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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE-PARIS III
INSTITUT DES HAUTES ETUDES D’AMERIQUE LATINE
RELATIONS INTERNATIONALES
La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande : quel
avenir hydrique pour la région binationale ?
VIGUER SIMON
MEMOIRE DIRIGE PAR CARINE CHAVAROCHETTE : SEPTEMBRE 2013
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REMERCIEMENTS
Je remercie Yves Rengade pour ses encouragements, l’intérêt porté à mon sujet
d’étude et pour sa générosité. Je remercie Carine Chavarochette pour ses conseils
précieux et sa bienveillance. Je remercie Enrique Escorza pour l’entretien passionnant
qu’il m’a accordé. Enfin je remercie mes parents pour leur soutien sans lequel cette
étude n’aurait pas vu le jour.
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SOMMAIRE
I. La Pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs
climatiques, juridiques et économiques
II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du conflit
hydrique à l’ « hydrodiplomatie »
III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin
d’une nouvelle gouvernance
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RESUME
L’étude ci-dessous porte sur le problème que posent les conséquences « hydro-
géopolitiques » du réchauffement climatique et de son lien avec le développement
agricole et industriel en milieu aride ; elle prend aussi en considération le débat
classique entre bien marchand et bien commun et examine l’importance que pourrait
avoir pour la région concernée le choix entre ces deux approches. Nous prenons pour
exemple le bassin du Rio Bravo/Grande à la frontière des Etats-Unis et du Mexique.
Cette étude nous permet d’analyser les trois principaux facteurs de pression sur la
ressource en eau que sont le cadre législatif et juridique, le développement de
l’économie avec l’entrée en vigueur de l’ALENA et les multiples sécheresses
dévastatrices qui s’abattent sur la région du bassin du Rio Bravo. Au cours de ce travail
nous avons vu que la gouvernance hydrique du Rio Bravo/Grande a fait l’objet de
nombreux conflits et met en évidence le déséquilibre entre les Etats-Unis et le
Mexique, bien que la gestion de l’eau dans une telle situation de stress hydrique
suppose une inévitable coopération entre les deux pays voisins. Nous observons que la
solution à ce problème de gouvernance d’eau repose principalement sur la question de
l’aménagement du territoire et qu’à l’heure actuelle l’usage hydrique industriel tend à
remplacer progressivement l’usage hydrique agricole. Une autre solution de plus en
plus envisagée par les décideurs politiques mexicains et étatsuniens est l’achat et le
transfert d’eau du Canada afin de maintenir leur activité économique. Pour conclure
cet exercice, il nous semble que pour assurer la pérennité de la ressource hydrique dans
le bassin du Rio Bravo il faut développer une nouvelle gouvernance. Celle-ci devra
assurer la sécurité de l’eau et mettre fin aux conflits existants dans le bassin du Rio
Grande. L’eau dans cette région a souffert des conséquences du développement et ce
sont aujourd’hui des problèmes de santé publique qui se posent. Il est inévitable de
mettre en place des réformes importantes, notamment assurer la reconnaissance d’un
statut juridique à l’eau, mais aussi développer de nouvelles techniques permettant
d’économiser l’eau, et enfin s’assurer que les institutions en charge de la gouvernance
soient plus transparentes, où la participation publique soit garantie. Il convient avant
tout d’administrer l’eau en tenant compte de sa nature holistique.
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RESUMEN
Esta investigación responde a la inquietud que suponen las consecuencias
hidro-geopolíticas del cambio climático y del desarrollo de la agricultura y de la indus-
tria en zonas áridas; dicha investigación toma en consideración el debate clásico entre
bien común y bien mercantil y estudia la importancia que podría tener para la región la
elección de un enfoque u otro. Tomamos como ejemplo el valle del Río Bravo/Grande
en la frontera de Estados-Unidos y México. Esta investigación nos permite analizar los
tres principales factores de presión sobre el recurso hídrico. Estos son el cuadro legis-
lativo y jurídico, el desarrollo de la economía desde la entrada en vigor del TLCAN y
las diversas sequías que desestabilizan el equilibrio de la región. A lo largo de este
trabajo vimos que la gestión hídrica del Rio Bravo/Grande supuso varios conflictos y
evidencia el desequilibrio entre los Estados-Unidos y México. Pese a lo dicho la ges-
tión del recurso implica una necesaria cooperación entre los dos países vecinos. Ob-
servamos que la solución a este problema de gobernación del agua consiste principal-
mente en responder a una cuestión de ordenación del territorio, al respecto se constata
que la dinámica actual consta en la substitución del uso hídrico agrícola por el uso
hídrico industrial. Otra solución cada vez más contemplada por los políticos mexicanos
y estadounidenses es la compra y el transfer de las aguas canadienses para así conti-
nuar su actividad económica. Como conclusión a esta investigación nos parece inevi-
table desarrollar un nuevo tipo de gobernación del agua para poder asegurar la peren-
nidad del recurso hídrico en el valle del Rio Grande. Dicha gobernación deberá garan-
tizar la seguridad del agua y acabar con los conflictos hídricos en la región. En esta
zona árida, el agua sufrió las consecuencias del desarrollo y plantea hoy en día pro-
blemas de salud pública. Es ineludible establecer reformas administrativas significati-
vas. Ya sea atribuyéndole al agua un estatuto jurídico, así como el desarrollo de nuevas
técnicas que permitan reducir el consumo de agua. O también asegurándose de que las
instituciones responsables de la gobernación del agua trabajen con más transparencia y
cumplan con una fuerte participación pública. Ante todo conviene administrar el recur-
so tomando en cuenta su característica holística.
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INTRODUCTION
L’eau est l’élément de l’abnégation, du perpétuel « être pour les autres », l’eau
n’a d’autre être que le fait d’être pour les autres… Sa détermination c’est de n’être
encore rien de déterminé et c’est pourquoi on l’a appelé autrefois la mère de tout le
déterminé. (HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Philosophie de la nature, Paris,
Ladrange, 1863)
C’est justement l’indétermination de cette ressource naturelle qui pose
problème, de nombreux courants de recherche et de nombreuses disciplines se sont
emparés de l’eau, l’économie, les sciences politiques, la sociologie, l’anthropologie, le
droit…, chacun avec ses propres méthodes de définition et d’analyse (Schneier-
Madanes, 2010). L’eau est ainsi l’objet de nombreux débats scientifiques et connait un
large éventail d’approches théoriques parmi lesquelles ressortent très nettement deux
courants opposés, l’un faisant la promotion de la détermination de l’eau comme étant
un bien marchand (Banque Mondiale, Fond Monétaire International, Spiler 1999,
Chong 2008 etc.), l’autre consacrant l’eau comme un bien commun c'est-à-dire un bien
premier qui ne doit pas être confondu avec une marchandise (Petrella 2009, Barkin
2005, Bell 2009, Hugon 2005…), et dans cette optique l’eau doit être apportée
gratuitement à tous et doit sortir de la logique économique. L’indétermination de cette
ressource est parfaitement illustrée dans l’incapacité des Etats à trouver un accord
international consacrant la protection de la ressource et sa durabilité. Certes plusieurs
forums mondiaux de discussion autour de l’eau ont été mis et place, mais ils ont
semble-t-il, souvent été perçus comme un échec, si l’on en croit la création des forums
alternatifs mondiaux de l’eau (Mexico 2006, Istanbul 2009, Marseille 2012) organisés
conjointement par des ONG et la société civile conjointement, afin de promouvoir le
droit d’accès à l’eau comme droit humain fondamental et le droit de l’eau, c'est-à-dire
le droit intrinsèque de l’eau à la vie, à la propreté et à la liberté, l’eau devenant en
somme le sujet. Nous le disions, l’eau est la seule ressource indispensable à la vie qui
ne fait toujours pas l’objet d’un traité international1 consacrant sa conservation, sa
protection, la pénalisation de sa pollution, son obligation de traitement et son
recyclage, en somme sa primordialité. Ce silence est d’autant plus inquiétant, qu’il
1Anne Hauteclocque, « L’eau, droit humain », Les eaux glacées du calcul égoïste, Avril 2012, URL :
http://www.eauxglacees.com/L-eau-droit-humain-par-Anne-de (Consulté le 17 juin 2013)
7
trahit la résolution du 28 juillet 2010 de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui
« reconnaît » le droit à l’eau potable, salubre et propre comme un droit fondamental.
Ce vide juridique renforce l’idée selon laquelle la détermination de l’eau est un sujet
aussi sensible que complexe, à la fois parce qu’elle suscite l’inquiétude de la société et
des gouvernements mais également parce qu’elle est propre à chaque civilisation.
Revenons néanmoins sur la vision de Graciela Schneier-Madanes selon laquelle
« l’eau établit un rapport social fondamental. Dans la mesure où les êtres humains ne
peuvent pas vivre sans eau, celle-ci les oblige à se rassembler, et cela quel que soit
l’environnement (aride, tropical, urbain, rural). L’eau est à la fois facteur de cohésion -
sociale et territoriale - et source de conflits ; sa disponibilité et sa quantité déterminent,
pour une large part, la forme d’une société et son développement. Réciproquement, la
nature de la société détermine la fonction et la valeur données à l’eau, ainsi que les
modes d’accès à cette ressource et les usages qui en sont faits »2. C’est à partir de cette
analyse que notre étude trouve son champ d’application. En effet la région étudiée – la
frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire
le long du rio Grande (aux Etats-Unis), Bravo (au Mexique) – est non seulement une
zone transfrontalière dans laquelle les populations se sont réunies dans des centres
urbains binationaux hétérogènes, mais également une région où les pénuries d’eau sont
fréquentes et où paradoxalement le développement, tant économique que
démographique, connaît une croissance soutenue.
Cette recherche se concentre sur la période 1994-2013, c'est-à-dire depuis
l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) jusqu’à
nos jours, elle se focalise notamment sur le conflit diplomatique des années 2000 ;
néanmoins on ne saurait étudier la gouvernance de l’eau transfrontalière entre le
Mexique et les Etats-Unis sans prendre en compte le traité de 1944 qui établit les bases
de la gestion transfrontalière de la ressource hydrique entre ces deux pays.
La région étudiée est une zone où l’utilisation de l’eau exprime une dimension
internationale, dans laquelle la coopération entre les gouvernements du Mexique et des
Etats-Unis est non seulement inévitable mais également l’une des clefs du
développement soutenu dans cet espace (cf. Carte 2). En effet les Etats-Unis et le 2Graciela Schneier-Madanes, « Introduction », in Graciela Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée
La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010, pp.25-44.
8
Mexique ont signé en 1944 un traité binational disposant de la répartition des eaux du
Rio Colorado, du Rio Bravo/Grande et du traitement des eaux du Rio Tijuana, trois
fleuves transfrontaliers sujets de discordes et de tensions de nature très différentes.
Dans un souci de spécialisation, notre analyse porte sur les eaux du Rio Grande/Bravo.
Ultérieurement les gouvernements de ces deux pays ont signé les accords de La Paz en
1983 afin de promouvoir les actions coordonnées pour le développement durable le
long de la frontière. Enfin à la suite de l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre
Echange Nord Américain (ALENA) le 1er
janvier 1994, les Etats-Unis et le Mexique
ont créé dans le cadre de ce traité international la Commission de Coopération
Environnementale Frontalière (COCEF) et la Banque de Développement d’Amérique
du Nord (BANDAN), deux institutions binationales dont les missions sont orientées
vers l’ « accessibilité à la ressource hydrique le long de la frontière »3.
C’est cette dimension internationale, à savoir la gestion binationale de la
ressource en milieu aride ou semi-aride, ainsi que les tensions et conflits que cette
situation suppose, qui nous ont semblé mériter une étude approfondie, d’autant plus
qu’il s’agit d’une région dans laquelle les débats autour de la détermination de l’eau et
de la nature de sa gestion trouvent leur champ d’application. Par ailleurs il est bon de
rappeler qu’avec l’entrée en vigueur de l’ALENA, le développement économique de
cette région a connu un essor inespéré ainsi il s’agit aujourd’hui de la région qui
connaît le plus fort taux de croissance d’Amérique du Nord4. Néanmoins les récentes
pénuries d’eau risquent d’inhiber le développement économique de la région
binationale et menacent tout particulièrement le secteur agricole mexicain à l’avenir de
plus en plus incertain en raison de sa soif exacerbée et de la concurrence américaine à
laquelle il est exposé.
La question qui se pose dans une telle situation est de savoir quels sont les
enjeux politiques, économiques, environnementaux et sociaux du réchauffement
3Vicente Sánchez Munguía, « La demanda de agua en la región fronteriza México-Estados Unidos y los
desafíos institucionales », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford et Manuel Cháves Márquez
(dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexcio, El
Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 197-231. 4Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, « Agua y desarrollo económico en la región binacional del
bajo río Grande/ río Bravo, Estados Unidos/México », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford
et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados
Unidos, Mexcio, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 99-124
9
climatique assorti du développement en milieu aride, dans la gouvernance des eaux
transfrontalières du Rio Bravo ; une telle problématique s’inscrit dans le débat
classique entre définition de l’eau comme bien commun ou comme bien marchand,
deux approches que tout oppose rendant le choix entre l’une ou l’autre de ces
perspectives lourd de conséquences. Dans le bassin du Rio Bravo, l’approche
marchande a été privilégiée jusqu’à aujourd’hui et l’un des principaux objectifs de
cette étude est d’apprécier l’opportunité d’un renversement de paradigme et d’évaluer
l’enjeu de la perception de l’eau comme un bien commun. Cette question est non
seulement au cœur de l’agenda des rencontres Mexique-Etats-Unis, mais fait l’objet de
préoccupations plus larges si l’on en croit le plan d’action contre le réchauffement
climatique présenté par le président Américain Obama en juin 2013.
Pour répondre à la problématique posée, il nous appartient de souligner que la
faible disposition en eau dans cette région fait l’objet de nombreuses pressions. En
effet, les ressources en eau de cette région sont très sollicitées en raison du cadre
législatif et juridique interne et international, à la fois du Mexique et des Etats-Unis,
mais également, du fait des conséquences de l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre
Echange Nord Américain, de la croissance exacerbée de cette région et enfin à cause
des récentes sécheresses qui se sont abattues dans la région frontalière entre le
Mexique et les Etats-Unis (Partie I). Nous verrons par la suite que la coopération
binationale est primordiale pour affronter une situation de pénurie récurrente, voire
permanente ; l’accord trouvé dans le traité de 1944 entre les Etats-Unis et le Mexique
a permis de règlementer la gestion des eaux du Rio Bravo mais a également souligné
un déséquilibre des puissances en présence et s’est traduit par de nouveaux différends.
Par ailleurs, la question de la rentabilité hydrique est au cœur des débats politiques et
sociaux actuels et cette controverse met en évidence un problème d’aménagement du
territoire dans cette région aride et semi-aride (Partie II). Enfin, il nous semble
inévitable de considérer les enjeux environnementaux pour assurer la pérennité de la
ressource. En effet, la notion de « sécurité de l’eau »5 énoncée par les auteurs Witter et
Whitford nous parait incontournable dans la mise en place d’une nouvelle gouvernance
de l’eau. Nous discuterons des supposés bienfaits du développement dans une région
5Scott Witter et Scott Whiteford, « Water Security : Issues and Policies Challenges », in Scott G Witter
et Scott Whiteford (dir.), Water Policy : Security Issues, Stamford, Ct., International Review of
Comparative Public Policy, vol 11, JAI Press Inc, 1999.
10
où la ressource en eau est menacée et dans laquelle un changement de cap de la
gouvernance hydrique nous paraît s’imposer (Partie III).
Nous illustrerons cette étude en nous appuyant d’une part sur un entretien que
nous a accordé Enrique Escorza, diplomate mexicain, spécialiste des questions
frontalières, en charge de la négociation au sein de la Commission Internationale des
Frontières et des Eaux (CILA, sigles espagnoles) avec les Etats-Unis. Et d’autre part
sur les différentes réunions entre les diplomates mexicains et les hauts fonctionnaires
de l’Environmental Protection Agency (EPA) auxquelles nous avons participé lors de
notre stage à l’ambassade du Mexique à Washington DC d’avril à septembre 2013.
11
I. La pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs
climatique, juridiques et économiques
Cette partie de l’étude nous permet de présenter le contexte de la menace qui
repose sur la ressource hydrique, indissociable des caractéristiques géographiques de la
région analysée. Les cadres législatifs et juridiques des Etats-Unis et du Mexique, bien
que fondamentalement différents6, sont les vecteurs d’une vision rationnelle et
marchande de l’eau qui contribue à exercer une étreinte indésirable sur la ressource
hydrique (A). De surcroît, l’ALENA qui a largement contribué au développement
économique et démographique du nord du Mexique au détriment de la protection et de
la conservation de la ressource hydrique constitue aujourd’hui une nouvelle menace
qu’implique la notion de marchandise, d’une nature différente certes, mais dont la
finalité reste la même (B). Les problèmes relatifs à l’eau dans cette région aride et
semi-aride sont inséparables des sécheresses répétées qui ont affaibli la région, mais ils
sont dus également à une croissance démesurée et continue dont la soif ne fait
qu’augmenter, au grand dam des ménages de plus en plus inquiets et conscients de la
valeur écologique de l’eau (C).
A. De l’étreinte du cadre législatif et juridique, interne et binational
Une présentation des caractéristiques du Rio Grande/Bravo est de mise avant
l’exposition du cadre juridique qui règle la répartition et la gestion de ses eaux. Selon
l’Organisation des Etats Américains (OEA), le Rio Bravo s’étend sur 3 057 km et est le
cinquième plus grand fleuve d’Amérique du nord ; ce fleuve représente non seulement
une « frontière géopolitique internationale »7 entre le Mexique et les USA, mais son
bassin est également une zone de coopération et de tension relative à l’eau, à sa
répartition, son utilisation, sa protection et à sa conservation (cf. Carte 1). Le bassin du
Rio Bravo fait 467 000 kilomètres carrés qui se divisent en cinq états mexicains
(Chihuahua, Coahuila, Nuevo León, Tamaulipas, Durango) et trois états des Etats-Unis
(Colorado, Nouveau Mexique, Texas). Par ailleurs, le fleuve traverse plusieurs régions
écologiques, il connait des habitats très variés (forêts, marais salant, désert …). La
6Carlos Lascurain Fernández, « El desempeño del régimen ambiental México-Estados Unidos : manejo
de las aguas de los rios Bravo y Colorado », Mexico D.F, Plaza Y Valdes, 2010. 7Darío Salina Palacios, « Géopolitique de l’eau dans le Bassin du Bajo rio Bravo : rivalités de pouvoirs
entre les centres agricoles et urbains dans le nord-est du Mexique », La Chronique des Amériques,
(Montréal), N°06, Novembre 2011, pp. 1-12.
12
vallée du Rio Bravo est considérée comme une des régions les plus diversifiées en
termes de biodiversité au monde. Néanmoins, le Rio Bravo del Norte n’est fleuve
frontière que depuis le traité de Guadalupe Hidalgo de 1848 qui dispose de la cession
des territoires du Nord aux Etats-Unis et le rattachement du Texas, un temps
indépendant, à ces derniers. En somme, il s’agit d’une frontière naturelle relativement
jeune, s’établissant autour d’un fleuve d’une longueur de 3 057 kilomètres dont 2 018
kilomètres frontaliers8 qui s’étendent de Fort Quitman jusqu'au Golfe du Mexique.
Plus haut, nous signalions l’importance de la coopération binationale dans cette région,
c’est en effet dans ce cadre que les deux pays ont signé en 1944 le traité sur la
distribution des eaux internationales entres le Mexique et les Etats-Unis.
1. Le traité de 1944
A 144 km en aval de Juárez-El Paso, Fort Quitman sert de point de référence
pour les traités, en particulier le traité de 1944 relatif à la distribution des eaux
internationales entre les Etats-Unis et le Mexique ; en amont de ce point le fleuve est
national et en aval de ce point le fleuve est considéré comme un fleuve international,
de ce fait « la gestion de ses eaux et de celle des affluents d’aval (les rios Conchos et
Salado côté Mexicain, le Pecos côté texan) se fait collectivement »9.
Le traité de 1944 prévoit dans son article 4 alinéa A-a), qu’appartient au
Mexique la totalité des eaux présentes dans le Rio Grande/Bravo en provenance des
fleuves San Juan et Alamo. Dans son alinéa A-b) le traité dispose qu’appartient au
Mexique, la moitié des eaux présentes dans le Rio Bravo/Grande en aval du dernier
barrage international principal (barrage Falcon).
D’autre part, le traité de 1944 prévoit à l’article 4 alinéa B-a) qu’appartient aux
Etats-Unis la totalité des eaux présentes dans le lit du Rio Bravo/Grande provenant des
fleuves Pecos, Devils, de la source Goodenough et des ruisseaux Alamito, Terlingua,
San Felipe, Pinto. A l’alinéa B-b), le traité dispose que la moitié des eaux présentes
8Comision Internacional de Limites y Aguas entre Mexico y Estados Unidos, « Cooperación
Transfronteriza en materia de agua y adaptacion al Cambio Climatico en la frontera Mexico-Estados
Unidos », Seminario de Cooperación en Materia de Aguas Transfronterizas, Buenos Aires, 11 junio
2013, pp.2. 9Luc Descroix, « Des conflits de l’eau à la limite du Nord et du Sud. Les eaux et la frontière », in
Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension, coopérations et géopolitique de
l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 413-423.
13
dans le lit du Rio Bravo/Grande en aval du dernier barrage international principal
(barrage Falcon) appartiennent aux Etats-Unis.
Jusqu'à présent, il y a une correspondance étroite entre chacune des dispositions
du traité ; en somme, chaque Etat a droit à une certaine proportion des eaux du Rio
Grande/Bravo, et de leurs affluents nationaux respectifs. Notons par ailleurs que
l’ensemble de l’eau du fleuve est attribué à l’un ou l’autre des pays en laissant ainsi la
possibilité aux Etats de vider le fleuve en application du traité. Ainsi en février 2001 le
fleuve n’arrivait plus jusqu’au Golfe du Mexique10
. Nous reviendrons sur cette faute
juridique qui néglige la valeur écologique de l’eau et le rôle de l’écoulement de l’eau
dans le lit du fleuve et qui concourt à l’exercice d’une pression sur la ressource.
Néanmoins, à partir des alinéas A-c) et B-c), la correspondance dans la
répartition des eaux du Rio Grande/Bravo connait de sérieuses limites. En effet,
l’alinéa A-c) prévoit que les deux tiers des eaux présentes dans le Rio Grande/Bravo en
provenance des fleuves Conchos, San Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et
Arroyo de Las Vacas appartiennent au Mexique. Cet alinéa n’accorde donc pas au
Mexique de quantité d’eau minimum, mais bien un pourcentage sur les eaux en
présence. En revanche, l’alinéa B-c relatif à la part des Etats-Unis, dispose
qu’appartient aux USA un tiers des eaux présentes dans le rio Bravo/Grande en
provenance des fleuves Conchos, Sans Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et
Arroyo de Las Vacas. Cet alinéa précise, que ce tiers ne peut être inférieur à
431 721 000 mètres cubes d’eau par an. Ainsi, en l’espèce, « le barrage, La Boquilla,
sur le haut Conchos, doit soutenir un débit d’étiage réservé au bas Rio Grande »11
.
Cette différence notable dans la formulation des alinéas A-c et B-c de l’article 4
du traité de 1944 souligne une inégalité dans la répartition des eaux du Rio Bravo
puisque les Etats Unis sont sûrs d’obtenir au moins 431 721 000 mètres cubes d’eau
par an, même en cas de sécheresse ou de simple diminution des flux dans le fleuve,
alors que le Mexique n’a droit qu’a deux tiers des écoulements et cela même si les
écoulements sont nuls ou très faibles. Cette inégalité dans la répartition des eaux du
fleuve est source de tensions et déstabilise les acteurs en présence en exerçant une
pression particulière sur les eaux mexicaines. En effet, bien que la source du fleuve se
10
OCDE, « Examens environnementaux de l’OCDE : Mexique », Paris, Les Editions de l’OCDE, 2003. 11
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
14
trouve aux Etats-Unis, « l’engagement mexicain avec les USA découle du fait que le
débit du fleuve, à partir de la ville de Fort Quitman (au sud d’El Paso) jusqu’à la mer
soit fourni par les eaux mexicaines (70%) du total de ce qui arrive au bas rio Bavo »12
.
Ce traité prévoit ainsi que les Etats Unis ont un droit sur les eaux des affluents
mexicains du Rio Bravo/Grande, mais il n’établit pas de réciproque concernant les
eaux du Rio Bravo et il n’y a ainsi pas d’échange entre les affluents mexicains et
étasunien, mais bien la remise par le Mexique d’au moins 431 721 000 mètres cubes
d’eau aux Etats-Unis chaque année. Afin de faciliter la remise de cette quantité d’eau,
le traité établit un cycle de cinq ans dans lequel le Mexique doit s’acquitter de ce que
les médias mexicains ont nommé la « dette de l’eau »13
. En l’espèce bien que le traité
ne consacre pas proprement la notion de dette de l’eau, il en établit le mécanisme, ce
qui n’est pas dénué de sens dans la mesure où l’eau devient un moyen de paiement et
est perçue comme un instrument économique. Cette perception se traduit par une forte
étreinte de la ressource hydrique et menace sa durabilité, l’eau n’étant absolument pas
considérée comme une obligation de résultat.
Notons que l’article 2 du Traité de 1944 dispose qu’il appartient à la
« Comisión Internacional de Limites y Aguas / International Boundary Water
Commission » (CILA/IBWC) d’assurer le respect et l’application de ce dernier. La
CILA a également pour rôle de faire évoluer la règlementation et d’assurer la
résolution de tous les conflits relatifs au Traité de 1944. Il s’agit en l’espèce d’une
organisation internationale composée d’une section mexicaine et d’une section
étasunienne.
Par ailleurs, ce traité ne comprend aucun article relatif à la qualité de l’eau14
, en
conséquence chacun des pays est libre de fournir à l’autre des eaux polluées et non
traitées. C’est un problème qui a été particulièrement intense dans les eaux du fleuve
Tijuana où les « effluents du Sud polluent le Nord »15
et qui risque de se répéter dans le
Rio Bravo. Notamment lorsque l’on observe le développement industriel le long de la
frontière nord du Mexique.
12
Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 13
Efraín Klérigan, « Amite EU que México paga deuda a escondidas », Conexión Total, 8 avril 2013,
URL : http://conexiontotal.mx/2013/04/08/admite-eu-que-mexico-paga-deuda-a-escondidas/ (Consulté
05 juillet 2013). 14
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 15
Luc Descroix, Des conflits de l’eau… op. cit, p.12.
15
2. La conception de l’eau aux Etats-Unis
En raison des différences dans le concept de loi, selon l’Etat américain en
question, il est difficile d’avoir une vision globale de la loi de l’eau des états
frontaliers. Les pénuries d’eau dans cette région rendent encore plus difficile cette
analyse. Il apparait que « le Nouveau-Mexique est le seul état qui dispose d’une
règlementation adéquate pour la protection et la gestion de l’allocation d’eau »16
.
Néanmoins, aucun Etat ne dispose d’une régulation conjointe des affaires relatives à
l’eau le long de la frontière.
La « doctrine riveraine » est la règle originale et prédominante de la loi des
eaux aux Etats-Unis. Elle provient de la Loi Commune de Propriété et est applicable
dans la plus part des Etats américains. Cette règle, qui provient du droit coutumier
anglais, permet de disposer de façon illimitée de l’eau ; c’est le concept de propriété
absolue. Une autre caractéristique de cette doctrine, qui a été développée par les Etats
du Texas, de la Californie et de l’Arizona, est que la répartition de l’eau dépend
principalement des décisions de justice, avec une très faible participation législative. Il
existe une autre règle connue comme la Doctrine d’Appropriation, qui a été mise en
place dans l’état du Nouveau-Mexique et qui trouve son origine dans les traditions
espagnole et de droit romain. Cette doctrine a été adoptée avec le développement de
l’ouest des Etats-Unis. La principale différence entre la « Loi Commune » et la « Loi
d’Appropriation » repose dans l’origine et la nature des droits de propriété. Dans la loi
d’Appropriation, la ressource est publique jusqu’à ce qu’elle soit acquise pour son
utilisation et son usufruit. Les droits à l’eau sont conditionnés à leur usage, les droits
inutilisés retournent dans la sphère publique. Néanmoins, au Texas, c’est la loi
Commune qui s’applique.
En 1970, les USA ont adopté le National Environmental Policy Act qui dispose
de la prévention des dommages à l’environnement. Néanmoins, c’est la Clean Water
Act de 1977 qui règlemente la pollution de l’eau dans les fleuves américains. Il s’agit
d’un amendement du Federal Contamination Water Act de 1972. Enfin le Safe
Drinking Water Act a été adopté pour protéger la qualité de l’eau destinée à la
consommation aux Etats-Unis.
16
Carlos Lascurain Fernández, op. cit, p.11.
16
Cependant, selon Luc Descroix, les Américains ont toujours eu une attitude
assez arrogante et cynique vis-à-vis du problème de l’eau :
Pratiquant le contraire d’une gestion « patrimoniale » et d’une politique de bon
voisinage ; et ce dès le XIXe siècle, après la « cession » des états de l’Ouest par le
Mexique. Les conflits ont d’abord éclaté au sujet du Rio Grande (la progression du
front pionnier américain se faisait à partir de l’est), dont les eaux étaient détournées
pour irriguer les pâturages, ce qui occasionna les premières protestations mexicaines.17
En somme, ce sont les principes qui ont fait l’Amérique du Nord qui
s’imposent, comme celui du « first in time first in right », qui ont fait que celui qui
s’approprie un bien en premier (de l’eau comme de la terre) en est légalement
propriétaire. En l’espèce, on observe que les Etats Unis on construit en 1914 le Barrage
Elephant Blue dans l’Etat du Nouveau Mexique à seulement 220 km de la frontière
mexicaine, à partir de ce barrage le Rio Bravo/Grande est à l’étiage jusqu’à ce que le
Rio Conchos (fleuve mexicain) vienne l’approvisionner en aval. Le Mexique a
construit simultanément le barrage La Boquilla sur le Rio Conchos en 1915, afin de
retenir ses eaux. Ce principe favorise ainsi non seulement une forte pression sur la
ressource en eau, mais il constitue également un frein à la coopération binationale ou
interétatique frontalière.
Autre principe primordial dans la conception de l’eau aux Etats-Unis, celui du
« use it or lose it » ; c’est un principe propre à une région frontalière. En effet, selon
Luc Descroix, ce principe, « discutable au départ, qui institutionnalise le gâchis et la
surexploitation, menant à des « dust bowls »18
et à l’assèchement des cours d’eau, est-
il un tant soit peu justifiable aujourd’hui ?19
». Ce principe revient comme nous l’avons
énoncé plus tôt à négliger le rôle écologique de l’eau et à banaliser l’épuisement de la
ressource, c’est ainsi, qu’en l’espèce les eaux du Rio Grande n’arrivaient plus jusqu’au
Golfe du Mexique en février 200120
.
La doctrine Harmon (du nom de l’attorney général qui a statué sur le conflit du
Rio Grande en 1895), selon laquelle les nations avaient l’absolue souveraineté sur les
17
Luc Descroix, Des conflits de l’eau..., op. cit, p.12. 18
Dust Bowls : littéralement « bassin de poussière », est le nom donné à une série de tempêtes de
poussière, véritable catastrophe écologique qui a touché la région des Grandes Plaines aux Etats-Unis et
au Canada dans les années 1930. 19
Luc Descroix, Des conflits de l’eau..., op. cit, p.12. 20
OCDE, op. cit, p.13.
17
eaux traversant leur territoire sans aucune obligation vis-à-vis des voisins d’aval, a été
largement appliqué à la relation Etats-Unis Mexique, cela jusqu’à la signature du Traité
de 1944 qui renforce la collaboration dans la répartition des eaux frontalières malgré la
perception critique selon laquelle il ne représente que « quelques miettes concédées sur
le tard, comme pour tenir compte de l’évolution des mœurs… 21
».
Il va sans dire que ce sont ces principes qui ont permis aux Etats-Unis de
développer le sud-ouest d’un pays dans lequel l’activité économique se concentrait
principalement dans le nord-est, que par ailleurs ces principes sont les instruments
d’une volonté politique de croissance et d’emploi chère aux Etats-Unis. Néanmoins, ce
développement s’est fait non seulement au détriment de la disponibilité de la ressource
naturelle et de la relation de collaboration avec le Mexique. Par ailleurs, le Mexique,
n’a pas eu une attitude très différente à l’égard de son voisin du nord en surexploitant
plus que de raison les eaux des affluents mexicains du Rio Grande. Ces différentes
pressions sur la ressource n’ont eu d’autre résultat que celui de faire de l’eau la
principale victime.
3. La conception de l’eau au Mexique
La Constitution mexicaine de 1917 prévoit à son article 27, que la propriété des
terres et des eaux comprises à l’intérieur de limites de son territoire national appartient
originellement à la nation, laquelle a eu et a le droit de transmettre ses domaines aux
particuliers en constituant la propriété privée. Ainsi, au Mexique, la tâche
d’administration des ressources en eaux au niveau fédéral revient à la Commission
nationale de l’eau (CONAGUA), qui est un organisme décentralisé du Secrétariat de
l’environnement et des ressources naturelles (SEMARNAT) dont la fonction est
normative, technique et consultative.
En matière de législation de l’eau, c’est en 1992 qu’a été rédigée la loi des
Eaux nationales ; elle a été modifiée en 2004 par la « Ley de Aguas Nacionales » qui
annule les lois antérieures et calque la gestion de l’eau au Mexique sur un modèle
proche de celui adopté en France en 1964 puis 1992. En effet, l’article 7-1 de la « Ley
de Aguas Nacionales » de 2004 dispose qu’est déclarée d’intérêt public la gestion
intégrée des ressources en eau.
21
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
18
Selon la déclaration de Dublin de 1992 la gestion intégrée de la ressource en
eau prévoit quatre principes simples censés former la base des politiques de l’eau de
tous les Etats22
:
1. L’eau douce est une ressource limitée et vulnérable, indispensable à la vie, au
développement et à l’environnement – puisque l’eau c’est la vie, une gestion efficace
des ressources exige une approche holistique, reliant le développement économique et
social à la protection des écosystèmes naturels. Une gestion efficace associe les usages
de l’eau et des sols à travers l’ensemble d’un bassin hydrographique ou d’une nappe
souterraine.
2. Le développement et la gestion de l’eau devraient être fondés sur une approche
participative impliquant usagers, planificateurs et décideurs à tous les niveaux.
L’approche participative exige d’éveiller la conscience relative à l’importance de l’eau
auprès des décisionnaires et du grand public. Cela signifie que les décisions sont prises
au niveau approprié le plus bas, avec la consultation totale du public et l’implication
des usagers dans la planification et la mise en œuvre des projets liés à l’eau.
3. Les femmes sont au cœur des processus d’approvisionnement, de gestion et de
conservation de l’eau. Le rôle primordial des femmes en matière d’approvisionnement
et d’usage de l’eau, et de préservation de l’environnement, est rarement représenté
dans les dispositions institutionnelles pour le développement et la gestion des res-
sources en eau. L’adhésion à ce principe et sa mise en œuvre requièrent des politiques
positives qui se préoccupent des besoins spécifiques des femmes et leur donnent le
pouvoir de participer à tous les niveaux aux programmes sur l’eau, y compris aux
prises de décision et aux mises en œuvre, d’une manière définie par elles.
4. Pour tous ses différents usages, souvent concurrents, l’eau a une valeur éco-
nomique et, à ce titre, devrait être reconnue comme un bien économique. Avec ce
principe, il est vital de reconnaître d’abord le droit fondamental de tous les êtres hu-
mains à l’accès à une eau propre et à l’assainissement à un prix abordable. La non re-
connaissance par le passé de la valeur économique de l’eau a conduit à des gaspillages
et des usages dommageables pour l’environnement de la ressource. Gérer l’eau comme
un bien économique est un bon moyen pour obtenir un usage efficient et équitable, et
pour encourager la conservation et la protection des ressources.
22
David Blanchon et Yvette Veyret, « Développement durable et globalisation : l’exemple de l’eau »,
Historiens et Géographes, (Paris), n°395, 2006, pp. 111-126.
19
En l’espèce, il convient de rappeler néanmoins que c’est le traité de 1944 qui
s’applique pour les Eaux du Rio Bravo et que, par conséquent, la gestion intégrée de la
ressource n’y est pas applicable bien qu’elle soit de plus en plus envisagée par la
CILA23
. En effet, puisque le Rio Bravo est compris dans le traité de 1944, il a une
dimension internationale et il échappe ainsi au principe de souveraineté territoriale,
c'est-à-dire la « capacité des Etats à disposer des ressources disponibles dans le ressort
de leur juridiction »24
.
Cependant, la gestion intégrée de l’eau est applicable pour les affluents du Rio
Bravo non compris dans le traité de 1944 ainsi que pour les aquifères de cette région
(qui n’ont pas été inclus dans le traité de 1944). Par ailleurs, bien que la gestion
intégrée de la ressource consacre une approche holistique de la ressource, le
renforcement de la participation citoyenne en soulignant tout particulièrement le rôle
des femmes dans le processus d’approvisionnement en eau, il semblerait que le
quatrième principe relatif à la reconnaissance de l’eau comme un bien économique soit
à la source d’inégalités de différente nature25
. La tarification de l’eau dans une
situation de pénurie d’eau ne ferait que renforcer les inégalités entre deux secteurs
indispensables de l’économie : l’agriculture et l’industrie. Puisqu’il n’y à pas d’eau
pour tout le monde, la ressource irait au plus offrant et se poserait alors la question du
choix de l’un des deux secteurs, une agriculture dépassée ou une industrie très
compétitive ? Le problème est que chacun de ces secteurs est pour l’instant
indispensable à la région du nord-est du Mexique. Par ailleurs, la tarification de l’eau
dans cette région aride risque de générer des inégalités au sein des différents secteurs,
et de conduire notamment les petits agriculteurs à vendre leurs droits d’eau aux grands
propriétaires agricoles disposant de plus fortes ressources. C’est aussi un facteur
d’inégalité entre les individus ; les pauvres n’ayant pas les moyens de payer les
infrastructures leur permettant d’être raccordés à un service d’approvisionnement en
23
Comision International de Limites y Aguas, « Tratamiento de aguas residuales de Nuevo Laredo », 20
septembre 2012. URL : http://www.sre.gob.mx/cilanorte/index.php/component/content/article/84. 24
Raúl Brañes, « Aspectos jurídicos del manejo de las aguas superficiales compartidas por México y
Estados Unidos », in Trava Manzanilla (dir.), Manejo ambientalmente adecuado del agua. La frontera
México-Estados Unidos, Tijuana, B.C., El Colegio de la Frontera Norte, 1991. 25
Olivier Petit et Bruno Romagny, « La reconnaissance de l'eau comme patrimoine commun : quels
enjeux pour l'analyse économique ? », Mondes en développement, 2009/1 n° 145, p. 29-54. DOI :
10.3917/med.145.0029.
20
eau devront acheter le litre d’eau à un tarif défavorable, nettement plus cher que celui
propre aux personnes raccordées à un service d’approvisionnement26
.
Ainsi, certains environnementalistes pensent que mettre un prix sur l’eau douce
serait « le meilleur moyen pour sauver le capital hydrique de la planète. Plus cher elle
coûtera, moins nous gaspillerons la ressource »27
. Il est vrai que la volonté politique
des gouvernements qui se sont succédé étant de développer l’agriculture d’abord,
l’industrie ensuite, au nord-est du Mexique, a mené les autorités mexicaines à
subventionner l’eau d’une façon déraisonnable et indésirable28
, ce qui eu pour
conséquence d’encourager les investisseurs étrangers à s’établir dans cette région, et
les agriculteurs à développer une agriculture d’irrigation. Néanmoins cela a également
accru la pression sur la ressource en eau et la menace sur sa durabilité. Or comme
l’écrit R. Petrella: « ce n’est pas parce qu’un service à un coût que cela doit se traduire
par un prix sur le marché »29
; en effet, un ensemble d’alternatives à la reconnaissance
de l’eau comme un bien économique est à mettre en place qui permettent d’assurer la
pérennité de la ressource sans renforcer les inégalités et les tensions dans cette « région
sensible »30
qu’est la frontière Etats-Unis Mexique.
B. L’entrée en vigueur de l’ALENA : le poids de l’économie
Nous l’avons dit, la région transfrontalière du Rio Bravo/Grande est soumise à
de fortes pressions sur la ressource en eau ; nous notions préalablement que le cadre
juridique et légal à la fois international et interne à chacun des pays frontalier pèse
lourdement sur la ressource, néanmoins il ne s’agit pas là de la seule menace qui pèse
sur cette ressource précieuse. En effet, dans cette sous partie, nous étudierons les
conséquences du développement de l’économie (cf. Graphique 3) et de son corollaire,
la croissance démographique (cf. Tableau 3) dans la zone frontalière du Rio
Bravo/Grande, sur la disponibilité de la ressource. En effet, « depuis une trentaine
d’années on assiste à une croissance économique avec un développement de l’industrie
et une forte urbanisation dans la région transfrontalière, qui s’accompagne d’une forte
26
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 27
Frederick Kaufman, « La soif d’eau de Wall Street », Le Monde diplomatique, Mars 2013, In Carnets
d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2013-03-08-La-soif-d-eau-de-Wall-Street (consulté le 22 mai
2013). 28
OCDE, op. cit, p.13. 29
Ricardo Petrella, L’eau, Res Publica ou marchandise. Paris, La dispute, 2003, 219p. 30
Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11.
21
pression sur les ressources hydriques de cette région semi-aride »31
. Nous porterons
une attention particulière à l’impact de l’entrée en vigueur de l’ALENA et aux
incitations aux investissements dans la région transfrontalière, tout en soulignant la
soudaine « prise de conscience environnementale »32
entre les Etats-Unis et le
Mexique, matérialisée dans le traité de libre échange nord-américain de 1993. D’autre
part, nous analyserons la notion de marchandise telle qu’elle est définie dans le cadre
de l’ALENA, afin d’expliquer les enjeux qui reposent sur la détermination ou non de
l’eau comme telle.
1. Le développement de l’économie au Nord du Mexique acteur principal de
la restriction hydrique
Au cours du siècle dernier, l’eau du rio Grande a permis le développement de
l’agriculture intensive qui était d’ailleurs « au centre de l’économie régionale jusqu’à
la première moitié du 20ème
siècle »33
(cf. Tableau 2). Cette région transfrontalière qui
se caractérise par un climat aride et semi-aride et par des ressources limités en eau, a
été peuplée et développée économiquement grâce à la maîtrise et à l’usage de l’eau
dans la première moitié du XXème siècle, avec notamment la construction des
barrages internationaux Falcon (1955) et Amistad (1966) prévus dans le traité de 1944
entre le Mexique et les Etats-Unis. La construction de ces nouvelles infrastructures sur
la partie basse du Rio Bravo/Grande a favorisé la création d’un modèle économique
basé sur la mise en œuvre de grands espaces agricoles d’irrigation dans la région
binationale, appelés « distritos de riego »34
. Ces infrastructures permettent également
de fixer une limite à l’agriculture irriguée dans cette région aride ; grâce à elles, au
Mexique, environ 300 000 hectares peuvent être irrigués ; il en résulte que la région du
bas du Rio Bravo bénéficie du « plus grand système compact d’irrigation du
Mexique »35
. En somme, le développement agricole a été promu par la monoculture du
coton au Mexique, qui a enrichi la région entre les années quarante et soixante. Par
contre, dans les années soixante-dix, la crise de cette culture a été accompagnée d’une
31
Manuel Chávez Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford, « El nuevo manejo
binacional de recursos compartidos : Cuando la seguridad es interdependiente », in Manuel Chávez
Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro
de la frontera México-Estados Unidos, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 27-61. 32
Idem. 33
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 34
Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 35
Idem.
22
série de réformes dans les secteurs économiques et de l’agriculture elle-même (cf.
Graphique 1). Par ailleurs, les Etats-Unis ont développé la monoculture de la canne à
sucre dans cette région, alors qu’il s’agit, comme pour le coton, d’une culture en
théorie tropicale ou subtropicale et qui en conséquence nécessite de grandes quantités
d’eau. Cette volonté politique de part et d’autre de la frontière de développer
l’agriculture irriguée dans le bassin du Rio Bravo s’est exprimée sans considération
pour les aspects géographiques de cette région aride. Cela s’explique notamment du
fait de la perception de l’eau comme une ressource renouvelable au cours du XXème
siècle ; aujourd’hui cette vision est dépassée dans une région de pénuries fréquentes.
Par ailleurs, il s’agit d’une zone de plaines, en théorie favorable à l’agriculture
intensive, à la différence du sud-est du Mexique où les précipitations abondent, mais
où les caractéristiques morphologiques du territoire sont contraires à ce mode
d’agriculture. De plus, aux Etats-Unis comme au Mexique l’approvisionnement en eau
fait l’objet d’une politique de la demande, donc plus importants sont les besoins, plus
les réserves hydriques sont sollicitées pour répondre à ces requêtes.
Ce développement de l’agriculture réalisé au cours de la première moitié du
XXe siècle a favorisé la « création de colonies autour de ces districts d’irrigation »36
.
En effet, depuis les années 1950, la région frontalière du Rio Bravo a connu « une
croissance démographique exponentielle, une tendance qui semble-t-il va se maintenir
dans les prochaines décennies »37
. Notons que la région binationale du Bajo Rio Bravo
(le bas du bassin du Rio Bravo) est passée en 6 décennies de 500 000 à 2,5 millions
d’habitants38
. Il s’agit en l’espèce de la zone qui concentre la plus grande partie de la
population et des activités économiques du bassin, sur les 400 derniers kilomètres du
Rio Grande.
En somme, le bassin binational du Rio Bravo/Grande est une des régions « de
plus forte croissance en Amérique du Nord »39
. Malgré les sécheresses récurrentes, le
Rio Grande a assuré le développement de l’agriculture intensive, ainsi que la rapide
croissance démographique dans la partie basse du bassin. Cependant, le taux de
36
Ibid. 37
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 38
James Peach et James Williams, « Population and Economic Dynamics on the US-Mexican Border :
Past, Present and Future » in Paul Ganster (dir.), The US-Mexican Border Environment : A Road Map to
a Sustainable 2020, San Diego, SCERP, San Diego State University Press, 2000, pp. 37-73. 39
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
23
migration va continuer d’augmenter dans cette région en raison de la croissance
économique des villes frontalières, ce qui aura pour résultat d’augmenter la pression
sur les ressources en eaux de la région. D’autre part, « il convient de rappeler que les
infrastructures hydriques ne connaissent pas une croissance proportionnelle au
développement démographique »40
. Ainsi la capacité à gérer l’approvisionnement en
eau et les méthodes d’exploitation de la ressource sont une menace supplémentaire
pour celle-ci.
Par ailleurs, le traité de 1944 signé entre les Etats-Unis et le Mexique dispose
de l’attribution des ressources en eaux du Rio Grande dans une perspective agricole, or
ce cadre juridique n’avait pas prévu l’évolution industrielle de la région, ce qui a
« contribué à des demandes en eau imprévues et chaque fois plus importantes »41
sur la
ressource en eau du Rio Bravo. En effet, les gouvernements à cette époque étaient dans
l’incapacité d’envisager le développement à partir des années 1970 de l’industrie des
maquiladoras qui, au même titre que l’agriculture, a favorisé une « croissance urbaine
rapide et une poussée démographique depuis lors »42
. Notons que la position de la
région, en tant que lieu frontalier, a encouragé l’Etat mexicain à mener des politiques
pour l’établissement de l’industrie des maquiladoras et par la suite à assurer la
reconversion des travailleurs agricoles à des emplois dans l’industrie maquiladora (cf.
Graphique 2). Ces facteurs humains, cumulés aux irrégularités climatiques dans la
région, ont provoqué depuis les années quatre-vingt-dix une pénurie de la ressource
qui a affecté la région binationale du Rio Bravo.
Cette région aride constitue ainsi pour le Mexique une zone de développement
rapide du fait des « investissements importants réalisés par le secteur privé des pays du
Nord (essentiellement les Etats-Unis), attiré par la disponibilité d’une main-d’œuvre
bon marché (7 à 20 fois moins chère que la main-d’œuvre déclarée aux Etats-Unis,
suivant les secteurs d’activité) et la proximité géographique »43
. Nous l’avons compris,
l’eau est donc pour le Mexique l’enjeu primordial de cette région binationale.
Dans ce territoire binational, au début du XXIe siècle, un changement dans la
dynamique économique s’est ainsi opéré, les secteurs industriel, manufacturier et des
40
Manuel Chávez Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 41
Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 42
Idem. 43
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
24
services, soutenus par le commerce international, ont dominé l’économie et cette
tendance a été largement renforcée par l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994. De
fait, l’agriculture a ainsi « perdu de son omniprésence mais son rôle est toujours
socialement et économiquement important »44
.
Pour le Mexique la région binationale du Rio Bravo/Grande a donc « un rôle
économiquement fondamental, c’est l’un des principaux objectifs des flux
d’investissements étrangers directs, il connait une forte activité commerciale et c’est
un centre d’une relative prospérité économique »45
. Ceci constitue une raison suffisante
pour établir une nouvelle gouvernance de la ressource, étant donné la pression de
l’agriculture de l’industrie maquiladora et de la croissance démographique qui en
découle. D’autre part, « pour les USA cette région représente un défi majeur puisque
c’est l’un des principaux accès commerciaux territoriaux avec le Mexique »46
. Ainsi
donc ce territoire est une région dynamique, d’une importance stratégique, sociale et
économique majeure pour les deux nations. En conséquence, il est vital que les
gouvernements tant nationaux que municipaux et locaux de chaque coté de la frontière
portent leur attention sur les limites que connaîtrait la croissance en cas de pénuries
d’eau ou de mauvaise qualité de celle-ci.
2. La marchandisation de l’eau en Amérique du Nord en question
La pression qu’exerce l’économie sur l’eau se manifeste sous plusieurs formes,
la première, dans une vision empirique, concerne la pression des divers secteurs de
l’économie, nous l’avons traitée ci-dessus. Maintenant il nous appartient de replacer
les différentes menaces sur la ressource hydrique dans le contexte théorique qui oppose
la mise en patrimoine de l’eau à sa marchandisation.
En effet, deux nouvelles approches sont proposées. La première est l’approche
économique, où l’eau est envisagée au titre de bien économique soumis aux règles de
l’offre et la demande, susceptible d’appropriation, de gestion privée et objet de
commerce. « Cette théorie soutient que, contrairement à la lumière du soleil ou à l’air,
les fleuves, les lacs, les estuaires et les eaux côtières sont susceptible d’appropriation et
que, pour cette raison, l’eau ne devrait pas être uniquement une ressource naturelle,
44
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 45
Idem. 46
Idem.
25
mais également une ressource économique. »47
. Or, au lieu de considérer l’eau comme
ayant une nature holistique (à la fois facteur de production, bien de consommation
final, élément concourant à l’identité d’une communauté d’usagers, mais aussi support
de vie des écosystèmes), « les économistes ont entrepris de mobiliser les catégories de
l’économie néoclassique et de requalifier certaines des caractéristiques non
marchandes de l’eau dans les termes d’une économie basée sur le référentiel
marchand »48
. Ces courants de l’économie néoclassique ont notamment omis le
caractère sanitaire de l’eau ainsi que sa nature publique due à son indispensable
utilisation par chaque membre de la société. Cette entreprise a contribué, à l’échelle
internationale, à la reconnaissance de l’eau comme « bien économique » (principe 4 de
la déclaration de Dublin, 1992). Cette approche est préconisée par différents
organismes mondiaux à vocation économique, comme la Banque mondiale, le FMI,
l’OMC, l’OCDE et le Conseil mondial de l’eau. Ces organismes prônent la
reformulation du statut juridique de l’eau au titre de bien économique et tentent par
différents moyens de persuader les décideurs politiques que c’est la formule qui doit
être privilégiée à l’échelle nationale et internationale. Par ailleurs « la reconnaissance
de l’eau comme bien économique fait aujourd’hui partie des acquis des forums
mondiaux de l’eau successifs »49
. En privilégiant l’approche économique depuis les
années 1990, la Banque Mondiale démontre son influence dans le domaine de l’eau.
Néanmoins, certains auteurs estiment inopportun de poser la question de la
marchandisation de l’eau puisqu’il est « indéniable que le fait de subventionner
fortement les prix de l’eau d’irrigation conduit à des gaspillages »50
. Selon Luc
Descroix, la question qu’il faut se poser est de savoir si le fait de faire payer l’eau peut
en assurer un meilleur usage et en optimiser la gestion et la consommation.
La seconde est l’approche patrimoniale, où l’eau est envisagée à titre de bien
commun mondial ou à titre de composante du patrimoine commun de l’humanité.
Cette approche est principalement soutenue par des ONG (ATTAC) et des organismes
47
Yenny Vega Cardenas, « La construction sociale du statut juridique de l’eau en Amérique du Nord »,
Lex Electronica, vol.12 n°2, Automne 2007. 48
Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, « Entre bien marchand et patrimoine
commun, l’eau au cœur des débats de l’économie de l’environnement », in Graciela Schneier-Madanes
(dir.), L’eau mondialisée La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010, pp. 61-74. 49
Idem. 50
Luc Descroix, « Les conflits de l’eau au Nord-Mexique. Usage, appartenance et préservation des
ressource en marge du désert de Chihuahua », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et
territoires. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québéc,
2011 [2002], pp. 425-448.
26
comme l’UNESCO. Selon cette vision, l’eau est considérée comme un « bien premier,
qui ne doit pas être confondu avec une marchandise et doit sortir de la logique
économique »51
. Ainsi, « dès les années 1970, le droit international de l’environnement
investit les ressources naturelles d’une autre dimension, en leur conférant un caractère
patrimonial, parfois présenté comme le contrepoint de la dimension marchande52
.»
C’est d’ailleurs sous cet angle que les mouvements altermondialistes, en se référant à
la notion de patrimoine, soulignent les dangers d’une vision purement marchande de
l’eau. Par ailleurs, même les institutions qui soutiennent une approche économique de
l’eau « affirment la nécessité de mettre en place une concertation ou une participation
des usagers notamment à l’échelle locale, pour gérer les ressources en eau, en
reconnaissant explicitement leur dimension patrimoniale »53
. Néanmoins, il semble
difficile de concilier ces deux approches. En effet, soit on accepte d’accorder à l’eau un
caractère public, patrimonial et dans ce cas chaque membre de la société en est le
propriétaire et doit en assurer une gestion partagée, transparente et démocratique ; soit
on confère à l’eau une nature économique et dans ce cas la gestion de la ressource
revient au entreprises privées qui font des profits sur l’exploitation et la vente de droit
d’eau. Ce qui malheureusement conduit à une déresponsabilisation des populations
vis-à-vis de la gouvernance de l’eau.
Dans le cas de l’espèce, il apparait que la notion de marchandise dans
l’ALENA est plutôt vague. En effet, le Mexique, le Canada et les Etats-Unis sont
intégrés économiquement par l’ALENA, qui a pour effet, nous l’avons vu, de créer un
espace commercial entre ces trois pays afin d’éliminer les obstacles au commerce des
produits et des services entre les territoires des pays membres. Or, dans le cadre de la
déclaration conjointe de 1993, les gouvernements des pays signataires ont affirmé que
l’ALENA ne créait aucun droit aux ressources en eau « à moins d’être vendue dans le
commerce et de devenir ainsi une marchandise ou un produit.» Par conséquent, selon
les termes de l’ALENA, pour que l’eau soit considérée comme une marchandise, il
suffirait de la vendre dans le commerce ; de cette façon, l’eau entrerait pleinement dans
le champ d’application du traité. De plus, dans l’éventualité où l’eau serait assimilée à
51
Philippe Hugon, « L’eau est-elle un bien privé ou public ? », Sciences de la Société, n°64, fév 2005, p.
19-34. 52
Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25. 53
Idem.
27
une marchandise dans l’ordre juridique d’au moins un de ces trois pays, l’eau
risquerait alors, là aussi, d’entrer pleinement dans le cadre d’application du traité.
En l’espèce, la question de l’eau devient toutefois un sujet sensible entre le
Canada, le Mexique et les Etats-Unis, puisque ces pays comportent des situations
hydrographiques distinctes et où les mentalités de consommation et le rythme de vie
sont fort différents. Le flou qui demeure sur la définition de l’eau au sein de l’ALENA
a déjà provoqué de nombreux conflits nationaux et internationaux, notamment en ce
qui concerne les prétentions californienne et texane sur la ressource hydrique du
Canada. En effet, « même s’il y a un certain engouement pour la marchandisation de
l’eau et l’attribution d’un prix à cette ressource, dans le discours politique mexicain et
étatsunien, cette approche moderne peut inciter des conflits au sein et entre les deux
nations, le long de la ligne de division : urbain contre rural, populations indigènes
contre le reste de la population, et environnementaliste contre les avocats du
développement économique »54
.
De la même manière, les discours dominants sur la question de l’eau douce
diffèrent selon qu’on se trouve au sud ou au nord du continent nord-américain, ce qui
rend difficile la gestion des eaux transfrontalières et accentue considérablement la
pression sur la ressource hydrique des fleuves transfrontaliers. Le Rio Bravo étant
indirectement exposé à la marchandisation de ses flux sous couvert du traité de 1944,
son cas illustre les dérives de l’approche économique de la ressource en eau. Certes,
jusqu'à aujourd’hui il est impossible d’acheter directement l’eau du Rio Bravo (même
si des droits d’eau sont d’ores et déjà en vente), rappelons néanmoins :
Qu’actuellement, personne ne s’adonne à une quelconque activité sur le
marché à terme de l’eau, mais ce dernier ne mettra pas longtemps pour affirmer son
existence. Lorsque l’Etat du Texas a enregistré 10 milliards de dollars de pertes
économiques du fait de la récente sécheresse, des universitaires se sont mis à
échafauder des théories pour indexer l’eau du Rio Grande dans un marché à terme55
.
Ainsi dans le bassin du Rio Bravo/Grande, il est possible d’acheter des droits
d’eau, ce qui permet au plus offrant de s’approprier la ressource. Dans cette région, les
54
R. Perry, « Lessons from the Spaces of Unbound Water » in J. Blatter and Hellen Ingram (dir.),
Reflections on Water New Approaches to transboundary Conflicts and Cooperation, Cambridge,
Massachussetts, MIT press, 2001. 55
Frédérick Kaufman, op. cit, p.20.
28
plus pauvres doivent souvent acheter l’eau à des revendeurs et la paient généralement
plus cher que les foyers plus aisés raccordés au réseau principal. Or seuls les plus
riches ont les moyens de payer les coûts de construction et d’entretien du réseau. « On
voit alors toute la difficulté du financement de l’accès à l’eau dans les pays du Sud si
l’on s’en tient au principe de « l’eau paye l’eau »56
. » Dans un tel espace, les Etats ne
peuvent plus éviter d’accorder à l’eau un statut juridique précis et disposant d’une
approche patrimoniale.
Les deux approches théoriques sur la nature marchande ou patrimoniale de
l’eau non seulement opposent deux courants économiques différents, mais sont aussi le
théâtre de la lutte entre les ONG et les mouvements altermondialistes d’une part, et les
institutions internationales telles que la Banque Mondiale, l’OMC et le FMI d’autre
part. En effet, les partisans de l’approche patrimoniale s’opposent à la demande des
grands organismes commerciaux de faire de l’eau un bien économique et avancent que
le libre marché augmenterait le risque d’épuisement des ressources à l’échelle de la
planète, et nuirait particulièrement à l’économie et à l’écologie des pays les plus
fragiles. Ils soutiennent que « le fait de comprendre l’eau sous la stricte perspective
économique peut créer des inégalités d’accès à la ressource, particulièrement dans le
cas des plus démunis57
. » En l’espèce, dans un contexte de rareté, les lois de l’offre et
de la demande auront tendance à favoriser les mieux nantis, ce qui mènera au
phénomène de l’appropriation de l’eau par une minorité en excluant une grande partie
de la population des agriculteurs et des petits industriels du Rio Bravo/Grande. A ce
propos, Jean-Marc Fournier nous rappelle que :
Dans les villes d’Amérique latine, l’accès à l’eau potable, en quantité et en
qualité, varie selon la position sociale. L’eau se révèle être un bon révélateur des
inégalités sociales, de la ségrégation urbaine et illustre parfaitement les problèmes de
développement généraux. Pour les habitants socialement les plus défavorisés, l’eau est
un souci quotidien pour survivre58
.
Les partisans de cette approche considèrent que l’eau dépasse toute
souveraineté territoriale et qu’elle devrait être gérée par un organisme supranational
56
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 57
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 58
Jean-Marc Fournier, « Inégalités et conflits de l’eau dans les villes d’Amérique latine », in Graciela
Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée. La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010,
pp. 419-437.
29
indépendant en fonction du principe de solidarité proné par l’ONU. Ils plaident
également en faveur de la reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau, essentiel et
irrévocable, consacré récemment par l’Assemblée générale des Nations Unies le 28
juillet 2010.
En réponse aux échecs des différents Forums Mondiaux de l’Eau (FME), le
Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) a été créé, le dernier en date celui de
Marseille (du 12 au 17 mars 2012) a rassemblé plus de 5000 participants venus
partager leurs expériences de lutte contre la marchandisation de l’eau et en faveur de la
reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit humain fondamental ; il s’agissait d’un
forum de réflexion, de partage et de discussion dont l’objet est, entre autres, de
proposer des alternatives à la marchandisation de l’eau. Les ONG sont lasses de voir
qu’ « aucune vision, aucune solution crédible et pérenne n’a émergé du forum mondial
de l’eau, alors que la crise de l’eau continue à faire des ravages59
. » A cette occasion,
l’ONG Via Campesina déclare que « l’eau est un bien commun au bénéfice de tous les
êtres vivants. Il doit être soumis à une gestion publique, démocratique, locale et
soutenable. »60
Elle affirme que « la privatisation et la marchandisation de l’eau et de
tout autre bien commun sont un crime contre la terre et l’humanité ».61
Bien que nous ne partagions pas pleinement ces accusations, il nous a semblé
important de les relever afin d’exposer le sentiment d’un ensemble de citoyens, de
militants, d’associations et d’ONG vis-à-vis de la menace que représente la
marchandisation de l’eau. En effet, « les mouvements altermondialistes, les militants
opposés au modèle de privatisation ou encore les associations prônant une nouvelle
culture de l’eau ont interprété les ruptures de contrats comme étant des victoires dans
le cadre de leur lutte plus générale contre le néolibéralisme »62
. Il apparait que la mise
en réseau international de ces associations leur a incontestablement donné plus de
force et une plus grande visibilité. Les acteurs qui dénoncent que l’eau n’est pas une
marchandise rappellent que « la dimension sociale de l’accès à l’eau n’a pas été
59
Marc Laimé, « Du Forum alternatif mondial de l’eau à Rio +20 ». Le Monde diplomatique. En ligne.
Avril 2012. In Carnet d’eau. URL : http://blog.mondedipo.net/2012-04-11-Du-Forum-alternatif-
mondial-de-l-eau-a-Rio-20?archives=toutes. (Consulté le 28 mai 2013). 60
Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, « La privatisation de l’eau, un crime contre la terre et
l’humanité », Bastamag, Mars 2012, URL : http://www.bastamag.net/article2223.html (Consulté le 12
juin 2013). 61
Idem. 62
Jean-Marc Fournier, op. cit, p.28.
30
suffisamment mise en avant, discutée ou explicitée »63
. Par ailleurs, ils ont permis de
penser l’eau à une échelle internationale et souhaitent qu’elle soit considérée comme
un patrimoine.
L’auteur Riccardo Petrella qui fait figure de leader de l’approche patrimoniale
de l’eau affirme que :
Nous avons laissé les intérêts sectoriels des uns et des autres transformer l’eau
en une ressource appropriable, ouverte à la conquête patrimoniale des plus forts. En
tant que bien patrimonial mondial de l’humanité, l’eau aurait dû être protégée par la
Loi de l’État. Elle ne l’a pas fait. […] C’est une grande faute que d’avoir enlevé à l’eau
son statut de bien public et de la soumettre, comme tout bien ou service privé
marchand, aux principes de la libéralisation, de la déréglementation et de la
privatisation.64
Par ailleurs, il semblerait que le secteur agricole soit directement menacé par la
marchandisation de l’eau. En effet, l’auteur Frédérick Kaufman estime que la
marchandisation ferait peser une menace sur les prix des produits alimentaires, c’est
pourquoi « les manœuvres en vue d’un marché global de marchandisation de l’eau
doivent être arrêtées ». Il nous prévient du danger que représente la « catastrophe »
qui permettra de parier sur les aliments humains. Par ailleurs, il prévoit que « la
prochaine grande matière première dans le monde ne sera ni l’or, ni le blé, ni le pétrole.
Ce sera l’eau. L’eau exploitable et utilisable65
. » Il envisage un marché de l’eau à terme
qui assurerait la livraison ou la réception de volumes d’eau pour une date prochaine
déterminée. « Si l’eau devenait un produit boursier, elle rejoindrait le brut Brent, le
carburant d’aviation et l’huile de soja et pourrait être négociée n’importe où, n’importe
quand et par n’importe qui66
. » Il conclut son pamphlet en assurant que « les dérivés
financiers globaux ont prouvé qu’on ne peut leur faire confiance. On leur fera d’autant
moins confiance qu’il s’agit de notre ressource la plus précieuse. Lancer un marché à
terme de l’eau créerait seulement encore plus de folie financière, folie qui semble
résister à toute tentative de réglementation67
. »
63
Ricardo Petrella, Le manifeste de l’eau, pour un contrat mondial, Bruxelles, Labor, 1998. 64
Riccardo Petrella, Le Bien commun, éloge de la solidarité, Bruxelles, Labor, Quartier Libre, 1996. 65
Frédérick Kaufman, op. cit, p.20. 66
Idem. 67
Idem.
31
En l’occurrence, la marchandisation de l’eau représenterait une menace de plus
pour la gestion des eaux du Rio Bravo puisqu’il s’agit, rappelons-le, d’une région
historiquement orientée vers une agriculture d’irrigation. Côté mexicain il s’agit de la
plus vaste zone d’agriculture irriguée du pays, de plus il s’agit d’une région
connaissant une croissance industrielle soutenue et en conséquence une croissance
démographique très importante. Autant d’arguments justifiant la nécessaire approche
patrimoniale de la ressource hydrique dans cette région fréquemment affaiblie par de
violentes sécheresses.
C. La pénurie d’eau au carrefour des sécheresses et de la croissance de
la région transfrontalière
Nous avons montré plus haut que le bassin du Rio Bravo/Grande est soumis a
de fortes pressions et que les facteurs juridiques et économiques constituent une
menace conséquente sur les ressources hydriques de la région transfrontalière du Rio.
Il convient maintenant d’analyser le fardeau que représente le facteur climatique à la
fois sur la disponibilité de la ressource en eau et sur le développement économique et
démographique qui en dépend. Nous verrons que le réchauffement climatique qui s’est
accompagné de violentes sécheresses dans les années 1990 et 2000 est à la fois la
conséquence d’une mauvaise gestion de la ressource et la cause de celle-ci ; il s’agit en
quelque sorte du nouveau cycle de l’eau dans le bassin du Rio Grande, l’eau n’étant
plus une ressource de nature renouvelable alors que les sécheresses se produisent avec
une fréquence accrue. Par ailleurs, nous porterons notre attention sur la notion de
« sécheresse exceptionnelle » prévue par le traité de 1944 et les effets qui sont donnés
à cette exception au régime applicable. D’autre part, il nous a paru fondamental
d’étudier la notion de rentabilité hydrique présentée comme l’une des solutions à la
crise hydrique dans le bassin du Rio Grande, cette notion étant à la base du conflit
entre les différents acteurs (agriculture, industrie, ménages). Enfin, l’absence de prise
en compte du facteur écologique dans la répartition des eaux du Rio Grande/Bravo
nous semble être l’un des facteurs principaux de la crise de l’eau dans la région
d’étude. Cette négligence grave, conséquence de la lutte binationale pour
l’appropriation de la ressource, est non seulement un facteur de pression déterminant
sur la ressource hydrique mais également révèle de sérieuses carences dans la
coopération Mexique-Etats-Unis. Puisqu’il apparait que les décideurs politiques
32
continuent de chercher de nouveaux moyens d’intervention sur l’offre, nous traiterons
de démontrer dans quelle mesure une politique de réduction de la demande est
extrêmement justifiée dans une situation de pénurie.
1. Les violentes sécheresses des années 1990 et 2000
L’utilisation croissante d’eau en agriculture, les modifications des cultures,
l’accroissement de la consommation d’eau potable, les gaspillages et l’aggravation de
la pollution, conjugués à une forte sécheresse depuis 1993, se traduisent par une
pénurie d’eau dans le bassin du Rio Bravo. Les aquifères sont surexploités, les
réservoirs sont à un faible niveau et les besoins de l’agriculture et des ménages sont
difficiles à satisfaire.
En février 2001, « le fleuve n’atteignait même plus le golfe du Mexique »68
. Ce
constat qui résulte d’une étude de l’OCDE consacrée au Mexique demande une
attention toute particulière. En l’espèce, avec des ressources montant à 4 000
m3/hab/an, « le Mexique est assez peu pourvu en eau »69
. En raison de l’utilisation de
l’eau pour le développement du Colorado, du Nouveau Mexique et de l’Ouest du
Texas, le Rio Grande est à sec au sud d’El Paso pendant une grande partie de l’année.
Deux affluents du Rio Grande, le Conchos coté mexicain et le Pecos coté américain
sont les principales sources d’eau qui alimentent le Rio Grande et lui permettent de
récupérer son débit jusqu’au golfe du Mexique. Rappelons que les deux tiers nord du
pays sont constitués de milieux arides ou semi-arides et qu’en raison de ce climat les
pluies sont très irrégulières et la plus grande partie des précipitations est absorbée dans
le bassin du Rio Grande.
« Les sécheresses récurrentes sont caractéristiques de la région »70
et sont une
sérieuse menace pour la sécurité de l’eau dans la région d’étude, puisque la ressource
hydrique est déjà surexploitée, laissant présager un avenir de tension et d’insécurité
hydrique or « Les problèmes posés par la ressource eau y sont anciens, et les situations
conflictuelles ou tendues sont nombreuses »71
. De plus, malgré la récurrence des
sécheresses dans cette région et la vulnérabilité de celle-ci à ces dernières, « ni le
Texas, ni le Mexique ne comptent sur des mécanismes formels permettant de gérer les 68
OCDE, op. cit, p.13. 69
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 70
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 71
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique..., op. cit, p.25.
33
sécheresses dans un contexte binational »72
. Selon les auteurs Aguilar Barajas et
Mitchell, cette absence de gestion des sécheresses ainsi que la faible disposition en eau
pendant la sécheresse, ne font qu’exacerber les tensions et les conflits entre les usagers
se disputant la ressource et accentuer le risque sui pèse sur la sécurité en eau de la
région. A titre d’exemple, les deux barrages internationaux Falcon et Amistad
construits sur le Rio Grande n’ont plus été remplis depuis 1992, période à partir de
laquelle la région a connu « les sécheresses les plus longues et sévères jamais
enregistrées »73
pendant lesquelles la quantité d’eau présente dans ces barrages
représentait 30% de leur capacité totale de stockage. Autre fait à signaler, le flux d’eau
à la hauteur de Brownsville-Matamoros, soit à 20 km du golfe, représente à l’heure
actuelle moins de 20% du débit enregistré immédiatement après le barrage Falcón
selon le rapport de juillet 2013 de la CILA/IBWC.
La vulnérabilité de cette région au changement climatique qui survient depuis
les années 1990 peut être aggravée par des facteurs comme les changements d’usage
des sols, ces derniers étant en effet victimes de l’expansion urbaine et du
développement de l’industrie, « aujourd’hui il semblerait que certains déserts gagnent
du terrain à cause d’une mauvaise utilisation des sols »74
. Sont aussi en cause la
croissance démographique et économique, les conditions socioéconomiques et le
niveau d’éducation et de savoir. C’est sur ce dernier facteur qu’Enrique Escorza a le
plus insisté lors de notre entretien75
, il regrette que le gouvernement mexicain n’œuvre
pas ou pas assez pour faire prendre conscience aux jeunes générations des enjeux de
l’eau. Notre entretien s’est rapidement orienté vers la question agricole puisque les
plus affectés par la sécheresse sont principalement les producteurs agricoles du
Mexique et du Texas. Ces derniers refusent d’ailleurs la vision selon laquelle la
sécheresse est la seule explication à l’actuelle crise de l’eau dans la partie basse du Rio
Grande ; ils signalent notamment, « des déficiences dans la gestion et allèguent que le
développement de la partie haute du Rio Bravo a affecté les livraisons d’eau en
provenance du Rio Conchos »76
.
72
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 73
Idem. 74
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique..., op. cit, p.25. 75
Entretien du 1er
juillet 2013 avec Enrique Escorza à Washington DC. 76
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
34
Nous l’avons dit, entre 1992 et 2002, la région du bassin du Rio Bravo a reçu
des précipitations inférieures à la moyenne. Cela a entraîné, entre 1995 et 1999, des
coupures d’eau proches de 50% pour les agriculteurs mexicains du Bas du Rio Bravo
et américains de la Vallée du Texas. De plus, « pour la période 2000-2001, les coupures
ont été totales pour l’agriculture d’irrigation dans toute la région binationale »77
. Cette
pénurie résulte certes, en partie de la sécheresse prolongée, mais elle est aussi la
conséquence de la mauvaise gestion de l’eau dans cette région.
Cette sécheresse a en fait conduit à un conflit d’envergure entre le Mexique et
les Etats-Unis. En effet, en 2002 le gouvernement fédéral Mexicain a décidé d’ajourner
les livraisons d’eau pour les barrages internationaux en raison de la sécheresse ; cette
mesure a provoqué de vives protestations côté américain, « l’existence du traité de
1944 a servi de base juridique pour les agriculteurs texans, lesquels ont réclamé leur
partie hydrique des affluents mexicains »78
.
En raison de leur nature, les problèmes le long de la frontière entre le Mexique
et les USA sont binationaux, ainsi « les pénuries actuelles en eau des deux cotés de la
frontière sont aujourd’hui l’un des sujets primordiaux de la diplomatie du XXIe siècle
entre le Mexique et les Etats-Unis.79
» Rappelons que le traité de 1944 engage le
Mexique à fournir aux Etats-Unis un tiers des eaux qui s’écoulent du rio Conchos
(dans l’Etat de Chihuahua) jusqu’au Rio Bravo. Cet engagement est basé sur une
période de cinq ans et la quantité fournie ne peut être inférieure à 432 millions de m3
par an.
Néanmoins, le traité de 1944 dispose dans son article 4-B-d) que toute dette
peut être reportée sur la période de cinq ans suivante en cas de « sécheresse
extraordinaire ». Ainsi en accord avec le traité, le Mexique pourra reporter son
obligation de fourniture de l’eau en cas de sécheresse extraordinaire. La position du
Mexique a donc été de soulever la notion de sécheresse extraordinaire pour reporter le
paiement de la dette du cycle 26 sur le cycle 27. Le problème repose alors sur « le
terme de « sécheresse extraordinaire » qui ne connaît pas d’interprétation propre à
77
Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11. 78
Idem. 79
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
35
l’échelle binationale80
. » En effet, ce terme n’a jamais été défini de manière adéquate
dans le traité de 1944. Cette situation, nouvelle sur le plan juridique, exerce une
pression supplémentaire sur la ressource hydrique puisque le silence prolongé des
décideurs politiques a conduit à une lutte acharnée pour l’appropriation de la ressource.
Le principal regret de M. Escorza, diplomate mexicain en charge des questions
frontalières entre le Mexique et les Etats-Unis, étant de constater que, dans cette
région, lorsqu’il y a de l’eau disponible, chacun s’empresse de l’utiliser de crainte
qu’elle ne disparaisse. A l’heure actuelle, non seulement la notion de « sécheresse
extraordinaire » n’est pas définie, mais la plupart des gens ne connaissent pas le sujet
et « il n’y a aucune institution spécifique pour traiter de la question du changement
climatique et de ses lourdes conséquences sur la disponibilité de l’eau dans la région
frontalière.81
» En somme, selon les auteurs Mumme et Pineda, il y a dans la région
binationale du Rio Bravo, un besoin imminent d’une meilleure administration des
ressources hydriques de la frontière sans porter préjudice à l’environnement et cela
doit passer par de meilleures solutions institutionnelles amenant à une meilleure
administration de la ressource.
2. L’eau à la base de l’économie : l’apologie d’une politique de l’offre.
Le bassin du Rio Grande/Bravo est une région exposée à la sécheresse,
caractérisée par une faible offre en eau, une forte croissance urbaine et démographique,
l’irrigation intensive (cf. Tableau 2), la croissance du secteur industriel déjà important
et en conséquent une forte dégradation environnementale. Celle-ci se traduit par
l’angoisse des populations locales ; selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, la
sécurité en eau est une préoccupation chronique. En effet, l’ouverture de cette région
comme zone propice au développement du commerce s’est faite à partir de
« l’impulsion que les investissements publics et privés ont donnés aux infrastructures
profitant de l’eau et incorporant de grandes superficies de terre cultivées par
irrigation82
. » Les investissements en infrastructures avec l’objectif explicite de profiter
productivement des ressources naturelles de la région, surtout de l’eau, expliquent le
80
Stephen Mumme et Nicolás Pineda, « Administracion del agua en la frontera México Estados-Unidos :
Retos de mandato para las institutiones binacionales », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford
et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados
Unidos, Mexcio, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 151-182. 81
Idem. 82
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.
36
développement agricole qui est à l’origine de la création de micro régions dans la zone
frontalière (ex Valle de Juarez-El Paso ou Bajo Rio Bravo-Rio Grande) dans lesquelles,
au fil du temps, s’est concentrée la majeure partie de la population et des activités
économiques. Ce nouveau modèle économique a attiré une population importante
venant du centre et du sud du pays qui s’est établie dans les centres urbains, lesquels
connurent dans les années 1980 une croissance démesurée qui n’a pas cessé depuis.
C’est ainsi que « la zone métropolitaine de Monterrey […] est passée de 1 250 000
habitants au début des années 1970 à environ 4 millions d’habitant en 201083
. » Pour
les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, le défi pour l’avenir est inquiétant dans la
mesure où, selon leurs estimations la population entre 1953 et 2030 dans la micro
région du bas du Rio Grande/Bravo aura augmentée de 600%, et que cette population
« va a son tour augmenter la demande en eau municipale à plus du double des niveaux
actuels, cela contribuera à faire pression sur la ressource et sur la capacité de la région
à capter, distribuer, traiter et répartir l’eau84
. »
Ainsi, cet accroissement démographique (cf. Tableau 3) entamé depuis les
années soixante et soixante-dix s’ajoutant à l’augmentation des superficies agricoles
d’irrigation (cf. Tableau 2) dans le bassin du fleuve Conchos durant les années quatre-
vingt-dix, a provoqué une augmentation de la consommation d’eau tant en milieu
urbain qu’agricole dans les zones du bassin du rio Bravo. En fait, c’est à partir des
années 1980 que l’on enregistre une hausse de plus de 40% des surfaces agricoles
d’irrigation ; cette tendance n’ayant évidement pas été prévue dans le traité de 1944 a
conduit à des pénuries de la ressource. Aujourd’hui les eaux du Rio Bravo/Grande sont
utilisées entre 80% et 90% pour l’usage agricole85
, ce qui représente environ 800 000
hectares irrigués dans le bassin versant du bas du Rio Grande, un peu plus de la moitié
étant située au Mexique86
. Cependant l’utilisation de l’eau dans le milieu agricole
s’avérant très peu rentable, il convient de rechercher des solutions alternatives qui
modifient les formes d’irrigation du secteur agricole et permettent de diversifier les
cultures.
83
Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11. 84
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 85
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 86
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
37
Bien qu’apparaissent de nouvelles activités économiques dans la région, cela
n’a pas réduit la superficie agricole d’irrigation. Ainsi « le principal problème pour le
nord du Mexique est le risque de pénurie »87
, ce qui compromet l’avenir de la région
avec l’émergence de tensions nouvelles autour de la gestion de l’eau dans un espace
économiquement et démographiquement dynamique à l’heure actuelle, où l’on s’attend
à ce que la demande croisse sensiblement dans les prochaines années. Dans
l’immédiat, cette pénurie d’eau fait obstacle au développement économique de la
région binationale, en particulier du côté mexicain, puisque de nombreuses entreprises
internationales évitent cette région en raison précisément des inquiétudes relatives à la
sécurité de l’eau88
.
Selon l’auteur Salinas Palacios, les conflits qui ont affecté l’agriculture
d’irrigation dans la région du Rio Bravo peuvent certes être partiellement expliqués par
les conditions climatiques, la surexploitation du bassin en amont et la croissance
urbaine et industrielle, mais ils sont avant tout une conséquence directe de la
décadence du modèle économique d’agriculture d’irrigation dans des milieux semi-
arides. L’utilisation inefficace des ressources en eau et le manque de compétitivité de
l’agriculture mexicaine face aux Etats-Unis dans le marché soulèvent la nécessité
d’une réflexion pour une gestion durable du bassin du Rio Bravo dans un nouveau
contexte socioéconomique d’un territoire partagé entre deux pays où la ressource
hydrique est constamment exposée à une distribution et à une demande des populations
de part et d’autre de la frontière, radicalement différente89
.
Salinas Palacios nous appelle donc à réfléchir sur les enjeux présents et futurs
pour trouver de nouveau la stabilité hydrique dans ce territoire. Or selon Luc Descroix,
« longtemps, les responsables mexicains de l’agriculture et de la gestion de l’eau ont
fermé les yeux sur le problème de la surexploitation de la ressource, qui n’était pas
politiquement abordable »90
. En l’espèce, nous traversons une période de transition
dans laquelle il faut laisser derrière nous l’époque où l’eau était une ressource
renouvelable en grande disponibilité et se diriger vers une conception dans laquelle la
87
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 88
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 89
Manuel Chavez Marquez, « Dinámicas de interdependencia y seguridad : Población, desarrollo y agua
en la política pública de la frontera Estados Unidos-México », in Alfonso Andrés Cortez Lara, Scott
Whiteford et Manuel Chávez Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera
México-Estados Unidos, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 63-98. 90
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.
38
rareté de l’élément détermine l’intervention des divers acteurs responsables de la
gestion et de l’utilisation de cette ressource91
.
En somme, il faut penser l’eau d’une façon différente. On se demande
aujourd’hui comment les sociétés et les gouvernements doivent affronter la future
augmentation de la demande ainsi que les contraintes imposées par les sécheresses. En
l’espèce, face à la pression de la demande d’eau, les autorités du secteur et les
responsables des organes intervenants n’ont pas cherché d’autre alternative que celle
d’agir sur l’offre en se demandant de quelle façon acheminer plus d’eau, sans tenir
compte des conséquences que cela aurait sur la pénurie de la ressource. De plus, il
apparait que les organes intervenants ont uniquement veillé à satisfaire la demande
« sans responsabiliser la communauté et sans l’informer du signifié de l’importation de
l’eau d’autres bassins et de l’extraction intensive des ressources hydrauliques
souterraines, ayant pour conséquence la détérioration des bassins et l’abattement des
réserves des aquifères souterrains »92
. Ainsi, la priorité donnée à une politique de
l’offre fondée sur l’augmentation de l’extraction et l’importation de l’eau, consacre la
demande comme étant une donnée autonome du problème93
, sans remettre en question
les pratiques de consommation d’eau dans la région et la contradiction de ces dernières
avec le contexte de pénurie d’eau. Selon l’auteur Sanchez Munguia, la satisfaction de
la demande n’est cependant pas uniquement une question de stockage, de transfert et
de distribution de l’eau, mais plutôt une question d’utilisation rationnelle et adéquate
de l’offre.
3. L’absence de prise en compte du facteur écologique dans la répartition de
l’eau du Rio Grande
Le traité de 1944 dispose dans son article 4 de la répartition de l’ensemble des
eaux présentes dans le Rio Bravo, qu’elles proviennent d’affluents mexicains ou
américains, laissant ainsi à la discrétion des gouvernements locaux la gestion et
l’utilisation de la ressource. Néanmoins la question de la qualité de l’eau n’y est pas
abordée, pas plus que la question d’un seuil minimal d’eau permettant d’assurer la
conservation de l’écosystème lui-même94
. L’attitude des deux pays face au silence du
91
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 92
Idem. 93
Idem. 94
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
39
traité a été d’utiliser la totalité des eaux disponibles en négligeant ainsi la dimension
environnementale et le facteur écologique de l’écoulement de l’eau le long du fleuve.
Les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell insistent sur le fait que si les mécanismes de
répartition ne sont pas modifiés de façon à prendre en compte les besoins écologiques
fondamentaux, il n’y aura plus assez d’eau dans le fleuve pour assurer la conservation
de l’écosystème95
. Il est d’autant plus inquiétant de voir que « les actuels protocoles
établis par les traités administrés par la CILA ne présentent pas de critères écologiques
ou environnementaux dans les questions de gestion de l’eau96
. » Cette négligence a par
ailleurs compliqué pour les acteurs sociaux et environnementalistes la revendication de
conservation et de maintien d’un débit minimum de l’eau des fleuves transnationaux et
de leurs affluents.
Le gouvernement a délibérément favorisé la croissance de la dynamique
commerciale, des services et de l’industrie, sans autre préoccupation que la capacité
financière et le développement d’infrastructures97
. Jamais auparavant le concept de
développement durable n’était présent dans la conception des politiques de cette
région. Par conséquent ni les Etats-Unis, ni le Mexique n’ont accordé une grande
attention à la dimension écologique de la qualité de l’eau or « la qualité de l’eau dans
le Rio Bravo est devenue un sujet d’inquiétude face à la croissance démographique,
l’économie régionale et la production de déchets qui en découle98
. »
Le traité n’incluant pas de mesure de protection ou de conservation d’un certain
volume d’eau dans une finalité environnementale, la quantité d’eau dans le lit du
fleuve est extrêmement faible ; à 20 km du golfe elle représente moins de 20% du débit
enregistré immédiatement après le barrage Falcon. Entre février 2001 et août 2001, le
volume d’eau dans le Rio Bravo a diminué à tel point que le fleuve n’arrivait plus
jusqu’au golfe du Mexique et est à sec au Sud d’El Paso pendant une grande partie de
l’année en raison du détournement des eaux américaines en amont pour assurer le
développement du Colorado, du Nouveau Mexique et de l’Ouest du Texas. En fait, les
Etats-Unis ont construit le barrage d’Elephant Butte afin d’éviter la perte d’eau au
bénéfice du Mexique, quel qu’en soit les conséquences environnementales. Inutile de
95
Ibid. 96
Stephen Mumme et Nicolás Pineda, op. cit, p.35. 97
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 98
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
40
rappeler la gravité de cet événement, étant donné « la fonction que remplit le fleuve
pour diluer la teneur en polluants que l’on y déverse, ainsi que son rôle permettant de
freiner l’entrée d’eau salée à son embouchure, ou encore sa fonction écologique tout au
long de son lit99
. »
Le fleuve a une importance cruciale pour les deux pays, non seulement du point
de vue de la croissance économique et sociale mais aussi environnementale. Force est
de constater que les dirigeants mexicains n’entendent pas ralentir le développement de
cette région dynamique sur le plan économique pour assurer la conservation
écologique du bassin du Rio Bravo, les diplomates Mexicains préférant critiquer la
gestion inadaptée de la ressource par les Etats-Unis plutôt que de remettre en question
leur propre administration et conception de l’eau. Néanmoins il nous semble que pour
le bien de tous, il faut dépasser cette situation, si possible conjointement,
unilatéralement sinon. Finalement, la gestion de l’eau doit prendre en compte
l’écosystème en tant qu’usager primordial. Ignorer ces besoins environnementaux
pourrait menacer l’existence même du fleuve, sans lequel cette région binationale n’a
pas d’avenir100
. Les liens entre la sécurité de l’eau, la sécurité écologique et le
développement économique sont évidents en effet ; Jean Burton nous rappelle que :
Pour veiller à la durabilité de l’eau, nous devons la percevoir dans une optique
holistique, en équilibrant des demandes concurrentes - sur les plans domestique,
agricole, industriel (y compris l’énergie) et environnemental. La gestion durable des
ressources en eau réclame un processus décisionnel systémique et intégré qui tient
compte de l’interdépendance de ces quatre domaines. En premier lieu, les décisions sur
l’utilisation des terres ont une incidence sur l’eau, et celles relatives à l’eau ont
également des répercussions sur l’environnement et l’utilisation des terres. En
deuxième lieu, les décisions concernant notre avenir économique et social, qui ont
actuellement un caractère sectoriel et fragmenté, influent sur l’hydrologie et les
écosystèmes dans lesquels nous vivons. En troisième lieu, les décisions prises aux
niveaux international, national et local sont interdépendantes101
.
99
Ibid. 100
Ibid. 101
Jean Burton, « La gestion intégrée des ressources en eau par bassin. Au-delà de la rhétorique », in
Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoire. Tension, coopérations et géopolitique de
l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 191-208.
41
Aujourd’hui le problème pour les décideurs politiques est de trouver un moyen
d’assurer des flux continus ou périodiques suffisants pour assurer la conservation de
l’habitat de la zone frontalière. A cet effet, « plusieurs écologistes ont commencé à
considérer la possibilité d’ajouter un accord environnemental, consacrant la fonction
écologique des eaux dans le traité de 1944102
. » Selon les auteurs Mumme et Pineda, en
ce qui concerne la conservation écologique, il appartient à la CILA de rédiger et
adopter un accord qui mette en avant la valeur écologique de l’eau, afin d’inclure cette
notion dans le traité de 1944. Par ailleurs, ceci est en phase avec le rapport de l’OCDE
de 2003 selon lequel « il est peut être temps pour la CONAGUA de tenir compte plus
explicitement de l’écologie dans sa mission, ses fonctions et ses objectifs (comme le
font d’ores et déjà les organismes chargés du génie hydraulique de plusieurs autres
pays membres de l’OCDE) et d’accorder une plus grande place à la dimension
écologique de la qualité de l’eau103
. » Cette avancée unilatérale ne peut être que
bénéfique pour la zone frontalière, par ailleurs ce pourrait être le levier pour assurer
une gestion binationale écologiquement responsable de la ressource hydrique. Notons
néanmoins que, bien que la Loi Nationale des Eaux de 2004 au Mexique adopte une
approche holistique de la ressource en eau, la ressource hydrique partagée le long de la
frontière avec les Etats-Unis fait l’objet d’une toute autre approche.
102
Stephen Mumme et Nicolás Pineda, op. cit, p.35. 103
OCDE, op. cit, p.13.
42
II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du con-
flit hydrique à l’ « hydrodiplomatie »
Cette deuxième partie de l’étude nous permet de mettre en avant l’enjeu politique
de cette région stratégique à la fois à l’échelle binationale et nationale. Le début des
années 2000 a vu naître un conflit pour le partage des eaux entre les Etats-Unis et le
Mexique qui dure encore aujourd’hui. Ce dernier s’est également transformé en un
contentieux propre au Mexique opposant les Etats de Tamaulipas et de Nuevo León.
Ce différend souligne notamment la compétition pour l’eau qui existe entre les
différents secteurs d’activité et la consommation des ménages de ces deux Etats. Nous
verrons dans une première partie que le Traité de 1944 est à la fois un instrument de
diplomatie favorisant la coopération binationale, mais aussi le responsable principal de
la querelle Mexique-Etats-Unis. Par ailleurs, nous traiterons dans une seconde partie de
la question de la rentabilité hydrique qui se pose inéluctablement dans une région où
les pénuries d’eau sont récurrentes, ainsi nous verrons en quoi l’existence même de
l’agriculture dans une telle région est remise en cause. Enfin, nous verrons dans quelle
mesure la pénurie d’eau dans le bassin du Rio Grande/Bravo a une répercussion sur
l’ensemble du continent Nord-américain.
A. Le traité de 1944, instrument de diplomatie, facteur de discorde
Nous avons vu préalablement en quoi le traité de 1944 peut être un facteur de
pression sur la ressource en eau parce qu’il instaure une iniquité dans la répartition des
eaux du Rio Bravo/Grande (les États-Unis ont droit à un seuil minimum tandis que le
Mexique doit se contenter d’un pourcentage sur les eaux en question). Nous avions dit
que cette iniquité s’est traduit jour après jour par une attitude de « use it or lose it »104
qui a conduit les deux pays à s’approprier toute l’eau possible de peur de la perdre au
bénéfice du voisin. Par ailleurs, ce traité instaure, bien que sans la citer, la notion de
dette en eau. Cette perception de l’eau comme moyen de paiement montre combien
cette ressource est primordiale dans cette région en particulier, mais révèle également
une certaine irresponsabilité politique (1). D’autre part, la gestion de l’eau
transfrontalière qui s’opère en application du traité de 1944 traduit l’expression d’une
relation dominant-dominé (2). Enfin, nous traiterons de l’obligation pour les deux Etats
de trouver un terrain d’entente et nous verrons comment a fonctionné la coopération
104
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
43
interétatique à partir de l’émergence du différend Etats-Unis-Mexique relatif à la dette
hydrique de ce dernier vis-à-vis du premier (3).
1. L’avènement de la notion de dette en eau
Selon les auteurs Chavez Marquez, Andres Cortez et Whiteford, « la région de
la frontière Etats-Unis-Mexique, n’est pas une zone de guerre mais ce n’est pas non
plus une zone de paix ». En effet, la frontière est une zone qui se caractérise par une
dégradation environnementale, l’inégalité politique et économique et le conflit des
normes et priorités105
; le choix étant en effet difficile entre l’activité industrielle très
productive et favorable à l’emploi, mais fortement polluante et l’activité agricole
moins productive et grosse consommatrice d’eau tout en étant moins bénéfique pour
l’emploi. C’est dans ce contexte que trouve sa source la demande des Etats-Unis
concernant le paiement d’environ deux milliards de mètres cubes d’eau, en se fondant
sur l’article IV-B-c du Traité de 1944. Rappelons que ce dernier engage le Mexique à
fournir aux Etats-Unis un tiers des eaux qui s’écoulent du Rio Conchos jusqu’au Rio
Bravo. Cet engagement couvre période de cinq ans et la quantité fournie ne peut être
inférieure au seuil minimal de 432 millions de m3 par an. En l’espèce, en application
de l’article IV-B-c du traité de 1944, les agriculteurs du sud du Texas ont exigé que le
Mexique libère une partie du volume qui, selon eux, revient Etats-Unis en vertu de ce
traité. Cette « dette » est due au fait que « le Mexique n’a pas laissé s’écouler autant
d’eau que le prévoyait l’accord, en partie du fait de la forte sécheresse qui a sévi sur
une longue période »106
.
Néanmoins, selon les termes du traité, toute dette peut être reportée sur la
période de cinq ans suivante en cas de sècheresses extraordinaires, mais aucun des
deux pays ne peut rester en dette indéfiniment, or la dette accumulée sur la période
1992-1997 (1 263 Mm3) a été acquittée en 2001. Le gouvernement mexicain a réglé la
dette de la période 1997-2002 (1 719 Mm3) sur la période 2002-2007. Selon le traité,
le Mexique est tenu de rembourser sa dette dans le bassin même du Rio Bravo et ne
peut pas le faire en renonçant à ses droits sur l’eau du Rio Colorado ; nous soulignons
cette obligation qui résulte de l’article IV-B-c du traité puisque, lors des négociations
concernant le remboursement de la dette en eau du Mexique, certains diplomates
105
Manuel Chavez Marquez, Alfonso Andres Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 106
OCDE, op. cit, p.13.
44
américains menaçaient de déroger à cette condition d’attribution locale de la
ressource.107
En somme, il y a un désaccord entre les deux pays quant aux obligations
exactes découlant de l’accord (s’agissant de savoir quel volume fournir et quand).
L’acte 307 suivant le traité de 1944 permet d’établir un programme de
paiements correspondant à la dette mexicaine en matière d’eau. En effet, en application
de l’acte 307 de 2001 pour assurer l’exécution partielle de l’obligation résultant de
l’article 4-B-c du Traité de 1944, « les membres de la CILA/IBWC ont pris note de
l’expression par les Etats-Unis au Mexique d’une sollicitude d’octroi d’eau d’un
volume de 740 Mm3 pour le 31 juin 2001, pour réduire la dette actuelle du Mexique
concernant le Rio Bravo ». Il faut souligner que, de fin septembre 2000 jusqu’au 3
mars 2001, le Mexique a livré aux Etats-Unis un volume de 287 Mm3. Ainsi, il
appartient au Mexique d’exécuter un transfert de 453 Mm3 pour le 31 juin 2001.
Toujours en application de cet acte, les Etats-Unis peuvent donc s’attendre
raisonnablement à un volume compris entre 610 et 733 Mm3 au 31 juin en raison des
variations climatiques.
Par ailleurs, les membres de la CILA/IBWC ont admis qu’il convenait de
mettre en place un plan de contingence au cas où le Mexique ne remplisse pas son
obligation d’octroi de 740 Mm3 au 31 juin. Ce plan de contingence pourra en premier
lieu inclure les affluents du Rio Bravo non pris en compte dans le traité de 1944
jusqu'au mois de septembre. En second lieu, les eaux des barrages de Luis L. León, de
la Fragua, du Centenario et de San Miguel, seront prises en considération pour
compléter la dette en eau du Mexique vis-à-vis des USA.
Aussi, les actes 308 et 309 signées en 2002 et 2003 entre la CILA mexicaine et
l’IBWC américaine ont permis au Mexique de « payer » sa dette avec des eaux du
fleuve San Juan, un cours d’eau non engagé dans le Traité de 1944. Cette initiative a
provoqué un nouveau différend puisque les associations civiles des usagers de l’eau
avec l’appui du gouvernement de Tamaulipas ont assigné le gouvernement fédéral en
alléguant le non respect du traité original de 1944108
, cependant, la Cour Suprême de
justice de la Nation a annulé la plainte déposée par le gouvernement « priiste » (PRI)
de Tamaulipas contre le gouvernement national « paniste » (PAN) et la CONAGUA
107
Entretien avec Enrique Escorza, diplomate mexicain en charge des négociations sur le remboursement
de la dette en eau du Mexique avec les Etats-Unis. 108
Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11.
45
pour la livraison aux Etats-Unis d’eau stockée dans les barrages internationaux aux
Etats-Unis au motif de la non-ingérence dans les affaires de politique externe de la
nation d’un état fédéré et de la compétence fédérale sur l’eau prévue par l’article 4 de
la LAN mexicaine de 1992.
Certes, ce long processus de négociation entre les deux pays a résolu
temporairement le conflit diplomatique, mais à laissé sans eau les agriculteurs
mexicains des districts d’irrigations 25 et 26, ce qui a changé la nature de la
problématique des eaux du Rio Bravo. En effet, cet enjeu géopolitique externe est
devenu un enjeu de géopolitique interne.
Il apparaît que cette obligation de paiement en eau se traduit par l’apparition
récurrente d’un litige entre le Mexique et les Etats-Unis. Cette vision de l’eau comme
un moyen de paiement souligne certes l’indiscutable nature de l’eau comme facteur de
développement, néanmoins c’est le rapport « me debes, me pagas »109
qui devrait faire
l’objet d’une sérieuse remise en question. La perception de l’eau comme étant un
moyen de paiement révèle une irresponsabilité politique grave, puisqu’il ressort que les
dirigeants n’ont pas considéré la possibilité d’être confrontés à une sécheresse ou à une
pénurie prolongée de la ressource lors de la rédaction du traité de 1944, alors même
qu’il s’agissait d’une zone aride. Que faire alors si le Mexique ne peut pas payer, faut-
il lui prendre de force l’eau qu’il attribue à ses agriculteurs ? Faut-il l’obliger à
exécuter ses obligations en vertu du traitée de 1944 pour satisfaire la soif et assurer
l’avenir hydrologique d’un Etat qui « sur-pompe ses aquifères depuis 50 ans »110
? Par
ailleurs, une telle vision de la ressource est très réductrice, alors même que la tendance
mondiale est à une prise en considération holistique de cette ressource.
2. L’expression d’une relation dominant-dominé
Nous commençons cette sous-partie par un exemple avancé par l’auteur Luc
Descroix afin d’illustrer l’inégalité dans la relation Mexique-Etats-Unis. Durant l’hiver
2000-2001 la Californie a connu des pénuries générales d’électricité, secteur par
ailleurs privatisé aux USA. Depuis novembre 2000, le voisin mexicain, dont la
109
Entretien avec Enrique Escorza, diplomate mexicain en charge des négociations sur le remboursement
de la dette en eau du Mexique avec les Etats-Unis. Traduction : “paye ton du”. 110
Luc Descroix, « Gestion de l’eau ou aménagement de l’espace ? La fonction hydrologique d’un
territoire », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension, coopérations et
géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 158-189.
46
production et la distribution d’électricité est étatique sauve chaque jour la Californie du
chaos en fournissant des milliards de kWh manquants. En mai 2001, les autorités de
gestion du Rio Grande se sont rendu compte que les périmètres irrigués mexicains
étaient en train de dépasser leur quota d’eau fixés par le traité de 1944. La partie
américaine (IBWC) a alors annoncé que les eaux restantes devaient être réservées aux
périmètres américains en vertu des accords internationaux. Donc, du 1er
janvier au 30
juin 2001, le Mexique a préservé chaque jour au minimum 10 à 20% du PNB
Californien, soit en cumulé une valeur ajoutée de 50 à 100 milliards de dollars, mais
les paysans du Tamaulipas ont dû faire leur deuil de la production de sorgho et ont dû
être indemnisés par l’Etat mexicain. Cela s’est traduit par une perte limitée à 500
millions de pesos.111
Il est certain que le Mexique ne dispose pas des mêmes moyens que les Etats-
Unis à l’heure de négocier. Le traité de 1944 concerne les eaux des fleuves Colorado et
Grande, c’est-a-dire deux fleuves prenant leur source dans les Rocheuses côté
américain. Les Etats-Unis ont ainsi accordé au Mexique quelques écoulements afin
d’obtenir un droit sur les affluents mexicains qui viennent alimenter ces fleuves en
aval. Néanmoins, il n’est pas rare que le Colorado n’atteigne plus la mer112
en raison
des nombreux barrages qui permettent aux Etats-Unis de détourner la ressource.
D’autre part, nous l’avons déjà dit, le barrage d’Elephant Butte construit à 220 km
environ de la frontière le long du Rio Bravo permet aux Etats-Unis de s’approprier
l’ensemble de l’eau présente dans le lit du fleuve avant qu’il n’atteigne la frontière. Il
est facile d’imaginer les options qui s’offraient alors au Mexique : signer et obtenir
« quelques miettes »113
au nord-ouest (les Etats-Unis s’engagent à fournir au Mexique
1 850 millions de m3 d’eau par an provenant du fleuve Colorado au Mexique)114
et en
offrir en échange au nord-est ou alors ne pas signer le traité et ne rien obtenir du tout.
Rappelons que c’est la doctrine Harmon qui s’imposait alors, selon laquelle les nations
avaient l’absolue souveraineté sur les eaux traversant leur territoire sans aucune
obligation vis-à-vis des voisins d’aval.
111
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 112
Idem. 113
Idem. 114
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
47
Le premier conflit concernant les eaux du Rio Grande entre le Mexique et les
Etats-Unis de 2001 a lui aussi été un excellent exemple de déséquilibre dans les
rapports qu’entretiennent ces deux pays quant aux méthodes de pression déployées. En
l’espèce, les gouvernements des Etats-Unis et de l’état du Texas, frontalier du
Mexique, ont réclamé au Mexique, le paiement d’une dette de 2 000 millions de m3
d’eau. Le Mexique a initialement répondu qu’il ne pouvait pas payer, notamment à
cause des sécheresses dont il est victime. Dans cette querelle, le Texas a menacé de
recourir à une action légale contre le Mexique en vertu de l’article II§2 en raison des
pertes économiques dues à l’absence de fourniture des eaux comprises dans le traité.
Le gouvernement de Vicente Fox a ainsi fait la promesse de remplir ses obligations
internationales le 16 février 2001 à Washington (promesse retranscrite dans le rapport
307). Des députés de l’opposition mexicains ont annoncé par la suite qu’ils étaient
disposés à comparaître devant la Court Internationale de Justice (CIJ) de La Haye pour
défendre les consommateurs du pays ; rappelons que pour que la CIJ ait compétence, il
faut que les Etats se soumettent à sa juridiction, ce qui n’est absolument pas le cas en
l’espèce.
Par la suite, un second épisode de tensions autour de la dette en eau du
Mexique en 2002 a mis en évidence l’incapacité des dirigeants mexicains à peser dans
les négociations concernant l’échelonnement des paiements en eau du Mexique. Ainsi,
cette même année, le gouverneur du Texas, Rick Perry, et le président des Etats-Unis,
George Bush, ont fait pression sur le gouvernement fédéral de Vicente Fox pour lui
faire respecter le TILA et délivrer les eaux stockées dans les barrages situés dans le
bassin du Rio Conchos, indispensables pour approvisionner le sud du Texas.
Finalement, sous la pression exercée par les Etats-Unis entre 2002 et 2005, le Mexique
a commencé à rembourser la dette qu’il avait contractée. Ce remboursement a été
accordé par la signature des actes 308 et 309, étudiés préalablement, qui modifiaient le
traité de 1944.
Plus récemment, selon le rapport d’avril 2013 de la CILA, le Mexique va
libérer de nouveau, de l’eau de ses barrages vers le Rio Bravo pour que les agriculteurs
du côté américain puissent en faire usage. La commission binationale en charge de
l’application du traité de 1944 a envoyé un courrier aux membres texans du Congrès
américain les informant que le gouvernement mexicain avait accepté fin mars 2013 les
48
pétitions des agriculteurs texans, soucieux de leur ravitaillement en eau mexicaine. Le
Mexique a accepté de céder cette eau suite aux pressions des dernières semaines des
législateurs américains et des agriculteurs du sud du Texas. Actuellement, le Mexique a
jusqu'à octobre 2015 pour s’acquitter de sa dette en eau à l’égard des USA.
Un autre facteur de déséquilibre dans la relation Mexique-Etats-Unis s’explique
par la crise interne que le Mexique a dû affronter au cours des années 1980, alors qu’il
s’est trouvé dans l’impossibilité de payer sa dette externe. Ainsi, « ce pays s’est vu
dans l’obligation de demander une aide financière aux institutions financières
internationales, comme la Banque Mondiale, le FMI et la Banque interaméricaine de
développement »115
. En effet, le Mexique, qui ne disposait pas de ressources
économiques suffisantes pour investir en développement et infrastructures pour la
gestion de l’eau, s’est alors vu dans la nécessité de contracter des prêts auprès de la
Banque mondiale. À partir de ce moment, l’influence de cette institution dans les
politiques du pays a été très marquée, puisque pour assurer la viabilité des projets de
financement, le gouvernement qui décide de contracter un prêt se voit imposer un
lourd programme de réforme des politiques publiques et, notamment, de sa législation,
selon les exigences de la Banque. C’est dans ce contexte que le pays a dû étudier des
stratégies de modernisation des infrastructures pour l’agriculture et les villes,
permettant de conserver l’eau et d’assurer le paiement des dettes qui s’accumulent
pendant cette période.
De plus, la longue tradition d’activisme aux Etats-Unis, a permis aux groupes
de pression étatsuniens d’intervenir d’une manière plus influente dans les processus de
prise de décision publique, que leurs homologues mexicains116
. Selon les auteurs
Ingram et Levesque, dans la région transfrontalière, les acteurs rapportent que les
groupes nord-américains tels que Border Ecology Project, Texas Center for Policy
Studies in Arizona Toxics Information, entre autres, ont eu une plus forte influence sur
les décisions politiques de la COCEF que les organisations mexicaines. Alors que
certaines organisations binationales innovatrices se sont mises en place pour le soutien
de la région et des écosystèmes spécifiques (Sky Island Alliance, Rio Grande
115
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 116
Helen Ingram et Suzanne Levesque, « Las instituciones del Tratado de Libre Comercio de América
del Norte y más allá », in Alfonso Andres Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel Chávez Márquez,
Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, México, El Colegio de la
Frontera Norte, 2005, pp. 127-149.
49
Alliance), elles rencontrent de nombreuses difficultés dues à une asymétrie de
ressources, à l’accumulation de structures administratives de part et d’autre de la
frontière et à la peur des petites structures mexicaines d’être dominées par les
puissantes organisations d’Amérique du Nord qui bénéficient d’un soutien financier
très supérieur à celui qui est accordé à leurs homologues mexicaines. Ce déséquilibre
fait obstacle à la formation d’alliances transfrontalières effectives.
Il est vrai aussi que comme le souligne Luc Descroix, dans une logique de
frontière Nord-Sud :
Le Mexique a trop intérêt à céder sur ce terrain pour essayer de collecter le
plus gros volume d’investissements américains : son agriculture a déjà été sacrifiée sur
l’autel du néolibéralisme, et les haricots et le maïs consommés par les Mexicains
viennent de plus en plus souvent des champs du « grand frère du nord ». Le Mexique
table sur l’industrie et le tertiaire « délocalisés » pour fournir des emplois bien plus que
sur une agriculture trop dépendante des faibles ressources en eau. Du reste, des points
de vue économique et écologique, c’est un assez bon calcul à terme, puisque la
consommation d’eau nécessaire à la création d’emplois et de richesse est bien moindre
dans l’industrie que dans l’agriculture117
.
En somme, le Mexique aurait tout intérêt a sacrifier l’eau de son agriculture
pour rembourser sa dette vis a vis des Etats-Unis, bien que, semble-t-il, le TILA de
1944 ne représente plus la réalité des écoulements dans le Rio Bravo et qu’avec
l’évolution du réchauffement climatique et la récurrence des sècheresses dans la région
binationale il est légitime de se demander quelle va être la position du Mexique
lorsqu’il devra rembourser sa dette en eau avec de l’eau destinée à l’utilisation des
ménages. Néanmoins, dans une situation telle de pénuries, la collaboration s’impose et
il faut souligner les efforts réalisés de part et d’autre pour trouver un terrain d’entente.
3. De l’inévitable coopération interétatique
La gestion des ressources hydriques de la frontière Etats-Unis Mexique peut-
être tout autant une source de conflit qu’un instrument de coopération118
. Pour assurer
la sécurité de la région transfrontalière, la coopération n’est pas seulement de mise, elle
est indispensable. En effet, bien que l’utilisation des ressources dans la zone frontalière
117
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 118
Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37.
50
relève du domaine local et domestique, l’acheminement des ressources hydriques dans
cette zone relève du domaine de la coopération internationale. Ainsi, « l’administration
de l’eau de long de la frontière entre les USA et le Mexique fait intervenir plusieurs
acteurs, notamment des institutions internationales, mais aussi fédérales, régionales,
nationales et municipales »119
. En l’espèce, les problèmes locaux des eaux dans les
villes de la région frontalière relèvent effectivement des relations internationales ; c’est
pourquoi le traité de 1944 a formalisé les mécanismes pour la construction, la gestion
et la répartition des volumes stockés dans les barrages Falcon et Amistad en les
confiant à la CILA/IBWC. L’article II du traité de 1944 dispose que c’est cette même
commission qui est responsable du respect de l’application du TILA. De plus, elle doit
assurer la gestion et la distribution de l’eau du Rio Grande ; elle a de ce fait pour
mission de mettre en place et de développer les moyens d’accès à l’eau dans la région
transfrontalière120
.
Avec le temps, il s’est établi entre les représentants des deux pays au sein de la
CILA des modes de communication fluide leur permettant de traiter les problèmes et
les conflits qui surgissent concernant la répartition de l’eau et les questions de qualité.
Néanmoins, la CILA ne fonctionne pas en réalité comme une institution unique mais
avec « deux représentations technico-diplomatiques qui travaillent conjointement »121
.
La CILA/IBWC a été mise en place pour « faciliter l’action conjointe tout en
protégeant la souveraineté nationale des deux pays »122
. Cela explique donc que la
coopération binationale soit renforcée entre deux territoires de plus en plus
interdépendants économiquement concernant l’usage de l’eau. C’est pourquoi, en
2002, les deux gouvernements sont convenus d’investir ensemble dans la conservation
de l’eau, dans des actions d’amélioration de la durabilité et de l’efficience dans la
région, et dans un système destiné à fournir des informations fiables sur la ressource123
.
Selon l’auteur Stephen Mumme, la CILA est le meilleur exemple de coopération
fonctionnelle dans le maniement des ressources transfrontalières de pays disparates,
dont les commissionnaires ont fait preuve d’efficacité technique et de
professionnalisme et d’habilité diplomatique. Cette coopération est ainsi indispensable
119
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 120
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 121
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 122
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 123
OCDE, op. cit, p.13.
51
puisque dans la zone d’étude, «l’agenda de l’eau est directement compris dans
l’agenda du développement de la région binationale »124
.
Avant la signature de l’ALENA, la coopération entre le Mexique et les Etats
Unis concernant la gestion de l’eau a vu intervenir les ministères de l’environnement
de chacun des deux pays, ainsi l’accord de La Paz de 1982 a permis à l’agence de
protection de l’environnement américain (EPA) et à son homologue mexicain, le
SEMARNAT, créé en 1994, d’élaborer un large éventail de sujets pour promouvoir le
développement durable. Cet accord était un appel à la coopération pour trouver des
solutions à des problèmes commun. En l’espèce, l’EPA et le SEMARNAT ont
développé le programme Frontière XXI en utilisant des stratégies de participation
publique, de construction d’infrastructures et de décentralisation ainsi que de
coopération entre agences125
. Néanmoins, c’est avec l’ALENA que la coopération dans
le domaine de l’eau a commencé à porter ses fruits.
Le processus d’interaction, de croissance économique et démographique entre
deux sociétés souligne l’internationalisation croissante du bassin du Rio Bravo. Ce
processus s’est officialisé en 1994 avec la signature de l’ALENA. En effet, au début de
la décennie de 1990, les gouvernements mexicain et étasunien ont adopté de nouveaux
accords institutionnels qui prennent en compte l’environnement partagé, ainsi que le
besoin d’inclure des acteurs infranationaux et non gouvernementaux dans le processus
de prise de position environnementale, transfrontalière si nécessaire. A cet effet, pour
mener à bien les réformes nécessaires, les gouvernements nationaux ont du céder un
certain degré de souveraineté aux institutions ainsi créées pour qu’elles adoptent une
perspective régionale.
C’est ainsi que la COCEF et la BANDAN ont été crées dans le cadre de
l’ALENA. La COCEF est une commission binationale qui a été établie le 1er
janvier
1994 en application d’un accord collatéral de l’ALENA. Selon les termes de cet
accord, il s’agit d’une « réponse aux pressions publiques pour accroître la transparence
et la participation publique dans le processus de prise de décisions relatives à
l’environnement »126
. On a donné autorité à la COCEF sur le développement et la
construction d’infrastructures pour accéder à l’eau potable, ainsi que sur le traitement
124
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 125
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 126
Idem.
52
des eaux usés et des déchets solides. Le Mexique et les USA ont également créé le
BANDAN pour renforcer la COCEF, afin de fournir les fonds nécessaires aux projets
d’infrastructures environnementales.
En somme, la coopération binationale entre les Etats-Unis et le Mexique a
nettement avancé depuis la signature de l’ALENA127
; en effet, selon Javier Cabrera
Bravo, administrateur général de la COCEF :
Ce schéma de coopération bilatérale est unique au monde, puisqu’il crée une
organisation qui identifie les besoins de manière directe et décentralisée, soutient les
communautés pour que leurs propositions puissent remplir un ensemble de critères et
de conditions techniques et financières, avec une vision des planifications à long terme
et avec l’approbation sociale. En même temps, chaque gouvernement adresse des
ressources financières pour la région frontalière qui passent par le BANDAN, dans un
processus par lequel plusieurs acteurs des gouvernements national, fédéral et
municipal de chaque pays se coordonnent, tout en assurant la participation de la
société frontalière.128
Néanmoins, il est nécessaire de renforcer cette coopération. Il convient
d’harmoniser les institutions binationales et en même temps de développer des
stratégies de long terme en considérant la région de manière globale129
. En l’espèce,
malgré cette « formidable trame institutionnelle binationale mise en place pour traiter
les problèmes liés à l’eau et à l’environnement le long de la frontière »130
, cela ne
constitue que le cadre institutionnel et organisationnel permettant de développer la
recherche de solutions à la demande croissante d’eau de qualité dans la région. C’est le
cadre dans lequel les problèmes sont traités et les conflits potentiels réglés. Il semble
que l’on puisse avancer bien plus encore, en effet l’augmentation de la demande en eau
de la région frontalière Mexique-USA a mis en évidence l’absence de planification et
de perspective à long terme qui a prévalu dans le développement et l’organisation de
cette région, l’eau n’ayant pas été considérée comme étant un élément central des
127
Manuel Chavez Marquez, Alfonso Andres Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 128
Javier Cabrera Bravo, « Los retos de la frontera México-estados Unidos y el trabajo de la Comision
de Cooperacion Ecologica Fronteriza », in Alfonso Andres Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel
Chávez Márquez, Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos,
México, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 183-196. 129
Idem. 130
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.
53
politiques mises en place131
. Il est dommage de constater que l’EPA agisse encore
unilatéralement en apportant des fonds propres (Fonds pour l’Infrastructure
Environnementale Frontalière), ce qui est contraire à l’esprit de l’ALENA132
.
Cependant, il faut reconnaître que la coopération binationale transfrontalière nous a
montré dans les années récentes que plusieurs problèmes associés à la gestion de l’eau
trouvent une solution dans la collaboration, l’échange et la reconnaissance du
problème à échelle internationale. Par ailleurs, la collaboration entre la CILA/IBWC et
la COCEF a permis de rattraper le retard concernant les infrastructures de service
d’eau potable, de drainage et de traitement des eaux usées de chaque coté de la
frontière133
.
Un autre type de coopération à plus petite échelle est également envisageable, à
savoir une collaboration entre les villes jumelles frontalières. En effet, si l’on tient
compte du fait que le modèle de gestion utilisé dans les villes jumelles américaines est
plus efficace, il est possible et recommandable d’assurer une coopération et un échange
d’expériences qui aideraient les organismes mexicains à améliorer leur capacité de
gestion de la ressource hydrique134
.
B. La problématique de la rentabilité hydrique, l’aménagement du ter-
ritoire en question
Nous avons vu que la ressource en eau connait de sérieuses limites dans la
région d’étude; en outre, il s’agit d’un territoire qui s’est historiquement
principalement développé grâce à l’essor d’une agriculture d’irrigation basée sur
l’exploitation du Rio Grande. Cette agriculture bien qu’inadaptée à une région aride est
indispensable à l’équilibre de la région (1). Cependant, avec la récurrence des pénuries
d’eau et des sècheresses depuis les années 2000, l’agriculture d’irrigation du coté
mexicain est plus que jamais menacée de disparaître, puisque cette même eau est
également convoitée par les nouveaux secteurs d’activité qui se sont implantés
progressivement depuis les années 1970 et en particulier à partir de l’entrée en vigueur
de l’ALENA. Par ailleurs, cette dynamique économique a attiré de nombreux
mexicains qui sont venus chercher du travail dans le secteur industriel des
131
Ibid. 132
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 133
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 134
Idem.
54
maquiladoras et se sont regroupés dans les centres urbains du nord du Mexique ; de ce
fait ceux-ci sont désormais des acteurs primordiaux dont la prise en compte dans la
répartition de l’eau du Rio Bravo est indispensable (2). Face à cette situation critique
de pénuries d’eau, l’attitude des dirigeants politiques de la région transfrontalière a été,
nous l’avons vu, d’intervenir sur l’offre. Cela s’est manifesté par l’ambition du
Mexique et des Etats-Unis d’acheter l’eau du Canada afin de l’acheminer dans les
régions les plus affectées par les sècheresses de la dernière décennie (3).
1. La question de la dépendance agricole
Dans le bassin du Rio Grande, la plupart des eaux sont utilisées pour
l’agriculture, soit environ 80%135
. Cette disproportion dans l’attribution de l’eau selon
les différents secteurs s’explique parce qu’il s’agit pour le Mexique d’une région qui
constitue « la principale zone d’expansion potentielle de son agriculture : 54% des
terrains peu pentus du pays s’y trouvent, mais ils ne disposent que de 7% des eaux de
surface pour être mis en valeur »136
. Or, selon Luc Descroix, l’agriculture sèche y est la
plupart du temps impossible : en plaine, la pluviométrie est partout inférieure à 500
mm, le plus souvent à 300 mm, avec neuf mois de saison sèche. Ce territoire se définit
par une nette homogénéité climatologique qui se caractérise par un milieu semi-aride
qui fait de cette région l’une des plus vulnérables de chaque pays, puisqu’elle dépend
de sources d’eau ayant une origine éloignée de son lieu d’exploitation (les Rocheuses).
Dans les années 1940 et 1950, les dirigeants politiques mexicains ont vu dans
ce territoire l’occasion de développer une agriculture intensive au moyen de
l’irrigation. La situation se prêtait alors très bien à ce développement, « le Rio Bravo
est le moyen d’acheminer l’eau aux usagers des deux pays situés en aval du
bassin »137
; en fait aucune dépense démesurée n’était à prévoir, par ailleurs il
s’agissait d’une région pauvre et désertique. Force est de constater que c’est à travers
l’agriculture d’irrigation que cette région a connu un premier essor économique. Cette
activité source d’emploi s’est rapidement imposée comme étant le moteur économique
du Nord mexicain (cf. Graphique 2).
135
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 136
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 137
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
55
Néanmoins, selon Darío Salinas Palacios, le modèle agricole d’irrigation mis en
œuvre n’a pas beaucoup changé depuis sa création. Les districts d’irrigation du bassin
du Rio Bravo disposent d’un système d’infrastructures d’irrigation « obsolètes et
coûteuses à maintenir »138
. De plus, le secteur agricole a perdu de son influence
politique dû à son faible rendement économique face aux secteurs industriel et de
services depuis la crise financière au début des années 1980 et lors des réformes
libérales du Mexique. La question de la rentabilité de l’eau consommée se pose alors ;
en effet, « la relation entre la quantité d’eau consommée et la productivité économique
que chaque district génère dans la région du bas Rio Bravo est déterminante pour
comprendre l’actuel rôle social et économique de l’agriculture du nord de
Tamaulipas139
. » On assiste progressivement à une perte de poids économique et social
de l’agriculture dans la région ; rappelons que les petits agriculteurs vendent leurs
droits d’eau aux grands propriétaires terriens et viennent grossir le nombre de
travailleurs du secteur de la maquila. L’auteur Salinas Palacios nous parle de la
décadence du modèle de l’agriculture d’irrigation dans cette région ; par ailleurs, il
laisse entendre qu’il appartient au secteur assurant la plus grande rentabilité entre eau
utilisée et richesse produite d’obtenir l’accès aux eaux du Rio Bravo. D’autre part, le
diplomate Enrique Escorza s’avoue séduit par l’idée d’abandonner complètement
l’agriculture d’irrigation dans la région transfrontalière du Rio Bravo, si et seulement
si, les agriculteurs mexicains se voient offrir des débouchés honnêtes sur le marché du
travail140
.
Néanmoins, bien qu’une large partie de la population de la partie basse du Rio
Grande vive dans des zones urbaines, l’agriculture, qui utilise la plus grande partie de
l’eau qui est attribuée à la région, est économiquement et socialement importante141
.
Ainsi, selon les auteurs Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, la sécurité de l’eau
dans la zone urbaine est liée à la sécurité de l’eau agricole. Cependant, soulignons que
cette dernière risque de ne pas être garantie sans une grande transformation du modèle
agricole des districts d’irrigation, principaux consommateurs d’eau dans le bassin et
dans la région transfrontalière du Rio Bravo.
138
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 139
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 140
Entretien avec Enrique Escorza du lundi 1er
juillet 2013. 141
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
56
La situation climatologique de la région a été prise en compte dans une
initiative mexicaine visant à mettre en avant les cultures peu consommatrices d’eau et
adaptables à un milieu désertique qui rapporteraient des rendements équivalents à ceux
de l’agriculture irriguée. Il s’agit du périmètre expérimental de La Ventana, dans l’Etat
de Coahuila ; ce site de recherches agronomiques sur les « plantes utiles » du désert est
cependant « actuellement moribond du fait du manque de moyens et de l’absence de
volonté politique d’aider des paysans de moins en moins nombreux »142
dans cet
espace. Ce site avait été ouvert dans les années 1970, et ses recherches avaient pour but
d’améliorer le sort des petits paysans (généralement en autosubsistance) du désert de
Chihuahua. On y a sélectionné une série de plantes pouvant permettre aux paysans
d’entrer dans le marché avec des productions adaptées au climat : les seules qui aient
finalement été retenues, mais pas étendues, sont la lechuguilla (aloé vera, utilisé pour
les cosmétiques), la candelolla, (sabila, idem) et le nopal (figuier de Barbarie, utilisé
pour l’alimentation en complément du maïs). Dans ce périmètre, on a utilisé des
kilomètres carrés de désert comme impluvium, afin de rassembler au pied des plantes
des quantités d’eau bien supérieures à celles précipitées sur place, et aussi pour remplir
quelques citernes. Cette eau n’étant pas utilisée en aval auparavant, et l’espace
monopolisé pour capter l’eau étant inutilisable pour l’agriculture, son utilisation ne
créait aucun conflit. Bien qu’il ait périclité depuis, cela paraît un bon exemple de
l’utilisation optimale de l’espace à des fins hydrologiques143
. Ce genre d'initiative
permettrait à l’agriculture de la région du bassin du Rio Bravo de se renouveler tout en
maintenant une activité indispensable pour l’équilibre de la région.
En accord avec Leandro Del Moral, il semble évident que « la gestion de l’eau
est indissociable de celle du territoire, et les problèmes de gestion de l’eau sont avant
tout des problèmes d’aménagement du territoire144
. » Ce postulat justifie toutes les
questions qui se posent dans le bassin du Rio Bravo sur la priorité que l’on doit donner
ou non à certains secteurs dans la répartition de l’eau ; par ailleurs, on peut se
demander si l’eau doit absolument répondre à une logique économique de rentabilité. Il
semble indiscutable en revanche que dans une région où les ressources sont limitées,
priorité soit donnée à l’approvisionnement en eau des ménages.
142
Luc Descroix, Gestion de l’eau…, op. cit, p.45. 143
Idem. 144
Leandro del Moral, « Planification hydrologique et politique territoriale en Espagne », Herodote,
n°102, 2001 pp. 87-112.
57
2. Tensions sociales : la primauté des villes dans la répartition de l’eau
Rappelons que ce territoire binational a souffert d’une accélération de la
croissance urbaine en termes de population, influencée par les dynamiques
économiques s’appuyant sur une irrigation intensive entre les années 1940 et 1960 et
sur l’augmentation significative de la production industrielle à partir des années 1970,
ce dernier processus s’étant intensifié et officialisé avec la signature de l’ALENA en
1994145
. Ces modes de développement économique ont reposé sur l’exploitation
intensive des eaux du Rio Grande ; cependant, au vu des niveaux d’utilisation actuels,
le fleuve ne pourra pas répondre aux différentes demandes (agriculture, ménages,
industrie, écosystème)146
. Il ressort de l’étude que la concurrence entre les usages
agricoles, domestiques, industriels et écologiques s’est intensifiée largement et requiert
une meilleure compréhension de la relation entre l’eau et le développement durable.
Les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell remarquent à juste titre que le fait d’ « assurer
l’accès à l’eau est un enjeu de survie socioéconomique et environnementale147
. » Cette
analyse s’applique particulièrement à la région du Rio Bravo où l’on observe qu’ :
En raison de la croissance démographique et économique, à la disponibilité
limitée de la ressource et à la complexité administrative dans laquelle entre en jeu la
répartition de cette ressource, un ensemble de conflits potentiels apparaissent alors au
sein du bassin entre agriculteurs et industriels, entre développement économique et
protection environnementales, entre les zones rurales et les zones urbaines, entre les
usagés en amont et les usagés en aval et entre le Mexique et les Etats-Unis148
.
En somme, il est à prévoir que si l’on n’améliore pas la gestion de l’eau, la
croissance démographique et économique développera ces conflits d’avantage. Il nous
appartient donc, pour répondre à la problématique de notre étude, de réfléchir sur les
enjeux présents et futurs qu’implique le rétablissement de la stabilité hydrique dans ce
territoire.
Nous tenons néanmoins à contraster les inquiétudes qui ont ici été exposées
avec la vision des auteurs Blanchon et Veyret. Selon ces auteurs, « le thème récurrent
145
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 146
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 147
Idem. 148
Idem.
58
d’une pénurie future et massive des ressources en eau semble souvent exagéré149
. » Ils
expliquent en effet que les ressources sont souvent présentées de façon simpliste en m3
par habitant, en négligeant deux facteurs importants. D’une part, disent-ils « il faut
prendre en compte la capacité d’adaptation à des ressources limitées des différents
pays150
. » Mais, dans le cas présent, force est de constater que, bien que les autorités
soient conscientes de cette situation, les populations semblent ne pas avoir compris que
l’offre et la demande en eau vont entrer en collision dans le bassin du Rio Grande151
.
D’autre part, selon ces mêmes auteurs, « il faut également considérer le type
d’utilisation152
. » En effet, la consommation domestique étant généralement très faible
par rapport aux besoins agricoles, ils en concluent donc que « la pénurie n’est pas liée
à la faiblesse de la ressource, mais à la répartition de l’eau153
. » Sous bien des aspects
cette analyse est juste concernant le bassin du Rio Bravo ; en effet, nous disions plus
haut que bien que les pays concernés soient confrontés à des sècheresses extrêmement
dévastatrices, la mauvaise gestion de la ressource est malgré tout le principal
responsable de la pénurie.
La question de l’usage de la ressource se pose en fait à divers niveaux dans le
bassin du Rio Grande. En effet, le principal conflit d’usage concerne la surexploitation
de cette ressource :
Faut-il consacrer de l’eau non renouvelable à l’agriculture dans un pays du
Sud où la croissance démographique est encore assez forte et la dépendance
alimentaire en augmentation ? Cela tant qu’il y aura de l’eau dans ces nappes à gros
volumes fossile mais à faible recharge ; ou bien faut-il d’ores et déjà sacrifier la
production pour pérenniser la ressource et assurer aux générations futures un
approvisionnement faible mais durable ? Pour le moment, c’est une logique
« minière » qui prévaut : tant qu’il y a de l’eau, on la prend. On élude donc un conflit
entre utilisation « minière » et gestion raisonnée et patrimoniale se souciant de la
pérennité de la ressource154
.
De nombreuses interrogations se posent donc à ce niveau de l’étude puisqu’un
choix doit être fait concernant l’usage de la ressource qui ne pourra pas durablement
149
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 150
Idem. 151
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 152
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 153
Idem. 154
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.
59
satisfaire toutes les demandes auxquelles elle est exposée. Faut-il remplacer
l’agriculture par l’industrie et donc condamner un secteur de l’économie de la
région ou bien en modifier la nature tout en la conservant ? Quelle va être la place du
facteur environnemental dans l’optique d’une nouvelle répartition de la ressource ?
Jean Marc Fournier nous rappelle que « plus qu’un problème de quantité, c’est
aujourd’hui surtout un problème de partage équitable de la ressource entre tous les
habitants de la société qui se pose ». Ainsi, l’usage urbain en principe prioritaire sur
tous les autres secteurs est-il lui aussi menacé dans le bassin du Rio Bravo ?
C’est avant tout une meilleure gestion des ressources hydriques du bassin du
Rio Grande qui garantira sa pérennité. Si l’on observe les expériences passées, il est
possible que l’utilisation de l’eau pour l’agriculture soit réduite155
. Les mécanismes de
marché et les arrangements mutuels entre les villes et districts d’irrigation peuvent
conduire à un usage plus efficient de l’eau, de telle sorte que sa nouvelle répartition
urbaine se fasse dans la coopération et non le conflit. La réduction des quantités d’eau
affectées à l’usage agricole confirme la décadence de l’agriculture par rapport à
l’industrie dans cet espace. Bien que ces dernières années la météo ait été favorable
dans la région avec les récents ouragans dans le golfe du Mexique, les préoccupations
et les méfiances des agriculteurs sont encore présentes, car ils ne sont pas assurés de
leur approvisionnement en eau à l’avenir. Ils se sentent par ailleurs en position de
faiblesse face à la priorité donnée aux besoins urbains et industriels dans la politique
du gouvernement fédéral et de la CONAGUA156
. En plus, en vertu de l’article 13 bis
de la LAN de 1992, il faut tenir compte que l’usage domestique et urbain prime sur
l’usage agricole. La faiblesse de l’agriculture d’irrigation au nord du Mexique s’est
accentuée avec l’entrée en vigueur de l’accord de libre échange nord américain. En
effet, l’ALENA constitue autant une menace extérieure qu’intérieure pour les
agriculteurs mexicains puisque l’agriculture doit non seulement affronter la
concurrence du marché nord américain mais aussi concourir avec les secteurs
industriels et de services, dont l’importance grandit dans la région.
Comme dans bien d’autres cas de par le monde, le seul gisement d’eau
renouvelable réside à présent dans une optimisation des eaux d’irrigation par
l’introduction de techniques connues mais onéreuses, et surtout le rachat des droits
155
Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 156
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11.
60
d’eaux agricoles par les utilisateurs urbains157
; en optimisant l’usage, ceux-ci
produisent une bien plus grande valeur ajoutée par mètre cube d’eau consommé. En
effet, « au niveau national, les villes et les zones industrielles sont les plus à même de
valoriser l’eau et de produire plus de valeur ajoutée par mètre cube d’eau utilisée »158
.
Les grandes métropoles mondiales trouvent là un argument important pour justifier le
détournement d’eau vers les consommateurs industriels et urbains au détriment des
agriculteurs. On assiste ainsi à une fragilisation croissante des périmètres irrigués.
Ainsi, la relation entre la quantité d’eau utilisée et les rendements économiques
apportés peut être le facteur qui permettra de décider quel secteur d’activité et quelles
cultures d’irrigation peut continuer à accéder aux eaux du Rio Bravo. Les auteurs
Blanchon et Veyret exposent ainsi la notion de rentabilité de l’eau de plus en plus
recherchée dans les périmètres irrigués : « la « Révolution Bleue » demande d’une part
de "maximiser" le rendement à l’hectare pour les périmètres irrigués (« more crops per
drop ») et, d’autre part, de mieux valoriser l’eau utilisée en passant à des cultures à
plus haute valeur ajoutée (« more cash per drop »)159
. » Il s’agit par exemple de
produire des denrées destinées à l’exportation à la place de céréales ou de cultures
vivrières ; certaines d’entre elles ont été citées plus haut mais leur développement
exige tant un important effort financier qu’une formation appropriée. Cependant, outre
les tensions sociales croissantes entre, d’une part, ceux des agriculteurs qui ont les
moyens nécessaires de se lancer dans les nouvelles cultures et les autres et, d’autre
part, entre les agriculteurs et les industriels, « se pose alors la question de la
souveraineté alimentaire et de la sécurité alimentaire pour ces Etats qui deviennent de
plus en plus dépendants des marchés mondiaux pour écouler leurs produits160
. » Le
développement des cultures d’exportation implique qu’elles soient assez rentables
pour financer les importations de remplacement, cette évolution ne manquerait pas
d’assujettir le Mexique aux fluctuations des cours mondiaux, réduisant alors son
indépendance économique.
Néanmoins, avant de procéder à un changement dans l’affectation de la
ressource, de nombreuses mesures sont à mettre en place afin de mettre un terme aux
157
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 158
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 159
Idem. 160
Idem.
61
importantes pertes d’eau dans l’agriculture. En effet, « l’achat de droit d’eau et
d’excédent d’eau, d’un secteur d’activité à usage urbain ne devrait être une alternative
de premier choix qu’uniquement dans la mesure où l’on aurait déjà exploré toutes
options permettant une parfaite efficience dans l’administration de l’eau urbaine161
. »
D’autre part, l’absence d’étude détaillée sur le bassin du Rio Bravo ne permet
pas de savoir quelles sont les principales réformes à adopter ; en effet, selon Vicente
Sanchez Munguia, nous ne savons pas quel est le niveau minimal qu’il faut assurer
pour maintenir la même superficie cultivable sans affecter le rendement. En outre, nous
ne savons pas quelle quantité d’eau on peut transférer sans affecter ou mettre en péril
l’activité agricole. Par ailleurs, il parait plus évident et plus probable de renouveler et
d’assurer un meilleur entretien des réseaux de distributions d’eau pour réduire les
pertes, plutôt que d’investir dans de nouveaux projets d’acheminement de la ressource,
lorsque l’on sait que les pertes dues au réseau de distribution sont proches de 30%. Il y
a un silence total concernant la quantité d’eau potable substituable par de l’eau traitée.
Il n’y a aucune étude sur les caractéristiques de la demande en eau de chaque ville, qui
servirait comme base pour orienter les politiques d’usage efficient et d’économie
d’eau162
.
Bien que l’amélioration des techniques d’irrigation apparaisse souhaitable,
étant donné l’urgence de la situation de pénurie d’eau dans cette région en pleine
croissance, il convient de mettre en œuvre des réformes structurelles concernant
l’utilisation de l’eau. Par exemple, les villes de El Paso et de Ciudad Juárez pompent
leurs eaux dans une nappe qui sera épuisée dans une trentaine d’années au rythme
actuel d’utilisation163
. Selon Luc Descroix, leur croissance étant très forte, le volume
d’eau dont dispose l’agriculture pourrait bien servir prochainement à l’alimentation des
villes, comme c’est de plus en plus le cas dans toutes les grandes villes à forte
croissance du sud-ouest des Etats-Unis (Phoenix, Tucson, las Vegas, Los Angeles, San
Diego), qui rachètent depuis plusieurs décennies les droits d’eau aux agriculteurs. En
effet, « le phénomène industriel et des services, commencé il y a quelques décennies, a
161
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 162
Idem. 163
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
62
transformé les centres urbains en acteurs les plus influents dans la géopolitique de
l’eau du nord-est du Mexique »164
.
On observe déjà des changements dans l’utilisation de l’eau dans le bassin du
Rio Bravo. En effet, en 1994 et au début de la sécheresse qui a affecté une grande
partie du bassin du Rio Bravo, la CONAGUA a inauguré le barrage El Cuchillo sur le
fleuve San Juan (affluent du Rio Bravo) pour approvisionner en eau, au moyen d’une
canalisation, la zone métropolitaine de Monterrey ; ainsi la ville en question « a été le
premier acteur urbain qui a provoqué une vraie concurrence pour l’eau depuis la
seconde moitié du XXe siècle165
. » Cette décision a donné lieu à une série de conflits
entre, d’un côté, les agriculteurs des districts d’irrigation 25 et 26 et, de l’autre, les
acteurs industriels et le service des Eaux de Monterrey qui sont soutenus par le
gouvernement de Nuevo Leon. Ce dernier a une influence politique très importante sur
le plan national, puisque Monterrey est la deuxième agglomération du Mexique et
représente un très important pôle industriel et de services. Rappelons que la
construction du barrage El Cuchillo a laissé sans eau les agriculteurs du district
d’irrigation 26 de l’état de Tamaulipas. En somme, « l’importance de l’agriculture
comme acteur dans ce territoire est de plus en plus faible depuis les années 1980 tandis
que le secteur urbain prend sa place comme un acteur capable d’influencer les prises
de décision du gouvernement fédéral »166
.
Néanmoins, ce changement d’affectation de l’eau de l’agriculture vers
l’utilisation publique urbaine et domestique fait également l’objet de critiques et de
remises en question. En effet « en 2000, lors d’un colloque international sur les
ressources en eau tenu dans l’état de Durango, un responsable politique a soulevé un
tollé en disant que puisque la ressource était insuffisante vis-à-vis de la population, la
solution était de limiter la population ou d’en déporter une partie167
. » Il y a
heureusement, des solutions moins radicales, mais elles devront s’appuyer sur les faits
suivants, selon Luc Descroix :
La croissance urbaine est inéluctable et c’est elle qui aura priorité pour
l’utilisation de l’eau ; comme partout dans le monde et logiquement, l’eau potable a
164
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 165
Idem. 166
Idem. 167
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.
63
priorité sur toutes les autres ; enfin, on s’achemine vers une utilisation optimale de
l’eau en termes de valeur ajoutée produite par chaque mètre cube d’eau : les
utilisations industrielles et tertiaires vont supplanter peu à peu l’utilisation agricole.
Une économie substantielle d’eau peut être réalisée grâce aux améliorations techniques
évoquées.168
Enfin, il appartient aux populations urbaines et rurales du bassin du Rio Bravo
d’intervenir et de renforcer leur participation dans les processus de décision concernant
la gestion de l’eau et sa réattribution.
Au terme de cette sous-partie, on peut cependant s’interroger sur les risques
que supposent l’abandon de l’agriculture ou son remplacement partiel par d’autres
activités. Par ailleurs, l’industrie se déplace de plus en plus vers l’intérieur du pays en
raison des coûts d’installation à proximité de la frontière ; dans une telle dynamique,
est-ce qu’il n’est pas risqué de parier uniquement sur un secteur de l’économie, certes
très actif, mais extrêmement dépendant des investisseurs étasuniens de plus en plus
inquiets de la situation critique concernant la disponibilité en eau ?
3. Une ressource menacée à l’échelle régionale : l’eau canadienne convoitée
Nous traiterons dans cette partie de la conséquence des pénuries d'eau dans le
bassin du Rio Bravo en ce qu’elle contribue à la pression qui s'exerce sur les eaux du
Canada. En effet, « confrontés à de graves risques de pénurie, découlant d’une surex-
ploitation des ressources disponibles sur leur territoire, les USA tentent de convaincre
le Canada et le Mexique de créer un partenariat stratégique pour instaurer une com-
mercialisation massive de la ressource, à l’échelle du continent nord-américain »169
.
Les Etats-Unis et le Mexique ont conjointement formulé leur désir d'acheter l'eau ca-
nadienne, ce qui a soulevé les protestations d'un ensemble d'ONG, d'hommes et de
femmes politiques et de membres de la société civiles, soucieux de voir leur richesse la
plus précieuse exploitée pour assurer le développement industriel du Nord du Mexique
ou le maintien de l'agriculture d'irrigation dans les Etats du sud et du sud-ouest des
Etats-Unis.
168
Ibid. 169
Marc Laimé, « Les Etats-Unis ont soif de l’eau du Canada », Le Monde diplomatique, Avril 2007, In
Carnets d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2007-04-18-Les-Etats-unis-ont-soif-de-l-eau-du-
Canada (consulté le 29 mai 2013).
64
Cette nouvelle solution, basée sur une politique de l'offre (s'en étonnera-t-on
encore dans cette région?), implique néanmoins que le principe de la marchandisation
de l’eau soit accepté. L'ALENA reste assez vague à ce sujet, « les partisans des expor-
tations d’eau, encouragés par de récents sondages qui laissent entrevoir que l’opinion
canadienne serait aujourd’hui plus favorable aux exportations d’eau à condition que le
gouvernement canadien conserve son contrôle sur la ressource, faisaient valoir que
l’eau était exclue des dispositions de l’ALENA, et donc demeurerait sous contrôle ca-
nadien170
. » Néanmoins ces derniers n'ont que partiellement raison ; « aucune clause
concernant l’accès à l’eau ne fait partie du traité de l’ALENA, autorisant ou interdisant
son exportation171
. » Par ailleurs, conformément aux dispositions de la déclaration con-
jointe des gouvernements du Canada, du Mexique et des Etats-Unis du 2 décembre
1993, l'ALENA ne crée aucun droit aux ressources en eau naturelles de l'une ou l'autre
partie. Cependant, selon Frédéric Lasserre, « l’eau n’est pas expressément exclue du
traité non plus, contrairement à ce qu’affirmait le gouvernement canadien au moment
de la signature du traité172
. » Il convient de souligner que la valeur juridique de cette
déclaration conjointe n'est qu'interprétative et qu’elle ne crée par de droits ou d'obliga-
tions.
Ainsi, il convient de se pencher sur les dispositions de l'OMC et de l'ALENA
concernant la notion de produit. A cet effet, l'article 201 de l'ALENA prévoit que la
notion de « produits d'une Partie » s'entend des produits nationaux au sens de l'Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce ou des produits dont les Parties pour-
ront convenir, et s'entend notamment des produits originaires de cette Partie. En fait,
l'article 201 renvoie à la définition de produit de l'OMC et s'abstient de redéfinir cette
notion. Comme le souligne Frédéric Lasserre, « le texte instituant le GATT ne définis-
sait pas précisément non plus ce qu’est un produit ; cette absence de définition laisse
entendre que le terme doit être considéré dans son acception ordinaire : un produit est
un bien sur lequel une opération a été effectuée, aussi minime soit-elle, emballage,
extraction, récolte, transformation, transport […] et destiné à la vente173
. » En applica-
170
Frédéric Lasserre, « L’Amérique a soif. Les Etats-Unis obligeront-ils Ottawa à céder l’eau du
Canada ? », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoire. Tension, coopérations et
géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 374-411. 171
Idem. 172
Idem. 173
Idem.
65
tion de cette définition, l'eau à l'état naturel ne doit donc pas être incluse dans les dis-
positions de l'ALENA. Néanmoins, selon Lasserre, c’est là où réside une certaine in-
certitude :
« C’est sur le statut de l’eau à partir du moment où elle est exportée, c’est-à-
dire où elle devient un bien commercial et que ce statut lui est reconnu par les deux
parties, puisqu’elle est vendue à un prix convenu. Un gouvernement pourrait-il encore
l’exclure des dispositions de l’ALENA qui interdisent la restriction aux exportations
dès lors que l’on a affaire à un bien devenu commercial ? Rien n’est moins sûr174
. »
En interprétation de l'ALENA, ce n’est que lorsque l'eau est conditionnée pour
être vendue (embouteillée, stockée, traitée), qu’elle devient un produit commercial
soumis aux dispositions de l'ALENA. Cette interprétation est renforcée par la Déclara-
tion conjointe de 1993 qui prévoit qu'à moins d’être vendue dans le commerce et de
devenir ainsi une marchandise ou un produit, l’eau sous toutes ses formes échappe
entièrement aux dispositions de tout accord commercial. C’est sur cette base que les
trois pays ont accordé la possibilité de commercialiser cette ressource.
Le 13 avril 2007, dans un communiqué de presse, le Conseil des Canadiens
rendait public un document préparé par le Center for Strategic & International Studies,
think-tank implanté à Washington, le Conference Board du Canada et le Centro de
Investigación y Docencia Económicas du Mexique prévoyant la tenue d’une série de
rencontres à huis clos entre des hauts fonctionnaires des trois pays de l’Amérique du
Nord à la fin avril 2007, à Calgary dans le cadre du North American Future 2025
Project, pour discuter de « la question très controversée »175
des transferts d'eau.
L'objectif de ce projet trilatéral vise à « préciser les contours d’une intégration
économique renforcée du Canada, des Etats-Unis et du Mexique »176
. A cet effet, le
document en question met notamment en relief les différences au niveau de la
disponibilité des ressources en eau au sein des trois pays et l’état de stress hydrique
qu’atteindront les États-Unis et le Mexique au cours des prochaines années. En effet le
Canada, les États-Unis et le Mexique comportent des situations hydrologiques fort
différentes, notamment en ce qui concerne la consommation per capita et la
disponibilité de la ressource. Ainsi Yenny Vega Cardenas précise que :
174
Ibid. 175
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 176
Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63.
66
« Le Canada possède dix fois plus d’eau par habitant que les États-Unis et 25
fois plus que le Mexique. En effet, la disponibilité d’eau par habitant sur une base
annuelle est d’environ 100 000 m3 au Canada, 10 000 m3 aux États-Unis et 4 000 m3
au Mexique. Les prélèvements sont de 23,5 km3/an au Canada, de 272,8 km3/an aux
États-Unis et de 76,1 km3/an au Mexique. La consommation, pour sa part, est de 6,1
km3/an au Canada, de 124,3 km3/an aux États-Unis et de 53,4 km3/an au
Mexique177
. »
En fait, ce document semble remettre en question le maintien du moratoire sur
l’exportation de l’eau par le Canada, face à une perspective de pénurie hydrique dans
le monde. Les transferts massifs d’eau étant à l’ordre du jour de cette série de
rencontres, tout semble indiquer une réouverture du dossier de l’exportation de l’eau à
grande échelle en Amérique du Nord.
A cet effet, Marc Laimé s'interroge sur l'acceptation par le Canada des principes
de transferts d’eau massifs à destination des Etats-Unis et du Mexique ; il précise que,
« la question suscite une forte opposition au Canada178
. » En effet, le Conseil des
Canadiens exige que le gouvernement du Canada mette un terme à toute nouvelle
participation à de tels pourparlers sur l’intégration de l’Amérique du Nord jusqu’à ce
qu’un débat parlementaire et une vraie consultation publique aient eu lieu sur la
question. D'autre part, l'ONG Eau-Secours ! (Coalition québécoise pour une gestion
responsable de l'eau) a interpellé le 16 avril 2007 le Premier ministre canadien,
M. Stephen Harper, ainsi que le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest, leur
enjoignant de suspendre toute participation canadienne à ces discussions. Selon Maud
Barlowe, membre du Conseil des Canadiens, ce mémorandum « démontre que le
gouvernement américain et ses think-tanks… considèrent l’eau canadienne comme une
ressource nord-américaine et non canadienne179
. » Par ailleurs, elle reproche à ce
document d'être le témoin d'un processus où « la transparence et l’obligation de rendre
compte brillent par leur absence180
»
D'autre part, les groupes environnementaux, sociaux et syndicaux de tout le
Canada se mobilisent fortement pour « faire échec au pacte nord-américain sur les
177
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 178
Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63. 179
Idem. 180
Idem.
67
ressources en eau et sur les richesses naturelles du Canada, que préparent derrière des
portes closes une poignée d’oligarques du secteur privé et des gouvernements du
Canada, des États-Unis et du Mexique dans le cadre du North American Future 2025
Project181
. » Le porte-parole du Bloc Québécois en matière de Commerce international
et député de Sherbrooke, Serge Cardin, déposait le mardi 1er mai 2007 une motion
auprès du Comité permanent du Commerce international afin que le gouvernement
canadien entreprenne au plus tôt des pourparlers avec ses vis-à-vis américain et
mexicain dans le but d’exclure l’eau des biens régis par l’ALENA. De son coté,
Gordon Hodgon, membre du Conference Board of Canada, estime que le Canada ne
dispose pas de tant d'eau que cela à exporter ; il souligne que « l’Ouest canadien
commence à connaître des problèmes de pénurie, et par ailleurs des quantités d’eau
considérables sont aujourd’hui utilisées pour extraire des schistes bitumineux des
champs de pétrole182
. » Armend Peschard-Sverdrup, membre du think-tank américain
se veut toutefois rassurant en affirmant dans The Ottawa Citizen le 13 avril 2007 que
« personne ne contraindra le Canada à vendre son eau. Ce projet est un exercice
analytique, il ne pas contraindra les gouvernements à quoi que ce soit183
. »
Néanmoins, il est indéniable que les Etats-Unis, le Canada et le Mexique
semblent bien s'engager dans la voie d'accords bilatéraux sur les transferts d'eau. Ce
qui, selon Enrique Escorza est regrettable puisque concernant le bassin du Rio Bravo
« les effort techniques nécessaires (dont on trouvera une description détaillée dans
l’avant dernière sous-partie de cette étude) n'ont pas encore été adoptés »184
, et cela ne
fait que souligner une nouvelle fois l'absence de remise en question de la politique de
l'offre qui domine les négociations sur le projet pour le futur 2025 de l'Amérique du
Nord.
Au delà de la question sur le bien fondé des transferts d'eau, Frédéric Lasserre
pose également la question de la souveraineté du Canada sur les transferts d'eau s'ils
venaient à être amorcés, c'est à dire le Canada serait-il à même « de contrôler le rythme
des détournements, ainsi que la mise en chantier d’autres projets185
? » Cette question
est d'autant plus importante qu'elle se pose dans un contexte où le rapport du groupe de 181
Ibid. 182
Ibid. 183
Ibid. 184
Enrique Escorza, propos recueillis lors de l'entretien du 1er juillet 2013. 185
Frédéric Lasserre, op. cit, p.64.
68
travail des Nations-Unies sur le changement climatique prédit que les pressions sur le
Canada seront intenses et que les Etats-Unis entreront en conflit avec le Canada parce
que « la sécheresse menace de réduire de près de 40% les capacités d’un aquifère texan
stratégique qui fournit de l’eau à deux millions de personnes, et va tarir l’aquifère
d’Ogallala, la plus grande réserve d’eau souterraine des Etats-Unis, qui assure lui
l’alimentation de huit Etats américains186
. »
Cet épisode explique que les groupes de la société civile et les ONG aient pour
préoccupation croissante d'assurer la protection d'un environnement partagé et la
durabilité des ressources naturelles en présence. En conséquence, les hommes
politiques se verront obligés à l'avenir de tenir compte des enjeux écologiques dans
leurs prises de décisions afin d'assurer un développement durable en Amérique du
Nord et devront satisfaire aux exigences d'une société qui demande plus de
transparence et de participation dans les décisions concernant sa ressource la plus
précieuse.
186
Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63.
69
III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin
d’une nouvelle gouvernance
Cette dernière partie de l'étude a pour objet d'analyser quels sont les objectifs à
atteindre pour les décideurs politiques concernant la suite à donner au développement
du bassin du Rio Bravo. La problématique initialement posée suppose que nous
examinions d’abord les modifications à apporter à la gouvernance hydrique dans cette
région et par ailleurs que nous analysions les obstacles institutionnels qui se sont
dressés jusqu'à aujourd'hui dans la gestion de la ressource transfrontalière (A). Nous
ferons ensuite l'état des lieux de la situation hydrique dans le bassin du Rio Bravo dans
une perspective environnementale afin d’évaluer les enjeux écologiques dans le
développement de la région d'étude et nous verrons en quoi le fait de négliger la
dimension environnementale peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé des
populations concernées (B). Enfin, nous conclurons ce travail par un ensemble de
recommandations avancées conjointement par des spécialistes, des diplomates et par
des techniciens susceptibles de garantir le progrès institutionnel et technique qui
permettrait à priori d'accorder une seconde chance au développement de la région du
bassin du Rio Grande, tout en assurant la pérennité de la ressource hydrique dans cet
espace (C).
A. La finalité de la gouvernance hydrique : la sécurité de l’eau
Nous verrons dans cette sous-partie de l'étude en quoi les enjeux futurs du
développement économique, social et environnemental de la région du bassin du Rio
Grande passent par la protection de la ressource hydrique, en somme par la sécurité de
l'eau (1). Nous verrons que les outils de protection de l'environnement mis en place par
le Traité de 1944 et plus récemment par l'ALENA sont inefficaces et que cette
inefficacité est renforcée par une vision simpliste des décideurs politiques opposant
une fois de plus développement durable et développement économique. Nous ne
pourrons que constater que la coopération hydrique entre le Mexique et les Etats-Unis
est largement affaiblie par une méfiance réciproque et par des conflits politiques
propres à chaque pays (2).
70
1. Le développement économique subordonné à la sécurité de l’eau effective
Il est entendu que l'eau est indispensable au développement ; nous avons vu en
quoi elle est vitale pour l'économie de la région du bassin du Rio Grande et pour l'ave-
nir de cette région en l'espèce. Il en découle que cette ressource doit être protégée et
qu'il faut en assurer la sécurité.
Les auteurs Witter et Whiteford estiment que la sécurité de l'eau est garantie
par trois facteurs : « un approvisionnement suffisant, un accès facilité financièrement
et une durabilité ou capacité de rénovation de l'approvisionnement hydrique sur le long
terme187
. » Ces trois facteurs sont également requis pour assurer la sécurité, la santé, le
bien-être et la capacité productive d’une population.
Il apparaît que « les problèmes des ressources hydriques le long de la frontière,
où actuellement l’approvisionnement et la qualité sont mis en question sont dus
notamment au fait que le renouvellement des ressources est insuffisant pour assurer un
approvisionnement stable »188
. Le premier critère n'est donc pas rempli dans le cas du
bassin du Rio Bravo ; par ailleurs, selon Manuel Chavez Marquez, « le coût de l’eau
provoque non seulement des abus mais aussi des pratiques discriminatoires dans son
affectation »189
; en effet, l'OCDE confirme dans son rapport de 2003 que les
subventions pour l'eau d'irrigation ont « aggravé la situation de pénurie »190
, ainsi la
seconde exigence qui devrait être satisfaite pour assurer la sécurité de l'eau dans cet
espace ne l’est pas. Enfin, il va de soi que le troisième critère concernant la capacité de
rénovation de l'approvisionnement hydrique n'est pas non plus respecté puisque les
ressources en eau dans la région d'étude sont pratiquement épuisées.
Chavez Marquez estime que la question de la sécurité de l’eau est un sujet qui a
déjà provoqué énormément de remous à l’échelle locale, mais, lorsqu’il s’agit d’une
ressource partagée entre deux nations, ce concept devient un thème primordial dans
l’agenda binational de ces Etats. Renforcer la sécurité de l’eau tout en poursuivant le
développement économique de la région n’est possible qu’avec la mise en place
effective d’une programmation et d’une administration des eaux partagées du Rio
187
Scott Witter et Scott Whiteford, op. cit, p.9. 188
Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37. 189
Idem. 190
OCDE, op. cit, p.13.
71
Grande. Néanmoins, selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, « le différent
contexte social, légal, institutionnel et économique de chaque coté de la frontière rend
difficile cette programmation et cette administration effective»191
. Les efforts de
gestion et de coopération binationale sont néanmoins fondamentaux pour l’avenir de la
région. En effet, le Conseil Mondial de l'eau annonçait en 2000 que, pour assurer la
sécurité d'une région il était indispensable de :
Partager les ressources en eau : promouvoir la coopération pacifique et
développer des synergies entre les différentes utilisations de l’eau à tous les niveaux,
chaque fois que possible, et dans le cas des ressources en eau frontalières et
transfrontalières, entre les Etats concernés, par une gestion durable des bassins
versants et d’autres méthodes appropriées192
.
Ce qui est en jeu, selon Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell c'est
précisément la sécurité à long terme, l’intégrité écologique et le développement
écologique de la région. En conséquence, il n'y a pas d'autre choix que d'adopter des
réformes nécessaires pour que soient respectés les critères propres à la sécurité de l'eau
et soit assuré un développement qui s'inscrive dans le long terme. Il est indiscutable
que l'eau est le principal facteur de développement, en particulier dans la région
d'étude, néanmoins la réciproque ne se vérifie pas. En effet, loin s’en faut pour que le
développement du basin du Rio Grande soit le principal facteur de sécurité hydrique ;
c'est pourtant ce que l'on devrait attendre de cette dynamique économique, afin qu'elle
puisse s'inscrire dans la durée, puisque la pérennité de l'eau est indispensable au
développement durable. A ce propos, le ministre de l'environnement mexicain, M.
Guerra Abud a fait preuve d'une maladresse inquiétante en opposant le développement
durable au développement économique. Même s’il n'est certes pas le premier à dire
que « la sustentabilidad se acaba cuando la gente no tiene que comer193
», cela reste
une vision bien réductrice du développement durable qui d’ailleurs ne se vérifie
absolument pas dans le bassin du Rio Bravo où la situation hydrique est devenue
191
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 192
Conseil mondial de l’eau, Final REPORT, Second World Water Forum and Ministerial Conference,
La Haye, p.29, 2000. 193
Veronica Calderon et Luis Prados, “Entrevista al Secretario de Medio Ambiente en Mexico”, in El
Pais, 4 aout 2013, URL :
http://internacional.elpais.com/internacional/2013/08/04/actualidad/1375638156_087491.html
(Consulté le 04/08/13). Traduction : Le développement durable s'achève lorsque les gens n'ont plus
de quoi manger.
72
critique en raison même du manque de sustentabilidad dans les politiques de
développement et où les pénuries d'eau vont amener des pénuries alimentaires, puisque
l'agriculture de la région risque d’être sacrifiée sur l'autel du développement anti-
sustentable.
Il demeure que les critères de la sécurité hydrique demandent une étroite
coopération entre les Etats-Unis et le Mexique qui, au delà d'un facteur de sécurité
hydrique, peut également être porteur de paix et apaiser les conflits récurrents dans le
bassin du Rio Grande.
2. L’inefficacité des outils de protection de l’environnement de l’ALENA et
du TILA
Nous avons dit que plusieurs institutions facilitant la coopération environne-
mentale et, plus particulièrement, la collaboration dans la gestion de l'eau ont été créés
(CILA/IBWC, COCEF, BANDAN, etc.) ; néanmoins, ces institutions font l'objet de
nombreuses critiques (Aguilar Barajas, Mitchell, Chavez Marquez, Ingram, Levesques,
Mumme, Stephen, Sanchez Munguia, Spalding, White). Nous verrons dans cette partie
en quoi les dysfonctionnements de ces institutions constituent une menace pour l'ave-
nir de la région binationale du Rio Grande. Par ailleurs, c'est dans ce domaine que les
réformes politiques doivent se concentrer afin d'avoir une incidence positive dans la
gouvernance des eaux du Rio Bravo.
Le rapport de l’OCDE de 2013 - Making Water Reform Happen in Mexico -
souligne que « bien que le Mexique ait un cadre règlementaire bien développé pour la
gestion des ressources en eau, avec un certain nombre d’instruments et d’institutions
appropriés, la mise en œuvre de cette politique est encore inégale ; vingt ans après leur
création, les commissions de bassin ne sont pas encore pleinement opérationnelles »194
ou n’ont pas encore été crées (Nuevo León, Tamaulipas).
Le Mexique ayant une structure fédérale et chaque état frontalier ayant - au
moins en théorie - sa propre commission de bassin, la coopération entre ces instances
est insatisfaisante. Par ailleurs, notre stage à l’ambassade du Mexique à Washington
nous a permis de constater les difficultés rencontrées par le Texas Water Development
194 OCDE, Making Water Reform Happen in Mexico, Paris, Les Editions de l’OCDE, 2013.
73
Board face à la multiplicité des interlocuteurs du coté mexicain qui soutiennent des
intérêts divergents (Junta Central de Agua y Saneamiento de Chihuahua, Comisión
Estatal de Agua y Saneamiento de Coahuila, SEMARNAT, CONAGUA, etc.).
La CILA est particulièrement critiquée. Rappelons qu'elle a été créée en 1944 à
travers le TILA ; il s'agit d'un organe diplomatique qui fonctionne administrativement
sous l’autorité des chanceliers des gouvernements de chaque pays. Néanmoins, « le
caractère opérationnel de la CILA se refuse à la participation publique directe ou à un
accès transparent à ses analyses, délibérations et accords195
. » Les auteurs Mumme et
Pineda affirment que ni la CILA en tant que telle ni ses sections individuelles ne sont
dans l’obligation de recourir à la participation publique comme un critère habituel de
fonctionnement, ni d’ailleurs de soumettre leurs archives et les accords passés à un
scrutin public. Par ailleurs, dans la section américaine, la plupart des documents, à
moins que les deux gouvernements n’en acceptent la publication, ont un caractère de
secret officiel et le public, de façon générale, n’y a pas accès. Ainsi, la commission
dispose du monopole technique de l’information sur l’eau transfrontalière et contrôle
toute l’interaction diplomatique qu’implique la recherche de solutions binationales aux
différends relatifs au traité, aussi est-elle plus que jamais inaccessible pour de nom-
breux acteurs. En fin de compte, la CILA est perçue « comme une institution à pen-
chant bureaucratique, peu transparente dans ses processus de prise de décision, sans
indépendance et sans orientation vers la participation sociale196
. »
Cependant la section étasunienne de la CILA a récemment revu son fonction-
nement pour assurer une participation publique plus effective. En effet, Stephen
Mumme et Nicolàs Pineda soulignent que « lors de la décennie passée, on a porté une
attention particulière aux questions de procédure, entre autre aux questions de transpa-
rence des organismes internationaux197
. »
L'auteur Vicente Sanchez Munguia remarque que la CILA/IBWC a été conçue
pour assurer l’approvisionnement des quantités assignées par le traité à chaque utilisa-
teur et consommateur le long de la frontière Mexique-Etats-Unis. Dans ses projections
initiales, la commission ne percevait pas le risque de pénurie puisque l’offre et la de-
195
Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 196
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 197
Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35.
74
mande étaient alors coïncidentes ; dans la situation actuelle, cette institution n'est plus
adaptée et doit faire l'objet d'une mutation importante. En l'espèce, « l’autorité de la
CILA est limitée et ses attributions sont de plus en plus inadaptées vis-à-vis de
l’émergence de nouvelles problématiques des dernières décennies concernant l’accès à
l’eau futur198
. »
D'autre part, la gestion bi-nationale des eaux souterraines des bassins transfron-
taliers est gravement négligée. En effet, « aujourd’hui les traités et protocoles en la
matière ne règlent pas spécifiquement la question des eaux souterraines, il s’agit d’un
des thèmes oubliés du traité de 1944199
. »
La modification substantielle de l’usage donné à l’eau en raison de la pression
démographique et de ses conséquences environnementales a donné lieu à de nombreux
différends et conflits entre le Mexique et les Etats-Unis, mais également entre les diffé-
rents secteurs de l'économie, nous l'avons vu. Un tel contexte montre que « l’échelle et
la complexité des problèmes de l’eau dans le bassin du Rio Grande vont au-delà de
l’autorité limité de la CILA/IBWC et exigent des réponses politiques appropriées200
. »
Plus récemment, des institutions telles que la Commission Nord Américaine
pour la Coopération Environnementale (CCE), la Banque de Développement
d’Amérique du Nord (BANDAN) et la commission de coopération écologique fronta-
lière (COCEF) ont été créées sous les auspices de l'ALENA pour soutenir les poli-
tiques environnementales des Etats, mais l’ensemble des règles qui les composent sont
en réalité un obstacle pour ces derniers, selon Manuel Chavez Marquez.
Les auteurs Mumme et Moore signalent les problèmes que peuvent susciter des
innovations institutionnelles comme celles-ci. Selon ces auteurs, « la COCEF doit
préalablement délimiter ses politiques, en ajustant continuellement ses priorités institu-
tionnelles, tenant compte de la diversité de son public et en répondant aux attentes que
la COCEF s’est elle-même fixée201
. »
198
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 199
Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 200
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 201
Stephen Mumme et Elaine Moore, « innovative prospects in US-Mexico Border Water
Management : The IBWC and BECC in Theoretical Perspective », conférence Associated
Borderland Scholars, Albuquerque, avril 1997.
75
En fait, malgré l’impact positif que la COCEF et la BANDAN ont apporté en
termes de développement d’infrastructures environnementales, « chacune de ces insti-
tutions est durement critiquée pour avoir échoué dans l’accomplissement de leurs ob-
jectifs ou attentes202
. »
En effet, la capacité de crédit de la BANDAN est largement sous-exploitée.
D'autre part, la BANDAN a vu son mode d’action largement critiqué. Selon les au-
teurs Mumme et Pineda, la BANDAN ne fait pas état d'une transparence suffisante ;
notons qu' « en tant que structure financière, la BANDAN connait une très faible parti-
cipation publique en dehors du contexte de publication de ses rapports annuels et autre
type de rapports d’importance mineure203
. » La BANDAN se refuse à faire connaître
ses opérations, et les auteurs John et Spalding lui reprochent également « l’absence
d’accueil et d’écoute des sociétés transfrontalières et l’absence de transparence dans la
prise de décision du comité de directeurs204
. » En effet, le public n’a pas accès aux réu-
nions et délibérations de son comité de directeurs.
Les auteurs Mumme et Pineda estiment que la COCEF et la BANDAN, comme
institutions, « doivent assumer un rôle de soutien dans la région205
. » Or, actuellement
la COCEF ne dispose pas d’un plan stratégique adéquat à long terme et a privilégié des
projets de court terme.
La COCEF présente tout comme la BANDAN des carences dans la
participation publique ; en effet, l'auteur S.Grave souligne que :
Alors que les groupes environnementaux nationaux ont rapidement perdu tout
intérêt dans la COCEF, un ensemble d’ONG et d’activistes individuels ont fait en sorte
d’influer sur le développement de l’institution. Leurs efforts de lobby ont eu un impact
important, néanmoins, ces avocats ont également perdu des batailles clefs, soulignant
202
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 203
Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 204
Audley John et Mark J.Spalding, « Promising Potential for the U.S- Mexico Border and the future :
An Assessment of the BECC/NADBank Institutions », Washington, DC, National Wildlife Federation,
novembre 1997. 205
Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35.
76
ainsi les limites de l’influence citoyenne dans l’élaboration des politiques de la
COCEF206
.
Ainsi, en raison de la croissante participation des ONG dans l’élaboration des
politiques de la COCEF, presque toute la participation publique s’exerce au niveau
local, les promoteurs de projets (en général les municipalités) étant sommés de mettre
en place des programmes de participation et de démontrer qu’il y a un soutien public
pour les projets présentés.
M. Doughman démontre que le long de la région frontalière entre les Etats-Unis
et le Mexique, plusieurs associations (la Via Campesina, Biocrece, Rio Grande
Alliance) perçoivent l’eau comme étant « partie intégrale de l’identité culturelle et
écologique des communautés et comme une ressource au soutien de la formation de la
vie dans la région207
. » Malgré cela, même si la COCEF reconnait l’importance de
l’eau pour la structure communautaire, son discours fait état d’une position
technologique concernant la gestion de l’eau et traduit une perception rationnelle,
utilitaire et administrative de la ressource. Cette vision est difficilement compatible
avec celle des populations de la région d’étude ; ces dernières ont peur de ne pas être
entendues dans les nouvelles missions de la COCEF.
Enfin, Helen Ingram et Suzanne Levesque nous font remarquer qu'il y a
toujours un manque de données concernant la qualité et la disponibilité en eau208
, ce
qui empêche tant une coordination binationale des politiques hydriques ainsi qu’une
participation publique dans les processus de prise de décisions locales et
transfrontalières.
Néanmoins, en 1983, les gouvernements du Mexique et des Etats-Unis ont
signé les accords de La Paz comme cadre pour la coopération binationale en matière
environnementale frontalière. Sous les auspices de ces accords, entre 1992 et 1994, fut
mis en place le programme intégral environnemental frontalier (PIAF) remplacé en
1996 par le programme frontière XXI, ces deux programmes ayant pour objectif de
206
S. Graves, « Structuring Public Participation in Binational Institution Citizen Activism and BECC
Policymaking », in Borderlines, Albuquerque, 1999. 207
P. Doughman, « Discursos y agua en la región de la frontera Estados Unidos-Mexico », in J. Blatter
et Hellen Ingram (dir.), reflection on Water New Approaches to transboundary Conflicts and
Cooperation, Cambridge, Massachussetts, MIT press, 2001. 208
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.
77
promouvoir des actions coordonnées pour le développement durable. La nature
d'ouverture de ces nouvelles institutions et leur lien avec la société ont amené un bol
d’air frais pour la CILA.
Désormais, les politiques de court terme des institutions binationales s'orientent
vers « plus de soutien des instances locales dans le développement d’infrastructures
pour les systèmes d’eau avec pour objectif de satisfaire la demande, mais aussi
l’élargissement du réseau d’égouts et les systèmes de traitement des eaux dans les
zones urbaines frontalières209
. » Selon Sanchez Munguia, il est nécessaire de
développer des infrastructures d’acheminement et de distribution d'eau qui rendraient
possible l'utilisation optimale de la ressource.
La société dans son ensemble souhaite participer plus activement aux processus
de planification et de prise de décision concernant les projets incluant des aspects
environnementaux. Or, « la participation sociale est un facteur clef pour faire que les
programmes et les plans mis en place ne soient pas uniquement le produit d’une
consultation publique mais également les instruments qui guident l’action des
autorités en la matière210
. » Il ressort de cette étude que des institutions telles que la
CILA peuvent évoluer et s’améliorer, notamment en adoptant une nouvelle vision de la
frontière et de ses problématiques.
Selon Sanchez Munguia, « une plus grande pression sociale doit s’exercer à fin
de rendre possible l’exécution des accords bilatéraux qui sont le point de départ pour
l’établissement de toute politique hydraulique dans la zone frontalière. » Par ailleurs,
toujours selon cet auteur, il est nécessaire de développer des études micro-régionales
sur la répartition de l'eau.
En tant qu'observateur privilégié de la coopération environnementale entre le
Mexique et les Etats-Unis depuis l’ambassade du Mexique à Washington, nous ne
pouvons que constater que celle-ci a été particulièrement décevante cette année. En
effet, en raison notamment du licenciement du ministre canadien de l'environnement
Peter Kent la veille du sommet annuel de la Commission de Coopération
Environnementale des 11 et 12 juillet 2013, le sommet a failli être annulé, provoquant
209
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 210
Idem.
78
ainsi le mécontentement du Mexique, pays organisateur. D'autre part, les Etats-Unis
ont annoncé la prise de fonction de Gina Mc Carty à la tête de l'Environmental
Protection Agency (EPA) quelques jours après le sommet, ainsi Bob Perciasepe,
l'ancien directeur, s'est déplacé à Los Cabos (siège du sommet) en sachant qu'il allait
être remercié et n’a donc pas été en mesure d’engager des négociations avec son
homologue Mexicain Guerra Abud, par ailleurs très vexé.
De plus, la communication sur la question de l'eau entre l'EPA et la CONAGUA
est au point mort parce que la CONAGUA n'a plus de représentation à Washington ;
cette commission dépendant du SEMARNAT tend à devenir un ministère indépendant
au Mexique, ce qui créée des tensions au sein du SEMARNAT entre les PRO-
CONAGUA et les autres. Ainsi les diplomates représentant le SEMARNAT à
Washington ne s'occupent plus des affaires propres à la CONAGUA. Cette situation
n'étant pas acceptable pour l'EPA, celle-ci intervient unilatéralement sur le Rio
Bravo211
.
En somme, la conclusion des auteurs Aguilar Barajas et Mitchell selon laquelle
« il est triste de constater qu’à l’heure actuelle la meilleure politique pour la gestion
binationale de l’eau soit la présence de cyclones et d’ouragans212
. » est plus que jamais
d'actualité dans une situation où une coopération binationale renforcée est urgente et
indispensable.
B. Le bassin du Rio Bravo : le désastre hydrique résultat du dévelop-
pement
Dans cette partie nous dresserons le bilan écologique actuel de la région
binationale du Rio Grande et aborderons tout d’abord les conséquences
environnementales du développement de l'agriculture d'irrigation dans un milieu aride
(1). Par la suite, nous porterons notre attention sur le risque que représente le
développement à l'excès de l'industrie maquiladora dans cette région afin de mieux
appréhender le choix politique qui commande la nouvelle répartition de l'eau par
secteur économique (2). Enfin, nous verrons que le bassin du Rio Bravo est aujourd'hui
un écosystème en voix de disparition, ce qui constitue une sérieuse menace sanitaire
pour la région binationale (3).
211
Entretien avec Laura Gomez du 08/08/2013 membre de l'EPA (Congressional Liaison à L'EPA). 212
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
79
1. Le développement de l’agriculture irriguée en région aride
Nous avons vu préalablement que le secteur primaire représentait environ 80%
de la répartition de l'eau du Rio Bravo, malgré une réduction de l'agriculture d'irriga-
tion dans la dernière décennie ; la principale utilisation de l'eau est donc toujours agri-
cole, en l'espèce selon Luc Descroix, « l'intégralité du volume est déjà affectée ; de ce
fait, on assiste à une salinisation des eaux et à un accroissement de leur teneur en pes-
ticides213
. »
Le graphique 1 représente la moyenne des surfaces irriguées des villes
mexicaines et américaines frontalières. A première vue, on peut observer la différence
d'hectares irrigués entre le Mexique et les USA. Les villes mexicaines dans le bassin
du Rio Bravo ont été à même d'irriguer plus d'hectares dans les 4 décennies analysées.
De leur coté, les USA ont irrigué environ 40% de moins que le Mexique sur la même
période. Ces données peuvent paraître contradictoires avec les présupposés habituels,
selon lesquels on s'attend à ce que plus d'hectares soient irrigués aux Etats-Unis.
Néanmoins, selon l'auteur Carlos Lascurain Fernandez, cette situation s'explique par
des questions économiques. En effet, selon cet auteur, le coté mexicain de la frontière
étant l'une des zones du pays les plus fragiles économiquement, le secteur agricole y
est l'un des principaux facteurs de bien-être économique.
Néanmoins, cette agriculture d'irrigation en milieu aride témoigne du peu
d’intérêt que les décideurs politiques portent aux caractéristiques géographiques de la
région. En raison de cette négligence, on enregistre des pertes d'environ 30% de l'eau
destinée à l'irrigation entre transport et évaporation principalement.
Par ailleurs, en termes de qualité de l’eau, la situation n’est pas meilleure,
puisque le Rio Bravo et nombre de ses affluents sont pollués, notamment à cause de
l’absence de service municipal de traitement des eaux usées domestiques ou
industrielles (cf. Tableau 1). En effet, « il y a un excessif charriage des eaux avec une
forte concentration de pesticides et de produits chimiques à cause de l’agriculture, la
salinité de l’eau s’est largement étendue et des métaux lourds et des produits chimiques
213
Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.
80
toxiques ont été déchargés dans les eaux transfrontalières »214
. Cette dynamique a
contribué à porter préjudice à l'écosystème de la région.
Ces problèmes de qualité entraînent, nous l'avons vu, des conflits entre les
communautés frontalières. La tension est palpable, étant donné que « dans 20 ans la
majorité des réservoirs seront épuisés. Cela est dû au fait que les eaux souterraines sont
extrêmement polluées et que les aquifères s’épuisent rapidement215
. » On note en outre
que les besoins de la ressource ne sont d’ores et déjà pas remplis.
2. L’industrie maquiladora : plus faible consommateur, plus faible pollueur ?
Cette partie de l'étude nous permet d'évaluer les conséquences écologiques d'un
changement d'attribution de l'eau de l'agriculture d'irrigation à l'industrie maquiladora
dans la région de bassin du Rio Grande. Cela nous permettra de voir si le fait d'affecter
la ressource hydrique à un usage plus productif ne présente pas également une menace
pour celle-ci.
Les politiques d’investissement au nord du Mexique avec l’entrée en vigueur
de l’ALENA ont produit une croissance déséquilibrée, une dégradation de
l’environnement et une injustice sociale majeure. C’est le cas notamment avec la mul-
tiplication des maquiladoras, qui n’ont, selon Manuel Chavez Marquez, « aucune
conscience environnementale et qui se sont converties en l’une des principales sources
d’emploi dans la région216
. »
Selon Graciela Gonzales, membre de l’Assemblée nationale des affectés envi-
ronnementaux, le Mexique est devenu « un des pays connaissant les plus hauts niveaux
de dévastation environnementale de la planète. En cause ? La dérégulation produite par
les Accords de Libre-Échange Nord-Américains »217
. En effet, les entreprises « maqui-
ladoras » mexicaines sont devenues la principale source de pollution au Mexique selon
Carmen Lira Saade. De fait, « elles sont responsables de la presque totalité des 8 000
214
Mark Spalding, « Addressing Border Environmental Problems Now and in the Future : Border XXI
and Related Efforts », in P. Ganster (dir.), The US-Mexican Border Environment : A road map to a
Sustainable 2020, San Diego, California, SCERP, San Diego University Press, Monograph Series,
n°1, 2000. 215
Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37. 216
Idem. 217
Sophie Chapelle, « Le Mexique, symbole de l’hypocrisie écologique », Bastamag, Décembre 2010.
URL : http://www.bastamag.net/article1335.html (Consulté le 11 juin 2013).
81
tonnes de déchets toxiques qui ont été déversés dans divers endroits de la zone fronta-
lière dans la dernière décennie218
. »
Les chercheurs Laura Carlcen Wise et Hilda Salazar notent que 85% de la pol-
lution environnementale, due aux produits chimiques toxiques déversés dans les sys-
tèmes d'égouts et les voies fluviales dans les villes frontalières de El Paso Ciudad Jua-
rez, sont dus aux entreprises maquiladoras. En outre, « la partie la plus polluée du
fleuve est celle qui comprend le territoire entre Ciudad Juarez-El Paso jusqu'à Ojinaga-
Presidio219
. » Il s'agit par ailleurs de la région où l'on compte le plus de maquiladoras.
Les problèmes de qualité de l’eau dans la région deviennent de plus en plus
graves, le faible débit du fleuve l’empêchant de diluer les polluants qui y sont déversés.
Ainsi, la quantité d’eau de qualité à la disposition des agriculteurs, des villes et des
écosystèmes est fortement réduite. Comme réponse à ces menaces, le Mexique et les
Etats-Unis ont développé et mis en commun leurs efforts pour augmenter la capacité
de traitement des eaux résiduelles dans la partie mexicaine du bas Rio Bravo.
Néanmoins, selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, « malgré ces efforts la
qualité de l’eau continue de constituer une grande inquiétude pour la région, étant
donné le développement de l’industrie et de l’urbanisme qui supposent une meilleure
qualité que celle exigée par le secteur agricole220
. » En effet, selon Luc Descroix, l'un
des problèmes majeurs concernant la qualité des eaux repose sur les effluents urbains,
non encore traités, des villes frontalières mexicaines.
Notons que la pollution industrielle, « en particulier celle de l'industrie
maquiladora s'est traduit par une augmentation de la demande biologique en
oxygène221
. Cette demande à crue de manière spectaculaire en 20 ans passant entre
218
Carmen Lira Saade, « Maquiladoras, la principal fuente de contaminacion en Mexico : expertas », La
Jornada, Décembre 2003. URL :
http://www.jornada.unam.mx/2003/12/17/023n1eco.php?origen=economia.php&fly=1 (Consulté le
15 août 2013). 219
Carlos Lascurain Fernandez, op. cit, p.11. 220
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 221
Demande Biologique en Oxygène (DBO) : Quantité d’oxygène nécessaire pour oxyder la matière
organique par voie biologique (processus d’oxydation des matières organiques biodégradables par des
bactéries).
82
1975 à 1996 de 2mg/L à 4mg/L »222
. Ce chiffre est cependant toujours acceptable selon
l'organisation mondiale de la santé.
L'industrie maquiladora représente un grand danger pour l'avenir écologique de
la région binationale et en particulier pour les eaux du Rio Grande, chargées de diluer
les polluants alors même que le flux du fleuve est à l'étiage sur de grandes parties de
son cours. Certes, l'agriculture est nettement moins rentable par litre d'eau consommé,
néanmoins elle est sensiblement moins polluante également par litre d'eau consommé,
mais nous manquons d'études scientifiques sur la région permettant d'évaluer avec
précision les conséquences écologiques du remplacement de l'agriculture par
l'industrie. De plus, les dirigeants politiques ne comptent pas mettre en péril un secteur
indispensable à l'économie de la région en faisant appliquer la législation
environnementale mexicaine en vigueur, déjà bien laxiste.
3. Un écosystème en voie d’extinction : l’enjeu sanitaire
Afin de répondre à la problématique de départ, il nous semble que l'enjeu sani-
taire doit devenir une préoccupation prioritaire dans les décisions concernant l'avenir
de la ressource hydrique du bassin du Rio Bravo, sachant que la pollution des eaux de
surface à déjà causé des pertes irréparables pour l'environnement le long de la région
binationale.
Selon les auteurs Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell :
Moins de 5% de la flore de Tamaulipas et de son écosystème original demeu-
rent aujourd’hui le long de ce corridor binational. Presque 90% des vertébrés de la ré-
gion sont d’ores et déjà qualifiés par des ONG comme étant des espèces en voie de
disparition. Les changements dramatiques dans le régime de flux du Rio Grande ont eu
un impact sévère sur les espèces vivantes riveraines223
.
Le parc binational Big Bend/Rio Bravo, en théorie protégé par la CCE, est tra-
versé par un Rio Grande à l'étiage, ce qui met en lumière toute l'ironie de la politique
de protection des espaces naturels partagés. Il est difficile d'imaginer un parc naturel
protégé ne disposant pas de la quantité d'eau nécessaire à sa conservation, or c'est bel
222
Carlos Lascurain Fernandez, op. cit, p.11. 223
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
83
est bien cet espace qui fait la fierté des diplomates en charge de la coopération envi-
ronnementale des Etats-Unis et du Mexique.
Il faut souligner que cette absence de conscience écologique n'a pas unique-
ment des conséquences sur la faune et la flore ; l'être humain est membre de l'environ-
nement de la région binationale et, au même titre que l'environnement dans lequel il
vit, il est menacé par le fort taux de pollution des eaux du Rio Bravo.
Selon les auteurs Chavez Marquez, Cortez Lara et Whiteford, la région fronta-
lière est une zone où les conditions de vie sont de plus en plus difficiles. En effet, « des
12 millions d’habitants de chaque côté de la frontière, 9,6% ne disposent pas d’un ser-
vice d’eau potable, 23% ne disposent pas d’un service de traitement des eaux usées et
22% ne disposent pas d’un service de traitement des déchets solides municipal224
. »
(cf. Tableau 1).
En outre, selon le rapport de l'OCDE de 2003, les conditions socio-
économiques du côté américain de la frontière présentent plusieurs particularités par
rapport à la moyenne des Etats du sud-est des Etats-Unis : la croissance démogra-
phique y est plus forte, le taux de chômage plus élevé, l’incidence de la pauvreté plus
importante, et le revenu des ménages plus faible. Certaines communautés ne disposent
pas d’infrastructures adéquates (service de distribution d’eau et d’évacuation peu satis-
faisants) et présentent beaucoup d’autres symptômes caractéristiques des zones éco-
nomiquement défavorisées (notamment une santé publique précaire…). Du côté mexi-
cain, la situation est pire encore. De fait, le revenu moyen des ménages ne représente
qu’environ un quart de celui enregistré de l’autre côté de la frontière.
Selon Carlos Lascurain Fernandez, l'eau du fleuve présente des niveaux de pol-
lution qui violent les normes mexicaines et américaines. Ces derniers soulignent que la
mauvaise qualité de l'eau dans le Rio Bravo a des conséquences négatives sur l'envi-
ronnement et contribue à l'enregistrement d'indices anormalement hauts de maladies
véhiculées par l'eau qui sont surreprésentées dans cette région.
Ainsi, la santé et la conservation de l'eau sont maintenant au centre des discus-
sions. Un très grand nombre de cancers, de maladies respiratoires et de la peau, sont
apparus dans la zone métropolitaine de Monterrey lors des deux dernières décennies
224
Javier Cabrera Bravo, op. cit, p.52.
84
(CONAGUA 2005). Yenny Vega Cardenas souligne que « la mauvaise qualité de
l’eau est à l’origine de 20% de la mortalité infantile et de problèmes de santé publique
liés au taux très élevé de fluor dans l’eau »225
. La pollution des ressources hydriques
découlerait d’un manque de contrôle au niveau des rejets et d’un taux d’assainissement
des eaux usées nettement insuffisant. (CONAGUA 2005). Le rapport de l'OCDE de
2003 note également que, dans la région d'étude, « du côté américain, on dénombre
trois fois plus de cas d’hépatite pour 100 000 habitants que dans le reste des Etats-
Unis, et deux fois plus de cas de fièvre typhoïde »226
. En outre, « du côté mexicain, les
cas de fièvre typhoïde sont près de 100 fois plus fréquents que dans le reste du pays et
ceux d’amibiase 600 fois plus fréquents227
. »
Il ressort de notre étude que nombre de problèmes sanitaires et de questions
concernant la gestion des déchets n’ont pas été suffisamment pris en compte afin de
garantir l'avenir de la région du bassin du Rio Grande. Il est incontestable que cet ave-
nir passe par une protection effective de la ressource hydrique.
C. De l’inévitable changement de cap de la gouvernance hydrique
Dans cette dernière sous-partie de l'étude, l'accent sera mis sur les solutions qui
s'offrent aux décideurs politiques de la région binationale du Rio Bravo. Nous avons vu
au début de cet exercice qu'un ensemble de problèmes relatifs à la gestion de l'eau
proviennent de son indéfinition, ainsi il nous semble que l'attribution d’un statut
juridique à l'eau est inévitable (1). Par ailleurs, nous analyserons les différentes
propositions qui s'offrent pour renforcer les institutions en place et les rendre plus
efficientes, ainsi que les réponses techniques qui sont envisageables dans le bassin du
Rio Bravo/Grande afin d’assurer un avenir durable à la ressource hydrique de la région
et par là-même à son développement (2). Enfin, nous examinerons le modèle de
gestion intégrée des ressources dans le bassin du Rio Bravo et nous évaluerons les
éventuels bienfaits de cette méthode, compte tenu des difficultés liées à son application
intégrale dans un milieu aride (3) et nous tenterons alors de répondre à la délicate
question de la gouvernance des eaux transfrontalières Etats-Unis/Mexique.
225
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 226
OCDE, op. cit, p.13. 227
Idem.
85
1. De l’accord d’un statut juridique à l’eau
Selon Yenny Vega Cardenas, au sein de l’espace économique nord-américain,
l’eau est une question qui fait l’objet de multiples débats, que ce soit en matière de
commerce, de distribution, de gestion, d’appropriation ou de conservation. Or, chacun
de ces débats est étroitement lié à un débat beaucoup plus fondamental, à savoir celui
qui concerne le statut juridique de l’eau. En l'espèce, nous avons vu que l'eau n'a pas de
statut juridique propre dans le cadre de l'ALENA.
Néanmoins, l'auteur E. Hermon souligne que le droit international tend aujour-
d'hui à réinvestir l'héritage juridique du droit romain selon lequel les cours d'eau peu-
vent être considérés comme un patrimoine naturel. Ainsi, on cherche à « rapprocher
l'eau d'une chose commune ou d'un patrimoine de l'humanité228
. » En somme, c'est
cette reconnaissance qui nous parait indispensable pour assurer la durabilité de la res-
source hydrique du Rio Grande, une vision selon laquelle l'eau n'appartient plus à
l'agriculture, à l'industrie ou aux ménages, mais à un ensemble d'activités, à l'environ-
nement dans sa globalité et à chaque citoyen. Cette méthode permettrait de responsabi-
liser chacun dans l'usage qu'il fait de l'eau, désormais considérée comme bien commun.
Sylvie Paquerot souligne cependant l’ampleur du problème qu’implique une
telle reconnaissance lorsqu'elle affirme :
Accorder à certaines ressources un statut de patrimoine commun de l’humanité
supposerait de tenir compte, par-delà les statuts diversifiés des ressources à travers les
époques et les systèmes juridiques, du caractère universel, dans le temps et dans
l’espace, de ces ressources. La notion nous semble donc bien correspondre à cette idée
d’une régulation universelle devant s’imposer dans l’intérêt public229
.
Le problème d'une telle reconnaissance repose dans les débats théoriques sur
marchandisation de l'eau et reconnaissance de la ressource comme patrimoine com-
mun, selon Olivier Petit, il s'agit d'une « quête Utopique »230
. Néanmoins, avant d'ac-
corder à la ressource hydrique le statut de patrimoine commun de manière universelle,
il nous parait intéressant d'appliquer ce principe à une plus petite échelle.
228
Oliver Petit, « Introduction » La "mise en patrimoine" de l'eau : quelques liens utiles, Mondes en
développement, 2009/1 n° 145, p. 7-16. DOI : 10.3917/med.145.0007. 229
Sylvie Paquerot, « Eau douce. La nécessaire refondation du droit international » , Sainte-Foy, Presses
de l’Université du Québec, 2005. 230
Oliver Petit, op. cit, p.85.
86
La vision marchande de l'eau dans le bassin du Rio Bravo a jusqu’ici été privi-
légiée avec les résultats que nous connaissons ; une nouvelle approche s'impose, mais
l'objet de cette n'étude n'est pas de tirer des conclusions globales sur les modes de ges-
tion de l'eau ou de caractérisation de la ressource de manière universelle, mais bien
plutôt d'attirer l'attention du lecteur sur les différentes possibilités de gouvernance qui
s'offrent dans la région étudiée. Nous sommes de l'avis de Yenny Vega Cardenas selon
lequel le statut juridique de l'eau doit faire l'objet d'une construction sociale231
et ce
tant au niveau national qu'au niveau international auquel nous ajouterons le niveau
local.
Le droit étant l'instrument permettant de définir les politiques à venir, il nous
semble indispensable d'accorder à l'eau, dans le bassin du Rio Bravo, un droit à la vie
et par là-même de faire appliquer la résolution du 28 juillet 2010 de l'Assemblée Géné-
rale des Nations-Unies reconnaissant le droit à une eau potable salubre et propre
comme un droit humain fondamental. Cette méthode permettrait d'assurer la protection
d'une eau de qualité et en quantité suffisante. En effet, selon Marc Laimé, « le droit à
l'eau n'est rien sans le droit de l'eau en tant que tel »232
.
Ainsi, selon ce même auteur, il convient donc d’imaginer de nouveaux outils
juridiques destinés, non seulement à promouvoir le « droit à l’eau » de celles et ceux
qui en sont démunis, mais aussi à mettre en œuvre les dispositifs et procédures qui
permettraient tout autant de pénaliser les usages irrationnels de l’eau.
2. Le progrès technique et institutionnel au secours de la ressource hy-
drique : moteur de développement
Cette partie rassemble un ensemble de suggestions à la fois techniques et insti-
tutionnelles qu’ils nous a semblé bon de mettre en avant afin de trouver une solution à
la gouvernance de l'eau dans le bassin du Rio Bravo, malgré les difficultés propres à la
région. Nous savons maintenant que « les ressources hydriques disponibles le long de
la frontière, en tenant compte de facteurs tels que la croissance démographique et le
développement économique, vont connaître des limites sérieuses dans les 15 pro-
chaines années »233
. Chaque pays doit mettre l’accent sur les questions
231
Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 232
Marc Laimé, Du Forum alternatif…, op. cit, p.29. 233
Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37.
87
d’approvisionnement, la pollution, l’accessibilité financière de la ressource, le déve-
loppement et la croissance équilibrée. Ainsi, selon Manuel Chavez Marquez, l’avenir
de cette région est lié à la création de politiques claires de coopération et durabilité.
Il nous a semblé qu'il fallait porter une particulière attention au renforcement
des institutions en charge de l'administration de l'eau du bassin du Rio Grande. En ef-
fet, cette région, selon Darío Salinas Palacios, « doit plutôt se pencher sur la gestion et
la distribution de l’eau d’une façon plus efficace, adaptant les nécessités et possibilités
du bassin au futur contexte socioéconomique de la région234
». Il est évident que l'ave-
nir de cet espace dépend d'une coopération institutionnelle plus étroite et d'un usage
plus efficace de l'eau ; selon ce même auteur, telle est la condition nécessaire pour évi-
ter de futurs conflits qui déstabiliseraient la région.
Il appartient aux Etats-Unis et au Mexique de mettre en place un programme
permettant d'aborder la gestion des sécheresses à long terme ; il s'agit là de la princi-
pale carence dans la coopération hydrique entre ces deux pays d'après Enrique Escor-
za235
. En outre, selon Ismael Aguilar et Mathis Mitchell, « sans un tel programme, les
efforts pour garantir la sécurité de l’eau dans la région seront sévèrement limités et
pourraient conduire à des divisions traumatisantes236
. »
Les auteurs Ingram et Levesque soulignent qu’il conviendrait de « réaliser tous
les cinq ans une évaluation complète concernant la situation environnementale dans la
région transfrontalière237
. » Cette évaluation permettrait de fournir des indicateurs
clairs de l’amélioration ou de la dégradation de la situation environnementale.
Nous sommes convaincus que les liens entre le Mexique et les Etats-Unis doi-
vent être renforcés par une coopération multiforme. En effet, le gouvernement des
Etats-Unis doit apporter assistance et formation à ses homologues mexicains et leur
transmettre son savoir faire en matière d’infrastructures. Cet apprentissage doit être
réciproque ; ainsi, selon les auteurs précités, l’expérience mexicaine a également beau-
coup à offrir aux Etats-Unis. En effet, selon Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, « les
connaissances locales et traditionnelles de gestion de l’eau, qui protègent et considè-
234
Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 235
Entretien avec le diplomate mexicain Enrique Escorza, du 1er
juillet 2013 à Washington DC. 236
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 237
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.
88
rent l’écosystème dans sa globalité, existent depuis des millénaires. Elles ont fait
preuve au fil du temps de leur efficacité. Les politiques publiques et les lois sur l’eau
doivent reconnaître et respecter ces connaissances238
. » Il convient cependant de souli-
gner que nombre de savoir-faire anciens s’étant perdus, les agriculteurs d’aujourd’hui
ne sont pas toujours en mesure de les utiliser.
D'après l'auteur Carlos Lascurain Fernandez, le fait qu'il n'existe pas de règles
ni de normes bien définies pour imputer la responsabilité juridique d'un pays ou de
l'autre pour la pollution des eaux internationales partagées entre le Mexique et les
Etats-Unis a été un véritable obstacle afin de trouver des solutions satisfaisantes. A la
suite de « l’échec du forum mondial de l’eau de Rio +20 de nombreuses voix se sont
prononcées en faveur de la création d’une agence mondiale de l’environnement sous
l’égide de l’ONU, c'est-à-dire une nouvelle organisation onusienne spécifiquement
dédiée à l’eau239
». Néanmoins, il nous semble qu'une telle organisation serait trop
éloignée des réalités de la région du bassin du Rio Bravo et qu'il serait plus approprié
de mettre en place un centre d'arbitrage dépendant de la CILA/IBWC pour régler les
questions de responsabilité concernant la pollution et les différends de nature « hydro-
économique ».
Nous critiquions préalablement l’insuffisance de débats publics de qualité et la
carence d’informations objectives partagées qui ne permettent pas de concevoir des
modes de gestion de l’eau socialement plus justes et adaptés aux spécificités locales.
En effet, les institutions responsables de la gouvernance de l'eau le long du Rio Bravo
se distinguent par leur manque de transparence et leur faible participation démocra-
tique.
Ainsi, les auteurs Ingram et Levesque estiment qu'il est urgent que les commu-
nautés frontalières, composées d’agriculteurs et nouveaux arrivants attirés par
l’industrie maquiladora, aient la capacité d’administrer leurs programmes environne-
mentaux. Selon eux, « la participation des communautés frontalières dans les décisions
qui concernent le futur environnemental de la frontière est importante et doit être ren-
forcée240
».
238
Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, La privatisation de l’eau…, op. cit, p.29. 239
Marc Laimé, Du Forum alternatif…, op. cit, p.29. 240
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.
89
Selon Mumme et Pineda, la COCEF doit maintenir et renforcer la participation
publique dans ses procédures, ses réunions et ses discussions. D'autre part, ces auteurs
estiment que :
Afin d’assurer une meilleure participation publique dans le développement et
la direction de projets assignés à la COCEF, le comité de directeurs, de cette dernière
doit développer et adopter des procédures qui mettent en avant la participation pu-
blique dans les processus de design des programmes et des projets d’avenir ainsi que
dans l’administration des projet en cours241
.
Concernant la participation citoyenne dans la prise de décision de la BANDAN,
le comité de directeurs devrait établir un forum de discussion public dans le but
d’assurer l’information du comité concernant les pratiques financières et les priorités
politiques.
Toujours afin d'assurer une meilleure représentation publique, il faudrait inciter
la CILA à continuer de développer et de perfectionner ses procédures de participation
citoyenne au niveau de chaque section nationale. Par ailleurs, selon Mumme et Pineda,
cette institution devrait « mettre en place un accord permettant de faciliter la participa-
tion publique dans les procédures de la commission242
. » L'adoption par la CILA du
critère de développement durable de la COCEF a facilité le développement de la trans-
parence dans son organisation ainsi que la participation publique dans son processus de
prise de décision. De plus, la COCEF a intégré la transparence dans plusieurs de ses
actions ; ainsi, « l’institution doit effectuer au moins quatre réunions publiques par an
et doit accorder au public l’opportunité de commenter et de discuter des politiques et
des projets proposés. Néanmoins les règles pour la participation dans la COCEF, telles
qu’elles sont écrites, sont restrictives243
. »
Nous en revenons en fait à la vision de Vicente Sanchez Munguia selon la-
quelle « Pour assurer une plus grande participation publique dans la gestion de l’eau, il
est nécessaire que les institutions responsables de la gestion de l’eau soient plus agiles,
241
Stephen Mumme et Nicolas Pineda, op. cit, p.35. 242
Idem. 243
Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.
90
ouvertes, compétentes et efficaces pour répondre à la demande dans des conditions
d’offre limitée d’eau244
. »
Afin d'assurer la durabilité du développement dans la région, il nous semble
inévitable dans le bassin du Rio Grande de passer d'une gestion de l'offre à une gestion
de la demande en eau. Il s'agit en l'occurrence de mettre en œuvre l'un des Principes de
Dublin qui invite à privilégier non seulement les économies d’eau mais aussi les utili-
sations les plus efficaces économiquement. En effet, selon Vicente Sanchez Munguia,
le principal défi est lié aux caractéristiques propres des institutions binationales de
gouvernance de l'eau et à leur réponse traditionnelle à la demande en eau, qui ne peut
plus être satisfaite par le simple fait d’acheminer plus d’eau, mais au contraire par une
politique de gestion intelligente de la ressource définie comme un bien rare. Les au-
teurs Blanchon et Veyret estiment qu' « avant la mise en œuvre de tout nouveau projet
hydraulique, les régions bénéficiaires doivent d’abord prouver qu’il n’y a pas d’eau
gaspillée ou utilisée pour des activités économiques peu rentables sur leur
toire245
. »
« Sur la base des conditions antérieures, les instruments institutionnels ont une
importance primordiale pour définir l’orientation des politiques et les modèles de ges-
tion requis, ainsi que l’adaptation nécessaire de la demande aux caractéristiques de
l’offre disponible en eau246
. » Ainsi le défi institutionnel repose sur le développement
des capacités de gestion tout en veillant à ce que la population soit formée à faire un
usage rationnel et efficace de la ressource qui lui est fournie.
Nous avons évoqué dans cette partie de l'étude la nécessité de parvenir à mettre
en place un usage rationnel de la ressource ; il nous appartient maintenant de proposer
certaines solutions techniques adaptées à la région étudiée et permettant d'atteindre cet
objectif, sachant que les techniques déjà existantes ne dispensent pas les décideurs po-
litiques d'investir dans le développement de nouvelles technologies permettant aux
agriculteurs et aux industriels de faire un meilleur usage de l'eau.
Selon Luc Descroix, il faut adopter des « fourrages moins consommateurs
d'eau, ainsi qu'en général des cultures moins hydrovoraces (céréales ou arbres frui-
244
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 245
David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 246
Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.
91
tiers) »247
; cet auteur conseille d'implanter plus de fourrages d'hiver moins consomma-
teurs d'eau et qui, par ailleurs, limitent la salinisation des sols puisque l'évaporation
serait réduite.
En outre, Luc Descroix souligne l'importance de l'optimisation de l'irrigation, et
estime qu'il faut améliorer le rendement eau répandue / eau absorbée par la plante.
De plus, cet auteur est convaincu qu'il faut renforcer la « technification » de
l'irrigation lorsqu'il dit que :
Dans certains cas et certaines cultures, on pourrait remplacer la submersion par
l’aspersion, ou mieux, par l’irrigation au goutte-à-goutte et la « fertirrigation » ; cela
n’évite toutefois pas l’obligation de « suralimenter » les sols pour permettre leur lessi-
vage-drainage et limiter leur salinisation248
.
Manuel Chavez Marquez insiste sur le développement de plantes génétique-
ment modifiées pour les rendre plus résistantes aux sécheresses.
Il est primordial, selon cet auteur, que le Mexique prenne en considération le
thème de la sécurité de l’eau dans le contexte de la sécurité alimentaire et reconnaisse
le rôle primordial joué par la région étudiée dans la production et l’exportation
d’aliments.
Il apparaît qu'un éventail de solutions s'offre aux décideurs politiques de la ré-
gion binationale du Rio Grande ; néanmoins, comme le soulignent les auteurs Aguilar
Barajas et Mitchell, la mise en place de telles mesures « demande du temps, des res-
sources et surtout une volonté politique commune dans chaque pays249
. »
3. De l’insuffisance d’un incontournable modèle universel de gestion intégrée
dans le bassin du Rio Bravo
Cette dernière sous-partie de l'étude a pour objet d'analyser le bien fondé ou
non de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) dans la région du bassin du
Rio Bravo. Nous verrons par ailleurs quels sont les aspects de la GIRE qui sont
extrêmement souhaitables dans une telle région, mais, dans le même temps, nous
247
Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 248
Idem. 249
Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.
92
attirerons l'attention du lecteur sur l'absurdité d'un modèle global de gestion des
ressources en eau.
La notion de GIRE introduite en 2000 par le conseil mondial de l'eau, le
Partenariat mondial de l'eau et les Nations Unies, met l’accent sur la nécessité
d’aborder la gestion de l’eau sous plusieurs angles à la fois, autant en termes
techniques (eau de surface et souterraines) que sous ses diverses facettes politiques,
économiques et sociales250
. En effet, selon Jean Burton, « l'eau n’est pas qu’une
substance physique essentielle à la vie humaine, mais c’est aussi l’environnement qui
supporte tous les autres êtres vivants251
. » Ainsi, selon cet auteur, la GIRE implique la
prise en compte, par des décideurs informés, de l’ensemble des usages et ressources du
bassin, dans une approche écosystémique. Ce mode de gestion vise à « assurer la
pérennité des collectivités humaines qui dépendent du bassin par le développement de
relations harmonieuses entre les usagers eux-mêmes, et, entre l’homme et le
fleuve252
. »
Cependant ce référentiel, qui s'appuie sur une approche holistique de la
ressource ainsi que sur une approche participative qui donnerait aux femmes un rôle
plus important dans les processus d'approvisionnement, insiste fortement sur la
reconnaissance de l'eau comme un bien économique. Ainsi, « la GIRE met en avant la
nécessité d’une régulation marchande de l’eau, soulignant l’ambivalence de cette
ressource à la fois patrimoine commun et bien marchand253
. »
Or, nous avons vu que la marchandisation de l'eau dans le bassin du Rio
Grande, met en péril le secteur primaire de l'économie régionale, accordant ainsi un
avantage certain aux industries maquiladoras très polluantes. Par ailleurs, on peut se
demander si la population aura les moyens à terme de rivaliser avec l'industrie pour
l'achat des droits d'eau du Rio Bravo. Bien qu'en règle générale l'avantage soit donné à
la consommation des ménages, le risque existe et inquiète. D'autre part, dans une
région où les pénuries d'eau sont régulières et les sécheresses récurrentes, la mise en
place d'un marché de l'eau par l'intermédiaire de droits d'eau ne fait qu'augmenter les
inégalités et provoque de nouvelles tensions, or cet espace connait déjà de nombreux
250
Jean Burton, op. cit, p.40. 251
Idem. 252
Idem. 253
Olivier Petit et Bruno Romagny, op. cit, p.19.
93
conflits, qu'ils soient de nature internationale, régionale ou locale. La rationalité
économique prônée par la Banque Mondiale dans le domaine de l'eau au Mexique et
dans le bassin du Rio Grande ne signifie pas pour autant que la gestion de l’eau y
devient plus rationnelle ; bien au contraire, elle produit des effets pervers qui
conduisent à des situations critiques où chacun essaye de s'approprier de l'eau, non pas
par besoin, mais parce qu'elle prend soudainement une importante valeur économique.
Les auteurs Calvo-Mendieta, Petit et Vivien conviennent qu’il est absurde de
considérer de l'eau comme un bien économique lorsqu'ils affirment que :
Cette manière de conceptualiser l’économie de l’eau évacue sa dimension de
patrimoine commun et conduit à nier la spécificité de l’eau, pensée à la fois comme
objet d’un échange possible et comme actif visant à être conservé pour les besoins de
production et de reproduction des communautés humaines254
.
Néanmoins, bien qu’il nous paraisse dommageable d’attribuer à l’eau une
valeur économique, on ne saurait oublier l’existence de son coût. A cet effet, des
solutions existent pour adapter la gouvernance de l'eau à ce coût. En effet, les auteurs
Kneese et Bower recommandent de traiter les problèmes de pollution de l’eau par la
mise en place de taxes ou de subventions. Ces taxes permettraient de sanctionner les
usages polluants ou déraisonnés de l'eau dans un milieu de stress hydrique, tandis que
les subventions viendraient récompenser les entreprises et les ménages faisant un
usage adapté à une situation de pénurie, mettant en place des méthodes permettant de
faire des économies d'eau ou traitant leurs eaux usées dans le cas des maquiladoras,
afin de ne pas polluer les eaux du Rio Grande.
En fait, les trois premiers critères de la GIRE apparaissent pertinents pour la
région ; il faut en effet tenir compte dans une région des multiples aspects du problème
de l'eau en incluant ses dimensions, sociales, environnementales, économiques et
politiques. D'autre part, nous l'avons vu préalablement, les processus de participation
publique doivent être renforcés en mettant l'accent particulièrement sur l'action des
femmes dans le processus d'approvisionnement. Selon les auteurs Chavez-Marquez,
Andrés Cortez Lara et Whiteford « seule une gestion attentive responsable et
transparente de chaque coté de la frontière permettra d’assurer la sécurité de l’eau
254
Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25.
94
pour les habitant de cette région255
. » Une telle gestion suppose néanmoins que l’on
abandonne des modèles de gestion déconnectés de la réalité de cet espace et que l’on
fonde plutôt des centres de recherche régionaux chargés d'élaborer de nouveaux
modèles de gestion adaptés ou d'ajuster les principes de la GIRE à la région binationale
du Rio Grande. Les financements requis pourraient être apportés par la BANDAN dont
les capacités d’investissement sont sous-employées à l’heure actuelle. Cela implique
entre autres que l’on rompe avec « la vocation universaliste de l'économie
néoclassique256
. » et que l’on développe un modèle de gestion démocratique et
transparent propre à la spécificité de cette zone aride binationale.
255
Manuel Chavez-Marquez, Alfonso Andrés Cortez Lara, Scott Whiteford, op. cit, p.21. 256
Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25.
95
CONCLUSION
Au début de cette étude, nous nous interrogions sur les enjeux politiques
économiques, environnementaux et sociaux du réchauffement climatique assorti du
développement en milieu aride, dans la gouvernance des eaux transfrontalières du Rio
Bravo. Notre réponse, indissociable du débat classique de la gouvernance de l’eau
entre bien commun et bien marchand, s'est articulée en trois parties.
Nous avons d’abord analysé les différentes pressions qui s'exercent sur la
ressource en eau du Rio Bravo, à ce titre nous avons constaté que l'état du droit, à la
fois international et national, n’est pas à la mesure de cette ressource indispensable à la
vie et au développement de la région binationale.
Notre travail a également permis de constater que, bien que l'entrée en vigueur
de l'ALENA ait eu pour conséquence d'accélérer le processus de développement
économique de la région binationale, ce développement s'est accompagné d'une
surexploitation de la ressource condamnant sa survie dans le Rio Grande. L'ALENA
par ailleurs, n'exclut pas que la notion de marchandise soit appliquée à l’eau ; cette
ambigüité représente une menace sérieuse sur la disponibilité de la ressource et
provoque une grande opposition des ONG et d'auteurs tels que Petrella. D’autre part,
les sécheresses renouvelées de ces deux dernières décennies ont été à la fois un facteur
de tension pour les différents secteurs de l'économie régionale et également la
conséquence d'une gestion de l'eau basée principalement sur l'offre. Dans ce mode de
gestion, le facteur écologique a été négligé, malgré le risque que représente sa
détérioration pour la régénération de la ressource.
Notre réponse a ensuite porté sur les efforts entrepris de chaque côté de la
frontière pour assurer la répartition de l'eau du fleuve. Cette initiative diplomatique
s'est néanmoins traduite par une augmentation des conflits à travers la création de
dettes d'eau, disposition qui illustre la relation de domination des Etats-Unis sur leur
voisin du sud. L'effort de coopération entrepris est malgré tout indispensable pour
l'avenir de la région ; ainsi la CILA/IBWC s’est efforcée de faciliter au Mexique le
paiement de sa dette hydrique à l'égard des Etats-Unis. Par ailleurs, de nouveaux
instruments de coopération se mettent en place à fin d'éviter à l'avenir de compromettre
96
les relations diplomatiques des deux pays pour des questions hydrauliques, c’est dans
ce but qu’ont été créées la COCEF et la BANDAN.
Nous avons ensuite étudié les mesures prises du côté mexicain afin de
poursuivre le développement industriel de la région du Rio Bravo ; ainsi, cela nous a
amené à analyser la question de la rentabilité hydrique afin d'apprécier l'opportunité
d’un remplacement progressif de l'agriculture par l'industrie maquiladora dans cet
espace, sachant qu’une telle évolution pose un délicat problème d'aménagement du
territoire en raison de l'importance de l'agriculture pour l'indépendance alimentaire du
Mexique et du développement historique de cette région. D'autre part, cette partie de
l'étude nous a permis de voir que les deux pays partageaient l’ambition d'accéder à
l'eau canadienne afin de répondre à la question de la gouvernance de l'eau en agissant
une nouvelle fois sur l'offre et non sur une modification de la demande.
Enfin, dans la dernière partie de notre étude, nous avons présenté un éventail de
solutions susceptibles d’assurer la survie de la ressource dans le bassin du Rio Grande
et par là-même le maintien d'une activité économique soutenue dans cet espace
convoité. A cet égard, la gouvernance hydrique ne doit avoir d’autre finalité que
d'assurer la sécurité de l'eau ; c'est cette dernière qui définit le rythme du
développement économique si cher aux décideurs politiques. La sécurité hydrique reste
cependant pour l'instant encore menacée par l'inefficacité des outils de protection de
l'environnement mis en place par l'ALENA et le TILA qu'il convient de réformer au
plus vite. En outre, nous avons dressé un état des lieux inquiétant de la situation
environnementale du bassin du Rio Grande en attirant l'attention du lecteur sur le
risque écologique et sanitaire que suppose le recul du secteur primaire face au secteur
secondaire dans cette zone aride. Il nous semble que l'attribution d'un statut juridique à
l'eau permettrait de régler les problèmes d'indéfinition de la ressource et par ailleurs
d'assurer l'introduction d'un droit à l'eau afin de garantir un certain seuil de qualité et
de quantité de la ressource. D'autre part, il semble indispensable d’entreprendre des
mesures de modernisation des techniques d'irrigation, ainsi que des recherches sur les
cultures moins « hydrovoraces » ; il faudrait aussi introduire de nouvelles cultures plus
adaptées à la région et l'industrie devrait se voir imposer des règles strictes et claires
concernant les seuils de polluants autorisés à être déversés dans le fleuve, par ailleurs
des méthodes de traitement initial de l'eau dans l'industrie pourraient être envisagées.
97
Ces conseils techniques doivent bien évidemment s'accompagner d'un renforcement
des institutions de gestion de l'eau opérant dans le bassin du Rio Grande, à la fois pour
assurer plus de transparence dans les prises de décisions ainsi qu'une participation
publique renforcée qui accorderait une place prédominante aux femmes jusqu'à lors
trop souvent exclues des processus d'approvisionnement, ces dernières étant pourtant
les premières confrontées aux pénuries d'eau affectant les ménages. D'autre part, ces
institutions ne peuvent plus faire l'économie de rapports et d'études précis, publiés
périodiquement sur l'état environnemental du bassin, les réserves en eau, l'impact de
l'industrie sur le bassin du Rio Bravo, les taux de pollution enregistrés et l'évolution
sociale et économique de la région... En somme, il faut combler le silence qui entoure
la gouvernance de la ressource dans cette région. Rappelons en terminant que, si les
modèles de gestion de l'eau élaborés dans des bureaux à Washington, Paris ou New
York ne sont pas adaptés en l’état à des régions aussi particulières que le bassin du Rio
Grande, ils doivent néanmoins servir de guides et permettre aux décideurs politiques
locaux de modifier leur mode de gouvernance afin d'assurer la durabilité de la
ressource hydrique.
Nous n'avons certes pas la prétention de répondre à l'intégralité du problème
hydrique de la région d'étude ; nous manquons entre autres d'éléments techniques
permettant d'avoir une connaissance exacte des dynamiques environnementale, sociale,
économiques et politiques. L'absence de transparence dans le travail des institutions en
charge de la gouvernance dans cette région a considérablement gêné notre étude, en
effet, ni la CILA ni l’IBWC ni la COCEF ne publie d’étude régulière sur l’état
environnemental du bassin. Il serait par exemple intéressant de compléter ce travail par
l'analyse statistique de l'impact environnemental de l'industrie maquiladora.
En fin de compte, on peut se demander si le silence des institutions mexicaines
et américaines concernant la gouvernance du Rio Bravo ne traduit pas une volonté
politique de travailler dans le secret afin de ne pas soulever d'inquiétudes ou de
protestations dans un espace où à priori le secteur de la maquila, bien que principal
pollueur, représente l'avenir économique de cette région. D'autre part, si la région
n’était plus en mesure de maintenir un tel rythme de croissance faute de disponibilité
en eau, l'industrie maquiladora pourrait-elle être abandonnée ? Enfin, le Mexique et les
Etats-Unis ont-ils les moyens et les ressources nécessaires pour adapter leur mode de
98
vie et de développement dans le bassin du Rio Bravo sans perturber l'environnement
qui les entoure ?
99
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biente en Mexico”, in El Pais, 4 aout 2013, URL :
http://internacional.elpais.com/internacional/2013/08/04/actualidad/1375638156_0874
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103
KLERIGAN Efraín, « Admite EU que México paga deuda a escondidas », Conexión
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paga-deuda-a-escondidas/ (Consulté 05 juillet 2013)
OCDE, Examens environnementaux de l’OCDE : Mexique, Paris, Les Editions de
l’OCDE, 2003.
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2013.
PEREVOCHTCHIKOVA Maria, « La problemática del agua : revisión de la situación
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Prud’homme (dir), Los grandes problemas de México, México D.F, El Colegio de
México, 2010, pp.61-101.
104
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE ................................................................................................................................... 3
RESUME ........................................................................................................................................ 4
INTRODUCTION ............................................................................................................................ 6
I. La pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs climatique,
juridiques et économiques ........................................................................................................ 11
A. De l’étreinte du cadre législatif et juridique, interne et binational ................................ 11
1. Le traité de 1944 ....................................................................................................... 12
2. La conception de l’eau aux Etats-Unis ...................................................................... 15
3. La conception de l’eau au Mexique .......................................................................... 17
B. L’entrée en vigueur de l’ALENA : le poids de l’économie .......................................... 20
1. Le développement de l’économie au Nord du Mexique acteur principal de la
restriction hydrique ........................................................................................................... 21
2. La marchandisation de l’eau en Amérique du Nord en question .............................. 24
C. La pénurie d’eau au carrefour des sécheresses et de la croissance de la région
transfrontalière ...................................................................................................................... 31
1. Les violentes sécheresses des années 1990 et 2000 .................................................. 32
2. L’eau à la base de l’économie : l’apologie d’une politique de l’offre. ..................... 35
3. L’absence de prise en compte du facteur écologique dans la répartition de l’eau du
Rio Grande ........................................................................................................................ 38
II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du conflit hydrique à
l’ « hydrodiplomatie » ............................................................................................................... 42
A. Le traité de 1944, instrument de diplomatie, facteur de discorde ................................. 42
1. L’avènement de la notion de dette en eau ................................................................. 43
2. L’expression d’une relation dominant-dominé ......................................................... 45
3. De l’inévitable coopération interétatique .................................................................. 49
B. La problématique de la rentabilité hydrique, l’aménagement du territoire en question 53
1. La question de la dépendance agricole ...................................................................... 54
2. Tensions sociales : la primauté des villes dans la répartition de l’eau ...................... 57
3. Une ressource menacée à l’échelle régionale : l’eau canadienne convoitée ............. 63
III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin d’une nouvelle
gouvernance ............................................................................................................................... 69
105
A. La finalité de la gouvernance hydrique : la sécurité de l’eau ........................................ 69
1. Le développement économique subordonné à la sécurité de l’eau effective ............ 70
2. L’inefficacité des outils de protection de l’environnement de l’ALENA et du TILA
72
B. Le bassin du Rio Bravo : le désastre hydrique résultat du développement ................... 78
1. Le développement de l’agriculture irriguée en région aride ..................................... 79
2. L’industrie maquiladora : plus faible consommateur, plus faible pollueur ? ............ 80
3. Un écosystème en voie d’extinction : l’enjeu sanitaire ............................................. 82
C. De l’inévitable changement de cap de la gouvernance hydrique .................................. 84
1. De l’accord d’un statut juridique à l’eau ................................................................... 85
2. Le progrès technique et institutionnel au secours de la ressource hydrique : moteur
de développement ............................................................................................................. 86
3. De l’insuffisance d’un incontournable modèle universel de gestion intégrée dans le
bassin du Rio Bravo .......................................................................................................... 91
CONCLUSION .............................................................................................................................. 95
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 99
ANNEXES .................................................................................................................................. 106
TABLE DES ANNEXES
CARTE 1 .................................................................................................................................... 106
CARTE 2 .................................................................................................................................... 107
GRAPHIQUE 1 ........................................................................................................................... 108
GRAPHIQUE 2 ........................................................................................................................... 108
GRAPHIQUE 3 ........................................................................................................................... 109
TABLEAU 1 ................................................................................................................................ 110
TABLEAU 2 ............................................................................................................................... 110
TABLEAU 3 ............................................................................................................................... 111
106
ANNEXES
CARTE 1
La frontière naturelle Etats-Unis / Mexique : source de tensions et de coopération
107
CARTE 2
Bassin du Rio Grande, Rio Bravo : l’indispensable coopération binationale
Lit du Rio Bravo/Grande
Affluents du Rio Bravo/Grande
Barrages binationaux
• Principales villes du Bassin du Rio Bravo/Grande
Source : Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchel.
108
GRAPHIQUE 1
Zones irriguées dans les villes mexicaines et américaines (Rio Bravo)
Source : Carlos Lascurain Fernandez.
GRAPHIQUE 2
Population active travaillant dans le secteur primaire dans le bassin du Rio Bravo
Source : Carlos Lascurain Fernandez.
109
GRAPHIQUE 3
Implantation des maquiladoras de 1980 à 2001 dans le bassin du Rio Bravo
Source : Elaboration propre avec les données de Vicente Sanchez Munguia.
1980 1985 1990 1995 2001
Chihuahua 128 198 311 322 452
Coahuila 34 51 133 184 285
Tamaulipas 76 77 225 281 394
0
50
100
150
200
250
300
350
400
450
500
maq
uila
s
année
Chihuahua
Coahuila
Tamaulipas
110
TABLEAU 1
Les besoins en infrastructures frontalières
Service Public Pourcentage de population
frontalière sans accès au
service aux Etats-Unis
Pourcentage de population
frontalière sans accès au
service au Mexique
Approvisionnement en eau
potable
2% 18%
Traitement des eaux
résiduelles
14% 33%
Gestion des déchets
solides municipaux
4% 42%
Source : Elaboration propre avec les données de Javier Cabrera Bravo.
TABLEAU 2
Evolution de l’agriculture d’irrigation dans les états frontaliers du bassin du Rio
Bravo (Hectares)
Etat / Année 1940 1960 1980
Chiuahua 336 558 299
Coahuila 597 741 593
Nuevo León 244 287 84
Tamaulipas 131 785 963
Texas 895 5656 5573
Source : Elaboration propre avec les données de Stephen Mumme et Nicolas Pineda.
111
TABLEAU 3
Evolution démographique dans les villes frontalières du bassin du Rio Grande
Villes /
Année
1990 2000 2010 2020 % d’augmentation
Ciudad
Juarez
(Mex)
798 500 1 239 922 1 738 020 2 395 024 199%
Ciudad
Acuña
(Mex)
56 335 111 347 182 340 294 604 422%
Piedras
Negras
(Mex)
98 184 135 850 179 006 231 580 136%
Nuevo
Laredo
(Mex)
219 465 334 955 464 575 633 770 189%
Matamoros
(Mex)
303 295 427 735 567 015 736 891 142%
El Paso
(USA)
591 610 764 480 926 121 1 103 065 86%
Val Verde
(USA)
38 721 45 359 51 013 56 949 47%
Maverick
(USA)
36 378 48 897 56 431 64 706 77%
Webb
(USA)
133 239 187 445 219 021 253 445 90%
Hidalgo
(USA)
383 545 520 296 598 196 683 960 78%
Source : Elaboration propre avec les données de Stephen Mumme et Nicolas Pineda.