermamandans lespréparatifsde l’enterrement.Papa avait laissé quelques souhaits à ce sujet ; j’eus dumal à lire le papier où il les avaitinscrits.Àplusieursreprises,jeprismontéléphonecarjevoulaisentendrelavoixdeMaggie.Maisjenecomposaipassonnuméro.
Ilfallaitquejesoisfortpourmamèreaujourd’hui.Cen’étaitpaslemomentdedérangerMaggie.
Jepassaimontempsàvérifierquemamanmangeaitetdormait;jerépondischaquefoisqu’un voisin sonnait pournous apporter unplat. Jemedemandais juste oùon allait rangertoutça.Onn’avaitplusdeplace.J’avaisrempli lecongélateuret leréfrigérateur.Àprésent,lescasseroless’alignaientsurlebar.Quantauderniergâteau,ilattendraitsurlatable.
Pourquoicroyaient-ilsquelanourriturenousferaitdubien?J’avaisdéjàassezdemalàincitermamèreàmanger.Etjen’allaispasavalerçatoutseul.
L’enterrementdevait sedérouler trois joursaprès ledécèsdepapa.Entre l’organisationdelacérémonie,lesappelstéléphoniquesetlesoutienàmamère,jen’avaispaseuletempsdediscuterplusd’uneheureavecMaggie. Jen’avaispasassistéàuncoursde la semainenicommisl’erreurd’essayerdelavoir.J’étaisdansuntelétatd’émotionàcemoment-làquejerisquais de l’embrasser encore. De la serrer dans mes bras. J’avais de plus en plus besoin
d’elle,etçamefaisaitpeurcarjen’avaisaucuneconfianceenmoi:jerisquaisdepoussertroploinetdetoutgâcher.Jegâchaistoujourstout.
Jenevoulaispaslaperdre.
31
Tuneguérispas,tuesquives
Maggie
Jenememispasennoir. Il yenauraitassezcommeça.Assezde tristesse. Jeneme
souvenaispasbiende l’enterrementdemamère.Laseulechoseque jegardaisenmémoire,c’étaitlenoir.Jedétestaistoutcenoir.Mamèrehaïssaitlenoir.Elletrouvaitçaterne.Toutlemondeavaitbesoindecouleurdanssavie.
Jude non plus n’aurait pas trop aimé. Il voulait rire, sentir l’éclat de la vie. Je choisisdoncunerobeverte,assortieàmesyeux.Parcequ’illestrouvaitbeaux.
On se rendit ensemble, avec oncle Boone, tante Coralee et Brady, à la cérémonied’inhumation.LaplupartdesenterrementsdansleSudsedéroulaientdansdeséglisesoudesfunérariums avant de suivre le cercueil vers la tombe.MaisWest avait dit que son père nevoulait pas d’une longue cérémonie. Il préférait quelque chose de rapide, de facile,d’ordinaire.
Onsegaradanslarue,commetoutlemonde,puisonsedirigeaverslatenteblancheoùles gens commençaient à se rassembler. Je cherchai West des yeux et nos regards secroisèrent.Ilsetenaitprèsdesamère,prêtàvivrelajournéeoùtoutallaitdevenirréelpourlui.
Cen’étaitpasàl’enterrementdemamèrequej’avaistoutcompris,parcequej’étaistropmalàl’époque,incapabled’accepterlasituation.Maisjesavaisqu’envoyantlecercueildesonpères’enfoncerdanslaterre,Westaccuseraitlechoc.Etjeseraislàs’ilavaitbesoindemoi.
Ilme fit signedevenir le rejoindre.Sans regardermononcleetma tante,car je savaisqu’ilscomprendraient,jeremontail’alléejusqu’àcequ’ilmeprennelamain.Illaserraittropfortetj’enconclusqu’iln’allaitpasbien.
–J’aimebientarobe,meglissa-t-ilàl’oreille.Elleestassortieàtesyeux.Jelevailatêteverslui:–Tonpèreaimaitmesyeux.–C’estvrai,dit-ilensouriant.Etilauraitaussiaimétarobe.D’autres gens arrivaient pour présenter leurs condoléances. Durant tout ce processus,
West ne lâcha pas une fois ma main. Sa mère se laissa tomber en sanglotant doucementlorsquelepasteursemitàparler.
JesentisWestfrémirquandildutdéposersarosesurlecercueil.Jelelaissaisedétacherdemoipours’avancerverslatombe.
–Tuserastoujoursmonhéros,lâcha-t-ilassezfortpourquejel’entende.Puisilrevintversmoi,l’expressiontendue.Ilretenaitlesémotionsquil’étranglaientafin
desedonnerunecertaineassurancedevantsamère.Samainrevintaussitôtdanslamienne.Jen’entendispasvraimentcequiseditensuite.J’étais tropconcentréesurWestetson
attitude rigide. Il semblait pétrifié et paraissait me retenir comme s’il avait peur que jem’enfuie.
Pasdesouci.Jen’avaispasl’intentiondelequitter.Alorsque le cercueildescendaitdans la tombe,West inspira longuement et samère se
relevapourluisaisirlamain.Illuipassalebrassurl’épaule,laserracontrelui.Lentement, les gens commencèrent à partir. Certains passèrent devant West en le
tapotantdansledosetenglissantquelquesmotsàsamère,maistoutsepassadiscrètement.Brady,Asa,Nash,GunneretRykerétaienttousvenus lerejoindre; ils luiserrèrent l’épaule,enmurmurantdesparolescomme«Jesuislàsituasbesoindemoi»,«Désolé,monpote»,«Situasbesoindemoi,appelle-moi».
West leur répondit à tous d’unmouvement de la tête. Ils serrèrent ensuiteOlivia dansleursbras,cequilafitpleurerplusfortencore.Aprèsquoi,ilss’enallèrent.Jenesavaispasce que West attendait de moi, mais je pensais à mon oncle et à ma tante qui devaientm’attendre.
–Jerestesituveux,luidis-je.Iljetauncoupd’œilàsamère,revintversmoi:–Tupourrassortircesoir?Jeferaistoutcequ’ilvoudrait.Jehochailatête.–Jet’attendraiaupieddel’échelleàvingt-troisheures.–Onseretrouvelà-bas.
Onfrappaàlaportedemachambreversvingt-deuxheures.Jesavaisquemononcleetma tanteétaientdéjà couchés, autrementdit, cenepouvait êtrequeBrady. J’avaispassé le
restedelajournéeici,àessayerdelire,maissanscesserdepenseràWestetàsamère.S’iltéléphonait,jevoulaisêtreseulepourpouvoirluirépondre.
J’ouvris à Brady, l’interrogeai du regard. Il ne venait jamais dans ma chambre. Iln’essayaitmêmepourainsidireplusdemeparler.
–Jepeuxentrer?demanda-t-il.Hochant latête, jem’effaçaipour le laisserpasser.Jemedoutaisqu’ilvoulaitparlerde
West.Luiaussiavaitdûs’inquiétertoutelajournée.Ilentralesmainsdanslespoches,l’airincertain.–Papaetmamandorment,commença-t-il,etlesvoixportentdanslecouloir.Tupourrais
fermerlaporte?J’obtempérai.– Je t’ai vue lui parler aujourd’hui. J’avais déjà eu cette impression, mais là c’était
évident.Jem’attendaisàça.J’avaiseubeauessayerdenejamaisparlerenpublic,certainesfois,
commeaujourd’hui,jenesongeaisplusàriend’autrequ’àréconforterWest.Jenerépondispas.Quevoulait-ilquejeluidise?S’attendait-ilàcequejelereconnaisse
et lui parle ?Parceque ça changerait tout. Jedevrais ensuite faire faceà tous cesgensquiattendaientquejem’explique.Ilsempiéteraientsurmavieprivéeetvoudraientsavoircequejerefusaisdeleurdire.
Enneparlantpas,jepréservaismacarapaceprotectriceetjen’étaispasprêteàlalâcher.–Jenel’aipasvuqu’unefois,Maggie,maisplusieurs,mêmeaulycée.Tuneremuespas
toujours la bouche sauf quandWest t’écoute.Ça se voit à son expression. Jene suis pas icipourtedemanderdemeparler.Niàmoiniàpersonne.Justeje…jenecomprendspas.Situpeuxparler,pourquoituneparlesqu’àWest?
Ilenposaitdesquestions,auxquelles ilvoulaitque jerépondeavecmavoix.Maisnon,pascesoir.J’allaichercherlecarnetsurmabanquette,pourécrire:
Ilabesoindemoi.Jelecomprends,jecomprendssadouleur.
JeletendisàBrady.–Alors,dit-il,c’estçavotrerelation?C’estpourçaqu’ilesttoutletempsavectoietqu’il
tetientparlamainetqu’ilsecomportecommesitul’aidaisàrespirer?Ilnementaitpasendisantquevousétiezjusteamis.Tul’aidesà…tenirlechoc.
Jehochailatête.Ilparutsoulagéetmerenditmoncarnet.– Pigé. Mais un jour, il faudra que tu te concentres aussi sur toi. C’est malsain de se
cachercommeçadumonde.Tuneguérispas.Tuesquives.Non,jemeprotégeais.Cequejeneluiécrivispas.Jepréféraisqu’ils’enaillemaintenant,
oumediseautrechose.Petitdingsurmontéléphone.Jelesortisdemapoche.
Jesuisdehors.Jet’attendsaupieddel’échelle.Jenepusm’empêcherderegarderparlafenêtre.–Ilestenbas,c’estça?demandaaussitôtBrady.Jepouvaismentir,maisj’avaisconfianceenlui.Etpuisc’étaitl’amideWest.Alorsjefis
ouidelatête.–Méfie-toi,Maggie,dit-ilavecunsouriretriste.Il m’avait déjà dit ça. Plusieurs fois. Jeme l’étais dit aussi. Mais ça ne comptait plus.
J’avaispassé lestadede laprudenceavecWest,et jenesavaispascommentyremédier.Nimêmesij’enavaisenvie.
Bradys’enallaetjefermailaportederrièrelui,puisjemeprécipitaiverslafenêtrepourdescendre.
32
C’étaitsansdouteégoïste,maistantpis
West
Laréalitédelamortdemonpèrem’avaitexploséàlafigureàl’instantoùj’avaisvuson
cercueildescendredanslatombe.Là,çadevenaitvrai.Maggieavaitraison.Cen’étaitpasunedouleurqu’onpouvaitdécrireetriennepouvaitl’apaiser.
Maman avait pleuré tout l’après-midi. J’avais fini par lui faire prendre un somnifère etelles’étaitcouchée.Jem’étaismontréaussifortquepossiblepourelle.Ilfallaitquejelâcheprisemoiaussi.Mais,égoïstement,jevoulaisencoregarderMaggieauprèsdemoi.Avecelle,jenem’abandonneraispasàmonchagrin.Ellem’empêcheraitdetomber.
Jelavisouvrirlafenêtreetdescendre.Aujourd’hui,ellenem’avaitpasposédequestionidiotegenre«Çava?»ou«Jepeuxfairequelquechose?».Elleétaitlà,mecommuniquantsilencieusementsaforce.
Alors qu’elle posait les pieds sur l’échelle, je retins lesmontants pour l’immobiliser etêtreprêtaucasoù.
Jen’avaispasbesoindeparler.Jevoulaisjustequ’ellem’accompagneensilence.Etelleaccepterait.Cequifaisaitvraimentd’elleunêtreàpart.
–Onyva,luidis-jequandelleseretrouvaenbas.Danslepick-up,ellenecherchapasàs’asseoiraumilieucommeladernièrefois.J’aurais
bienaimé,pourtant jene l’ypoussaipas.Elleétait làparcequ’elle l’avaitbienvoulu.Notreamitiés’effritaitetjenesavaispascommentarrêterça.Maiscesoir,jen’ytenaispastrop.
On roula sans rien dire, sans écouter demusique, jusqu’au belvédère. Là, je coupai lemoteur,éteignis lespharesetnebougeaiplus.Les lumièresdelavillemerappelaientpapa.J’éprouvaiuneviolentedouleurà lapenséequ’ilnereviendrait jamais ici,qu’ilnes’assiérait
plusdansmonpick-up,ensemoquantdemaconduite.Qu’ilne…Qu’ilnemeverraitjamaisrecevoirmes diplômes. Qu’il ne serait pas là quand jememarierais. Qu’il ne serait pas legrand-pèredemesenfants.
Magorge se serraet je tapai surmonvolantpourmedéfoulerunpeu. Il étaitparti.Àjamais.Jenereverraisjamaismonpère.
LamaindeMaggieseposasurmonbras.Jenepouvaisriendire.Sisonpèreétaitplacédans le couloir de la mort, elle en souffrirait également. Au moins, il était en prison. Ilrespirait.Ilétaitlàmêmesiellenevoulaitjamaislerevoir.
–Ilt’arrived’êtreobsédéeparl’idéedetoutcequetamèreneverrapasdanstavie?luidemandai-je.
–Oui.Sansarrêt.Ellevivaitlemêmeenfer,jemelerépétaissanscesse,jen’étaispasleseul.Àcetteidée,
je commençai à me détendre un peu, au moins pour desserrer mes mains crispées sur levolant.
À cet instant, je pris une décision. Tant pis pour les convenances. Je ne tenais pas àprotégernotreamitié.J’avaisavant toutbesoindeMaggie.Etd’oublier tout le reste.C’étaitsansdouteégoïste,maistantpis.
Jemetournaiverselle,luipassaiunemaindanslescheveuxpuisposaimabouchesurlasienne.Jeluilaissailetempsderéagir.Siellenevoulaitpas,ellepouvaitmerepousser.
Elle n’en fit rien. Au fond, je m’en doutais. Je savais qu’elle éprouvait les mêmessentimentsquemoi.
Chaquefoisqu’ellem’effleuraitlapeaudesamain,jemesentaisplusaffolé.J’envoulaisdavantage. Aussi, quand elle se pencha, je lui posai lesmains sur les hanches etm’installaiauprèsd’elle sur laplacepassager. Je fis courirmespouces le longde sa taillealorsqu’ellecroisaitlesbrasautourdemoncou,etleT-shirtqu’elleportaitsesouleva.
Sonfrémissementne fitqu’accélérer lesbattementsdemoncœur.Elleaimaitçaautantquemoi.Sonregardsemblaitreflétertoutcequej’éprouvais.
–Lèvelesbras,Maggie.Ce qu’elle fit sans la moindre hésitation, me laissant lui ôter son T-shirt. La peau
crémeuseetdélicatedesesépaulesluidonnaitl’aird’unange.Ellefermalesyeuxetrespiraprofondémentquandj’abaissailesbretellesdesonsoutien-
gorge,avantdeledétacher.–Tuesbelle,dis-je.Jel’embrassaidanslecou,lasentisdéglutir.Sesmainss’accrochèrentàmesépaulesetça
meplut.Non,enfaitj’adoraisça.Jenem’étaisjamaissentiaussiprochedequelqu’un.–West,murmura-t-elle.Elleallaitcausermaperte.Cettefille.J’allaisluiappartenir.
33
Tumefaisconfiance?
Maggie
Ilsouffrait.Jenedevaispasl’oublier.Ilétaitperdu,désespéré,ilcherchaitunréconfort.J’auraisdûpourtantl’arrêter,l’empêcherdefaireunechosequ’ilregretteraitensuite.
Maisjenepouvaispas.Ilposaitsurmoidesregardséperdusdedésir.Àcroirequej’étaissibelle…Jemesentaiscomplètementcraquer.Ça nem’était jamais arrivé ;mon corps ne savait pas qu’il pourrait ressentir de telles
choses.Etçameplaisaittroppourquejeveuillearrêter.–West…Maissesbaisersmefirentviteoublierpourquoij’avaisseulementditsonnom.Prisedevertige, jen’arrivaisplusàrespirer.Àmoinsqu’aucontraire jenerespiretrop.
Jenesavaispas.Jevoulaisjustequetoutçacontinue.Samains’appuyafermementdansmondos,pressantmapoitrinenuecontrelasienne.–Tuessisexy,articula-t-ilenmedévorantleslèvres.J’étaisd’accord,jeletrouvaissexymoiaussi.Jem’étais tellement perdue dans ses baisers que je ne remarquai pas tout de suite les
mouvementsdesamainquipénétraitsouslacouturedemaculotte.J’avais envie de croire qu’ilme désirait.Mais je craignais que la première venue fasse
tout aussi bien l’affaire. Si c’était Raleigh, se comporterait-il ainsi ? Était-ce juste unedistractionpourlui,aveccellequiluitombaitsouslamain?
Cettepenséemeserralecœur.Jenevoulaispasêtrequ’unedistraction.Ilcomptaittroppourmoi.Maiscommentluidirenonquandilsouffraittant?
–West…m’étranglai-je.Ils’immobilisa,puislaissatomberlatêtesurmonépaule.–Personnenem’avaitjamaisfaitceteffet,Maggie.Je n’avais aucun élément de comparaison, mais je doutais que quiconque me fasse le
mêmeeffetqueWest.–Quandjesuisavectoi…commeça…j’enaitantrêvé…Jenepeuxpast’expliquer,etje
neveuxpasteperdre.Exactementcequejevoulaisentendre.–D’accord,répondis-je.Maintenant, je savais que je ne regretterais jamais cesmoments avec lui. Je tremblais
encoreplusquandjesentissamaindescendreplusbas.–Tumefaisconfiance?demanda-t-ild’unevoixcassée.Incapabledeparler,jehochailatête.Moncœurbattaitsifortquejecroyaisl’entendre.J’avaislecorpsenfeu,prêtàexploser,
àsefondredansunbeloubli.J’avaisditquejeseraisquiilvoudrait,quejeferaiscequ’ilvoudrait.Jeconstataismaintenantàquelpointj’avaisraison.–J’aibesoindetoi,dit-ilenrelevant lentementlatête.Non, jetedésire.Toi.Rienque
toi.Riennipersonned’autre.Ilrouvritdesyeuxvitreuxoùperçaituneémotionmalcontenue.–Qu’est-cequetuattendsdemoi?luidemandai-je.– J’ai trop besoin de toi. Je te désire tellement ! Tu es juste… je suis juste…Tu es la
seulequipuisseapaisermonchagrin,Maggie.Iltentaitdesurvivre.Jeluidonnaisuneraisondesurvivre.Illaprenait.Maisj’étaisprête
àmedonnertoutentièreàlui.Je lui passai la main dans les cheveux pour le rassurer. Bien sûr, il n’était pas prêt à
m’entendreluidirequejel’aimais.Jen’étaismêmepassûrequ’ilvoudraitjamaisl’entendre.Maisjeluidevaisaumoinsunepetitepartiedelavérité.
–Jeveuxcontinuer.Jetedésire.Net’excusepas.Prendscequetuveux, jeteledonnevolontiers.
Ilneréponditpastoutdesuite.Quandilrelevalatête,jevisl’ardeuraveclaquelleilmecontemplait.
–J’endésiredavantagequejenemérite.Impossibled’imaginerqu’unjour,dansdesannées,dansdessiècles,jeconsidéreraiscette
nuitaveclamoindreamertume.Neserait-cequepournousdeux,jemesentaiscomplètementenaccordavecWest.Peut-êtrequecela l’aideraitàsurmontersapeine,maiscelam’aideraitaussiàsurmonterlamienne.Enlevoyantperdresonpère, j’avaissentiremontermapropre
douleur.Etlesmomentsquenousvenionsdepartagermedonnaientl’impressiond’êtreplusvivantequejamais.
–J’endésiredavantagemoiaussi,répondis-je.–Jeneveuxpastedonnerlemoindreregret.Jamais.–Moinonplus,jeneveuxpastedonnerlemoindreregret.Jamais,répliquai-je.Jevoulaisqu’il chérissecesouvenir.Jevoulais représenterdavantagepour lui.Qu’ilne
regrettejamaiscesmoments.–Aucundesmomentsquej’aipassésavectoinepourraitmedonnerderegret.Larésolutiondesonexpressionmefitfrémir.Jemesentaisunique.Grâceàlui.
34
Rien.Qu’à.Moi.
West
Riendansmavienem’avaitpréparéàça.Jesentaismoncœurprêtàexploser.
J’ôtailerestedemesvêtementsaprèsavoirsortiunpréservatifdemapoche.J’étaistellementanxieuxquemesmainstremblaient.
Jem’allongeaisurelleavecunefolleémotionàlavuedecesyeuxquim’avaientfaittantrêveretneregardaientquemoi,emplisdeconfiance.Uneconfiancequej’allaischérir.
Doucement,prudemment, j’entraienelleetelledemeuratout letempsagrippéeàmoi.Sansmequitterdesyeux.
***
Plus tard,quandelle seblottitcontremoidans lepick-up tandisque jecontemplais leslumièresdeLawtonànospieds,jelaissaicoulerunepremièrelarme.
Pourtoutcequej’avaisperdu.Pourtoutcequej’avaisdécouvert.Pourtoutcequejenedevaispasperdremaintenantmalgrémescraintes.
Le lendemain, je retournai au lycée. Je ne voulais pas être là quand ma grand-mèrearriverait.Jenevoyaispasdutoutpourquoimamanluiavaitdemandédevenir,alorsqu’ellenesemanifestaitjamais.
Etpuis,biensûr,jevoulaisvoirMaggie.
Enlaramenantchezelle,cettenuit,jeredoutaistellementdelaperdrequejen’avaispasditunmot.Silencedemort.Aulieudepenseràmeshistoires, j’auraisdûmepréoccuperdeMaggie.J’allaisarrangerçaaujourd’hui.
Tout ce que j’espérais, c’était que les élèves ne me présentent pas leurs condoléancespour papa. Je n’avais pas envie de penser à ça ni d’attirer leur pitié. Alors, je ne regardaipersonneenentrantetmerendistoutdroitàmoncasier.
Maggie était là, ses livres plaqués sur la poitrine. Elle attendait. Une douce chaleurm’envahitetjemeprécipitaiverselle.Quandellem’aperçut,seslèvress’étirèrentenunpetitsourirequiendisaitbeaucoup.Ilm’étaitadressé.Àmoietàpersonned’autre.
J’aimaistropça.–Bonjour,dis-jeenm’approchant.Jel’attiraicontremoiavantdedéposerunbaisersurceslèvresquimesouriaientàmoi
toutseul.Audébut,elleseraiditmaisse laissavitealler,ouvrit labouche.Jenevoulaispasque
lesautresvoientcommeelleétaitdésirableavecceslèvresgonflées,alorsjel’attiraidansuncoin après y avoir assez goûté pour me sentir rassasié durant la première heure de cours.Néanmoins,jegardailamaindanssondospourmieuxl’attirercontremoi.
–Ah,bonjour,répondit-elle,l’airunpeutroublée.Jeluiembrassaileboutdunez.–Tuestoujourssijolie!Sesjouess’empourprèrent,etellepenchalatêtedecôté.–Jenesavaispasquetuviendraisaujourd’hui,dit-elle.Moinonplus.Jusqu’àcequejemeréveilleenpensantàelle.Maggieétaiticietc’étaitici
quejevoulaisêtre.Avecelle.–C’estparcequetueslà.Ilfallaitbienlereconnaître.Elledevaitsavoircequejeressentais.Mêmesijenevoyais
pastropqu’endire.–West,j’aimeraisbienqu’onaitquelquescoursensemble.Moi aussi. Je m’arrangerais pour que ce soit possible le semestre suivant. Ça ne me
plaisaitpasdenelavoirquependantlesrepasouaudétourd’uncouloir.–Maistuparles!lançalavoixdeBradyderrièrenous.Elle écarquilla les yeux sans pour autant se tourner vers lui, tandis qu’une lueur de
panique traversait son regard vert. J’eus aussitôt envie de la protéger. La ramenant contremoi,jefisfaceàsoncousin.
–Pasàtoi.Niàpersonned’autre.Alors,lâche-nousetferme-la.Soutenantsonregard,jelelaissaitirersespropresconclusions.Jenelal’abandonnerais
pasettoutlemondedevaitsavoirmaintenantqu’elleétaitàmoi.YcomprisBrady.–Quoi…maiselleneparlepas.Siellepeutparlerousielleparleencore,alors…
–Rienqu’àmoi,Brady.Mets-toiçadanslecrâne.Rien.Qu’à.MoiIl baissa les yeux vers elle et je sentis son irritation, mais c’était mon meilleur ami.
J’avaisenterrémonpèrehier. Ildevaitme laisser respirer.Pour lemoment.Mêmesiundecesjoursilallaitfalloirendiscuter.
–Bon, finit-il par soupirer.Seulement les autres vont finirpar s’enapercevoir.Commemoi.
Là-dessus,ilsedétournaets’enalla.Maggienebougeapasd’unpouce.Ilavaitraison.Sionnefaisaitpasplusattention,lesautrescomprendraient.Etcomment
laprotégeralors?Ilsn’auraientpastouslaréactionindulgentedeBrady.Surtoutpassesparents.
35
Aumoinsc’estclair!
Maggie
Toutelamatinée,jesentisleregarddeBradyposésurmoi.Bonmoyendemerappeler
quejenedevaisjamaisparlerenpublic.Enmêmetemps,jemedemandais:qu’arriverait-ilsij’adressais la parole à d’autres qu’à West ? Est-ce que tout ça s’arrêterait ? Aurait-ill’impressiond’avoirperduunpeudemoi?
–Alors,tuteletapes,maintenant.Je reconnus la voix deRaleigh avant deme retourner pour lui faire face.On était aux
toilettesoùjemelavaislesmainsavantledéjeuner.Jelevailatêtepourapercevoirsonrefletdanslaglace,quimefusillaitduregard.–Ças’arrêteradèsqu’ilaurafinisondeuil,continua-t-elle.Ilsesertdetoipourtraverser
cemoment.Tuneparlespas,çalerepose.Maintenanttulebaises.Ildoitsemettreàaimerlesfillessansconversation.
Jemeséchailesmainsavecuneservietteenpapieravantdemedirigerverslaporte.Jen’allaispasresterlààécoutersesconneries.
–Quandceserafini,poursuivait-elle,quandilauraenterrésonpèredanssatête, ilmereviendra.C’estspécialentrenous.Ilm’aime.Ilajustedumalàgérer.
Faisantcommesiderienn’était,j’ouvrislaporte.–Ilmedisaittoujoursqu’ilm’aimaitquandonfaisaitl’amour.Qu’avecmoi,ilsesentait
extraordinairementbien.Qu’ilneconnaissaitriendemieuxdanslavie.Mais ilneteditpasqu’ilt’aime,nonplus?
Heureusementque jene lui faisaispas facequandelleavaitdit ça, carelleaurait lu laréponsesurmonvisage.
Aussimerveilleusequ’aitpuêtremanuitavecWest, ilnem’avaitpasditune foisqu’ilm’aimait.D’ailleurs,iln’avaitpasditgrand-chose.Àlafin,onétaitrestésdanslesbrasl’undel’autre.Sansdouteencoreécrasédechagrin,ilavaitverséunelarme.
Maisilyavaitpeut-êtreplusqueça.Peut-êtrequ’ilestimaitavoircommisunefaute.–Tueslà.Savoixmefaisaittoujoursbattrelecœur.Surtoutmaintenantquejemedemandaissi,au
fond,iln’aimaitpasRaleigh.Alors,j’étaiscontentedelevoir.Commeilapprochait,ilfronçalessourcils.–Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-ilenmeposantunepaumesurlajoue.J’aimais bien quand il faisait ça. Jeme sentais en sécurité. Comme si sa grandemain
pouvaitmeprotéger.La porte des toilettes s’ouvrit derrièremoi et je le sentis se crisper. Ainsi, il réagissait
toujoursenlavoyant.Ill’avaitaiméeetjenelesavaispas.Jemesentisnettementmoinsensécurité.JesecouailatêteenguisederéponseàWest,toutenm’éloignantdeRaleigh.Etdelui.Loindemesémotionscontrariées.
–C’esttoiquiasfaitça?Qu’est-cequetuluiasdit?West semblait irrité. Jeme retournai et le vis jeter un regardnoir versRaleigh, à peu
prèsaussinoirqueceluiqu’ellem’avaitjeté.Enpluseffrayant.Haussantlesépaules,ellerepoussasescheveuxdansledoscommesiderienn’était.– Je suis passée à autre chose,West. Jeme fichede qui tu te tapes, rétorqua-t-elle en
s’éloignantd’unedémarchearrogante.Ellen’enpensaitpasunmotpourtant,c’étaitunesacréecomédienne.–Qu’est-cequ’ellet’adit?demanda-t-ilenserapprochant.–Pasgrand-chose.Enfait,elle…net’apasoublié.Ilglissaunemainsurmahanche.–Nel’écoutepas.Elles’imaginequ’ellem’atteindraentevexant.C’esttout.Jen’étaispassûrequecesoitaussisimple,maisjen’allaispaslecontredire.Jepréférai
changerdesujet.–Jecroyaisquetudéjeunaisàcetteheure-ci.Ilmedéposaunbaiserlégersurleslèvres.–Passanstoi.Oh.Quefallait-ilenpenser?Oùenétions-nous?Cettenuitavait-ellevraimentchangé
quelquechose?–Viens,dit-ilenmeposantlamaindansledos.Onyva.Je le suivis. Parce que je ne voyais vraiment pas comment lui demander qui on était
désormaisl’unpourl’autre.–Tum’asmanqué,cematin,dit-ilsansmelâcher.
–Ons’estécritpartexto.Desdizainespendantlescours.–Oui,maisjenevoyaispastatête.Moncœurseserraencore.Arrivésdevant la cafétéria, il ouvrit laporte et on entra ensemble.Tous les regards se
tournèrentversnous…dumoins,cefutmonimpression.Ilsavaient l’airdesedemanderoùonenétaittouslesdeux.Pourquoinotreamitiésemblaitmaintenantplus…intime.UnregardverssatablemepermitdeconstaterqueBrady,AsaetRykernenousquittaientpasdesyeux.Gunnerétaitleseulànepassemblers’enamuser,tropoccupéàécrireuntexto.
Jene regardaipersonned’autredans la filed’attente. LesbrasdeWest seposèrent surmesépaulesetilmeserracontrelui,m’embrassasurlatempe.Surprise,jelevailesyeuxverslui,mais, soudain, il se tournaversquelqu’und’autre, l’air renfrogné.Suivant sonregard, jevisqueNashs’étaitimmobilisé,sonplateauentrelesmains.
C’étaitmoiqu’ildévisageait;secouantlatête,ilchangeasoudaindedirectionpourallers’asseoiraveclesautresgarçons.J’étaissûrequ’ilsavaientrepérélesattitudesdeWestetdeNash.Bradyallait-ilfairecommesiderienn’était,maintenantqueWestetmoienétions…làoùnousenétions?
–Ilestfou?murmurai-je.Jenevoulaispasquesesamisluifassentlagueule.Ilavaittropbesoindeleurappuien
cemoment.–Laissetomber.Çaluipassera.Cen’étaitpaslaréponsequej’espérais.Ilpritmonplateauaveclesienetonallarejoindrelatable,ànosplacesentreBradyet
Nash.West s’assit à côté deNash,ma place habituelle. Proclamant par là… je ne voyais pas
vraimentquoi.– Alors, vous êtes ensemble maintenant ? demanda Gunner en laissant tomber son
téléphone.Jecroyaisquec’étaitunetaréeetqu’ondevaitpasytoucher.–Arrête!lançaBradyavantqueWestn’intervienne.Çaneteregardepas.Gunner semblait plus amusé qu’autre chose. Ilmordit dans sa pomme avec un sourire
ironique.–Non,c’estsûr,dit-ilenjetantunregardversNash.J’avaisenviededisparaîtresouslatable.–N’empêchequejemedemandais,Maggie,repritGunner.Tuasuncavalierpourlebal
delarentrée?–Arrête,Gunner!marmonnaRyker.Jene levaipas la têtedemonassiettede frites. Je fis cellequin’avaitpasentendu. Je
n’avaispassongéaubal.J’avaisvulesaffiches,entendulesannonces,maisjen’ypensaisplus.
Jen’étaisjamaisalléeàunbal.Jenepensaispascommenceraveccelui-ci.–Elleestavecmoi,Gunner,rétorquaWest.Elleiraavecmoi.Partout.Çatevacomme
ça?Samains’étaitglisséesurmongenouqu’ilserra.–Aumoinsc’estclair!s’esclaffaAsa.Onlaissepasserçaouquoi?Jesuivissonregard.Ils’adressaitàBrady.Moncousinréponditd’unsimplehochementdelatête.Personneneditplusrien.Ilsreprirentleurconversationsurlematchdevendredietjefinisparmedétendrepour
finirmondéjeuner.
36
Justedanslamienne
West
Lecoachm’avaitdispenséd’entraînementcettesemaine.Cependant,sij’enavaisenvie,
je pourrais toujours participer au match. L’équipe avait besoin de moi et mon père auraitvouluquejejoue.Alors,j’allaisjouer.
J’avais manqué les premières séances d’entraînement, je n’allais pas manquer celle-cialorsquemagrand-mère était à lamaison.Mamanne seraitdoncpas seule ce soir.Çamedonnait une certaine liberté et me permettait d’échapper à cette bonne femme qui n’avaitjamaismis lespiedscheznousde toutemavie.Etquandonallaitchezelle,ellen’adressaitpourainsidirepaslaparoleàmonpère.
Jen’éprouvaisaucunsentimentpourelle.Maismamèrel’aimait.Personnenemeposadequestionsquandjemerendisauvestiairepourenfilermatenue.
Certainsme saluèrent de la tête, d’autresme tapèrent dans le dos,mais ils ne dirent rien.Exactement ce que je voulais. Si je ne pouvais pas avoir Maggie avec moi tout le temps,c’était,aprèselle,lemeilleurmoyendemelibérerl’esprit.
Alorsquejelaçaismeschaussures,jevisBradyvenirversmoi.S’ilvoulaitdesréponses,ilnelesauraitpas.Ildevraitsecontenterdecequejeluiavaisditcematin.
–Depuisquandelleteparle?demanda-t-ilàvoixbasse.J’attrapaimoncasqueetmedirigeaiverslaporte.–Uncertaintemps,répondis-je.–C’est-à-dire?Depuisl’hôpital…ouavant?–Avant.
Ilvintseplanterdevantmoi.–C’estpourçaquevousvousêtesattachéssivitel’unàl’autre.Ellet’aaidéàtraverser
cetteépreuve.Elleétaitlà.Jene répondispas, car jene connaissaispas la réponse.C’était peut-être effectivement
pourçaqu’ellem’étaitdevenue indispensable.Lechagrinchangeait tout.De lààdireque jen’auraispasvouludeMaggiesiellenem’avaitjamaisadressélaparole…
Aurais-jevoulud’elle?–Tu comprends sansdoutemieuxquepersonne cequ’elle a enduré.Si elle t’a raconté
deschoses,ellet’enaditbeaucoupplusqu’àn’importequid’autre.Ilavaitraison.Maisjen’allaispasleluiconfirmer.–Ilfallaitqu’elleenparleàquelqu’un,continuaBrady.Iln’allaitpaslaissertomber.C’étaitàmoid’ymettreunterme.Tantqu’elleneseraitpas
prêteàparler,jenelaisseraispersonnel’yinciter.– Elle n’est pas prête, dis-je. C’est elle qui voit. Il faut la laisser gérer les choses à sa
façon.Jeneveuxpasqu’onl’obligeàquoiquecesoit.Mêmepastoi.Là-dessus,jemedirigeaiversleterrainetleplantailà.
Il était près de minuit quand Maggie ouvrit sa fenêtre pour me laisser entrer. Aprèsl’entraînement,jem’étaisrenduaubelvédèreoùj’avaispasséplusieursheures,jusqu’àcequemaman m’appelle pour le dîner. J’y étais allé pour elle. Et là, ma grand-mère m’avaitdemandé dans quelle université je voudrais m’inscrire, alors j’étais parti sans lui répondre.Ellenes’étaitjamaisoccupéedenousjusque-là,ellen’avaitpasledroitdesemêlerdemaviemaintenant.
J’avais appelé maman pour lui dire d’aller se coucher, que je rentrerais bientôt, quej’étais chezBrady.Cequiétaitvrai.Saufque jenem’yétaispas rendupour lui.Elledevaits’endouter,maisellenemeposapaslaquestion.
Maggiem’attendait,entenuedejogging,lescheveuxenroulésenuneespècedechignonau sommet du crâne. Plus belle que jamais. Elle m’avait manqué, cet après-midi. Elle memanquaittoujoursquandellen’étaitpasavecmoi.
Ça me faisait peur de trop penser à ça. Je ne voulais pas avoir tant besoin d’elle. Jepourraislaperdre.
Non.Jen’allaispasperdreMaggie.Jenelaisseraispascegenredechoseseproduire.Jeferais
cequ’ilfaudraitpourqu’elleaitenviederesteravecmoi.Toutcequ’ellevoudrait.–Salut,dit-elledoucement.Jesouris,laprisdansmesbras.–Salut,dis-jesurseslèvresmagnifiques.Tum’asmanqué.
Elleeutunrireétoufféparmonbaiser.Cesonmeplaisait.Elleneriaitpassouvent,etcelanem’enparaissaitqueplusmagique.
– Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demandai-je, incapable de réprimer un sourire deplaisir.
–Ons’estvusilyaquelquesheures.–Non,ilyaneufheures.Çafaitaffreusementlongtemps.Serrant les lèvres, elle me jeta un regard où dansaient des étincelles. Elle ne portait
aucunmaquillage, le visage récemmentnettoyé. J’appréciais l’idéeque, tout en sachantquej’allaisvenir,ellen’aitpascherchéà fairesaprincesse.Qu’elleresteelle-mêmesansarrière-pensée.
–Tudevraisdormir,dit-elleenmerepoussantdoucement.Tuasmatchdemainsoir.–Jevaisdormir.Ici,avectoi.Jevaisréglermonalarmesurcinqheuresdumatinetlà,je
rentreraichezmoi.Maiscesoir,jeveuxtetenirdansmesbras.Sesyeuxbrillaientdeplaisir.Çamefitpenseràdeschosesauxquellesjenedevraispas
penserencemoment.Pasdanssamaison.AlorsqueBooneétaitsiprochedenous.D’un coup d’œil sur son lit, je pus constater qu’elle s’y était déjà couchée avant mon
arrivée. Je m’étais annoncé il y avait juste une heure. Peut-être qu’elle dormait déjà… Envoyant ses couverturesdéfaites, en l’imaginantblottie contremoi toute lanuit, jeme sentisragaillardi,fortcommeunhommedescavernes.Ellemefaisaittropdebien.
Elleglissaunemaindanslamienne,etcettepaixquim’habitaitdepuisquatresemainesrevintenmoi.Demain,ilyauraitexactementunmoisquejel’avaisembrasséesurleparking.Elle était entrée dans ma vie alors que je pensais tout perdre, que je ne me croyais pascapabledetenirlecoup.Etellem’avaitprouvéquej’yarriverais,merappelantquejen’étaispasleseulêtresurterreàperdreunparent.
Elleredressalescouverturespuiss’installasuruncôtédulit,tirasurlesdraps.Cequinefitquemedonnerdesenvies,susciterdespenséesquejenedevraismêmepasluiexposer.Parexemple, je ne voulais pas qu’un autre homme la voie jamais habillée comme ça sur ce lit.Rien que moi. Ni qu’elle glisse sa main dans celle d’un autre mec. Jamais. Juste dans lamienne.
–Ilfautvenirsituveuxdormir,murmura-t-elleavecunsourire.Elleétaitdevenuelemoteurdemavie.Jevoulaisluiappartenir.Jevoulaisaussiqu’elle
leressente.Je grimpai dans le lit, m’allongeai avec un bras sous la nuque et l’autre tendu vers
Maggie, l’invitantàvenirposer sa tête surmapoitrine. Inutileque je le luidise.Elle savaitexactement ce que je voulais. Après quoi, je lui caressai les cheveux, défis doucement sonchignon.Elleneprotestapas.
Onrestaainsiquelquesminutes;lesyeuxauplafond,jeregardaistournerleventilateurenécoutantmesémotionsmurmurerdansmoncerveau.Elleétaitentréedansmaviequand
j’avaistantbesoind’elle.Jenemeseraisjamaisattenduàça.Niàelle.Mais,maintenantquejel’avais,jemedemandaiscommentj’avaispum’enpassersilongtemps.
37
Mabelle
Maggie
Quand tante Coralee frappa à ma porte pour me réveiller, je connus un instant de
panique, le temps de vérifier queWest n’était plus dansma chambre. Autrement dit, je nem’étaispasréveilléeàsondépart.
Unmessagem’attendaitsurl’oreilleroùilavaitdormi.Jemefrottailesyeux,puisdépliailepapier.
Bonjourmabelle.Tudormaistropbienquandjesuisparti.Jen’aipasvouluteréveiller.
Maisaujourd’hui j’aimeraisêtreceluiquit’emmèneraaulycée.Jeserailààseptheureset
demie.SiBradyt’embête,appelle-moietpasse-luiletéléphone.
Ilvoulaitque j’ailleavec luiau lycée.Jevismonsouriredans laglace.Unvraisourire,pleindejoieetd’espoir.Commejen’enavaisplusconnudepuislongtemps.Àprésent,j’étaisheureuse.
Jem’approchaidecereflet,contemplaicettefilleplusâgéequecellequej’avaisconnue,leregardplusdéterminé,plusmature.Maiselleétaitheureuse.Çasevoyait.
–Tul’aimeraisbien,Maman,murmurai-je.Ilestfantastique.Elleauraitvouluquejeluiracontetout,auraitpousséunpetitcriavecmoiàl’évocation
denotrepremierbaiser.Ellem’aurait écoutée sans se lasser.Ellen’avait pas seulement étéma mère mais aussi ma meilleure amie. À l’idée que West lui plairait, je me sentis plusaccompliequejamais.Levidequim’avaithabitéen’étaitplusaussivide.Westleremplissait.
La voix de tante Coralee annonçant le petit déjeuner me rappela que je devais medépêcher.J’allaisluiannoncerquejepartaisavecWestaujourd’hui.C’étaitsonjourdematchetjevoulaisqu’ilvoieàquelpointmoiaussijesoutenaisl’équipedulycée.
Pourça,ilfallaitqueBradymeprêteunmaillotdesonéquipe.Un quart d’heure plus tard, j’étais habillée et je me dirigeais vers la cuisine. J’avais
envoyé un texto à Brady pour lui demander si je pouvais lui emprunter unmaillot. Il avaitaccepté en disant qu’il l’apporterait à la cuisine. J’avais aussi écrit un message où je nedemandais pas mais annonçais carrément à tante Coralee que je partais avec Westaujourd’hui.
Dans la cuisine, Brady était déjà en train de manger ses œufs au bacon. Il portait lemaillotbleuqu’ilarborerait lesoirmaisenavaitdéposéunautre,pliésurlatable,affichantlemêmenuméroquel’autre,maisplususagé.
–Voilà,dit-il,tun’asqu’àprendreceluidel’annéedernière.Sonsouriremoqueursemblaitproclamerquejeseraisridiculelà-dedans,quej’avaistort
decroirequec’étaitarrivé.– Bonjour, Maggie, dit tante Coralee. J’ai mis ton assiette au chaud. Je vais te la
chercher.Euh…tucomptesportercedébardeurblancaulycée?–Pasdutout,intervintBrady.Ellevamettremonvieuxmaillot.–Maisc’esttropmignon!s’exclama-t-elle,ravie.Sonfilsparaissaitsurlepointd’éclaterderire.–N’est-cepas?dit-ilavantd’avaleruneautrebouchée.Je préférai ne pas relever et allai me changer avant de tendre mon message à tante
Coraleequilelutensouriant.–Biensûr,machérie.C’esttrèsbien.Jem’endoutais.Soulagée,jeprisl’assiettequ’ellemetendaitetallaim’asseoir.–Tutedoutaisdequoi?demandaBrady.–Qu’elleallaitbientôtpartirauxcoursavecWest.–Ahbon,etçacommenceaujourd’hui?–Oui,dittanteCoralee.Je préférai ne pas trop songer à l’attitude étrangedemon cousin. J’étais trop contente
d’accompagnerWestetravieàl’idéequ’ilmevoieenmaillotdefoot.Ravieaussidelevoir.Il me donnait une nouvelle raison d’aimer la vie. Je venais de passer deux années en
margeetjemerendaismaintenantcomptecombiencelam’avaitmanqué.Jemeprotégeaisenrefusantdeparler,maisc’étaitaussiunmoyendem’isolerdurestedumonde.
LorsquetanteCoraleemonta,Bradymejetauncoupd’œil.– Bon, je t’ai prévenue contre l’attitude de West, et c’est toujours valable. Mais je
reconnais qu’il se conduit autrement avec toi. Je ne l’ai jamais vu traiter quelqu’un d’autrecommetoi.Alors,peut-êtrequ’ils’impliquedavantagequed’habitude.Maisj’aipeurquetunereprésentesqu’unebéquillepourl’aideràsupporter lamortdesonpère.Àla longue,quanduneautrefilleluitomberasouslamain,ilrisquedesaisirl’occasion.Etilt’oubliera.
Finalement,ilseleva.–Protègetoncœur.Westneveutpastefairedemal,maisçapourraitbienarriver.Onfrappaàlaporteetjemeprécipitai.Jesavaisquec’étaitWest,alorsjedéposaimon
assiettedansl’évieretallaiouvrir.Ilmesourit,jusqu’aumomentoùilaperçutmatenue.–TuporteslemaillotdeBrady.Je hochai la tête en souriant. Je voulais qu’il soit content de me voir ouvertement
soutenirl’équipe.Brady laissa échapper un petit hennissement et je le vis se couvrir la bouche avant de
filerdansl’escalier.Pourquoiriait-il?Avais-jefaitquelquechosedemal?Westmepritparlataille,saisitmonsacàdos.–Onyva,dit-ild’untonagacé.–J’aifaitquelquechosedemal?demandai-jedanslarue.Ilouvritsaportièresansrépondre,jetamonsacàl’intérieur.Puisilmesoulevapourme
déposersurmonsiège,commesij’étaisunegaminequinepouvaitpasentrertouteseule.Une fois assise, je me trouvai exactement à hauteur de ses yeux. Il se pencha,
m’embrassa, non de ce doux baiser auquel jem’étais habituée,mais plaisant quandmême.J’avaisplutôtl’impressionqu’ilessayaitdememarquer,oualorsqu’ilavaitenviedemeboiretantilmepenchaitverslui.
–TunepeuxpasporterlemaillotdeBrady,dit-ilsimplement.Aprèsquoi,ilclaqualaportièrepuisvints’asseoirauvolant.Si je ne pouvais pas porter lemaillot de Brady, pourquoim’emmenait-il au lycée ainsi
vêtue?–Alors,ilvafalloirquejemechange.–Oui,maisboucletaceintured’abord.J’obtempérai et il démarra, remonta la rue. J’attendais qu’il s’explique, mais il ne dit
rien.Pasunmot.Le trajet ne durant que cinqminutes, je voulais qu’il parle et j’allais ouvrir la bouche
quandonpassadevantlelycéepourcontinuerendirectionduvestiairesportif.Ilcomptaitdoncmedéposerlà?ParcequetanteCoraleeavaitraison;jenepouvaispas
portercedébardeurblancauxcours.Onmerenverraitillicoàlamaison.–Onjoueàquoi?luidemandai-jealorsqu’ildescendait.Ilvintversmaportièresansmerépondre.L’ouvrit,mepritdanssesbrasetm’embrassa
avantdemedéposer.–Onvaréparertonmaillot.Meprenantparlamain,ilmeconduisitdanslevestiaire.Àcetteheure-là,l’endroitétaitdésert,heureusement.Jen’avaisaucuneenviedevoirdes
garçons tout nus. Ce serait trop gênant.On longea une rangée de casiers pour nous diriger
verslesplusgrands,auboutducouloir.J’aperçussonnomécritsurl’und’eux,qu’ilouvrit.–Ôte-moiça,dit-ilensortantunautremaillotbienplié.Ilmedonnaitlesien.Unrienéperdue,j’enlevaiceluideBrady.Westsetournaversmoi
ets’arrêta,puisvintm’embrasseraucreuxdel’épaule,respirantbruyamment.Jefrissonnaimaisnebougeaipas.Carjecraignais,enbougeant,deromprelecharme.Je
nevoulaispasqu’ils’arrête.J’étaistropcontentedel’avoirainsiprèsdemoi.Samainglissasurmatailleetilmegardacontreluienmedonnantdespetitscoupsde
langue dans le cou, suivis de baisers. Les jambes flageolantes, je lâchai lemaillot de Bradypourm’agripperàsesbras.
–Tuesdélicieuse,tusenstropbon,murmura-t-ilenvenantpromenerseslèvressurmapoitrine.
Iltiraunpeusurledécolletépourdescendreplusbasversmapoitrine.–Ilfaudraitquejem’arrête,maisc’estàtoidemeledire.Jen’avaispasenviequ’ils’arrête.Ducoup, lescourspassaientcomplètementausecond
plan.–Si jedescendsdavantage, j’envoudrai encoreplus.Plusque tunedevraismedonner
dansunminablevestiaire.Jete jureque, laprochainefoisquejetecaresseraiainsi,ceseradansunendroitplusbeauqueça.
Ilm’avaitôtétoutefacultédeparler.Jerestaislà,alorsqu’ilglissaitplusbassousl’étoffe,tout en abaissant sa bouche. Et puis, dans un grognement, il ferma les yeux avant de melâcheretdereculer.Toutd’uncoup,j’eusfroid.Jevoulaisqu’ilrevienne.
–Lèvelesbras,dit-ilenreprenantlemaillotqu’ilavaitsortidesoncasier.Ilmelepassasurlatêtepuissurlesépaules.–Tuportesjustemonmaillot,Maggie.Aucunautre.Jamais.Jeneveuxpasqu’unautre
tetouche.Garde-le,porte-lequandtuveux,maisnemetsplusjamaisceluideBrady.Oh.D’accord.Houlà!Jerésistaiàlatentationdeplierlesbrasautourdemapoitrinetantj’étaiscontente.Ce
maillotsentaitl’odeurdeWest.Jamaisjenevoudraislelaver.–Mabelle,sourit-il.Justemonmaillot.
38
Onatousdesdécisionsàprendre
West
Cesoir,Maggieétaitassiseàcôtédemamanpourlematch.Chaquefoisquej’enavais
lachance,jelesregardais.SurtoutMaggiemais,parfois, jelasurprenaisentraindeparleràmamanetçamedonnaitletournis.
Aprèschaquetouché,jemeredressaispourlavoirseleverencriantdejoie,monmaillotluicouvranttoutlecorps.J’aimaistropça.Toutlemondevoyaitainsiqu’elleétaitàmoi.
Enladécouvrant,cematin,dansceluidesoncousin,j’avaiseuenviedeleluiôterpourlejeteraufeu.Bradysavaittrèsbiencommentjeréagirais.Cetenfoirél’avaitfaitexprès.Çal’amusait.
En l’apercevantdans lemienau lycée, ilavaitéclatéderire.Onétait lesseulsàsavoirpourquoi.
Maggieavaitsouriavantdebaisserlatête,rougissante.Elleavaitvoulumefaireplaisir.Saufqu’ellenesavaitpasqu’unefilleportantlemaillotd’unmecdéclaraitluiappartenir.
Qu’ilsoitsoncousinounon,ellen’avaitpasàporterceluideBrady.Niceluidepersonned’autre.Rienquelemien.
On gagna d’un touché.Gunner attrapa une belle passe et la lança, nous permettant deremporter le match dans les trois dernières minutes. Les deux équipes avaient bien joué.J’avais craintun instantqu’ilne faillealler jusqu’auxprolongations,maisGunnernousavaitépargnéça.
Ensortantduvestiaire,jetrouvaiMaggiequim’attendaitdehors,etsonsouriremelibéradelatristessequim’avaitsubmergéàl’idéequemonpèreneseraitpaslà.
–Tuasétéextraordinaire…enfin je crois. Jen’y connaispasgrand-chose.En tout cas,cettetenuetevatrèsbien.
Jel’embrassaisurlefront,puissurleboutdunez,etenfinsurlabouche.–Çam’aaidédetevoirdansmonmaillot,bellecommeunange.Ilvafalloirquetusois
làchaquefois,maintenant.–Çasepourrait.Ce soir, je l’emmenais à la soirée. Elle y était déjà allée souvent, elle allait enfin y
participer.Avecmoi.AulieudesecacherdansuncoinenattendantBrady.Quand je pensais qu’il la lâchait comme ça dans un coin, ça me mettait en rogne. Je
n’aimais pas imaginer à quel point elle avait pu se sentir seule, alors que personne nes’occupaitd’elle.
–Bienjoué,monchou.J’émergeaidemonpetitmondeavecMaggiepourdécouvrirRaleighdevantnous.–Merci,maisjenesuispastonchou,répondis-jeenespérantqu’elles’enaille.Elleéclataderire,semorditlalèvre,pourlajouersexy.–Peut-êtrepasencemoment,maistuvasvitet’ennuyeravectamuetteetvouloirpasser
àautrechose.Jet’attendrai.J’aitoujoursétélàquandtuaseubesoindemoi.Jeveuxqu’onréessaye,West.
Elle avait ajouté ça d’un ton presque suppliant. Sauf que je détestais quand on sepermettait de critiquer Maggie. J’avais prévu de rester gentil mais ferme avec Raleigh.Seulementlà,elleallaittroploin.
–Jechoisisavecquijeparle.Alors,arrêtedemechercher.Çanemarcherapas.J’en restai le premier stupéfait. Maggie qui parlait ouvertement, d’un ton neutre à
Raleigh.–Alorscommeça,tuparles!s’étonna-t-elle.Bradylesait,aumoins?Jem’interposai carrément entre les deux filles,maisMaggieme prit le bras et vint se
placeràcôtédemoi.–Oui,illesait.Maintenant,tupeuxdégager?N’était-ellepasparfaitedelatêteauxpieds?Ellearrivaitmêmeàremettremonexàsa
place.– Tu ne peux pas arrêter de la regarder trois minutes ? marmonna Raleigh d’un ton
dégoûté.Elleavait raison. Jenepouvaispas. Je susqu’elleétaitpartieenvoyant lesépaulesde
Maggieretomber,sesyeuxfixerdenouveaulesmiens.–J’aidécidéderevenirdanslemonde,m’annonça-t-elle.Dem’impliquer.Deparler.Mais
jenediraipasunmot tantque jen’auraipasavertimononcleetmatante.Saufà toi,biensûr.
Sauf à moi. Je l’embrassai vivement en essayant de toutes mes forces de ne pas luimontrer à quel point j’avais peur de la perdre. Je voulais qu’elle parle, qu’elle vive sa vie,mais je ne savais pas si, à ce moment-là, je ferais encore le poids. Pour le moment, jereprésentaistoutsonhorizoncarelleneparlaitqu’àmoi.Etàmamère.
Quandellecommenceraitàdiscuteravecd’autresgens,àéchangeraveceux…choisirait-elletoujoursderesteravecmoi?
Main dans la main, on se dirigeait vers les mecs de l’équipe en train de faire la fête.Brady avait de nouveau garé son pick-up parmi les autres, maintenant qu’il ne devait pluspenseràMaggieréfugiéetouteseuledansl’obscurité.Nashfutlepremierànousapercevoiretmedécochaunpetit sourire. Ilne s’était toujourspas faità l’idéeque je sorteavecMaggie.Nonqu’ilnel’aimepas…Aucontraire.
Ill’avaitvuedansmonmaillottoutelajournée,etjepusdoncretenirmondémondelajalousie.CarNash avait toujours considéré cette fille commeunpeu spéciale. Etmoi aussi.Sauf que lui n’avait pas dû affronter une situation qui le poussait à se conduire comme ledernierdesabrutis…
Parchance,Maggieavaitrepéréquelquechoseenmoiquiluiavaitpermisdepasserau-dessusdeça.
–Prête?luidemandai-je.Ellerelevalatêteversmoi,sourit.Justecequ’ilmefallait.–Bienvenuedanslafamille,Maggie,ditRykerenlevantsonverre.Ilétaittemps.Je regardaiBradydu coinde l’œil. Il devrait s’envouloir àmortde l’avoir abandonnée
danssoncointoutcetemps.Cependant,jemecalmaienconstatantqu’iln’avaitpasl’airtropfierdelui.
Ivyétaitencoreblottiecontreluicesoir.Jenesavaisjamaisquandilsétaientensembleet quand ils ne l’étaient plus, mais Brady paraissait plutôt détaché d’elle. Comme s’iln’acceptaitsaprésencequeparcequ’elleinsistait.
–Troismatchs.Troisvictoires.Çasentbonleschampionnats,ditAsaenvenants’asseoirsurleplateau.
En ce qui me concernait, je n’avais envie de m’asseoir qu’auprès de Maggie. Je luimontraiunebottedefoininoccupéeetm’yenfonçaiavantdel’attirersurmesgenoux.
–Tuassoif?luisoufflai-jeàl’oreille.J’aioubliédeteprendrequelquechose.Ellefitnondelatêteets’appuyacontremoi.Je l’étreignissansplusfaireattentionaux
autres,jusqu’àcequej’entendeNashprononcermonnom.Difficiledemedétacherd’ellepourrépondreauxcopains.
–Quoi?demandai-je.– Tu as reçu une demande du Tennessee. Ça marche toujours ou tu restes avec
l’Alabama?
Le football. L’année prochaine. Choses auxquelles je n’avais pas encore réfléchi. Pasenvie.Alorsquepapaétaitparti.AlorsqueMaggieétaitlà.
Jehaussai les épaules,parceque jene savaispasquoi répondre.Oui, leTennesseemefaisaituneoffre.Rienàfiche.
– On a tous des décisions à prendre, intervint Brady en changeant de sujet. On vaattendrelafindelasaisonpourça.Cesoir,onparledesfrappeséclairsdeGunner.
Celui-cilevasonverre.–Àmoi.J’enaimisdescoupsdepiedaucul!Toutlemondeéclataderireettrinqua.Les épaules secouées d’un rire silencieux, Maggie reposa sa tête sur mon épaule sans
cesserdelesregarder.Etjenecessaisdelaregarder.
39
Tuvasmeposséder
Maggie
Jenepouvaisrêvermieuxqu’écouterWestrireavecsesamistandisqu’ilmetenaitdans
ses bras. C’était exactement ainsi que j’aurais rêvé de vivrema première soirée. Impossibled’imaginerautrechosedésormais.
On ne resta pas aussi longtemps que les autres. Au bout d’une heure, il voulut partir.J’étais prête à le suivreoù il voudrait. En roulant vers le belvédère, ondiscutade cequ’onappelaitdelabonnemusique.Ilaimaitlacountrytandisquejepréféraislerock.
Unefoisgaréànotreplacehabituelle,iléteignitlaradioavantdemeprendrelevisageentresesmainspourm’embrasser.J’adoraislaferveurdesesmouvementsdanscesmoments-là,c’étaitmonbaiserpréféré.Jemesentaisbien,commesiplusriennepouvaitmetoucher.
Jeme laissai complètement aller pour ne rouvrir les yeux que quand il se détacha demoi.
–Tuveuxquejeresteavectoiquandtuannoncerasàtononcleetàtatantequetuveuxteremettreàparler?
C’était une question, mais je perçus l’espoir dans sa voix. Il voulait être là, avecmoi,c’étaitimportantpourlui.Etjenel’enaimaiquedavantage.
–Oui,répondis-je.– Bon ! soupira-t-il. Sinon je me serais inquiété. Je tiens à t’accompagner, Maggie. Je
ne…Ils’interrompit,contemplauninstantleslumièresdelavilleànospieds.–Jeneveuxpasquetutesentestoujoursobligéederestermaforce,monappui.Jeveux
quetupuissesaussicomptersurmoi.Jeveuxreprésenterpourtoicequetureprésentespour
moi.Cen’étaitpasun«jet’aime»,maispasloin.Cettedernièrephraseendisaitplusqu’ilne
pouvaitl’imaginer.Jepercevaissoninquiétude,sacraintedeneplusoccuperlamêmeplaceavecmoi une fois que jeme remettrais à fréquenter les autres. Il ne voulait pas que notrerelations’arrêtelà.
Cettefois,cefutmoiquiprissonvisageentremesmains.–Avanttoi,jenesouriaisjamais.Jeneriaisjamais.Jenesavaisplus.J’étaisseule,jene
voyais aucune issue. Mais tu m’as sauvée. Tu m’as donné l’impression d’être appréciée,importante. Tu m’as révélée, tu m’as donné des raisons de rire de nouveau. Rien qu’ent’apercevant,j’aidéjàenviedesourire.Personnen’occuperajamaisdansmavielamêmeplacequetoi.
Il sourit commeunpetit enfantqui viendraitdevoir réaliser sonvœu leplus cher,meserra plus fort que jamais, au point que je ne pouvais plus respirer. Je neme plaignis pasmais,quandildesserrasonétreinte,jerespiraiungrandcoup.
–Commentçava…parlà?demanda-t-ilenglissantlamainentremescuisses.–Çanefaitplusmal,répondis-jeenm’empourprant.Lalueurdanssonregardmemitdanstousmesétats.–Jeneveuxpasquetucroiesque…quec’est…J’aidéjàeubeaucoupd’aventures,toutes
aussi creuses les unes que les autres. Nous, ce n’est pas ça. Ce qui se passe entre nous estbeaucoupplusfort.Jeveuxquetulesaches.Tureprésentesautrechosepourmoi.Alors,situveuxqu’onprennenotretemps…jecomprendrai.Jeseraid’accorddumomentquejepeuxtegarderavecmoi.
Ilm’enveloppait tellement le cœurque jemedemandais si çan’allait pasdevenir trop.Tropvite.Maispasquestionquejel’arrête.
–Jeveuxqu’onailleplusloin,luidis-je.Maisj’aimebiencequ’onadéjà.Illaissaéchapperunpetitrire.–Tuvasmeposséder.Jeluiprislamain,laglissaisurmeshanches.–Jeveuxrecommencerçaavectoi.Sansautreformedeprocès,sesdoigtspuissantsmedébarrassèrentdemaculotteetme
pénétrèrent. Jeme cambrai en poussant un cri de plaisir. Accroché àmoi, il m’embrassaitdanslecou,medisantàquelpointj’étaisbelle,parfaite,extraordinaire.Ilnedisaitjamaisjet’aime,maismoinonplus.
Quelquesheuresplustard,j’étaisaulitquandWestentraparlafenêtre.J’ouvrislesyeux,le regardai ôter ses boots et son jean, avant de venirme rejoindre.On se serra l’un contrel’autreetilm’embrassalatête.
–Unjour,jeteferail’amourdansunlit,promit-il.
Jemerendormisassezvite,enrêvantqu’onfaisaitdeschosesbeaucouppluspalpitantesquejustedormirdansunlit.
Enmeréveillant,lelendemainmatin,jevisqueWestétaitpartietquelesoleilbrillaitàtraverslafenêtre.J’enfonçaimatêtesoussonoreiller,enhumantsonodeur.
Je finis par me lever et m’habiller pour aller prendre mon petit déjeuner. Et puis, jedevais avertir tante Coralee que je voudrais leur parler, à elle, oncle Boone et Brady, à unmomentouunautre.Qu’ellechoisissel’heure.Aprèsquoi,jepréviendraisWest.
La journées’annonçait importantepourmoi.J’allaiscesserdemecacher.Commenceràentretenir de vraies relations avecma famille. Çameplaisait bien. Enmême temps, j’avaispeurdecequ’ilspourraientmedemander.J’étaisterrifiéeàl’idéequ’ilspuissentm’interrogersurcejour-là.Jen’avaisplusenvied’enparler.Plusjamais.
AvecWestàmescôtés, jemesentiraisplusforte;etpuis,çaexpliqueraitégalement lanaturedemarelationaveclui,qu’ilsnecomprenaientpasforcément.Ilsdevaientjustesavoirquejeneleurdiraisrien,àeuxniàpersonne,desévénements.Encoremoinsdemonpère.Enrevanche, s’ils voulaient que j’évoque ma mère, les bons souvenirs que j’en gardais, j’étaisd’accord.
Etprête.Assisàlatabledelacuisine,lescheveuxenbataille,justevêtud’unpantalondepyjama,
Bradymangeait un bol de céréales en buvant du café ; complètement plongé dans la pagesportsdujournal.
Devantlebar,tanteCoraleefaisaitsalisted’achats,commetouslessamedis.Ellelevalatêteàmonentrée,mesourit.
–Bonjour.Désolée, jen’aipaspréparédepetitdéjeuner.Onn’aplusaucuneprovision.J’iraifairelescoursescetaprès-midi;enattendant,tuvasdevoirtecontenterdecéréalesetdetoasts.Ildoityavoiraussidesfruits.
Çam’allait très bien. Je n’avais rien connud’autre durantmesdeux années chez Jorie.Pasunefoisellenem’avait fait lacuisine.D’ailleurs,elleétaitrarementà lamaison.Jem’ytrouvaisseulelaplupartdutemps.
J’allaidéposerdevanttanteCoraleelemotrédigédansmachambre.Jepréféraisnepasdéboulerenleurannonçantquejeparlaisdenouveau;cen’étaitpaslemomentdeleurdirequelsthèmesjevoulaisaborderetlesquelsj’effaçais.
Je ne voulais consulter aucun conseiller, thérapeute ou psychologue… quel que soit lenom qu’on leur donne. J’en avais déjà vu des dizaines. Sans aucun résultat. Autant qu’ilssachentquejen’yretourneraispas.
–Biensûr,machérie,dittanteCoralee,l’airinquietaprèsavoirlulepapier.Onpeutenparlermaintenantsituveux.
–Parlerdequoi?demandaBrady.
–Maggieveutnousdireàtousquelquechose,expliqua-t-elle.Tiens,prendsmoncrayon.Je fisnonde la tête,puis indiquaide l’index laphraseoù jedemandaisà leurparlerà
touslestrois.Elleserembrunit.– Oui, d’accord. Bon, je vais prévenir ton oncle Boone. Il est en train de tondre la
pelouse.Ellemetapotalebraspuiscourutverslaporte.Çanemelaissaitpasbeaucoupdetemps
pourprévenirWest.JeneluienvoyaipasdeSMSpourlecasoùilseraitentraindedormir.Jepréféraiappeler.
Ilréponditdèslapremièresonnerie.
40
Elleluiressemblebeaucoup
West
Maggiem’attendaitsur labalancelleduperronquandjemegarai.Ellem’avaitappelé
aumomentoùjesortaisdeladouche.Sanstropsavoircomment,jemeretrouvaichezelleendixminutes,lescheveuxencorehumides.
Elleselevapourm’attendreenhautdesmarches.–Salut!luidis-jeenl’embrassantsurleslèvres.Tutesensprête?Lisant une certaine anxiété dans ses yeux quand elle hocha la tête, je lui pris lamain.
Cettefois,ceseraitmoiquilarassurerais.Elleyarriverait.Jenelalâcheraispas.– Ilsattendent.Bradym’aentendue t’appeler,alors il leuraexpliquéque je t’attendais,
quejevoulaisquetusoislà.Bradysait,maistanteCoraleeetoncleBooneontl’airinquiets.–Ehbienallons-y.Jeresterailetempsqu’ilfaudra.Elle me décocha un sourire soulagé qui me donna de petits battements de cœur. Je
n’avaisjamaiséprouvécessensations,etj’envoulaisencore.Jenepourraisplusvivresans.Jelasuivisàl’intérieuroù,biensûr,lestroisHiggensnousattendaientautourdelatable
dusalon.Bradysemblaitdétendu,unrienexcédé,tandisquesesparentssetenaientauborddeleurschaises.Coraleeavaitposéuncarnetetuncrayondevantelle.
Faceàeux,Maggielançad’emblée:–Jeveuxrecommenceràparler.Savoixdoucen’enfitpasmoinssursautersononcleetsatante.Jen’avaisjamaisvuBooneautantécarquillerlesyeux.– Je veux faire partie de cette famille. Je suis prête.Mais il faut que vous compreniez
quelquechose.
Samaintoujoursdanslamienne,ellelevalesyeuxversmoietjehochailatêtepourlarassurer.
– Je ne veuxpas parler de…ce jour-là, reprit-elle. Je ne veuxpas parler de lui. Je neveuxpasparleràunthérapeute.Jeveuxbienparlerdemaman.Évoquerlesbonssouvenirs.J’aimebienpenseràelle, j’enaibeaucoupdiscutéavecWest. Ilm’écoute,et j’aimeraisaussiévoquercessouvenirsavecd’autrespersonnesquil’ontconnueetaimée.Maislereste…jenepeuxpas.J’aiarrêtédeparlerpourmeprotéger.Demoi-mêmeautantquedesautres.C’estcommeçaquejem’ensuissortie.
Ellesetut,attendit.Coraleeseleva,lesyeuxpleinsdelarmes.–Nousneteforceronspasàparlerdecequetuneveuxpas,Maggie.Jetelepromets.Je
suisjuste…çafaitplaisird’entendreànouveautavoix.Là-dessus,ellesecouvrit labouchepourétoufferunsanglot.Maggiesedétendit.C’était
exactementcequ’elleavaitbesoind’entendre.Boonenousregardaittouslesdeux.–Jesupposequec’est luiquit’a incitéeàparler. Ilavaitbesoindetoi, tusavaisquetu
pouvaisl’aider?Alors,tuluiasparlé.Ondiraitquec’estunpeugrâceàtamaman.Puisilsetournaversmoi:–Elleluiressemblebeaucoup,gentilleetdoucecommeelle.Maisforte,aussi.Elleena
traversé, des horreurs… alors, si ce que vous vivez tous les deux va au-delà d’une simpleamitié,tun’asplusqu’àlachérir.Tuluifaisdumal,jetefaisdumal.Amidemonfilsoupas.
Il la protégeait. Comme un père digne de ce nom. J’avais toujours apprécié BooneHiggens,mais là, il venait de grimperd’un crandansmonestime.C’était bien le pèredontavaitbesoinMaggie.Celuiqueluiavaitdonnélanatureavaitdétruitsavie.Aumoins,Booneallaitlaprotéger.
–Oui,Monsieur, dis-je. Je sais que c’est une fille fantastique. Jamais je ne lui ferai demal.Juré.
L’airpastropconvaincu,ilsetournapourtantverselle.–J’aimaistamamanetsadisparitionnousatousbouleversés,maistoi,c’esttaviequien
aétédévastée.Nousvoulonst’aideràt’enremettre.Situveuxbien.Une larmecoula sur la jouedeMaggieet jedusprendre surmoipournepas la serrer
dansmes bras. Il fallait d’abord qu’elle clarifie sa place avec eux. Je ne pouvais intervenirmaintenant.
–Merci.Je…j’aimebienvivreici.J’aimecettemaisonetvoustousaussi.Jemesensbienici,enfinàl’abri.Mercidem’avoirdonnéunfoyer.
Bradyseleva.–Mercidem’avoirpermisdem’installerdanslasoupente,dit-ilavecunclind’œil.
Elle semit à rire et j’en éprouvai un pincement de jalousie. J’aimais la voir rire,maisplutôtgrâceàmoi.Jedevenaisunpeutroppossessif.
Elleavaitunevraiefamillemaintenant.Quiallaitentrerdanssonmonde.Maggienegarderaitpluslesilence.
***
JelaissaiMaggiepartirfairelemarchéavecsatanteCoraleeaprèsledéjeuner.Ilfallaitque jerentreà lamaison,carmamanvoulaitque jediseaurevoiràmagrand-mère.J’avaisréussiàl’éviterjusque-là.Enentrant,jem’arrêtaidevantlesvalisesquis’alignaientaupieddelaported’entrée.L’uned’entre elles appartenait àmaman. Je trouvaimagrand-mère assisetrès droite sur le canapé, les mains jointes sur ses genoux, comme si elle posait pour unephoto.Glauque.
–Tueslà?appelai-jeaulieudeparleràcettefemme.Maman apparut au coin du salon, un grand sac au bras. Elle paraissait nerveuse,
incertaine. Mon cœur se serra. Nous n’en avions pas parlé, mais j’étais sûr qu’elle quittaitLawton.
–Qu’est-cequisepasse?demandai-jesansoserentrer.Ellemedécochaunregardtristepuisdéposalesacsursavalise.–J’auraisvoulut’enparleravanttondépartcematin,maistuétaisdéjàparti.C’estbon.
Tuastavie.Surtoutn’ychangerien.Tandisquemoi…Moi,j’aibesoind’unepause.Jenemesenspasbiendans cettemaison. Je crois toujoursque tonpèrevapasser cetteporte. Ilmemanque, et c’est encore pire ici. Je voudrais me détendre ailleurs. J’aurais aimé que tuviennestoiaussi,maisentrelefootballetMaggie…jemedoutequetupréfèresrester.Jeneserai pas partie plus de quinze jours. Comprends-moi, s’il te plaît. Je ne peux passer mesjournéesiciaveccessouvenirs.
Sesyeuxs’emplirentdelarmes.–TuveuxallerenLouisiane?m’écriai-je.J’yétaisalléunefoisetjenepouvaiscomprendrecommentonpouvaitavoirenviedese
rendrechezmagrand-mère.Ceneseraitpasunvoyaged’agrément.Aveccettefemme,danscettemaison,elleavaitconnul’enfer.
–C’estlàquej’aipassémonenfance,dit-elleenessuyantseslarmes.Jesaisquetun’engardespasdebonssouvenirs,maismoi, si.Etpuis j’aibesoindeme libérerunpeu l’esprit.Cettetristesse…
C’était à elle de décider, et je ne demandais qu’à la voir heureuse. Évidemment, elledevaitpasserdesjournéesterribles,seuleici,quandj’étaisaulycée,quandjem’entraînaisoupassaisdutempsavecMaggie.Elleallaitmemanquer,maisjenequitteraispasLawton.
–Tuasdix-huitans,tuesunhommeàprésent.Tuserasbienici,enmonabsence.TuastesamisetMaggie.Situasbesoindemoi,n’hésitepasàm’appeleretjereviendrai.Maislà,ilfautquejeparte,West.Illefaut.
Jelaprisdansmesbras.Nousavionstouslesdeuxperdupapa.Maisj’avaisMaggiepourm’aideràsurmontermapeine.Ellen’avaitpersonne.
–Jet’aime,Maman.Jecomprends.Ellerenifla,meserracontreelle.–Jet’aimeaussi,etjesuisfièredetoi.Pourtant,elles’enallait.Papavenaitdenousquitter,etelles’enallaitàsontour.
41
Danssonmondedusilence
Maggie
C’étaitamusantde faire lemarchéavec tanteCoralee.Ellen’arrêtaitpasdebavarder,
posaitbeaucoupdequestions.Jenem’étaispasrenducomptequ’elleensavaitsipeusurmoi.Etçameplaisaitdeluirépondre.
En rentrant, on trouva Brady en train de jouer au basket devant la maison avec Asa,Gunner,RykeretNash.Avantd’entrerdanslamaison,tanteCoralees’arrêtapourleurdonnerdesbouteillesdesoda.Ilsvinrentviderlecoffreetportèrentlessacsàlacuisine.
J’aidaimatanteàrangerlesvictuailles,puismedirigeaiversmachambrequandGunnerm’interpella:
–Alors,tuvasnousparler,maintenant?J’avaisomisdeprierBradyderesterdiscret.Enoutre,c’étaientaussi lesamisdeWest.
Maismaintenantqu’ilssavaientquejeparlais,jenevoyaistropcommentréagir.Jenetenaispasnonplusàcequ’ilsmeposentunmilliondequestions.
–C’estbon,lançaRykerens’asseyantdanslecanapéavecunpaquetdechips.Ilnousaditdenepast’endemandertrop.Maisviensunpeuavecnous.
Jeredescendisverseux.C’étaitpréférablesijevoulaismecoulerdanslemondedeWest.–Voilàdes semainesque tuchuchotesavecWest, lançaNash,perché sur son tabouret.
J’aiessayédetefairediredeschoses,maisçan’apasmarché.Westclaquedesdoigtsetvoilàquetutemetsàparler.
–Nash!lançaBrady.–C’estbon,Maggie.Tupeuxvenirmeparlermaintenant.Gunnermefitsursauterenmeposantunbrassurl’épaule.
–Elleveutmeparleràmoi,pasvraimapuce?lâcha-t-ilavecsonarrogancehabituelle.–TuasintérêtàenlevertonbrassiWestrapplique,ditAsa.–Paspeurdelui.Ilvapastoucheràcesbrasquireçoiventsibiensonballon.–Merde,grommelaAsaenallantrejoindreBrady.– Lâche-la, lança celui-ci sans lever les yeux de la télévision. Tout ce que vous allez
obtenir,c’estqu’ellechanged’avis.–Jeveuxjustel’entendredirequelquechose,criaNash.Jepouvaisleslaisserpoursuivreindéfinimentsansémettreunson,oujepouvaisdireun
motetmettreuntermeàcettecomédie.Rassemblantmoncourage,jerépondisàNash:–Qu’est-cequetuvoudraisquejetedise?Silencedanslapièce.EtpuisNashmesourit.–Ohlàlà,Maggie,mêmetavoixestjolie!–Jemedisaislamêmechose,émitGunnersansmelâcher.–Merci,dis-jesanstropsavoircommentréagir.–Derien,mapuce.–Sérieux,repritNashl’airmauvais,enlèvetonbrasavantl’arrivéedeWest.–T’inquiètepourWest.Tuesjustejaloux.C’estcommeçadepuisqu’elleestlà.Maistu
traînestrop,mec,tuteplantes.Là, je décidai de mettre fin à cette scène ridicule. Je m’éloignai de Gunner qui laissa
tombersonbras.–Jenesuispastapuce,l’informai-je.Et,franchement,siçatenteunefille,elledevraitse
faireexaminer.–Etvoilàcommenttuluitroueslecul!s’esclaffaRyker.– Tout lemonde sait queGunner n’aime que lui-même, ajoutai-je.Une fille serait trop
naïvedecroireautrechose.Cettefois,luiaussisemitàrire.–Ellenousabienécoutésdanssonmondedusilence.–Pasbesoindebeaucoupdetempspourpigerça!ricanaAsa.– Sans vouloir changer de sujet, vous saviez queRiley Young était revenue ? demanda
soudainNashenpromenantsonregarddeBradyàGunner.Cederniersefigea,prituneexpressionglacialequejeneluiconnaissaispas.–Ellenevapasresterlongtemps,maugréa-t-ilenrepartantverslacuisine.Personnene
veutd’elleici.–Qu’est-cequetuavaisbesoindebalancercetteconnerie?fulminaBrady.Onsavaittous
qu’elleétaitrevenue.Paslapeinedelesouligner.Jel’aivueàunesoiréeilyadeuxsemaines.Je lui ai fait comprendre qu’on n’avait pas besoin d’elle ici, et puis j’ai dit àGunner que jel’avaisvue.
–Tul’asvueàunesoirée?s’étonnaAsa.Merde.Ellemanquepasd’air.
–Ellen’estpasrestée.Jenel’aiplusrevueaprès.Labrunequ’onavait croisée l’autre soir,àquiBradyavait jetéun regardnoiravantde
s’enaller.Jel’avaisoubliée.Cedevaitêtred’ellequ’ils’agissait.Maispourquoilahaïssaient-ils?
–RileyYoungn’arienàfaireici,énonçaBradycommes’ilypouvaitquelquechose.Onva le lui faire comprendre si elle essaiede revenir à Lawton.Personneneveutd’elle.Et cen’estpaslemomentd’emmerderGunner.
Onfrappaàlaporteetelles’ouvritsurWestquientraenmeregardantaussitôt.Oublianttoutlereste,jeluisouris.Impossibledem’enempêcher.
42
Jenepeuxpasêtretabéquille
West
Leweek-end passa vite. Trop vite. Je n’étais pas assez souvent à lamaison pour que
maman me manque. Je dormais dans la chambre de Maggie jusqu’à cinq heures, puis jem’éclipsais,rentraischezmoiprendreunedouche,mechangeretmangeravantderessortir.Jenepouvaispasyresterpluslongtemps.
Et puis je n’entendais plus résonner aucun rire. Avant, quand je rentrais à la maison,préoccupéparquelquechose,papaetmamanétaientlàpourm’écouter.Nosdînersdefamillemerevenaientsanscesseentêtequandjem’asseyaisàtablepourmangertoutseul.
Lundimatin,pourtant,jenepensaisqu’àMaggie.Elleallaitentamersapremièresemaineaulycée,sanslaprotectiondesonsilence.Satanteallait l’accompagnerpoureninformerleprincipal.
Je m’arrangeai pour attendre devant le bureau jusqu’à ce que Maggie et Coralee ensortent.Ladernièresonnerien’avaitpasencoreretenti,maisjemefichaisd’êtreenretardounon. Jem’inquiétais pourMaggie qui allait devoir affronter son premier cours sansmoi, ettouslesautres,d’ailleurs.
Sesyeuxs’illuminèrentquandellem’aperçut,etellevintaussitôtglissersamaindanslamienne.
–Bonjour,luidis-je,contentdesaspontanéité.–Bonjour,répondit-elleenjetantunregardverssatante.Onsevoitaprèslescours.–Bonne journéeà tous lesdeux ! lançaCoraleederrièrenousalorsqu’on filaitvers les
casiers.
–J’airegrettédenepaspouvoirt’ameneraujourd’hui,luiglissai-jedèsqu’onsefutassezéloignésdeCoralee.
–Àmoiaussitum’asmanqué.–Jevoudraisqu’onsoitensembleàtouslescours.–Çaira,dit-elleenmeserrantlamain.Promis.Je n’en doutais pas, mais ça ne changeait rien au fait que je voulais rester avec elle,
m’assurer que personne ne l’ennuyait, que personne non plus ne se montrait trop gentil…Non,jedevaismecontenir.Inutiledel’étoufferavecmapossessivité.Elleréapprenaitàvivreetjedevaislalaisserrespirer.
J’attendisletroisièmecourspourprendreconsciencequ’elleparlaitauxautres.EnvoyantVanceYoungdiscuteravecelledevantsoncasier,j’éprouvaiuncoupdesang.
J’avaishorreurdeça.Elleétaitàmoi.Elleneparlaitqu’àmoi.Jenevoulaispaslapartager.Monpèreétaitparti.Mamèrem’avaitquitté.EtjenevoulaispasperdreMaggie.–Dégage,Young!râlai-jeenl’écartantd’elle.Enmêmetemps,jepassailebrassurlatailledeMaggie.– Qu’est-ce qui te prend, West ? gronda-t-il. Tu es furieux parce que ma sœur est
revenue?Tusaisquevousn’êtesqu’unebandedeconnards?Tuignorescomplètementcequis’estpassé,cequ’elleavécu.
Çan’avaitrienàvoiravecRiley.Ça,c’étaitl’affairedeGunner,paslamienne.–Rienàfichequ’ellesoitlàoupas.Maistutouchespasàmacopine.–Jecroyaisquevousétiezjusteamis.C’estcequeSerenaadit.Jenesavaispas.–Elleestàmoi,répétai-je.Haussantlesépaules,illevalesmains.–C’estbon.Jecroyaisqu’elleétaitcélibataire.Une fois qu’il fut parti, je me tournai vers Maggie. Elle était adossée au mur voisin,
complètementimmobile.–Qu’est-cequ’ilya?Elleneréponditpastoutdesuiteetj’euspeurqu’ellenesoitprisedepaniqueaprèss’être
miseàparlerauxautres.Mais,finalement,ellelevalesyeuxversmoi.–Tuvasdevoirlaisserlesgensmeparler,West.Oui,jenelesavaisquetrop.–Tunepeuxpaslesenvoyerpromenerendisantquejesuisàtoi.Cen’estpascommeça
queçamarche.–Attends,siunautretypetedrague,jepeux.Ildevaitsavoirquetuétaisprise.Sonvisageserembrunit,ellehaussalementon.–Tuvasteconduirecommeçachaquefoisqu’ungarçonm’adresseralaparole?Sansdoute.Oui.Jehaussailesépaules.
–Qu’est-ce qui se passe,West ? soupira-t-elle. Je ne sais pas. Tu dis que je suis à toi,maisqu’est-cequeçaveutdire?
Elleplaisantait,là?Jecroyaism’êtremontréassezclairaumoinsunecentainedefois.–Tuestoutpourmoi,Maggie.Jenevoudraijamaispersonned’autre.Avecunsouriretriste,ellemecaressalajoue.– Sauf que si tu dois t’affoler chaque fois qu’un garçonm’adresse la parole, tu esmal
barré.Çanetesuffitpasquejesoistacopine?Tunepeuxpasmefaireconfiance?Jamaisjeneteferaisouffrir.
– J’ai confiance en toi, et tu es beaucoup plus que ma copine. Mais je dois aussi teprotéger.
Ellepartitd’unpetitrire.–Durestedumonde?Tunepourraspas.Ellenecomprenaitpas.Elleétaittoutcequimerestait.Laseulepersonnequej’aimaiset
quinem’avaitpasquitté.–Si,dis-jeplussèchementquejenel’auraisvoulu.Elle fronça les sourcils, l’air déçu. Je ne voulais surtout pas ça. Je l’avais déjà vueme
regarderainsietjedétestais.Jamaisjenelalaisseraistomber.Ilfallaitjustequ’ellel’accepte.Jenelapartageraisavecpersonne.Jenepouvaispas.J’avaistropbesoind’elle.
–West,ce…qu’ilyaentrenous.C’est…Ellefermalesyeux,poussaunsoupir,puis:–J’étais làpourtoiquandtuenavaisbesoin.Et jesuissansdoutedevenueplusqu’une
béquillepourtoi.Tut’énervesdèsquequelqu’uns’approchedemoioumeparle,etcen’estpasnormal.C’estmalsain.Jenet’aijamaisdonnéaucuneraisondetemontreraussipossessif.Cettehistoireentrenous,çanemarcherapassitumesurveillescommeunmalade.
Qu’est-cequeçavoulaitdire?Jevoulaisjustelaprotéger.Qu’yavait-ildemalsainàça?J’avaisledroitd’êtrejaloux.J’étaisamoureux.
–Jenepeuxpasteperdre…jen’ysurvivraispas…Ilfautquetuacceptes.Soupirantencore, elle s’écartademoi. Jedusme retenirpournepas lui saisir lebras.
Cettedistancemeterrifiait.– Ce n’est pas comme ça que j’envisageais une relation, dit-elle. Tu possèdes en toi la
forcedesurvivre.Tun’aspasbesoindemoipourça.Ellemarqua une pause en fermant les yeux comme pour retenir ses larmes. Je voulus
m’excuser.J’auraisfaitn’importequoipourchassercettetristessedesonvisage,maisellemeregardasoudainavecunedéterminationquen’altéraientpasseslarmes.
– Je crois qu’on devrait ralentir un peu. Je voulais être l’épaule sur laquelle tut’appuierais,quetuaiestoutlesoutienquejen’aipaseu.Maisjevoismaintenantqueçanousmetdansunesituationimpossible.Jenepeuxpasêtretabéquille.Jenevoulaispasqueçasepassecommeça,mais…
Portantunemainàsabouche,elleétouffaunsanglot.–Jenepeuxpascontinuercommeça,West.J’entendaiscequ’elledisait,maismonespritluicriaitdesetaire.Ellenepouvaitdireça.
Pourtant,sansmelaisserletempsderépondre,elletournalestalonsets’éloigna.Melaissantseul.Encore.
Puisellesemitàcourir.Sansseretourner.Jerestaissurplace,incapablederéagir.Unvideprofondm’arrachaitlecœuretlavie.Je
mesentaisperdu,brisé.L’uniquepersonneàquijecroyaispouvoirfaireconfiancevenaitdemelaissertomber.
43
Iln’étaitpasseul,moisi
Maggie
Je me trouvais à l’unique endroit où je voulais être. Dans ma chambre ; difficile de
mesurer combienma relation avecWest était devenuemalsaine. Encore plus difficile de lerepousser. D’autant que j’avais toujours envie d’être avec lui. Il n’était pas le seul coupabledans l’histoire. Je l’étais tout autant. C’était moi qui avais provoqué la situation. Je l’avaislaissédevenirdépendantdemoi.
Audébut,cen’étaitpasdutoutcequejevoulais.J’avaisimaginéytrouverunmoyendemeguérirtoutenl’aidant.Unmoyenderetrouverlapaix.Maisçaavaittournéàautrechose.Unechoseà laquelle jen’aurais jamais songé.Jen’avaispasprévude tomberamoureusedeWestAshby.
À présent, il fallait affronter la réalité et le laisser partir, résultat de mon stupidesentimentalisme. De l’amour. Alors queWest nem’aimait pas. Il avait juste besoin demoipoursurmontersesépreuves.Unjour, ilpourraitsepasserdemoietceseraitfini.Plusriennenousuniraitquelechagrind’avoirperduunparent.
On frappa doucement à la porte, et Brady entra sans attendre ma réponse. Son frontplissésuffitàmeconfirmerqu’ilsavait.Westluiavaitditquelquechose.J’auraispréféréqu’ilsetaise.Jen’avaisaucuneenvied’enparlerpourlemoment.
–Çava?medemanda-t-il.J’avais envie de répondre oui pour qu’il parte. Mais impossible de parler. Je haussai
seulementlesépaules.Ilhochalatêtecommes’ilcomprenaitparfaitement.–Luinonplus,çanevapas,m’informa-t-il.Tun’aspasenvied’enparler?
Non, pas envie. Plus je m’exprimerais sur cette situation, plus elle deviendrait réelle.Mieuxvalaitlagarderdansmatête.
– Il tient à toi. Je ne l’ai jamais vu se comporter comme ça avec quelqu’un d’autre.Franchement, çam’a inquiété.Mais tu en as assez bavé comme ça, sans avoir à te chargerencoredesesproblèmes.Ildoitcomprendrequ’ils’ensortirasansquetudoivest’occuperdelui.
À croire que j’avais abandonné West. Je n’aimais pas voir les choses sous cet angle.Jamaisjeneferaisunechosepareille.
–Ilétaitfurieux,cetaprès-midi,parcequ’unautremecm’avaitadressélaparole.Cen’estpas…sain. Ilmeconsidère commeunobjetqui lui appartientetqu’ildoitprotéger.Onestjusteaulycée.Cen’estpasnormal.
Bradyvints’asseoirauborddemonlit.–Jereconnaisquenon.Ilatoujourseuunsacrécaractère.Mêmequandonétaitgamins.
Jenel’excusepas,notebien.Maistuesunepersonne.Pasunedesespossessions.–Exactement.Jem’envoulaisdeparlerdeceschoses-làavecsonmeilleurami.Westn’étaitpaslàpour
sedéfendre.–Ilvoulaitvenir,repritBrady,jeluiaiditnon.Ildoittelaisserletempsdegérer.Tuas
bienfait.–Saufqu’ilesttoutseul,soufflai-je,lecœurdeplusenpluslourd.–Justement, j’yvais,ditBradyenselevant.J’aiappeléNash, ildevraitêtrelà-basdans
quelquesminutes.Ons’occupede lui.Enunmois, tuas franchidesétapesgigantesques.Tuparles,Maggie.Çaveutdirequetuguéris.Soigne-toi.Jem’occupedeWest.
Je hochai la tête, les yeux me piquaient. Il avait raison. West avait quelqu’un à quiparler.Enfait,ilavaittoutungrouped’amiscapablesdeletirerd’affaire.Iln’étaitpasseul.
Moisi.
Bradyn’était toujourspasrentré lorsque jemecouchai,cesoir-là.J’enfussoulagée.Dumomentque je savaisWestentouréde sesamis, jepouvaism’endormir sansarrière-pensée.Aujourd’hui,j’avaisdûaffronterlelycée.Demain,ceseraitWest,etmeschoix.
J’eusbeaucoupplusdemalàmelever.J’auraisvoulurestercachéedessemainesdansmachambre.Jusqu’àcequemoncœurnemefasseplusmal.J’avaistoujourssuqueWestAshbypourraitme faire dumal si je le laissaism’approcher. Je neme rendais pas compte que ceserait si douloureux. J’aurais imaginé qu’il pourraitmeplaquer pourune autre fille, ouparennui.
Tandis que là, c’était beaucoup plus dur. C’était moi qui l’avais fait souffrir. Moi. Sonregardmehantait,merappelantsanscessemadouleurenluidisantcesparolescruelles.
–Tuasfaim?J’aifaitdesgaufres,lançatanteCoraleequandj’entraisdanslacuisine.J’avaisplutôtlanausée,maiselles’étaitdonnébeaucoupdemaletjesavaisquejeserais
laseuleàenmanger.–Bradyn’estpaslà,annonçai-jeenespérantqu’elleétaitdéjàaucourant.–Jesais,dit-elleensouriant.JevaislesemporterchezWestquireçoittoussesamis.J’ai
discutéavecBradyilyaunedemi-heure.Ellevintmepasserunbrassurl’épaule,m’embrasserlefront.–Çavabien?medemanda-t-elledoucement.Jerépondisd’unsimplehochementdetête,carjen’avaispasenvied’enparler.Ellemeserracontreelle.–Danslavie,ondoitsouventfairedeschoixdifficiles.Çaneveutpasdirequ’ilssoient
mauvaispourautant.–Maiss’ilslesont?Ellemelâchapourallerprépareruneassiette.–Alors,ledestins’enmêleetvienttoutréparer.Tudoisluifaireconfiance.Jen’ajoutairien,maissesparolesenvahirentmoncerveau;pourvuqu’elleaitraison.
44
Sinontulaperdras
West
–Mamannous apporte des gaufres, lança Brady en ouvrant les rideaux sur un grand
soleil.Debout,etprendstadouche.Nashdortencoresurlecanapé.Jevaisluijeterdel’eaufroideàlafigureavantdem’enaller.C’estleseulmoyendeleréveiller.
On n’avait pour ainsi dire pas dormi de la nuit. Les amis avaient bien essayé de mechangerlesidées,maisçan’avaitpasmarché.Aumoins,jen’étaispasseul.Sinon,j’auraisfiniparmerendreàlafenêtredeMaggie.Jem’étaisdemandéplusd’unefoissic’étaitpourçaqueBradyavaitrappliquéaveclespotes.Pourm’empêcherd’allerretrouverMaggie.Commentleluireprocheralorsqu’ilétaitleseulàpouvoirm’empêcherdefairedesbêtises?
Ilm’avaitpromisde luiparler, toutenestimantqu’elleavaitbesoind’unpeude tempspouraccepterlasituationoùellesetrouvait.C’étaittropdurpourelleetj’éprouvaisunepeurinsensée.Cependant, jenesavaisabsolumentpascommentmecomporteravecelle.Ellemerendaitfou.
–TuemmènesMaggieaulycée?demandai-jeàBrady.Ilneréponditpastoutdesuite,maisfinitparpréciser:– Jevaisprendre lepetitdéjeunerà lamaison.Lesamis sonthabillésetattendentque
mamanleurapportedequoimanger.Jecroisqu’ilst’ontlaisséunpeud’eauchaude.–Commentjevaisfaire,aujourd’hui?Jen’avaispum’empêcherdelediretouthaut.Ilseretourna.–Laisse-luidel’espace.Tuvoisbienquetupeuxt’entirersanst’appuyersurelle.Ilnecomprenaitpas.Iln’avaitjamaisétéamoureux.Qu’entendait-ilparespace?Fallait-
ilquejemedétourned’elle?
–Commentça,del’espace?–Tusais,lâche-launpeu.Laisse-larespirer.–Fairecommesiellen’existaitpas?Jen’avaispum’empêcherdecrier.–Ouais,dit-il.Quelquechosecommeça.Jemelevai,lançaimonoreilleràtraverslachambre.–Merde,turigoles,là?C’estimpossible.Jenepeuxpas.Jel’aime.Jen’avaisjamaisditçaàhautevoix.Mêmepasàelle.–Sic’estça,tudoistrouverunmoyendelalaisserunpeutranquille.Sinontulaperdras.–Jel’aidéjàperdue,lâchai-jeeffondré.–Maisnon!Jeluiaiparlé,jetel’aidéjàdit.Jesaiscequ’ellepense.Tuluiasjustefait
peur.Ellecroitqu’elletesertdebéquille,etc’est tout.C’estpourçaqu’elleagitainsi.Jetejurequ’ellenesaitpasquetul’aimes.
–Sijeluidisais…– Elle ne te croira pas. Elle pensera que tu es prêt à raconter n’importe quoi pour la
récupérer.Tudoisluilaisserdutemps.Jamais je n’y arriverais. Mais je pourrais au moins faire semblant si ça pouvait la
rassurer.Ilétaittempsquej’essaieàmontourdel’apaiser,quitteàm’éloignerunpeud’elle.
AsaetGunner restèrent jusqu’à ceque jequitte lamaison. Ils voulaientm’emmeneraulycée, mais j’avais besoin du sentiment de liberté que me donnait mon volant. En fait, cefurent eux quime suivirent tout le long du trajet, à croire qu’ils voulaient s’assurer que jen’aillepasailleurs.
J’entraidanslebâtimentalorsqueretentissaitladernièresonnerie.Onallaittousarriverenretardaucours.Maiscen’étaitpascommesijelesavaisforcésàm’attendre.Jen’avaispaseulecouraged’alleràmoncasier,depeurd’yvoirMaggie.Jen’auraispaspufairesemblantdenepas la voir ; en fait, jeme seraispeut-êtremêmeabaisséà la supplierdevant tout lemonde.
Gunnermerejoignit.–Onn’arriverapasenretardsionsedépêche.Jeme fichais de prendre un billet de retard,mais le coach risquait deme faire courir
quelquessprintsaprèsl’entraînements’il l’apprenait.Lapunitiondesjoueursquimanquaientlesdébutsdecours.
–Ilfautquejeprenneunbouquin,dis-jeàGunner.Ilmemontralesien.–Onvasuivreensemble.Viens,oncourt.Je le suivis. Après l’entraînement, je voulais rentrer seul à la maison. Cette nuit, je
n’avaispaspuréfléchir.Ilsétaientgentils,maisjedevaisfairelepoint.
Gunnerentradans la salledeclasse.D’unair irrité,MmeSentlenous fit signedenousasseoir.
–Contentedevousvoir,Messieurs.JeprisplaceàcôtédeGunnerquisouriaittriomphalement.–Jetel’avaisdit!–Salut,West!lançauneblondeinconnueensetournantversmoi.Gunnerpouffaderire.–Tuvois,tuesdenouveausurlemarché.Je ne répondis ni à l’un ni à l’autre. Si je devais prouver àMaggie que je l’aimais, ce
n’étaientpaslesfillesdecegenrequirisquaientdem’aider.JefusillaiGunnerduregard.Iln’enritqueplusfort.Connard.
45
Jen’aimepasqu’onmeregarde
Maggie
Ilfaudraitbienqueçafinissepararriver.JenepourraispastoujourséviterWest.J’avais
déjàeudumalàmepasserdemoncasierpourlepremiercours.Ilétaittempsd’affronterlaréalité. Encore que son emploi du temps l’empêchait de passer dès l’heure suivante, j’avaisdoncunrépit.
Danslescouloirs,jesentaislesregardsseposersurmoi.Çaavaitétécommeçatoutelamatinée. Plusieurs filles m’avaient traitée de salope ou de pouf. De l’avis général, j’étaisquelqu’un d’horrible pour avoir rompu avecWest alors qu’il venait de perdre son père. Etquelquepart,j’étaisd’accord.
Arrivée à mon casier, je l’ouvris en hâte, mais une main aux longs ongles rouges enclaquaaussitôtlaporte,manquantmecoincerlesdoigts.
–Espècedepourriture!sifflaunevoixdansmonoreille.Jeme doutais bien que j’aurais affaire à elle à unmoment ou un autre de la journée.
Justepascommeça.JemetournaiversRaleighquimedévisageaitd’unairquasitriomphal.–Tues vraimentunegarce sans cœur, ajouta- t-elle assez fortpourque tout lemonde
l’entende.Le silence se fit autour de nous. Apparemment, on nous écoutait, et elle allait en
rajouter.Mieuxvalaitnepasluirépondre.Elleenprofiteraitaussitôt.–Rienàdire?Quoi?Turedeviensmuette?
Elle me poussa en arrière, me faisant heurter le casier, puis pointa l’index sur monvisage.Jecrusqu’elleallaitmegriffer.
–Tun’espasassezbienpourlui.Tuesunmonstre.Juste.Un.Monstre.Àl’instantoùsesonglesallaientatteindremajoue,ellefutpropulséeenarrière.–Si tuallais jouer lesconnassesailleurs? lançaNashens’interposant.Maggie t’aassez
vue.–Parcequetuladéfends,maintenant?Toi,l’amideWest?–L’undesesmeilleursamis.EtmêmesiMaggien’enétaitpasuneaussi,jeferaisçapour
lui.Jepeuxtedireques’ilt’avaitvue,là,ilauraitpétéuncâble.C’estpasent’attaquantàellequetulerécupéreras.
–Elles’estfoutuedelui!hurlaRaleigh.–Non,elle l’a sauvé.Quandpersonned’autrenepouvait le faire.Maintenant,barre-toi
avantqu’ilapprennetonpetitjeu.Parcequ’ilvavenirvoirsiMaggievabienet,ensuite,ilsechargeradetoi.
–N’importequoi!Ilabesoindemoi.Àmon grand désarroi, cette fillememettait le cœur en vrille quand je l’imaginais en
compagnie de West. Elle ou toute autre fille, d’ailleurs. C’était moi qui avais brisé notrehistoire.Luireprendraitsavie.Etilfaudraitbienquejem’yfasse.
Nash se tourna vers moi, et son air inquiet faillit m’arracher des larmes ; je détestaisattirer ainsi l’attention surmoi seulement,mais aujourd’hui, j’avais l’impression que le seulfaitderespireralertaitdéjàlesautres.
–Çava?Elleesttimbrée,oublie.Jene pus que secouer la tête.Çan’allait pas biendu tout,maisRaleighn’y était pour
rien.–Tuestoutepâle.–Jen’aimepasqu’onmeregarde.–Tusais,mabelle, soupira-t-il, ilva falloir t’y faire.J’aientenducequisedisait.C’est
mêmepourçaquejesuisvenutevoir.Pourvérifierquetut’entirais.–Merci,dis-jemalgrélaboulequimeserraitlagorge.–Prendstesaffaires.Jet’accompagneàtonprochaincours.JediraiàBradydenepluste
laisser seule ensuite ; avec l’équipe, on devrait pouvoir te protéger un certain temps. Dumoins,jusqu’àcequ’ilstrouventautrechosepours’occuper.
J’aurais aimé pouvoir dire que je n’avais pas besoin d’eux. Que je savaisme défendre.Saufquejenesavaispas.Parceques’iln’étaitpasintervenu,Raleighseraitencoreàmecrierdessus.
–D’accord,répondis-jeenretournantversmoncasier.– Il sera furieux quand il apprendra ça. S’il vient te voir, souviens-toi que ce n’est pas
contretoiqu’ilena.Ilcroitquec’estluiquiaprovoquécequis’estpasséentrevous.Ilveut
teprotéger.Ilnevapasaimercequivientdesepasser.Unelarmem’échappa,quej’essuyaienvitesse.Siseulementiléprouvaitpourmoiautre
chosequelebesoindemeprotéger…Quelquechosedeplusprofond.Passeulementledésirdem’avoirauprèsde luipourmieuxmesurveiller. J’avaisenviede représenterdavantageàsesyeuxqu’unsimplesoutien.
–Prête,dis-jeenprenantmeslivrespoursuivreNash.SansmeposerdequestionsnireparlerdeWest,ilmeprécédajusqu’àmasalledecours.
Une fois devant, je le remerciai puis entrai. Tous les yeux se levèrent sur moi, alors jeregardaimes livresetm’installaiàunbureaudu fond.Si jevoulais suivre lecours, il fallaitquejemetienneaussiloinquepossibledesautres.
46
Jeveuxt’appartenir
West
Nashentradans la salledecoursaumomentde la sonnerie. Il regardaautourde lui,
finit par me repérer et s’approcha, l’air soucieux, s’arrêta devant mon voisin, un type àlunettesetcheveuxfrisés,pourleconvaincred’unregarddeluicéderlaplace.
Dèsqu’ilfutinstallé,ilmurmura:–Ilyaeu…unproblèmedevantlescasiers…maisjel’airégléetellevabien.Moncœurseserraetjefermailespoings.–Explique.J’avaisditçatouthaut,prêtàfilertrouverMaggie.Jenerestaiàmaplacequeparceque
j’étaiscensélalaissertranquille.–Raleighl’acoincéedevantlescasiers.Pasbesoind’enentendredavantage.Jemelevaipourcourirverslaporte.–Oùallez-vous,MonsieurAshby?demandalaprof.–Jesuismalade,dis-jeavantdesortir.J’auraispeut-êtredûattendrequeNashm’endisedavantage.Parexemple,poursavoirsi
Raleighl’avaittouchéeounon.Maismoninstinctétaitleplusfort.JemedirigeaisverslasalledeMaggiequandlaporteserouvritderrièremoi.–West,attends!lançaNash.–JevaischercherMaggie.–Ellevabien,jetedis.–Raleighl’atouchée?Ilneréponditpasetj’entiraimesconclusions.
–Ellevoulaitprendre tadéfense,à sa façondélirante.Les fillesdu lycéeenontconcluqueMaggieétait l’ennemiepuisqu’elleavait rompuavec toi.Tuenascertainemententenduparler.Çadevaitarriver.Ilfallaitbienquequelqu’unlaconsole.
Là,jem’arrêtai.–Quoi?demandai-jeincrédule.–Quoi,quoi?–Qu’est-cequ’ellesontdit?–Lesfilles?Jefisouidelatête.– Des vacheries sur Maggie. Elle ne réplique pas ; elle garde la tête basse. Je l’ai
accompagnée à son cours et j’ai envoyé un texto à Brady pour qu’il aille la chercher audéjeuner.Maisilsvontviteselasser.
–Attends,dis-je,bouillantdecolère.Tudisqu’onaracontédesmerdestoutelajournéesurMaggie.Àcausedemoi?
–Oui,maisjecroyaisquetulesavaisentendues…Si je les avais entendues, je les aurais fait taire. Pour quime prenait-il ?Mes propres
amisnes’étaientpasaperçusquejel’aimais?JemeprécipitaiverslaclassedeMaggie,m’arrêtaidevantlaporte,inspiraiuncoup.Mes
émotionsmesubmergeaient.Jenevoulaispasluicauserdechagrin,pourtant,ilsemblaitquec’étaittoutcequej’arrivaisàfaire.Elles’étaitéchappéeparcequejemeconduisaiscommeundébile.Jem’accrochaisàellesansmepréoccuperdesdémonsquidevaientl’habiterelleaussi.Elleavaitbesoindemoiettoutcequej’avaisfait,c’étaitmeservird’elle.
J’allaismaintenantluioffrir l’épaulesurlaquelleellepourraitpleurer.Jevoulaisqu’elles’appuieunpeusurmoi,pourchanger.Etencoreplus.
Ouvrantgrandlaporte,jeparcouruslasallejusqu’àrepérerMaggie,touteseuleaufond,commeprêteàsefaufilersoussonbureau.
–Vousdésirez,West?demandaM.Banks.–S’ilvousplaît,Monsieur,ilfautquejevoieMaggie.–Euh,bon…sivousvoulez.Maisfaitesvite.Jemeretournaiverselle.Si jepouvais l’implorerduregard…Ellese levalentementet
vintmerejoindre,lesyeuxrivésverslesol,lespoingsserrésdevantelle.Inquiète.Cequejen’auraisjamaisvouluprovoquerenelle.
Quand elle fut arrivée à ma hauteur, je reculai pour la laisser passer dans le couloir,avantderefermerlaportederrièrenous.
–Çava?luidemandai-jeenm’interdisantdelaprendredansmesbras.–Çava.–JevaisparleràRaleigh.Ellenet’embêteraplus,juré.–Tusais,elletientàtoi.Ellevoulaittedéfendre.
Non, Raleigh ne tenait qu’à elle-même. Je n’entrais pas en ligne de compte. Elle avaittrouvéunangled’attaquecontreMaggieets’yétaitimmédiatementengouffrée.
–Sielletenaitàmoi,ellenet’auraitpastouchée.Quandontientàmoi,onteprotège.CommeNash.
Elle leva les yeux vers moi, et j’eus l’impression d’y voir se refléter les émotions quej’essayaismoi-mêmedesurmonter.
–Jenevoulaispastefairedemal,ajoutai-je.–Jesais.Maismoijet’enaifait.Jen’aipasétécelledonttuavaisbesoin.Détournantlesyeux,elleparcourutlecouloirduregard.Sansplusmeretenir,jeluipris
lamain.–Tuavaisraison.Jemesuisappuyésurtoipourtenirlecoup.Jenetedonnaisriende
mon côté. J’étais juste obsédé par l’idée de te garder avec moi. Je me disais que tum’appartenais.Etçanet’aidaitpas.Jevoulaisjustetegarder.
Elleneréponditpas,maisneretirapassamainnonplus.– On s’est rapprochés parce que tu parvenais à écouter, à comprendre ce que je
traversais.C’estvraiquetuesdevenuemabéquille.Jevoulaisresterprèsdetoipourprofiterdetaforceextraordinaire.
Ellerenifla,toujourssansmeregarder.–Maisleschosesontchangé.Oui,tuesdevenuequelqu’unsurquijepouvaism’appuyer,
mais aussi autre chose. Je ne cherchais plus qu’à entendre ta voix, qu’à voir ton sourire et,par-dessustout,àt’écouterrire.J’adoretonrire.J’aimaistoutentoi.Jen’auraisjamaisdû…
Jem’interrompis.Ilfallaitsurtoutquejeneracontepasn’importequoi.Quejenegâchepastout.C’étaitimportant.Madernièrechancedetoutarranger.
–Cettenuit-là…oùonacouchéensemble…Maggie,je…Ilfallaitqu’ellemeregarde.Jeluiglissaiundoigtsouslementon,lesoulevaijusqu’àce
quenosregardssecroisent.– Maggie, je savais alors que je t’aimais. Je ne te le disais pas parce que j’étais trop
bouleversé. Jene t’aipas fait l’amourpourme rassurermaisparceque jevoulaisêtreaussiprochedetoiquepossible.Parceque,mêmesijevenaisdeperdremonpère,jevenaisdeterecevoirdansmavie.Toi,quim’aidaisàmesentiraccompli.Quimedonnaisuneraisondesouriretouslesjours.Etjemesuislaisséunpeualler,jeperdaisl’espritaveccebesoindeteretenir.Jeneveuxpasteposséder,Maggie.Jeveuxt’appartenir.Jeveuxteconsacrertoutletempsdonttuasbesoin.Maistudoisavanttoutsavoirquejesuisamoureuxdetoi.
Jelaissairetombermondoigt,luilâchailamain.Elleneditrien,sesgrandsyeuxemplisdelarmes.Jedusfaireappelàtoutemavolonté
pourlalaisserlàetm’enaller.
47
Unedeuxièmechance?
Maggie
Ilm’aimait.
Toutcequ’ilavaitditétait…cedontj’avaisbesoin.La tristesseet ladouleurqui s’étaient installéesenmoi s’envolèrent.Westm’aimait. Je
n’étaisplusunecompensationdevantsondeuil.–Attends!criai-je.Il étaitpartiderrièremoi,déjàaumilieuducouloir. Il s’arrêtaet,une seconde, je crus
qu’il n’allait pasme regarder. Et puis si, de ses yeux brillants d’espoir. Tout l’espoir que jepouvaisvoirdelàoùj’étais.
J’insistai:–Jenevoulaispasquetuteréveillesunjourent’apercevantquetun’avaisplusbesoin
demoi.Jen’auraispassurvécuàcettedouleur.J’envoulaisplus.Jesuis tombéeamoureusedetoi,etçameterrifiait.
Il revintversmoiàgrandesenjambées, sansmequitterdesyeux.Arrivédevantmoi, ilmepritlevisagedanssesmains,meregarda.
–Merci,monDieu!souffla-t-ilavantdem’embrasser.Jem’accrochaiàsesépaulesenlaissantmeslarmescouler.Illesessuyadespouces,nos
languesserencontrèrentavecavidité.–Jecroyaisquetudevaislalaissertranquille!lançalavoixdeBrady.Jemeredressaipourapercevoirmoncousinderrièrel’épauledeWest;iln’avaitpasl’air
tropmécontent.Westluisourit,meposaunbaisersurleboutdunez.
–Ondiraitquenon,luirépondit-il.–Dumomentqu’elleestcontente!répliquaBradyenriant.Nosregardssecroisèrent;ilsemblaitguetteruneconfirmationdemapart.–Jesuistrèsheureuse,assurai-je.–Bon,dit-ilens’adressantdenouveauàWest.Prouve-moiquetulamérites.–Promis.–Tantmieux,parcequesijenepeuxpasbotterlesfessesdeRaleigh,jepeuxbotterles
tiennes.Cettefois,cefutmoiquiéclataiderire.
Ce soir, j’avais rendez-vousavecWest.Unvrai rendez-vous.Comme lesautres couples.
Commenousn’enavionsencorejamaiseuensemble.Çacommençaità sevoirquandoncleBoone luidemandaoùonallaitet lui rappelade
veillersurmoi.C’étaitsansdoutepourçaque j’auraispréférém’échapperpar la fenêtre.Enrevanche,çanesemblapastroublerWestquiparaissaittoutcontent.
Pendantletrajet,iltapotalaplacedumilieu.–Vienstemettrelà.Cequejefis,pourmeretrouveraussiprèsdeluiquepossible.–Tun’aspasdemandéoùonallait,reprit-ilenposantunemainsurmajambe.–Parcequeçam’estégaltantquejesuisavectoi.–Çameditquelquechose,commenta-t-ilensouriant.Jeposailatêtesursonépaule.–Alors,dis-moioùonva.–J’avaisplusieurs idées,en fait,maisaucunenemesemblaitcolleravecnotrepremier
rendez-vousofficiel.Cequinerépondaitpasàmaquestion.Encorequeçam’étaitégal,maisilavaitattiséma
curiosité.–Çanerépondpasàmaquestion.Ilmedéposaunbaisersurlatête.–Sijeteledis,tun’auraspluslajoiedeladécouverte.Ducoup,jeregardailaroutepouressayerdedeviner.Iln’yavaitpasdesoiréeorganisée
cesoir.Àquoijouait-il?Ilsegaradanslaclairièreetcoupalemoteur.Ilregardauninstantdevantluiavantdese
tournerversmoi.–C’est là que je t’ai vuepour lapremière fois. Je t’ai trouvée jolie.Tu t’endoutes.Tu
m’as tout de suite plu. Mais j’avais laissé maman seule avec mon père malade et çam’inquiétait. Jem’envoulaisunpeu,enmêmetempsçam’énervaitparceque jenepouvaisresteravectoi,profiterdumoment.Maismonpères’enallaitdoucementetj’étaisterrifié.
Marquantunepause,ilmepritlamain.
–Cesoir-là,j’étaisanéanti,prêtàtoutlâcher.Madouleurdevenaitincommensurable,etjen’avaispersonne…Etpuistuesvenue.
Je sentis mes yeux picoter. Tant de choses s’étaient passées depuis notre rencontre.C’était sansdoute sadouleurquinousavait réunis,mais je l’auraisdétruiteenun instant sij’avaispu.Mêmesi,pourça,jedevaismaintenantmepasserdelui.
–Jen’aisongéqu’àmoi,cettenuit-là.Audébut,tunereprésentaisqu’unedistraction.Tuétaissuperbe,silencieuse,cachéedansl’ombre.Jevoulaismeperdreentoi.Et,àunmoment,je n’ai fait que ça. Le goût de tes lèvresm’a paru plus doux que tout ce que j’avais connu.Pendant une seconde, j’en ai oublié mon chagrin. Mes peurs. Ma colère. Pour ne plus quesavourertaprésence.
Ilmepritlamain,labaisaavantdelaretournerpourm’enembrasserlapaume.– Je ne me rendais pas compte à quel point tu m’étais précieuse ; je venais juste de
trouvercellequiallaittantmesoutenir,m’aideràguérir,etjenem’enrendaispascompte.Jete remercie de t’être ouverte à moi, de m’avoir parlé. Ça me fait mal de penser que tupourraisn’êtrepluslà.Sanstoi,jamaisjen’auraisputenirlechoc.
Unelarmemeglissasurlajoue,qu’ilattrapad’undoigt.–Tuesdevenue lapartie laplus importantedemavie.Jeneveuxpasque tu teposes
seulementlaquestionetj’aimeraisrevivrecettepremièrenuitoùons’estrencontrés.Donne-moiunedeuxièmechance
Unedeuxièmechance?–Quoi?luidemandai-jesanscomprendre.Ilouvritsaportière,descendit,contournalepick-upetvintmechercher,lamaintendue.– Une deuxième chance, répéta-t-il avec un clin d’œil. Pour que les choses se passent
bien, il faut que tu ailles te mettre sous cet arbre, et que tu sois aussi renversante qued’habitude. Après quoi, on reprend les gestes de ce soir-là. Mais au lieu d’être blessé etfurieux, jeserai le typequetuméritais.Celuiquetuasguéri.Saufque je t’emporteraiavecmoisivitequetunesaurasmêmepascequit’arrive.
Cettefois,jerisalorsqu’uneautrelarmem’échappait.Jeretournaiversl’arbreoùj’avaisreçu mon premier baiser. Ce soir-là, je m’étais sentie trop seule, jusqu’à ce que West seprésente…Ilavaitilluminémonmonde,sanss’enrendrecompte.Aupointqu’ilcroyaitdevoirrecommencer.
Jen’étaispasd’accord,maisj’acceptaiquandmême.Il leva lepoucequandilestimaque j’avaisreprismaplaceexacte.En levoyantrevenir
aveclamêmedémarche,j’eusenviedepoufferderire.Çamesemblaitunpeununuche,maisc’étaittropmignon.Jedevaislereconnaître.
–Qu’est-cequetufaislàtouteseule?Lafêteestlà-bas.Jeretinsunautrerire.–Là,jedoisparleroumetaire?Jeneparlaispas,àcetteépoque.
–Tuesnulleendeuxièmeschances,ondirait,souffla-t-ilcontremabouche.–Tun’aspasététrèsclairnonplus!dis-jeenriant.Ilm’embrassalecoindelabouche.–Tantpis,onpasseaumeilleurmoment,murmura-t-il.Là,jesuistrèsbon.Etdemecouvrirlabouchedelasienne.Le premier soir, je ne savais pas trop. Les choses avaient tellement changé depuis. À
présent, je savais exactement que faire. Je glissaimesmains sur ses bras, j’adorai les sentirfrémiràcecontact,jeremontaiverslesépaules.
Nos langues dansaient et se taquinaient tandis qu’il promenait les doigts à l’entrée demonT-shirt,pourmecaresserlapeau.Çanes’étaitpaspasséainsilapremièrefois.Mais,cesoir,c’étaitcequejevoulais.Jeremontailesmains,lescroisaisursanuque,soulevantainsilesbordsdemonhautcommepourmieuxtenterWest.
Ilnesefitpasprier.Quandilattrapamapoitrinedanssespaumes,jenepusretenirunpetitcri.J’adoraisles
sensationsqu’ilmeprocuraitencemoment.Ilreculatropbrusquement.– Si j’avais fait ça ce soir-là, tu m’aurais sans doute mis un coup de genou dans
l’entrejambe.–Jemeseraisplutôtévanouie.Ilmecaressaitàtraverslesatindemonsoutien-gorge.Jefrémis,m’agitai,essayantd’en
obtenirdavantage.–Ondevraitprendrenotretempspourcettepartie,soupira-t-il,leregardbrûlant.–Jecroyaisquec’étaitçaquetuavaisprojeté,dis-jelesyeuxfermés.–Non,ceseravachementmieux.
48
Prendstouttontemps
West
Quinzejoursplustard…
OnsetenaitlamaindanslamaindevantlatombedelamèredeMaggie.Cettenuit-là,aprèslematch,onn’étaitpasalléscélébrerlavictoireaveclescopains.Onavaitprisnossacsetonétaitpartis.Maggienes’étaitplusrenduesurlatombedesamèredepuislesobsèques,dontellenegardaitpourainsidireaucunsouvenir.Unefoisqu’ellem’eutconfiéça,j’avaistoutdesuitevoulul’emmenerlà-bas.
J’allaissurlatombedemonpèretouslessamedismatin,pourluiraconterlematchdelaveille.Çam’aidait.Jelesentaisprochedemoi,mêmes’iln’étaitpaslà.
LamenottedeMaggieseretiradelamienne.Bradynousattendaitdanslepick-up.Sanssa présence, l’oncle et la tante de Maggie n’auraient jamais accepté qu’elle s’en aille deuxjours.
–Jevoudraisparlertouteseuleàmaman,dit-elledoucement.Jemepenchai,l’embrassaiaucoindelabouche.–Prendstouttontemps.Puis je la laissai affronter son passé et son chagrin. J’aurais aimé rester auprès d’elle,
maisjen’allaispaslaforcer.Ilfallaitjustequejesoislàquandelleavaitbesoindemoi.–Tulalaissestouteseule?demandaBradyquandj’ouvrislaportière.–Ellemel’ademandé.Dansunsoupir,ilmetenditsontéléphone.–Tiens,jeviensderecevoircetextodemonpère.Iln’apasappelé,carilavaitpeurque
Maggiel’entende.Ilsveulentl’avertir.
Jelusplusieursfoislemessage,unebouledansl’estomac.Sonpères’étaitpendudanssacellulelematinmême.Onneprécisaitpascommentils’y
était pris.Maggie se comportait comme s’il était déjàmort,mais àquelpoint en serait-elleaffectée ? Elle en avait tant vu que j’aurais préféré lui épargner cette nouvelle. En mêmetemps,elleavaitledroitdesavoir.
–J’ai rappelé.LepèredeMaggieaurait laisséune lettre.Papa ira lachercher.Onn’estpassûrsqu’elledoivelalire,alorsqu’ellerecommencejusteàvivreunevienormale.
–Neluiditesriensansmoi.–Promis.Un jour, on considérerait cette époque avec un peu de recul. J’avais hâte de m’y
retrouver.
49
Jepleuraispourmoi
Maggie
Jem’étais endormie durant le trajet de retour, la tête sur l’épaule deWest qui avait
passésonbrasautourdemoi, laissant sesdoigts jouerdoucementdansmescheveux.Jemesentaisbien,àl’abri.J’enavaisbesoinaprèsavoirrenducettevisiteàmamère.
Je n’y étais pas vraiment préparée. C’était une chose de savoir que son corps reposaitsous terre. C’en était une autre de voir sa tombe. Lamain deWest sur la miennem’avaitdonnélaforcequ’ilmefallaitpourfaireface.Unefoiscertainequejen’allaispasm’effondrer,jeluiavaisdemandédemelaisserseuleavecellepourpouvoirluiparler.
Alors, j’avais raconté à maman ma vie avec oncle Boone, tante Coralee et Brady, encommençantparlejourdemonarrivéepuisenévoquantlesprincipauxépisodesquiavaientsuivi.ParticulièrementsurWestetsonpapa.Enterminant,jeconstataiqueWestavaitraison,jelasentaisplusprochedemoi,maintenant.
–Papam’envoieunautreSMS,murmuralavoixdeBrady.Ilveutlaprévenircesoir.«La»,c’étaitmoi?Dequoiparlaient-ils?SentantWestsecrisper,jenebougeaipas,lesyeuxclos.–Illuifautunpeudetemps,répondit-ilàvoixbasse.–Jevois, reconnutBrady.Jevaisparleràpapa.Tamère t’attendà lamaison, jecrois,
non?Samèreétaiteffectivementrentrée,maiselleavaituncomportementbizarreetjevoyais
queçainquiétaitWest.Elleétaitpartietropbrusquementaprèslamortdesonépoux,laissantson fils tout seul. Ça ne lui ressemblait pas. Maintenant, elle était là, mais semblaitdésorientée,oubliantdeschoses,brûlantdesplats,dormantlamoitiédelajournée.
–Oui,elleestlà,ditWest.L’inquiétudesepercevaitdanssavoix.J’avaisenviedeleserrerdansmesbras,deluidire
quetoutiraitbien.Maisjenepouvaispas,carj’ignoraiscequisepassait.J’attendis dans l’espoir qu’ils parlent davantage de ce que mon oncle avait à me dire.
Commeilsn’enfaisaientrien,jefinisparm’étireretmeredresser.–Ilseraittempsdeteréveiller,metaquinaBrady.Tuasdormipresquetoutletrajet.Westsemitàrire,puism’attiraverslui,m’embrassasurlefront.–Fiche-luilapaix,c’estunjourdifficilepourelle.Ilsavaitcequ’oncleBooneavaitàmeraconter.Sijeleluidemandais,ilmeledirait.Je
levailatêteverslui,leregardaidanslesyeux.–Merci,dis-je.–Derien.Il n’avait pas besoin d’en dire davantage, car je comprenais ce que ça signifiait. Qu’il
feraitn’importequoipourmoi.Toutcequejeluidemanderais.–Onarrêtelàlesamabilités?marmonnaBrady.Vousn’êtespasseuls,nonplus.Westmedécochaunsouriremalicieux.J’adorais.Unefoisarrivé,ilpassachezluivérifieroùenétaitsamère,tandisquejedescendaisvoir
mon oncle Boone. Ni Brady ni West ne m’avaient rien dit ; je savais que c’était pour meprotéger,maisjetenaisàsavoirdequoiils’agissait.
OncleBooneétait installédanssachaiselongue,unlivreentrelesmains.Ilmeregardapar-dessus ses lunettes. Je surprisunebrève lueurd’inquiétudedans sesyeux, vitemasquéeparunsourire.
–Tuasfaitunbonvoyage?demanda-t-il.– J’en avais besoin.De la voir.Mais je voudrais aussi savoir ce queBrady etWestme
cachent.Ilfronçalessourcilsetreposasonlivre,ôtaseslunettes.–Tuasdéjàeuunejournéeéprouvante,Maggie.Certes.Ilavaitraison.Pourtant, ça ne changeait rien au fait que j’avais le droit d’êtremise au courant quand
j’étaisconcernée.–Jeveuxsavoir.Ilmefitsignedem’asseoirenfacedeluisurlecanapé.Visiblement,iln’avaitpasenvie
dem’enparler;jemedoutaisjustequeçaavaitquelquechoseàvoiravecmonpère.Lesmainsserréessurmesgenoux,j’attendis.–C’esttonpère…finit-ilpardireaprèsunlongsilence.Cettefois,mapeurdevenaitpalpable.–Ilestmort,Maggie.Onl’atrouvécematin.Ilestmort.
Parolesqui auraientdûentraîner tristesse, affolement,douleur ; jen’enéprouvai qu’unsentiment de vide. J’avais envie de ressentir aumoins du soulagement, mais même pas. Ilm’avaitprivéedemamèreetavaittoutgâché.J’avaispresqueenviedemeréjouirdeneplusjamaislerevoir.
Maisnon.Alors,jerestaislà,àmerépétercesmotsdansmatête.C’étaitfini.Ilestmort.Lesbonssouvenirsquejegardaisdeluinepouvaienteffacerlesmauvais,latristesse,les
regrets.Mamère avait représentépour lui unbel objet qu’il voulait posséder.Cequi avait fini
par lui arriver, avant qu’il ne s’en débarrasse comme si elle n’était plus rien. Elle l’aimait.J’avaisvudanssesyeuxcombienellecherchaitàluiplaire.Maisriendecequ’ellefaisaitnelui suffisait plus.Ellene représentait pas cequ’il avait espéré,pourtant, il n’avait paspu lalaisserpartir,vivresavie.Ilnel’avaitgardéequepourfinirparladétruire.Elle,etnousavecelle.
J’avaistoujourscruqu’ilm’aimait.Ilarrivaitmêmequejemesentechérie,adulée.Jemedemandaissimamèreavaitconnucebonheur.Sic’étaitpourçaqu’ellel’aimaittant.Maisiln’étaitpasdignedenotreamour.
Jel’avaishaï.J’avaissouhaitésamort.Etvoilàquec’étaitarrivé.Jen’engardaisqu’unsentimentdevide.–Maggie,jesaisquec’étaittonpère.Quoiqu’il…– Non, dis-je en l’empêchant d’en dire plus. Non ! Ce n’était pasmon père. Il a cessé
d’êtremonpèrelejouroùilm’aprismamère.Nedispasquetucompatis,nedispasquej’ailedroitdelepleurer,parceque,àmesyeux,ilestmortdepuisdeuxans.Cecinefaitqueleconfirmer.
Oncle Boone n’essaya pas d’en dire davantage. Je me levai, me précipitai vers machambre.Oùjepourraismeretrouverseule.Oùjen’auraispasàparler.
Quelquesminutesplustard,tanteCoraleevintfrapperàmaporte.Jeluiassuraiquetoutallaitbienetvoulaisjusteêtreseule,neparleràpersonne.
Ellen’insistapas.Uneheureplustard, lafenêtredemachambres’ouvraitetWestseglissaitàl’intérieur,
levisageanxieux.Je le regardaidepuismon litoù j’étaisassise,mesgenouxpliéssousmoi.Meslarmessemirentàcouler.
Ils’assitprèsdemoi,mepritdanssesbras,etj’éclataiensanglots.Unefoisblottiecontrelui,jepouvaispleurersurtoutcequej’avaisperdu.Toutcequejen’auraisjamais.Jepleuraismamère, les circonstances tragiques de sa mort. Je pleurais pourWest et son père. Et jepleuraispourmoi.
Épilogue
West
Cene futquechezBrady,en regardantdevieuxalbumsdephotosquelques semaines
plustard,quejecomprisquielleétait.CelaremontaitàNoëlenclassedecinquième.BradydevaitserendredansleTennessee
pourypasser les fêtesenfamille,et il suppliasamèredem’emmener.J’yétaisdéjàallé, jesavaisàquelpointc’étaitbarbant,maisjenepouvaispasrefuserçaàmonmeilleurami.
On emportait toujours un ballon de football pour jouer dehors, même sous la neige,pendantlafête.Laseulefoisoùonsemêlaitauxinvités,c’étaitpourmanger.Iln’yavaitpasd’autres enfants avec nous, juste une fille. Je l’avais déjà vue quelques années auparavant,maispascetteannée-là.Encorequejenelacherchaispasvraiment.
Bradyétaitrentrépouraidersonpèreetj’avaisdécidédevisiterlamaison.Jen’allaipasloin, car j’entendis des pleurs. J’hésitai à entrer dans la chambre, espérant que celle quil’occupaitnem’avaitpasaperçusurleseuil.Maisellelevalatêteetlesplusbeauxyeuxvertsdelaterreseposèrentsurmoi.Delongscheveuxnoirsluiencadraientlevisage.Cettepièceroseetargentfaisaitpenseràuncontedefées.Çaluiallaitbien.
Ellecontinuademeregarderenreniflant.Jenesavaispas tropsiellevoulaitque je lalaisseseuleouquejeluidemandesi jepouvaisfairequelquechose.Mamèrenem’avaitpasenseignéàfuirdevantunefillequipleurait,alorsj’allaim’asseoiràcôtéd’elle.
–Qu’est-cequisepasse?luidemandai-je.C’estNoël.J’espéraisainsilaconsolerunpeu.Jenementionnaipaslefaitqu’ellemefaisaitpenserà
uneprincesseetquejen’enavaisjamaisvupleureràlatélévision.Elles’essuyalevisageenreniflantencore.–Ondiraitpas,bredouilla-t-elle.
– Attends, avec tous ces chants, cette décoration plus lumineuse que toute la ville deLawton?TutecroispasàNoël?
Elledétournalesyeux,levisagetriste.–Çaveutriendire.Leschosesetlesgensneressemblentpastoujoursàcequ’oncroit.Quelâgeavaitcettefille?Elleparlaitcommeuneadulte,pourtant,ellen’étaitpasplusâgéequeBradyetmoi.–Unedetesamiest’aembêtée?demandai-je.Jeconnaissaisleshistoiresdefilles.Çan’arrêtaitpas,àl’école.–J’aimeraisbien,murmura-t-ellesansmeregarder.Jecommençaisàenavoirassezd’essayerdelarassurer.–Celuiquit’embêtenevautpaslapeinequetupleuressifort,dis-jeàtouthasard.Ellefinitparmeregarder.–Onnechoisitpastoujours lesgensavecquionvit,parexemplesesparents.Etonne
peutpasdécideràleurplace.Cen’estpassisimple.C’estmonpère.Jel’aime.Jedoisl’aimer.Pourtant, il lui fait dumal. Elle passe sa vie à essayer de lui plaire,mais il s’en va tout letempsavecquelqu’und’autre.Commecesoir.Ildevraitêtrelà.Ilavaitpromis.
J’ignorais cequeçapouvait faire.Mesparents s’aimaient,et jenevoyaispasmonpèrefairedumalàmamère.Ilsemblaitquecen’étaitpaslecaspourcettefille.Etjenel’enviaispas.Mêmesisamaisonétaitplusgrandequel’égliseoùj’allaisledimanche,plusgrandequecelledeGunnerLawton.
–Ouais,dis-je,c’estnul.–C’estnul,répéta-t-elle.Cefut làqueBradym’appelaet,commejenesavaisplusquedireouquefaire, jem’en
allai.Pendantlerepas,jen’arrivaipasàcroisersonregard,carjem’envoulaisdenepouvoirl’aider.
Etdeconnaîtresessecrets.On se retrouvait tous les deux sur la photo prise ce soir-là. En revoyant son visage de
petite fille, je fus envahi de souvenirs. J’avais complètement oublié cette fille et ce qu’ellem’avaitdit.MaisjemerappelaisavoirremerciéDieu,àceNoël-là,pourmesparents.Jemerendaiscomptedelachancequej’avais.
–C’étaittoi,luidis-je,encoreémuparlapetitefillequ’elleavaitété.Elleavaitpartagésessecretsavecungarçondébilequin’avaitrienfaitpourlaconsoler.Elle fronça lessourcilscommesiellenevoyaitpasdequoi jeparlais, jusqu’àcequ’elle
paraissesesouvenir.– Oh,mon Dieu ! J’avais oublié… J’étais tellement bouleversée, cette nuit-là.Mais ce
n’enétaitqu’uneparmitantd’autres.Ellepromenaundoigtsurlaphoto,arrivasurmonvisage.
–Tuétaislaseulepersonneàquij’aiejamaisracontéça.Etjeregrettedenepasenavoirparléàd’autresgens.Çaauraitpeut-êtrepulasauver.
Jel’attiraicontremoi.Jen’allaispaslalaissers’appesantirsursesregrets.–Tun’étaisqu’uneenfant.Onl’étaittouslesdeux.Onnesavaitpasquoifaire.Tuaimais
tonpère.Net’enveuxpaspourunechosesurlaquelletun’avaisaucuncontrôle.Ellereposalatêtesurmonépauleetsamainsurmapoitrine.–Merci,murmura-t-elle.Jel’embrassaisurlefront.–Jet’aime.–Moiaussijet’aime,répondit-elle.Onm’avait toujoursditquemonavenir résidaitdans le football,que j’allaisdevenirun
joueur adulé. Et c’était ce que je désirais. Jusqu’à ce que je rencontre quelqu’un qui avaitbesoindemoi.Etcomprennequelaseulepersonnedequijevoulaisêtreadoré,c’étaitelle.
Remerciements
DepuislafindelasériedesVincentBoysen2012,j’avaisenviederetrouverlesvendredissoirdu lycée, lesmatchsde football, lespremièresamours, lespremiers chagrins.L’histoiredeWestetMaggieprenaitformedansmatêtedepuistrèslongtemps.Jesuisheureused’avoireulapossibilitédel’écrire.J’enaigoûtéchaqueminute.
Ungrandmerciàmonéditrice,SaraSargent.Elleasupportémavéhémencetandisquejerédigeaiscettehistoire.Ellem’aécoutéeetjesuispersuadéeque,grâceàsonaide,celivreest devenu aussi bon que possible. Je voudrais également mentionner Mara Anastas, JodieHockensmith,CarolynSwerdloff,ettoutel’équipedeSimonPulseteam,pourleurtravaildanslebutdesortirmonlivre.
Merci à mon agent, Jane Dystel. Elle est toujours là pour moi quand j’ai du mal àprogresserdansmon texte, quand je dois faire une pause ou simplement si j’ai besoin d’unconseilpourtrouverunbonrestaurantàNewYork.Jesuisheureusedepouvoircomptersurelle.
Quand j’ai commencé à écrire, je n’aurais jamais cru qu’un tel groupe de lecteurss’assembleraitdans le seulbutdemesoutenir.L’arméed’Abbi,menéeparDanielleLagasse,m’honoreetm’offreunrefuge.Quandj’aibesoindemechangerlesidées,cesdamessontlà.Jevousaimetoutes.ÀNatashaTomicetAutumnHullpouravoirlulespremiersjetsdemeslivresetm’avoirpermisdelesaméliorer.Sanselles,jeseraisperdue.Jevousadore.
À Colleen Hoover et Jamie McGuire pour avoir toujours été là et m’avoir comprisecommepersonned’autre.Ellesconnaissenttoutesdeuxmespiresdéfautsetm’aimentencore.Ellesm’acceptentet,danscemonde,ilestdifficiledetrouverquelqu’unàquisefier.
Enfinetsurtout:mafamille.Sansleuraide, jeneseraispaslà.Àmonmari,Keith,quis’emploieàceque jenemanque jamaisdecafé.Àmes troisenfants, si compréhensifs,bienqu’une fois sortie de ma caverne d’écriture, je leur accorde toute mon attention. À mes
parents quim’ont toujours soutenue,mêmequand jeme suis lancéedansdes sujets unpeuchauds.Àmesamis,quinemedétestentpasquand je faispassermon travailavanteux. Ilsformentmonplusfortgroupedesoutien,etjelesaimebeaucoup.
Àmes lecteurs. Je n’aurais jamais cru en avoir autant.Merci de liremes livres, de lesaimeretd’enparlerautourdevous.Sansvous,jeneseraispaslà.C’estaussisimplequeça.