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L E T T R E
A UN DÉPUTÉ ou
E X A M E N D U P R O J E T D E L O I
DE DOUANE
P R É S E N T É A L A C H A M B R E D E S D E P U T E S
L E 21 D É C E M B R E 1832.
Par le Baron de Cools.
« Si le go u v e r n e m e n t s'est t r o m p é , tous les intérêts qui se croi-
» ront lésés pourront réclamer : ils auront des organes dans les
» C h a m b r e s , ils en auront dans la presse. »
( Paroles de M. te comte d'Argout, ministre du commerce,
dans ta séance du 8 décembre 1832. )
P A R I S ,
I M P R I M E R I E D E G U I R A U D E T .
R U E S A I N T - H O N O R É , № 315.
1835.
L E T T R E
A UN DÉPUTÉ.
MONSIEUR,
Vous vouliez bien m'inviter, il y a quelque
temps, à réunir dans un cadre aussi resserré que-
possible les renseignemens que mes études spé
ciales m'avaient mis à même de recueillir sur les
diverses branches de la question coloniale, même
avant l'époque où ce genre de recherches est de
venu un devoir rigoureux pour moi ; mais je pense
qu'en fait de question coloniale nous pourrions
difficilement aujourd'hui, vous et moi, Monsieur,
faire rien de plus instructif et de plus opportun que
de nous livrer à l'examen du dernier projet de loi
présenté par M. le comte d'Argout, clans la séance
du 21 décembre, puisque, dans cette conception
fiscale, il y va tout à la fois du sort de la branche
la plus importante de l'agriculture, et par consé
quent de la richesse coloniale, de l'extension ou
du resserrement d'une industrie (la raffinerie)
bien digne d'intérêt, car, sans parler de ce qu'elle
fournit au mouvement de notre navigation, elle
alimente encore, selon M. le ministre, quatre
mille travailleurs; enfin, puisqu'il y va pour
le consommateur, autrement dit contribuable mé
tropolitain , de la faculté d'étendre ou de resserrer
ses jouissances en raison de l'élévation ou de l'a
baissement de prix d'une denrée dort l'usage très
salutaire a presque passé dans les besoins.
Si vous le permettez donc, Monsieur, ce sera
sans autre préambule que j'entrerai en matière.
«Les évènemens de 185o, vous a dit le ministre ( 1 ) ,
«ont produit dans les colonies une secousse dont
«elles sont loin d'être remises: les esprits se sont
«alarmés, les affaires se sont dérangées, les arri
vages ayant cessé d'être continus, les choses les
» plus nécessaires à la culture et à la fabrication du
» sucre sont devenues rares et excessivement chè-
» res, et cela dans un moment où les prix de vente
« se détérioraient de la manière la plus désastreuse.
«Le mal s'est accru par l'ébranlement du crédit
» des colons ; leurs traites n'ont pas été acceptées
«dans les ports de France, et sont revenues à pro-
» têt avec des comptes de retour qui constituaient
«une perte de 3o pour cent. »
(1) Tout ce qui est entre guillemets ou en caractères ita
liques n'est qu'une reproduction des propres expressions de
l'Exposé des motifs ou des discours de quelques députes.
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Ce tableau, malheureusement trop exact, fut
vrai, non seulement pour 183o, mais encore pour
1851 ; et au commencement de 1832, M. le ministre
avoue qu'on était encore fondé à lui représenter
que « les sucres français étaient retombés dans nos
» ports aux prix qui avaient rendu nécessaires les
» dispositions de la loi du 27 juillet 1822.»
A cette époque, avoue encore le ministre, les
sucres français ne se vendaient, à l'entrepôt du
Havre, que 38 à 40 fr, les 5o kil., et après l'acquit
tement du droit de 24 fr. 75 c., ils dépassaient à
peine le prix de 65 fr.
«A ce taux, dit le ministre, les colonies étaient
» évidemment en perte. »
Ce qu'il faut ajouter à ces aveux, parce que les
états officiels du commerce pour 1831 distribués
aux Chambres en font foi, c'est que cette situation
désastreuse a pesé pendant plus de deux années
sur tous nos établissemens d'outre-mer ; que non
seulement elle y a arrêté la marche progressive de
l'industrie et de la richesse, mais qu'elle y a re
tardé et rendu plus difficile leur libération vis-à-
vis les ports de la métropole à l'égard desquels nos
colonies se trouvent engagées par des obligations
plus ou moins anciennes contractées sur la foi
d'une législation dont on ne devait pas s'attendre
à voir accroître les rigueurs.
Ce qu'il faut ajouter encore, c'est que si cet
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état de choses intolérable a récemment fait place à
une situation en apparence meilleure, c'est unique
ment parce que, non seulement dans nos colonies,
mais encore dans tous les autres pays à sucre,
les sécheresses , les ouragans , les troubles, les insur
rections , ont contribué à réduire la production or-
dinaire.
Or, c o m m e cette réduction ne peut être calculée
à beaucoup moins du quart pour la récolte qui
s'est achevée en 1832, ce triste incident suffirait
seul pour expliquer la faveur momentanée des
sucres français dans nos colonies et sur nos places
d'Europe.
Ce qu'il faut dire surtout, si l'on tient à présen
ter une situation vraie de la question, c'est que
cette faveur est due, c o m m e le reconnaît leminis-
tre, à des causes fortuites (accidentelles et passagè
res eût été le mot propre), ne pourra pas, m ê m e
dans l'absence de nouvelles charges fiscales, ne
pourra pas, dis-je, durer le temps nécessaire
pour cicatriser les plaies profondes qu'elle en
dort à peine en ce m o m e n t ; ce qu'il faut dire
enfin, c'est qu'il est inouï qu'on argue d'une cir
constance accidentelle et passagère pour conclure
à une innovation législative qu'on veut rendre du
rable, surtout lorsqu'on doit être convaincu que
cette élévation momentanée des prix disparaîtra
aussitôt que les premiers arrivages de la nouvelle
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récolte auront encore une fois encombré des mar
chés dont l'approvisionnement, selon M. le minis
tre, dépasse habituellement les besoins de la con
sommation de trente à quarante millions de kilo
grammes.
Je dis selon M. le ministre, car je ne vois pas
de raison pour donner crédit à une assertion qu'au
cun des documens officiels publiés par l'adminis
tration ne justifie.
Après un pareil exposé dont les données sont
toutes ministérielles, croyez-vous, Monsieur, que
le moment soit heureusement choisi pour grever
l'agriculture et l'industrie coloniale d'un nouvel
impôt, et que l'administration ait beaucoup de
droits au témoignage qu'elle se rend elle-même,
d'avoir usé à l'égard des colonies de tous les mèna-
gemens, de toutes les précautions que la prudence
pouvait exiger, et que commandaient la politique, la
justice et l'humanité ?
Que si nos colonies ont été assez heureuses pour
se préserver de ces insurrections déplorables dont
la Jamaïque portera long-temps la trace doulou
reuse et sanglante ; de ce fait qui ne sera pas pour
vous, Monsieur, sans une grande puissance mo
rale, M. le ministre aurait dû au moins rendre
hommage à la sagesse des colons, car c'est à eux
que le mérite en appartient tout entier. En tout
état de cause c'était un triste argument à faire va-
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loir, pour la création d'un nouvel impôt que cette
heureuse absence de désordre ; encore moins fal
lait-il le vicier, cet argument, en dénaturant les
faits sur lesquels il repose.
« L'agitation a cessé, dit l'Exposé des motifs,
» l'ordre s'est partout rétabli. » Il m'en coûte de ne
pouvoir accepter cette assertion sous la forme sous
laquelle elle est présentée ; mais ici il s'agit d'un
devoir envers mes commettans avec lequel je ne
songerai jamais à transiger.
Non, Monsieur, il n'y a point eu en 1832 d'ordre
à rétablir dans nos colonies, parce qu'il n'y a point
eu absence d'ordre dans ce pays depuis 183o.
Quant aux causes d'agitation ou de fermentation
sourde que quelques symptômes ont pu révéler,
le gouvernement aurait mauvaise grâce à en parler
autrement que pour entretenir les chambres des
instances et des supplications qui lui ont été adres
sées par les colonies et les délégués qui leur ser
vent d'organe, à l'effet de voir le terme de ce pro
visoire dangereux qui pèse sur ces établissemens.
Car il faut que vous et vos collègues le sachent
bien, Monsieur, il n'a pas tenu aux délégués co
loniaux de voir proclamer pour les pays qu'ils re
présentent l'installation d'un ordre politique en
harmonie avec celui qui régit la métropole, ce qu'il
eût été si facile d'obtenir d'un simple rappel lé
gal des décrets de la Constituante sur une ma-
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tière que, depuis elle, aucun gouvernement n'a
aussi sainement jugée.
Mais le temps ou les loisirs ministériels qui man
quent à la consécration des garanties politiques
ne manquent jamais aux propositions fiscales au
moyen desquelles on se flatte d'enfler les recettes
du trésor.
Ici, pour être vrai, Monsieur, j'ai besoin de vous
dire que les reproches que, comme délégué colo
nial, j'ai le droit d'adresser à l'administration mé
tropolitaine en masse n'ont rien qui soit applica
ble à M. le ministre de la marine, qui connaît trop
bien les besoins et les droits des établissemens dont
la garde et la protection lui sont confiées pour
s'être épargné dans la défense de leurs intérêts
matériels ou politiques. Mais, vous le savez,Mon
sieur, un tour favorable de présentation fait pour
un projet de loi la fortune d'une délibération lé
gislative. S'il n'avait dépendu que du ministre de
la marine de nous assurer ces avantages, nous ai
mons à penser que la loi organique si récemment
présentée à la Chambre des pairs, et qu'attendent
avec tant d'impatience nos colonies, eût été dès la
dernière session soumise à la délibération assez à
temps pour qu'aujourd'hui les colonies en éprou
vassent déjà l'utile bienfait.
Mais revenons à la conception fiscale.
Après l'appréciation que je crois avoir faite avec
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justice du concours de circonstances dans lequel,
ou plutôt malgré lequel on en propose l'essai,
pourquoi dois je encore chicaner l'administration
sur sa théorie générale en matière de taxes? Cepen
dant , c o m m e il y va tout à la fois de l'intérêt du
producteur et de celui du consommateur, espèces
qui toutes deux appartiennent au genre contribua
ble, il m'est impossible de laisser passer sans au
cune observation des doctrines qui, par l'adoption
qu'en a fait le ministre, lui sont devenues chose
propre et personnelle.
« L'impôt, dit M. le ministre du commerce, est
» devenu plus fort que la valeur de la denrée sur laquelle
» il était perçu... Mais qu'importe au consommateur
» la proportion plus ou moins forte de l'impôt com
parativement à la valeur de la chose? Le prix de
» vente est ce qui le touche; il s'inquiète peu des élé-
» mens divers dont ce prix se compose, et pourvu
» qu'en définitive il achète à meilleur marché , il est
» satisfait. »
Théorie admirable , d'où il résulte que la quotité
de l'impôt n'entre pour rien dans les élémens du
prix de vente, et que du moment où le fisc se con
tente de faire par ses prélèvemens une compensa
tion absolue avec rabaissement successif du prix
vénal de la denrée , le consommateur doit être par
faitement satisfait ! C'est en raisonnant de cette m a
nière qu'on est arrivé en Angleterre à ce que, selon
11
la judicieuse observation du ministre, le travail
multiple, qui en définitive enrichit l'Angleterre,
nourrit ci peine ses ouvriers. En suivant celte voie,
nous ne tarderions pas non plus à voir la situation
des classes inférieures en France perdre les avan
tages relatifs dont M. le ministre proclame qu'elle
est en possession, si on la compare à la situation
des m ê m e s classes dans un pays voisin : car c'est
avec cette théorie des impôts élevés que nos voi
sins sont arrivés à ce que toutes les choses nécessaires
à la vie étant chez eux plus cher que chez nous, il
est peu de salaires qui suffisent aux besoins de ceux
qui les reçoivent.
J'aime à penser que M. le comte d'Argout n'a
pas du premier coup d'oeil saisi toutes les consé
quences de cette doctrine, car dans ce cas il en eût
certes également repoussé les principes et l'appli
cation ; ce qui ne m'empêchera pas d'ailleurs de
rendre justice à la subtilité d'esprit qui a présidé à
la rédaction de l'Exposé des motifs : car dans le
m ê m e discours s'il s'agit de se concilier le suffrage
de ce bon contribuable qui en Europe paie les
budgets et vote les lois:
«Depuis 1816 jusqu'à aujourd'hui, fait dire le
Moniteur au ministre , la valeur du sucre, abstrac
tion faite de l'impôt, a toujours diminué »
Mais s'il s'agit de donner une fiche de consola
tion à ce pauvre contribuable d'outre-mer qui
paie et ne vote point de budget, pour lui l'Exposé
des motifs avait encore en réserve un argument
consolant :
« Quelle qu'en soit la cause ( permanente ou
«passagère, de minimis non curat prœtor), quelle
«qu'en soit la cause, dit M. le comte d'Argout, le
» prix du sucre est augmenté, et le colon n'est plus
» forcé de céder à toutes les exigences de l'ache-
» teur. »
J'espère que voilà un joli problème de résolu.
Certes, de pareils argumens sont un exemple
touchant d'une double sollicitude pour les intérêts
du producteur et du consommateur; mais ce n'est
pas là qu'elle s'arrête.
« Les colonies sont toujours travaillées par un
«grand mal, dit M. le ministre; elles produisent
«depuis quelques années beaucoup plus que la
«France ne consomme. » Or, le remède à ce mal,
s'il existe, c'est sans doute de décourager la pro
duction ; et quel meilleur moyen de décourager
la production que de la rendre à peu près impos
sible par l'addition d'un nouveau fardeau, et la
privation de toutes les garanties de protection
dont les enquêtes européennes les plus scrupu
leuses avaient reconnu la nécessité!
N'est-ce pas là, Monsieur, je vous le demande,
une pensée gouvernementale éminemment pater-
12
13 nelle ? car enfin, si on n'eût pas trouvé cette
pensée, que serait-il arrivé?
Il serait arrivé qu'en raison de l'excédant de
production qui afflige nos colonies, selon M. le
ministre , les sucres français se faisant concurrence
à eux-mêmes, les prix se seraient avilis si le fisc
n'y eût mis bon ordre, et alors le consommateur
eût fini par manger le sucre à 12 ou 1 5 sous la
livre, au lieu de 20 sous; ce qui eût eu le grand
inconvénient de faire contracter à une plus grande
masse de consommateurs l'usage d'une denrée
que la médecine proclame aussi utile à la santé
qu'elle est agréable au goût; ce qui eût assuré à la
raffinerie, par l'augmentation de la consomma
tion, une espèce de compensation équitable à la
gène momentanée que la suppression des primes
peut jeter dans cette industrie; ce qui eût enfin
fourni à nos opérations commerciales et à notre
navigation un accroissement de mouvement et de
profits, dont les classes inférieures, qui sont la pé
pinière de nos armées et de nos flottes, eussent
été appelées à recueillir le bienfait.
Alors le prix du sucre colonial ainsi avili et
les habitudes une fois contractées, M. le ministre
du commerce eût pu élever l'impôt; « car, dit-il
dans un endroit de son discours, cela n'empêche
pas la consommation de s'accroître. » Il est vrai que
quelques lignes plus haut, comme il avait besoin
14
d'un autre argument, il s'est appuyé de l'opinion
d'un économiste assez éclairé (M. de Saint-Cricq,
je crois), qui prétend, lui, que la consommation
recule devant l'impôt.
C o m m e je ne veux pas être accusé d'avoir l'es
prit mal fait, je ne presserai pas M. le ministre
du commerce de s'expliquer sur la préférence qu'il
donne à l'un ou l'autre de ces axiomes.
Mais scra-t-il mieux à moi, Monsieur, de venir
révoquer en doute l'une des principales données
dont M. le comte d'Argout se sert pour établir
qu'il n'y a que justice dans son nouvel impôt, parce
que cette surtaxe est loin de faire compensation
avec la protection exorbitante qu'ont reçue les
colonies depuis 1826, et qui a été la cause de ce
fâcheux excès de production contre lequel on ne
peut trop tôt recourir aux rigueurs salutaires d'un
nouvel impôt ?
Eh bien, Monsieur, quoi qu'il m'en coûte, j'y
serai forcé cependant, car je ne puis laisser à M. le
comte d'Argout ses étranges inquiétudes sur l'excès
actuel de nos productions coloniales. Tourmenté
comme je le suis moi-même du besoin de le guérir
de ce cauchemar économique dont je croyais le
principe morbide éteint avec feu M. de Corbière.
Je sais bien qu'à la rigueur je pourrais me tran
quilliser sur les ravages que cette terreur de nos
excès de production peut produire dans l'esprit du
15
ministre; car, dans le Rapport adressé an roi (1),
avec l'objet de présenter sous l'aspect le plus bril
lant l'activité de toutes nos industries, je vois M. le
comte d'Argout déplorer que les raffineries de Bor
deaux se ressentent de la. mauvaise récolte de sucres
bruts dans nos colonies, et déclarer plus bas que la
matière manque aux raffineries de la capitale ; mais
je vois aussi que, revenant bientôt à ses premières
frayeurs, dans la séance du 8 décembre il n'a pas
hésité, dans sa discussion avec M. de Mosbourg, à
avancer qu'en 1832 la production du sucre dans
nos colonies s'élève a 107 millions kilog., sans que
je puisse m'expliquer cet dissonance par la chaleur
de l'improvisation, puisque le 2 1 décembre il a re
produit devant vous les mêmes calculs en énon
çant dans son Exposé des motifs, sans doute mû
rement médité, que les colonies produisent 5o à 40
millions de kilog. de sucre en sus des besoins de la
consommation , c'est-à-dire , bien près de la moitié
en sus de cette consommation.
Je ne m'arrêterai pas à ce qu'il y a d'un peu
vague dans la latitude que M. le ministre a
donnée à ses calculs en n'y tenant pour ainsi dire
aucun compte de dix millions de kilogrammes de
plus ou de moins, bien qu'ils représentent quatre-
vingt mille barriques de sucre qui n'ont pu passer en
(1) Moniteur du i»r décembre.
16
douane inaperçues. Je ne m'arrêterai pas davan
tage aux déductions que M. le comte d'Argout a
cru pouvoir tirer de son assertion, car je suis obligé
de commencer par nier le fait (1), et pour prou
ver ma dénégation, c'est dans le document officiel
dressé par l'administration des douanes elle-même
que je puise mes preuves en chiffres ; j'ignore s'il
y a pour M. le comte d'Argout une autre source à
laquelle il ait pu puiser ses assertions.
Or, dans ce document (Tableau général du com
merce de France), je vois à la page 90 que les co
lonies françaises ont, dans le cours de 1801, en
voyé dans la métropole, en sucres bruts et terrés,
en nombre rond, un peu moins de 82,000,000 kil.
Je vois bien en outre, page 3o1,
qu'il existait en entrepôt dans nos
ports, en sucres français, au 31 dé
cembre 185o, environ 22,ooo,oookil ;
mais comme je vois que ce chiffre
est resté à peu de chose près
l'expression de l'existence en en
trepôt au 31 décembre 1851, il ne
me semble pas qu'il puisse sans
(1) M . Henri Fonfrède ( Mémorial du 23 décembre ) ap
pellerait cela un mensonge économique , mais cette qualifi
cation , qui peut s'excuser par l'amitié et le goût du terroir
qui produit la saillie , je craindrais, moi, de manquer aux
convenances si je m'en servais.
17
erreur être ajouté au premier
chiffre d'arrivage, bien qu'alors
cette addition produisît effective
ment un chiffre de 104,000,000 kil.
qui ne serait pas encore, mais
tendrait à se rapprocher du chif
fre de M. d'Argout (les. . . . 107,000,000)
qui ne lui a sans doute été fourni que parce qu'on
sera tombé dans une erreur de la nature de celle
que je signale.
Je demanderai maintenant à M. le comte d'Ar
gout, qui, à la vérité, nous donne sans aucune
preuve le chiffre de 80 millions pour celui de la
consommation du royaume, où sont les 3o ou 4o
millions de kilogrammes d'excédant qui l'ont tant
effrayé alors que 100 millions d'excédant et plus
n'inquiètent pas l'Angleterre , qui n'y voit qu'une
cause de bénéfice pour son commerce , et de fret
pour sa navigation à toute destination.
Mais j'ai peut-être tort de m'appesantir autant
sur cette question de la situation comparée de la
production et de la consommation, après que le
ministre a confessé si ingénument lui-même à la
Chambre que l'évaluation dont il l'entretenait à ce
sujet était encore pour lui pleine de difficultés et
d'incertitudes.
Au reste, cette grave question de la consomma
tion et des moyens d'y pourvoir est faite pour oc-
•2
18
cuper les bons esprits, et elle a déjà fourni, dans
le Mémorial Bordelais, à M. Henri Fonfrède, la ma
tière de deux articles pleins, sinon de faits incon
testables, au moins d'aperçus très ingénieux et très
piquans.
Pour moi, il ne m'en coûte pas d'avouer que,
entre M. Fonfrède et moi, il n'y a peut-être qu'une
question de temps, c'est-à-dire qu'en adoptant une
grande partie de ses idées je ne partage pas sa
conviction sur l'à-propos pour la France de leur im
médiate application ; il raisonne clans l'hypothèse
de l'épuisement du sol des colonies françaises et
d'un accroissement immense et instantané de la
consommation. Je ne puis admettre sa théorie de
l'épuisement de nos colonies, et pendant long
temps encore je les crois susceptibles de fournir à
nos consommations. La seule colonie de Cayenne,
qui en 183o ne nous avait encore livré que
1 ,4oo,ooo kilog. de sucre, en livrera probablement
pour 1832 4,ooo,ooo kilog. et 10,000,000 kilog. en
1835. Il existe en outre en leur faveur et en faveur
des places de commerce liées d'affaires avec elle
des droits acquis dont M. Fonfrède lui-même ne
demande pas la brusque lésion. Mais du moment
où ces droits suffisamment avertis auront été sa
tisfaits, et où il sera prouvé que nos productions
coloniales, convenablement encouragées, ne peu
vent plus suffire à la consommation du royaume •
19
M . Fonfrède peut m e compter au nombre des
adhérens à ce qu'il y a de praticable dans son
système d'élargissement des voies commerciales ( 1 ).
En attendant, Monsieur, sans convenir avec
M . le comte d'Àrgout que le sol de nos colonies soit
épuisé, ainsi qu'il l'a avancé le 8 décembre dans sa
discussion avec M . le comte de Mosbourg, je ne
pourrai pas davantage lui accorder, ainsi qu'il a
trouvé commode de le dire contradictoirement
avec lui-même, dans la séance du 2 1 décembre,
que les mêmes colonies soient affligées d'un sur-
plus de productions dont on n'aperçoit pas les limites.
Grâce à une application soutenue, grâce aussi à la
nécessité impérieuse de l'ordre et de la plus stricte
économie, grâce aux méthodes de culture et de
fabrication perfectionnées, grâce aux efforts de
toute nature des planteurs français pour répondre
à l'appel de la métropole, qui, en 1816 et beau
coup plus tard encore, leur reprochait de ne pro
duire ni assez, ni assez beau, les colonies se sont
peut-être rapprochées du terme de leur produc
tion possible, sans qu'on soit en droit de dire
qu'elles l'aient atteint ; c'est dire que si la consom
mation du royaume, favorisée par une réduction
des tarifs , augmentait d'une manière sensible, ces
(1) C'est parce que je connais toute la puissance des écrits
de M . Fonfrède que j'ai cru devoir me laisser aller à cette
courte digression
20
colonies pourraient bien alors cesser d'y suffire ;
mais c'est ce dont il faudrait acquérir la preuve
avant de porter trop promptement la main sur
l'édifice du système qui a créé et qui alimente les
rapports entre nos places de commerce et nos co
lonies. Ce sont les intérêts de ces mêmes places de
commerce qui exigent non moins impérieusement
que ceux des colonies cette pause dans un régime
stationnaire.
Pendant cette période si nécessaire aux liqui
dations et aux libérations de toute nature, la mé
tropole pourrait examiner avec maturité ce qui
convient le mieux à ses intérêts, soit pour le main
tien , soit pour le relâchement des liens de son mo
nopole (1), et prendre ainsi tout le temps néces
saire pour que ses avertissemens pussent être en
tendus de tous ses enfans , et pour qu'une justice
mieux rétribuée , que par les dispositions du pro
jet de loi, ne les exposât pas aux brusques sévé
rités d'une perturbation rendue plus cruelle en
core par une application conçue dans un tel esprit
de subversion des règles de l'équité et de la dis-
(1) L'état actuel de la question a reçu de grandes lu
mières de la publication d'un Mémoire sorti, il y a peu de
temps, des presses de l'Imprimerie Royale, sous le titre de
Mémoire sur le commerce maritime et colonial. Ce docu
ment est dans les mains du plus grand nombre de nos
hommes politiques, et mérite leurs méditations.
21
tance, que tandis que le raffineur et le sucrier de bet
teraves obtiennent, contre la sévérité de la nouvelle
loi, un délai de trois ou six mois, le producteur
colon ou le spéculateur européen sont livrés sans
miséricorde aux rigueurs de cette même loi le len
demain de sa promulgation en Europe, sans au
cun respect pour leurs droits froissés par une
législation qui vient les saisir à l'improviste, et
qu'aucune de leurs prévisions raisonnables n'a pu
leur faire pressentir !
Il faut bien vous le dire, Monsieur, toute cette
question d'un nouvel impôt sur le sucre des colo
nies françaises a déjà passé sous les yeux du conseil
du commerce en des termes qui ne devaient pas
faire présager la solution proposée aujourd'hui par
le ministre. Deux délégués coloniaux furent admis
devant le conseil. On leur permit d'y faire entendre
les doléances de leurs commettans, car, de discus
sion sincère avec eux, on n'en a point accepté, bien
que même dans les précédens de la monarchie
absolue (1) ils eussent retrouvé leurs titres à une
admission complète et à une participation con
stante aux délibérations de ce conseil.
Ces deux délégués, Monsieur, se sont tenus au-
(1) Édits de 1759 et 1763 qui donne entrée et voix aux
députés coloniaux au bureau du commerce, remplacé au
jourd'hui , de l'aveu de M . d'Argout, par le conseil supé
rieur du commerce.
22
tant que possible en dehors de la question des
primes et de celle sur l'impôt sur les sucres de bet
teraves , quoique toutes deux fussent considérées
par de bons esprits comme connexes avec les in
térêts que les délégués représentent.
Ils se bornèrent donc à établir, ainsi que j'ai es
sayé de le faire plus haut, les droits des colonies
aux ménagemens de la fiscalité métropolitaine,
non seulement dans l'intérêt colonial, mais encore
dans celui des places de commerce liées d'intérêt
avec nos colonies. -
On leur demanda quel laps de temps ils suppo
saient nécessaire pour la libération des avances
européennes sous une législation protectrice; ils se
restreignirent à la simple demande d'une garantie
de cinq années, sans faire aucune des concessions
que leur a prêtées l'Exposé des motifs. On avait
paru entendre leursargumens sans défaveur; après
qu'ils se furent retirés, les mêmes argumens, re
produits et complétés par des bouches graves,
trouvèrent assez d'échos dans cette assemblée, où
L'INTÉRÊT colonial était sans représentation, pour
que la proposition de l'augmentation d'impôt ne
lût pas admise, la suppression de la prime, en
visagée comme diminution de protection, parais
sant une mesure au moins suffisante pour l'époque
actuelle.
Vous vous étonnerez donc avec moi. Monsieur,
2 3
que, sans tenir aucun compte de ce résultat, M . le
ministre du commerce n'ait pas hésité à vous pro
poser tout à la fois la suppression des primes et
l'augmentation d'une taxe déjà si élevée, qu'elle dé
passe la valeur moyenne d'un produit français.
Mais M. le comte d'Àrgout tient sans doute peu de
compte de nos étonnemens; car autrement il eût
hésité à se mettre, comme il l'a fait par cette pro
position, en contradiction aussi manifeste avec ses
protestations du 8 décembre en faveur des co
lonies.
Il est vrai qu'il s'agissait alors de repousser un
amendement qui, selon M. le comte d'Argout,
« pouvait compromettre le sort et l'existence des
«colonies, le sort d'une industrie qui mérite tous
«vos intérêts, et le sort de vos exportations...
«amendement qui pouvait produire une grande
» perturbation dans l'intérieur de la France, dans
» nos ports de mer et dans nos colonies. »
De quoi s'agissait-il donc? Était-ce de doubler
l'impôt sur le sucre français, ou de lui enlever la
marge de protection qui, par suite du monopole,
lui est due vis-à-vis du sucre étranger ? Non, il s'a
gissait purement et simplement de réduire à 100 et
80 francs les primes de 120 et 110 sur l'exporta
tion des sucres raffinés.
Il n'était donc pas si mal inspiré M. le comte de
Mosbourg lorsqu'il disait : « Si je ne suis pas mal
24
» instruit des dispositions du projet que le minis-
» tère prépare, les colonies seront traitées peut-être
«plus sévèrement et plus mal qu'elles ne le sont
» dans m o n projet. » Fallait-il que l'antagoniste de
la prime et de M. le ministre du commerce fût si
près de la vérité!
Peut-être aujourd'hui ou les raffineurs ou le
trésor auront-ils à regretter que l'amendement de
l'ancien ministre des finances de Naples n'ait pas
passé.
N'allez cependant pas, Monsieur, je vous prie,
conclure de cette simple observation que je sois le
défenseur à outrance de la prime et le détracteur
du drawback.
Je suis heureux de pouvoir reconnaître avec
M . d'Argout qu'en principe le système du draw
back est tout à la fois juste et rationnel, parce que,
c o m m e le dit très bien M. le ministre, un simple
drawback bien calculé place le raffineur français
vis-à-vis de l'étranger exactement dans la position
où il se trouverait s'il n'y avait pas de tarif de
douane.
Mais ce que je m e permettrai de conseiller à
M. d'Argout, ce sera de ne se décider que pour
un drawback mieux calculé que celui qu'il pro
pose, s'il ne veut pas le rendre plus onéreux au
trésor que la prime elle-même , et en m ê m e temps
livrer les sucres des colonies françaises à la con-
25
currence illégale des basses matières, qui ne sont
point aussi dépouillées de tout principe sucrant
qu'on le lui a sans doute assuré, et qui, dans leur
état équivalant au moins à celui de mélasse , rem
placeraient très bien , pour certaines classes de con
sommateurs (sans avoir acquitté aucun droit) l'u
sage, sinon du sucre fin, au moins du sucre brut. Ici,
Monsieur, c'est, appuyé sur le témoignage hono
rable de raffineurs aussi honnêtes qu'habiles que
je marcherai vers le complément de m o n asser
tion. Quand M. d'Argout voudra, je lui procu
rerai ce témoignage, duquel il résulte que, sans
recourir aux derniers perfectionnemens que la
chimie a fournis à l'industrie du raffineur, et en
se bornant aux seuls procédés mis en usage dans
les bonnes raffineries de la capitale, le rendement
de 1oo kil. de sucre brut est ainsi qu'il suit :
Melis.
L u m p .
54 k.
16
Rendement selon M. d'Argout. 70 % Et en outre :
Vergeoise.
Mélasse.
Perte ou déchet.
10 k.
17
3
3o
S o m m e égale. 100 k.(1)
(0 Ce rendement est obtenu par un honorable raffineur
26
Alors je demanderai à M. d'Argout où sont
ces matières inertes dépouillées de tout principe su
crant qui (après les 7 0 0/°) cessent d'avoir aucun
emploi ni aucune valeur.
Il lui sera probablement d'autant plus difficile
de m e répondre qu'il a eu soin lui-même de faire
ajouter en marge de son Exposé qu'en Angleterre
le rendement pour l'exportation était calculé à
75 0/°. De ces deux faits il résulte qu'outre la res
titution du droit perçu, M. le ministre a jugé né
cessaire d'assurer en sus au raffineur exportant
une prime équivalente à environ 14 0/° sur le mon
tant du droit payé. Or, cette bonification de 14 0/°
sur un droit de 104 fr. 5o c. (car M. d'Argout a
eu soin de nous démontrer que, dans son système,
le raffineur exportant ne pourrait plus désormais
employer que du sucre étranger), constitue un
de la capitale sur la qualité appelée dans le commerce bonne
ordinaire 4 e des Antilles, c'est-à-dire sur une masse impo
sante de nos sucres coloniaux, car sur les sucres manille, par
exemple, qui seront du nombre de ceux favorisés par le nou
veau projet, un autre raffineur obtient :
Raffiné 80
Vergeoise 8
Mélasse 10
Perte ou déchet. . . a
Somme égale. . . . 100 k.
N'est-ce pas le cas de dire, comme M. Fonfrède : Concluez.
27
avantage supplémentaire d'environ 15 fr. (1), qui,
ajoutés aux 1o4 fr. 5o c. remboursés à l'exporta
tion de 70 kilog. de sucre raffiné, constitue le
trésor dans l'obligation d'acquitter, sous le nom de
drawback, une prime réelle de 119 fr. 5o c. pour
chaque 100 kilog. de sucre raffiné ou laissé à la
consommation , sans parler de la concurrence rui
neuse et illégale que cette bonification établirait à
l'avantage du sucre étranger, et au préjudice du
sucre colonial (2).
(1) Bien que le trésor ne débourse réellement que le droit
qu'il a perçu de 104 fr. 5o c. , la remise que par le fait il
effectue sur la seule sortie de 70 k. °/ 0 le constitue dans une
perte de droits non perçus sur les résidus livrés en franchise
à la consommation.
(2) Je n'ignore pas que le chiffre de cette bonification est,
jusqu'à un certain point, susceptible d'être contesté, mais
ce qui ne m e semble pas pouvoir l'être, c'est la concurrence
que les résidus de matière étrangère feront à la consomma
tion tant du sucre colonial que du sucre indigène, concur
rence préjudiciable au trésor lui-même, car elle le prive
d'une perception de droits sur une quantité de sucre brut
ou cassonade, sinon égale, au moins approchante de celle de
ces mélasses laissées à la consommation. E n effet, 4,000,000
kilog. de mélasses, résidus de matières étrangères qui n'ont
plus la charge du droit à supporter, puisqu'elles en ont
reçu la restitution sur l'exportation de 70 kilog. % de raf
finés , tiendront dans la consommation la place d'au moins
2,000,000 kilog. de sucre brut ou cassonade, qui, au droit
actuel de 49 fr. 5o c. par 100 kilog., auraient acquitté au
trésor un droit d'environ un million de francs.
Que vous semble du procédé administratif et
économique ? Nous ne devons à nos colonies que le
monopole de notre marché, dit M . le comte d'Ar-
gout ; ce qui suppose que, dans l'état actuel des
choses, ce monopole leur est dû. Or je vous de
manderai, Monsieur, si c'est un moyen efficace de
leur en garantir les avantages que de les abandon
ner à la concurrence de sucres en franchise de tous
droits, et favorisés d'une protection que je n'ose
plus appeler frauduleuse, tant elle devient mani
feste aux yeux de tous.
Q u e si M . le ministre du commerce a jugé que
l'industrie du raffineur exportant avait besoin de
ce secours, qu'il ait donc la force de l'avouer hau
tement ; les Chambres décideront alors du mérite
d'une combinaison qui ne pourra plus au moins se
défendre au titre des intérêts coloniaux : mais qu'il
l'avoue, car rien ne serait plus funeste et plus in
juste que ce défaut de franchise fiscale.
Je ne veux pas supposer que ceux qui ont fourni
au ministre celte combinaison se soient flattés de
lui conquérir par là des suffrages intéressés ; j'aime
mieux penser que toutes les conséquences du nou
veau système n'ont pas été aperçues, car, au besoin,
elles trouveraient leur condamnation dans les pa
roles m ê m e s du ministre.
« O n a prétendu que le drawback accordé en Hol-
» lande et en Angleterre, a dit M . d'Argout, renfer-
28
29
» mail une prime ; quand bien même il en serait ainsi;
» ce ne serait pas pour nous une raison de persévérer
» dans une mauvaise voie. »
J'ai déjà dû, Monsieur, puiser dans les rensei-
gnemens fournis par le ministre lui-même sur l'es
timation du rendement en Angleterre, de quoi
condamner le système de rendement qu'il propose.
C'est ici sans doute le lieu d'ajouter que je ne
comprends pas pourquoi M. le comte d'Argout,
qui paraît bien connaître le système du drawback
anglais, n'en a pas purement et simplement adopté
toutes les conséquences , c'est-à-dire l'obligation
d'une réexportation totale de tous les produits
soumis au raffinage dans un délai de quatre mois.
Loin de là : aux faveurs résultant de son apprécia
tion du rendement, M. le comte d'Argout ajoute
encore la faveur du délai d'une année pour la pré
sentation des quittances dédouane, qui doivent
servir au remboursement du droit payé. J'ignore,
Monsieur, si vous serez plus satisfait que moi des
raisons de la préférence qu'il accorde a son délai
d'un an sur le délai de quatre mois jugé suffisant
par le gouvernement britannique ayant à statuer
sur la même matière. Car, de dire que ce terme ne
pouvait convenir en France, où il existe beaucoup de
raffineries dans l'intérieur, c'est implicitement sup
poser que le système nouveau offrira aux raffine
ries de l'intérieur des moyens de lutter avec les
30
raffineries de frontière, que la législation des pri
mes ne leur fournissait pas, ainsi que l'a constaté
M . d'Argout lui-même qui, dans son rapport au roi
déjà cité, déclare que Marseille a remplacé Paris
dans la fourniture de la Suisse. Chose fort simple
à mes yeux en raison des avantages de localité, et
qui s'accorde d'ailleurs merveilleusement avec une
donnée que je crois, Monsieur, pouvoir puiser dans
les souvenirs d'une de nos conversations, à savoir
qu'une des maisons de la capitale, les plus mar
quantes par l'importance de ses affaires en sucre,
aura dans l'année 1 8 0 2 acquitté 4,ooo,ooo fr. en
douane, et reçu seulement 2 0 0 , 0 0 0 fr. pour prime
d'exportation : ce qui prouve le peu de part que
les raffineries de l'intérieurprenaient à la réexpor
tation , m ê m e sous la législation des primes à la
sortie. Il importe, a dit M . d'Argout à propos de
ces quittances d'une année de date, de ne pas don
ner cours à des titres périmés et qui pourraient deve
nir l'objet d'un certain agiotage. C'était pour attein
dre plus sûrement ce but sans doute que le
gouvernement britannique n'accordait que le terme
de quatre mois pour le délai des réexportations.
Tout juste et tout rationnel que soit le système
du drawback, M. le comte d'Argout n'ignore pas
que sa première introduction dans notre législation
offrit des inconvéniens graves et suscita des plaintes
qui amenèrent sa suppression. C'est parce que je
31
désire son maintien que je le veux purgé de ces
inconvénient graves qui n'étaient pas tous aussi
dénuésde vérité que le donne à entendre M. d'Ar-
gour.
Entre deux natures de sucres français et étranger
dont l'un acquittait un droit de . 49 fr. 5o c.
l'autre 104 5o
si par hasard il arrivait que le sucre au droit
de 104 fr. 5o c. fût tout-à-fait propre à la consom
mation intérieure, et que celui au droit de 4 9 fr. 5o c.
le fût au raffinage, qui empêchait un raffineur plus
particulièrement occupé de l'exportation, d'ache
ter 200 kilog. de sucre de ces deux natures, de
mettre à la consommation le sucre au droit de
104 fr. 5o c, de mettre au raffinage celui au droit
de 4 9 fr. 5o c, et de pouvoir présenter à son gré
l'acquit en douane sur sucre étranger afin d'en re
cevoir le remboursement à la sortie?
Vous m'objecterez sans doute que, puisqu'il
avait payé les deux droits, il était bien le maître
de faire dans ce cas de sa denrée l'usage le plus
utile à ses spéculations; mais je vous répondrai qu'à
cette époque la surtaxe du sucre étranger était à
peine suffisante à la protection du sucre colonial ;
que ce sucre étranger étant alors plus beau que
la plus grande partie de nos produits nationaux, il
était susceptible d'un emploi immédiat, et qu'ainsi
c'était au moyen d'un produit étranger qu'on ve-
3 2
nait faire à vospropos raffineries de l'intérieur une
concurrence dommageable et qui n'était point à
l'abri de toute espèce de blâme. Vous m'objecte
rez peut-être encore, Monsieur, que cette circon
stance est l'une des conséquences fâcheuses de no
tre système de commerce colonial et maritime ;
mais quant aux inductions que vous pourriez être
tenté de tirer de votre objection, je m e bornerai
à vous dire que ce n'est point là une question
que l'on puisse traiter incidemment, qu'il s'agit
d'un sujet qui vaut bien la peine d'être traité d'une
matière spéciale, et en attendant qu'il m e soit loisi
ble de le faire ( ce que je serais assez disposé à es
sayer si cela vous paraissait utile), je vous prierai
de permettre que je consigue ici le jugement grave
porté sur cette matière par l'un des orateurs les
plus distingués de la chambre dans la séance
du 8 courant.
« Dans toutes les questions de cette nature en
» Angleterre, disait M . Mauguin, le parlement or-
» donne une enquête. Il examine les faits, il inter-
»roge les parties intéressées, et cherche jusqu'à
» quel point une mesure proposée peut affecter les
«intérêts de l'État, soit à l'intérieur soit à l'exté
rieur : voilà ce que nous devions faire. La ques-
» tion des sucres tient à toutes les questions, à celle des
» fers, des laines, des soieries; elle tient a notre sys
tème colonial, à notre système d'exportation. Je
» crois que nous ne pouvons la résoudre avec trop
» de précaution. »
Mais revenons à la seule question de drawback :
je ne puis croire que M. d'Argout ait oublié que les
inconvéniens que j'ai signalés étaient du nombre
de ceux qui fournirent alors matière aux plaintes
des raffineries de l'intérieur, et que ces plaintes ne
furent point étrangères aux modifications plus ou
moins heureuses que la législation de 1822 eut à
subir.
En présence de tels souvenirs il eût donc été
plus sage de s'en tenir au délai de quatre mois qui
peut toujours suffire aux raffineries de la frontière
maritime ou terrestre.
Quant aux raffineries de l'intérieur, si véritable
ment M. le ministre n'a prétendu que les placer vis-à-vis de l'étranger exactement dans la position où elles se trouveraient s'il n'y avait point de tarifs de douane, il est évident qu'elles sont ici hors de
cause, car notre supériorité de fabrication et l'éco
nomie comparée de nos transports par voie de
terre et de mer ne sont pas telles que ces établis-
seinens puissent triompher des obstacles de leur
emplacement pour venir encore disputer aux raffi
neries de Hambourg la fourniture de leur propre
place.
Peut-être trouverez-vous, Monsieur, qu'au lieu
d'un examen que je vous avais proposé je me suis
33
3
34
laissé aller à une critique trop absolue des vues ou
des projets de l'administration. Je vous avouerai
cependant que je n'ai pas la prétention d'avoir suf
fisamment signalé ou relevé toutes les contradic
tions , les assertions inexactes et les doctrines erro
nées qui ont trouvé place dans l'Exposé; mais
d'abord ce qui me paraissait le plus urgent, c'était
d'appeler votre attention sur le caractère de cette
conception ministérielle , et par conséquent de
mettre votre jugement sur ses gardes ; en second
lieu, je sentais que déjà ma revue m'entraînait au-
delà des limites du cadre dans lequel j'aurais voulu
rester, et que d'ailleurs il n'était pas nécessaire de
tout dire à des esprits aussi éclairés que ceux
qui se trouvent en grand nombre parmi les juges
en dernier ressort de l'administration et de l'ad
ministré.
C'est par cette raison que je m'abstiendrai de
qualifier la proposition que vous a faite M. le
ministre d'un premier impôt sur la production du
sucre indigène.
Ici le jugement des législateurs métropolitains
n'a besoin ni d'avertissement, ni de renseignemens
spéciaux. M. le ministre du commerce a très bien
constaté tout ce que l'ancien système des primes
offrait de faveur à la production du sucre indigène,
puisque, sans acquitter aucun droit, et sans être
soumis à aucune des charges de la navigation, des
avaries et du transport sur le sol métropolitain, il
bénéficiait de toute la valeur de la prime à la
sortie.
Si j'étais député de la France, j'aurais sans doute
un avis à émettre sur cette question; mais délégué
colonial, je m'abstiens d'y prendre part et en aban
donne le jugement aux bons esprits de la métro
pole.
J'ai déjà prévu, Monsieur, que vous aviez pu
me trouver un peu sévère à l'égard des concep
tions de l'administration : je pressens encore que
vous pouvez m'adresser un reproche plus fondé,
celui de m'ètre borné à attaquer l'oeuvre ministé
rielle sans avoir rien proposé pour mettre à sa place.
Pour ce qui est de ma sévérité, depuis que j'ai lu le
Mémorial Bordelais des 19 et 20 décembre, je me
trouve à l'abri de tout reproche, car je n'ai encore
écrit nulle part, comme M. Henri de Fonfrède, que
la combinaison ministérielle réunissait les vices de
tous les systèmes, que cette mesure ruinera les co
lons au point de les amener à arracher la moitié de
leurs plantations. Je n'ai jamais écrit non plus qu'un
impôt de consommation établi, et rendant une cer
taine somme, si le gouvernement a besoin d'une
somme double, et qu'il arrive un financier vulgaire,
il double le chiffre de l'impôt et se croit un grand
homme ; le tout orné de commentaires fort piquans
qui m'ont fait songer à cet ancien apophthegme de
35
m o n professeur de sixième: Qui bene amat... Ainsi
donc qu'il ne soit plus question de mes observations
raisonnées, et passons aux substitutions que je
désirerais voir s'opérer dans le projet de loi.
C o m m e je ne suis m û par aucun motif de dé
nigrement ou d'opposition systématique ( car si je
ne suis pas c o m m e M. Henri de Fonfrède l'ami poli
tique de M. le comte d'Argout, je suis encore
moins son ennemi, nec odio, nec beneficio Othon,
Galba...). Je vous dirai d'abord, Monsieur, que je
ne demande pas mieux que d'adopter, dans le sys
tème de l'administration, tout ce qui n'est pas trop
manifestement injuste ou contradictoire; ainsi je
rendrai très volontiers hommage à la seule amé
lioration réelle que j'aperçoive dans le nouveau
projet, savoir l'uniformité de droit sur les sucres
non terrés de diverses nuances, et cet hommage,
si j'y suis disposé, ce n'est pas parce que le gouver
nement, c o m m e l'a dit M. le ministre, tranche la
difficulté en faveur des colonies, mais parce que cet
encouragement juste et nécessaire d'une bonne
fabrication répond à des efforts qui n'ont pas moins
tourné à l'avantage de la métropole qu'à celui
des colonies , puisqu'au lieu de ces matières infé
rieures qu'on leur reprochait de produire, elles
sont parvenues, non pas sans sacrifices encore loin
d'être couverts, mais enfin elles sont parvenues dès
183o, ainsi que le reconnaît M . le ministre, à im-
36
porter des sucres d'un aspect remarquablement beau
et susceptible d'être immédiatement employé par les
confiseurs et les liqaoristes.
Je ne querellerai pas davantage M. le comte
d'Argout sur la préférence qu'il donne au draw-
back sur les primes, me bornant à lui demander
un rendement mieux calculé qui n'enlève pas aux
sucres des colonies une part frauduleuse dans le
marché de la métropole, et qui n'aille pas au-delà
du but avoué d'assurer au raffineur la possibilité
d'exporter à l'étranger, en tant qu'il trouvera cette
possibilité, dans la simple restitution du droit. J'ai
déjà dit que deux moyens peuvent également con
duire à ce résultat, soit une fixation plus élevée du
rendement, soit, selon le système anglais, l'obli
gation d'une réexportation de tous les produits li
vrés à l'industrie de la raffinerie avec cette desti
nation ; ce qui coupe court au vague et à l'arbitraire
des fixations du rendement.
En ce qui tient aux produits de notre agricul
ture coloniale, je crois avoir suffisamment démon
tré l'injustice et l'inopportunité de toute augmen
tation de taxe à leur égard.
On a trop dit sans doute que la législation des
primes avait été fondée dans leur seul intérêt, mais
enfin cette industrie des raffineries exportantes ne
fit-elle que donner un cours régulier à 1 écoulement
des sucres indigènes, ainsi qu'il est arrivé dans les
37
38
dernières années, prévenait par là jusqu'aux en-
combremens passagers, et contribuait à donner
quelque fixité aux prix de la denrée; ce qui est
toujours pour le spéculateur comme pour le pro
ducteur un état préférable à ces fluctuations
extrêmes qui causent tant de mécomptes et de
perturbations ruineuses dans les opérations, que
l'éloignement des deux termes entre lesquels elles
s'accomplissent soumettent déjà à tant d'autres
éventualités.
Si le drawback n'est admis que d'après un ren
dement véritable, comme alors il sera moins favo
rable au raffineur que la prime, il est permis de
penser qu'il y aura au moins un ralentissement
momentané dans l'industrie du raffineur exportant,
et par conséquent un avilissement plus ou moins
long, et peut-être permanent, de la denrée. Est-ce
là le cas de grever d'un nouvel impôt la production
dont la valeur va se trouver réduite entre les mains
du producteur ?
Combien la chambre de commerce du Havre
jugeait plus sainement la question lorsqu'en 1831
elle demandait qu'on appliquât à la réduction du
droit sur les sucres français les économies que le
gouvernement pouvait faire sur la diminution ou
la suppression des primes! L'accroissement de
consommation signalé par M. d'Argout, malgré
l'énorme élévation du droit, eût sans doute été en-
39
core accélérée par la réduction de ce droit. Alors
si cet accroissement eût réellement dépassé la pro
duction coloniale ou métropolitaine, il eût tou
jours été facile de trouver des moyens supplémen
taires d'y satisfaire; et dans les deux cas il en fût
résulté, en dépit de la réduction du droit, un ac
croissement de recette pour le trésor; mais alors
cet accroissement, dû à l'accroissement des trans
actions commerciales, à celui de notre navigation
et de tous les bénéfices qui, pour les classes ou
vrières, en découlent, eût été de bon aloi; car il
eût constitué un profit fiscal, sans détriment des
intérêts ni lésion des véritables principes commer
ciaux, ce qui n'est pas toujours facile.
Il est bien vrai que, dans ce système, M. le comte
d'Argout n'aurait pu entretenir la chambre de cette
immédiate augmentation de perception de 15 à
20 millions , dont je maintiens toutefois qu'il a
plutôt donné l'espoir que la certitude; mais il se
plaçait dans la voie qui convient au ministre du
commerce ; car, ainsi que le professait en janvier
1822 M. de Saint-Cricq, qui n'était pas alors mi
nistre du commerce, mais tout bonnement direc
teur des douanes, « l'intérêt fiscal des douanes doit
«s'effacer devant toute espérance, même contesta-
» ble, d'un meilleur état de choses pour notre agri-
» culture, notre commerce et nos industries. »
En entrant dans la voie des taxes réduites ainsi
40
que le demandait la chambre de commerce du
Havre, et que, comme nous sommes fondés à le
croire, le demandait encore cette place, celles de
Rouen , de Nantes , et m ê m e de Bordeaux, le gou
vernement faisait un pas vers les saines théories
d'une véritable économie politique , car, sans di
minuer ses recettes , ainsi que l'a éprouvé l'Angle
terre dont les erremens en ce genre sont bons à
étudier (1) et à suivre, elle enlevait à la contre
bande un de ses plus grands moyens de succès.
Ici, Monsieur, je suis encore forcé d'ajouter
quelques commentaires aux théories de M. le mi-
nislre du commerce , tant en matière de contre
bande qu'en matière de taxes élevées. En ne par
lant à la chambre que du chiffre actuel de la taxe
de consommation sur le sucre en Angleterre, M. le
comte d'Argout ne lui a présenté qu'un côté de la
(1) Mais quand on veut étudier ces erremens il vaut
mieux le faire dans les originaux que dans les traductions
administratives si l'on veut se préserver des contresens,
ainsi qu'il en existe dans les documens traduits probable
ment par les soins de la douane, et dont il ne serait
pas juste de rendre M . le comte d'Argout responsable.
Exemple : Art. 7 de la loi anglaise , page 43 de l'annexe,
délivré à la Chambre en m ê m e temps que le projet de loi :
Si le sucre a été déclaré ne pas valoir, etc. ; lisez : si le
sucre a été déclaré valoir, etc., ou n'être pas de plus grande
valeur. — If such sugar shall be entered as not being of
greater value than, etc., etc., act of july 1828.
question, il vous a bien dit que, puisque les An
glais, après réductions successives, payaient encore
59 fr. o5c. de taxe, nous pouvions bien, au moyen
d'une augmentation , acquitter sur le même objet
un impôt de 55 fr. ( 1 ) , ce qui n'est pas rigoureuse
ment logique, mais ce qu'il aurait pu dire s'il eût
été plus désireux d'éclairer toutes les faces de la
question, c'est que l'exagération des taxes est la
plaie la plus profonde du peuple et du gouverne
ment anglais , que cette exagération date de la
grande guerre, que l'orgueil de l'aristocratie britan
nique avait forcé la nation de soutenir à outrance
contre la France; qu'à cette époque de besoins pres-
sans, le gouvernement était mal placé pour bien
apprécier le mérite des grosses taxes; qu'en raison
de l'abondance relative des capitaux sinon réels
au moins fictifs, une taxe de 5g fr. o5 c, payée
dans le meilleur papier-monnaie possible, était
moins lourde qu'une taxe de 55 fr. payée en nu
méraire; que d'ailleurs, en raison même de l'élé
vation à laquelle ces grosses taxes avaient été long-
tempsmaintenues,l'état actuel de la législation dans
(1) Car il faut se défier des illusions de la douane, qui ne
vous parle que d'un droit de 5o fr., et qui ne chiffre pas
le décime en sus. Ce décime chiffré vaut 5 fr., dont la douane
ne fait remise à personne, ce qui constitue bien, non pas un
impôt de 5o, mais de 55 fr. en tout, et surtout en compte de
deniers il faut être clair.
41
42
ce pays pouvait y être considéré comme une amé
lioration sensible dont les effets ne s'étaient pas
fait long-temps attendre, puisque la consommation,
qui sous l'empire de taxes plus élevées n'avait été
évaluée de 18o5 à 1808 qu'à 2,374,0oo quintaux,
est estimée, avec la taxe réduite, de 1825 à 1828,
à 3,o54,ooo quintaux: différence annuelle en plus,
680,000 quint. (1), c'est-à-dire environ 54,000,000
kilog., sur une population totale d'environ 20 mil
lions d'âmes, dont il faudrait encore déduire la
plus grande partie de cette malheureuse popula
tion irlandaise pour laquelle le luxe serait la
p o m m e de terre à discrétion avec ou sans sel (2).
Il est assez piquant que ce chiffre de 34,000,000
kilog. soit celui du prétendu excédant de nos cul
tures coloniales, qui cause tant de sollicitude à
M. le ministre du commerce, et qui, s'il existait, se
rait certainement bien facile à faire entrer dans la
consommation au profit commun du trésor et du
(1) The Courrier, 27 septembre 1832.
(2) M . Henri Fonfrède, Mémorial bordelais du 23 cou
rant, porte la consommation de l'Angleterre encore plus
haut, car il l'évalue à 11 kilog. par tête , et il ajoute que le
droit de consommation relativement réduit a rendu au tré
sor, en 183o, 153,ooo,ooo de fr. , c'est-à-dire, ajoute-t-ii,
presque le double de la totalité des droits de douane sur
toutes les marchandises introduites en France pendant ra
m ê m e année: aussi finit-il par dire : Concluez.
consommateur, non pas par une une augmenta
tion, mais par une réduction de la taxe.
Quant à la question de contrebande qu'il est
difficile de séparer de la première , n'en déplaise à
l'administration, toutes les ressources de l'esprit le
plus délié ne suffiraient point à prouver que l'exa
gération des taxes actuelles ne soit une prime très
efficace en faveur du commerce frauduleux qui
exerce une influence si fâcheuse sur la moralité de
toutes les classes de la société qui s'y livrent. Les
journaux du Havre ont souvent retenti de plain
tes contre la contrebande pratiquée dans le nord
de la France; M. Fonfrède (Mémorial du 19 dé
cembre), nous dit que les terrés havane introduits
en fraude tuent la consommation des raffinés dans
tout le midi de France.
En Angleterre la race des smogglers (contre
bandiers maritimes) était arrivée à un tel degré de
dépravation et de criminelle audace, qu'il était bien
rare que la déportation pût suffire aux peines en
courues par cette espèce de malfaiteurs. Cepen
dant la sévérité des lois ne pouvait rien contre
l'appât d'un bénéfice assuré par l'exagération des
droits, notamment ceux mis sur les spiritueux. La
législation fiscale dut se modifier, non seulement
pour faire rentrer l'industrie dans des voies plus
honorables, mais encore pour donner relâche aux
geôliers et même au bourreau , et il arriva que les
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recettes du trésor un instant affectées, obtinrent
bientôt après un accroissement de produits qui ne
resta pas dans les termes d'une simple compensa
tion. Grâce à Dieu , nous n'avons point vu sur nos
frontières de terre et de mer ces troupes de forbans
et de bandits qui, comme en Angleterre et dans le
midi de l'Espagne, ont souvent forcé la douane à
des espèces de batailles rangées ; mais enfin la ruse
fait quelquefois ce que n'eût pas fait la violence.
Eût-on une armée de surveillans bien éprouvés ce
serait toujours une mauvaise mesure administra
tive que de les placer dans une situation qui les
exposât à des tentations telles qu'ils ne pussent
rester tout à la fois en dehors du délit et à l'abri
du soupçon.
Entre autres plaintes graves qui ont trouvé
place dans les journaux, en février dernier, le Jour
nal de Rouen, répété par le Journal de commerce de
Paris du 11 du même mois, affirmait et prouvait
que sous le régime des primes le raffineur avait
plus de bénéfice à livrer son sucre à 10 sous en
Suisse, qu'à le livrer à 20 la livre à la consomma
tion du royaume. Tout système de drawback basé
sur un rendement mal calculé aurait les mêmes ré
sultats. Certes j'aurais regret au temps que je per
drais à prouver qu'un tel état de choses est insépa
rable d'une contrebande active; car lorsqu'il y a
au moins 100 p. °/0 à gagner, il ne s'agit plus d'exa-
4 5
miner avec M. le ministre « s'il y a autant de profit à
» importer en fraude des sucres raffinés étrangers,
» que de réimporter des sucres français, » ni m ê m e
d'examiner les difficultés d'introduction d'une ma
tière encombrante qu'on ne peut diviser en petits
ballots, et qu'il faut garantir de l'humidité. En tout,
pays (et il n'est guère probable que celui-ci fasse
une complète exception), lorsqu'il y a d'aussi
énormes bénéfices à faire la fraude, on doit quel
quefois pouvoir échapper aux difficultés de la ré
introduction par un sacrifice fait en faveur de la
non sortie.
En m e résumant donc, Monsieur, et en ne rai
sonnant que clans le propre système du nouveau
projet de loi, telle serait, en dernière analyse, la
rédaction que je désirerais voir mettre à la place de
celle du ministre :
Art. Ier. « A partir du 1er juillet 1833, les primes
» à la Sortie des sucres raffinés, fixées par la loi de
» 1816, sont supprimées (1).
(1) Le système d'une prime décroissante par intervalle de
six en six mois serait bien préférable et bien plus juste. Si je
n'en fais pas ici la demande formelle, c'est que j'ai toute
raison de croire que les organes que les raffineurs et les ar
mateurs de nos ports trouveront pour la défense de leurs in
térêts , conduiront la Chambre à cet acte de justice, où les
colonies ne sont pas seules intéressées. Mais en tout état de
cause leur éloignement doit suffire à prouver qu'on ne peut,
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Art. II. « Les droits payés à l'importation des su-
» cres étrangers ou français, tels qu'ils sont fixés
» par les tarifs en vigueur, seront restitués à l'ex-
• portation de ces mêmes matières, pourvu que
«dans un délai de quatre mois le raffineur expor
tant justifie par des quittances de douane des
» paiemens par lui lors effectués, et qu'en même
«temps il justifie de la sortie de tous les résidus de
ces matières au taux de 70 °/0 de raffinés (comme
«le propose le ministre). Cette sortie conservera
«aux mélasses le droit de la prime affectée à l'ex-
» portation de ce produit par la loi de 1826(1).
Art. III. « Tous les sucres des colonies françai-
«ses, autres que terrés, de quelque nuance qu'ils
«soient, seront soumis à la taxe uniforme du droit
«imposé aujourd'hui sur les sucres bruts de ces
«mêmes colonies, sans qu'aucune augmentation
«puisse être faite à ce tarif avant cinq ans.
sans commettre une iniquité qui équivaudrait à une confis
cation , leur enlever une part proportionnelle dans le béné
fice des délais.
(1) Cette disposition m'a paru équitablepour le raffineur,
et en m ê m e temps favorable à notre navigation du nord,
l'Allemagne septentrionale ayant absorbé la plus grande
partie des 4,ooo,ooo kilog. de mélasse que nous avons ex
portées en 1831. ( Voir le Tableau du commerce. )
47
L'article 3 du projet ministériel deviendrait
alors l'article 4 de celui-ci, si la chambre se déci
dait pour l'établissement de l'impôt proposé sur le
sucre de betteraves.
Je vous ai déjà dit, Monsieur, pourquoi je trou
vais superflu de me prononcer sur cette question.
Telle est, dans l'hypothèse ministérielle (1),
mon opinion personnelle sur le projet de loi sou
mis à la Chambre. Il est probable que le conseil
des délégués coloniaux ne tardera pas non plus à
faire connaître aux Chambres le point de vue sous
lequel il envisage les propositions du ministre.
Sans rien préjuger encore sur les motifs que le
conseil aura pour s'écarter plus ou moins des dispo
sitions du projet présenté , vous voyez, Monsieur,
que, quelque bonnes raisons que je pense vous
(1) Je dis dans l'hypothèse ministérielle, car si j'avais osé
m'en écarter tout-à-fait (ce que j'aurais certainement fait
si je n'avais été retenu par la crainte d'affecter m ê m e m o
mentanément les recettes du trésor, je m e serais rallié bien
plus volontiers encore aux propositions de diverses chambres
de commerce, dont une entres autres, si je suis bien informé,
demande :
1° Réduction de la taxe sur les sucres
français à 3o fr. les 100 kilog.
2° Réduction sur les sucres étran
gers à . 6o fr.
Conservation de la prime au taux de 6o fr.
pour les raffinés obtenus des sucres de toute origine.
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avoir fournies en faveur d'un système de réduction
de la taxe sur nos sucres, je n'insiste pas personnel
lement en ce moment sur cette condition de protec
tion pour notre industrie coloniale, quelque facile
que soit à justifier cette protection dans le qua
druple intérêt du producteur, du consommateur,
de la navigation, et même du trésor. Mais si je m'en
abstiens, c'est uniquement pour ne pas courir le
risque, m ê m e éventuel, de porter en ce moment
quelque incertitude dans les recetttes de l'État, et
aussi parce que j'aime à penser que dans un meil
leur avenir, rendu plus probable et pius proche
sans doute par la gloire récente de nos armes, la
réduction des dépenses générales du royaume per
mettra d'envisager sans effroi l'idée d'un dégrève
ment qui tournerait bien certainement au profit de
notre mouvement commercial, et ne serait en
m ê m e temps qu'une compensation équitable,
mais tardive, aux souffrances que, pendant les
deux dernières années, ont éprouvées les colonies
françaises, sans qu'elles aient reçu aucuns des se
cours que la métropole n'a point refusées à ses au
tres industries malheureuses.
Vous voyez donc, Monsieur, que je ne demande
pas mieux que de laisser à M. d'Argout ce qu'il y
a de plus réel dans l'espoir qu'il a voulu donner à
la chambre d'une augmentation actuelle de per
ception.
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4
Si j'ai bonne mémoire, M. le ministre des finan
ces, en sa qualité de rapporteur des recettes, ne de
mandait, l'année dernière, aux consommateurs de
sucre et aux industries sucrières, qu'un sacrifice
de 4 à 5 millions de francs; peu de jours après son
avènement aux affaires, un article du Nouvelliste,
portant tout-à-fait le cachet d'un e émanation du
cabinet ministériel, donnait lieu de penser qu'à ce
sujet la conviction du rapporteur ministre n'avait
pas changé, et que ses prétentions en faveur du tré
sor n'étaient pas augmentées. Ce sacrifice de 4 à
5 millions, il sera facile de l'obtenir, soit parla dimi
nution des primes, soit par leur suppression et la
substitution d'un drawback sincère et à l'abri de
la fraude tel que je le propose, sans qu'il soit be
soin pour cela de faire peser un double fardeau
sur la production coloniale.
Quant aux 15 ou 20 millions de francs de M. le
comte d'Argout, je n'hésite pas à affirmer que tout
en écrasant cette production agricole et indus
trielle, il ne les obtiendra pas de son système, qui
me semble mieux calculé pour élever que pour ré
duire la somme de protection à accorder aux raf-
fineurs exportans, avec cette seule diffiérence que
cette fois ce serait au profit exclusif des sucres
étrangers, c'est-à-dire au mépris de toutes les ga
ranties, que dans son Rapport au roi, déjà cité, et
dans les séances du 8 et 21 décembre, M. le comte
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d'Argout a semblé vouloir assurer à l'existence et
à la prospérité de nos colonies, ainsi qu'au main
tien du système qui règle en ce moment leurs
rapports avec la métropole.
J'ai l'honneur d'être avec une haute considéra
tion,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant
serviteur,
B o n de C O O L S ,
Délégué de la Martinique.
Paris, 31 décembre 1832.