Brest et la langue bretonne au XIXe siècle

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Travail de recherche de seconde année de Master Dynamiques Identitaires à l'UBO

Transcript of Brest et la langue bretonne au XIXe siècle

Master 2nd année

Mention Dynamiques Identitaires

Spécialité Celtique

Brest et la langue bretonne au XIXe siècle

La colonie française face à l'observation de la sociolinguistique historique

Préparé sous la direction de Ronan CALVEZ

Sous la direction de Ronan CALVEZ

Professeur de Celtique

Cyrille MARECHAL

Année universitaire 2012-2013

1

En couverture :

Yvonne JEAN-HAFFEN

Brest - Vue sur la grande grue [titre attribué]

Période de création estimée : 2e quart XXe siècle

Maison d'artiste de la Grande Vigne - Dinan, cote D29 192

Via Joconde, le portail des musées de France (culture.gouv.fr)

2

Remerciements

En premier lieu, merci à Ronan CALVEZ, professeur de Celtique à l'Université de

Bretagne Occidentale pour avoir bien voulu suivre et diriger mes recherches.

Je tiens à remercier Philippe JARNOUX, professeur d'histoire contemporaine à

l'Université de Bretagne Occidentale, Yann CELTON, archiviste des archives de l'évêché

de Quimper et du Léon, Hugues COURANT, archiviste aux archives municipales et

communautaires de Brest et Fañch BROUDIC, auteur de la thèse « La pratique du breton

de l'Ancien Régime à nos jours » pour leur précieuses pistes.

Un remerciement particulier aux membres de l'association Les Amis de

Recouvrance pour leurs témoignages et pour m'avoir ouvert leurs archives, parfois

personnelles.

Un grand remerciement à l'ensemble du personnel des archives municipales et

communautaires de Brest, des archives départementales du Finistère et des archives de

l'évêché de Quimper et du Léon, de la bibliothèque d'études de Brest ainsi que du Centre

de Recherche Bretonne et Celtique pour leur accueil chaleureux.

Merci aussi à Annaig GUEDES, Chloé CANTON, Maël GUEDES et Sylvie

HORELLOU pour avoir bien voulu relire mon travail.

3

Sommaire

Introduction

Au delà du rien......................................................................................6

Brest cité, Brest clichés.........................................................................7

Première partie : Brest, ville coloniale : idée reçue ou réalité ?

1.1 Et Brest devint Brest

La construction de Brest..........................................................12

L'utilisation du mot « colonie »...............................................17

La colonie selon Yves Le Gallo...............................................21

1.2 Une définition erronée

Colons et indigènes.................................................................28

La noblesse bretonne...............................................................33

Un îlot linguistique ?...............................................................38

Seconde partie : La langue bretonne dans la vie publique brestoise

2.1 La publication en langue bretonne

L'affichage administratif.........................................................40

La presse.................................................................................48

L'édition..................................................................................52

2.2 L'éducation laïque et religieuse

Les préconisations de l'inspecteur de circonscription............55

Instruction religieuse et messes en breton..............................61

4

Troisième partie : Le visage des bretonnants brestois

3.1 Une diversité sociale...

Le recensement de 1851..........................................................65

La bourgeoisie et la domesticité.............................................71

La métamorphose....................................................................78

3.2 …entraînant une diversité langagière

Les membre des sociétés savantes de Brest............................83

L'idiome de l'Arsenal, parler prolétaire urbain......................90

Conclusion...............................................................................................................104

Bibliographie et sources.........................................................................................107

Annexes....................................................................................................................113

5

Introduction

Au delà du rien

Réflexions sur la méthodologie de la sociolinguistique historique

On parle de sociolinguistique ou de sociologie de la linguistique lorsque la variation

langagière est considérée comme un fait social. On va dès lors estimer qu'il existe plusieurs

utilisations d'une même langue ; les règles du jeu changent selon la sphère sociale. Cela se

traduit par un changement de registre ou de niveau de langage volontaire ou involontaire.

Les membres d'un même groupe se reconnaîtront selon l'usage qu'ils font du langage, selon

leurs propres pratiques langagières et leurs propres représentations.

La sociolinguistique se trouve au carrefour de différentes disciplines appartenant

aux sciences humaines. Le chercheur devra prendre en compte les aspects sociologiques,

linguistiques, historiques, dialectologiques, ethnologiques et parfois même philosophiques

du sujet et de son environnement. L'étude du langage comme fait social va donc se

concentrer sur les locuteurs, la langue, le niveau et le registre utilisé, les variations

langagières existantes, la position sociale du locuteur, son environnement géographique et

politique ainsi que le cadre historique. D'où la difficulté de trouver des sources lorsque l'on

s'intéresse à la sociolinguistique de locuteurs non contemporains.

Le chercheur devra débuter par la quête d'ouvrages concernant de près ou de loin

son sujet. Ce travail de documentation est essentiel car il permet de voir d'une part, ce qui a

été écrit sur le sujet et d'autre part, de prendre connaissance des sources qu'ont utilisés les

auteurs. Cette démarche constitue un premier angle d'attaque. Il faudra privilégier les

ouvrages scientifiques (mémoires de recherches, revues spécialisées, récits

ethnographiques, etc.) plutôt que les romans, sauf si le chercheur souhaite mettre en

évidence une vision romanesque d'un aspect de son sujet de recherche.

Il va tout naturellement falloir se tourner, par la suite, vers les différents services

des archives (municipales et communautaires, départementales, nationales, religieuses,

militaires). Ici, il sera question, avant toute chose, de déterminer un ou plusieurs angles de

6

recherche précis, afin de ne pas se noyer dans la masse de documents à la disposition du

chercheur. Mais alors, quels documents sont susceptibles de contenir des informations

sociales et linguistiques ? Ceux qui ont un rapport avec la justice, l'instruction, la religion,

les décrets et règlements municipaux et militaires, les journaux locaux ainsi que les

communications publiques peuvent receler quelques informations linguistiques. Par

exemple, l'autorisation ou l'interdiction d'utiliser tel langage dans telle situation,

l'utilisation d'un langage spécifique pour un sujet précis, le besoin de traducteurs lors de

procès, etc. En ce qui concerne les informations sociales, les documents sont plus aisés à

trouver : les registres municipaux et les recensements de la population détiennent un bon

nombre d'informations que le chercheur pourra traiter et traduire en évolution

démographique, études patronymiques, analyse des corps de métiers représentés, etc.

Toutes ces difficultés, je les ai rencontrées lors de mes recherches. Après avoir eu

accès et consulté un grand nombre de documents d'archives, j'ai tout de même pu trouver

une minorité de documents utiles. Analysés et recoupés avec des ouvrages scientifiques,

des travaux de recherches existants ou des découvertes récentes, ils se sont révélés

concluants et pertinents pour la théorie abordée dans mon travail de recherche. Ces

derniers sont développés dans ce mémoire de Master Dynamiques Identitaires.

Brest cité, Brest clichés

Au jour d'aujourd'hui, Brest est perçue de différentes manières. Je ne fait pas

référence à l'image maritime ou militaire de la ville, celle-ci étant un fait objectif. Je veux

plutôt aborder les représentations que se font les individus, Brestois ou non, de la cité. Il y

en a plusieurs : la couleur grise, accordée aussi bien à la ville elle-même qu'au ciel qui la

surplombe ; « Brest la Blanche », surnom de la cité après sa reconstruction, que d'autres

peuvent appeler « Brest la Rouge » lorsqu'il est question de politique. Je me suis tout

particulièrement intéressé à « Brest la Française » car c'est bien connu, tout ce qui touche

de près ou de loin à la Basse-Bretagne n'est pas Brestois, puisque la ville est perçue comme

une « colonie française en terre bretonne1 ». Cet adage s'est intégré à l'imaginaire populaire

brestois, et plus largement Bas-Breton. Il est repris et très largement diffusé dans différents

1 Largement popularisé par Yves Le Gallo dans sa thèse de troisième cycle Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet, publiée avec le concours du CNRS, imprimerie de Cornouaille, Quimper, 1968.

7

domaines. Il suffit de se rendre sur Internet et les réseaux sociaux pour s'en rendre compte.

En voici quelques exemples :

Le journal gratuit Côté Brest, à l'occasion de la publication d'un nouvel ouvrage sur

le Ti Zef ou le parler brestois2, a publié une interview d'Annie Le Berre, auteur de

recherches et d'ouvrages sur le sujet3, dont voici un extrait :

« Quelles sont les origines de ce parler ?

C'est un parler français, en rupture avec les environs de la ville totalement

bretonnants. Ville de la Marine, Brest était une enclave française, qui

accueillait une importante population francophone, étrangère à la ville

(ingénieurs, techniciens...). Le parler brestois était donc un marqueur

identitaire, une preuve qu'on était pas un « lourdeau de breton ». C'était le

temps de la rivalité où on se méprisait des deux côtés. Il y avait Brest la

rouge et le Léon blanc. Mais, cela n'empêchait pas les interpénétrations entre

les tournures bretonnes et le parler français, beaucoup de bretons venants

travailler à Brest.4 »

La Redadeg, association organisatrice d'une course qui a pour but de récolter des

fonds pour la langue bretonne, indique à propos de Brest5 sur son site Internet que

« Comme dans beaucoup de grandes agglomérations bretonnes, le développement de la

langue bretonne est une tâche difficile (prédominance de la langue française, brassage des

populations) et notamment pour Brest, enclave historique de langue française au milieu

d'un océan de breton.6 »

Il ne s'agit plus uniquement ici d'une enclave française mais aussi d'une enclave

francophone, un îlot linguistique en Basse-Bretagne. Raymond Quentric, premier Greeter7

de Brest, reprend cette théorie linguistique en indiquant que « Au XVIIe siècle, Brest est

2 G. Cabon, Y'a Skiff, Le Télégramme, Brest, 20123 A. Le Berre, Joli... comme à Brest, Le Télégramme, Brest, 20014 Hebdomadaire gratuit Côté Brest, publication du 07 novembre 2012, article complet disponible sur

http://www.cotebrest.fr/2012/11/07/vous-avez-dit-bressoa5 Ville de départ de l'édition 2012.6 Site internet de la Redadeg, http://www.ar-redadeg.org/la-fete-du-depart-a-brest7 Passionné par sa ville et son histoire, un Greeter guide les touristes ou les locaux de façon volontaire.

8

une création d'Etat, une colonie française dans un pays bretonnant, longtemps étrangère à

son milieu8 ». De plus, la page Wikipédia9 traitant de la frontière linguistique bretonne met

aussi en évidence cette enclave française et l'aborde d'un côté linguistique : « Cette

frontière n'était toutefois pas aussi nettement tranchée puisqu'il y avait quelques enclaves

francophones à l'Ouest et de tout aussi rares enclaves bretonnantes à l'Est. Par ailleurs, les

villes de Bretagne occidentales étaient déjà partiellement francisées au XIXe siècle, voire

presque totalement étrangères au breton comme Brest.10 ». Aussi, France Inter, radio

nationale, à l'occasion d'une journée spéciale consacrée à la ville de Brest le 15 novembre

2012, consacre sa première rubrique à la langue bretonne dans « l'enclave française en

Bretagne que constitue Brest11 ». Toutefois, un article publié sur le site Internet de Sked,

fédération d'associations culturelles bretonnes, nuance quelque peut ces propos, parlant

d'une stigmatisation : « Brest, enclave française en Bretagne. Tous, bretons de souche ou

nouveaux arrivants, avons entendu cette phrase qui stigmatisait cette ville et les liens

qu'elle entretenait avec l'Etat.12 ».

Ces différentes sources numériques proviennent de journaux, d'organisations ou

d'associations culturelles bretonnes, d'encyclopédies collaboratives ou encore de radios

nationales. Il est plus étonnant de constater que ce sujet est également abordé sur certains

sites Internet. En effet, le blog Suisse de la FNAC13, célèbre enseigne spécialisée dans la

distribution de produits culturels et électroniques, publie une interview de l'artiste

Christophe Miossec où il est question de Brest :

« Brest est une ville magnifique fortifiée par Vauban, une base militaire

française depuis la nuit des temps, une enclave linguistique. Tous mes

ancêtres travaillaient dans l'arsenal et personne ne parlait breton. Il y a une

vraie frontière avec les bretons, et du coup ça ne me vaut pas que des

amis.14 ».

8 Interview disponible sur le site internet En Liens, comprendre les enjeux du développement durable en Finistère, http://www.en-liens.fr/2012/07/17/brest-racontee-par-les-greeters

9 Encyclopédie collaborative où tout un chacun peu écrire un article.10 Article complet sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Frontière_linguistique_bretonne11 Écouter la rubrique complète sur

http://www.franceinter.fr/emission-le-zoom-de-la-redaction-parle-t-on-encore-breton-a-brest12 Article complet sur http://sked.infini.fr/article.php3?id_article=6613 Fédération Nationale d'AChats, anciennement Fédération Nationale d'Achat des Cadres14 Interview complète sur http://blog.fnac.ch/tag/brest/

9

Il est aussi question du statut de Brest sur certains forums, tel que celui des

supporters du Stade Brestois 2915 , où un internaute signale que « […] Brest historiquement

c'est pas tout à fait la Bretagne (enclave française dans une région bretonne et catholique) »

et où un autre s'indigne : « Arrêtez de nous bassiner avec cette langue bretonne laissez ça

aux rennais qui ont besoin de se convaincre d'être breton, ici y'a le parler bressoa, au lieu

d'allez tout dreuze dans vos ribins comme si vous aviez pris des louzous (sic) ». Aussi

étonnant que cela puisse paraître, le sujet est apparu sur le forum d'un site consacré aux

jeux vidéos, dans la catégorie « 15-18 ans », où un internaute indique que « Brest […] ça

fait pas assez breton (j'y habite), de plus c'est plus ou moins une enclave Française.16 ».

Ces quelques exemples – il y en a une quantité d'autres – illustrent bien que l'image

de Brest perçue comme une ville française qui n'est et n'a jamais été bretonne est fortement

intégrée dans l'imaginaire populaire, et qu'elle concerne tous les âges et toutes les couches

de la société, du chercheur en linguistique à l'adolescent adepte de jeux vidéo, en passant

par les milieux artistiques, culturels et sportifs. Cette image n'a jamais été discutée ni

remise en question depuis les années 1970 et la théorie d'Yves Le Gallo, affirmant que

Brest est une colonie française en terre bretonne.

Cette façon de définir la citée du Ponant ne mériterait-elle pas d'être quelque peu

nuancée ? A vrai dire, Brest ville française et francophone est une idée reçue qui ne résiste

pas à l'observation de la sociolinguistique historique.

Afin d'en faire la démonstration, nous allons, dans un premier temps, nous

intéresser à cette image de Brest, ville coloniale, et déterminer si c'est un cliché ou une

réalité en faisant un bref rappel de l'histoire de la ville, en étudiant l'utilisation du mot

« colonie » par les auteurs du XIXe, en présentant les principaux arguments d'Yves Le

Gallo en y portant un regard critique. Dans un second temps, nous nous efforcerons

d'étudier et analyser le breton dans la vie publique brestoise du XIXe, grâce aux documents

inédits découverts aux archives municipales et communautaires de Brest. Ici, nous nous

intéresserons à l'affichage administratif, la presse, l'édition en langue bretonne ainsi que

15 Équipe de football professionnelle de Brest. Articles complets sur http://www.allez-brest.com/nantes-t2387-15.html

16 http://www.jeuxvideo.com/forums/1-50-125694809-1-0-1-0-bretagne-independante.htm

10

l'instruction et la religion. Enfin, nous déterminerons plus particulièrement le visage des

bretonnants Brestois en définissant, tout d'abord, l'environnement social des locuteurs à

l'aide de recensements, en évaluant la provenance de la domesticité et les rapports qu'elle

pouvait entretenir avec la bourgeoisie, en évoquant la métamorphose de Brest à la

deuxième moitié du XIXe siècle et quels en ont été les conséquences au niveau social et,

enfin, en étudiant les diversités langagière découlant de cette diversité sociale en abordant

la langue bretonne au sein de l'élite brestoise et en s'intéressant au parler des ouvriers de

l'arsenal.

11

1. Brest, ville coloniale : idée reçue ou réalité ?

« Plusieurs villes de France ont eu, chacune, leur

historien. Toutes n'offraient pas, néanmoins, la même

importance. Parmi celles dont on aurait dû, peut-être,

s'occuper, Brest doit, sans doute, tenir un des premiers

rangs. »

J.-L. Dauvin17

Nous avons pu constater que la ville de Brest est perçue comme une cité française

en terre bas-bretonne. Nous allons voir dans ce premier chapitre d'où provient cette image

en rappelant, dans un premier temps, comment Brest s'est construite, en analysant, dans un

second temps, la théorie d'Yves Le Gallo et enfin en portant un regard critique sur cette

théorie.

1.1 Et Brest devint Brest

La construction de Brest

Avant de s'intéresser à la théorie définissant Brest comme une ville française

en terre bretonne, un rapide historique est nécessaire pour bien comprendre ce qui a

fait et ceux qui ont fait cette cité.

Les chercheurs ne possèdent que peu d'éléments témoignant d'une activité

dans la région brestoise pendant l'antiquité. Si quelques pièces ou outils (Statères

osismes ou haches à douille du Bronze final) découverts dans Brest et sa région

démontrent une activité et des origines lointaines, nous pouvons affirmer que seul le

castellum18 romain, présent à l'emplacement du château actuel, témoigne que le site

17 J.-L. Dauvin, Histoire de Brest, collection Monographies des villes et villages de France, Res Universalis, Paris, 1989, ouvrage original de 1816.

18 Le mot latin castellum désigne dans l'antiquité romaine deux constructions : le castellum militaire, fortin intégré dans un système de fortification, et le castellum divisorium, château d'eau recevant l'eau en provenance de l'aqueduc avant sa redistribution dans la ville par le réseau de canalisations. Brest ne possédant pas d'aqueduc, il s'agit bien ici de la vocation militaire du terme.

12

de Brest était une place forte à la période gallo-romaine19. Lorsque l'on s'intéresse

aux lieux des découvertes archéologiques, on constate que les éléments découverts se

trouvent à la périphérie de ce que l'on pourrait qualifier de « Brest intra-muros ».

Cette périphérie s'étire de Lambezellec à Guilers le long d'une voie antique allant de

Landerneau à la pointe Saint Matthieu. Toutefois, les chercheurs ne savent que peu

de choses de la nature et de l'étendue du site brestois pendant la pax romana tant la

topographie du site a été bouleversée au Moyen Âge. Il est malgré tout intéressant de

s'intéresser aux moyens de communication autour de Brest. Au nord, la voie

Landerneau-Pointe Saint Matthieu passe par les lieux actuels de Kervao et Kerléguer

avant d'atteindre la vallée de la Penfeld, franchit le ruisseau Tridour et prend la

direction de l'ouest à travers les communes de Guilers et Plouzané. Un autre itinéraire

vraisemblablement d'origine pré-romaine circule à une plus grande distance encore

du centre primitif de la ville. Venant de Plougastell-Daoulas, la voie traverse l'Elorn

au Frout, remonte vers le Relecq-Kerhuon et se dirige vers l'ouest en contournant

l'agglomération pour aller jusqu'à l'aber Ildut. Sur ce réseau vient se greffer des

routes secondaires comprenant au moins deux branches, l'une se dirigeant vers l'est,

l'autre vers l'ouest. La première se détache de la voie de Landerneau et entre dans

Brest par Kergonan et le Dourjac, l'extrémité de celle-ci se finissant non loin du

château. La seconde prend son point de départ sur la rive droite de la Penfeld,

quasiment en face de la première, impliquant une traversée de la rivière. Elle se

subdivisait après Prat Ledan, le tracé continuant vers l'ouest pour se perdre à

Locmaria-Plouzané, la seconde rejoignant la voie principale Landernau-Pointe Saint

Matthieu au nord20. Ces tracés démontrent que l'agglomération brestoise était peu

fréquentée et que les populations s'installaient dans la campagne environnante, a

proximité des deux voies principales21.

Il faut attendre le Moyen Âge pour que Brest devienne une place forte

maintes fois convoitée. Ravagée par les Normands, la région commence tout juste sa

reconstruction à l'aube du XIe siècle. La reconstruction du site de Brest sera

l'occasion de renforcer les défenses et cela témoigne de l'intérêt que la citadelle

19 P. Galliou et J.-Y. Eveillard, Aux origines de Brest, dans Histoire de Brest, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 2000, p. 21

20 P. Galliou et J.-Y. Eveillard, Op. cit. p. 22, 2321 Cf. Carte des itinéraires supposés romains en annexe

13

commençait à faire naître chez les stratèges du duché. Le premier fait marquant nous

indiquant que Brest, tout au moins son château, fut une place forte est qu'Arthur

Plantagenêt, neveu du roi Richard Coeur de Lion, fut mis à l'abri au XIIe siècle au

château de Brest par les barons bretons, avant que Philippe Auguste ne l'accueille à

sa cour en 119722. En 1240, le duc de Bretagne Jean Ier le Roux rachète au comte de

Léon Hervé III, alors en désespérance financière, le château, la ville et le port de

Brest. Par ailleurs, la totalité de la côte et de l'arrière pays finistérien était déjà sous

son contrôle. Il bénéficiait ainsi d'une place-forte qui protégeait la Bretagne en son

occident alors même que la menace que faisait peser sur celle-ci la flotte anglaise

s'intensifiait chaque jour.

Le désordre politique apparut au XIVe siècle. En effet, Brest fut disputé, à la

mort du duc Jean III de Bretagne. Une guerre de succession fit rage pendant près de

vingt-cinq ans sur le duché. Jean III, mort sans héritier mâle, la succession se trouva

disputée par son demi-frère, Jean de Montfort, et sa nièce Jeanne de Penthièvre. Sans

attendre, Montfort s'empara de Nantes et rejoignit Brest par l'intérieur des terres.

Après trois jours de siège, la place tomba et Montfort s'embarqua pour l'Angleterre,

reconnaissant Edouard III d'Angleterre comme roi de France, tandis que Philippe VI

donnait le duché de Bretagne à Charles le Blois. Ce dernier arrêta Monfort lors de

son retour en France mais, pendant sa captivité, son épouse, Jeanne de Flandre,

promis à Edouard III de mettre à sa disposition toutes les places bretonnes qui

pouvaient lui être utile. Ce dernier fit donc installer des troupes anglaises au château

de Brest dès 1342.

Après la réconciliation franco-bretonne de 1381, les Anglais refusent de

quitter la place. Brest sera finalement restitué à Jean IV contre une forte somme

d'argent en juin 1397. Ainsi, pendant plus de 50 ans, Brest fut citadelle anglaise. Par

la suite, la ville ne prospère que très peu. Si le château s'adapte aux nouvelles

technologies, la commune ne s'étend que très lentement. Pendant la guerre entre la

France et la Bretagne qui lutte pour préserver son indépendance, la forteresse est

prise par les Français en 1489. Charles VIII profite pour y installer de puissantes

22 P. Galliou, Histoire de Brest, collection Les Universels Gisserots, Jean-Paul Gisserot, Luçon, 2007, p.22

14

forces. La fin du XVe siècle marque le divorce entre le domaine civil et le domaine

militaire car l'idée d'une importante flotte installée à Brest est à l'étude. Ce projet sera

reportée en raison du déclenchement des guerres de Religions23.

Il faudra patienter un siècle pour que Brest se voit élevée au rang de ville. En

1550, René de Rieux succède à son frère Guy de Rieux à la fonction de gouverneur

de Brest et poursuit sa ligne en restant fidèle au roi de France. Brest devint alors la

seule ville de Basse-Bretagne à soutenir le souverain Français. En récompense de

cette fidélité, ce dernier confère le droit de bourgeoisie aux habitants de Brest et leur

permet d'élire un maire et deux échevins, par lettre patentes du 31 décembre 1593.

Malgré cette promotion au rang de ville, Brest reste une cité de taille très modeste, ne

comptant pas plus de 1 500 âmes en 1600. Ce fait conduit même au transfert de la

justice royale à Saint-Renan. La ville va véritablement s'engager vers une extention

avec l'arrivée de Louis XIII et son ministre Richelieu. En effet, ce dernier va poser

les premières pierres d'un port militaire d'une envergure nationale.

Après avoir obtenu le pouvoir absolu sur la Marine en regroupant sous son

autorité les trois amirautés indépendantes et concurrentes qui existaient alors, il

commande une tournée d'inspection des ports de l'Atlantique après la guerre contre

l'Angleterre de 1627-1629. Richelieu va favoriser Brest en lui accordant quatre fois

plus de crédits que les ports du Havre et de Brouage, permettant l'édification du port

militaire. L'arsenal va alors prendre forme et les installations militaires vont fleurir

dans Brest (forge, corderie, magasins, dépôts, etc.). Cela étant, à la mort de

Richelieu, Mazarin ne poursuit que faiblement la politique de son prédécesseur. Brest

retombe alors dans une torpeur que seul Colbert arrivera à dissiper à partir de 1661.

Conscient de la place stratégique qu'occupe la cité sur l'Atlantique, ce dernier va

réclamer le rattachement des deux rives car, selon lui, si le côté brestois est

imprenable par la mer, il en est tout autre par la terre, les ennemis pouvant y entrer en

traversant la Penfeld côté Recouvrance. Louis XIV ordonne alors, par lettres patentes

en juillet 1681, le rattachement des deux rives. Sur le papier, Brest et Recouvrance ne

font plus qu'une seule et même ville. Le roi va alors autoriser la ville à percevoir des

23 A. Hascoët et M. Kerdraon, Brest en 100 dates, Alan Sutton, Saint-Avertin, 2012, p.15

15

droits d'octroi sur le vin entrant à Brest, la dote de foires et marchés et lui restitue le

siège de la justice royale. Toujours afin d'améliorer les défenses de la cité, Vauban,

commissaire aux fortifications, est envoyé à Brest en 1683 pour moderniser les

fortifications existantes, érigées sous l'ingénieur Sainte-Colombe. Il va alors

encercler les deux rives à l'aide d'importants remparts et va adapter l'architecture du

château pour permettre l'installation d'une grosse artillerie. Il ajoute aussi les portes

du Conquet à l'ouest et de Landerneau à l'est. La ville commence à se développer

dans les espaces laissés libres par Vauban en raison de l'irrégularité du terrain.

Devant l'anarchie de ce développement, ce dernier va tracer un plan régulateur dont

le fil rouge est de permettre une parfaite circulation des militaires comme des civils.

Il quadrille l'espace libre et détermine de grands axes urbains. Toutefois, devant

l'augmentation importante de la population, ces efforts restent insuffisants. Sous le

règne de Louis XIV, le nombre de Brestois passe de 1 500 à 15 000 habitants et la

cité connaît une crise du logement sans précédents. L’expansion rapide de Brest et sa

démographie galopante occasionne un surpeuplement important, accentué par le

cantonnement des gens de guerre. Cette situation entraîne des conditions d'hygiène

déplorable, ce qui favorise la prolifération des maladies épidémiques et implique un

taux de mortalité particulièrement élevé (décès supérieur aux naissances de 1683 à

1686). Afin de résoudre ce problème de logement des travailleurs, l'architecte Bedoy

va commencer la construction du quartier populaire de Keravel sur les terrains

achetés par le roi en 1636. Ce nouveau quartier, situé à l'intérieur des remparts,

permet de fixer une population qui habitait jusqu'alors à l'extérieur de la ville, sur les

communes de Lambézellec, Bohars ou Gouesnou.

Dès lors, Brest ne va pas cesser son expansion. Une école de médecine navale

sera créée en 1740, formant de nouveaux médecins contribuant à une nette

amélioration sanitaire de la ville, même si celle-ci ne fut pas extraordinaire. Par

ailleurs, cette école ne soigne pas que les militaires mais aussi les ouvriers de

l'arsenal et leurs familles, ce qui demande au praticiens d'avoir une grande

polyvalence. En 1742 et 1744, deux incendies vont détruire plusieurs édifices

brestois. Ce drame va entraîner un programme de reconstruction – le premier – et

l'architecte Antoine Choquet de Lindu va en profiter pour moderniser le port et la

16

ville. Ses imposants et majestueux édifices vont progressivement sortir de terre et

dominer les deux rives de la Penfeld. La liste de ses constructions, allant du dépôt de

munition à l'église des jésuites, en passant par des bâtiments administratifs et

militaires, serait trop longue pour en faire ici l'énumération. Cependant, malgré la

majestuosité des édifices, Choquet de Lindu sera souvent critiqué pour l'austérité de

ses bâtiments.

Cette période relativement calme pour l'arsenal verra l’apparition de

l'Académie de Marine, dont le rayonnement sera rapidement national, voire même

international. Pendant ce siècle des lumières, de jeunes érudits vont prendre

l'habitude de se retrouver pour parler de sujets divers concernant la Marine tels que

l'organisation militaire, la construction des vaisseaux, etc. La société, dont les

membres sont autorisés à siéger à l'Académie des Sciences, va entreprendre

d'ambitieux travaux dont la rédaction d'une encyclopédie de Marine qui abordera

toutes les branches des sciences nautiques. Toutefois, le seul et unique volume sera

publié en 1773, ces travaux étant définitivement suspendus en 1790. En 1778, Louis

XVI soutient les Etat-Unis dans leur guerre d'indépendance contre la Grande-

Bretagne et dispose d'une flotte qui peut enfin rivaliser avec la flotte Britannique.

Brest devient alors port d’armement et les mouvements de troupes et de population

s’intensifient. Au côté des 30 000 habitants brestois s'animent jusqu'à 20 000 marins

et 6 000 soldats. En raison de son rôle stratégique dans la guerre d'indépendance,

Brest est à cette époque une destination à la mode pour l'aristocratie européenne.

A la veille de la révolution, Brest est au sommet de sa gloire. Elle va toutefois

rentrer dans le XIXe siècle en retrouvant une léthargie toute relative en raison du

blocus britannique de 1800 qu'elle va subir de plein fouet, l'Empire favorisant alors

les ports de Cherbourg et de la Mer du Nord. Brest va devenir alors un port de second

ordre. Si la ville reste, en ces débuts du XIXe siècle, une grande ville de 26 000

habitants, elle va perdre son lustre et même sa raison d'être années après années.

L'utilisation du mot « colonie »

17

Brest fut qualifiée de ville coloniale par différents auteurs et personnalités du

XIXe siècle avant même que ce fait supposé soit théorisé par Yves Le Gallo à la fin

des années 1960. Toutefois, ces différents auteurs n'avaient pas forcément la même

définition du mot colonie. Après avoir fait un relevé, bien loin d'être exhaustif, de

l'utilisation de ce terme dans la littérature et la correspondance du XIXe siècle, nous

aborderons la signification de ce terme pour ceux qui l'employaient.

Le terme colonie revient très souvent dans la correspondance du XVIIIe et du

XIXe siècle. L'intendant de la Marine basé à Brest décrit la ville au ministre, le 15

octobre 1724 :

« La ville de Brest doit être regardée, Monseigneur, comme une colonie

nouvelle, dont la plupart des habitants sont des provinces éloignées et qui, par

leurs emplois dans la marine et leurs métiers pour ce service, ont été attirés

dans Brest, et s'y sont établis.24 »

Le commandant de la Marine Bernard de Marigny explique, dans une lettre

adressée au ministre le 16 novembre 1791, que « Brest est peut-être l'endroit du

royaume où il se trouve le plus de têtes exaltées. Brest est une espèce de colonie dont

les habitants réels seraient et sont naturellement bons, mais qui sont en quelque sorte

maîtrisés par l'effervescence d'une foule d'externes qui profitent de la révolution pour

jouer un rôle, et qui, n'ayant rien à perdre, espèrent toujours pouvoir retirer quelque

avantage du désordre.25 » En 1800, le Préfet Maritime Caffarelli adresse au Premier

Consul une correspondance en ces termes :

« Brest est une colonie peuplée de gens à la marine. Les trois-quarts de la

population sont ouvriers ou employés du port. Tout cela a femme, et enfants

en abondance. Si je supprime 2 à 3 000 ouvriers, je réduis la misère à ce

monde-là.26 »

24 Lettre de l'Intendant de Marine au Ministre, 15 novembre 1724, Y. Le Gallo, Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet, publiée avec le concours du CNRS, imprimerie de Cornouaille, Quimper, 1968, p. 37

25 Lettre du Commandant de la Marine au ministre, Y. Le Gallo, op. cit. p. 3726 Lettre du Préfet Maritime Caffarelli au Premier Consul, 17 octobre 1800, Y. Le Gallo, op. cit. p. 38

18

Il écrira au ministre quatre ans plus tard, lui expliquant que « Brest ne présente [...]

pas un tableau dangereux. Je dis plus, on peut être assuré qu'il n'y arrivera rien qui

trouble la tranquillité publique […]. Si l'esprit public ne se développe pas beaucoup

ici par son enthousiasme dans les circonstances importantes, il n'est pas non plus

capable de se porter à des sentiments ou à des actions criminels. Cette ville est une

colonie, dont les membres, fort hétérogènes entre eux, ne peuvent être influencés par

un même esprit qu'autant qu'il est commun à chacun d'eux.27 »

Ainsi, pour les gradés et hauts responsables administratifs de l’État présents à

Brest, la ville est une colonie ou, pour les plus nuancés, une « sorte de colonie ». Ils

confirment leurs dires en exposant l'aspect cosmopolite de la ville. S'il est vrai que

l'on observe une forte population flottante à Brest tout au long du XIXe siècle (25 001

individus pour une population municipale de 36 155 personnes établies à l'année au

recensement de 1851), on observe qu'il n'y a que très peu d'étrangers installés

durablement à Brest28 (36 128 français pour 31 étrangers pour ce même

recensement).

Aussi, on trouve, dans certains ouvrages du XIXe siècle, des descriptions de

Brest dans lesquelles les auteurs utilisent le terme colonie. Emile Souvestre, par

exemple, rédige un descriptif de la ville en 1841 :

« Quoique située à l'extrémité de la Bretagne, la ville de Brest n'est pas une

ville bretonne : c'est une colonie maritime composée d'habitants de toutes les

provinces de la France, et dans laquelle s'est formée je ne sais quelle race

douteuse sans caractère propre et sans aspect spécial. L'observateur attentif

peut bien découvrir, dans cette population habillée de toile cirée et de cuir

bouilli, qui vit les pieds dans l'eau et la tête dans les brumes, quelque chose

des durs garçons de l'Armorique29 ; mais ce n'est qu'une trace fugitive.30 »

27 Lettre du Préfet de Marine Caffarelli au ministre, 27 février 1804, Y. Le Gallo, op. cit. p. 3828 Recensement de la population en 1851, Archives Municipales et Communautaires de Brest, cote 1F7.

Nous aurons l'occasion de développer l'analyse de la démographie Brestoise dans une autre partie.29 Potr kallet an Arvorig, proverbe breton30 E. Souvestre, Mémoires d'un sans-culotte bas-Breton, Meline, Cans & Cie, Bruxelles et Leipzig, 1841, p.

303-304

19

Plus loin, il tente de dresser un portrait de la population brestoise, expliquant

que «[...] si la vue du port n'éveilla point chez moi l'admiration qu'il méritait, en

revanche, l'aspect de la population brestoise me causa une singulière surprise. Je

trouvais là un peuple chez lequel je cherchais en vain un type national, et qui ne

ressemblait à rien de ce que j'avais connu jusqu'alors. Ce n'était ni des Européens, ni

des Asiatiques, ni des Africains ; c'était quelque chose de tout cela à la fois. Brest

avait tant reçu dans son port de ces grandes escadres, sur lesquelles naviguaient des

renégats de toutes les nations, que le libertinage avait confondu tous les sangs de la

terre. Son peuple présentait je ne sais quel indéfinissable mélange de toutes les

couleurs et de toutes les natures [...]31 »

Ce portrait que dessine Emile Souvestre est fort peu avantageux pour les

Brestois, ceux-ci étant représentés tels des bâtards issus de renégats dont le sang s'est

mêlé maintes et maintes fois. Ici, Emile Souvestre, en 1841, se remémore la ville

qu'il a connu en 1789, alors qu'elle était à l'apogée de son activité et qu'une grande

population flottante fréquentait Brest. Edouard Vallin décrit la ville lui aussi en

utilisant le terme colonie en 1859 :

« Brest n'est pas une ville de Bretagne, c'est une colonie maritime peuplée de

soldats, de marins et de marchands de tous les pays ; en un mot, c'est une

vaste hôtellerie ouverte aux voyageurs sur la grande route du monde qu'une de

ces cités antiques, riche en souvenirs poétiques ou en monuments mystérieux

du passé qui s'élèvent encore aujourd'hui sur le vol de la vieille Armorique.

Brest est née d'hier.32 »

Daniel de Proxy fait également partie de ceux qui usent du terme colonie et indique

que « Brest n'est plus en réalité une ville bretonne. Elle n'a plus rien du cachet féodal

qui caractérise encore la plupart des cités intérieures du vieux duché. Elle n'a pas,

comme Rennes, comme Guingamp, comme Saint Pol de Léon, ce cachet

31 E. Souvestre, op. cit. p. 309-31032 E. Vallin, Voyage en Bretagne, Finistère, Comptoir de la librairie de province, Paris, 1859, p. 148, Sources

Bibliothèque Nationale de France, via Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105374d

20

aristocratique et monacal qui leur donne quelque chose de raide et guindé. C'est une

véritable colonie où les habitants se renouvellent sans cesse. Sa population est

comme la mer qui baigne ses rivages et dont un flot chasse l'autre en effaçant sa

trace.33 ». Il souligne aussi que « Brest est depuis longtemps une ville toute française.

[…] une colonie maritime où sont venus habiter les gens de tous les pays […]

Personne ne parle plus breton à Brest.34 »

Nous retrouvons dans les ouvrages du XIXe, dont quelques extraits ont été

rapportés ici, la rhétorique utilisée par les auteurs de la période romantique. Ainsi,

même si ces descriptions de Brest sont précises et abondent dans le même sens,

l'aspect romanesque de ces représentations nous demande de faire preuve de

prudence. Ces récits ne correspondent pas à des écrits ethnographiques comme l'a pu

faire - tout du moins s'en approcher - Jacques Cambry en 179435. Toutefois, la

majorité des auteurs sont d'accord pour affirmer qu'il existe une colonie maritime ou

militaire. Si l'on considère que l'arsenal et les quais de la Penfeld sont propriétés de

l’État, on peut affirmer en effet qu'il existe un territoire français, voire une colonie,

dans l'enceinte de la ville de Brest. Toutefois, le terme de colonie est-il adapté pour

qualifier la cité dans son intégralité ?

La colonie selon Yves Le Gallo

Brest, colonie française en terre bretonne a été théorisé à la fin des années 60

par Yves Le Gallo, dans sa thèse de troisième cycle intitulée Brest et sa bourgeoisie

sous la Monarchie de Juillet, publiée avec le concours du Centre National de la

Recherche Scientifique par l'imprimerie de Cornouaille à Quimper (1968 – 2 tomes).

L'ouvrage tout entier (deux volumes) traite de la bourgeoisie brestoise sous la

Monarchie de Juillet et, au delà d'identifier cette bourgeoisie, il tente de dresser le

portrait social de Brest dans cette première moitié du XIXe siècle. Le premier tome

traite de l'analyse à proprement parler et est découpé d'une façon très

conventionnelle, comprenant tout d'abord les éléments extérieurs au plan et utiles à la

33 D. De Proxy, Brest, Oberthur, Rennes, 1857, p. 11634 D. De Proxy, op. cit. p. 12635 J. Cambry, Voyage dans le Finistère, Imprimerie-librairie du Cercle Social, Paris, 1795

21

lecture, à savoir un avant-propos, les sources, la bibliographie, les illustrations, les

index et la table des matières. Le plan est découpé en neuf parties différentes mais

seules trois d'entre elles bénéficient de sous parties : Brest colonie française en terre

bretonne, la bourgeoisie militaire et la bourgeoisie civile. Le second tome, quant à

lui, restitue le corpus annoté et la conclusion générale. Yves Le Gallo est par ailleurs

reconnu pour son travail de recherche sur l'histoire de Brest et a été professeur à

l'Université de Bretagne Occidentale. Son travail gravite autour d'une chronique des

années 1844 et 1845 dont l'auteur est Jean-François Brousmiche, « petit bourgeois

Brestois ». Ce texte est détenteur de près de 270 noms d'individus, acteurs de la

bourgeoisie brestoise. Yves Le Gallo a alors retrouvé la trace et cerné l'existence de

la majorité d'entre eux, grâce notamment aux dossiers personnels conservés au

Service Historique de la Marine, et a dressé un portrait social de cette bourgeoisie.

Certains points de cette théorie exposés ici seront toutefois nuancés et discutés dans

une seconde partie.

Pour lui, Brest est une ville coloniale se définissant par différents aspects.

Tout d'abord, la cité est coloniale au sens militaire du terme. En effet, Brest est une

ville close, une cité entourée de remparts. Cet aspect, pour Yves Le Gallo, rend la

ville fermée au monde bas-breton qui l'entoure. Il met aussi en évidence le fait qu'un

quart de la population intra-muros est une population sous tutelle directe des

militaires (les chiourmes) en 1826. Elle se décompose comme suit, exception faite

des 2 000 ouvriers du port habitant dans un rayon d'une lieue autour de la ville36 :

Habitants..................................... 28 000

Hospice civil............................... 311

Garnison..................................... 2 815

Marine........................................ 3 592

Chiourmes.................................. 2 800

Total........................................... 37 518

Il indique aussi que « détachée en avant-garde au cap ultime du monde

36 Y. Le Gallo, Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet, publié avec le concours du CNRS, imprimerie de Cornouaille, Quimper, 1968, tome 1, p. 43

22

occidental, la ville a le sentiment d'être revêtue d'une éminente dignité, du fait de la

vocation à la guerre, de la puissance militaire et de l'exceptionnelle valeur du

matériel entreposé.37 » Ainsi, l'aspect fermé de Brest la rend différente de l'univers

bas-breton dans lequel elle est ancrée. Notons que la ville de Lorient, dont la

structure militaire s'apparente à celle de Brest, était aussi une cité fortifiée mais n'a

jamais été qualifiée de ville coloniale.

Selon Yves Le Gallo, la ville de Brest apparaît également coloniale car elle

représente un îlot linguistique et il argumente de deux façons. Il met tout d'abord

l'accent sur le fait que Brest ne fait pas partie des paroisses en Plou-, Guic-, Lan-,

Tre-, Loc-, Les-, dont le réseau s'étend dès le glacis des remparts jusqu'aux rivages de

la Manche et aux limites de la Basse-Bretagne et « dont les bourgs, hameaux et

fermes isolées demeurent fidèles à l'idiome « celto-armoricain »38 », appuyant ses

dires en citant Gilbert Villeneuve, avocat brestois :

« La difficulté bien grande résultant de la différence des langues se perpétue

et étend sa triste influence jusque sous les murs de la ville, et même dans son

enceinte […]. Ainsi une simple muraille sépare l'excès de l'ignorance et de la

superstition, du luxe et du raffinement de la civilisation et de ses abus.39 »

Yves Le Gallo rajoute que « […] le français bénéficie, dans l'ensemble de

cette ville de fonctionnaires et de salariés de l’État, du prestige qui s'attache à la

langue des autorités, de l'administration et de la bourgeoisie.40 ». Brest, îlot

francophone dans un océan de breton, sera longuement discuté tout au long de ce

présent travail de recherche et fera l'objet d'une étude plus approfondie dans une

seconde partie.

Coloniale, Brest le serait aussi au niveau religieux. En effet, la ville – tout du

moins la rive gauche – connaîtrait un anticléricalisme véhément. Yves Le Gallo

argumente en citant plusieurs événements. Tout d'abord, le curé de Saint-Louis, M.

37 Y. Le Gallo, op. cit. p. 4338 Y. Le Gallo, op. cit. p. 4439 Y. Le Gallo, op. cit. p. 4440 Y. Le Gallo, op. cit. p. 45

23

Le Bescond de Coatpont, supplie son évêque en 1811 de le retirer de la ville : « Je

doute qu'il y ai dans votre diocèse une cure plus difficile à gouverner et qui donne

plus d'embarras et moins de consolations.41 » Les autorités religieuses, refusant la

sépulture ecclésiastique aux militaires tués en duels, se confrontent à des cérémonies

sacrilèges en 1819 et 1821. Dans les deux cas, les autorités civiles ou militaires n'ont

pas jugé bon d'intervenir, observant même une « passivité quasi complaisante ». En

octobre 1819, Mgr Dombideau de Crouseilhes a été obligé de mettre un terme à la

Mission prêchée par les Jésuites de Laval. En 1826, une autre mission fut mise en

danger par une rébellion organisée par la bourgeoisie anticléricale (pour la plupart

des individus appartenant au commerce intermédiaire, gros marchands ou

négociants). Cette fois, les autorités feront preuve de fermeté, le jubilé se

poursuivant et les meneurs traduits devant la justice.

Selon Yves Le Gallo, à la « passion anticléricale » s'associent étroitement les

opinions libérales. Alors qu'en France, deux partis bien tranchés, le parti libéral (ou

bonapartiste) et le parti royaliste, s'affrontent à la fin du règne de louis XVIII, le

docteur Charles Pellarin, ancien élève de l’École de Brest, détaille la division

politique de la ville, soulignant que « nulle part cette scission n'était plus prononcée

qu'à Brest, où d'ailleurs le premier parti l'emportait immensément dans la population

et même parmi les fonctionnaires de Marine. […] Cette division en deux partis se

retrouvait jusque dans le corps des officiers de Santé de la Marine : au sommet de la

hiérarchie s'entend, car les grades inférieures appartenaient à la nuance ardente du

libéralisme. Quelques jeunes chirurgiens avaient même été un peu affiliés aux ventes

du carbonarisme42, et ils s'étaient trouvés en rapport, au moins indirect, avec le

général Berton et le docteur Caffé qui payèrent de leur tête la conspiration anti-

bourbonnienne de Saumur43, en 1822.44 »

41 Y. Le Gallo, op. cit. p. 4542 Société secrète fondée en Italie au début du XIXe qui combattait pour la liberté nationale et la défense des

idées révolutionnaires, luttant contre Napoléon puis contre les souverains italiens, en faveur du libéralisme et de l'unité de l'Italie. Ici, il s'agit d'une société du même type que la précédente, créée en France sous la Restauration, afin de lutter contre les Bourbons.

43 Sur la conspiration de Saumur, voir E. Guillon, Les complots militaires sous la restauration, Plon, Paris, 1895

44 C. Pellarin, Souvenirs anecdotiques, Médecine Navale, Saint-Simonisme, Chouannerie, Librairie des sciences sociales, Paris, 1868

24

Bien d'autres exemples viennent étayer le sentiment anticlérical de la

population brestoise45. On peut souligner que le gouvernement de la Restauration a

dépêché à Brest des troupes étrangères pour renforcer la garnison, tout d'abord un

régiment suisse en 1823, puis le régiment de Hohenlohe, composé d'Allemands,

d'Italiens et de Portugais. Les idées libérales ne continuèrent pas moins leur

prolifération dans la population.

Afin de dresser un portrait de la population brestoise, Yves Le Gallo, à partir

des écrits de Brousmiche et des recensements nominatifs de la population, a mis en

évidence un coefficient d’anthroponymie basse-bretonne, c'est-à-dire le rapport

approximatif de la masse des individus d'origine ou de vieille implantation basse

bretonne à l'ensemble de la population. Les résultats de cette étude montrent que les

métiers qui requièrent un capital intellectuel (commerce, longue études, compétences

techniques) sont peu pratiqués par la population bretonne. Par contre, cette

population est massivement présente dans les effectifs de l'arsenal, tout comme au

Magasin Général de Brest, où l'on trouve, pour 882 ouvriers, 671 individus nés dans

le département du Finistère, 128 nés en Bretagne (hors Finistère) et seulement 83

hors de Bretagne. Au total, à ne prendre en considération que Brest (hors

Recouvrance), sur 1074 noms inscrits sur la liste des électeurs municipaux en 1847,

229 sont bretons, soit un coefficient anthroponymique de 0,21. En se basant sur ces

chiffres, nous pouvons, en effet, voir la ville de Brest telle une colonie française.

Toutefois, nous aurons l'occasion de reparler de cette étude en abordant la méthode

utilisée et la pertinence des résultats.

Yves Le Gallo insiste aussi sur la dualité entre ce qu'il appelle la ville et la

« brousse » pour confirmer sa théorie. En effet, la bourgeoisie brestoise aurait

exprimé un profond mépris pour le pays qui l'entourait et dont elle ne connaissait, en

règle général, ni la langue, ni les mœurs, les caricaturant parfois jusqu'à l'extrême.

C'est ainsi que parmi les paysans bas-bretons, « ignares et grossiers, livrés à la

superstition46 », se trouvent les naturels du pays Pagan47, peut-être les pires d'entre

45 Voir Y. Le Gallo, op. cit. p. 48-5046 Y. Le Gallo, op. cit. p.6347 De la baie du Vougot à celle du Goulven, comprenant les communes de Guisseny, Kerlouan, Brignogan et

Plounéour-Trez.

25

tous. Nous trouvons par exemple dans La guêpe, un journal anticlérical paru à Brest

entre 1818 et 1819, des descriptions des Paganis48, expliquant que se sont « des

espèces de sauvages à moitié nus, qui pillent et massacrent les naufragés que les

coups de vent jetaient sur leur passage.49 » Aussi, le quartier de Recouvrance, où la

population bretonne était vraisemblablement la plus importante, même si elle reste

difficile à quantifier de manière précise, était lui aussi victime d'une certaine

condescendance, comme l'exprime Max Radiguet, cité par Yves Le Gallo :

« Recouvrance exhalait je ne sais quels effluves du temps passé...

Recouvrance restait vieille sans être antique... Mœurs, langue, costume y

étaient surannés ; elle conservait des traditions rances […] tandis que Brest,

vierge folle, sans se soucier de sa lampe éteinte, de son jupon de bure jeté

depuis longtemps à la borne et de sa coiffe livré à tous les vents […] courait à

ces fêtes de la vie que l’Église nomme les pompes et les œuvres de

Satan...50 »

Tout ceci tend à démontrer que Brest jouit d'un sentiment de supériorité,

s'illustrant par une condescendance et un mépris pour les bas breton en général et les

paysans en particulier. Ce qui est breton n'est pas Brestois est un adage que l'on peut

encore entendre au jour d'aujourd'hui.

Coloniale, Brest le serait dans son économie, se traduisant par l'absence totale

d'industrie manufacturière et la dépendance à l'égard de l’État. L'armoricain, journal

brestois, explique que « la Marine militaire est aussi nécessaire à la prospérité de

Brest que la Marine marchande l'est à la prospérité du Havre et de Bordeaux. Brest,

situé aux confins de la France, privée d'une rivière navigable qui puisse lui servir de

communication avec l'intérieur et approvisionner des centres de consommation,

Brest n'a d'autre élément de richesse que le Budget de la Marine.51 ». Selon Yves Le

Gallo, la logique est respectée : « La France a créé Brest, enfant qui n'a pas demandé

48 Habitants du pays Pagan.49 La Guêpe, ouvrage moral et littéraire, Anner, Brest, 1818-181950 Y. Le Gallo, Recouvrance, Les amis de Recouvrance, Brest, 1988, p. 33. Extrait de M. Radiguet, A

travers la Bretagne, souvenirs et paysages, 1865.51 L'armoricain, août 1833.

26

à naître. Elle ne pouvait d'ailleurs pas ne pas le faire. Un contrat tacite s'est donc

établi à l'origine. L’État doit en respecter scrupuleusement les termes, ce qui, d'une

part, est une bonne morale, ce qui, d'autre part, est conforme aux intérêts de la

nation.52 ». Il qualifie ce contrat tacite dont il fait allusion ici de Pacte colonial, dont

le bagne de Brest lui-même en sera l'un des exemples les plus probants.

52 Y. Le Gallo, Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet, publié avec le concours du CNRS, Imprimerie de Cornouaille, Quimper, 1968, p. 67

27

1.2 Une définition erronée

Ainsi, comme nous avons pu le voir, Brest est une ville de construction

récente, possédant une structure coloniale. Toutefois, Yves Le Gallo admet lui-même

que la théorie qu'il présente possède « un caractère poussé, certes, à un degré

extrême, mais que l'on retrouve au milieu du XIXe siècle dans la plupart des

agglomérations urbaines de Basse-Bretagne, au demeurant chétives en général et

presque extérieures au pays par leur situation côtière ou proche du littoral.53 » Par

conséquent, nous allons ici nous efforcer de nuancer quelque peu la théorie exposée

par ce dernier à l'aide de documents dont l'accès s'est singulièrement facilité depuis

ces précédents travaux.

Colons et indigènes

Si on considère que Brest est une colonie française en terre bretonne, qui sont

les colons et qui sont les colonisés ? Yves Le Gallo répond à cette question,

s'appuyant sur l'étude anthroponymique qu'il a entrepris. Ainsi, « la structure de la

ville apparaît également coloniale du fait de la coexistence d'un élément importé et

d'un élément autochtone, que l'analyse anthroponymique permet de distinguer assez

aisément – et du fait aussi de la subordination sociale et professionnelle de celui-ci à

celui-là.54 » Il en ressort l'idée générale que les métiers demandant de longues études

ou la connaissance des pratiques commerciales sont exclus aux bretons alors qu'ils

sont très présents dans les rangs des ouvriers de l'arsenal. Pour résumer, il existerait,

d'un côté, une élite commerciale et administrative française et, de l'autre, un

prolétariat breton.

Toutefois, avant d'aller plus en avant, il faut prendre connaissance des

éléments qui ont été pris en compte pour effectuer cette analyse anthroponymique.

Voici sur quels principes Yves Le Gallo s'est fondé pour cette étude.

53 Y. Le Gallo, op. cit. p. 88. Il fait référence ici aux villes finistérienne de Morlaix, Quimper, Châteaulin et Quimperlé.

54 Y. Le Gallo, op. cit. p. 51

28

Sont pris en compte :

• les qualificatifs physiques, moraux, professionnels, sobriquets et

hypocoristiques : Berréhouc, Le Coz, Le Dall, Le Foll, Le Fur, Quéré, Le

Goff, Lescop, Bescond, Lohezic...

• les toponymes du type Kernevez, Menesguen, Scavennec, Le Bot...

• les prénoms bretons, ou bibliques, latins, germaniques, français bretonnisés

(avec composé léonards éventuels en Ab-), du type Golhen, Hervé, Abhervé,

Moysan, Salaün, Hélias, Gestin, Marzin, Héloury, Jaffrès, Guillerm, Charlès,

Francès...

• les noms à valeur de métaphore sentimentale ou guerrière55 du type Guivarc'h

ou Hascoët.

• les anthroponymes d'origine ou d'interprétation laissant la place au doute

mais dont l'implantation est manifestement ou exclusivement basse bretonne,

tels que Vigouroux ou Malléjac, et les noms apparemment français mais dont

la prononciation à la bretonne trahit une implantation ancienne, du type

Perrot ou Hetet.

Ne sont pas pris en compte :

• les anthroponymes de Haute-Bretagne sont considérés comme étrangers, tout

comme ceux d'origine celtiques, du type Caradeuc,

• les traductions françaises des noms bretons du type Le Page pour Le Floc'h,

• les noms dont il est impossible de savoir s'ils sont bretons ou français, tels

que Lucas, Thomas, David...

• les anthroponymes nobiliaires ou à prétentions telles, du type Kerjégu pour

Montjaret de Kerjégu.

Au regard de ces différents éléments, nous pouvons nuancer les résultats

d'une telle étude. Même si elle permet de mettre en évidence une tendance, elle

55 Noms fréquents dans les cartulaires de Redon, de Landévennec, de Sainte-Croix de Quimperlé, de l'église de Quimper.

29

exclue de manière automatique tout individu issu de la noblesse bretonne. De plus,

Yves Le Gallo se contredit lui-même lors de l'analyse de ses propres résultats. En

effet, il indique que « si l'on met à part le cas aberrant des hommes de loi (avocats,

avoués, huissiers), parmi lesquels l'élément autochtone est très honorablement

représenté – ce qui s'explique sans doute par la continuation d'une tradition

bourgeoise de judicature, issue des multiples juridictions de l'Ancien Régime – ces

résultats tendent aux même conclusions : les métiers qui requièrent capital initial,

compétences techniques, pratique commerciale, études longues sont peu pratiqués

par la population indigène.56 » Pourquoi mettre ici à part le « cas aberrant des

hommes de loi » ? Il faut prendre en compte qu'il existait à Brest des hommes de

lois, issus de surcroît de la bourgeoisie, et d'origine bretonne. Aussi, la population

française n'avait pas le monopole de l'administration. Prenons l'exemple d'un certain

M. Salaün, commis au Bureau de la Marine, francophone, exerçant un emploi dans

l'administration militaire. Celui-ci fit des traductions en breton pour le compte de la

ville de Brest, notamment des décrets de l'Assemblée Nationale57. Gabriel Milin, lui

aussi commis au Bureau de la Marine, originaire de Saint-Pol de Léon, possédait la

double compétence linguistique français-breton. Il a notamment rédigé Gwechall-

goz e oa...58, recueil de contes en breton. Nous aurons, par ailleurs, l'occasion de

revenir sur leur parcours.

Intéressons-nous à la bourgeoisie civile brestoise. Pour Yves Le Gallo, elle

n'était pas bretonne. Il en a fait la démonstration, expliquant qu' « au-dessous de ces

notables [marchands et industriels] d'extraction plus ou moins terne, dont la fortune est

fondée en général sur les marchés passés avec la Marine, ont proliféré et foisonnent

encore sous la Monarchie de Juillet les négociants et commerçants de diverses

catégories bourgeoises, dans leur ensemble étrangers au pays, et à peu près tous de

réussite ou d'aisance récentes. Il ne pouvait aller autrement dans cette ville poussée

trop vite et de manière anarchique, à la population sans cesse remaniée par les

grands mouvements de flux et de reflux de la garnison des équipages, où la

Révolution avait bouleversé les structures sociales en voie de cristallisation, où par

56 Y. Le Gallo. op. cit. p. 5657 Voir à ce sujet D. Bernard, La Révolution Française et la langue bretonne, Editeur inconnu, 1913.58 G. Milin, Gwechall-goz e oa... marvailhou dastumet gant G. Milin, Edition de la revue « Buhez Breiz »,

Quimper, 1924.

30

ailleurs enfin les vicissitudes de l'activité militaire, les hasards de la politique et de la

guerre remettait sans cesse en cause les succès à peine acquis.59 »

Yves Le Gallo souligne aussi que « l'un des trait caractéristique de cette

bourgeoisie brestoise, considérée dans son ensemble, est qu'elle est en général

étrangère au pays ou de récent établissement. C'est là un fait qui ne saurait

surprendre étant donné la structure coloniale de la ville. […] En ce qui concerne

Brest, on discerne au surplus, à partir de sources fragmentaires, l'établissement

d'éléments en provenance d'Auvergne, du Nivernais et peut-être du Dauphiné60 .»

Toutefois, nous trouvons dans un numéro du Bulletin de la Société Académique de

Brest61 un très long poème d'un auteur anonyme, s'intitulant Hirvoudou c'houero eur

skrivanier euz a Vrest (Lamentations amères d'un écrivain de Brest). Nous trouvons

dans cet écrit, dont le langage est très riche et la versification particulièrement

travaillée, des références à Loth ainsi qu'a Sodome et Gomorrhe. Cette œuvre sort,

sans nul doute, d'un esprit lettré, appartenant certainement à la bourgeoisie brestoise

et non au « prolétariat breton » d'où je l'exclue totalement.

Si nous avons vu que l'élément autochtone est bien représenté dans les

métiers de la justice, qu'en est-il pour les autres métiers représentés par la

bourgeoisie civile ? Il faut tout d'abord préciser que cette catégorie sociale comprend

trois éléments : les professions libérales, les fonctionnaires, et le négoce et le

commerce (haute bourgeoisie).

Les représentants des professions libérales sont essentiellement des hommes

de loi, des médecins et des pharmaciens. Comme nous l'avons vu, les bretons sont

bien représentés parmi les premiers, avec un coefficient anthroponymique de 0,5.

Chez les notaires, le coefficient anthroponymique est de 0,66 en 1834, tombant à

0,11 en 1846. Nous voyons ici aussi que les bretons sont bien présents parmi cette

catégorie socioprofessionnelle. Dans la médecine, le coefficient est en constante

augmentation tout au long du XIXe siècle. S'il n'est que de 0,06 en 1834, il passe à

59 Y. Le Gallo, op. cit. p. 29660 Y. Le Gallo, op. cit. p. 29761 Bulletin de la Société Académique de Brest, Tome XXVIII, Kaigre, Brest, 1903 (ouvrage non paginé).

Sources : bibliothèque numérisée de l'université du Michigan.

31

0,12 en 1846. Il en est de même pour les pharmaciens (de 0,13 en 1834 à 0,26 en

1846). Il apparaît donc que les bretons, s'ils ne sont pas majoritaires, sont tout de

même présents dans des professions libérales demandant capital initial et longues

études.

Les fonctionnaires de justice, d'administration et de finance représentent

essentiellement les fonctionnaires civils. Pour cette catégorie de la population, Yves

Le Gallo n'a pas calculé de coefficient anthroponymique. Toutefois, il explique

clairement l'organisation des différentes administrations brestoises. Ainsi, Brest était

doté, en 1830, d'un tribunal de première instance de septième classe, composé d'un

président, un juge d'instruction, deux juges et trois juges suppléants qui étaient des

avocats ou avoués de la ville. Quelques 70 à 80 procès en moyenne s'y tenaient par

année. Dans ses commentaires sur la somme de travail effectuée par la magistrature

brestoise, Yves Le Gallo exprime un jugement de valeur assez étonnant qui me fait

m'interroger sur les représentations de celui-ci et la pertinence de cette étude : « En

ce qui concerne donc la chicane, les populations bretonnes et surtout celles de Basse-

Bretagne, manifestaient un état d'esprit singulièrement arriéré, que n'avait pu

redresser l'infusion de sang normand.62 » En ce qui concerne l'administration des

finances, Brest compte, outre le Receveur Général et le payeur public du

département (la Recette Générale des Contribution Directes du Finistère se trouvant

à Brest), une douzaine d'agents ou de fonctionnaires de l'Enregistrement, des

Hypothèques, des Contributions et des Douanes. Ici encore, il n'indique aucun

élément nous fournissant des informations sur la provenance des fonctionnaires.

Les activités de commerce et de négoce sont fortement tournées vers la

marine, comme le souligne Marie-Thérèse Cloître-Quéré :

« L'industrie de l'habillement, la plus importante, a pour cliente la Marine. Le

grand commerce lui-même doit son existence à la Marine. Sur les 66

principaux commerçants de la ville, 14 sont qualifiés de « fournisseurs ». A

dire vrai, les affaires des « marchands » et des « négociants » dépendent

62 Y. Le Gallo, op. cit. p. 266

32

presque aussi étroitement de la marine que celle des fournisseurs. Ils

participent aussi aux adjudications pour les approvisionnements des navires

ou de l'arsenal et leur noms se retrouvent dans les marchés passés par la

Marine où le conseil du port note qu'il ne se présente pas d'étrangers.63 »

Yves Le Gallo ne nous donne aucun renseignement sur la provenance ou

l'origine des commerçants et des négociants. Toutefois, comme Marie-Thérèse

Cloître-Quéré, il met l'accent sur le fait que l'activité commerciale est

essentiellement tournée vers la marine ou correspond aux besoins immédiats des

habitants. Il n'existe aucun commerce d'exportation à Brest.

Je profite ici pour rappeler que, selon Yves Le Gallo, l'anticléricalisme de la

population, certainement dû à une bourgeoisie étrangère, est un des aspects colonial

de la ville. Toutefois, je tiens à nuancer ses propos en rapportant ceux de Daniel de

Proxy:

« Tout Breton est foncièrement religieux. Tout Brestois du peuple croit

fermement à Notre Dame de Recouvrance et l'invoque avec ferveur au milieu

des périls de la mer. Moins superstitieux que le Bas-Breton de l'intérieur, il

s'impressionne néanmoins avec une extrême facilité au récit des événements

qui se produisent sans cause nettement appréciable et voit le doigt de Dieu

dans tous les faits qu'il ne peut expliquer.64 »

Une noblesse bretonne présente à Brest

Ce qui frappe le lecteur dans l'analyse faite par Yves Le Gallo, c'est l'absence

totale de noblesse bretonne à Brest, fait qui serait une particularité brestoise : « Il

importe tout d'abord de mettre l'accent sur le fait que la noblesse, et singulièrement

la noblesse bretonne, est absente de cette ville. Les listes d'électeurs municipaux que

nous avons pu analyser pour 1846 […] font apparaître que, sauf pour quelques très

63 Marie-Thérèse CLOÎTRE-QUERE, Brest et la mer, 1846-1874, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 1992, p. 45

64 D. De Proxy, Brest, Oberthur, Rennes, 1857, p. 114

33

rares personnes qualifiées de propriétaires, les seuls représentants d'une aristocratie

de souche sont des officiers de marine en activité ou en retraite.65 » Toutefois, nous

l'avons vu, l'étude anthroponymique réalisé par ses soins exclut de manière

systématique les patronymes nobliaux bretons. En y regardant de plus près, il existait

des familles influentes et d'extraction noble à Brest.

Citons la famille Riou de Kerhallet, devenue par la suite de Kerhallet, dont le

plus illustre personnage fut Philippe de Kerhallet, lieutenant de vaisseau,

commandant le brick-goëlette66 l'Alouette en 184467. Par ailleurs, Jean-Michel Riou

de Kerhallet devint, grâce au mariage avec une Léon de Tréverret, un neveu de

Keratry68. Citons aussi le sieur Jean Guilherm, riche négociant en vin originaire de la

ville de Bordeaux qui épousa à Brest Marie-Louise Daniel, de la famille de Daniel

du Colhoé en 1785 et dont les descendants eurent une forte influence à Brest

jusqu'en 181569. Enfin, citons les frères de Kerjégu, associés dans une affaire de

négoce, fournisseurs de la Marine et s'occupant de courtage, famille fournissant

sénateurs, députés et contre-amiraux jusqu'en 188070.

Au delà de ces exemples, il existait en 1789 un Ordre de la vraie noblesse de

Brest en Bretagne dont j'ai trouvé une publication datant de 1789 et dont voici les

termes :

« Les Concitoyennes ou Arrêté des Dames composant l'Ordre de la vraie

Noblesse de Brest en Bretagne, du samedi 24 Janvier 1789, nous soussignées,

qui composons l'Ordre de la Noblesse Bretonne, en la ville de Brest,

Considérant que dans la circonstance actuelle, où le Tiers-Etat s'avise

de faire parti des Députés en Cour, pour porter aux pieds du Trône d'un Roi

dont la justice a été évidement surprise, des plaintes d'une prétendue lésion,

qui n'a jamais existé que dans l'imagination exaltée de quelques cerveaux

65 Y. Le Gallo, op. cit. p. 24766 Navire à voiles à deux mâts dont la misaine est gréée de voiles carrées et le grand mât d'une voile aurique

surmontée d'une flèche (Larousse)67 Service Historique de la Marine, cote 23/VII/184468 Voir H. Frotier de la Messelière, Filiations bretonnes, Keratry et Léon de Tréverret, J. Floch, Mayenne,

196569 Y. Le Gallo, op. cit. p. 29070 Y. Le Gallo, op. cit. p. 295

34

éventés, se qualifiant de Représentants d'un Peuple dont ils se prétendent les

défenseurs, & dont ils sont de vrais tyrans ; ceux qui favorisent ces projets

désastreux, sont dignes d'une souveraine exécration ;

Considérant qu'ils sont notés d'infamie, & que tous les gens

composant le Tiers de la Province de Bretagne en cette ville de Brest, font, à

l'exception de quelques braves Citoyens amis du bien public, du même avis,

& conséquemment indignes d'être admis au rang des gens honnêtes ;

Avons déclaré, comme de fait déclarons, jurons & convenons de ne

jamais frayer avec aucunes femmes, filles ou parentes de ces gens

déshonorés, & les déclarer infâmes, traîtres à la Patrie, indignes du nom de

vrai Citoyens ;

Et nous promettons, foi de Gentilshommes, s'il arrivoit que quelque-

unes de ces femmes se présentassent au Bal de la Comédie, de nous retirer

sur-le-champ ; également que si quelques Dames de la Marine recevoient ces

femmes chez elles, les noter d'infamie, & les déclarer coupables du crime de

leze-Patrie.

Arrêté en l'Hôtel de Madame Dubosq, sur le champ de bataille. A

Brest, le 24 Janvier 1789.71 »

Ce document possède, au regard de cette étude, deux points intéressants. Le

premier est qu'il témoigne de l'existence d'une noblesse Bretonne à Brest (voire une

« vraie » noblesse, pour reprendre le terme utilisé par ces Dames) au moins quelques

mois avant la Révolution Française. Le second point concerne les signataires dont je

vous relate ici l'intégralité : Dubosq, Keralaun, De Monteclair, De Réal, De

Charbonneau, De Trouber, De Sonville, De Coatudavel, Du Fraisier, Le Begue, De

Tosily, De Baudran, De la Biochais, De Biré, De Saint Prix, De Trémigon, De

l'Archantel, Contesse d'Hector, Marquise de Langle, Baronne de la Porte-Vezin, Du

Fretay, De Soulanges, Du Bossier, Janvry, Rhedon de Beaupréau, Le Provost, De

Linois. Au regard des noms de famille des signataires, on peut constater que la

noblesse bretonne et la noblesse française sont au même plan.

71 Les Concitoyennes ou Arrêté des Dames, Samedi 24 janvier 1789, Bibliothèque Nationale de France, via Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k491069/f6.image.r=.langFR

35

J'ai voulu savoir s'il existait un relevé nominatif des nobles pour la ville de

Brest. Grâce à l'Annuaire des châteaux et des départements72 paru en 1898 pour les

années 1897-1898, j'ai pu établir les deux relevés suivants, le premier listant les

nobles habitant à Brest ou ayant une résidence hors de la ville et une adresse

brestoise, le second listant les résidences considérées comme châteaux, manoirs ou

villa à Brest avec le nom de leur propriétaire.

La noblesse présente à Brest en 1897

Nom Résidence Localité

Bontoux De Kerhallet Brest

Breton Villa Isabelle Porspoder et 40 rue Armorique à Brest

Vicomte de Cuverville De la Noë Quintin et 19 rue de la Rampe à Brest

De la Hubaudière De Kervaly Bois de Keroual et 19 rue de la Rampe à Brest

De Bouvet Même adresse

Dubois De Poul-ar-feuteun

Lambezellec et 13 rue Saint Yves à Brest

Comte Henri Ferré de Péroux

De Coëtlosquet Pleyber-Christ et 9 rue Voltaire à Brest

Comte Louis Ferré de Péroux

De Coëtlosquet Pleyber-Christ et 4 bis rue Voltaire à Brest

Gardin de la Bourdonnaye

De Kerrec Le Faou et 14 rue de Traverse à Brest

Le Bescond de Coatpont

44 rue de Siam à Brest

Le Bihan De l'Hermitage Lambézellec et 5 rue Monge à Brest

Comte Alphée de Trobriand et comtesse Malherbe de la Bouëxière

Chalet des Roses Plounéour-Trez et 14 rue de la Rampe à Brest

72 Annuaire des Châteaux et des Département, 40 000 noms & adresses de tous les propriétaires des châteaux de France, manoirs, castels, villas, etc. A. La Fare éditeur, Paris, 1898. Source : Bibliothèque Nationale de France, via Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5774454s.image.langFR.

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Les résidences considérées comme châteaux,

manoirs ou villas à Brest en 1897

Château Propriétaire

BELLEVUE M. Le Gars

BOT M. Loys de Marigny

LE CLOS NEUF Mme Kerros

COATY Mme Sallerin

GRAND-KERJEAN M. Jouveau-Dubreil

KERAMEZEC M. Le Jeune

KERAMPIRE M. Breton

KERANGAL M. Legléau

KERBONNE M. de Kerros

KERELLE M. Gessin

KERUSEUN M. Filhol de Camas

KERVOLLON Comte et Comtesse de Keratry

KERVALY Baron et baronne Didelot

KERVARKI Mme Thébaut

KERVEGUEN M. Mer

KERVERN M. Bermout

LANVIAN M. Lefournier

LEBOT Mme Kerros

LHERMITAGE M. Le Bihan

MERTRIDEN M. Royer

PENANGARS M. Louvet-Jardin

PEN-AR-CLEUS M. Chabance

PEN-AR-VALLI Mme Robin

PENHELEN M. de Germiny

PORZIG M. de Rodellec du Porzic

POULOU M. Buret

LA ROSE M. Michel-Morand

STANGALARD M. Brannellec

TRAON M. Agie

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Ces deux relevés nous renseignent sur deux points essentiels. Ils confirment,

d'une part, qu'il existait bien une noblesse à Brest et, d'autre part, que les nobles

issues de la noblesse bretonne étaient présents dans cette ville.

Un îlot linguistique ?

Si Brest était une ville fortifiée, ses murailles n'étaient pas hermétiques au

Léon qui l'entourait. La porosité de ses remparts laissait pénétrer les mœurs, les

coutumes et les croyances des bas-bretons. Le langage n'y faisait pas exception.

Nous avons vu qu'une noblesse bretonne était bien présente à Brest. Certains

de ces nobles sont propriétaires d'une villa, d'un château en campagne ou sur le bord

de mer (Plounéour-Trez, Porspoder, Le Faou, Pleyber-Christ, etc.) et d'un

appartement en ville. Il ne fait aucun doute que ceux-ci ne sont pas ignorants des

mœurs et coutumes basses-bretonnes. Ils ne pouvaient pas non plus être ignorants du

langage parlé par les populations rurales, puisqu'ils avaient obligatoirement des liens

avec eux, ne serait-ce que pour l'entretien de leurs propriétés.

De plus, lors de mes recherches aux différents services des archives (archives

municipales et communautaires de Brest, archives de l'évêché de Quimper et du

Léon, Service Historique de la Défense, archives départementales du Finistère), j'ai

découvert des documents intéressants :

• une affiche rédigée en langue bretonne datée de 1793 et adressée à l'ensemble

de la communauté commerçante de Brest,

• une affiche rédigée en langue bretonne concernant les élections législatives

de 1862,

• divers documents traitant de l'instruction laïque et religieuse à Brest où il est

question de l'utilisation de la langue bretonne – y compris dans la Marine,

• des œuvres publiées en langue bretonne ou traitant de la langue bretonne,

éditées et vendues à Brest,

• des articles publiés en breton dans un journal brestois

38

• différentes communications entre les paroisses brestoises et l'évêché de

Quimper et du Léon concernant le souhait de messes en langue bretonne par

les Brestois.

Cette liste, loin d'être exhaustive, a tendance à confirmer que la ville de Brest

possédait, au XIXe siècle, une population bretonnante et qu'il est quelque peu

excessif de la qualifier « d'îlot linguistique ». En effet, la municipalité et des

paroisses brestoises ressentaient une nécessité de communiquer en breton avec les

concitoyens ou paroissiens, la presse locale publiait des articles en langue bretonne,

tout comme certaines œuvres éditées par les différentes maisons d'éditions de Brest.

Tous ces différents documents seront analysés dans une seconde et une troisième

partie.

De plus, Yves Le Gallo lui-même, après avoir défini la ville de Brest comme

un îlot linguistique, modère ses propos en concluant qu' « il n'en est pas moins vrai

que, si la pratique de la langue bretonne demeure universelle dans les campagnes,

courante à Recouvrance et dans les équipages, fréquente à Brest [rive gauche], le

français, bénéficie, dans l'ensemble de cette ville de fonctionnaires et de salariés de

l’État, du prestige qui s'attache à la langue des autorités, de l'administration et de la

bourgeoisie.73 » Cette théorie nous indique que si la langue bretonne était présente à

Brest, le prolétariat en avait la pratique exclusive, le français étant réservé aux élites

dirigeantes et à l'administration. Il est donc normal que l'on trouve une population

bretonnante à Recouvrance, archétype du quartier prolétaire urbain du XIXe siècle.

D'ailleurs, le fait que Recouvrance serait un quartier majoritairement bretonnant est

repris par plusieurs historiens ou écrivains brestois. Toutefois, mon précédent travail

de recherche74 nous a montré qu'il était impossible de quantifier cette population.

Nous allons voir, tout au long de ce travail de recherche, que concernant la dualité

prolétariat bretonnant/administration francophone, la réalité est plus nuancée.

73 Y. Le Gallo, op. cit. p. 4574 C. Maréchal, L'influence du Pont Impérial sur les pratiques langagières à Recouvrance, mémoire de

Master 1, copie disponible au Centre de Recherche Bretonne et Celtique

39

2. La langue bretonne dans la vie publique brestoise

«Nous avons insisté sur la puissance des mots, sur

l'influence des signes, sur la nécessité d'appliquer à la

machine politique l'énergie de ces puissants ressorts. »

J.-B. Louvet75

Si l'aspect colonial de la ville de Brest peut être nuancé, nous pouvons aussi

pondérer le caractère linguistique. Nous allons voir dans cette seconde partie que la langue

bretonne avait une place dans la vie publique brestoise au XIXe siècle en analysant tout

d'abord la publication en langue bretonne, qu'elle soit administrative ou éditoriale, avant

d’étudier de plus près l'éducation laïque et religieuse.

2.1 La publication en langue bretonne

L'affichage administratif

La municipalité de Brest a communiqué en langue bretonne. C'est ce

qu'atteste un document daté de 1793, intitulé Proclamacion eus a goumunen Brest,

de goncitoyanet76 (Proclamation de la commune de Brest à ses concitoyens) qui est

une affiche traitant de l'application de la loi du Maximum77. Ce document est une

traduction en langue bretonne d'un texte initialement rédigé en français, dont je n'ai

trouvé aucun exemplaire. Il existait donc vraisemblablement un public bretonnant à

Brest après la Révolution, la municipalité ayant fait le choix de ce langage.

Toutefois, celle-ci a-t-elle fait le choix de la langue bretonne par nécessité

linguistique ou existe-t-il une dimension symbolique à communiquer les valeurs

révolutionnaires en breton ? Nous allons voir, avec l'analyse de ce document, à qui

était adressée cette proclamation, qu'ils soient récepteurs directs ou implicites, puis

75 J.-B. Louvet dans La sentinelle, journal d'inspiration girondine paru sous la Révolution Française, n° 134, 22 ventôse an IV, cité par B. Schlieben-Lange, Idéologie et uniformité de la langue, Mardage, Sprimat (Belgique), 1996

76 Archives départementales et communautaires de Brest, cote 1I136, Police des halles et marchés, copie du document original en annexe

77 Loi, promulguée le 4 mai 1793, taxant le prix du blé, du sel, du pain, des salaires, etc. que certains détournèrent en constituant des stocks qu'on ne trouvait qu'au marché noir à haut prix

40

analyser la traduction d'un point de vue sémantique et réfléchir sur le choix de la

langue utilisée.

Ce document émane de la commune de Brest par le biais de son Conseil

Général. La loi du Maximum était détournée, il fut donc nécessaire de faire un rappel

à la loi. Il est demandé aux commerçants et aux négociants d'afficher clairement les

prix des marchandises, prix fixés par le pouvoir exécutif de l'Assemblée Nationale

(traduction des extraits en français par mes soins en note de bas de page) :

« Bez int ar reglennou divaryant eus an obligacionou essenciel eus ar

preneuryen78 guerzeurien. Na ancounac'hao quet ar re-mâ penaus an

discleracion eus o marc'hadourezou a dle beza nevezet pep mis ; penaus an

stad etat eus ar marc'hadourezou-se a dle beza placardet ouz an doryou

diaveas eus o magagennou ; penaus ar municipalite fidel d'e deveryou a

gontribuo gant prountidigez da boursu ha da bunissa an dud coupabl.79 »

Non seulement la Municipalité rappelle les termes de la loi et indique que

ceux qui ne la suivront pas s'exposent à des représailles et des sanctions et elle

donne, dans un second temps, des consignes claires concernant l'affichage des prix :

« Citoyaned, negocianted, marc'hadouryen ha laboureryen a bep micher, bezit en o

leac'hyou ar muya gaelet eus o magagennou, hac eus o stalyou, an taxou eus o

marc'hadourezou ; na vui ho guenaou da brononç pris ebet nemet ar re a lavaront.80 »

L'application de ces règles, selon l'auteur de ces lignes, ferait disparaître la « misère

publique » et ferait de ces commerçants et négociants des « honnêtes citoyens » :

« Neuze e velimp disparissa an dienez forget, frouez eus an disparaich eus ar

priçziou neuze an eünder a galoun a digaçzo adarre an abondanç hac ar

78 Barré dans le texte79 « Ce sont les règles invariables des obligations essentielles pour les vendeurs. Que ceux-ci n'oublient pas

la déclaration de leurs marchandises, qui doit être renouvelée chaque mois ; que l'état des marchandises doit être placardé aux portes extérieures de leurs magasins ; que des sanctions les attendent à chaque infraction de la loi ; la municipalité, fidèle à ses devoirs, continuera promptement à poursuivre et à punir les coupables. »

80 « Citoyens, négociants, marchands et travailleurs de tout métier : affichez dans les endroits les plus visibles de vos magasins et de vos étals les prix auxquels sont taxées vos marchandises et que votre bouche ne prononce aucun prix en dehors de ceux qu'ils disent. »

41

ficzyanç publiq ; neuze o pezo en em disquezet ding da veza francisyon ha

rebublicanet ; neuze o pezo militet da jouissa eus an effejou mad eus ar

revolucion, pehini a raï da virviquen ar gloar eus hor c'hantved, pe eus hon

amser, hac an eür-vad eus al lignez da zont.81 »

Toutefois, les commerçants et négociants ne sont pas les seuls visés par la

proclamation. En effet, ce message est tout d'abord adressé à toute personne

embrassant les idées révolutionnaires. Les premières lignes du document nous

l'indiquent en ces termes : « En em lavaret a reomp oll patriotet, en em enori a reomp

oll eus an hano a republicanet, hac e souffromp an drouc-c'hoant hac an avariç da

gleusa hep trouz ar fondamenchou eus ar republic [...]82 » Ces « amis de la

République » sont alors incités à la délation. Il leur est demandé de poursuivre les

contrevenants et de les dénoncer à l'administration publique.

« Citoyanet, c'hui evit piou al liberte, an ingalite hac ar vam-bro ne d'int quet

hanoyou vean, deoc'h eo da biou en em adressomp : poursuit, roït ar chasse

en o lec'hyou cuzet d'an dud controll d'al lesenn saluter eus ar maximum ;

sklaeraït var o interest guiryon ar citoyanet pe re dallet dre ar jouissançou pe

an izomou eus ar moumend, en em breparont evel d'o c'honcitoyanet

privacionou hep fin da difin en eur baea dreist an tax, dinoncit d'an autoriteou

constituet an dud alfanet-se pe re, en dispris d'al lesenn, a savont o fortuniou

diwar goust ar miser publiq.83 »

Ainsi, cette proclamation n'est pas uniquement un rappel à la loi pour les

commerçants et négociants. C'est aussi un outil pour garder vivant l'esprit

81 « Alors nous verrons disparaître la misère façonnée par la disparité des prix. Alors la droiture du cœur amènera de nouveau l'abondance et la confiance publique ; alors vous vous serez montrés dignes d'être français et républicains ; alors vous aurez mérité de jouir des bons effets de la révolution qui fera pour toujours la gloire de notre siècle, ou de notre temps, et le bonheur des générations à venir. »

82 « Nous nous disons tous patriotes, nous nous honorons tous du nom de républicains et nous souffrons de (?) la mauvaise envie et l'avarice de saper sans bruits les fondements de la République [...] »

83 « Citoyens, vous pour qui la liberté, l'égalité et la patrie ne sont pas de vains mots, c'est à vous que nous nous adressons : poursuivez, donnez la chasse jusque dans leurs tanières à ceux qui vont à l'encontre de la loi salutaire du maximum ; éclairez sur leur véritables intérêts les citoyens qui, aveuglés par les jouissances ou les besoins du moment, se préparent à eux-mêmes, comme à leurs concitoyens, des privations sans fin ni terme en ne payant plus la taxe. Dénoncez aux autorités constituées ces hommes inconscients qui, au mépris des lois, font leur fortune sur le compte de la misère publique. »

42

républicain suite à la révolution de 1789, en s'adressant à tous les habitants et en leur

rappelant ce qu'est – selon le point de vue de l'auteur – un bon citoyen dans cette

période révolutionnaire.

Voyons maintenant la traduction. Ce qui frappe à la première lecture de ce

document, c'est l'emploi de nombreux termes français « bretonnisés ». En effet,

beaucoup de noms, notamment techniques, ressemblent beaucoup à leurs équivalents

français. Nous trouvons, par exemple, an avariç, executet, fraud, abyl, autoriteou

constituet, miser publiq, etc. Intéressons-nous donc au traducteur.

Le 14 janvier 1790, l'Assemblé Nationale décrète que « le pouvoir exécutif

sera chargé de faire traduire les décrets […] dans les différents idiomes et de les faire

parvenir ainsi traduits aux différentes provinces du Royaume.84 » Suite à cette

demande, le Directoire85 du Finistère adresse une circulaire le 2 mai 1791 aux

différents districts du département, les priant de bien vouloir leur indiquer quelques

personnes « assez instruites pour s'en occuper.86 » Le district de Brest répondit le 10

mai 1791 en proposant M. Salaün, commis des bureaux de la Marine. Celui-ci est

vraisemblablement léonard, comme l'indique les métathèses utilisées dans diaveas et

great, ainsi que la prononciation du -on en -oun dans c'haloun. Il fit aussi quelques

traductions pour le compte du district lui-même. Ainsi, le 5 floréal an III87, il fut payé

12 livres pour diverses traductions, 10 livres le 9 brumaire pour avoir traduit Pour

faire renaître l'abondance des denrées sur les marchés ainsi que 20 livres pour la

traduction de L'adresse de la Convention au Peuple Français du 18 vendémiaire an

III88. Cet employé des bureaux de la Marine possédait donc la double compétence

linguistique français-breton et les termes utilisés ressemblent beaucoup à du français,

comme nous avons pu le voir. Daniel Bernard, auteur de La Révolution Française et

la langue bretonne, a inventorié les documents de cette période traduits en langue

bretonne et a élaboré une théorie sur l'emploi de ces termes « bretonnisés » :

84 D. Bernard, La Révolution Française et la Langue Bretonne, Oberthur, Rennes, 1913, article d'une dizaine de pages non numérotées

85 Exécutif du conseil général du département sous la Première République.86 D. Bernard, op. cit.87 24 avril 179588 D. Bernard, op. cit.

43

« La plupart des documents sont imprimés sur deux colonnes et la langue en

est uniformément détestable et incorrecte : le traducteur s'est tout simplement

contenté de mettre une tournure ou une terminaison bretonne au mot français,

sans se donner la peine de chercher s'il pouvait exister un équivalent en

breton. Il ne faisait d'ailleurs que suivre la manière d'écrire en breton de son

époque. Au point de vue de la langue, il est le digne continuateur des Père

Maunoir, des Marigo, des Le Bris, etc. et de tous les écrivains bretons du

XVIIIe siècle. Le dialecte employé est généralement le léonard mitigé, tel

qu'on le parlait dans les villes.89 »

Donc, selon Daniel Bernard, le langage utilisé est plus ou moins créé à partir

du français car le traducteur ne cherchait pas à savoir s'il existait un équivalent en

breton. Toutefois, cette proclamation tend à prouver le contraire. En effet, Salaün,

notre traducteur, a fait quelques ratures sur le document. Celles-ci sont les clés de la

compréhension globale de ce texte. La phrase suivante, retranscrite avec les ratures,

en est un parfait exemple :

« na ancounac'hao quet ar re-mâ penaus an disclération eus o

marc'hadourezou a dle beza nevezet pep miz ; penaus an stad etat eus ar

marc'hadourezou-se a dle beza placardet ouz an doryou diaveas eus o

magagennou.90 »

Salaün, après avoir écrit stad, décide d'employer le terme etat, qui –

vraisemblablement – est un nom plus français que breton. Par chance, ceci a pu être

mis en évidence car le mot barré est encore lisible. Il faut toutefois se pencher sur le

terme lui-même. En breton, le mot stad a plusieurs significations. Il peut définir l'état

physique ou intellectuel de quelqu'un ou de quelque chose91. On l'utilise aussi pour

parler de la condition (sociale), la position ou la qualité de quelqu'un ou de quelque

chose92. Par conséquent, dans l'esprit du traducteur, les termes stad et etat n'ont pas

89 D. Bernard, op. cit.90 « Que ceux-ci n'oublient pas la déclaration de leurs marchandises, qui doit être renouvelée chaque mois ;

que l'état des marchandises doit être placardé aux portes extérieures de leurs magasins. »91 Par exemple : « Daoust d'al louzeier ne wellae ket e stad. » Malgré les médicaments, sont état ne

s'améliorait pas.92 Par exemple : « Gwellaat stad al labourerien. » Améliorer la condition des travailleurs.

44

le même sens : parlant de l’État français en tant qu'institution, le traducteur a donc

volontairement utilisé le terme etat car il était plus clair pour lui. Dans cet exemple,

ce n'est donc pas une ignorance des équivalents bretons des termes français mais une

volonté de « franciser » les termes bretons afin que le message devienne plus clair.

Nous verrons toutefois que si le message paraît plus net pour le traducteur, il n'en est

rien pour le lecteur. Aussi, la phrase suivante nous donne un renseignement sur la

façon de traduire le texte :

« […] dinoncit d'an autoriteou constituet an dud alfanet-se pe re, en dispris

d'al lesenn, a savont o fortuniou diwar goust ar miser publiq.93 »

Ici, le traducteur à commis une erreur avec l'accord du verbe sevel. En breton,

lorsque le sujet est placé devant le verbe, ce dernier ne s'accorde ni en nombre ni en

genre. Ainsi, le sujet étant an dud alfanet-se, il aurait dû écrire a sav et non a savont.

Cette erreur tend à démontrer une influence du français dans sa traduction, voire

même une connaissance peu confiante du breton. Pour bien comprendre ce

document, il faut s'intéresser aux écrits publics et officiels parus en langue bretonne

pendant cette période post-révolutionnaire.

Sous l'ancien régime, le peuple breton du Tiers-Etat utilisait la langue

bretonne de manière exclusive et ne connaissait pas le français tandis que les élites

nationales, elles, parlaient le français mais ne comprenaient pas le breton. Il fallait

malgré-tout que les deux groupes se comprennent. Nous trouvons donc entre ces

deux couches, dans cette société bretonne d'avant la Révolution, une couche

intermédiaire composée de la haute bourgeoisie, de la noblesse – notamment la

noblesse paysanne – et du clergé, possédant une double compétence linguistique

français-breton. Ceux-ci faisaient le lien entre les élites et la paysannerie. Lors de la

révolution de 1789, une grande partie des nobles ont fuit la Bretagne ou ont été

décapités. Toutefois, certains d'entre eux se sont rangés du côté des Républicains, tel

François Nicolas Pascal de Keranveyer, élu vice-président du Directoire du Finistère

le 6 août 1790 après le nouveau découpage du territoire en départements. Aussi, avec

93 « […] dénoncez aux autorités constituées ces hommes inconscients qui, au mépris des lois, font leur fortune sur le compte de la misère publique. »

45

la révolution, une partie du peuple peut maintenant avoir son mot à dire sur la

politique. Toutefois, ce mot qu'il exprime l'est bien souvent en breton, puisque nos

aînés n'ont pas vécu une rupture linguistique violente et radicale en cette fin de

XVIIIe siècle.

Ainsi, suite à la demande de l'Assemblée Nationale, et vraisemblablement

suite à un besoin de véhiculer les décisions de cette dernière en langue bretonne,

plusieurs citoyens de tout niveaux sociaux (employés, avocats, nobles94...) vont

s'atteler à cet ouvrage. Mais la qualité linguistique des textes peut laisser le lecteur

contemporain perplexe. Ce que Daniel Bernard qualifie de langue « uniformément

détestable et incorrecte », Yves Le Berre l'explique ainsi :

« Quelques-uns [des auteurs] sont certes bien plus doués que d'autres, mais

dans l'ensemble leur breton me paraît trahir, plutôt qu'une quelconque

incompétence, leurs efforts appliqués pour adapter cette langue à sa nouvelle

fonction. Si elle nous semble bien étrange, bien maladroite, c'est qu'il s'agit

d'une langue expérimentale, celle du discours politique, pour laquelle aucune

culture de quelque ancienneté n'était directement réutilisable en breton.95 »

Le discours politique et administratif en langue bretonne n'existait pas. Les

élites ont dû créer un nouveau registre linguistique, car elles ne pouvaient pas

communiquer en breton comme un parent avec son enfant. Ce registre était

nécessaire pour montrer l'existence de deux sphères sociales distinctes. Malgré tout,

des traces de « purisme » apparaissent, c'est-à-dire des formes bretonnes dans la

traduction, dans le corpus étudié par Yves le Berre. Ce dernier en tire une

conclusion :

« Nous les interprétons [les traces de purisme] comme les effets d'une tendance

naissance à réduire la distance culturelle qui séparait le français = langue

94 Testard, fils d'un négociant, président de l'association des Amis de la Constitution à Lesneven ; Le Lae, fils d'agriculteur de Lannilis et avocat à Rennes ; Salaün, commis au bureau de la Marine ; Raoul, ancien chantre devenu instituteur à Pleyben ; Le Gall, procureur syndic du district de Landerneau pour n'en citer que quelques-uns (sources : Y. Le Berre, Qu'est-ce que la littérature bretonne, PUR, Rennes, 2006)

95 Y. Le Berre, Qu'est-ce que la littérature bretonne, PUR, Rennes, 2006, p. 74

46

haute du breton = langue basse et, dans un même mouvement, à accuser entre

eux la distance linguistique, pour instaurer un niveau local de débat politique

et briser du même coup le monopole des idées générales. Ainsi serait

maintenu un espace régional de réflexion et de communication dans une

certaine mesure autonome, similaire à celui qui existait depuis longtemps

dans le domaine religieux.96 »

Toutefois, on peut se poser la question de la valeur symbolique de ces

traductions. Yves Le Berre souligne que « quand ils abandonnent le style

administratifs, ils transmettent sans peine la rhétorique et l'émotion sacrées du

discours révolutionnaire97 ». En outre, les événements de 1789 n'ont pas

soudainement appris à lire à la population. Les proclamation devaient être lues à

haute voix mais, étant donné le vocabulaire politique et administratif qu'elles

contenaient, le message transmit était certainement très mal compris. Certes, il

existait une nécessité linguistique, ce qui prouve que la ville de Brest possédait une

population bretonnante mais quelles sont les personnes capables de lire et

comprendre ce langage ? L'utilisation des termes français, même « bretonnisés »,

entraîne une forte difficulté, voire même une incapacité de compréhension pour les

bretonnants ne possédant pas la double compétence linguistique. S'il faut donc

connaître le français pour comprendre de tels documents, quelle est l'utilité, si ce

n'est la valeur symbolique, de telles traductions98 ?

Le matériel électoral peut aussi nous renseigner sur des faits linguistiques. Il

est possible que certains documents soient rédigés en breton pour être compris par le

plus grand nombre de personnes. Souhaitant trouver d'éventuelles professions de fois

en langue bretonne aux archives municipales et communautaires de Brest, j'ai

découvert une affiche de 186999. Elle est adressée par le préfet à l'ensemble des

hommes du Finistère. Rédigée en breton, elle appelle clairement à voter pour le

député sortant. Toutefois, la langue utilisée n'est en rien comparable avec la

96 Y. Le Berre, op. cit. p. 7797 Y. Le Berre, op. cit. p. 7498 Sur le langage et la Révolution Française, voir aussi B. Schlieben-Lange, Idéologie et uniformité de la

langue, Mardage, Sprimat (Belgique), 199699 Élections législatives, archives municipales et communautaires de Brest, cote 1K263. Copie du document

original en annexe

47

traduction de la proclamation abordée précédemment, ce document étant édité bien

plus tard et le contexte étant différent. Le breton utilisé est largement

compréhensible par une population exclusivement bretonnante. Les formes et la

grammaire de la langue bretonne sont respectées, comme dans la phrase « Biscoas

enn hon touez na oe bet gwelloc'h an traoù eget na d'int bremañ100 », littéralement

« Jamais parmi nous il n'avait été mieux les choses qu'elle ne le sont maintenant »,

ou encore dans « ma e fell deoc'h lesel gant ho bugale an eurusted e pehini en em

gavet hirio101 » que l'on traduit littéralement par « s'il veut à vous laisser avec vos

enfant le bonheur dans celui qu'ils se trouvent aujourd'hui ». Nous ne trouvons pas

non plus de termes français « bretonnisés ». Ceci s'explique par le fait que le

message doit frapper électeurs en plein cœur. Il est question ici de la famille et des

enfants du cultivateur, du pêcheur, de l'ouvrier, redevables au Gouvernement de

l'Empereur pour les progrès techniques et l'amélioration des conditions de vie : nous

sommes ici dans le domaine sentimental, le registre de langue est celui de l'émotion,

de l'intuition, de la perception et sert à éveiller la conscience politique – tout au

moins une conscience politique suffisante pour voter pour qui le préfet le souhaite.

La ville de Brest, dans le matériel électoral fourni par la préfecture a reçu,

elle aussi, un lot d'affiches. Ainsi, il existait vraisemblablement à Brest en 1869 une

population capable de lire cette communication. Si, comme l'atteste Yves Le Gallo,

Recouvrance était un quartier quasi exclusivement bretonnant, cette affiche aurait été

largement diffusée rive droite. Il est toutefois impossible de le savoir, faute

d'équivalent des « mairies annexes » contemporaines qui aurait pu permettre de

connaître la diffusion précise à Recouvrance.

Nous ne pouvons donc affirmer que Recouvrance possédait le monopole de

la pratique de la langue bretonne, puisque ces deux documents concernent

l'agglomération brestoise dans son ensemble. Il est aussi, pour l'instant, impossible

de déterminer la proportion de la population capable de lire ce genre de

communication.

100« Jamais la situation n'a été aussi bonne qu'actuellement »101« Si vous voulez transmettre à vos enfants la joie que chacun d'entre eux possède aujourd'hui »

48

La presse

Il existait à Brest au XIXe siècle deux organes de presse principaux. Le

premier, L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels, devenant par la

suite L'Océan, Journal du droit National, a été créé en 1846 (premier numéro le 1er

juin 1846), et édité par la maison d'édition Lefournier. A tendance catholique et

royaliste, il était en concurrence avec L'Armoricain, journal laïque et républicain,

second organe de presse brestois. Nous ne trouvons aucune trace de la langue

bretonne dans ce dernier, ce qui s'explique par son attachement profond aux valeurs

républicaines, notamment dans la notion d'indivisibilité de la société française

véhiculée par le jacobinisme, dans sa définition de doctrine opposée aux politiques

communautaires et popularisée par l'abbé Henri Grégoire, Bertrand Barère ou encore

Jérôme Pétion de Villeneuve. La tendance politique de L'Océan n'excluait pas la

langue bretonne : on y trouve tout d'abord des références ou des traces fragmentaires

du breton puis des écrits en langue bretonne. Dès le troisième numéro, il y est publié

une publicité pour le Dictionnaire Français et Celto-Breton de Troude102, « en vente

à la librairie de Mme veuve J.-B. Lefournier, rue Royale, 86, à Brest.103 ». Une

nouvelle publicité pour la même œuvre apparaît quelques mois plus tard, le mercredi

21 octobre 1846, sur presque une demi-page cette fois, avec une description du

dictionnaire :

« Le but de ce dictionnaire est d'offrir, en un seul volume et à un prix peu

élevé104, un ouvrage qui puisse devenir, pour toutes les personnes s'occupant

de la langue celto-bretonne, un livre très utile.

L'auteur a adopté, comme M. LE GONIDEC, le dialecte de Léon, et s'est

attaché à conserver dans toute sa pureté son ortographe [sic] philosophique. M.

LE GONIDEC, n'ayant pu avant sa mort achever une seconde édition de sa

102Amiral Emile Troude, chef de bataillon, disciple de Le Gonidec.103Archives Nationales de la Défense, L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 3 juin

1846. Copie du document original en annexe.104Volume relié de 600 pages coûtant 8 francs. Toutefois, ce que la publicité appelle un prix peu élevé nous

fait nous intéresser au coût de la vie dans cette première moitié du XIXe siècle. Paul Paillard nous renseigne sur ces conditions (salaire journalier) : « A Nantes, les filatures payent l'homme 3 fr, la femme 2 fr et l'enfant 0 fr 40, tandis que l'ouvrier tisseur n'atteint gère que le franc journalier. Les constructions navales bretonnes accordent environ 2 fr. » (Les salaires et la condition ouvrière à l'aube du Machinisme – 1815-1830, Revue Economique, année 1951, volume 2, n° 6, P. 770, via Persée)

49

grammaire, pria M. TROUDE, son élève, ainsi que toutes les personnes qui

s'occupent de cette langue, de lui communiquer leurs remarques.

Aujourd'hui, que l'espoir de voir paraître cet ouvrage n'existe plus, M.

TROUDE a cru devoir insérer dans son Dictionnaire : 1° un Supplément à la

Grammaire de M. LE GONIDEC ; 2° un Tableau des Celticismes que n'a pas

rapportés cet auteur ; 3° une Notice sur la prononciation ; 4° une Liste des

noms de pays et de villes, avec leur signification ; 5° un Tableau de quelques

mots communs au Celto-Breton et à d'autres langues, 6° enfin, un Tableau

des mots Celto-Bretons qui ont été francisés en Bretagne et dans quelques

provinces.105 »

Aussi, nous trouvons dans le numéro du 1er décembre 1847 une liste

d'ouvrages, en vente à la librairie de la veuve Lefournier à Brest, dont la thématique

est la Bretagne ou la langue bretonne :

« VOYAGE DANS LE FINISTERE, par Cambry, nouvelle édition

accompagnée de notes historiques, archéologiques, physiques, et de la Flore

et de la Faune du département, par le chevalier de Freminville, un volume in-

8, broché, de 31 feuilles, grande justification, Brest, 1836.

DICTIONNAIRE FRANCAIS ET CELTO-BRETON, par M. Troude, un vol.

in-8.

COLLOQUE FRANCAIS ET BRETON, in-12, broché.

DICTIONNAIRE CELTO-BRETON ou Breton et Français , par Le Gonidec,

in-8, br.

ELEMENTS SUCCINTS de la langue des Celtes-Gomériens ou Breton, par

Le Brigant, broché (rare).

GRAMMAIRE FRANCAISE-CELTIQUE ou Française-Bretonne, par P. F.

Grégoire de Rostrenen, in-12, broché.

RUDIMENT du FINISTERE, composé en Français et mis en Breton, par T.

Le Jeune, in-8, broché. »

105Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 21 octobre 1846. Copie du document original en annexe.

50

Comme nous pouvons le voir, la librairie brestoise de la rue Royale proposait

une offre diversifiée de titres traitant de la langue bretonne, voire même d'ouvrages

rédigés en breton. Si cette librairie proposait ces titres, c'est qu'il existait à Brest une

population suffisamment instruite pour les lire. Nous pouvons supposer que le

lectorat potentiel de ces ouvrages est constitué des membres des sociétés savantes de

Brest, dont nous aurons l'occasion de parler plus en détail. Ces sociétés éditaient des

bulletins où l'on pouvait trouver des écrits en langue bretonne (poèmes, nouvelles,

etc.). Les ouvrages scientifiques concernant la langue bretonne étaient, sans nul

doute, un outil indispensable aux auteurs de ces écrits, bretonnants ou non-

bretonnants. Toutefois, cela reste pour l'instant de la publicité et il n'existe toujours

pas de communication en langue bretonne dans L'Océan. Le journal va franchir le

cap le 9 août 1858106 avec un article en langue bretonne intitulé Da Impalaer ha da

Impalaerez Bro-C'hall qui en fera la Une. Celui-ci, rédigé par Gabriel Milin, est une

ode à la gloire de l'Empire et se termine en ces termes :

« Bevet ar Vamm dener !

Bevet he Map karet !

Bevet ann Impalaer !

Ho zri euruz, bevet !107 »

Le 13 août 1860, il publie dans son feuilleton un cantique de Gabriel Milin,

rédigé en langue bretonne et traduit en français, intitulé Itroun Varia Rumengol,

Rouanez Breiz-Izel108. Le 7 novembre de cette même année est publié un chant d'un

auteur anonyme (il est signé ur breizad – « un breton ») intitulé Arme ar pap Pius

Naved109. Le 2 janvier 1861, le lecteur peut prendre connaissance du cantique

Daelou ann Tad-Santel110, rédigé en breton par le barde de Saint-Guenolé. Nous

106A l'Empereur et l'Impératrice des Français, Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 9 août 1858. Copie du document original en annexe.

107« Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive leur fils aimé ! Qu'ils soient tous trois heureux ! » est la traduction faite par G. Milin lui-même. Ici, la traduction littérale se rapprocherai plutôt de « Vive la tendre Mère ! Vive son fils aimé ! Vive l'Empereur ! Qu'ils vivent tous trois heureux ! »

108Notre Dame de Rumengol, Reine de Basse-Bretagne, Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 13 août 1860. Copie du document original en annexe.

109L'armée du Pape Pie IX, Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 7 novembre 1860. Copie du document original en annexe.

110Les larmes du Saint Père, Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 2 janvier 1860. Copie du document original en annexe.

51

voyons bien ici la tendance catholique de la ligne éditoriale de L'Océan. Si ce

journal publiait des textes en breton, c'est qu'il existait une population pour les lire.

De plus, ces cantiques en langue bretonne nous donnent des indices sur l'emploi

éventuel de cette langue lors des messes brestoises.

A partir du 22 juillet 1859 seront régulièrement publiées des fables de la

Fontaine traduites en breton par Gabriel Milin. Elles apparaîtront le 25 février, le 11

mars, le 18 mars, le 8 avril et le 20 avril de cette même année. La fable du 25 février

est agrémentée d'un commentaire de l'éditeur, expliquant que « Notre ami et

collaborateur M. Milin, qui s'est exercé avec succès dans un genre de poésies à la

fois nationales et bretonnes, a eu l'excellente idée de traduire en vers bretons

quelques-unes des fables de La Fontaine. Les partisans et les amateurs de la langue

bretonne nous sauront gré de leur communiquer ces nouveaux essais de la muse de

notre jeune barde Armoricain, sur lesquels nous appelons d'une manière spéciale leur

attention et qui à tous égards méritent leurs encouragements [...]111 » Tout ceci tend à

prouver qu'il existait un lectorat bretonnant à Brest au XIXe siècle.

L'édition

Je me suis intéressé à la production d'ouvrages à Brest au XIXe siècle (de

1789 à 1914). La bibliothèque d'études de Brest possède un fonds breton

particulièrement conséquent et le personnel de cet établissement m'a permis d'établir

une liste de l'ensemble des titres de leur collection que j'ai pu classer par éditeurs,

langage utilisé, thèmes abordés et périodes. Nous allons voir que l'édition brestoise

du XIXe siècle n'était pas avare de production de titres en langue bretonne. Les 324

titres se répartissent comme suit :

111 Ibid. L'Océan, Journal des intérêts maritimes et constitutionnels du 25 février 1859. Copie du document original en annexe.

52

Classement par éditeurs et par langage utilisé

53

EditeurLangue bretonne Langue française Production totaleNbre % Nbre % Nbre %

Alleguen 0 0,00 1 0,43 1 0,31Anner 0 0,00 15 6,38 15 4,63Audran 1 1,12 1 0,43 2 0,62Binard 0 0,00 1 0,43 1 0,31Bourgeon 0 0,00 1 0,43 1 0,31Bretagne Mondaine 0 0,00 1 0,43 1 0,31Camarec 0 0,00 1 0,43 1 0,31Château 0 0,00 2 0,85 2 0,62Come 0 0,00 4 1,70 4 1,23Courrier de Brest 0 0,00 1 0,43 1 0,31Courrier du Finistère 3 3,37 0 0,00 3 0,93Crouan 0 0,00 1 0,43 1 0,31Derrien 9 10,11 2 0,85 11 3,40Dumont 2 2,25 9 3,83 11 3,40Echo des Plages Bretonnes 0 0,00 1 0,43 1 0,31Echo paroissial de Brest 0 0,00 1 0,43 1 0,31Evain-Roger 0 0,00 2 0,85 2 0,62Fleury 0 0,00 2 0,85 2 0,62Gadreau 1 1,12 9 3,83 10 3,09Gauchier 1 1,12 0 0,00 1 0,31Gigaud 0 0,00 1 0,43 1 0,31Griesheim 0 0,00 1 0,43 1 0,31Guillaume 0 0,00 1 0,43 1 0,31Halegouet 1 1,12 8 3,40 9 2,78Impériale de la Marine 0 0,00 1 0,43 1 0,31Imprimerie moderne 0 0,00 1 0,43 1 0,31Intanvez Tourmen 2 2,25 0 0,00 2 0,62Journal le Finistère 0 0,00 1 0,43 1 0,31Kaigre 2 2,25 4 1,70 6 1,85L'océan 0 0,00 8 3,40 8 2,47La Dépêche 0 0,00 13 5,53 13 4,01Le blois 0 0,00 2 0,85 2 0,62Le Borgne 0 0,00 2 0,85 2 0,62Le Pontois 0 0,00 1 0,43 1 0,31Ledan 0 0,00 1 0,43 1 0,31Lefournier 34 38,20 41 17,45 75 23,15Levot 0 0,00 3 1,28 3 0,93Malassis 3 3,37 41 17,45 44 13,58Michel 1 1,12 6 2,55 7 2,16Moulerez ar c'hazetennou katolik 2 2,25 0 0,00 2 0,62Moulerez ar c'hourrier 4 4,49 0 0,00 4 1,23Moulerez ar skridou katolik 1 1,12 0 0,00 1 0,31Moulerez ru ar c'hastell 14 15,73 0 0,00 14 4,32Observatoire du port de Brest 0 0,00 1 0,43 1 0,31Pellé 0 0,00 1 0,43 1 0,31Piriou 1 1,12 0 0,00 1 0,31Presse catholique 0 0,00 1 0,43 1 0,31Presse libérale du finistère 3 3,37 1 0,43 4 1,23Proux 0 0,00 5 2,13 5 1,54Revue Bretonne et maritime 0 0,00 1 0,43 1 0,31Robert 0 0,00 2 0,85 2 0,62Roger 0 0,00 6 2,55 6 1,85Royale de la Marine 0 0,00 1 0,43 1 0,31Rozais 0 0,00 1 0,43 1 0,31Rue du château 2 2,25 2 0,85 4 1,23Sté Académique de Brest 0 0,00 4 1,70 4 1,23Sté Anonyme d'Imprimerie 0 0,00 12 5,11 12 3,70Sté de la presse catholique 0 0,00 1 0,43 1 0,31Tremel 2 2,25 0 0,00 2 0,62Union républicaine du Finistère 0 0,00 1 0,43 1 0,31Uzel 0 0,00 3 1,28 3 0,93Ville de Brest 0 0,00 1 0,43 1 0,31

Classement par thème

Classement par périodes politiques

J'ai pu mettre en évidence ici que le pourcentage d'ouvrages édités en langue

bretonne par rapport à l'édition d'expression française à Brest est de 27,47 % pour la

période et que les ouvrages religieux et scientifiques sont les plus représentés, ce

qui parait logique pour ces premiers112. Les ouvrages scientifiques, quant à eux,

concernent essentiellement la linguistique et sont destinés à l'usage ou la

compréhension sémantique du breton. Ils sont destinés à un public lettré et ne

contiennent pas que du breton et nous avons vu précédemment à quel public ces

ouvrages pouvaient être adressés. Pour la même période, ce sont les ouvrages

112 Pour la même période, ce sont les ouvrages scientifiques, historiques et institutionnels (lois, décrets, etc.) qui sont le plus édités en langue française.

54

PériodeNombre de titres Moyenne annuelle Thèmes principauxBreton Français Breton Français Breton Français

Monarchie Constitutionnelle 0 7 0,00 2,34 Sciences, InstitutionsPremière République 4 6 0,40 0,60 Sciences, Institutions Sciences, Institutions, ReligionPremier Empire 0 4 0,00 0,45 Sciences, Institutions, Périodiques

Restauration 4 15 0,26 1,00 Biographie, Religion

Monarchie de Juillet 4 24 0,23 1,41 Religion, Poésie

Seconde République 1 4 0,34 1,34 Institutions Sciences, Histoire, Biographie

Second Empire 16 39 0,73 1,77

Troisième République 59 123 1,51 3,16 Religion, Institutions

Sciences, Institutions, Périodiques, Histoire, VoyagesSciences, Institutions, Périodiques, Histoire, Voyages

Religion, Histoire, Satire, Institutions, Fictions

Sciences, Histoire, Religion, Biographies, Institutions, Cartographie, FictionsSciences, Histoire, Religion, Biographies, Institutions, Cartographie, Fictions

Production totalelangue bretonne Langue françaiseNbre % Nbre %

324 89 27,47 235 72,53

Thèmeslangue bretonne Langue françaiseNbre % Nbre %

Biographies 2 2,25 18 7,67Fictions 3 3,37 9 3,83Histoire 5 5,61 46 19,58Périodiques 4 4,50 9 3,83Théâtre 5 5,61 2 0,86Religion 59 66,29 8 3,40Sciences 9 10,12 59 25,10Tradition orale 2 2,25 3 1,27Arts 1 0,42Cartographies 3 1,27Correspondances 1 0,42Institution 45 19,15Marine 2 0,86Poésie 6 2,55Récit 1 0,42Satire 2 0,86Voyages 20 8,51Total 89 100 235 100

scientifiques, historiques et institutionnels (lois, décrets, etc.) qui sont le plus édités

en langue française.

Nous voyons aussi que l'éditeur Lefournier est le plus prolifique sur

l'ensemble de la période, que se soit pour les ouvrages édités en langues bretonne

ou française. Cela s'explique par le fait que c'était une affaire familiale qui se

transmettait de père en fils et qui a perduré tout au long du XIXe siècle. On trouve

ensuite les édition Moulerez ru ar c'hastell, qui a produit 17,98 % de l'édition en

langue bretonne, connue aussi sous le nom d'Edition de la Rue du Château (0,85%

de l'édition d'expression française). Enfin, les éditions Derrien avec 10,11 % de la

production en breton.

La période la plus prolifique pour l'édition brestoise, toute langue

confondue, est la Troisième République, avec une moyenne de 4,67 titres par an.

Vient ensuite, pour le breton, le Second Empire (0,73 titre en moyenne). Pour le

français, la période révolutionnaire, avec une moyenne annuelle de 2,34 titres,

représente une grande part de la production. Ceci s'explique par le fait que les textes

de lois et décrets que l'Assemblée Nationale faisait paraître étaient édités de façon

systématique.

2.2 L'éducation laïque et religieuse

Les préconisations de l'inspecteur de circonscription

Après m'être intéressé à la langue bretonne dans l'affichage administratif,

dans la presse et dans l'édition, j'ai orienté mes recherches sur l'instruction. Là

encore, je n'ai pas trouvé beaucoup de traces écrites concernant l'utilisation de la

langue bretonne à Brest, toutefois, un document a tout particulièrement retenu mon

attention. En 1864, Victor Duruy, ministre de l'Instruction Publique sous le Second

Empire, commanda un rapport aux différents inspecteurs de circonscription, celui-

ci avait pour but de mettre en évidence les niveaux de langue écrite et parlée des

élèves de 7 à 13 ans. Dans ce rapport apparaissent les particularités locales

55

concernant la connaissance de la langue française ou du « patois »113. Voici les

conclusions du travail mené par l'inspecteur de la circonscription de Brest114 :

« Inspection de l'instruction primaire n°847, Objet : Langue Bretonne,

Rapport à l'Inspecteur d'Académies à Quimper

Monsieur l'Inspecteur,

La circonscription de Brest comprend l'arrondissement du même nom, plus

deux cantons pris dans celui de Châteaulin, soit en tout 95 communes. Dans

94 de ces communes, on peut dire que la langue bretonne est la langue

usuelle ; nos petites villes même comptent encore plusieurs enfants qui ne

comprennent et ne parlent que le breton et la ville de Brest est la seule qui

fasse exception à cet égard.

Le travail que j'ai l'honneur de vous adresser en même temps que ce rapport

comprend, ainsi que le demande S. E, la liste des 94 communes

bretonnantes. J'ai placé en regard de chacune d'elle le nombre des garçons et

celui des filles qui sont réellement en âge de fréquenter les écoles, c'est-à-

dire qui sont âgés de 7 à 13 ans ; et j'ai divisé ces enfants en 3 catégories :

1. ceux qui ne savent ni parler ni écrire le français,

2. ceux qui, sachant parler le français, ne savent pas encore l'écrire,

3. ceux qui parlent le français et l'écrivent à peu près convenablement.

Le nombre total des enfants de 7 à 13 ans s'élève, dans les communes

bretonnantes, à 17774 ; il comprend 8910 garçons et 8864 filles.

Ces chiffres se composent de la manière suivante115 :

113 F. Broudic, La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours, PUR, 1995, p. 49114 Rapport de l'inspecteur de circonscription de Brest, archives départementales du Finistère, cote 1T202-1115 Les chiffres – faux – ont été retranscrits tels quels

56

Garçons Filles Total

Ne sachant ni parler ni écrire le

français

3625 4409 8028

Parlant le français mais ne

l'écrivant pas

2779 2525 4304

Parlant et écrivant le français 2506 1936 4442

Totaux 8910 8864 17774

C'est à dire que sur 100 enfants sans distinction de sexe, 47 ne parlent ni

n'écrivent le français, 28 le parlent mais ne savent pas l'écrire, 25 savent le

parler et l'écrire d'une manière à peu près convenable.

Ces résultats proviennent de la combinaison des chiffres obtenus pour la

circonscription toute entière ; mais il convient de remarquer, et l'état annexé

au présent rapport116 en renferme la preuve,

1. que la proportion des enfants qui parlent français est de beaucoup plus

satisfaisante dans l'arrondissement de Brest que dans les 2 cantons de

Châteaulin réunis à cet arrondissement,

2. que le nombre de garçons de cette catégorie l'emporte aussi sur celui des

filles.

La première de ces différences est produite par deux ou trois petites villes,

où le français est plus généralement en usage que dans les campagnes ; elle

provient aussi de ce que dans les communes voisines de Brest, les habitants

sont en contact journalier avec ceux de la ville, soit pour la vente des

denrées, soit pour leurs autres affaires ; or nous avons vu plus haut que dans

la ville de Brest, les personnes qui parlent breton même d'une manière très

imparfaite, ne forment qu'une exception à peu près insignifiante. Il faut

ajouter que dans l'arrondissement de Brest, les écoles sont plus fréquentées

que dans les communes annexées de Châteaulin.

116 Malgré mes recherches, je n'ai pu trouver l'état en question

57

La deuxième différence s'explique par le petit nombre classes de filles

ouvertes jusqu'à ce jour dans les communes rurales. Les résultats seraient

tout autre si les personnes du foyer trouvaient à leur portée les mêmes

moyens d'institution que les garçons ; car il est à remarquer que celles-ci

apprennent et surtout parlent le français avec beaucoup plus de facilité que

les hommes.

Pour les enfants de 7 à 13 ans qui savent s'exprimer en français dans nos

communes rurales fréquentent une école soit publique soit libre ; mais il ne

faut pas croire que les 8028 enfants désignés comme ne sachant que le

breton demeurent pour cela privés d'instruction. Une moitié environ (3778

{garçons 1785, filles 1993) suivent les écoles, mais n'y sont encore que

depuis trop peu de temps pour avoir pu apprendre le français. Ne perdons

pas de vue, en effet, que dans nos campagnes, lorsque les élèves se

présentent pour la première fois en classe, non seulement ils ne savent

s'exprimer qu'en breton mais ils ne comprennent pas les mots les plus usuels

de la langue française.

C'est là, monsieur l'inspecteur, une difficulté bien grande pour nos

instituteurs, aussi cherchons nous depuis longtemps un remède à ce

déplorable état de choses ; malheureusement nous devons reconnaître que si

les moyens employés jusqu'à ce jour ont améliorés la situation, ils sont

insignifiants pour déraciner le mal.

En effet, nous ne pouvons interdire de manière absolue l'usage du breton,

même dans nos écoles publiques. Deux raisons s'y opposent : d'abord il faut

bien que le maître emploie cet idiome pour se faire comprendre des

commençants qui, ainsi que nous l'avons déjà dit, lui arrivent ne sachant pas

un seul mot de français ; en second lieu, le maître doit à ses élèves

l'enseignement religieux, il est donc forcé de leur faire le catéchisme et

chacun sait que dans toutes nos paroisses rurales, voire même dans nos

petites villes, non seulement le catéchisme, mais toutes les instructions, les

58

prônes, les sermons, se font en langage breton. Le jour où l'on voudrait

imposer dans les classes l'étude exclusive du catéchisme français, on verrait

s'élever une opposition qui le rendrait complètement déserté ; car à tort ou à

raison, la plupart des membres du clergé pensent qu'avec la langue bretonne,

on verrait disparaître la foi et les habitudes religieuses de nos cultivateurs. Il

n'est donc pas surprenant qu'ils fassent tous leur efforts pour s'opposer à ce

qu'ils appellent l'invasion du français117.

Nous avons dû, Monsieur l'Inspecteur, accepter la situation telle qu'elle nous

était faite, et ne pouvant exclure le breton de nos écoles, nous avons du

moins cherché à en tirer le meilleur parti possible. C'est dans ce but que

nous avons introduit dans les classes des exercices de traduction orale et

écrite. Déjà nous possédons à cet effet quelques ouvrages élémentaires

bretons désignés spécialement pour les écoliers et renfermant des exercices

de vocabulaire pour les commençants, et des sujets de version pour les

élèves plus avancés. Cette méthode que nous expérimentons depuis

quelques années a déjà produit de bons résultats et nous en promet de

meilleurs pour l'avenir.

Il est bien entendu que dans la classe, aussi bien en pensant les récréations,

il est interdit aux enfants de converser en breton ; mais si le maître peut bien

les forcer à s'exprimer en français pendant qu'ils sont sous ses yeux, il ne

peut les empêcher de perdre la plus grande partie du fruit de leurs leçons

lorsqu'ils rentrent à la maison maternelle où ils n'entendent plus parler que

le breton, et où ils ne seraient même pas compris s'ils se servaient d'une

autre langue. Pour parer à cet inconvénient, il serait bien désirable

d'augmenter autant que possible le nombre des pensionnats primaires.

L'expérience nous a plus d'une fois démontré que les élèves réunis en

internat s'expriment plus facilement en français au bout de six mois que ne

le font souvent les élèves externes au bout de deux années d'école.

117 Souligné dans le texte original

59

Il serait aussi souhaitable que chaque commune ait son école de filles.

Lorsque les mères de famille sauront le français, ellet le parleront à leurs

enfants et contribueront peu à peu à déraciner l'habitude du langage breton.

En résumé, Monsieur l'Inspecteur, je suis persuadé que l'idiome breton ne

fera définitivement place à la langue française que lorsque celle-ci sera

devenue dans notre pays la langue des transactions commerciales, ce qui ne

peut manquer d'arriver lorsque les voies ferrées, actuellement en cours de

construction, auront mis nos population en contact avec le reste de la

France, dont elles sont aujourd'hui pour ainsi dire isolées.

Déjà la loi sur le recrutement de l'armée appelle chaque année sous les

drapeaux un certain nombre de jeunes gens qui tous reviennent dans leurs

communes avec une certaine connaissance du français ; déjà, comme nous

l'avons dit au commencement de ce rapport, ils est bien peu d'enfants qui ne

sachent au moins parler cette langue dans les communes voisines de Brest ;

déjà sur les côtes de l'Océan et de la Manche, les rapports continuent avec

les équipages des marins en relâche, les relations commerciales que l'on

entretient avec eux, ont produit leurs fruits, et il est aujourd'hui peu de

famille sur le littoral dans lesquelles le français ne soit pas la langue

habituelle.

Espérons, Monsieur l'Inspecteur, qu'il en sera bientôt de même pour les

localités situées dans l'intérieur des terres, et que les écoles aidant, cette

transformation du langage s'effectuera sans que les craintes exprimées par

certains membres du clergé se trouvent justifiées. Lorsque l'instruction

religieuse pourra sans inconvénient se donner en français dans l'église aussi

bien que dans l'école, le breton finira par disparaître complètement.

Jusque là, Monsieur l'Inspecteur, nous ne pouvons employer pour combattre

le mal que les moyens indiqués plus haut, c'est-à-dire les exercices de

traductions pour l'école, la défense aux élèves de converser en breton, la

création de pensionnats primaires partout ou faire se pourra, et surtout

l'obligation pour chaque commune d'entretenir une école de filles.

60

Agréez, Monsieur l'Inspecteur, l'assurance de mes sentiments respectueux.

L’Inspecteur »

Les conclusions de ce rapport nous renseignent sur le nombre d'enfants

bretonnants de la circonscription de Brest, qui comprend 95 communes. Et

l'Inspecteur a établi un détail pour chaque commune dont je n’ai malheureusement,

pas trouver le détail aux différents services des archives. Dans les 94 communes de

la circonscription, la majorité des enfants sont bretonnants118 et seule la commune

de Brest fait exception à cette règle. Mais si la majorité des petits Brestois parlent

le français, cela laisse supposer qu'une minorité parle breton. Il y est aussi indiqué

que les communes avoisinant l'agglomération brestoise connaissent un recul de la

langue bretonne, au profit du français, suite aux échanges commerciaux avec la

cité. Nous pouvons donc supposer que la ville de Brest baignait dans un

environnement majoritairement francophone. Plus largement, ce rapport met en

évidence le point de vue de l'Inspecteur concernant la langue bretonne et quelle

serait la démarche à suivre pour l'extinction du breton dans les campagnes,

notamment l'importance de la transmission de la langue par la mère. Il dresse ici

une analyse sociolinguistique avant l'heure.

Instruction religieuse et messes en breton

Les archives municipales et communautaires de Brest m'ont fourni un autre

document pertinent. Il s'agit d'une communication de l'évêque de Quimper et du

Léon119, Mgr Anselme, adressée à l'ensemble de la communauté religieuse de

l'évêché le 4 mai 1882, concernant l'éducation. Voici un extrait intéressant de cette

lettre :

« […] Notre diocèse, comme vous le savez, présente pour l'instruction

chrétienne deux difficultés spéciales. Il y a, en premier lieu, les paroisses

dans lesquelles, parmi les enfants qui se préparent à la première

communion, les uns ne connaissent que la langue française tandis que les

118 Même si les chiffres énoncés sont faux, nous pouvons prendre ceci comme une affirmation.119 Lettre de l'évêque, cote 4S199, archives municipales et communautaires de Brest, copie en annexe

61

autres ne connaissent que la langue bretonne.

En second lieu, s'il n'y a plus qu'un catéchisme français, il y a encore quatre

catéchisme bretons, et par suite des migrations plus fréquentes des familles,

la lettre du catéchisme apprise dans la première enfance n'est pas la même

que celle qui est expliquée avant la première communion.

Pour remédier au premier inconvénient, il sera nécessaire, dans plusieurs

paroisses, d'avoir un catéchisme français et un catéchisme breton. [...]

Quant à la seconde difficulté, nous laissons à votre appréciation la solution

qui devra lui être donnée. La traduction bretonne du catéchisme français

sera incessamment publiée. Mais si vous pensez que, pour faciliter

l'instruction chrétienne dans les villages, l'ancien catéchisme doit être

conservé pendant quelque temps, nous vous en donnons l'autorisation [...] »

Cet extrait, présent dans l'introduction de la lettre, dresse un constat : il y a,

dans le diocèse, des enfants qui ne connaissent que l'une ou l'autre langue. Il faut

donc, pour une meilleure compréhension et devant l'école publique gagnant du

terrain depuis la loi Ferry datée du 28 mars de la même année et imposant un

enseignement laïque, proposer un enseignement du catéchisme en breton pour

pouvoir toucher le plus de monde possible. Ainsi, l'évêque ordonne ce qui suit

(extrait) :

« Article 3. Dans toutes les paroisses où cela sera utile, il y aura un

catéchisme français et un catéchisme breton [...] »

Ainsi, par décret de l'évêque de Quimper et du Léon, l'enseignement du

catéchisme se fera en breton dans l’évêché à partir de mai 1882, dans toutes les

paroisses où cela sera nécessaire. Malgré mes nombreuses recherches, je n'ai pu

trouver trace d'un tel enseignement à Brest après 1882.

Toutefois, Mgr Anselme n'était pas le premier à comprendre l'intérêt de

l'enseignement religieux en langue bretonne pour la propagation de la foi

chrétienne. En effet, un de ses prédécesseurs, en 1832, précise que l'aumônier du

62

vaisseau-école va être chargé « de l'instruction des mousses de la Cayenne120, parmi

lesquels se trouvent plusieurs petits Bretons à qui son ministère deviendra inutile

faute de connaître la langue du pays.121 » Il pose alors le principe que « la

connaissance du dialecte bas-breton est indispensable pour donner utilement les

soins religieux soit aux marins de l'Orion même, soit aux enfants appartenant aux

équipages de ligne. » Cette lettre est une réponse à l'aumônier léonard qui,

connaissant bien le breton, demandait à passer sur le vaisseau-école en permutation

de son collègue qui ne le connaissait pas.

Peu de documents nous renseignent, en dehors de la lettre de l'évêque dont

je viens de faire allusion, sur le langage utilisé pour l'enseignement du catéchisme à

Brest. Toutefois, certains nous relatent le souhait de messes en breton formulé par

des paroissiens brestois. Dans une lettre adressée à l'évêque le 11 juillet 1826, le

curé de Saint-Sauveur, L. Inizan, se demande comment organiser le jubilé (les mots

« français » et « bretons » sont à prendre ici au sens linguistique du terme) :

« La population de ma paroisse se compose, peut-être dans une proportion

égale, de breton et de français, il est essentiel que le jubilé y soit donné dans

les deux langues, ce qui ne pourrait avoir lieu en même temps puisque nous

n'avons qu'une église. Je devrais commencer par le jubilé Breton. Plusieurs

personnes de Brest ainsi que les habitants de Saint-Pierre Quilbignon, qui

avoisinent la ville, demandaient à y être admis. Les bretons, étant

généralement plus facile à toucher, je pensais que leur bon exemple

produirait un bon effet et donnerait de l'élan au reste de la population.122 »

Nous voyons ici que la population de la paroisse de Saint-Sauveur, c'est à

dire Recouvrance et la campagne environnante jusqu'à Saint-Pierre Quilbignon, est

composée d'au moins une moitié de bretonnants, toutefois, la proportion de

locuteurs bretonnants à Recouvrance (hors campagne) ne peut être déduite à partir

120 A l'origine, la Cayenne était un vaisseau désaffecté aménagé en caserne flottante pour les marins. Ce terme s'appliqua à la caserne construite à terre. La Cayenne était donc, à Brest, la caserne des marins, devenue par la suite le deuxième dépôt des Équipages de la Flotte.

121 Archives de l’Évêché de Quimper et du Léon, lettre du 8 mars 1832 de l'aumônier à l’Évêque.122 Correspondance Saint-Sauveur, document 72, archives de l'évêché de Quimper et du Léon, copie en

annexe.

63

de ce document. De plus, plusieurs personnes de Brest demandaient à être admises

au jubilé en breton : s'agit-il ici uniquement des personnes de la rive droite ? Nous

pouvons supposer que le curé Inizan parle ici de certaines personnes de Brest, rive

gauche, le terme de « Brest » étant très souvent utilisé pour désigner ce côté de la

Penfeld. D'ailleurs, à « Brest-même », des sermons sont formulés en breton à

l'église des Carmes en 1842123.

La langue bretonne était donc bien présente dans la vie publique brestoise

au XIXe siècle. L'administration, la presse, l'édition, l'instruction et l’Église

ressentaient le besoin de communiquer en breton à Brest. Le choix de ce langage

pour communiquer tend à prouver qu'il existait une population bretonnante à Brest

et qu'une part de cette population était suffisamment instruite pour pouvoir lire –

voire même rédiger – ces annonces. De plus, le souhait de messes en breton

formulé par des paroissiens brestois ainsi que l'enseignement catholique nous

indiquent que cette population était demandeuse – voire même nécessiteuse – de

langue bretonne.

123 Archives de l’Évêché de Quimper et du Léon, lettre du 28 juillet 1842 du curé Mercier à l'évêque, Y. Le Gallo, op. cit. p. 44.

64

3. Le visage des bretonnants brestois

« Oh Jean, tu vas pas mettre ce titre là [Fils de ploucs],

quand-même ! », me disent mes semblables restés au

pays. Je les comprends, ils ne veulent pas qu'on

ressuscite l'injure. Mais elle est nécessaire à mon

témoignage : c'était notre douloureuse étiquette. »

J. Rohou124

Nous l'avons vu, il existait une population bretonnante à Brest au XIXe siècle,

comme l'atteste les différents documents abordés précédemment. Il paraît de moins en

moins envisageable de voir Brest comme une colonie française, tout du moins du point de

vue linguistique mais il reste à déterminer quelle population parlait breton. S'il est

difficilement possible de dégager des généralités, une étude au cas par cas peut nous

montrer le visage de certains bretonnants brestois. Nous allons tout d'abord, dans cette

troisième et dernière partie nous intéresser à la diversité sociale de la ville de Brest au

XIXe siècle en analysant le recensement de la population de 1851, en nous intéressant à la

bourgeoisie et la domesticité et en abordant les répercutions de la métamorphose que Brest

a connut dans la seconde moitié du siècle. Dans un second temps, nous mettrons en

évidence la diversité linguistique en abordant le parcours et les travaux de membres des

sociétés savantes de Brest et en analysant l'idiome de l'arsenal.

3.1 Une diversité sociale...

Le recensement de 1851

Souhaitant savoir quelle était l'évolution démographique de la ville de Brest,

j'ai effectué, à partir des chiffres du recensement de la population qui étaient à ma

disposition, un tableau récapitulatif (sondage entre 1806 et 1866). Certains chiffres

sont erronés et je les ai retranscrits volontairement tels qu'ils étaient car ils ne

représentent pas de différences significatives. Le dénombrement de la population se

124 J. Rohou, Fils de ploucs, éditions Ouest-France, Rennes, 2005, p.12

65

traduit par le nombre de femmes et d'hommes mariés, le nombre de garçons et de

filles (dont les non mariés), quelquefois par tranche d'âge, le nombre de veufs et

veuves, le nombre de marins ou militaires absents et la population flottante125. Les

recensements ne fournissent pas l'ensemble de ces détails à chaque fois. Celui de

1860, par exemple, ne possède pas de données concernant le nombre de garçons ou

filles. Nous constatons que la population de Brest est en constante augmentation

tout au long du XIXe siècle (le calcul du total est retranscrit

tel quel) :

125Population non comprise dans la population municipale (marins, forçats, militaires)

66

Quartiers Date Garçons Filles Veufs Veuves Totaux

1 à 6 ans 7 à 14 ans + 15 ans Total 1 à 7 ans 8 à 14 ans + 15 ans TotalBrest 1806 2854 2865 3766 4093 244 883 67 14710Recouvrance 1426 1432 1884 2046 122 443 20 7353Total 4280 4298 5650 6139 336 1330 47 22063

Brest 1820 3189 3329 2879 4979 285 1230 1946 16883Recouvrance 1914 1985 2821 2721 160 717 772 10318Total 5097 5312 6700 7700 445 1947 2746 27201

Brest 1830 3608 3600 4178 5139 299 1255 1842 17579Recouvrance 2124 2155 3037 2826 216 814 797 11172Total 5792 5755 7215 7965 515 2069 2639 28751

Brest 1838 3964 4104 1850 1782 2079 5711 2028 1612 3995 7635 339 1552 444 377 24100Recouvrance 1899 1922 905 899 907 2711 1056 723 1206 2985 225 700 323 271 10970Total 5869 6026 2795 2615 2980 8390 3084 2335 5201 10620 564 2252 767 648 35070

Brest 1845 4490 4581 6155 8398 350 1693 987 592 27136Recouvrance 2286 2310 2782 3167 200 772 574 454 12545Total 6716 1891 8937 11565 550 2465 1561 1046 39731

Total 1851 5745 7220 9097 10980 557 2556 25001 61156

Brest 1860 5477 9320 430 1880 1245 591 31953Recouvrance 2703 3462 212 863 695 366 14013Total 8180 12782 642 2743 1940 957 45966

Brest 1866 7503 7397 13701 12358 696 2449 32454Recouvrance 2899 2873 5190 4287 272 915 16442

Hommes mariés

Femmes mariées

Marins ou militaires absents

Population flottante

1806 1820 1830 1838 1845 1851 1860 18660

10000

20000

30000

40000

50000

60000

70000

Evolution de la population brestoise

entre 1806 et 1866 (dont population flottante)

Le chiffre élevé apparaissant en 1851 est dû à une augmentation

significative de la population flottante. Toutefois, ces chiffres ne nous donnent pas

d'indication sur la répartition des individus au sein de la société brestoise. C'est

pourquoi j'ai décidé d'analyser le recensement le plus complet, celui de 1851. Il

donne des chiffres très précis sur les corps de métiers représentés mais ne possède

pas de données par tranche d'âges. En voici le détail et la répartition (hors

population flottante) :

Les chiffres du recensement de 1851126

T1

T2

126 Archives municipales et communautaires de Brest, cote 1F7, copie du document original en annexe

67

InfirmitésAveugles 42Borgnes 16Sourds muets 43Aliénés 30Atteints du goître 2Déviation colonne 20Perte d'un bras 17Perte d'une jambe 19Pieds bots 4Autre 94Total 287NationalitésFrançais 36124Naturalisés 4Anglais 8Allemands 2Belges 2Italiens 5Suisses 7Espagnols 1Polonais 1Autre 1Total 36155

Genre %Garçons 9097 59,08Hommes mariés 5745 37,31Veufs 557 3,62Total garçons 15399 42,59Filles 10980 52,90Femmes mariées 7220 34,79Veuves 2556 12,31Total filles 20756 57,41Total 36155 100,00Religion %Catholiques romains 36048 99,70Calvinistes 44 0,12Luthériens 3 0,01Israélites 60 0,17Total 36155 100,00

T3

Tout d'abord, une petite précision sur le calcul des chiffres : il y a eu une

erreur dans la répartition hommes/femmes. En effet, il apparaît dans le premier

tableau qu'il y a 15 399 hommes pour 20 756 femmes, or, lorsqu'on calcule le

rapport de genres en fonction des métiers, il s'avère qu'il y a en réalité 13 728

hommes pour 22 427 femmes, soit 1 671 individus qui ont été comptabilisés parmi

le sexe masculin alors qu'ils devaient être comptabilisés parmi le sexe féminin. Si

cela n'a aucune incidence sur le chiffre total (36 155 habitants à Brest en 1851), il

peut y en avoir une sur l'analyse. Voici la nouvelle répartition, calculée à partir de

ce que l'on peut déduire des éléments du tableau ci-dessus :

13 728 hommes dont :

4674 à la charge de leurs parents

8 854 exerçant une activité professionnelle

200 sans profession (détenus, infirmes, etc.)

22 427 femmes dont :

7 220 mariées vivant du revenu de leurs maris

10 980 à la charge de leurs parents

3 539 exerçant une activité professionnelle

68

Hommes % Femmes % Total %AgricultureJournaliers 18 0,05Petite industrie ou marchands Maîtres OAAC*Industrie du bâtiment 339 934 3,52 10 0,03 1283 3,55Industrie de l'habillement 323 564 2,45 1142 3,16 2029 5,61Industrie de l'alimentation 855 309 3,22 178 0,49 1342 3,71Industrie des transports 277 154 1,19 0 0,00 431 1,19Industrie des lettres, sciences, arts 81 19 0,28 0 0,00 100 0,28Etats du luxe 55 72 0,35 0 0,00 127 0,35Professions diverses relative au commerce 139 0 0,38 0 0,00 139 0,38Profession libéralesAutres professions libérales 1305 3,61 904 2,50 2209 6,11Domesticité 3410 9,43 1305 3,61 4715 13,04Mendiants et vagabonds 128 0,35 210 0,58 338 0,93Détenus 60 0,17 26 0,07 86 0,24Filles publiques 0,00 321 0,89 321 0,89Infirmes vivant dans les hospices 12 0,03 131 0,36 143 0,40Femmes vivant du revenu de leurs maris 0,00 7220 19,97 7220 19,97Enfants à la charge de leurs parents 4674 12,93 10980 30,37 15654 43,30Total 36155 100,00

*OAAC = Ouvriers, Apprentis, Aides ou Commis

321 filles publiques (prostitution)

367 sans profession (détenues, infirmes, etc.)

Afin d'y voir plus clair et de faciliter l'analyse, voici quelques représentations

graphiques127 :

Gr1 Gr2

Gr3 T4

127 Pourcentages calculés à partir du recensement de 1851, ibid. cote 1F7

69

49%

15%

1%

35%

Répartition femmes

A charge En activité

Filles publiques Sans activité

Répartition hommes-femmesBase de calculs statistiques

Répartition générale Nombre %Hommes 13728 38Femmes 22427 62Total 36155 100Hommes Nombre %A charge 4674 34En activité 8854 64Sans activité 200 2Total 13728 100Femmes Nombre %A charge 10980 49En activité 3539 15Filles publiques 321 1Sans activité 7587 35Total 22427 100

38%

62%

Hommes Femmes

Répartition hommes/femmes

34%

64%

2%

Répartition hommes

A charge En activité Sans activité

Gr4

Nous constatons que la population brestoise est majoritairement féminine128,

avec 38 % d'hommes pour 62 % de femmes. Celles-ci sont, pour 74 % d'entre elles,

à la charge de leurs parents ou de leur maris129. Cela s'explique par le fait que les

femmes non mariées étaient considérées à la charge de leurs parents. En effet, on

constate le même chiffre – 10 980 – dans la case « filles »130 et dans la case

« enfants à la charge de leurs parents »131. Ce n'est pas le cas pour les hommes

puisque sur les 9 097 garçons, 4 674 sont des enfants à la charge de leurs parents,

les autres étant soit en activité, soit sans activité. Aussi, les femmes mariées ne

travaillent pas et vivent exclusivement du revenu de leurs maris, le même chiffre

apparaissant pour ces deux catégories132 (7 220).

Voyons maintenant la répartition par corps de métiers. On constate, tout

128 Voir Gr1, p. 68129 Voir Gr3, p. 68130 Voir T1, p. 66131 Voir T3, p. 67132 Voir T3, p. 67

70

Agriculture

Bâtiment

Habillement

Alimentation

Transport

Lettres, sciences, arts

Luxe

Commerce

Profession libérale

Domesticité

Filles publiques

0,20%

14,38%

10,02%

13,15%

4,87%

1,13%

1,43%

1,57%

14,74%

38,51%

0,00%

0,00%

0,26%

29,59%

4,61%

0,00%

0,00%

0,00%

0,00%

23,42%

33,81%

8,32%

Répartition hommes/femmes

Par corps de métiers

Hommes Femmes

d'abord, que les femmes sont exclues de l'enseignement des métiers puisque la

catégorie des Maîtres est exclusivement masculine133. Elles sont aussi totalement

exclues des métiers du commerce, du luxe, des sciences et arts et des transports. Le

taux d'inactivité des hommes est très faible (2 %) alors que celui des femmes est

très élevé (84% - cumul des chiffres des femmes à charges de leurs parents, celles

vivant des revenus de leurs maris et les infirmes). La domesticité était le métier le

plus représenté dans l'agglomération brestoise, avec 38,51 % des hommes et 33,81

% des femmes134. La majorité de la petite industrie et de commerce vivent des

adjudications signées avec la Marine pour l'approvisionnement des navires ou de

l'arsenal. Leurs noms se retrouvent très souvent associés aux marchés passés avec

l'institution militaire où le conseil du port note l'absence d'étrangers135. L'industrie

de l'habillement, la plus importante, a aussi pour cliente la Marine.

Nous le voyons, cette société brestoise du milieu du XIXe siècle est

composée majoritairement de femmes mais ce sont les hommes qui sont aux

affaires, comme en témoigne le taux d'inactivité des femmes ainsi que leur

répartition dans les différents métiers. L'activité commerciale et industrielle de la

ville était essentiellement tournée vers la Marine. Aussi, le métier le plus pratiqué

par les Brestois et les Brestoises était la domesticité. Voyons maintenant d'où

provenait cette domesticité et essayons d’en déduire les rapports qu’elle pouvait

entretenir avec ses maîtres.

La bourgeoisie et la domesticité

Nous l'avons vu, la domesticité était le premier métier de Brest, en terme de

nombre de personne l'exerçant. Mais d'où provenait cette domesticité ? L'analyse

des cartes postales anciennes136 nous donne des renseignements très utiles à ce

propos. Je me suis principalement intéressé aux cartes postales représentant des

scènes de la vie de tous les jours, écartant volontairement celles dont la mise en

133 Voir T3, p. 62134 Voir Gr4, p. 64135 M.-T. Cloître-Quéré, Brest et la mer, 1848 - 1874, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest,

1992, p. 45136 Sources : Cartopôle de Baud et généalogie.com

71

scène est évidente (sauf celles présentant une femme en costume local)137.

Voici une série de photographies des rues de Brest, rive gauche dans

laquelle nous voyons très clairement que les Brestois sont habillés à la mode

« française » : pantalon, veste et casquette ou chapeau (quelquefois des canotiers)

pour les hommes ; robe longue, tablier et chapeau pour les femmes. On n’aperçoit

aucun costume à la mode de Bretagne sur ces photographies.

Le Champ de Bataille et le Théâtre138 La Place du Château

La Rue d'Aiguillon La rue de la Mairie

La série suivante concerne toujours cette même rive gauche mais lors de

moments particuliers de la vie quotidienne : les foires et marchés. On constate ici la

présence de femmes portant le costume traditionnel du Léon, c'est-à-dire robe

longue, châle et petite coiffe de dentelle. Lors de ces occasions particulières, les

femmes venaient des campagnes pour vendre leur production légumière et laitière.

Portant le costume traditionnel de façon journalière, on les reconnaît facilement sur

137 Cartes éditées en grand format en annexes138 Actuellement place Wilson

72

les photographies d'époque. La carte postale intitulée « Le cours d'Ajot à l'heure

des nourrices » est intéressante : on constate que les nourrices en question portent

toutes le costume à la mode bretonne, ce qui nous donne des renseignements

précieux sur l'origine des employées de maison. De plus, lorsque l'on observe de

plus près la carte « Place Médisance », on peut apercevoir des costumes à la mode

du pays de l'Aven139, avec leurs larges cols et leurs coiffes ailées.

Brest – Le cours d'Ajot à l'heure des nourrices Brest – Place Médisance

Brest – La foire au puces place de la Liberté Brest – Marché aux fraises

Jeune fille de Brest

Ainsi, les femmes gardaient leur costume originel lorsqu'elles venaient à

Brest. Ces femmes, originaires du Léon ou de l'Aven, ne se rendaient pas à Brest en

emportant uniquement leur costume dans leur bagage. Elles emportaient – et

apportaient à Brest – leur culture, leurs habitudes et leur langage. Une femme

originaire du pays Fouesnantais – portant le costume de surcroît – utilisait

inévitablement la langue bretonne. De plus, nous pouvons affirmer que la

domesticité était majoritairement bretonne au regard de ces documents

139 Pays du sud Finistère allant de Fouesnant à Quimperlé

73

photographiques puisque nous voyons qu'elles sont très représentées sur les cartes

postales représentant les marchés, non seulement du côté des commerçants mais

aussi du côté de la clientèle, assurant l'intendance de la maison dans laquelle elles

étaient employées.

Nous l'avons dit, ces femmes venant de l'extérieur de Brest parlaient breton.

A leur arrivée à Brest, elles utilisaient certainement aussi le breton, n'ayant pas

appris la langue française sur le chemin. Il fallait malgré-tout qu'elles puissent se

faire comprendre de la bourgeoisie locale afin de trouver une place dans une

maison. Certaines d'entre-elles ont sûrement déjà pratiqué ce métier avant de

rejoindre la cité brestoise, avec peut-être une lettre de recommandation en poche.

C. Treguier, professeur, a fait paraître une réflexion sur la pratique de la langue

bretonne à Brest en 1932, intitulé « Ar brezoneg e Brest », dans la revue Feiz ha

Breiz140 où il semble nous renseigner sur le choix que font ces femmes souhaitant

garder le costume et la langue bretonne :

« Ar mitizien ivez daoust m'emaint alies o servicha Gallaoued a jom hep

nac'h o gouenn.

- Goulenn a rit ouzin eme eur vatez d'he mestr perak e talc'han d'am

gwiskamant ha d'am brezoneg ; ma 'm bije dilezet va gwiskamant ne vijen

ket bet ken en ho ti rak n'ho pije ket bet ezomm ac'hanoun ha m'hen dilesfen

e lavarfec'h d'in mont gant va hent. Ma tilesfen va brezoneg ne ouesfen mui

penaos komz ouz an Aoutrou Doue hag ouz va zud koz.141 »

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu'ici ce n'est pas une servante qui

parle mais bien l'auteur qui place ces paroles dans la bouche d'une servante. Au-

delà de nous renseigner hypothétiquement sur les choix que font les domestiques, il

nous montre la vision bourgeoise sur une domesticité – et une paysannerie –

soumise. De plus, il semble donner à la langue bretonne une symbolique toute

140 « Le breton à Brest », Feiz ha Breiz N° 12, 68ème année, mois de décembre 1932.141 « Les serviteurs aussi, même s'ils sont souvent au service de Français, ne renient pas leurs origines.

- Vous me demandez, dit une servante à son maître, pourquoi je garde mon costume et mon breton ; si j'avais abandonné mon costume je ne serais plus dans votre maison car vous n'auriez pas eu besoin de moi et m'auriez dit de poursuivre ma route. Si j'abandonnais mon breton je ne saurais plus comment m'adresser à Dieu ni à mes grands-parents. »

74

particulière. En effet, c'est avec cette langue que la servante s'adresse à Dieu, elle

est donc gardienne d'une certaine morale catholique.

Mais si la société brestoise de l'époque était aussi linguistiquement divisée

que le suggère Yves Le Gallo, une femme ne parlant que breton aurait-elle pu

trouver une place de domestique dans une maison bourgeoise ? Nous allons essayer

de répondre à cette question en nous intéressant à la bourgeoisie brestoise du XIXe

siècle.

Lorsqu'on parle de bourgeoisie à Brest au XIXe siècle, il faut faire la

différence entre la bourgeoisie civile et la bourgeoisie militaire. Cette dernière

profite de traitements élevés, allant de 600 francs par an pour un aspirant de

seconde classe à 15 000 francs annuels pour un vice-amiral142 et elle est composée

des officiers supérieurs de la préfecture maritime, des officiers navigants, des

officiers du génie maritime, ceux des régiments d'infanterie de marine et des

compagnies d'artillerie de marine. Ces officiers dirigent les 20 000 marins, soldats

de marine et ouvriers de l'arsenal. La bourgeoisie civile, quant à elle, était, comme

nous l'avons vu, tripartite : les professions libérales (hommes de loi, médecins,

pharmaciens), les fonctionnaires, et le commerce/négoce.

Nous avons déjà mis en évidence qu'une noblesse bretonne était bien

présente à Brest au XIXe siècle et que celle-ci faisait quelquefois partie des officiers

de marine (Philippe de Kerhallet, lieutenant de vaisseau). Cette descendance de la

noblesse bretonne exerçait également des activités de négoce (le sieur Jean

Guilherm, riche négociant en vin ou les frères de Kerjégu, fournisseurs de la

Marine et s'occupant de courtage, famille fournissant sénateurs, députés et contre-

amiraux). De plus, selon Yves Le Gallo la bourgeoisie civile – notamment la

bourgeoisie commerciale – n'aurait pas été de souche bretonne : « Dans ce monde

brestois du commerce, pullulent les mercantis et les audacieux tombés en Basse-

Bretagne d'Auvergne, de Normandie ou de Gascogne, porteurs d'une pacotille que

d'autres allaient vendre à la Martinique, ou simplement riche d'un métier ou de

142 M.-T. Cloître-Quéré, op. cit, p. 22

75

l'esprit d'entreprise dont les naturels, voués à l'agriculture et à la navigation, et au

surplus enfermés dans leur idiome, étaient dépourvus143 ». Toutefois, comme nous

l'avons vu précédemment, une bourgeoisie bretonne était, elle aussi, bien présente à

Brest. C. Treguier, toujours dans son article intitulé Ar brezoneg e Brest dans la

revue Feiz ha Breiz144, indique sur les commerçants :

« En tiez kenwerz hag en ostaleriou n'eo ket tud a vank o c'houzout hag o

komz brezoneg ha ne vezer ket souezet pa zeller ouz hanoiou mistri an tiez-

se : Kerbiriou, Pengam, Riou, Abalan, Touz, Cadiou, ar Bihan, ar Bras,

Lorho, Guivac'h, ar Borgn, Branellec, Gloanec, Gourvez, Kervevan.145 »

Intéressons-nous maintenant quelque peu à l'autre rive. Ayant eu beaucoup

de difficultés à trouver des cartes postales anciennes de Recouvrance (à peine une

dizaine sur les 515 que compte les cartes de Brest sur le site internet de la

Cartopôle de Baud), j'ai pris contact avec l'association « Les Amis de

Recouvrance », qui possède une collection très étoffée et certainement la plus

complète en terme d'images. Observons cette série de cartes sur les commerçants.

Estaminet du marché (mode de l'Aven) Restaurant du pont, 1 rue du pont,

Brest-Recouvrance (mode de l'Aven)

143 Y. Le Gallo, cité par M.-T. Cloître-Quéré, op. cit. p. 45144 Le breton à Brest, Feiz ha Breiz N° 12, 68ème année, mois de décembre 1932.145 « Dans les commerces et les hôtelleries, ce ne sont pas les gens connaissant et parlant le breton qui

manquent et on n'est pas étonné lorsqu'on regarde les noms des tenanciers de ces établissements : [...] »

76

Magasin de chaussures rue de la Porte Épicerie Kerjean (mode du Rouzig)

Nous constatons ici la présence systématique d'une femme portant le

costume traditionnel breton. Ces costumes représentent des modes différentes

(Aven, Rouzig146, Léon), reconnaissables grâce à leurs coiffes dont nous pouvons

en déduire que certaines commerçantes de Recouvrance ne sont pas originaires de

Brest ou du nord-Finistère. Toutefois, nous pouvons être sûrs que les commerçantes

en question utilisaient la langue bretonne en plus de la langue française.

Ainsi, une partie de la bourgeoisie civile et militaire étant de souche

bretonne, les bretonnants ne se trouvaient pas systématiquement devant une

frontière linguistique pour se faire embaucher. Les membres de cette bourgeoisie

bilingue faisaient certainement des lettres de recommandations en français pour les

domestiques souhaitant se faire embaucher ailleurs et servaient d'intermédiaires

entre la domesticité bretonnante et les membres de la bourgeoise exclusivement

francophone.

Une bourgeoisie civile et militaire de souche bretonne et française, une

domesticité majoritairement bas-bretonne, une activité commerciale et industrielle

tournée essentiellement vers la Marine, de grandes disparités entre les hommes et

146 Pays de Châteaulin

77

les femmes, telle était la société brestoise de cette première moitié du XIXe siècle, à

l'aube des changements qui allaient redéfinir les caractères physiques et sociaux de

la ville.

La métamorphose

Entre les années 1854 et 1901, Brest bénéficie de mesures visant à

développer les activités portuaires et faire entrer la ville dans la modernité du XXe

siècle qui vont considérablement changer la morphologie physique et sociale de

Brest.

Tout d'abord, il fallait résoudre la problématique du passage de la Penfeld,

cette traversée posant bien des problèmes, aussi bien administratifs que pratiques.

Avant la construction du pont, le passage se faisait à l'aide de bacs dont l'entretien

était à la charge des ayants-droits de la famille Duchatel147, financé par la

perception des droits de passage, et seuls les habitants de la rive droite devaient

s'acquitter de ce droit. Le refus de la population de la rive gauche de participer aux

frais et le faible montant des droits ne permettaient pas un entretien suffisant du

matériel. Celui-ci, composé uniquement de barques maniées à l'aide de perches,

était rapidement hors d'usage et les accidents devenaient inévitables. Le sénéchal de

Brest trancha en 1692 :

« Tous les habitants de l'agglomération brestoise participeraient au passage

qui se fera au moyen de chalands capables de transporter les charrettes et les

animaux ainsi que huit chaloupes à avirons148. »

De plus, des témoignages rapportent des dérives de bateliers, souvent ivres,

qui laissaient les passagers manœuvrer les bateaux. Chaque noyade remettait en

question le système des passeurs. Deux siècles plus tard, même constat du député

Baron Lacrosse qui déplora lui aussi le manque de communication entre la rive

147 Selon les ouvrages, on trouve différentes orthographes du nom : Du Châtel, Duchatel, Duchastel, Du Chastel.

148 Y. Le Gallo, Recouvrance, Les amis de Recouvrance, 1988, p. 29

78

droite et la rive gauche et fit cette allocution au conseil municipal du 28 novembre

1845 :

« Recouvrance et le territoire qui l'entoure n'ont la faculté d'user d'aucunes

routes dont l’État ait fait les frais. Pour y accéder en voiture, il faudrait

parcourir une route départementale jusqu'au Conquet ; mais après ce

singulier détour, on ne pourrait parvenir aux portes de la ville que par le

chemin vicinal de grande communication n°12 qui n'est pas autre chose

qu'une voie communale.149 »

Face à cet état de fait, il fallait remédier à la situation en joignant

physiquement les deux rives : la construction d'un pont enjambant la Penfeld fut

décidée. Restait une problématique : ne pouvant construire un pont d'une hauteur

convenable pour permettre le passage des bâtiments militaires, une succession de

projets fut examiné (ponts transbordeurs, ponts levant, etc.) et rejetés par les

autorités maritimes et la direction des ponts et chaussées. Le premier projet de

franchissement de la Penfeld fut proposé en 1842 par l'architecte brestois Alexis

Vincent et consistait en un tunnel passant sous la rivière, à l'image de celui de

Londres sous la Tamise. Un autre architecte, M. Trichler, proposa un projet de pont

levant à double battants soutenus à l'aide de haubans, ouvrage d'une grande

technicité, accueillant l’enthousiasme de toute la municipalité, entre autre car il

était lui-même Brestois. Finalement, après d'âpres discussions entre la Marine et

l'administration civile brestoise, c'est le projet de Nicolas Cadiat et Alphonse

Oudry, ingénieurs des ponts et chaussées, qui fut retenu par le conseil général de

cette même administration : afin de répondre aux exigences de la Marine, ce pont

était constitué de deux volées tournantes équilibrées laissant le passage aux bateaux

de haute mâture. Quatre hommes suffisaient à la manœuvre de chaque demi-pont,

commandés depuis le tablier par de simples cabestans150 actionnant des engrenages

à rouleaux d'acier. Les volées étaient solidarisées aux culées par des mâchoires

mobiles et à l'autre travée par des barres de verrouillage. Chaque volée avait une

149 Y. Le Gallo, Recouvrance, Les amis de Recouvrance, 1988, p. 30150 Dispositif qui permet de combiner la force de plusieurs hommes, composé d'un gros tambour à axe

vertical, dans lequel on insère des bras de leviers que poussent les hommes, et autour duquel s'enroule un cordage.

79

longueur de 52 mètres et pesait 750 tonnes. Les travaux de ce pont tournant,

confiés à l'entreprise Schneider et Cie, commencèrent en 1858 pour s'achever en

1861. Il fut baptisé Pont Impérial en l'honneur de l'empereur Napoléon III et

renommé Pont National après la guerre de 1870. Les Brestois, quant à eux,

gardèrent le nom qu'ils lui avaient donné dès sa construction et qui le caractérisait

si bien : le Grand Pont.

Le problème de communication entre la rive droite et la rive gauche résolu,

les Brestois pouvaient aller et venir au dessus de la Penfeld sans difficultés : les

habitants de Recouvrance eurent un accès facilité aux administrations publiques,

totalement absentes de ce quartier (mairie, écoles, hôpitaux) mais il semble peu

probable que les Brestois de la rive gauche aient beaucoup fréquenté l'autre rive, à

moins d'y être obligés. Toutefois, Recouvrance devint un lieu de passage après

l'ouverture de la porte du Conquet et le prolongement de la route nationale n° 12,

passant par le pont et traversant ce quartier pour aller jusqu'au Conquet en

desservant les bourgs de Saint-Pierre Quilbignon et Plouzané.

Si le Brest intra-muros a profondément changé suite à la construction du

Pont Impérial, c'est aussi le cas pour les territoires hors des murs brestois. La

demande de l'établissement d'un port de commerce se fait de plus en plus pressante

à Brest, comme si on découvrait le potentiel maritime civil seulement dans cette

seconde moitié du XIXe siècle151. Un avant-projet est proposé par MM. Caradec et

Maitrot de Varennes en 1856, après être passé devant une commission nautique, et

est soumis à une enquête publique. Toutefois, ce n'est qu'en août 1859 que

l'emplacement définitif est adopté. Les anses de Porstrein, Moulin Grivart et

Poullic Al Lor disparaissent. Les bases du port voient alors le jour. Le 26 avril

1862, un décret donne l'ordre de construction du port Napoléon et les ouvriers vont

s'attaquer aux falaises pour fournir le remblai nécessaire aux 41 hectares qui

doivent être pris sur la rade. Vont s'y ajouter les 750 000 mètres cubes de la

montagne du Salou. La longueur des quais attendra 3 100 mètres. Le port est

officiellement ouvert en décembre 1865 et les navires marchands, alors stationnés

151 Sur le sujet, voir M.-T. Cloître-Quéré, Brest et la mer, 1848 - 1874, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 1992

80

sur les rives de la Penfeld, prennent leur place dans les bassins de ce nouvel

ouvrage. Les commerçants, installés sur les quais Jean-Bart et Trouville, enclavés

depuis la construction du Pont Impérial – celui-ci reliant les deux rives par les

parties hautes de la ville – quittent la Penfeld et le centre ville pour s'y installer. Il

faudra toutefois encore trois ans pour construire les rampes en contrebas du cours

Dajot, lui donnant un accès direct de la ville. Il fallu aussi doter la ville d'un solide

outillage urbain et financier, conditions indispensables d'un port de commerce

important. Dès lors, l'ouverture vers de nouveaux horizons se dessine et Brest se

met à rêver à une vocation de commerce et de transport transatlantique.

La ville ne va pas prendre du terrain que sur la rade : toujours coincée dans

l'enceinte de ses remparts, où l'urbanisation est difficilement développable, elle va

acquérir peu à peu des territoires sur les communes environnantes. Jusque là, Brest

n'avait guère acquis, en dehors de ses murs, que les terres qui ont donné naissance à

son cimetière. Celles-ci, se trouvant a proximité du lieu dit Parc ar Cherc'h, ont été

achetées à la fin du XVIIIe siècle suite aux recommandations royales ordonnant la

translation des cimetières existants à l'extérieur de la ville. Le cimetière s'est

progressivement étendu en 1801 et 1821 avec l'achat des terres environnantes pour

atteindre la superficie de plus de cinq hectares, qu'il conserve encore

actuellement152. Ce que l'on a appelé la première annexion a commencée en 1847,

avec l'adjonction de 57 hectares de terres de la commune de Lambézellec –

commune alors la plus étendue de France – à Brest. Des travaux sont amorcés afin

d'enceindre ces nouvelles terres, correspondant actuellement au quartier de

l'Harteloire et au plateau du Bouguen. Toutefois, même si l'ajout de ces nouvelles

terres permet de désenclaver un peu l'urbanisme brestois, la ville est toujours

enfermée. En 1861, la municipalité de Brest décide d'annexer un territoire de 172

hectares, pris sur les terres de Lambézellec. Cette seconde annexion ne va pas se

faire sans heurt entre les municipalités respectives. En effet, Lambézellec refuse de

céder une partie de ses terres jusqu'à ce que Brest soit condamnée au paiement

d'une somme en compensation. Le Conseil d'Etat demande à cette dernière de

152 G. Cissé, Brest au coin des rues, Le Télégramme, Brest, 2008, p. 83. Aujourd'hui, le cimetière a gardé son emplacement originel et se situe quasiment en face de l'église de Saint-Martin, côté quartier Saint-Michel.

81

verser la somme de 110 000 francs en dédommagement de ce territoire. Dès lors, la

ville ne va cesser son accroissement hors de ses murs jusqu'à l’absorption totale des

communes de Lambézellec et de Saint-Marc, dont l'achèvement se fera en octobre

1944.

L’expansion de Brest hors de ses murailles ne se fera pas que d'un seul côté

de la Penfeld. A l'est, les habitants de Recouvrance se trouvent eux aussi bien à

l'étroit à l'intérieur des murs. Avec la destruction de la porte du Conquet, un nouvel

avenir s'offre à eux. Ainsi, ils seront nombreux à venir s'installer tout d'abord sur le

site des Quatre Moulins153 , du Petit-Paris puis à Saint-Pierre Quilbignon, commune

rurale dont a longtemps dépendu religieusement Recouvrance. Les habitants des

quais des deux rives seront aussi nombreux à s'installer dans ces quartiers suite à

leur expropriation pour l'édification du Pont Impérial à partir de 1859.

Des deux côtés de la Penfeld ainsi que sur la rade, Brest étend

inexorablement son territoire année après année et la ville se modernise avec la

construction du pont impérial et du nouveau port de commerce, tout ceci sous

l'impulsion du maire de l'époque Hyacinthe Martin Bizet154.

Cette métamorphose du paysage urbain de la cité va entraîner des

bouleversements sociaux. Les terres des communes rurales étant absorbées petit-à-

petit, une population, naguère campagnarde, devient citadine et les terres des

Quatre Moulins et de Saint-Pierre-Quilbignon vont connaître un accroissement de

leurs populations. Comme le souligne Gérard Cissé, tout ceci constitue « […] une

cité où viennent vivre les ouvriers de l'arsenal et le personnel de la marine qui

fuient la surpopulation de Recouvrance.155 » Va donc, d'une part, devenir

progressivement brestoise et citadine une population rurale et, d'autre part, une

population citadine va s'installer dans les communes alentours où une tradition

rurale perdure. Si on prend en compte les différentes annexions des terres rurales et

153 Nommé ainsi car il avait été érigé vers 1778 quatre moulins à vent fournissant, entre autre, les boulangeries de Recouvrance

154 L'évêque de Quimper et du Léon, Mgr Sergent, baptisa la toute nouvelle paroisse du Bel-Air, sur les terres achetées à Lambézellec, du nom du second prénom de ce maire emblématique. Ainsi fut né le quartier de Saint-Martin, où le lieu de culte porte le nom d'un élu profondément républicain.

155 G. Cissé, Brest au coin des rues, Le Télégramme, Brest, 2008, p. 208.

82

d'une partie de la population qui s'en suit, la population municipale brestoise a

connu une augmentation de ses locuteurs bretonnants dans cette seconde moitié du

XIXe siècle.

3.2 ...entraînant une diversité langagière

Les membres des sociétés savantes de Brest

Nous l'avons vu, Brest était essentiellement tournée vers la Marine et la

ville ne possédait pas de tradition universitaire. Malgré tout, différentes sociétés

intellectuelles ou savantes s'y établirent, qui s'employaient soit à l’éducation du

plus grand nombre, soit à la pure recherche littéraire, historique ou scientifique. La

plus ancienne d'entre elle est l’Académie Royale de Marine, fondée en 1752, et

disparue à la Révolution. Lui succédant, le Cercle des Vêpres156 fut fondé en

octobre 1792 par un commissaire de Marine et un négociant de la cité : ses

sociétaires étaient issus de la bourgeoisie militaire ou civile de Brest. Vient ensuite,

en 1832, la Société d’Émulation de Brest dont l’ambition était d'élever le niveau

scolaire des Brestois en proposant des cours du soir. En 1882, la Société

Républicaine d’Éducation Populaire, filiale de la Ligue Française de

l’Enseignement, lui succéda, ajoutant aux cours pratiques des conférences à but

culturel. La Société Académique de Brest fut créée en 1858 par l’historien Prosper-

Jean Levot, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal, et Guillaume Pilven,

ancien garde du Génie. L'ambition de ses membres était toute autre : son bulletin

annuel s'attachait à la publication de travaux effectués par des savants brestois et

bretons, ainsi qu’à la publication de pièces littéraires en langues française ou

bretonne157. Son bulletin cessa de paraître lors de la première guerre mondiale.

Intéressons-nous à certains membres de ces sociétés savantes. Voyons

d'abord le parcours de deux des membres de la Société d’Émulation de Brest.

156 Appelée ainsi car ses membres se réunissaient à l'heure des vêpres157Dès le premier numéro est édité « Matulin ar barz dall » de G. Milin (Bulletin de la Société Académique

de Brest, Anner, Brest, 1861, Ibid. p. 103). « Hirvoudou c'houero eur skrivanier euz a Vrest », signé « un breton » ( Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1902, p. 152. Sources : Université du Michigan, via OpenLibrary : http://archive.org/stream/bulletindelasoc12bresgoog#page/n177/mode/2up/ search/ breton

83

René-Henry Cuzent est né à Lambézellec le 20 juillet 1794 et mort le 11

juin 1875 à Brest. Après une formation de tapissier, René-Henry s'investit très

rapidement dans la loge maçonnique brestoise des Élus de Sully (loge créée en

1783 portant le nom d'un régiment d'artillerie158) et participe en 1838 à une

commission chargée d'examiner la doctrine de Fourier159 où il rencontrera, entre

autre, Prosper Levot (bibliothécaire de la Marine, membre fondateur de la Société

Académique de Brest). En 1844, il devient sociétaire de la Société d’Émulation de

Brest, tout comme beaucoup de membres des Élus de Sully et participe à la

diffusion des idées fouriéristes à Brest par le biais de conférences mais aussi par

l'intermédiaire de son épouse, gérante d'une librairie. Il fonde un an plus tard

l'Association de Bienfaisance Mutuelle, première association mutualiste brestoise

qui regroupera en 1848 plus de 360 ouvriers civils à qui elle alloue une indemnité

journalière de 0,75 francs en cas de maladie. Toutefois, l'association regroupe

uniquement des membres issus de l'artisanat, les risques à assurer pour les

manœuvres du bâtiment ou les manutentionnaires étant trop élevés. Membre

influent des Élus de Sully, il dirige la commission administrative chargée de mener

à bien la construction du nouveau temple maçonnique brestois en 1868.

François-Prosper-Marie Guiastrennec est un architecte né le 18 février 1791

à Landerneau et mort le 26 mai 1859 dans cette même ville. Il appartient à une

riche famille d'armateur et de négociants de Landerneau. Il réside tout d'abord à

Porstrein, village de la commune de Lambézellec située non loin de Brest, avant de

s'installer en ville. Il fait partie intégrante de la bourgeoisie brestoise : il vivra dans

l'un des quartiers les plus riches du Brest intra-muros, et épousera en premières

noces Marie-Louise Gagny, fille d'un capitaine de frégate. Un an après le décès de

cette dernière, en 1832, il se marie avec Aimée-Joséphine, la sœur cadette. Son

gendre est ingénieur des Ponts et Chaussées et le fils du chirurgien major de la

158 Sur le sujet, voir La franc-maçonnerie à Brest, Bibliothèque d'études de Brest, lettre n°7, printemps 2009159 Le Fouriérisme est un système de morale et d'organisation sociale imaginé par le philosophe français

Charles Fourier, une des figures de ce que Marx et Engels ont appelés le socialisme critico-utopique. Ce système repose sur l'attraction personnelle, c'est-à-dire l'entraînement de la passion sur les penchants naturels des humains. Pour lui, l'être humain trouvera le bonheur dans la satisfaction de ses passions : « Le bonheur ne consiste qu'à satisfaire ses passions […] Le bonheur, sur lequel on a tant raisonné ou plutôt tant déraisonné, consiste à avoir beaucoup de passions et beaucoup de moyens de les satisfaire. » Il élaborera quelques exemples de sociétés utopiques.

84

Marine. Il fonde en 1827 la Société des Amis de l'industrie de Brest dont le but est

de constituer un fonds de revues sur l'industrie, déposé chez un libraire sociétaire et

prêté aux membres, moyennant une contribution. En 1835, il s'intéresse à

l'éducation populaire et adhère à la Société d’Émulation de Brest qui organise des

cours industriels gratuits pour les ouvriers. Il sera un membre influent de diverses

associations et un ami de Pompéry et de Foucault, proche des milieux libéraux

brestois. En 1848, il est sur la liste des actionnaires de l'Union Agricole d'Afrique et

vice-président de la Société d'Agriculture de Brest, dirigée par Louis Montjarret de

Kerjégu, fondateur de la ferme-école de Trévarez et est aussi, avec Kerjégu,

membre de l'Association Bretonne, créée en 1843 et ayant pour but de développer

les progrès agricoles de la Bretagne. A nouveau veuf, Guistrennec se réinstalle à

Porstrein et s'intéresse dans ses dernières année à l'apiculture. Il sera d'ailleurs

membre de la Société Économique d'Apiculture de 1857 à son décès160.

Ces deux membres de la Société d’Émulation de Brest sont intéressants de

par leurs origines et leur parcours : tous deux sont nés dans une commune rurale du

Finistère au début du XIXe siècle et de ce fait, ont été en contact constant avec une

population bretonnante pendant leur jeunesse. La langue bretonne ne pouvait leur

être étrangère et nous pouvons supposer que ces bourgeois brestois n'avaient

aucune difficulté à comprendre – et peut-être même à converser – avec une

population bretonnante. Cela prouve, encore une fois, qu'il existait bien une

bourgeoisie de souche bretonne à Brest au XIXe siècle. Toutefois, dans les

différentes activités qu'ils ont réalisés, il n'y a pas de trace de travaux en breton,

même si on peut supposer que la connaissance de ce langage devait être fort utile

pour se faire comprendre des exploitants agricoles ou des ouvriers, public visé par

les activités de la Société d’Émulation de Brest.

La Société Académique de Brest, quant à elle, a publiée des écrits en langue

bretonne. Je me suis tout d'abord intéressé à ses membres fondateurs et ses tous

premiers collaborateurs. Ainsi, j'ai relevé dans le premier bulletin de la Société161 le

160 Sources : Travaux de l'association d'études fouriéristes et des cahiers de Charles Fourier (www.charlesfourier.fr)

161 Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1861. Sources Bibliothèque Nationale de France, via Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k207508w.image.langFR.r=soci%C3%A9t

85

nom des membres d'origine bretonne :

Riou-Kerhalet – Ingénieur des Pts et Chaussées

Allanic – Professeur de logique au lycée Impérial

Caradec – Peintre

Caradec (Louis) – Docteur-médecin

Clérec – Avocat et juge suppléant

Floch – Pharmacien

Gouzien – Ancien chef d'instruction

Kerneis – Professeur de mathématiques

Le Guillou de Penanros – Juge suppléant

Lescop – Greffier des tribunaux maritimes

Milin – Écrivain de comptabilité

Montjaret de Kerjégu – Négociant, membre de la Chambre de Commerce

Penquer – Docteur-médecin

Touboulic – Ingénieur mécanicien

Miorcec de Kerdanet – Docteur en droit, archéologue et historien

Nous retrouvons ici des noms que nous avons déjà cités, tels que Riou-

Kerhalet, Montjaret de Kerjégu ou Miorcec de Kerdanet. Les membres de cette

société savante ont très vite laissés une place importante à la langue bretonne dans

leurs travaux de recherches, ainsi, toujours dans le premier bulletin de la Société,

nous trouvons les procès-verbaux des comptes-rendus de réunions faites les années

1858 et 1859.

Procès verbal du lundi 28 juin 1858

« Communication de deux pièces de vers en breton sur la tour d'Azenor et sur

l'incendie de la tour de la cathédrale de Quimper, présentées par M. Milin162 »

Procès verbal du lundi 26 juillet 1858

« Hommage fait à la Société : Nouvelles conversations en breton et en français, par

%C3%A9%20acad%C3%A9mique%20de%20Brest.swf162Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1861, Idib. p.17

86

MM. Troude et Milin163 »

Procès verbal du lundi 28 novembre 1959

« Mathurin le barde aveugle, traduction d'une poésie en bas-breton, jointe au texte

original, par M. Milin164 »

Gabriel Milin, dont il est question ici, sera l'auteur le plus prolifique d'écrits

en langue bretonne dans les bulletins de la Société Académique de Brest. Il est né le

3 septembre 1822 à Saint-Pol-de-Léon où ses parents étaient métayers au manoir de

Kermoruz et y a été élevé dans la foi chrétienne. Il écrira dans l’un de ses poèmes

autobiographiques, œuvre posthume qui sera traduite et éditée par un de ses grands

amis, Alfred Bourgeois, lui aussi Brestois et sociétaire de la Société Académique de

Brest :

« Da bevar bloaz lenn ar brezounek

ha karet ar paotr ezommek165 »

Vers six ans, il s'installe à Santec où le curé de la paroisse était un frère de

son père. Il grandit alors sous l'éducation de son oncle et vit une enfance heureuse :

« Eurusoc'h egedoun n'oa den,

Dindan an heol pa bar laouen,

Eurus meurbed gant va eontr koz,

Eus ar mintin beteg an noz,

Pep deiz er bed a c'houlaoue,

Me 'lamme, 'c'hoarie, a c'hoarze.166 »

Son oncle lui fit l'instruction et lui appris le français, le latin et le grec. Le

temps venu, Gabriel Milin fut envoyé au collège de Saint-Pol-de-Léon. Une fois

163Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1861, Idib. p.17164Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1861, Idib. p.29165 « Lire le breton à quatre ans et aimer celui qui est dans le besoin » G. Milin, Gwechall-goz e oa... (Il était

une fois...), Le Goaziou, Quimper, 1924, p. 5166« Il n'y avait personne de plus heureux que moi/sous le soleil brillant joyeusement/immensément joyeux

avec mon vieil oncle/du matin jusqu'au soir/chaque jour du monde qui s'allumait/je sautais, dansais et riais ». Op.cit, p. 5

87

ses études terminées, il choisit la vocation de son oncle et s'inscrit au grand

séminaire de Quimper où il ne resta que dix-huit mois, entrer les dans Ordres et

prendre la bure ne l'intéressant finalement que peu. Il se rendit à Brest où il fut

employé comme commis au bureau de la Marine, chargé des écritures comptables

et c'est dans cette ville qu'il se consacra à l'écriture en langue bretonne.

En effet, il trouva sur son lieu de travail des collaborateurs et des ouvriers

bretonnants, venus comme lui gagner leur vie dans la première ville du Finistère en

termes d'emplois en raison de son activité maritime militaire. Selon sa biographie

parue dans Gwechall-goz e oa, « nep lec'h all ne c'helle kaout gwelloc'h e du da

glevout, dre zigouez pe dre serr-klask, marvailhou koz hor Bro.167 » Il fit donc à

Brest un travail de collectage afin de rassembler un nombre conséquent de contes

populaires, tous rédigés en langue bretonne et fut dès lors un auteur prolifique

d'ouvrage en langue bretonne, bien souvent écrits en collaboration avec son ami le

capitaine Amable Troude. C'est aussi pendant qu'il vivait à Brest qu'il a le plus

travaillé sur la langue bretonne : sociétaire de la Société Académique de Brest, il

rédigea beaucoup de poèmes, édités dans le bulletin annuel et, ami du libraire-

imprimeur Lefournier, lui-même directeur de la publication du journal l'Océan, il

fit paraître dans le quotidien brestois des fables de la Fontaine traduites en breton.

A la fin de sa carrière d'écrivain de comptabilité en 1882, il se retira sur l'île de

Batz – où il fut élu maire – après avoir été pendant deux années le directeur de Feiz

ha Breiz à Quimper. Il mourut le 27 novembre 1895 en laissant derrière lui un

grand nombre d'écrits non édités, qui sont aujourd'hui parvenus jusqu'à nous grâce

au travail de François-Marie Vallé, à qui la veuve de Gabriel Milin avait confié les

manuscrits.

De plus, une publication en particulier à retenue mon attention. Il s'agit d'un

article en langue bretonne paru dans le bulletin de la Société Académique de Brest

intitulé « Hirvoudou c'houero eur skrivanier euz a Vrest » ou « Lamentations

amères d'un écrivain de Brest »168 où il est question de la ville de Brest. Pour

167 « Nulle part ailleurs il n'aurait pu avoir une si bonne occasion d'entendre, par hasard ou en s'enquérant, les vieux contes de notre pays. » Op. cit. p. 6

168 « Hirvoudou c'houero eur skrivanier euz a Vrest », signé « un breton » (Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1902, p. 152. Sources : Université du Michigan, via OpenLibrary :

88

l'auteur, un breton se sentirait étranger, non pas parce qu'il vient à Brest, mais parce

qu'il vient dans une ville : « Ia, enn eur gear, e Breiz, me grèd 'hell eur Breizad/pa

vez iac'h a spered, en em gaout divroad.169 » Il écrit aussi que lorsqu'il quittera

Brest, il ne gardera rien de cette ville :

« Nann, ne gasinn gan-en na koloenn na spillen

evit na zei d'in koun euz a Vrest birviken ;

neuze, enn noaz grisil, a druez Doue !

Ec'h 'hellin, skanv, redek buhan, kerzet, bale ;

neze me lavaro : Kenavo Sodom

m'am gwelez te biken, ar skourn a vezo tomm,

menesiou Breiz-Izel, he reier, he c'herrek

pa zistroïn da vrest a vezo bouk 'vel pek [...]170 »

Au-delà du portrait peu flatteur de la ville de Brest par l'auteur, nous voyons

ici quelles sont les représentations de ce dernier. En effet, pour lui, la pureté semble

se trouver dans le monde rural, parmi la paysannerie, garante des traditions et par là

même d'un ordre moral. De plus, l'auteur fait référence à Sodome, ce qui nous

donne un indice sur son niveau d'instruction. Ce « breton », tel qu'il se définit lui-

même, a jouit d'une instruction importante et, même s'il est vraisemblablement

originaire du monde rural, il fait partie d'une élite bourgeoise établie à Brest.

Ces différents exemples de parcours de notables brestois confirment que la

vision binaire d'une élite française et francophone et d'un prolétariat breton et

bretonnant doit être très nuancé. S'il est vrai qu’à cette époque la majorité des

notables brestois sont d'origine française, notamment dans la bourgeoisie militaire,

il existe tout de même des érudits bretons, faisant partie de la bourgeoisie civile ou

militaire brestoise, connaissant et pratiquant la langue bretonne à la fois de manière

http://archive.org/stream/bulletindelasoc12bresgoog#page/n177/mode/2up/ search/ breton 169 « Oui, dans une ville, en Bretagne, je crois qu'un breton/sain d'esprit peut se considérer comme

étranger. » Traduction de l'auteur.170 « Non, je n'emporterai avec moi, ni paille ni épingle/pour qu'il ne me vienne jamais souvenir de la ville

de Brest/Alors, à moitié nu, grâce à Dieu/je pourrai, légèrement courir, marcher, me promener/alors je dirai : Adieu Sodome/si tu me revois jamais, la glace sera chaude/les montagnes de la Basse-Bretagne, ses rochers, ses écueils/quand je retournerai à Brest, seront comme de la poix [...] »

89

académique et de manière sentimentale et familiale. Toutefois, on peut s'interroger

sur l'utilisation de ce langage par cette société et notamment quelles pouvaient être

les représentations que ces savants avaient du breton. Guiastrennec était un ami de

Théophile de Pompery et ce dernier considérait que la connaissance du breton était

un moyen de diffuser les techniques agricoles nouvelles auprès du monde rural.

Aussi, Gabriel Milin était directeur de Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne), une revue

catholique en langue bretonne. Celle-ci, dont la pensée pourrait se résumer à

l'expression « Ar brezhoneg hag ar feiz a zo breur ha c'hoar e Breiz171 », considère

que la langue bretonne représente la morale catholique, qu'elle est une langue pure,

une langue avec laquelle on s'adresse à Dieu. Par conséquent, le breton ne

représentait pas la même chose et n'avait pas la même valeur pour ces érudits que

pour les populations rurales.

L'idiome de l'Arsenal, parler prolétaire urbain

Nous avons vu que le mélange entre la population citadine et la population

rurale est très présent à Brest et ceci était encore plus flagrant dans le quartier de

Recouvrance. Nous allons aborder ici la physionomie sociale de ce quartier vivant

à l'heure de l'arsenal et mettre en évidence les faits sociaux et langagiers qui ont

abouti à la naissance du parler « Ti Zef », que j'appellerai volontairement

l' « idiome de l'arsenal ».

Tout d'abord, essayons d'avoir une photographie de la physionomie sociale

de ce quartier. Afin d'avoir un début de comparaison avec la rive gauche, je me suis

tourné vers l'analyse du taux théorique d'analphabétisme à Brest et à Recouvrance

entre 1851 et 1871, à l'aide des registres d'actes de naissances. Le fait qu'ils soient

signés ou non nous donne des renseignements sur l'alphabétisation théorique –

j'insiste sur ce terme car signer ne veut pas dire pour autant que l'on est alphabétisé

mais en effectuant une comparaison entre la rive droite et la rive gauche, nous

verrons qu'il existe des différences. Lorsque la personne est incapable de signer, cet

aspect est clairement indiqué dans ces actes de naissances.

171« Le breton et la foi sont frère et sœur en Bretagne »

90

Après avoir répertorié le nombre d'individus étant soit dans la capacité soit

dans l'incapacité de signer les registres de l'année 1851, pour les mairies de

Recouvrance et de Brest, la proportion d'individus signant ou ne signant pas les

actes se décompose comme suit :

Gr1172

Gr2173

On constate ici que, sur une année, une petite proportion d'individus se

trouvait dans l'incapacité de signer. Le taux théorique d'analphabétisme des parents

à Recouvrance ne dépasse pas le quart, avec 22,04% de non-signature et même s'il

est plus important, ce taux n'est pas si éloigné de celui de Brest (16,01% de non-

signature). En comparaison, le taux d'analphabétisme national en 1851 est de 40-

45%174. Cela étant, il faut prendre en compte une donnée spécifique concernant ces

172 Gr1, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cote 5E58173 Gr2, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cotes 1E122 et 1E123174 A. Petitat, Production de l'école, production de la société, analyse socio-historique de quelques moments

91

16,01%

83,99%

Signatures Non-signatures

22,04%

77,96%

Signatures Non-signatures

Nonsignatures

Nonsignatures

Signatures

Actes de naissance Recouvrance, année 1851

Actes de naissance Brest, année 1851

Données signatures RecouvranceNombre d'actes 527Signatures 756Non-signatures 298Total signatures théorique 1054

signatures

Données signatures BrestNombre d'actes 1167Signatures 1889Non-signatures 445Total signatures théorique 2334

statistiques pour la rive gauche : dans les 16,01% de personnes n'ayant pas signé, il

existe une proportion d'enfants abandonnés, trouvés souvent à des heures tardives

de la nuit, à l'hospice civil et une sage-femme signait alors l'acte de naissance.

C'était aussi elle qui signait l'acte de naissance en l'absence de l'officier d'état civil

lorsque les parents se trouvaient dans l'incapacité de signer. C'est pour ces raisons

que je n'ai pas créé de subdivision supplémentaire pour les enfants abandonnés et

que ces chiffres font partie intégrante des non-signatures. Ces deux graphiques

mettent tout de même en évidence un taux d'analphabétisme plus important à

Recouvrance qu'à Brest.

Intéressons-nous maintenant aux données des années suivantes, 1861 et

1871, toujours pour les deux localités :

Gr3175 Gr4176

décisifs de l'évolution scolaire en Occident, Droz, Genève-Paris, 1999, p. 233175 Gr3, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cote 5E68176 Gr4, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cotes 1E142 et 1E143

92

18,45%

81,55%

Signatures Non-signatures

20,70%

79,30%

Signatures Non-signaturesSignaturesSignaturesNon

signatures

Nonsignatures

Actes de naissance Recouvranceannée 1861

Actes de naissance Brestannée 1861

Gr5177 Gr6178

Ces graphiques montrent que la situation entre les deux rives ne change pas,

le taux de non-signature restant, en termes de pourcentage, plus élevé à

Recouvrance qu'à Brest (avec tout de même une augmentation en 1861 pour cette

dernière, analysée ci-après). L'écart a tout de même tendance à se resserrer au fil du

temps. En moyenne, sur vingt ans, le taux de non-signature est de 17,73% pour la

rive droite et de 14,10% pour la rive gauche (3,63 points d'écart).

Analysons maintenant ces chiffres sur la durée à l'aide d'un récapitulatif du

nombre d'actes de naissances et en changeant de type de graphique pour que la

lecture soit plus claire :

177 Gr5, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cote 5E78178 Gr1, sources : archives municipales et communautaires de Brest, cotes 1E165 et 1E166

93

7,85%

92,15%

Signatures Non-signatures

10,43%

89,57%

Signatures Non-signatures

Actes de naissance Recouvranceannée 1871

Actes de naissance Brestannée 1871

Actes de naissances1851 1861 1871

Recouvrance 527 519 481Brest 1167 1302 1233

Capacité de signer, Brest centre1851 1861 1871

Signatures 1889 2015 2256Non-signatures 445 589 210

Capacité de signer, Recouvrance1851 1861 1871

Signatures 756 767 850Non-signatures 298 271 112

Nonsignatures

Signatures Nonsignatures

Signatures

Gr7

On constate, grâce à ce graphique, que la natalité à Recouvrance diminue de

façon linéaire entre 1851 et 1871, passant de 527 à 481 naissances. En ce qui

concerne la rive gauche, on observe une très nette augmentation en 1861, avec plus

de 1300 naissances, qui s’explique certainement par la prise en compte des

naissances ayant lieu sur les terres de Lambezellec suite à l'annexion d'une partie de

son territoire par la ville de Brest en 1861. L'ouverture du pont impérial, cette

même année, permet aussi à la population de la rive droite (Recouvrance, le

quartier des Quatre Moulins et la commune de Saint-Pierre Quilbignon) de profiter

des hôpitaux, présents uniquement sur la rive gauche, pour accoucher. Cette

dernière explication est une possibilité, même si Recouvrance ne connaît pas de

baisse brutale de la natalité cette même année. La première théorie me semble donc

plus plausible.

Intéressons-nous maintenant à l'évolution de la signature et de la non-

signature pour les deux localités de Brest centre et Recouvrance :

94

1851 1861 18710

200400600800

100012001400160018002000

Evolution des naissances à Brest et Recouvrance

Recouvrance Brest

Années

Nom

bre

d'ac

tes

Gr8

Alors que la non-signature reste stable entre 1851 et 1861, passant de

22,04% à 20,10% (baisse de 1,34 points), on constate une très forte baisse entre

1861 et 1871 : le taux passe de 20,70% à 10,43%, soit une baisse de 10,27 points,

alors même que la moyenne des naissances diminue très peu sur ces deux tranches

de dix ans (523 naissances en moyenne entre 1851 et 1861, 500 entre 1861 et

1971). Cette baisse significative de la non-signature s'explique certainement par la

scolarisation de plus en plus fréquente de la population.

Gr9

En ce qui concerne le territoire de Brest centre, on constate un nombre de

non-signature croissant entre 1851 et 1861 et fortement décroissant après cette

95

1851 1861 18710

100200300400500600700800900

Répartition des signatures Brest rive droite

Signatures

Non-signatures

Années

Sign

atur

es

1851 1861 18710

500

1000

1500

2000

2500

Répartition des signatures Brest rive gauche

Signatures

Non-signatures

Années

Sign

atur

es

même année, alors que le nombre de signature augmente de façon relativement

régulière. Ce phénomène est lui aussi expliqué par l'annexion des territoires de

Lambézellec à la ville de Brest en 1861.

Concernant l'évolution des données sur 20 ans, c'est Recouvrance qui

connaît la plus forte chute de la non-signature entre 1851 et 1871 (-62,41%). La

localité de Brest, quant à elle, subit une chute de -52,80% sur cette même période,

alors que cette dernière affiche une hausse de la signature plus élevée que la rive

gauche (voir tableau ci-dessous). Cela s'explique par la hausse significative des

naissances suite à l'annexion de 1861.

Évolution des signatures entre 1851 et 1871 en %

Brest Recouvrance

Signature +16,28% +12,43%

Non-signature -52,80% -62,41%

L'ensemble de ces données montrent que Recouvrance a connu une avancée

de l'alphabétisation différente de celle de Brest, la proportion d'individus dans

l'incapacité de signer étant plus élevée sur la rive droite. Tout cela confirme qu'il

existe des disparités entre les deux rives. Nous allons maintenant essayer de trouver

les causes de ce phénomène.

Nous n'avons que peu de renseignements à notre disposition en ce qui

concerne l'environnement sociologique spécifique de Recouvrance. Aussi, pour

essayer d'avoir une photographie de la physionomie sociale du quartier, me suis-je

appuyé sur les travaux que Fabienne Le Dez a effectués à partir du recensement de

1861179. Je me suis tout particulièrement intéressé à trois points spécifiques de ses

recherches : la structure de la population de Recouvrance, les taux de natalité et de

mortalité (notamment la mortalité infantile) et les enseignements sur l'état sanitaire

de la population.

179 F. Le Dez, De l'insularité à la jonction, Recouvrance vers 1861, enseignements socio-démographiques d'un recensement, sous la direction de M. Geslin, professeur d'histoire contemporaine, UBO, Brest, 1993 (mémoire de recherche à la bibliothèque du Centre de Recherche Bretonne et Celtique)

96

A partir du recensement de 1861180, il a été possible d'établir un schéma

structurel de la population de Recouvrance suivant le genre, l'âge et l'état

matrimonial. On constate alors qu'il existe un léger excédent de femmes par rapport

aux hommes sauf dans certaines tranches d'âge (plus de représentants masculins

dans les tranches de 0 à 14 ans, la tendance s'inversant ensuite). En moyenne, les

hommes et les femmes sont célibataires jusqu'à 20-24 ans et la grande majorité de

la population de la rive droite se marie après 25-30 ans. Le nombre de veuves

dépasse celui des femmes mariées après 60 ans, en augmentation proportionnelle à

la chute des effectifs masculins (sur une population de 14 003 individus à

Recouvrance en 1861, on dénombre 905 veuves pour 204 veufs).

Le taux moyen de la mortalité est de 31 pour 1000, calculé sur une période

de sept années. En comparaison, un taux de 36 pour 1000 n'était pas rare pour la

France de la première moitié du XIXe siècle181. Toutefois, Recouvrance connaissait

une mortalité plus importante que la mortalité moyenne du Finistère à la même

époque, qui était de 28,6 pour 1000182. Les taux de mortalité affectant le quartier

restent donc plus élevés que les moyennes départementales. Avec ces données,

Fabienne Le Dez qualifie Recouvrance de quartier urbain prolétaire, s'appuyant sur

les recherches de J. Beaujeu-Garnier :

« Les premiers temps des développements industriels se marquent presque

toujours par un accroissement exceptionnel de la mortalité : il ne s'agit plus

d'un brusque accident de la courbe, lié à un phénomène temporaire, comme

une épidémie ou une famine, mais d'une reprise ayant une certaine

constante et traduisant la profonde misère des prolétaires.183 »

Le taux de mortalité infantile a été calculé pour la période 1858-1864. Sur

ces sept années, 3 708 enfants avaient vu le jour et 623 d'entre eux sont décédés, le

taux moyen de mortalité infantile s'élève donc à 168 pour 1000. En comparaison,

180 Cote 6M141, recensement de 1861, 3ème canton : Recouvrance, Archives Départementales du Finistère181 G. Coat, Démographie de Recouvrance, 1965, p. 94182 Y. Le Gallo (sous la direction de), Le Finistère de la Préhistoire à nos jours, Saint-jean-d'Angely,

éditions Bordessoules,1991, P. 148183 J. Beaujeu-Garnier, Trois milliards d'hommes, 1965, p. 95

97

pour la période 1856-1860, le taux départemental était de 150 pour 1000 en milieu

urbain et 165 pour 1000 en milieu rural. En 1861, plus de 55% des décès ont

touché des enfants de moins de cinq ans, 52% en 1863. Lorsque l'on regarde les

chiffres de plus près pour l'année 1861, on observe que le taux de mortalité des

enfants de moins d'un an s'élève à 194,6 pour 1000184, soit l'amputation de près d'un

cinquième des effectifs d'une génération dans sa première année. L'insalubrité du

quartier était, sans aucun doute, l'une des principales causes de la mortalité

infantile, le manque d'hygiène et l'inefficacité thérapeutique n'étant pas les facteurs

appropriés pour soigner des maladies infantiles qui étaient souvent mortelles dans

le passé.

Les capacités d'adaptation et de prolifération des maladies sont dues à des

circonstances particulières, notamment en matière d'hygiène. Si nous en

connaissons les conséquences, les causes des maladies sont diverses et la

physionomie urbaine du quartier de Recouvrance nous renseigne sur certaines

d'entre elles :

« Les égouts sont rares à Recouvrance. Les eaux ménagères s'écoulent des

divers étages des maisons par des tuyaux qui les déversent dans les

ruisseaux qui traversent le quartier. Les eaux de lavage du linge des

ménages s'écoulent, également, à ciel ouvert dans les ruisseaux. Le service

d'arrosage est très imparfait et ce sont, le plus souvent, les grandes pluies

qui se chargent du nettoyage des rues.185 »

Le manque d'hygiène n'explique pas, à lui seul, un fort taux de mortalité et

celui-ci est aussi lié au climat de Brest, la pluie provoquant une humidité

permanente de l'air ambiant, pouvant expliquer le grand nombre de maladies

pulmonaires. Des maladies en voie de recul dans la seconde partie du XIXe siècle

affectaient toujours la population de Recouvrance. Ainsi, la variole, la dysenterie, le

choléra, la typhoïde, la tuberculose faisaient des ravages dans la population,

touchant plus particulièrement les enfants de moins de dix ans. La présence des

184 F. Le Dez, op. cit. p. 41185 A. Borius, Le climat de Brest : ses rapports avec l'état sanitaire, J.-B Baillière, Paris, 1879, p. 89

98

casernes est un autre facteur à prendre en compte : elles ont pu permettre

l'extension des épidémies. En 1832, 1849 et 1854, une épidémie de choléra a

affecté le quartier, et « à chaque fois, il semble bien que le vecteur de maladie ait

été un marin récemment arrivé à Brest.186 »

Les habitants de Recouvrance vivaient dans un quartier comportant une part

importante de risque pour leur santé. La promiscuité, avec souvent plusieurs

familles entassées dans les maisons et plusieurs personnes par couchage, le sous-

équipement sanitaire, la population militaire sédentaire en contact avec les colonies

françaises et l'absence d'hôpitaux faisaient de ce quartier un endroit peu accueillant.

Tous ces facteurs étaient les causes de la mortalité grandissante dans un quartier en

décalage avec le quartier voisin de la rive gauche. Recouvrance ne jouissait

d'aucune institution publique, contrairement au côté brestois qui s'enorgueillissait

d'être siège judiciaire, militaire et administratif. Les autorités de l'époque ont fait le

même constat, le maire Barchou déplorant déjà cet état de fait en 1828, lors d'une

argumentation pour le rattachement des deux rives187 .

Nous avons vu que la rive droite connaissait un brassage de population et

était le lieu d'installation privilégié des ouvriers de l'arsenal. Voyons qui composait

cette population ouvrière.

Comme le souligne J. Léonard, « Brest est plutôt un port qu'une ville, plutôt

un arsenal qu'un port.188 » Cette affirmation est encore plus vraie pour Recouvrance

qui vit par, pour et autour de l'arsenal qui est une immense usine et une grande

entreprise d’État. Il ne compte pas moins de 38 ateliers, auxquels il faut associer les

magasins et dépôts correspondants, installés dans de grands bâtiments dont le plus

impressionnant est la corderie avec ses 400 mètres de long. En 1848, l'Assemblée

Nationale diligente une enquête sur le travail agricole et industriel189. Cette enquête

186 G. Coat, Démographie de Recouvrance, 1965, p. 39187 Se félicitant de l'essor de Brest, il signale que « Il est vrai de dire que Recouvrance a peu participé à ce

mouvement général. Déserté par ses notables habitants et privé d'établissements publics, il tendrait à devenir un vaste dépôt d'ouvriers, de marins, de militaires. Il faut combattre cette tendance en continuant le système d'amélioration pour les rues et ses quais en mettant en communication facile le quartier de Pontaniou. » Y. Le Gallo, Recouvrance, Les amis de Recouvrance, 1988, p. 29

188 J. Léonard, Les officiers de santé de la marine française de 1815 à 1835, Klingksieck, Paris, 1967, p. 86189 Enquête sur le travail agricole et industriel décidée par le décret du 25 mai 1848. Réponses du

99

fournit une répartition précise des ouvriers :

Constructions navales_________________________________________Total 2 450

Serrureries et forges 596 Grosse chaudronnerie 100Tôlerie 96 Fonderie 73

Machines et ajustage 223 Peinture 45Avironnerie, tonnellerie 47 Menuiserie 156

Corderie 310 Recette des bois 43Modèles et sculptures 74 Lithographie 4

Sciage sur bois 55 Poulierie 84Bois de Kerhuon 79 Journaliers divers 465

Artillerie_________________________________________Total 320

Atelier à bois 37 Atelier à fer 43Armurerie 75 Sciage des bois 10Garniture 18 Gargousses190 9Artifices 23 Mitrailles 5

Bouches à feu191 15 Boulets 5Journaliers 80

Travaux hydrauliques_________________________________________Total 401

Maçonnerie 152 Menuiserie 54Charpenterie 47 Transport par mer 19

Couverture 26 Excavations 30Ferronnerie 50 Service général 14

Chaufournerie192 9

Subsistances_________________________________________Total 318

Boulangerie 171 Moulins à vapeur 14Tonnellerie 70 Salaison et légumes 49

Liquides 14

Mouvement du port_________________________________________Total 2 450

Garniture 52 Boussole 30Matelasserie 18 Chaloupiers, bateliers 90

Pavillonnerie 43 Curage 53Entretien des pompes 6 Divers 5

Journaliers divers 58

Magasin général 129

Ouvriers et apprentis-ouvriers des quatre professions classées Total 1 643

Total général 5 487

Nous voyons ici que le poste le plus important en termes de moyens humain

est la construction navale, regroupant 72 % des ouvriers. Les ouvriers des

nouveaux métiers (serruriers, forgerons, chaudronniers, fondeurs, tôliers,

département du Finistère, cote C 952, pièce 102, via M.-T. Cloître-Quéré, Brest et la mer, 1848 - 1874, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 1992, pp. 28-29

190 La gargousse est la charge de poudre d'une bouche à feu contenue dans une enveloppe de tissu ou de papier.

191 Pièce d'artillerie non portative (canon fixe).192 Atelier de fabrication de la chaux.

100

mécaniciens et ajusteurs) représentent eux près de 27 % du personnel de l'arsenal

de Brest. L'industrie maritime militaire se trouve devant un besoin croissant

d'ouvriers qualifiés. La Marine doit dès lors faire de plus en plus appel à des

« ouvriers libres193 ». L'analyse des matricules faite par Marie-Thérèse Cloître-

Quéré pour le besoin de son étude nous renseigne sur l'origine de ces ouvriers. La

répartition des ouvriers selon leur origine géographique, suite à l'étude des

matricules d'admission entre 1827 et 1850 du service subsistances et du magasin

général montre qu'ils proviennent de Brest et des alentours :

Service Subsistances__________________________________412 ouvriers

Brest.....................................................................89Communes voisines.....................................................................78

Presqu'îles de la rade.....................................................................12Cantons littoraux du Léon.....................................................................75

Cantons intérieurs du Léon.....................................................................33Pays de Cornouaille.....................................................................57

Autres départements bretons.....................................................................31Départements français.....................................................................23

Colonies.......................................................................2

Magasin général__________________________________930 ouvriers

Brest...................................................................232Communes voisines...................................................................161

Presqu'îles de la rade.....................................................................28Cantons littoraux du Léon...................................................................211

Cantons intérieurs du Léon.....................................................................58Pays de Cornouaille.....................................................................78

Autres départements bretons.....................................................................74Dpts français littoraux.....................................................................23

Dpts français non littoraux.....................................................................57Colonies.......................................................................2Etranger.......................................................................6

Nous constatons que les proportions sont équivalentes pour les deux

services observés : environ 40 % des ouvriers sont originaires de Brest ou des

communes voisines, 40 % pour le reste du Finistère dont près des deux-tiers des

cantons littoraux du Léon, 10 % des autres départements bretons et 10 % seulement

hors de Bretagne. Grâce à l'analyse des registres de mariages de Recouvrance entre

1846 et 1850194, nous pouvons également observer ces chiffres pour les professions

nouvelles :

193 Jusqu'à 1808, les ouvriers des arsenaux étaient soumis à l'inscription maritime. A partir de cette date, l'admission volontaire et l'apprentissage sont mis en place pour faciliter le recrutement.

194 M.-T. Cloître-Quéré, op. cit. p. 31

101

Professions classées__________________________________98 ouvriers

Brest.....................................................................55Communes voisines.......................................................................7

Presqu'îles de la rade.....................................................................14Cantons littoraux du Léon.....................................................................11

Pays de Cornouaille.......................................................................6Autres départements bretons.......................................................................3

Départements français.......................................................................2

Travailleurs du fer__________________________________30 ouvriers

Brest.....................................................................13Presqu'îles de la rade.......................................................................8

Autres départements bretons.......................................................................3Pays de Cornouaille.......................................................................2

Départements français.......................................................................4

Travailleurs du fer__________________________________23 ouvriers

Brest.....................................................................13Communes voisines.......................................................................2

Presqu'îles de la rade.......................................................................1Pays du Léon.......................................................................3

Pays de Cornouaille.......................................................................1Départements français.......................................................................3

Si ces chiffres ne représentent qu'un sondage portant sur un nombre limité

de cas, il paraît correspondre à la répartition générale des ouvriers de l'arsenal. Le

recrutement se faisait en majorité sur place et les délégués du canton de Crozon

signalent que de « 200 à 300 ouvriers sont occupés au port de Brest.195 »

Nous voyons donc que la population de l'arsenal était, dans sa grande

majorité, originaire de Bretagne. Cette population ouvrière, notamment les

membres issus de la ruralité, arrivait avec son bagage culturel, de la même manière

que les domestiques. Ainsi, le jeune ouvrier prenant son poste à l'arsenal et venant

des communes rurales avoisinantes ou des presqu'îles de la rade utilisait

certainement la langue bretonne comme moyen de communication et trouvait des

locuteurs parmi ses pairs. Rappelons que l'auteur de la biographie de Gabriel Milin

nous signale le fait que ce dernier a effectué ses travaux de collectage une fois

arrivé à Brest car il a trouvé sur son lieu de travail – qui était l'arsenal – un vivier de

locuteurs bretonnants196. Le langage utilisé dans le registre paritaire de cette

population était donc, dans sa grande majorité, le breton. Celui-ci n'était pas reclus

195 M.-T. Cloître-Quéré, Op. cit. p. 31196 Voir p. 88

102

dans l'arsenal et était utilisé en ville. Ces bretonnants ont assimilé le français à la

fois sur le tas et sur le tard. En effet, ils ont probablement appris le français avec

leurs contremaîtres et leurs supérieurs qui l'on eux-mêmes possiblement acquis de

manière approximative. Cantonnés sur la rive droite et enfermés dans leur travail

tout dédié à la mer, leur français était fortement influencé par ce qu'ils

connaissaient, c'est-à-dire, d'une part, des termes en rapport avec leur métier à

vocation maritime et passés dans le langage courant et, d'autre part, quelques mots

et expressions d'origine bretonne qui ont été francisés petit à petit. L'hebdomadaire

Côté Brest, suite à une nouvelle publication sur le sujet, nous fourni une définition

de ce parler :

« Gérard Cabon est l’un de ces Ti zef, Bressôa d’Brest mêm’ (rive gauche),

qui entretient ce fameux parler brestois, mélange de français, breton, parler

de marin, argot ouvrier…197 »

Ces différentes influences ont nourri un parler français local. Celui-ci a

certainement été utilisé hors des murs de l'arsenal. Les ouvriers l'utilisaient à la foi

sur leur lieu de travail et dans leur famille et, par conséquent, nous pouvons

supposer que cet idiome a progressivement supplanté le breton dans le registre

paritaire.

Nous sommes ici à l'aube de ce qu'on appelle aujourd'hui le « Ti Zef » ou le

« parler Brestois198 ». Ce langage est né à l'intérieur et autour de l'arsenal, c'est

pourquoi je l'appelle l'idiome de l'arsenal. Cet idiome est actuellement considéré

comme un marqueur identitaire, un signe d'appartenance à la ville de Brest. Le vrai

Ti Zef parle le Ti Zef. Toutefois, avant de devenir le symbole du « vrai brestois »,

c'était un parler français local utilisé par les ouvriers et leurs familles, une marque

d'appartenance à une communauté modeste et prolétaire, utilisé dans un registre

paritaire.

197 Côté Brest du 07/11/2012. http://www.cotebrest.fr/2012/11/07/vous-avez-dit-bressoa/198 Sur le sujet, voir A. Le Berre, Joli... comme à Brest, Le Télégramme, Brest, 2001

103

Conclusion

Brest est une ville de composition récente, atteignant son apogée à la veille de la

Révolution. Toutefois, sa morphologie physique et économique, encastrée dans ses

remparts et soumise aux décisions de la Marine, fait que c'est une ville qui a connu, tout au

long du XIXe siècle, différentes périodes d'activités plus ou moins intenses, allant du

bouillonnement à la quasi-léthargie. Très vite, en raison de sa dépendance aux activités

militaires maritimes, elle fut qualifiée de cité coloniale. Ce fait est très clair dans la

correspondance du XIXe siècle, même si le caractère colonial de la ville est quelquefois

nuancé et ne concerne que tel ou tel aspect, mais Yves Le Gallo sera le premier, à la fin des

années 1960, à théoriser ce sujet. Pour lui, Brest est une colonie française de part ses

caractéristiques sociales, économiques, historiques, géographiques, politiques, religieuses

et linguistiques. Toutefois, certains documents, dont l'accès s'est particulièrement facilité

depuis cette étude grâce aux nouvelles technologies, tendent à nuancer quelque peu cette

théorie. En effet, le caractère colonial de la ville n'est pas aussi marqué qu'il y paraît

lorsqu'on s'intéresse à la population. Il n'existait pas de relation colons-indigènes comme a

pu le prétendre Yves Le Gallo. Une noblesse et une bourgeoisie bretonne étaient bien

présentes à Brest et l'organisation maîtres-domestiques n'y était pas différente des autres

villes de Basse-Bretagne.

Aussi, la cité brestoise n'était pas un îlot linguistique français dans un océan de

breton. La municipalité, dès le début du XIXe siècle, ressentait le besoin de communiquer

en breton, même si le langage utilisé revêtait une valeur toute symbolique. En effet, les

proclamations devaient être lues à haute voix mais, étant donné le vocabulaire politique et

administratif qu'elles contenaient, le message transmis était certainement très mal compris.

Lors des élections de 1869, la municipalité de Brest a reçu dans son matériel électoral une

affiche rédigée en breton celle-ci est rédigée dans un breton beaucoup plus proche du

langage utilisé par la majorité de la population rurale et ce document était compréhensible

par tous. La presse locale a aussi fait paraître quelques articles en breton, notamment entre

1858 et 1862 et était également le relais des maisons d'éditions brestoises en termes de

publicité. La plupart des ouvrages édités en langue bretonne ou traitant de la

104

compréhension de la langue bretonne (grammaire, conjugaison, vocabulaire) bénéficiaient

d'une bonne publicité dans les pages de l'Océan. Ces ouvrages servaient certainement aux

membres des sociétés savantes de Brest pour mener à bien certains travaux de traduction

parus dans les bulletins annuels de ces mêmes organisations tout au long du XIXe siècle.

La langue bretonne dans la vie publique brestoise ne s'arrête pas à l'affichage, à la presse et

à l'édition. S'il n'est pas possible de mettre en évidence une quelconque utilisation de la

langue bretonne dans l'instruction laïque à Brest, nous pouvons affirmer qu'elle était bien

utilisée dans l'instruction religieuse, y compris dans la marine militaire. De plus, si la

paroisse de Saint-Sauveur, dont dépendait Recouvrance, était majoritairement bretonnante,

il y a aussi eu des souhaits de messes en breton à l'intérieur des murs de Brest (rive

gauche). Il restait toutefois à déterminer quelle population parlait breton.

La société brestoise du XIXe siècle était composée d'une grande majorité de

femmes mais c'était les hommes qui étaient aux affaires. L'arsenal, qui employait en

moyenne près de 5 000 personnes, était le premier employeur brestois, au coude-à-coude

avec la bourgeoisie qui avait à son service plus de 4 700 domestiques. La domesticité était

donc très présente à Brest. Les membres de cette dernière viennent des communes rurales

du Finistère, les femmes venant avec leur costume, leur culture et leur langage. C'était

même ce qui les caractérisait : une femme en costume à la mode de Bretagne, si elle n'était

pas commerçante, était domestique. De plus, une bourgeoisie bretonne existant à Brest,

nous pouvons supposer que cette dernière n'avait aucune difficulté à prendre à son service

une population bas-bretonne. Toutefois, cette société brestoise du début du XIXe siècle va

connaître des bouleversements, conséquence de la métamorphose du visage urbain de la

cité. La ville va s'étendre hors de ses murailles et absorber petit à petit une population

rurale : la population municipale brestoise va donc voir son nombre de locuteurs

bretonnants s'accroître. Mais cette population n'a pas le monopole de la langue bretonne.

En effet, certains notables de la ville, membres de la bourgeoisie, sont sociétaires des

sociétés savantes de Brest, telle la Société d’Émulation ou la Société Académique. Ceux-

ci, de par leurs parcours ou leurs travaux, ne pouvaient ignorer la langue bretonne.

Certains, par exemple, étaient membres de l'association pour le progrès agricole et

devaient pouvoir communiquer avec la population paysanne ; d'autres étaient des figures

savantes de la recherche consacrée à la langue bretonne. Par ailleurs, les ouvriers de

105

l'arsenal venaient des communes rurales voisines de Brest et des presqu'îles de la rade.

Cette population rurale bretonnante est devenue une population ouvrière citadine qui a su

s'adapter à ce changement. Son apprentissage du français s'est fait sur le tas et leur langage,

mélange de termes maritimes et de quelques mots et expressions bretonnes « francisés » a

fait naître un parler français local qui est devenu un signe d'appartenance à une

communauté ouvrière citadine prolétaire.

Par conséquent, définir Brest comme une colonie française composée d'une élite

francophone ayant une prééminence sur un prolétariat bretonnant est une méprise qui ne

résiste pas à l'observation de la sociolinguistique historique.

Cette étude traite exclusivement du XIXe siècle. Mais que c'est-il passé par la

suite ? Quelles ont été les répercutions des deux guerres mondiales sur le paysage social et

linguistique de Brest ? Quel a été le rôle de la reconstruction, qui a été l'occasion de recréer

la ville et faire table rase du passé, dans la perte ou non de locuteurs bretonnants ? Quelle a

été l'évolution de la langue bretonne et de l'idiome de l'arsenal tout au long du XX e siècle

et comment ces langages sont-ils perçus aujourd'hui ? Ces quelques questions – il en existe

sans aucun doute une quantité d'autres – pourront faire l'objet d'une suite à ce travail et

permettraient de définir quelle a été l'évolution des pratiques du breton et de l'idiome de

l'arsenal à Brest depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours.

106

Sources et bibliographie

Archives municipales et communautaires de Brest

Registre des actes de naissances, cote 5E58

Registre des actes de naissances, cote 5E68

Registre des actes de naissances, cote 5E78

Registre des actes de naissances, cotes 1E122 et 1E123A

Registre des actes de naissances, cotes 1E142 et 1E143

Registre des actes de naissances, cotes 1E165 et 1E166F

Registre des propriétaires de concessions du cimetière Saint-Martin, cote 4N29

Police des débits de boisson, cote 1I122

Police des halles et marchés, cote 1I136

Police des filles publiques, cotes 1I159, 1I160, 1I161, 1I163 et 1I/L3/1

Police, hygiène publique, justice, comité de surveillance, cote 2I22

Loi et décrets, municipalité de Brest, 1A2

Mandement de l'évêque, cote 4S65

Lettre de l'évêque, cote 4S119

Élections législatives, cote 1K236

Recensements de 1792-1978, cote 1F3

Recensements de 1792-1931, cote 1F7

Recensement de 1805, cote 1F38

Recensement de 1842, cotes 1F76 à 1F78

Recensements, tableaux numériques, cotes 1F15 à 1F17

Recensements, affiches et avis de presse, cote 1F4

Recensements, relations entre les maires, cote 1F5

Recensements, personnel auxiliaire, nomination et rémunération, cote 1F6

Recensements, synthèse 1892-1960, cote 1F11

organisation des fêtes celtiques de 908 à Brest, cote 1I101

107

Archives départementales du Finistère

Recensement de 1861, 3ème canton : Recouvrance, cote 6M141

Rapport de l'inspecteur de circonscription de Brest, cote 1T202-1

Arrêt cour d'assises 1816, cote 4U1/1

Parquet de Brest, notaires de Brest, an X, cote 5U2/2

Registre journal des procès verbaux, an IX et an X, cote 5U4/1

Tribunal civil de Brest, présentation en demandant an IX, cote 6U1/1

Tribunal civil de Brest, ordonnances, licitations, 1835, cote 6U5/1

Tribunal de Brest, pièces déposées, expertises, 1841, cote 6U6/1

Tribunal civil de Brest, jugements sur requêtes 1841, cote 6U4/1

Tribunal civil de Brest, adjudications 1836, cote 6U7/1

Cour d'assises, dossiers 1811, cote 4U2/1

Tribunal Criminel, dossier an VIII et an IX, cote 3U9/1

Justice de paix, Brest, 1er canton, cote 22U

Justice de paix, Brest, 2° canton, cote 23U

Justice de paix, Brest, 3° canton, cote 24U

Archives de l'évêché de Quimper et du Léon

Correspondance Saint-Sauveur, document 72

Service historique de la Marine

L'océan, journal du droit national, années 1846 à 1867, cotes R5411, R5423, R5473 et

R5478

Centre de Recherche Bretonne et Celtique

Le Pen-Baz, journal satirique Brestois (de 1914 à 1916)

108

Sources numériques

Hebdomadaire gratuit Côté Brest, publication du 07 novembre 2012

http://www.cotebrest.fr/2012/11/07/vous-avez-dit-bressoa

Site internet de la Redadeg

http://www.ar-redadeg.org/la-fete-du-depart-a-brest

En Liens, comprendre les enjeux du développement durable en Finistère

http://www.en-liens.fr/2012/07/17/brest-racontee-par-les-greeters

La frontière linguistique bretonne

http://fr.wikipedia.org/wiki/Frontière_linguistique_bretonne

France Inter

http://www.franceinter.fr/emission-le-zoom-de-la-redaction-parle-t-on-encore-breton-a-brest

Sked

http://sked.infini.fr/article.php3?id_article=66

Fnac

http://blog.fnac.ch/tag/brest/

Allez brest

http://www.allez-brest.com/nantes-t2387-15.html

Jeux vidéo

http://www.jeuxvideo.com/forums/1-50-125694809-1-0-1-0-bretagne-independante.htm

Travaux de l'association d'études fouriéristes et des cahiers de Charles Fourier

www.charlesfourier.fr

Bulletin de la Société Académique de Brest, Anner, Brest, 1861

Bibliothèque Nationale de France, via Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207508w.image.langFR.r=soci%C3%A9t%C3%A9%20acad

%C3%A9mique%20de%20Brest.swf

Et université du Michigan :

http://archive.org/stream/bulletindelasoc12bresgoog#page/n177/mode/2up

Les Concitoyennes ou Arrêté des Dames, Samedi 24 janvier 1789

Bibliothèque Nationale de France, via Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k491069/f6.image.r=.langFR

Annuaire des Châteaux et des Département, 40 000 noms & adresses de tous les

propriétaires des châteaux de France, manoirs, castels, villas, etc. A. La Fare éditeur,

Paris, 1898

Bibliothèque Nationale de France, via Gallica :

109

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5774454s.image.langFR

Ouvrages généraux et spécifiques

J. Beaujeu-Garnier, Trois milliards d'hommes, Hachette, Paris, 1965

D. Bernard, La Révolution Française et la Langue Bretonne, Oberthur, Rennes, 1913

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Le nouveau Petit Robert, Dictionnaire Le Robert, Paris, 2002

199 Article non édité lorsque j'écris ces lignes

112

Annexes

Carte des itinéraires supposés romains...............................................................114

Proclamation de la commune de Brest à ses concitoyens..................................115

Affiche élections législatives de 1869................................................................117

« Une » de l'Océan du 9 août 1858.....................................................................118

Feuilleton de l'Océan du 7 novembre 1860........................................................118

Publicité pour le dictionnaire de Troude du 21 octobre 1846............................119

Fable traduite par G. Milin du 22 juillet 1859....................................................119

Lettre de l'évêque................................................................................................120

Lettre du curé de Saint-Sauveur du 11 juillet 1826............................................121

Recensement de 1851.........................................................................................122

Cartes postales....................................................................................................123

113

Carte des itinéraires supposés romains

114

Proclamation, cote 1I136 (archives municipales et communautaires de Brest)

115

116

Élections législatives, cote 1K263 (archives municipales et communautaires de Brest)

117

« Une » de l'Océan du 9 août 1858, cote R5423 (service historique de la Marine)

Feuilleton de l'Océan du 7 novembre 1860, cote R5423 (idib.)

118

Publicité pour le dictionnaire de Troude dans l'Océan (21 octobre 1846), cote R5411 (idib.)

Fable traduite par G. Milin dans l'Océan le 22 juillet 1859, cote R5423 (idib.)

119

Lettre de l'évêque (extrait), cote 4S199 (archives départementales du Finistère)

120

Correspondance Saint -Sauveur, document 72 (archives de l'évêché de Quimper)

121

Recensement de 1851, cote 1F7 (archives municipales et communautaires de Brest)

122

Le champ de Bataille et le théâtre

La place du Château

123

La Rue d'Aiguillon

La rue de la Mairie

124

Brest – Le cours d'Ajot à l'heure des nourrices

Brest – Place Médisance

125

Brest – La foire au puces place de la Liberté, Jeune fille de Brest

Brest – Marché aux fraises

126

Estaminet du marché

Restaurant du pont, 1 rue du pont, Brest-Recouvrance

127

Magasin de chaussures rue de la Porte

Épicerie Kerjean

128

129