Post on 12-Sep-2018
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Joseph-Marie AMIOT
PORTRAITSdes
CHINOIS CLBRES
Portraits des Chinois clbres
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publie dans :
MEMOIRESconcernant lHistoire, les Sciences, les Arts, Les Murs, les Usages, &c
DES CHINOISpar les Missionnaires de P-kin
Tome troisieme (1778), pages 5 386. Portraits I LII.
Tome cinquieme (1780), pages 69 466. Portraits LII LXXVIII
Tome huitieme (1782), pages 1 111. Portraits LXXIX LXXXVII
Tome dixieme (1784), pages 1 131. Portraits LXXXVIII XCI.
A Paris, chez Nyon lan, Libraire, rue Saint-Jean-de-Beauvais, vis--vis leCollege.
mise en format texte parPierre Palpant
www.chineancienne.fr
Portraits des Chinois clbres
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TABLE
Avertissements : Tome III Tome V Tome VIII
Des origines la Dynastie des Hia
I. TAI-HAO-FOU-HI-CH, Fondateur de la Monarchie II. YEN-TI, CHEN
NOUNG-CH, Empereur III. HOANG-TI, YEOU-HIOUNG-CH, Empereur
Lgislateur IV. TSANG-KI, Ministre V. CHAO-HAO, KIN-TIEN-CH,
Empereur VI. TCHOAN-HIU, KAO-YANG-CH, Empereur VII. TI-KOU,
KAO-SIN-CH, Empereur VIII. TI-YAO, TAO-TANG-CH, Empereur IX .
TI-CHUN, YEOU-YU-CH, Empereur X. KAO-TAO, Ministre XI.
HEOU-TSI, Ministre XII. TA-YU, Empereur.
Dynastie des Chang
XIII. TCHENG-TANG, Empereur XIV. Y-YN, Ministre XV. FOU-YU,
Ministre XVI. TCHEOU, OUEN-OUANG, Roi XVII. TAY-KOUNG, Ministre.
Dynastie des Tcheou
XVIII. TCHEOU, OU-OUANG, Empereur XIX. TCHEOU-KOUNG, Ministre
XX. LAO-TSE, Philosophe XXI. KOUNG-TSE, Philosophe XXII.
KIU-PING, Ministre XXIII. MONG-TSE, Philosophe. XXIV. HAN-KAO-
TSOU, Empereur.
Dynastie des Tsin
XLIX. Histoire de TSIN-CH-HOANG-TI, Empereur, Incendiaire des Livres.
Dynastie des Han
XXV. SIANG-OUANG, Empereur XXVI. TCHANG-LEANG, Ministre
XXVII. HAN-OUEN-TI, Empereur XXVIII. HAN-KING-TI, Empereur
XXIX. TOUNG-FANG-CHOUO, Ministre XXX. TOUNG-TCHOUNG-CHOU,
Savant & Ministre XXXI. SE-MA-TSIEN, Pere de lHistoire chez les Chinois
XXXII. HAN-KOANG-OU-TI, Empereur XXXIII. YEN-TSE-LING,
Philosophe XXXIV. HEOU-HAN-TCHO, TCHAO-LI-HOANG-TI, Empereur.
Et : L. FOU-CHENG, Lettr LI. SOU-TSE-KING, Homme dtat LII.
PAN-HOEI-PAN, Savante.
Portraits des Chinois clbres
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Les Trois Royaumes
XXXV. TCHOU-KO, OU-HEOU, Ministre XXXVI. OUEI, OU-TI [Tsao-tsao],
Ministre XXXVII. SE-MA, HIUEN-OUANG, Gnral dArme
De la dynastie des Tsin la celle des Soui
XXXVIII. TOUNG-TSIN, YUEN-TI, Empereur XXXIX. SONG-OU-TI,
Empereur XL. TAO-YUEN-MING, Pote XLI. SOUNG-FEI-TI, Empereur
XLII. SI-LING-YUN, Homme de Lettres XLIII. TSI-KAO-TI, Empereur
XLIV. LEANG-OU-TI, Empereur XLV. TCHAO-MING, TAY-TSE, Lettr
XLVI. TCHEN-OU-TI, Empereur XLVII. SOUI-OUEN-TI, Empereur XLVIII.
OUEN-TCHOUNG-TSE, Philosophe LIII. TAN-TAO-TSI, Ministre & Guerrier
Dynastie des Tang
LIV. TANG-KAO-TSOU, Empereur LV. TANG-TAY-TSOUNG, Empereur
LVI. YU-TCH-KOUNG, Guerrier LVII. FANG-HIUEN-LING, Ministre
LVIII. TOU-JOU-HOEI, Ministre LIX. LY-TSING, Guerrier LX. LY-TSI,
Guerrier LXI. TS-TIEN-HOANG-HEOU, Impratrice LXII. TY-JIN-KI,
Ministre LXIII. TANG-HIUEN-TSOUNG, Empereur LXIV. YAO-TSOUNG,
Ministre LXV. SOUNG-KING, Savant LXVI. YEN-TCHEN-TSING, Savant
LXVII. TOU-FOU, Pote LXVIII. LY-PE, Pote LXIX. KOUO-TSEE-
Y, Guerrier LXX. TANG-SIEN-TSOUNG, Empereur LXXI. P-KIU-Y,
Savant LXXII. LIEOU-TSOUNG-YUEN, Pote LXXIII. HAN-YU, Savant
LXXIV. MONG-KIAO, Pote LXXV. KIA-TAO, Pote LXXVI. TANG-
SIUEN-TSOUNG, Empereur LXXVII. MIN-OUANG, Guerrier LXXVIII.
NAN-TANG-LY-HEOU-TCHOU, Empereur
Dynastie des Soung
LXXIX. SOUNG-TAY-TSOU, Empereur LXXX. SOUNG-JEN-TSOUNG,
Empereur LXXXI. PAO-TCHENG, [Magistrat] LXXXII. KAO-KIOUNG,
[Guerrier] LXXXIII. CHAO-YOUNG, [Savant] LXXXIV. TCHANG-TSAI,
[Guerrier] LXXXV. TCHEOU-TCHUN-Y, [Sage] LXXXVI. TCHENG-HO,
[Philosophe] LXXXVII. TCHENG-Y, [Lettr] LXXXVIII. SE-MA-
KOANG, [Lettr] LXXXIX. SOU-CH, [Lettr] XC. HOANG-TING-KIEN,
[Lettr] XCI. YANG-CH, [Lettr].
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Portraits des Chinois clbres
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AVERTISSEMENTS
Tome 3
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p.03.005 LAuteur Chinois, qui sest donn la peine de copier les
Portraits de quelques-uns des Personnages clebres de sa Nation, a mis
la tte de ses peintures les paroles suivantes :
Au commencement de la onzieme lune de la vingt-quatrieme
anne de Kang-hi (cest--dire sur la fin de lan 1685), moi Po-
ki, surnomm Tchang-sieou, ayant achev de copier les
Portraits de plus de cent Personnages clebres dont on
conserve les originaux, dans le temple o on apprcie sans
partialit le mrite de ceux qui ont pratiqu la vertu (Hing-t-
se, Tao-ki-houng-koung), jai cru devoir dire p.03.006 quelque
chose de chacun, pour quon pt au moins sen former une
lgere ide ou sen rappeller le souvenir.
Grand tre qui tes le principe des trois principes actifs San-
tsai (cest--dire le Ciel, la Terre & lHomme), ayez pour
agrable un ouvrage que je nai entrepris que pour la
satisfaction & linstruction de la postrit.
LAuteur ne donne exactement que ce quil a promis. Deux ou trois
mots sont souvent tout ce quil dit dessentiel sur les Personnages quil
reprsente. Cela peut suffire pour des Chinois qui peuvent se procurer
des connoissances plus exactes, en consultant leur histoire & les autres
livres qui entrent dans le dtail de tout ce qui concerne leurs hommes
clebres.
Mais ce que peuvent faire des Chinois qui sont dans leur patrie, pour
se mettre au fait de ce qui concerne dautres Chinois, ne sauroit tre
pratiqu par des Europens qui font leur sjour dans la Cour de P-kin,
o tous les secours leur manquent. Cest ce qui ma engag ajouter
quelques traits aux crayons un peu trop succints de Po-ki-tchang-sieou.
Portraits des Chinois clbres
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En rassemblant quelques-uns des principaux traits qui caractrisent
ceux des Chinois qui, depuis letablissement de leur monarchie, se sont
rendus clebres dans le gouvernement, les lettres & les armes, je
tracerai insensiblement le caractere de la nation elle-mme dans ses
diffrens ges. Les Portraits des Personnages particuliers deviendront
des Portraits gnraux. Les traditions populaires, les contes puriles
quon y rencontrera quelquefois, y figureront & tourneront en preuve
comme le reste. Ce morceau manquoit, je pense, la littrature
franoise, & je suis bien aise de len enrichir. Du reste, je ne prtends
donner ici quune lgere esquisse ; dautres, aprs moi, pourront achever
ce tableau. Parmi les grands hommes quon verra parotre
successivement sur la scene, il en est dont le mrite ne peut tre
apprci que par ceux du pays ; parce que p.03.007 ce nest que dans le
pays quon en connot le genre, & quon y fait cas de ceux qui lont
possd dans un certain degr. Le lecteur doit donc se transporter en
esprit la Chine pour y voir ce qui se pratique, & le voir, sil se peut, en
vritable Chinois. Ce ne sera que de cette maniere quil pourra porter un
jugement equitable, & sans prjug national.
Il sen trouve aussi que les Abrgs de lhistoire Chinoise, imprims
en Europe, ont dj, ce semble, suffisamment fait connotre. Jai cru
nanmoins pouvoir y revenir, & les prsenter ma faon, parce que les
coups de pinceau que jajouterai leurs Portraits, leur donneront la
ressemblance, & les feront rentrer dans le costume dont on les avoir fait
sortir.
Il en est quelques-uns, enfin, dont je ne dirai guere ici que les noms ;
parce que la postrit leur ayant dfr une place dans la salle de
Confucius, je me rserve de les faire connotre, leur tour, la suite de
lhistoire de ce Philosophe, lorsque je parlerai des Sages qui, en diffrens
temps, ont illustr son ecole.
Pour ce qui est de larrangement que jai donn ces Portraits, je
men suis tenu lordre chronologique, comme etant le plus naturel. On
pourra, si lon veut, leur en substituer un autre, & placer les Empereurs
Portraits des Chinois clbres
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avec les Empereurs, les Ministres dEtat & les Magistrats avec ceux qui
ont couru la mme carriere, les Lettrs avec les Lettrs, & les Guerriers
avec les Guerriers. Javoue que jai cherch ma commodit en
mattachant lordre que jai choisi ; on peut chercher la sienne, en le
drangeant pour en suivre un autre 1.
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Tome 5
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p.05.069 Voici dix nouveaux Portraits de Chinois clebres. On trouvera
dans ce que jai ecrit sur ces diffrens Personnages, une maniere, des
dtails, un ton qui ne ressemblent probablement point ce quon a pu
lire ailleurs dans le mme genre. Pour garder le costume, je devois
parler des Chinois en Chinois, & conserver, dans ceux dont je parle,
lempreinte du caractere national.
Celui par qui je commence etoit tout la fois grand Capitaine &
Ministre habile. Il eut pendant long-tems toute la confiance de ses
Matres ; mais ayant et injustement souponn p.05.070 de vouloir
envahir lautorit suprme, il reut la mort pour prix de ses services & de
sa fidlit. Par le court expos que jai fait de ses principales actions & de
sa conduite, on reconnotra sans doute quil etoit digne dun meilleur
sort.
Viennent ensuite les illustres Princes qui ont fond la grande Dynastie
des Tang, je veux dire Li-yuen, qui lHistoire donne le nom de Kao-
tsou, pour dsigner quil est le Chef de la race, & Ly-ch-min son fils,
que la mme Histoire appelle Tay-tsoung, cest--dire le grand anctre,
pour donner entendre que cest par lui sur-tout que sa race a
commenc briller & setendre. Quand jai lu avec attention lHistoire
de ces deux grands Princes, il ma paru que des Personnages qui ont
jou le plus brillant rle dans la scne du monde, mritoient dtre
1 On a suivi dans limpression lordre & les envois de lAuteur.
Portraits des Chinois clbres
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connus particulirement, & je me flatte quon ne me saura pas mauvais
gr des dtails dans lesquels je nai pas craint dentrer.
Yu-tch-koung, qui par sa valeur, sa fidlit envers son Souverain, &
son attachement particulier la personne du grand Ly-ch-min, a mrit
que la postrit Chinoise le mt au rang des Esprits tutelaires de
lEmpire, na pas d tre spar aprs sa mort du Prince quil a si bien
servi pendant sa vie. Il veilla continuellement sur ses jours, il fut son
bouclier contre les traits de lenvie, il lempcha de succomber sous les
artifices de la trahison.
Aprs lui on trouvera lHistoire de Fang-iuen-ling & de Tou-jou-hoei ;
de Ly-tsing & de Ly-tsi ; tous quatre ont concouru la gloire immortelle
dont jouit Tay-tsoung ; les deux premiers en leclairant de leurs
lumieres, en partageant avec lui le pesant fardeau du Gouvernement ; &
les deux autres en lui gagnant des batailles, en etendant les barrieres de
son Empire jusque chez les nations recules de lOccident & du Nord.
Je regrette de navoir pu completter les 24 Portraits qui, p.05.071 dans
la Salle des grands Hommes, font cortege, si je puis mexprimer ainsi,
ceux des deux premiers Empereurs des Tang. En les faisant connotre
lun aprs lautre, jaurois fait insensiblement lHistoire presque entire
de Li-yuen & de Ly-ch-min, & jaurois eu occasion de dcrire bien des
vertus avant que den venir au simple enonc des crimes qui placerent la
trop clebre Ou-ch sur le mme trne aprs eux.
Cette femme, quon peut regarder comme lAthalie des Chinois,
remplit la Maison Impriale de carnage & dhorreurs, lui ravit la
couronne, & faillit la lui faire perdre pour toujours. Coupable des
forfaits les plus affreux, teinte du sang des plus illustres ttes, elle eut
limpudence de se qualifier du plus auguste des titres, en se disant la
dlgue du Ciel, pour gouverner les hommes. Elle se fit appeler Ts-
tien-hoang-heou.
Le dernier des dix Chinois dont je donne aujourdhui les Portraits, est
un Philosophe qui sut saccommoder au tems, sans manquer son
Portraits des Chinois clbres
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devoir ; qui parvint aux premiers Emplois sans brigues comme sans
ambition ; qui mit profit toutes les circonstances, pour faire le bien
quil avoit pour objet ; & qui russit, sans parotre presque en avoir
envie, faire lui seul ce dont des armes nauroient pu venir bout,
sans inonder les campagnes de sang.
Ce Sage sappelloit Ty-jin-ki, & fut Ministre sous la cruelle Ts-tien.
Il prouva, par sa conduite & par ses succs, que la vertu eclaire dans
un homme en place, lorsquelle a la modration & la douceur pour
compagnes, triomphe tt ou tard de tous les obstacles, & se fait
respecter mme des tyrans.
Ty-jin-ki par ses avis, donns sans amertume & toujours propos ;
par ses reprsentations quil avoit lart dadoucir, & par lintrt quil
savoit mettre dans tout ce quil disoit, retint lEmpire dans la maison des
Tang, lorsque la barbare Ts-tien etoit sur le point de len arracher pour
le faire entrer dans sa propre maison.
*
Tome 8
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Aprs deux annes dinterruption, je me suis remis mes Chinois
clebres, & jai bauch les portraits de quelques-uns de ceux qui ont
brill sous la grande Dynastie des Soung. On pourra les placer ct de
ceux qui ont brill sous les autres Dynasties, & qui les ont prcds. On
trouvera dans les uns & dans les autres de quoi se former une ide
gnrale de la nation Chinoise dans les diffrens ges.
Ces portraits, qui sont au nombre de treize 1 , feront voir en
particulier, que la Chine na jamais t plus fconde en Philosophes & en
Gens de Lettres que lorsque notre Europe toit, gnralement parlant,
plonge dans lignorance la plus crasse & la plus profonde.
1 [Les quatre derniers portraits sont dans le tome 10.]
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A lexception de lillustre Tchao-koang-yng, & de quelques autres
Empereurs, tous ceux qui se prsenteront successivement sont des
Lettrs du plus haut rang ; mais ces Lettrs nont pas seulement eclair
leurs compatriotes par de savans ecrits, ils ont encore, servi la Patrie en
y exerant, dune maniere peu commune, les emplois les plus importans.
On en jugera par le court expos que je fais de ce qui les a rendus
recommandables, & de ce qui a le plus contribu immortaliser leurs
noms. Se-ma-koang, Tcheou-tchun-y, Tcheng-hao, Sou-che, quels
hommes ! Rome & la Grce leur eussent galement dress des autels ; &
nous lirions depuis long-tems en des langues que nous connoissons,
lloge de leurs vertus encore plus que de leur science, sils avoient t
Grecs ou Romains.
Jai tch de lier lhistoire particuliere de ces hommes clebres, avec
lhistoire gnrale de leurs tems, afin de prsenter aux yeux, une sorte
de perspective o chaque objet part sa vritable place, & qui pt
intresser le Lecteur des evnemens fastidieux peut-tre, par la
maniere dont ils sont enoncs.
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Portraits des Chinois clbres
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I
TAI-HAO-FOU-HI-CH
Fondateur de la Monarchie 1
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p.03.008 Tai-hao, dont le nom propre etoit Fou-hi, & le surnom Soung,
tenoit sa Cour Ouan-kieou : cest aujourdhui Tchen-tcheou dans le Ho-
nan. Il rgna 115 ans. Le bois fut son emblme. On ne parle point de son
pere ; on dit seulement que sa mere sappelloit Hoa-siu. Quelques-uns le
font successeur de ce Soui-jen, auquel on attribue linvention du feu. Ils
disent quil avoit la tte dun homme & le corps dun serpent : ce qui
cependant ne doit pas se prendre la lettre, puisquen mme temps
quils lui donnent un corps de serpent dans leurs ecrits, ils le peignent
avec un corps dhomme.
Fou-hi fut inventeur des filets pour la pche ; il apprit aux hommes
lart de cuire les viandes & la maniere de les apprter. Cest pour cela
quon lui a donn le nom de Pao-hi-ch. Sa vertu etoit semblable celle
du ciel & de la terre ; & cest pour la constater aux yeux des hommes,
que le ciel fit parotre sous son regne un phnix (foung-hoang) & un
dragon (loung). Il parut aussi un cheval ail, qui etoit marqu sur son
corps de certaines figures dont larrangement fournit Fou-hi loccasion
de tracer les huit Koa. La vertu de ces Koa est spirituelle & toute
cleste ; il nest rien quelle ne renferme, dit lHistorien. Voyez le Tome
II, page 11 & suiv.
p.03.009 Quelques nuds forms sur une corde etoient la seule
maniere decrire avant Fou-hi. Sous ce Prince, on inventa des caracteres,
1 Il y a des Lettrs en Chine qui ne remontent pas au-del de Yao, & qui renvoient dansles temps fabuleux ou incertains, tout ce qui regarde Fou-hi, Chen-noung, Hoang-ti, &c.Voyez le Tome I, pages 111 & 149 jusqu 244.
Portraits des Chinois clbres
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auxquels on donna des noms particuliers, afin que tout le monde pt les
apprendre, les retenir, & sen servir dans loccasion. Il noublia rien pour
en fortifier lusage, & tout lart de lecriture fut renferm dans six
prceptes.
Avant lui, il ny avoit point de mariage dtermin ; il etablit une
maniere de contracter cette union, & des crmonies pour en constater
la ralit. Il assigna chacun des epoux, des devoirs particuliers
remplir ; & par ce moyen il etablit des regles de biensance, & des
murs. Il inventa aussi la Musique, & le premier usage quil en fit, fut de
chanter le triomphe quil avoit remport sur lignorance & la barbarie.
Linvention de la Musique fut suivie de celle de deux instrumens
cordes, dont lun sappelle Kin & lautre Ch.
Les hommes etant rassembls, & faisant un corps de nation, il leur
falloit des chefs pour les astreindre au bon ordre, & le leur faire
observer. Fou-hi tablit des Magistrats, auxquels il donna le nom de
dragons.
Enfin, aprs avoir travaill pendant lespace de 115 ans adoucir les
murs de ces hommes barbares qui setoient soumis sa domination,
aprs avoir tch de les mettre en etat de se procurer les commodits de
la vie, il mourut.
On ne sauroit assigner le tems prcis auquel il a vcu. Ce quon sait
certainement, cest quil a et la Chine, quil y a donn des loix, & quil
y est mort. On montre encore son tombeau, pour lequel les Chinois ont
une espece de vnration.
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II
YEN-TI, CHEN NOUNG-CH
Empereur
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p.03.010 Ce Prince est appell indiffremment du nom de Chen-noung,
de Yen-ti, & de Kiang ; il tenoit sa Cour Ku-fou-hien, dans le Chan-
tong. Sa mere sappelloit Jen-se, ou Ngan-teng. On lui donne le feu
pour symbole, parce quil etoit expditif & exact traiter les affaires.
Il inventa les instrumens du labourage, & apprit aux hommes les
diffrentes manieres de cultiver la terre. Il connut les plantes
venimeuses & celles qui sont salutaires ; il inventa la mdecine. Les
mdecins & les laboureurs le reconnoissent pour leur premier matre, &
tous les hommes pour leur bienfaiteur.
Il etablit des marchs pour lechange des denres, & fit des
rglemens pour y etablir de justes proportions & obvier aux fourberies.
On lui attribue quelques livres sur lagriculture, & on le fait auteur
dun ouvrage sur la mdecine, qui est encore aujourdhui entre les mains
de tout le monde. Il renferme en substance tout ce quon peut dire de
mieux sur lart de connotre les maladies & dappliquer des remedes pour
les gurir. Si cet ouvrage nest pas de lui, il est certainement de quelque
auteur qui vivoit dans les premiers siecles de la monarchie.
Le sentiment le plus commun des historiens Chinois, en que Chen-
noung fut le successeur de Fou-hi, & quil rgna pendant 145 ans. On ne
peut fixer le tems auquel il a vcu. Il ny a sur cela que des conjectures,
dont ce nest pas ici le lieu de faire usage.
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En reconnoissance des bienfaits dont les hommes sont redevables
Chen-noung, la postrit lui a elev des temples, dans lesquels elle fait
chaque anne des sacrifices en son honneur.
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III
HOANG-TI, YEOU-HIOUNG-CH
Empereur Lgislateur
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p.03.011 Outre les noms de Hoang-ti, & de Yeou-hioung-ch, ce Prince
porte encore ceux de Kou-sun & de Hiuen-yuen ; sa mere sappelloit
Fou-pao.
Ds quil fut en possession de lEmpire, aprs la mort de Tch-yeou,
quil dfit dans les plaines de Tcho-lou, il mit tous ses soins le bien
gouverner. La guerre ne loccupoit plus ; il etoit tems quil mt la main
la grande lgislation quil avoit mdite. Il fit choix de six personnes
habiles, dont il crut que les lumieres pouvoient leclairer pour lexcution
de sa grande entreprise ; les noms de ces personnes sont Foung-heou,
Li-mou, Tay-chang, Ki-tchang, Sien-ta, & Ta-houng. Outre ces six
ministres, il cra des mandarins, auxquels il donna le nom de nuages, &
prit la terre pour symbole de son regne.
Il ordonna Ta-nao de composer le cycle de 60, qui rsulte de lunion
des dix Kan ou troncs, avec les douze Tch ou branches. Par ses ordres
Young-tcheng travailla sur lastronomie, & fit une sphere universelle.
Ling-lun travailla sur la musique, en rgla les cinq tons & fit plusieurs
instrumens, auxquels peu--peu on en ajouta quelques autres. Il rgla
ensuite les principales crmonies, & dtermina la forme du bonnet &
des habits. Il construisit un palais & donna des regles darchitecture.
Avec le secours de Ki-p, il composa un livre qui traite de tout ce quil y
a de plus essentiel savoir. Ce livre subsiste encore, ce quon
prtend ; il porte le titre de Hoang-ty-fou-ouen.
Limpratrice Si-ling-ch, son epouse, eleva des vers soie, &
enseigna la maniere de cultiver les mriers. Enfin les sciences p.03.012 &
Portraits des Chinois clbres
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les arts furent presque tous trouvs sous le regne de Hoang-ti. Le
Foung-hoang & le Ki-lin parurent.
Hoang-ti sentant que sa fin approchoit, se transporta King-chan, fit
fondre au pied de la montagne trois de ces vases que lon appelle ting. Il
mourut le quinzieme jour de la huitieme lune, dans la centieme anne de
son regne, & dans la cent vingt-unieme de son ge, la deux mille cinq
cens quatre-vingt-dix-huitieme avant J. C. Son corps fut dpos Kiao-
chan.
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IV
TSANG-KI
Ministre
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On croit communment que Tsang-ki vivoit du tems de Chen-noung,
dont il fut, dit-on, un des ministres. Dautres le font vivre du tems de
Hoang-ti. Tout le monde saccorde dire quil est le premier inventeur
des caracteres. Ayant vu, dit lHistorien, les vestiges des pieds des
oiseaux imprims sur la terre ou le sable, il imagina que des figures
semblables celles quil voyoit pourroient former une espece decriture,
& en inventa les caracteres. Hoai-nan-tse dit que lorsque Tsang-ki
composoit ses caracteres, le ciel fit tomber une pluie abondante de
grains, & que les Esprits verserent des larmes. Depuis linvention des
caracteres, ajoute-t-il, la simplicit a disparu de ce monde ; les
fourberies & la duplicit ont pris sa place ; on a abandonn les devoirs
essentiels, & lon ne sest attach le plus souvent qu des travaux
dangereux ou futiles ; on a nglig de cultiver la terre, & lon a mis tous
ses soins se perfectionner dans lart de bien former des lettres, de les
sculpter ou de les graver. Le ciel, prvoyant la faim venir, fit tomber
sur la terre une abondante pluie de grains : les Esprits, prvoyant tout
ce que des hommes peu p.03.013 crdules, mais eloquens, ecriroient
contre eux & contre leur culte, dans la suite des siecles, en pleurerent de
douleur.
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V
CHAO-HAO, KIN-TIEN-CH
Empereur
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Il etoit fils de Hoang-ti, & fut son successeur lEmpire : Son premier
nom etoit Tch, & son surnom Ki. Il tint sa cour Ku-fou-hien, & rgna
quatre-vingt-quatre ans, depuis lan avant J. C. 2597, jusqu lan 2514
inclusivement.
Il marcha dabord sur les traces du grand Tai-hao son pere. Il prit les
mtaux pour le symbole de son regne. Il ajouta aux premieres
inventions de son pere ; & tout ce qui est ncessaire pour lusage
ordinaire de la vie, fut ou trouv ou perfectionn de son tems. Il
composa la musique surnomme ta-yuen-yo. La fin de son regne ne
rpondit pas de si beaux commencemens. Chao-hao se pervertit par
les flatteries & les perfides leons dun nomm Kieou-ly, homme adonn
la magie. Les peuples, lexemple du Souverain, furent bientt
corrompus. Ils ne craignirent plus doffenser le ciel ; ils redouterent
seulement la colere des mauvais esprits, auxquels seuls ils offroient des
sacrifices. Il ntoit presque aucune famille, qui net ses pratiques
particulieres pour se mettre sous la protection de quelquun de ces tres
invisibles, quils croyoient pouvoir les favoriser ou leur nuire.
De si grands changemens dans les murs & dans la religion en
attirerent dans la nature. Les maladies inonderent le monde ; la vie de
lhomme fut considrablement abrge, & la paix disparut. Tous ces
malheurs arriverent par la faute dun seul homme, parce que cet homme
etoit la tte de tous les autres.
Portraits des Chinois clbres
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VI
TCHOAN-HIU, KAO-YANG-CH
Empereur
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p.03.014 Il etoit petit-fils de Hoang-ti, par Tchang-y. Sa mere sappelloit
Tcho-chan-ch, & autrement Tchang-pou.
Ds lge de dix ans, Tchoan-hiu entra dans le ministere, sous Chao-
hao, dont dix ans aprs il fut le successeur ; car il monta sur le trne
ntant g que de vingt ans ; ce fut lan avant J. C. 2513, onze ans aprs
la naissance dAbraham ; il tint sa Cour Ti-kieou, qui est aujourdhui
Pou-yang, dans le Chan-tong, & rgna soixante-dix-huit ans ; il prit leau
pour le symbole de son regne.
Il etoit savant & vertueux. Parmi les personnages illustres qui se
distinguerent de son tems, on fait mention dun Tchen-tchoung qui eut le
dpartement des provinces du midi, & le soin de ce qui concernoit
lastronomie. Lhistoire fait mention encore dun nomm Tchong-li, qui le
dpartement des provinces du nord fut donn avec la charge dInspecteur
gnral de toutes les affaires de lEmpire.
Tout alloit bien sous un aussi grand Prince & sous de tels ministres.
LEmpereur fit mettre mort linfame Kieou-ly, auteur de tout le mal qui
setoit fait sous le regne prcdent. Il abolit le culte superstitieux des
Esprits, & ramena les hommes leurs devoirs. Il ordonna que le tribunal
dAstronomie quil avoit lui-mme erig, feroit dsormais, chaque anne,
un calendrier. Il dtermina quelle seroit la lune quon compteroit la
premiere de lanne, le jour que commenceroit la premiere lune ; cest-
-dire, quil rforma lancien calendrier. Il fit calculer aussi le moment
des conjonctions pour les cinq Planetes, pour servir aux Astronomes
comme dpoque fixe pour les calculs venir ; ce qui lui a fait donner le
Portraits des Chinois clbres
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nom de p.03.015 Pere de lAstronomie. Il composa la Musique Tcheng-yun,
pour tre employe dans les sacrifices quil offroit au ciel. Enfin, aprs
avoir fait tous ses efforts pour rendre les hommes bons & vertueux, il
mourut dans la quatre-vingt-dix-septieme anne de son ge. Cetoit la
quatorzieme de la vocation dAbraham, lan avant J. C. 2436.
Portraits des Chinois clbres
21
VII
TI-KOU, KAO-SIN-CH
Empereur
@
Le nom propre de ce Prince etoit Tsun, & son surnom Ki. Il etoit fils
de Kiao-ki, & petit-fils de Chao-hao. A lge de quinze ans il fut employ
dans le Gouvernement par Tchoan-hiu, qui lui donna en appanage le
pays de Sin, do il prit le nom de Yeou-sin-ch. Devenu Empereur, il tint
sa Cour Po, ou Po-tcheou, quon appelle aujourdhui Yen-che-hien dans
le Ho-nan, & prit le bois pour le symbole de son regne. Il avoit lesprit vif
& pntrant. Attentif sur lui-mme, il ne laissoit echapper ni parole ni
geste ne fussent dans toute la dcence de son etat. Libral, bienfaisant,
il ne cherchoit en tout que lavantage de son peuple, dont il etoit autant
le pere que le Souverain.
Il eut quatre femmes, qui toutes sont recommandables. La premiere
sappelloit Kiang-yuen ; aprs quelque temps de strilit, elle pria
lEmpereur son epoux de vouloir bien offrir avec elle un sacrifice au ciel,
pour obtenir un fils. Le sacrifice eut lieu. Kiang-yuen conut & mit ensuite
au monde un fils qui fut nomm Ki ; cest de lui que sortirent les Tcheou,
ou les Empereurs de la troisieme dynastie.
La seconde sappelloit Kin-tou. Elle etoit fille de Tchen-foung-ch, &
fut mere du sage Yao, sous qui arriva le dluge.
p.03.016 La troisieme avoit pour nom Kien-ti. Elle toit fille de Yeou-
ngo-ch, & fut mere de Si, dont les Empereurs de la seconde dynastie
tirent leur origine. Ce Si est connu aussi sous le nom de Ki.
La quatrieme fut mere de Tch ou Tsi. Elle sappelloit Tchang-y, &
etoit fille de Tseou-tsi-ch.
Portraits des Chinois clbres
22
Ti-kou fit composer la Musique Kieou-chao. Enfin, aprs soixante-neuf
ans de regne, il mourut g de cent cinq ans, lan avant J. C. 2367, trois
ans avant la naissance dEsa & de Jacob. Son corps fut dpos dans le
pays de Hio. Il eut pour successeur immdiat son fils Tch ; mais ce
Prince nayant aucun talent pour le gouvernement, les Grands & le
Peuple le detrnerent, pour lui substituer le grand Yao, son frere.
Portraits des Chinois clbres
23
VIII
TI-YAO, TAO-TANG-CH
Empereur
@
Yao 1 etoit fils de Ti-kou & de Kin-tou, qui netoit que la deuxieme des
epouses de ce Prince. Il navoit que treize ans quand Tch, son frere,
monta sur le trne. Il eut dabord pour appanage le pays de Tao &
ensuite celui de Tang. Cest pour cette raison qu son nom de Yao, on a
ajout le titre de Tao-tang-ch. Il portoit dans sa jeunesse le nom de Y-
ki. Son frere Tch ayant et jug incapable de gouverner, il fut mis sa
place par les Grands & le Peuple. En montant sur le trne, il choisit Ping-
yang pour tre le lieu de sa Cour, & prit le feu pour symbole de son
regne. Il ordonna aux Astronomes, Hi & Ho, de faire un Calendrier qui
indiqut au peuple les diffrens temps de lanne, qui marqut les lunes
p.03.017 quil falloit intercaler, & qui dtermint exactement le
commencement de chacune des quatre saisons de lanne, afin que tout
ft dans lordre.
Yao, dit lhistoire, aimoit les hommes autant que le Ciel lui-mme
peut les aimer ; eclair comme les Esprits, il avoit une vertu semblable
celle du soleil, qui eclaire & echauffe en mme temps ; & les peuples
avoient autant de confiance en ses bienfaits quen ceux quils recevoient
des nues. Il ne se piquoit pas davoir de beaux palais, des meubles
prcieux pour ses appartemens, des mets exquis pour sa table, ni des
equipages brillans & lestes pour se transporter dun lieu un autre. Rien
de plus simple que sa demeure, rien de plus frugal que sa table, rien de
moins recherch que son habillement. Ayant gouverner les hommes, il
ne soccupa que des moyens de pouvoir les rendre heureux. Il leur
1 Cest le premier Empereur dont il soit parl dans le Chou-king.
Portraits des Chinois clbres
24
donna lexemple dune vie laborieuse & simple ; il ne se nourrissoit lui-
mme que de mets les plus communs & les plus grossiers, quon ne lui
servoit que dans une vaisselle de terre ; il ne shabilloit que de toile, &
ne changeoit de chaussure ou dhabits que lorsque les premiers etoient
hors detat de servir ; il nemployoit, au lieu de fourrure, pour se garantir
du froid pendant lhiver, quune peau de cerf, & ne se dchargeoit sur
personne de ce quil pouvoit faire lui-mme ; enfin, il portoit seul tout le
fardeau de lEmpire, tant quil fut en etat de se passer de secours. Ce fut
sous le regne dun Prince si sage & si humain, que les hommes
eprouverent un des plus grands flaux dont ils oient conserv la
mmoire ; je parle de ce dluge dont les eaux couvrirent presque toute
la Chine, & y firent des ravages qui furent si difficiles rparer. Voyez le
tome I, page 157.
Yao avoit epous la fille de San-y-ch. Il en eut un fils, qui est connu
sous le nom Tan-tchou. Mais comme il ne le jugea pas digne de lui
succder, il demanda que parmi ses p.03.018 sujets, on lui trouvt
quelquun qui pt gouverner lEmpire aprs lui. On lui nomma Chun, quil
fit dabord son collegue, & auquel il donna ses deux filles en mariage.
Lanne de lassociation de Chun est la soixante-treizieme du regne de
Yao, & la 2285e avant lere chrtienne. Enfin, aprs avoir rgn encore
vingt-huit ans, Yao mourut la cent-seizieme anne de son ge, lan
avant J. C. 2258. Il avoit compos la Musique Ta-tchang, pour tre
employe pendant les sacrifices, & pour chanter les mrites des grands
hommes. Il avoit fait encore quantit detablissemens utiles, dont on
peut voir le dtail dans le Chou-king & dans lhistoire. Cest un des
hommes de la Chine quon propose pour modele, & dont le nom ne
prira probablement jamais dans un pays o il est en si grande
vnration.
Portraits des Chinois clbres
25
IX
TI-CHUN, YEOU-YU-CH
Empereur
@
Ce Prince avoit pour nom propre Yao (par un caractere diffrent de
celui qui dsigne lEmpereur Yao). Il etoit descendant de Hoang-ti, la
huitieme gnration. On vient de voir que Yao etant parvenu la
soixante-treizieme anne de son regne, prit Chun pour son collegue &
lassocia lEmpire. Yao etant mort, les Grands & le Peuple, dune
commune voix, elurent Chun pour leur lgitime Empereur, & lui
donnerent le bois pour le symbole de son regne.
Chun etablit sa Cour Pou-pan. Il chargea Joui-ki & Yu-hen du soin
de tout ce qui concernoit lAstronomie. Il nomma Yu, Heou-ki, Ki, Kao-
tao, Tsoui, Y, Pai-y, Koui & Loung, pour tre les neuf principaux Officiers
qui devoient laider dans ladministration de la justice pour toutes les
affaires de lEmpire. Mais Heou-ki fut celui de tous p.03.019 quil
affectionna le plus. Ds ses premieres annes Chun setoit adonn
lagriculture. Toute sa vie il respecta cette profession, & composa un livre
sur les diffrentes manieres de cultiver la terre. Il travailla aussi
perfectionner les Sciences & les Arts ; mais il sappliqua sur-tout faire
fleurir la vertu.
Pour faciliter ses sujets un accs libre auprs de sa personne, & afin
quils pussent lavertir immdiatement des fautes quils avoient
remarques dans sa conduite, il fit placer la porte de son palais un
tambour & un King. On frappoit sur lun de ces instrumens, & lon etoit
admis sur le champ. Outre cela, il avoit fait mettre sur son char, dautres
disent sur une des portes de son palais, une planchette sur laquelle il
Portraits des Chinois clbres
26
etoit libre chacun daller ecrire les dfauts dont on vouloit quil se
corriget.
Il se portoit de lui-mme, & sans attendre les reprsentations de ses
Mandarins, tout ce quil croyoit tre lavantage de ses sujets. Il
respecta les sages & les vieillards. Il assigna, pour ceux dentre eux qui
navoient pas de quoi se procurer les commodits de la vie, une demeure
particuliere o ils etoient dcemment entretenus.
On prtend quil faisoit enterrer lor, pour tmoigner le mpris quil
avoit pour ce mtal, & que son aversion pour le luxe lui fit condamner
lusage des perles & des pierres prcieuses. La flatterie neut jamais
daccs auprs de lui ; mais il ecoutoit volontiers les sages & suivoit leurs
conseils.
Il est inventeur du Kin cinq cordes, & auteur de la chanson qui
commence ainsi : Le vent du midi amene la chaleur & dissipe la
tristesse ; quil en soit de mme de Chun ; quil fasse la joie & la
consolation de son peuple, &c. Il composa la Musique Kieou-chao-yo, qui
est une Musique douce & faite pour inspirer la concorde & la paix. Il
aimoit son peuple, dit lHistorien, comme un tendre pere aime ses enfans
& ce fut par p.03.020 un effet de cette tendresse quil choisit Yu,
prfrablement Chang-kiun, son propre fils, pour lui succder dans le
gouvernement de lEmpire. Enfin, allant visiter les montagnes du midi,
sur lesquelles il devoit offrir des sacrifices au ciel, comme il avoit
coutume de le faire certains temps dtermins, il tomba malade, &
mourut dans un lieu nomm Tsang-ou, lge de cent dix ans, dans la
soixante-unieme anne de son regne. Ce fut lan avant J. C. 2208, huit
ans aprs la mort de Jacob.
Portraits des Chinois clbres
27
X
KAO-TAO
Ministre
@
Tchoan-hiu, Kao-yang-ch, troisieme Empereur aprs Hoang-ti, avoit,
sous son regne, huit personnages illustres quon appelloit communment
les Pa-kai, cest--dire, les huit Kai. Kao-tao, autrement dit Ting-kien,
est le sixieme de ces illustres. LEmpereur Chun, sous le regne duquel il
vivoit encore, aprs avoir servi sous Tchoan-hiu & Yao, avec beaucoup
de distinction, le mit la tte de la justice. Il etablit cinq sortes de
supplices pour punir les coupables, suivant la grivet de leurs crimes ;
mais il neut guere occasion den faire usage. Le peuple, auquel il avoit
appris les cinq devoirs capitaux de lhomme, les pratiquoit si bien, que
les chtimens devinrent hors dusage. Tout le monde se portoit de lui
mme au bien, & gardoit en toute chose le juste milieu.
Portraits des Chinois clbres
28
XI
HEOU-TSI
Ministre
@
Il avoit pour nom-propre Ki, & pour surnom Ki ou Tsi, il etoit fils de
Kiang-yuen, la principale des epouses de Ti-kou. p.03.021 Ds quil fut n,
sa mere le fit porter dans un lieu dsert ; mais les btes froces, ni les
oiseaux de proie, ne lui ayant fait aucun mal, Kiang-yuen comprit que ce
fils, dont elle ne vouloit pas, etoit un enfant que le ciel protgeoit, elle le
reprit & lleva avec soin. Elle lui donna alors le nom de Ki, qui signifie
enfant abandonn. Devenu grand, Ki soccupa des travaux de la terre. Il
engagea la plupart de ses amis & de ceux de sa connoissance suivre
son exemple. Il leur apprit les meilleures manieres de la faire valoir ; &
la fertilit quils lui donnerent en lui confiant les cinq sortes de grains, les
rendit clebres dans tout lEmpire. Yao donna Ki le titre de Se-noung,
ou dInspecteur gnral de tous les travaux qui ont rapport la culture
de la terre.
Le Fondateur de la troisieme dynastie, dite la dynastie des Tcheou,
fait remonter son origine jusqu lui, & lui donna, en montant sur le
trne imprial, le titre de Heou ; cest pourquoi il est connu sous le nom
de Heou-tsi.
Portraits des Chinois clbres
29
XII
TA-YU
Empereur
@
Son nom propre etoit Se. Il etoit descendant de Hoang-ti, & fils de
Pe-kouen. Avant quil prit les rnes du gouvernement, il eut la douleur
de voir mettre mort celui dont il tenoit la vie, pour stre nglig dans
limportante commission quil eut sous le regne de Yao de rparer les
dommages causs par le dbordement des eaux. Il fut charg de la
mme commission, & sen acquitta plus heureusement que son pere.
Pendant treize annes entieres, il npargna ni soins, ni travaux, ni
fatigues, pour venir bout de son entreprise ; & pendant quil etoit ainsi
occup, il nentra pas une seule p.03.022 fois dans sa maison, quoiquil et
pass jusqu trois fois devant sa porte.
Il avoit des barques pour les voyages quil faisoit par eau, & des
chariots pour ceux quil faisoit par terre, placs les unes & les autres de
distance en distance pour servir au besoin. Il avoit fait faire aussi des
especes de traneaux, dont le fond etoit plat & uni, & que des hommes
poussoient par derriere, tandis que dautres tiroient par devant. Il sen
servoit dans les lieux humides & marcageux. Lorsquil etoit oblig de
traverser les montagnes, il y grimpoit, au moyen dune chaussure arme
de pointes de fer.
Il fit aussi des canaux pour communiquer dun endroit un autre
dans les neuf pays qui furent habitables aprs le dluge ; & ces canaux
formerent ensuite des rivieres. Il fit aussi des chemins pour
communiquer aux neuf principales montagnes.
Aprs quil fut mont sur le trne, il se donna tout entier aux pnibles
soins du gouvernement : voulant savoir tout ce qui se passoit dans
Portraits des Chinois clbres
30
lEmpire, il fit faire quatre sortes dinstrumens pour tre placs la porte
de son palais. Ds que le son de quelquun de ces instrumens venoit
frapper son oreille, il faisoit entrer celui qui vouloit avoir audience, ou se
rendoit lui-mme la porte pour lentendre.
Il tenoit sa cour Ngan-y, & convoqua une assemble gnrale
Tou-chan, o il reut les hommages & les prsens de tous les tributaires
de lEmpire. Il fondit neuf vases appells Ting, sur lesquels furent
graves les neuf Provinces qui partageoient alors lEmpire. Il dfendit
lusage du vin, parce que, disoit-il, cette liqueur etoit capable de porter
aux plus grands excs ceux qui en abusoient.
Il ecoutoit avec beaucoup dattention, & mme avec une sorte de
respect, ceux qui lui donnoient des avis. Il composa p.03.023 la musique
Ta-hia. Enfin aprs un regne de vingt-sept ans, il mourut dans la
centieme anne de son ge regrett de tous ses sujets. Un de ses fils,
nomm Ki, lui succda lan avant Jesus-Christ 2197. Quand Ninias, fils
de Ninus & de Smiramis, monta sur le trne dAssyrie, lEmpire Chinois,
qui jusqualors avoit et lectif, devint hrditaire. Yu fut le Fondateur de
cette premiere dynastie, dite des Hia.
Portraits des Chinois clbres
31
XIII
TCHENG-TANG
Empereur
@
Tcheng-tang, Fondateur de la seconde dynastie, dite la dynastie des
Chang, ou des Yn, etoit descendant la treizieme gnration dun des
Ministres de Chun, appell Si. Pour rcompenser le mrite & les
services de Si, lEmpereur Chun erigea en Principaut le pays de Chang
dans le Ho-nan, & lui en donna linvestiture. Les descendans de Si
gouvernerent successivement ce petit Etat jusqu Tchen-tang, que la
voix unanime, tant des grands que du peuple plaa la tte de tout
lEmpire.
Outre le nom de Tcheng-tang, ce Prince porte encore ceux de Tien-y,
de Ly & de Tang-ouang. Il sappelloit See avant que dtre Empereur. A
peine fut-il mont sur le trne, quun de ses premiers soins fut de faire
revivre les anciennes loix, & de rappeller les hommes la vertu. On
rapporte de lui qutant un jour se promener, il apperut un oiseleur. Il
va droit lui, examine le filet qui etoit grand & quatre faces. Il coupe
trois de ces faces, en laissant seulement la quatrieme, & se tournant du
ct de la campagne, comme sil et d tre entendu par les oiseaux, il
leur adressa ces paroles :
Vous pouvez maintenant voler dans les airs, courir droite
& gauche, suivant votre bon plaisir ; mais si vous p.03.024 vous
ecartez, & que vous deveniez nuisibles, il reste encore assez de
filet pour vous prendre.
Ces paroles de Tcheng-tang adresses en apparence aux oiseaux,
mais que ses nouveaux sujets pouvoient sappliquer & sappliquerent en
Portraits des Chinois clbres
32
effet, furent bientt rpandues de tous cts. Un Prince des environs,
qui on les rapporta, secria :
Il nen faut pas douter, Tang est un vrai sage, il mrite de
gouverner lEmpire & lUnivers.
Ce Prince ne fut pas, parmi les etrangers, le seul qui admira les vertus
de Tcheng-tang, les quarante Royaumes quon connoissoit alors, avoient
pour lui la plus profonde vnration.
Sous le regne de Tcheng-tang, cest--dire entre lan avant Jesus-
Christ 1766 & 1754, lEmpire fut afflig dune scheresse qui dura sept
annes de suite. Le Tribunal des Rits dclara quil falloit faire des prieres,
& offrir des sacrifices pour appaiser le Ciel.
Je prierai, joffrirai des sacrifices, dit Tcheng-tang, pour
appaiser le Ciel en faveur de mon peuple, je serai en mme
temps sacrificateur & victime. Je suis le seul coupable, je dois
tre le seul immol.
Il coupa ses cheveux & ses ongles, il couvrit son corps de plumes
blanches, & de poils de quadrupedes ; montant ensuite sur son char qui
toit simple & sans peintures, & auquel il avoit fait atteler des chevaux
blancs, il se fit conduire dans un lieu nomm Sang-lin. Arriv au pied de
la montagne, il descend de son char, se prosterne la face contre terre, &
se relevant ensuite, il saccuse devant le Ciel, & en prsence des
hommes,
1 Davoir eu de la ngligence instruire ses sujets.
2 De ne les avoir pas fait rentrer dans le devoir lorsquils sen etoient
ecarts.
3 Davoir fait des palais trop superbes, & dautres dpenses
superflues en btimens.
4 Davoir eu trop de femmes, & davoir eu trop de tendresse pour
elles.
Portraits des Chinois clbres
33
5 p.03.025 Davoir pouss trop loin la dlicatesse pour les mets de sa
table.
6 Enfin davoir trop ecout les flatteries de ses favoris & de quelques
grands de sa cour.
A peine eut-il fini lhumble confession de ses fautes, que le ciel, de
serein quil etoit auparavant, se couvrit tout--coup, & fit tomber sur la
terre une pluie des plus abondantes, dont elle fut suffisamment abreuve
pour reprendre sa premiere fertilit.
Tcheng-tang fit exploiter une mine de cuivre au pied de la montagne
Tchouang-chan. De ce cuivre il fit faire des pieces de monnoie, qui furent
distribues au peuple.
Il composa la musique Ta-hou, & mourut regrett de tous ses sujets.
Son petit-fils Tay-kia lui succda lan avant Jesus-Christ 1753. Trois ans
aprs que le Peuple de Dieu eut et rduit en servitude pour la seconde
fois.
Portraits des Chinois clbres
34
XIV
Y-YN
Ministre
@
Son nom-propre etoit Tsi. Il descendoit de Li-mou, qui fut ministre
sous Hoang-ti, & naquit Koung-fan-tcheng. Quand il fut grand, il se
transporta prs des bords de la riviere Y-choui, dont il voulut porter lui-
mme le nom en se faisant appeller Y. On lui donna pour surnom
Tcheng, qui signifie qui a de la droiture, qui est vrai & sincere, &c. Il
labouroit la terre dans les campagnes de Yeou-king, lorsque Tcheng-tang
lui envoya des prsens & une espece dambassade en forme, pour le
prier de venir laider gouverner son peuple, & mettre le bon ordre
dans ses Etats. Y-yn se rendit aux sollicitations de Tcheng-tang, & eut la
meilleure part au p.03.026 gouvernement. Tcheng-tang, alors Prince de
Chang, deploroit en secret le triste sort des sujets de lEmpire sous le
regne dun Prince tel que le barbare Ki-koui. Il exhorta Y-yn travailler
de toutes ses forces, pour faire rentrer lEmpereur dans le chemin que
ses anctres lui avoient trac. Il lui donna pour cela la qualit de son
Envoy, & le fit partir pour la Cour impriale ; mais Ki-koui etoit trop
endurci dans le crime, pour respecter encore la vertu & pour faire cas de
ceux qui la pratiquoient. Il renvoya Y-yn qui, de retour chez Tcheng-
tang, y continua son premier emploi.
Dans ce tems-l le Prince de Tchou, nomm Ko-p, ngligeoit
entirement ses devoirs, & en particulier les sacrifices. Tcheng-tang & Y-
yn se mirent la tte de quelques troupes, combattirent le Prince de
Tchou, & remporterent sur lui une pleine victoire.
Peu de tems aprs cette premiere expdition, les sujets de lEmpire
ne pouvant plus supporter le joug que le cruel Ki-koui ne cessoit
Portraits des Chinois clbres
35
daggraver sur eux, le secouerent enfin, & appellent le sage Tcheng-tang
pour les gouverner. Il fallut combattre encore, & Ki-koui fut
entirement dfait. Devenu Empereur, Tcheng-tang voulut que Y-yn ft
son premier Ministre.
Portraits des Chinois clbres
36
XV
FOU-YU
Ministre
@
Ou-ting, second Empereur de la seconde dynastie, eut un songe dans
lequel il vit un Sage, que le Ciel lui destinoit pour tre son Ministre, afin
que, par son moyen, il pt faire revivre le bon gouvernement de Yao, de
Chun & de p.03.027 Tcheng-tang. A son rveil, lEmpereur fit peindre le
Sage quil avoit vu, en donnant les principaux traits qui pouvoient servir
le faire reconnotre. On chercha dans tout lEmpire un homme qui
ressemblt ce portrait. On le trouva travaillant actuellement la
corve pour les rparations de la digue de Fou-yen. On le conduisit la
Cour, & lEmpereur scria en le voyant :
Cest lui que jai vu en songe ; cest lui-mme.
Le Sage ne fut pas dconcert par lappareil du trne, il parut tre sa
place ; & par ses rponses toutes les demandes quon lui fit sur les
objets les plus importans de la politique ; il donna des preuves dune
sagesse consomme, qui firent conclure Ou-ting que ctoit
vritablement l le Sage que le Ciel lui destinoit. Il le nomma ds-lors
son premier Ministre ; & en le priant de ne pas refuser cet emploi, il lui
promit que de son ct il seroit toujours docile ses avis, &
nentreprendroit jamais rien sans lavoir consult.
Fou-yu se chargea du pesant fardeau du ministere, mit tous ses
soins procurer la gloire de lEmpire, & faire le bonheur des peuples,
de sorte quen trs-peu de temps on crut tre gouvern par les Sages de
la haute antiquit.
Portraits des Chinois clbres
37
Il sappelloit dabord du simple nom de Yu ; il prit, tant Ministre, le
surnom de Fou, qui signifie, Assistant du Prince, celui qui fait les
fonctions de matre envers les enfans du Souverain.
Portraits des Chinois clbres
38
XVI
TCHEOU, OUEN-OUANG
Roi de Si-p
@
Le nom propre de Ouen-ouang etoit Tchang-p, & son surnom Ki. Il
descendoit de Hoang-ti par Heou-ki. Son pere Ki-li & sa mere Tay-jin
employerent tous leurs soins pour p.03.028 llever dans la vertu ; ils y
russirent au-del mme de leur esprance ; Ouen-ouang a et sans
contredit un des plus sages Princes quait eu la Chine.
Il gouverna le petit tat, qui etoit hrditaire dans sa famille, avec
une entiere satisfaction non seulement de ses propres sujets, mais
encore de ceux des Etats voisins. Quarante Royaumes se soumirent
lui ; & les Princes qui les gouvernoient reurent avec plaisir les loix quil
voulut bien leur donner. Les sujets mme de lEmpire indigns contre
Tcheou, le dernier des Empereurs de la seconde dynastie, se rfugioient
chez lui, dans lintention den faire leur Empereur, aprs avoir dtrn
celui qui remplissoit alors si mal le trne.
Allons, disoient-ils, chercher la sagesse, la justice & les
vertus chez Ouen-ouang.
Ouen-ouang fut accus auprs de lEmpereur davoir os faire les
crmonies funebres sur le tombeau dun sage Ministre que ce Prince
barbare avoit fait mettre mort. On se saisit de sa personne, & on
lenferma dans une etroite prison Yeou-ly. Ce fut pendant sa dtention
quil fit des commentaires sur les Koa-fou-hi. Ces commentaires ont et
conservs, & ont mrit lestime de Confucius & ladmiration de la
postrit.
Dlivr de sa prison, il appaisa les diffrends qui setoient elevs
entre les Rois de Yu & de Na. Le tyran Tcheou avoit fait construire une
Portraits des Chinois clbres
39
colonne de cuivre creuse en-dedans ; il la faisoit remplir de charbons
ardens, & se faisoit un plaisir barbare de la faire embrasser de force
ceux qui avoient eu le malheur de lui dplaire. Ouen-ouang offrit
lEmpereur sa terre de Si-to, pour obtenir quil ne fit plus usage de la
colonne, & quil la dtruisit. Ce qui lui fut accord. Tcheou le gratifia
outre cela dun arc & dune hache ; ce qui, dans ce tems-l, signifioit
quil lui accordoit le droit de faire la p.03.029 paix ou la guerre,
indpendamment de lautorit de lEmpereur.
Ouen-ouang se retira dans son Royaume, o il passa le reste de ses
jours dans la pratique de toutes les vertus. Enfin aprs un regne de
cinquante ans, il mourut dans la quatre-vingt-dix-septieme anne de son
ge. Cest le pere du fameux Ou-ouang, Fondateur de la troisieme
dynastie des Empereurs Chinois, dite la dynastie des Tcheou.
Ouen-ouang etoit contemporain de Samuel, Prophete, Juge &
Gouverneur du Peuple de Dieu.
Portraits des Chinois clbres
40
XVII
TAY-KOUNG
Ministre
@
Le nom de sa famille etoit Kiang, & son nom propre Chang. On
lappelloit aussi Tsi-ya.
Un jour quil samusoit pcher, prs de la source du Tsi, il trouva un
fragment de pierre de Yu, sur lequel etoient gravs ces mots : Tcheou
recevra lordre du Ciel, & Lu sera son Ministre. Recevoir lordre du Ciel,
en style Chinois, cest devenir Empereur. Lu est un des noms de Tay-
koung. Quelque temps aprs, Ouen-ouang voulut faire une partie de
chasse, il consulta les sorts en supputant par les Koua. Les sorts lui
firent entendre quil ne rencontreroit ni dragon, ni lopard, ni tigre, ni
ours ; mais quil trouveroit un Sage capable dtre le Ministre dun grand
Prince. Sur cette indication, Ouen-ouang se met en chemin. Non loin de
la riviere Koui-choui, il apperut un homme dont lair vnrable le
frappa.
Cest l peut-tre, dit-il en lui-mme, le Sage que le Ciel me
destine.
Il sarrte, salue linconnu, & apprend quil se nomme Tsi-ya :
Matre dit le Prince, quand on samuse p.03.030 pcher,
quest-ce qui fait le plus de plaisir ?
Seigneur, lui rpondit Tsi-ya, le Sage est content de tout,
parce quil a toujours ce quil souhaite ; mais lhomme ordinaire
nest guere satisfait que lorsquil obtient ce pourquoi il travaille.
Ouen-ouang fit encore plusieurs questions auxquelles Tsi-ya rpondit
avec la mme sagesse.
Portraits des Chinois clbres
41
Cest vous que je cherchois, dit-il au Sage en finissant, oui
cest vous ; il ne faut pas que je vous laisse echapper : montez
dans mon char & venez, venez dans ma Cour occuper la
premiere place aprs moi.
Moi-mme je vous attendois, rpondit Tsi-ya, pourquoi
refuserois-je de vous suivre ?
Il monte linstant dans le char, & suit le Prince dans son palais. Ouen-
ouang le reconnut publiquement pour son Matre, le dclara son premier
Ministre, & lui donna en propre la terre de Lu. Cest de-l quest venu le
nom de Lu-chang quon lui donne quelquefois. Il leleva encore la
dignit de Koung, & voulut quon rappelt Tay-koung, comme qui diroit,
le premier Comte, le grand Comte, le Comte par excellence, &c. Cest
par les secours de ce grand homme que les Tcheou firent fleurir leur
Royaume ; cest parce quils furent eclairs de ses lumieres quils
etablirent de si belles loix, & quils parvinrent enfin gouverner lEmpire.
Tay-koung est Auteur dun Ouvrage sur lArt Militaire, intitul Lou-tao,
cest--dire les six points de runion de la science de la guerre, pour le
bon gouvernement dun Etat. Cest-l le sens quon donne au caractere
Tao.
Si ce livre nest pas vritablement de Tay-koung, il est probablement
de quelque Lettr du tems des Tcheou, qui a ramass les prceptes de
ce grand homme tels quon les dbitoit alors. On ne peut douter que le
Lou-tao ne soit un amas de fragmens trs-anciens. Il est encore
aujourdhui entre les mains de tout le monde, & jouit de lestime
universelle.
Tay-koung vivoit du temps de Samuel.
Portraits des Chinois clbres
42
XVIII
TCHEOU, OU-OUANG
Empereur
@
p.03.031 Ou-ouang, Fondateur de la dynastie des Tcheou, qui est la
troisieme de celles qui a occup le trne Chinois, descendoit la
seizieme gnration du fameux Heou-ki ou Heou-tsi (car il se dit des
deux faons). Sa mere Kiang-yuen, la principale des pouses de Ty-kou,
le fit exposer dabord aprs sa naissance. Il etoit le second des fils de
Ouen-ouang, son nom propre etoit Ki-fa. Il succda son pere, & fut
pendant treize ans Roi ou Prince de Si-p. Les Grands de lEmpire qui
venoient se rfugier chez lui, pour y trouver un asyle contre les fureurs
de Tcheou-sin, lui persuaderent de prendre les armes pour dtruire un
monstre qui dshonoroit lhumanit. Ou-ouang assigna Men-tsing pour le
rendez-vous gnral des troupes quil devoit commander. Il sy trouva
jusqu huit cens Princes. LEmpereur Tcheou-sin ayant appris ce qui se
tramoit contre lui, leva une arme de sept cens mille hommes quil
envoya contre Ou-ouang ; mais cette formidable arme, au lieu de
combattre, rendit les armes. Le tyran se voyant abandonn, se rfugia
dans la capitale, senferma dans son palais, & y fit mettre le feu. Les
Grands proclamerent Ou-ouang Empereur, & le reconnurent pour leur
lgitime Souverain avec les crmonies accoutumes.
Aprs la mort de Tcheou-sin, le nouvel Empereur alla dabord Po-
tcheou dans le pays de Tang. Cest ce quon appelle aujourdhui le Ho-
nan. A peine y fut-il arriv que de son char mme dont il netoit pas
encore descendu, il assigna un des descendans de Hoang-ty le pays de
Ki, dans le Ho-nan, titre de souverainet ; il donna un des
descendans de Yao le pays de Tchou, dans le Hou-koang ; & p.03.032 un
des descendans de Chun le pays de Tchen, qui faisoit alors une partie de
Portraits des Chinois clbres
43
ce quon appelle aujourdhui le Ho-nan. Il descendit ensuite de son char,
& assigna la Principaut de Ki pour servir dappanage aux descendans du
grand Yu, & la Principaut de Soung pour les descendans du sage
Tcheng-tang. Il se transporta ensuite dans le lieu o etoit le tombeau de
lillustre Pi-kan, qui le barbare Tcheou-sin avoir fait arracher le cur
pour le punir des avis salutaires quen sage Ministre il navoit pas craint
de lui donner. L il fit les crmonies funebres en prsence de toute sa
Cour. Il dlivra Ki-tse, autre sage Ministre de Tcheou-sin, de la prison
o il etoit renferm. Il lui donna une des premieres dignits de lEmpire
en lexhortant en remplir les devoirs, comme avoient fait autrefois ses
anctres sous Tchen-tang, & les autres grands Empereurs de sa
dynastie.
Ou-ouang sadressant ensuite au peuple, lui parla -peu-prs en ces
termes :
Vous tes aujourdhui mes sujets ; je ne prtends pas que
vous vous conduisiez comme vous lavez fait du temps de
Tcheou-sin, dont vous suiviez le mauvais exemple. Cest moi
que vous devez dsormais prendre pour modele, puisque cest
de moi que vous devez recevoir des loix ; & vous, Mandarins &
Officiers de tous les Ordres, remplissez la rigueur toutes les
obligations attaches vos diffrens emplois. Ds--prsent je
vous assigne pour vos gages & appointemens le double de ce
que vous perceviez ci-devant.
Aprs avoir regl les affaires & donn ses ordres Po-tcheou, passa le
Hoang-ho, & se transporta du ct de lOccident. Il renvoya tous les
chevaux qui lui etoient dsormais inutiles, & les fit conduire sur la
montagne Hoa-chan, qui est au Nord du fleuve. Les bufs & les autres
btes de somme quon employoit durant la guerre traner les chariots,
ou porter les bagages, furent envoys Tao-lin, pour se refaire des
p.03.033 fatigues passes. Les cuirasses & les chars arms en guerre
furent enferms dans des magasins. Les lances & les boucliers furent
envelopps dans des peaux de tigre. Tout cela se fit pour persuader au
Portraits des Chinois clbres
44
peuple quil etoit sans dfiance, & quil ne pensoit qu jouir dsormais
des avantages prcieux de la paix.
Ceux dentre les Officiers qui setoient le plus distingus par leur
valeur & leur fidlit son service, furent faits Souverains, sous le titre
de Kien-kao, titre qui revient celui de brave par excellence. Il erigea
des Principauts particulieres en faveur de ses freres, & de tous ceux
qui, sans combattre, setoient distingus par leur sage administration au
dedans. Il licencia ses troupes, la charge seulement de sexercer, de
temps en temps, lancer un trait contre un but particulier dont il donna
la forme. Il voulut quon dpost lepe, quon quittt les habits de
crmonie, & lespece de masse que les Magistrats portoient en main
pour se faire respecter. Il etablit de nouvelles crmonies, & de
nouvelles marques de dcoration. Lexactitude avec laquelle il faisoit les
crmonies en lhonneur de ses anctres, inspirerent au peuple lamour
& le respect des parens.
Il appella tous les Princes ses tributaires, tant ceux de la nouvelle
cration, que ceux qui jouissoient dj de lhonneur de la souverainet,
avant quil ne ft lui-mme Empereur, & les instruisit de leurs obligations
envers tous ceux qui leur etoient soumis. Il voulut en leur prsence faire
la crmonie du labourage de la terre ; & en leur donnant lui-mme
lexemple des vertus quil recommandoit aux autres, il se fit aimer &
respecter dans tout lEmpire.
Il assigna un lieu particulier pour y entretenir les trois sortes de
vieillards, cest--dire, les vieillards vertueux, les vieillards savans, & les
vieillards auxquels on navoit rien p.03.034 reprocher. Il assistoit une fois
lanne au festin de crmonie quon leur donnoit ; il retroussoit ses
manches & aidoit les servir : il commenoit dpecer les viandes ; il
donnoit chacun des vieillards quelques assaisonnemens, comme sil et
voulu par-l aiguiser leur apptit, & leur portoit lui-mme boire ; enfin,
il ne craignoit pas davilir la dignit impriale en commenant lui-mme
une danse, pendant laquelle il tenoit en main le Kan. Tout cela se faisoit
en prsence de Rois tributaires & des Grands de lEmpire, pour leur
Portraits des Chinois clbres
45
donner lexemple de ce quils devoient faire lgard de ceux qui leur
etoient soumis.
La doctrine de Ou-ouang se rpandit dans les quatre parties du
monde, cest--dire dans toute la Chine. Il fut limitateur fidele des
vertus de son pere, honora Lu-chang comme son matre, & traita
Tcheou-koung son frere, comme son egal sur le trne. Les Crmonies
quil etablit, releverent la majest de lEmpire. Il composa une nouvelle
Musique ; il changea lordre du Calendrier, de faon que la lune quon
comptoit alors la onzieme, fut prise pour tre la premiere de lanne.
Enfin, aprs un regne de sept ans, il mourut la quatre-vingt-douzieme
anne de son ge, lan avant J. C. 1116, cinq ans aprs que Sal eut
commenc de rgner, conjointement avec Samuel, sur le peuple de
Dieu. Son corps fut dpos dans le pays de Py.
Portraits des Chinois clbres
46
XIX
TCHEOU-KOUNG
Ministre
@
Tcheou-koung avoit pour nom propre Ki-tan. Il etoit fils de Ouen-
ouang, & frere cadet de Ou-ouang, fondateur de Dynastie des Tcheou. Il
montra ds son enfance une vertu p.03.035 peu commune, & les leons de
Tay-koung, dont il fut profiter, en firent un des plus sages Princes & des
plus habiles dans lart du gouvernement.
Ou-ouang son frere, en montant sur le trne de lEmpire, le choisit
pour son premier Ministre, & le traita toujours comme sil et et son
egal sur le trne. Mais Tcheou-koung ne se servit de son crdit & de ses
lumieres que pour faire fleurir lEtat. Il rtablit & perfectionna les
Crmonies & la Musique, qui avoient beaucoup dchu sous les derniers
Empereurs de la dynastie prcdente : il fit un nouveau Code, etablit de
nouveaux Rits, adoucit de plus en plus les murs du peuple, & noublia
rien pour lui procurer labondance & la flicit. Ce fut ses soins que la
Dynastie des Tcheou fut redevable de tout son lustre, parce que ce fut
lui qui fonda leur maniere de gouverner sur la vertu, dirige par lamour
quun Souverain doit avoir pour ses sujets.
Tcheou-koung avoit un fils nomm P-kin, -peu-prs de mme ge
que celui des fils de Ou-ouang, & qui fut ensuite Empereur sous le nom
de Tcheng-ouang. Quand celui-ci faisoit quelque faute, Tcheou-koung
corrigeoit son propre fils en prsence du coupable, en disant que cetoit
cause de ses mauvais exemples quun Prince destin gouverner les
hommes setoit ainsi echapp. La correction nen faisoit que mieux son
effet sur les deux jeunes Princes. Ou-ouang nomma, en mourant, son fils
Portraits des Chinois clbres
47
Tcheng-ouang pour tre son successeur, & Tcheou-koung son frere, pour
tre le tuteur du jeune Prince, & Rgent de lEmpire pendant la minorit.
Tcheou-koung continua comme il avoit commenc ; il mit tous ses
soins bien instruire son neveu ; & ds quil le crut en etat de gouverner
par lui-mme, il lui remit toute lautorit, ne se rservant pour toute
prrogative que la libert p.03.036 de pouvoir lui faire des reprsentations,
quand la gloire de lEmpire & le bien des peuples lexigeroient. Ce fut
pendant la Rgence de Tcheou-koung que sintroduisit la coutume de
donner audience aux Princes tributaires, avec tout lappareil de la
majest impriale.
La sagesse, la fidlit, le dsintressement, lamour du bien public, &
les autres belles qualits de Tcheou-koung sont encore aujourdhui le
modele quon propose imiter aux Souverains & leurs Ministres. On ne
cesse de rappeller, avec les plus brillans eloges, laction mmorable par
laquelle il offrit sa propre vie en sacrifice pour racheter celle de Ou-ouang
son frere, qui etoit dangereusement malade. On ne rappelle pas avec
moins de complaisance les instructions quil donna P-kin son fils,
lorsquil lenvoya se mettre en possession de la principaut de Lou, dont
lEmpereur venoit de lui donner linvestiture :
Allez, mon fils, lui dit-il, allez fixer votre sjour chez les
peuples que le Fils du Ciel veut bien confier vos soins ; soyez
leur ami plutt que leur Prince ; soyez leur pere plutt que leur
Souverain. Instruisez-les, aimez-les, soulagez-les dans leurs
peines, consolez-les dans leurs afflictions. Que leurs intrts
soient les vtres ; que votre satisfaction soit la leur. Soyez-leur
accessible en tout temps : nul prtexte, nulle affaire qui vous
soit propre ne doit jamais vous empcher de les ecouter. Votre
plus grande affaire, votre affaire unique doit tre de leur
rendre justice quand ils sadresseront vous pour lobtenir ; &
la voie qui pourra les conduire jusqu vous doit leur tre
ouverte en tout temps. Je puis me citer vous pour exemple :
je suis votre pere, & vous tes mon fils bien aim. Combien de
Portraits des Chinois clbres
48
fois ne mavez-vous pas vu interrompre mes occupations les
plus graves, pour donner audience ceux qui avoient besoin
de moi ? Combien de fois ne me suis-je pas lev avant lheure,
couch plus tard que je naurois souhait, & pris mes p.03.037
repas la hte, pour ne pas diffrer un autre temps ce que je
pouvois faire alors en mincommodant un peu ? Faites-en de
mme, mon fils ; vos peuples seront heureux, & leur bonheur
rejaillira sur vous, &c.
Cest aux sages rglemens que fit ce Prince, pendant son ministere sous
Ou-ouang son frere, pendant sa rgence sous Tcheng-ouang son neveu,
que les Historiens attribuent les 867 annes du regne qua eu la Dynastie
des Tcheou. Tcheou-koung vcut jusqu lge de cent ans. Aprs sa mort,
Tcheng-ouang son neveu lui fit elever un tombeau ct de celui de Ou-
ouang : il lui fit rendre tous les honneurs funebres quon rend aux
Empereurs. On porta le deuil dans tout lEmpire ; par-tout on pleura sur
lui comme on pleure sur un pere ; & il ny eut pas jusquaux etrangers qui
donnerent des marques publiques de leur douleur.
Il faut avouer que ce Prince a t un des plus grands hommes que la
Chine ait jamais produits. Il runissoit dans sa personne les qualits de
grand gnral, de politique habile, de sujet fidele, de lgislateur eclair ;
il fut mme grand Gometre, & grand Astronome, par rapport au temps
& au pays o il vivoit. Son mrite si universellement reconnu, si
gnralement applaudi, ne le mit pas toujours couvert des traits
empoisonns de lenvie ; il eut ses disgraces & ses revers. Tcheng-
ouang, son neveu, se laissa persuader que ses vues setendoient
jusquau trne, dont on lui dit quil vouloit le faire descendre pour sy
placer lui-mme ; & en consquence, il le dpouilla de ses emplois &
leloigna de la Cour.
La grandeur dame de Tcheou-koung ne se dmentit pas dans ces
circonstances critiques. Sil et et capable de ce dont on le souponnoit,
rien netoit plus ais pour lui que de lexcuter. Les gens de guerre
etoient sa disposition ; il avoit laffection du peuple & de tous les
Portraits des Chinois clbres
49
Ordres de lEtat ; il etoit p.03.038 frere du grand Ou-ouang, & le
compagnon fidele de ses glorieux exploits ; il navoit qu vouloir. Mais
satisfait du tmoignage quil se rendoit lui-mme davoir toujours agi
sans intrt propre comme sans ambition, & de navoir jamais eu
dautres vues que la gloire de son matre & le bien de letat ; sa
magnanimit lui fit etouffer jusquau moindre sentiment de vengeance
ou dindignation. Il ne chercha point se justifier ; il ne donna pas
mme des marques de mcontentement. Il se disposoit couler le reste
de ses jours dans le sein de la philosophie, lorsque Tcheng-ouang,
honteux davoir souponn dinfidlit & de peu dattachement sa
personne, le plus fidele & le plus affectionn de ses sujets, le rappella
avec honneur, lui rendit ses dignits & lui confia de nouveau tout le
dtail du Gouvernement. Il avoit reu sa disgrace sans en tre emu : il
reut egalement sans semouvoir les nouvelles faveurs dont on le
combloit. A la premiere nouvelle quil en eut, & sans attendre des ordres
ritrs, il se rendit la Cour, & se remit la tte des affaires, comme
sil ft revenu de sa maison de plaisance ou de quelque voyage de
plaisir. Il nappartient quaux grandes ames dapprcier ce que vaut une
action de cette nature. Je ne suis pas surpris que les Chinois parlent
encore aujourdhui du grand Tcheou-koung avec une admiration qui tient
de lenthousiasme.
Portraits des Chinois clbres
50
XX
LAO-TSE
Philosophe
@
Quoique ce Philosophe ne soit regard par les Lettrs Chinois que
comme un Sectaire, qui a corrompu la vritable doctrine du King, il est
cependant mis au rang des grands hommes, parce quon a pour maxime
ici quil faut tre p.03.039 vritablement un grand homme, pour venir
bout de se soumettre dautres hommes & de leur donner des loix. Il
naquit dans le royaume de Tchou, qui occupoit alors une partie de ce
quon appelle aujourdhui la province du Hou-koang, le quatorzieme jour
de la neuvieme lune de la troisieme anne du regne de Ting-ouang,
vingt-unieme Empereur de la dynastie des Tcheou, cest--dire, lan
avant J. C. 604, lorsque Nabuchodonosor, surnomm le grand, monta
sur le trne de Babylone, la place de son pere Nabopalassar, auquel il
succdoit. Le nom de sa famille etoit Ly ; il avoit pour nom propre Eulh,
& pour surnom P-yang. Tsee, Tan, Jan-kiun, &c. sont diffrens noms
quon lui donna aprs sa mort.
On nest pas trop au fait de ce qui le regarde, parce que la vie quil
mena fut cache & presque toujours solitaire. Ce quen disent ses
disciples & ses sectateurs, parot avoir et invent aprs coup, pour
clbrer un homme dont la mmoire leur etoit chere, & dont ils vouloient
etablir la rputation legal de celle de Confucius qui, dun consentement
unanime, a et reconnu pour le Philosophe de la nation. Je ne dirai ici
que ce quen rapporte lHistoire, & ce quelle en rapporte se rduit ce
peu de mots. Lao-tse etoit grand observateur des usages qui furent
etablis par la dynastie des Tcheou.
Portraits des Chinois clbres
51
Il etoit plus g de cinquante-quatre ans que Confucius ; ainsi sa
rputation etoit toute faite, & il en jouissoit lorsque Confucius vint au
monde : cependant les Historiens de Confucius & ceux de Lao-tse disent
que ces deux Philosophes se sont vus & se sont entretenus une fois
ensemble. Voici comment ils racontent la chose.
Confucius ayant oui, dans bien des occasions, faire leloge de Lao-
tse, voulut connotre par lui-mme quel etoit cet homme extraordinaire.
Il se transporta dans le lieu o il p.03.040 faisoit son sjour, & linterrogea
sur le fond de sa doctrine. Au lieu de lui rpondre, Lao-tse reprocha
Confucius quil etoit trop rpandu au dehors ; que la conduite quil tenoit
sentoit le faste & dnotoit la vanit, & que le grand nombre de ses
disciples etoit plus propre entretenir lorgueil dans son cur, qu y
faire natre ou y nourrir lamour de la sagesse.
Le sage, lui dit-il, aime lobscurit : loin dambitionner les
emplois, ils les fuit. Persuad quen terminant sa vie, lhomme
ne laisse aprs soi que les bonnes maximes quil aura dbites,
ceux qui etoient en etat de les retenir & de les pratiquer, il ne
se livre pas tout venant ; il etudie les temps & les
circonstances. Si les temps sont bons, il parle ; sils sont
mauvais, il se tait. Celui qui est possesseur dun trsor le cache
avec soin, de peur quon ne le lui enleve : il se garde bien de
publier par-tout quil la en sa disposition. Celui qui est
vritablement vertueux ne fait pas parade de sa vertu ; il
nannonce pas tout le monde quil est vertueux. Voil tout ce
que jai vous dire ; faites-en votre profit.
Lao-tse eut raison de nen pas dire davantage ; car cest l tout le
fond de sa doctrine. Il seroit souhaiter que Confucius et dit son
sentiment un peu plus clairement quil ne fit, aprs cette entrevue, sur
des maximes dont le vrai & le faux confondus ensemble ne peuvent
quinspirer une faute sagesse ceux qui rduiroient indiffremment lun
& lautre en pratique. Mais toute la rponse quil fit ses disciples,
Portraits des Chinois clbres
52
lorsquils linterrogerent sur le compte dun homme quil avoit et si
curieux de connotre par lui-mme, est celle-ci.
Jai vu Lao-tse, il ressemble au dragon.
Ce peu de mots a et diffremment interprt, en bien & en mal, suivant
quon etoit dispos pour ou contre le sujet. Lao-tse voyant que lEmpire
alloit en dcadence, & que la Dynastie des Tcheou commenoit
chanceler sur le trne, prit le parti de vivre encore plus retir p.03.041 quil
navoit fait jusqualors. Il alla Han-kouan pour sy cacher. Le Mandarin
du lieu ly reut bien, & lui dit :
Vous voulez vivre en solitaire, je ne my oppose point ; mais
dans votre solitude, occupez-vous quelque chose dutile.
Composez quelque Ouvrage dans lequel les principes de votre
doctrine soient clairement expliqus.
Le Philosophe lui en fit la promesse & sen acquitta ; il composa le Tao-
t-king, cest--dire, le livre de la doctrine & de la vertu. Cet Ouvrage
nest pas tel aujourdhui quil etoit au sortir des mains de son auteur. On
prtend que ses disciples & ses sectateurs y ont insr, en divers temps,
bien des maximes pernicieuses qui netoient pas dans loriginal. Quoi
quil en soit, aprs quil eut fini son Ouvrage, Lao-tse sortit de Han-
kouan, & seclipsa tout--coup, sans quon ait jamais pu savoir o il se
retira, ni ce quil devint.
Les Sectateurs de Lao-tse sont encore aujourdhui trs-nombreux
la Chine. On les connot sous le nom de Tao-se. Leur doctrine nest pas
tout--fait telle que le dit le Pere du Halde. Il est probable que ce Pere a
tir lui-mme les consquences & les a ensuite eriges en principes de la
doctrine.
Portraits des Chinois clbres
53
XXI
KOUNG-TSE
Philosophe
@
Koung-tse, quil a plu nos Europans dappeller Confucius, avoit
pour nom propre Kieou, & pour surnom Tchoung-ni. Ses anctres etoient
originaires de la principaut de Soung, qui comprenoit depuis les confins
de ce quon appelle aujourdhui le Ho-nan, jusquau Kiang-nan. Son pere
sappelloit Chou-leang-h, & sa mere Yen-ch. Il naquit la onzieme
lune de la vingt-deuxieme anne du regne de Siang-koung, Roi p.03.042 de
Lou, cest--dire, au mois de Dcembre de lan 551 avant J. C. Il travailla
avec ardeur faire fleurir la vertu, la saine doctrine & les bonnes murs.
Il parcourut la plupart des petits Royaumes qui partageoient alors
lEmpire, & fit un grand nombre de disciples ; on en compte jusqu trois
mille, mais il ny en eut que soixante-douze qui surent expliquer & qui
entendirent parfaitement quelquun des six Arts, & douze seulement qui
furent constamment attachs sa personne, & qui ont mrit le surnom
de sages.
Aprs avoir pass par diffrens emplois, Koung-tse, g de soixante-
huit ans, se retira dans sa patrie, o il employa le peu dannes qui lui
restoient encore vivre, faire des gloses sur le Li-ki, purger le Ch-
king de bien des pieces apocryphes ou indcentes quon y avoit insres,
& donner une explication des Koua de Fou-hi. Enfin, se voyant prt
terminer sa carriere, & persuad quil navoit oubli aucun des moyens
qui dpendoient de lui, pour faire connotre & pratiquer la vertu, il
attendit sans inquitude le moment de sa mort, qui arriva la quatrieme
lune de la seizieme anne du regne de Ngai-koung, Roi de Lou, cest--
dire lan avant J. C. 478. Il etoit alors dans la soixante-treizieme anne
de son ge.
Portraits des Chinois clbres
54
Confucius neut quun fils auquel il survcut ; il sappelloit Koung-ly, &
autrement P-yu ; mais de P-yu sortit le fameux Tse-se, qui, sur les
maximes de son aeul, composa le livre du juste milieu, en Chinois,
Tchoung-young 1.
Sur les mmes maximes, Tseng-tse publia le Ta-hio ou la grande
doctrine 2 ; & ses autres disciples ayant fait un choix des sentences &
discours familiers de leur matre, en p.03.043 composerent ce quon appelle
le Lun-yu. Confucius avoit rdig lui-mme le Chou-king, & compos les
annales du Royaume de Lou, intitules Tchun-tsieou 3. Je donnerai la vie
de ce Sage, dans laquelle on verra plus particulirement ce qui le
regarde. En attendant, on peut se contenter du peu que jen dis ici.
1 La Traduction de cet Ouvrage est imprime dans le Tome I de ces Mmoires.2 La Traduction de cet Ouvrage est aussi imprime dans le mme volume.3 Voyez ce qui est dit du Chou-king, dans le Tome I, p. 43 jusqu 64.
Portraits des Chinois clbres
55
XXII
KIU-PING
Ministre
@
Le nom de sa famille etoit Kiu, & son nom propre Ping. Il prit pour
surnom Yuen ; del vient quon lappelle indiffremment Kiu-ping & Kiu-
yuen. Il etoit de mme sang que le Roi de Tchou (Hoai-ouang), sous le
regne duquel il fut mis la tte des affaires.
Il setoit adonn de bonne heure letude, & y avoit si bien russi,
quil fut regard comme un des plus savans hommes de son siecle. Il
avoit, outre cela, une eloquence naturelle qui le faisoit admirer de tout le
monde. Il ecrivoit bien, & avec beaucoup de facilit. Cetoit lui qui
rpondoit toutes les lettres des Gouverneurs de Province, & autres
Officiers qui etoient hors de la Capitale, & qui leur intimoit les ordres du
Souverain, avec un discernement & une sagesse qui lui acquirent
lestime universelle, & toutes sortes dhonneurs & de bienfaits de la part
de son Prince.
Il ne lui falloit pas tant de mrite pour avoir des envieux. Les Grands
de la Cour lui supposerent des crimes, & laccuserent auprs du Roi, qui
eut la foiblesse de sacrifier son principal Ministre, & son homme de
confiance, sur de simples soupons ; il leloigna de la Cour.
p.03.044 Kiu-yuen sentit vivement sa disgrace : il quitta non-seulement
la Cour, mais encore le Royaume de Tchou, ne voulant plus vivre sous la
domination dun Prince dont il avoit si bien mrit, & qui le traitoit si
indignement. Il se retira dans les terres propres de lEmpire. L,
dbarrass de tout soin, & rendu lui-mme, il exera son gnie, &
dchargea son cur. Il composa la fameuse Elgie nomme Li-sao, dans
laquelle il exhale sa douleur avec une eloquence & un pathtique qui
Portraits des Chinois clbres
56
arrachent des larmes. Il croyoit tre dsormais labri des fureurs de la
calomnie ; il se trompoit : lenvie le poursuivit dans sa retraite, & suscita
dabord contre lui le Mandarin du lieu, & ensuite quelques Grands de la
Cour de lEmpereur qui le desservirent, & le firent regarder comme un
personnage dangereux. LEmpereur, trop crdule, le relgua dans un lieu
marcageux nomm Pin, non loin des bords du Kiang.
Dans cet exil, Kiu-yuen composa neuf autres Elgies. Aprs quoi,
dgot des hommes auxquels il avoit fait tout le bien quil avoit pu, &
de la part desquels il navoit eprouv que des injustices, il tomba dans
une profonde mlancolie quil ne put vaincre, tout philosophe quil etoit.
La vie lui devint charge, & il prit le parti den terminer lui-mme le
cours ; il sattacha une grosse pierre, & se prcipita dans le fleuve.
Le peuple, touch des malheurs dun homme qui fut tout--la-fois
grand sans faste, bel esprit sans orgueil, Ministre habile, Magistrat
equitable, citoyen vertueux, lui donna des larmes. Il vint en foule sur les
bords du fleuve, pour tcher de dcouvrir le corps de celui quil
regrettoit. Pendant une espace de temps assez considrable, on fit
chaque jour les mmes recherches ; ce qui a donn lieu une espece de
fte qui se clebre chaque anne en son honneur, le cinquieme jour de
p.03.045 la cinquieme lune. Les bateliers ornent leurs barques, courent les
rivieres, comme sils cherchoient encore le corps du vertueux Magistrat,
pour lui procurer les honneurs de la spulture dont il fut priv.
Portraits des Chinois clbres
57
XXIII
MONG-TSE
Philosophe
@
Mong-tse, le plus clebre des Philosophes Chinois, aprs Confucius,
avoit pour nom propre Ko, & pour surnom Tse-yu ; il etoit de famille
Mandarine, originaire du Royaume de Tchou, & descendoit de ce Mong-
sun, qui, du temps de Confucius, exeroit une des principales charges de
la Magistrature, avec un faste qui mrita lanimadversion de ce
Philosophe. Son pere Ki-koung-y etoit etabli dans le pays de Tseou, qui
appartenoit alors au Roi de Tchen, & qui est ce quon appelle aujourdhui
Tseou-hien, du district & de Yen-tcheou-fou, de la Province de Chan-
tong : il mourut peu de temps aprs la naissance de son fils. Tchang-
ch, mere de Mong-tse, fut charge seule de son education, & y donna
tous les soins qui dpendoient delle. On la cite aux peres & aux meres
comme un modele. Le dtail de tout ce quelle fit pour inspirer de bonne
heure lhorreur du vice & lamour de la vertu celui quelle devoit
former, nest pas ici mon objet. Je ne puis cependant mempcher den
rapporter un trait, par lequel on pourra juger du reste.
La maison o elle demeuroit etoit voisine de celle dun boucher : elle
sapperut quau moindre cri des animaux que son voisin alloit egorger,
le petit Mong-ko couroit pour voir ce qui se passoit ; quil jouissoit avec
plaisir de ce spectacle, & qu son retour il tchoit dimiter ce quil avoit
vu.
Un pareil voisinage, p.03.046 dit-elle ses parens, ne convient
pas mon fils. Cherchons quelquautre demeure o il ne soit
pas porte de voir des objets qui puissent endurcir le cur &
accoutumer les yeux au sang.
Portraits des Chinois clbres
58
On lui trouva hors des murailles de la ville une maison isole, aux
environs de laquelle il ny avoit que les spulcres de quelques citoyens.
Elle fut peine dans son nouveau domicile, que de nouvelles inqu