Οι Αλβανοί Στο Μεσαίωνα

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    1998

  • NATIONAL HELLENIC RESEARCH FOUNDATION INSTITUTE FOR BYZANTINE RESEARCH

    INTERNATIONAL SYMPOSIUM 5

    THE MEDIAEVAL ALBANIANS

    ATHENS 1998

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    1998

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    ..., 1959.

    1514 / 85 .

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    48, 116 35 : , 60, 106 72 . FAX: 36 06 759

    Editor: Charalambos GASPARIS

    The National Hellenic Research Foundation Centre for Byzantine Research Vassileos Constantinou 48, 116 35 Athens

    Distribution: ESTIA, Solonos 60, GR-106 72 Athens. Fax: 36 06 759

    ISSN 1106-8949 ISBN 960-371-004-0

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    Alain DUCELLIER, Les Albanais dans l'empire byzantin: de la communaut l'expansion 17-45

    Khristo FRASHERI, Les Albanais et Byzance aux VIe-XIe

    sicles 47-57

    Pellumb XHUFI, La "Debizantinizzazione" dell'Arbanon 59-77

    II. Helen SARADI, Aspects of early byzantine urbanism in Albania 81-130

    Marie SPIRO, Vergil in Albania: an early byzantine mosaic pavement at Arapaj 131-168

    Eleonora KOUNTOURA, The presence of the province of Epirus Nova in the so-called Notitia of the Iconoclasts 169-176

    Constantin G. PITSAKIS, Questions "albanaises" de droit matrimonial dans les sources juridiques byzantines 177-194

    Sima CIRKOVIC, Tradition interchanged: Albanians in the Serbian, Serbs in the albanian late medieval texts 195-208

  • Barisa KREKIC, Albanians in the Adriatic cities: observations on some ragusan, Venetian and dalmatian sources for the history of the Albanians in the late middle ages 209-233

    Maria DOUROU-ELIOPOULOU, Les "Albanais" dans la seconde moiti du XHIme sicle d'aprs les documents angevins 235-240

    Nikos OIKONOMIDS, Andronic II Palologue et la ville de Kroia 241-247

    Charalambos GASPARIS, Il patto di Carlo I Tocco con il Comune di Genova (1389-1390) Una conseguenza delle incursioni albanesi? 249-259

    Alexander Karl ROZMAN, Sources concerning the conflict between Balsha and Venice (1396-1421) 261-270

    Spiros N. ASONITIS, Relations between the Venetian Regi-men Corphoy and the Albanians of Epirus (14th-15th centuries) 271-291

    Era L. VRANOUSSI, Deux documents byzantins indits sur la prsence des Albanais dans le Ploponnse au XVe sicle 293-305

    Oliver Jens SCHMITT, Sources vnitiennes pour l'histoire des cits albanaises au 15e sicle 307-323

    Laura BALLETTO, Schiavi albanesi a Genova nel XV secolo 325-348

    Irne BELDICEANU-STEINHERR, L'exil Trbizonde d'une quarantaine de combattants albanais la fin du XVe sicle 349-369

    Gilles VEINSTEIN, Une source ottomane de l'histoire albanaise: le registre des kadi d'Avlonya (Vlor), 1567-1568 371-384

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  • T H E M E D I A E V A L A L B A N I A N S

    Friday, May 3, 1996, evening 19.00 A. DUCELLIER (Toulouse, France), Les origines du peuple

    albanais, une clef pour sa future expansion.

    20.00 Reception

    Saturday, May 4, 1996, morning 09.00 Khr. FRASHERI (Tirana, Albania), Les Albanais et Byzance

    pendant les VIe-XIe sicles. 10.00 Helen SARADI (Guelph, Canada), Aspects of Early Byzantine

    Urbanism in Albania (4th-6th c).

    11.00 Coffee break.

    11.30 Marie SPIRO (Washington D.C., USA), Early Christian and Byzantine Mosaic Pavements in Albania.

    12.30 Eleonora KOUNTOURA-GALAKE (Athens, Greece), The Presence of Illyricum (Province ofEpirus Nova) in the so-called Notitia "of the Iconoclasts".

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    Saturday, May 4, 1996, evening 17.00 Ch. GASPARIS (Athens, Greece), Il patto di Carlo I Tocco con il

    Comune di Genova (1389-1390); una conseguenza delle incursioni albanesi?

    17.30 N. OIKONOMIDES (Athens, Greece), Andronic II Palologue et la ville de Kroia.

    18.00 CG. PITSAKlS (Athens, Greece), Questions "albanaises" de droit matrimonial dans les sources juridiques byzantines.

    18.30 Coffee break.

    19.00 Marie DOUROU-ELIOPOULOU (Athens, Greece), Les "Albanais" de la deuxime moiti du XIIle sicle d'aprs les documents a.igevins.

    19.30 S. ASONITIS (Corfu, Greece), Relations between the Venetian Regimen Corphoy and the Albanians of Epirus (14th-15th centuries).

    20.00 A.K. ROZMAN (Vienna, Austria), Sources Concerning the Conflict between Balsha and Venice (1396-1421).

    Sunday, May 5, 1996, morning 09.00 P. XHUFI (Tirana, Albania), La "dbyzantinisation" de l'Arbanon

    au cours des Xle-XIVe sicles. 10.00 O.J. SCHMITT (Vienna, Austria), Sources vnitiennes pour

    l'histoire des cits en Albanie au 15e sicle. 10.30 Era VRANOUSI (Athens, Greece), Note sur la prsence de

    l'lment albanais dans l'arme byzantine du Ploponnse au XVe sicle.

    11.00 Coffee break.

    11.30 J. NIEHOFF (Freiburg, Germany), La Chimara medievale. 12.00 S. CIRKOVIC (Belgrade, Yugoslavia), Tradition interchanged:

    Albanians in the Serbian, Serbs in the albanian late medieval texts.

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    12.30 Laura BALLETTO (Genova, Italy), Schiavi albanesi a Genova nel secolo XV.

    13.00 Brunehilde IMHAUS (Nicosia, Cyprus), La communaut albanaise de Venise la fin du Moyen Age.

    Sunday, May 5, 1996, evening 17.00 . KREKIC (Los Angeles, USA), Albanians in Adriatic Cities:

    Observations on Some Ragusan, Venetian and Dalmatian Sources for the History of Albanians (13th-16th centuries).

    18.00 Irne BELDICEANU (Paris, France), L'exil Trebizonde: le sort de cinquante combattants albanais (fin du XVe sicle).

    18.30 Coffee break.

    19.00 G. VEINSTEIN (Paris, France), Les registres des qadis ottomans d'Avlonya (Vlor).

    20.00 Zana LITOU (Athens, Greece), Le kaza de Delvino selon le registre TT1583.

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  • ALAIN DUCELLIER

    LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN: DE LA COMMUNAUT A L'EXPANSION

    Si personne ne conteste l'hritage romain de l'Empire byzantin, peut-tre n'en a-t-on, trop souvent, envisag que les lments les plus visibles, ou les plus conformes des prjugs qui, en fait, masquent aussi les vritables structures du vieil empire paen lui-mme. Le plus dangereux de ces prjugs est sans aucun doute l'ide que Rome et Byzance furent par excellence des empires trs centraliss, peu enclins accepter l'existence de nuances locales, qu'elles soient juridiques, ethniques ou mme culturelles, et cela bien que les principaux textes qui font tat de telles nuances dans l'un et l 'autre empire soient bien connus depuis longtemps, en sorte qu'il ne faut pas craindre d'affirmer que cette vision dforme des deux Romes n'est pas le fruit de l'ignorance et pourrait bien tre, au contraire, conditionne par le rle de modles qui leur a t accord en Occident depuis le Moyen Age par tous ceux qui rvaient d'y construire des tats toujours plus unitaires et plus centraliss dont l'tat-nation franais est sans doute l'exemple le plus achev. Sans nous y attarder, nous noterons seulement ici que la redcouverte des textes historiques byzantins au XVIme et, surtout au XVIIme sicle, par des rudits avant tout franais ne peut tre sans rapport avec l'dification du systme monarchique, absolutiste et gallican, qui devait prvaloir jusqu'au XVIIIme sicle. Et quand, d'abord en Angleterre, puis en France et dans les pays germaniques, les Lumires vinrent au contraire faonner une image trs ngative de Byzance, il en reste encore, chez un Le Beau, un Gibbon, un Voltaire ou un Marx, l'ide que le pire dfaut du vieil empire est prcisment son abso-lutisme thocratique, qu'on nomme dsormais tyrannie ou despotisme, ce qui n'incite pas davantage les auteurs y admettre l'existence d'un systme politique qui et fait sa place des variantes locales, de type communautaire, que les philosophes appelaient de leurs voeux.

    Avant d'en venir au point particulier qui nous arrtera ici, il nous faut donc souligner que, tout empire tant le produit d'une longue srie de conqutes et d'annexions, l'existence de communauts allognes ou allo-phones y est du domaine de l'vidence, si l'on carte la solution du massacre systmatique de tous les peuples runis sous une autorit unique, qui n'a gure t pratique que par notre monde contemporain. Il est en effet ais

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    de souligner les brutalits des conqutes romaine, byzantine ou ottomane, mais qui prendrait au srieux le ubi desertum fecerunt, pacem appelant de Tacite? Certes, Rome a invent un droit crit, applicable tous ses citoyens et laissant une place trs troite aux variantes locales, surtout aprs l'dit de Caracalla qui rpute citoyens tous les habitants de l'Empire, une concep-tion fondamentale que Byzance a videmment entrine, mais ensuite mo-difie sans qu'on y prte assez garde, mesure que l'lment grec s'impo-sait toujours plus dans l'Empire et, avec lui, la vieille tradition hellnique qui n'avait jamais rpudi les pratiques coutumires: est-il besoin de rap-peler que l'Epanagg admet le droit coutumier dans le cas o il n'existe pas de loi crite en la matire, qu'il s'agisse d'une coutume propre une cit {) ou une province (), la condition qu'elle ait t valide aprs dbat en cour, allant jusqu' reconnatre aux coutumes longtemps en vigueur une valeur gale celle des lois1, sauf, ce qui ouvre videmment toute possibilit d'action au pouvoir, lorsque ces coutumes sont dcrtes mauvaises2?

    Il en rsulte que, au moins depuis le IXme sicle, la loi elle-mme admet l'existence de ralits locales, urbaines ou rgionales, parmi lesquel-les il est clair que, compte tenu du caractre ethniquement composite de l'Empire, certaines peuvent videmment tre spcifiques d'un groupe install volontairement ici ou l par le pouvoir byzantin: pour illustrer le deuxime cas, on songera surtout aux groupes allognes inlassablement fixs, pour des raisons militaires, dans les provinces les plus varies et bien que nombre d'entre eux, comme les Sklavnes installs en Bithynie par Justinien II, soient passs presqu'aussitt aux Arabes3, ce qui n'entrana du reste mme pas leur disparition d'Asie Mineure, malgr le massacre punitif dont ils furent victimes de la part des Byzantins.

    Il est cependant beaucoup plus difficile de cerner le cas de groupes allognes qui ne semblent pas avoir jamais t des ennemis extrieurs de l'Empire et dont on ne garde nulle trace d'une quelconque migration vers son territoire (ni du reste l'intrieur de ce dernier), qu'elle soit spontane ou force. Notons pourtant dj un trait commun aux groupes imports et aux communauts rsiduelles: parce que les premiers sont volontairement

    1. Epanagoge, Titre II, 10, 11, 12; JGR IV, 181. 2. Op. cit., 13; ibidem. 3. Il s'agit des macdoniens, qui auraient constitu un corps de 30.000

    hommes; sur ce point, cf. H. AHRWEILER, Recherches sur l'administration de l'Empire byzantin aux IXme-XIme sicles, Bulletin de Correspondance Hellnique 84 (1960), 32-33. Sur leur prsence en Opsikion et leur participation l'expdition Cretoise de Nicphore Phkas, Constantin Porphyrognte, De Ceremoniis I, Bonn, 662 et 669, et Thophane Continu, Bonn, 474 et 480; AHRWEILER, op. cit., 32, note 9.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 19

    disperss par le pouvoir pour des raisons de scurit, parce que les secondes ont presque toujours t recouvertes par des flux migratoires qui en ont isol les lments, il s'agit toujours, sous l'autorit impriale, d'ensembles communautaires dpourvus de vritable territorialit, ce qui nous indique que la meilleure voie suivre pour les saisir n'est certainement pas la recherche attentive des limites gographiques prcises '} qui se pr-sentent gnralement sur la carte comme des nbuleuses spares par des rgions majoritairement habites par d'autres peuples4 mais o ces \ sont presque toujours prsents t i tre de minorits. Et c'est ici que nous devons prendre en considration le cas de deux \ que les sources n'attestent, l'un comme l'autre, qu'au Xlme sicle, les Albanais et les Vala-ques, peuples dont la position dans l'Empire est assez semblable pour que nous nous autorisions tablir quelques comparaisons entre eux.

    Pour l'un comme l'autre de ces peuples, on ne saurait chapper la question complexe de leur ethnognse, galement dangereuse si on adopte au dpart l'une ou l'autre des thses traditionnelles, celle de leur caractre rigoureusement adventice comme celle de leur continuit absolue par rap-port leurs anctres antiques supposs, trop vite rsume par le terme d'autochtonie: avec le plus eminent linguiste albanais de ce sicle, obstin-ment rest en marge des thories officielles, rptons ce sujet que, pour les Albanais comme pour tous les autres peuples balkaniques, on ne saurait jamais parler que d'autochtonie relative5. On nous permettra donc d'tre bref sur ce sujet, qui a trop souvent aliment les nationalismes sans jamais trouver de solution satisfaisante.

    Quand on nie la prsence du peuple albanais dans les Balkans avant le milieu du Xlme sicle, on s'appuie en apparence sur des donnes obje-ctives, surtout sur le fait que ce peuple n'est mentionn dans les sources grecques qu'au mieux vers 1040, au plus tard vers 1079, ce qui convient videmment aux nationalismes grec, serbe et bulgare qui veulent tout prix faire des Albanais un groupe ethnique import tardivement dans la rgion: nous essaierons de montrer comment, pour parer ces graves dan-gers, il est impratif de rechercher quel pouvait tre, avant les invasions slaves, la situation des zones postrieurement reconnues comme peuples d'Albanais, en se gardant de penser qu'elles aient pu tre occupes par un seul et mme peuple qui aurait franchi les sicles sans subir aucun mlange.

    4. Il va de soi que nous traduisons volontairement par "peuple", mme si cette traduction peut prsenter des inconvnients, moindres pourtant que le calque natio-nation, dont la connotation actuelle trompe trop souvent.

    5. E. ABEJ, The Problem of the Autochthony of the Albanians in the Light of Place-names, rd. in: The Albanians and their Territories, Tirana 1985, 34.

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    Au Vlme sicle, il est clair que les Illyriens taient reconnus comme une ralit vivante dans le cadre de l'Empire byzantin, ce qui permet d'af-firmer, en passant sur l'norme lit trature qui a t consacre au sujet, que, pas plus que nombre d'autres peuples prexistants, les Illyriens n'ont t compltement hellniss ni romaniss. On ne saurait oublier, par exem-ple, que le rite romain de l'incinration ne se retrouve gure que dans les environs des grands centres ctiers, Dyrrachion et Bouthroton avant tout, alors que, jusqu'aux espaces macdoniens, l'ensevelissement reste la rgle gnrale6, tandis que les ncropoles rvlent la rsistance de nombreux trai ts locaux, fruits d'une plus ancienne acculturation grco-illyrienne, qui vont de certains vtements typiques jusqu'au style dcoratif sculpt et l'usage d'une poterie reste trs spcifique, et cela depuis les confins macdoniens (Maliq) jusqu'au nord de l'actuelle Albanie et mme jusqu'en Vojvodine et en Serbie septentrionale7.

    Peut-on franchir le pas et dire que ces traits communs tmoignent de la prsence de populations illyriennes cohrentes sur l'immense espace qui spare le Danube de l'Epire? Compte tenu de ce que nous avons dit plus haut, il vaudrait mieux penser que ce matriel archologique est a t t r i -buable des lments dj fortement acculturs, dont on peut souligner nombre de traits communs, mais qui ont dj subi, ici et l, des volutions spcifiques pouvant supposer, par exemple, des formes de culture va-riables, une diffrenciation sociale au rythme et aux modalits diffrents, et mme le dveloppement de langues de plus en plus divergentes, ce qui ne veut pas dire que ces diverses entits aient totalement oubli ce qu'elles pouvaient garder de commun. Au reste, l'unit illyrienne n'a jamais t qu'occasionnelle, et les tensions constantes qui opposaient les petits ro-yaumes illyriens avaient t, ds l'poque hellnistique, une des raisons de leur situation de faiblesse face au monde grec comme, plus tard, devant l'expansion romaine: nous n'avons aucune raison de penser que ces dispa-rits anciennes, politiques mais aussi socio-conomiques, aient disparu sous le Bas-Empire et son hritier direct, Byzance8.

    6. M. PAROVIC-PESICAN, Pitanje periodizacije anticke arheologije u nasoj zemlji, Materijali IV-VII Kongress arheologa Jugoslavije, Hercegnovi 1966, Belgrade 1967, 149; S. ANAMALI, From the Illyrians to the Arbers, The Albanians and their Territories, cit., 112.

    7. . REBANI, Keramika Hire e Qytezs se Gajtanit, Studime Historike 1 (1966), 41-67, avec de nombreuses illustrations et un rsum franais (68-70). Sur l'extension de ces types vers les zones danubiennes, cf. M. GARASANIN, Period prelaza iz neolita i metalnog doba u Vojvodin i Severnoj Srbiji, Starinar IX-X (1959), tableau II, 3.

    8. Sur ce point, F. PAPAZOGLOU, Les royaumes d'Illyrie et de Dardanie, Iliri i Albanci, Belgrade, Srpska Akademija nauka i Umetnosti, 10 (1988), part. 196-199, pour le cas de la Dardanie, la moins romanise de ces provinces.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 21

    Mme si le matriel pigraphique est souvent trompeur, et pour s'en tenir au territoire de l'actuelle Albanie, il est remarquable que ce dernier n'ait livr qu'environ 200 inscriptions latines, pour moiti dans la seule rgion de Dyrrachion et peu prs toutes, pour le reste, dans la zone ctire ou dans les basses valles o passaient les principaux axes de commu-nication9, tandis que les rgions mridionales et sud-orientales (en parti-culier l'ancien domaine des Illyriens Dassartes) n'ont gure livr, mme pour l'poque romaine, que des inscriptions grecques et que les espaces intrieurs, surtout au centre et au nord, ne nous ont laiss peu prs aucune inscription, ni en latin ni en grec10. Et encore est-il sr qu'on ne saurait s'en tenir la distribution des documents pigraphiques pour tablir une carte linguistique et culturelle de l'Illyrie: l'usage du grec ou du latin, ici ou l, tmoigne seulement d'une prdominance culturelle di-vergente et ne prjuge pas de l'existence, titre de substrat, d'une culture locale rsistante11. Et il serait en outre dangereux de voir dans les zones o prdominent inscriptions grecques ou inscriptions latines des rgions entirement hellnises ou romanises: on n'oubliera pas que nombre de ces inscriptions se rfrent parfois des personnages dont les noms restent parfaitement illyriens jusqu'au Bas-Empire, moment o ils disparaissent compltement, ce que l'acculturation grco-romaine suffit d'ailleurs expliquer12; de mme, l'absence de toute inscription dans des zones comme la Mirditie ou le Mati ne signifie nullement qu'elles n'aient pas t gagnes par une acculturation simplement moins accentue13.

    Rien ne permet, en tout cas, d'affirmer que la romanisation des Illy-riens est une conception " rejeter"14 et il est bien douteux que, vers les

    9. ANAMALI, art. cit., 104-105 (avec une cartographie des trouvailles). 10. IDEM, art. cit., 106. 11. H. MIHAESCU, La diffusion de la langue latine dans le Sud-Est de l'Europe, Revue des

    tudes Sud-Est Europennes 9 (1971), 498-499; IDEM La langue latine dans le Sud-Est de l'Europe, Bucarest-Paris 1978, 75. V. POPOVIC, L'Albanie pendant la Basse Antiquit, Iliri Albanci, cit., 257; PAPAZOGLOU, art. cit., 197, qui suppose aussi le maintien possible de la langue illyrienne jusqu'au Bas Empire.

    12. ANAMALI, art. cit., 105, discret sur ce thme; PAPAZOGLOU, art. cit., 197, beaucoup plus explicite.

    13. A cet gard, les travaux, trs estimables, de S. Anamali, ont le dsavantage de trop durcir le trait en laissant entendre que ces rgions, surtout nordiques, n'ont pas t du tout romanises; cf. art. cit., part. 105.

    14. ANAMALI, art. cit., 114, crit paradoxalement que "the above-mentioned facts are sufficient to reject "Romanization" and to affirm that the Illyrians preserved many elements of their material and spiritual culture and a very stable ethnic element during the Roman occupation". Cf. aussi S. ANAMALI et M. KORKUTI, Les Illyriens et la gense des Albanais la

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    IVme-VIme sicles, il ait encore exist des noyaux rests purement illy-riens: c'est du reste Jirecek qui plaidait dj en 1879 pour une romanisation diffrencie du peuple albanais15, dont il admettait sans discussion l'ascendance illyrienne, comme c'tait du reste le cas de presque tous les historiens du XIXme sicle. Ajoutons que la linguistique invite aller dans le mme sens: contrairement ce qui est souvent soutenu, les mots albanais, une trentaine, qui ne s'expliquent que par le grec ancien dans sa nuance dorique, militent en faveur d'une imprgnation ancienne venue des colonies doriennes de l'actuelle cte albanaise16, tout comme l'volution phonologique des noms de lieux antiques, qui ne peut s'expliquer que par la langue albanaise, cette langue tant elle-mme le produit d'un nombre incalculable de mixages, dont le plus important, mais non le seul, est d la latinisation du pays, et qui interdisent d'en faire une langue proprement illyrienne17. Dans une situation si complexe, on peut seulement conclure que, la veille des invasions slaves, l'Illyrie tait traverse par une grande frontire culturelle grco-latine, qu'on peut situer grossirement le long du grand axe routier de la valle du Shkumbi, la Via Egnatia, les derniers sicles antiques ayant en outre connu un progrs remarquable du processus de rehellnisation des zones situes au sud de cet axe18. Il va de soi que cette frontire culturelle fluctuante est encore renforce avec la christia-nisation: l'intrieur d'un Illyricum rattach au trne pontifical romain, tout indique que les terres septentrionales de l'Albanie actuelle ont tou-jours t domines par le rite latin, qui va de pair avec leur forte roma-nisation, tandis que le sud regardait toujours plus vers le trne de Constantinople19.

    lumire des recherches archologiques albanaises, Les Illyriens et la gense des Albanais, Kuvendi i I Studimeve Hire (Premier Congrs des tudes Illyriennes), Institut d'Histoire et de Linguistique (Tirana 1971), Acadmie des Sciences, Tirana 1974, 11-39 et part. 35.

    15. K. JIRECEK, Die Handelsstrassen und Bergwerke von Serbien und Bosnien whrend des Mittelalters, Abhand. der Knigl. bhm. Gesellschaft der Wissenschaften, VI, 10 Band, n. 2, Prague 1879, 16.

    16. ABEJ, The Problem of the Autochthony, 35-36. On notera au reste que si les anthroponymes illyriens disparaissent au Bas-Empire, un certain nombre de personnages sont encore donns, dans les inscriptions, comme Dardani; PAPAZOGLOU, Les royaumes d'Illyrie, 199, avec les rfrences.

    17. E. ABEJ, The Ancient Habitat of the Albanians in the Balkan Peninsula in the Light of the Albanian Language and Place Names, The Albanians and their Territories, 60-61

    18. IDEM, art. cit., 51-57. 19. POPOVIC, LAlbanie, 263-264. Cette acculturation plus ancienne a aussi pour

    consquence un fait qui remonte au Illme sicle de notre re, l'urbanisation plus forte de l'Albanie mridionale; cf. POPOVIC, art. cit., 256.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 23

    Ce que Rome lgue Byzance, c'est donc une rgion la population trs diversifie, tantt plus, tantt moins hellnise ou romanise, au sein de laquelle mergent, au sud et sur les ctes, des groupes franchement grecs ou nettement latins, sans compter les apports d'ventuelles colonies militaires allognes, les possibles noyaux laisss sur place par les diverses invasions, les simples mouvements de dplacements des peuples voisins, vidents bien que non documents, et aussi, dans les contres les moins accessibles ou les plus intrieures, comme le Mati et la Mirditie mais aussi comme la Dardanie macdonienne20, des groupes moins marqus par les influences extrieures sans qu'on puisse les supposer purement illyriens.

    Et ce ne sont pas les rapides invasions hunniques et gothiques, toutes ruineuses qu'elles furent au point d'imposer nombre de reconstructions militaires, en particulier Skampa et Dyrrachion21, qui ont pu changer grand chose la nature des populations locales22, mme si Procope, qui fait du reste un hardi amalgame entre les dommages causs par les Huns et les Sklavnes, trace de ces rgions le tableau catastrophique d'un pays transform en dsert digne des Scythes23. On en tirera au contraire l'ide que l'activit constructive des Vme et Vlme sicles a t fort importante en Illyrie, et qu'elle comprend en outre l'rection de nombre de lieux de culte24, ce qui milite en faveur d'un niveau dmographique relativement bon, bien que le fractionnement et le rtrcissement des espaces urbains soient partout perceptibles, jusque dans les grands centres ctiers, ce qui ne fait du reste qu'illustrer un phnomne gnral dans l'Empire25; mais, comme on l'a aussi justement observ, ces reconstructions stratgiques ne font que masquer un trait spcifique de l'Illyricum, la quasi-absence des bourgades rurales, si prsentes dans les provinces asiatiques et mme en Thrace, ce qui donne l'image d'un rseau poliade rarfi au sein d'un paysage essentiellement rural26. Dans ces provinces illyriennes mani-festement appauvries, o circulent des groupes errants comme celui que dpeindra Procope27, il est assez clair que, encore une fois comme dans la

    20. IDEM, art. cit., 262-263. 21. PAPAZOGLOU, Les royaumes d'Illyrie, 198-199. 22. MALCHOS, Historici graeci minores, d. Teubner, Leipzig 1870, 413. 23. ANAMALI, art. cit., 112-115, qui montre comment les rcentes recherches archo-

    logiques tendent prouver l'ampleur de ces reconstructions. 24. (") ...: PROCOPE,

    Anekdota, 18, 21, d. M. Mihaescu, Bucarest 1972, 148. 25. POPOVIC, L'Albanie, 259-260. 26. POPOVIC, art. cit., 261-262. 27. G. DAGRON, Les villes dans l'Illyricum protobyzantin, Villes et Peuplement dans

    l'Illyricum protobyzantin, Coll. de l'cole Franaise de Rome 77, Rome 1984, 6.

  • 24 ALAIN DUCELLIER

    plupart des provinces, des brassages de populations aient eu lieu un peu partout, accompagns d'une dsorganisation des structures sociales tradi-tionnelles, en ville comme la campagne, un phnomne qui dut largement amoindrir ce qu'il restait de cohsion aux peuples illyriens: on ne devra jamais oublier ces refontes multiples quand on voquera l'apparition du peuple albanais proprement dit28. A titre d'hypothse, c'est dans les villes ctires comme Skodra, Lissos, Apollonia, Auln, Bouthroton et surtout Dyrrachion, o l'hellnisation et la romanisation avaient t les plus mar-ques, que l'lment indigne a d se conserver le plus massivement, mais tellement accultur qu'il est tout fait impossible d'y voir un lment illyrien: sauf Dyrrachion, o l'lment hellnis reste longtemps majo-ritaire, ces villes sont bien peuples de "Romans", trs semblables ceux de Dalmatie29, et qu'on retrouve aussi dans certains kastra de l'intrieur, qui, vers la fin du IVme sicle, prennent le relais de nombre de centres aban-donns en plaine, et qui peuvent rsulter de la roccupation d'anciennes forteresses illyriennes abandonnes, Antipatrea, Byllis, Pogradec entre autres30: le moment venu, ces Romans s'opposeront fortement aux Alba-nais, qui ne s'urbaniseront gure avant le XHIme sicle.

    On ne peut donc supposer, au Vlme sicle, une Illyrie vide de ses populations d'origine, non plus que des Illyriens rests en tout fidles leur culture ancestrale: bien que fortement marques par l'influence grco-romaine et la prsence de noyaux grecs et latins surtout dans la zone littorale, les populations locales restent bien rputes illyriennes mais elles sont aussi parfaitement intgres l'Empire. On devra certes se garder de voir dans les dnominations administratives, qui font souvent rfrence des ralits ethniques anciennes, la preuve d'une prennit illyrienne, tout comme il en va du reste des Daces ou des Thraces, et l'on admettra ef-fectivement que lorsqu'Evagrios parle indiffremment des ' ou des , il ne veut dsigner par l que les vques de l'Illyricum, une entit administrative moribonde mais alors encore existante31. Au Vlme sicle, quand les listes conciliaires cessent d'accorder l'Illyricum son ancienne unit juridictionnelle, on peut dire que l'Illyrie est devenue une entit ressentie, mais dsormais impossible dfinir gographiquement, sinon, comme c'est le cas dans le De Aedificiis de Procope, en opposition la Grce, une donne qu'on retrouve dans la

    28. Cf. ci-dessous. 29. M. GARASANIN, Considrations finales, Iliri i Albanci, 374-375. 30. POPOVIC, art. cit., 256-257. 31. IDEM, ari. cit., 258, avec la rfrence aux principaux travaux albanais.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 25

    Novelle 11 de Justinien (14 avril 535)32. Cette ralit illyrienne correspond donc, cette poque, un espace gographique qui transcende les circon-scriptions administratives et que l'on peut par consquent considrer comme traditionnel: cette perception est sensible, toujours chez Procope quand, propos des invasions des Huns, des Antes et des Sklavnes, il distingue les espaces illyriens et l'ensemble de la Thrace, qui s'tendent depuis l'Adriatique jusqu'aux "postes avancs des Byzantins", parmi lesquels il inclut la Grce et la Chersonese33, un texte dont on peut tirer l'ide que, pour les hommes du Vlme sicle, il y avait bien l au moins trois ensembles distincts par la nature de leurs populations, voire de leurs traditions, bien qu'galement soumis au "pouvoir des Romains" (q ' })^4, tout en prenant garde que, dans le cadre de grands empires comme Rome ou Byzance, les distinctions de type ethno-administratif ne prjugent jamais de la compacit et de l'unit des peuples qu'elles circonscrivent et parmi lesquels subsistent toujours des noyaux allognes ou alloglottes35.

    Du reste, lorsque ce mme Procope nous conte l'histoire de trois paysans de souche illyrienne (' ), Zimarchos, Dityvistos et Just in le futur basileus36, qui vont faire fortune Constantinople, il nous apprend au passage que l'illyrien Justin est n Bdrian, prs de Skopje, ce qui souligne la persistance de populations senties comme illyriennes dans des zones connues comme telles dans l'Antiquit37. Mais il souligne aussi la misre qui rgne dans les pays illyriens et qui inspire aux jeunes gens l'ide d'embrasser la carrire militaire, dtail intressant puisqu'il nous apprend que, comme bien d'autres communauts de l'Empire, les Illy-riens connaissaient ce puissant instrument d'intgration et de promotion

    32. EVAGRIOS, Histoire Ecclsiastique, d. J. Bidez et L. Parmentier, Londres 1898, 73.10, 83.30, 84.16, 86.10; POPOVIC, L'Albanie, 282. Sur l'Illyricum au Vlme sicle, L. MAKSIMOVIC, L'Il-lyricum septentrional au Vlme sicle, Zbornik Radova 19 (1980), 17-57. Sur l'imprcision extrme des limites de l'Illyricum entre 395 et le Vlme sicle, DAGRON, Les villes dans l'Illyricum, 1-2.

    33. PROCOPE, De Aedificiis, IV, 1, 3-4 et 11-14; IV, 8, 1-3; IV, 2, 1-26, d. Haury, pp. 103-104, 133-134, 108-112; pour un riche commentaire de ces textes, cf. DAGRON, art. cit., 3-4.

    34. ' , ' ' , ' oriv...: PROCOPE, Anekdota, 18, 20, d. cit., 114.

    35. ' oi ' - ...: PROCOPE, op. cit., 21, 26, d. cit., 132-33.

    36. Cf. ce sujet les remarques de bon sens de E. ABEJ, L'illyrien et l'albanais, Les Illyriens et la gense des Albanais, part. 42-44.

    37. On remarquera que, parmi ces trois personnages, seul Justin porte un nom romain.

  • 26 ALAIN DUCELLIER

    qu'est l'arme impriale, d'autant qu'il n'est pas ici question d'un corps illyrien particulier et que les jeunes gens sont simplement inscrits, Constantinople, sur les rles militaires valables pour tous38.

    Il serait donc exagr d'admettre que, globalement, les populations illyriennes "n'avaient pas t compltement romanises, n'avaient pas perdu leurs caractres culturel et ethnique et que nombre de leurs l-ments caractristiques avaient t prservs mme sous l'occupation ro-maine et aprs elle, jusqu' l'arrive des Slaves"39, et ce conservatisme est encore plus douteux pour la langue illyrienne, dont on s'accorde gn-ralement penser qu'elle n'a pu se conserver que dans les zones intrieures et difficiles d'accs o, nous le savons, la romanisation et l'hellnisation avaient t plus faibles40. Notons qu'il s'agit l d'un processus naturel, d une romanisation et une hellnisation ingales, et qui vite de supposer un refoulement des lments palobalkaniques vers les montagnes lors des futures invasions slaves, un fait que rien n'atteste. En tout tat de cause, les provinces illyriennes, vers 550, ont sans doute une physionomie qu'on ne saurait rduire celles des zones environnantes, mais elles sont depuis longtemps profondment intgres au corps imprial envers lequel nous ne relevons aucune raction de rejet ou de rvolte.

    C'est avec l'invasion slave, dont Procope rappelle que, aprs avoir entirement travers les pays illyriens, elle parvint enfin en Dalmatie41, que commence donc une longue dispute qui, dans le contexte balkanique, vhicule videmment nombre de prjugs nationaux et mme nationalistes et qu'alimente le mutisme observ par les sources crites l'gard des Illyriens: alors que, au XIXme sicle, l'autochtonie des Albanais et leur ascendance illyrienne ne faisaient aucun doute, pour les uns, aujourd'hui, la confusion seme par l'invasion slave est seule responsable du silence des sources, mais l'archologie et la linguistique permettent d'affirmer une continuit parfaite entre Illyriens et Protoalbanais, tandis que pour les

    38. , , ' , ..:. PROCOPE, Anekdota, 6, d. cit., 62.

    39. ... - ,

    ...

    (ibidem). 40. S. BATOVIC - . OSTRIC, Tragovi ilirske kulturne bastine u narodnoj kulturi naseg

    primarskog podrucia, Simpozijum predslavenki etnicki elementi na Baikanu u etnogenezi juznih slovena, Sarajevo 1969, 248.

    41. M. GARASANIN, Istorija Crne Gore, voi. 1, Titograd 1967, 151; POPOVIC, L'Albanie, 266-267; PAPAZOGLOU, art. cit., 199.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 27

    autres, les Illyriens disparaissent corps et bien au Vlme sicle et les Albanais mentionns cinq sicles plus tard n'ont rien voir avec eux. Avec des exceptions notables, on ne s'tonnera pas de voir les Albanais soutenir majoritairement la premire thse, tandis que Slaves, Grecs et Roumains sont plutt partisans d'une migration qui, l'poque historique, aurait men les Albanais vers leur actuel habitat depuis les zones les plus diverses des Balkans42, voire parfois de beaucoup plus loin encore: nous en verrons plus loin quelques exemples. Quant la thse inverse, qui affirme la continuit, sur un mme territoire, entre les anciens Illyriens, les supposs "Protoalbanais", puis les Albanais eux-mmes, il serait fastidieux d'en rappeler tous les tenants et leurs divers arguments: disons seulement, pour l'avoir longtemps adopte quoiqu'avec des rserves, qu'elle sert trop bien les intrts de l'Albanie moderne, sans distinction entre ses divers rgimes politiques, en sorte que, peu prs sans exception, tous les chercheurs albanais en ont soulign la validit; cependant, moins d'admettre que le pape Innocent 1er, qualifi d'Albanensis par le Liber Pontificalia, ait t albanais, ou que l'existence d'un vch attest au Vllme sicle, suppose l'existence d'une entit albanaise44, la continuit illyro-albanaise ne peut tre conforte que par des arguments philologiques, pigraphiques45 et, surtout depuis les dcouvertes de ce sicle dans les ncropoles "protoalbanaises", par des tmoignages archologiques, qui sont, au moins en apparence, le point fort de l'argumentation46. Mais encore faut-il rpter qu'il n'est aucun texte qui, en latin comme en grec, tablisse l'quivalence entre Illyriens et Albanais et que, aprs le Vlme sicle, il n'est plus fait mention d'Illyriens dans les sources narratives byzantines47.

    42. pn ' : PROCOPE, Guerre des Goths, Bonn, vol. 2, 449.

    43. Pour un commode rsum des thses en prsence, cf. ABEJ, The Problem of the Autochthony of the Albanians, 33 ss.

    44. G. I. KONIDARIS, ' - , ' 23 (1953), 396.

    45. PARTHEY, Hieroclis Synecdemus et Notitiae..., 124s et 220. 46. PAPAZOGLOU, art. cit., 199, voit dans les ddicaces tardives des divinits illyriennes

    en Dardanie (Dea Dardania, Deus Andinus), ainsi que dans la mention, unique, d'un personnage qualifi de natione Dardanus la prsomption du maintien d'une certaine "conscience ethnique" en Dardanie dont l'auteur n'exclut pas (note 98) qu'elle ait pu tre l'picentre du futur peuple albanais.

    47. Outre les travaux de dtail cits dans nos articles, L'Arbanon et les Albanais au Xlme sicle, L'Albanie entre Byzance et Venise, chap. IV, et Nouvel essai, cit ci-dessus, on trouvera l'essentiel des conclusions tires des trouvailles archologiques dans plusieurs

  • 28 ALAIN DUCELLIER

    En ralit, toutes ces hypothses, trop absolues, ne servent qu' brouiller l'essentiel au bnfice de ce qui n'est, en dfinitive, que pur nomi-nalisme, alors que la situation dans laquelle nous avons trouv les provinces illyriennes la veille des invasions slaves claire d'elle-mme les futurs traits distinctifs du peuple albanais, qu'ils soient culturels ou linguistiques, condition d'accepter quelques principes de simple bon sens.

    Il est vident qu' la suite des trois vagues slaves qui affectent les Balkans en 587-588, 615 et aprs 63048, l'actuel territoire albanais fut proprement encercl et pntr par les nouveaux-venus qui s'y tablirent dans les rgions les plus ouvertes leurs mouvements: aussi la topographie slave de l'Albanie est-elle particulirement abondante aux abords des grandes voies de circulation, rgions situes au sud du Shkumbi, valle du Drin Noir, alentours du lac de Shkodra, sans qu'on puisse raisonnablement douter que nombre de ces toponymes, qui ne s'imposent jamais aux villes actives mais dsignent le plus souvent des sites abandonns ou dclinants, remontent effectivement l'poque des migrations slaves, mme si cette toponymie a pu tre modifie ou renforce quand interviendront les pousses bulgares des IXme et Xme sicles49.

    Pourtant, les pousses slaves et l'indiscutable colonisation qui en rsulte n'ont pas tout balay de la population prexistante, qui en devient seulement plus composite et plus cartele: il est clair, partir de la toponymie et surtout du trait de paix byzantino-bulgare de 864, que l'Albanie mridionale, surtout entre Devolli et Vjosa (Aos), a t la rgion la plus slavise, celle-l mme o s'exera l'apostolat de Saint Clment d'Ochrida, dont l'picentre est l'agglomration nouvelle de Glavinitza, l'actuelle Ballsh50.

    Quant au pouvoir byzantin, il se retire, aux Vllme et VHIme sicles, dans les grandes villes ctires et dans un certain nombre de kastra

    recueils albanais dont nous ne citons ici que les plus importants: Les Illyriens et la gense des Albanais, op. cit.; The Albanians and their Territories, op. cit. (trad, de Shqiptart dhe Trojet e tyre - Les Albanais et leurs territoires), Acadmie des Sciences, Tirana 1982, tous ces recueils reprenant du reste nombre d'tudes antrieures, dont les plus importantes sont dues Skender Anamali.

    48. S. ANAMALI, From the Illyrians to the Arbrs (Early Albanians), The Albanians, op. cit., 113.

    49. Sur ces pousses, cf. V. POPOVIC, Aux origines de la slavisation des Balkans, Comptes rendus de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris 1980, 230-257; IDEM, L'Albanie, 267-268.

    50. Sur cette question trs dbattue, cf A.M. SELISCEV, Slavianskoe naselenie Albanii, Sofia 1931, 201 ss, et G. STADTMLLER, Forschungen zur albanischen Frhgeschichte, Wiesbaden 1966, 148 et 150; nous suivons ici la vision, raisonnable, de POPOVIC, L Albanie, 268.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 29

    internes comme Pogradec et Sarda o, la lumire d'informations plus tardives, on peut supposer la persistance des vieux lments romans51.

    Mais qu'en est-il donc de la population des espaces ruraux et surtout montagneux des anciens espaces "illyriens"? C'est ici que se dveloppe une longue querelle dont le point de dpart est l'interprtation des nombreuses trouvailles archologiques qui impose l'existence, sur l'actuel territoire albanais mais aussi bien au-del vers la Macdoine et les zones danubiennes, d'une civilisation dite de Koman, dont l'illustration la meilleure est celle de la ncropole de Kruja, dans laquelle les uns voudraient voir le chanon manquant qui permettrait dsormais d'assurer la liaison entre les anciens Illyriens et les Albanais, tandis que les autres la considrent comme une pure et simple rmanence de la vieille civilisation romane, rtracte aprs les invasions slaves.

    L'normit des travaux consacrs cette culture interdisant d'entrer ici dans les dtails, contentons-nous de dire qu'elle tmoigne la fois d'une grande fidlit aux modles protobyzantins, d'importations notables en provenance de Dyrrachion, mais aussi de la prsence d'un certain nombre de formes locales, dans l'orfvrerie52, les armes et la poterie, y compris des trai ts qu'ont peut affirmer d'origine illyrienne53, le tout dans le cadre d'une civilisation videmment chrtienne, ce qu'illustre sa dpendance par rap-port aux kastra comme Kruja, Lissus, Drivastum ou Sarda54, eux-mmes relais de Dyrrachion. Au total, une image assez bonne d'une civilisation

    51. POPOVIC, art. cit., 268-269, qui accepte l'identification jadis admise par V.N. ZLATARSKY et reprise par TH. POPA, La Glavenice mdivale et le Ballsh actuel, Studia Albanica 2 (1964), 121-128; A. DUCELLIER, La faade maritime de l'Albanie au Moyen Age, Thessalonique 1981, 21-23.

    52. K. JlRECEK, Die Romanen in den Stdten Dalmatiens whrend des Mittelalters, Denkschriften der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften in Wien, Phil. Hist. Classe, Band XLVIII-XLIX, 1901-1904, 9 sq; DUCELLIER, La faade maritime, 436.

    53. C'est le cas des boucles d'oreilles de Kalaja e Dalmacs, de Kruja et de la rgion de Tirana; si la majorit de ces ornements tmoignent l'vidence d'une imitation locale des modles protobyzantins, certains ne se retrouvent en effet que sur le futur territoire albanais, ce qui permet S. ANAMALI, De la civilisation haute-mdivale albanaise, Les Illyriens et la gense des Albanais, 186-187, d'y voir l'oeuvre de "matres aborignes albanais". Mais c'est perdre de vue que, peu prs partout dans l'Empire, on trouverait maints exemples de techniciens dots d'une assez grande dose d'invention pour modifier les thmatiques traditionnelles, et qui peuvent appartenir n'importe quel groupe ethnique ou culturel, y compris grec. Cf. aussi ANAMALI et KORKUTI, Les Illyriens et la gense des Albanais, part. 34-35.

    54. Malgr certaines exagrations, on en trouvera des preuves dans D. KOMATA, Traits de la cramique mdivale en Albanie, Les Illyriens et la gense des Albanais, 221-222.

  • 30 ALAIN DUCELLIER

    rduite l'archasme sans avoir pour autant perdu tout contact avec les espaces impriaux et dont la population tait certainement trs semblable celle qui occupait ces mmes espaces avant les invasions slaves: on remarquera au reste qu'elle est trs peu marque par l'influence des nouveaux occupants55.

    Au reste, l'extension gographique des sites sur lesquels ont t dcouverts des objets relevant de la civilisation de Koman est en elle-mme trs instructive: il s'agit d'une zone relativement compacte dont les points extrmes, au sud-ouest, sont les valles de l'Erzen et de l'Ishmi, au sud est le lac de Pogradec, au nord-ouest Virpazar, l'extrme pointe occidentale du lac de Shkodra, enfin au nord Koman et Golaj, dans les hautes terres du Drin, l'norme majorit des sites tant regroups entre les valles du Drin et du Mati56. Autant dire qu'il ne s'agit pas d'un ensemble uniforme de terres montagneuses et inaccessibles, qui aurait donn asile des popula-tions refoules par les envahisseurs et qui y auraient subsist plusieurs sicles sans contact avec leur environnement: on remarquera que certains sites sont localiss trs prs de Dyrrachium (Milot, le cap Rodoni, Shnavlash), correspondant mme un vieux centre classique dans le cas de Lissos-Lezh, une ville mdivale comme Kruja, dans le bassin fertile du lac de Shkodra (Vig, Mjele) ou dans la plaine de l'actuelle Tirana (Shtif-Tufine), au long des valles de l'Erzen et de l'Ishmi, voies traditionnelles de pntration vers l'intrieur, ou encore au plus prs du lac d'Ochrida. Il s'agit donc d'un ensemble organique dans lequel des centres fort isols comme Golaj ou Dukagjin, au demeurant peu loigns des grands axes fluviaux du Mati et du Drin, ont des relations troites avec des sites de plaine, de valle, voire avec des implantations littorales, comme le prouve

    55. Sur Sarda (Shurdhahu) et Drivastum (Drisht) et leurs relations avec Byzance, cf S. ANAMALI, Le problme de la formation du peuple albanais, L'Ethnognse du peuple albanais, Les Illyriens et la gense des Albanais, 97-98, qui cherche pourtant rduire l'influence de Dyrrachium sur ces kastra. Sur les fouilles de Sarda, D. KOMATA, Gjurmime ne varrzin e Shurdhahut (Recherches dans la ncropole de Shurdhahu), Studime Historike I (1967), 127-135.

    56. La thse de la continuit illyro-albanaise est surtout illustre par les nombreux travaux de S. ANAMALI, en particulier: From the Illyrians to the Arbrs, 100-132; le meilleur rsum de la thse inverse est fourni par POPOVIC, art. cit., 269-271, que nous suivons ici dans ses grandes lignes. Il reste que, malgr de nombreux travaux surtout yougoslaves tendant prouver l'origine slave d'un certain nombre d'objets trouvs dans ces ncropoles, S. Anamali et V. Popovic tombent d'accord sur l'absence peu prs totale d'influence slave; c'est le cas surtout de l'orfvrerie, dans la mesure o l'imitation des modles byzantins par les Slaves en ce domaine ne saurait remonter plus haut que le Xme sicle, bien aprs la priode de floraison de la civilisation de Komani, cf ANAMALI, De la civilisation, 190-191; POPOVIC, art. cit., 276-277.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 31

    la communaut de culture qu'on s'accorde leur reconnatre57. En outre, rptons qu' il s'agit d'un ensemble culturel qui dpend l'vidence de la plus grande ville de la cte, Dyrrachium, qui n'a cess d'irriguer le rseau, partir de son relais proche, Kruja58, ce qui invite penser que, mme aux moments les plus noirs de l'invasion, Byzance n'a jamais cess d'avoir une influence non ngligeable sur les terres de l'Albanie du Nord et du Centre, c'est dire dans les rgions o l'implantation slave tait toujours demeure plus faible59.

    Avec l'aire d'extension de la culture de Koman, nous entrevoyons donc l'existence d'une communaut dont nous ignorons absolument les structures politiques et mme la langue, et qu'il est risqu de considrer comme romane (ou protoromane) sous le seul prtexte que les espaces en question connaissent une assez importante toponymie d'origine latine60. Une telle communaut nous parat donner une excellente image de ces qui, partout sur le territoire de l'Empire byzantin, se caractrisent par une territorialit floue et clate, par des variations culturelles et linguistiques parfois sensibles, mais aussi par de fortes interconnexions entre leurs diffrents noyaux, l'ombre d'une obdience culturelle et politique plus ou moins vague envers Constantinople: en tout cas, une inscription de Dul-cigno ( de Constantin Porphyrognte) atteste que, entre 813 et 820, l'autorit, au moins nominale, de Lon l'Armnien tait reconnue jusque dans cette ville de l'extrme nord albanais61.

    La civilisation de Koman reprsente-t-elle, aux Vllme et VHIme sicles, le noyau primitif albanais que ses principaux inventeurs ont voulu y voir? Qu'elle soit le produit d'une volution millnaire, nourrie de contacts multiples, de mixages et d'changes interculturels au sein desquels l'lment illyrien, qui ne peut avoir totalement disparu, n'est plus qu'une des facettes d'un peuple en lente formation, mme les partisans les plus convaincus de la filiation illyro-albanaise sont bien obligs de l'admettre, sans voir que donner ce peuple le nom d'albanais, ou mme de proto-

    57. ANAMALI, De la civilisation, 192, et carte p. 199. 58. ANAMALI, art. cit., 192. 59. IDEM, art. cit., 193, et Le Problme de la formation, 95, o l'auteur souligne le

    caractre purement byzantin de certains ornements originaires de Dyrrachium. 60. Pour expliquer le fait que les traces de la culture de Koman ne se retrouvent pas,

    dans l'tat actuel des recherches, dans les rgions mridionales de l'Albanie, ANAMALI, art. cit., 194, crit que la chose est naturelle, dans la mesure o cette culture serait la continuation directe de la civilisation illyrienne du Mati. L'occupation slave du sud albanais nous parat une explication suffisante de cette localisation, comme le fait du reste remarquer, POPOVIC, art. cit., 277.

    61. POPOVIC, art. cit., 276, avec de nombreuses rfrences.

  • 32 ALAIN DUCELLIER

    albanais, serait aussi absurde que de nommer franais les ensembles gallo-romains germaniss qui peuplaient la future France peu prs dans le mme temps62. De mme, s'obstiner ne voir dans cette population que l'lment proto-roman consiste confiner l'origine des Albanais dans le domaine du mystre, avec pour argument essentiel que le lexique de l'albanais actuel tmoigne d'abondants emprunts latins et slaves dans les domaines de l'habitat, de la vie urbaine, de l'agriculture, des plantes des zones basses, tandis que les mots proprement albanais seraient surtout ceux qui dsignent la flore des hautes terres et tout ce qui touche la vie pastorale: c'est revenir l'ide que les Albanais sont un peuple longtemps confin dans des zones inaccessibles et prives de contacts, mais on voit mal o les placer, dans la mesure o la civilisation de Koman pousse prcisment ses rameaux les plus remarquables dans des secteurs trs montagneux comme le Mati et la Mirditie. Un tude diffrentielle srieuse des sites relevant de la culture de Koman restant faire, il nous parat plus raisonnable de penser que, sans en tre les seuls reprsentants, les futurs Albanais sont un lment de cette culture, sans doute originaire des hautes terres, mais entres trs vite en contact avec les zones moyennes et basses, comme en tmoigne le lot impressionnant des emprunts albanais au latin et aux langues slaves: E. abej, dont mme les chercheurs slaves reconnaissent l'impartialit et la comptence, rappelle l'archasme des emprunts faits au latin63, ce qui interdit de voir dans les futurs albanais des populations totalement isoles, ce qui, aussi, suppose qu'ils ont nombre de trai ts anciennement communs avec les lments rputs "romans", avec lesquels ils ont eu tout le temps ncessaire pour entamer un processus de mlange; quant aux les emprunts au slave de la langue albanaise, ils supposent un intercontact situ dans la zone de petites montagnes situe aux environs de 600 900 m d'altitude64. Serait-il donc tonnant que des populations romanes, elles-mmes trs mlanges, aient pu partager avec des groupes largement romaniss un type de culture dans lequel chacun s'accorde du reste admettre l'existence de nuances culturelles et sociales sensibles dans le type, la richesse plus ou moins grande, et l'importance variable des objets d'importation dans les ncropoles de type Koman65? Au lieu de supposer, sur des bases linguistiques douteuses, une population protoromane qui aurait ensuite t "dromanise" et "dslavise" au cours

    62. J. FERLUGA, Sur la date de la cration du thme de Dyrrachium, Byzantium on The Balkans, Amsterdam 1976, 218.

    63. ANAMALI, art. cit., 193. 64. E. ABEJ, L'Illyrien et l'Albanais, Les Illyriens et la gense des Albanais, 48. 65. POPOVIC, art. cit., 278, d'aprs STADTMLLER, op. cit., XIIss.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 33

    d'une migration d'Albanais non romaniss vers les zones basses du pays, ce qui suppose des conflits dont aucune source ni aucun tmoignage archo-logique ne se fait l'cho, on pourrait admettre un schma plus harmonieux: celui de la rcupration progressive du bas-pays par des peuples plus, puis moins romaniss, mais qui possdaient depuis longtemps des trai ts com-muns garantissant le caractre paisible de cette rexpansion pour laquelle les sites de la culture de Koman qui, ne l'oublions pas, ont t reprs jusque dans les environs de Dyrrachium, fournissaient un vritable rseau prtabli.

    Que la civilisation de Koman ait t la fois composite, volutive et ouverte sur le monde romano-byzantin, au lieu de bloquer la recherche par des a priori ethniques qui ne nous semblent pas de mise, devrait par consquent, nous le verrons, nous aider grandement comprendre les structures du groupe albanais quand il apparat dans les sources, ainsi que le type de relations qu'il entretient alors avec Byzance et ses successeurs ainsi qu'avec ses diffrents voisins slaves66.

    Nul doute que le sursaut byzantin du IXme sicle, qui se traduit en Albanie par la cration du nouveau thme de Dyrrachion67, ville qui ne con-naissait jusque-l que des semi-autonomes que mentionne encore le Taktikon Uspenskij tout en leur surimposant un stratge68; certes infrieurs en dignit celui de Crte, ces personnages y sont suprieurs ceux de Dalmatie et des autres archontats69. Quel qu'ait t le rle exact de ces semi-fonctionnaires, il est vident que, mme s'ils ne portent que le nom d'une ville70, leur autorit devait s'tendre une partie, impossible dterminer, de l'arrire-pays, les relations du grand port avec le rseau des sites de Koman suggrant une obdience gographiquement clate mais relle, bien que sujette des discontinuits dans le temps et dont le statut

    66. S. ANAMALI, Problemi i kulturs se hershme mesjetare (Le problme de la civilisation haute-mdivale), Studime Historike II (1967), 35sq.

    67. Nous adhrons la dmonstration de FERLUGA, Sur la date, 215-224, qui date cette cration du dbut du IXme sicle.

    68. F.I. USPENSKIJ, Vizantijska tabel' rangakh, Izv. Russ. Arh. Inst, v K/pole, III (1898), 124. Bien qu'H. AHRWEILER, Byzance et la Mer, Paris 1966, 55, souligne que le mot au pluriel ne peut dsigner que des princes vassaux passs l'obdience byzantine, le fait que les archontes de Dyrrachion figurent sur un taktikon nous parat garantir leur qualit de fonctionnaires, tout en soulignant leur origine locale. Cf. EADEM, Recherches sur l'administration, 72. Il n'est donc pas impossible que, auparavant, Dyrrachion ait constitu une archontia, comme le suppose FERLUGA, Sur la date, 217.

    69. N. OIKONOMIDS, Les listes de prsance byzantines des IXme et Xme sicles, Paris 1972, 55, 2 et 3; J. FERLUGA, L'Amministrazione bizantina in Dalmazia, Venise 1978, 132-133.

    70. FERLUGA, L'Amministrazione, 144.

  • 34 ALAIN DUCELLIER

    de semi-autonomie des archontes avait d faciliter l'exercice. Quand, pro-bablement ds avant 81571, fut instaur Dyrrachion le systme thma-tique, le maintien des archontes sous l'autorit du stratge indique bien que le gouvernement imprial tenait mnager ces structures locales, garantes de l'obdience sa nouvelle hirarchie: on doit alors imaginer un thme adoss une communaut semi-autonome, dont l'obdience mitige est prcieuse pour l'Empire, dont les principaux soucis en ces lieux sont de contenir les Slaves, de repousser les attaques musulmanes, sans doute aussi de parer une expansion franque et vnitienne en Adriatique72.

    Les vnements du Xme sicle, et en particulier, les nouvelles a t ta -ques slaves en direction de l'Albanie, ne purent qu'aider au maintien de ces semi-autonomies qui, tout naturellement, peuvent tre une arme double tranchant, comme le montre le rle quivoque jou par la famille du Jean Chryslios, lie ds les annes 970 avec les Comitopoules bul-gares73: Skylitzs souligne bien que les Chryslioi sont des "puissants" locaux74 avec qui Samuel lui-mme juge bon de passer alors une alliance en pousant Agathe, fille de Jean Chyslios75, et va mme jusqu' qualifier le fils de Jean, Nicolas, de "bulgare"76. Plus tard, Jean Chryslios renforce du reste son alliance avec Samuel quand la fille que ce dernier avait eu d'Agathe, Miroslava, pouse le prince armnien Asot, que le tsar bulgare avait nomm gouverneur de la ville, quand il s'en fut rendu matre, pro-bablement vers 997; ces alliances slaves des Chryslioi taient mme plus larges puisqu'il semble bien que l'autre fils de Jean, Thodore, avait mari sa fille au prince de Diocle, Jean-Vladimir, dont la "protection" s'tait aus-si tendue sur Dyrrachion et sa rgion77. Que ces puissants bulgares aient t fortement hellniss, c'est l'vidence, et le double jeu des Chryslioi

    71. FERLUGA, Sur la date, 218-223, dont la dmonstration repose surtout sur l'analyse d'une lettre de Thodore de Stoudios.

    72. FERLUGA, art. cit., 224. 73. B. PROKIC, Die Zustze in der Handschrift des Johannes Skylitzs, codex

    Vindobonensis hist, graec. LXXIV, Munich 1906, no. 22; J. FERLUGA, Durazzo e la sua regione nella seconda met del secolo X e nella prima del secolo XI, Byzantium on the Balkans, 231-232; DUCELLIER, La Faade maritime, 65s.

    74. Malgr . ADONTZ, Samuel l'Armnien, roi des Bulgares, rd. in tudes armno-byzantines, Lisbonne 1965, 395, nous continuons penser qu'il n'y a aucune raison de voir dans les Chryslioi une famille d'origine armnienne; cf. DUCELLIER, La Faade maritime, 65.

    75. ... , ...: SKYLITZES-KEDRENOS, Bonn, 451.

    76. ... , ...: SKYLITZES, 502, 19-20; ADONTZ, art. cit., 397; DUCELLIER, La faade maritime, 86.

    77. FERLUGA, Durazzo e la sua regione, 227, avec les rfrences; DUCELLIER, La faade maritime, 66.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 35

    face au retour de puissance de Basile II, qui Jean offre la ville moyennant la collation ses fils du t i t re de patrices, l'indique bien, comme il souligne aussi la puissance relle dont la famille disposait Dyrrachion: l'empereur souscrit du reste au march, la ville ne retournant sans doute Byzance qu'aprs la mort de Samuel, en 101878. Jusqu'en 1204, qu'on les nomme - , , ou cittadini potenti, le pouvoir byzantin devra compter avec ces tendances autonomistes du grand port, dont les sources parlent significativement comme d'une entit spare, dont les coups de tte ne semblent pas avoir entran l'arrire-pays79. Dj s'esquisse un fait majeur pour l'avenir: une rupture entre la zone littorale et l'intrieur du pays.

    Bien plus encore que Dyrrachion, il va de soi que cet arrire-pays, du moins les terres les plus accessibles, fut alors soumis une occupation slave prolonge, d'au moins une vingtaine d'annes, avec laquelle nous n'avons aucune raison de penser que les populations locales aient pactis, d'autant que bonne part d'entre elles taient soumises au rite occidental et n'avaient pu apprcier une si longue soumission au patriarcat bulgare d'Ochrida. Aussi y a-t-il lieu de penser que lorsque Basile II, en 1020, remet en ordre la hirarchie ecclsiastique, avec principal souci de se concilier au mieux l'ensemble des territoires reconquis, il bride les ambitions du mtropolite de Dyrrachion non seulement pour prserver les intrts de l'ancien patriarcat bulgare, mais aussi pour qu'il ne soit plus question d'une reconqute orthodoxe des suffragante que la mtropole illyrienne avait successivement perdus au centre et au nord de l'actuelle Albanie et que l'apoge de Byzance pouvait l'inciter rcuprer80. On notera seulement ici que l'Albanie franchement "romaine" (Antibari, Scutari, Drivasto, Alessio, Polatum, Dulcigno) et l'Albanie "mixte" (Durazzo, Kruja, Stephanakia) dessinent assez bien les territoires, probablement discontinus, qui consti-tueront le futur Arbanon, dont l'appartenance culturelle est ds le dpart ambigu, ce qui n'tonnera pas compte tenu du caractre composite de sa population.

    78. DUCELLIER, La faade maritime, ibidem avec les rfrences; FERLUGA, Durazzo e la sua regione, 232, qui conserve la date de 1005, peu probable car on voit mal les Chryslioi passer Basile l'apoge du pouvoir de Samuel; en outre, Eustathe Daphnomls, qui reut la ville des mains des Chryslioi, ne devint stratge de Dyrrachion qu'en 1018. Les fils de Jean, Nicolas et Thodore, firent ensuite carrire dans l'administration byzantine o on les suit jusqu'aux environs de 1057, DUCELLIER, La faade maritime, 67-68 (avec une esquisse de tableau gnalogique de la famille).

    79. DUCELLIER, La faade maritime, 69-70, avec les sources. 80. Sur le partage des obdiences, romaine au nord, orthodoxe grecque au sud, mixte au

    centre (y compris Dyrrachion), DUCELLIER, La faade maritime, 107-109.

  • 36 ALAIN DUCELLIER

    C'est prcisment dans le contexte du Xlme sicle que nous est enfin rvl le nom de la principale communaut qui peuple l'arrire-pays, les Albanais. Sans revenir sur une vieille querelle, a-t-on vraiment le choix de l 'interprtation quand Michel Attaleiats nous apprend que, aprs l'vi-ction de Georges Maniaks d'Italie du sud, les excs de Michel Dokeianos firent de deux peuples voisins de l'Italie byzantine, les Albanoi et les Lat-noi, ses ennemis acharns81, surtout quand ce mme auteur nous apprend que, revenu en Italie, Maniaks s'y rvolta "avec les soldats romains et albanais qui s'y trouvaient ensemble"82? Bien sr, nous connaissons tous les risques qu'il y a voir dans les ' des Albanais, mais, compte tenu de toutes les autres interprtations qui ont t donnes de ce nom, nous croyons encore que c'est la solution la plus raisonnable. Nous avons montr, aprs H. Vranoussi, quel point il est absurde d'y voir des Ecossais, comme R. Stojkov qui, l'aide de vieux ouvrages anglosaxons et faisant fi de toutes les sources primaires, mais s'inspirant de la conjoncture politique en Italie du Sud au Xlme sicle, voulait voir dans les ' de Michel Attaleiats des Ecossais qui auraient accompagn les Normands dans le Catpanat, puis auraient pass le dtroit pour devenir la souche des futurs Albanais, connus, ds 1079, par ce mme Attaleiats sous le nom de 8^, mais la trs erudite dmonstration de cette mme H. Vranoussi, qui veut y voir des "aubains", un terme non attest en Italie du sud et dont ' d'Attaleiats serait le seul dcalque grec, ne nous parat pas plus convaincante84. La difficult principale de ce passage vient coup sr de la

    81. ... , ' ' ' -

    , ...: ATTALEIATS, Bonn, 297, 21. On remarquera qu'Attaleiats ne dit pas que ces peuples sont devenus des ennemis froces de l'Empire, mais seulement du catpan Dokeianos: en fait, ils restent fidles Maniaks qu'ils suivront peu aprs dans sa rvolte. Cf. ERA VRANOUSSI, Oi ' ' , ! (1970), 210-211.

    82. ... ' , ' '. IDEM, 18, 18-19. C'est videmment dessein que nous crivons "soldats" et non "stratiotes".

    83. R. STOJKOV, Pervoto izvestie za albansite istoriceskite izvori, st. Preg. 22, 1, (1966), 60-62. Une critique trs dtaille et convaincante en a t donne par VRANOUSSI, Oi ', 248-254; pour notre part, nous nous sommes born quelques remarques de bon sens in A. DUCELLIER, Nouvel essai de mise au point sur l'apparition du peuple albanais dans les sources historiques byzantines, Studia Albanica 9 (1972), 299-306 (rd. in IDEM, LAlbanie entre Byzance et Venise Xe-XVe sicles, Variorum Reprints, Londres 1987, no. 5).

    84. VRANOUSSI, art. cit., 227 et 230; DUCELLIER, Nouvel essai de mise au point, 302-303. La dmonstration d'H. Vranoussi consiste surtout numrer les nombreuses (et videntes) occurrences du terme d'albanus dans les textes latins, mais elle doit avouer que sa thse en

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 37

    localisation des: ' et des par l'auteur, qui les situe ', ce qui invite y voir des peuples du Nord italien85.

    Mais cette difficult s'estompe si, au lieu de traduire ce membre de phrase par "au-del de la Rome occidentale"86 ou par "du ct de la Rome occidentale"87, on accepte d'admettre qu'Attaleiats veut seulement dire que, "avec la Rome occidentale", les populations voisines des provinces by-zantines d'Italie, taient alors les ' et les . Bien entendu, cela suppose une implantation militaire albanaise dans le Catpanat, ce qui ne paratra certainement pas trange qui connat les innombrables trans-ferts de population dont cet ensemble de provinces a t l'objet prati-quement sans discontinuer, mais le fait est videmment renforc par l'pi-sode, dj cit, o on voit la rvolte de Maniaks soutenue la fois par des "soldats albanais et romains qui s'y trouvaient ensemble"88, ce qui indi-querait que, pour s'assurer le contrle d'une province largement dissidente, le gouvernement imprial y avait dpch, parmi les troupes "romaines"89, des corps d'Albanais, tout indiqus du reste de par leur proximit gogra-phique et, comme le souligne Attaleiats, parce qu'ils avaient jusque-l toujours t de fidles "allis" des Romains, alliance garantie par leur adhsion la foi chrtienne90.

    serait renforce si elle pouvait prsenter un autre exemple d'emploi de ce mot pour dsigner en grec les Normands du Xlme sicle: elle doit avouer qu'il y en a bien un autre ... leur seconde mention par le mme Attaleiats, ce qui revient prouver l'usage d'un hapax par sa rutilisation dans le texte de l'auteur mme qui l'a dj employ (art. cit., 228).

    85. VRANOUSSI, art. cit., 214-215. 86. Telle est la traduction de la vieille dition de Bonn, celle aussi laquelle nous nous

    tions jadis ralli, cf. A. DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais au Xlme sicle, Travaux et Mmoires 3 (1968), 357 (L'Albanie entre Byzance et Venise, Xe-XVe sicles, no. 4) et laquelle revient VRANOUSSI, art. cit., 214.

    87. Tel est le choix d'H. GRGOIRE dans sa traduction franaise d'Attaleiats, Byzantion 28 (1958), 328. Cf. VRANOUSSI, art. cit., 210-211.

    88. Il va de soi que, interprtant ce deuxime passage d'Attaleiats, E. Vranoussi continue voir des Normands dans les qui suivent Maniaks, VRANOUSSI, art. cit., 229-230, ce qui est en contradiction avec toute la terminologie employe Byzance pour dsigner ce peuple, que les sources du temps nomment toujours ; DUCELLIER, Nouvel essai, 302-304.

    89. Il n'y a videmment pas lieu d'piloguer sur le sens de ', qui dsigne classiquement les Byzantins.

    90. Nous renonons volontiers notre ancienne interprtation, qui tendait voir dans ce passage d'Attaleiats la preuve que les Albanais appartenaient la communaut orthodoxe; il va de soi que l'auteur fait ici allusion la communitas christianorum qui englobe aussi bien les Romains, leurs allis latins d'Italie, sujets impriaux du Catpanat comme allis lombards

  • 38 ALAIN DUCELLIER

    Si l'on accepte cette interprtation, le fait mme que Michel Atta-leiats, quand il traite du soulvement de Nicphore Basilaks, en 1078, em-ploie un autre mot, , pour dsigner les Albanais, est plus clai-rant qu'embarrassant. Basilaks, nous dit-il, part de Dyrrachion avec une troupe rassemble en hte dans la rgion afin de rallier Thessalonique et Constantinople, l'auteur prcisant que le prtoprodre " ' , "

    91, ce qui donne

    une bonne image de cette arme qu'il avait constitue Dyrrachion " "

    92, et confirme du mme coup le ca-

    ractre composite des populations de l'actuelle Albanie, et surtout les diffrents stades d'volution socio-culturelle auxquels taient parvenus des Albanais dont on ne peut supposer l'uniformit.

    Ce n'est en effet pas au hasard qu'Attaliats n'avait auparavant parl que d'Albanais ds longtemps intgrs la socit et la culture byzantine, au point d'tre gals aux Romains pour leur statut juridique ( ) et leur culture religieuse ( ) mme si, communaut distincte au sein de l'Empire de plus en plus hellnis, tout comme l'taient les Latins d'Italie, ils taient considrs comme des allis () et non encore comme des sujets: il est clair que ces Albanais qui combattent avec les Romains sont des lments trs acculturs, probablement levs dans les zones littorales de l'Albanie et auprs des implantations byzantines des plaines et des valles. C'est ces lments qu'il rserverait donc le terme d' ', la situation tant fort diffrente lorsque Basilaks lve son arme en hte: aux cts de Romains et de Bulgares (peu srs, on le sait, aux yeux du gouvernement byzantin), il lve aussi des ', c'est dire des Albanais issus de zones plus recules, moins acculturs donc, peut-tre aussi plus pugnaces. Rien d'tonnant dsormais cette double dnomination, puisque chaque mot recouvre des ralits trs diffrentes: tout comme on distinguera les Turcs relativement sdentariss et les Turkmnes encore nomades et bien d'autres nuances du mme style au sein de nombre d'autres peuples, le couple: '-' serait la traduction de deux stades d'volution au sein d'une mme communaut, dont nous avons tent de montrer plus haut le caractre ingalement accultur, et de l'arrive dans la zone basse des lments albanais jusqu'alors les moins touchs par l'influence cultu-

    sous la direction de leur chef Ardouin (que dsigne videmment le terme ) et les fameux '. Cf. VRANOUSSI, Oi , 215, note 1, dont nous considrons la critique comme pertinente. Sur Ardouin, EADEM, art. cit., 220-224.

    91. ATTALEIATES, d. cit., 297, 20-21. 92. IDEM, 297, 12-13; DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais, 358.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 39

    relie ambiante. Ce couple se perptuant, nous le verrons, dans les sources postrieures qui rendent mieux compte des ralits sociales et culturelles fluctuantes qui caractrisent les communauts albanaises, il est tout fait impossible d'admettre que, chez Attaleiats, tout comme chez le Conti-nuateur de Skylitzs, qui le copie, le terme ' dsigne indistin-ctement l'ensemble du peuple albanais93.

    Quoi qu'il en soit, et mme si on n'acceptait que la seule mention des pour dsigner les Albanais au Xlme sicle, il va de soi qu'il s'agit d'une population en contact normal avec les Romains et sans doute bien connue d'eux: si, bien plus tard, Anne Comnne juge bon, pour les dsigner, de parler ', c'est par suite de son purisme bien connu qui lui fait viter les expressions "barbares", non pas parce qu'il s'agit d'un peuple peine dcouvert94. En fait, nous continuons croire qu'elle mentionne aussi les ', mais sous la forme 5

    qui, malheureusement, ne se trouve dans son texte qu'au gnitif pluriel et diffremment accentu selon les manuscrits, en sorte qu'on a voulu y voir le nom d'une circonscription administrative, nomme , totalement inconnue des sources, plutt que la dsignation du peuple albanais96.

    Sans plus nous attarder sur la position gographique de l'Arbanon, telle qu'on peut l'induire du texte d'Anne Comnne, rptons seulement que, pour elle, l'Arbanon n'est que la rgion montagneuse qui, de erme-nika Gur i Topit, s'tend vers le nord et vers le sud du Shkumbi, a t -teignant, vers l'est, la haute valle du Drin97, ce qui n'implique pourtant pas que, au dbut du Xlle sicle, l'Arbanon ait t le seul territoire peupl d'Albanais: il n'est que la partie des terres albanaises tre plus ou moins contrle par Byzance. Et nous ne saurions oublier que Nicphore Bryen-nios, quand il parle de l'Albanie du nord dont la "population locale" lui

    93. Telle est la position de VRANOUSSI, art. cit., 231-232. 94. ANNE COMNNE, Alexiade, d. Leib, vol. 2, 60; VRANOUSSI, art. cit., 232, interprte au

    contraire le qualificatif comme dnotant une mconnaissance des Albanais. 95. Pour la racine alternative normale alb-arb, cf A. KOSTALLARI, Contribution l'histoire

    des recherches onomastiques dans le domaine de l'Albanais, Studia Albanica 1 (1965), 41, avec une importante bibliographie. Voir aussi VRANOUSSI, Oi poi, 233 et KOL LUKA, Evidence of the Antiquity and Extension of the Ethnic Name Arbn/Arbr, Problems of the Formation of the Albanian People, Their Language and Culture, Tirana 1984, 258-259. VRANOUSSI, art. cit., 232, crit que " , ! .

    96. Alexiade, IV, 4, d. cit. vol. 1, 168; cette thse est celle de E. VRANOUSSI, , , ' ,

    Iannina 1962. 97. DucELLiER, L'Arbanon et les Albanais, 364-365, avec les rfrences.

  • 40 ALAIN DUCELLIER

    ouvre les voies peine praticables98, utilise peu prs les termes ( , , ), dont sa femme, qui connat par-faitement le texte du Csar, usera quelque quarante annes plus tard. Pr-cisment, l'essentiel, notre point de vue, est qu'Anne Comnne souligne constamment les difficults d'accs de l'Arbanon, dont les trai ts distinctifs sont ses dfils et ses sentiers imperceptibles ( "... et ... )", une explication naturelle, au Xle sicle, de l'intgration imparfaite des et du danger potentiel qu'ils pouvaient encore faire peser sur les populations des basses terres environnantes, ce qui avait men le pouvoir imprial riger, tout autour de l'Arbanon, un cercle de petites forteresses (). Ce qui ne signifie pourtant pas que les aient t des ennemis de Byzance: tout juste une communaut turbulente et encline au brigandage: au cours de la deuxime guerre normande, en 1108, Alexis Comnne, qui se trouvait Devri (Dibra, Debar), dans la haute valle du Drin, considre avec raison l'Arbanon comme son rempart naturel, tandis que les tratres sont les habitants du bas-pays qui, bons connaisseurs des "sentiers cachs" de l'Arbanon, en dvoilent le trac l'ennemi100.

    Pour rsumer ces premiers renseignements grecs sur les Albanais, nous pouvons dire que ce peuple se distingue clairement par un degr ingal d'intgration politique au monde byzantin: dans les parties basses et dans les cits, une population a demi byzantinise dont les caractres originaux, surtout dans le domaine religieux, sont encore assez accentus pour tre protgs par un pouvoir imprial qui a besoin d'elle face aux attaques occidentales ou slaves; et c'est probablement elle qui on donne le nom d"AA0avoj101. A son sujet, il n'est pas sans intrt de rappeler qu'une grande partie de l'actuelle Albanie occidentale, au moins depuis le cap Palli (Bishti i Palls) jusqu'au cap Linguetta (Kepi i Gjuhs), c'est dire de Dyrrachion Auln, rgion dont Anne Comnne considre les toponymes

    98. N. BRYENNIOS, Histoire, III, 4, d. P. Gautier, C.F.H.B., IX, Bruxelles 1975, 215. 99. Alexiade, XIII, V, d. cit., vol. 3, 104, 20 et 26; DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais,

    363. 100.

    oi , , , , , :

    Alexiade, XIII, V, 2, d. cit., vol. 3, 104. 101. ATTALEIATES, d. cit., 297, 20-21. Malgr l'opinion de VRANOUSSI (art. cit., 232), il peut

    tre intressant de noter que le Pseudo-Skylitzes crit: ',

    (PSEUDO-SKYLITZES, Bonn, 739, 9-11).

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 41

    comme barbares102, est connue, vers 1084, dans les quelques vers de la Chanson de Roland qui y sont interpols vers cette date l'occasion de expedition de Guiscard contre ces deux cits103, sous le nom d'Albeigne, c'est dire d'Albanie104. Cependant, plus haut dans les terres et surtout en Arbanon, vivait une communaut encore importante et demi autonome, la fois protection stratgique et rserve de mercenaires pour Constanti-nople, et dont la loyaut envers Byzance tait peut-tre encore plus grande, menace qu'elle tait par ses voisins slaves, tout comme il en tait des zones montueuses de l'Albanie septentrionale dont il est clair que les habitants entretenaient d'troites relations avec ceux de l'Arbanon.

    Ajoutons encore qu'une rgion comme l'Arbanon, encore demi contrle, ne pouvait tre, au Xle sicle, considre comme une circon-scription administrative byzantine: quand elle mentionne l'Arbanon, Anne Comnne s'en tient une stricte description gographique, moins de supposer que, lorsqu'elle parle d'un ^ , elle fasse en effet allusion une telle circonscription, dont le nom et t ", ce qui nous parat peu vraisemblable pour de nombreuses raisons. D'abord, et pour tre bref, ce serait l'unique occasion o Anne Comnne emploierait sous une forme plurielle, qui reste d'ailleurs incon-nue jusqu'au XVe sicle, un nom qu'elle utilise toujours au singulier, et sans jamais lui donner un sens administratif dont elle semble tout ignorer, puisque, nous le verrons, une telle signification semble bien n'tre apparue qu' la fin du Xlle sicle; ajoutons que, en octobre 1081, quand ni Alexis ni Georges Palologue, stratge de Dyrrachion, n'avaient les moyens de porter

    102. Rappelons que, citant des toponymes albanais, le cap Kavalin et la Vjosa (Aos) Anne crit: ' (Alexiade, , Vili, quot. ed. Il, 215), ce qui souligne le caractre allogne de la rgion.

    103. C'est particulirement le cas des manuscrits de Venise et de Chteauroux; H. GRGOIRE et RAOUL DE KEYSER, La Chanson de Roland et Byzance, ou de l'utilit du grec pour les romanistes, Byzantion 14 (1959), 290 ss, et part. 279.

    104. H. GRGOIRE, La Chanson de Roland de l'an 1085, Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques 25 (1939), 245 ss. . LUKA, Toponomia shqiptare ne "Kangn e Rolandit" lidhun me disa ngjarje t vjeteve 1081-1085, Studime Historike 2 (1967), 127-144 et part. 135-136; IDEM, Emni Albeinje-Albani dhe shtrirja e Arbrit ne shekullin XI-fillimi i t XII-tit, Actes de la Deuxime Confrence des tudes Albanologiques (1968), vol. 2, Tirana 1969, 155-158. Mme si les conclusions de H. Grgoire et de K. Luka sont souvent contestables, il est impossible de contester que le mme nom, Albeigne, et sans doute bien d'autres toponymes albanais, (LUKA, Toponimia, 130-133), taient connus dans certaines rgions d'Occident.

  • 42 ALAIN DUCELLIER

    secours la cit partir de la valle du Shkumbi105, on peut difficilement imaginer qu'ils aient imagin que le petit d'une province ncessairement insignifiante aurait pu dvaler de ses montagnes pour venir remplir cette mission en dpit de l'arme normande largement dplo-ye dans la plaine106.

    Etant donc connues leur position gographique et la bonne volont gnralement exprime par les Albanais envers Byzance, tait-il donc si tonnant que l'administration impriale ait t ouverte ces derniers ds le Xle sicle? Le problme peut tre paradoxalement rsolu condition d'admettre qu'il n'existait pas, en ce temps, de circonscription admi-nistrative nomme " ou r : s'il en est ainsi, la phrase d'Anne Comnne ne pourrait se traduire autrement que par "le dnomm Komiskortis dont les origines taient albanaises", ce qui ferait de Komis-kortis le nom propre de ce personnage107; une traduction que nous conti-nuons juger acceptable, attendu que le participe est employe en d'autres occasions par Anne elle-mme, et avec la mme signification108.

    De tout cela, il deviendrait possible de conclure que, au Xle sicle, un officier byzantin, natif d'Arbanon, portait, t i tre de nom propre, le nom de Komiskortis, sans doute parce qu'un de ses anctres avait exerc la fonction que ce terme dsigne109. Certes, nous confessons qu'il est sans

    105. VRANOUSSI, , 16-20, se borne donner de nombreux exemples des deux formes connues, " et ", le pluriel n'apparaissant, notre connaissance, que dans le trs tardif , . 1333 (DUCELLIER, Nouvel essai, 305). Sans vouloir faire rebondir une ancienne polmique, rptons seulement qu'il nous semble valoir mieux accepter une erreur d'accentuation ( pour ) plutt que d'imaginer l'existence d'une circonscription administrative non atteste d'autre part; VRANOUSSI, , 23; DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais, 362-363.

    106. ... \ -: Alexiade, IV, VIII, vol. 1, 168. Contra, VRANOUSSI, , 24-25, qui pense qu'il tait plus facile d'aller d'Arbanon vers Dyrrachion. Sur les dtails du contexte, cf. DUCELLIER, La faade maritime, 77.

    107. Rappelons qu'il peut paratre bien tonnant que l'historienne, qui connat avec prcision tous les noms des officiers alors en service en Albanie, n'ait mconnu que le nom de notre Komiskortis, DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais, 362.

    108. Donnons seulement quelques exemples o le mot a indiscutablement le sens de "d'origine": (Alexiade, , II, vol. 1, 66), o l'on remarquera le "", qui indique qu'Anne ne le connat gure plus que le Komiskortis; ou encore ... ( ..., ' ) (Alexiade, II, IV, 6, Leib I, 73). Contra, VRANOUSSI, Oi , 238, n. 2.

    109. Sans videmment retenir notre interprtation, VRANOUSSI, art. cit., 245, donne nombre d'autres exemples de titres ports comme noms de famille.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 43

    doute trop hypothtique d'admettre que les deux Arianits mentionns par Skylitzs soient rattacher la famille albanaise bien connue des Araniti-Arianiti110, mais nous croyons vraiment, en revanche, que les archontes de Dyrrachion, qui sont la fois, l'vidence, des officiers publics et de grands propritaires terriens, ne sauraient tre un cas isol; certains de ces archontes, comme Basile Mesopotamites, pouvaient tre la tte de puis-sants contingents locaux qui, sous leurs ordres, rsistent aux Normands111, ce qui les suppose revtus de fonctions et de dignits impriales et nous donne ide de leur ascendant sur les populations environnantes112. Ce Mesopotamites tait-il un grec ou un albanais? La question nous parat, en vrit, dnue de sens, puisqu'il serait bien difficile d'imaginer qu'une famille archontale, o qu'elle soit implante, puisse tre reste sans aucun lien avec le milieu environnant, ce qui pourrait autoriser y voir une fa-mille grco-albanaise, mais importe d'ailleurs assez peu puisque l'essentiel est qu'elle fasse preuve, en la circonstance, d'une authentique mentalit "romaine".

    Si nous acceptons ces jalons provisoires, nous pouvons, t i t re de conclusion sur l'obscure histoire des premiers sicles albanais, qui ne s'claire apparemment gure lorsque les ' sont ouvertement nomms, au Xlle sicle, nous contenter de dire que, tandis que Byzance mettait un accent toujours plus prononc sur l'importance stratgique de la province de Dyrrachion face aux nombreux dangers venus d'Occident, son ressort civil et religieux ne cessait pourtant de diminuer113, si bien que, la veille de la quatrime croisade, son territoire, tel qu'il se prsentait au Xle sicle, tait divis en sept ou huit petites circonscriptions admi-nistratives, comme en attestent les stipulations de la Partitio Romanie114.

    110. SKYLITZS, Bonn, II, 454, 459, 596, et aussi ATTALEIATES, 34, 6-7 et 15-16; DUCELLIER, L'Arbanon et les Albanais, 359; VRANOUSSI, art. cit., 246-248.

    111. Au sujet de ces troupes locales, DUCELLIER, La faade maritime, 94. 112. GUILLAUME DE POUILLE, La Geste de Robert Guiscard, L. IV, v. 324-343, d. Margue-

    rite Mathieu, Palerme 1961, 320; DUCELLIER, La faade maritime, 43. Il est pourtant seulement possible que les vers interpols de la Chanson de Roland fassent allusion Mesopotamites, La Geste de Robert Guiscard, 36 et 320; LUKA, Toponimia, 129.

    113. DUCELLIER, La faade maritime, 94-97. L'unique exception est un phmre regroupement administratif de la Diocle, de la Dalmatie, de Spalato et de Dyrrachion par Manuel Comnne en 1173 ou 1174; A. CARILE, Federico Barbarossa, i veneziani e l'assedio di Ancona del 1173, Contributo alla storia politica e sociale delle citt nel secolo XII, Venise 1974, 22-23, and FERLUGA, L'Amministrazione, 261-262, avec les rfrences compltes.

    114. A. CARILE, Partitio Terrarum Imperii Romanie, Studi Veneziani 7 (1965), 220; DUCELLIER, La faade maritime, 98.

  • 44 ALAIN DUCELLIER

    Mais le plus important nous semble tre que, mme s'il est imposible de dire quand est intervenu ce changement significatif, le nom mme de la province a, ds lors, t modifi, puisque l'ancienne provintia Drrachii est maintenant appele provintia Drrachii et Arbani, ce qui signifie que, mme si l'Arbanon ne peut tre considr comme une entit administrative ind-pendante, il apparat maintenant clairement comme une rgion dont les particularits sont assez fortes pour tre officiellement soulignes115. Et nous pouvons ajouter qu'il n'y a pas de risque majeur penser que, compte tenu du constant processus de rtrcissement du ressort administratif et religieux de Dyrrachion, la dfinition territoriale de l'Arbanon n'a fait que s'largir, en sorte que, dans la deuxime moiti du Xlle sicle, la fusion s'est opre entre l'ancien Arbanon d'Anne Comnne et les rgions peuples d'Albanais des provinces septentrionales de l'actuelle Albanie.

    Une telle situation politique et administrative peut expliquer quel point, la veille de 1204, le statut de l'Arbanon pouvait tre quivoque. A l'vidence, le premier "prince" albanais, Progon, qui apparat aux environs de 1190, n'tait pas un souverain indpendant: il n'tait sans doute qu'un archonte qui pouvait tre dot de quelques fonctions administratives, peut-tre celles de krits, comme le suggre une inscription non date, prove-nant de l'abbaye de Sainte-Marie de Trifandina, en Mirditie, qui fait de Progon et de son petit-fils Dhimitr des judices116.

    Il est donc clair que l'Arbanon tait alors une province trs marginale d'un empire toujours faiblissant, si bien qu'on ne saurait se tromper en pensant qu'il jouissait d'un statut politique et religieux semi-autonome, bien qu'on puisse aussi affirmer que les archontes albanais taient, au moins nominalement, soumis au patriarcat de Constantinople117. Pourtant, ce n'est pas un hasard si la premire mention des "princes" albanais intervient vers 1190, poque d'instabilit interne encore aggrave par la

    115. G.L.F. TAFEL - G.M. THOMAS, Urkunden zur lteren Handels- und Staatsgeschichte der Republik Venedig, vol. 1, Vienne 1856, 472; DUCELLIER, La faade maritime, 98-100.

    116. D. SHUTERIQI, Nj mbishkrim i Arbrit (1190-1216), Studime Historike III (1967), part. 133-142; . DUCELLIER, Les Albanais du Xlme au XHIme sicles: nomades ou sdentaires?, L'Albanie entre Byzance et Venise, chap. VI, 28.

    117. Le fait que le diocse de Kruja ait t, peu avant, soumis Rome, probablement en 1187, n'est pas une preuve de l'obdience romaine de l'Arbanon, puisqu'il est vraisemblable que Kruja dpendait alors du duch de Dyrrachion, ce qui est aussi prsuppos par un privilge perdu de Manuel Comnne (renouvel par Andronic II et Alphonse le Magnanime), qui avait sans doute t dlivr aprs sa victoire de 1165, et en vertu duquel les citoyens de Kruja recevaient accs franc de taxes Dyrrachion; DUCELLIER, La faade maritime, 10-11 et 13-14, et IDEM, AUX frontires de la Romanit et de l'Orthodoxie au Moyen Age: le cas de l'Albanie, L'Albanie entre Byzance et Venise, chap. XI, 3-4, avec les rfrences aux travaux prcdents.

  • LES ALBANAIS DANS L'EMPIRE BYZANTIN 45

    rupture entre Byzance et Venise, l'attaque normande de 1185, les rvoltes serbes et bulgares, le tout couronn par la troisime croisade.

    Pour conclure, on comprendra sans doute mieux comment cette situation locale quivoque explique aussi les consquences spcifiques de la chute de Constantinople sur le statut politique de l'Arbanon. Aprs 1204, les principaux ennemis de l'Arbanon sont l'vidence Venise et la Zta: depuis 1205118, la Rpublique maintient son occupation sur la cte centrale de l'Albanie actuelle, le Ducato di Durazzo, et cela jusqu'en 1212119. Quant au trait qu'elle passe, en 1208120 avec le prince Georges de Zta, il con-stitue une menace particulirement grave contre l'Arbanon puisque, parmi d'autres stipulations, le prince serbe s'y engage secourir Venise en cas de "rbellion" des Albanais contre la Rpublique. Ainsi menac, Dhimitr d'Arbanon, qui vient juste de succder son frre Gjin sans jamais perdre, sans doute, la vieille tradition philobyzantine des Albanais, n'avait d'autre solution que de monter une alliance avec ses voisins orthodoxes, le royaume de Serbie et, par-dessus tout, l'Etat pirote, qui, pour l'Arbanon, repr-sentait la vraie tradition byzantine et donc la meilleure protection contre Venise121.

    C'est donc probablement vers 1210 que le prince Dhimitr prit pour femme Comnena, une fille de Stefan Nemanja et d'Eudocie, nice d'Alexis III Ange, en qui se rejoignaient les deux grandes traditions orthodoxes122, et ce souci de "lgitimit" byzantine est encore plus confirm par le fait que l'archonte grco-albanais Grgoire Kamnas, dont la succession Dhimitr, vers 1215, est dj en soi significative, pouse son tour la femme du prince qui vient de mourir12^.

    C'est d'ailleurs sa fidlit l'Empire byzantin d'Occident qui, avec les progrs dcisifs de son rival nicen, dans les annes 1256-1257, entrane la disparition de la petite principaut albanaise qui, par-del 1204, n'avait jamais rompu rellement les liens avec un Empire qui, en ces parages trs menacs par l'expansion politique, culturelle et religieuse des Latins, avait toujours t le lieu d'ancrage naturel des Albanais.

    118. Pour le choix de cette date, DUCELLIER, La faade maritime, 126-127. 119. IDEM, op. cit., 149-151. 120. L. von THALLOCZY, K. JIRECEK, M. SUFFLAY, Acta et diplomata res Albaniae mediae

    aetatis illustrantia, vol. 1, no. 134, 42 (3 juillet 1208); DUCELLIER, La faade maritime, 136. 121 Sur les bonnes relations de l'Arbanon avec l'Epire et la Serbie, D. NICOL, T