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Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel: réflexions sur la loi du 6 août 2015 Pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiquesDocuments de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series
Frédéric Marty
GREDEG WP No. 2016-12http://www.gredeg.cnrs.fr/working-papers.html
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Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel
Réflexions sur la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité
des chances économiques
Frédéric MARTY
CNRS – GREDEG
Université Nice Sophia Antipolis
GREDEG Working Paper No. 2016-12
Résumé
La réglementation appliquée à certaines professions est plus souvent analysée sous le prisme
d’une protection indue contre la concurrence que sous celui de la défense de l’intérêt général,
i.e. de la prévention d’une défaillance de marché. Dans le cadre de la réforme de la
réglementation applicable à certaines professions du droit inaugurée en France par la loi Macron
d’août 2015, nous interrogeons le cadre réglementaire initial avant de nous attacher aux impacts
possibles sur les prix et sur la qualité du service rendu de la réforme en cours.
Mots clés : professions réglementées, défaillances de marché, capture de la réglementation,
asymétrie d’information, biens de confiance
Codes JEL : K23, L43, L51
Abstract
The law and economics analysis of regulated professions leads to highly controversial
judgements. For some, the regulation provides an unduly protection against competition. For
others, the regulation contributes to the general interest, for instance by preventing market
failures. In the context of the French reform of regulated legal professions, initiated in August
2015 by the Macron Law, we analyse the former regulatory framework before investigating its
potential impacts in terms of prices and service quality.
Keywords: regulated professions, market failure, regulatory capture, information asymmetry,
credence goods
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La réglementation qui s’applique à certaines professions est parfois vue par l’analyse
économique comme ayant plus effet de leur offrir une protection contre la concurrence que de
répondre à une défaillance de marché ou encore à protéger les consommateurs. Notre objectif
est ici de montrer qu’une position plus équilibrée peut découler de la prise en compte de la
question de la qualité des services rendus par quelques-unes de ces professions réglementées,
celles du droit. Deux questions sont alors posées. La première porte sur les effets de la
réglementation actuelle, la seconde sur l’impact de l’évolution initiée par la loi Macron. Il s’agit
de savoir si celle-ci pourra effectivement permettre une baisse des prix et si celle-ci ne se paiera
pas le cas échéant par une dégradation du service rendu à l’usager.
Notre contribution se structure en deux parties. Une première tient à la question amont. Il s’agit
d’interroger les fondements de la réglementation. Plusieurs analyses économiques possibles de
la réglementation sont mises en regard. Est-elle simplement la résultante d’un phénomène de
capture par les acteurs régulés ou participe-t-elle d’une logique de correction d’une défaillance
de marché tenant à une information asymétrique et incomplète tant ex ante qu’ex post sur la
qualité du professionnel et sur le niveau d’effort qu’il a mis en œuvre ? Notre seconde partie
s’inscrit dans une problématique aval. Il s’agit d’interroger les dispositifs introduits dans le
cadre de la Loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques dite loi Macron à l’aune d’une conciliation entre garantie de la qualité du service
rendu à l’usager et recherche d’un renforcement de la concurrence.
I. Entre défaillance de la réglementation et défaillance de marché
Il convient successivement d’interroger la littérature académique quant à l’identification des
bénéficiaires de la réglementation (A) avant de montrer comment la réglementation de certaines
professions a servi de symbole à l’agenda de réformes structurelles de l’économie française
rendues nécessaires par son déficit croissant de compétitivité (B).
A. Une méfiance historique : la réglementation protège-t-elle l’intérêt général ou les
intérêts des règlementés ?
a) Une perspective historique sur les professions réglementées
Il est une constante, et ce particulièrement en France de dénoncer la réglementation publique
comme plus profitable plus aux opérateurs économiques qui lui sont soumis qu’au
consommateur ou à l’intérêt général. Le débat sur les professions réglementées n’a pas été sans
faire écho ou sans susciter des références, guère souvent justifiées néanmoins, à la situation de
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la France de l’Ancien Régime, et notamment aux corporations (Kaplan et Minard, 2004).
Supprimées sur la base de la liberté du commerce et de l’industrie par les décrets d’Allarde des
2 et 17 mars 1791 et la Loi Le Chapelier du 14 juin 1791, elles étaient vues comme autant de
frein à l’innovation et au développement de l’économie (Imbert, 1993). Elles incarnent depuis
dans l’imaginaire collectif l’entrave par excellence aux libertés économiques au profit non de
l’intérêt général mais d’intérêts particuliers.
A ce titre, certaines recommandations de rapports pourtant distants d’un demi-siècle, du rapport
Armand–Rueff (1960) aux rapports Attali (2008) et Gallois (2012), produisent un troublant
écho avec les tentatives toujours avortées de réformes du crépuscule de l’Ancien Régime.
Quelques-unes des lignes du rapport Armand-Rueff suffisent à établir une telle concordance
des temps : « L’existence de certains groupes de pression, dont l’action méconnaît les exigences
de l’intérêt général, n’est certes propre à notre seul pays. Cependant, l’esprit souvent
conservateur et malthusien de ces groupes a des racines profondes dans notre histoire
économique. On peut y observer une lutte incessante entre, d’une part, les corporations, les
corps intermédiaires et les coalitions d’intérêts, à la recherche de monopoles, de privilèges et
de protections, et, d’autre part, l’Etat et l’administration qui résistent, limitent, repoussent, mais
souvent finissent par succomber. Les figures d’Henri III, de Colbert, de Turgot, du député
d’Allarde, de Napoléon III, de Méline et d’autres plus récentes, illustrent les péripéties de cet
éternel conflit » (Armand et Rueff, 1960). Ainsi, la situation des professions réglementées est
– dans le discours – rapprochée de l’économie d’Ancien Régime. Les barrières réglementaires
à l’entrée et l’absence de concurrence tarifaire apparaissent comme autant d’outils de protection
d’une rente.
Cette vision revient de fait à celle défendue par l’Ecole de Choix Publics : la réglementation ne
procède pas de la décision optimale d’un décideur public omniscient, omnipotent et bienveillant
mais peut voir ses motivations et ses effets altérés. En d’autres termes, la réglementation
publique faillirait à remplir son objectif légitime de correction des défaillances de marché. Elle
serait sujette à un certain nombre de risques. Le premier est un risque de capture
informationnelle émanant des firmes régulées. Il met en cause l’hypothèse d’omniscience du
régulateur. Cette capture peut provenir de la transmission d’informations tronquées ou biaisées
par les régulés ou plus simplement par l’assimilation progressive de l’intérêt général à celui du
secteur régulé. Le deuxième risque est que l’hypothèse d’omnipotence puisse être relâchée.
Cela revient à mettre en question l’efficacité voire l’effectivité de la réglementation publique.
Les règles dans ce cadre pourraient être détournées par les entités régulées à des fins de
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protection de leur situation de marché. Le troisième risque tient au relâchement de l’hypothèse
de bienveillance. Le régulateur pourrait porter d’autres objectifs que ceux qui prescriraient la
défense de l’intérêt général. Cela peut procéder de logiques de corruption ou plus
prosaïquement de dynamiques de carrières pouvant induire des passages de l’autorité de
régulation vers les industries régulées et réciproquement (phénomène de revolving doors).
La réglementation pourrait dans cette approche conduire à une protection d’un faible nombre
d’acteurs au détriment du plus grand nombre. Ce phénomène peut de fait s’expliquer par le
paradoxe de l’action collective mis en évidence par Mancur Olson (1965). Dans la mesure où
les gains sont concentrés sur un faible nombre et les coûts dispersés sur l’ensemble de la société,
un groupe bien structuré peut exercer une pression efficace sur le décideur public pour obtenir
une réglementation qui lui sera indûment profitable.
Il s’agit au final d’une approche de la réglementation comme résultante d’une stratégie de
capture au profit d’intérêts privés (private interest theory) au détriment de l’intérêt général. Il
est à noter que cette capture peut être considérée comme d’autant plus assurée que la profession
en question est protégée par une structuration par ordre professionnel, laquelle dans cette
perspective est vue comme un dispositif d’auto-régulation participant bien moins d’une logique
d’efficacité du contrôle sur les opérateurs régulée que d’une stratégie d’évitement de la
supervision publique (Ogus, 1995).
La réglementation de certaines professions était présentée comme malthusienne par le rapport
Armand-Rueff. Les barrières à l’entrée (sous forme de numerus clausus ou de conditions
restrictives d’installation) ont pour effet de rationner l’offre et donc d’offrir aux opérateurs
présents un pouvoir de marché leur permettant d’accroître leurs prix1. Au-delà de cet effet, une
réglementation protégeant certaines professions peut avoir les mêmes conséquences sur le
marché qu’un cartel. Ces derniers peuvent prendre des formes différentes qu’il s’agisse
d’ententes sur les prix, sur la production ou de dispositifs de répartition ou de protection du
marché contre les nouveaux entrants. Il peut s’agir dans ces deux derniers cas de partages
géographique de marchés ou de restrictions à l’entrée. Par certains égards, la réglementation
1 Le rapport Armand-Rueff mettait en exergue « les situations de sclérose, de malthusianisme ou d’inadaptation [...] dans l’organisation de certaines professions » ayant permis la constitution « au sein de notre système économique, des îlots de résistance aux nécessaires aménagements [...] qu’exigent le progrès technique, le renouveau démographique et l’évolution sociale ». De fait, les termes du débat sur les professions réglementées tels que les avaient posés Armand et Rueff étaient indissociables de la question de la compétitivité de l’économie française, thème central de la politique économique de la Cinquième République naissante et souci majeur de la période contemporaine post-crise de 2008 (Didry et Marty, 2015).
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qui s’applique aux professions réglementées, notamment du droit, peut reposer sur des
dispositifs pouvant avoir des effets comparables.
Toute restriction horizontale de concurrence se traduit par une triple inefficience au point de
vue économique. Le premier dommage porte sur l’efficacité allocative. Le pouvoir de marché
acquis collectivement par les cartellistes leur permet d’accaparer une partie du surplus du
consommateur. Un effet « redistributif » découle donc de la coordination entre les offreurs. Il
s’agit d’un transfert de bien-être des consommateurs vers les professionnels en question. Une
restriction horizontale induit également une perte sèche de bien-être pour l’ensemble de
l’économie. En effet, la hausse des prix conduit à exclure certains consommateurs du marché.
Un tel effet serait particulièrement dommageable dans les secteurs concernés par ces
réglementations dans la mesure où il s’agit de domaines liés à des services revêtant des
dimensions d’intérêt général. Le troisième et dernier dommage tient au « conservatisme »
également dénoncé par Armand et Rueff. Les entraves à la concurrence horizontale ont pour
effet de réduire les incitations pour les professionnels à innover ou à baisser leurs coûts. Il en
résulte donc une inefficience dynamique. Nous retrouvons ici l’argument de John Hicks (1935)
selon lequel le principal gain du monopole n’est pas tant la capacité de porter son prix au-delà
du niveau concurrentiel mais le fait de disposer d’une maîtrise de l’environnement
concurrentiel : the quiet life of monopoly. La réglementation protège contre de nouvelles
entrées, prévient l’émergence de mavericks venant troubler l’ordre de marché en proposant de
nouveaux modèles d’affaires. Dans le cas des professions réglementées du droit, la
réglementation peut être vue comme faisant obstacle à l’émergence de nouveaux modèles
d’organisation telles des structures multi-professionnelles pouvant prester des services
innovants et compétitifs pour les entreprises.
Une telle vision de la réglementation publique revient de fait à l’analyse développée par l’Ecole
de Chicago (Stigler, 1971). Les barrières à l’entrée sur le marché ne sont que rarement
techniques ou financières mais le plus souvent publiques. Le rôle de la politique publique est
alors de lever ces barrières, en d’autres termes de rendre les marchés contestables pour –
hypothétiquement – les rendre autorégulateurs, ou du moins permettre une gouvernance
purement concurrentielle. Le modèle le plus efficace économiquement ne serait plus alors celui
d’une réglementation ex ante (assurée par exemple dans le cas des professions réglementées du
droit par le ministère de la Justice), mais celui d’une sanction ex post des pratiques contraires
aux règles de marché assurée le juge de la concurrence.
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Si la protection dont jouiraient certaines professions était déjà dénoncée par le rapport Armand-
Rueff comme un obstacle à la modernisation de l’économie française dans une période de mise
en place du marché commun et donc de renforcement de la concurrence étrangère, la question
du coût de telles protections indues sur la compétitivité des firmes exportatrices françaises se
pose encore plus d’acuité aujourd’hui.
Sy (2014) illustre ces enjeux. Une déconnexion croissante s’observe en France entre les prix du
secteur protégé et du secteur exposé à la concurrence internationale. De fait, le solde des
échanges extérieurs qui était positif de 1,5% en moyenne entre 1999 et 2004 est négatif de 1,3%
en moyenne depuis cette date. Une des explications possibles de cette tendance structurelle tient
à la dégradation du taux de change interne, c’est-à-dire du différentiel entre les prix des biens
et services échangés internationalement et ceux qui ne le sont que sur le marché français. Quand
les premiers ont crû de 10% en 10 ans, les seconds de 25%. Or, les services représentent 60 à
80% de la valeur ajoutée de nos productions industrielles. Si les services juridiques ne
concernent qu’une très faible part de l’ensemble des services, il n’en demeure pas moins qu’ils
font partie des domaines sur lesquels doivent porter les réformes structurelles nécessaires à la
restauration de notre compétitivité2.
b) Les professions réglementées sur l’agenda des réformes structurelles
De fait, parmi les réformes structurelles préconisées pour restaurer notre compétitivité, les
professions réglementées occupent une place symbolique, par certains égards bien supérieure à
leur réel poids économique.
Un rapport d’octobre 2014 de l’OCDE fournit un premier exemple de cette logique (OCDE,
2014). Si la faiblesse de la croissance depuis la crise de 2008 est commune à la majeure partie
des états européens et tire notamment ses origines du décrochage de notre continent en termes
de gains de productivité vis-à-vis des Etats-Unis (Van Ark et al., 2008), cette tendance est
particulièrement marquée – et préjudiciable au vu de sa démographie – pour notre pays. Pour
l’OCDE, l’un des facteurs expliquant la sous-performance française tient au poids de la
réglementation affectant le coût des intrants (Bourlès et al., 2013). Il s’ensuit des propositions
de réformes structurelles qui se déclinent dans quatre domaines dont celui de la concurrence
sur le marché des biens et services. Aux côtés de la réforme des règles afférentes au marché du
2 Le même raisonnement pourrait être étendu aux particuliers. Le poids des frais de mutations immobilières réduit la mobilité des actifs et contribue donc à rigidifier le marché du travail. Cependant, la même réserve doit s’appliquer : un renforcement de la concurrence ne saurait jouer sur la part des frais liée à des prélèvements fiscaux.
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travail, de celle portant sur la politique fiscale et de l’organisation administrativo-territoriale de
la République, figure celle des marchés de biens et services. Les services à l’industrie
constituent indubitablement une part croissante des coûts des entreprises et une variable clé de
leur compétitivité. Les professions réglementées n’occupent certes qu’une faible place par
rapport à l’ensemble des services (Sterdinyiak, 2015). Pour autant, l’OCDE (2014) insiste sur
les services juridiques et comptables : « Certaines réglementations qui visent à protéger
l’exercice d’une profession, ou instaurent une dynamique monopolistique dans un secteur
peuvent ainsi être une entrave importante à l’amélioration de la compétitivité de toute la chaîne
industrielle ».
L’accent placé par l’OCDE sur les professions réglementées fait écho aux conclusions rendues
un an plus tôt par l’Inspection Générale des Finances (2013). L’IGF s’est livrée à une analyse
économique du fonctionnement de 37 professions réglementées3 représentant quelques 1,1
million de salariés et 6,4% du PIB français. Il s’agissait donc d’un périmètre plus large que
celui des professions réglementées du droit. Son constat rejoint le schéma « chicagoéen » que
nous avons décrit supra. La réglementation aurait pour effet de protéger indûment les firmes
réglementées. En effet, pour l’IGF, le niveau de rentabilité, compte tenu des investissements et
des niveaux de risques associés, « ne trouve dans certains cas pas d’autre explication que la
réglementation en vigueur ». Le bénéfice net avant impôt moyen de ces 37 professions serait
de 19,2% soit 2,4 fois plus que la moyenne de l’économie. Le rapport de la Commission d’étude
des effets de la loi pour la croissance et l’activité confortait cette relation de déconnexion entre
niveaux de risques et de rentabilité en mettant en évidence que la réglementation peut produire
des rentes indues dès lors que coexistent un tarif non lié aux coûts, des activités monopolistiques
dont les prix ne sont pas régulés et des barrières à l’entrée sur le marché induisant un
rationnement de l’offre (Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et pour
l’activité, 2015).
Ce constat est conforme aux principaux résultats dégagés par la littérature académique quant
aux effets de la réglementation des services sur la croissance et la productivité globale des
facteurs. La Commission d’étude s’appuie par exemple sur les conclusions de Bourlès et al.
(2015), lesquels mettent évidence un impact favorable d’un allègement de la réglementation sur
3 Cinq catégories de réglementations étaient analysées. Il s’agissait des tâches et activités réservées, des tarifs réglementés, des exigences minimales de qualification, des restrictions à la liberté de formation et d’installation et enfin des restrictions en matière d’accès au capital.
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la productivité globale des facteurs. Nous retrouvons encore le lien mis en avant dès le rapport
Armand-Rueff entre réglementation et productivité.
Il est néanmoins à noter que le rapport de l’IGF reconnaissait que la majeure partie des
restrictions analysées (tâches et activités réservées, réglementations tarifaires, exigences
minimales de qualification, limitations à la liberté de formation et d’installation et, enfin, en
matière d’accès au capital) correspondaient à la mise en œuvre d’objectifs d’intérêt général et
d’efficacité économique. En effet, trois facteurs pouvant expliquer la présence d’une
réglementation publique étaient mis en avant par l’IGF. Il s’agit tout d’abord du manque
d’expertise du public sur la qualité et l’adéquation du service proposé et sur l’étendue de son
besoin. Il s’agit ensuite d’un risque d’apparition de prix trop élevés par rapport aux coûts de
revient ou trop bas pour permettre un service d’une qualité suffisante. Il s’agit enfin d’un risque
de conflits d’intérêts chez les professionnels.
B - La réglementation n’est pas qu’une affaire de prix mais aussi de contrôle de la qualité
du service
De fait, l’expérience historique montre que la réglementation publique n’est que rarement
initiée sur la base d’une recherche de rente ou de la constitution de droits de monopoles au
profit d’une profession donnée mais souvent pour répondre à un problème de défaillance de
marché, notamment lié à des questions de qualité des produits et des services. Par exemple, si
les corporations d’Ancien Régime étaient effectivement devenues, pour reprendre les termes de
Jacques Le Goff, « des instruments d’immobilisme social, de résistance à l’innovation
technique, des bastions du conservatisme visant à éliminer la concurrence sur le marché urbain
et d’organiser un système de monopole4», le développement de ces dernières et leur pérennité
ne sauraient être séparés de la question de la qualité des produits (voir également Stanziani,
2003) .
En effet, si la réglementation publique peut induire des coûts collectifs en cas de défauts de
conception ou de mise en œuvre (notion de défaillance de la réglementation), elle répond
néanmoins souvent à une défaillance de marché. Celle-ci tient principalement, dans le cas des
professions réglementées du droit, au déficit informationnel des usagers. En effet, ces derniers
doivent composer avec une information asymétrique et incomplète tant ex ante qu’ex post. Ce
faisant, les deux problèmes classiques, l’anti-sélection et l’aléa moral, sont en jeu.
4 Le Goff J., « Corporations », Encyclopédie Universalis, version en ligne, http://www.universalis.fr/encyclopedie/corporations/
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L’anti-sélection tient à l’absence de vérifiabilité de la qualité des biens et des services sur un
marché. Comme l’a montré Akerlof (1970) avec son market for lemons, un tel phénomène peut
conduire à une défaillance pure et simple de marché. Pour le cas des professions réglementées
du droit, il est possible de considérer que la mauvaise qualité du système juridique, tant en
matière de définition des droits de propriété que de garanties juridictionnelles de l’effectivité
des obligations contractuelles, est de nature à porter préjudice à l’efficacité économique et donc
au potentiel de croissance de l’économie.
De nombreux exemples dans l’histoire économique permettent d’établir un lien entre qualité du
système juridique et performance économique de long terme. Le cas argentin est topique d’un
tel phénomène, bien qu’il ne constitue pas loin s’en faut un cas isolé en Amérique Latine (Fleitas
et al., 2013). En matière de sécurité juridique tout d’abord, la mauvaise définition des droits de
propriété a posé de redoutables problèmes, notamment dans le domaine des concessions de
service public (Post, 2014). Dans le domaine de l’exécution des contrats ensuite, l’une des
explications de la faible performance économique de long terme de l’Argentine depuis les
années cinquante tiendrait au faible accent mis par le juge du contrat sur le respect des
engagements contractuels dans le cadre des contentieux qui lui étaient présentés (Prados de la
Escosura et Sanz-Villaroya, 2006). Une telle analyse est conforme aux prédictions de Douglas
North et d’Oliver Williamson pour lesquels la qualité du cadre institutionnel joue sur l’efficacité
économique (North, 1990). Pour Williamson (1990), une économie de « haute performance »
suppose que des contrats de long terme puissent être conclus. Ceux-ci présentent des
caractéristiques (investissements lourds et spécifiques, transactions de faible fréquence) qui les
exposent au risque d’aléa moral et donc de hold-up contractuel. Un cadre juridique de qualité
est donc nécessaire pour que des investissements de long terme puissent être réalisés.
Face à cette situation d’information asymétrique et incomplète, des « counteracting
institutions » au sens d’Akerlof sont nécessaires. Pour lui, les garanties en termes de qualité des
services pouvaient venir des logiques réputationnelles induites par les stratégies de marques ou
des procédures de de certification ou de licence. Le passage du marché des biens et services à
celui des professions réglementées du droit apparaît dès l’article de 1970 : « licensing practices
also reduce quality uncertainty. For instance, there is the licensing of doctors, lawyers and
barbers ». Cette logique d’une réglementation publique visant à corriger des défaillances de
marché qui est propre à la Première Economie du Bien-Etre qui précéda les analyses de l’Ecole
de Chicago, trouve une présentation détaillée, type de réglementation par type de
réglementation, dans le rapport de l’IGF (2013) comme le montre le tableau infra.
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Caractéristiques de la transaction
pouvant induire des défaillances de
marchés
Solutions réglementaires envisageables
Manque d’expertise du consommateur sur
l’étendue du besoin et sur l’adéquation
des services proposés
Exigence de qualification
Institution d’activités exclusives et réservées ou de monopoles
professionnels
Autorisation explicite de la puissance publique pour entrer sur le
marché (nomination des notaires par le garde des sceaux)
Délégation de service public (huissiers)
Risque d’apparition de prix trop élevés
par rapport aux coûts de production ou de
prix trop bas par rapport à ce qui serait
nécessaire pour assurer un service d’une
qualité adéquate
Institution d’un tarif réglementé
Subvention publique pour les consommateurs dont les ressources
ne permettraient pas d’accéder au service (aide juridictionnelle)
Risque d’un nombre de professionnel
excessif au vu des besoins sociaux
Instauration d’un numerus clausus
Interdiction de s’installer dans des zones déjà excédentaires
Il s’agit donc de trouver une voie d’équilibre entre d’une part une nécessaire correction des
défaillances de marché et la protection des intérêts des agents économiques en situation
d’information imparfaite et d’autre part la prévention de défaillances de la réglementation se
traduisant par des protections indues accordées aux acteurs réglementées au détriment de
l’intérêt général. Il convient en d’autres termes de ne pas exclusivement considérer les effets
d’une dérégulation sur les prix mais également prendre en compte ses effets éventuels sur la
qualité du service rendu à l’usager.
Il convient en effet, suivant Chaserant et Harnay (2015a), de traiter le marché des services
juridiques non pas comme un marché de commodités dans lequel des biens et services standards
et non différenciés seraient échangés par des acteurs homogènes mais de penser l’hétérogénéité
des produits et des acteurs et ses conséquences possibles en termes de régulation.
II. La Loi Macron et les professions réglementées du droit : une voie d’équilibre ?
Nous proposons dans notre seconde partie de traiter plus spécifiquement du cas des
professionnels du droit dans le cadre de la Loi Macron en abordant successivement la question
spécifique des caractéristiques des services qu’ils prestent et celle des solutions dégagées par le
législateur.
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A – D’une analyse critique de la réglementation actuelle à un nouveau modèle de
régulation
Raisonner sur les défaillances de la réglementation sur la base d’un modèle concurrentiel
standard présente un double écueil. La premier, que nous avons présenté dans notre précédente
section, est d’omettre que la réglementation vise souvent à pallier une défaillance de marché
dont il s’agit de ne pas susciter la résurgence. Le second est de raisonner sur la base de biens et
services homogènes.
Il est en effet nécessaire d’affiner les catégories de biens et services visés (Karpik, 2000 ;
Chaserant et Harnay, 2013). Il convient de distinguer trois types de biens et services. Les
premiers sont les biens de recherche. Leur qualité ne dépend que marginalement du
professionnel qui les preste. Il s’agit des biens et services que l’on pourrait qualifier de standards
et dont ce faisant les marchés correspondants se prêtent donc à une analyse économique
traditionnelle. Un deuxième type de bien échappe déjà à une telle analyse. Il s’agit des biens
d’expérience. Il n’est pas possible d’évaluer leur qualité ex ante. Un problème d’anti-sélection
est en jeu. Cependant, il est possible d’évaluer (et de transférer aux tiers) leur qualité ex post.
Cette caractéristique n’est plus de mise pour les biens de confiance. Dans leur cas, l’asymétrie
d’information quant à leur qualité persiste même après leur consommation.
De telles caractéristiques peuvent jouer dans la conception de la réglementation. Les différents
types de biens n’appellent pas en effet un niveau de protection du consommateur équivalent.
Elles questionnent également les possibles mécanismes d’autorégulation du marché par des
mécanismes réputationnels ou le transfert d’expériences de consommateurs expérimentés vers
des consommateurs novices. En effet, si le service rendu par le professionnel du droit est conçu
comme un bien de confiance, le client n’a souvent qu’un faible niveau d’expérience et peut ne
pas être capable d’apprécier même ex post la qualité du service rendu par le professionnel. En
outre, comme le soulignent Chaserant et Harnay (2015a), le service juridique rendu par le
professionnel est de fait personnalisé (nous pourrions dire dédicacé au sens de Salais et Stoper
(2013)). Sa qualité dépend en grande partie des interactions entre le professionnel et son client.
Il s’agit donc d’une logique de co-conception du service. De tels services ne peuvent être
ramenés au cadre qui peut s’appliquer à des commodités au sens anglo-saxon du terme. Ils
appellent donc un mode de régulation spécifique. Face à de telles caractéristiques, une
régulation purement concurrentielle ne saurait être en mesure de produire ses effets en termes
de prix sans avoir des effets non désirés en termes de qualité (Dulleck et Kerschbamer, 2006).
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Cependant, l’ensemble des services prestés par les professionnels du droit ne peuvent être
considérés comme appartenant à cette catégorie. De nombreux services revêtent les
caractéristiques des biens d’expérience si ce n’est des biens de recherche. Dès lors, leur mode
de régulation peut plus se rapprocher d’une régulation concurrentielle – si l’accès au marché
est libre – ou d’une régulation au travers d’une réglementation tarifaire – si des situations de
monopoles perdurent.
L’un des enjeux est de veiller à ce que la réglementation ait un périmètre ajusté à ses objectifs
légitimes. En d’autres termes, il s’agit de laisser jouer les règles générales de la concurrence
autant que possible et intervenir au travers d’une réglementation publique dans la limite du
nécessaire. Or, selon l’IGF, le périmètre de certaines des réglementations afférentes aux
professions du droit peut être considéré comme trop large. Par exemple celui de certaines tâches
réservées serait excessif et irait donc au-delà de ce qui est nécessaire pour corriger la défaillance
de marché. Il en serait ainsi du monopole des notaires sur la rédaction des actes soumis à
publicité foncière. Pour l’IGF, l’authentification de l’acte par le notaire est un acte différent de
sa rédaction.
La loi Macron reprend cette logique de levée des restrictions excessives à la concurrence tout
en ne substituant pas à la réglementation précédente une pure gouvernance de marché (Marty,
2015). De fait, comme ont montré les précédentes communications lors de cette journée
d’études, la loi Macron est pour les professions réglementées bien plus une évolution de la
réglementation qu’une dérèglementation. Les degrés additionnels de liberté introduits par la loi
(liberté d’accès au marché, liberté tarifaire ou encore liberté en matière de structures d’exercice)
dessinent de fait un paysage de concurrence régulée.
Deux lectures pourraient en être faites. La première serait celle d’une préférence française pour
la concurrence administrée. Il s’agirait d’une tendance ingénierique à la construction d’un
marché parfait pour reprendre les termes de Salais (2015) ou l’analyse de Fréget (2015). Une
seconde lecture possible est celle de la gestion d’une transition, d’une prise en compte des
difficultés propres au changement de réglementation et des nécessités de maintenir un cadre
réglementaire susceptible de prévenir les défaillances de marchés liées aux limites
informationnelles citées supra. De façon plus générale encore il serait possible de considérer
que le cas des professions réglementées du droit ne serait pas alors différent de celui des
industries de réseaux en cours de libéralisation. Les débats se structurent en effet autour de
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problématiques comparables, qu’il s’agisse de la gestion de coûts échoués en regard de l’accès
au marché de nouveaux compétiteurs5 ou encore de la régulation tarifaire.
Il convient à ce stade de revenir sur la question de l’impact de la libéralisation sur la qualité du
service. L’analyse développée par la Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance
et l’activité a montré que nulle expérience étrangère a conduit à un effet négatif sur la qualité
du service. Au contraire une des évaluations menée a conclu à une amélioration de ce dernier
(Domberger et Sherr, 1989). Le souci porte plus, pour la Commission, sur la question du niveau
du tarif pour les activités en monopole et sur celle de la possibilité d’éroder ce dernier en
favorisant de nouvelles entrées. Tant les résultats de la littérature académique que l’analyse des
expériences néerlandaises et britanniques mettent en évidence que la réforme de la
réglementation ne pourra produire ses fruits – au moins en matière de baisse des prix – que si
deux conditions sont réunies. La première porte sur les conditions réelles d’ouverture de l’accès
au marché des jeunes professionnels. Les effets sont biens différents selon qu’il s’agisse d’une
intégration dans des offices existants ou de la création de nouveaux offices. La seconde est la
présence d’une régulation externe des tarifs.
La loi Macron met effectivement l’accent sur une telle régulation. On observe dans le cas des
professions du droit concernées non seulement une évolution de la réglementation mais
également un changement de tutelle. En effet, le secteur passe d’une régulation assurée par la
Chancellerie à une « co-régulation » entre le ministère de l’Economie et l’Autorité de la
Concurrence. Il convient en effet de souligner la place croissante de celle-ci dans la régulation
sectorielle et son influence au travers de ses avis sur les problématiques centrales que sont la
liberté d’installation et les tarifs.
Avant même la présentation du projet de loi au Parlement, l’Autorité avait développé, au travers
de son avis n°15-A-02 du 9 janvier 2015 relatif aux questions de concurrence concernant
certaines professions réglementées, son analyse sur quatre dimensions clés du nouveau cadre
réglementaire, à savoir, le périmètre du monopole ; les conditions d’installations, les modalités
d’exercice et les tarifs., Les trois premières seront vues dans un premier temps, et la quatrième
dans une seconde section dévolue à la question de la régulation.
B – Les principes de base d’un nouveau cadre réglementaires
a) La question de la liberté d’entrée et d’exercice
5 Pour un parallèle avec le secteur énergétique voir par exemple Joskow (1996)
14
Trois dimensions peuvent être considérées : le périmètre des monopoles, les restrictions
quantitatives à l’accès au marché et enfin les questions reliées à l’ouverture du capital et aux
structures interprofessionnelles.
Sur le périmètre des monopoles, les analyses de l’IGF ont été reprises dans leur esprit par
l’Autorité de concurrence. En effet, l’Autorité proposait dans son avis de janvier 2015 de réviser
la liste des actes nécessitant une obligation d’authentification et de supprimer les restrictions
existantes quant à une mise en concurrence de la rédaction d’actes soumis à authentification. Il
en est également ainsi des propositions de correction du périmètre : réduction du nombre d’actes
devant obligatoirement être signifiés par huissier et extension de leur compétence à l’ensemble
du ressort de la Cour d’Appel dont ils dépendent. Il en est enfin de même pour une proposition
tenant à l’ouverture dans certains cas des fonctions de liquidateurs aux huissiers de justice et
aux commissaires-priseurs
Sur le point des restrictions à l’entrée, les barrières géographiques ont fait l’objet d’un même
souci dans la mesure où elles ont pour effet de cloisonner le marché et donc de réduire la
contestabilité de chaque segment. Pour les avocats l’obligation d’être rattaché à un barreau et
les monopoles de nature géographiques (pour l’assistance, la plaidoirie, la postulation) peuvent
avoir de tels effets. Une réglementation qui a pour effet de rationner l’offre et d’ériger des
barrières à l’entrée de chaque micromarché peut contribuer à susciter et à pérenniser des rentes
anticoncurrentielles indues. Les conséquences en sont comme nous l’avons vu en première
partie un coût collectif en termes de compétitivité mais également des possibilités d’insertions
professionnelles dégradées pour les jeunes diplômés. Il en est par exemple ainsi de la stabilité
du nombre d’offices notariaux malgré un nombre croissant de diplômés. En effet, le flux entrant
dans la profession est cinq fois plus important que le sortant depuis 15 ans. Il en résulterait une
hausse du nombre de notaires salariés (une multiplication par quatre en dix ans) et une
déqualification de jeunes notaires diplômés souvent intégrés comme notaires assistants.
Cependant, lever les barrières à l’accès au marché pose une première question en termes de
coûts échoués pour les professionnels qui ont déjà investi. Il s’agit en d’autres termes des
conditions d’indemnisation. Il convient tout d’abord de considérer que dans le cadre de la
réglementation actuelle, les restrictions quant au nombre d’offices ou d’études créent d’autant
plus une rente pour les opérateurs en place (notaires, huissiers de justice, commissaires-
priseurs,…) que chaque nouvel entrant est obligé de s’associer à une structure existante ; cela
revient à imposer un droit d’entrée aux nouveaux concurrents.
15
Cependant les professionnels qui ont investi dans le cadre de l’ancienne réglementation peuvent
de ce fait perdre toute perspective de recouvrer les investissements qui leur avait été nécessaires
pour accéder au marché. La compensation de ces coûts échoués ne va pas d’elle-même. Elle
peut être réalisée par l’Etat mais en période de restrictions budgétaires cela peut avoir pour
conséquence de freiner le dispositif d’ouverture. Une indemnisation par les nouveaux entrants
peut également poser des problèmes d’efficacité et de légitimité. Un tel mécanisme pourrait
conduire à pérenniser les barrières à l’entrée ou au pire à susciter un équilibre collusif entre les
nouveaux entrants et les professionnels installés. En effet, les premiers cités ne seraient que
difficilement en état de s’engager dans une concurrence soutenue après paiement d’un tel droit
d’entrée au profit de leurs concurrents.
Cependant, la logique même de la compensation des coûts échoués peut être discutée. En effet,
une évolution d’une réglementation donnée ne peut être évaluée sur la base du critère de Pareto.
Elle produit en effet certes des gagnants mais également des perdants. Les opérateurs qui
perdraient la protection dont ils jouissaient initialement verraient leur bien-être négativement
impacté. Il est donc nécessaire d’utiliser un autre type de critère permettant de jauger les effets
nets du changement de réglementation sur le bien-être collectif. Il peut s’agir du critère de
Kaldor-Hicks qui met en balance en valeurs absolues les gains et les pertes des différents agents
économiques concernés. Un changement peut dans ce cadre être profitable si le gain des
bénéficiaires permet de compenser ceux qui verraient leur bien-être affecté. Cependant, cette
compensation n’est qu’hypothétique. La question de la nécessité d’une compensation effective
demeure ouverte. Le démantèlement d’un cartel n’a pas à donner lieu à une indemnisation des
cartellistes. La situation est néanmoins ici différente en ce que les acteurs déjà présents sur le
marché ont investi sur la base de règles du jeu qui ont été bouleversées ex post.
Il est à noter que la décision du Conseil Constitutionnel n°2015-715 DC du 5 août 2015 a
conduit à modifier l’article 52 de la loi Macron qui prévoyait que « lorsque la création d’un
office porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le titulaire de ce
dernier, s’il le demande dans un délai de six ans après la création du nouvel office, est indemnisé
par le titulaire de ce nouvel office » sur la base de la valeur patrimoniale de son office avant
l’installation de son nouveau concurrent ». Le recours portait sur l’absence de mécanisme
spécifique d’indemnisation par l’Etat. Le Conseil Constitutionnel relève que certains des
privilèges, tels le droit de présentation (acquis lors de la Restauration par l’article 91 de la loi
du 28 avril 1816) ne sont pas remis en cause et que le ministère de la Justice peut décider
d’augmenter le nombre d’offices afin de garantir une meilleure couverture territoriale. Il
16
convient cependant à l’Etat d’indemniser un titulaire d’office existant si cette création était de
nature à bouleverser les conditions d’activité des offices existants. Le coût pour les finances
publiques de telles indemnisations est de nature à obérer les incitations à favoriser la création
de nouveaux offices…
La problématique de la liberté d’accès au marché doit également être appréhendée à partir de
l’encadrement des nouvelles installations. Le principe sous-jacent est celui d’une liberté
d’installation et donc une réduction des barrières à l’entrée. Cependant cette libéralisation est
progressive pour tenir compte, comme nous l’avons vu, de l’impact sur les professionnels déjà
en place. Elle ménage des possibilités de refus de refus d’installation si une surdensité est
constatée par le ministère de la Justice.
Les zones dans lesquelles les installations peuvent se faire doivent être déterminées par Autorité
de la Concurrence. Celle-ci, dans son avis de janvier 2015, plaidait pour une liberté
d’installation régulée – « il conviendrait que le zonage soit réalisé selon une gouvernance plus
autonome vis-à-vis des professionnels et l’Autorité de la Concurrence, si elle n’était pas
demanderesse d’une telle tâche, considère néanmoins, sous réserve de disposer des moyens
supplémentaires nécessaires, être en mesure de proposer aux ministres compétents cette
cartographie, étant familière, à travers notamment le contrôle des concentrations, avec l’analyse
de ‘zones de chalandises’ ». Cette logique prévaut également pour la postulation territoriale des
avocats. La loi Macron ouvre la possibilité d’agir devant tous les TGI relevant d’une même
Cour d’Appel. Dans son avis de janvier 2015, l’Autorité, reprenant le ton du rapport Armand-
Rueff, préconisait de mettre fin à « des conditions malthusiennes qui conduisent à un
renouvellement insuffisant des professions concernées et constituent des barrières à l’entrée
importantes pour les jeunes diplômés ».
Les restrictions de nature géographiques peuvent cependant également être interprétées au
regard de la question de la qualité des services rendus. Par exemple, pour les avocats, les
restrictions géographiques peuvent s’expliquer par la reconnaissance que la qualité du service
rendu par l’avocat dépend de connaissances spécifiques à chaque ressort. Cela permet à des
justiciables, en situation de déficit informationnel, de renoncer à des poursuites vouées à
l’échec, coûteuses en termes collectifs. De la même façon, le fait qu’un périmètre restreint
garantissant l’effectivité du mécanisme réputationnel nécessaire au contrôle mutuel exercé par
les professionnels.
17
Nous n’avons ici traité que le cas de la liberté d’installation et de la suppression des monopoles
géographiques, un même raisonnement pourrait être mené pour la transformation des structures
d’exercice et l’existence de sociétés multi-offices. A nouveau l’enrichissement du service rendu
à l’usager pourrait être mis en balance avec des coûts et des risques induits, tenant par exemple
à de possibles conflits d’intérêts.
La question de la liberté d’installation des professionnels peut également être mise en
perspective avec la logique d’autorégulation – au moins partielle- qui prévaut pour certaines
professions réglementées du droit. Des ordres professionnels sont toujours nécessaires car une
régulation ex post par la sanction du marché peut être difficile dans la mesure où il s’agit de
biens de confiance. Dans le même temps, une régulation extérieure et exercée en surplomb par
les pouvoirs publics peut se heurter aux mêmes limites informationnelles et être excessivement
coûteuse. Ainsi, une régulation interne par un ordre professionnel peut être vue comme efficace
si elle est conçue comme un schéma de délégation optimale de la surveillance d’un principal de
rang 1 sur un agent à un principal de rang 2. En effet, l’asymétrie est moins forte entre l’ordre
professionnel et le praticien qu’entre le régulateur public et le praticien6. De la même façon,
l’ordre professionnel est d’autant plus incité à mettre en œuvre les contrôles et à appliquer les
sanctions que le coût réputationnel rejaillirait sur lui (Chaserant et Harnay, 2015b). En d’autres
termes, l’autorégulation apparaît comme un mécanisme qui peut s’avérer efficace en ce que la
discipline assurée par le contrôle de la profession permet de faire bénéficier la collectivité d’une
externalité positive. Toute dégradation dans la qualité de l’offre en situation d’information
asymétrique et incomplète peut nuire à l’ensemble des professionnels et au pire susciter une
défaillance de marché, de type de celle des markets for lemons d’Arkerlof.
Cependant, les modèles d’autorégulation font l’objet de vives critiques, notamment quant à
l’inévitable argument du malthusianisme de certaines professions réglementées du droit. Le cas
est particulièrement caractéristique pour ce qui est des nouveaux offices notariaux. Deux voies
d’entrées dans la profession sont possibles. Il s’agit de la création de nouveaux offices ou de la
reprise d’un office existant. Ces deux voies sont particulièrement déséquilibrées. En effet, il n’y
a qu’une création pour quinze cessions. Dans le cadre d’une cession, le professionnel en place
jouit d’un droit de présentation de son successeur. En cas de création, c’est la Commission de
6 Cette logique est également à l’œuvre dans les modèles de régulation procédurale tels que décrits notamment dans le secteur bancaire. Le régulateur peut préférer faire porter son action sur la sanction des manquements des opérateurs à leurs obligations de contrôle interne. L’idée est déléguer la surveillance à un « principal subordonné » qui sera tenu pour responsable des manquements de ses « agents ». Non seulement le régulateur public allège la charge informationnelle qui lui incombe mais il fournit à l’opérateur régulé les incitations suffisantes pour mettre en œuvre les dispositifs internes de nature à prévenir la survenance du dommage (voir Kirat et Marty, 2015).
18
Localisation des Offices de Notaires (CLON) qui statue sur les besoins de nouveaux offices7.
Il s’agit d’une structure mixte entre l’administration et la profession. En outre, ce même CLON
statue sur le préjudice lié à une création d’un office concurrent. En effet, depuis le décret du 26
novembre 1971, le nouvel entrant doit verser une indemnité préjudicielle à ses concurrents. Le
poids de la profession dans le contrôle de l’accès des nouveaux entrants au marché peut donc
apparaître comme un frein à la contestabilité de ce dernier.
Le nouveau cadre réglementaire dans son volet liberté d’accès au marché est en cours de mise
en place comme nous le verrons infra pour les tarifs. En effet, l’article 52 de la loi Macron
confie à l’Autorité la mission de formuler au ministère de la Justice des recommandations quant
à la régulation de l’installation de certains professionnels du droit, en l’occurrence les notaires,
les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Il s’agit de proposer au travers
d’un avis les zones dans lesquelles l’implantation d’office peut se faire librement. A l’inverse
dans les zones pour lesquelles de nouvelles implantations seraient de nature à compromettre la
continuité de l’exploitation des offices existants, le ministère de la Justice pourra refuser celles-
ci après avis de l’Autorité8. Il appartient donc à cette dernière d’établir une cartographie9
laquelle a donné lieu à la publication le 29 février 2016 à un appel à observations pour les
parties intéressées.
b) La question de la réglementation des tarifs
L’enjeu ne se limite pas aux questions d’accès au marché mais également aux dimensions
tarifaires.
Comme le souligne l’Autorité dans son avis 16-A-03 du 29 janvier 2016, la réglementation des
tarifs de certaines professions réglementées du droit répondait à des logiques qui contribuaient
à les déconnecter des coûts effectivement supportés par les professionnels. Pour l’Autorité, le
mode de détermination de ces tarifs semble incarner l’ensemble des critiques que nous avons
présenté dans notre première partie. Les tarifs résultaient « en grande partie de considérations
historiques », « poursuivaient comme objectif le maintien de la viabilité des offices les moins
rentables, de façon à assurer un maillage suffisant du territoire » (point 1 de l’avis n°16-A-03
7 Autorité de la concurrence, avis n°15-A-02, pt.379. 8 Ces estimations se font en fonction de l’évolution anticipée de l’offre (nombre d’offices installés, chiffre d’affaires sur les cinq dernières années, âge des professionnels,…) et de celle de la demande. 9 Les recommandations doivent à la fois revêtir un aspect quantitatif dans la mesure où il s’agit d’augmenter progressivement le nombre d’offices (ce dernier est resté stable entre 2005 et 2014 alors que la population française croissait de 4%) mais également un aspect qualitatif en ce où il s’agit de rendre compte de l’accès aux offices en fonction de l’âge et du sexe.
19
du 29 janvier 2016). Le nouveau cadre réglementaire vise donc tout d’abord à réviser des règles
de fixation des tarifs trop anciennes10. Il repose sur l’ambition de reconnecter les tarifs aux
coûts réels des services rendus. Une révision tous les cinq ans après avis de l’Autorité sera
réalisée.
Pour l’Autorité la réglementation, qu’il s’agisse de celle de l’installation ou de celle des tarifs,
doit préserver les incitations à réduire les coûts, à dissiper des rentes excessives et à innover.
Ainsi, qu’il s’agisse des conditions d’installation ou de la supervision des tarifs, l’Autorité voit
ses missions évoluer vers celles d’un quasi-régulateur sectoriel. L’auto-régulation n’est pas en
effet souhaitable en la matière au vu de la position du professionnel vis-à-vis du particulier.
Comme le souligne l’Autorité, « le payeur n’est pas nécessairement l’ordonnateur de la
prestation », la prestation s’exerce dans un mandat ou une mission confiée par l’autorité
judiciaire, les prestations sont obligatoires et les clients sont dans une situation d’information
asymétrique (point 6 de l’avis n°16-A-03). Cependant, l’Autorité ne saurait être vue comme un
régulateur de plein exercice. Il convient en effet de souligner que les tarifs sont fixés par décrets
ministériels et que l’Autorité n’est consultée que pour avis, comme en témoignent les deux avis
suscités de janvier et février 2016 mettant en exergue quelques recommandations non reprises
dans le décret.
Au-delà de cette dimension, la logique de la régulation tarifaire peut être discutée tant quant à
ses fondements qu’à ses modalités de mises en œuvre. Si une orientation des tarifs vers les coûts
correspond au modèle de la régulation des segments en monopole naturel des industries de
réseaux, sa mise en œuvre dans le domaine des professions réglementées peut s’avérer
complexe. L’avis de janvier 2015 de l’Autorité de la concurrence fournissait quelques pistes
permettant de définir les contours d’une telle régulation tarifaire. Celle-ci devait rester incitative
et devait dans le même temps offrir un niveau de rémunération minimal pour les professionnels
dont la ‘zone de chalandise’ est défavorable. Il s’agissait donc d’introduire une certaine
péréquation entre les coûts des différentes prestations. L’Autorité proposait de réviser les bases
de la tarification de certains actes. Il avait également proposé de remplacer des émoluments ad
valorem par des droits fixes. Cela permettrait par exemple de limiter les rentes liées à
l’augmentation des valeurs des biens immobiliers et à celle de la fréquence des transactions.
Elle avait à ce moment proposé – en vain - de combiner une régulation par prix plafonds (visant
10 Celles des notaires remontent à 1966, celles des administrateurs et mandataires judiciaires à 1985 et enfin celles des huissiers ont été établies en 1996.
20
à éviter les abus et permettre une différenciation tarifaire) et par prix planchers (pour prévenir
les effets adverses sur la qualité des prestations).
De tels dispositifs sont coûteux en termes informationnels. A ce titre, le cas de l’intervention
de l’Autorité dans le cadre de la préparation du décret n°2016-230 du 26 février 2016 relatif
aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit
et à la justice est évocateur de la complexité du processus. L’Autorité a successivement rendu
deux avis, le n°16-A-03 du 29 janvier 2016 et le n°16-A-06 du 22 février 2016 sur le projet de
décret et sa version rectificative. Au-delà des tarifs eux-mêmes, le point le plus intéressant pour
notre propos concerne leur mode de calcul et les difficultés qui s’y rattachent.
Conformément aux préconisations de l’Autorité, dans son avis n°15-A-02 du 9 janvier 2015, la
Loi Macron conduit à orienter la tarification vers les coûts des prestations en garantissant une
rémunération raisonnable des professionnels. Le problème est qu’une méthode « acte par acte »
est difficile à mettre en œuvre et qu’elle peut s’avérer insuffisamment incitative.
Sur la question de l’opportunité d’une tarification acte par acte, l’Autorité préconise une
approche globale (pt.7 de l’avis 16-A-03 du 29 janvier 2016). Celle-ci n’est prévue pour l’heure
qu’à titre de dérogation, à des fins de péréquation. L’Autorité considère que cette péréquation
est inhérente à de nombreuses activités. S’écarter d’une tarification acte par acte est également
opportun – au moins à titre transitoire – au vu de l’incertitude sur les coûts des professionnels.
L’Autorité recommande qu’une obligation de tenue d’une comptabilité analytique soit prévue
de façon à pallier le manque de fiabilité et de représentativité des informations transmises (pt.19
de l’avis 16-A-06 du 22 févier 2016).
Sur la dimension incitative, une méthode globale se base sur les coûts moyens de la profession.
Elle permet donc de générer les incitations individuelles à dégager des gains de productivité.
L’Autorité considère également qu’une telle approche est de nature à inciter ces mêmes
professionnels à développer de nouveaux services (à honoraires libres). Le nouveau régime
réglementaire serait donc de nature à favoriser l’innovation, l’une des dimensions que l’ancien
cadre ne pouvait favoriser. Une autre dimension soulevée par l’Autorité (pt.20 de l’avis 16-A-
06) porte sur la nécessité de ne pas faire reposer les tarifs sur « la rentabilité moyenne des offices
existants ». Cette option aurait pour l’Autorité la conséquence de pérenniser une situation dans
la laquelle prévaut « une tarification sans justification économique suffisante qui peut produire
des rentes anormales et ne prend pas en compte les gains de productivité ».
21
Un dernier point à relever dans l’avis 16-A-06 de l’Autorité tient à ses recommandations
additionnelles. Celles-ci visent essentiellement aux questions de flexibilité tarifaire (limiter les
possibilités de majoration et accroître celles de remises), à limiter le périmètre des prestations
éligibles aux tarifs d’urgence ou encore à dé-tarifier certains actes facultativement authentiques
réalisés par les notaires pour étendre le domaine des honoraires négociables.
Conclusion
Si l’évolution de la réglementation vise effectivement à renforcer la compétitivité de notre
économie, le risque est de privilégier une compétitivité conçue sur la base des coûts et non sur
celle de la qualité des services ou de la sécurité juridique qui leur est associée. En effet, une
réforme résidant essentiellement dans un objectif de « développer à des services moins chers »
(Chaserant et Harnay, 2015c) poserait plusieurs questions.
Tout d’abord une ouverture à la concurrence ne permet- automatiquement de bénéficier d’une
baisse des prix. En effet, les exemples des Pays-Bas et du Royaume-Uni montrent que les gains
pour les consommateurs ne sont significatifs que si l’ouverture du marché est importante.
Ensuite, demeure la question de la qualité du service rendu. Il s’agit d’éviter qu’une éventuelle
baisse des prix ne se traduise pas par une réduction de la qualité des services prestés. Si tel était
le cas, la libéralisation porterait non seulement préjudice aux anciens bénéficiaires de rentes
réglementaires mais aussi et peut-être surtout aux consommateurs (qui demeurent ne l’oublions
pas dans une situation de déficit informationnel) et à la compétitivité de notre économie (en
dégradant la qualité des services juridiques). De la même façon, il serait possible de craindre
que la réglementation des tarifs des actes les plus simples pénalise plus les petits offices de
zones peu attractives économiquement que les offices les mieux localisés qui traitent des
affaires plus complexes et donc plus rémunératrices.
Les perspectives peuvent dès lors apparaître comme contrastées. La voie d’une ouverture à la
concurrence raisonnée est une ligne de crête entre des défaillances de la réglementation dont il
s’agit de s’écarter et des défaillances de marché dont il s’agir de prévenir l’apparition. La
question de la qualité des services prestés par les professions réglementées du droit est la pierre
d’achoppement de la réforme – au vu de risques d’effets adverses sur celle-ci. Un deuxième
point d’intérêt tient à la montée en puissance de l’Autorité de la concurrence. Il s’agit somme
toute d’un phénomène logique dans une perspective de réforme structurelle portant sur la
réduction des barrières à l’entrée sur le marché des services. Cependant, les professions en
question « basculent » dans le code de commerce alors que leur traitement ressortait jusqu’à
22
présent de problématiques de service public gérées par la Chancellerie. Au-delà de cette
« révolution culturelle », deux questions peuvent être posées. Une première tient à la capacité
de l’Autorité, en termes de ressources administratives, à prendre en charge ces tâches en plus
de celles des pratiques anticoncurrentielles et du contrôle des concentrations. La seconde tient
à l’absence d’une régulation spécialisée. Le juge de la concurrence peut faire face à un déficit
informationnel par rapport à un éventuel régulateur sectoriel quant aux effets de la concurrence
sur la qualité des services.
Une telle crainte n’est pas sans lien avec l’approche différenciée préconisée par Chaserant et
Harnay (2015c). En effet pour celles-ci, la situation des biens de confiance (certaines prestations
complexes, dédicacées à un besoin particulier, non reproductibles en dehors de la situation qui
les a suscités) suppose une forme de réglementation différente de celles applicables aux actes
les plus standards et de ceux dont les paramètres peuvent être évalués ex post (biens de
recherche et biens d’expérience).
Pour les biens de confiance un modèle mixte entre autorégulation et surveillance publique de
l’instance d’autorégulation professionnelle est nécessaire. Dans le second cas une gouvernance
de marché est possible et peut s’avérer profitable en termes d’efficacité collective. Un
encadrement par le juge de la concurrence au travers notamment de ses avis est pleinement
envisageable. A des mondes de production très différents entre biens standardisés et des biens
dédicacés peuvent correspondre des schémas de régulation différenciés (Salais et Storper,
1993).
Il serait possible d’ouvrir le débat sur les effets de l’autorégulation. Celle-ci peut de fait
présenter un certain nombre d’avantages. La première que nous avons déjà noté est des gains
d’efficience liés à la délégation de la supervision à une entité disposant d’un avantage
informationnel vis-à-vis du régulateur et dont les intérêts (spontanés en termes réputationnels
ou construits via la possibilité de faire l’objet de sanctions) font qu’elle prend en charge plus
efficacement et à moindre coût les objectifs de ce régulateur extérieur (Kirat et Marty, 2015).
Deux questions peuvent également être esquissées. La première tient aux possibles limites d’un
modèle de concurrence régulée face aux exigences de réformes structurelles auxquelles la
France doit répondre. Le risque est de rester dans un entre-deux coûteux et dont les gains pour
les consommateurs et les firmes pourraient n’être que limités au vu du coût administratif de la
réforme. La seconde question pourrait également tenir au décalage entre le temps de cette
réforme et les dynamiques économiques de l’heure notamment en relation avec l’impact des
23
nouvelles technologies et les risques d’uberisation de certaines tâches, notamment pour les
services les plus standardisés.
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Documents De travail GreDeG parus en 2016GREDEG Working Papers Released in 2016
2016-01 Christian Longhi, Marcello M. Mariani & Sylvie Rochhia Sharing and Tourism: The Rise of New Markets in Transport2016-02 Nobuyuki Hanaki, Eizo Akiyama & Ryuichiro Ishikawa A Methodological Note on Eliciting Price Forecasts in Asset Market Experiments2016-03 Frédéric Marty Les droits et libertés fondamentaux à l’épreuve de l’efficacité économique : une application à la politique de la concurrence2016-04 Alessandra Colombelli, Jackie Krafft & Marco Vivarelli Entrepreneurship and Innovation: New Entries, Survival, Growth2016-05 Nobuyuki Hanaki, Angela Sutan & Marc Willinger The Strategic Environment Effect in Beauty Contest Games2016-06 Michael Assous, Muriel Dal Pont Legrand & Harald Hagemann Business Cycles and Growth2016-07 Nobuyuki Hanaki, Emily Tanimura & Nicolaas Vriend The Principle of Minimum Differentiation Revisited: Return of the Median Voter2016-08 Charles Ayoubi, Michele Pezzoni & Fabiana Visentin At the Origins of Learning: Absorbing Knowledge Flows from Within or Outside the Team?2016-09 Dino Borie Error in Measurement Theory2016-10 Dino Borie Expected Multi-Utility Representations by “Simplex” with Applications2016-11 Dino Borie Additively Separable Preferences Without the Completeness Axiom: An Algebraic Approach 2016-12 Frédéric Marty Professions réglementées du droit et aiguillon concurrentiel: réflexions sur la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques