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DG/90/15
ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE
Discours d'ouverture prononcé par M. Federico Mayor
Directeur général de
l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
(Unesco)
au nom des quatre organisations parrainant la Conférence
à l'occasion de la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous
Jomtien, Thaïlande, 5 mars 1990
~----. -.--- __,- -.-..-- --.-
Messieurs les Présidents du Bangladesh, de l'Equateur et du Kenya,
Messieurs les Chefs de gouvernement,
Messieurs les Membres des delégations nationales,
Mesdames et messieurs les responsables d'organisations intergouvernementales
et non gouvernementales,
Mesdames et Messieurs les représentants de la communauté éducative >et
des médi:as,
Excellences, '
'Mesdames, Messieurs,
C'est un honneur pour moi de prendre la parole au nom de la Banque
mondiale,. du PNUD, de l'llnesco et de l'UNICEF, en cette circonstance
historique qu'est l'ouverture officielle de la Conférence mondiale sur
l'éducation pour tous. En cette occasion solennelle, nous tenons à assurer
Sa Majesté le Roi et le gouvernement royal thaïlandais de notre gratitude
pour leur accueil chaleureux et pour les conditions dans lesquelles peuvent,
grâce à eux, se dérouler les travaux de la Conférence. En même temps,
nous remercions chaleureusement les autorités nationales de nous avoir
généreusement invité à venir nous rendre compte directement, à l'occasion
de la journée du pays hôte, des réalisations éducatives et culturelles
de ce royaume chargé d'histoire.
Pour la totalité des 22 organisations qui parrainent cette Conférence,
elle est l'aboutissement d'un processus intensif de préparation menant
à un événement qui, nous en sommes convaincus, doit représenter et
représentera un tournant sur la voie de la réalisation de cet objectif
cher à nos coeurs qu'est l'éducation pour tous.
(La Conférence mondiale - Un appel à l’action)
Les conférences à l'occasion desquelles nous avons solennellement
proclamé le droit de tous à une éducation convenable ne se comptent pi us.
Comment pouvons-nous être si sûrs que celle-ci apportera quelque chose
de nouveau ? En premier lieu, cette Conférence mondiale rassemble un
puissant et, à vrai dire, unique échantillon de dirigeants mondiaux dans
les domaines de l'économie, de la culture, des sciences, des médias et
de la politique aussi bien que de l'éducation. Notre propre expérience
et celle de nos enfants se conjuguent aujourd'hui pour nous persuader,
2.
tous autant que nous sommes, que c'est l'éducation qui, plus que tout
autre chose, façonne notre existence et forgera le destin des générations
futures. En second lieu, nous voulons tous que la Conférence se traduise
directement par des résultats concrets. Elle a en commun avec l'Année
internationale de l'alphabétisation l'objectif d'apporter une amélioration
tangible dans la vie de millions d'enfants et d'adultes. La Conférence
mondiale sur l'éducation pour tous est donc avant tout un appel à l'action.
Ce que nous voulons tous, c'est mobiliser les sociétés dans leur ensemble
pour la cause de l'éducation, réaffirmer des engagements qui commençaient
a être perdus de vue, unir des forces complémentaires et témoigner de
la solidarité internationale, coopérer et apprendre les uns des autres,
et avant que le siècle ne s'achève, faire du droit à l'éducation une réalité
quotidienne pour chacun.
Le défi de 1' "éducation pour tous" peut paraître décourageant. Peut-
être aurons-nous besoin, pour réussir, non seulement de millions de femmes
et d'hommes dévoués et qualifiés, de compétences et d'outils pédagogiques,
de sommes considérables, mais aussi d'une véritable révolution de l'esprit.
Toutefois, si nous joignons l'imagination au pragmatisme, la volonté
politique à l'art de trouver des financements, la solidarité internationale
à la détermination nationale, l'expertise des éducateurs au regard neuf
des médias, de la science et de la technologie, des milieux d'affaires,
des organismes bénévoles et de toutes sortes d'autres sources, si nous
remplissons toutes ces conditions et sans doute seulement à ce prix, le
combat engagé pour étendre à tous les bienfaits de l'éducation pourra
être victorieux. Chacun peut apporter sa contribution, chacun peut jouer
son rôle dans l'avènement d'un avenir meilleur. Le temps est passé où
certains étaient acteurs et d'autres spectateurs. Bien entendu, ceux
qui occupent de hautes fonctions auront une responsabilité plus lourde,
mais l'éducation pour tous suppose que tous contribuent & l'éducation.
L'accès à l'enseignement pour tous est la première étape à l'accès au
savoir, jusqu'à son niveau le plus élevé.
(Le défi mondial)
Excellences, Mesdames, Messieurs,
La Conférence mondiale sur l'éducation pour togs a lieu à un moment
où beaucoup trop d'êtres humains connaissent encore la faim et la misère.
Nous vivons dans un monde où les inégalités sont flagrantes. Depuis une dizaine d'années, on constate un transfert net de ressources des pays
pauvres vers les pays riches qui, en 1988, atteignait 50 milliards de
dollars des Etats-Unis par an. Toujours en 1988, la dette des pays en développement s'élevait à plus de mille milliards de dollars. Ces pays sont vulnérables. Si leur population connaît la misère 'et la famine,
si les adultes et les enfants se voient refuser le droit d'accéder aux
:Connaissances et aux compétences nécessaires pour survivre, la démocratie
et le développement y demeureront fragiles. Et avec le temps, la misère
apporte son lot de conflits, de corruption et de destruction de
l'environnement, laquelle nous met tous, que nous soyons riches ou pauvres,
en péril.
Et pourtant, en cette fin de siècle, des forces positives sont à
l'oeuvre qui pourraient faire de notre époque un tournant dans l'histoire
de l'humanité. Le début des années 90 nous a apporté une chance historique
de parvenir à la paix et au désarmement, de mettre fin à l'affrontement
idéologique et de promouvoir des valeurs humanistes universellement admises.
Cet effort pour replacer l'humain, et non plus l'idéologique, au
centre des préoccupations politiques rend plus nécessaire que jamais .la
coopération internationale, en particulier dans le cadre du système des
Nations Unies. Nous sommes conscients du rôle crucial que 1'ONU a joué
dans les récentes initiatives de paix et de réconciliation nationale.
Le partenariat, entre la Banque mondiale, le PNUD, 1'Unesco et l'UNICEF,
qui - en étroite coopération aussi avec le FNUAP et d'autres organismes
des Nations Unies - est à l'origine de la présente Conférence, reflète
le même esprit constructif. L'importance globale des vingt-deux
organisations parrainant la réunion atteste la nécessité, pour parvenir
à une action internationale véritablement efficace, d'élargir le cercle
des partenaires.
L'éducation a un rôle essentiel à jouer pour soutenir les évolutions
positives qui s'amorcent aujourd'hui à l'échelle mondiale. Les responsables
politiques actuels ne progresseront sur la voie de la paix et de l'égalité
véritables que dans la mesure où nous étendrons l'éducation à tous et
instaurerons par voie de conséquence un plus grand respect pour la culture
d'autrui et un attachement accru pour les droits de l'homme.
4.
L'éducation devra mettre en place des fondations solides pour le
monde où nous souhaiterions vivre au XXIe siècle. Mais la présence
aujourd'hui de près d'un milliard d'adultes analphabètes et de plus de
cent millions d'enfants privés d'une éducation de base, signifie que ces
fondations sont fragiles. C'est là un autre aspect, très important, des
conséquences qui entraînent la pauvreté et l'ignorance.
Il n'y a jamais eu auparavant un tel écart entre les connaissances
dont les populations auraient besoin pour devenir plus maîtresses de leur
destin et accéder à plus de bien-être, et celles qui sont effectivement
mises à la portée de ceux auxquels elles sont le plus nécessaires. Comment
pouvons-nous espérer progresser sur la voie de la liberté et de la
démocratie tant qu'à l'échelle du monde, un adulte sur trois sera
analphabète ?
(L’érosion de l’éducation de base)
Mesdames et Messieurs,
Face aux redoutables défis que nous avons à relever pour mener une
action efficace en faveur de l'alphabétisation et de l'éducation de base
pour tous, le problème qui devrait nous préoccuper plus que tout autre
est l'érosion constante des systèmes d'enseignement que l'on ,constate
dans de nombreux pays. Les questions d'éducation faisant rarement la
une des journaux, on n'a guère pris conscience de leur très réelle urgence.
Dans le monde en développement, ce sont des systèmes scolaires entiers
qui ont cessé de croître, tandis que la qualité et l'efficacité de
l'enseignement sont largement mises en cause.
Les statistiques que 1'Unesco a recueillies spécialement pour la
présente Conférence montrent combien l'éducation de base souffre depuis
quelques années. Les pays industrialisés ont eu leur part de Iproblèmes.
Dans‘ nombre de ces pays, la qualité et la fonctionnalité des connaissances
acquises à l'école primaire et retenues jusqu'à la fin de la vie commencent
à être passées au crible alors qu'on en vient enfin à analyser pleinement
la question des connaissances théoriques et pratiques dont les enfants
et les adultes ont besoin dans un contexte de mutation sociale et
technologique rapide. Il ressort d'enquêtes portant sur le niveau
~____~ _.>-..- .- _ .._- -. _-... -- -.
5.
d'instruction des enfants et des adultes que 10 à 20% de la population
des societés dites avancées ne maitrisent pas les mécanismes élémentaires
de la lecture, de l'écriture, du calcul et de la résolution des problèmes.
En outre, on commence à s'apercevoir que l'ignorance totale de la science,
de la technologie et de l'écologie pose un problème série.ux aux niveaux
national et: international. Aussi importe-t-il de mettre en place -'ou
de renforcer'- un enseignement scientifique, une éducation relative à 'l'environnement et une éducation en matière de population, aussi bien
à l'école qu'en dehors d'elle.
Dans un pays en développement sur cinq, les effectifs scolaires sont
en baisse par rapport à 1980. Pour de nombreux pays qui continuent de
faire face à une croissance démographique élevée, la perspective d'une
généralisation de l'enseignement primaire semble de plus en plus lointaine.
Les planificateurs de l'éducation confirmeront que ce qu'il est convenu
d'appeler le "taux de scolarisation brut dans le primaire" a baissé depuis
une dizaine d'années dans près de la moitié des pays en développement.
Les abandons et les redoublements massifs continuent de représenter une
plaie pour les systèmes éducatifs. Le taux d'abandon s'est dans bien
des cas accru à tel point qu'un élève sur deux seulement finit par achever
le cycle primaire. Ces problèmes sont particulièrement aigus en Afrique.
Il semblerait que la demande d'éducation de base et la confiance
que celle-ci inspire diminuent. L'érosion chronique de la base des
ressources et la baisse de qualité de l'enseignement et de l'apprentissage
qui l 'accompagne sont loin d'être étrangères à cette crise de confiance.
Dans les deux tiers des pays en développement, les dépenses par élève
de l'enseignement primaire ont diminué en chiffres réels depuis 1980.
En 1987, elles s'élevaient à 29 dollars par elève et par an dans les pays
à faible revenu et à 1.987 dollars dans les pays à revenu élevé. Sur
trois enseignants exerçant dans les pays en développement, près de deux
gagnent moins qu'en 1980. Lorsque leur salaire devient inférieur au seuil
de pauvreté ou n'est plus versé, les enseignants sont contraints de faire
aussi un autre travail ou de partir. Les services d'appui professionel,
en particulier dans les écoles rurales, sont soumis à des contraintes
financières rigoureuses. Les manuels scolaires et les matériels
d'enseignement sont devenus rares dans nombre d'écoles primaires, malgré
d'ingénieuses initiatives personnelles des maîtres et des collectivités
6.
locales.
Certes, les grandes campagnes d'alphabétisation et le patient travail
mené sur le terrain dans le cadre des programmes d'alphabétisation des
adultes sont parvenus à réduire progressivement le taux d'analphabétisme
dans le monde en développement. Mais du fait de la croissance
démographique, le nombre absolu d'analphabètes a continué de croître.
Sur un nombre d'analphabètes adultes estimé au total à 963 millions, 920
millions vivent dans les pays en développement. Par rapport à l'énormité
de ce chiffre, les ressources affectées à l'alphabétisation des adultes
demeurent dans la plupart des cas désespérément insuffisantes.
Il est donc amplement prouvé qu'il faut mettre un terme au déclin
de l'éducation de base. C'est dans les pays pauvres que cette nécessité
s'impose le plus., Le monde ne peut se permettre de faire perdre une
nouvelle décennie à ceux qui attendent d'apprendre à lire et d'accéder
à l'éducation de base. Il est de notre devoir à tous de faire en sorte
qu'au cours des années 90, l'éducation puisse jouer le rôle qui lui revient
au centre du développement.
(Développement centré sur l'être humain)
Nourrie des leçons souvent amères de l'expérience passée, l'idée
que les êtres humains sont à la fois la fin et le moyen du développement
recueille aujourd'hui un large consensus. Seule une stratégie résolue
du développement humain sera capable de montrer la démarche à suivre pour
se soustraire aux dilemmes économiques d'aujourd'hui et s'engager sur
la voie, à horizon plus lointain, d'un développement durable. Inversement,
si nous négligions maintenant, pendant les dernières années de ce siècle,
la dimension humaine du développement, les actuelles tensions économiques
et politiques liées en particulier au problème de la dette, risqueraient
fort de provoquer un affaiblissement durable des ressources humaines dans
les pays à faible revenu. Cela se traduirait, pour leurs perspectives
de croissance économique, par un sérieux revers, que même les plus rigoureux
programmes de redressement pourraient bien se révéler impuissants à
surmonter.
Trois types de mesures seront nécessaires pour atteindre les buts
_-_ .^ .-. _ -._. _- __f - -- ------.-
7.
d'un large développement humain. Premièrement, une nouvelle hiérarchie
des priorités nationales et des stratégies d'affectation de crédits propres
à faire en sorte que les programmes de développement des ressources humaines
vitales d'une nation ne soient pas réduits à la portion congrue.
Deuxièmement, une amélioration de la. capacité autochtone à déceler et
suivre efficacement les évolutions rapides des besoins 'en ressources
humaines. ,Troisièmement, des réponses plus concertées à ces besoins. faisant
:Pleinement intervenir les multiples acteurs de la cité éducative --famille,
collectivités, institutions.
Cette analyse, qui met en évidence le rôle crucial qui, dans tout
développement authentique, revient à l'éducation, aux possibilités
d'apprentissage de base, à la préparation qui donne aux hommes et aux
femmes ordinaires les moyens d'agir, est aujourd'hui celle de la plupart
des économistes, des agences de développement et des organismes de
financement. Et pourtant, ce raisonnement ne se limite pas à des
considérations purement économiques. Le développement centré sur l'être
humain revêt également des dimensions culturelles significatives, notamment
en ce qui concerne les liens essentiels entre la culture, la créativité
et le progrès économique. Le respect de l'enfant pour la culture qui
est la sienne est la base même de la dignité, comme de la tolérance. à
l'égard d'autrui. Qui plus est, le développement centré sur l'être humain
a d'importantes implications au plan de l'équité. L'une de celles-ci
est certainement de favoriser la contribution des femmes au développement.
L'éducation des femmes et des jeunes filles est d'ailleurs l'exemple
le plus convaincant de la façon dont l'action en faveur du développement
humain peut dynamiser et accélérer le développement de tous les aspects
de la société. D'innombrables travaux de recherche ont établi que
l'éducation de base et l'alphabétisation des femmes a des effets marqués
et positifs sur la santé familiale, les taux de fécondité, les habitudes
alimentaires, la sécurité de l'alimentation du foyer, de même que sur
le succès des femmes dans le travail indépendant, leur participation au
marché du travail et, enfin, domaine qui n'est pas le moins important
de tous, les possibilités d'éducation des enfants. James Grant, Directeur
général de l'UNICEF, qui est un de nos partenaires dans l'organisation
de cette Conférence, sait être persuasif en faisant valoir que les progrès
impressionnants que de si nombreux pays ont accomplis dans la lutte contre
8.
la mortalité infantile ne seront durables que si nous redoublons d'efforts
pour offrir une éducation de base à la totalité des femmes et des jeunes
filles.
L'un des résultats importants des réunions régionales organisées
l'an dernier est la spectaculaire analyse de la crise de l'éducation en
Afrique faite par Joseph Ki-Zerbo. Son texte commence par un proverbe
bambara :
"Pour la mère, la naissance n'est que le début du travail"
Pour les mères des 14 millions d'enfants des pays en développement
qui meurent avant d'avoir 5 ans, pour les mères des plus de 100 millions
d'enfants qui ne vont pas à l'école, pour les mères des centaines de
millions de jeunes qui n'ont qu'un accès limité au savoir et à l'emploi,
elle est loin d'être terminée, la lutte ! Ce qu'elles voudraient, ces
mères, c'est que je proclame, face à la communauté mondiale et à ceux
qui la gouvernent, qu'une société qui néglige l'éducation de ses filles
risque de courir au suicide.
On ne saurait nier que, bien trop souvent, les chances d'accès à
l'éducation de base sont nettement meilleures pour les garçons que pour
les filles. De plus, dans les pays en développement, près d'une femme
sur deux est encore analphabète. Et, dans les pays les moins avancés,
c'est à 75 % que s'élève, d'après les estimations, le taux de
l'analphabétisme féminin.
C'est pourquoi je vous invite à accorder le plus entier soutien,
en particulier, à ceux des articles du projet de Déclaration mondiale
sur l'éducation pour tous qui visent le droit des femmes à l'éducation.
(Exploiter les opportunités nouvelles)
Mesdames, Messieurs,
Restituer à l'enseignement primaire qualité et crédibilité, réduire
le fossé qui existe entre les possibilités d'apprentissage de base des
garçons et celles des filles, faire baisser l 'énorme nombre d'analphabètes
9.
et s'attaquer au problème élusif de l'analphabétisme fonctionnel dans
les pays industrialisés --les obstacles à surmonter sont certes gigantesques et certains peuvent même les juger infranchissables.
Et pourtant, nous devons comprendre que les années 90 seront aussi
une période ouvrant des perspectives nouvelles, dont nous n'avions jamais
rêvé aupar,avant. Je dirai même qu'un grand nombre de ces opportunités
yexistent déjà, à portée du regard de quiconque envisage les problèmes
actuels de l'éducation en sortant des sentiers battus, sans oeillères
institutionnelles, et en faisant preuve d'imagination pour découvrir de
nouvelles terres et de courage pour s'y aventurer.
Permettez-moi, ici, de citer le projet de Déclaration mondiale sur
l'éducation pour tous dont nous sommes saisis : "S'employer à répondre
aux besoins éducatifs fondamentaux de tous ne saurait se réduire à
réinvestir' dans l'éducation de base telle qu'elle existe actuellement.
Une vision plus large s'impose, afin d'aller au-delà des moyens présentement
mis en oeuvre, des structures institutionnelles et des systèmes classiques
de formation, tout en s'appuyant sur ce qu'il y a de meilleur dans la
pratique actuelle. La fantastique explosion de l'information . . . et la
capacité de communication sans précédent avec laquelle elle se conjuque
engendrent aujourd'hui des possibilités inédites, dont nous devons tirer
parti avec inventivité et avec la volonté de parvenir à une plus grande
efficacité." (page 3, version française).
Les possibilités nouvelles d'assurer une éducation à tous sont de
divers ordres : technologique, pédagogique et normatif (dans la mesure
où elles résultent des progrès de la législation relative aux droits de
l'homme).
Tout d'abord, il est possible de susciter une synergie beaucoup plus
active entre l'éducation de base et ce que l'on appelle "la révolution
de la communication". La capacité des êtres humains à transmettre des
connaissances et des savoir-faire nouveaux, et même à modeler les attitudes,
s'est considérablement accrue. La technologie de la communication
progresse, tandis que son coût baisse régulièrement. Le moment est venu
de tirer parti, sélectivement, de ces percées de la technologie pour élever
la qualité, accroître la portée et augmenter la rentabilité de l'éducation
10.
de base. Les établissements scolaires peuvent --bien évidemment-- les
exploiter, mais le potentiel éducatif des médias donne à chacun, bien
au-delà de la salle de classe, des possibilités d'apprentissage s'insérant
dans sa vie quotidienne.
En même temps, beaucoup de pays ont besoin d'une assistance pour
ouvrir les programmes et les méthodes de l'enseignement primaire sur la
vie de la communauté. Cela ramène à la notion de qualité de l'éducation,
qui a si souvent fait l'objet de proclamations mais qui doit aujourd'hui
être clairement formulée. Elle ne peut signifier uniquement que l'on
accroîtra, sans les modifier, les contenus, les méthodes et les manuels.
Elle signifie aussi que sera offert à chaque apprenant, enfant ou adulte,
un enseignement orienté vers le succès et les réalisations, et non des
programmes axés sur une sélection et porteurs d'échecs. Notre connaissance
du développement intellectuel de l'enfant et de ses implications
pédagogiques progresse et ces acquis doivent être pris en compte par les
programmes et l'évaluation de la formation des enseignants. Les réseaux
régionaux d'innovation éducative auxquels l'llnesco, le PNUD et d'autres
organisations apportent un soutien depuis un certain temps ont généré
quantité d'approches nouvelles de la formation des enseignants, de la
gestion des établissements scolaires, de l'élaboration de programmes
adaptés, de la pratique pédagogique et de son efficacité, ainsi que des
moyens de mobiliser la collectivité. Nous devons nous montrer beaucoup
plus audacieux et déterminés à évaluer, mettre en commun et repenser en
permanence ces innovations concrètes.
Permettez-moi de vous rappeler la percée significative que représente,
dans la législation internationale des droits de l'homme, l'adoption récente
par l'Assemblée générale des Nations Unies de la Convention sur les droits
de l'enfant, qui inclut le droit à l'éducation. Cette nouvelle convention
internationale renforcera de façon importante, à divers égards, les
possibilités d'aller de l'avant dans la lutte pour l'éducation de base.
Tout en insérant les droits et les besoins des enfants en matière
d'éducation dans une dynamique de renforcement mutuel avec les dimensions
sociales, psychologiques et matérielles de leur vie, elle donne aux soins
à la petite enfance et à son développement le statut de première étape
essentielle d'une stratégie d'éducation de base pour tous.
11.
(Une conception équilibrée de 1 ‘éducation de base)
Mesdames et Messieurs,
La Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous qui vous est soumise
pour examen et, finalement, adoption, propose une vision ‘plus large de
l'éducation 'pour tous et invite à un engagement renouvele' pour la
'réalisation de ce noble but. Beaucoup d'entre vous ont activement participé
au processus de consultation et de débat qui, dans toutes les régions
du monde, a aidé à donner corps au contenu de cette déclaration et du
cadre d'action qui l'accompagne. Les neuf consultations régionales ont,
de fait, fourni de précieuses occasions d'apprendre les uns des autres
et d'échanger des expériences. Nous sommes particulièrement reconnaissants
aux pays qui ont bien voulu accueillir ces réunions.
Grâce à ce processus de consultation, je crois que nous avons trouvé
un terrain d'entente réconciliant différents points de vue et
préoccupations. Pour un document qui doit prendre en compte à la fois
l'unité des objectifs et des convictions et l'immense diversité des
situations et priorités nationales, un tel équilibre est assurément crucial.
Le processus de consultations régionales a enrichi notre réflexion et
contribué à mettre en lumière les dangers inhérents à la tentation
d'assortir la fourniture d'aide de conditions trop rigides. Il nous a
montré que l'éducation de base était un point de départ et ne devait jamais
être considérée comme la finalité ultime. Il a mis en évidence le fait
que la valeur économique et utilitaire de l'enseignement devait être
complétée par la dynamique formatrice de capacités et créative indissociable
de toute bonne éducation. Il nous a également rappelé que, si important
que soit son contenu, l'éducation de base devait aussi se préoccuper
d'apprendre à apprendre pendant le reste de la vie. Enfin, il nous a
sensibilisé à la nécessité de veiller à ce que la recherche de l'efficacité
ne s'opère par un détriment du souci d'égalité et de la compassion. C'est
pourquoi le texte dont nous sommes saisis demande, par exemple, qu'une
attention particulière soit accordée aux besoins d'apprentissage des
personnes handicapées.
Les documents issus de ce processus de consultation témoignent d'une
vision plus large de la nature des besoins d'apprentissage de base et
12.
de la façon d'y répondre. Une a .lliance aussi large et auss i puissante
des forces disponibles à cette fin sera nécessaire pour donner vie à cette
vision.
Former des alliances, surmonter les cloisonnements, transcender les
frontières habituelles des responsabilités et des compétences, telles
sont les idées maîtresses qui sont à l'origine du mode de parrainage de
la Conférence. Le processus de consultation préparatoire mené dans toutes
les régions du monde a lui aussi mis en évidence les mêmes idées. La
création d'une grande alliance sera, j'en suis convaincu, un thème central
de la Conférence elle-même et de son suivi, auquel nous devrons tous
collaborer.
(La grande alliance)
L'éducation pour tous n'est l'affaire ni du seul secteur de
l'éducation, ni des seuls gouvernements. Si nous voulons vraiment atteindre
cet objectif dans chaque pays, il nous faudra constituer des partenariats
nouveaux et plus actifs à tous les niveaux : entre l'éducation et d'autres
départements ministériels, entre les responsables centraux, provinciaux
et locaux, en conférant beaucoup plus de pouvoirs à ces derniers, avec
les organisations non gouvernementales --qui, je suis heureux de le dire,
ont accepté en si grand nombre notre invitation à participer à cette
Conférence mondiale ; avec la famille et le corps enseignant, dont le
rôle crucial doit être plus largement reconnu.
Le ciment qui liera tous ces éléments devrait être fourni par une
large mobilisation de la société au service de l'éducation pour tous.
L'UNICEF, par exemple, a contribué à lancer avec succès, pays après pays,
des campagnes de mobilisation sociale. Les dirigeants religieux et
politiques, les associations, les médias et de nombreux autres partenaires
ont uni leurs forces pour promouvoir la vaccination des enfants et d'autres
objectifs sanitaires. Des millions d'enseignants et d'élèves ont Offert
leur temps et leur énergie chaque fois qu'ils ont été sollicités. Nul
doute que leur enthousiasme sera encore plus grand lorsque la cause à
défendre sera celle de 1' "éducation pour tous".
De nouveaux partenariats, plus efficaces et plus équitables, seront
13.
également nécessaires entre les pays et la communauté mondiale. Il est
certain que la solidarité internationale à l'appui de l'éducation pour
tous doit être considérablement renforcée. Ce faisant, les deux acteurs
s'efforceront de mettre au point d'authentiques partenariats caractérisés
par la coopération et les engagements communs à long terme.
Enfin,' et cet aspect est loin d'être secondaire, les nombreuses
'institutions qui forment la communauté internationale devront
incontestablement coordonner leur action et édifier, dans leur propre
sphère, de nouveaux partenariats. Il est possible d'assurer une bien
plus grande complémentarité entre les différentes formes et sources
d'assistance et d'en renforcer l'efficacité pour peu que les institutions
multilatérales, les organismes d'aide bilatérale, les organismes de
financement internationaux, les ONG, les programmes de recherche et les
instituts de formation soient capables de se regrouper pour mener une
action concertée.
Je me plais à croire que les nombreuses organisations qui se sont
jointes à la Banque mondiale, au PNUD, à 1'Unesco et à 1'UNICEF pour assurer
le parrainage de cette Conférence ou s'y associer forment une sorte de
masse critique qui donne une idée des formidables perspectives qu'ouvre
cette grande alliance pour l'éducation.
Je tiens à saisir cette occasion de rendre formellement hommage à
tous nos partenaires et de les remercier de leur soutien.
(Il n’y a pas de temps à perdre)
Mesdames et Messieurs,
Le cadre d'action pour répondre aux besoins éducatifs de base dont
cette Conférence mondiale est saisie se fonde sur la ferme volonté d'agir
maintenant. La Conférence représente sans doute la dernière occasion
que la communauté mondiale aura avant la fin de ce siècle de faire en
sorte que l'éducation de base ne continue pas de glisser sur une mauvaise
pente.
La communauté internationale doit notamment se mobiliser et donner
14.
à l'éducation de base, dans ses programmes de coopération et d'assistance,
un degré de priorité beaucoup plus élevé. Malheureusement, le drame de
la paupérisation de l'enseignement primaire et de la montée de
l'analphabétisme dans les années 80 n'a pas encore, semble-t-il, provoqué
le mouvement de solidarité internationale qui s'impose. L'aide extérieure
à l'éducation est restée stagnante pendant toute la décennie. Toutes sources
confondues, l'aide à l'éducation n'a ainsi représenté au plus que 33 cents
par an pour chacun des 500 millions d'enfants du groupe d'âge correspondant
que l'on dénombre dans le monde en développement. Il faut que, dans les
années 90, les nations riches redécouvrent notre patrimoine commun. Il est temps que nous apprenions à nous en soucier.
Les quatre organisations qui parrainent ensemble cette Conférence
mondiale ont, quant à elles, décidé d'accroître sensiblement leur action
en faveur de l'éducation de base. La Banque mondiale mettra davantage
l'accent sur les ressources humaines et les prêts distinés aux secteurs
sociaux en vue de contribuer à un meilleur équilibre entre les
investissements à long terme et à court terme. Le PNUD s'attend à ce
qu'augmente sensiblement la part prise par l'éducation dans le total des
ressources allouées à son programme. Son réseau de 113 bureaux extérieurs
collaborera étroitement avec les organisations partenaires pour mettre
en place le soutien technique que requiert le suivi de la Conférence.
l’l.JNICEF, de son côté, prévoit que le pourcentage de ressources consacrées
à l'éducation de base doublera ou même triplera durant les années 90.
Le Président de la Banque mondiale, 1'Administrateur du PNUD et le Directeur
exécutif de 1'UNICEF présenteront plus en détail les plans établis par
leurs institutions quand ils prendront la parole.
En ce qui concerne l'llnesco, la vingt-cinquième session de sa
Conférence générale a apporté un soutien enthousiaste à la Conférence
mondiale sur l'éducation pour tous en insistant tout particulièrement
sur la nécessité d'un suivi actif et coordonné.
Notre Organisation a fait de l'alphabétisation et de l'éducation
de base la priorité absolue de son nouveau Plan à moyen terme et augmente
nettement le soutien qu'elle accorde au titre de son programme à l'éducation
de base. L'Année internationale de l'alphabétisation est le point
de départ du programme décennal entrepris par l'Organisation pour éliminer
-- _- ---._<- . , ^ __ ..I pff..--_-- -_ I. .-.-- --.. --i
15.
l 'analphabétisme. Le souci de promouvoir sur le plan régional la
coopération et l 'échange d'expérience occupe dans ce programme une place
centrale.
L'Unesco est convaincue que c'est dans l'exemple offert par les uns
et les autres. que les pays peuvent trouver l'aide la plus efficace' dans
le combat qu'ils ont engagé afin d'assurer l'éducation pour tousf c'est
cette conviction qui est au coeur du Projet majeur dans le domaine de
l'éducation en Amérique latine et dans les Caraïbes, du Programme APPEAL
pour l'Asie et le Pacifique et des programmes régionaux d'élimination
de l'analphabétisme en Afrique et dans les Etats arabes.
Les trois instituts de l'llnesco spécialisés en éducation --1 ‘IIPE, le BIE et 1 ‘IUE-- nous appuieront par des activités appropriées de
recherche, de documentation et de formation.
La Banque mondiale, .le PNUD, 1 ‘UNICEF et 1'Unesco sont également
convenus d'assurer un suivi dynamique et immédiat de cette Conférence
mondiale sur l'éducation pour tous. Chaque organisation est résolue à
accroître son soutien à l'education de base en égard au cadre de
planification, aux structures et aux mécanismes d'allocation des ressources
qui lui sont propres. Ces quatre institutions envisagent de se rencontrer
régulièrement pour suivre les progrès vers le but de l'éducation pour
tous et mobiliser de nouveaux appuis. Le "Cadre d'action pour répondre
aux besoins éducatifs de base", dont vous êtes saisis, s'adresse à la
communauté internationale tout entière et prévoit une action collective
de la part de tous ceux qui se sont engagés sur l'objectif de l'éducation
pour tous. Nous espérons donc sincèrement que toutes les organisations
multilatérales soucieuses de donner un prolongement efficace à la Conférence
n'épargneront aucun effort pour mettre en place un système de coordination,
de suivi et d'échange d'information dont 1'Unesco assurera le secrétariat.
La conjonction en 1990 de plusieurs événements importants devrait
donner une impulsion à l'application des résultats de la Conférence mondiale
et favoriser une action résolue de la communauté internationale. Le Sommet
mondial de l'enfance fournira, en septembre prochain, une caisse de
résonance à notre appel en faveur de la généralisation de l'enseignement
16.
primaire pour les enfants. La Conférence des pays les moins avancés,
également prévue pour septembre, concentrera certainent son attention
sur le problème critique de l'éducation et de la formation de base. Enfin, et ce n'est pas le moins important, l'Assemblée générale des Nations Unies,
devrait insister, à sa session de l'automne prochain, sur le développement
des ressources humaines, appelé à être le thème central de la quatrième
Décennie des Nations Unies pour le développement.
Mesdames, Messieurs,
Aucun progrès réel ne sera possible si les pays et leurs dirigeants
ne mobilisent pas ou ne réaffirment pas leur volonté politique, tout en
se posant sérieusement la question des priorités à retenir en matière
d'affectation des ressources. C'est beaucoup moins en l'occurrence le
soutien extérieur --qui, je le répète, doit être considérablement étoffé-
- que l'attitude des chefs de gouvernement, des ministres des finances
et de ces représentants de la population que sont les parlementaires qui
décidera du succès. Ce sont eux, en fin de compte, qui jouent le rôle
déterminant; ce sont eux qui traduisent leurs convictions SOUS forme
d'actions concrêtes en fixant des priorités politiques, en négociant des
prêts et en votant les budgets de l'éducation.
Si la présente conférence a été convoquée ce n'est pas pour se borner
à énoncer de nobles idées mais pour aborder les questions incoutournables
de la faisabilité et du coût. Personne ne peut sous-estimer ou méconnaître
les sacrifices budgétaires considérables que beaucoup de pays en
développement consentent déjà pour renforcer leur système d'enseignement
et élargir l'accès à l'éducation. Quel sera le coût supplémentaire
de la réalisation de l'éducation de base pour tous ? D'où viendra l'argent
? Ne pouvons-nous pas tout au moins chercher à garantir que les moyens
matériels fondamentaux à l'apprentissage soient systématiquement dégagés
dès lors qu'une action résolue est entreprise pour recenser et satisfaire
les besoins éducatifs de base ?
Sur le plan pratique, nous avons commencé, dans le cadre des
préparatifs de cette Conférence, à aborder certaines des questions
fondamentales qui se posent au sujet des ressources. En premier lieu,
nous souhaiterions que les ministres des finances examinent les priorités
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17.
budgétaires de façon à inverser dans les années 90 le mouvement de
contraction des dépenses publiques consacrées à l'éducation de base. En
second lieu, indépendamment du renforcement de la dotation budgétaire
affectée à l'éducation de base, il faut mobiliser de nouvelles sources
de financement dans le secteur public et dans celui de l'entreprise privée
et exploiter: pleinement le potentiel des communautés. En troisième lieu,
il faut que tous les pays --du Nord, du Sud, de l'Est et de l'ouest-
- travaillent ensemble à appuyer et à amplifier le mouvement qui se dessine
aujourd'hui, timidement encore, en direction d'une détente à l'échelle
mondiale pour réaliser une réduction significative des dépenses militaires,
dans les pays industrialisés comme en développemennt, et pour trouver
au problème complexe et explosif de la dette internationale des solutions
économiquement raisonnables et humainement défendables.
En s'attachant à trouver des solutions constructives et courageuses
à ces problèmes de portée mondiale, les dirigeants des pays crééront les
conditions qui feront de "l.'éducation pour tous" un objectif économiquement
et politiquement réalisable. Nous avons les moyens d'atteindre ce noble
but, mais encore faut-il que nous choisissions de les utiliser de manière
appropriée. L'éducation pour, tous est à notre portée. Quand il est
possible de tant faire pour tant d'êtres humains, c'est m même
qu'il faut s'y mettre.
Que Jomtien, lieu de lumière, soit aussi le lieu des lumières!
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