Post on 04-Aug-2015
SciencesPoSemestre de printemps 2012
Mémoire Droit de
l’environnement
Les entreprises et l’information
environnementale
Pierre BONNEAU
Introduction
L’émergence d’un droit à l’information environnementale a été consacrée dans le droit
international lors de la Conférence de Rio sur l’Environnement et le Développement de 1992, dans
le cadre du Principe 10 relatif à la participation. Toutefois, selon ce principe, les obligations
d’information, notamment environnementale, reposent entièrement sur les autorités publiques – et
en aucun cas sur les entreprises. Pourtant, le développement progressif d’instruments juridiques
volontaires et contraignants et de partenariats incitatifs aux niveaux internationaux, régionaux,
communautaire et nationaux, a fait émerger depuis une dizaine d’années une problématique de
l’obligation d’information environnementale des entreprises, comme corollaire du concept de
« Responsabilité Sociale et Environnementale » - c’est-à-dire les actions (ou préventions) des
entreprises en faveur de l’intérêt général (droits de l’homme, environnement, gouvernance). Ainsi,
alors que les seules obligations d’informations des entreprises portaient auparavant sur les
informations financières à apporter régulièrement à leurs associés pour juger de l’évolution des
affaires, les obligations de notification de l’information environnementale ou de « reporting RSE »
acquièrent ainsi des portées de plus en plus contraignantes à tous niveaux.
Que signifie la notion d’information environnementale ? Selon la Convention d’Aarhus de
1998, le terme d’information environnementale recouvre “toutes les informations disponibles sous
forme écrite, visuelle, orale ou électronique et portant sur l’état d’éléments de l’environnement (...)
des facteurs (...) qui ont ou risquent d’avoir des incidences sur l’environnement, et l’état de santé de
l’homme (...) et des sites culturels (...) dans la mesure où ils risquent d’être affectés”1.
Et quel est l’enjeu du reporting environnemental ? D’une part, celui-ci permet d’apporter
une lisibilité élargie de la valeur de la société par rapport à ses investisseurs et à ses grands
partenaires. Mais il agit également comme outil de pilotage pour déterminer les forces et faiblesses
de l’entreprise (sur des enjeux sociétaux en particulier) et peut donc conduire à des démarches
d’amélioration. De plus, le reporting encourage les bonnes pratiques dans la concurrence
internationale tout en fondant un dialogue avec les parties prenantes. Parallèlement, l’accès public à
l’information en matière d’environnement favorise une plus grande sensibilisation aux questions
d’environnement et incite à une plus grande participation du public à la prise de décision en matière
d’environnement2. Pour l’entreprise, le reporting est enfin un moyen d’être comptable (ou
“accountable” en anglais) de ses actes face à ses actionnaires, ses potentiels investisseurs et les
autorités publiques, et de prouver qu’elle respecte bien ses potentiels engagements RSE.
1 Article 2.3. http://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/documents/cep43f.pdf2 Directive 2003/4/CE du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à
l’information en matière d’environnement.
2
Il n’y a toutefois pas pour l’instant de définition juridique précise et consensuelle des
obligations de notification de la durabilité des entreprises, ni de la notion de RSE, ce qui peut
expliquer l’état de flou normatif des obligations de notification d’information environnementale des
entreprises : les lois contraignantes adoptées tiennent plus de l’incitation que de la contrainte, car
bien souvent la sanction est absente en cas de non-divulgation. Ainsi les diverses propositions de
convention internationale sur la RSE et le reporting émises dans le processus de préparation de
Rio+20 autour de l’article 24 du Draft Zero doivent être analysées dans le sens d’une plus grande
lisibilité normative sur ces concepts de RSE et sa base informationnelle. L’article 24 du Draft Zero
propose en effet, de manière quelque peu évasive, « un cadre politique mondial obligeant les
entreprises cotées et importante à prendre en compte les enjeux de développement durable et publier
des informations afférentes dans le cadre de rapports annuels”3.
Notre rapport se propose donc d’étudier la problématique de l’obligation d’information
environnementale – appelée « obligation de reporting » - des entreprises au regard de l’état actuel
de bouillonnements normatifs à tous niveaux. Il s’agit d’en comprendre en premier lieu l’émergence
au niveau international et régional (1) par le biais d’instruments conventionnels autour du droit à
l’information environnementale et la participation (A), d’instruments juridiques autour des notions
de RSE (B) et d’instruments incitatifs et hybrides (C). Ensuite, une focalisation sur le cas européen
(2) permet d’affiner la problématique en nous attachant à l’analyse des différentes directives de
modernisation comptable et des règlements portant sur l’information environnementale à notifier
par les entreprises (A), et leurs transpositions et interprétations différentes dans le droit interne des
états-membres (B). Enfin, une focale nationale par l’analyse approfondie du cas français (3),
pionnier des obligations de reporting via la loi sur les Nouvelles Regulations Economiques de 2001
(A), étendant la nature et le périmètre de ces obligations via les Loi Grenelle 1 et 2 (B), éclaire la
problématique sous l’angle des difficultés d’application des textes (C).
I/ Le cadre international et régional : entre soft law et hard law, incitation et contrainte.
A. Instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs aux droits d’accès à
l’information, à la participation et à la justice :
3 Draft Zero of Rio+20, Article 24, http://www.uncsd2012.org/rio20/mgzerodraft.html#IId
3
Comme précisé plus haut, c’est le principe 10 de la Déclaration de Rio de 1992, qui consacre,
autour du principe de participation, trois types de droits d’accès en stipulant que « au niveau
national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que
détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités
dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de
décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en
mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et
administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré”4. Quoique relevant du
droit mou, ce Principe 10 et en particulier ses deux premiers droits d’accès, à l’information
environnementale, et aux prises de décision via la participation, ont été largement repris et traduits
dans des centaines de législations nationales et régionales.
Ainsi, la Convention d’Aaarhus de la Commission Economique de l’ONU pour l’Europe sur
l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en
matière d’environnement, ratifiée par 39 pays européens, est une application contraignante au
niveau régional européen du principe 10. Comme précisé plus haut, elle définit amplement la notion
d’information environnementale. Elle élargit notamment la définition de « l’autorité publique » à
tout type de personne physique ou morale « assumant des responsabilités ou des fonctions
publiques ou fournissant des services publics en rapport avec l'environnement »5. Plus encore, un
Protocole additionnel signé à Kiev en 20036 et entré en vigueur en Octobre 2009 prévoit la création
obligatoire de registres nationaux des rejets et transferts de polluants (PRTR) et d’un registre
européen du même genre, inventoriant de manière publique les sources industrielles de pollution,
dont les entreprises privées, et mettant en place un faisceau d’obligation d’informations
environnementale sur ces entreprises polluantes quant à leurs rejets et transferts, notamment à
l’étranger dans le cadre des pratiques de commerce international de déchets dangereux.
Ainsi, le principe de participation et ses droits trois d’accès corollaires consacrent un droit à
l’information environnementale du « public » et donc une obligation d’information
environnementale des autorités publiques, laquelle peut s’appliquer dans certains cas (rejets
polluants et/ou personne morale mettant en œuvre une “fonction publique”) aux entreprises privées.
4 Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement, http://www.un.org/french/events/rio92/aconf15126vol1f.htm
5 Article 2.2. http://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/documents/cep43f.pdf6 Protocole sur les registres de transferts et rejets des polluants
http://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/prtr/Protocol%20texts/PRTR_Protocol_f.pdf
4
Et du côté du secteur privé, de nombreux cadres juridiques définissent des standards plus ou moins
contraignant pour les entreprises en termes de RSE et de reporting.
B. Instruments juridiques internationaux et régionaux de RSE et reporting
Comme nous l’avons dit, le droit international reste encore très “gazeux” ou “mou” sur le
sujet de la RSE. Cependant quelques textes , adoptés depuis le début des années 2000, promeuvent
des obligations pour certaines entreprises d’informer les parties prenantes de leur respect de certains
principes. Ainsi les Principes directeurs de l’OCDE sur les Multinationales sont contraignants pour
les états-parties, et prévoient des obligations régulières de reporting et de monitoring des
entreprises, avec des indicateurs précis, quant à leur respect des principes des directives, ainsi qu’un
système de médiation via des Points de Contacts Nationaux permettant aux victimes de déposer
plainte, s’inspirant ainsi des instruments précédemment cités relatifs aux droits d’accès.
L’efficacité d’un tel instrument juridique reste toutefois limité au volontariat des états-
membres, tout comme l’est son « grand frère » le Pacte Mondial de l’ONU signé en 1999 par des
milliers d’entreprises s’engageant à respecter dix grands principes autour des droits de l’homme, de
l’environnement, de la bonne gouvernance, et à notifier régulièrement via des « Communication sur
les progrès » annuelles adressées au Secrétariat sur l’avancée du respect de ces principes. Toutefois,
aucun organisme de contrôle de la sincérité et de la fidélité de l’information fournie n’est prévu. La
seule sanction pour manquement à l’engagement d’information est un simple retrait du Pacte
Mondial, dont un millier d’entreprises ont déjà été victimes.
On voit que du côté des instruments juridiques internationaux et régionaux relatifs à la RSE
et au reporting des entreprises, beaucoup de chemin reste à parcourir avant l’imposition d’une
obligation de reporting environnemental clairement définie et assortie de sanctions. Cela tient à la
nature avant tout incitative et réputationnelle du reporting environnemental, qui est avant tout
considéré comme un engagement plutôt que comme une obligation, dans le cadre de nombreux
instruments hybrides incitatifs.
C. Instruments hybrides et incitatifs sur la RSE des entreprises
5
Le reporting environnemental des entreprises se configure donc comme un moyen pour les
entreprises de prouver leurs engagements de RSE d’une part - comme c’est le cas pour les
« Communication on progress » du Pacte Mondial - ou bien, d’autre part, de doper leur valeur
économique via un mécanisme de certification et d’aide au pilotage interne comme dans le cas du
Système Européen de Management et d’Audit Environnemental (EMAS).
Le Système Européen de Management Environnemental est un règlement européen d’application
volontaire existant depuis 1995 et imposant aux entreprises participantes la publication de
nombreux indicateurs environnementaux (efficacité énergétique, production de déchets, utilisation
rationnelle des matières, biodiversité, consommation d’eau, émissions atmosphériques) attestant de
leur respect de la norme de management environnemental ISO 14001:2004. Depuis le début, 4532
entreprises ont choisi de se faire certifier dans le cadre de ce système, qui vaut d’ailleurs respect de
l’obligation prévu par l’article 225 de la Loi Grenelle 2 de Juillet 2010 (voir plus bas).
Autre type d’instrument, la norme ISO:26000 sur la responsabilité sociale des entreprises,
d’application récente, est une norme d’orientation et un outil de pilotage permettant aux entreprises
désirant s’engager dans une démarche RSE de mettre en œuvre les meilleure pratiques à cet effet.
L’article 7 de l’ISO:26000 ou les “Lignes directrices relatives à l’intégration de la responsabilité
sociétale dans l’ensemble de l’organisation” porte entre autres sur les différentes manières de
communiquer sur les pratiques RSE et donc de réaliser du reporting. La norme ISO:26000 est
toutefois l’exemple d’une norme purement volontaire sans effectivité autre que l’encouragement
des entreprises à l’adoption d’une démarche RSE.
Des instruments incitatifs économiques sont également mis en place dans le cadre des obligations
informationnelles des entreprises cotées sur les marchés boursier. Ainsi l’initiative “Sustainable
Stock Exchanges” dans le cadre des Principes d’Investissement Responsable de l’ONU7 propose
une réflexion commune internationale pour renforcer la transparence sur les performances ESG
(Environnementale, Sociale et de Gouvernance) par le biais de la valorisation économique boursière
consécutive aux décisions d’investissements. De nombreuses initiatives d’indicateurs des
performances extra-financières des entreprises, de l’agence de notation extra-financière Vigéo aux
index boursiers comme le Dow Jones Sustainability Index, incitent donc les entreprises à augmenter
leur transparence ESG dans le but de renforcer leur valorisation économique via des
investissements accrus. Ces initiatives sont toutefois limitées, une fois de plus, au bon vouloir des
entreprises.
Un autre instrument hybride et volontaire aux effets toutefois bien plus concrets est l’Initiative
Globale de Reporting (ou Global Reporting Initiative). La GRI propose depuis 1997, via son
7 http://www.unpri.org/sustainablestockexchanges09/
6
“Sustainability Reporting Framework”, de nombreuses lignes directrices relatives au reporting
social et environnemental, concernant le périmètre du rapport, les conditions de sa rédaction, la
fiabilité des données et l’accès aux informations. Sa version la plus récente comporte 79 indicateurs
de pratiques RSE. De nombreuses entreprises multinationales l’ont adopté dans le monde, parmi
lesquelles notamment AG2R ou Vinci en France.
Ces nombreux instruments hybrides restent toutefois volontaires dans leur application, mais
on constate qu’ils irriguent les pratiques législatives et les réflexions des états, notamment
européens, ce qui laisse penser que l’approche par la “bonne pratique” peut finir par produire des
effets normatifs en “droit dur”.
II/ Quelle obligation d’information environnementale pour les entreprises en droit
communautaire ?
A. Les directives de modernisation comptable et les règlements portant sur l’obligation
d’information environnementale des entreprises
En droit communautaire, l’Union Européenne est un important moteur du reporting
environnemental. Dans un premier temps, l’UE fait plusieurs recommandations. Dans sa
communication sur une stratégie de l’UE en faveur du développement durable (15/05/2011), l’UE
invite toutes les sociétés cotées en bourse comptant au moins 500 employés à réaliser des rapports
annuels avec une triple approche économique, environnementale et sociale. En 2001, la
Commission adopte une recommandation sur la prise en compte des aspects environnementaux dans
les rapports annuels : celle-ci permet de clarifier les règles comptables en vigueur dans l’UE et
indique comment améliorer la comptabilisation des données sur l’environnement. Enfin, en juillet
2002, la Commission européenne décide la mise en place d’un Forum plurilatéral sur la RSE qui a
pour rôle de faire des propositions sur des critères communs de performance des rapports.
7
Cette recommandation prend par la suite la forme d’une directive qui consacre le reporting.
Directive 2003/51/CE : « dans la mesure nécessaire à la compréhension de l’évolution des affaires,
des résultats ou de la situation de la société, l’analyse comporte des indicateurs clés de performance
de nature tant financière que, le cas échéant, non financière ayant trait à l’activité spécifique de la
société, notamment des informations relatives aux questions d’environnement et de personnel »
(article 46). La directive comprend une exemption des PME: “Compte tenu cependant de la nature
évolutive de cette branche de l'information financière ainsi que de la charge potentielle imposée aux
entreprises n'atteignant pas certaines dimensions, les États membres ont la faculté, pour ce qui est
du rapport de gestion annuel de ces entreprises, d'accorder une dérogation à l'obligation de fournir
des informations de nature non financière”8.
Outre les directives et le système EMAS déjà mentionné, le règlement 166/2006 de la
Commission Européenne porte sur la création d’un registre européen des rejets et transferts de
polluants, en accord avec le Protocole de Kiev de 2003 de la Convention d’Aarhus mentionné plus
haut.
B. La diversité des politiques publiques des états-membres sur le reporting environnemental
Les directives européennes de modernisation comptable précisent des objectifs généraux,
que les états doivent ensuite atteindre par des moyens différents. Le fait est que la directive
2003/51/CE a laissé une certaine latitude aux états dans leur transposition de l’obligation
d’information dans le droit interne, au niveau du périmètre de l’obligation de reporting d’une part,
et des informations et indicateurs à diffuser et employer d’autre part.
Ainsi, en 2010, dix-sept états parmi les vingt concernés par l’application des directives ont
choisi de ne pas inclure les PME dans les entreprises concernées par le rapport social et
environnemental9. Certains pays comme la Suède, les Pays-Bas ou l’Espagne, n’imposent
l’obligation de reporting environnemental qu’aux entreprises publiques. Les Pays-Bas avaient
même, jusqu’en 2008, une application minimaliste de la directive 2003/51/CE aux entreprises
publiques cotées via une simple obligation pour le Conseil d’Administration de rendre des comptes
au Conseil de Surveillance et aux actionnaires des informations sociales et environnementales
pertinentes au regard des activités de l’entreprise.
8 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:178:0016:0022:fr:PDF9 ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=6716&langId=fr
8
Ensuite, les pays de l’Union Européenne usent de méthodes et de formats différents pour
contraindre et inciter les entreprises à divulguer leurs informations. Ainsi, le Danemark (comme la
Suède) s’inspire très largement des cadres internationaux volontaires incitatifs exposés plus haut.
En effet, en 2010 les rapports de durabilité annuels imposées à 1100 gros acteurs économiques (des
entreprises, investisseurs institutionnels, institutions financières, établissement de crédit) ont un
format libre mais doivent se baser notamment sur les standards définis par la Global Reporting
Initiative, le Pacte Mondiale et les Principes directeurs l’OCDE pour les entreprises multinationales.
D’autres pays, comme la France, ont une législation qui précise plus le contenu des indicateurs des
rapports environnementaux et sociaux (voir ci-dessous).
Certains pays, enfin, adoptent une approche très incitative en renforcement de leurs
législations, comme la République Tchèque ou l’Allemagne qui mettent en oeuvre des classements
et des prix de la RSE à destinations des entreprises les plus responsables, ou bien les Pays-Bas par
le biais d’attribution de marchés publics conditionnée à la transparence ESG des fournisseurs.
Ainsi, en regard des lois mise en oeuvre dans le droit interne, on constate que l’interprétation de
la directive 2003/51/CE étend le principe d’information environnementale. On passe des
informations “nécessaires à la compréhension de l’évolution des affaires” à des ensembles
d’indicateurs environnementaux et sociaux plus ou moins rigides que les entreprises sont obligées
de compléter, à moins d’expliquer pourquoi elles s’y refusent : c’est le principe anglo-saxon du
“comply or explain”. Cette approche est une incitation pour les entreprises à publier leurs
informations : en effet, le comply or explain met l’entreprise face à ses investisseurs. Si les
investisseurs ne sont pas convaincus par les informations fournies par l’entreprise, ils vendront leurs
parts, créant une « sanction de marché » ; ainsi, aucune sanction légale ne serait nécessaire.
Ainsi, quand bien même elle acquiert une portée normative renforcée, l’obligation de notification de
l’information environnementale des entreprises reste dans le spectre de l’incitation. En effet, les
politiques publiques et les législations parient sur le fait que les incitations économiques seront plus
efficaces et politiquement moins coûteuses, à court et moyen terme, pour encourager les entreprises
à faire du reporting environnemental. L’exemple français permet de comprendre toutes les
difficultés des législateurs à préciser des contenus et des périmètres ambitieux pour les obligations
de reporting environnemental.
III/ Le cas français : un difficile approfondissement du périmètre et de la nature du reporting
environnemental.
9
A. Les obligations légales d'information environnementale des entreprises : La loi NRE, un
bilan mitigé.
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques fixe
l’obligation pour les sociétés françaises qui sont cotées sur un marché réglementé l’obligation de
rendre compte de leur gestion sociale et environnementale dans leur rapport annuel de gestion.
L’article 116 de la loi NRE mentionne dès lors : « [Le rapport visé à l’article L.225-102]
comprend également des informations, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, sur la
manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son
activité. Le présent alinéa ne s'applique pas aux sociétés dont les titres ne sont pas admis aux
négociations sur un marché réglementé ».
Le décret d’application de cette loi date du 20 février 200210 : il précise les nouvelles
informations qui doivent apparaître dans le rapport annuel de gestion. Parmi ces informations, on
retrouve : informations sociales (recrutement, licenciement, organisation du temps de travail),
informations relatives aux conséquences de l’activité de la société sur l’environnement
(consommation de ressources, efficacité énergétique, mesures pour limiter les atteintes à l’équilibre
biologiques, dépenses engagées pour prévenir les conséquences de l’activité de la société sur
l’environnement, les objectifs de la société pour ses filiales à l’étranger).
La loi NRE comporte trois principales limites : elle ne propose pas de sanctions ; elle ne
met pas en place de dispositif de contrôle ; elle ne définit pas précisément le périmètre concerné
(holding ou groupe/mondial ou national). Selon un bilan de la loi NRE réalisé en 2004 par
l’Observatoire sur la responsabilité sociale des entreprises (Orse), la majorité des 700 entreprises
concernées n’ont pas respecté la loi : elles ont souvent rendu des rapports spécifiques, mais sans
s’engager dans une démarche de développement durable et sans offrir suffisamment de
renseignements chiffrés sur les informations sociales et environnementales. A ce moment, une autre
problématique apparaît : les coûts du reporting peuvent être très élevés et doivent mobiliser des
équipes sur une longue période. Dès lors, le reporting ne semble pas être accessible à toutes les
entreprises, encore moins aux plus petites.
10 Décret n° 2002-221 du 20 février 2002 pris pour l'application de l'article L. 225-102-1 du code de commerce et modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales (loi NRE)
10
Dans une évaluation de la loi NRE11, plusieurs difficultés à mettre en place un système de
reporting sont soulignées. Les entreprises sont face à une grande variété des finalités des différents
indicateurs et à la difficulté de renseigner ces indicateurs dans tous les domaines. Elles sont
également seules à définir le périmètre de leur reporting, ce qui fait que chaque entreprise choisit un
périmètre différent.
B. Les lois Grenelle 1 et 2 : des obligations de reporting plus contraignantes
La loi du 12 juillet 2012 (Grenelle 2) prévoit dans l’article 225 un principe de reporting des
informations sociales, environnementales et de développement durable. Ces informations doivent
prendre la forme d’un rapport de gestion, pour les sociétés d’une certaine taille ; la loi prévoit
également une contrainte de vérification. Le Grenelle 2 complète la loi NRE et applique les
orientations du Grenelle de l’environnement. La loi s'inscrit également dans la tendance
internationale de reporting intégré, c'est-à-dire le fait de publier dans un document unique le rapport
de gestion (bilan, comptes de résultat) et le reporting RSE (la démarche est poussée par
l’International Integrated Reporting Committee et la Global Reporting initiative).
Les conditions d’application de la loi du 12 juillet 2012 sont précisées dans un décret publié
le 24 avril 201212. Ainsi, le décret 2012-557 pose le principe du reporting à terme pour toutes les
sociétés de plus de 500 salariés, à partir des exercices clos au 1 er janvier 2013. Par rapport à la
version en projet, seule une modification importante est à noter, à savoir le statut juridique des
entreprises: "les publics concernés sont les sociétés dont les titres sont admis sur un marché
réglementé (sociétés cotées); sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions non cotées".
Ainsi, les SAS sont exclues du décret. Ce décret prévoit trois grands champs d’information que les
sociétés doivent renseigner, à savoir les informations sociales, environnementales et sociétales. Si
des informations ne sont pas fournies par l’entreprise, celle-ci doit expliquer pourquoi elle refuse de
les renseigner (« comply or explain »). Le rôle de vérification de ces données reviendrait à un
organisme tiers indépendant, qui pointe les informations demandées mais non présentes dans le
rapport de gestion : cet organisme agit comme un commissaire aux comptes, c'est-à-dire qu’il est
soumis à certaines obligations d’incompatibilité. 11 http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sustainable-business/corporate-social-responsibility/reporting-disclosure/
swedish-presidency/files/nat_laws_and_policy_init/bilan_de_application_de_la_loi_nre_-_orse_fr.pdf12 http://www.institutrse.com/images/stories/Dcret_no_2012-
557_du_24_avril_2012_relatif_aux_obligations_de_transparence.pdf
11
La loi prévoit ainsi plusieurs années d’installation progressive qui permettront aux directions
financières une appropriation par étapes, dans la perspective du rapport intégré, financier et extra
financier.
Les dernières modifications en date sont celles de la loi Warsmann, adoptée le 29 février
2012, qui modifie l’article L225-102-1 du Code de commerce. Ainsi, une des modifications
concerne la publication de deux listes précisant les informations à publier et les modalités de
présentation « selon que la société est ou non admise aux négociations sur un marché réglementé ».
C. Pourquoi l’apparition du décret d’application a-t-elle été problématique ?
La parution d’un décret d’application pour le reporting a été problématique et a suscité de
nombreuses critiques. Dès 2011, un décret devait être mis en place. Or, le 11 octobre 2011, un
amendement est voté qui repousse d’un an l’obligation de reporting environnement et social. Cet
amendement a été mis en place dans une logique de simplification administrative. De plus,
l’amendement comporte une distinction entre les entreprises cotées et celles non cotées, malgré un
avis défavorable du Conseil d’Etat.
La loi française est fondée sur une logique d’incitation: ainsi, il n’y a pas de sanctions prévues
en cas de non respect du reporting demandé. Cependant, la loi donne aux personnes intéressées la
possibilité de réclamer la mise à disposition de ces informations. Le législateur est dans une logique
de redevabilité entre la société et le public (et non pas une logique de contrainte). L’enjeu du
reporting extra-financier est de fournir les informations nécessaires aux investisseurs, mais certains
de ces derniers critiquent l’insuffisance des informations publiées.
Le projet de décret d’application (2011) prévoit un seuil d’application à partir de 5 000 salariés,
puis élargir le seuil pour passer à 500 salariés en 2013. Or, ceci a provoqué de vives critiques,
puisque de nombreuses petites entreprises seraient exemptées de contrôle. Il y a eu notamment un
fort lobby du Medef et de l’Afep qui ont remis en cause le texte : en effet, les deux organisations
étaient contre une version contraignante du reporting. Initialement prévu pour toutes les entreprises
de plus de 250 salariés, le seuil a donc, au fil de l'examen du projet de loi Grenelle 2, été relevé à
500 salariés puis a disparu du texte avant d'être rehaussé à 5.000 salariés (soit quelque 270 sociétés)
à la demande du Medef et de l'AFEP.
Conclusion :
12
La problématique de l’obligation d’information environnementale des entreprises naît de la
rencontre progressive entre les droits d’accès aux informations environnementales détenues par les
autorités publiques entendues dans un sens large, et la réflexion internationale sur la Responsabilité
Sociale et Environnementale de l’entreprise, qui considère que l’obligation informationnelle
financière classique des entreprises, à ses associés, n’est plus suffisamment pertinente de la valeur
d’une entreprise, au regard des enjeux de développement durable. Ce sont les instruments du droit
international qui ont irrigué peu à peu les démarches contraignantes régionales puis nationales.
Toutefois le chemin restant à parcourir pour la consécration d’un droit du citoyen à l’information
environnementale des entreprises sera encore long à parcourir, car les obligations actuelles ne sont
nullement contraignante et laissent des latitudes de décisions importantes aux entreprises – en plus
des traditionnelles barrières informationnelles du secret industriel et commercial.
L’avènement du reporting extra-financier consacré par la mise en application de la loi Grenelle
2, permet de marquer la fin des simples démarches de communication autour du développement
durable (rapports d’image notamment). Ce reporting ouvre une nouvelle époque fondée sur le suivi
mesuré et objectif des progrès réels des entreprises, analysé en direction générale, intégré aux
résultats financiers de l’entreprise, démontrant l’évolution du modèle économique en termes de
durabilité.
13