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AMAR Ludovic
Master I – Science Politique
Promotion 2012-2013
La récupération politique de Jeanne d’Arc :
Des travaux de Jules Michelet au milieu du XIXè siècle à la seconde Guerre mondiale.
Chargé de Travaux dirigés référent : M. Matthieu Dumartin.
Remerciements :
Je tiens tout d’abord à remercier Madame Bérengère D’Halluin pour avoir accordé
du temps à la relecture de ce mémoire ; et pour ses idées toujours bénéfiques.
Je tiens également à remercier les compagnies de spectacle historique Armutan et
Petit Meschin avec lesquelles je travaille depuis de nombreuses années ; et en particulier
Aymeric Rufié pour m’avoir fait partager de précieux documents qui ont servi dans la
conception de ce mémoire.
Je tiens enfin à remercier Monsieur Bernard Beignier, ancien Doyen de la Faculté
de droit et de science politique de Toulouse I et recteur de l’Académie d’Amiens, pour
m’avoir encouragé à poursuivre dans cette voie qu’est la science politique.
Table des matières
Entrée en matière .............................................................................................................................. 1 1. Revue de littérature : .................................................................................................................... 1 2. Difficultés rencontrées. ................................................................................................................ 2 3. Conceptualisation. ........................................................................................................................ 2 4. Paradigmes utilisés : .................................................................................................................... 4 5. Hypothèse et justification du sujet : ............................................................................................. 5 6. Méthodologie et analyse employées : .......................................................................................... 6
Introduction ....................................................................................................................................... 8
Première partie : Jeanne d’Arc : une figure populaire redécouverte par les historiens du XIXè siècle et politiquement instrumentalisée par les partis de gauche. ................................... 11 I. De la redécouverte historique à l’établissement du mythe politique : le XIXè, siècle de l’Histoire et siècle de Jeanne d’Arc. .................................................................................................. 11
A. La Jeanne d’Arc de Jules Michelet : entre histoire et mythe. ............................................... 12 B. Jules Quicherat et la naissance d’une historiographie de Jeanne d’Arc. ............................. 14
II. La République et la mise en exergue de Jeanne Darc, fille du peuple. ..................................... 18 A. Une Jeanne laïque et populaire acclamée par la gauche républicaine. ............................... 18 B. La fête nationale de Jeanne d’Arc : de l’initiative des partis de gauche au renforcement d’un enjeu politique. ..................................................................................................................... 25
Deuxième Partie : Jeanne d’Arc ou la figure type du nationalisme français : la patriote canonisée par l’Eglise et accaparée par l’extrême droite française. ........................................... 33 I. Une Jeanne d’Arc brulée hérétique au XVè siècle puis canonisée par le Pape Benoit XV au XIXè siècle : conflits et accords politiques entre la France et l’Eglise catholique. .......................... 33
A. La réappropriation catholique de Jeanne dans le conflit des « deux France » .................... 34 B. De la béatification à la canonisation : entre reconnaissance ecclésiastique et enjeux politiques. ...................................................................................................................................... 40
II. De l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1870 au nationalisme français : l’accaparement de Jeanne d’Arc comme chasse-gardée par l’extrême droite française. ................................................ 47
A. De la défaite française à la première guerre mondiale : Jeanne la nationaliste « revancharde » rejetée par la gauche. ........................................................................................ 48 B. L’accaparement de Jeanne par la droite extrême : de l’Action française au pétainisme. .... 53
Conclusion ........................................................................................................................................ 59
Annexes ............................................................................................................................................ 62
Bibliographie .................................................................................................................................... 68 I. Eléments bibliographiques généraux et sur les idées politiques et la vie politique : .................. 68 II. Eléments bibliographiques sur Jeanne d’Arc et ses mythes : .................................................... 69
A. Ouvrages et articles : ............................................................................................................ 69 B. Travaux universitaires : ........................................................................................................ 70 C. Articles scientifiques : ........................................................................................................... 70 D. Médias : ................................................................................................................................. 71 E. Divers : .................................................................................................................................. 71
1
Entrée en matière
1. Revue de littérature :
La question de la récupération de Jeanne d’Arc a hanté plusieurs générations
d’auteurs et continue d’ailleurs de faire débat. L’historienne Régine Pernoud dira à ce
sujet : « tout n’est pas clair sur le cas de Jeanne, on a le sentiment qu’elle ne finira jamais
de nous poser des questions1. » En effet, nombre d’écrits, plus ou moins documentés, ont
longuement donné vie à Jeanne, à ses mythes ou encore à sa postérité jusqu’à parfois
envisager des thèses extravagantes. Il a fallu de ce fait, effectuer un tri dans les sources à
considérer.
Pour ne citer que les principales : Philippe Contamine, illustre historien médiéviste
qu’on ne présente plus, principalement dans son dernier ouvrage, nous distille une
véritable encyclopédie2 à la Diderot de plus de mille pages faisant la synthèse de bons
nombres d’études historiques et politiques de Jeanne d’Arc ; de même l’historien Gerd
Krumeich, grand spécialiste allemand de l’histoire médiévale française, constitue une base
solide de recherches notamment dans son ouvrage3 préfacé par Régine Pernoud ; les
ouvrages théoriques de Michel Winock concernant tant le nationalisme, dont il est un
spécialiste reconnu, que la vie politique française des XIXè et XXè siècles ou encore ceux
de Jean-Francois Sirinelli furent également d’une grande aide. Mais il ne faut pas oublier
les travaux historiques comme ceux de Jules Michelet qui ont été primordiaux à étudier car
ils ont permis la redécouverte de Jeanne au milieu du XIXè siècle. Telles sont les sources
sur lesquels repose, principalement, le mémoire.
1 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, Rts, 1970. L’historien Henri Guillemin cite cette phrase de Régine Pernoud dans sa conférence consacrée à Jeanne d’Arc. 2 Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, Paris : éd. Robert Lafon, col. Bouquin, 2012. 3 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris : éd. Albin Michel, col. Bibliothèque Albin Michel Histoire, 1993.
2
2. Difficultés rencontrées.
Après avoir pensé à travailler sur le rôle politique de Jeanne d’Arc au sein même de
la Guerre de Cent ans, il fut ensuite convenu, pour entrer un peu plus dans le domaine des
sciences politiques, de s’attacher à la récupération politique de la Pucelle par trois
personnages du XIXè siècle. Cependant, devant un manque quantitatif et surtout qualitatif
des sources accessibles dans le temps imparti pour le mémoire, il a été décidé d’élargir le
champ de recherches à la récupération politique de Jeanne dans une période précise : les
XIXè et XXè siècles.
La période d’étude, à cheval sur deux siècles, est gagnée par de profonds
changements idéologiques et politiques : l’annexion de l’Alsace-Lorraine, la Commune de
Paris, deux guerres mondiales, la succession de récupérations politiques de Jeanne d’Arc,
etc. Mais de par l’historicité de ce travail, il fut très difficile de mener des recherches
empiriques sur le sujet ; de ce fait, l’approche est essentiellement théorique.
3. Conceptualisation.
Pour appréhender de manière efficace ce mémoire, il est nécessaire de s’arrêter
rapidement sur un certain nombre de concepts-clés concernant le sujet.
Jeanne d’Arc en est le premier : fille d’une famille modeste de Domrémy, née
semblerait-il en 1412, elle sera celle qui, guidée par une « mission divine », tiendra
Orléans contre les troupes anglaises et mettra Charles VII sur le trône de France, avant de
se voir remettre en cause par les puissants qui ne supportaient pas qu’une simple fille du
peuple ait les faveurs du Roi, et d’être capturée alors qu’elle continuait sa chevauchée pour
libérer Compiègne assiégée par les bourguignons ; ces derniers la vendront finalement aux
anglais. Condamnée comme hérétique par lors de son procès, elle n’a toutefois jamais
voulu abandonner ses fameuses visions malgré deux condamnations successives. Elle sera
finalement brulée vive à Rouen en 1431 et se transformera en mythe dont la plupart des
partis politiques et même l’Eglise se réclament ; même si à l’heure actuelle elle est plus
rattachée au nationalisme, que considérée comme une représentation populaire.
Le nationalisme va évoluer avec la Révolution française ainsi qu’avec Napoléon et
3
ses armées qui veulent reconquérir ce que la France a perdu : il y a clairement un
attachement à la patrie. Mais le nationalisme tel que nous le connaissons se crée suite à la
défaite contre la Prusse en 1870-1871 constitutive de la perte de l’Alsace-Moselle. Et c’est
là où Jeanne d’Arc prend tout son caractère national notamment par l’intermédiaire de
Charles Maurras et de Maurice Barrès. Ce dernier d’ailleurs, définira le nationalisme par
l’attachement à la « terre et les morts4 » et dira que l’on devient nationaliste en prenant
conscience qu’on est français avant tout autre chose. Il reprendra Jeanne d’Arc comme
symbole national indiquant que si elle a « bouté les anglais hors de France5 », les Prussiens
le seront également afin que l’Alsace-Loraine redevienne française.
De plus, on ne peut parler de Jeanne d’Arc sans parler de l’Eglise. Les relations
entre elles deux ont toujours été houleuses : tantôt condamnée puis brulée vive, tantôt
réhabilitée, béatifiée puis canonisée ; plus que d’autres personnages, la Pucelle a joué un
rôle du fait de ses visions religieuses. C’est d’ailleurs dans un contexte politique tendu
entre l’Elysée et l’Eglise que la procédure de canonisation sera lancée en 1918 puis
conclue en 1920 par le Pape Benoit XV, dans le but de redorer des relations difficiles dans
un Etat traditionnellement catholique ; bien que laïc depuis 1905.
Mais pourquoi ce conflit entre Jeanne et l’Eglise ? Parce que c’était une femme ! Et
dans un contexte d’établissement de la Loi salique – proclamant la prévalence de la
primogéniture masculine – qui éloigne de fait, même la femme noble de tout rôle politique,
il est clair que la Pucelle représentait, aux yeux de l’Eglise, une forme de contestation des
institutions mises en place. Jeanne prendra d’ailleurs des habits d’hommes et apparaitra en
harnois blanc à la tête des troupes de Jean d’Orléans ; ce que lui reprochera Pierre Cauchon,
l’Evêque de Beauvais qui la jugera, lui demandant lors de son procès, de quitter ses habits
d’homme et de laisser pousser les cheveux qu’elle avait coupé.
En plus d’être femme en des temps de prédominance masculine, elle provient du
bas peuple. Il ne faut ainsi pas oublier la relation évidente entre la Pucelle et l’idée de
représentation populaire. Redécouverte au milieu du XIXè siècle, les travaux de Jules
Michelet et ceux de Jules Quicherat décrivent « Jehanne » comme une jeune femme issue
d’une famille modeste. Cette analogie s’est également retrouvée dans la pensée des partis
de gauche (républicains, socialistes puis communistes) mais a trouvé sa concrétisation en
4 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, Paris : éd. Publisud, col. Manuels 2000, 1989, p. 148. 5 Lettre de Jeanne d'Arc aux Anglais - 22 mars 1429. Cf. Annexe n°1.
4
mai 1920 avec l’édification de la fête nationale de Jeanne d’Arc sous la IIIè République
présidée par Paul Deschanel. La « Jehanne » du peuple est donc un des fers de lance de la
récupération politique de cette dernière par les idéologies de gauche.
Au fil du travail, ces idées, brièvement définies, feront bien évidemment émerger
d’autres concepts qui révèleront le fil conducteur au mémoire. Ce premier appareil
conceptuel constitue néanmoins une base intéressante quant à l’intérêt du sujet étudié.
4. Paradigmes utilisés :
On l’a vu, Jeanne d’Arc est avant tout une figure nationale qui a été et continue
d’être récupérée par différentes idéologies politiques. De ce fait il serait judicieux
d’inscrire nos recherches dans une approche constructiviste.
En effet, cette approche est intéressante car elle repose sur l’idée que notre vision de la
réalité n’est pas le reflet exact de cette dernière ; mais une image qu’on se fait d’elle, issue
de l’interaction entre celle-ci et notre esprit. Ainsi chacun tiendrait pour « vraie » sa propre
vision de la réalité.
Ici, bien qu’en réalité il n’y ait qu’une seule et unique Jeanne, elle pourra prendre
diverses couleurs selon les différentes idéologies ; l’idée qu’on se fera d’elle sera différente
selon nos convictions, notre passé… donc selon notre propre réalité.
Mais plus qu’une réalité personnelle, Jeanne d’Arc est un symbole en fonction
duquel les hommes agissent. Cela proviendra de l’interaction d’hommes de mêmes
convictions qui insisteront sur une caractéristique de la Pucelle pour la transformer en
symbole reconnu : son caractère pieux transformera Jeanne en Sainte selon certains ; le fait
qu’elle provienne d’une famille modeste lui donnera une couleur d’héroïne populaire selon
d’autres ; ou encore son combat contre les troupes anglaises pour libérer la France la
transformera en patriote voire même en figure nationaliste selon d’autres encore.
Le symbolisme influant sur la vision d’une réalité – ici celle que les hommes ont de
Jeanne d’Arc dans un contexte donné – s’inscrit dans un courant de pensée issue de l’école
de Chicago : l’interactionnisme symbolique. Il est donné un « langage » au symbole de
Jeanne d’Arc, compréhensible par tous ceux qui ont la même réalité de celui-ci.
En plus de cela, il est nécessaire de s’intéresser au contexte dans lequel cette
5
interaction a lieu : le nationalisme par exemple récupérera Jeanne consécutivement à la
perte de la Lorraine en 1870. Nous montrerons que le contexte politique influe de manière
non négligeable sur l’instrumentalisation de la native de Domremy.
5. Hypothèse et justification du sujet :
Une question subsiste : quel est l’intérêt de ce sujet pour la science politique ? Dans
la conscience collective, Jeanne est certes une idole nationale – bien qu’à l’heure actuelle
cela tend à s’essouffler – mais c’est avant tout un mythe de droite. En effet, depuis son
accaparement par les milieux de droite, la Pucelle est traditionnellement considérée comme
la chasse gardée de la tendance extrême. Or, et d’autant plus durant la période étudiée, elle
a navigué entre plusieurs idéologies. Là est tout l’intérêt de ces recherches : déconstruire le
mythe de l’appartenance unipartite de la Pucelle.
En 1970, Henri Guillemin fustigeait d’ailleurs l’idée selon laquelle Jeanne aurait
été à la base du nationalisme :
« C’est terriblement faux, les armées à cette époque là étaient des armées de
mercenaires. […] Dire qu’il y a eu un élan national derrière Jeanne est exactement
un mensonge. L’idée nationale ne pouvait pas exister au XVè siècle étant donné ce
qu’était la France : un gars de Rennes était aussi différent qu’un gars de Besançon
qui n’était même pas en France. […] Par conséquent je m’élève avec la plus grande
colère contre cet abus de confiance qui ferait de Jeanne une nationaliste.6 »
Cette justification rejoint l’hypothèse de base des recherches qui ont été menées. En
effet, tout au long de ce mémoire, nous partirons du principe que la Pucelle n’est attachée à
aucune idéologie ou aucun parti politique en particulier ; qu’elle n’appartient à personne
mais à tout le monde. En effet, Jeanne est un symbole de l’histoire de France dont la
mémoire a été annexée selon le contexte politique. C’est un mythe qui a fait l’objet d’une
dispute parfois acharnée entre la gauche et la droite. En somme, sa mémoire n’aurait été
récupérée que pour des luttes politiques. Elle serait la légitimité historique des idéologies,
tout en faisant l’unanimité dans la société française.
6 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op.cit.
6
Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’un des fondateurs du nationalisme, comme
l’est Maurice Barrès, soit d’accord sur cette unanimité :
« Il n'y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou
philosophique, dont Jeanne d'Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun
de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholiques ? C'est une
martyre et une sainte, que l'Église vient de mettre sur les autels. Êtes-vous
Royalistes ? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le
sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut
aussi réaliste que cette mystique ; [...]. Pour les Républicains, c'est l'enfant du
peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies. [...] Enfin les
socialistes ne peuvent oublier qu'elle disait : « J'ai été envoyée pour la consolation
des pauvres et des malheureux. » Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne
d'Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C'est autour de sa
bannière que peut s'accomplir aujourd'hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de
la réconciliation nationale.7 »
6. Méthodologie et analyse employées :
On l’a vu, l’axe de recherche est essentiellement théorique. De ce fait, le mémoire
est principalement consacré à l’étude d’ouvrages spécialisés en la matière mais également
de conférences ou d’entretiens donnés par des historiens médiévistes ou des politologues,
d’articles de presse ou encore de dossiers réalisés par des sites internet historiques et
politiques.
Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy dans leur Manuel de recherche en
sciences sociales8, insistent sur les avantages de l’analyse de contenus ; étape suivant le
recueil de données existantes en différenciant les données secondaires des données
documentaires. Dans ce mémoire, les deux types de données ont été utilisés. En effet, en
plus d’étudier des documents en lien direct avec Jeanne d’Arc, de l’importance a été 7 Maurice BARRÈS in Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, mai 1997, n°210, p. 64-65. Discours prononcé en 1920 lors du vote concernant l’instauration d’une fête nationale de Jeanne d’Arc. 8 Luc VAN CAMPENHOUDT, Raymond QUIVY, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris : éd. Dunod, 2011 (1995).
7
attachée à effectuer des recherches dans des ouvrages traitant d’un autre sujet mais ayant
un rapport avec le sujet du mémoire. Pour Jeanne d’Arc, l’avantage de cette méthode
d’analyse est claire : les entretiens et autres recherches empiriques comme l’observation
ont été, comme dit précédemment, très difficiles à mettre en œuvre. De plus, Campenhoudt
et Quivy insistent bien sur le fait que c’est la méthode reine pour analyser un
développement historique des phénomènes politiques dans un contexte donné. Et ne
l’oublions pas, c’est le manque de moyens mais aussi de temps, qui pour ce sujet, nous a
obligé à privilégier cette méthode d’analyse.
Dans un souci de neutralité axiologique, rappelons enfin que le contrôle la fiabilité
des sources accessibles, d’autant plus pour un sujet polémique comme l’est Jeanne d’Arc, a
été nécessaire. En effet, il a fallu différencier de manière précise la réalité scientifique de la
récupération politique de Jeanne, des convictions personnelles des auteurs qui, la plupart
du temps, transparaissent dans leurs écrits.
8
Introduction
Le 30 mai 1431, Jeanne d’Arc est brulée vive en place publique à Rouen. Son
épopée aura duré moins de deux ans, et pourtant, ces deux années lui auront suffit pour
devenir une véritable icône nationale.
En effet, Jeanne d’Arc est plus qu’un personnage historique, elle est un mythe. Et
par n’importe lequel : elle fait partie de ces personnages entourés de mystères qui ont
suscité toutes les convoitises. Oubliée après sa mort pendant près de trois siècles elle est
ensuite réapparue à partir de la Révolution de 1789 pour incarner tour à tour le peuple,
avec l’historien Jules Michelet et son disciple Jules Quicherat puis plus tard avec les partis
de gauche ; la sainte avec sa béatification puis sa canonisation par l’Eglise catholique au
début du XXè siècle et enfin la figure nationale – que nous connaissons aujourd’hui –
exaltée entres autres par les royalistes lors du conflit franco-prussien de 1870 et par
l’Action française de Charles Maurras qui se l’est finalement accaparée.
A l’heure actuelle, de nombreux partis politiques se réclament de Jeanne d’Arc.
Icône cristallisant le sentiment d’appartenance nationale ou mythe instrumentalisé, la
représentation de cette jeune femme, née en pays barrois, dépasse de loin son action
pendant la Guerre de Cent Ans. En effet, et on l’a vu lors de la dernière campagne
présidentielle de 2012, les partis politiques se sont appropriés son image. De ce fait, les
visites à Orléans, lieu qui a fait la renommée militaire et surtout populaire de Jeanne,
s’apparentent plus à un calcul politique autour de l’identité nationale qu’à un véritable
hommage rendu à la Pucelle.
C’est ainsi que l’intérêt de l’étude de la récupération de celle que Camille Claudel
nommait « ce petit bout de femme9 », se dessine de lui-même : sous celle-ci se cache
toujours une cause politique. Nous verrons que de l’Histoire de France de Jules Michelet à
l’Action Française de Charles Maurras et au pétainisme, une idéologie, parfois dissimulée,
parfois clairement affichée, est toujours bien présente.
En effet, depuis ce fameux siège d’Orléans où elle tenu tête à l’anglais (1429) en pleine
guerre de Cent ans, Jeanne représente la résistance nationale face à l’envahisseur ; plus
particulièrement l’envahisseur anglais. En 1803 par exemple, alors qu’à Orléans la
Révolution française avait abattu une statue de la Pucelle car elle était représentée aux
9 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. L’historien cite Camille Claudel dans cette conférence consacrée à Jeanne d’Arc.
9
côtés du roi, le conseil municipal souhaite en ériger une nouvelle. Napoléon Bonaparte
rendant hommage à cette initiative, insère dans Le Moniteur universel 10 ces propos :
« L’illustre Jeanne a prouvé qu’il n’est pas de miracle que le génie français ne puisse
produire dans les circonstances où l’indépendance nationale est menacée.11 » Rappelons
qu’en ce début du XIXè siècle le Premier Consul mène sa campagne d’Angleterre. C’est
ainsi que sous couvert de ces propos, Bonaparte va utiliser Jeanne pour motiver les troupes
françaises face à l’Angleterre. De ce fait, l’année 1803 constitue pour Henri Guillemin le
« déclic12 » de l’annexion politique de Jeanne.
Mais cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres. En effet, pour Michel Winock,
professeur émérite d’histoire contemporaine à Science-po Paris, « la mémoire de Jeanne
n’est pas une mémoire neutre : fractionnée, débattue, instrumentalisée, elle exprime aussi
les conflits d’idées qui ont divisé les Français depuis l’aube des Temps modernes.13 » Une
étude à partir de la fin du Moyen-Age étant trop vaste, il a donc été nécessaire de la
restreindre au cadre historico-politique suivant : 1840-1940. Ce choix n’est pas anodin car
cette période, d’environ un siècle, est jusqu’à nos jours la plus prolifique concernant
l’instrumentalisation politique de Jeanne d’Arc.
Dans cette étude, il s’agira de faire le lien entre contexte politique, idéologie
politique et récupération politique de Jeanne. En d’autres termes, il s’agira de montrer que
l’utilisation de la Pucelle est loin d’être anodine car l’évocation du nom de Jeanne est
toujours – ou presque – liée à une ambition politique sous-jacente. Nous tenterons donc de
répondre à la problématique suivante :
L’instrumentalisation politique de la Pucelle a-t-elle toujours été univoque ? Le
contexte politique a-t-il influencé cette annexion ? En d’autres termes : dans quelle
mesure, dans un contexte politique précis, un groupement idéologique et/ou politisé a-t-il
récupéré la mémoire de Jeanne d’Arc pour servir ses intérêts ?
Pour y répondre, le mémoire se divisera en deux temps. Dans une première partie, 10 Journal français de propagande, fondé en 1789, qui fut longtemps l’organe officiel du gouvernement français. Ici de Napoléon Bonaparte. 11 Antoine-Clair THIBAUDEAU, Le Consulat et l'Empire ou histoire de la France et de Napoléon Bonaparte 1799 à 1815, Consulat – Tome 3, Paris : éd. Renouard, 1834, p. 394 (googlebooks). 12 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 13 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, Paris : éd. Gallimard, col. Quarto, 1997 (1984), p. 4431. L’historien est également cofondateur de la revue L’histoire.
10
nous nous attacherons à montrer que cette image de Jeanne « fille du peuple », tant
exposée par les idéologies de gauche, provient avant tout d’une construction historico-
littéraire. En étudiant les écrits de Jules Quicherat mais aussi et surtout ceux de Jules
Michelet, nous nous efforcerons de remonter ce processus de mystification de la Pucelle ;
pour ensuite s’intéresser aux détournements politiques dont elle a fait l’objet dans les
milieux de gauche avec, comme point d’orgue, l’établissement de la fête nationale en 1920.
Dans une seconde partie, ce sera la Jeanne catholique et nationale qui sera mise en
valeur car, à partir de 1870, les partis de droite, et en particulier le nationalisme naissant,
ne résistent pas à l’ériger en idole ; n’oublions pas que Jeanne a « bouté les anglais hors de
France. 14» Et que dire de l’Eglise, qui plus de quatre siècles après l’avoir condamnée au
bucher, entame à son sujet un processus de béatification, puis de canonisation, dans des
circonstances politiques tendues entre le Saint Siège et la France.
14 Lettre de Jeanne d'Arc aux Anglais - 22 mars 1429. Cf. Annexe n°1.
11
Première partie :
Jeanne d’Arc : une figure populaire redécouverte par les historiens du XIXè siècle et politiquement instrumentalisée par les partis de gauche.
Dans un premier temps, il semble nécessaire d’introduire le sujet par l’étude de
deux historiens qui ont joué un rôle majeur dans la redécouverte historique, puis politique
de Jeanne d’Arc. En effet, sans Michelet et Quicherat, Jeanne n’aurait surement pas connu
pareilles récupérations au XIXè et XXè siècle ; car c’est de leurs mots que de nombreux
hommes politiques vont s’inspirer pour revendiquer la Pucelle.
Par la suite, nous verrons que le XIXè siècle, grand siècle de l’histoire selon les
historiens, est synonyme de récupération politique principalement par les hommes de
gauche. Qu’ils soient républicains modérés, socialistes, ou radicaux, tous à un moment ou
à un autre font appel à Jeanne d’Arc. C’est d’ailleurs un député radical, Joseph Fabre, qui
le premier, proposa l’idée d’une fête nationale de l’héroïne devant l’Assemblée Nationale.
I. De la redécouverte historique à l’établissement du mythe politique : le XIXè, siècle de l’Histoire et siècle de Jeanne d’Arc.
Durant quasiment trois siècles Jeanne d’Arc fut une « oubliée » de l’Histoire et
pourtant ce personnage constitue un mythe français des plus aboutis. Cet oubli historique
est étonnant car c’est son élan « divin » qui galvanisa les troupes françaises lors du siège
d’Orléans, et son aide politique qui, rappelons-le, permit à Charles VII d’être sacré à
Reims au grand dam de ses adversaires anglais. Sous l’Ancien Régime, Jeanne fit quelques
réapparitions – surtout historiques et poétiques15 ; mais celles-ci sont mineures comparées
à sa récupération politique des XIXè et XXè siècles. Cette dernière n’aurait d’ailleurs peut
être pas été aussi importante si deux hommes de lettres et historiens français du milieu du
XIXè siècle n’avaient pas donné une première version « claire » de la vie la Pucelle ; car,
en ces temps de révolutions industrielles, de nombreuses contradictions historiographiques
subsistaient à son sujet.
Olivier Bouzy, Directeur adjoint du Centre Jeanne d’Arc16, nous indique ce
15 Historique, principalement avec L’Averdy, contrôleur général des finances de Louis XV; et poétique avec la fameuse Pucelle d’Orléans de Voltaire (1762). 16 Centre Jeanne d'Arc, 3 place de Gaulle, 45000 Orléans.
12
tournant dans l’ouvrage publié pour les 600 ans de la mort de la Pucelle (considéré, à
l’heure actuelle, comme le plus abouti) : « La véritable rupture survient […] dans les
années 1840 avec les deux Jules : Michelet et Quicherat. Même si le premier ne dispose
pas encore d’une bonne édition des sources que le second va justement recevoir mission de
publier, Michelet rédige la première biographie de Jeanne au sens moderne du terme : on la
lit toujours aujourd’hui avec profit. […] Au moment même où l’ouvrage est publié, un
jeune chartiste, Jules Quicherat, est chargé de rassembler les sources relatives à Jeanne
d’Arc.17 » Et de continuer : « C’est à partir de ces deux publications […] que la figure de
Jeanne d’Arc prend son véritable essor chez les historiens.18 »
En effet, si le troubadour puis le poète furent longtemps, par leur lyrisme, les
grands producteurs de héros épiques, l’historien devient dans la France du XIXè siècle un
maître d’œuvre essentiel dans la construction de figures exceptionnelles poussant parfois
jusqu’au mythe. C’est dans cette France romantique, qui s’intéresse au Moyen âge et à son
mysticisme en réaction au rationalisme des Lumières du XVIIIè siècle, que vont intervenir
nos deux historiens, donnant ainsi une nouvelle image de Jeanne d’Arc.
A. La Jeanne d’Arc de Jules Michelet : entre histoire et mythe.
En 1841, Jules Michelet publie le Tome V de son Histoire de France consacré à la
période allant de 1422 à 1461. Mais plus que la fin de la Guerre de cent ans, cet ouvrage
place de manière centrale – royale devrions-nous dire – Jeanne au cœur de son propos. Le
sous-titre étant d’ailleurs « Jeanne d’Arc, Charles VII » et non l’inverse, on retrouve dans
cet ouvrage de longs chapitres dédiés à la naissance, la vie, les procès, et la mort de la
Pucelle.
C’est ainsi que dès les premières lignes du chapitre III, Michelet nous présente une Jeanne
« fille du peuple19 » et très pieuse. C’est cette simple « fille d’un laboureur20 » portée par
« la puissante voix des anges21 » envoyés par Dieu, qui fit fuir les troupes expérimentées
17 Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 446. 18 Ibid., p. 447. 19 Jules MICHELET, Histoire de France, Tome cinquième, Livres X à XII (La Pucelle – Charles VII), éd. des Equateurs ; 2008 (1841), p. 37. 20 Ibid., p. 41. 21 Ibid., p. 45.
13
de Talbot22 lors du siège d’Orléans, et qui mena Charles VII au sacre royal en la cathédrale
de Reims. De manière simpliste et résumée, telle est la « Jehanne » présentée par Michelet.
Pour Paule Petitier et Paul Viallaneix (spécialistes de l’œuvre de l’historien), « le
cas de Jeanne d’Arc permet de mesurer l’influence de Michelet sur le façonnement des
mythes nationaux au XIXè siècle, et sur la mémoire historique dont nous sommes encore
les héritiers.23 »
En effet, et même s’il refuse de faire de Jeanne une martyre ou une légende24, on ne
peut s’empêcher de penser que, consciemment ou non, Michelet transforme ce personnage
de l’histoire en mythe. Tantôt « belle et brave fille qui devait si bien porter l’épée de
France25 », tantôt « vierge descendue sur terre26 », tantôt autoritaire et déterminée27, mais
toujours fidèle à Dieu, à la France et à son roi28 malgré l’abandon, semble t-il, de celui-ci,
Jeanne possède ainsi toutes les caractéristiques qui font d’elle le sauveur de la France.
Michelet écrivait d’ailleurs que « la sauveur de la France devait être une femme [car] la
France était femme elle-même.29 »
De facto, Jeanne, une femme, entre dans le grand « livre d’or » de la patrie tels que
Charlemagne, Saint Louis, Henri IV ou encore Napoléon Bonaparte… Tous des hommes.
Cette comparaison prestigieuse, plus encore pour une personne du sexe « faible », est
exceptionnelle pour Philippe Contamine : « c’est quasiment unique dans l’histoire de la
France, peut être même [dans celle] du monde, de voir quelqu’un qui a contre elle son
origine, son sexe et son âge… Et c’est pourtant elle qui a « sauvé » le royaume de
France.30 » C’est, semble t-il, ce qui transcende l’historien du milieu du XIXè siècle.
Ainsi, l’image de Jeanne qu’il renvoie au lecteur incarne des thèmes très présents
22 Grand général anglais qui mourut à la bataille de Castillon (1453), cette dernière scellant la fin de la Guerre de cent ans. 23 Ibid., Préface p. II. 24 « Quelle légende plus belle que cette incontestable histoire ? Mais il faut bien se garder d’en faire une légende ; on doit conserver pieusement tous les traits, même les plus humains, en respecter la réalité touchante et terrible… » Ibid., p. 135. 25 Ibid., p. 39. 26 Ibid., p. 56. 27 « Bastard, Bastard, au nom de Dieu, je te commande que, dès que tu sauras la venue de ce Falstoff, tu me le fasses savoir ; car, s’il passe sans que je le sache, je te ferai couper la tête. » Ibid., p. 60. 28 « Que faisait cependant la prisonnière ? Son corps était à Beaurevoir [où elle était détenue], son âme à Compiègne ; elle combattait d’âme et d’esprit pour le roi qui l’abandonnait. » Ibid., p 91. 29 Ibid., p. 137. 30 Philippe CONTAMINE in « Jeanne d’Arc a t’elle été trahie par le roi ? », Secrets d’Histoire, France 2, 2007.
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dans ces écrits : le peuple, la femme, la foi et la France. Il fait de cette modeste « fille du
peuple » une patriote exemplaire qui catalyse ce dernier. Dès 1841 cette Jeanne se grave
dans le cœur des français qui l’élèvent en héroïne nationale. Sous la plume de Michelet, la
France prend conscience d’elle-même et de la dette qu’elle a envers une Jeanne qui « aima
tant la France » jusqu’à succomber sur le bucher suite à un procès qui n’a de procès que le
nom. « Souvenons-nous toujours, Français [écrit Michelet], que la Patrie, chez nous est née
du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour
nous.31 »
Malgré une rigueur méthodologique parfois contestable32, Michelet aura donc
réussi à faire aimer Jeanne d’Arc, et a joué un rôle déterminant dans l’historiographie et
dans la popularisation de cette dernière au XIXè siècle. Alors que certain voient en la
description qu’il fait de Jeanne les prémisses du patriotisme33, Michelet a surtout imprimé
cette dernière dans la conscience républicaine qui s’exprimera tout au long du siècle ;
notamment dans le conflit des « deux France ».
B. Jules Quicherat et la naissance d’une historiographie de Jeanne d’Arc.
Cette apologie réalisée par Michelet, historien républicain et libre-penseur d'une
Jeanne d'Arc populaire – fille du peuple, oubliée par le roi Charles VII, martyrisée par
l'Église, héroïne du peuple – est poursuivie par les travaux de Jules Quicherat. Sous la
monarchie de juillet, ce chartiste passionné d’histoire, élève et grand ami de Michelet,
publie en cinq volumes, à la demande de la Société de l’histoire de France34, les Procès de
condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc dite la Pucelle publiés pour la première
fois d’après les manuscrits de la Bibliothèque royale, suivis de tous les documents
historiques qu’on a pu réunir et accompagnés de notes et d’éclaircissements (1841-1849).
31 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, op. cit., p. 4448. 32 Il a souvent utilisé des sources de seconde main, notamment celles de L’Averdy et de Buchon. De nombreux historiens respectueux du travail de Michelet, comme Gerd Krumeich, regrettent cet élément méthodologique. 33 Michelet a notamment cette phrase : « Pour la première fois, on le sent, la France est aimée comme une personne. Et elle devient telle, du jour qu’elle est aimée » in Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, ibid. p. 453. 34 En réponse au vœu formulé par l’allemand Guido Görres de réunir tous les documents concernant la Pucelle. Nous retrouvons là encore le souci patriotique français.
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Le titre de cet ouvrage, très long, fait écho aux quelques 2700 pages qu’il contient. Encore
à l’heure actuelle, ce travail, d’une qualité scientifique indéniable, suscite l’admiration des
historiens johanniques et constitue, pour ces derniers, une formidable base de recherche.
L’historienne médiéviste Régine Pernoud, fondatrice du centre Jeanne d’Arc, rend
d’ailleurs hommage aux Procès ainsi qu’à l’ouvrage de Michelet en ces termes:
« Quicherat fit suivre son édition en trois volumes [des deux procès de Jeanne] de
deux autres volumes comportant la plus grande partie des chroniques, mémoires et
documents divers se rapportant à la vie de Jeanne d’Arc et à son épopée. On ne
saurait exagérer l’importance de ce travail qui permettait, non seulement une plus
vaste connaissance des évènements, mais surtout une sorte de révélation de la
personne de Jeanne : si l’on ajoute qu’à peu près au même moment Jules Michelet
publiait dans son Histoire de France les pages célèbres qui faisaient de Jeanne le
symbole même de la Patrie, on mesure mieux le pas énorme fait en cette première
moitié du XIXe siècle 35 […] »
De sensibilité républicaine, tout comme son maître, Quicherat voit en Jeanne d’Arc
« l’image de la patrie et la personnification de tout ce qu’il y a de généreux, de grand,
d’impérissable dans le cœur de la France 36 », Jeanne serait donc la sainte de la patrie – les
deux substantifs réconciliant, selon Michel Winock, « la France catholique et la France
républicaine.37 »
En outre, insiste Olivier Bouzy, l’historien « trouve la confirmation de l’hypothèse
selon laquelle Jeanne aurait été fort mal secondée par le roi » car à ses yeux, « c’est sur le
roi et ses conseillers qu’il faut faire peser la responsabilité de l’échec et de la mort de
Jeanne. 38 » De même, en étudiant Les chroniques de Perceval de Cagny39, il démontre
que la fin tragique de la Pucelle n’est que le résultat « de la trahison conjointe de la royauté,
de la noblesse et du clergé » qui ne pouvaient accepter leur échec là où une simple fille du
35 Régine PERNOUD, Jeanne d’Arc, Paris : éd. PUF, col. Que sais-je ?, 1981, p. 124. 36 Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 944. 37 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, op. cit, p. 4428. Cofondateur de la revue L’histoire. 38 Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, ibid. p. 447. 39 Perceval de Caigny est un gentilhomme beauvaisien a passé toute sa vie au service des princes d'Alençon. En 1438, il dicte simplement le récit des choses qu'il avait vues dont des passages concernant Jeanne d’Arc.
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peuple y était parvenue.40
En plus de ses Procès, Quicherat publie ses Aperçus nouveaux sur l’histoire de
Jeanne d’Arc (1850) dans lesquels est présentée une image plus rationnelle de cette
dernière. Il s’attache à mettre en valeur le contexte politique et la mission nationale
qu’avait la native de Domrémy, en plus de montrer que celle-ci était « presque
constamment entravée par son entourage [jusqu’à être] victime de celui-ci. » Ce cadrage
populaire de Jeanne d’Arc fait transparaitre la qualité de libre penseur républicain de
l’historien de l’Ecole des Chartes. Il « considérait [d’ailleurs que Michelet] avait tout dit à
son sujet.41 » C’est ainsi que Quicherat perpétue de manière « scientifique » le cadrage
initié par son maître : une Jeanne populaire, sainte, et patriote. En somme, une Jeanne qui
déjà s’érigeait en mythe républicain. Pour parvenir à ce dernier, on comprend aisément, en
combinant les écrits du chartiste avec ceux de Michelet, qu’il était nécessaire que Jeanne
meure, et d’une « affreuse mort.42 ». Philippe Contamine partage d’ailleurs ce point de
vue : « si Jeanne d’Arc était morte dans son lit [ça n’aurait] pas été la même chose, il fallait
que Jeanne souffre. C’est le vieux mythe médiéval de la passion et de la rédemption. Pour
que la France soit rachetée il fallait qu’elle souffre la passion.43 »
Ainsi, au milieu du XIXè siècle, les deux Jules auront permis, par leurs travaux, de
faire renaitre Jeanne d’Arc de ses cendres en la transformant en mythe dans la conscience
collective. Historique tout d’abord, il évoluera, à partir du milieu du XIXè siècle, en mythe
politique. « D’autant plus, insiste Gerd Krumeich, que depuis les années 1820 au plus tard,
l’écriture de l’Histoire est considérée comme une activité également politique, chargée de
corroborer soit la « Restauration » monarchiste et anti révolutionnaire, soit l’émancipation
libérale et républicaine de l’homme et du citoyen héritée en droite ligne de la Révolution
française encore toute proche. 44 […] » C’est ainsi que Jeanne se transforme
irrémédiablement en mythe politique : l’incarnation du sauveur de la France.
40 Samira EL HADI, Le personnage de Jeanne d'Arc dans les manuels scolaires depuis 1880, Mémoire de Master 2 SMEEF spé. Professorat des écoles, sous la direction de Jean François GREVET, IUFM de Lille, 2011-2012, p. 18. 41 Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 945. 42 Jules MICHELET, Histoire de France, Tome cinquième, Livres X à XII (La Pucelle- Charles VII), op. cit., p. 136. 43 Philippe CONTAMINE in « Jeanne d’Arc a t’elle été trahie par le roi ? », Secrets d’Histoire, op. cit. 44 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris : éd. Albin Michel, Col. Bibliothèque Albin Michel Histoire, 1993 (1989), p.47.
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Raoul Girardet, professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences-po Paris, s’inspire
des travaux de Claude Levi Strauss et de Gaston Bachelard pour tenter de définir dans son
ouvrage45 ce fameux mythe du sauveur. Pour Girardet, « autour d’un personnage privilégié
tend à se former une même constellation d’images. Constellation mouvante sans doute,
plus ou moins ample, à la coloration changeante aux contours parfois mal définis, mais
dont la permanence et l’identité ne peuvent échapper à l’observation. » Cette
« constellation » mythique est d’autant plus mouvante qu’elle est soumise à une
« manipulation volontaire » qui est, selon les cas, « plus ou moins importante mais toujours
décelable » notamment au sein de la « propagande politique 46 ». En outre, « Les mêmes
structures mythiques […] sont susceptibles d’être retrouvées à l’arrière plan de systèmes
idéologiques politiquement les plus divers, voire les plus contradictoires.47 »
Jeanne d’Arc n’est pas une exception à la règle énoncée par Girardet ; chaque
époque ayant su vêtir Jeanne de ses oripeaux identitaires pour l’adapter aux besoins
idéologiques. En effet, si Jeanne a été transformée en mythe politique, c’est parce que
celui-ci a été progressivement construit, parallèlement à l’édification de la nation française.
C’est pour cela qu’avant d’être, au XXè siècle, récupérée par les partis de droite et
alimentée par l’Eglise catholique, elle fut célébrée par les Républicains en tant
qu’incarnation de la patrie et de la laïcité.
45 Raoul GIRARDET, Mythes et mythologies politique, Paris : éd. du Seuil, col. Points, 1990 (1986). Girardet insiste bien sur le fait que le mythe politique est « fondamentalement polymorphe » (p. 15) et qu’il est ainsi difficile d’en donner une définition complète. 46 Raoul GIRARDET, Mythes et mythologies politique, ibid. p. 71. 47 Ibid. p. 22.
18
II. La République et la mise en exergue de Jeanne Darc, fille du peuple.
Durant le XIXè siècle, les républicains, à l’instar de Michelet et Quicherat, vont voir
en Jeanne une « fille du peuple », une héroïne laïque et populaire. Cette représentation de
la Pucelle va dominer et perdurer jusqu’au début du XXè siècle grâce à des personnages
comme Lucien Herr, Pierre Larousse ou Charles Peguy ; mais aussi Victor Hugo et Jean
Jaurès très influents à l’époque. Et que dire de Joseph Fabre qui, en 1884, propose devant
le Parlement d’établir une fête nationale de Jeanne d’Arc pour commémorer tous les ans sa
mort. Dans un contexte politique en mutation – entre Restauration, République et Empire –
de nombreux hommes politiques, historiens ou littérateurs vont utiliser la figure de Jeanne
pour contester voire remettre en cause le régime en insistant notamment sur la culpabilité
du Roi et de l’Eglise dans la mort de la Pucelle.
En parallèle des Républicains qui alors annexent la mémoire de Jeanne, les
catholiques eux aussi vont essayer de se l’approprier. La Pucelle devient donc un réel enjeu
politique dans ce conflit des « deux France » qui fait rage à la fin du XIXè siècle. Malgré
cela, la fameuse commémoration que Fabre proposait sera finalement votée au sortir de la
Première guerre mondiale ; guerre durant laquelle Jeanne d’Arc avait fait figure de
rassemblement national. Toutefois, les débats autour de cette commémoration, dont le
processus loin d’être simple a duré plus de trente-cinq ans, vont subir les changements et
les évènements politiques de l’époque. C’est d’ailleurs pour cela que Maurice Barrès
reprendra le flambeau de Joseph Fabre à partir de 1914.
A. Une Jeanne laïque et populaire acclamée par la gauche républicaine.
« Une ardente championne de la royauté donnée en exemple comme la preuve
vivante du surnaturel dans l’histoire, ne pouvait pas, à priori, satisfaire l’esprit républicain
se réclamant du siècle des Lumières […]48 » disait Michel Winock, et pourtant. Les
républicains vont se souvenir des leçons de Michelet qui, en pleine tension franco-anglaise,
écrivait ceci, établissant un parallèle entre l’épisode révolutionnaire et l’épopée d’une
Jeanne « sœur de Danton 49 » :
48 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, op. cit. p. 4447. 49 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, Paris : éd. Gallimard, 1992, p. 402.
19
« A des siècles de distance, les Parisiens qui assaillent la Bastille retrouvent la
témérité des soldats de la Pucelle. Une idée se leva sur Paris avec le jour et tous
virent la même lumière. Une lumière dans les esprits et dans chaque cœur une
voix : Va, et tu prendras la Bastille.50 »
Il est nécessaire de remonter une quarantaine d’année en arrière, pour comprendre
comment les mots d’historiens comme Michelet ont mis sur pied un véritable mythe de la
Pucelle, dans l’esprit des hommes se situant à gauche de l’échiquier politique. Il est vrai
que la cristallisation du sentiment national français est née et a été fortement nourrie par la
Révolution de 1789. Mais, concernant Jeanne d’Arc, ce sentiment prend toute sa force sous
le Directoire, notamment par l’intermédiaire de Napoléon Bonaparte, encore Premier
Consul, qui rendait hommage à la Pucelle en des termes que nous avons déjà cités :
« l’illustre Jeanne a prouvé qu’il n’est pas de miracle que le génie français ne puisse
produire dans les circonstances où l’indépendance nationale est menacée.51 » C’est ce
« génie français » dont parle Bonaparte, qui va nourrir l’escarcelle idéologique des partis
de gauche. En effet, il sera scandé continuellement lors des débats parlementaires
concernant l’établissement d’une fête nationale consacrée à la Pucelle (cf. infra).
Plus encore, Michelet – mais aussi Quicherat – insistent dans leurs écrits, sur des
éléments qui vont alimenter la conscience de gauche. C’est là peut être un transfert, dans
leurs ouvrages, de leur qualité de libres penseurs. On retrouve par exemple le patriotisme
exacerbé, le doute quant aux visions, la responsabilité de la mort de Jeanne pesant sur le
Roi et le clergé, etc. Eléments qui s’inscrivent clairement dans la pensée de la gauche de
l’époque ; une gauche « républicaine, libérale et sinon rationaliste et positiviste, du moins
éloignée de toute croyance religieuse précise52 » selon les propos de Philippe Contamine.
Dans son article sur Jeanne d’Arc, Michel Winock nous indique un élément très
intéressant concernant cette vision « de gauche » de Jeanne. Dans le tome IV de son Grand
dictionnaire universel du XIXè siècle (1870) Pierre Larousse présente Jeanne d’Arc sous la
forme de questions dont les réponses, loin d’être ambiguës, mettent en valeur cette vision
50 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p.77. 51 Cf. Introduction. 52 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 399.
20
républicaine 53:
1° Jeanne Darc eut-elle réellement des visions ? (Non)
2. Son mobile le plus certain ne prit-il pas sa source dans les mouvements d’un
patriotisme exalté ? (Oui)
3° Quels furent les vrais sentiments du roi à son égard ? (Indifférence et défiance)
4° Quelle a été dans tous les temps la vraie pensée du clergé pour Jeanne ?
(Entraver sa mission, la faire mourir et sous prétexte de la réhabiliter charger de
légendes apocryphes sa mémoire).
Tout y est : l’absence de vision surnaturelles, le patriotisme, l’abandon de Charles
VII ainsi que la quasi haine de l’Eglise. Autant de thèmes mis en valeur par les historiens
libres penseurs de la première moitié du XIXè siècle. L’impact est d’autant plus important
qu’on les retrouve dans un dictionnaire – ouvrage censé s’adresser à tout un chacun (ces
propos sont écrits seulement un an après le panégyrique54 de Mgr Dupanloup qui évoquait
la « sainteté » de la Pucelle. Serait-ce une réponse de la part des républicains qui, déjà en
1870, sentaient que leur protégée commençait à leur échapper ?)
Il est à noter, que Pierre Larousse, comme de nombreux Républicains de l’époque,
utilise le « Darc » en lieu et place du « d’Arc » ; son article est d’ailleurs titré « Darc
(Jeanne) ». Pourquoi ? En enlevant la particule on mettait en valeur l’origine populaire de
la Pucelle. C’était le Républicain Auguste Vallet de Viriville, historien et archiviste
français qui, l’un des premiers, avait protesté contre la forme aristocratique donnée au
patronyme de cette « illustre roturière » car disait-il, c’était fausser la « vraie physionomie
du personnage.55 »
Ainsi, de 1830 à 1870, de nombreux historiens, littéraires et hommes politiques ont
contribué à nourrir le mythe républicain de Jeanne. Il est évident qu’ils ne l’ont pas fait
pour rien, et que le contexte politique de l’époque y est pour beaucoup. Il nous semble
alors nécessaire de préciser ce dernier.
En 1825, Charles X succède à son frère Louis XVIII à la couronne de France et de 53 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, Paris : éd. Gallimard, col. Bibliothèque illustrée des histoires, 1992 p. 703. 54 Selon le Dictionnaire Larousse : « Éloge fait en public ou par écrit de quelqu'un, d'une institution, d'un pays, etc. », ici de Jeanne d’Arc. 55 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, 1992, Ibid.
21
Navarre. Bien qu’assez modéré et acceptant en majorité les valeurs issus de la Révolution
de 1789, le dénommé Comte d’Artois restait très attaché aux conceptions et aux valeurs de
l'Ancien Régime. Deux ans plus tard, les élections installent une majorité libérale à
l’Assemblée – synonyme de contestation du pouvoir royal – et le souverain consent à
nommer un Premier ministre, le Vicomte de Martignac, à mi-chemin entre ses propres
opinions et celles de la chambre basse. Toutefois, les souvenirs autoritaires de l’Ancien
Régime et de Bonaparte sont encore présents, et lorsque qu’en 1829, alors que les
Chambres sont en vacances, Charles X renvoie son Premier ministre pour nommer à la
place le Prince de Polignac ainsi que le comte de La Bourdonnaye, considérés par les
libéraux comme des « ultras », l’opposition pense à une tentative, de la part du Roi, de
restauration de la monarchie absolue d’avant 1789.
S’en suit une radicalisation des positions de Charles X et une montée en puissance
de l’opposition ; jusqu’aux ordonnances de juillet 1830 qui, notamment, dissolvent la
Chambre des députés, modifient la loi électorale, suspendent la liberté de la presse, etc.
Tant d’acquis révolutionnaires remis en cause par le Roi. Lors des « Trois glorieuses56 »
qui s’en suivent, les opposants répondront par l’intermédiaire d’une insurrection populaire
désorganisée (avec des hommes comme Thiers, Lafayette, Talleyrand, Laffitte, etc.) mais
qui finalement triomphera. Malgré une hésitation concernant la solution républicaine, c’est
la monarchie de Juillet qui est finalement instituée avec à sa tête Louis Philippe d’Orléans,
proclamé « Roi des Français ». La monarchie de Juillet prend comme emblème le drapeau
tricolore, et s’affirme beaucoup plus laïque. Les libéraux entrent en force au gouvernement
et, malgré l’hostilité d’une bonne partie de l’opinion, les opposant républicains, peu
nombreux mais déterminés vont de manière constante harceler le pouvoir allant jusqu’à
tenter d’assassiner le Roi.
Ce régime reste stable jusqu’en 1848 où sous l'impulsion des libéraux et des
républicains, le peuple de Paris, à la suite d'une fusillade, se soulève à nouveau et parvient
à prendre le contrôle de la capitale. Le Roi, refusant de faire tirer sur les Parisiens, est
contraint d'abdiquer en faveur de son petit-fils, Philippe d'Orléans, le 24 février 1848. Le
même jour, la Seconde République est proclamée par Alphonse de Lamartine, entouré des
révolutionnaires parisiens : un gouvernement provisoire à tendance républicaine est mis en
place, mettant ainsi fin à la Monarchie de Juillet.
La Seconde République durera jusqu’en 1852, date à laquelle Louis-Napoléon
56 Les 27, 28 et 29 juillet 1830.
22
Bonaparte, alors Président de la République, proclame le IInde Empire et devient
Napoléon III. Cet épisode fait suite au coup d’Etat, perpétré un an avant, par lequel il
s’était maintenu Président alors que la Constitution lui interdisait de se représenter. Là
encore les républicains et les libéraux grondent et Napoléon III tend vers une libéralisation
et une modernisation du Second Empire notamment en ce qui concerne le droit de la presse
ou les élections, la politique sociale et économique, la culture, etc. Et ce, jusqu’à la guerre
franco-prussienne de 1870.
C’est donc dans un contexte dans lequel « il ne fait aucun doute que les patriotes les
plus déterminés sont les Républicains, [et que] le nationalisme devient une véritable
passion [suscitant] le lyrisme des poètes [et] exaltant tous les héros de la liberté […]57 »,
que nos hommes de lettres réhabilitent Jeanne et l’affublent d’un habit populaire.
On comprend alors pourquoi les républicains, libéraux et autres révolutionnaires
vont faire de Jeanne un mythe politique. Elle va être celle qui avait dit : « Je ne peux voir
couler du sang français sans que mes cheveux ne se dressent sur ma tête.58 » Celle qui, bien
que catholique et royaliste, était patriote avant tout et dont l’œuvre était plus politique que
religieuse. Celle qui, d’ailleurs, a été brûlée pour avoir résisté à l’Eglise et qui fut délaissée
par son Roi ; dès lors selon les Républicains, l’Eglise ne saurait la revendiquer à son profit.
Celle qui, enfin, ne pourra être glorifiée que par la République car comme le disait le
socialiste Lucien Herr, alors bibliothécaire de l’ENS, dans le Parti ouvrier du 14 mai
1890 : « Jeanne est des nôtres, elle est à nous, et nous ne voulons pas qu’on y touche.59 »
Cette même volonté d’accaparement se retrouve déjà douze ans plus tôt, lorsque le
journal anticlérical La lanterne publie l’article suivant :
« Le 30 mai prochain, il y aura 447 ans que Jeanne d'Arc fut brûlée à Rouen par les
bons soins de l'Inquisition et de Cauchon, évêque de Beauvais. A l'occasion de cet
anniversaire, les cléricaux doivent aller porter des couronnes aux pieds de la statue
de cette martyre du patriotisme. Il vaut mieux tard que jamais. [...] Quant à nous,
[...] nous engageons tous les républicains à porter, eux aussi, aux pieds de la statue
57 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, op. cit., p. 143. 58 Edouard MENNECHET, Le Plutarque français, vie des hommes et des femmes illustres de la France, avec leur portrait en pied, Tome Deuxième, Paris : éd. Mennechet, 1838, p. 379 (Googlebooks). 59 Lucien HERR in Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, mai 1997, n°210, p. 64-65. Citation de l’article « Notre Jeanne d’Arc » écrit par Lucien Herr dans Le Parti ouvrier du 14 mai 1890 sous le pseudonyme de Pierre Breton.
23
de Jeanne d'Arc, des couronnes avec cette inscription : "A Jeanne la Lorraine, à
l'héroïque Française, à la victime du cléricalisme."60 »
Un autre discours, celui de la loge maçonnique « Travail et vrais amis fidèles », s’inscrit
dans la même lignée et reflète bien l’état d’esprit des libres penseurs et des francs maçons
de l’époque :
« Le 30 mai, l’Eglise fit brûler Jeanne d’Arc comme hérétique et relapse. Le clergé
était en cela logique avec lui-même, puisqu‘en obéissant à ses voix particulières,
Jeanne d’Arc n’écoutait en réalité que sa conscience individuelle, qui lui
commandait de sauver la France. C’était une révoltée, croyant en elle-même en
dépit des théologiens. […] Les libres penseurs ont décidé ainsi d’exprimer leurs
sentiments de reconnaissance envers l’héroïne qui préparera l’œuvre de la
Révolution en combattant pour l’unité française. » 61
Quelques années plus tard, face à des catholiques qui à leur tour tentent de
s’approprier la Pucelle, le jeune socialiste Charles Péguy, ami de Lucien Herr, composait
la première de ses deux Jeanne d'Arc62, qu'il dédiait « à toutes celles et à tous ceux qui
seront morts de leur mort humaine pour le rétablissement de la république socialiste
universelle.63 » Aux dires de Peguy, ce ne serait donc qu'en terminant son œuvre que lui-
même se serait aperçu du lien existant entre son engagement personnel et l’ouvrage qu'il
venait d'achever ; il n’aurait ainsi pas dépeint de manière intentionnelle une Jeanne
républicaine. Il n’en demeure pas moins que la publication de son drame, précédé de
quelques mois par son premier article 64 dans la Revue socialiste, fait transparaitre un
engagement socialiste sans détour qu’on retrouve dans sa Jeanne d’Arc.
De nombreuses personnalités politiques mais aussi des plumes de talent et de
renom vont donc rendre hommage à l’héroïsme de la Pucelle d’Orléans à l’instar de
60 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit. 61 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, 1992, op. cit. pp. 696-697. 62 Charles PEGUY, Jeanne d'Arc, Paris : éd. Librairie de la Revue socialiste, 1897. 63 Dalia ALABSI, La naissance d’un mythe : Jeanne d’Arc dans l’œuvre de Charles Peguy, Thèse de Doctorat en Lettres et arts, sous la direction de Michel SCHMITT, Université Lyon 2, 29 avril 2011, p. 32. 64 Charles PEGUY, « De la cité socialiste » in La Revue socialiste, février 1987.
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quelques jolis vers de Victor Hugo65 ou d’Henri Martin qui la voit comme « le Messie de
la France » et la « fille des Gaules ». Avant de continuer de manière catégorique : « nous
accusons Charles VII d’avoir conspiré en son royaume [...] alors que la Providence […] lui
avait envoyé pour auxiliaire une puissance immense […] qui entrainait soldats, peuple,
jeune noblesse, tous les éléments d’action et de victoire […] Nous l’accusons d’avoir
refusé cette grâce et arrêté Jeanne au milieu de sa mission.66 » Enfin, il serait inopportun de
ne pas citer Jean Jaurès qui, dans L’Armée nouvelle (1911) – ouvrage clé qui constitue la
synthèse de la pensée jaurésienne et qui s’interroge sur une possible organisation socialiste
de la France tout en imaginant une réorganisation de la défense nationale – fait référence à
une Jeanne d’Arc qui se « dévoue au salut de la Patrie.67 »
Cette « liste » d’hommes de lettres, loin d’être exhaustive, permet de comprendre
combien les valeurs républicaines du XIXè siècle (et ses persistances du début du XXè
siècle) se confondent à travers cette figure mythique qu’est Jeanne. En effet, les
Républicains donnent un sens à la vie et aux buts de la Pucelle différents de ceux mis en
valeur par les nationalistes – bien que le patriotisme soit bel et bien présent – et par les
catholiques quelques décennies plus tard ; nous le verrons.
L’initiative de Joseph Fabre, député radical puis sénateur de l’Aveyron et historien
qui réalisa les traductions quasi complètes des procès de condamnation et de
réhabilitation68 à partir des versions latines de Quicherat, cristallise cette différence
idéologique. C’est lui, en effet, qui le 30 juin 1884, dépose au Parlement le projet de loi
relatif à la commémoration nationale de Jeanne d’Arc, afin d’instaurer une « fête du
patriotisme » et d’exorciser par la même, un passé catholique qui ressurgissait en cette fin
de XIXè siècle.
65 Comme celui-ci tiré du poème « Le bout de l’oreille » in Les quatre vents de l’esprit (1881).
« Le marché de Rouen dont les sombres pignons Ont le rouge reflet de ton supplice, ô Jeanne ! »
66 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. pp. 117-125. 67 Jean JAURES, L'organisation socialiste de la France : l'armée nouvelle, Paris, 1915, p. 446. Le site internet http://gallica.bnf.fr propose cette réédition réalisée par L’Humanité. 68 Joseph FABRE, procès de condamnation de Jeanne d'Arc, d'après les textes authentiques : traduction avec éclaircissements, Paris : éd. Delagrave, Paris, 1884. Et : procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, raconté et traduit d'après les textes latins officiels, Paris : Delagrave, 1888 (2 tomes).
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B. La fête nationale de Jeanne d’Arc : de l’initiative des partis de gauche au renforcement d’un enjeu politique.
L’histoire a montré combien les fêtes nationales pouvaient raviver les conflits
politiques et idéologiques. En 1878 par exemple, la préparation de la commémoration du
centenaire de la mort de Voltaire déchaina les passions. Mort un 30 mai, comme Jeanne
d’Arc, comment aurait-il put être possible d’établir, le même jour, une fête nationale alors
qu’il avait écrit, selon Guillemin, une « abomination69 » à son sujet ans son Dictionnaire
philosophique 70 ? C’est aussi la première fois que les antirépublicains – par la voix de Mgr
Dupanloup qui critiqua vivement « l’insulteur de Jeanne d’Arc71 » qu’était selon lui
Voltaire – commencèrent à se rassembler autour de la Pucelle.
Michelet avait souligné dans son œuvre, l’importance des fêtes nationales mais
n’en avait pas le projet concernant Jeanne ; ce que relève Gerd Krumeich : « On peut
toutefois s’étonner que Michelet n’ai rien tenté en faveur de l’instauration d’un jour de fête
en l’honneur de Jeanne d’Arc, lui qui vénérait tant cette figure héroïque et qui la fit
connaître au grand public.72 »
L’historien allemand dresse une histoire précise – voire la plus précise – quant à ce
processus conduisant en 1920 à l’adoption de la loi sur la fête nationale ; c’est d’ailleurs
pour cela que ce développement fera appel, à de nombreuses reprises, à son étude.
Outre Michelet qui, on l’a vu, ne le fit pas, d’autres personnes avaient déjà songé à
faire de Jeanne d'Arc le symbole éclatant du rassemblement et de l'unité française. C’est
notamment le cas d’Auguste Comte, fondateur du positivisme, qui défendait l’idée selon
laquelle seul ce dernier pouvait honorer l’« incomparable Pucelle » qui n’était « pas
seulement une figure française mais aussi une figure occidentale.73 »
Néanmoins, il a fallu attendre la IIIème République et 1879, pour que les
républicains soient majoritaires au Sénat et à la Chambre – après le fameux « coup du seize
69 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 70 Guillemin cite ce passage du Dictionnaire philosophique portatif (1764) : « Il faut soigneusement observer que Jeanne a été longtemps dirigée, avec quelques autres dévotes de la populace, par un fripon, nommé Richard, qui faisait des miracles et qui apprenait à ses filles à en faire. Les juges la crurent sorcière, elle se crue inspirée. […] C’est une malheureuse idiote. » 71 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 408. 72 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p.209. 73 Auguste COMTE, « Jeanne d’Arc. Sa glorification sociale », in Eglise et Apostolat Positives du Brésil, Rio de Janeiro, 1910. Cité par Gerd Krumeich, Ibid.
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mai »74 – pour qu’ils décident de renforcer leur légitimité politique en s’appuyant sur
l’histoire, avec l’érection de nombreuses statues commémoratives ; ce sera l’époque de la
« statuomanie »75. Cette référence à l’histoire est logique selon Gerd Krumeich car « les
réformateurs de la jeune IIIème République ont sans relâche essayé de se présenter comme
ceux qui venaient de parachever l’œuvre de la Révolution française ». L’instauration de la
commémoration du 14 juillet en 1880 suit cette logique ; car ce jour était considéré, depuis
la prise de la Bastille, comme « le paradigme du soulèvement populaire et de l’action
autodéterminée venue d’en bas.76 »
C’est dans ce contexte que le député radical Joseph Fabre propose d’instaurer le 30
mai une journée commémorative de la Pucelle. Cette proposition, vivement critiquée par
les catholiques, était loin de la réconciliation de tous les Français, et avait clairement une
orientation anticléricale. Même si pour lui, « une telle fête ne serait que la consécration
pure et simple d’un souvenir vivant dans toutes les mémoires, dans tous les cœurs et
rapprocheraient tous les Français, à quelque parti qu’ils appartiennent, dans une même
communion d’enthousiasme. »77
L’historienne Rosemonde Sanson78 nous indique que le projet Fabre, déposé le 30
juin 1884, était envisagé comme l’instauration d’une fête du « patriotisme » mais qu’au
lieu d’unir les français, il les divisait. Il fut néanmoins signé par 253 députés de gauche et
d’extrême-gauche. D’ailleurs, Gerd Krumeich rappelle qu’en 1884, loin d’envisager une
quelconque réconciliation nationale, les hommes politiques sont plutôt en proie à une
« bipolarisation idéologique79 » croissante qui s’affirmera quelques années plus tard avec
l’affaire Dreyfus.
Lors du dépôt du projet, tout le débat portait sur la place de cette commémoration
de Jeanne d’Arc par rapport à celle du 14 juillet entérinée quatre ans plus tôt. Dans son
exposé des motifs, Fabre fit valoir qu’outre l’Independance Day, les États-Unis avaient 74 Renvoi, par le président de la République Mac-Mahon, du président du Conseil Jules Simon malgré la majorité dont il disposait à la Chambre des députés, en 1877, qui donna lieu par la suite à la dissolution de la Chambre républicaine. Ce « coup » fut vivement critiqué, et notamment par Gambetta. 75 Cf à ce sujet : Christel SNITER, « La guerre des statues. La statuaire publique, un enjeu de violence symbolique : l'exemple des statues de Jeanne d'Arc à Paris entre 1870 et 1914 », ��� Sociétés & Représentations, n°11, 2001, p. 263-286. Article issu de son mémoire de DEA de Sociologie politique (Paris I) sous la direction de Philippe Braud. 76 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. pp. 209-210. 77 Ibid. p. 212. 78 Rosemonde SANSON, « La fête de Jeanne d’Arc en 1984. Controverse et célébration » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, Tome 20, N°3, 1973, p. 447. 79 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 213.
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leur fête de Washington. Les deux fêtes pourraient ainsi coexister. Le président du Conseil
de l’époque, Charles Dupuy, appuie cette idée et déclare devant les sénateurs : « La fête du
14 Juillet, c'est la fête de la liberté ; celle de Jeanne d'Arc, M. Fabre rappelle la fête du
patriotisme. On pourrait rappeler la fête de l'indépendance.80» Néanmoins, et malgré
l’initiative de Mgr Dupanloup concernant la canonisation de Jeanne qui aurait pu
déterminer le vote républicain, la majorité refuse de suivre et la législature prit fin. Bien
que massivement soutenu au départ, le projet en reste là et, entre temps, Joseph Fabre perd
son mandat de député.
Pendant la décennie qui suit, aucune reprise notable de ce projet n’est à relever
malgré le fait que la gauche politique soit « intimement convaincue, nous rappelle Gerd
Krumeich, que Jeanne d’Arc faisait partie de la généalogie de la République [et qu’elle]
restait, en dépit des tentatives d’« appropriation » des catholiques, la « fille du peuple »,
trahie et vendue par les puissants, représentant l’esprit d’autodétermination.81 »
En 1894, Joseph Fabre est élu sénateur de l’Aveyron et en profite pour proposer un
nouveau projet de loi – cette obsession de la part de l’aveyronnais étaye l’idée selon
laquelle « Fabre fut la personnalité, avec Michelet et Dupanloup, qui œuvra le plus pour le
culte de Jeanne d’Arc, qu’il propagea de manière considérable.82 »
Or, le contexte politique en cette fin du XXè siècle n’est pas le même. La perte de
l’Alsace et de la Lorraine avait laissé des traces, et les républicains n’étaient plus unis –
notamment en ce qui concerne la politique extérieure de Jules Ferry. C’est également le
temps du Boulangisme qui prône un rapprochement de la politique avec les petites gens et
une République modérée ; mais aussi celui du nationalisme avec des personnages comme
Barrès et Maurras qui n’hésiteront pas, plus tard, à reprendre Jeanne d’Arc à leur compte
(cf. infra) ; et enfin celui de la montée du socialisme international faisant évoluer vers la
droite l’idée de patriotisme.83 Le Parlement, lui aussi, avait évolué avec l’avènement d’un
premier grand groupe socialiste et d’une majorité d’opportunistes. Enfin, n’oublions pas
que de manière claire, et par la main même du Pape Léon XIII qui avait instruit son dossier
en béatification, l’Eglise catholique revendique la Pucelle : Johanna nostra est (cf. infra).
C’est dans ce contexte opposant « Deux France » que le Projet Fabre reprend timidement.
80 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit. 81 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. p. 215. 82 Ibid. p. 211. 83 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, op. cit., pp. 167-200.
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Les républicains déjà divisés, s’affrontent alors sur le sens à donner à la fête, et
forment trois groupes. Tandis que les « radicaux », regroupés autour de Fabre, prônent un
culte essentiellement laïc de Jeanne et vénèrent en elle la « fille du peuple », les
« intégristes », eux, sont partisans de sa canonisation; alors que les « centristes » voient en
celle-ci un symbole de l’unité française loin des oppositions idéologiques.
Malgré cette opposition, il semblerait, qu’au départ, les désaccords ne portent que
sur la date de cette commémoration et que les débats s’annoncent bien. Toutefois, lorsque
le député radical Lhopiteau interpelle le gouvernement au sujet d’une annonce du ministre
de l’Intérieur qui invitait les militaires à prendre part aux festivités en l’honneur de Jeanne
d’Arc, le projet Fabre s’éloigne ; laissant la place aux nombreux événements qui avaient
rempli les mois passés. La discussion houleuse au Sénat montre combien le pays est divisé
au sujet de Jeanne et combien, à travers elle, les antagonismes idéologiques de l’époque se
cristallisent. C’est notamment l’avis de Krumeich, mais aussi de Contamine et de Winock
qui, tous trois, se basent sur le revirement de nombreux sénateurs de gauche. Sanson, elle,
ira même jusqu’à dire qu’ « émise par des hommes de la gauche démocratique et radicale
[cette proposition] est passée grâce au vote de la droite et des républicains modérés84 » ;
elle obtient en effet une faible majorité de 146 voix favorables contre 100.
Cependant, le contexte politique de l’époque étant enclin à de nombreuses tensions,
le projet de loi, bien que voté au Sénat, disparaît, dans les méandres parlementaires,
jusqu’en 1912, année lors de laquelle une nouvelle commission est nommée. Cette dernière,
elle aussi, ne donne rien malgré un discours engagé et rassembleur du député modéré
Georges Berry :
« Pourquoi la République française, outre sa fête de la liberté n’aurait t-elle pas sa
fête de Jeanne d’Arc qui permettrait à tous les Français de s’unir dans un même
sentiment d’admiration et de reconnaissance, car Jeanne n’appartient à aucun parti,
mais à la France toute entière. […] Jeanne d’Arc personnifie l’unique religion qui
ne comprend pas d’athées, la religion de la Patrie.85 »
Il y a également une tentative, quelques années auparavant, émanant du député
François de Mahy, proche de la franc-maçonnerie, mais l’affaire Dreyfus, qui connait son
84 Rosemonde SANSON, « La fête de Jeanne d’Arc en 1984. Controverse et célébration » op. cit., p. 454. 85 Gerd Krumeich cite ce passage des Archives nationales dans son ouvrage Jeanne d’arc à travers l’histoire op. cit. p. 227.
29
point culminant en cette année 1898 avec le fameux J’accuse d’Emile Zola, reprend vite le
dessus ; même si elle réveille timidement le Parlement au sujet de l’héroïne nationale qui
est alors, à la frontière entre la gauche et la droite. A la fin des années 1910, l’affaire
Thalamas – que nous verrons lors du développement suivant mais qu’il est ici nécessaire
de citer – émeut elle aussi l’opinion française. Ces deux affaires sont l’illustration d’une
époque où les enjeux sur la « possession » idéologique de Jeanne sont au plus haut dans
une France coupée en deux – entre une gauche laïque et républicaine, et une droite
monarchique, catholique et conservatrice. C’est d’ailleurs ce que constatait l’académicien
Victor Cherbuliez quelques années auparavant : « A l’exception de quelques cerveaux
malades tout Français se croit tenu d’aimer et d’honorer celle qui a délivré la France ; mais
les partis se la disputent ; chacun la réclame, la tire à lui, voudrait la confisquer. Il semble
qu’il y ait deux Jeanne d’Arc.86 »
En décembre 1914, le député Maurice Barrès, père fondateur du nationalisme et
auteur d'un éditorial martial dans L'Écho de Paris, dépose à son tour une proposition de loi
de commémoration de l’héroïne nationale. Malgré l’invocation par celui-ci de « l'Union
sacrée » – qui rapprochait les Français de tous bords en ce début de XXè siècle – le
Président du conseil, René Viviani, socialiste rédacteur coauteur dans l’Humanité avec
Jaurès (Dans son Journal, 87 Barrès attribue d’ailleurs son échec à ce dernier), lui
recommanda vivement de retirer sa proposition. Barrès attribue d’ailleurs son échec à
Alors que la Première Guerre mondiale approchait à grands pas, Viviani faisait remarquer
qu’un tel projet « ne renforcerait pas le consensus national de défense, mais l’affaiblirait
plutôt car il était de nature à rouvrir la brèche entre la gauche et la droite.88 »
Néanmoins, on voit par cette tentative, que Jeanne commence à basculer du côté de
la droite française. En effet, l’Eglise catholique instruisait déjà sa cause, et les nationalistes,
par la voix d’ « un de leurs chefs les plus écoutés89 », s’y intéressent. N’oublions pas qu’on
est à la veille de la Grande Guerre, et que Jeanne représente alors, dans le cœur des
français, la défense de la patrie et la révolte contre les envahisseurs étrangers. Deux
caractéristiques que les nationalistes vont s’empresser de mettre en avant quelques années
86 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 411. 87 Cf. Ibid. pp. 426-427. 88 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 228. 89 Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 461.
30
plus tard.
Au cours de la Première Guerre mondiale, Jeanne d’Arc est naturellement utilisée ;
ce fut même l’époque de son « apothéose90 » selon Philippe Contamine. De nombreux
exemples seraient à noter et nous éloigneraient de notre propos, nous n’en retiendrons que
quelques uns.
Lorsque les Allemands bombardèrent et incendièrent la Cathédrale de Rouen qui
avait vu le sacre de Charles VII par exemple, la France ressentit cela comme une agression
barbare. On le voit notamment, en étudiant les affiches de propagande de l’époque. Ces
affiches seront détournées plus tard lors de la Seconde Guerre mondiale qui elle aussi sera
le théâtre de bombardements à Rouen.91 D’autre part, Gerd Krumeich nous indique que
« le souvenir des gauches était si vif que le nom de Jeanne d’Arc suffisait seul à redonner
courage à un poilu socialiste au fond d’une tranchée.92 » Là encore une affiche de
propagande – datant, elle, de la Première Guerre mondiale – nous le prouve : les poilus,
dans les tranchées, regardent dans la même direction que Jeanne à cheval qui les entraine
« sur la route de la victoire. »93
Cependant, Jeanne est désormais représentée avec les fleurs de Lys, signe de la
réussite de l’assimilation ecclésiastique, et résultat d’un manque d’intérêt croissant pour la
Pucelle, qui s’exprime dans les milieux de gauche. Pour eux, elle n’a plus le même pouvoir
d’attraction qu’auparavant et revêt dès lors l’habit de la nationaliste affrontant
l’envahisseur. D’ailleurs, les fêtes de Jeanne, qui continuaient durant la guerre,
rassemblent alors plus de nationalistes et de catholiques que de personnes situées à gauche
de l’échiquier politique ; et en 1919 – donc moins d’un an après la fin de la guerre – elles
« eurent lieu partout dans les zones d’occupation française en Allemagne.94 ». Est-ce là un
autre signe des dérives qui, au nom de Jeanne, occuperaient cette fois le territoire conquis ?
Henri Guillemin s’élève contre cela : « Jeanne c’est le contraire d’une conquérante, c’est
l’exacte l’antithèse de Bonaparte qui est une bête de proie. Jeanne dit « les anglais sont là,
90 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 427. 91 Cf. Annexe n°2. Affiche de propagande de 1944. Le parallèle entre le bucher de Jeanne, la cathédrale de Rouen et le fait que « les assassins reviennent toujours sur les lieux de leurs crimes », montre bien qu’anglais et allemands étaient assimilés à l’envahisseur. Le « reviennent sur les lieux de leurs crimes » prouve aussi le sentiment de barbarie que ressentaient les poilus lorsque la Cathédrale fut incendiée en décembre 1914. 92 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. p. 246. 93 Cf. Annexe n°3. 94 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 250.
31
ils sont chez nous, ce n’est pas leur place. » Jeanne est une personne qui se bat pour la
justice.95 »
Un an plus tard, Maurice Barrès obtient gain de cause avec son Bloc national. Le
projet revient à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ; alors connue sous le nom
« Chambre bleu horizon » car de tendance conservatrice avec une majorité de Poincaristes
– républicains modérés – et de députés de la droite nationaliste ou traditionaliste. Malgré la
présence d’anticléricaux notoires (Contamine cite Herriot, Paul-Boncourt, Sembat96), le
texte est voté sans discussion par la commission chargée de l’examiner. Loin de diviser
comme à la fin du XIXè siècle, l’image de Jeanne devient le symbole du patriotisme
français, de l’ « Union sacrée » si chère à Barrès et de la réponse à l’envahisseur comme
l’avaient fait les poilus deux ans plus tôt. Déposé le 14 avril, le président de la Ligue des
patriotes expose en ces termes l’importance d’un vote favorable à son égard :
« II n'y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique
ou philosophique, dont Jeanne d'Arc ne satisfasse les vénérations profondes.
Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholique ? C'est une
martyre et une sainte, que l'Eglise vient de mettre sur les autels. Etes-vous
royaliste ? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le sacrement
gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste
que cette mystique ; elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de
toutes nos épopées... Pour les républicains, c'est l'enfant du peuple qui dépasse en
magnanimité toutes les grandeurs établies. [...] Enfin les socialistes ne peuvent
oublier qu'elle disait : « J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des
malheureux. » Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne d'Arc. Mais elle les
dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C'est autour de sa bannière que peut
s'accomplir aujourd'hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de la réconciliation
nationale.97 »
La Chambre bleu horizon, faite de nombreux anciens combattants qui avaient 95 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 96 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 428. 97 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, 1992, op. cit. pp. 715-716.
32
connu la fraternisation des ecclésiastiques et des laïcs dans les tranchées vote le projet le
24 juin 1920, sans débat, et à l’unanimité. Tels sont les termes de la loi publiée dans le
JORF :
« Art. 1er. – La république française célèbre annuellement la fête Jeanne d’Arc, fête
du patriotisme.
Art. 2. – Cette fête sera a lieu le deuxième dimanche de mai, jour anniversaire de la
délivrance d’Orléans.
Art. 3. – Il sera élevé en l’honneur de Jeanne d’Arc, sur la place de Rouen, où elle a
été brûlée vive, un monument avec cette inscription :
A JEANNE D’ARC LE PEUPLE FRANÇAIS RECONNAISSANT.98 »
Ainsi, on voit bien, à travers la mise en place de cette fête nationale du
« patriotisme », que c’est tout un pan de la politique intérieure qui s’est joué. Fabre, en
laïcisant Jeanne souhaitait exorciser le passé catholique pour réaffirmer le caractère
républicain de la Pucelle, mais face à la montée du nationalisme et à une Eglise qui fit tout
sauf rester inactive à son égard, les Républicains ont perdu la main, alors qu’ils l’avaient
depuis la moitié du XIXè siècle. Au final, cette fête nationale n’a fait que renforcer les
conflits politico-idéologiques qui rongeaient la France dans cette période charnière entre
1870 et 1914. Et, alors que c’était un député radical qui avait, le premier, proposé la loi, ce
fut un nationaliste – et pas des moindres ! – qui la fit voter. Signe que Jeanne avait
définitivement basculé dans le camp de la droite. Une droite monarchique, nationaliste,
mais surtout catholique qui, la même année, assista à un double événement : l’instauration
de la fête nationale et la canonisation, à l’initiative de Mgr Dupanloup, de la jeune Pucelle
qu’ils fustigeaient cinq siècles auparavant.
98 Cf. Annexe n°4.
33
Deuxième Partie :
Jeanne d’Arc ou la figure type du nationalisme français : la patriote canonisée par l’Eglise et accaparée par l’extrême droite française.
Dans un premier temps, nous nous arrêterons sur la Jeanne catholique car, dans la
deuxième partie du XIXè siècle, l’Eglise qui l’avait réhabilitée au XVè siècle, entame alors
une récupération en réponse à l’appropriation républicaine de leur sainte. Ce retour de
l’Eglise se solde par la canonisation de la Pucelle en 1920 par le pape Benoit XV. Dans le
conflit des « deux France » bien que tiraillée entre les deux partis, Jeanne retourne
progressivement dans le camp de la droite.
A partir de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par les prussiens en 1870, s’installe en
France un nouveau nationalisme de droite parfois antisémite. Les mouvements politiques
naissants, telle que l’Action française, vont alors accaparer Jeanne d’Arc qui devient ainsi
le bien de l’extrême droite française.
En réaction à cette nouvelle image droitiste, les milieux de gauche vont délaisser
voire critiquer celle qu’ils chérissaient auparavant ; ce qui renforce encore plus leur perte
de la Pucelle. Cette dernière devenant de ce fait une sainte nationaliste.
I. Une Jeanne d’Arc brulée hérétique au XVè siècle puis canonisée par le Pape Benoit XV au XIXè siècle : conflits et accords politiques entre la France et l’Eglise catholique.
Parallèlement à la Jeanne de gauche, il en existe un autre : la Jeanne traditionnelle
voire « traditionnaliste ». Celle-ci puise ses racines dans la France d’avant la Révolution de
1789, catholique et monarchique, et va être, tout comme la « libérale », diffusée à de
nombreuses reprises et par de nombreux voix.
Elle est présentée comme une « pieuse bergère envoyé par Dieu au secours du « roi
très chrétien » et du « saint royaume de France », [qui aurait] outrepassé la stricte mission
que le Ciel lui avait confiée. » Encore un exemple du fameux « Dieu est aux côtés des
français » ; précepte que conteste fortement Henri Guillemin : « qu’on nous ne fasse pas
croire, comme Peguy dans sa deuxième version [de Jeanne], que Dieu est toujours pour les
Français. Dieu aurait été contre les Français s’ils étaient des conquérants. […] Dieu n’est
pas avec les Anglais, Dieu n’est pas avec les Français ; Dieu, dans la pensée de Jeanne est
34
seulement avec la justice.99 »
La France, qualifiée traditionnellement de « fille ainée » de l’Eglise, a toujours eu
des relations complexes avec le Saint Siège. Jeanne, nous le verrons, est l’une des
« saintes » qui vont permettre de les rapprocher spirituellement mais surtout politiquement.
Déjà au XVè siècle, Charles VII demande à l’Eglise de réhabiliter Jeanne d’Arc qu’elle
avait fait bruler quelques années plus tôt. Cinq cent ans plus tard, ce sera Mgr Dupanloup
qui, plus que la réhabiliter, demandera au Pape sa béatification, puis sa canonisation à
laquelle assistera une délégation envoyée par l’Etat français.
Entre temps, de nombreux personnages vont écrire sur Jeanne. Mais à l’inverse de
ceux que nous venons de voir ces derniers vont mettre en scène une Jeanne catholique. Le
grand Alexandre Dumas la qualifiera même de « Christ de la France.100 »
A. La réappropriation catholique de Jeanne dans le conflit des « deux France ».
Il convient de préciser au préalable qu’il y a une continuité dans le culte voué à
Jeanne d’Arc par l’Eglise catholique depuis le XVè siècle, essentiellement après sa
réhabilitation. Celle-ci intervient en 1456 – soit vingt-cinq ans après le supplice de Rouen
– à la demande de la mère et des frères de Jeanne auprès du Pape Calixte III. Le XVè
siècle étant bien loin de notre période d’étude, il ne semble pas nécessaire de s’étendre sur
ce procès en réhabilitation que Quicherat à si bien relaté dans son œuvre.101
Néanmoins, ce revirement de l’institution ecclésiastique à l’égard de celle qu’elle
avait qualifiée d’hérétique, est loin d’être une simple faveur accordée à sa famille. En effet,
le Roi Charles VII ne pouvait imaginer devoir son trône et la victoire dans la Guerre de
Cent ans à une Jeanne hérétique. Il va donc faire pression sur les instances catholiques
pour que cette dernière soit réhabilitée ; lui donnant par la même une légitimité plus forte
pour gouverner. Ainsi, dès le XVè siècle, Jeanne va être l’instrument politique d’une
Eglise qui, au XIXè siècle, souhaite « redorer son blason » auprès d’une République laïque
voire anticléricale.
99 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. Pour les citations du paragraphe. 100 Pierre MAROT, « De la réhabilitation à la glorification de Jeanne d’Arc : essai sur le culte de l’héroïne en France pendant cinq siècle » in Mémorial du Vè centenaire de la réhabilitation de Jeanne d’Arc, 1456-1956, Paris : éd. Foret, 1958, pp. 85-164. 101 Jules QUICHERAT, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc dite la Pucelle publiés pour la première fois d’après les manuscrits de la Bibliothèque royale, suivis de tous les documents historiques qu’on a pu réunir et accompagnés de notes et d’éclaircissements, 1841-1849. (Googlebooks).
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Dès le milieu de ce siècle, l’opposition directe à cette dernière va jouer un rôle
décisif dans le développement du culte d’une Jeanne catholique. En plein « conflit des
Deux France », c’est l’Eglise qui va sortir victorieuse de la récupération de la Pucelle
insistant sur le fait que la gauche pleine de préjugés n’avait su voir en elle « une sainte et
une martyre102 » (le terme de « martyre » est d’ailleurs intéressant car pendant longtemps,
l’Eglise ne pouvait la qualifier ainsi : condamnée par un tribunal ecclésiastique, donc
légalement, elle ne pouvait être une « martyre »). Mais tout au long du XIXè siècle, la
conception catholique de la Pucelle est plus imprégnée et dépendante de l’évolution de la
politique intérieure que d’une appropriation fondée sur une tradition propre. L’image trop
stéréotypée au départ – Jeanne a connu ce sort parce qu’elle a renoncé au service du Roi
pour poursuivre ses intérêts propres au détriment de sa mission divine – se doit d’être
renouvelée pour être en adéquation avec une politique intérieure qui connaît de grands
bouleversements. Pour cela, les catholiques s’appuient sur de nombreux écrits.
Guido Görres par exemple – un étranger ce qui peut paraître paradoxal – va être
l’un des premiers à mettre en valeur une Jeanne pieuse. Dans les années 1840 lorsqu’il
écrit103, la France entre dans la période durant laquelle les oppositions idéologiques vont
clairement s’affirmer. Comme Quicherat104, l’historien allemand va revenir aux sources
primaires sur Jeanne et va notamment étudier L’Averdy ou Le Brun de Charmettes, et
souhaite entreprendre un voyage littéraire en France afin de s’imprégner de son sujet avec
pour objectif de découvrir des sources inédites. Michelet rendra d’ailleurs hommage à ce
périple et cette « dévotion chevaleresque » insistant sur le fait que « les Allemands
[avaient] adopté notre sainte et [qu’ils l’avaient] célébrée autant que nous.105 »
Görres dans cet ouvrage va mettre en exergue une histoire de Jeanne « parcourue
par le souffle de Dieu » en ce sens que paysanne à Domremy, elle n’avait rien d’une noble,
et que, sans l’intervention divine, elle n’aurait pu porter les lis et être « l’épée de Dieu »
qui délivra la France et transforma cette dernière en Etat national.106 Görres est l’un des
premiers à faire de Jeanne d’Arc une sainte. C’est cette image, assez novatrice pour
102 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 405. 103 Guido GÖRRES, La pucelle d’Orléans d’après les actes des procès et les chroniques contemporaines, Société des bons livres de Ratisbonne, 1834. Traduction française, Paris, 1843 (Googlebooks). 104 Quicherat sera d’ailleurs chargé d’écrire ses Procès en réponse à l’annonce de Görres de le faire également. Voir note 31. 105 Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, pp. 736-737. 106 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. pp. 144-148.
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l’époque, qui sera reprise plus tard par Mgr Dupanloup, grand lecteur de l’historien, dans
ses panégyriques.
Il serait rébarbatif – pour le lecteur – de citer tous les hommes de lettres qui ont
développé la Jeanne catholique, tant le nombre est important. Néanmoins, il est nécessaire
de faire référence à quelques uns qui ont permis le renouveau de cette dernière. C’est le cas
de l’Abbé Barthélémy de Bauregard, de Marius Sepet – qui fut élève de Quicherat – ou
encore du monarchiste Albert Lecoy de La Marche qui, dans Jeanne, variétés historiques
(1895), critique ouvertement les « sénateurs de la libre pensée [qui ont eu] l’incroyable
audace de nous la disputer. » Avant de continuer :
« Vainement, ils prétendent la laïciser […] et viennent déposer au pied de sa statue
des couronnes civiques. C’est la couronne des saints qui l’attend […] Ils ont leurs
saints, qu’ils les gardent et nous laisse les nôtres. Ils ont leur calendrier ; qu’ils
achèvent de le remplir de légumineuses variées et nous laissent notre martyrologe
avec son trop-plein de vertu et de dévouement héroïque […] Non, vous ne l’aurez,
notre grande inspirée. Elle n’est pas à vous, elle est à la France catholique.107 »
La statue à laquelle fait référence Albert Lecoy de La Marche est celle d’Emmanuel
Frémiet représentant Jeanne à cheval, en bronze doré. Cette statue, érigée en 1874 place
des pyramides à Paris, est alors le lieu d’affrontements idéologiques qui transparaissent au
cours des célébrations de la Pucelle. Un an après la publication de l’ouvrage de La Marche,
cette statue va d’ailleurs être le cadre d’une manifestation importante. Le 19 mai 1896, des
étudiants catholiques s’y rassemblent et crient « vive Jeanne d’Arc et vive le Roi ! » pour
finir, après une déambulation, par un « Mort aux Juifs ». L’abbé Garnier, fondateur du
journal catholique le Peuple français, qui était dans le cortège crie à son tour « Vive
Jeanne d’Arc ! Vive la France aux français.108 » On sent dans ces paroles tout le conflit
entre catholiques et laïcs qui animent les débats autour de la commémoration de la Pucelle.
Et plus encore, le débordement extrémiste qui va nourrir la vie politique française à partir
des années 1870.
107 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 419. 108 Ibid. p. 412. Pour les trois citations.
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Quelques années auparavant, on retrouve ce même affrontement des « deux
France » – toujours autour de cette statue – lorsqu’en 1878, alors que la commémoration
de la mort de Voltaire faisait débat, le conseiller municipal Thulié de Paris disait : « Je
réclame qu’on mette le nom du lieu du supplice et les noms des juges sur le socle de la
statue de Jeanne d’Arc.109 » Déclaration à laquelle répondit de manière véhémente L’Union,
journal catholique et conservateur, qui demanda aux fidèles de déposer des couronnes aux
pieds de ladite statue. En réponse à l’interdiction de cette procession par le Gouvernement
Dufaure, les catholiques organisèrent, à la place, un pèlerinage à Domremy qui fit grand
bruit. Regroupant plus de 20 000 personnes110, il participa encore un peu plus au
renforcement de l’appropriation ecclésiastique de Jeanne.
Il faut aussi souligner que même Michelet, pourtant Républicain enflammé et
fervent partisan d’une Jeanne populaire, invoqua Dieu pour rendre hommage à cette
dernière lors de son voyage à Domremy : « Prussiens qui visitez cet humble asile,
tremblez ! Car l’esprit de Dieu y plane encore.111 » Tels sont les mots qu’il inscrivit sur le
livre d’or des visiteurs de la maison de la Pucelle en 1872, seulement quelques mois après
la fin de la guerre franco-prussienne.
Mais encore plus que tous les autres, c’est surtout Henri Wallon qui contribue à
l’historiographie catholique de Jeanne. Selon Gerd Krumeich, il va avoir une très grande
influence sur les décisions de l’Eglise concernant sa canonisation. En effet, c’est sur
l’œuvre de ce grand universitaire, futur ministre de l’Instruction publique et secrétaire
perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, que la première initiative de
Mgr Dupanloup va reposer.112
En 1860, Wallon publie sa première Jeanne d’Arc dans laquelle il va, à l’inverse de
Quicherat et Michelet, insister sur sa foi disant même qu’elle était un « modèle de piété. »
Il se rapprochera néanmoins de leur conception lorsqu’il utilisera, lui aussi, le terme de
« martyre » : « Jeanne a été toute sa vie, une sainte, et par sa mort, une martyre : […]
109 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. pp. 200-201. 110 Ce chiffre évolue selon les historiens. 111 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 407. 112 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. pp. 150-153.
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martyre de son amour de la patrie, de sa pudeur, et de sa foi, celui qui l’envoya pour saveur
la France.113 »
Mais l’intéressant dans sa démarche réside dans le fait que, pour lui, les grands
seigneurs, qui se servaient d’elle pour arriver à leurs fins, n’étaient pas prêts à « suivre la
grâce de Dieu qui avait la Pucelle pour messager 114 » ; jusqu’à la trahir. En effet, à de
nombreuses reprises – tout du moins dans les premières versions de son ouvrage – Wallon
insiste sur ce point. De là à dire qu’il remettait en cause la monarchie ? En tout état de
cause, c’est l’amendement Wallon qui, en 1873, institutionnalisa la République et repoussa
les dérives conservatrices qu’elle aurait pu subir. De ce fait, tout en revendiquant une
Jeanne catholique, Wallon est donc bien plus moderne que la plupart des littérateurs
catholiques de l’époque.
Tous ces écrits et déclarations interviennent dans un contexte politique marqué par
de nombreux changements. Tel que dit précédemment, la France est en proie à une
opposition de plus en plus féroce entre une droite encore profondément monarchique –
soutenue par la grande majorité des catholiques présents dans les hautes sphères, les
organes de presse, etc. – et une gauche républicaine, majoritaire, et menée par Léon
Gambetta. Pour illustrer ce fossé, il est possible de s’appuyer sur le discours sans
équivoque de l’évêque de Saint-Dié, Mgr de Briey, lors du pèlerinage à Domremy de 1878
(cf. supra) :
« Il y a en France, une institution splendide, divine qu’on veut détruire, c’est
l’Eglise du Christ. Mais détruire l’Eglise n’est-ce point détruire la France elle
même ? La France, son histoire, avec ses pages magnifiques […] La France dont
l’origine sublime commence au baptistère de Reims ! Quoi ! A des géants tels que
Clovis, Charlemagne, Saint Louis, Jeanne d’Arc, qui ont fait la France chrétienne,
osent se mesurer des pygmées qui, renonçant à toute tradition, veulent renverser la
plus pure des patries, la France catholique ! Jeanne, les saints veillent encore sur la
France ! Jeanne, il y a grande pitié au pays de France ! Jeanne, priez pour la
France ! » 115
113 Henri WALLON, Jeanne d’Arc, Paris, 1860, p. 282 (Googlebooks). 114 Ibid. p. 173. 115 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 409.
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Evidemment, la référence à Jeanne d’Arc, aux cotés des membres du panthéon
catholique français, n’est pas anodine. Tout comme celle concernant les Républicains :
ces fameux « pygmées » qui veulent détruire la France (Y aurait t-il un lien avec la « vraie
France » prônée par Charles Maurras ?) Ce discours, intervient quelques mois seulement
avant l’acquisition, par les Républicains, de la majorité au Parlement, dont est issu Joseph
Fabre l’auteur de la première proposition de commémoration annuelle de la Pucelle.
On comprend alors pourquoi cette fête nationale, bien qu’acceptée par la majorité
des décideurs politiques et une grande partie de la population, a mis plus de trente ans
avant d’être votée ; tant les affrontements idéologiques à son sujet étaient forts dans la
deuxième moitié du XIXè siècle.
C’est particulièrement le cas en mai 1894. Le Pape Léon XIII qui avait fait de Jeanne, le 27
janvier de la même année, la servante de Dieu cette dernière recevant ainsi le titre de
vénérable, avait déclaré le fameux Johanna nostra est. La France, selon Mgr Henri Debout,
reçut avec « une grande joie la nouvelle de ce premier succès de la cause de Jeanne d'Arc »
et dans toutes les grandes villes, les hommes d’Eglise « convoquaient les fidèles dans leurs
cathédrales pour y chanter les louanges de la Pucelle ». A Paris particulièrement, les appels
aux fidèles de la part de la cathédrale Notre-Dame furent importants.116 Mais alors que le
Gouvernement de Jean Casimir-Perier avait, au départ, accepté l’invitation, il interdit
finalement aux fonctionnaires et aux militaires de prendre part aux processions organisées
par les autorités ecclésiastiques, suite aux protestations du député radical Lhopiteau.
Protestations qui gagnèrent bientôt toute la gauche au Parlement, et qui ne permirent pas à
la proposition concernant la fête nationale de Jeanne d’être votée. Et ce, malgré l’« esprit
nouveau » qui commençait à régner.
Ce conflit perpétuel entre forces politiques et forces catholiques, illustré ici par les
évènements de l’année 1894, va se poursuivre lors du processus de canonisation de Jeanne.
La même année, suite aux déclarations du Pape Léon XIII, l’Archevêque d’Aix-en-
Provence, Mgr Gonthe-Soulard, revendique lui aussi cette dernière sans
équivoque : « Jeanne appartient à l'Eglise. Léon XIII écrivait ces temps derniers :
« Columbus noster est », Christophe Colomb est à nous ! Jeanne aussi est nôtre...
116 Mgr Henri DEBOUT, Jeanne d'Arc, grande histoire illustrée, vol. II, 4° ed. 1922, p. 680 à 734. Le site internet http://www.stejeannedarc.net retranscrit le texte intégral de ces pages dans son dossier « Le processus de canonisation de Jeanne d'Arc ».
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« Johanna nostra est ». On ne laïcise pas les saints.117 » La fracture entre républicains et
catholiques est alors de plus en plus importante.
En effet, le discours de gauche, face à la réappropriation catholique de Jeanne
d’Arc, sera dans la lignée du journal L’Estafette qui publiait le 1er juin 1886 : « Oui,
l’Eglise veut reprendre Jeanne d’Arc après l’avoir emprisonnée, accusée, torturée, souillée,
condamnée, brulée vive, elle prétend la canoniser. […]118 » Malgré les critiques parfois
violentes de la part des laïques, cette canonisation interviendra en 1920, et en présence
d’une délégation du gouvernement français.
B. De la béatification à la canonisation : entre reconnaissance ecclésiastique et enjeux politiques.
La canonisation de Jeanne d’Arc se divise en quatre étapes essentielles : le 8 mai
1869, le 27 janvier 1894, le 18 avril 1909 et le 16 mai 1920. Le tout couronné par le 2 mars
1922 lorsque Jeanne devient Sainte Patronne de la France. Lorsqu’on rapporte ces dates
aux évènements politiques de la période, on ne peut que tisser des liens.
Néanmoins il faut, pour les comprendre, s’attarder sur chacune de celles-ci, et en
premier lieu, s’intéresser à la personne de Mgr Félix Dupanloup.
Cet homme d’Eglise, évêque d’Orléans, parfois qualifié d’ « activiste » de Jeanne
d’Arc par ses opposants est celui qui a, selon Gerd Krumeich, participé le plus au
renouveau de cette dernière :
« Aucune autre personnalité, pas même Michelet, n’a contribué aussi activement au
renouveau et à la popularisation de l’image de Jeanne que Mgr Félix Dupanloup
[…] Le combat mené par le catholicisme politique pour s’approprier Jeanne, l’idée
de la canonisation et la lutte obstinée menée pour sa réalisation pendant plus de dix
ans, l’utilisation du culte de Jeanne comme instrument de la lutte contre les
ennemis imaginaires et réels de l’Eglise – tout cela est lié au nom de
Dupanloup.119 »
117 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit. 118 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 410. 119 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. p. 153.
41
En effet, ces panégyriques – autrement dit ses éloges – de 1855 et 1869 ont
réhabilité Jeanne aux yeux du monde catholique. Le culte de Jeanne connaît alors un essor
considérable à Orléans, mais aussi dans les grandes villes de France ; ce qui entraina l’idée
de sa canonisation.
Mgr Dupanloup est un personnage très intéressant dans l’évolution du culte de
Jeanne mais aussi dans la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En effet, il symbolise à la fois
la Réaction parfois violente de l’Eglise face à l’Empire – il est l’un des seuls à avoir tenu
tête à Napoléon III particulièrement lorsque celui-ci soutient l’unification italienne ou
lorsqu’il mène une politique libérale – et face à la République positiviste et libre-pensante,
mais est aussi un grand défenseur d’une séparation institutionnelle entre l’Eglise et l’Etat
dans le cadre de la loi. Il s’oppose donc d’un côté aux Républicains trop libéraux, et de
l’autre aux « ultras » catholiques ; tout en conservant, dans ses propos, la véhémence qui le
caractérise comme l’indique la plupart des historiens. Enfin, il est élu député en 1871 et
devient « inamovible » quatre ans plus tard. C’est ce personnage complexe qui va donner
sa vie à essayer d’arracher Jeanne d’Arc des griffes du camp républicain – dans le but de
regagner des âmes à l’Eglise, la période étant marquée par un fort anticléricalisme.
Il va nourrir de nombreuses critiques de la part de son propre camp, mais surtout
chez l’« ennemi » avec en chef de file, Victor Hugo, qui bien que discret sur Jeanne, écrira
ses vers dans un poème tiré de L’Art d’être grand-père :
« Je dirais à l’abbé Dupanloup : Moins de zèle !
Vous voulez à la Vierge ajouter la Pucelle !
C’est cumuler, Monsieur l’évêque, apaisez-vous.120 »
A l’inverse d’Hugo, deux hommes de lettres, que nous avons déjà cité, vont inspirer
l’Evêque dans son « activisme » johannique.
Tout d’abord, les écrits de Guido Görres vont former ses connaissances sur la
native de Domremy et inspirer le panégyrique de 1855, décisif pour l’avenir catholique de
Jeanne. Dans celui-ci, il la décrit comme la « main de Dieu », une sainte dont le sacrifice a
montré la voie à la France au milieu d’une Europe déchirée. Il la réinstalle donc dans un
cadre politique intérieur mais aussi européen. C’est probablement ce qui amène les
historiens Contamine, Hélary et Bouzy à dire que « quoique certainement sincère, son 120 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 406.
42
attachement à la figure de Jeanne d’Arc […] n’est sans doute pas départi de toute arrière-
pensée politique […] 121 »
L’autre homme de lettres est Henri Wallon. Ce dernier va encourager Dupanloup
dans sa demande de canonisation de Jeanne. Après son panégyrique de 1869, dans lequel,
il réaffirme la sainteté de cette dernière, l’évêque va, avec les douze prélats présents lors de
la cérémonie, écrire une lettre au Pape Pie IX dans laquelle il lui demande d’examiner la
question.122 Mort entre temps, Mgr Dupanloup ne pourra voir le Pape suivant, Léon XIII,
instruire la cause seize en plus tard.
En effet, en 1894, ce dernier déclare Jeanne d’Arc vénérable dans un contexte
politique totalement différent de celui qu’avait connu l’évêque. Jean-Pierre Albert,
directeur d'études à l'EHESS et spécialiste des questions religieuses, insiste d’ailleurs sur le
fait que Léon XIII prônait, depuis 1892, le « premier ralliement » de l'Eglise à la
République. Par conséquent, selon lui, « la signature du décret d'admission de la cause en
1894 apparaît avec quelque vraisemblance comme un geste de bonne volonté.123 »
Entre temps toutefois, le conflit entre Eglise et Etat ne fait que se renforcer et la
période d’ouverture et de « ralliement » est vite oubliée. En plus de la séparation de
l’Eglise et de l’Etat prononcée en 1905, les lois sur les congrégations et l’affaire Dreyfus
creusent un fossé déjà bien profond. Durant cette période, les protestations de la part de la
gauche font rage et condamnent l’évêque de Beauvais, Mgr Cauchon, qui porterait, selon
eux, toute la responsabilité de la mort de Jeanne. Michel Winock, dans son article, rapporte
les paroles d’Hervé de Kérohant, fervent catholique intervenu dans l’Affaire Dreyfus qui
aurait dit que « Cauchon est de l'Eglise comme Judas était des disciples de Jésus-Christ. »
avant d’ajouter qu’il aurait même été juif 124 – c’était dans l’air du temps, et une manière
comme une autre de se dédouaner ; cela nous rappelle le père Ayroles125. Tout de même,
les relations n’étaient pas au beau fixe.
A la mort de Pie IX en 1903, Pie X, ne reprend pas le flambeau de la politique
121 Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 677. 122 Cf. Annexe n°5. Cette lettre est tirée de : Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit., pp. 175-176. 123 Jean-Pierre ALBERT, « Saintes et héroïnes de France », Terrain, n°30, 1998, p. 113-124. 124 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit. 125 Ce jésuite essaye dans les cinq tomes de La Vraie Jeanne d’Arc (1890-1901), de montrer que cette dernière, catholique sans faille, avait été en réalité la victime de juges gallicans donc autonomes par rapport au Pape. « Des protestants avant la lettre » dira Contamine.
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d’ouverture de son prédécesseur, mais s’enfonce dans une lutte acharnée et antimoderne
contre les Républicains, qui, eux, répliquent par un anticléricalisme de plus en plus marqué.
C’est dans ce contexte qu’intervient la béatification de Jeanne par le Pape, renforçant un
peu plus la main mise sur l’héroïne.
Néanmoins, une personne ne peut devenir bienheureuse que par la preuve de
miracles qu’elle aurait effectués. Dans son exposé sur Jeanne, Henri Guillemin les
indique : trois religieuses ont été « subitement et complètement guéries d’ulcères.126 » Ces
guérisons attribuées à la native de Domremy et la voilà bienheureuse. Premier signe du
déclin de son appropriation républicaine. A partir de là, les statues dans les Eglises vont se
multiplier, et des panégyriques de Jeanne sont prononcés et édités par centaines dans toute
la France (c’est la réponse à la « statuomanie » républicaine 127 ) Une demande
internationale va même être lancée dans le but d’ériger à Rouen une statue colossale sur le
modèle de la Vierge en bronze du Puy-en-Velay. 128
Cet accaparement clérical provoque chez les libres penseurs une attitude de rejet,
que Michel Winock qualifie de « retour aux moqueries voltairiennes. » Le 14 avril 1904,
journal L'Action, déclare d’ailleurs : « même brûlée par les prêtres, elle ne mérite pas nos
sympathies. » Plus qu’hystérique, Anatole France va dire qu’elle est victime
d’hallucinations. 129 C’est la suite logique de l’affaire Thamalas qui avait bousculé
l’opinion au sujet des fameuses « voix » de la Pucelle (voir infra).
En 1920, la fête nationale de Jeanne d’Arc est votée, à l’unanimité, après plus de
trente ans de débats houleux. Quelques mois plus tôt, elle est également canonisée par le
Pape Benoit XV130. Selon Jean-Pierre Albert, cette canonisation est le signe avant coureur
du « second ralliement. » D’ailleurs, Le Dictionnaire de l’iconographie chrétienne que cite
Gerd Krumeich, présente lui-même la canonisation comme un « acte politique ».131 Cela
fait écho aux mots prononcés par le Légat du Pape à Paris dont Henri Guillemin – qui les
126 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 127 Cf. à ce sujet : Christel SNITER, « La guerre des statues. La statuaire publique, un enjeu de violence symbolique : l'exemple des statues de Jeanne d'Arc à Paris entre 1870 et 1914 », ��� Sociétés & Représentations, op. cit. 128 Jean-Pierre ALBERT, « Saintes et héroïnes de France », Terrain, op.cit. 129 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, ibid. 130 Dans son exposé, Henri Guillemin insiste là aussi sur le fait que les miracles ont été « trouvés » pour la circonstance. Signe que la réconciliation entre l’Eglise et l’Etat était clairement envisagée. 131 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, ibid. p. 252.
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avait trouvé lorsqu’il étudiait les relations entre l’Eglise et Napoléon Bonaparte – nous fait
part dans son exposé : « une canonisation est toujours une faveur que la Cour de Rome fait
à quelqu'un ». 132 Ici le Saint-Siège fait donc une faveur politique à une France qui essaye
alors d’éviter les conflits internes concernant la religion.
Donc plus qu’un nouveau ralliement, c’est aussi l’affirmation d’un nouveau rôle de
la France. La Première Guerre mondiale passée par là, la communauté internationale
(pourrait-on déjà parler de « communauté internationale » au vu des évènements
postérieurs ?) met en place la Société des Nations comme premier espoir d’une
gouvernance mondiale fondée sur l’échange et les balbutiements du libéralisme.
Présent à Rome le jour de la canonisation – mais préalablement envoyé secrètement
au Vatican en 1915 pour mener des négociations afin de renouer un lien diplomatique qui
avait été interrompu de manière unilatérale par la France133 – l’ambassadeur extraordinaire
Gabriel Hanotaux, a ces mots :
« En canonisant Jeanne d’Arc, Rome ne nous ouvre-t-elle pas la voie de la politique
internationale ? En face de la Société des Nations, « une société de magnifique
espérance verbale », il y aurait quelque grandeur pour la France à se faire le grand
agent de l’universel et à rechercher avec passion et son action ordinaires, cette large
pacification des peuples et des âmes à laquelle le monde aspire. »
Le France serait donc redevenue la « fille ainée » de la chrétienté et devrait en
répandre le message. Barrès ira même plus loin, en qualifiant Jeanne de précurseur de
l’idée wilsonienne car elle « portait en elle l’embryon de la Société des nations […] Elle
conçoit la Société des nations sous la bannière du Christ […]134 » Idée que dénonçait sept
ans plus tôt le très réactionnaire et docteur en théologie Mgr Delassus dans Mission
posthume de sainte Jeanne d'Arc et le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ.135 Pour
cet antilibéral, Jeanne devait être assimilée au réveil national, monarchique et chrétien en
France. On est loin de la figure consensuelle qui se dessinait alors… jusqu’à sa 132 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 133 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 253. 134 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 428. 135 Cet ouvrage avait d’ailleurs reçu les hommages des autorités ecclésiastiques du Vatican et la Bénédiction Apostolique de la part du Pape Pie X. On retrouve la retranscription de cet ouvrage sur le site http://catholicapedia.net dans la section documents.
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proclamation en tant que seconde patronne de France en mars 1922. A partir de cette date,
Jeanne d’Arc entre dans le panthéon des saints catholiques français et les crises intestinales
entre Eglise et Etat semblent révolues. D’ailleurs, sept ans plus tard, les 500 ans de la
délivrance d’Orléans seront fêtés en la Cathédrale d’Orléans avec la présence d’un
protestant, le président de la République Gaston Doumergue.136
Malgré le renouement avec le Vatican, tous les français – surtout du côté des
Républicains – ne peuvent célébrer une Jeanne d’Arc qui, dès lors, sera accaparée par la
droite, et plus particulièrement par l’extrême droite, avec en chef de file un Charles
Maurras qui célébra en elle une adepte du « nationalisme intégral » et qui l’utilisa pour
lutter contre les « Quatre Etats confédérés » au profit de la « vraie France »137 – cela nous
rappelle l’affaire Thalamas qui a fait grand bruit au début du XXè siècle et qui bouscula la
vie politique française de l’époque.
En 1904, Amédée Thalamas, agrégé d’histoire et professeur au lycée Condorcet à
Paris demande un lundi à un de ses élèves de réaliser un exposé sur Jeanne d’Arc que ce
dernier conclu en disant que Jeanne était une gloire religieuse et non une déesse païenne.
Thalamas, lui rappela que ce n’était pas le rôle de l’historien que de disserter sur Dieu mais
qu’il lui était demandé d’analyser le rôle de Jeanne de manière scientifique ; et semble-t-il
aurait ajouté que cette dernière « avait été sujette à des hallucinations qu’elle aurait prises
pour une inspiration divine.138 » A la demande des parents d’élèves, le député progressiste
Georges Berry de la Seine écrivit alors au ministre de l’Instruction pour se plaindre du
professeur qui fut muté sur le champ. Cette affaire aurait pu en rester là, mais l’Action
française, profitant de l’occasion, organisa alors, place des pyramides, une manifestation
en réponse aux déclarations de L’Humanité qui voyait dans le scandale « un complot
clérical et monarchique pour déstabiliser la République.139»
Tandis que Jean Jaurès et Marcel Sembat apportaient leur soutien à Thalamas en
insistant sur le fait que ce n’était qu’un « boucan de collège140 », les nombreuses
déclarations, plus calomnieuses les unes que les autres, n’en finissaient pas. C’est par
136 Ce qui contraste avec les déclarations de l’Abbé Freppel qui, en 1860, disait de Jeanne qu’elle était l’« épée de Dieu » face au protestantisme. Cf. Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. pp. 405-406. 137 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, op. cit., pp. 149-159. 138 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 242. 139 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, Ibid. p. 416. 140 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit.
46
exemple le cas de celles de François Coppée, poète de la Ligue de la patrie française, de
Charles Maurras ou de Paul Déroulède qui, tous, la présentèrent comme la « fille de
Jacques Bonhomme141 ».142 Que dire d’Edouard Drumont, qui dans La Libre Parole, laissa
aller son verbe acide : « Ils sont toute une bande dans les établissements d'enseignement,
dans les sociétés savantes, dans les revues, dans les académies, tous Juifs, protestants,
francs-maçons, qui se sont fait, mutuellement, la courte échelle et qui ont réussi à faire
croire qu'ils avaient régénéré, transformé, rénové la littérature, l'histoire et la science. [...]
Jamais il ne fut question au moment du procès de Rouen des soupçons ignominieux que
Thalamas fait planer sur la pure et chaste héroïne.143 »
Même cinq ans, plus tard, alors que l’Université de Paris avait chargé le professeur
d’un cours sur la pédagogie de l’histoire, Les Camelots du roi – fraichement créés –
agressèrent – d’une « paire de gifles [et d’une] fessée mémorable144 » – « l’insulteur de
Jeanne d’Arc » pour l’empêcher de donner son cours dans une faculté où, selon eux, les
professeurs étaient manipulés par l’Etat juif, les francs-maçons et les métèques. 145
Cela résume très bien la phrase qu’avait le littérateur Gustave Lanson en 1907 :
« Dans un pays où l'on peut dire à peu près tout ce que l'on veut de Dieu, il n'est pas permis
de parler librement de Jeanne d'Arc.146 » Et ce d’autant plus, à partir du moment où cette
dernière devint la chasse gardée de l’extrême droite française, qu’elle ne quittera plus.
141 C’est Jean Froissard, dans ses célèbres Chroniques, qui utilise cette expression pour désigner l'ensemble des révoltés de la Grande Jacquerie du milieu du XIVè siècle, en pleine Guerre de cent ans. 142 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. pp. 414-418. 143 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, Ibid. 144 Informations tirées du site internet de l’Action française : http://www.actionfrancaise.net/craf/?L-affaire-Thalamas 145 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, Ibid, p. 417. 146 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 242.
47
II. De l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1870 au nationalisme français : l’accaparement de Jeanne d’Arc comme chasse-gardée par l’extrême droite française.
Le nationalisme est un concept qui peut paraître flou tant il est parfois utilisé de
manière imprécise. Xénophobie voire racisme pour les uns, défense des intérêts nationaux
pour les autres, la définition fait débat. Henri Guillemin dans son exposé sur Jeanne d’Arc
dira quant à lui que c’est du « patriotisme exacerbé 147 ». Il n’y a pas un seul nationalisme :
celui de Maurras n’est pas le même que celui de Barrès par exemple. Nous touchons là du
doigt une des idées préconçues les plus ancrées dans les mentalités : sa filiation
irrémédiable avec les partis de droite voire d’extrême droite.
Or, avant d’être une idéologie essentiellement droitiste, le nationalisme est ancré
dans la pensée de gauche ; on parlait alors de patriotisme. La valeur nationale est ainsi, au
départ, plutôt une idée de gauche : c’est l’attachement à la patrie. Mais elle va évoluer de
concert avec la mise en place du socialisme international qui favorise la solidarité entre
classes plutôt que de se préoccuper de l’attachement à la nation.
Ce nouveau nationalisme de droite va ainsi naitre du conflit franco-prussien de
1870 et s’opposer farouchement à la République tout en méditant sur sa décadence.148 A
partir de cette période, Jeanne d’Arc va se voir réclamée comme celle qui a « bouté les
anglais hors de France » ; mais plus encore, c’est l’entre-deux-guerres qui va voir des
personnages comme Charles Maurras, avec l’Action Française, ou Edouard Drumond, avec
la Ligue des Patriotes, se servir de la Pucelle à des fins clairement racistes.
Jeanne va devenir ainsi l’apanage de la droite et être, par la même, rejetée, parfois
de manière virulente, par des partis de gauche qui quelques années plus tôt la chérissait
comme l’une des leurs.
147 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 148 Cf. sur le sujet Raul GIRARDET, Le nationalisme français, Anthologie 1871-1914, Paris : éd. du Seuil, 1983.
48
A. De la défaite française à la première guerre mondiale : Jeanne la nationaliste « revancharde » rejetée par la gauche.
En 1871, après plus de six mois de guerre, la lourde défaite face aux Prussiens du
Chancelier von Bismarck va laisser des traces. L’Alsace et la Loraine perdues – faisant
alors partie du département de l’Alsace-Moselle – et l’annexion par l’Allemagne
reconstituée, font naitre en France une soif de revanche voire de vengeance. Plus encore,
l’Empire de Napoléon III disparaît au profit de la IIIème République qui se voit confrontée
un an plus tard à la commune de Paris – réaction logique à la défaite et à la capitulation de
Paris – réprimée dans le sang par les soldats d’Adolphe Thiers. Dans ce contexte tendu,
Jeanne d’Arc va prendre une ampleur nouvelle que Jean Cluzel, secrétaire perpétuel de
l’Académie des sciences morales et politiques, qualifiera plus tard d’ « effet Bismarck 149 ».
En effet, la situation de la France peut prêter à des comparaisons hasardeuses.
L’ennemi a changé mais la France de la Guerre de cent ans et de celle de 1871 sont les
mêmes : divisées et occupées. Alors qu’au XVème siècle Orléans était annexée, désormais
c’est Metz et Strasbourg qui le sont. C’est dans cette brèche que s’engouffrent des hommes
qui vont se faire les chantres de l’« unité » française et du patriotisme et qui vont rejoindre
une mouvance politique et idéologique nationaliste. On va ainsi se servir de Jeanne d’Arc
comme d’un symbole de lutte et de revanche contre l’étranger (cela nous rappelle la
campagne antibritannique de Napoléon Bonaparte au début du XIXè siècle150).
Henri Guillemin affirme en effet que l’appropriation de la Pucelle par les
nationalistes après la défaite de 1871 conduisit à engager l’héroïne dans une véritable
« croisade de la revanche151 » mise en valeur par l’érection de nombreuses statues à la
frontière est de la France ; mais aussi à Paris avec la statue de Frémiet, place des
pyramides, qui deviendra progressivement un lieu de rassemblement de l’extrême droite.
Idée que confirme l’historien tchèque Frantisek Graus en indiquant qu’à cette époque,
« Jeanne devint une figure symbolique qui devait libérer la France de la honte de la défaite,
qui devait la venger.152 » Ces analyses concordent avec les mots laissés par Michelet sur le
149 Jean CLUZEL, Wallon, Jeanne d’Arc et la République, 2004, p. 6. Retranscription de l’intervention de Jean Cluzel en hommage à Alexandre-Henri Wallon à l’Institut de France le 11 octobre 2004. Cf. http://www.asmp.fr 150 Cf. notes 11 et 49. 151 Henri GUILLEMIN, Jeanne dite « Jeanne d’Arc », Paris : éd. Gallimard, 1970, p. 230. 152 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 180. L’historien allemand cite cette phrase de son collègue tchèque.
49
livre d’or de la Commune de Domremy153 qui, depuis 1869 et le panégyrique de Mgr
Dupanloup, devenait un lieu de pèlerinage pour les fidèles de la Pucelle. Elles concordent
également avec le poème154 suivant de François Coppée qui met en relation Jeanne d’Arc
et l’idée de revanche :
« L’artilleur est un fils d’Alsace, et sa patrie
Est, au nom des traités, territoire allemand ;
Il est simple servant dans une batterie.
N’ayant plus de foyer, il reste au régiment.
[…]
La revanche promise, il n’y compte plus guère ;
Combien de temps avant que nous nous rebattions ?
Et déjà les Prussiens, prêts pour une autre guerre,
Ceignent Metz et Strasbourg de nouveaux bastions.
[…]
Et toi, tu douterais, quand nul ne désespère
Dans le pays natal où sont encore ton père,
Ta mère et tes deux jeunes sœurs ?
Cette nation-ci, souviens-toi donc, est celle
De Bertrand du Guesclin, de Jeanne la Pucelle,
Et chasse ses envahisseurs.
Jadis la guerre sainte a duré cent années ;
Des générations furent exterminées ;
Paris sous l’étranger trembla ;
Anglais et Jacquerie à la fois, double tâche ;
Charles Six était fou, Charles Cinq était lâche.
Vois. Les Anglais ne sont plus là. […] »
Ce type d’œuvre est typique du style artistique des années 1870 concernant Jeanne
d’Arc. Des pièces de théâtre, des poèmes et autres œuvres littéraires vont être marqués par
les conséquences de la défaite et de l’envie de revanche. C’est notamment le cas de la 153 Cf. note 107 154 François COPPÉE, « Le Canon », Le Cahier rouge, 1878.
50
pièce jouée par Sarah Bernardt qui, grâce à celle-ci, se couvre de gloire au théâtre de la
Porte Saint-Martin, dans le drame musical Jeanne d’Arc (1890).155
En cette fin du XIXè Jeanne est alors définitivement la Lorraine qui « boutera » les
allemands hors de France. Le romancier et fondateur du mouvement d’extrême droite La
ligue des patriotes, Paul Déroulède en est persuadé quant en 1875, il la voyait comme la
« patronne des envahis.156 »
Gerd Krumeich émet quand même certaines réserves sur l’association entre l’idée
de revanche et la native de Domremy : « Contrairement aux idées reçues, il faut donc
convenir que l’idée de revanche […] n’entretenait aucun lien significatif avec le culte de
Jeanne. » Avant de continuer : « Mais il est sans doute exact d’affirmer que le
bouleversement émotionnel que connut la population, après la défaite de 1871, fut un
élément important dans le regain général de l’intérêt du peuple pour Jeanne d’Arc.157 » Il
précise quand même que la littérature sur le sujet n’est pas abondante ; de ce fait un certain
flou demeure. C’est pour cela que d’autres historiens, à l’instar de Henri Guillemin et de
Xavier Hélary158, ont vu en Jeanne une représentation de la revanche en cette période.
Les chercheurs s’accordent quand même sur un point : le nom de cette dernière, au
départ, utilisé semble t-il contre l’ennemi extérieur – alors sur les terres françaises – va
progressivement évoluer en un combat contre les ennemis intérieurs.
En effet, dans les années qui suivent une véritable « frénésie johannique159 » se met
en place. Au début du XXè siècle, en plein cœur de l'affaire Dreyfus, le mouvement
nationaliste – qui remet en cause la IIIè République récemment née des cendres du Second
Empire – va « faire sien l'étendard de Jeanne d'Arc, mobilisée dans la protestation
identitaire de l'antidreyfusisme 160 . » Jeanne va ainsi devenir une antidreyfusarde et
représenter la « vraie France » ; pas celle des juifs, des protestants, des étrangers ou encore
des francs-maçons… mais la France catholique et ancrée dans sa terre – la « terre et les
155 Cf. les travaux de Julie Deramond, docteur en histoire contemporaine à l’Université Toulouse II, dont les recherches portent sur les représentations de Jeanne d'Arc dans la musique et au théâtre aux XIXè et XXè siècles. 156 Paul DEROULEDE, Chants du Soldat, Paris : éd. Calmant Lévy, 1883. (Google books). 157 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 186. 158 Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 459. « En 1429, elle est venue sauver la France de ses ennemis : elle symbolise aujourd’hui l’espoir de la « Revanche ». » 159 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 160 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit.
51
morts » dira Maurice Barrès.161 Ce dernier personnifie d’ailleurs en Jeanne trois sentiments
qui lui sont chers : le regret des temps légendaires, l’amour de la Lorraine et la haine de
l’Allemagne. Elle est la femme providentielle, le symbole de la France qui résiste,
l’archétype de l’âme française. Malgré le fait qu’elle ne soit pas lorraine – car née en pays
barrois qui n’était pas en Lorraine au Moyen Âge – Barrès, lui-même lorrain, va dire
qu’elle l’est pour simplifier l’analogie entre la guerre franco-prussienne de 1870 et la lutte
contre les anglais qu’elle repoussa. Elle est alors « l’incarnation de la résistance contre
l’étranger.162 »
Toutefois il est à noter que, du nationalisme fermé au départ, sa pensée évoluera
progressivement vers la glorification de la pluralité française dans Les diverses familles
spirituelles de la France (1917) ; ouvrage dans lequel il se fait le chantre de « l’Union
sacrée. »
Certains vont plus loin que Barrès et utilisent des caractères ethnico-raciaux pour
définir la Pucelle en se basant sur l’analyse d’Henri Martin qui avait vu en elle la
descendante des Celtes, la « fille des Gaules 163 ». C’est le cas d’Edouard Drumond qui,
suivant le même raisonnement que la « race aryenne », était fier de dire que Jeanne était la
« Celte qui sauva la patrie. » En 1904, le même Drumond, fait lire, dans une réunion de la
Ligue de la patrie française, une communication qu'il conclut ainsi provocant des
acclamations et des « A bas les juifs ! » :
« C'est Jeanne d'Arc qui rapproche dans une généreuse et patriotique étreinte les
hommes d'opinions différentes qui seront rassemblés ce soir autour de vous. Vous
connaissez mes idées et celles de mes amis, et vous savez de quel nom nous
appelons l'ennemi qui a remplacé chez nous l'Anglais envahisseur du XVe siècle, et
qui essaye de nous asservir par la force brutale du fer. Cet ennemi s'appelle pour
nous le Juif et le franc-maçon. Je ne veux, pas aujourd'hui insister sur ce point, je
veux simplement crier avec vous : Vive la France ! Gloire à Jeanne d'Arc ! 164 »
Comme vu précédemment, c’est ce genre de déclarations – auxquelles le journal
161 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, op. cit. p. 148. 162 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, Ibid. 163 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. pp. 117-125. 164 Ibid.
52
antisémite La Croix, attribue la victoire du meneur extrémiste aux élections législatives –
qui vont fleurir durant l’affaire Thalamas.
Cet accaparement – du moins perçu comme tel dans les rangs de la gauche,
notamment lorsque la Ligue des patriotes termina son défilé du 14 juillet 1900 devant la
statue de Jeanne, place des pyramides – va provoquer une attitude de rejet de la part des
Républicains. Si certains socialistes, comme Jaurès et Herr (voir supra), continuent à
défendre la fille du peuple victime de ses bourreaux inquisiteurs, le ton n’est plus le même
chez les anticléricaux qui l’abandonnent. Alors que la Revue maçonnique de septembre-
octobre 1897 disait qu’elle aurait du trahir son Roi pour se rabattre sur Edouard III, le Roi
d’Angleterre ; un franc-maçon du nom de Louis-Martin la qualifiait de « crétine » disant
que son action fut « funeste pour notre patrie et une calamité pour l’Europe. » Plus encore,
le radical Alfred Naquet parlait de « fléau des deux pays et même de l’humanité. » Tandis
que, comme dit précédemment, Henry Bérenger disait dans le journal anticlérical L’Action
du 14 avril 1904, qu’elle était « maladive, hystérique, ignorante » et que « même brulée par
les prêtres et trahie par son roi » elle ne méritait pas sa « sympathie ».165
Néanmoins, d’autres continuent à célébrer Jeanne d’Arc mais changent pour cela
d’opinion politique. C’est le cas de Charles Péguy qui, troquant l’amitié de Jaurès pour
celle de Barrès, va reprendre sa pièce plutôt socialiste de 1897 pour en faire Le Mystère de
la charité de Jeanne d’Arc. 166 Péguy, selon Henri Guillemin, « opéra cette jolie
performance d’avoir une première Jeanne d’Arc en 1897 soutenue par la revue socialiste ;
et une seconde Jeanne d’arc en 1909 soutenue par l’écho de Paris et par l'Action
Française. »167
Il n’en demeure pas moins qu’une rupture se crée entre Jeanne d’Arc et les partis de
gauche au fur et à mesure que progresse le républicanisme et qu’on se rapproche de la
Première guerre mondiale. De là à se rapprocher de la vision voltairienne de la Pucelle ? Il
n’y a peut être qu’un pas.
D’ailleurs, au début du XXè siècle, cette rupture va en partie expliquer pourquoi
165 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. pp. 413-414. 166 Cf. à ce sujet : Dalia ALABSI, La naissance d’un mythe : Jeanne d’Arc dans l’œuvre de Charles Peguy, Thèse de Doctorat en Lettres et arts, sous la direction de Michel SCHMITT, Université Lyon 2, 29 avril 2011, op. cit. 167 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit.
53
Jeanne devient aussi facilement un totem de la droite nationaliste ; et en particulier de
l’Action Française qui, à partir de cette période, va marquer le pas devant sa statue de la
place des pyramides.
Cela explique aussi pourquoi c’est Maurice Barrès qui, en 1914, va proposer à
nouveau l’établissement d’une commémoration nationale ; et pourquoi, alors que les
radicaux et socialistes avaient laissé place aux modérés et nationalistes au Parlement, il
réussira en 1920 à faire voter cette loi à l’unanimité.
Même si durant la Première guerre mondiale un léger consensus domine car les
intérêts nationaux sont ailleurs et que Jeanne d’Arc est une figure de ralliement, il n’en
demeure pas moins qu’au sortir de cette guerre, la native de Domremy devient le « bien
propre168 » de l’Action française.
B. L’accaparement de Jeanne par la droite extrême : de l’Action française au pétainisme.
Au sortir de la guerre, Jeanne est célébrée de toutes parts avec un enthousiasme
exacerbé par la victoire. Depuis 1871, elle n’avait jamais cessée d’être citée comme
l’exemple du patriotisme français et de la résistance et, on l’a vu, les représentations
johanniques durant la grande guerre se multiplient : affiches de propagande, statues, cartes
postales… qui toutes mettent en valeur les mêmes caractéristiques.
Le 18 mai 1919 est célébrée la première fête de Jeanne d’Arc après la guerre pour
laquelle on compte des dizaines de milliers de participants. Toutefois, les historiens
rapportent que les manifestants ont évolué : les représentants de l’Action française et de la
Ligue des patriotes et les anciens combattants se multiplient, alors que dans le même temps
les Républicains qui, on l’a vu, délaissent Jeanne, se font plus discrets qu’auparavant. Un
signe avant coureur de l’érosion du consensus qui avait dominé durant 14-18 ? Il n’en
demeure pas moins qu’à partir de 1920, l’euphorie post-conflit disparaît laissant place à
« une « appropriation » nouvelle et cette fois définitive [car, on l’a vu] c’est cette année là
que se produisit le double événement de la canonisation et de l’instauration d’un jour de
fête nationale en l’honneur de Jeanne d’Arc.169 » Cette appropriation, c’est celle de
l’extrême droite et particulièrement de l’Action française.
168 Ibid. 169 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 250.
54
Fondé en 1898 – au début de l’affaire Dreyfus – par Henri Vaugeois et Maurice
Pujo, ce mouvement politico-idéologique au départ antidreyfusard va évoluer avec Charles
Maurras, journaliste reconnu dont les idées oscillent autour du racisme et de
l’antisémitisme. Celui-ci souhaite alors rétablir une certaine forme de monarchie et prône
le nationalisme intégral. Le « maurrassisme », positiviste, contre-révolutionnaire et
détracteur de la République et de l’individualisme, va s’illustrer dans sa critique de
« pouvoirs occultes » qui empêcheraient le développement du pays. Ces forces occultes, ce
sont les « Quatre Etats confédérés » : le protestantisme, la franc-maçonnerie, les métèques,
et les juifs (c’est ainsi qu’avec l’Action française, l’antisémitisme devient une valeur de
droite). Pour lutter contre les quatre ennemis précités, Maurras propose un éloge de la
monarchie traditionnelle, héréditaire et décentralisée. Le tout sur fond d’un catholicisme
fort comme catalyseur de la société même si Maurras était incroyant. Ce dernier remet
donc en cause la République et à fortiori la démocratie qui en découle depuis 1789.170
Dans le cadre de cette monarchie, l’Action française réserve à Jeanne d’Arc une
place de choix, elle va être la « reine vierge des bons guerriers », l’incarnation du « pays
réel ». Pour Maurras, elle est « l’héroïne [qui] nous a légué une pensée qui nous défend et
qui nous sauve d’autres périls que ne sont point de chez nous : fausses vertus ou faux
progrès, développements artificiels, plan de réformes prétendues, mais incompatibles avec
l’être de la patrie. » Jeanne d’Arc « homme d’Etat supérieur » doté d’une « lumineuse
conscience » a le mérite d’avoir apporté à la nation en péril « l’unité de commandement
politique » c’est à dire la monarchie et son Roi. Maurras l’imagine jouissant « du meilleur
et du plus beau des spectacles accordés à l’ordre terrestre, une nation laborieuse, une armée
bataillante et victorieuse, la paix publique retrouvée et rétablie par un bon conseil et dans
la fleur de la jeunesse, un Roi, un juste Roi, par qui tout devient possible, étant le bon
seigneur habilité au gouvernement d’ici-bas. » Mais plus encore, Jeanne d’Arc « adepte du
nationalisme intégral », « voyait dans la race royale l’instrument nécessaire et unique de
l’unité de la nation » ; c’est l’ « anti-Marianne ». C’est pour cela que pour Maurras, seuls
les royalistes ont la légitimité de lui rendre hommage ; et encore plus parce que les
Républicains ne voient en elle que son échec en insistant sur le fait qu’elle aurait été
abandonnée par Charles VII alors que rien ne prouve cet abandon selon le journaliste. La
Jeanne de Maurras antidémocratique s’oppose donc à celle de Jaurès qui la voyait en
« douce héritière du mouvement brutal des Jacques. »
170 Danielle et André CABANIS, Introduction à l’histoire des idées politiques, op. cit., pp. 149-159.
55
Ces quelques paroles que nous rapporte Philippe Contamine171, montrent bien
comment le leader de l’Action française va mettre en relation la native de Domremy avec
sa propre politique antirépublicaine ; comment, en somme, il va faire d’elle un symbole qui
va définir le mouvement politique, de la même manière que le font les uniformes des
légions « martiales et distinguées172 » de ce dernier. Maurras ira même jusqu’à dire que
« dans tous les développements de sa mission temporelle, Jeanne d’Arc a pratiqué une
politique d’Action française ».173 Ce lien très fort entre Jeanne et le mouvement politique
se retrouve dans plusieurs ouvrages : La politique de Jeanne d’Arc (1929), Méditations sur
la politique de Jeanne d’Arc (1931), Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon (1937), etc.
L’illustration de la « politique de Jeanne d’Arc » dont parle Maurras ne se fait pas
attendre. En 1936, environ 500 volontaires, pour la plupart issus des Camelots du roi – les
militants de l’Action française – et des Croix de feux – ligue constituée d’anciens
combattants nationalistes français – partent en Espagne pour soutenir l'armée nationaliste
du général Francisco Franco sous l'étendard de la « bandera Jeanne d’Arc ».
Pour résumer cette prise de position idéologique, Michel Winock, nous présente
d’ailleurs les quatre « polarités »174 de la Pucelle dans les écrits de l’époque qui la
comparent aux juifs : elle est la « terrienne » qui contraste avec le nomadisme des juifs ;
l’incarnation de « la Patrie » à l’opposé de l’anti-France ; la force de « l’esprit » contre le
matérialisme et le rationalisme des libres penseurs ; et enfin la représentante de la « race
supérieure », la Gauloise, dont nous avons déjà parlé. On comprend alors pourquoi les
discours extrémistes de l’époque associaient le « Vive Jeanne d’Arc » au « A bas les
Juifs ! »
C’est ainsi que durant cette période de l’entre-deux-guerres, le culte de Jeanne par
l’extrême droite va être à son apogée. Même après la condamnation de l’Action française
par le Saint-Siège en 1926 – qui reprochait aux membres du mouvement, dont Maurras qui
verra toute son œuvre mise à l’Index à Rome, de traiter la question de Dieu alors qu’il se
déclaraient incroyants – Jeanne va rester son « bien propre ». Cela va même exacerber 171 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. pp. 421-423. 172 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, op. cit. 173 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, Ibid. 174 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, 1992, op. cit. pp. 710-711.
56
toutes les ligues nationalistes qui se réclament alors de Jeanne d'Arc : le Faisceau, les
Jeunesses patriotes, les Croix de Feu, la Solidarité nationale... « Pas une formation de la
droite dite nationale qui ne brandisse sa bannière 175 » dira Michel Winock. Depuis cette
époque, les héritiers de Charles Maurras la célèbrent annuellement, au mois de mai, place
des pyramides.176
Pour Gerd Krumeich, « les positions établies depuis la fin du XIXè siècle ne
[subiront] plus de changement fondamental : le Johanna nostra est de la droite et de
l’Eglise catholique ne [rencontrera] plus guère de résistance de la part des gauches dont
l’intérêt ne continuait à se manifester que sous la forme d’un vague souvenir collectif.
[…]177 » Il est vrai que face à l’Action française, seuls les communistes – au moment où
gouvernait le Front populaire (1936-1938) – vont se réclamer de Jeanne d’Arc avec l’appui
de l'Humanité qui disait : « Jeanne avec nous, Jeanne fille du peuple qui a été vendue par
son Roi et qui a été brulée par ses prêtres.178 »
Pour finir, il est possible d’étudier brièvement le pétainisme. Héritage de ce
nationalisme, celui-ci va chercher à s’emparer de l’héroïne. De nombreuses valeurs
rattachées par la droite à cette dernière faisaient écho à celles prônées par le régime Vichy
et par l’Eglise catholique qui allaient « main dans la main ». Un parallèle est facilement
identifiable entre la Bataille de France en 1940 et les batailles de Crécy (1346), Poitier
(1356) et Azincourt (1415) qui, toutes, ont conduit à la défaite des forces françaises et à
l’annexion du territoire par l’ennemi. L’ennemi n’est plus anglais mais il n’en reste pas
moins ennemi.
Le Maréchal Pétain aurait pu sauter sur l’occasion et utiliser la mémoire de Jeanne
d’Arc dans ce sens mais il semble qu’il a préféré l’insérer dans le moule de son idéologie.
En effet, tout en reprenant le mythe des origines paysannes d’une Jeanne sédentaire et
attachée à sa terre, il va glorifier son « sacrifice » pour la France et va louer son courage et
son dévouement. Il va d’ailleurs établir un parallèle entre le sacrifice de la Pucelle et sa
propre action pour la France qui conduisit à l’armistice du 22 juin 1940 : « n’a t-il pas fait
comme elle « le don de sa personne à la France » ? 179 »
175 Michel WINOCK « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, op. cit. 176 Cf. annexe n°6 : affiche du « week-end de Jeanne d’Arc » les 11 et 12 mai 2013. 177 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 245. 178 Henri GUILLEMIN, L’énigme Jeanne d’Arc, Ibid. 179 Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 463.
57
Toutefois, nos yeux de contemporains voient ici un paradoxe : comment peut-on à
la fois se revendiquer de Jeanne d’Arc et être celui que Maurras comparait au nouveau
Charles VII, un Roi de Vichy, qui a collaboré avec les Allemands ? L’ancien Premier
ministre Edouard Balladur partage ce point de vue dans l’avant propos de son
ouvrage180 sur la Pucelle d’Orléans :
« Pétain prit la barre ; c'était, nous disait-on, un homme providentiel, il avait vingt
ans plus tôt, gagné la bataille de Verdun et sauvé l'armée française de la dislocation.
A nouveau, on se tournait vers lui, les Allemands le respectaient, il allait protéger le
peuple, sauvegarder l'essentiel. On mit à l'honneur Jeanne d'Arc, sans éprouver
aucune gène ni remords on la fêta sous les yeux de l'occupant allemand, elle qui
avait lutté contre l'occupant anglais. Dans ma puérile naïveté j'en fus surpris.
Pouvait-on à la fois invoquer Jeanne et collaborer avec les Allemands ? Il me
semblait que non. »
Il n’en demeure pas moins que c’est ce fit que le maréchal Pétain ; mais pour quel
résultat ? Car De Gaulle181 et les résistants eux aussi se réclamaient de Jeanne d’Arc à la
même époque. Gerd Krumeich, qui pointe du doigt le manque de sources disponibles sur le
sujet, répond de cette manière :
« Les sources exploitées jusqu’ici laissent à penser que les tentatives du régime de
Vichy pour s’emparer de l’héroïne nationale à des fins de propagande échouèrent
pour la même raison que toutes les autres velléités historiques d’utiliser Jeanne
d’Arc pour légitimer des intérêts de partis et des idéologies politiques. […] Le culte
de Jeanne pendant le régime de Vichy apparaît comme une confirmation de l’idée
que [ce dernier] n’est pas parvenu de manière significative à transformer le
personnage traditionnel et toujours fondamentalement ambivalent de la Pucelle en
instrument d’une cohérence idéologique. Cela d’autant moins que Jeanne d’Arc
était depuis 1920 une sainte et avait été par la même […] placée dans un cadre
référentiel clairement traditionnaliste dans lequel elle est restée – et ce jusqu’à nos
180 Edouard BALLADUR, Jeanne d'Arc et la France, le mythe du sauveur, Paris : éd. Fayard, 2003. 181 Le président Roosevelt aura d’ailleurs cette phrase le concernant : « Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d'Arc et Napoléon? » in Xavier HELARY, « Jeanne d’Arc après Jeanne d’Arc, de la Révolution à nos jours » in Philippe CONTAMINE (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, op. cit, p. 464.
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jours. […] L’épisode du Régime de Vichy constitue donc une nouvelle illustration
de l’élément fondamental de l’histoire du culte de Jeanne d’Arc : il est impossible
d’utiliser Jeanne comme modèle pour de quelconques innovations politiques. Elle
n’a jamais cessé d’être dans la mémoire collective la « Sainte de la défense
nationale » qu’elle peut encore redevenir du jour au lendemain.182 »
Ces trois mots – sainte, défense, nationale – expriment parfaitement le triple
attachement idéologique qu’a expérimenté la mémoire de Jeanne jusqu’à nos jours : la
« fille de Dieu » pour les catholiques, la « protectrice du territoire » pour les nationalistes,
et la « fille de la nation » pour les partis de gauche. C’est cette triple voix qui, parfois,
permit de rassembler le peuple autour de la Pucelle, mais qui, souvent, fragmenta ce
dernier depuis la redécouverte de l’héroïne au XIXème siècle.
182 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. pp. 257-263.
59
Conclusion
« L’histoire de Jeanne d’Arc a toujours eu ceci de particulier : celui qui s’y plonge
réellement est tellement pris sous son charme qu’elle devient pour lui sa propre vérité,
indépendamment des buts précis visés par sa recherche et des applications concrètes
qu’elle permet.183 » Tel est le sentiment qui domine en arrivant au bout de ce travail. Après
toutes ces recherches, il est certain que le chercheur ne peut rester insensible à la vie d’une
héroïne dont l’histoire a hanté plusieurs siècles.
Tantôt Républicaine, tantôt Catholique, tantôt Royaliste voire Nationaliste, Jeanne
d’Arc représente la France. La France dans sa diversité de croyances et d’idéologies. Elle a
accompagné des générations d’hommes politiques, d’historiens, de littérateurs, qui tous,
ont, à un moment ou à un autre, voulu se l’accaparer dans leurs discours ou leurs ouvrages,
car elle est universelle – c’est d’ailleurs pour cela que même les Etats-Unis l’utiliseront en
1918 pour demander, à la population, un soutien financier.
Il n’en demeure pas moins qu’elle reste un mystère et que de nombreuses questions
subsistent. Sur la réalité de sa vie au XVè siècle tout d’abord, mais aussi et surtout sur les
utilisations politiques de sa mémoire qui ont suivies. Il pourrait être intéressant, par
exemple, de se pencher sur la relation entre la mémoire de Jeanne d’Arc et les Juifs, ou
d’essayer de comprendre pourquoi le Front National continue de nos jours à revendiquer
cette dernière. Ainsi, de nombreuses pistes restent encore à explorer.
Toutefois, dans le cadre de ce mémoire, nous souhaitions étudier, dans leur
contexte, les principales récupérations politiques – qu’elles furent annexions ou simples
utilisations – sur une période d’environ un siècle allant de Michelet à Pétain. Pour cela, la
méthode qui a été utilisée est celle de l’analyse de contenus : après avoir récolté un nombre
important d’informations dans des ouvrages traitant du sujet, et dans d’autres plus
théoriques et généraux, nous les avons mises en relation pour essayer de comprendre et de
décrire le cheminement des récupérations politiques de Jeanne d’Arc en remettant ces
dernières dans leur contexte historico-politique. Plus qu’apporter des connaissances
réellement nouvelles sur le sujet, la démarche suivie permet de faire un bilan des savoirs en
notre possession, en s’appuyant sur une multitude de sources disponibles.
Plusieurs lacunes sont quand même à noter ; imputables principalement au manque
183 Jules MICHELET, Histoire de France, Tome cinquième, Livres X à XII (La Pucelle – Charles VII), op. cit., p. IV. (Présentation). Paule Petitier cite Gerd Krumeich.
60
de temps. Tout d’abord, toutes les sources disponibles concernant le sujet n’ont pu être
consultées et a fortiori étudiées. De même, la description est parfois trop présente ; il aurait
peut être fallu pénétrer de manière plus efficace le cœur de l’élément étudié : c’est le cas,
par exemple, pour le pétainisme, même si les recherches sur le sujet sont encore lacunaires.
Enfin, nombre de récupérations politiques n’ont pu être traitées – comme le scandale du
Panama ou l’image que les manuels de l’école républicaine de Ferry et Lavisse donnaient
d’elle – dans le but d’exposer un éventail concret des principales.
Néanmoins, notre souhait était surtout de faire toucher du doigt la convoitise que
certains grands personnages historiques peuvent susciter. Jeanne, cette fille du peuple – car
elle l’était – fait partie de ces personnages. Elle a, tout comme Napoléon Bonaparte par
exemple, navigué entre différentes idéologies, différents partis et ne s’est véritablement
fixée qu’à la fin de la période que nous avions délimitée. Ce « voyage » politique
déconstruit donc le mythe selon lequel Jeanne d’Arc serait née pour être nationaliste ; si
tant d’hommes s’en sont réclamés, c’est bien qu’ils trouvaient en elle des caractères
communs à l’idée qu’ils se faisaient de la politique et des objectifs poursuivis par cette
dernière. A la fin du XIXè siècle, alors que Catholiques et Républicains s’affrontaient
violemment à son sujet et que chacun la tirait vers soi, elle était en fait les « deux France »,
elle divisait mais unifiait. A titre d’exemple, lorsque l’athée Alain écrivait qu’il était
« important que Jeanne d’Arc nous divise184 », le catholique Aynard disait lui que « Jeanne
est à nous tous [et que] son nom et sa mémoire portent en eux une puissance apaisante et
conciliante.185 »
La vie politique française s’est en partie construite autour de la mémoire de la
Pucelle. C’est en effet, cette mémoire qui a vu les plus grands affrontements politico-
idéologiques des siècles derniers : les révolutions de 1830 et 1848, les Empires, la guerre
franco-prussienne, l’affaire Dreyfus, les deux guerres mondiales, l’occupation… C’est
encore elle dont se sont réclamés les plus grands hommes de la période étudiée : les
Michelet, Quicherat, Jaurès, Maurras, Barrès, Péguy, Larousse, Hugo, Ferry… C’est elle
enfin qui continue, plus d’un demi millénaire après sa mort, d’alimenter les mythes les plus
fous que ce soit chez les historiens ou les hommes politiques. Voilà pourquoi il est
passionnant pour un étudiant-chercheur d’étudier un tel personnage qui traverse les siècles.
184 Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit. p. 244. 185 Philippe CONTAMINE, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, op. cit. p. 426.
61
Ces recherches nous auront finalement montré que Jeanne d’Arc est la France tout
comme la France est Jeanne d’Arc ; que les deux sont irrémédiablement mêlées. La phrase
suivante conclue l’article de Michel Winock auquel nous avons fait référence à plusieurs
reprises ; elle conclura aussi notre travail :
« Pour parodier Aragon, on pourrait dire : la France c’est la Jeanne de
Michelet et la Jeanne de Claudel ; c’est la Jeanne du premier et la Jeanne du second
Péguy ; c’est la Jeanne d’Arc de Barrès et la Jeanne d’Arc de Jaurès. C’est la
double filiation, tantôt divergente, tantôt convergente, c’est la bonne Loraine, une et
indivisible .186 »
186 Michel WINOCK, « Jeanne d’Arc » in Pierre NORA (dir), Les lieux de mémoire, III, vol. 3, 1992, op. cit. p. 730.
62
Annexes
« Roy d'Angleterre, et vous, duc de Bedfort, qui vous dictes régent le royaume de
France ; vous Guillaume de la Poule, conte de Sulfork ; Jehan, sire de Talebot; et vous,
Thomas, sire d'Escales, qui vous dictes lieutenant dudit duc de Bedfort, faictes raison au
roy du ciel ; rendez à la Pucelle qui est cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, les clefs de
toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est ci venue de par
Dieu pour réclamer le sanc royal. Elle est toute preste de faire paix, se vous lui voulez faire
raison, par ainsi que France vous mectrés jus, et paierez ce que vous l'avez tenu. Et entre
vous, archiers, compaignons de guerre, gentilz et autres qui estes devant la ville d'Orléans,
alez vous ent en vostre païs, de par Dieu ; et ainsi ne le faictes, attendez les nouvelles de la
Pucelle qui ira vous voir briefement à vos bien grand domaiges. Roy d'Angleterre, se ainsi
ne le faictes, je suis chief de guerre, et en quelque lieu que je actaindray vos gens en
France, je les en ferai aler, veuillent on non veuillent, et si ne vuellent obéir, je les ferai
tous occire. Je suis cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, corps pour corps, pour vous
bouter hors de toute France. Et si vuellent obéir, je les prandray à mercy. Et n'aiez point en
vostre oppinion, quar vous ne tendrez point le royaume de France, Dieu, le Roy du ciel,
filz sainte Marie ; ainz le tendra le roy Charles, vrai héritier ; car Dieu le Roy du ciel, le
veult, et lui est révélé par la Pucelle, lequel entrera à Paris à bonne compagnie. Se ne
voulez croire les nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons,
nous ferrons dedens et y ferons ung si grant hahay, que encore a-il mil ans, que en France
ne fu si grant, se vous ne faictes raison. Et croyez fermement que le Roy du ciel envoiera
plus de force à la Pucelle, que vous ne lui sariez mener de tous assaulx, à elle et à ses
bonnes gens d'armes; et aux horions verra-on qui ara meilleur droit de Dieu du ciel. Vous,
duc de Bedfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faictes mie détruire.
Si vous lui faictes raison, encore pourrez venir en sa compaignie, l'où que les Franchois
feront le plus bel fait que oncques fut fait pour la chrestienté. Et faictes response se vous
voulez faire paix en la cité d'Orléans; et se ainsi ne le faictes, de vos bien grans dommages
vous souviengne briefment.
Escript ce mardi sepmaine saincte. »
Annexe n°1 : Lettre de Jeanne d’Arc au Duc de Bedfort.
Source : http://www.stejeannedarc.net/condamnation/lettre_seanc_public5_3.php
63
Annexe n°2 : Sous l’occupation, affiche illustrée de propagande anti-britannique représentant Jeanne
d'Arc, les mains dans les fers, au dessus d'une ville en flammes.
Source : http://chan.archivesnationales.culture.gouv.fr/sdx-23b1-20090531-chan-pleade-2/pl/toc.xsp?id=FRDAFANCH0098_72AJ_2_d0e10148&qid=sdx_q0&fmt=tab&idtoc=FRDAFANCH0098_
72AJ_2-pleadetoc&base=fa&n=1&ss=true&as=true&ai=standard%7C
64
Annexe n°3 : Jeanne d'Arc conduit les troupes française : " En route vers la victoire"
Source :http://bibliotheque.rouen.fr/repons/portal/bookmark?GlobalTreeNode=DiscoverPedagogique-Contenu&MainTab=CMSDoc&CMSDocTab=ShowChannelDoc&ShowDocType=virtual-
dossiers&ShowDocChannel=propagande/heroisme&
65
Annexe n°4 : Loi instituant la fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme.
Source :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k220899v/f676.pleinepage.r=Bulletin%20des%20lois%20de%20la%20République%20française.langFR
66
« L’idée de la béatification de Jeanne d’Arc n’est pas nouvelle : elle s’est produite
déjà sous une foule d’écrits, et les Evêques réunis à Orléans à l’occasion de ces dernières
fêtes ont en tous été frappés.
J’ose dire, très Saint Père, que rien ne sera plus populaire en France et partout, en
même temps que cet acte paraitrait très opportun dans les circonstances présentes, très
honorable au Saint-Siège et à l’Eglise.
Si le Saint-Siège […] venait à le reconnaître à son tour, il y aurait là une
proclamation éclatante de cette vérité, aujourd’hui si méconnue et si nécessaire à rapporter,
que les vertus chrétiennes peuvent s’allier admirablement avec les vertus civiques et
patriotiques : ce serait une réponse indirecte, mais puissante, aux accusations que les
ennemis de l’Eglise prétendent des justes condamnations portées par le Saint-Siège contre
les erreurs contemporaines. Bien des gens que le malheur des temps a éloignés de l’Eglise
serait forcés de reconnaître la sainteté chrétienne dans les vertus qu’ils admirent ; et enfin,
très Saint Père, la popularité du Saint-Siège en France, et dans le monde, en grandirait
certainement. »
Annexe n°5 : Retranscription de la Lettre de Mgr Dupanloup au Pape Pie IX, du 8 mai 1869.
Source : Gerd KRUMEICH, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, op. cit., pp. 175-176.
67
Annexe n°6 : Affiche de l’Action française pour le cortège de Jeanne d’Arc.
Source : http://www.actionfrancaise.net/craf/?Paris-Week-end-de-Jeanne-d-Arc-le
68
Bibliographie
Le classement des sources est effectué par thème et par ordre alphabétique ; mais
également par type : ouvrages et articles, travaux universitaires, articles scientifiques, etc.
I. Eléments bibliographiques généraux et sur les idées politiques et la vie politique :
- CABANIS Danielle et André, Introduction à l’histoire des idées politiques, Paris : éd.
Publisud, col. Manuels 2000, 1989.
- GIRARDET Raoul, Le nationalisme français : anthologie, 1871-1914 - textes choisis et
présenté, Paris : éd. du Seuil, col. Point histoire ; 1983.
- GIRARDET Raoul, Mythes et mythologies politiques, Paris : éd. du Seuil, col. Points,
1990.
- JAURES Jean, L'organisation socialiste de la France : l'armée nouvelle, Paris, 1915. Le
site internet http://gallica.bnf.fr propose cette réédition réalisée par L’Humanité.
- MENNECHET Edouard, Le Plutarque français, vie des hommes et des femmes illustres
de la France, avec leur portrait en pied, Tome Deuxième, Paris : éd. Mennechet, 1838.
(Googlebooks).
- THIBAUDEAU Antoine-Clair, Le Consulat et l'Empire ou histoire de la France et de
Napoléon Bonaparte 1799 à 1815, Consulat – Tome 3, Paris : éd. Renouard, 1834, p. 394
(googlebooks).
- VAN CAMPENHOUDT Luc, QUIVY Raymond, Manuel de recherche en sciences
sociales, Paris : éd. Dunod, 2011.
- WINOCK Michel, Les nationalismes français, Working Paper n°97, Institut d’Etudes
Politiques de Paris, 1997.
- WINOCK Michel, La France politique : XIXè - XXè siècle, Paris : éd. du Seuil, col.
Point histoire, 2003.
69
II. Eléments bibliographiques sur Jeanne d’Arc et ses mythes :
A. Ouvrages et articles :
- BALLADUR Edouard, Jeanne d'Arc et la France, le mythe du sauveur, Paris : éd. Fayard,
2003.
- BEAUNE Colette, Jeanne d’Arc, vérités et légendes, Paris : éd. Perrin, 2004.
- CONTAMINE Philippe, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites » in Jean-François
SIRINELLI (dir), Histoire des droites en France, Culture – Tome 2, Paris : éd. Gallimard,
1992.
- CONTAMINE Philippe (dir.), Jeanne d'Arc : Histoire et dictionnaire, Paris : éd. Robert
Lafon, col. Bouquin, 2012.
- COPPÉE François, « Le Canon », Le Cahier rouge, 1878.
- DEROULEDE Paul, Chants du Soldat, Paris : éd. Calmant Lévy, 1883 (Googlebooks).
- Mgr DEBOUT Henri, Jeanne d'Arc, grande histoire illustrée, vol. II, 4° ed. 1922. Le site
internet http://www.stejeannedarc.net retranscrit le texte intégral des pages 680 à 734 dans
son dossier « Le processus de canonisation de Jeanne d'Arc ».
- GÖRRES Guido, La pucelle d’Orléans d’après les actes des procès et les chroniques
contemporaines, Société des bons livres de Ratisbonne, 1843. (Googlebooks).
- GUILLEMIN Henry – Jeanne, dite Jeanne d’Arc – éd. Utovie, 2005.
- HENRI Martin, Jeanne d’Arc, éd. Furne et cie, 1857. (Googlebooks).
- KRUMEICH Gerd, Jeanne d’Arc à travers l’Histoire, Paris : éd. Albin Michel, col.
Bibliothèque Albin Michel Histoire, 1993.
- KRUMEICH Gerd, Jeanne d’Arc en vérité, Paris : éd. Tallandier, col. Biographie, 2012.
- MAROT Pierre, « De la réhabilitation à la glorification de Jeanne d’Arc : essai sur le
culte de l’héroïne en France pendant cinq siècle » in Mémorial du Vè centenaire de la
réhabilitation de Jeanne d’Arc, 1456-1956, Paris : éd. Foret, 1958.
70
- MICHELET Jules, Histoire de France, Le Moyen âge, Tome cinquième, Livres X à XII
(Charles VII – La Pucelle), éd. des Equateurs, 2009 (1841).
- PEGUY Charles, Jeanne d'Arc, Paris : éd. Librairie de la Revue socialiste, 1897.
- PERNOUD Régine, Jeanne d’Arc, Paris : éd. Presses universitaires de France, col. Que
sais-je ? , 1981, 128 pages.
- QUICHERAT, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc dite la
Pucelle publiés pour la première fois d’après les manuscrits de la Bibliothèque royale,
suivis de tous les documents historiques qu’on a pu réunir et accompagnés de notes et
d’éclaircissements, 1841-1849. (Googlebooks).
- QUICHERAT Jules, Aperçus nouveaux sur l’histoire de Jeanne d’Arc, éd. Procès de la
Pucelle, 1850. (Googlebooks).
- WALLON Henri, Jeanne d’Arc, Paris, 1860. (Googlebooks).
- WINOCK Michel, « Jeanne d'Arc » in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Tome III
Les France, de l'archive à l'emblème, Paris éd. Gallimard, col. Bibliothèque illustrée des
histoires, 1992. Ainsi que la réédition de 1997 chez Gallimard, collection Quarto.
B. Travaux universitaires :
- ALABSI Dalia, La naissance d’un mythe : Jeanne d’Arc dans l’œuvre de Charles Peguy,
Thèse de Doctorat en Lettres et arts, sous la direction de Michel SCHMITT, Université
Lyon 2, 29 avril 2011.
- EL HADI , Le personnage de Jeanne d'Arc dans les manuels scolaires depuis 1880,
Mémoire de Master 2 SMEEF spé. Professorat des écoles, sous la direction de Jean
François GREVET, IUFM de Lille, 2011-2012.
C. Articles scientifiques :
- ALBERT Jean-Pierre, « Saintes et héroïnes de France », Terrain, n°30, 1998, p. 113-124.
71
- KRUMEICH Gerd, « Joan of Arc, between right and left » in Nationhood and
nationalism in France: from Boulangism to the Great War 1889-1918, éd. Harper-Collins,
1991.
- SANSON Rosemonde, « La fête de Jeanne d’Arc en 1984. Controverse et célébration »
in Revue d’histoire moderne et contemporaine, Tome 20, N°3, 1973.
- SNITER Christel, « La guerre des statues. La statuaire publique, un enjeu de violence
symbolique : l'exemple des statues de Jeanne d'Arc à Paris entre 1870 et 1914 », Sociétés
& Représentations, n°11, 2001. Article issu de son mémoire de DEA de Sociologie
politique (Paris I) sous la direction de Philippe Braud.
- WINOCK Michel, « Jeanne d'Arc est-elle d'extrême droite ? », L'Histoire, n°210, mai
1997.
D. Médias :
- GUILLEMIN Henri, L’énigme Jeanne d’Arc, en treize conférences sur Radio Télévision
Suisse, mai - août 1970.
- CONTAMINE Philippe in « Jeanne d’Arc a t’elle été trahie par le roi ? », Secrets
d’Histoire, France 2, 2007.
E. Divers :
- CORBIÈRE Alexis, Jeanne d’Arc, un mythe disputé depuis plusieurs siècles,
Lepartidegauche.fr, 06 janvier 2012.
- CLUZEL Jean, Wallon, Jeanne d’Arc et la République, 2004. Retranscription de
l’intervention de Jean Cluzel en hommage à Alexandre-Henri Wallon à l’Institut de France
le 11 octobre 2004. Cf. http://www.asmp.fr
- Mgr DELASSUS Henry, La mission posthume de sainte Jeanne d'Arc et le règne social
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 1913. (http://www.catholicapedia.net)
72
- LAFONT Jeanne – Jeanne d’Arc une héroïne universelle - Hérodote.net.
- LARANÉ André – À qui appartient la Pucelle? - Hérodote.net.
- Jeanne d’Arc, une passion française – L’Histoire, numéro spécial (n°210), mai 1997.
- Rencontre avec Philippe Contamine – Histoire pour tous, 20 février 2012 ; (compte-
rendu du café histoire de l’association Thucydide: 1429, Jeanne d’Arc et Charles VII -
Conquête des cœurs, conquête du pouvoir).
- Article « Jeanne d’Arc, héroïne nationale » sur le site internet de la Bibliothèque
nationale de France: http://classes.bnf.fr/heros/arret/03_2_1.htm
- Dictionnaire Larousse : http://www.larousse.fr
- http://www.stejeannedarc.net
- Wikipédia : Les mythes de Jeanne d’Arc ; Jeanne d’Arc.