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8/17/2019 Image d'un animal : le lion. Sa définition et ses «limites», dans les textes et 1' iconographie (XIe-XIVe siècles)
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Actes des congrès de la Sociétédes historiens médiévistes de
l'enseignement supérieur public
Image d'un animal : le lion. Sa définition et ses «limites», dans lestextes et 1' iconographie (XIe-XIVe siècles)Monsieur François de La Bretèque
Citer ce document Cite this document :
La Bretèque François de. Image d'un animal : le lion. Sa définition et ses «limites», dans les textes et 1' iconographie (XIe-
XIVe siècles). In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 15 ᵉ congrès,
Toulouse, 1984. Le monde animal et ses représentations au moyen-âge (XIe - XVe siècles) pp. 143-154.
doi : 10.3406/shmes.1984.1443
http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443
Document généré le 29/09/2015
http://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://www.persee.fr/author/auteur_shmes_248http://dx.doi.org/10.3406/shmes.1984.1443http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://dx.doi.org/10.3406/shmes.1984.1443http://www.persee.fr/author/auteur_shmes_248http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1985_act_15_1_1443http://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/collection/shmeshttp://www.persee.fr/
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François
de
la Breteque
IMAGE D UN ANIMAL : LE LION.
SA DÉFINITION
ET
SES «LIM ITES»,
DANS
LES TEXTES ET L ICONOGRAPHIE
(XP-XIVe
siècle)
Argument
1- L animal
est
reconnu
(rendu
reconnaissable) à un certain nombre de
signes physiques, qui
constituent
un corpus fixe de motifs
transmissibles.
2.
Le lion
a
des «limites» indécises,
à
deux
sens du
terme :
-
Les
limites
de son corps
:
par
ses
excroissances,
il
déborde de son
propre
corps
pour
se
fondre
dans un continuum biologique et cosmique.
- Les
limites
de son espèce
:
il déborde
sur
les animaux voisins, voire
se
confond avec eux (dans les textes et l iconographie).
3-
Cette indécision de la figure de l animal
évolue
sur
un
axe diachronique
:
-
Dans
un premier temps, son corps est
malléable et
mal
cerné; ses
limites
sont
imprécises; (âge
roman. Bestiaire
de
Philippe
de Thaon).
- Ensuite
on le cerne
mieux; son corps
est délimité et
son
espèce
«découpée»
dans le continuum zoologique, (premier
âge
gothique;
Chrétien de Troyes).
-
Au-delà
(chronologiquement ou
synchroniquement),
on
est
capable
de
décomposer son corps, de l atomiser, de jouer
avec
(deuxième
âge
gothique; Guillaume
de Machaut).
IDENTIFICATIONDE L ANIMAL
Comment reconnaît-on
un animal, que
ce soit dans
un texte
ou
sur une
représentation
figurée?
Cette
reconnaissance
met enjeu un nombre limité de signes, de repères.
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144 François DE LA BRETEQUE
Ce sont des collections de prétendues
observations,
des «on dit», qui
constituent ces
signes de reconnaissance. Et plus tard,
quand l animal
se
singularisera dans
les récits, et qu il ne s agira plus du lion mais
d un
lion,
ces catégories,
bien intégrées dans les
mentalités,
continueront
à
fonctionner
souterrainement.
La «décomposition» du corps comme motif littéraire
M.L. Ténèze fait observer
que
les structures
énumératives
sont
fréqu nt s dans
les contes
d animaux
(1).
Par exemple, on
rencontre assez souvent
au début du conte
l énuméra-
tion des parties du corps de l animal.
La structure
de
décomposition est en
effet ce qui
forme
l ouverture de
l article «lion» du Bestiaire de Philippe de Thaon (v. 31-40) : c est pour
nous
un
indice
de plus de
la
proximité
des
Bestiaires
et
des
«récits
réalistes»
de la
tradition
orale.
Ce
n est que superficiellement
que cette
enumeration
fait
penser à
un
début
de texte d histoire
naturelle.
En
fait, c est moins une description
de
l animal qu un
catalogue
de motifs, immédiatement dirigés vers une
interprétation allégorique. Toutefois,
ce
n est
pas cette allégorisation
systématique qui nous paraît détenir la clé de cette
structure
de décomposition,
comme le
pensait par
exemple
Emile Mâle
(2).
Elle
appartient,
me semble-
t-il,
à une couche
plus profonde des
mentalités collectives.
On
retrouvera
plus
tard
dans
le
Moyen Age
cette
décomposition
initiale
du corps de l animal. Dans
la
Légende Dorée, en
ouverture
de
la vie
de
Saint Léonard,
elle
prend
une
forme nouvelle :
le
nom du saint étant
rapporté par étymologie
à
celui du lion, les quatre qualités principales de
l'animal, correspondant à quatre traits physiques, sont
appliquées
-
par
translation
-
au personnage humain.
Le lexique employé pour désigner
ces
parties du corps est assez imprécis
et, surtout, n est pas spécifique
:
l anthropomorphisme y est patent.
La terminologie, ainsi que
la plus
grande partie des traits
décrits,
proviennent
d Isidore
de
Seville
:
«caput»,
«frons»,
«pectus»,
«cauda».
Ils
font
partie
de
ces
éléments
rajoutés
vers le
XIIe siècle à
la vieille matière
du
Phy-
siologus. Mais certains détails sont indépendants de
cette
tradition,
notamment chez Philippe de Thaon.
1
. M.L. Teneze, Le Conte
populaire
français
: contes
d animaux,
Paris
Erasme, 1976.
2. Emile Maie, UArt Religieux
du XII s.
en France,
Paris,
A.
Colin, 1898, rééd.
1958
:
voir p.
80, notamment, à propos de la colombe.
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Image
d un animal :
le lion
145
Les éléments
de
reconnaissance physique du
lion
On
a vu ci-dessus
la
liste
des parties du corps du lion, telle qu elle
apparaît dans les Bestiaires. Cette
liste
est
à
peu
près
exhaustive et constitue un
«portrait»
de
l animal, qui
se
retrouve
dans
des
textes
d autres
traditions,
et
qu on peut
appliquer
également
aux
représentations
plastiques.
Chacune
de
ces
parties reçoit, dans le Bestiaire, une caractérisation,
que
la
tradition
a fixée
assez
tôt
et
que
l on répète de
texte
en
texte
:
-
La
tête
: considérée
comme
le
lieu de la férocité de
l animal,
déjà
chez
Pline, qui déclare
que
cette férocité
disparaît
si l on couvre
la
tête du lion,
elle
est
le siège des fonctions nobles :
«frons
eorum animos indicat» (Isidore
de Seville); «firmitas in
capite»;
le front «demostre lor corages», «la
fermeté (est) el
cief» (Pierre de Beauvais).
On
ne
trouvera
pas,
chez
nos
auteurs,
la
moindre description
pittoresque
de
la
tête et de
la gueule
du lion. Dans le meilleur des cas, un caractérisant
suffit : «ils ont
le
vis herdu» déclare Philippe de Thaon (3) : ce terme est mal
expliqué (le TL
ne donne
pas de traduction; Godefroy
rend
par
«ardu»,
Greimas par «escarpé, rude», ce
qui,
avouons-le, n est pas bien satisfaisant,
s agissant
d un visage).
-
Le cou.
Il est
épais
et
porte une crinière : «(il a) gros
le
col et kernu»
(Philippe de Thaon, v. 52).
Cet
attribut est le
signe
distinctif
principal du lion; celui en tout cas qui a
le
plus
frappé
les
imaginations.
Pourtant, les textes en
font
assez peu
mention. Est-ce faute d un
vocabulaire adéquat? Je ne le
pense
pas
(le
mot
«crinie»,
«crinete», existe; «crins»
est
employé dans le
Roman de
Renaît pour
désigner
les «cheveux» du lion,
par
exemple lorsqu il
se les arrache
en
signe de
désespoir).
Il faut peut-être
supposer
que ce détail était suffisamment
connu pour qu il
soit
pour ainsi
dire
inutile de l expliciter.
Car,
à
l inverse, la crinière fonctionne, dans les représentations
plastiques,
comme
le
signe de
reconnaissance principal
de
l animal. Tout
quadrupède
chargé
d une
crinière,
si
bizarre
que
soit
son anatomie,
peut
être
supposé appartenir
à
l espèce lion.
D autre
part, on a, bien vaguement, la
notion
que le
port
de la crinière
permet de distinguer
le mâle
de la femelle; mais les Bestiaires ne formulent
pas cette précision, et
elle n est
pas toujours claire dans les
figurations
plastiques,
comme l a fait
remarquer Debidour sur l exemple d Andlau. Si
bien
3.
Le Bestiaire de Philippe de
Thaon, éd.
par
E. Walberg, Paris-Lund,
1900.
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François DE LA BRETEQUE
que
la lionne, souvent,
porte
aussi crinière (à
Saint Gilles,
par
exemple) et il
n est pas toujours facile de l identifier en
tant
que telle.
- La
poitrine
est
opposée
au train arrière : ce dernier est faible et
grêle,
alors
que l avant
est
fort
et
puissant.
Le corps
est
séparé
en
deux moitiés
antithétiques.
«Quaré
le piz
devant
/ Hardi e
cumbatant;
/ Graille
at letrait deriere...»
(Philippe
de
Thaon
32-35); «(il) porte toute sa
force el
piz»
(Guillaume,
231); Isidore de Seville
disait
déjà
«virtus
eorum in pectore».
Cette
opposition remplace celle de la
tête, siège de l esprit («animos», «firmitas») et
de
la poitrine, siège de l énergie («virtus» ), chez
ce
même
Isidore
: il y a là un
déplacement intéressant...
Cette façon de
scinder le
corps en deux, (que l on
retrouve à
propos
d autres animaux
du
Bestiaire,
le
loup
par
exemple chez
Pierre
le
Picard),
nous en apprend à coup sûr beaucoup sur l idée que
l homme
médiéval se
faisait de son propre corps. La faiblesse, la vulnérabilité, se
situent
«derrière» (dans le dos, ou en bas...). Certaines fables, certains épisodes de
la matière
renardienne,
témoignent éloquemment de cette angoisse.
Par
ailleurs, ce
schéma
corporel offrait
l avantage d être très
simple
à
réaliser plastiquement
:
il est
quasi-géométrique. C est
une épure
de
lion
que l on
voit, par
exemple, dans
les
motifs
de
certaines
tapisseries ou
pavements, et
qui triomphera,
en somme, avec l héraldique.
(Non que
les artistes se
soient
inspirés directement
des
textes;
c est
plutôt de coïncidences,
ou
d accord général, qu il s agit).
- Les pattes et les griffes. Pour parler de ces parties
du
corps les auteurs
ne
disposent que d un
vocabulaire assez approximatif,
comme
il
a
été
vu, (il
en est de
même pour
Chrétien de Troyes (4) et Guillaume de Machaut (9).
Ce
vocabulaire
est
marqué, en tout
cas,
d un fort
antrhopomorphisme,
que
confirme l application à
la patte
du
lion
du semantisme
habituel
du
bras
(signe
de
force,
de pouvoir, de valeur).
La
«jambe»
est
qualifiée
chez Philippe de Thaon de «plate» ce qui paraît
signifier «maigre
ou
nerveuse»,
lorsqu on
parle
d un
cheval (Roman de
Thèbes,
2808);
Philippe
de
Thaon ajoute
«juste les
piez
aates»,
expression
qui
pose quelque problème
de traduction («agile»?) Quant au
pied,
il est
«culpé», adjectif
que
l on
traduit généralement
par «en
forme
de
coupe»
(Greimas);
quant
à moi, j y soupçonne un
jeu
de mots sur «culpa» :
ce pied
du
lion est censé
en
effet représenter le
poing
de
Dieu,
qui y tiendra
le
monde «sous sa
coupe».
Ce détail explique que, parfois, les lions des miniatures ou des sculptu-
4.
Chrétien
de Troyes,
Yvain,
ou le chevalier au
lion,
éd. Mario
Roques,
Champion, 1971.
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N
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Image d un animal :
le
lion 147
res paraissent ne
pas
tenir debout, leur pied
recourbé à
l intérieur.
Les
ongles
sont
«luns
et curves»
(Philippe de Thaon). Les naturalistes
antiques avaient glosé
sur ces
griffes
(Hérodote,
Plutarque,
Pline).
Il n en
reste
que
l idée
de
leur
puissance, puissance
qu exprimera
leur hypertrophie
dans les représentations.
-
La queue, enfin : elle figure
dans
tous les Bestiaires, et c est sa longueur
extraordinaire
qui
est l élément
constant,
«keue at de grant
manière» (Philippe
de
Thaon).
Les éléments comportementaux
A
ces
caractéristiques physiques, il faut ajouter la
liste
des traits
comportementaux, que les Bestiaires désignent
par
le terme de
«nature», et
qui
complètent
le
système de
reconnaissance
de
l animal.
Ce
n est
pas
le
lieu ici d entrer dans
le
détail de ce catalogue (ce
que je
me propose de
faire
ailleurs). Nous nous contenterons de les
énumérer,
en
signalant
que
le
lion
est un des seuls animaux
à
avoir droit
à
plus d une de
ces «natures».
La
liste
des
«natures» change
d un texte à l autre et d un corpus à
l autre, mais
dans des
limites
étroites. En fait, elle est composée d un
noyau
dur
(trois «natures»
que je
qualifierai
de
«canoniques»)
et d éléments
adventices eux aussi
transmis par
la tradition.
Les
«natures»
canoniques :
1)
Le lion
efface ses
traces
avec sa queue
quand il est
chassé.
Motif inconnu de
l Antiquité
classique,
qui
semble
appartenir
à
la
tradition propre du Physiologus.
On observera
qu on y retrouve,
valorisée,
la
queue, instrument de
l intelligence
et de la
sagacité du lion (point
de départ
des développements
allégoriques). Cette «nature» étant toujours
placée
en première position dans
les textes, c est donc par la
queue
qu on
commence...
2)
Le
lion
dort
les yeux
ouverts.
Ce motif de la
vigilance
fut très
tôt glosé à
partir de
deux
versets
bibliques pour
devenir une des plus constantes représentations du Christ.
Mais
on en
retrouve
des
traces,
sous forme
de croyance (atténuée),
dans des
textes
non-édifiants (romanesques
par
exemple).
3) Les lionceaux naissent
morts-nés.
Trois jours après
leur
venue
au monde,
leur
père les ressuscite
par
son
souffle,
ou
par
son rugissement.
Selon
toute
vraisemblance, c est
le
Physiologus
qui
a inventé
ce motif
:
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Image
d un animal : le lion 149
dans
les figurations
plastiques,
la taille de
notre animal
est très
variable, si
Ton
s en réfère à
ce
qui l entoure (quoique, dans le système
non-
perspectiviste du Moyen Age,
cette indication
ait
peu
de valeur). Par
exemple, dans les miniatures illustrant tel manuscrit d Yvain-le chevalier au lion
(B.N.
ms.
fr.
1433), l animal
est très
petit,
de
la
taille
d un
lapin.
La
morphologie générale
du
lion est
particulièrement
instable. Il arrive
que son corps s allonge, (pilier de Souillac,
tympan
de Ganagobie),
devienne
quasi-reptilien,
ou s arcboute au mépris de
toute vraisemblance
ana-
tomique (chapiteaux des cloîtres d Elne et de Serrabonne). Son corps se
déforme pour s adapter au cadre,
comme
l avait noté
Focillon;
il
est
malléable, comme
peut
l être
un corps dans un rêve ou dans un dessin animé. . .
Les
extrémités
du corps, énumérées
ci-dessus,
deviennent des
excroissances par lesquelles
l animal
déborde de son
propre
corps,
pour
se fondre
dans un continuum biologique et
cosmique.
La crinière : souvent
hypertrophiée,
elle se prêtait à des interprétations
esthétiques
d un
bel effet : toison en
vagues ou
en écailles, couvrant
le
poitrail presque jusqu aux pattes (Evangéliaire d Echternach), descendant
même
jusqu à
l arrière-train (piédroits de Souillac); chevelure rayonnant en
soleil (sur tel marteau de porte (5); ou sorte de manchon
à
boucles très
rai-
des, emprisonnant un cou
démesuré (porche de
Guillestre).
Les
textes,
eux,
ont été
sensibles à l aspect anthropomorphe
de
cet
élément pileux; (Roman
de Renaît); et
il faudrait
évoquer
ici les implications symboliques possibles
(puissance,
aspect
«solaire»,
héroïque)
de
cet
attribut.
Par
lui
en
effet,
le
lion
(animal)
rejoint directement
sa
dimension
cosmique (le
lion, signe
du
zodiaque).
La
queue c est
l autre
élément
anatomique
hypertrophié,
à l autre
exp-
trémité du
corps.
Elle
permet
le prolongement ornemental
du
corps de l animal, qui se
soude
ainsi aux entrelacs; aux arabesques de l ensemble plastique. Baltru-
saitis
y voit la
marque de
l orientalisme,
le
goût
de 1 «abstraction
tourmentée», caractéristique de l âge roman surtout, qui
mélange
les êtres
et
les règnes
:
par
la
queue,
transformée en
lance,
rinceau,
cœur, palmette,
l animal
se
relie
au végétal, devient liane, feuille, ronce
:
Debidour
a
écrit
là-dessus de belles
pages
(6),
avant
la
saisissante évocation
d Umberto Eco
dans le Nom de la
Rose
(7).
Elle
est
la marque la plus évidente de la non-
finitude de
l animal.
Comme
motif
narratif,
la
queue
joue précisément un rôle essentiel dans
5. Reproduit dans R. Delort, Le Moyen Age, histoire
illustrée
de la
vie
quotidienne,
Edita,
1972.
6. V.H. Debidour, Le Bestiaire
sculpté
au Moyen Age en France, Arthaud, Paris, 1961 p. 85.
7.
Umberto
Eco, L
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François
DE LA BRETEQUE
les textes :
Noble,
endormi,
est attaché par
la queue, pendant le siège de
Maupertuis (R.R. Martin, Br.
la,
V. 1776-82); Yvain délivre le lion du
serpent
qui lui mordait la queue, en tranchant un
petit
bout de celle-ci {Le
Chevalier
au lion, v.
3345
suiv.).
Il
me semble qu il a échappé aux observateurs que, dans
ces
deux cas,
la
queue
est
l appendice
par
lequel
le corps de
l animal
est
en
communication,
en symbiose, avec le monde qui l entoure : de même que, dans telle
sculpture, la queue se développe en
liane
torsadée et fleuronnée qui semble
retenir
l animal
prisonnier (cathédrale de Bayeux :
Debidour,
p. 84).
On peut signaler un autre élément hypertrophié, dans les figurations : la
langue (dont les textes
ne
disent
rien),
qui, surtout
dans
le
blason, sort de la
gueule en
arborescences
monstrueuses.
Le
corps
du lion
«déborde»
ainsi
de
lui-même
des
deux
côtés.
Ces
organes deviennent des outils dégagés des fonctions physiques
immédiates
: d où
leur disponibilité
pour
les interprétations
allégoriques
(sur
lesquelles nous
passerons
ici).
Pour être
complet, enfin, il faudrait ajouter
à
ces éléments hypertrophiés
les
griffes,
souvent
exagérées (qu on
pense
à l héraldique).
Une
symétrie est
à relever
:
comme
Yvain tranchant un morceau de la
queue du lion, certains
chevaliers
ont
à
trancher une des pattes de
l animal
:
ainsi, Gauvain,
dans
Perceval (éd. Roach,
7859-72).
Nous reviendrons
plus
loin
sur
cette
ressemblance
troublante.
Les limites de l espèce
Le Physiologus, les Bestiaires, les livres
d Etymologies,
les grandes
encyclopédies et Sommes ou Miroirs, qui se présentent comme des
catalogues, n opèrent pas, malgré les apparences, un
découpage du
réel, au sens
linnéen du terme. D ailleurs, ce sont les mots, plus que les choses,
que
l on
classe.
Chaque animal a donc,
dans la
«zoologie» médiévale, des limites floues : il
est
susceptible
de
se
confondre
avec
des
animaux voisins.
Incertitudes
On pourrait énumérer bien des cas où
le
spectateur
moderne
se trouve
embarrassé pour
identifier tel animal, dans les images médiévales (cf.
tapisserie
Bayeux, par
exemple).
Parfois, seul
le
texte
permet
cette identification, dans
le
cas de
miniatures
accompagnant
un texte (8);
ou encore,
c est la place de
l animal
dans un
motif traditionnel qui permet de le nommer (Tetramorphe,
par
exemple).
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Image d un animal : le lion 151
L historien reconnaît volontiers cette difficulté (Debidour, p. 26),
dont on
peut
se demander si elle était sensible aussi à
l observateur
de l époque. .
Confusions thématiques dans les
textes
Malgré
le
caractère
fixiste
de
la
transmission des
motifs,
les
Bestiaires
opèrent
sur
les franges des chapitres consacrés aux animaux, certains glissements.
Le
lion
peut se voir attribuer un trait
qui
appartient
ailleurs
:
-
à
la belette (Pierre de
Beauvais) :
la lionne
enfante par
la bouche
ses petits
morts;
-
à
l ours : (Richard de Fournival) :
elle
façonne son petit,
né
informe, avec
sa langue;
-
à la panthère :
ces
deux animaux se succèdent
immédiatement, dans
certains
Bestiaires; comme elle, le lion répand une odeur (agréable dans un cas,
nauséabonde dans l autre) par la bouche;
comme à elle,
on lui attribue le
combat
contre
le
dragon (dans deux
traditions
textuelles
différentes,
il
est
vrai).
- au
tigre
: celui-ci est censé se laisser prendre sans résistance si on laisse un
miroir sur
son chemin (le fauve
est
fasciné par
sa propre
image)
:
or, ce
trait
est,
une
fois, imputé
au
lion.
Le
léopard,
animal
voisin
par son nom, est parfois présenté
comme
un
bâtard du
lion (Brunetto Latin). Attestée tardivement,
cette fable
remonte en fait
à
Pline
et rappelle
que le thème de l adultère de la lionne
a
traversé tout le Moyen
Age... La bâtardise
n est-elle
pas le cas typique d outrepassement des limites
des espèces?
Hésitations ou imprécisions
Les variantes
manuscrites des textes
attestent
d un autre phénomène
sémantique :
la
possibilité de permutation des noms de certains animaux.
Dans
des formules du
type
: «Urs et
lions
et
cers
et deims»,
«lou
et
lyon,
leopart
et
ors»,..., le lion peut être
remplacé,
selon
les besoins
de la métrique,
par
n importe quel animal au nom dissyllabique. Exemple :
chez
Villon :
«Ser-
pens,
laissars et telz nobles oiseaux» (ms. C)
devient
: «Lyons,
liepars
et
tel
nobles oyseaux» (ms. J) (Ballade des langues envieuses).
Je
postule
que ces
substitutions
ne
sont
pas que
des
commodités
métriques,
mais correspondent,
à
un
niveau
plus
profond, à
une possibilité de
permutation
fonctionnelle,
comme les
attestent
les
études folkloriques.
L imprécision
est un phénomène d un autre type. La narration médiévale
n hésite
pas, parfois,
à
parler
d une «beste»,
ou
d un
animal,
sans
autre
préci-
8.
Voir
par ex.
X. Muratowa : «The Decorated
manuscripts
of
Philippe deThaon»,
dans :
Third International Beast Epic, fable andfablaiu colloquium, Munster, 979.
9. Guillaume
de Machaut, Le Ditdou
lion, dans
: Œuvres, t. II, publiées par
E. Hoepffner,
S.A.T.F.,Didot,
1911.
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François
DE LA BRETEQUE
sion. Ce phénomène devient intéressant lorsque l illustrateur a pris
le
parti de
choisir.
Ainsi, dans
la
Légende Dorée, l histoire de
Saint
Denis, affronté à des
«bêtes féroces» qui se révèlent être des lions.
UNE
ÉVOLUTION EN TROIS STRATES
Si
le lion, -
à
l instar
des autres animaux,
on
peut
le
postuler-, est
une
figure
indécise au
Moyen Age, cette
indécision n a
pas été stable. En
schématisant
beaucoup, on pourrait distinguer trois étapes,
ou plutôt,
trois «strates» (ce
terme
sera justifié
plus
bas).
L âge
de
la
«non-limitation»
Dans un premier
temps,
comme
il
a
été
dit ci-dessus,
le corps
de
l animal
est
mal délimité;
il
est
malléable
et
susceptible
de
se
prolonger en
excroissance
plus ou
moins indépendantes; en
même
temps, l animal est
physiquement
difficile
à
identifier.
On aura reconnu le
lion des manuscrits irlandais
ou
des
chapiteaux
romans.
Dans
l iconographie,
l animal
est
réduit
à
une fonction
ornementale,
ou
«thématique»,
comme
le
dit
Debidour : «en général,
les
bêtes, gouvernées
par
la fonction ornementale
qu on leur fait
assumer,
sont
zoologiquement très
imprécises :
le lion ou
l oiseau,
le
serpent
ou le griffon
sont
des
thèmes, non des
portraits»
(p.
26;).
Ce qui me paraît
important à
souligner, c est que cette fonction
ornementale
ou thématique, vaut aussi pour
les
textes de la
première
«génération» de la
littérature en langue romane.
Bien
que le nom de l animal
soit
littéralement
présent,
cela n assure
pas la stabilité de la
figure.
On
pourrait
risquer que
le
lion est un être emblématique; de
même nature,
en somme, que ces animaux composés que le
Bestiaire
héritait de la tradition
ancienne.
Plusieurs sont
d ailleurs formés de «morceaux» de lion, et
j y vois,
pour
ma part, une autre
marque
de
l indécision
corporelle
du
lion. Ces êtres en
effet ne sont pas des constructions intellectuelles, comme seront les hybrides de
l âge
gothique, mais
des
animaux «crédibles»
:
le sphynx, le
griffon,
la
Serra,
le
fourmi-lion,
le mantichore.
L âge
de
la «délimitation»
Une autre tendance amène, au «premier âge gothique»
en
particulier, à
plus
de naturalisme. Certes, la
tradition antique,
maintenue
ici
ou là,
a pu
y aider
(lions des Zodiaques, ou
les
portails italiens).
On daterait volontiers symboliquement ce tournant de l album de
Villard
de
Honnecourt et
son
lion
«contrefait al
vif».
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La stylisation héraldique
du
corps
Déformation
:
Le lion du Tetramorphe
du Tympan
de Ganagodie
Dallage
incrusté
Notre-Dame de Saint Orner C. 1260
d après
Baltrusaitis, Réveils et Prodiges, p. 118
Animal stylisé
Elément de dallage «Chambre du
cerf»
Palais des Papes,
Avignon
Queue
hypertrophiée prolongée en végétal
(rinceau)
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154 François DE
LA BRETEQUE
Le
corps
de
l animal
se
clôt, en
quelque sorte, et tout élément
qui
lui est
étranger doit être retranché.
N est-ce pas ce que fait
Yvain?
Tranchant le bout de
queue
auquel
adhère
encore la
tête du serpent (comme
sur
les
initiales
ornées
ou
les
marginalia
des
manuscrits...),
il
restitue,
à
l animal
son unicité
et
son
intégrité
:
l être
devient
autonome. Son geste est un geste de découpage. Gauvain agit un peu de même,
mais
il va
un
peu
plus
loin :
la
patte tranchée reste
suspendue
à son écu
(Perce-
val, 7866-72). Trace peut-être d un vieux
totémisme;
à
coup sûr, effet de
contamination quasi-magique : les vertus
du
lion se transmettent par contiguïté au
chevalier qui conserve
sur
lui un morceau de son corps. Comme, dans Melusine
de
Jean
d
Arras, ce
chevalier
qui
a
la marque d une
patte
de lion sur le
visage.
Avec
cet
épisode, on
est
allé jusqu à
porter
atteinte
à
l intégrité physique de
l animal-preuve que celle-ci est désormais constituée. La
patte
ne
se met pas
à
vivre seule.
L âge de
la
décomposition /
recomposition
Dans les premiers âges, les auteurs
ne
se
risquent pas
à
comparer le
lion à
un animal connu.
Indice qu il
reste
abstrait
et «intouchable».
C est seulement lorsqu on a
le
sentiment de mieux maîtriser son corps, qu il
a
été intégré,
qu on
se
risque
à
le
comparer.
Or ces comparaisons sont de nature
ironique
: un agneau (Yvain,
4006),
un «porz forcenez» (ibid.
3518),
un «petit
chiennet» (Machaut, 327); une seule fois,
bien que
ce fût attendu, on le
compare à
un
chat
(R. Lulle).
Alors, les diverses parties du
corps
vont devenir presque autonomes, et l on
va pouvoir se mettre à
décomposer
celui-ci et à reconstruire des
hybrides avec
des morceaux de lion (grotesques, fatrasies;
opération
différente
à
mon sens de
la composition des monstres évoqués
plus
haut,
même
s ils
connaissent
un
regain
de vogue
à
l âge gothique). La fatrasie opère surtout avec des
animaux
domestiques.
Mais
ce qui est typique pour nous, c est l insertion
du
lion parmi ces
animaux familiers
(Fatrasie
de Philippe de
Beaumanoir
dans laquelle
un
ciron
blesse un lion
(Fatrasie
d Arras, n°
2)
: son
rapetissement,
qu on
trouve aussi
dans
les «grotesques»,
et
dans
les
textes où il devient
un animal
familier
comme
chez
Guillaume
de
Machaut.
Le
Roman
de
Renarta pué le
rôle
d un
pivot
dans
cette transformation de l image de l animal.
Les «morceaux» de lion peuvent fonctionner par synecdocque, pour
signifier la
nature léonine : marques, blasons,
surnoms...
Une précaution est nécessaire
pour terminer
: les
trois
étapes définies ici ne
se succèdent
que
très
approximativement;
il s agit en fait, de
strates, qui se
chevauchent et
correspondent
à des niveaux plus
ou
moins
archaïques
de
la
mentalité collective.